Le phnomne des dlocalisations et son impact global
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Le phnomne des dlocalisations et son impact global
L’IMPACT DES DÉLOCALISATIONS SUR LE GÉNIE ET SUR LES INGÉNIEURS (ÉTUDE PRÉLIMINAIRE) par Pierre Martin et Christian Trudeau Étude effectuée pour le compte du Réseau des ingénieurs du Québec. Pierre Martin est professeur agrégé de science politique et directeur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines à l’Université de Montréal (www.cepea.umontreal.ca); Christian Trudeau est candidat au doctorat (Ph.D.) en sciences économiques à l’Université de Montréal et chercheur à la Chaire d’études politiques et économiques américaines. Les opinions et interprétations incluses dans ce rapport sont celles des auteurs et n’engagent pas la responsabilité du Réseau des ingénieurs du Québec. © 2006 Réseau des ingénieurs du Québec Montréal, le 28 novembre 2006 Liste des acronymes ACM : Association for Computing Machinery. http://www.acm.org/ CCI : Conseil canadien des ingénieurs http://www.ccpe.ca/f/index.cfm CMMi : Capability Maturity Model Integration CMMp : Capability Maturity Model Plan EERH : Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (Statistique Canada) http://www.statcan.ca/francais/sdds/2612_f.htm FMI : Fonds Monétaire International http://www.imf.org/ MEQ : Ministère de l’Éducation du Québec. http://www.mels.gouv.qc.ca/ MGI : McKinsey Global Institute http://www.mckinsey.com/mgi/ NASSCOM : National Association of Software and Service Companies (Inde) http://www.nasscom.org/ NBER : National Bureau of Economic Research http://www.nber.org/ NPR : National Public Radio http://www.npr.org/ OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques http://www.oecd.org/ RIQ : Réseau des ingénieurs du Québec http://www.reseauiq.qc.ca/ TIC : Technologie de l’information et de la communication SCIAN : Système de classification des industries de l'Amérique du Nord SERVIQ : Corporation de services des ingénieurs du Québec http://www.reseauiq.qc.ca/serviq/ USGAO : United States Government Accountability Office http://www.gao.gov/ L’IMPACT DES DÉLOCALISATIONS SUR LE GÉNIE ET SUR LES INGÉNIEURS (ÉTUDE PRÉLIMINAIRE) 1. Introduction La mondialisation, sous toutes ses formes, ne laisse personne indifférent. Même s’il est accepté depuis longtemps que la libéralisation des échanges économiques rend presque tous les emplois associés au commerce des marchandises vulnérables à la concurrence des pays émergents, les occupations dans le secteur des services semblaient, dans une large mesure, à l’abri de telles pressions. Le défi le plus récent posé par la mondialisation est le nombre de plus en plus grand d’emplois dans le secteur des services qui sont affectés par la concurrence internationale. Les développements technologiques de la dernière décennie ont amené des transformations importantes à l’organisation du travail à l’échelle mondiale. Notamment, il est maintenant possible pour une entreprise de faire effectuer certaines tâches liées au traitement de l’information à des milliers de kilomètres de son principal centre d’opération, tout en intégrant en temps réel le fruit de ces efforts au flot de travail de l’entreprise. Même dans certains domaines de haut savoir, il est désormais possible de décomposer les opérations de conception ou d’administration de façon à tirer profit d’une main-d’œuvre qualifiée de plus en plus abondante dans des régions à faible coût, dont notamment l’Inde et la Chine. Dans le cas spécifique de l’ingénierie, étant donné l’énorme bassin de jeunes diplômés dont disposent les pays en émergence, le potentiel de croissance de la concurrence mondiale à laquelle doivent faire face les ingénieurs québécois est considérable. L’arrivée massive d’ingénieurs indiens, chinois, et d’autres pays sur un marché mondial de la technologie et de l’innovation de plus en plus ouvert est un phénomène que le Québec et ses ingénieurs ne peuvent pas éviter et ne doivent pas négliger. Ainsi, les délocalisations représentent un défi—certains iront même jusqu’à dire une menace—qui exige des réponses appropriées de la part des ingénieurs eux-mêmes, des associations qui les représentent, des entreprises qui les emploient, et des gouvernements. Les craintes suscitées par les délocalisations sont dans certains cas exagérées, mais il est tout à fait légitime de s’interroger sur la nature, l’ampleur et les effets de ce phénomène en pleine évolution, car les pertes qu’il pourrait potentiellement entraîner dans le domaine du haut savoir et de l’innovation représenteraient un appauvrissement collectif indéniable pour l’ensemble de notre société. Qu’est-ce que le phénomène des délocalisations? Que représente ce phénomène pour les ingénieurs québécois? Dans quelle mesure présente-t-il une menace ou une occasion de croissance pour l’ingénierie québécoise? Faut-il craindre le développement de l’offre d’ingénieurs dans les pays en émergence et les stratégies des entreprises qui prévoient avoir recours à leurs services? Faut-il miser sur la possibilité d’offrir des services de pointe aux entreprises mondiales à la recherche des meilleurs services? 2 Voici autant de questions que nous proposons d’aborder, en plus des autres qui préoccupent à juste titre les ingénieurs québécois et l’ensemble de la société pour laquelle ils œuvrent. L’objectif de cette étude est d’abord d’expliquer en quoi consistent les délocalisations dans les services et en quoi elles affectent les occupations liées au savoir, à la technologie et à l’innovation, y compris la profession d’ingénieur. Ces questions intéressent au premier chef les ingénieurs, mais elles sont aussi d’une importance capitale pour l’ensemble des Québécois, dans la mesure où la capacité d’innovation d’une société est l’un des principaux piliers de sa prospérité. La deuxième section présente un portrait de la situation de l’ingénierie au Québec. Sans être idyllique, ce portrait est assez positif si on compare les données d’ensemble à celles d’autres professions et, surtout, à celles qui concernent les ingénieurs américains. Par contre, les ingénieurs canadiens et québécois liés aux secteurs industriels ont bénéficié pendant plusieurs années d’une devise sous-évaluée, ce qui rend leur situation actuelle plus précaire que ce que la tendance semblerait indiquer. La troisième section décrit la nature et les sources du phénomène des délocalisations dans les services, en mettant l’accent sur les occupations liées au savoir, à la technologie et à l’innovation. Nous y soulignons que la délocalisation des services est une extension normale de la mondialisation, en réponse à des impératifs économiques semblables à ceux qui entraînent la libéralisation des échanges économiques en général. Il ne s’agit pas d’un phénomène entièrement nouveau, mais il a pris une ampleur sans précédent au cours de la dernière décennie. La quatrième section se penche sur la mondialisation de l’ingénierie. Une attention particulière est portée à l’évolution récente et aux projections réalistes de l’offre d’ingénieurs qualifiés dans des pays à faibles coûts de main-d’œuvre tels l’Inde et la Chine. Nous notons que l’offre d’ingénieurs qualifiés à faibles coûts dans ces pays, malgré ses proportions impressionnantes, a des limites. La cinquième section présente notre évaluation des effets actuels et potentiels des délocalisations sur la profession d’ingénieur. Nos projections globales et sectorielles sont basées avant tout sur les tendances observées ailleurs. Aux États-Unis, l’impact des délocalisations des tâches d’ingénierie vers les pays émergents s’est fait sentir de façon plus aiguë qu’ailleurs, mais les ingénieurs américains ont aussi été lourdement touchés par une conjoncture économique défavorable. Somme toute, cet effet a été relativement limité jusqu’à maintenant, sauf dans le secteur nouveau du génie logiciel. Nous accordons une attention particulière au secteur de l’aérospatiale, où la délocalisation des tâches d’ingénierie occupe une place importante dans la stratégie d’affaires des principaux employeurs québécois. 3 2. La situation de l’emploi en génie et dans les secteurs connexes au Québec Avant d’entamer la présentation du phénomène des délocalisations et son impact sur l’ingénierie, il importe de dresser un bref tableau de la situation actuelle de la profession au Québec. Selon l’évaluation du recensement de 2001, on retrouve 41 000 ingénieurs1 au Québec, qui occupent environ 1 % de l’emploi total de la province. Le tableau 2.1 indique le nombre et la proportion d’ingénieurs dans les autres provinces canadiennes. Tableau 2.1 Nombre et proportion d’ingénieurs dans les provinces canadiennes. Nombre d'ingénieurs Canada Alberta Ontario Québec Colombie-Britannique Terre-Neuve Nouvelle-Écosse Territoires Nouveau-Brunswick Manitoba Saskatchewan Île-du-Prince-Édouard 179 500 25 500 82 000 41 000 18 500 2 000 3 500 300 2 500 3 500 3 000 300 Proportion de la population active 1,1% 1,5% 1,3% 1,0% 0,9% 0,8% 0,8% 0,7% 0,7% 0,6% 0,6% 0,4% Source : Statistique Canada, Recensement de 2001. En guise de comparaison, aux États-Unis, où la réglementation sur le titre d’ingénieurs diffère, on retrouve environ 1 500 000 ingénieurs, soit 1,2% de l’emploi total2. Plus de quatre ingénieurs québécois sur cinq sont issus des cinq champs de spécialisation suivants : génie électrique et électronique, génie civil, de bâtiment et de construction, génie mécanique, génie aérospatial et génie industriel et de production. Ce tableau se compare, à quelques exceptions près, à celui des États-Unis, que nous utilisons comme base de comparaison à plusieurs endroits dans ce rapport. Entre autres, le génie aérospatial occupe une place plus grande au Québec. Le tableau 2.2 illustre la distribution des ingénieurs québécois et américains selon leur spécialisation. 1 Il s’agit ici du chiffre total du recensement de Statistique Canada, qui diffère par sa définition de celui de l’Ordre des ingénieurs du Québec.. Entre autres, les ingénieurs qui occupent des emplois de gestionnaires peuvent ne pas être classés comme ingénieurs par Statistique Canada. 2 Données de 2004 tirées de : Occupational Outlook Handbook, 2006-2007 Edition, U.S. Bureau of Labor Statistics. 4 Tableau 2.2 Distribution des ingénieurs québécois et américains selon la spécialisation, 2004 Domaine du génie électrique et électronique civil, de bâtiment et de construction mécanique aérospatiale industriel et de production chimique métallurgique et de matériaux informatique minier, géologique et pétrolier autres Québec Nombre Part (%) 9 600 8 600 6 600 4 800 3 400 1 400 1 400 1 300 1 000 3 000 23,4 21,0 16,0 11,7 8,2 3,5 3,5 3,2 2,4 7,1 États-Unis Nombre Part (%) 289 800 229 600 218 400 72 800 170 800 29 400 21 000 74 200 21 000 273 000 20,7 16,4 15,6 5,2 12,2 2,1 1,5 5,3 1,5 19,5 Sources : Informations sur les professions, Emploi-Avenir Québec, Ressources Humaines et Développement Canada, et Occupational Outlook Handbook, 2006-2007, U.S. Bureau of Labor Statistics L’ingénieur québécois moyen a 41,2 ans et 17,3 années d’expérience, dont 9,1 ans dans son emploi actuel, des chiffres stables depuis le début de la décennie3. Il est un peu plus jeune que son homologue américain, âgé en moyenne de 43,2 ans4. Le nombre d’ingénieurs québécois dont le plus haut diplôme est un baccalauréat ou un certificat est stable à 72%, alors que 28% ont des diplômes de cycles supérieurs.5 C’est exactement le même pourcentage qu’aux États-Unis6. Près d’un ingénieur québécois sur quatre (23,4%) oeuvre dans le secteur public, parapublic ou pour une société d’État. Aux États-Unis, ce pourcentage est plus faible (13,3%). Il s’agit d’une différence importante dans le contexte de la problématique des délocalisations, puisque le risque que des emplois du secteur public soient déplacés à l’étranger est en principe plus faible que dans le secteur privé. Plus de trois ingénieurs sur dix (30,7%) ne travaillent pas en génie, mais dans des domaines connexes, principalement la gestion. Cette proportion semble en hausse, alors qu’elle était entre 25,9% et 27,6% entre 2001 et 20057. Une situation analogue se présente aux États-Unis, où des ingénieurs occupent souvent des postes de direction dans les entreprises. Au Québec, 22,8% des ingénieurs travaillent pour des firmes de 100 employés et moins, 21,7% pour des firmes de 101 à 500 employés, 10% pour des firmes de 501 à 1000 employés et 45,5% pour des firmes de plus de 1000 employés8. Aux États-Unis, 3 SERVIQ, Enquête sur la rémunération directe des ingénieurs salariés du Québec, 2006, p.6. National Science Foundation, Science and Engineering Indicators 2006, table 3.14. 5 SERVIQ, loc. cit. 6 National Science Foundation, op. cit., table 3.9. 7 SERVIQ, loc. cit. 8 Ibid. p.7 4 5 ces données sont similaires, soit 25% dans des firmes de moins de 100 employés, 15% dans des firmes de 101 à 500 employés, 8% dans des firmes employant 501 à 1000 travailleurs et 52% dans des firmes de plus de 1000 employés.9 Selon l’enquête la plus récente du Réseau des ingénieurs du Québec (SERVIQ), les ingénieurs québécois avaient en moyenne un salaire de base de 81,270$ au 1er février 2006. Le salaire de base variait de 43,800$ pour les ingénieurs fraîchement diplômés à près de 110,000$ pour ceux diplômés avant 1970.10 Les salaires varient aussi selon les spécialités. Le graphique 2.1 illustre ces différences selon la spécialité et l’expérience. Graphique 2.1 Salaire de base moyen des ingénieurs québécois selon la spécialité et l'expérience, (février 2006) 120 100 Expérience Salaire (milliers de $) 80 3 ans ou moins 3 - 6 ans 6 - 10 ans 10 -16 ans 16 - 22 ans 22 - 28 ans Plus de 28 ans 60 40 20 0 Génie civil Génie électrique Génie mécanique Génie chimique Génie informatique Génie industriel Génie géologique Autres spécialités Source : SERVIQ, Enquête sur la rémunération directe des ingénieurs salariés du Québec, 2006, p. 8. Aux États-Unis, l’ingénieur moyen avait un salaire annuel de 77 100 $US en mai 2005, salaire qui pouvait passer de 67 000 $US chez les ingénieurs en santé et sécurité jusqu’à 97 000$ chez les ingénieurs pétroliers.11 9 EETimes, State of the Engineer 2006, U.S. Salary and Opinion Survey, p.8 SERVIQ, op. cit., p.9 11 Bureau of Labor Statistics, Occupational Employment and Wages Estimates, Mai 2005. 10 6 Le tableau 2.3 donne le salaire de départ moyen reçu par les finissants américains en 2005 selon la spécialité et le niveau de scolarité. Ces chiffres montrent que les finissants américains obtiennent un salaire de départ plus élevé que les ingénieurs québécois qui accèdent au marché du travail (3 ans et moins d’expérience), mais cette différence n’est pas énorme, si on tient compte des écarts du coût de la vie. Tableau 2.3 Salaire de départ moyen, en dollars américains, des finissants américains selon la spécialité et le niveau de scolarité, 2005 Domaine Baccalauréat $US Maîtrise $US Doctorat $US Aérospatial Agricole Biomédical Chimique Civil 50 993 46 172 48 503 53 813 43 679 62 930 53 022 59 667 57 260 48 050 72 529 — — 79 591 59 625 Informatique 52 464 60 354 69 625 Électrique / Électronique 51 888 64 416 80 206 Environnemental Industriel Matériaux Mécanique Minier Nucléaire Pétrolier 47 384 49 567 50 982 50 236 48 643 51 182 61 516 — 56 561 — 59 880 — 58 814 58 000 — 85 000 — 68 299 — — — Source : Sondage effectué par la National Association of Colleges and Employers, cité dans Occupational Outlook Handbook, 2006-2007 edition, Bureau of Labor Statistics Les indicateurs de l’emploi sont donc dans l’ensemble assez favorables pour les ingénieurs québécois. Le taux de chômage des ingénieurs était de 3,4% en juillet 2006, alors qu’il était de 8,2 % pour l’ensemble des travailleurs québécois12. Il affiche aussi une tendance à la baisse depuis 2004. 