Extrait : L`espérance Juive à l`heure de Jésus
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Extrait : L`espérance Juive à l`heure de Jésus
Pierre Grelot L'ESPÉRANCE JUIVE À L'HEURE DE JÉSUS Édition nouvelle revue et augmentée Collection «Jésus et Jésus-Christ» dirigée par Joseph DORÉ Institut Catholique de Paris n° 62 Desclée Nihil obstat Paris, le 9 octobre 1994 M . DUPUY Imprimatur Paris, le 10 octobre 1994 Père VIDAL, v.è. Coédition Desclée/Groupe Marne © Gedit S.A. Tournai et Groupe Marne, Paris, 1994 Dépôt légal: octobre 1994 ISBN: 2.7189-0645-6 Présentation 1. Abdiquons d'emblée toute fausse modestie: cet ouvrage n'a pas d'équivalent sous la forme qu'il s'est donnée, et sans nul doute P. G R E L O T était-il l'un des plus qualifiés pour le réaliser! On chercherait en vain, sur le marché français au moins, une étude de l'espérance juive à l'époque de Jésus qui à la fois se concentre sur la question du médiateur de salut (le « Messie ») et présente au lecteur l'essentiel des textes pertinents. L'auteur s'explique lui-même dans son Introduction sur les raisons qui l'ont conduit à faire le choix de procéder ainsi. Disons nettement et d'entrée de jeu que le premier mérite de son ouvrage est de venir combler heureusement une regrettable lacune. C'est depuis des décennies que P. Grelot cultive le champ où il a récolté la moisson engrangée dans son livre . La tâche était ardue: la littérature à mettre à contribution était abondante; des problèmes de critique textuelle, de datation, d'attribution, d'interprétation, etc., se posaient constamment. On admire la maîtrise et l'aisance avec lesquelles, dans un tel labyrinthe, l'auteur se fait notre guide. Et la série «Jésus et Jésus-Christ» est heureuse de pouvoir ainsi offrir à ses lecteurs, pour la réflexion théologique qui la définit, un instrument de travail d'une pareille qualité. ] 1. Il avait d é j à d o n n é u n p r e m i e r a p e r ç u d e ses r e c h e r c h e s e n la m a t i è r e d a n s u n e i m p o r t a n t e c o n t r i b u t i o n intitulée : « L e M e s s i e d a n s les A p o c r y p h e s d e l ' A n c i e n T e s t a m e n t », et p u b l i é e d a n s le v o l u m e collectif : La Venue du Messie, S o u r c e s B i b l i q u e s VI, Bruges-Paris 1962, p . 19-50. 2. Il s'imposait qu'un tel instrument nous fût fourni. Il ne faut pas l'oublier en effet : c'est par la manière dont Jésus s'est situé lui-même et a été situé par d'autres à l'égard de Vespérance juive, qu'il est apparu dans sa spécificité qui le caractérise parmi tous les prophètes d'Israël ; c'est ainsi également que certains auditeurs ont estimé devoir récuser sa prétention, la taxant de blasphème, cependant que d'autres discernaient en lui «Celui qui devait venir». Certes, comme l'auteur a le souci de le rappeler, ladite espérance ne se réduisait pas à l'attente d'un médiateur de salut. Mais c'est un fait que la naissance du christianisme est liée à la conviction que Jésus représente d'abord l'exaucement de cette ligne précise de l'espérance juive. La concentration de la recherche sur ce point s'imposait donc, sans omettre cependant d'examiner tout ce dont il est effectivement solidaire et même indissociable. Le titre de l'ouvrage énonce bien sa perspective exacte. Non pas, d'une manière générale, «l'espérance juive au temps du Nouveau Testament»; non pas, d'une manière plus restrictive, «le médiateur de salut chez les Juifs du temps de Jésus». Mais: Lespérance juive à l'heure de Jésus. Ce qu'il s'agit de mettre à jour dans Vespérance juive, c'est très précisément comment elle éclaire la signification reconnue à Jésus lorsqu'il est confessé comme Christ, c'est-à-dire comme «le Messie». Mais inversement, c'est sur l'ensemble de l'attente qui a précédé son apparition en Israël et pas seulement sur les courants messianiques juifs, que l'identification de Jésus comme Christ jette une nouvelle lumière. Quant à «l'heure de Jésus», ce n'est pas seulement le temps de l'existence terrestre de Jésus de Nazareth: c'est aussi, en écho à la terminologie johannique, le moment où l'Église, la Pâque ayant pleinement dévoilé à ses yeux le mystère de Jésus, en vient à l'annoncer comme le Messie et Fils de Dieu. 3. La première difficulté à laquelle s'affrontait une telle enquête était la suivante : la masse des écrits à traiter - ceux qui s'insèrent entre les derniers textes de l'Ancien Testament et la constitution du Nouveau - souffrait à la fois d'un excès et d'un défaut. Excès, non pas tant de documents que de courants d'orientations, d'un côté. Et défaut, d'autre part, d'attestations directes ou de notions précises pour telle tranche de temps ou tel milieu déterminés. Qu'on se rassure cependant! L'enquête est menée de telle sorte que l'auteur peut nous donner une garantie: «ses grandes lignes sont assurées grâce à des textes essentiels qui donnent des points de repère solides.» Et les rapprochements qu'il est possible d'effectuer entre les différents témoins consultés et étudiés, donnent «une idée assez précise du messianisme et de l'eschatologie qui avaient cours dans les milieux (juifs) du I siècle (... et) montrent un fond commun à Varrière-plan du Nouveau Testament ». er 4. On se gardera d'anticiper ici sur les conclusions lumineuses et détaillées formulées par l'auteur dans le bilan substantiel qui termine son ouvrage. On voudrait seulement, d'un mot, signaler la question capitale que soulèvent les résultats finalement obtenus. C'est en confessant Jésus comme le Christ et donc en le présentant comme l'exaucement