les dynamismes du vieillissement et le cycle de la vie : l`approche d
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LES DYNAMISMES DU VIEILLISSEMENT ET LE CYCLE DE LA VIE : L'APPROCHE D'ERIKSON Par Maurice Aumond Faculté d'Éducation Permanente, Université de Montréal INTRODUCTION Parmi les adeptes de Freud, Erik Erikson (1902-1980) a formulé une théorie touchant au développement humain. Elle est composée de huit stades échelonnés sur tout le cycle de la vie. Dans ces huit phases de la recherche d'identité, Erikson a tenté de dégager et de préciser les racines du « moi » dans l'organisation sociale de l’individu. Son modèle recouvre tout le cycle de la vie où chaque stade est caractérisé par un enjeu fondamental qui se définit comme un conflit entre deux pôles. Les conséquences de cet enjeu se prolongeront durant toute la vie. Mais avant de s'attarder aux divers stades de développement, et plus particulièrement à celui de la vieillesse sur lequel nous insisterons davantage, élaborons sur le fondement de cette théorie et son auteur. Données biographiques Erik Erikson est né à Francfort, il a vécu son enfance en Allemagne et son adolescence dans divers pays d'Europe. Jeune adulte, on le retrouve au côté de Sigmund Freud à Vienne tant comme étudiant que comme patient. C'est également à Vienne que débute sa carrière de psychanalyste avec Peter Blos comme mentor Puis, certains professeurs et chercheurs américains de l'université Harvard, en particulier Henry Murray, l'imiteront à la théorie de la personnalité. Erikson quitte alors définitivement l'Europe pour devenir citoyen américain en 1933. Dès lors, il passera le reste de sa vie dans le monde de l’enseignement et de la recherche aux universités Harvard, Stamford et finalement à l'université de la Californie. Ses toutes premières expériences de recherches se font avec les enfants d'une école américaine à Vienne. Erikson travaillera par la suite avec des étudiants diplômés d'Harvard, des anciens combattants de la deuxième guerre, des défenseurs des droits civils du sud des Etats-Unis, de même qu'avec des indiens Sioux et Yurok. De plus, il collabore fréquemment avec différentes équipes de chercheurs de multiples disciplines. Ses nombreux travaux, dans des champs pluridisciplinaires, lui permettent de côtoyer quelques grands anthropologues comme Mead, MeKeel, Benedict, Bateson, etc. Erikson a reçu en 1933 un diplôme du « Vienna Psychoanatytic Institute ». Toutefois, il a passé presque toute sa vie dans le monde universitaire sans avoir reçu, au préalable, une formation universitaire formelle. Encore aujourd’hui, c'est un auteur bien lu et plus particulièrement par les gens s'intéressant au counselling et aux sciences de l'éducation, ceux-ci continuent de se pencher sur ce qu'est l'étape de l'adolescence et sur la question de la maturité (Erikson, 1972, 1974 et 1980). C'est sa théorie de la personnalité comprenant huit stades de croissance dans le développement humain qui a retenu l'attention du public universitaire. 1.1 La théorie d'Erikson La théorie d’Erikson repose sur trois assertions. La première est que le « Moi » est façonné par la société ; la seconde est que l'individu vit dans un processus continu de croissance et de changement, et la troisième affirme que l'individu est reprogrammé dans sa capacité à traverser ses stades de développement. Décortiquons maintenant ces trois assertions afin d'obtenir une meilleure compréhension de celles-ci ; ce qui est, à notre avis, une étape fondamentale nous permettant de mieux pénétrer la pensée d'Erikson. Le moi est façonné par la société Dans la théorie freudienne, le « Moi » se développe au sein même d'une interaction, entre le « Ca » et le « Surmoi » alors que dans la théorie d'Erikson le « Moi » est considéré comme une fonction autonome surtout façonnée par la société dans laquelle l’individu se trouve et se développe. Erikson n'attribue pas seulement à l'instinct biologique l'unique responsabilité de la formation et du développement de la personnalité comme l'affirme Freud. La conceptualisation, selon la théorie d'Erikson, s'explique par le fonctionnement de la personnalité en rapport avec la société, incluant parents, amis et environnement. Erikson ne croit pas que la personnalité d'un individu soit déjà toute tracée et arrêtée dès l'âge de quatre ou cinq ans. Il affirme, au contraire, qu'elle émerge et se développe en relation avec les rapports qui s'établissent avec la société et ses diverses composantes (Erikson, 1974, 