12 Ces chiffres sont ceux du Réseau des ingénieurs du Québec. Selon cette même source, le taux des ingénieurs « se situe dans la moyenne des professions universitaires comparables : comptables 3,5 %, architectes 4,5 %, conseillers en ressources humaines 4,9 %, consultants en informatique 6,5 %, avocats, 6,8 %, traducteurs 7,4 %. Quant aux actuaires, dentistes et orthophonistes, ils connaissent le plein emploi. » Voir : « Portrait de l’ingénierie québécoise », www.reseauiq.qc.ca/reseau/membres.html. 7 Le graphique 2.2 montre l’évolution du taux de chômage des ingénieurs québécois par spécialité. Il illustre une certaine pénurie de professionnels dans le secteur du génie civil, où le taux de chômage est très bas, et une situation un peu plus difficile dans le secteur du génie électrique. Ce taux de chômage est nettement inférieur à celui des travailleurs québécois dans leur ensemble, qui oscille autour de 8% durant cette même période. Toutefois, les jeunes ingénieurs ont un peu plus de difficultés à faire leur place sur le marché du travail, comme en témoigne le taux de chômage plus élevés des ingénieurs juniors dans les différentes spécialités (graphique 2.3). Graphique 2.2 Taux de chômage des ingénieurs québécois selon la spécialité (2003-2006) 6,5 Civil Électrique 6 Mécanique total 5,5 Taux de chômage (%) 5 4,5 4 3,5 3 2,5 2 avr-03 juil-03 oct-03 janv-04 avr-04 juil-04 oct-04 janv-05 avr-05 juil-05 Source : Réseau des ingénieurs du Québec/SERVIQ et Emploi-Québec. oct-05 janv-06 avr-06 juil-06 8 Graphique 2.3 Taux de chômage de l’ensemble des ingénieurs et des ingénieurs juniors du Québec, selon la spécialité (premier semestre de 2006) 8 Tous les ingénieurs Juniors 7 6 % 5 4 3 2 1 Ensemble Physique Mécanique Matériaux et métallurgie Informatique et logiciel Industriel Géologique Électrique Génie production automatisée Chimique Civil et construction 0 Source : Réseau des ingénieurs du Québec/SERVIQ. Donc, dans l’ensemble, la situation présente de l’emploi pour les ingénieurs québécois n’est pas mauvaise. Il faut toutefois noter que la période actuelle fait suite à une période de croissance rapide des emplois de services de haut savoir dans les années 1990. Le graphique 2.4, par exemple, montre une croissance rapide de l’emploi en informatique et dans la catégorie « architecture et génie » dans les années 1990, suivie d’un plateau depuis 2000. Les emplois dans la catégorie « recherche et développement, par ailleurs, ont continué à croître depuis 2000. 9 Graphique 2.4 Tendance de l’emploi au Québec dans quatre industries de services sélectionnées (1991-2005) 40 000 35 000 Québec - information Québec - Architecture et génie 30 000 Québec - informatique Québec - R&D 25 000 20 000 15 000 10 000 5 000 0 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 Source : Statistique Canada, Tableau 281-0024 : Emploi (I'EERH), estimations non désaisonnalisées, selon le type d'employé pour une sélection d'industries selon le Système de classification des industries de l'Amérique du Nord (SCIAN), données annuelles (personnes) Si on combine ces quatre secteurs sous la bannière commune de services technologiques, la performance québécoise des quinze dernières années se compare à peu de choses près à celle de l’Ontario et du Canada dans son ensemble. Même si le Québec a connu des ratés au démarrage au début de la décennie 1990, il a suivi la même tendance que la province voisine dans ces quatre secteurs d’emploi. Le graphique 2.5 illustre cette tendance. 10 Graphique 2.5 Évolution de l'emploi dans les services technologiques, Québec, Ontario et Canada (1991-2005); Indice, 1991=100 Québec Canada Ontario 225 200 175 150 125 100 75 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 Source : Statistique Canada, Tableau 281-0024 : Emploi (I'EERH), estimations non désaisonnalisées, selon le type d'employé pour une sélection d'industries selon le Système de classification des industries de l'Amérique du Nord (SCIAN), données annuelles (personnes); calculs des auteurs. Deux explications pourraient être avancées pour cet apparent ralentissement de la croissance de l’emploi dans les services liés au savoir technologique. La première, plus prudente, serait de supposer qu’il s’agit d’un plateau qu’il est normal d’observer après une période de croissance rapide. La seconde, plus aventureuse, lierait ce développement au phénomène des délocalisations, mais la plupart des économistes s’entendent pour dire que ce lien est difficile à établir rigoureusement13. Aux États-Unis, on observe la même tendance d’une forte performance de l’emploi dans les secteurs technologiques dans les années 1990, suivie d’un ralentissement après 2000. Pour expliquer ce phénomène, les économistes pointent en général vers 13 Pour une discussion centre sur le cas américain, voir: N. Gregory Mankiw et Phillip Swagel, « The Politics and Economics of Offshore Outsourcing », NBER Working Paper 12398 (Boston : National Bureau of Economic Research, juillet 2006). www.nber.org/papers/w12398. Voir aussi: United States Government Accountability Office, “Current Government Data Provide Limited Insight into Offshoring of Services,” Report GAO-04-932, Washington, U.S. General Accounting Office, September 2004; http://www.gao.gov/new.items/d04932.pdf. 11 l’éclatement de la bulle technologique en 2000. Cet épisode a été durement ressenti par un grand nombre d’ingénieurs, pour qui les taux de chômage ont atteint des sommets historiques dans les quelques années subséquentes. Depuis 2003, la reprise a atténué le problème. Tous les ingénieurs, peu importe la spécialité, ont été affectés. Le graphique 2.6 montre la progression des taux de chômage aux États-Unis depuis 1983. Les secteurs de haut savoir (informatique, science et génie) se sont situés nettement sous le taux d’ensemble jusqu’en 2000 et ont grimpé dans les années subséquentes. Graphique 2.6 Évolution du taux de chômage aux États-Unis pour les secteurs de l’informatique, science et génie, et pour l’ensemble de la maind’œuvre (1985-2004). 10 9 Ensemble Science et génie Informatique 8 Taux de chômage (%) 7 6 5 4 3 2 1 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 National Science Foundation, Science and Engineering Indicators 2006, « Unemployment rate, by occupation: 1983–2004 », 12 Le graphique 2.7 donne la variation des taux de chômage aux États-Unis dans quelques catégories de génie pendant la période de turbulence qui a suivi l’éclatement de la bulle technologique. Même si le choc a été dur pour les milliers d’ingénieurs qui se sont retrouvés sans emploi entre 2001 et 2004, le taux semble s’être stabilisé à des taux très bas depuis lors. Graphique 2.7 Évolution du taux de chômage des ingénieurs aux États-Unis pour quelques spécialités sélectionnées (2000-2005) 7 Aérospatial 6 Civil Informatique Électrique et électronique 5 Mécanique % 4 3 2 1 0 2000 2001 2002 2003 2004 Source : Bureau of Labor Statistics, Current Population Surveys 2000 to 2005, “Employed and experienced unemployed persons by detailed occupation and class of worker”. 2005 13 3. Le phénomène des délocalisations et son impact global En quoi consiste le phénomène des délocalisations et comment peut-on en évaluer l’impact global sur l’emploi au Québec et en Amérique du Nord? Cette section présente un bref aperçu de la nature et des causes des délocalisations dans les services, ainsi que des effets de cette tendance sur l’emploi. La vague récente de délocalisations et ses causes La délocalisation outre frontière de l’emploi peut être définie simplement comme la migration d’emplois vers d’autres pays. Fondamentalement, cette notion réfère au transfert de certaines parties d’un processus de production vers une filiale ou un fournisseur situé à l’étranger, le plus souvent pour tirer parti de différences de coûts de main-d’œuvre. De prime abord, il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau. Ce genre de migration des emplois vers les pays à faibles coûts est depuis longtemps monnaie courante dans le secteur manufacturier. Toutefois, entre autres à cause de changements majeurs dans les technologies de l’information et des communications, certains emplois de services tels le traitement de données, les centres d’appels et la programmation informatique de base peuvent être déplacés sur une grande échelle vers des pays à faible coût de main-d’œuvre. Ce qui est particulièrement significatif pour les fins de ce rapport est que le recours aux délocalisations devient de plus en plus courant pour des occupations de haut savoir dans les domaines techniques et scientifiques. Le domaine du génie n’est pas à l’abri de cette tendance. La délocalisation outre frontière des emplois de services se présente essentiellement sous deux formes. D’abord, une entreprise peut avoir recours à l’impartition outre frontière (offshore outsourcing) en faisant appel aux services d’une entreprise de soustraitance basée à l’étranger. C’est une pratique courante dans le domaine du traitement de données internes aux entreprises (business processes outsourcing) et des technologies de l’information. En quelques années, les fournisseurs de tels services ont pris une expansion considérable, à la fois sur le plan du volume des transactions et du niveau de complexité des tâches qui font l’objet de contrats d’impartition. L’entreprise québécoise CGI, avec ses 24 500 employés, ses plus de 100 bureaux dans 16 pays et des recettes estimées à 3,7 milliards $ en 2005, est au huitième rang mondial de cette industrie en forte croissance14. La deuxième forme que peut prendre la délocalisation est le développement d’une filiale à l’étranger (offshore in-house sourcing). Cette pratique conserve les fonctions déplacées à l’intérieur de l’entreprise tout en mettant à profit les avantages concurrentiels du pays hôte (sur le plan du prix ou de la qualité de la main-d’œuvre, ou de l’accès au marché) ou en facilitant la concordance avec les normes nationales du pays où l’entreprise souhaite développer un marché. C’est ce qu’ont fait la plupart des 14 Source des données : Groupe CGI, Inc. Rapport annuel 2005. Le huitième rang quant à la taille est une évaluation tirée de : Douglas Brown et Scott Wilson, « 50 Best Managed Global Outsourcing Vendors », SourcingMag.com (www.sourcingmag.com/content/c060712a.asp). Dans ce palmarès, qui met l’accent tant sur le volume d’affaires que sur la qualité des services, CGI occupe le 20e rang. 14 grandes firmes mondiales de haute technologie, dont certaines, notamment General Electric et Microsoft, se sont dotées d’immenses centres de recherche et développement en Asie. Si les délocalisations à grande échelle dans les services sont un phénomène relativement nouveau, la mondialisation elle-même ne date pas d’hier. En fait, à bien des égards, l’économie mondiale était plus ouverte à l’orée du 20e siècle, jusqu’à la Première guerre mondiale, qu’elle ne l’a été pendant les trois-quarts de siècle qui ont suivi. La plupart des observateurs attentifs s’entendent sur le fait que le degré exceptionnel d’ouverture de l’économie mondiale qui se manifeste depuis quelques années représente un équilibre fragile, comme c’était le cas il y a cent ans15. Malgré cette fragilité, force est de constater que la croissance de la migration des emplois dans le secteur des services, et surtout la migration des emplois de haut savoir vers les économies émergentes, posent un défi à l’avantage technologique sur lequel repose une bonne partie de la prospérité des sociétés industrielles avancées. Comme l’explique Thomas Friedman dans un ouvrage qui traite en profondeur des délocalisations dans les services, une conjonction de facteurs politiques, économiques, techniques et culturels expliquent le développement rapide de ces pratiques d’affaires depuis la fin des années 199016. La fin de la guerre froide a été un déclencheur essentiel de l’élan de mondialisation des années 1990, tout comme les réformes politiques et économiques en Chine, en Inde et en Europe de l’Est. Certains facteurs techniques ont aussi joué un rôle prépondérant, dont l’expansion d’Internet et le développement du réseau de télécommunications par fibres optiques occasionné par l’afflux de capitaux vers les hautes technologies à la fin des années 1990. Le surcroît de travail dans les TI engendré par le « Bogue de l’An 2000 » a de plus contribué à ouvrir les yeux du monde sur la présence d’une main-d’œuvre qualifiée abondante et abordable, notamment en Inde et en Chine. Le va-et-vient de milliers de techniciens, programmeurs, ingénieurs et entrepreneurs indiens et chinois entre leur pays d’origine et les grandes universités et entreprises de l’Amérique du Nord ont aussi contribué à consolider les réseaux dont dépend le succès d’une telle stratégie d’entreprise. 15 Voir, entre autres: Jeffry A. Frieden, Global Capitalism: Its Fall and Rise in the Twentieth Century (New York : Norton, 2006); Daniel Yergin et Joseph Stanislaw, The Commanding Heights: The Battle for the World Economy, 2e édition (New York : Free Press, 2002). Parmi ceux qui mettent en doute la durabilité de la mondialisation, il convient de citer John Saul, Mort de la mondialisation (Paris : Payot, 2006). 16 Thomas Friedman, The World Is Flat: A Brief History of the Twenty-first Century (New York : Farrar, Strauss & Giroux, 2005). Voir aussi l’article de Friedman qui résume les dix facteurs déclencheurs identifiés identifiés dans son ouvrage: « It’s a Flat World After All », New York Times Magazine (3 avril 2005), p. 33. Les facteurs qui ont contribué à l’émergence de l’« offshoring » sont bien résumés dans : William Aspray, Frank Mayadas et Moshe Y. Vardi, dir., Globalization and Offshoring of Software : A Report of the ACM Job Migration Task Force (Washington: Association for Computing Machinery, 2006). 15 Pourquoi a-t-on recours aux délocalisations? Du point de vue de l’entreprise, les raisons qui poussent à recourir aux délocalisations sont multiples, mais il demeure que le coût de la main-d’œuvre est presque toujours un facteur prépondérant. Une étude récente d’entreprises américaines puisées parmi les 2000 plus grandes du pays identifie les principaux motifs du recours à cette stratégie17. Il n’est pas étonnant que la réduction des coûts arrive en tête de liste, avec 97 pourcent. Les pressions concurrentielles sont aussi un motif important (71%). La proportion d’entreprises qui invoquent la recherche de personnel qualifié ou une stratégie de croissance d’entreprise comme un motif de délocalisations (respectivement, 70% et 73%) est nettement à la hausse depuis un sondage antérieur, ce qui indique une évolution d’un modèle de délocalisations fondé uniquement sur les coûts à une stratégie mettant l’accent sur la qualité. Tableau 3.1 Motifs invoqués par les entreprises ayant recours aux délocalisations selon une enquête américaine (décembre 2005) Motif invoqué Répondants qui considèrent ce motif important Réduction des coûts Stratégie de croissance Pression concurrentielle Accès à du personnel qualifié Pratique de l'industrie Amélioration du niveau des services offerts Réaménagement des procédés d'affaires Changements des règles du jeu Accélérationde l'accès au marché Désuétude des systèmes Accès à de nouveaux marchés 97% 73% 71% 70% 52% 50% 48% 37% 35% 33% 25% Source : Arie Lewin, Mark Peacock, Carine Peeters, Jeff Russell et Gary Sutton, Second Bi-annual Offshore Survey Results, Duke University Center for International Business Education and Research/Archstone Consulting, décembre 2005, p. 8. Traduction des auteurs. Parmi les autres raisons qui incitent les firmes dans des domaines de haute technologie à avoir recours à l’impartition ou à l’établissement de filiales à l’étranger, on retrouve la possibilité d’accélérer certaines tâches (rapidité accrue de la mise en marché, 35%), par exemple en tirant parti de la complémentarité des fuseaux horaires. Ainsi, un travail de conception effectué le jour en Amérique du Nord peut être vérifié ou testé pendant la nuit par des travailleurs asiatiques, permettant ainsi à un projet de se poursuivre plus rapidement. Parmi les autres motifs invoqués, on note l’amélioration du niveau de service (50%), par exemple en confiant certaines fonctions à des travailleurs au lieu 17 Arie Lewin, Mark Peacock, Carine Peeters, Jeff Russell et Gary Sutton, Second Bi-annual Offshore Survey Results, Duke University Center for International Business Education and Research/Archstone Consulting, décembre 2005. 