de la ligne proprement messianique de l'espérance juive, que le christianisme s'est affirmé comme «accomplissement» et comme dépassement du Judaïsme, et qu'il est parvenu à se faire reconnaître pour tel. Or cette donnée historique apparaît, pour le moins, doublement problématique ! Pour une raison d'abord qui se découvrira clairement à tout lecteur de cet ouvrage: si, à l'époque de Jésus, «l'attente messianique est (à certaines nuances importantes près) partout vive», «le messianisme proprement dit n'occupait (pourtant) qu'un espace restreint dans l'eschatologie juive». Et ensuite, parce qu'il est de fait que Jésus lui-même a constamment fait preuve de la plus expresse réserve à l'égard de toute désignation de lui comme Messie, ce que l'on comprend bien lorsqu'une étude comme celle-ci a révélé les conceptions que se faisaient de l'Oint de Yahwé les cercles qui, au I siècle, lui faisaient effectivement place dans leur espérance. S'il en va ainsi, une question s'impose - à laquelle on peut donner plusieurs formulations pour en mieux faire percevoir la portée - , dans la ligne même des résultats les plus assurés de cet ouvrage: Sous quelle pression les chrétiens de la première génération ont-ils précisé leur attente du Règne de Dieu, commune à tous les Juifs et placée au centre de l'Évangile par Jésus lui-même, en mettant l'accent sur un messianisme radicalement transformé ? Pour quelle raison en sontils venus à synthétiser leur espérance dans un titre qui, accolé au nom er de Jésus de Nazareth, a fini par y être systématiquement associé, sous la forme : Jésus Christ ? Pourquoi la première prédication chrétienne n'a-t-elle cru pouvoir garder sa fidélité à Jésus qu'en le désignant d'une manière qui avait suscité, sinon son refus, du moins ses réserves (Christ = Messie)? Comment, au-delà de cette désignation privilégiée de Jésus pour décrire sa fonction médiatrice et désigner son être même, a-t-elle opéré la synthèse de divers titres empruntés à plusieurs lignes de pensée qui, dans le Judaïsme même, ne semblaient pas jusque-là convergentes : Jésus Seigneur, (Jésus Messie), Jésus Prophète, Jésus Serviteur de Dieu, Jésus Fils de l'Homme, Jésus Fils de Dieu... en attendant Jésus Parole - Verbe de Dieu ? De quelle manière la première Église chrétienne est-elle parvenue à se faire reconnaître par une minorité active de Juifs et, à plus forte raison, par des hommes d'origine païenne, comme l'héritière authentique d'une espérance que pourtant elle «déplaçait», et comme le lieu effectif de son exaucement? Affronter ces problèmes auxquels, on le verra, la présente enquête donne une acuité sans égale, représente évidemment l'une des tâches essentielles de la recherche christologique à poursuivre dans la ligne ici inaugurée. Les dernières pages de l'ouvrage le montrent avec une netteté convaincante . 2 3 5. Ce n'est pas en se contentant de faire allusion et renvoi aux textes quelle exploite, mais en les présentant, que cette enquête produit ses résultats. L'auteur, on a plaisir à le souligner, a travaillé de première main, traduisant ses documents (originaux et versions), suivant les cas, de 2. P o u r le r e t e n t i s s e m e n t d ' u n tel q u e s t i o n n e m e n t sur u n e p r o b l é m a t i q u e c h r i s t o l o g i q u e d ' e n s e m b l e , o n se p e r m e t d e r e n v o y e r à la p r é s e n t a t i o n faite d e la série « J é s u s et J é s u s - C h r i s t » , e n P o s t - s c r i p t u m à l ' o u v r a g e d e J . M . L o c h m a n , Christ ou Promé- thée ?, s p é c i a l e m e n t a u x p o i n t s 3 et 6. 3 . D e u x o u v r a g e s a u m o i n s d e la m ê m e série « J é s u s et J é s u s - C h r i s t » , q u i se situent r e s p e c t i v e m e n t e n a m o n t et e n a v a l d e la p r é s e n t e e n q u ê t e , c o n t r i b u e n t p o u r l e u r p a r t à d o c u m e n t e r e n c o r e le d o s s i e r ici o u v e r t : l ' u n d e H . C a z e l l e s , Le Messie de la Bible, é t u d i e les o r i g i n e s et le d é p l o i e m e n t d e l ' e s p é r a n c e m e s s i a n i q u e d a n s l ' A n c i e n T e s t a m e n t ; l ' a u t r e , d e C h . P e r r o t , Jésus et l'histoire, se d o n n e p o u r objectif d ' é t u d i e r c e q u ' o n t p u être le c o m p o r t e m e n t et les p r i s e s d e p o s i t i o n d e J é s u s l u i - m ê m e à l ' é g a r d d e la foi et d e s e s p é r a n c e s d e s o n p e u p l e . l'hébreu, de l'araméen, du syriaque, de l'éthiopien, du grec... ou du latin ! Ainsi le professeur à l'École des Langues Orientales Anciennes est-il venu, en l'occurrence, prêter main forte au spécialiste des origines chrétiennes qui a ici la parole. L'exigence scientifique sera satisfaite, surtout dans les notes : on y trouvera les justifications des positions adoptées ainsi qu'un appui bibliographique largement suffisant. Mais on voudrait insister aussi sur l'intérêt qu'il y a à voir mettre à la portée d'un large public les éléments d'un véritable dossier: n'a-t-on pas trop dit à trop de gens qu'ils avaient droit à la parole - sans véritablement mettre à leur disposition les moyens de la prendre? Dans le domaine qu'il convie à examiner, cet ouvrage fournira du moins à qui le voudra la possibilité de se faire par lui-même une idée précise : sur pièces ! Cela dit, le fait qu'avant de présenter les textes qu'il retient, l'auteur prenne la peine de les situer avec précision dans leur contexte historicopolitique et socio-culturel, donne à son travail une portée sur laquelle il