Balades françaises en sous-sol

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Balades françaises en sous-sol
Germany
June 22th, 2014
Balades françaises en sous-sol
À Saumur, les cyclistes peuvent explorer des caves à vins longues de plusieurs
kilomètres – et déguster le crémant de Loire
L’idée qu’on se fait généralement du cyclotourisme le long de la Loire, ce sont quelques messieurs et dames détendus, équipés de
sacoches et de cartes, qui roulent de châteaux en châteaux au rythme du fleuve. Disons-le tout de suite, une représentation tout à fait
dépassée, car celui qui vient aujourd’hui faire du vélo le long de la Loire, plus précisément dans la jolie petite ville de Saumur, vivra là
une expérience qui aura à peu près autant de rapport avec le cyclotourisme en bord de Loire que la musique folklorique du «
Musikantenstadi » avec un concert de rock punk : à Saumur, on vide d’un trait un verre de vin mousseux, on s’assied ensuite sur un
vélo pour enfant beaucoup trop petit que l’on chevauche comme Faust et Méphisto pour traverser une cave voûtée en direction de
l’enfer.
Mais avant d’insinuer que les français ont une case en moins, on devrait considérer la chose objectivement. Et donc : ce fut cette
indication « Visite à vélo. Visitez en vélo les caves historiques, imposantes et séculaires de Bouvet Ladubay » qui a attiré mon
attention sur le sous-sol. Ces voûtes s’étendraient sur 8 kilomètres de long et traverseraient le tuffeau jusqu’à douze mètres de
profondeur. Et comme en bas, il y aurait même une dégustation de vin mousseux, il n’était pas question de cyclotourisme, mais d’une
« attraction pour le tourisme vinicole ». Bref : il fallait que je vois ça.
Je me suis approché de Saumur par l’est, naturellement sur un vélo, en suivant la Loire. Dans la localité de Montsoreau, j’ai visité
comme il se doit le château en compagnie d’autres cyclotouristes. Nous avons traversé des murs épais, monté des escaliers, longé des
couloirs, descendu des escaliers, et quelque part, les shorts et les maillots de cyclisme me semblèrent incongrus dans ce cadre
historique. Mais tous les participants semblaient ici s’être habitués depuis longtemps à cette image de contraste. Par la fenêtre, nous
pouvions voir couler majestueusement la Loire que nous allions bientôt tous continuer de suivre : soit vers l’aval en direction de
l’Atlantique, soit vers l’amont en direction du massif central.
Je partis vers l’aval. Mais si vous pensez qu’il s’agissait de rouler paisiblement, c’est que vous n’avez aucune idée de ce que la nation
du Tour de France entend par sport cycliste. Peu après la sortie du village, la route commença à faire des crochets comme un lapin
traqué. Et ce, toujours en direction du sud, à l’intérieur des vignobles vallonnés. À Turquant, juste au-dessus du panneau piste
cyclable, on lisait « Routes des Vins », un peu plus tard un bar taillé dans le roc invitait à une dégustation, et ensuite, à SouzayChampigny, le chemin empruntait des ruelles étroites pour disparaître finalement dans une cave sombre. Le lierre pendait des murs
en calcaire, des rayons de soleil obliques se déversaient sur le sol par des ouvertures au plafond. Le roucoulement des pigeons
traversait le silence et résonnait comme un appel des enfers de Saumur dont je me rapprochais mètre après mètre.
Mais tout d’abord, je rencontrai Juliette et Patrice Monmousseau au « Bistrot de la Place ». Patrice est le directeur de Bouvet
Ladubay, producteur de vin mousseux selon la méthode traditionnelle – sa fille Juliette doit lui succéder et apporte dès maintenant
des idées originales. Comme par exemple cette histoire de randonnées en vélo dans les caves voûtées. Et pendant que le père servait
du Crémant de sa production, sa fille raconta comment était venu l’idée de cette randonnée sous-terraine. « Nous avons ouvert pour
la première fois les caves aux cyclistes il y a trois ans, à l’occasion de la course cycliste rétro Anjou Vélo Vintage. » 2500 cyclistes
avaient alors slalomé à travers les caves – et non seulement cela avait fonctionné, mais ce fut un grand coup de marketing pour la
Cave. « Et c'est alors que j’eus l’idée que nous pouvions aussi proposer la randonnée en vélo à nos visiteurs, avec une dégustation. » «
Ah, c’était ton idée? », lui dit son père. « Oui, c’était mon idée, même si tu ne veux pas l’admettre », rétorqua-t-elle. Autrement dit des
discussions de conflit intergénérationnel tout à fait normal comme il en existe dans les familles. Patrice commanda une bouteille de
vin blanc pour l’entrée.
Et il commença ensuite à raconter : comment il avait parié il y a 40 ans contre un critique du « New York Times » que son Crémant
était meilleur que la plupart des champagnes, et avait gagné ce pari dans une « dégustation à l’aveugle ». Comment il n’avait cessé de
recommencer ce jeu au fil des années et que les vins mousseux à 10 euros de « ce type du Val de Loire» avaient rivalisé avec bien des
champagnes grand cru. Et pour finir, comment il avait vendu toute la Cave en 2006 à un grand groupe indien et que cela avait été une
grande chance, parce que « son Indien » n’intervenait certes pas dans les affaires, mais qu’avec le soutien de ce bailleur de fonds il
avait pu construire une unité de production moderne à la périphérie de la ville. Depuis quatre ans, sept millions de bouteilles y sont
remplies par an. Enfin une histoire de mondialisation avec une « happy end ». Juliette sourit et Patrice commanda une bouteille de
vin rouge pour accompagner le plat principal. Dans ce restaurant français, avec un vin de sa fabrication, j’aurais pu écouter
indéfiniment ses anecdotes qu’il racontait de son mieux dans une sorte de cuvée linguistique avec un mélange de français, d’anglais
et d’allemand. Mais il y avait encore la randonnée en vélo dans la cave.
