I. 1. Geoffrey : un enfant autiste qui passe dix ans de sa vie

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I. 1. Geoffrey : un enfant autiste qui passe dix ans de sa vie
I.
1.
L’HISTOIRE
DE
MME BEAUFILS
Geoffrey : un enfant autiste qui passe dix ans de sa vie en hôpital.
En 1985, Mme Beaufils a donné naissance à Geoffrey. Ce dernier étant de troubles
du spectre autistique, dès 1988, il fut placé en soins psychiatriques à l’hôpital, et
ce, pendant 10 années.
En janvier 1998, Mme Beaufils, qui élevait seule Geoffrey, estimant que cette prise
en charge n'avait pas fait la preuve de son efficacité, a souhaité bâtir pour son fils,
alors âgé de 13 ans, un projet permettant son retour à la maison et une prise en
charge en établissement spécialisé quelques heures par jour.
Mme Beaufils, bataillant auprès des administrations, finissait par obtenir, en juin
1998, que son fils sorte de l’hôpital pour être placé en institut médico-éducatif
(IME). Mais, compte tenu de l’inertie administrative, ce n’est qu’en décembre 1998
que Geoffrey finissait par sortir de l’hôpital.
2.
1999-2000 : l’inertie de l’administration pour mettre en place une
prise en charge adaptée.
En janvier 1999, la commission d’éducation spéciale (CDES) jugeait que la prise en
charge au sein de l’IMP « les Sapins » ne correspondait pas aux besoins de l’enfant.
En septembre 1999, que cette décision était annulée par le Tribunal du contentieux
de l’incapacité, qui décidait d’une prise en charge à temps partiel au sein de l’IMP,
laquelle ne pourrait pas se faire, selon le tribunal, sans suivi psychiatrique.
La CDES lui adressait donc une liste de 2 psychiatres à Mme Beaufils. Au bout de
plusieurs mois, le second psychiatre figurant sur la liste (le premier n’ayant jamais
répondu aux courriers de Mme Beaufils) lui indiquait être indisponible et orientait
Mme Beaufils vers le SESSAD.
En mars 2000, la CDES rendait un avis favorable à la prise en charge de Geoffrey
par le SESSAD, l’allocation spéciale et au complément 3 jusqu’en février 2001. En
juin 2000, cette décision de la CDES n’était toujours pas effective.
Pendant toute cette période, Mme Beaufils assumait seule la prise en
charge de son fils : l’administration, qui avait d’abord tenté de laisser Geoffrey en
hôpital de jour (il n’en serait jamais sorti sans la volonté de sa mère), ne donnait
aucun effet aux différentes décisions prises en faveur de Geoffrey.
Mme Beaufils entamait alors une grève de la faim de 33 jours conduisant
finalement à une admission dans un SESSAD à la fin du mois de septembre 2000.
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Cela faisait quasiment deux ans, alors, que Geoffrey, désormais âgé de 15 ans,
était sorti de l’hôpital de jour.
3.
2001 – 2003 : le rejet de Geoffrey de l’IMP Les Sapins
En janvier 2001 la CDES a donné un avis favorable à une prise en charge de ce
dernier par le SESSAD et par l’IMP " les Sapins " à raison de 3 demi journées par
semaine. L’IMP rencontra de nombreuses difficultés pour s’adapter à Geoffrey et
pour l’intégrer. En avril 2001 l’IMP a suspendu unilatéralement la prise en charge
de Geoffrey B, qui avait physiquement agressé un membre du personnel.
Ainsi, Geoffrey n’aura été accueilli en IMP que pendant quelques mois,
après que sa mère eut bataillé deux ans en s’occupant seule de lui.
La CDES a alors décidé le maintien de la prise en charge par le SESSAD de
Bellesagne, chargé de réactualiser le projet de vie de Geoffrey avec les différents
partenaires . Le 22 mai 2001, le directeur du SESSAD indiquait que, s'il avait reçu
cette mission, " aucune administration : Education nationale ou direction de
l'action sanitaire et sociale ; ni la commission départementale d'éducation
spéciale n'avance un seul partenaire ". Le SESSAD n’intervenait quant à lui que
deux après-midi par semaine.