47-49). L'individu vit dans un processus continu de croissance et de changements L'individu traverse des moments de crises tout au long de son existence, d'où le façonnement de sa personnalité suivant la manière et les réactions que l'individu a à ces diverses difficultés ou étapes dans son développement. Erikson croit à la valeur intrinsèque de l'homme la décrivant comme un être responsable de son destin. Dans une certaine mesure, il présente une vision plus positive de l'homme. L'individu est préprogrammé dans sa capacité à traverser ses stades de développement. Ce sont les huit stades de croissance suivant la théorie d'Erikson. Comme nous l'avons déjà mentionné, c'est cette contribution qui a surtout fait connaître Erikson. Ce dernier nous dit que l'individu « mature », l'individu qui est réalisé ». c'est celui qui a bien franchi ces étapes de développement. Cela implique qu’il a passées « de la bonne manière » à travers les crises de chaque stade. Ses théories définissent l'influence que produit la société sur le processus de maturation individuelle et démontrent également comment la personne progresse en passant d'une crise à l'autre en espérant toujours trouver la réponse au « Qui suisje », et « Qu'est-ce que je devrais faire ? ». Les stades psychosociaux d’Erikson décrivent les difficultés et les crises qui sont liées aux relations sociales. Ce sont des situations, des problèmes ou des crises auxquels l'individu est confronté à un moment ou à un autre de son existence. 1.2 Les stades psychosoclaux de développement selon Erikson Les écrits d'Erikson insistent sur la phase critique de chacune des étapes dont la réussite ou l’échec dépend du résultat dans les stades antérieurs. À chacune des étapes, il a identifié des résultats qui serviront d'indicateurs de réussite ou d'échec. Le développement du « Moi » lui apparaît à travers les points tournants de chacun de ces stades. L'auteur insiste sur l'importance du succès obtenu à chaque étape. What the child acquires at a given stage is a certain ratio between the positive and the negatives which, if the balance is toward the positive wili help him to meet later crises with a predisposition toward the sources of vitatity (Erikson, 1968c, p. 325). Regardons maintenant ce qu'Erikson (1963) dans Enfance et société appelle les huits étapes de 1’homme. La phase orale (elle s'étend de la naissance à 18 mois). C'est une période de confiance ou de méfiance fondamentale. De 0 à 6 ou 8 mois, c'est la phase orale sensitive. L'enfant éprouve du plaisir ou de la frustration pour la nourriture et le confort qui lui est donné. C'est de la nature de cette expérience que dépendra son sentiment de confiance dans la vie ou pas. De 8 mois à 18 mois, c'est la phase orale-agressive. L'enfant, avec ses premières dents, devient plus actif. Il peut mordre ou s'incorporer des objets. Le désir de mordre peut correspondre au besoin de se soulager lors de la poussée des dents. Ce faisant, l'enfant peut être repoussé par sa propre mère ou par la personne qui en est la victime. L'atteinte de ses besoins peut être accompagnée de douleur comme, par exemple, celle de la perte de l’objet ou de la personne qu’on lui soustrait de sa vue. C'est une première épreuve. La confiance aveugle est mise en doute et si la méfiance s'installe, elle pourra se présenter plus tard dans le développement de la personnalité. C'est le chemin d'un premier sentiment rudimentaire d'identité du moi. En ce sens Erikson, (1974, p.169) nous mentionne que : « ... la première réussite sociale du bébé est donc son acceptation de laisser la mère s'éloigner de sa vue sans manifester d'anxiété ou de colère exagérée, parce qu'elle est devenue une certitude intérieure autant qu'une prédictibilité extérieure. ». Le « Moi » se façonne dans la résolution de ce premier conflit, entre la confiance et la méfiance. Une relation équilibrée et satisfaisante entre la mère, avec sa façon de donner ou de se donner, et l'enfant, avec sa manière de recevoir et de prendre, est nécessaire pour l'acquisition d'un sens de confiance en soi et en autrui. La phase anale (de 18 mois à 2 ans et demi) est une période d'autonomie ou bien de honte et de doute. Avec la maturation anale et musculaire naissent deux nouvelles modalités sociales, celles de retenir et de laisser aller. C'est l'âge de l'opposition initiale aux parents et aussi la première manifestation de la volonté : l'enfant veut agir seul. Avec ces premières manifestations d'autonomie, les parents exercent un contrôle extérieur