16 d’utiliser des procédés automatisés. Une dimension importante des coûts de maind’œuvre que certaines entreprises cherchent à minimiser par les délocalisations est le coût occasionné par l’engagement et la mise à pied d’employés affectés par de fortes variations dans les charges de travail. Finalement, 25% des entreprises sondées dans l’étude de l’Université Duke considèrent que l’établissement de relations d’impartition ou—a fortiori—d’une filiale à l’étranger leur confère un certain avantage pour accéder au marché du pays hôte18. Pour les entreprises canadiennes, les raisons d’avoir recours aux délocalisations sont sensiblement les mêmes, mais il est important de noter que le Canada exerce un certain pouvoir d’attraction pour les entreprises technologiques américaines, qui peuvent y trouver un avantage de coût de l’ordre de 20 à 30 pourcent tout en évitant plusieurs des problèmes d’adaptation rencontrés dans les pays émergents19. Ces différences de coûts et la possibilité d’attirer des fonctions de haut niveau au Canada ont fait en sorte que le phénomène des délocalisations de services spécialisés a pris racine moins rapidement au nord du 45e parallèle. Toutefois, l’avantage conjoncturel que représentait une devise sous-évaluée a considérablement réduit l’écart de coûts qui existait entre les États-Unis et le Canada. Tous ces motifs pour avoir recours aux délocalisations—et certains autres qui sont régulièrement offerts par les firmes d’impartition à leurs clients potentiels—peuvent être pris en compte lorsqu’on considère la pertinence des délocalisations des fonctions d’ingénierie comme stratégie d’affaire. Quelles fonctions délocaliser? Dans ce qu’on a appelé la « première vague » des délocalisations de services, l’essentiel des emplois déplacés à l’étranger consistait en des tâches cléricales demandant peu de formation ou de spécialisation. Par contre, l’accent mis sur la formation technologique de haut niveau dans les pays hôtes a contribué à une diversification des tâches délocalisables. Il demeure toutefois acquis que les tâches routinières, à forte intensité de main-d’œuvre et requérant peu d’interactions avec le client ou les autres unités de l’entreprise sont des candidates privilégiées à la délocalisation. Le tableau 3.2 énumère la plupart des critères généralement retenus pour identifier les tâches délocalisables dans le domaine des technologies de l’information. Il n’est pas nécessaire de faire de grands efforts d’imagination pour transposer ces critères à une foule d’autres domaines, dont certaines tâches normalement confiées à des ingénieurs. 18 Au sujet des motifs qui poussent les entreprises à avoir recours aux délocalisations de services, voir les sources suivantes : Diana Farrell, « Offshoring: Value Creation through Economic Change », Journal of Management Studies 42 (mai 2005) : 675-83; Aspray et al., Globalization and Offshoring of Software : A Report of the ACM Job Migration Task Force, p. 56-60. 19 Sur le cas canadien, voir: A Fine Balance: The Impact of Offshore IT Services on Canada's IT Landscape, PricewaterhouseCoopers LLP, Canada (avril 2004). 17 Tableau 3.2 Caractéristiques des fonctions propices aux délocalisations dans le domaine des technologies de l’information • Forte différence de salaire pour une fonction comparable entre le pays source et le pays hôte • Forte intensité de travail • Exigences clairement définies (peu de place pour les nuances ou l’interprétation) • Tâches répétitives • Prise de décision et résolution de problèmes fondées sur des règles strictes • Contenus et savoirs facilement transférables • Tâches distinctes et compartimentées; peu d’interaction entre services • Peu d’interaction personnelle avec le client • Applications stables • Durée de projet suffisamment longue pour amortir les coûts d’établissement • Tâches jugées non critiques pour l’entreprise • Projets peu sensibles au respect strict des échéances • Projets impliquant l’utilisation de matériel et de logiciel simples et standardisés • Travail numérisé facilement transmissible à distance par Internet • Coûts et obstacles à l’établissement peu élevés • Complexité technique faible ou moyenne • Projets n’impliquant pas de collaboration multidisciplinaire • Projets dans des domaines où l’expérience a démontré la viabilité des délocalisations • Procédés de travail définis avec précision • Procédés stables n’entraînant pas de nécessité d’adaptation rapide Sources : Aspray et al., Globalization and Offshoring of Software, p. 57. Sargent et Meares, “Workforce Globalization in the U.S. IT Services & Software Sector”. Traduction des auteurs. Du point de vue des catégories de tâches, la délocalisation est aujourd’hui une stratégie bien établie en ce qui concerne les technologies de l’information et les centres d’appels ou de contact avec les clients, mais d’autres fonctions prennent de plus en plus d’importance, y compris le génie et la recherche et développement (R&D). L’enquête du groupe de l’Université Duke, fondée sur une centaine de grandes entreprises, a répertorié 377 instances de délocalisations, dont 333 en cours et 44 projetées. De ce nombre, 22 % touchaient les TI et 16% les centres de contact. Le génie, la R&D et le design des produits comptaient respectivement pour 14%, 11% et 7% des exemples de mises en pratique. Les auteurs notent une progression dans le temps du recours aux délocalisations pour ces trois types de fonctions, classées sous la bannière de développement des produits20. 20 Lewin et al., Second Bi-annual Offshore Survey Results, p. 3. 18 Où délocaliser? La mondialisation de certaines occupations devrait en principe dire que la localisation n’a aucune importance et qu’un emploi peut véritablement être effectué n’importe où sur la planète. En réalité, les entreprises qui délocalisent sont à la recherche d’un certain nombre de caractéristiques qui font de certains endroits des lieux d’accueil privilégiés. Plusieurs consultants spécialisés dans la planification et l’implantation de contrats d’impartition et de filiales étrangères produisent leurs propres listes des endroits les plus propices aux délocalisations en fonction de critères précis. Par exemple, A.T. Kearney publie à chaque année une liste des pays les plus accueillants en mettant l’accent sur trois types de critères. Sous la bannière de la « structure financière », on retrouve les principaux coûts d’opération directs, soit le niveau des salaires, les coûts d’établissement et l’environnement fiscal et réglementaire. La « disponibilité du talent » fait référence à la taille du bassin de travailleurs potentiels, à la qualité des travailleurs et à leur adaptabilité culturelle aux exigences de la compagnie mère ou du client (capacités linguistiques et compréhension des us et coutumes de l’Occident). Enfin, on évalue « l’environnement d’affaires », y compris le risque politique de la région hôte, la qualité de ses infrastructures nationales et, il s’agit d’un élément majeur dans les domaines de haut savoir, la qualité de la protection de la propriété intellectuelle. Dans son rapport de 2005, qui utilise une pondération respective de 40%, 30% et 30% pour ces trois critères, A.T. Kearney place l’Inde et la Chine en tête de liste, suivies de la Malaisie, des Philippines, de Singapour de la Thaïlande et de la République tchèque. Le Canada se retrouve en neuvième place, tout juste devant le Brésil et les États-Unis. Il faut noter toutefois que si on ajuste les critères pour minimiser le risque, en accordant 50% de la pondération à l’environnement d’affaires, le Canada se classe alors au deuxième rang, derrière Singapour et juste devant les États-Unis21. Dans l’ensemble, les spécialistes s’entendent pour identifier les facteurs politiques et culturels comme les plus importants obstacles à une croissance exponentielle des délocalisations dans ces immenses réservoirs de main-d’œuvre à bon marché. Comme le rappelle Daniel Trefler, la solidité des institutions politiques et la pérennité de la règle de droit sont des facteurs indispensables du maintien de la croissance à long terme, est c’est là que se situe le principal défi pour le maintien d’une croissance soutenue dans des pays tels l’Inde ou la Chine22. Notamment, les préoccupations liées à la protection de la propriété intellectuelle sont parmi les plus importants facteurs de limitation des délocalisations dans des secteurs où l’innovation est la clé du succès commercial. 21 A.T. Kearney, « The 2005 Global Services Location Index », novembre 2005. Un indice semblable est utilise par Mark Minevich et Frank-Jürgen Richter pour leur Global Outsourcing Report 2005 (New York : Going Global Ventures, Inc., 2005). Les auteurs utilisent un assemblage plus complexe d’évaluations de risques pour conclure également à la supériorité de l’Inde et de la Chine comme pays hôtes de délocalisations. 22 Daniel Trefler, « Service Offshoring: Threats and Opportunities », Brookings Trade Forum 2005 (Washington: Brookings Institution, 2005), p. 35-60. 19 Les effets des délocalisations de services sur l’emploi23 Quel est l’effet global du phénomène des délocalisations sur l’emploi? Les travailleurs du secteur manufacturier tiennent pour acquis depuis belle lurette qu’ils doivent, pour conserver leur emploi, tenir tête à leurs vis-à-vis chinois et asiatiques. Depuis quelques années, il est clair que de plus en plus de travailleurs du secteur des services se retrouvent dans une situation comparable. Ce qui est moins clair, toutefois, c’est le nombre des emplois menacés ou touchés par les délocalisations. Aux États-Unis, un rapport récent du Government Accountability Office (USGAO) souligne que les données existantes ne permettent pas de mesurer avec précision l’impact des délocalisations sur l’emploi24. Une étude américaine qui a fait couler beaucoup d’encre, mais qui a aussi été fortement critiquée, projetait des pertes de 3,3 millions d’emploi pour l’économie américaine sur quinze ans, soit 220 000 emplois par an. De tels chiffres font sursauter, mais il suffit de rappeler que l’économie américaine compte plus de 130 millions d’emplois et que quelque 30 millions d’Américains changent d’emploi à chaque année pour remettre les choses en perspective25. Une étude préliminaire récente de l’impact des délocalisations sur l’emploi au Canada montre que les industries où on retrouve un nombre élevés d’occupations sujettes à délocalisation n’ont pas eu, en moyenne un taux de croissance de l’emploi inférieur aux autres industries26. Dans cette étude, les chercheurs de Statistique Canada emploient une liste d’occupations semblable à celle de l’étude de l’OCDE citée ci-dessous. Les auteurs font toutefois une distinction entre les occupations cléricales et les occupations professionnelles. Dans le cas des occupations cléricales sujettes à être délocalisées, ils observent une baisse de l’emploi depuis 1987, avec une stabilisation depuis 2000. Par contre, l’emploi dans les occupations professionnelles sujettes à la délocalisation a progressé dans une proportion semblable à celle de l’ensemble des occupations non sujettes aux délocalisations27. Sur la base de deux études approfondies menées respectivement par des chercheurs du McKinsey Global Institute (MGI) et de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), nous avons tiré un estimé du nombre d’emplois affectés par le phénomène. L’étude de McKinsey est plus directe. Elle examine la 23 Cette sous-section est largement basée sur notre étude : Christian Trudeau et Pierre Martin, « L’impact des délocalisations sur l’emploi dans les services : estimations préliminaires pour le Québec, le Canada et les États-Unis », Notes & Analyses # 11, mars 2006, Chaire d’études politiques et économiques américaines, Université de Montréal (http://cepea.cerium.ca/article358.html). 24 U.S. General Accountability Office, Offshoring of Services: An Overview of the Issues, Washington, D.C., octobre 2005, GAO-06-5. 25 John McCarthy, « 3,3 Million Services Jobs Go to Offshore » , Forrester Report, 11 novembre 2002, Cambridge, Mass., Forrester Research. 26 René Morissette et Anick Johnson, « Offshoring and Employment in Canada : Some Basic Facts », communication au colloque « Offshore Outsourcing: Capitalizing on Lessons Learned », Rotman School of Management, University of Toronto, 26-27 octobre 2006; www.rotman.utoronto.ca. 27 Ibid., p. 32. Voir aussi: René Morissette et Anick Johnson, « Les bons emplois disparaissent-ils au Canada? », Statistique Canada, Division de l’analyse des entreprises et du marché du travail, étude # 239 (janvier 2005); www.statcan.ca/francais/research/11F0019MIF/11F0019MIF2005239.pdf. 20 structure de huit secteurs clés et identifie les emplois menacés, en extrapolant ensuite à l’ensemble de l’économie à partir de ces observations. L’estimé de McKinsey du nombre d’emplois « menacés » de délocalisation, qui pourraient théoriquement être effectués n’importe où dans le monde, nous a permis d’avancer une estimation du nombre des emplois qui devraient effectivement être déplacés à court terme28. La mesure de l’OCDE est indirecte. Elle estime le nombre d’emplois affectés, que ce soit directement par une possibilité que l’emploi soit déplacé, ou indirectement par des effets sur les salaires et la sécurité d’emploi découlant de cette nouvelle compétition29. L’étude de l’OCDE identifie les occupations qui peuvent être affectées par les délocalisations, soit directement ou par le biais de pressions concurrentielles sur les salaires. Selon les chercheurs de l’OCDE, toutes les personnes employées dans une occupation touchée sont, à des degrés divers, affectées. Le chiffre d’ensemble est toutefois beaucoup trop inclusif pour donner un portrait juste de la situation. Graphique 3.1 Mesures de l'impact des délocalisations sur les emplois du secteur des services, en pourcentage de l'emploi total 18, 1% 23 592 000 emplois 17,0% 2 645 000 emplois Emplois affectés (OCDE) 17,5% 637 000 emplois 9.1% 11 856 000 emplois 7,7% 1 200 000 emplois Emplois menacés (McKinsey) 7,7% 280 000 emplois Etats-Unis Canada 0,63% 820 000 emplois Emplois déplacés 2003-2008 (McKinsey) Québec 0,56% 88 000 emplois 0,56% 20 500 emplois 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 % de l'emploi total Source : Calculs effectués par les auteurs à partir des études de l’OCDE et du MGI. 28 Diana Farrell, Martha Laboissière, Robert Pascal, Jaeson Rosenfeld, Charles de Segundo, Sascha Sturze et Fuzayo Umezawa, « The Emerging Global Labor Market », Part I - The Demand for Offshore Talent in Services ; Part II - The Supply of Offshore Talent in Services ; Part III - How Supply and Demand for Offshore Talent Meet. Washington, D.C., McKinsey Global Institute, juin 2005. 