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Céline Soulas / Cahiers du Ceren 32(2010) pages 107-115 Cahiers du CEREN 32 (2010) www.escdijon.com Au bord de la falaise, les bigs pharmas investissent l'innovation partagée. Céline Soulas Professeur Groupe ESC Dijon, Responsable du Mastère Spécialisé en Management de l‟Industrie Pharmaceutique Résumé Le règne du "blockbuster" qui représentait l'essentiel des ventes d'un laboratoire paraît révolu. Cela signifie-t-il pour autant que l'ère des bigs pharmas l'est aussi ? Pas si sûr. Car si les vagues de fusions-acquisitions dans le secteur pharmaceutique continuent d'animer les marchés financiers, elles prennent parfois des visages nouveaux et se conjuguent avec la multiplication des accords de coopération. Ainsi, limiter l'explication de la croissance externe des bigs pharmas à la seule recherche d'économies d'échelle et de parts de profits stables, est particulièrement restrictif. Face à une crise sans précédent de l'innovation, les bigs pharma investissent un nouveau business model, fondé sur l'Innovation partagée ou "Open Innovation", pour rester dans la dynamique concurrentielle. Tour d'horizon de stratégies mises en œuvre. LES BREVETS ARRIVENT A EXPIRATION The Patent Cliff, littéralement la falaise des brevets. C'est ainsi que les analystes du groupe financier PriceWaterHouseCoopers (2009) ont surnommé l'échéance qui attend le secteur pharmaceutique à l'horizon 2012-2013. Au total, d'ici 2013, ce sont 135 milliards de dollars de chiffre d'affaires qui sont concernés par l'expiration des brevets ; pas moins de 20% du chiffre d'affaire mondial. Des "blockbusters" menacés Les médicaments les plus vendus au monde en 2008 (en milliards de dollars) et date d'échéance de leur brevet aux États-Unis Source : IMS Health Médicaments Laboratoires Chiffre d'affaires Dates d'échéance du brevet Lipitor (anticholesterol) Pfizer 13,65 2011 Plavix (antithrombotique) Sanofi-Aventis + Bristol-Myers Squibb 8,63 2011 ISSN 1768-3394 - ISSN (En ligne) 1778-431X 108 /115 Céline Soulas / Cahiers du Ceren 32(2010) pages 107-115 Nexium (antiulcéreux) AstraZeneca 7,84 2015 Seretide (antiasthmatique) GlaxoSmithKline 7,70 2010 5,70 2012 Enbrel (contre rhumatoïde) la polyarthrite Amgen + Wyeth Seroquel (antipsychotique) AstraZeneca 5,40 2012 Zyprexa (antipsychotique) Eli Lilly 5,02 2011 Remicade (contre la polyarthrite Johnson&Johnson + Schering Plough rhumatoïde) 4,90 2011 Singulair (antiasthmatique) Merck&Co 4,67 2012 Lovenox (antithrombotique) Sanofi-Aventis 4,43 passée Les bigs pharmas ont une visibilité réduite pour la suite. Les pipelines sont peu à même de combler le manque à gagner. La productivité de la R&D est en baisse et souffre tant d'un accroissement des coûts que du temps de la recherche. A cela s'ajoute la volonté croissante des pouvoirs publics à maîtriser les dépenses de santé. Partout, les Etats font pression sur les prix, y compris aux Etats-Unis, l'eldorado du secteur : dans le cadre de la réforme du système de santé initiée en 2009, les laboratoires ont dû consentir de baisser les tarifs de leurs médicament à hauteur de 80 milliards de dollars sur les dix prochaines années. Ainsi, seules 25 molécules innovantes ont été lancées sur le marché mondial en 2008, contre 44 dix ans auparavant 1 107. Ces chiffres annoncent la fin du modèle du médicament de masse, dit "blockbuster", sur lequel le laboratoire se garantissait une rente de plus d'un milliard de dollars de chiffre d'affaires par an. Les biotechnologies : nouvelles sources d'innovation Produits plus ciblés, médecine personnalisée axée sur des populations réduites, le modèle du "blockbuster" cède sa place au modèle des "multibusters". Près de 50% des nouveaux traitements mis sur le marché depuis 2003 sont issus des sciences du vivant. Les premières découvertes sur le génome humain ont donné de nouvelles orientations à la R&D pharmaceutique (Jorban [2000]). Le processus d‟innovation qui découle de ces découvertes est généré par de petites entreprises de biotechnologies particulièrement flexibles et à la pointe des nouvelles connaissances sur le vivant, appelées startup et souvent issues de laboratoires universitaires ou privés (Depret et Hamdouch [2001], Bonhomme, Corbel et Sebai [2005]). Dans un contexte d‟incertitude technologique et commerciale, ces TPE/ PME bénéficient entres autres