convient, pour clore, d'attirer aussi l'attention. L'intérêt d'une telle façon de procéder n'est pas seulement d'ordre informatif ou scientifique : il est, proprement, de l'ordre de la foi et de la théologie. Ainsi s'inscrit en effet dans la méthode et l'exposé eux-mêmes un considérant de toute première importance : ce n'est qu'en tant que situés dans l'effectivité de l'histoire qui les a produits, que ces textes ont parlé d'espérance. Il faut retenir la leçon: ce n'est qu'à la condition de les lire, nous aussi, à partir de et dans notre propre histoire que, de l'espérance toujours à exaucer, ces mêmes textes peuvent encore nous parler. Dans la lecture croyante que, si magistralement introduits à leurs arcanes, il ne tient qu'à nous maintenant d'en produire. Pour notre propre «Aujourd'hui» de chercheurs de Dieu, toujours en mal d'espérance. J. D O R É Paris, le 2 juin 1978 Pour la deuxième édition 1. La première édition de ce livre a été rapidement épuisée, et entretemps de nouvelles études ont paru, en plusieurs langues, sur les textes qu'elle citait. Plus ou moins étendus, de nouveaux fragments de textes de Qumrân ont été publiés. Notamment par l'attestation explicite du thème de la résurrection des justes, ils ont conduit à modifier sensiblement la conception que l'on se faisait de l'espérance dans la Communauté essénienne. Parallèlement, exégètes et historiens ont manifesté un intérêt accru pour les Pseudépigraphes juifs et pour les Targoums. 2. La deuxième édition de ce livre bénéficie heureusement de tous ces travaux. En particulier, au lieu de citer et de commenter cent un textes, elle en traduit et en présente maintenant cent trente-sept. Elle donne ainsi aux lecteurs une idée des découvertes faites, et elle les met au courant des progrès accomplis dans l'étude du Judaïsme ancien. Ce faisant, elle fournit des éléments précieux pour un discernement devenu d'autant plus nécessaire que, concernant Jésus et les origines de la foi chrétienne, se sont multipliés, comme l'on sait, les ouvrages de vulgarisation qui accumulent les approximations tantôt pour nourrir une polémique anti-chrétienne renouvelée, tantôt pour mettre en avant un fondamentalisme qui n'a rien de chrétien. On sait d'autre part que les relations entre le Judaïsme et la foi chrétienne se sont bien éclaircies et améliorées durant ces dernières années. Raison de plus pour souhaiter que cette édition nouvelle, revue et augmentée, d'un ouvrage que son premier succès a déjà largement recommandé, contribue aussi, pour sa part, à l'entretien et à l'avancée d'un dialogue qu'appelle de soi la reconnaissance de Jésus le Juif comme Messie des hommes et Christ de Dieu. Joseph D O R É Paris, le 26 septembre 1994 Liste des abréviations utilisées Les sigles employés pour les livres de la Bible sont ceux de la Bible de Jérusalem, identiques à ceux de la Traduction œcuménique sauf pour Isaïe (BJ) = Esaïe (TOB). Pour les Apocryphes (ou Pseudépigraphes) de PA.T., on trouvera: 1 Hen = 1 Hénoch (éthiopien, grec et original araméen) ; PsSal = Psaumes de Salomon; 2 Ba = 2 Baruch (syriaque); 4 Esd = 4 livre d'Esdras; LAB, Livre des Antiquités Bibliques (ou Pseudo-Philon). Les textes de Qumrân, distingués par les grottes dont ils proviennent (1 Q, 2 Q, etc.), sont désignés par des sigles dont on trouvera la liste dans le chapitre II, note 1 (p. 106). Le sigle particulier du «Document de Damas» est CDC (abréviation anglaise). Le sigle Tg indique les Targoums. L'explication des sigles particuliers (TP, TJ, TJ \ TJ , N, Ngl, PsJon) est donnée dans le chapitre IX. Les ouvrages rabbiniques sont indiqués en toutes lettres, sauf pour jT (Talmud de Jérusalem) et bT (Talmud de Babylone). Pour respecter l'usage juif, le nom divin YHWH n'est jamais vocalisé (lire en français: Yahwé). Le sigle LXX désigne la version grecque des Septante. Dans les noms propres juifs, Yohanan b. Zakkaï se lit : Yohanan ben (= fils de) Zakkaï. La transcription française des noms hébraïques est le plus souvent approximative et assez conventionnelle, car aucune règle n'est vraiment fixée. Le 'aleph est parfois indiqué (Tannâ'îm), le 'aïn l'est rarement, le heth est le plus souvent rendu par un h non pointé, le çadé est indiqué par le ç dans le cours d'un mot et par le S non pointé en tête d'un mot. Il a fallu tenir compte des nécessités typographiques. e 2 Les abréviations utilisées pour les revues et les collections se réduisent aux suivantes: ANRW ATD CAT CBQ DJD EB ICC JSHRZ KAT LD NTS RB SB SC DBS VT Aufstieg mit Niedergang der rômischen Welt, Berlin Das Alte Testament Deutsch, Gôttingen Commentaire de l'Ancien Testament, Neuchâtel-Paris Catholic Biblical Quaterly, Washington Discoveries in the Judaean Désert, Oxford Études Bibliques, Paris International Critical Commentary, Edimbourg Judische Schriften aus hellenistisch-rômischer Zeit Kommentar zum Alten Testament, Gutersloh Lectio Divina, Paris New Testament Studies, Cambridge Revue Biblique, Paris Sources bibliques, Paris Sources chrétiennes, Paris Supplément du Dictionnaire de la Bible, Paris Vêtus Testamentum, Leyde Pour les textes rabbiniques, on a les abréviations suivantes : bT jT Talmud de Babylone (suivi du titre du traité, avec la pagination des éditions classiques) Talmud de Jérusalem (ou Yeroushalmi), avec la munérotation du traité Pour les Targoums: TO TJ Targoum d'Onqelos Targoum Yeroushalmi TJ = TJ du Pseudo-Jonathan TJ = TJ fragmentaire N = Manuscrit Neofiti I du TJ Targoum (pour celui des Prophètes et des Psaumes) 1 2 Tg Introduction 1. Objet de la présente