29 Desirée van Welsum et Graham Vickery, Potential Offshoring of ICT-Intensive Using Occupations, Groupe de travail sur l’économie de l’information, Organisation de cooperation et de développement économique, (Paris : OCDE, avril 2005); Voir aussi: OCDE, « The Share of Employment Potentially Affected by Offshoring : An Empirical Investigation », (Paris : OCDE, 23 février 2006). 20 21 Le graphique 3.1 présente un sommaire de nos estimations. La mesure d’emplois affectés représente un chiffre imposant, mais l’effet ressenti par certains peut être minime. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas nier l’impact potentiel sur le niveau des salaires que représente la concurrence des économies à faibles coûts de main-d’œuvre, même si seule une petite partie des travailleurs sont effectivement susceptibles de perdre leur emploi. La proportion des emplois qui pourraient potentiellement être délocalisés est plus petite (entre 7,7 % et 9,1 % de l’emploi total), mais montre l’étendue de cette nouvelle concurrence. Le chiffre estimé d’emplois de services effectivement délocalisés (20 500 pour le Québec) ne tient pas compte des emplois qui pourraient être perdus du fait de la concurrence étrangère (sans être délocalisés). De plus, certains emplois peuvent être délocalisés sans que les personnes qui les occupent ne soient mises au chômage (réaffectations, mises à la retraite, etc.). Ces données ne tiennent pas compte non plus de la croissance de ces secteurs et des emplois qui pourraient être gagnés par « l’insourcing », soit l’afflux d’emploi délocalisés vers le Québec. L’impact politique des délocalisations : le cas américain S’il est extrêmement difficile de mesurer les effets économiques des délocalisations en Amérique du Nord, il est par contre moins difficile d’en observer les répercussions politiques, notamment aux États-Unis. Parmi les éléments qui donnent au phénomène un caractère politique particulier si on le compare aux facettes plus établies de la mondialisation, trois ressortent plus nettement. Premièrement, la nature même du problème le distingue politiquement de la libéralisation du commerce des marchandises, où des entreprises nationales font face à la concurrence d’entreprises d’autres pays. Dans ce dernier cas, il existe une certaine communauté d’intérêt entre l’entreprise et ses employés. Ceci se reflète dans la dynamique politique particulière associée dans l’histoire à la politique commerciale, où des coalitions se forment au niveau des secteurs industriels. En bref, la politique commerciale a traditionnellement opposé les industries, les travailleurs et les représentants de régions qui bénéficient de l’ouverture des marchés à leurs vis-à-vis qui sont négativement affectés par la concurrence étrangère. Pour les économistes, la délocalisation n’est qu’une autre façon de faire du commerce international30. Politiquement, toutefois, une décision prise par un gestionnaire d’« exporter » des emplois dans un autre pays n’a pas du tout le même sens. On assiste donc à une transformation de la dynamique politique qui sous-tend l’appui ou l’opposition à la mondialisation, d’une opposition entre secteurs industriels à une opposition entre 30 Nous reprenons ici la formule de l’ex-conseiller économique en chef du président George Bush, Gregory Mankiw : « outsourcing is just another way of doing international trade ». Ce conseiller s’était mis dans l’eau chaude en émettant cet avis devant un comité du Congrès en mars 2004. Voir son témoignage et son analyse dans : N. Gregory Mankiw et Phillip Swagel, « The Politics and Economics of Offshore Outsourcing ». 22 « facteurs » de production, dans ce cas les détenteurs de la force de travail ou du « capital intellectuel » et les détenteurs du capital tout court31. Deuxièmement, le phénomène des délocalisations dans les services met en cause une catégorie de travailleurs qui se sentaient jusqu’alors largement à l’abri des aléas de la mondialisation. Combinée à la caractéristique décrite ci-dessus, cette incertitude nouvelle génère un niveau d’inquiétude dans la population qui dépasse de loin l’impact réel du phénomène. Ainsi, en 2004, un sondage Ipsos révélait que 69 pourcent des Américains croyaient que la délocalisation (outsourcing) affectait négativement l’économie américaine32. La même année, un sondage en profondeur montrait que si 64 pourcent des Américains voyaient la mondialisation comme étant « d’abord une bonne chose », 72 pourcent croyaient que la délocalisation était « d’abord une mauvaise chose », alors que seuls 22 pourcent y voyaient une bonne chose. Ce résultat était en nette contradiction avec les résultats obtenus dans un échantillon de « leaders d’opinion » (issus surtout du milieu des affaires), chez qui les chiffres correspondants étaient, respectivement, de 87, 31 et 56 pourcent33. En 2006, la même question a été reposée à l’échantillon de la population dans son ensemble et la proportion de ceux qui croyaient que la délocalisation est une mauvaise chose atteignait 76 pourcent34. La troisième dimension, qui ajoute au degré de tension politique qui entoure la question des délocalisations aux États-Unis, tient au fait que, parmi les pays qui sont perçus comme les principaux bénéficiaires des délocalisations se trouve la Chine, qui est aussi perçue comme l’une des principales « menace » qui plane au dessus de la prédominance des États-Unis dans le système international35. Tous ces éléments contribuent à faire des délocalisations l’une des principales raison du tiédissement récent de l’opinion publique américaine face à la mondialisation. Si, en 2004, les nombreuses références de la campagne de John Kerry au problème des délocalisations ne sont pas arrivées à lui attirer les faveurs des électeurs américains, l’électorat en 2006 est très nettement préoccupé par les considérations économiques et la sécurité des emplois mis en cause par les délocalisations. En mars 2006, un sondage indiquait plus des deux-tiers (respectivement 69 et 67 pourcent) se considéraient comme « assez préoccupés » ou « extrêmement préoccupés » par la 31 À ce sujet, voir : Pierre Martin et Christian Trudeau, "The Political Economy of State-Level Legislative Response to Services Offshoring in the United States, 2003-2004", Notes & Analyses # 5, Avril 2005, Chaire d’études politiques et économiques américaines, Université de Montréal. 32 Sondage mené pour Associated Press par Ipsos-Public Affairs, 17-19 mai 2004 (www.ipsosna.com/news/pdf/media/mr040607-1tbzzz.pdf); cité dans : Daniel Drezner, “Trade Off,” The New Republic Online, June 25, 2004 (www.danieldrezner.com/policy/tradeoff.htm). 33 Marshall M. Bouton et al., Global Views 2004: American Public Opinion and Foreign Policy (Chicago: Chicago Council on Foreign Relations, 2004), pp. 40-42; www.thechicagocouncil.org/past_pos.php. Pour une discussion du contexte politique créé par ces perceptions, voir: Pierre Martin, « The Rise of Services Offshoring and its Policy Implications in North America », Canadian Foreign Policy 12 (hiver 2006): 81-92. 34 Marshall M. Bouton et al., Global Views 2006: The United States and the Rise of China and India (Chicaco: Chicago Council on Global Affairs, 2006). Topline Report, p. 43. www.thechicagocouncil.org/curr_pos.php. 35 Ibid. 23 guerre en Irak et par la nucléarisation de l’Iran, 62 pourcent disaient la même chose de « la mondialisation et la délocalisation des emplois américains »36. Au Canada, les délocalisations n’ont pas tenu la même place dans le champ politique qu’elles ont eue aux États-Unis. Ceci tient à plusieurs raisons. D’abord, l’emploi a été moins affecté au Canada qu’aux États-Unis par l’éclatement de la bulle technologique au début de la présente décennie. Aussi, entre autres en raison d’un taux de change favorable, le Canada a reçu un bon nombre d’emplois américains délocalisés dans le secteur des services. Toutefois, le Canada est particulièrement vulnérable au contexte politique entourant les délocalisations en ce moment aux États-Unis. D’une part, si les délocalisations vers les pays émergents s’accélèrent et les risques perçus par les entreprises américaines s’amenuisent, l’avantage du Canada comme hôte d’emplois délocalisés à risque minime pourrait s’effacer. D’autre par, si le contexte politique actuel entourant les délocalisations provoque un « backlash » aux États-Unis contre la mondialisation et l’ouverture des marchés, les exportateurs canadiens aux États-Unis pourraient être parmi les premiers à écoper37. 36 Greenberg Quinlan Rosner Research, NPR Poll: GOP Losing Edge on Foreign Policy Issues. www.greenbergresearch.com/articles/1678/1931_NPR03172006.pdf. 37 Voir : Pierre Martin, « The Rise of Services Offshoring and its Policy Implications in North America ». 24 4. Portrait global de la mondialisation et des délocalisations en ingénierie Il serait faux de dire que la mondialisation des marchés représente une réalité nouvelle pour les ingénieurs québécois. En effet, la profession d’ingénieur au Québec s’est développée au fil des ans en contact direct avec les marchés mondiaux, que ce soit dans le secteur des services d’ingénierie, où les grandes firmes québécoises oeuvrent depuis longtemps aux quatre coins du monde, ou dans l’industrie, où les firmes québécoises sont depuis longtemps exposées à la concurrence internationale. La phase actuelle de la mondialisation, caractérisée par le recours croissant aux délocalisations d’emplois, représente toutefois un contexte à plusieurs égards nouveau pour les ingénieurs. Ce nouveau contexte entraîne, pour les ingénieurs, deux grandes questions : • • En quoi le travail des ingénieurs est-il vulnérable aux délocalisations? Dans quelle mesure faut-il craindre l’augmentation de l’offre d’ingénieurs dans les grands pays d’Asie, dont notamment la Chine et l’inde? Pour répondre à la première question, nous présentons brièvement les composantes du travail d’ingénieur qui peuvent être délocalisées. Ensuite, nous nous penchons sur l’important avantage de coût qui rend si attrayant l’embauche d’ingénieurs dans les pays émergents. Nous notons que toutes les tâches ne sont pas nécessairement susceptibles d’être délocalisées vers l’étranger et que l’avantage de coût des ingénieurs des pays émergents, s’il est bien réel, n’est pas sans limites. Pour répondre à la deuxième question, nous examinons le bassin d’ingénieurs disponibles en Inde et en Chine, les deux principales sources de talent nouveau dans le monde de l’ingénierie à l’heure actuelle. S’il est clair que le bassin d’ingénieurs est en progression rapide dans ces deux pays, il est moins clair que tous ces ingénieurs peuvent adéquatement remplacer leurs homologues nord-américains. Quel type de travail d’ingénierie peut être délocalisé? N’est pas ingénieur qui veut. Les fonctions que remplissent les ingénieurs sont nombreuses et complexes, et la nature précise de leur travail varie entre les secteurs d’activité. Selon la définition retenue par l’International Technology Education Association, « l’ingénierie se rapporte à la connaissance des sciences mathématiques et naturelles appliquées avec jugement et créativité de façon à utiliser les matériaux et les forces de la nature pour le bénéfice de l’humanité »38. Au-delà de cette vision générale, l’ingénieur est un professionnel dont le travail est encadré par un code de déontologie rigoureux et dont les compétences doivent faire l’objet d’un contrôle strict à intervalles réguliers. Dans plusieurs domaines, la nécessité de se conformer aux exigences réglementaires ou de s’adapter aux demandes particulières des clients dans le pays où le produit du travail de l’ingénieur est mis en marché fait en sorte qu’une part importante des tâches 38 International Technology Education Association, « Glossary », tiré du site (www.iteaconnect.org/TAA/Resources/TAA_Glossary.html). 25 ne peuvent pas être déplacées. Dans certaines industries de la défense et des armements, par exemple, les exigences de sécurité limitent la transmission de l’information à un point tel qu’il est pratiquement impossible d’avoir recours à cette stratégie. Dans la plupart des champs, cependant, une partie des fonctions qui doivent être confiées à des ingénieurs peuvent être délocalisées. Tableau 4.1 Schéma sommaire illustrant les étapes d’un projet d’ingénierie et les tâches propices à la délocalisation Phase Tâches effectuées en priorité dans le pays d’origine Tâches propices à la délocalisation à l’étranger Interactions Pays d’origine -Étranger 1- Innovation Identification d'un problème ou d'une idée 2- Design Analyse par l'ingénieur de l'idée ou du problème. Prise en compte des différents facteurs (normes de l'industrie, brevets, réglementation, éthique, faisabilité économique, etc.). Interactions avec le client et les usagers. Travail manufacturier ou de design (e.g. dessin technique; calculs, design des composantes secondaires) L'ingénieur du pays d’origine détermine l'ampleur des travaux à réaliser à l'étranger, supervise le travail et raffine les demandes. 3- Test L'ingénieur s'assure du respect des normes et réglementations. Décide si on passe à l'étape de la production où on modifie le design. Application du design à un modèle à fins de tests (e.g. simulations ou modélisation du produit ou procédé) Supervision du travail; contrôle des critères de test 4- Production Interaction avec le client, résolution de problèmes sur le procédé de fabrication Production manufacturière, étude et résolution de problèmes sur le procédé; support informatique du produit; logiciels implantés Supervision à distance mais aussi sur place 5- Produit final Remise/vente au client, interactions avec le client quant aux modifications/ nouvelles versions Source : Possiblement une partie du support aux usagers; rédaction de manuels d’utilisation ou de formation Tableau constitué par les auteurs à l’aide d’une variété de sources, dont entre autres : Lori Simpson, « Engineering Aspects of Offshore Outsourcing », p. 34; Aspray et al. « Globalization and Offshoring of Software », p. 54-56. Quel que soit le champ, un projet d’ingénierie comporte une succession d’étapes, de l’idée initiale à la mise en marché du produit final, souvent suivie d’une relation continue avec les utilisateurs. Le tableau 4.1 résume ces étapes, en indiquant quelles sont les étapes sujettes à la délocalisation et le type de tâches qui y sont reliées. De façon générale, les tâches d’ingénierie qui s’apparentent à la liste des critères déjà énumérés pour les technologies de l’information au tableau 3.2 sont les plus susceptibles d’être délocalisées. De façon générale, la plupart des tâches liées à la conception et au 26 design de base, ainsi qu’à la résolution de problèmes dans les étapes finales de la mise au point, gagnent à être concentrées près du centre de décision de l’entreprise. Les principaux facteurs qui limitent le recours aux délocalisations sont les suivants : • • • • • • • La tâche nécessite la proximité physique ou la communication constante de l’ingénieur avec le centre de décision de l’entreprise ou avec le client. La tâche nécessite une connaissance contextuelle avancée. Le procédé est instable et ses composantes ne peuvent être circonscrites avec suffisamment de précision pour être confiées à des exécutants éloignés. Des règles ou lois limitent le transfert de certaines données privées. La connaissance requise pour participer au processus d’ingénierie est vitale au maintien d’un avantage concurrentiel pour l’entreprise. Une ou plusieurs composantes du procédé ne peuvent pas être communiquées à certains pays en fonction de leur utilisation militaire potentielle. Étant donné les coûts de mise en place d’une infrastructure de communication et de supervision avec le fournisseur de service ou la filiale, un seuil minimal de taille d’opération doit être atteint pour envisager une stratégie de délocalisation. Finalement, un obstacle important à franchir pour les firmes d’impartition ou les filiales étrangères qui se destinent à réaliser des tâches d’ingénierie délocalisées est la conformité aux normes de certification internationalement reconnues dans le secteur visé. À chaque étape de tout processus d’ingénierie, qu’il s’agisse de la réalisation de plans techniques, des tests visant à certifier la fiabilité d’un devis initial, des standards propres à la fabrication d’un produit ou à la construction d’un édifice, ou de l’opération de certains instruments ou installations, le travail de l’ingénieur doit correspondre à des normes vérifiables, qui peuvent varier sensiblement d’une industrie à l’autre. Dans le domaine des normes, les progrès affichés par les fournisseurs de services des pays émergents sont notables. Par exemple, en Inde, une étude récente menée pour le compte de NASSCOM dans cinq grands secteurs39 montre que plus de 90 pourcent des fournisseurs de services d’ingénierie faisant affaire avec l’étranger possèdent au moins deux certifications de qualité d’entreprise parmi les plus reconnues (ISO 9000:2001; CMMi Niveau 5; PCMMi Niveau 5; Six Sigma; CMMp (HR); BS 7799). En ce qui concerne les diverses certifications propres à chaque secteur, plus exigeantes, le taux de détention d’au moins deux certificats de haut niveau varie de 94 pourcent pour le secteur des TIC à 60 pourcent pour le secteur des équipements lourds. 