En septembre 2002, un rapport établi par le professeur Aussilloux indiquait " la
situation est actuellement critique du fait de la durée excessive de prise en charge
familiale ", et que les difficultés d'intégration de Geoffrey B au sein de l'institut
médico-éducatif étaient liées à " un problème réel d'adaptation à l'individualisation
des besoins de Geoffrey, avec des aspects de taux d'encadrement, mais aussi
l'hétérogénéité dans la composition du groupe ".
Ce n’est qu’en mai 2003 que Geoffrey a trouvé un lieu d’accueil apte à le prendre
en charge partiellement.
Jusqu’à cette date, Mme Beaufils s’est occupée seule de lui, avec 2 séances
hebdomadaires d'orthophonie, un accompagnement hebdomadaire par une
psychomotricienne dans un centre hippique puis dans un atelier musique, un
accompagnement ponctuel par un psychologue, et un accompagnement par un
éducateur plusieurs fois par semaine de portée indéterminée.
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II.
LA
PROCÉDURE INITIÉE PAR
MME BEAUFILS
DEVANT LE
TRIBUNAL
ADMINSTRATIF
Au mois de mai 2002, alors qu’elle avait essuyé un rejet pur et simple de son fils de
l’IMP, Mme Beaufils a saisi le Tribunal administratif de Montpellier aux fins de faire
condamner l’Etat à réparer les préjudices subis. Plus précisément :
- Elle demandait la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat en raison des
carences de ce dernier dans la prise en charge des personnes autistes dans le
département de la Lozère ;
- Elle demandait, sur la base de cette responsabilité, le versement de 60 979
euros, 30 489 euros et 37 823,86 euros majorées des intérêts à compter du
21 mai 2002 au titre du préjudice moral subi par son fils et par elle-même et
au titre du préjudice économique et financier.
Ce n’est que 4 ans après que le tribunal administratif rendait une décision.
Le 27 avril 2006, le tribunal administratif rejetait son recours. Mme Beaufils
interjetait appel de ce jugement. En mai 2008, soit déjà 6 années après avoir
introduit sa demande initiale, Mme Beaufils était déboutée par arrêt de la Cour
administrative d’appel de Marseille.
III.
DIX
ANS APRÈS, LA VICTOIRE DE
MME BEAUFILS
Mme Beaufils a formé un pourvoi à l’encontre de cette décision, et, par arrêt du 16
mai 2011, le Conseil d’Etat lui a donné raison, annulé l’arrêt de la Cour
administrative d’appel de Marseille, et renvoyé devant cette cour pour que l’affaire
soit de nouveau jugée.
Au bout de neuf ans de procédure, Mme Beaufils refaisait donc examiner son cas
par la Cour administrative d’appel de Marseille.
Aux termes de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Marseille le 11 juin 2012 (soit,
dix années après l’introduction de la demande initiale !), Mme Beaufils a enfin
obtenu gain de cause et s’est vue allouer, tant en son nom qu’au nom de son fils
Geoffrey, plus de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts. Cette décision
repose sur les motifs suivants :
1. En premier lieu, est reconnue, en ligne avec l’arrêt du Conseil d’Etat
de mai 2011, la responsabilité de l’Etat.
La Cour d’appel reprend le raisonnement exposé dans l’arrêt du 16 mai 2011 du
Conseil d’Etat :
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- Elle rappelle qu’aux termes de l’article L. 246-1 du Code de l’action sociale et
des familles, toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome
autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son
âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et
difficultés spécifiques.