enquête Il est impossible de comprendre la physionomie historique de Jésus de Nazareth sans examiner d'abord le fond sur lequel elle se détache : celui de l'espérance juive. Façonné dans toute sa personnalité par le milieu au sein duquel il était né, Jésus l'a d'abord prise en charge pour la transformer de l'intérieur, non en la contredisant, mais en poussant à la limite certaines de ses virtualités latentes. Ensuite, il est devenu lui-même le centre d'une nouvelle forme d'espérance, qui relayait l'espérance juive en proclamant son «accomplissement». L'étude directe de ces deux faits capitaux doit être entreprise pour elle-même, sur la base de la lecture critique du Nouveau Testament. Mais pour réaliser l'opération, il faut avoir présent à l'esprit le cadre culturel et religieux dans lequel Jésus a vécu et où l'espérance chrétienne s'est d'abord affirmée. En effet, à ces deux niveaux de l'histoire, le langage même de l'espérance a été emprunté au Judaïsme, en totalité dans le cas de Jésus et pour les neuf dixièmes dans le christianisme primitif. Encore faut-il faire un tri parmi les thèmes de l'espérance juive, car tous n'ont pas été repris au même titre dans le Nouveau Testament. En gros, on peut y discerner deux pôles : les uns tournent autour du Règne de Dieu et des biens qu'il apporte aux hommes en réalisant leur salut ; les autres touchent au problème posé par la réalisation de ce salut, et, plus précisément, par celui qui en sera le médiateur. Au niveau de l'Église primitive, un texte des Actes des apôtres peut servir à fixer les idées. Il est dit de Philippe, un des Sept qui furent mis à la tête des chrétiens «hellénistes», qu'il annonçait «l'Évangile du Royaume de Dieu et du nom de Jésus Christ» (Ac 8, 12). L'Évangile suppose donc que le Règne de Dieu est déjà advenu, inauguré par Jésus comme un événement historique; mais du même coup, Jésus en est présenté comme le médiateur en tant que Christ, c'est-à-dire Messie d'Israël. Il faut toutefois ajouter une précision qui figure dans le discours de Pierre au jour de la Pentecôte. Après avoir évoqué la mise à mort de Jésus et attesté que «Dieu l'a ressuscité» (Ac 2, 23-24), Pierre clôt son discours en proclamant que, par cette résurrection, «Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié» (2,36). La résurrection des morts était liée au Règne de Dieu dans l'espérance juive. Or l'annonce de l'Évangile à l'époque apostolique l'intègre à la présentation de Jésus comme Messie d'Israël. Si l'on se réfère au niveau de Jésus, la Bonne Nouvelle du salut promis dans les Écritures est centrée sur un seul objet : « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu s'est approché: repentez-vous et croyez à l'Évangile» (Me 1,15). On voit d'emblée que, d'un niveau à l'autre, le problème s'est déplacé, ou plutôt, une précision capitale est intervenue : celle du rôle de Jésus dans l'accomplissement des promesses prophétiques. C'est donc la question du médiateur de salut qu'il faut examiner ici, en prenant pour point de départ les titres essentiels que le Judaïsme du temps lui attribuait. On est transporté du même coup au cœur de la théologie du Nouveau Testament, puisque celui-ci a emprunté pour la plus large part au Judaïsme les titres par lesquels il a défini la fonction médiatrice de Jésus. Le titre central autour duquel s'est opérée la synthèse finale est, à ce point de vue, celui de Christ, traduction littérale du mot hébreu ou araméen « Messie », que le I V évangile se contente parfois de transcrire en grec sous la forme Messias (Jn 1,42 ; 4,25). Le sens de ce terme, « Oint », renvoie avant tout à V onction royale du descendant de David attendu par les Juifs, bien qu'il puisse avoir aussi une connotation prophétique (cf. Le 4,18, citant Is 61,1). Plusieurs autres titres gravitent dans son orbite. Si Dieu, en ressuscitant Jésus, « l ' a fait Seigneur et Christ» (Ac 2,36), c'est que le titre de Seigneur est un titre royal. On ne peut oublier à ce propos la discussion qui, d'après les évangiles synoptiques, mit e Jésus aux prises avec les scribes juifs. On lit dans le Psaume 110,1 : « Le Seigneur (= Dieu) a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite. » La question se pose donc : « Si David lui-même l'appelle Seigneur, comment peutil être son fils ? » (Me 12,35-37 et par.). Même le titre de Fils de Dieu, accolé à celui de Messie pour fournir le titre de l'évangile selon S. Marc (Me 1,1), central dans toute annonce évangélique (par exemple, Ac 8,37 et 9,20), n'est pas sans relation avec les Écritures qui se rapportent au Messie fils de David. Comme disent encore les Actes des Apôtres, si Dieu a accompli ses promesses en Jésus, c'est qu'en le ressuscitant il a réalisé ce que disait le Psaume : « Le Seigneur m'a dit : Tu es mon Fils ; moi-même aujourd'hui je t'ai engendré » (Ac 13,32-33, citant le Ps 2,7). Cela n'empêche aucunement que Jésus ait pu avoir lui-même une « conscience filiale » qui traduisait son mode original de relation à Dieu. Mais l'application que les Actes lui font du Psaume 2,7 montre qu'en qualité de Fils, il a rempli pour Israël la fonction de Messie royal. Il importe donc de savoir quelle idée les Juifs de son temps se faisaient de cette fonction, car l'emploi chrétien du titre de Fils n'a pas exactement la même résonance que celle qu'on pressent dans les textes bibliques ou juifs. A côté du messianisme royal, il faut aussi tenir compte des autres représentations de la fonction médiatrice qui, sur la base des Écritures, flottaient dans les esprits au