39 Booz Allen Hamilton/NASSCOM, Globalization of Engineering Services : The Next Frontier for India (New York et New Delhi: Booz Allen Hamilton et NASSCOM, août 2006), p. 77. Les cinq secteurs étudiés sont les TIC, l’aérospatiale, la construction, l’équipement lourd (utilities) et l’automobile. 27 La recherche des coûts les plus bas L’attrait de la délocalisation vers les économies émergentes pour les services d’ingénieurs réside d’abord dans le faible coût de la main-d’œuvre. Si les salaires moyens obtenus par les ingénieurs québécois les placent en position concurrentielle favorable en comparaison avec leurs homologues américains et canadiens des autres provinces, il en va tout autrement si on les compare aux ingénieurs indiens, chinois ou russes. Toutes spécialités confondues, Le salaire annuel moyen d’un ingénieur québécois en 2006 est de 81 270 $C40. Ce niveau de salaire le place dans une position favorable face à son homologue américain, qui gagnait en moyenne 77 100 $US en mai 2005. Au taux de change de 0,89 $US/$C, l’ingénieur québécois représente, en moyenne, un coût absolu de 6% moins élevé que l’ingénieur américain. C’est bien sûr une comparaison sommaire qui ne tient pas compte des spécialités, de l’expérience ou de la productivité. La comparaison des coûts avec l’Inde ou la Chine donne une tout autre perspective. Sur la base d’une simple comparaison du pouvoir d’achat d’un dollar américain dans différents pays, le tableau 4.2 montre qu’un ingénieur indien qui reçoit un salaire annuel équivalent à 16 138 $US (18 075 $C) bénéficie d’un pouvoir d’achat équivalent, et probablement d’un statut social relatif supérieur, à celui de l’ingénieur américain salarié moyen. Le chiffre équivalent pour un ingénieur chinois est semblable, à 19 378 $US. Tableau 4.2 Comparaison du coût d’un salaire équivalent au salaire annuel moyen d’un ingénieur américain dans différents pays Taux de change avec PPA Inde Chine Philippines Malaisie Russie Brésil Rép. Tchèque Mexique N-Zélande Etats-Unis Australie Canada 9,45 1,98 13,60 1,72 14,95 1,28 14,86 7,98 1,51 1,00 1,41 1,23 Taux de change par $US (oct. 2006) 45,13 7,89 49,83 3,65 26,73 2,14 22,36 10,72 1,52 1,00 1,30 1,12 Indice de PPA (USA=1) 0,209 0,251 0,273 0,470 0,559 0,601 0,664 0,744 0,998 1,000 1,077 1,096 Coût d’un niveau de vie égal à 77 100 $US (en $US) 16 138 19 378 21 045 36 269 43 134 46 325 51 221 57 392 76 947 77 100 83 072 84 535 Sources : L’indice de parité des pouvoirs d’achat est tiré des données du FMI (World Economic Outlook, septembre 2005). Les taux de change sont ceux du 26 octobre 2006. 40 Réseau des ingénieurs québécois, Enquête sur la rémunération directe des ingénieurs salariés du Québec (février 2006). Disponible sur le site Web du Réseau : www.reseauiq.qc.ca. Tableau 4.3 Salaires médians en dollars américains selon différents types d'occupations en génie, Québec et pays anglo-saxons (2006) A. Québec et pays anglo-saxons développés Ingénieur civil Ingénieur mécanique Ingénieur chimique Ingénieur électrique Ingénieur de projets Ingénieur de logiciels / programmeur Ingénieur senior de logiciels / programmeur senior Ingénieur de logiciels (applications) Ingénieur de systèmes informatiques Ingénieur de réseau Québec 31 544 38 765 37 625 38 005 45 986 38 005 48 646 41 806 39 525 44 086 Canada 40 864 42 842 44 485 44 319 45 712 39 525 53 789 47 303 38 661 42 990 États-Unis 55 431 60 520 66 654 66 976 62 228 63 000 82 000 66 883 62 970 60 041 Australie 41 901 41 707 49 082 45 220 48 943 39 007 54 537 37 915 40 134 43 145 Chine Malaisie 9 787 17 463 Mexique 8 183 18 240 21 290 7 630 17 900 Irlande 49 068 39 459 46 200 53 229 45 700 42 385 57 112 39 290 39 568 38 108 NouvelleZélande 39 742 34 988 41 526 39 277 36 755 32 920 51 438 35 111 33 821 B. Pays en émergence ou à faible coût de main-d’oeuvre Ingénieur civil Ingénieur mécanique Ingénieur chimique Ingénieur électrique Ingénieur de projets Ingénieur de logiciels / programmeur Ingénieur senior de logiciels / programmeur senior Ingénieur de logiciels (applications) Ingénieur de systèmes informatiques Ingénieur de réseau Inde 5 270 7 274 10 300 5 605 6 134 7 314 12 231 6 865 6 055 6 159 11 520 13 076 25 500 Source: Payscale Salary Survey Report. En ligne. www.payscale.com/rccountries.aspx (octobre 2006) Singapour Philippines 21 164 28 678 26 385 25 000 27 705 22 443 4 172 25 138 8 261 22 276 24 175 4 116 34 843 4 626 RoyaumeUni 47 949 48 099 51 588 50 137 50 320 68 120 52 845 43 455 46 562 29 Les données officielles comparant les niveaux de salaires des ingénieurs d’un pays à l’autre sont rares. Le tableau 4.3 est basé sur les données d’un site Web qui fournit de l’information sur les niveaux de salaires pour diverses occupations dans un grand nombre de pays. Ces données ne sont pas officielles et il faut les interpréter avec prudence41. Même si les salaires offerts au Québec sont compétitifs en comparaison avec la plupart des autres pays développés, l’écart avec les pays émergents est énorme. Même en tenant compte du fait que les ingénieurs à l’emploi des multinationales étrangères ou des firmes spécialisées dans l’impartition de services techniques sont parmi les plus performants de leur pays et des nombreux coûts supplémentaires que suppose l’établissement d’une stratégie de délocalisation, il est possible de réaliser des économies de main-d’œuvre considérables en délocalisant vers ces endroits. Un exemple tiré d’une étude détaillée du contexte indien illustre bien cette situation42. Les auteurs estiment à 85 $US le coût horaire total d’un ingénieur américain affecté au design détaillé d’un produit (detailed design). Un ingénieur indien de compétence équivalente peut être trouvé, en 2006, à un salaire horaire moyen de 20 $US de l’heure. Même en supposant que les travailleurs indiens peuvent prendre 50% plus de temps pour accomplir une tâche, que l’utilisation du temps est moins efficiente, qu’il faut payer des superviseurs supplémentaires et coordonner le travail depuis le siège social de l’entreprise, le coût total de l’heure de travail de l’ingénieur indien est estimé à 44,73 $US, ce qui représente malgré tout une économie substantielle. Un tsunami d’ingénieurs chinois et indiens? En plus des salaires nettement moins élevés, ce qui préoccupe beaucoup les ingénieurs nord-américains depuis quelques années est la quantité phénoménale de nouveaux ingénieurs qui accèdent chaque année au marché du travail dans les pays émergents. La question se pose donc : cette vague d’ingénieurs à bon marché viendrat-elle submerger leurs homologues nord-américains? En Chine, où presque tous les hauts dirigeants du Parti communiste sont des ingénieurs, on a beaucoup misé sur le développement du savoir technique. Ces efforts concertés pour appuyer la formation technique et scientifique, l’immense base démographique du pays et la taille correspondante du bassin de main-d’œuvre assurent aux entreprises l’accès à un nombre impressionnant d’ingénieurs de grand talent prêt à travailler pour une fraction du salaire de leurs homologues occidentaux. Le géant américain du logiciel Microsoft, qui a depuis quelques années établi plusieurs laboratoires de recherche en Chine, a bien saisi ce potentiel. Comme le soulignait un dirigeant des opérations de Microsoft en 41 N.B. Les données de ce site ne peuvent pas être interprétées comme des données officielles. Le nombre des répondants sur lesquelles sont fondées les estimations varient fortement selon la spécialisation et le pays et ceux-ci sont en majorité de jeunes professionnels. La date de référence pour les taux de change n’est pas fournie. Nous les rapportons ici uniquement à titre indicatif, dans le but de comparer le niveau global des salaires des pays émergents à ceux des pays développés. 42 Booz Allen Hamilton/NASSCOM, Globalization of Engineering Services, p. 56. 30 Chine au journaliste Thomas Friedman, « Remember, in China, when you are one in a million, there are 1,300 other people just like you »43. Les chiffres bruts sur le nombre d’ingénieurs disponibles en Inde et en Chine ont de quoi faire frémir si on les prend au pied de la lettre, comme ont parfois tendance à le faire certains médias en mal de sensationnalisme. Aux États-Unis, l’alarme a été sonnée par un regroupement prestigieux connu sous la bannière de National Academies, qui publiait en octobre 2005 un rapport intitulé Rising Above the Gathering Storm, une allusion directe à l’expression de Churchill pour qualifier la menace nazie44. L’une des constatations du rapport était que les Américains faisaient face à un « déficit du génie » (Engineering Gap) : en 2004, soulignait le rapport, les États-Unis avaient produit 70 000 diplômés de premier cycle en génie contre 600 000 pour la Chine et 350 000 pour l’Inde.45 De tels chiffres ont de quoi étonner et inquiéter, mais ils sont aussi exagérés.46 D’une part, les définitions diffèrent quant à la désignation des professions et, d’autre part, ce qui compte vraiment du point de vue de la concurrence directe des ingénieurs de ces pays est leur capacité effective de concurrencer le travail des ingénieurs des pays industriels les plus avancés. Une étude approfondie des données indiennes et chinoises sur la formation des ingénieurs, effectuée par une équipe de l’Université Duke, met à jour une comparaison plus réaliste du bassin d’ingénieurs de ces deux pays. Ce tableau montre que les ÉtatsUnis conservent encore une avance notable en termes de nombre de diplômés dans ces secteurs en rapport avec leur population. Tableau 4.4 Diplômés en génie et en informatique aux États-Unis, en Inde et en Chine (2004) États-Unis Baccaulauréats (4 ans) Inde Chine génie informatique 137,437 52,520 84,917 112,000 17,000 95,000 351,537 ----- Certificats et programmes de 3 ans génie informatique 84,898 39,652 45,246 103,000 57,000 46,000 292,569 ----- Source : Gereffi et Wadhwa, Framing the Engineering Outsourcing Debate, p. 5. 43 Thomas Friedman, « It’s a Flat World After All », New York Times Magazine (3 avril 2005). Les organismes qui font partie de ce consortium sont: National Academy of Sciences, National Academy of Engineering, Institute of Medicine et National Research Council 45 Voir le communiqué du groupe, publié le 12 octobre 2005 : « Broad Federal Effort Urgently Needed to Create New, High-Quality Jobs for All Americans in the 21st Century », National Academies, 12 octobre 2005. En ligne : http://www8.nationalacademies.org/onpinews/newsitem.aspx?RecordID=11463. 46 La version révisée du rapport corrige cette perception et présente une image plus nuancée. Voir : Committee on Prospering in the Global Economy of the 21st Century, Rising Above the Gathering Storm: Energizing and Employing America for a Brighter Economic Future 2e édition (Washington: The National Academies, 2006). En ligne: http://newton.nap.edu/catalog/11463.html?onpi_newsdoc10122005#toc. 44 31 Au Québec, les données provenant de sources différentes varient un peu mais elles permettent une estimation d’ensemble assez fiable du nombre total de diplômés. Diplômés en génie et en informatique au Québec (2004)47 Tableau 4.5 SERVIQ CCI MEQ Baccaulauréats de 4 ans génie informatique 3,160 --- Certificats et programmes de 3 ans génie informatique ----- 2,794 --- 2,986 --- ----- 1816 196 1620 Bien entendu, le nombre absolu de nouveaux diplômés québécois est petit comparativement aux autres pays, mais en termes relatifs, le Québec se compare assez bien. Graphique 4.1 Nombre de nouveaux diplômés en génie et en informatique par million d’habitants (2004) 800 Diplômés par million d'habitants, 2004 700 Formation de 3 ans et moins 289,3 600 500 Formation de 4 ans 240,6 400 225,7 300 468,3 200 395,6 95,4 271,1 100 103,7 0 Québec États-Unis Inde Chine Sources : Gereffi et Wadhwa, Framing the Engineering Outsourcing Debate, p.7; ministère de l’Éducation du Québec. 47 Les données proviennent du Réseau des ingénieurs (SERVIQ), du Conseil canadien des ingénieurs et du ministère de l’Éducation du Québec. La majorité des programmes de baccalauréat en informatique comporte 3 années d’enseignement. Certains s’étendent sur 4 ans en raison de stages. Ils sont ici tous inclus dans les formations de 3 ans et moins. 32 Les ingénieurs des pays en émergence sont-ils tous employables? Les chiffres d’ensemble sur les salaires des ingénieurs et leur nombre dans les pays en émergence sont impressionnants, mais pour les entreprises à la recherche d’un partenaire pour un contrat d’impartition ou de main-d’œuvre pour une filiale, l’élément crucial est la disponibilité de professionnels qualifiés et pouvant s’intégrer au fonctionnement de l’entreprise. L’étude récente la plus reconnue de l’employabilité des différentes catégories de personnels pouvant être mis à contribution par des entreprises ayant recours aux délocalisations est celle du McKinsey Global Institute,The Emerging Global Labor Market 48. Trois facteurs clés viennent réduire la taille du bassin d’ingénieurs potentiellement accessibles aux entreprises voulant effectuer des délocalisations : la compatibilité des candidats, leur accessibilité et la concurrence venant des entreprises du pays hôte. La compatibilité des candidats. Plusieurs ingénieurs des pays à faible coût ne sont tout simplement pas considérés comme employables par les entreprises multinationales, et ce pour au moins trois raisons. La première est la compétence linguistique : une connaissance minimale de l’anglais est un critère essentiel pour la plupart des employeurs. C’est un problème majeur en Chine, où la grande majorité des ingénieurs sont incapables de s’exprimer de façon intelligible en anglais. Le problème existe également en Inde, mais à un degré moindre. Le deuxième problème est la qualité de la formation. Dans plusieurs pays, seuls une petite minorité des ingénieurs formés dans les universités nationales (à l’exception de la poignée d’universités qui, dans certains pays émergents, offrent une formation qui approche le niveau des programmes occidentaux) ont les compétences nécessaires pour effectuer un travail correspondant aux normes nord-américaines. En Chine, par exemple, les étudiants en génie reçoivent une formation extrêmement théorique qui les rend, pour la plupart, plus ou moins capables de satisfaire les attentes des employeurs occidentaux. En Inde, si les diplômés des universités d’élite peuvent rivaliser avec les meilleurs au monde, la qualité se dégrade rapidement lorsqu’on se déplace vers le bas du classement. Troisièmement, toujours selon l’étude de McKinsey, les employeurs considèrent les différences culturelles comme un obstacle majeur pour plusieurs candidats. Le choc culturel se fait sentir entre autres dans les attitudes face au travail d’équipe, aux heures de travail, ou dans la difficulté de s’adapter à l’atmosphère de travail d’une entreprise multinationale. Les ingénieurs québécois que nous avons consultés dans le cadre de cette étude ont aussi beaucoup insisté sur les difficultés que représentent les barrières culturelles dans les rapports qu’ils ont eus avec des ingénieurs chinois ou indiens. Par exemple, on déplore la tendance qu’ont les ingénieurs de ces pays à ne jamais fournir une performance allant au-delà des spécifications strictes de la tâche demandée. Pour ce qui est des Chinois, on observe qu’ils ont un penchant naturel pour le consensus qui les sert bien lorsque vient le temps de travailler. Par contre, ce trait s’accompagne 48 Farrell et al., The Emerging Global Labor Market . 