pour rassurer l'enfant et non pour le punir. Un contrôle trop rigide serait de nature à amplifier les sentiments de honte, « d'être petit », de doute et d'incapacité d'acquérir sa propre identité. Durant cette période du développement de l’enfant, le milieu doit encourager celui-ci à être autosuffisant, « à être capable » c'est-à-dire être propre, marcher et parier. Une relation équilibrée entre la mère, avec son mode de contrôle extérieur, et l'enfant, avec son mode d'élimination ou de rétention, sera nécessaire à l'acquisition d'un premier sens de l'autonomie du moi. Le « Moi » s'affirme dans cette seconde crise à travers des expériences d'autonomie. La phase phallique (de 2 ans et demi à 6 ans) est la période d'initiative ou de culpabilité. Le jeune enfant est capable de relations plus grandes. Il connaît mieux son corps et observe davantage. Son identité sexuelle se bâtit. Des variantes apparaîtront dans le développement de la personnalité en fonction du sexe mais aussi en fonction du milieu et de la culture environnante. A la phase œdipienne, si cette étape est bien franchie, le garçon souhaitera grandir pour ressembler davantage à son père et plaire à sa mère alors que chez la fille, la culpabilité de la rivalité avec la mère sera remplacée par une identification à la mère. Le moi se manifeste à travers la résolution du détachement progressif des parents, de la relation de réciprocité, de l'initiative de l'enfant, de ses désirs d'accomplissement et de ses possibilités. La phase de latence (de 6 à 12 ans). La phase de latence est une période dite de travail ou d'infériorité. C'est une période de grand calme et d'oubli. L'enfant manifeste un intérêt pour le monde extérieur. Il sent le besoin de connaître tant au plan intellectuel que social. « Il apprend à acquérir du prestige en produisant des choses » (Erikson, 1974, p. 175). C'est la phase de l'acquisition d'un sens de l'industrie » en éliminant un sentiment d'infériorité par la réalisation de compétence. À cette période donc, l'enfant est occupé à apprendre comment être compétent et productif : à défaut, il y a danger que naisse un sentiment d'inadéquation et d'infériorité. Son développement est alors troublé. L'entant qui a déjà acquis une certaine expérience, se voit différent des adultes : il n'est ni capable de les suivre, ni du reste invité à le faire ; alors il se compare à ceux de son âge et tâche d'y trouver sa place. S'il ne peut entrer en compétition avec ceux de son âge, il en découlera chez lui un sentiment d'infériorité. Le « Moi » se retrouve dans le conflit entre « le travail et l'infériorité ». L’enfant s'identifie à travers ses succès scolaires comme quelqu'un de capable et de compétent. À défaut, il naît chez lui un sentiment d'incompétence et d'infériorité qui entraîne une confusion dans l'identité. La phase de puberté et d'adolescence (de 12 à 18 ans) est une période d'identité ou bien de diffusion de rôle. C'est l'âge de la remise en question de l'identité sexuelle avec l'apparition de la maturité génitale et physique, qui débouche sur de nouvelles possibilités. L'acquisition d'un sens d'identité est indispensable pour prendre les décisions d'adulte, c'est-à-dire un choix de vocation et un choix de partenaire. Dans cette quête d'identité, le jeune ne veut pas savoir qui il est, mais ce qu il sera et dans quel contexte. C'est pourquoi il remet en question la société et recherche l'approbation de ses semblables qui eux aussi veulent être approuvés. En amour, l'adolescent idéalise. C’est l'âge des idoles et des héros, une période de sauts d'humeur, d'oppositions violentes et de mise en valeur. Les adolescents se préoccupent aussi de la façon dont ils sont vus et perçus par les autres. Une nouvelle quête d'identité apparaît. Le rôle ainsi que l'identité sexuelle et l’identité professionnelle sont sources de préoccupations autant pour les parents que pour les adolescents. Les changements biologiques et psychologiques remettent en question l’identité de l'adolescent. Qui est-il à travers ces changements ? Dans la théorie d'Erikson sur le développement socio-émotif, l'adolescence représente la période de résolution des problèmes d'identité. L'idée d'être un individu dans un monde appartenant aux autres, avec des responsabilités mutuelles et indépendantes, ne semble devenir une caractéristique saillante de la vie que vers la fin de l'adolescence (Krech et Al., 1979, p. 484). La présence d'adultes compréhensifs et capables de relations positives favorise la