temps de Jésus. Il est vrai que certains textes sont extrêmement discrets sur ce point. De même que dans plus d'un livre biblique, on y trouve des tableaux «eschatologiques», c'està-dire relatifs au terme du dessein de Dieu, où aucune figure de médiateur ne prend place. L'habitude s'est prise de parler à ce propos d'un «messianisme sans Messie»; mais l'expression est contradictoire dans les termes. Il faut constater simplement que le messianisme proprement dit n'occupait qu'un espace restreint dans l'eschatologie juive. Il est donc important de voir comment, dans l'ensemble des textes, se présentait le tableau du salut: qu'en attendait-on? Quels étaient les traits généraux de l'espérance individuelle et collective? On trouve en effet des textes où l'espérance s'attache à des figures médiatrices assez différentes du messianisme royal. Dans un courant d'appartenance lévitique, on voit ainsi s'ébaucher l'image d'un Messie sacerdotal, représenté sur le modèle du grandprêtre consacré par l'onction : ne serait-ce pas à cette image que l'épître aux Hébreux opposerait le «sacerdoce royal» de Jésus, non point fondé sur son appartenance à la descendance aaronide (cf. He 8,4), mais sur sa filiation divine (He 5,5, citant le Ps 2,7)? La figure du Prophète eschatologique est plus évanescente : dans les textes où elle apparaît, elle est d'ailleurs toujours subordonnée à celle(s) du (ou des) Messie(s). Quant à l'expression Fils de VHomme, si importante dans les quatre évangiles (et dans Ac 7,56; Ap 1,13-16; 14,14), elle pose des problèmes beaucoup plus difficiles. Depuis le texte de Dn 7,1314, où le «Fils d'homme» paraît pour la première fois, était-ce dans le Judaïsme un titre fonctionnel, messianique ou non? Faut-il y voir un médiateur de salut transcendant, auquel Jésus aurait pu s'identifier intentionnellement ? Existe-t-il des textes antérieurs à lui ou aux apôtres qui auraient spéculé sur cette représentation typiquement apocalyptique? Tous ces points exigent des enquêtes précises. 2. Nécessité dune enquête historique Le lecteur ingénu du Nouveau Testament peut être tenté de réduire l'objet de ces enquêtes à quelques questions simples : Quelle idée les Juifs avaient-ils alors du Messie : Messie purement humain ou Messie transcendant? Quelle idée auraient-ils dû s'en faire, s'ils avaient correctement compris les textes de l'Ecriture? Jésus a-t-il réalisé dans sa vie, sa mort et sa résurrection ce que ces textes disaient du Messie ? Et s'il est vrai qu'il l'a fait, comme l'assure le Nouveau Testament, l'incrédulité de ses contemporains ne montre-t-elle pas qu'ils avaient indûment rabaissé l'attente messianique, en raison de leurs préoccupations politiques ou de leurs préjugés légalistes? L'échec humain de Jésus, compensé par le succès de la foi dont il devint ensuite l'objet, n'a-t-il pas eu pour cause l'effort qu'il fit pour ramener à sa pureté la compréhension des Ecritures prophétiques ? Cet enchaînement de réflexions simplifie considérablement le problème, car il finit par voiler ce que la personnalité de Jésus pouvait avoir de nouveau et de déroutant pour ses contemporains, même les plus attentifs aux résonances spirituelles des Écritures. Fixé depuis longtemps dans le cadre de la controverse entre Juifs et chrétiens, il a pu avoir une réelle validité, tant que cette controverse se déroula sur un terrain culturel commun où les deux parties abordaient de la même façon les textes scripturaires pour en élucider le sens. C'était le cas au I I siècle, lorsque Justin, dans son Dialogue avec Tryphon, e mettait en forme littéraire, entre 150 et 165, des discussions qui avaient pu l'opposer à un docteur juif, vers 135, à Éphèse ou à Rome; ou encore lorsque Méliton de Sardes, entre 160 et 165, interpellait dramatiquement Israël à la fin de son Homélie pascale en transposant d'une façon figurative ses expériences nationales. Ensuite, le transfert des mêmes argumentations dans le domaine culturel grec et latin tendit à durcir la « preuve par l'accomplissement des Écritures » en constatation des «prédictions réalisées», tout en modifiant notablement la façon d'en interpréter les textes. Or, plus le temps coula, et plus ce durcissement tendit à s'accroître. Il rendit l'apologétique de plus en plus inadéquate, surtout lorsque la critique historique souleva de nouveaux problèmes au sujet du Judaïsme ancien, de Jésus et des origines chrétiennes. Ce n'est pas ici le lieu pour examiner ces problèmes eux-mêmes; mais il importe avant tout de fournir des matériaux solides pour les poser correctement. En effet, la réflexion dogmatique elle-même ne peut échapper, en christologie, à certaines questions cruciales où la relation de Jésus au Judaïsme est profondément engagée : Jésus avaitil une «conscience messianique» et s'est-il proclamé Messie d'Israël? ou bien cette interprétation de sa personne et de ses actes est-elle attribuable à des disciples qui l'auraient élaborée après sa mort? L'expression «Fils de l'Homme» a-t-elle dans sa bouche un sens banal, ou bien l'a-t-il employée comme un titre, et si oui, en quel sens ? ou bien s'agit-il encore d'une présentation de style apocalyptique qui fut projetée sur lui après coup dans le christianisme primitif? La tradition juive connaissait-elle le thème d'un Messie souffrant? et si non, comment interprétait-elle les textes sur lesquels l'Église primitive s'est fondée pour donner un sens à la mort de Jésus? Plus encore, Jésus s'est-il cru, et s'est-il dit, Fils de Dieu en un sens transcendant? ou bien cette appellation lui