Je poursuivis donc ma route avec Juliette vers la rue de l'Abbaye jusqu’à l'ancien site de production et aux caves. « Les premières
galeries », me raconta-t-elle en chemin, « ont été creusées dès le 11ème siècle par les moines de St. Florent pour construire l’abbaye
surnommée la Belle d'Anjou. » L’abbaye avait ensuite été détruite à la fin du 18ème siècle – mais pas les caves. Et elles avaient alors
été utilisées à partir de 1851 comme caves à vins par le fondateur de l’entreprise Etienne Bouvet. Nous avons passé l’entrée et dans
l’espace de vente, nous avons salué quelques employés et clients qui buvaient du Crémant. Raisonnables, nous n’avons bu que de
l’eau.
J’avais emporté avec moi un « Alcotest numérique – d’une utilisation flexible grâce au porte-clés intégré », un petit appareil gris que
j’ai acheté à 7,90 euros sur eBay. J’avais soufflé dedans après le deuxième verre au restaurant et il indiquait 0,3 g/l de sang. À côté
s’affichait « attention ». Apparemment il fonctionnait. Je refis le test encore quatre fois au cours de la journée, mais l’appareil affichait
invariablement 0,0, bien que je ne me sentais pas du tout comme ça ! Je n’en sais certes rien, mais je suis convaincue que les Français
l’avaient truqué. « Prêt? », demanda Juliette en me tendant une lampe frontale.
« Prends le vélo de Raymond Poulidor », dit Juliette, alors que nous nous trouvions dans le hall devant une dizaine de bicyclettes
rétro offertes par des participants célèbres à la première course vintage dans la Cave. Poulidor est connu en France comme l’homme
qui n’a jamais pu gagner le Tour de France, il fut toujours deuxième. Pas étonnant avec ce vélo, me suis-je dit, un vélo d’enfant
couleur lilas, au guidon recourbé qui cogne contre les genoux, équipé d’une dynamo en plastique, mais sans commande de vitesse.
Mais quelque part, c’est aussi une expérience intéressante, car Poulidor comme ce vélo sont d’une époque où les coureurs du Tour de
France se dopaient au vin rouge et au cognac.
Bizarrement courbé sur le guidon, je suivis Juliette à l’intérieur du labyrinthe de caves, de la « cathédrale engloutie ». Première
impression : il fait frais (13 degrés en permanence), les murs sont sombres et, venu de je ne sais où, résonnait un morceau
instrumental de Vangelis. Puis à gauche les énormes fûts de chêne, « ce sont nos vins Trésor, 1200 fûts », dit Juliette tout en pédalant
sous une arche inondée de lumière artificielle et en chantonnant la mélodie « Indiana Jones » avant de disparaître dans l’obscurité.
Vite la suivre, s’enfoncer de plus en plus profondément, en passant devant des colonnes de tuffeau, devant des sculptures qu’un
sculpteur aurait taillé dans la roche il y a douze ans, devant des grilles couvertes de lichens, derrière lesquelles se trouvent de vastes
salles remplies de barriques sombres qui font penser d’une certaine manière à « Pirates des Caraïbes » ; devant des bifurcations
cachées et des magnums moussus, des tables de dégustation et de vieux rails, jusqu’à ce que nous nous arrêtions finalement devant
un bassin. « La source », chuchote Juliette, et le centre caché de ce système de cavernes enchanté. Je demande à Juliette si l’on peut se
perdre là en bas. Elle me regarde comme si elle n’avait pas compris la question et dit alors : « Oui, naturellement ! »
Au bout d’une heure environ, nous arrivons à un large portail en fer qui n’est pas différent de tous les autres. Mais cette porte
conduit directement dans la salle de conférence de l’entreprise. Pour cette fois, j’ai échappé encore à Hadès. ANDREAS LESTI
Comment s’y rendre –
Arrivée Par exemple avec Easy jet, Airberlin ou Lufthansa jusqu’à Paris puis par le train (TGV) jusqu’à Tour ou Angers. De là, en car
jusqu’à Saumur.
La cave vinicole Bouvet Ladubay propose des visites guidées de la cave à vélo (env. une heure, quatre euros/personne, inscription
préalable, plus d’informations sur www.bouvet-Iadubay.fr). La prochaine course cycliste rétro Anjou Vélo Vintage aura lieu les 28
et 29 juin. Elle part de Saumur et traverse entre autres la cave Bouvet. Plus d’informations sur www.anjou-velo-vintage.com
L’itinéraire cyclable de la Loire long de 800 kilomètres va de Nevers à Saint-Nazaire sur la côte atlantique. Plus d’informations sur
www.loire-radweg.org
Où loger À Saumur, par exemple à l’hôtel Saint-Pierre (à partir de 110 euros, www.saintpierresaumur.com), ou à Montsoreau, à
l’hôtel La Marine de Loire (à partir de 155 euros/chambre, www.hoteI-lamarinedeloire.com)
Informations sur www.ot-saumur.fr Ce voyage a été
subventionné par Bouvet Ladubay.