- Elle rappelle les dispositions de la loi di 30 juin 1975, dont l’article 2
prévoyait, à la date de survenance des faits, l'élaboration d'un schéma
départemental relatif aux établissements des services sociaux et médicosociaux, arrêté conjointement par le président du conseil général et le
représentant de l'Etat (le préfet en général) et que « l'économie générale de
cette loi imposaient à l'Etat de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en
oeuvre les moyens nécessaires pour que le droit à une prise en charge
pluridisciplinaire adaptée prévu par la loi ait, pour les personnes atteintes du
handicap résultant du syndrome autistique, un caractère effectif »
- Elle rappelle ensuite que, « à tout le moins » avant la fin de l’année 2002,
« la prise en charge de Geoffrey B ne peut être regardée comme correspondant
à la prise en charge d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social
prévue par la loi ».
- Elle en déduit que, « eu égard à l'ensemble de ces éléments, Mme Beaufils
est fondée à soutenir que la carence de l'Etat dans ce domaine a été
constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité, sans que
l'administration puisse utilement se prévaloir de l'insuffisance des structures
d'accueil existantes ou du fait que des allocations compensatoires sont allouées
aux parents d'enfants handicapés, celles-ci visant seulement à aider les parents
à assumer les charges particulières liées à l'éducation d'un enfant handicapé et
n'ayant pas pour objet de compenser un défaut de prise en charge résultant de
la carence de l'Etat (…) »
2. En second lieu, les préjudices sont évalués à plus de 100.000 euros.
La Cour administrative d’appel indemnise Mme Beaufils et Geoffrey pour quatre
préjudices :
- Le préjudice moral de Geoffrey, indemnisé à hauteur de 50.000 euros.
- Le préjudice moral de Mme Beaufils, indemnisé à hauteur de 30.000 euros.
La Cour relève, sur ce point, que Mme Beaufils a élevé seule ses deux enfants
au cours de la période, et « s'est constamment heurtée aux insuffisances du
dispositif médico-social existant et à l'incapacité de la plupart des nombreux
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interlocuteurs auxquels elle s'est adressée à fournir une réponse adaptée aux
besoins spécifiques de son fils ».
- Le coût du recours à l’aide d’une tierce personne par Mme Beaufils ,
indemnisé à hauteur de 7 000 euros. Cette somme ne couvre que la période de
janvier 1999 à février 2000, Mme Beaufils ayant bénéficié du complément 3 à
compter de mars 2000.
Le préjudice résultant d’une perte de revenus, estimé à 18.500 euros. La
Cour retient notamment, sur ce point, que Mme Beaufils s'est trouvée contrainte
d'exercer ses fonctions à 75 % en 1999, puis à mi-temps en 2000 et 2001, et que
« les insuffisances dans une prise en charge adaptée de son fils faisaient obstacle à
ce qu'elle puisse continuer à exercer ses fonctions à temps plein ».
En revanche elle déboute Mme Beaufils de deux de ses demandes :
La réparation du préjudice résultant du défaut de versement du complément
3 est rejetée. A l’appui de ce rejet, la Cour estime que ce préjudice est déjà réparé
par le versement d’une somme destinée à réparer le recours à l’aide d’une tierce
personne, au titre duquel la Cour a déjà alloué 7.000 euros à Mme Beaufils.
La Cour refuse d’indemniser le préjudice résultant du passage du HLM à une
maison individuelle (l’absence de prise en charge de Geoffrey rendaitg pourtant
inévitable ce déménagement selon Mme Beaufils), elle refuse également
d’indemniser le fait, pour Mme Beaufils, d’avoir dû contracter des emprunts pour
financer les frais engendrés par l'embauche d'une tierce personne à domicile ou de
faire appel aux services d'un huissier pour délivrer une sommation interpellative à
l'institut médico-pédagogique " Les sapins . Selon la Cour, « ces divers frais ne
peuvent être regardés comme résultant de façon directe et certaine des
manquements qui peuvent être imputés à l'Etat dans le respect de ses obligations »
Enfin, la Cour a alloué à Mme Beaufils la somme de 3.000 euros au titre des frais
exposés dans le cadre de son action en justice.
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