a-t-elle été donnée pour traduire la haute conception que les premiers croyants se sont faite de lui au contact du paganisme hellénistique?... Toutes ces questions ne peuvent être éludées comme manquant de pertinence. Bien plus, c'est le dogme même de l'incarnation qui oblige à les examiner de près. En effet, il pose en principe que Jésus eut une insertion réelle dans l'histoire de son temps, de son milieu natal, de sa culture, de la foi juive. Pour pouvoir confesser la foi en Jésus Messie et Fils de Dieu, au sens où l'entendit la tradition apostolique attestée dans le Nouveau Testament, le théologien chrétien doit donc préciser la façon dont, historiquement, cette foi trouva un langage adéquat: le «langage référentiel» qui sert de régulation ultime pour toute élaboration théologique sérieuse. Ainsi la théologie elle-même invite à prendre en compte les enquêtes menées à l'aide de la méthode historique, pour éclairer les textes sur lesquels elle entend se fonder. Sans cet appui critique, elle serait installée en porte-à-faux en face de son objet et en face des textes qui le lui font connaître. 3. Les difficultés de l'enquête L'étude de l'espérance juive à l'époque du Nouveau Testament prend exactement place dans ce cadre. Mais au moment de l'entreprendre, il faut évaluer exactement les obstacles à franchir. Si l'on parle de l'espérance qui animait le Judaïsme, on est porté à demander aussitôt : Quel Judaïsme ? En effet, avant que le courant pharisien de tradition hillélite ne prît en charge l'institution juive pour en assurer la survie après la ruine du Temple (70 de notre ère), existait-il un Judaïsme qu'on pourrait qualifier d'«orthodoxe» et qui aurait eu, en matière d'eschatologie et de messianisme, des croyances uniformes et fixées ? La pluralité des partis religieux ne se manifestait-elle pas justement sur ce point précis, par une efflorescence de conceptions diversifiées où s'entrecroisaient des tendances contradictoires? Les représentations traditionnelles du Messie royal, du Messie sacerdotal, du Prophète eschatologique, du Fils d'Homme annoncé par le livre de Daniel, la croyance en une survie et à la récompense des individus après la mort en fonction de leurs actes, l'attente d'une résurrection des justes ou de tous les hommes, avaient-elles le même crédit dans tous les esprits? Le Judaïsme de la Diaspora était-il traversé par les mêmes courants de pensée - et les mêmes accès de fièvre - que le Judaïsme palestinien? Faut-il taxer d'hétérodoxe ou de sectaire tout ce qui ne se ramènerait pas aux croyances admises après 70 dans les milieux rabbiniques ? Quels textes permettent de construire le tableau exact de ce milieu fluctuant, que la catastrophe nationale de 70 tendit à réduire à une seule de ses composantes? L'historien doit reconnaître ici la difficulté de sa tâche. Il est vrai que des découvertes récentes lui ont apporté des documents nouveaux dont l'étude a renouvelé son approche des documents anciens. Par exemple, les textes de Qumrân ont versé dans ses dossiers des textes qui lui donnent une connaissance directe de l'Essénisme, bien plus précise que les notices de seconde main venues de Flavius Josèphe, de Pline l'Ancien, de Philon (pour le courant apparenté des Thérapeutes) ou d'Hippolyte. Il doit donc en user sagement, sans céder à une « fièvre qumrânienne » qui lui masquerait les autres aspects du Judaïsme et lui ferait regarder trop vite le christianisme comme «un Essénisme qui a réussi» (Renan). Mais comment faire pour parler avec pertinence du Pharisaïsme contemporain de Jésus, alors que, mis à part un recueil pseudépigraphique (les Psaumes de Salomon), la documentation utilisable provient d'ouvrages plus tardifs (comme les Apocalypses d'Esdras et de Baruch) ou des recueils de traditions rabbiniques datant, au mieux, de la fin du I I siècle? Sans doute les recueils en question contiennent-ils des sentences attribuées à des docteurs anciens, qui ont toutes chances d'être substantiellement authentiques. Malheureusement, sur le point précis du messianisme, il n'en existe aucune qui soit attribuée à un docteur contemporain de Jésus et des apôtres et qui énonce une vue positive sur le Messie ou sur le Fils de l'Homme. Peut-être faut-il admettre que les traducteurs de la Bible grecque, au I I I ou au I I siècle avant notre ère, interprétaient déjà dans une perspective messianique les textes royaux, notamment les Psaumes, qui n'avaient plus guère de sens autrement depuis que la dynastie de David était entrée dans l'ombre. Mais comment le prouver, à moins que les textes n'en présentent des indices certains? Sera-t-on plus heureux en faisant appel aux Targoums, nés en marge de la lecture synagogale des Ecritures? De fait, la découverte (1956) du Codex Neofiti 1 de la Bibliothèque vaticane, qui contient sous une forme complète le Targoum palestinien du Pentateuque, a introduit un élément nouveau dans l'étude de ce secteur et provoqué un regain d'intérêt pour les traditions qu'il conserve: on a vu se multiplier depuis lors les études sur les rapports entre les Targoums et le Nouveau Testament. Mais comment faire pour apprécier exactement la date des traditions targoumiques, l'époque de leur fixation littéraire, le temps où elles furent recueillies d'une façon continue? Quelle est la situation relative de ce Targoum du Pentateuque et des autres, qui portent sur le Pentateuque (Targoum d'Onqelos, devenu officiel à l'époque talmudique), sur les Prophètes (Targoum de Jonathan), sur les autres écrits (sauf Daniel, Esdras et