confiance en soi et la naissance d'une identité solide pour l’adolescent. Erikson accorde une grande importance à l'adolescence parce que c'est à cette période critique que le jeune acquière, son identité définitive, son « Moi ». C'est à ce moment précis que l'adolescent a besoin de sentir qu'on a confiance en lui et qu'il est capable d'être responsable de ses propres attitudes et de ses propres valeurs. Comme nous venons de le voir très succinctement, les cinq premières étapes dans le développement du moi d'Erikson suivent d'assez près les stades du développement psychosexuel freudien. On retrouve à cet effet de bons tableaux comparatifs du développement humain selon Freud et Erikson dans Krech et Al., 1979, p. 399, de même que dans Hilgard et Atkinson, 1980, p. 115. Ces auteurs dégagent bien la contribution d'Erikson dans l'étude de l'influence de l'environnement et de la société sur le développement de l’organisme humain et de ses potentialités. La phase de jeune adulte est une période d'intimité par opposition à l'isolement. L'identité étant bien acquise, elle permet maintenant d'établir des rapports adultes avec les autres. La sixième phase en est une d'acquisition du sens d'intimité et de la solidarité en évitant un sentiment d'isolement. L'auteur insiste cependant : il faut que cette identité soit bien acquise. À cette période, le jeune adulte cherchera l'amitié et l'amour avec l'autre, ce qui implique le désir et la tendresse. Le jeune adulte est alors capable de donner tout autant que de recevoir. Il est capable d'intimité sans craindre de perdre son identité. Il peut s'exprimer en une mutualité hétérosexuelle. Si l'individu peut partager une confiance mutuelle et s'il est apte à régler les cycles de travail, de procréation et de participation dans la société, il est prêt à se marier. Erikson, 1974, p. 178, nous dira que : pour avoir une signification sociale durable, l'utopie de la génitalité devrait inclure : 1 . la mutualité de l'orgasme ; 2. avec un partenaire aimé ; 3. de l'autre sexe ; 4. dont on peut et veut partager la confiance ; 5. et avec lequel on peut et veut accorder son cycle de: - travail - procréation récréation ; 6. afin d'assurer aussi aux enfants un développement satisfaisant. Se refuser à de telles expériences par crainte de perdre sa propre identité peut conduire à l'isolement. L'identité du « Moi » doit être acquise pour permettre de s'adonner sans crainte à l’intimité avec la ou les personnes significatives autour de soi. C'est la première étape de la vie adulte qui exige l’acquisition de sa propre identité et demande en fait que le « Moi » soit bien structuré. C'est ici que l'identité de l'ego atteint son stade final de développement. La phase de maturité (le mitan de la vie donc de 40 à 60 ans) est celle qu'Erikson appelle la période de générativité par opposition à la stagnation. Être adulte c'est être capable d'aimer les autres, être capable de s'engager adéquatement dans l'expérience de la paternité ou de la maternité (la générativité). Être adulte c'est être productif, c'est-à-dire produire un travail gratifiant et valorisant. La septième phase dans le développement en est donc une d'acquisition d'un sens de productivité en évitant l'égocentrisme. Erikson, 1974, pp. 178-179 la conçoit ainsi : « ... la capacité à se perdre dans la rencontre des corps et des esprits doit conduire à l'expansion graduelle des intérêts personnels et des charges libidinales, vers ce qui a été ainsi créé et dont on a accepté la responsabilité La générativité est essentiellement l'intérêt pour la génération suivante et son éducation. » Un mariage bien équilibré devrait emmener un sens de productivité ; celui-ci sera suivi par un intérêt pour la seconde génération. L’adulte voudrait voir se développer chez ceux de la jeune génération ses espoirs ainsi que les vertus et la sagesse accumulées. L'adulte veut aussi se réaliser pleinement dans un travail créateur, dans des responsabilités, etc. La générativité comprend la procréativité, la productivité et la créativité et par conséquent, la génération de nouveaux êtres comme celle de nouveaux produits et de nouvelles idées, ce qui inclut une sorte de génération de soi dans la préoccupation de son identité ultérieure (Erikson, 1982, p. 67, cité par Houde, 1986, p-34). Si cet engagement n'a pas lieu, il y a régression et s'installe alors un sentiment d'inactivité et de stagnation. Il y a également un appauvrissement de la relation interpersonnelle. Lorsqu'un tel enrichissement n'a pas