33 d’une aversion pour la confrontation qui fait qu’ils ont souvent tendance à éviter à tout prix de froisser ou de dire non à leur interlocuteur, même s’ils n’ont pas compris ce qu’on leur demande de faire ou qu’ils ne sont pas d’accord avec la démarche qu’on leur propose. En Inde, par ailleurs, les employeurs observent que la culture de travail assez flexible permet de mobiliser ou de démobiliser du personnel assez facilement. Cette qualité peut toutefois représenter un problème pour certains employeurs qui y déplorent le grand taux de roulement du personnel. L’accessibilité des candidats. Il s’agit principalement d’un problème lié aux infrastructures nationales déficientes et à la grande concentration des emplois orientés vers le marché mondial autour des plus grandes villes. Ce problème existe principalement en Chine, où certains ingénieurs potentiellement qualifiés sont hors de la portée des firmes multinationales qui pourraient les employer, soit en raison des infrastructures de transport déficientes ou en raison de pénuries de logements dans les plus grands centres. Bien que les firmes multinationales se déplacent de plus en plus vers l’intérieur du pays et que les infrastructures s’améliorent, ce problème reste important. On note aussi, en Chine comme en Inde, une pénurie d’espaces de bureau adéquats qui pose un obstacle aux projets d’expansion des fournisseurs de services. La concurrence venant des entreprises nationales. Plusieurs des pays à faibles salaires sont en forte croissance, ce qui fait en sorte que la demande intérieure et les industries manufacturières exportatrices ont une demande croissante pour les jeunes diplômés locaux. Cette forte demande pour les candidats les plus doués a pour effet de réduire le bassin de candidats disponibles pour les multinationales étrangères. Encore une fois, la Chine est un exemple clé de ce phénomène. La croissance phénoménale du secteur manufacturier chinois, qui repose en bonne partie sur la disponibilité d’ingénieurs de talent, tend à pousser à la hausse les salaires consentis aux meilleurs professionnels disponibles. Sur la base d’entrevues auprès d’un large échantillon de dirigeants d’entreprises, de responsables de ressources humaines et d’autres responsables de délocalisations, l’étude de McKinsey estime la proportion des ingénieurs dans un grand nombre de pays qui seraient directement employables par une multinationale souhaitant mettre en œuvre une stratégie de délocalisation. Le taux de compatibilité est estimé en fonction des besoins des multinationales occidentales. Les employés jugés non compatibles par celles-ci pourraient malgré tout être en concurrence avec les ingénieurs québécois ou nord-américains dans la mesure où les firmes nationales qui les emploient peuvent offrir une vive concurrence aux plus grandes firmes mondiales pour l’obtention de contrats dans des pays tiers. De plus, la plupart des facteurs limitant l’employabilité des ingénieurs des pays en émergence ont tendance à s’amenuiser avec le temps. Bien que ce soit un processus très long, les systèmes d’éducation s’adaptent aux besoins du marché et l’apprentissage de l’anglais se répand. Les jeunes diplômés sont mieux préparés aux chocs culturels que leurs aînés. Les infrastructures s’améliorent, rendant de plus en plus de candidats accessibles. La concurrence des entreprises nationales devrait 34 toutefois continuer à s’intensifier, assurant une forte demande pour les ingénieurs les plus talentueux. À court et à moyen terme, donc, la situation de l’offre d’ingénieurs dans les pays en émergence n’est pas aussi critique qu’elle ne pourrait sembler de prime abord. Dans les deux pays qui suscitent le plus d’inquiétude pour ce qui est du nombre d’ingénieurs qui peuvent faire concurrence aux ingénieurs nord-américain, la Chine et l’Inde, l’étude de McKinsey estime le bassin de jeunes ingénieurs aptes à faire le travail exigé par les multinationales occidentales à environ 300,000 au total, soit environ la moitié du bassin équivalent au Canada et aux États-Unis. Il y a donc bel et bien un bassin important de main-d’œuvre qualifiée et à faibles salaires, mais ce bassin n’est pas sans fond comme pourrait le laisser croire un examen superficiel de la situation. Tableau 4.6 Jeunes ingénieurs (diplômés depuis 7 ans et moins) et jugés employables par les firmes multinationales, en milliers (2003) Ingénieurs Ingénieurs disponibles employables (000) (000) États-Unis Chine Inde Royaume-Uni Allemagne Canada Japon Philippines Russie Pologne Mexique Brésil Irlande Malaisie Hongrie Rép. Tchèque Autres pays à faibles salaires Autres, salaires élevés Taux de croissance Proportion annuel du bassin employable jugés (2003-2008) employables 667 1589 528 150 128 81 317 290 486 82 115 158 22 49 27 15 538 159 132 120 102 64 62 58 49 39 25 21 18 17 13 8 80% 10% 25% 80% 80% 80% 20% 20% 10% 50% 20% 13% 80% 35% 50% 50% 2% 6% 6% 3% 2% 5% 0% 8% 7% 1% 9% 10% 5% 8% 4% 6% 855 213 25% 3% 223 118 53% 3% Pays à salaires moyens et élevés Pays à salaires bas 1021 734 2% 5% Source : Farrell et al., The Emerging Global Labor Market . Partie 2, p. 56. N.B. : La définition d’ingénieur retenue par McKinsey est plus large que celle qui est retenue de façon conventionnelle au Québec ou au Canada. Elle comprend, par exemple, des programmeurs ou autres travailleurs spécialisés en technologies de l’information. 35 5. L’impact des délocalisations sur les ingénieurs en Amérique du Nord et au Québec : Analyses globale et sectorielles Cette section aborde plus directement la question de l’impact spécifique des délocalisations sur le génie et les ingénieurs en Amérique du Nord. Trois questions y sont abordées, d’abord pour la profession dans son ensemble et ensuite pour des secteurs choisis. Premièrement, peut-on estimer un ordre de grandeur de l’ampleur du recours aux délocalisations pour des tâches normalement confiées à des ingénieurs? Deuxièmement, peut-on établir dans quelle mesure les délocalisations ont occasionné des pertes d’emplois nettes chez les ingénieurs nord-américains? Troisièmement (et c’est la question la plus difficile), quelles projections peut-on faire pour l’avenir à partir des données disponibles? Dans chaque cas, nos observations sont limitées par deux facteurs fondamentaux, soit la rareté relative de mesures fiables sur la quantité d’emplois mis en cause par le recours aux délocalisations et, dans la mesure où on observe effectivement un resserrement du marché de l’emploi pour les ingénieurs depuis quelques années, le fait que d’autres facteurs peuvent expliquer ce resserrement. Nos observations sont donc fondées avant tout sur un examen des sources existantes, qui portent surtout sur la situation aux États-Unis. La perception de l’impact des délocalisations chez les ingénieurs américains Si la problématique des délocalisations a commencé récemment à susciter des interrogations ou des préoccupations chez les ingénieurs québécois, il en va tout autrement de leurs homologues américains, chez qui la pratique s’est établie plus tôt et plus rapidement, et qui ont subi plus fortement le contrecoup de l’éclatement de la bulle technologique au début de la présente décennie. La place occupée par ce thème dans les débats politiques de haut niveau, entre autres lors de l’année électorale de 2004, a aussi contribué à stimuler la réflexion des groupes représentant les intérêts des ingénieurs américains. Par exemple, dans le domaine du génie électronique, qui est l’un des plus exposés à la mondialisation de la production et aux délocalisations d’emplois, les sondages menés annuellement par la revue EETimes auprès des ingénieurs en électroniques indiquent un intérêt croissant pour la mondialisation de la profession49. Après les années fastes du boom technologique, les sondages menés auprès des ingénieurs de ce domaine révèlent une inquiétude croissante devant la concurrence de plus en plus directe dont ils sont l’objet de la part de leurs homologues des pays émergents tels l’Inde ou la Chine. C’est en 2003 que l’attention se porte sur les délocalisations dans cette industrie, alors même que le chômage atteint un sommet autour de 6 % et que les niveaux de salaire tendent à plafonner50. Malgré l’amélioration relative de la situation de 49 Voir les rapports annuels compilés depuis 1998 sur le site de EETimes Online : « Special Reports », http://eetimes.com/special/special_reports.html. 50 Voir : Bob Bellinger, « Outsourcing causes jitters: Is my job next? » EETimes Online (27 août 2003). 36 l’emploi depuis 2003, l’inquiétude envers les délocalisations a cru dans l’échantillon d’ingénieurs électroniques interrogés annuellement par EETimes de 58% en 2004 à 64% en 2005, à 67% en 200651. Les organisations qui représentent les intérêts des ingénieurs aux États-Unis ont toutes, à divers degrés, participé aux débats publics qui ont entouré la question, notamment depuis 2004. De façon générale, on lie la croissance de cette pratique dans le domaine du génie à une préoccupation plus générale concernant la perception d’un déclin relatif du leadership technologique des États-Unis dans l’économie mondiale. C’est l’angle d’approche qui est privilégié, par exemple, dans le rapport produit entre autres par la National Academy of Engineering dans son rapport Rising Above the Gathering Storm52. Ce rapport fait état de la crainte, de plus en plus répandue dans l’opinion publique américaine, selon laquelle les États-Unis seraient sur la voie de perdre, d’ici quelques dizaines d’années, le leadership technologique et scientifique mondial au profit de la Chine53. Il semble donc, comme le soulignait Pete Engardio dans BusinessWeek, que les délocalisations aient eu un effet psychologique indéniable sur les ingénieurs américains, qui y perçoivent une menace à leur capacité de maintenir leur avantage technologique sur le reste du monde54. Évaluer l’impact des délocalisations sur l’emploi en génie La première difficulté dans l’évaluation de l’effet des délocalisations sur les ingénieurs nord-américains réside donc dans la conjonction de ce phénomène, encore relativement marginal, avec les difficultés beaucoup plus généralisées engendrées par le tarissement des sources de capital de risque qui avaient propulsé les industries de haute technologie à la fin des années 1990. Parmi les études qui se sont aventurées à estimer le nombre d’emplois sujets aux délocalisations, l’estimation de McKinsey Global Institute, fondée sur le nombre d’ingénieurs et de professionnels de l’informatique potentiellement employables dans les pays à faibles salaires (au tableau 4.6, tiré du rapport de McKinsey, l’offre potentielle totale est estimé à 734 000 ingénieurs et professionnels de l’informatique employables). Selon McKinsey, si on suppose que toutes les firmes à la recherche de nouveaux ingénieurs entre 2003 et 2008 sont en priorité motivées par des considérations de coûts55, la demande totale pour de nouveaux ingénieurs et professionnels des TI serait 51 EETimes, State of the Engineer, 2004, 2005 et 2006; http://eetimes.com/special/special_reports.html. The National Academies, Rising Above the Gathering Storm, op. cit. 53 Business Roundtable, « Innovation and U.S. Competitiveness: Addressing the Talent Gap – Public Opinion Research », Winston Group et Peter Hart Research Associates (décembre 2005). Voir aussi: Bouton et al., Global Views 2006. Topline Report, p. 43. www.thechicagocouncil.org/curr_pos.php. 54 Pete Engardio, « Engineering: Is the U.S. Really Falling? », Business Week (27 décembre 2005). 55 N.B. Il s’agit ici d’une hypothèse pas tout à fait réaliste, car certaines entreprises à la recherche de jeunes professionnels peuvent prioriser d’autres considérations que les coûts. Par contre, cette hypothèse permet d’obtenir une estimation plus près du maximum que du minimum du nombre d’emplois dont on peut s’attendre à ce qu’ils soient délocalisés dans une unité géographique donnée. 52 37 en principe dirigée vers les pays à faibles salaires56. Dans cette hypothèse, McKinsey estime que la demande totale pour des services d’ingénieurs et de professionnels des TI en 2008 serait de l’ordre de 596 00057. Tableau 5.1 Estimation de l’effet combiné des délocalisations sur les emplois d’ingénieurs et de professionnels de l’informatique nord-américains Québec Demande totale d'ingénieurs et professionnels de l’informatique sur le marché intérieur Demande comblée par les professionnels du marché intérieur Demande comblée via les délocalisations Perte nette d'emplois (délocalisations – hausse) Canada États-Unis 2003 2008 2003 121 500 125 250 567 000 585 000 5 409 000 5 580 000 120 000 118 850 560 000 555 000 5 335 000 5 265 000 1 500 6 400 7 000 1 150 2008 5 000 30 000 2003 74 000 2008 315 000 70 000 Sources : Calculs des auteurs à partir des estimations de Farrell et al. The Emerging Global Labor Market. Part III : How Supply and Demand for Offshore Talent Meet. pp. 33-50. Les données d’emploi sont tirées des données de recensement 2001 de Statistique Canada (catégories C030 et C040); National Occupational Employment and Wage Estimates, Bureau of Labor Statistics (catégories d’emplois 15 et 17). Des 596 000 ingénieurs et professionnels des TI en demande globalement58, soit par le biais de l’impartition à l’étranger ou de l’emploi dans des filiales étrangères, l’étude de McKinsey estime que 53%, soit 315 000, seront employés par des entreprises basées aux États-Unis. Le Canada est mentionné dans une catégorie résiduelle qui comprend également l’Irlande, pour un total de 43 000 emplois délocalisés. Nous estimons donc la part du Canada à 30 000 emplois délocalisés en 2008 selon ces hypothèses59. En 56 Il faut noter de nouveau que McKinsey retient une définition d’ingénieur plus inclusive que celle qui est généralement retenue au Québec, car l’analyse porte également sur des programmeurs, spécialistes du logiciel et autres professionnels des TI. 57 Farrell et al. The Emerging Global Labor Market. Part III : How Supply and Demand for Offshore Talent Meet. pp. 33-50. Il est à noter que l’évaluation faite du basin d’ingénieurs et de professionnels des TI en Inde concorde avec celle du rapport effectué par Booz Allen Hamilton pour le compte de NASSCOM, Globalization of Engineering Services, p. 57. 