Néhémie)? Plusieurs sont sûrement tardifs, e e e mais certains de leurs matériaux peuvent être anciens. On en est encore au stade des discussions critiques. Que dire, si l'on passe aux Pseudépigraphes juifs écrits en marge de l'Ancien Testament, hormis ceux que les manuscrits de Qumrân font désormais connaître de façon directe? Comme leur traduction grecque, conservée par des mains chrétiennes et parfois dans des versions secondaires, a pu être éventuellement retouchée en cours de route, et comme des auteurs chrétiens ont pu compléter aussi les productions juives en mettant des compositions de leur crû sous les mêmes noms prestigieux (Hénoch, Isaïe, Esdras, Élie, les Patriarches... ou les Sibylles), il faut être prudent avant d'attribuer à des Juifs certaines conceptions théologiques qui figurent dans leurs textes actuels, transmis par des mains chrétiennes, car elles pourraient provenir de rédacteurs ou de glossateurs qui connaissaient le Nouveau Testament: plus encore que leur espérance eschatologique individuelle ou collective, leur messianisme, théoriquement juif, serait alors un démarquage de la christologie. Sans compter que le Judaïsme de langue grecque ne doit pas être oublié, puisque c'est d'abord dans sa Diaspora que les églises chrétiennes sont nées. Telle est la situation de départ pour l'enquête entreprise ici. On peut dire néanmoins que ses grandes lignes sont assurées, grâce à des textes essentiels qui donnent des points de repère sérieux. En outre, le Nouveau Testament lui-même peut être interrogé comme un témoin latéral des croyances populaires qui avaient cours en milieu juif ou des discussions entre docteurs sur les textes de l'Écriture, quand il y fait directement allusion. Enfin Flavius Josèphe fournit une documentation importante sur les partis religieux au I siècle: si son point de vue personnel le rend suspect de partialité, il reste le témoin essentiel qui fait connaître le cadre historique dans lequel Jésus puis l'Église primitive ont vécu. Mais de quelle manière dépeint-il ce qui fait l'objet de l'enquête présente: l'espérance juive? Pouvait-il parler librement du messianisme en songeant à ses lecteurs romains, après une guerre où l'agitation juive avait plus ou moins dépendu de ce thème? La façon dont il décrit l'espérance de la vie éternelle chez les Esséniens ne la rapproche-t-elle pas intentionnellement des conceptions grécoromaines, en vue d'une certaine captatio benevolentiael Il subsistera toujours une part d'hypothèse impossible à réduire, aussi bien pour placer certains textes juifs dans un temps et un milieu e r précis, que pour les relier entre eux lorsqu'aucun texte intermédiaire ne fournit une documentation directe. C'est justement le cas pour le milieu pharisien au temps de Jésus. 4. Dessein et méthode de V enquête Précisons maintenant en quelques mots la méthode adoptée ici. L'exposé synthétique des croyances juives au temps de Jésus, soit dans une perspective générale, soit sur le point particulier de l'eschatologie et du messianisme, a été fait plus d'une fois ; mais il est généralement dissocié des textes qui le fondent. Ces textes existent bien ; mais il faut aller les chercher dans des éditions critiques ou des recueils savants qui ne sont pas à la portée de tout le monde. En outre, de tels ouvrages reproduisent généralement les livres juifs de façon intégrale en les annotant; mais ils ne sélectionnent pas les textes relatifs à tel ou tel secteur théologique. Sans compter que la plupart d'entre eux doivent être cherchés dans des traductions allemandes ou anglaises, la langue française étant assez mal fournie dans ce domaine. Pour répondre au but poursuivi ici, il a paru nécessaire de joindre dans le même ouvrage l'exposé synthétique des idées et la sélection des textes, en respectant le déroulement de l'histoire dont il faut évoquer au moins les grandes lignes. Les paragraphes consacrés à l'histoire et aux croyances n'ont qu'une valeur d'introduction, car ce sont les textes qui doivent parler eux-mêmes. Mais ils parleraient peu s'ils n'étaient pas placés en bonne situation pour le faire. Parmi ceux qui seront cités ici, un grand nombre n'étaient pas traduits en français au moment où fut préparée la première édition du présent ouvrage, et quelques-uns n'avaient que des traductions trop mal assurées pour qu'on puisse faire fond sur elle. La situation actuelle est heureusement meilleure. Mais les problèmes relatifs à un grand nombre de ces textes ont été profondément renouvelés par des découvertes récentes. C'est le cas, par exemple, pour le livre des Jubilés, le Livre d'Hénoch, les Testaments des XII Patriarches, les Oracles sibyllins. Un grand recueil français a paru en 1987 dans la «Bibliothèque de la Pléiade». Nous ne pouvons pas l'ignorer. Néanmoins, dès la première édition de notre ouvrage, une option radicale avait été prise : tous les textes ont été traduits de première main, sur les originaux ou leurs versions anciennes, en tenant compte des indications critiques qui s'imposent en pareil cas. Il va de soi que nous avons tiré, sur ce point, le plus grand bénéfice des traductions et des travaux existants (en français, anglais, allemand, danois, italien, etc.). Mais nous avons pris le parti de ne nous attacher aveuglément à aucun d'eux. Malheureusement, le genre de l'ouvrage ne nous a pas permis de justifier longuement nos options par des discussions de détail qui auraient été trop longues et parfois fastidieuses. L'organisation de la matière occasionnait aussi une difficulté redoutable. Jésus