de trois avantages sur les bigs pharmas : elles profitent à la fois d‟une spécialisation et d‟une expertise poussée des chercheurs qu‟elles recrutent, mais surtout elles préservent au mieux leur structure légère et souple afin d‟être réactive face aux changements technologiques, face aux bouleversements des découvertes (Bobulescu et Soulas [2006]). Or, sur ces trois points, les grandes entreprises sont distancées : leur processus de décision est long et très hiérarchisé et elles supportent une surcapacité de production et un sureffectif qui les rendent trop « inertes » aux changements, les empêchant tant de capter rapidement les opportunités qu‟offre la science que de prendre les risques qui y sont associés. Comme le souligne Gambardella (2000), les anciennes routines technologiques sont incrustées dans l‟organisation des firmes établies. L‟apparition de nouvelles méthodes de recherche laisse les anciennes entreprises prisonnières de leurs rigidités et de leur inertie organisationnelle. Les entrants sans biais organisationnels sont alors mieux à même d „exploiter le nouveau champ de recherches des biotechnologies. A l‟heure actuelle, le phénomène de consolidation industrielle n‟est pas atteint : les connaissances biotechnologiques n‟ont pas encore révélés toutes les applications thérapeutiques et techniques qu‟elles permettront, laissant le secteur industriel pharmaceutique largement ouvert à la création d‟entreprises. Chaque avancée des connaissances soulève de nombreuses interrogations. Dès lors la concurrence s‟instaure de plus en plus en amont du processus d'innovation, inscrivant les stratégies des bigs pharmas dans la recherche de partenaires industriels. Pour trouver de nouvelles sources de croissance et innover, les bigs pharmas n'ont d'autres choix que de s'adapter à cet environnement technologique changeant. Il s‟agit dès lors de maîtriser au mieux les avancées scientifiques et techniques qu‟offrent les biotechnologies appliquées à la santé. Or, les 107 Alternatives Economiques, avril 2010, n°290, Industrie pharmaceutique, la fin d'une époque. ISSN 1768-3394 - ISSN (En ligne) 1778-431X 109 /115 Céline Soulas / Cahiers du Ceren 32(2010) pages 107-115 connaissances et les compétences requises pour maîtriser ces nouveaux principes scientifiques et ces nouvelles méthodes de R&D apparaissent non seulement plus pointues et plus diversifiées, mais surtout plus intersectorielles et interdisciplinaires (Hamdouch et Perrochon [2000]). En effet, le développement des biotechnologies a déjà bouleversé l‟organisation sectorielle de la recherche. Laboratoires universitaires, hôpitaux et entreprises de biotechnologies deviennent des partenaires de premier plan pour les bigs pharmas, puisque désormais l‟amont du processus d‟innovation constitue un domaine partagé entre tous (Tyfield [2008]). Le choix strategique de l'innovation partagee Plus précisément, la concurrence se situe essentiellement dans la « course à l‟innovation », c‟est-à-dire en amont de la procédure de recherche. Il s‟agit pour le laboratoire de participer le plus rapidement possible, voire avant ses concurrents, au processus d‟innovation pour bénéficier de la « dynamique cumulative du développement des technologies » (Larue De Tournemine [1991]), c‟est-à-dire des phénomènes d‟amélioration des savoirs scientifiques. En d‟autres termes, la concurrence s‟exerce dans l‟acquisition des connaissances scientifiques et techniques, souvent présentes à l'extérieur des frontières de l'entreprise. Ainsi, même l'organisation R&D la plus compétente a besoin de se connecter à des sources de connaissances externes pour innover. C'est le concept théorique d'innovation ouverte, ou innovation partagée ou encore "Open Innovation". La pratique de l'innovation partagée trouve ses racines dans l'idée que la connaissance utile à l'entreprise est présente en plus grande quantité à l'extérieure de celle-ci. Cette idée prévaut dès la fin des années 80. Dans leurs travaux, Cohen et Levinthal (1989) recommanderont aux organisations de R&D de développer leur "capacité d'absorption" en tenant compte des "deux faces de la R&D" (tournée vers l'intérieur et l'extérieur de l'entreprise). Ils suggèrent ainsi que les firmes qui ne parviennent pas à exploiter cette R&D externe ont un désavantage compétitif important. Henry Chesbrough (2005) a été le premier