58 N.B. Le chiffre de 596 000 réfère à un niveau de demande globale pour des ingénieurs situés dans des pays à faibles salaires et est tiré directement del’étude de McKinsey. Il ne doit pas être confondu avec les chiffres voisins pour la demande interne canadienne du tableau 5.1. 59 L’étude ne donne pas le detail pour le Canada, mais celui-ci est agrégé avec l’Irlande dans la catégorie « autres ». Le total donné (43 000) a été divisé en proportion des bassins de main d’œuvre respectifs, après ajustement pour les différences de coûts. 38 fonction de la part occupée par le Québec dans les catégories professionnelles qui composent la définition élargie d’ingénieur retenue par McKinsey, le total des emplois délocalisés en provenance du Québec en 2008 serait de 6 400. Il convient de placer ces estimations dans leur contexte. Premièrement, les chercheurs de McKinsey tiennent pour acquis qu’une partie de ces emplois étaient déjà délocalisés au moment où leur étude commence, soit en 2003. De plus, il serait erroné de croire qu’une telle demande pour des ingénieurs étrangers viendrait combler toute l’augmentation de la demande entre 2003 et 2008. Dans ce sens, le tableau 5.1 rend compte des effets nets sur l’emploi des délocalisations projetées, accompagnées d’une progression conservatrice de la demande d’ingénieurs de 3,1% pour la période, soit 0,6% par année. Il s’agit d’hypothèses conservatrices. Pour ce qui est du nombre des délocalisations, nous supposons, à l’exemple des chercheurs de McKinsey, qu’environ le quart de la demande projetée pour 2008 était déjà remplie en 2003, et donc que les délocalisations augmenteraient par un facteur de quatre entre ces deux années. Dans l’ensemble, les pertes d’emplois représentent environ 1% de l’emploi du secteur au Québec et au Canada, et 1,3% aux États-Unis. Il convient enfin de noter qu’une hypothèse un peu plus optimiste de croissance de la demande pour les services suffirait amplement à effacer ces pertes nettes. À notre avis, dans la mesure où les estimations de l’étude de McKinsey reflètent bien la projection globale de la demande, ces chiffres représentent une estimation maximale de l’impact des délocalisations sur les emplois d’ingénieurs en Amérique du Nord. Toutefois, il ne serait pas interdit d’avoir une perception plus pessimiste, du point de vue des travailleurs nord-américains, si deux hypothèses se vérifient dans un avenir plus ou moins rapproché. D’abord, avec le temps la qualité des services d’ingénierie et d’informatique des pays à faibles salaires est appelée à s’améliorer60. Il n’est pas possible de faire un estimé semblable pour chaque secteur du génie québécois, mais nous présentons, dans les pages suivantes, quelques renseignements qui peuvent ajouter des compléments d’information utiles du point de vue de plusieurs des principaux secteurs du génie qui sont exposés à la concurrence internationale. Le domaine du génie électrique et électronique Près d’un membre du Réseau des ingénieurs du Québec sur cinq est spécialisé en génie électrique et électronique, ce qui représente un total de près de 9 000 travailleurs. Une bonne partie des emplois est dans le secteur manufacturier (36,7% selon Forces Avenir), notamment dans la fabrication de produits informatiques et électroniques (20,1%). Le secteur de la production, du transport et de la distribution d’électricité (19,7%) est aussi un secteur fort important. 60 C’est la conclusion que tire la firme Booz Allen Hamilton d’une enquête menée auprès d’entreprises américaines qui font usage de services d’ingénierie en impartition en Inde. Selon cette enquête, les considérations de qualité de la main-d’œuvre et d’accès au marché local seront dans une décennie aussi importantes que le coût en tant que déterminants de la décision de délocaliser vers l’Inde. Voir : Booz Allen Hamilton/NASSCOM, Globalization of Engineering Services, p. 52. 39 Dans le secteur de la fabrication de produits informatiques et électroniques, la concurrence étrangère est très forte et provient, comme dans les autres secteurs, de la Chine et de l’Inde, mais dans ce cas-ci aussi de Taiwan, qui en a fait sa spécialité. La Chine a ici une longueur d’avance étant donnée sa base industrielle beaucoup plus développée. Comme les problèmes de langages y sont plus fréquents, les emplois nécessitant une part importante de communications sont probablement un peu plus à l’abri. Le tableau 5.2 donne quelques exemples de tâches pouvant être délocalisées maintenant, d’ici quelques années ou qui semblent à l’abri. Tableau 5.2 Exemples de tâches propres au génie électrique et électronique qui sont susceptibles d’être délocalisées Peut être délocalisée Maintenant D'ici quelques années Non délocalisables Produits électroniques de consommation Design des circuits analogues Évaluation et implémentation Étude de viabilité du produit et digitaux des algorithmes Développement de logiciels pour tests de produits Design de mécanismes Analyse de risques Appareils médicaux Conformité avec les Développement des réglementations sur le design installations pour les tests Design fondamental du produit Automatisation industrielle Construction de modèles Initiatives sur nouvelles technologies Évaluation de projet Tests de fiabilité Développement des spécifications Protection contre obsolescence Systèmes informatiques Tests de performance Design fondamental du produit Réparations mécaniques du hardware Documentation de produits Développement du hardware Étude de faisabilité 40 Dans l’ensemble de ces industries de haute technologie, on prévoit que le quart des dépenses en services de génie en 2020 seront faites dans les pays à faibles salaires.61 Ces faibles salaires et la compétence des travailleurs attirent les entreprises, mais le bassin de travailleurs n’est pas sans fond et les salaires augmentent. En Chine particulièrement, le développement de la demande interne devrait absorber une bonne partie du bassin d’ingénieurs. Selon une étude de Global Sources, les ingénieurs électriques et électroniques chinois ont vu leurs salaires augmenter de 8,3% en 2005. Ils ont aussi reçu en moyenne 1 000$ américains en bonis. La majorité bénéficie aussi de bénéfices marginaux qui font augmenter les coûts des entreprises. Malgré cela, les salaires restent bas (selon les critères nord-américains), pour une moyenne de 7 708 $US.62 Présentement, selon une étude récente pour l’Electronics Enginneering Times63, environ 40% des contrats d’impartitions aux États-Unis sont avec des fournisseurs domestiques, et parmi ceux effectuées à l’étranger, 15% sont avec des fournisseurs canadiens. Près de la moitié des firmes interrogées estimaient que plus de 30% de leurs projets allaient utiliser les délocalisations à l’étape du design. Lorsqu’on a demandé aux dirigeants de mentionner la provenance des fournisseurs ayant fourni les pires et meilleures performances, une plus grande part ont nommé le Canada parmi les expériences positives (6%) que négatives (2%), ce qui n’est pas vrai du côté chinois (6% positifs contre 15% négatifs) et indien (7% contre 16%). Les impacts semblent aussi faibles sur les salaires, alors que dans son étude annuelle sur les ingénieurs américains du domaine, l’Electronics Enginneering Times64 rapporte que seulement 3% ont vu leur salaire décroître en 2006, contre 73% qui l’ont vu accroître. Parmi ces derniers, 30% jugeaient avoir eu de meilleures augmentations qu’il y a cinq ans, contre 43% qui les estimaient plus faibles et 27% semblables. 21% des répondants affirment que leur entreprise a envoyé des travaux de design d’hardware de bas niveau, contre 17% pour ceux de haut niveau. L’étude indique toutefois que les deux tiers des répondants s’inquiètent du phénomène des délocalisations outre-mer, bien que seulement le quart des répondants avaient vu leur travail directement affecté, notamment via la modification des tâches, par le phénomène. Plus de trois employés sur quatre qui ont eu à faire avec des délocalisations ont affirmé que ça n’avait pas changé le niveau de leurs responsabilités, alors que 18% affirmaient que ça les avait augmentés, alors que pour les 5% restants les responsabilités ont diminué. Dans l’ensemble, les emplois à tous les niveaux semblent à risque, mais la croissance prévue du secteur devraient mitiger les effets. 61 Booz Allen Hamilton/NASSCOM, Globalization of Engineering Services, p. 138. Étude citée par ChinaCSR.com, New Labor Survey Shows Chinese Electronic Engineering Salary Trends. 63 Design Outsourcing Survey 2005, CMP United Business Media pour EETimes.com, décembre 2005. 64 U.S. Salary and Opinion Survey, 2006 State of the Engineer, CMP United Business Media pour EETimes.com, août 2006. 62 41 Le secteur de l’informatique et des logiciels Plus de 60 000 travailleurs québécois évoluent dans le milieu informatique au Québec. De ce nombre, environ 5 000 portent le titre d’ingénieurs en informatique ou en logiciel. L’industrie est la première qui vient à l’esprit lorsqu’on pense aux délocalisations, notamment parce que c’est ici que le phénomène a débuté. Une partie du dommage a déjà été fait dans ce domaine, alors que les délocalisations sont utilisées depuis quelques années pour de la vérification de codes informatiques et autres tâches plus routinières. L’Inde, principal acteur dans ce secteur, a toutefois pris beaucoup d’expérience et son expertise est de plus en plus reconnue, si bien que ce sont des tâches de plus en plus complexes qui sont effectuées, et il est maintenant possible de développer un logiciel ou système informatique entièrement de cette façon. Aussi, les petites entreprises qui autrefois n’avaient pas l’échelle ou la tolérance au risque pour effectuer des délocalisations sont maintenant courtisées par des intermédiaires qui leur rendent le processus accessible, augmentant le bassin d’emplois touchés par le phénomène. Le secteur est aussi particulier du fait de la position du Canada dans le système de production mondiale. En effet, le Canada a une position dominante dans le « nearshoring », qui consiste à délocaliser des emplois dans un pays tout près. Ce phénomène permet de profiter des courtes distances de transport et des proximités culturelles, linguistiques et légales. Le Canada a ainsi un lien privilégié avec son voisin américain, pour qui il peut être avantageux d’envoyer du travail dans les filiales canadiennes, pour profiter notamment du peu de risque d’une telle opération, du bassin de main-d’œuvre comparable à celui des États-Unis et de salaires 10-20% plus bas. Si le Canada était classé comme pays le plus intéressant pour effectuer des délocalisations parmi les pays développés65, la hausse du dollar et la montée de solutions plus sûres et efficaces dans les pays en développement rend sa solution plus précaire. Par ailleurs, si le Canada veut se spécialiser dans des travaux de haut niveau, sans risque et un peu moins cher, il devra composer avec la compétition d’autres pays développés ayant une expertise dans le domaine, notamment Israël et l’Irlande. Le premier a transformé son expertise militaire en une expertise technologique commercialisable, alors que le second a dans les années 90 profité de la sousutilisation de sa main-d’œuvre qualifiée et de son environnement fiscal favorable pour attirer plusieurs multinationales. La crainte, comme dans tous les secteurs, est qu’éventuellement les emplois de hauts niveaux soient aussi déplacés, laissant peu de place aux travailleurs d’ici. Si de plus en plus de compagnies effectuent de la recherche et développement en Inde, le nombre de gradués hautement spécialisés y est relativement faible. L’Inde produit annuellement 65 A.T. Kearney’s Global Services Location Index 2005, A.T. Kearney Global Management. 42 300 gradués à la maîtrise, et 25 au doctorat en génie et science informatique66, un nombre à peu près identique au total du Québec, et à des années lumières des ÉtatsUnis (respectivement 10 000 maîtrises et 800 doctorats). À court terme, le potentiel de l’Inde pour effectuer du travail de très haut niveau est restreint. La Chine a quelques succès dans ce domaine, notamment un centre de recherche fructueux de Microsoft à Shanghai, mais les craintes en terme de protection de la propriété intellectuelle limitent le potentiel à court et à moyen terme. Les ingénieurs informatiques et de logiciels sont divisés en 3 groupes principaux : ceux travaillant dans les entreprises vendant des logiciels, ceux oeuvrant dans les entreprises de TIC, et ceux créant des logiciels pour utilisation interne dans les autres industries, par exemple les banques. Secteur de la vente des logiciels Dans les entreprises dont la vente de logiciels est l’activité principale, les ingénieurs ont une place très importante. Une étude récente de McKinsey Global Institute, estimant le nombre d’emplois pouvant potentiellement être déplacés, a examiné ce secteur. Parmi les emplois en R&D, ils estiment qu’une grande part de ces emplois pourrait être effectuée à partir de n’importe où, la proportion variant selon la tâche. Cette proportion est très grande pour les emplois de faible niveau (adaptation à des marché locaux (100%), documentation (91%)), et diminue quelque peu pour les emplois un peu plus spécialisés (développement de nouveau produit (75%), mise à jour (75%), tests de systèmes et d’utilisation (61%)). Même au niveau de la direction, 71% des emplois pourraient être déplacés. Au niveau mondial, c’est environ 70% des emplois en génie du secteur qui pourrait théoriquement être faits à partir de n’importe où. En 2003, 7% des emplois avaient déjà été déplacés. La prévision de MGI est que d’ici 2008 ce pourcentage atteindra 20%. Par contre, la croissance dans le secteur serait de 16% durant la même période, soit 3% par année. Bien que les délocalisations risque de créer des changements pour les travailleurs de ce domaine, la forte croissance du secteur, si le Québec en obtient sa juste part, devrait mitiger ses impacts. Secteur des TIC et autres secteurs liés à l’informatique Les entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication, qui offrent des solutions d’affaires à leurs clients, emploient une majorité d’ingénieurs et d’informaticiens. Dans ce secteur, environ 50% des emplois effectués par des ingénieurs et informaticiens pourraient théoriquement être déplacés. Les emplois dans la maintenance des applications (79%) et le développement de logiciels internes (77%) 66 Astray, Globalization and Offshoring of Software, Association of Computing Machinery, février 2006. 43 sont les plus susceptibles d’être déplacés, ce qui est moins le cas dans l’intégration des systèmes (55%). Mais dans tous ces cas, ce sont beaucoup plus les emplois de bas niveau, comme le support technique et les tests de logiciels qui sont particulièrement susceptibles d’être déplacés. En 2003, 5% des emplois d’ingénieurs avaient déjà été déplacés, une part qui atteindrait 12% en 2008. Mais, étant donné la croissance prévue de l’emploi de 10% au cours de la période, soit 1,9% par année, les effets nets dans ce secteur devrait être très faibles. Les ingénieurs informatiques et de logiciels oeuvrant dans les autres secteurs à la production de logiciels internes seront affectés de manière similaire à leurs collègues des secteurs du logiciel et des TIC. Leurs tâches et leur industrie influeront sur le risque réel. Par exemple, ceux oeuvrant dans des secteurs particulièrement ouverts à la mondialisation, comme le secteur manufacturier ou celui des banques, sont plus susceptibles de voir leur entreprise avoir recours aux délocalisations. Dans l’ensemble, le risque dans ce secteur ne semble pas plus grand que dans celui des TIC et des logiciels. Le génie civil On retrouve environ 8,000 ingénieurs civils au Québec, travaillant en majeure partie dans des firmes de génie conseil (50%), des firmes de construction (17%) et pour le secteur public (14%).67 Aux États-Unis, les grandes firmes comme Bechtel Group et Washington Group International ont depuis quelques années commencer à intégrer les délocalisations dans leurs processus d’affaires. Bechtel emploie maintenant à son bureau de Delhi plus de 600 ingénieurs.68 Si le très bas taux de chômage dans cette spécialité est un signe que les délocalisations n’ont pas eu d’impacts négatifs jusqu’ici, il peut aussi être une menace à plus long terme. Dans la mesure où la main-d’œuvre domestique qualifiée est rare, la tentation d’accroître les activités à l’étranger plutôt qu’ici peut être grande. Plusieurs exemples américains ont été donnés, par exemple la firme Harris and Sloan, plutôt limitée en taille (27 ingénieurs), qui emploie 5 ingénieurs civils en Inde.69 Les économies de coûts sont substantielles. En 2005, on estimait que pour des petits projets, les sous-traitants indiens chargeaient entre 5 et 8$ par heure/employés, alors que c’était 15 à 25$ pour les plus gros projets. Aux États-Unis, le prix est de 60$ à 100$.70 67 Force Avenir, Ibid. Site web de la compagnie. 