lieu, il y a risque de stagnation. Les personnes qui ne développent pas le sens de la générativité peuvent se retrouver absorbées par elles-mêmes, concernées avant tout par leur propre confort, ce qui leur laisse un sentiment de vide (Houde, 1986, p-35). La phase de l'intégrité personnelle ou du désespoir. La dernière étape du cycle de la vie est celle de l'acquisition d'un sens de l'intégrité en évitant un sentiment de désespoir (la réalisation de la sagesse). Elle concerne la façon dont on affronte la fin. La vieillesse devient alors un temps de réflexion qui permet un retour sur les événements d'une vie. Dans la mesure où on a réussi à disposer efficacement des problèmes qui s'étaient posés à chacune des étapes de la vie, on a acquis un sens d'achèvement et de plénitude c'est-à-dire, le sentiment d'une vie bien remplie. Lorsque la personne âgée jette un regard sur sa vie passée et la perçoit comme une suite d'occasions ratées et d'échecs, les dernières années sont alors remplies de désespoir (Hilgard et Al, 1980, p. 18). À cette phase, on devrait pouvoir accepter l'homme en tant qu'individu et en tant que société. L'individu doit pouvoir opposer son intégrité au désespoir et au dégoût face aux différents types de vie, à une vie incomplète et à la mort. À ce stade, l'homme projette une sagesse et une philosophie de la vie hors de son propre cycle de vie vers les cycles futurs. Cette huitième étape dans le développement de l'homme est caractérisée par une forme d'évaluation de sa vie et de ses accomplissements. Si l'évaluation s'avère être positive, il y a intégrité et continuité. C'est donner place à la sagesse pour les années à venir. En revanche, si le bilan est négatif, on assiste alors à une détérioration du moi sous plusieurs formes. Il y a d'abord la perte du sens de l'existence et puis la naissance du sentiment d'une vie perdue qui aurait pu être différente. La peur de la mort, l'alcoolisme, le suicide, la dépression et le désespoir sont du lot de ceux qui arrivent à une telle évaluation négative. Le désespoir naît des regrets, des remords et du sentiment que la vie n'a pas de sens. Il reste maintenant trop peu de temps pour changer la situation et se permettre de réaliser son intégrité. La mort alors occupe une place prépondérante dans l’existence de ces personnes. « On aura compris que la sagesse émerge du conflit entre l’intégrité et le désespoir. Opposée à cette force de base qu'est la sagesse se trouve le dédain ou le dégoût de soi. L'éventail des relations significatives s'étend à l'humanité et à sa propre bienveillance cependant que l'ensemble des principes d'ordre social est relié à la sagesse. » (Houde, 1986, p.38). À l'âge de l'apparition des incapacités qui affectent la perception de soi, peut-on parler d'un stade de développement ? Les personnes du troisième âge essaient, à ce moment précis de leur existence, de donner un sens à leur vie. La vie est alors perçue comme un tout. L'intégrité personnelle nous dira Erikson, (1974, p. 179) « ... c'est l'acceptation de son seul et unique cycle de vie comme quelque chose qui devait être et qui ne permettait pas de changement ». « Une vie individuelle est la coïncidence d'un cycle de vie unique avec un segment d'histoire unique et toute intégrité humaine s'installe ou se perd dans le style d'intégrité des vies auxquelles elle prend part. » (Erikson, 1982, pp 65-66, cité par Houde, 1986. p- 37). Erikson, particulièrement dans Insight and responsability (1964, pp. 111 à 113) a cherché à nous présenter des forces internes du « Moi » ou « vertus » avec une prédominance de la partie positive sur la partie négative à chaque étape du développement psychosocial. Le vocabulaire d'Erikson pour décrire le « Moi » est le suivant: ego strength, Inhérent strength, hurman qualities of strength, an Increase In the strength and slaying power on the patient's concentration on pursuits which are somehow right, etc. En somme, ce tableau des huit étapes dans le développement de l'homme nous présente les résidus du « Moi » après chaque crise psychosociale. 