à définir précisément le concept d'innovation partagée : "L'innovation ouverte est l'utilisation de flux de connaissances sortants et entrants pour accélérer à la fois l'innovation interne [développée et commercialisée par l'entreprise] et le marché des usages externes de l'innovation [développée et commercialisée par d'autres entreprises]". Chesbourg illustre d'ailleurs ces propos avec une citation du rapport annuel du groupe pharmaceutique Merck :"Merck représente 1% de la recherche biomédicale dans le monde. Afin d'avoir accès au 99% restant, nous devons activement nous tourner vers les universités, les instituts de recherche et d'autres entreprises dans le monde entier pour tirer profit du meilleur de la technologie et des produits. L'ensemble des connaissances dans les domaines des biotechnologies et du génôme humain est trop important et trop complexe pour être manipulé par une seule entreprise". Dans le secteur pharmaceutique, les entreprises ont recours à des stratégies très variées pour s'insérer dans la dynamique d'innovation partagée. Le concept recoupe en effet des pratiques très diverses : alliances/rachat des start-up de biotechnologies, alliances/fusions de bigs pharmas. Un contexte commun à toutes ces stratégies est tout de même à souligner. Toutes les bigs pharmas sont intégrées à des réseaux d'alliances, tissés sous la forme de pôles de compétitivité (Hamdouch et Depret [2001]). L'innovation partagée et les start-up de biotechs L‟innovation thérapeutique dépendant essentiellement de la créativité et de la souplesse des petites structures indépendantes, nous assistons à une première adaptation stratégique originale de la part des bigs pharmas, qui s‟engagent de plus en plus dans la constitution d‟alliances (Perrochon [2000]). La coopération permet à ces grandes entreprises d‟accéder aux nouvelles technologies et à de nouveaux marchés, mais également d‟accroître leur flexibilité face à un environnement incertain. En effet, les laboratoires pharmaceutiques se trouvent face à une relative impossibilité d‟acquérir ces connaissances en interne, du fait même que leur structure organisationnelle les rend inapte et inerte aux changements (Larue de Tournemine [1991]). Ainsi, le jeu concurrentiel semble se reconfigurer « sous la forme de luttes-coopérations », où chaque entreprise doit se construire et gérer un portefeuille de coalitions suffisamment puissant pour pouvoir intégrer les enjeux scientifiques, techniques, industriels et commerciaux des nouvelles biotechnologies. La concurrence semble évoluer ainsi vers une concurrence élargie et collective : « il ne s‟agit plus d‟innover pour concurrencer, mais de se concurrencer pour coopérer, afin d‟innover ensemble. On passe à une course à l‟innovation qui doit passer par une course à la coopération » (Hamdouch et Depret [2000]). La R&D doit désormais s‟organiser autrement. Elle nécessite des moyens techniques et humains si spécifiques et complémentaires, dépassant même parfois le ISSN 1768-3394 - ISSN (En ligne) 1778-431X 110 /115 Céline Soulas / Cahiers du Ceren 32(2010) pages 107-115 domaine du vivant, qu‟elle ne sera performante qu‟avec une organisation du processus de recherche sous la forme d‟un partenariat industriel 108 (Perrochon [2000], Bessy [2006]). La dynamique concurrentielle qui s‟oriente aujourd‟hui vers cette course à la formation de coalitions, tend à effacer le laboratoire intégré verticalement, cherchant, développant, fabriquant et commercialisant seul ses propres médicaments » et à rationaliser les structures organisationnelles afin de rendre efficace chaque maillon de la chaîne de valeur. Certes, la structure d'une start-up offre l'opportunité de combiner des éléments techniques et scientifiques inédits. Mais ce qu'elle découvre n‟est pas toujours adapté aux exigences requises par la mise en œuvre industrielle des procédés de fabrication. De même, il est concevable de remarquer qu‟il arrive que ce soit les connaissances techniques de fabrication, qui font défaut et dont l‟absence entrave l‟industrialisation d‟inventions (Bessy [2006]). Ainsi, dans la conception même de la collaboration industrielle, nous pouvons voir s‟esquisser une répartition des rôles qui repose sur la coexistence de deux domaines de création, celui de l‟imagination technique et celui du développement et de la commercialisation. Finalement, une