69 Martin Kenney et Rafiq Dossani, Offshoring and the Future of U.S. Engineering: An Overview, National Academy of Engineering, octobre 2005. 70 Girish Chadha, « How’s India Redesigning the Whole World », Indiatimes News Network, 26 avril 2005. 68 44 Étude de cas : SNC-Lavalin71 SNC-Lavalin, dont une des activités principales est la construction, a débuté des activités de délocalisation il y a quelque six ans. Alors que sa filiale de Calgary mettait la touche finales à sa mise à un projet de construction au Moyen-Orient, il devenait évident que la différence de coûts avec son concurrent principal, une firme de l’Asie du Sud-Est, était trop importante et que son offre ne serait pas remise. Changeant rapidement ses plans, la firme décide d’intégrer au processus un partenaire indien auquel elle peut donner une partie du travail. La mise de SNC-Lavalin est acceptée, et le contrat est rempli sans anicroches, à la satisfaction du client. Malgré cette expérience positive avec un fournisseur extérieur, SNC-Lavalin cherche une firme à acquérir en Inde pour en faire sa filiale, désirant former ses employés à sa guise et les intégrer directement au processus d’affaires de l’entreprise. C’est finalement une firme relativement petite de 150 ingénieurs, RJ Associates Private Limited de Mumbai, qui est acquise en 2005. Devenue SNC-Lavalin Engineering India Pvt. Limited, le partenaire indien est maintenant partie prenante de la firme, partageant les mêmes objectifs et la même vision. Profitant notamment de programmes d’échanges d’employés et cadres Canada-Inde, la filiale a pu s’intégrer aux projets de la firme. La filiale effectue maintenant des travaux pour les différents centres régionaux et divisions de l’entreprise, mais on lui a donné l’objectif de recevoir 50% de ces recettes d’activités et de projets locaux. Dans les 18 mois suivant l’acquisition, le personnel a doublé, passant à 300. L’expérience a aussi permis aux autres divisions de l’entreprise de comprendre l’importance du phénomène, et sa nécessité pour rester concurrentielle lors d’appels d’offres à l’échelle internationale. Les principales activités délocalisées dans le domaine du génie civil et celui connexe de l’architecture sont les services d’aide informatisée au design. Là où les travailleurs d’ici ont peut-être un avantage sur leurs confrères américains, c’est que les travaux de génie civil nécessitent le respect des lois et règles de sécurité locales. S’il peut être intéressant pour des travailleurs étrangers d’apprendre ces lois pour le marché américain, ce n’est pas nécessairement le cas pour le Québec et le Canada. Dans le secteur des services publics, l’étude de Booz Allen Hamilton, effectuée pour le compte de NASSCOM, prévoit que le marché des délocalisations atteindra 3,4 milliards (US) en 2020, soit environ 17% des dépenses totales de l’industrie72. 71 Tiré de Marcel Boyer, « The Design of Efficient Offshoring Strategy: Some Reflections with Links to SNC-Lavalin », communication au colloque « Offshore Outsourcing: Capitalizing on Lessons Learned », Rotman School of Management, University of Toronto, 26-27 octobre 2006; www.rotman.utoronto.ca. 72 Booz Allen Hamilton/NASSCOM, Globalization of Engineering Services. 45 Le secteur de l’aérospatial L’industrie aérospatiale québécoise emploie près de 40 000 travailleurs, dont près de 5 000 ingénieurs. Elle représente donc un secteur clé de l’industrie québécoise. Comparativement aux autres secteurs, les travailleurs de l’industrie aérospatiale font face à une difficulté supplémentaire importante. Dans ce secteur durement touché par les craintes et les coûts supplémentaires reliés à la sécurité, le gros de la demande mondiale provient de la Chine et de l’Inde, les principaux joueurs dans le champ des délocalisations. Bien au courant de ce pouvoir et des marchés importants qui y sont rattachés, ces pays demandent, lors de l’achat d’appareils, qu’une partie du travail soit fait chez eux. Cette partie du travail inclut du travail manufacturier, mais aussi du travail de génie et de design. La stratégie est claire, utiliser les demandes domestiques comme levier pour obtenir suffisamment de travail en génie pour donner une expérience valable aux travailleurs domestiques. Cette expérience permettrait ensuite d’effectuer des travaux de plus en plus complexes. La Russie est aussi un joueur important étant donné son expérience dans le domaine et une main-d’œuvre qualifiée et peu chère. En Inde, alors que l’industrie était jusqu’à tout récemment contrôlée par des firmes publiques ou parapubliques, les entreprises privées y sont maintenant en forte croissance. Le tableau 5.3 présente une liste de tâches propres à ce secteur dont certaines sont déjà délocalisées, d’autres pourraient l’être et d’autres sont relativement à l’abri. Tableau 5.3 Exemples de tâches propres au génie aéronautique qui sont susceptibles d’être délocalisées Peut être délocalisé maintenant Design de systèmes incorporés Modélisation surfacique Modélisation aérodynamique Simulations pour trains d’atterrissage Tests virtuels Dans quelques années Pas délocalisable Design de la structure composite Analyse dynamique des structures, composantes et systèmes Analyse thermomécanique Simulations dynamiques Design des systèmes Analyse de tolérances aux dommages Analyse non-linéaire (impacts) Estimations de durée de vie Modélisation ergonomique Planification du processus manufacturier 46 Du côté des dépenses militaires, les aspects stratégiques et de sécurité vont continuer à limiter l’utilisation des délocalisations, surtout vers la Chine, vers laquelle les exportations de matériel militaire sont contrôlées de façon beaucoup plus stricte que celles qui sont destinées à l’Inde. On prévoit que les dépenses en délocalisations dans le secteur pourraient atteindre les 8 milliards de dollars en 202073. L’industrie est bien au courant des difficultés auxquelles elle sera confrontée, et mise sur l’accroissement de la productivité et le bassin de main-d’œuvre qualifiée. Notamment, le resserrement des liens entre institutions de recherche et industrie devra être effectué, et le support de l’État est attendu.74 Les pressions sur les coûts étant très fortes et les marchés fortement mondialisés, les acteurs du secteur ont déjà et vont continuer à incorporer les délocalisations dans leurs processus de production. Le Québec s’étant fait une niche dans ce domaine, notamment dans des secteurs-clés de la recherche, les pertes devraient être limitées. Néanmoins, la réorganisation des procédés entraînera le déplacement de certaines tâches et la re-concentration vers des activités à valeurs ajoutées plus élevées. 73 Booz Allen Hamilton/NASSCOM, Globalization of Engineering Services. Stratégie de développement de l’industrie aérospatiale québécoise, Ministère québécois du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, Juin 2006. 74 47 6. Conclusions La mondialisation n’est pas un phénomène entièrement nouveau pour les ingénieurs québécois, qui connaissent depuis longtemps les réalités du marché global. Depuis plusieurs décennies, les ingénieurs liés aux entreprises manufacturières québécoises connaissent les aléas des cycles économiques et la dure loi de la concurrence dans une économie ouverte. Depuis longtemps aussi, le génie québécois s’enrichit de l’apport d’immigrants de tous les coins du monde, et le monde bénéficie en retour de l’expertise des ingénieurs québécois, qui se sont taillé une place enviable dans plusieurs domaines. Il y a quelques années, on considérait que les délocalisations pour des emplois dits de cols blancs ne pourraient toucher que les emplois les plus routiniers et les moins spécialisés. Pourtant, la réalité se révèle tout autre depuis quelques années. Inexorablement, les emplois affectés par la mondialisation du travail se trouvent de plus en plus haut sur l’échelle des compétences et de moins en moins de travailleurs peuvent se sentir à l’abri des aléas de cette nouvelle organisation mondiale du travail. Malgré les succès passés et présents du génie québécois face à la concurrence internationale, la vague de la mondialisation que nous traversons en ce moment et qui est marquée par le phénomène des délocalisations représente une situation suffisamment nouvelle et inédite pour qu’il vaille la peine d’y réfléchir. C’est pourquoi l’initiative du Réseau des ingénieurs du Québec de faire de cette problématique l’un de ses principaux objets de réflexion en 2006-2007 tombe à point nommé. Les principales observations de cette étude constituent un point de départ pour cette réflexion. Premièrement, il importe de souligner que le génie québécois n’est pas en crise. S’il y a eu ralentissement de la croissance de l’emploi au cours des quelques dernières années, il ne faut pas perdre de vue que plusieurs secteurs du génie en Amérique du Nord ont connu une croissance sans précédent au cours de la décennie qui a précédé et que ce ralentissement n’a rien de fondamentalement étonnant. Si la croissance du génie a été dans l’ensemble assez bonne en Amérique du Nord depuis quinze ans, malgré le soubresaut du début des années 2000, elle a été tout bonnement phénoménale dans les pays émergents tels l’Inde et la Chine. Cette situation est liée aux changements technologiques qui effacent une large part des barrières de communication entre les pays. Elle est également le résultat des efforts concertés des gouvernements et des sociétés de ces pays pour développer au meilleur de leurs capacités leur plus précieuse ressource, soit l’immense potentiel de leur population, qui ne demande qu’à travailler et pour qui une fraction d’un salaire nordaméricain peut représenter une amélioration considérable de leur niveau de vie. Dans ce contexte, tout travail qui peut être exécuté à distance et transmis à travers un fil est théoriquement ouvert à une féroce concurrence par le biais des délocalisations. Comme nous le montrons dans la section 3, les délocalisations sont un phénomène global dont la portée dépasse le champ de l’ingénierie et qui a des répercussions sur 48 l’organisation du travail, l’emploi, l’économie et la politique. La section 4 précise en quoi le domaine de l’ingénierie se prête bien, pour certains types d’occupation, à cette stratégie d’entreprise. Il est clair que la concurrence des pays à bas salaires et l’immense bassin de main-d’œuvre qu’ils renferment représentent un défi de taille pour les ingénieurs occidentaux. Il ne faut toutefois pas sauter à des conclusions alarmistes sur la base d’une lecture superficielle des faits, comme le soulignent les études qui se sont penchées sur la qualité et l’employabilité des diplômés de génie chinois et indiens. Il est également vrai que les plus grands pays en émergence ont de formidables obstacles politiques, sociaux et culturels à franchir avant de pouvoir aspirer à un niveau de développement comparable aux démocraties industrielles les plus avancées. Il n’en demeure pas moins que la demande pour les services d’ingénieurs de pays émergents a atteint des nivaux considérables et que l’effet sur l’emploi dans les pays avancés est, sinon catastrophique, du moins préoccupant. Pour une économie petite et ouverte comme celle du Québec, il est impossible de se soustraire à la tendance globale. De plus, si personne ne croit que les délocalisations entraîneront la disparition de la profession d’ingénieur, les observateurs s’entendent pour dire que le phénomène est en voie de transformer la nature du travail d’ingénieur. Si, par exemple, toutes les composantes plus routinières du métier d’ingénieur, qui ont longtemps été l’apanage des ingénieurs en phase d’apprentissage, sont éventuellement expédiées en Chine ou en Inde, en quoi consistera le travail des apprentis? Y aura-t-il de la place, dans les grandes entreprises de génie « mondialisées » de demain, pour d’autres tâches que celles reliées à la conception à l’état pur, à la fine pointe de l’innovation ou à la gestion du travail des exécutants étrangers? Et si les ingénieurs asiatiques rattrapaient bientôt ceux d’ici au plan de la qualité et de l’innovation? Que resterait-il? Même si les scénarios les plus catastrophistes ne tiennent pas la route, Il n’en est pas moins impératif de prendre des moyens énergiques pour faire face à cette nouvelle donne globale et en tirer le meilleur parti possible. En effet, au jeu des délocalisations, les pertes potentielles pour notre économie sont substantielles, mais les gains potentiels le sont aussi. Si le Québec mise juste et favorise le développement des cerveaux qui sont la principale matière première des secteurs de pointe à forte valeur ajoutée, s’il développe ses infrastructures et entretient un environnement d’affaires attrayant, il n’est pas dit que le Québec ne pourra pas bénéficier au solde des migrations d’emploi de haut savoir et en ressortir plus fort. Pour ce faire, il faudra mettre en place les politiques industrielles les mieux adaptées à ce nouveau contexte. Pour en venir là, cependant, il convient d’abord de pousser plus avant la compréhension de ce nouveau contexte. Ce rapport, fondé avant tout sur l’observation de la situation aux États-Unis, qui ont été plongés les premiers dans la mare des délocalisations, n’est qu’une modeste première étape. Il faudra,dans les mois qui viennent, enquêter d’abord sur les pratiques de délocalisations existantes et les perspectives d’avenir dans ce sens des entreprises qui emploient des ingénieurs au Québec. En parallèle, il faudra, aussi systématiquement que possible, recueillir les perceptions, les expériences et les connaissances des ingénieurs québécois euxmêmes pour en connaître plus sur le phénomène et ce qu’il faut faire pour le surmonter. 49 Sources (N.B. : Tous les liens cités étaient actifs en octobre 2006) A.T. Kearney, 2005. The 2005 Global Services Location Index En ligne. http://ww.atkearney.com/main.taf?p=5,3,1,125 Aspray, William, Frank Mayadas et Moshe Y. Vardi, dir. 2006. Globalization and Offshoring of Software : A Report of the ACM Job Migration Task Force. Washington: Association for Computing Machinery. www.acm.org/globalizationreport/pdf/fullfinal.pdf Booz Allen Hamilton/NASSCOM. 2006. Globalization of Engineering Services : The Next Frontier for India. New York et New Delhi: Booz Allen Hamilton et NASSCOM. Bouton, Marshall M. et al. 2004. Global Views 2004: American Public Opinion and Foreign Policy. Chicago: Chicago Council on Foreign Relations. 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