1.3 Freud vs Erikson Erikson en est venu à penser que le cadre freudien du développement de la personne était trop étroit. La croissance du « Moi » uniquement en termes d'investissement libidinal tel qu'avancé par Freud lui parut comme trop restrictif. Pour Erikson, le « Moi » se structure aussi à l'âge adulte et non pas seulement durant les premières années de la vie comme semble le proposer Freud à travers ses stades de développement. Il y a des aspects à considérer dans le développement de la personnalité que Freud a ignorée : 1 . Au niveau somatique, il y a des forces physiques et des faiblesses qui interviennent, en particulier en vieillissant ; 2. Au niveau personnel, il y a l'histoire des événements de l'existence et la manière dont les stades de développement sont vécus ; 3. Au plan social, il y des forces sociales, historiques et culturelles à considérer. En effet, Erikson insiste beaucoup sur les modalités socioculturelles qui ont une influence sur le développement du « Moi ». À chacun des stades, Erikson ajoute des éléments du conditionnement socioculturel. Ces éléments influencent le développement du moi et ils modèlent l'homme, y compris durant la dernière partie de son existence. La théorie du développement, cf. Erikson, est bâtie sur la théorie de Freud. Freud y parle de l'homme et de sa sexualité alors qu'Erikson y parle de l'homme et de la société. Signalons certaines divergences : 1. Erikson met l'accent sur l'ego plutôt que sur l'identité ; 2. Freud a établi le triangle perd père-mère-enfant ; Erikson voit l’enfant dans la famille et la famille dans la société ; 3.Freud a voulu montrer l’existence et le fonctionnement de l'inconscient ; Erikson tente de démontrer l'existence de certains facteurs de développement ; 4. Freud s'est appliqué à résoudre des problèmes pathologiques alors qu'Erikson tente de trouver une solution positive aux crises de développement. CONCLUSION Il y a peu de théoriciens qui ont présenté une approche du développement de la personnalité et du moi en y englobant tout le cycle de la vie et en y joignant des données biologiques, psychologiques, sociales et culturelles. L'approche ériksonnienne semble la première qui présente le « Moi » dans tout le cycle de la vie. Erikson nous a permis de reconnaître que l'homme, de l'enfance à l'âge avancé, expérimente des changements dans le développement du moi et que cet enrichissement se fait tout au cours du cycle de la vie dans une perspective de développement continu. Le comportement humain et la personnalité sont de nature interactive, et le moi joue le rôle d'agent interne dans cette interaction. Pour l'école psychanalytique, et en particulier avec Freud et Erikson, un postulat demeure : l'enfance est la clé dans le développement du « Moi ». Comme nous l'avons déjà signalé, les cinq premières phases d'Erikson sont la reformulation et l'expansion des cinq stades psychosexuels de Freud alors que les trois autres phases s'attardent au développement de l'adulte. C'est donc de l'enfance qu'émaneront la plupart des processus du développement et de la formation du « Moi ». Aujourd'hui cependant, ce même postulat est fortement remis en question, en particulier par Baltes, Reeves et Lipsitt (1980) de même que par Brim (1980). En revanche Monge (1975) soutient de son côté qu'il n'y a pas de modification de la perception de soi dans le vieillissement. Costa et McCrae (1977), Costa et Al. (1980), Leon et Al. (1979) et McCrae et Al. (1980), de même que Siegler et Al. (1979) soutiennent encore et avec des faits précis pour appuyer les résultats de leurs recherches, que la personnalité de l'adulte et de la personne âgée est relativement stable. Quant à Gilligan (1982), elle enregistre une dissidence quant aux schèmes masculins utilisés par Erikson. Pour bien comprendre ce qui se passe en vieillissant et devant toutes ces contradictions, une recherche nous apparaît de mise. Nous pensons qu'il serait opportun de consulter un autre auteur classique dans le domaine de la psychologie humaniste, Abraham Maslow, qui s'est aussi penché sur le développement du « Moi » et de la personnalité. Nous conclurons avec Erikson que : « Plus on écrit sur ce thème (l'identité) et plus les mots s'érigent en limite autour d'une réalité aussi insondable que partout envahissante. On peut seulement l'explorer en constatant, dans toutes sortes de contextes à quel point elle est indispensable. » (Erikson, 1972, p. 5). En fait, comme le démontre Clayton (1975) le modèle d'Erikson est trop vague et laisse songeur. Selon lui, très peu de personnes âgées atteindraient la prudence et la sagesse qu'Erikson décrit au huitième stade de développement. Références BALTES, P.; REEVE, H.; LIPSITT,.L. (1980). Lite span developmental psychology. In Annual review cf psychology, U. 65-110. BR IM, 0. (Il 980). Type of life-events. The journal of social issues, 16, 148-157. CLAYTON, Vivian (1975). 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