certaine division du travail d‟innovation tend à se développer qui favorise des structures académiques pour la recherche fondamentale, des entreprises de biotechnologies pour les phases amont de la recherche et les grandes firmes pour les routinières et coûteuses phases de développement et de commercialisation. Ainsi, les sociétés de biotechnologies amènent les résultats de leur recherche appliquée, tandis que les laboratoires pharmaceutiques gèrent les phases de développement commerciales à grandes échelles (Grabowski [2004]). Citons ici pour illustration l'association de GlaxoSmithKline (GSK) et d'Actélion. Le groupe pharmaceutique britannique GSK et la société de biotechnologie suisse Actélion ont signé en 2008 un accord de partenariat exclusif pour développer un médicament prometteur contre l'insomnie, portant sur un montant d'environ 1,9 milliards d'euros109. GSK acquiert ici les droits exclusifs mondiaux (à l'exception du Japon) de développement et de commercialisation de l'Almorexant, actuellement en phase III d'études cliniques et qui pourrait être lancé fin 2011. La big pharma s'assure ainsi les bénéfices financiers d'un produit innovant. De son côté, Actélion poursuit la direction de la recherche et de l'homologation du médicament et pallie à son déficit compétitif en matière de force de vente. Pourquoi privilégier la collaboration plutôt que l'intégration des start-up ? L'intégration tend à couper le groupe pharmaceutique des nombreuses connexions scientifiques établies par le passé par la petite entreprise. L‟acquisition proprement dite n‟offre également aucune garantie, une fois l‟opération terminée, quant à l‟implication réelle et à la présence durable des scientifiques qui font la valeur de la société. Il s'agit donc de capter l'innovation, sans la tuer (Perrochon [2000], Bobulescu et Soulas [2006]). Cependant, l'achat de start-up est une pratique répandue, d'autant plus quand celles-ci sont productives en matières d'innovations et de plus en plus hiérarchisées, propres à devenir de véritables concurrentes des bigs pharmas. Ainsi, convaincu que de petites entités motivées et indépendantes sont plus efficaces qu'une structure géante, le groupe pharmaceutique suisse Roche a bâti un solide réseau de partenariats, une véritable "plate-forme de l'innovation". Parmi les partenariats les plus connus, celui avec Genentech 110. Depuis 1990, Roche dispose d'une participation majoritaire de Genentech, entreprise pionnière dans les biotechnologies, et commercialise plusieurs produits développés par celle-ci en toute indépendance. Dans les faits, après avoir établi certains grands choix en commun, Genentech a carte blanche. En retour, Roche dispose d'un premier droit de regard sur les produits développés mais la commercialisation sur le marché américain reste entre les mains de Genentech. Cette dernière a par ailleurs toute latitude pour signer avec un autre partenaire la commercialisation hors Etats-Unis des produits non retenus par le laboratoire suisse 111.Sans la start-up californienne, Roche ne serait pas le numéro un mondial en oncologie ; la société de biotechnologie a fourni près de 30% du chiffre d'affaire du groupe en 2008. En 2009, Roche prend un nouveau virage stratégique et annonce l'acquisition totale de Genentech. Cet accord était vital pour le laboratoire suisse. En grandissant, la start-up est devenue un centre de recherche névralgique qui attirait toutes les convoitises, avec l'un des portefeuilles de produits le plus prometteurs des prochaines années. Or, le partenariat entre les deux entreprises prenait fin en 2015 avec d'importants contrats de licence qui arrivaient à terme. 108 Pour exemple, le groupe Sanofi Aventis a acceléré son flux de partenariats en 2009, avec 18 accords de R&D signé en une année. (www.sanofiaventis.com) 109 GSK s'associe au suisse Actélion contre l'insomnie, L'usine Nouvelle, 15 juillet 2008. 110 Genentech est une entreprise californienne, côtée à la bourse de New-York et leader sur les marchés de la cancérologie, de l'immunologie et des maladies cardiovasculaires. - Genentech : la chère poule aux œufs d'or de Roche, MoneyWeek, n°25, 19 mars 2009. 111 par exemple le Xolair avec Novartis. ISSN 1768-3394 - ISSN (En ligne) 1778-431X 111 /115 Céline Soulas / Cahiers du Ceren 32(2010) pages 107-115 L'innovation partagée et la fusion ciblée de projets de r&d L'Open Innovation prend également des formes nouvelles, comme en témoigne la stratégie des groupes GlaxoSmithKline (GSK) et Pfizer, basée sur la mise en commun d'un pool de chercheurs dans un domaine ciblé112. En 2009, ces deux bigs pharmas ont conclu un accord visant la création d'une nouvelle société leader sur le marché mondial spécialisé dans le VIH, se concentrant uniquement sur la recherche, le développement et la commercialisation de médicaments dans ce domaine. Cette nouvelle société bénéfice d'une plus grande durabilité et d'une portée plus étendue que les laboratoires seuls la composant, représentant précisément 19% de parts d'un marché en forte croissance avec un large portefeuille comprenant 11 médicaments déjà commercialisés et 17 molécules en développement. La nouvelle société s'engage par contrat à utiliser les services de R&D de GSK et de Pfizer pour développer ses nouveaux produits. Selon les termes de l'accord, GSK détiendra dans un premier temps 85% de cette filiale et l'américain Pfizer 15%, afin de refléter le positionnement de leurs produits déjà commercialisés. A terme, si les objectifs sont atteints, ces proportions de contrôle sont amenées à évoluer respectivement à 75,5% et 24,5%. Les parties prenantes se partageront les bénéfices des découvertes. Cette alliance permet au laboratoire GSK d'étendre son protefeuille de produits sur le marché, l'aidant à affronter l'expiration des brevets de plusieurs de ses médicaments anti-sida dans les prochaines années ; Quant à Pfizer, son traitement Selzentri/Celsentri va pouvoir bénéficier du réseau de distribution mondial du groupe anglais. La poursuite des megas fusions : croitre et etendre les opportunites de partenariats Alors que le mode de l'innovation partagée semble privilégié, force est de constater que les spectaculaires mouvements de concentration du secteur n'ont pas cessé. Mais réduire leur existence à de simples économies échelle serait réducteur. Là encore, le business model de l'innovation partagée est sous-jacent. Essentiellement de forme horizontale, ces opérations d'intégration concernent des « mariages » entre de grands laboratoires. Leur persistance stratégique tend à se justifier par la baisse continue de la rentabilité des efforts de R&D et de commercialisation, et par l‟intensification de la concurrence qui en découle. Le but ultime de ces opérations serait dans ce cadre de faire bénéficier à l‟entreprise d‟un pouvoir de marché nettement plus puissant (Le Dortz et Perrochon [2001]). Il s‟agirait tout d‟abord pour ces big pharmas d‟atteindre la taille critique qui leur permettra à la fois de renforcer leurs capacités de recherche et de pénétrer de nouveaux marchés (Michelli et Kohler [2000]). Cependant, la notion même de taille critique et son utilisation pour justifier les vagues de concentration actuelles ne fait pas l‟unanimité parmi les économistes. Le débat, souligné précédemment et initié par Schumpeter, concernant la relation causale entre taille et innovation prend ici toute sa dimension. En effet, l‟étude de Henderson et Cockburn (1997) semble bien démontrer l‟existence d‟un effet taille dans l‟industrie pharmaceutique, soulignant que les programmes de recherche des grands laboratoires sont plus productifs que ceux engagés par des structures de dimension inférieure. Cependant, l‟étude de Lung et Rupprecht (1997) met au contraire en évidence la présence des rendements constants voire décroissants de taille, soulignant ainsi que les opérations de fusionsacquisitions ne peuvent être justifiées par ce seul argument de taille critique. Une autre interprétation largement moins débattue tend également à expliquer ces stratégies de croissance externe par la nécessité pour un laboratoire d‟accroître sa capacité commerciale autour d‟un pipeline d‟innovations mineures plus prometteur (Dimasi, Grabowski et Vernon [1995], Depret et Hamdouch [2000]). En effet, l‟arrivée à terme d‟un brevet portant sur un blockbuster alors même que le l‟entreprise n‟a pas les moyens scientifiques et les techniques biotechnologiques d‟en découvrir un nouveau, l‟oblige bien souvent à aller chercher chez son concurrent ce qu‟elle ne trouve plus. C‟est l‟opportunité pour elle d‟intégrer dans son portefeuille de produits, souvent à faible potentiel, le produit vedette de son nouveau partenaire. Ainsi, non seulement ce rapprochement capitalistique permettra au laboratoire de redresser son offre commerciale, mais cela favorisera également les économies de coûts à la fois industriels (rationalisation des sites de production et de recherche), administratives (harmonisation des procédures de décisions internes) ou commerciaux (optimisation des gammes de produits). 112 GSK et Pfizer s'allient dans les traitements contre le sida, Le Figaro, 12 mars 2010 ISSN 1768-3394 - ISSN (En ligne) 1778-431X 112 /115 Céline Soulas / Cahiers du Ceren 32(2010) pages 107-115 Enfin, un dernier argument peut être avancé, qui tend à expliquer ces vastes mouvements de fusions-acquisitions comme le moyen le plus pratique de réduire le nombre d‟entreprises rivales sur le marché (Derhy [1997], Michelli et Kohler [2000]). Des Bigs Pharmas fragiles 8113 Chiffre d'affaire 2009 des plus grands laboratoires mondiaux, en milliards de dollars *Activités pharmaceutiques uniquement Source : Sociétés Laboratoires Pays Chiffre d'affaires Pfizer (+ Wyeth) Etats-Unis 67,8 Roche (+Genentech) Suisse 46,4 Merck&Co(+Schering-Plough) Etats-Unis 45,9 Novartis Suisse 44,3 GlaxoSmithKline Royaume-Uni 44,2 Sanofi-Aventis France 40,2 AstraZeneca Royaume-Uni 32,8 Abbott Etats-Unis 30,8 Johnson&Johnson Etats-Unis Eli Lilly Etats-Unis 22,5* 21,8 Ces interprétations offrent aux opérations de concentration une première dimension stratégique de renforcement d‟un pouvoir de marché. Mais elles ne permettent pas d'expliquer l‟ensemble de ces mouvements. En effet, les opérations de fusions-acquisitions ont un rôle particulier aux côtés des stratégies de coopération. Les accords de partenariat tendent à se multiplier et à réduire ainsi le potentiel d‟alliances sur le marché, expliquant ainsi l‟utilisation du concept de « course à la coopération » ou encore de « lutte-coopération ». La seule solution pour les laboratoires n‟ayant pas intégré, dans les premiers, les alliances avec les sociétés de biotechnologies, et souhaitant s‟insérer dans le processus d‟innovation drastique, est alors de se rapprocher et d‟acheter un concurrent, qui aurait su constituer de son côté un portefeuille d‟alliances et de partenariats puissant (Ornaghi [2009]). Le rachat de Wyeth par Pfizer début 2009 traduit parfaitement cette logique stratégique 9 114. Pfizer a acheté Wyeth non seulement pour son portefeuille de produits en développement mais surtout parce que cette dernière société avait acquis un bon savoir-faire dans les biotechnologies en plus d'être diversifiée. En clair, les options scientifiques et technologiques qu'ont prises les entreprises dans les 10 dernières années influent sur les rapprochements actuels qui résultent d'une incapacité de l'industrie dans son ensemble à produire des composés viables à un rythme comparable à celui des années 90. Ainsi, l‟accroissement de la taille permis par les fusions-acquisitions semble de moins en moins constituer un objectif en soi, au fur et à mesure que les 113 Alternatives Economiques, avril 2010, n°290, Industrie pharmaceutique, la fin d'une époque. 114 9 Pfizer officialise son offre sur Wyeth pour 68 milliards de dollars, Challenges, 26 janvier 2009. des projets de R&D fait figure d'originalité. Quant aux fusions-acquisitions, elle trouve dans ce business model une nouvelle légitimité. Nous ne somme sans doute qu'au début du modèle d'innovation partagée dans les industries de santé. ISSN 1768-3394 - ISSN (En ligne) 1778-431X 113 /115 Céline Soulas / Cahiers du Ceren 32(2010) pages 107-115 biotechnologies se développent. Elles deviennent davantage un moyen de préempter de nouveaux partenaires pour innover et participer à la création de marchés d‟innovations majeures (Mathe [2006]). Ces opérations de concentration ne constituent donc qu‟une partie visible des stratégies de coordination à l‟œuvre dans l‟industrie pharmaceutique. Conclusion L'orientation stratégique imposée aux bigs pharmas trouve son écho dans le choix d'une innovation partagée. En plus des modèles classiques d'alliances, les laboratoires pharmaceutiques investissent d'autres modes de collaborations, parmi lesquels la fusion ciblée Bibliographie BESSY C. [2006], "Organisations intermédiaires et accords de licence de technologie", Revue d'Economie Industrielle, n°116. BOBULESCU R., SOULAS C. 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