étant au centre de l'enquête, l'absence de textes juifs exactement contemporains de sa vie constituait un obstacle réel. Mais c'est précisément elle qui nous a fourni un cadre de classement pour les textes utilisables : le problème n'est-il pas d'observer les continuités et les modifications dans les formes de l'espérance juive, du temps qui précéda Jésus à celui qui le suivit? - Une première partie examinera les livres et courants de pensée antérieurs au temps de Jésus et des apôtres. Après avoir pris acte de l'héritage du passé en matière d'espérance, on verra donc comment celle-ci s'est renouvelée durant la crise maccabéenne, en attendant que les courants piétistes se divisent en partis religieux différenciés (ch. 1). On examinera alors les formes de l'espérance dans le courant essénien (ch. 2), le courant pharisien (ch. 3) et la Diaspora grecque (ch. 4). - Une deuxième partie tentera de cerner les croyances juives au temps de Jésus et des apôtres en utilisant trois sources de renseignements. Quelques textes contemporains sont des témoins directs de l'espérance à cette époque (ch. 5). D'autre part, les croyances populaires peuvent être saisies à partir du témoignage indirect de Flavius Josèphe et du Nouveau Testament lui-même (ch. 6). Enfin le problème posé par les Paraboles d'Hénoch mérite une présentation spéciale, même si l'on renonce finalement à en placer la composition avant la mission de Jésus et la composition du Nouveau Testament (ch. 6). - La troisième partie reprendra l'étude du sujet après 70, d'abord dans les œuvres apocalyptiques (ch. 7), puis dans la lecture synagogale de l'Écriture attestée par les Targoums (ch. 8), enfin dans la tradition rabbinique (ch. 9). Tous ces textes peuvent conserver des traditions anciennes, bien qu'elles aient sûrement évolué avec le temps et qu'il ne faille pas les y chercher d'une façon littérale. - Il sera alors temps de revenir vers Jésus, pour voir sur quel arrière-plan se détachent sa prédication, ses attitudes, sa compréhen- sion de lui-même, le drame qui a occasionné sa mort, et finalement la foi qui s'est attachée à lui en le reconnaissant comme Messie et Fils de Dieu. La deuxième édition de l'ouvrage a bénéficié des travaux parus entre-temps. De nouveaux textes ont été ajoutés à l'ancienne liste, et les travaux parus sur les textes de Qumrân ont sensiblement modifié l'appréciation des croyances attribuées au courant essénien. C'est tout bénéfice pour la connaissance du milieu dans lequel Jésus a vécu et où l'Église chrétienne a pris son départ dans l'histoire. 25 décembre 1993 Table des matières Présentation Sommaire Liste des abréviations utilisées Introduction 5 13 15 17 PREMIÈRE PARTIE Le Judaïsme avant Jésus-Christ 1. L'espérance dans le Judaïsme en crise 31 I. L'héritage de la tradition et le courant moderniste .. 32 IL L'espérance juive dans le livre de Daniel 36 1. L a p i e r r e d é t a c h é e d e la m o n t a g n e et la v e n u e d u de Dieu III. IV. Règne 37 2. L ' i m a g e d u Fils d ' H o m m e 39 3. Les soixante-dix septénaires d'années 40 4 . L ' e s p é r a n c e finale 42 L'espérance dans les Apocalypses d'Hénoch 44 1. L e L i v r e d e s s o n g e s 45 2. L ' A p o c a l y p s e d e s s e m a i n e s 48 Le fractionnement des partis juifs 1. L a m o n t é e d e s A s m o n é e n s 2. L ' o p p o s i t i o n a u x A s m o n é e n s 50 51 53 2. L'espérance chez les Esséniens 62 I. Les Esséniens et la Communauté de Qumrân 62 IL La Règle de la Communauté et ses annexes 64 A. Une eschatologie terrestre 64 1. R è g l e d e la c o m m u n a u t é 64 2 . R è g l e d e la C o n g r é g a t i o n 65 3. Recueil des Bénédictions 66 B. Ouverture vers un «au-delà» III. IV. V. 68 2. H y m n e finale d e la R è g l e 69 Le Rouleau des Hymnes VIL 70 1. F i n d u m o n d e et salut d e s j u s t e s 70 2 . L a p e r s p e c t i v e d u salut 71 3. U n e espérance de résurrection 72 Deux apocryphes esséniens 73 1. L e livre d e s J u b i l é s 73 2 . L a lettre d ' H é n o c h 75 Le Document de Damas 1. L a V i s i t e d i v i n e 2. R è g l e s p o u r l ' o r g a n i s a t i o n d e la C o m m u n a u t é VI. 67 1. I n s t r u c t i o n sur les d e u x esprits Les commentaires de textes bibliques 78 79 81 82 1. P é s h e r d ' I s a i e 82 2 . C o m m e n t a i r e d e la B é n é d i c t i o n d e J a c o b 83 3. Extrait d ' u n Florilège biblique c o m m e n t é 84 4. Commentaire du P s a u m e 37 85 Textes eschatologiques divers 87 1. L ' a n n é e d e b i e n v e i l l a n c e d e M e l k i s é d è q 87 2. L ' A p o c a l y p s e du « F i l s de D i e u » 90 3. Fragment d ' u n e apocalypse messianique 92 VIII. La Règle de la Guerre 93 IX. 95 X. Les Testaments des Patriarches 1. T e s t a m e n t d e R u b e n 96 2. Testament de Siméon 97 3. Testament de Lévi 97 4. Testament de Juda 100 Eschatologie et messianisme des Esséniens 105 3. L'espérance chez les Pharisiens 115 I. La montée du parti pharisien 115 IL L'espérance dans les Psaumes de Salomon 118 III. 1. E s p é r a n c e d e s j u s t e s et m a l h e u r d e s p é c h e u r s 118 2. L ' e s p o i r d u g r a n d R e t o u r 119 3 . P r i è r e d a n s l ' é p r e u v e et attente d u Fils d e D a v i d 120 4 . L e P s a u m e d e S a l o m o n n ° 18 125 L'espérance des Pharisiens 125 Notes du chapitre 127 4. L'espérance dans la Diaspora grecque 129 I. Le Judaïsme hellénisé 129 II. L'espérance juive dans le cadre grec 131 1. L e l e g s d e la B i b l e g r e c q u e 2 . L e livre d e la S a g e s s e 3 . L e 4 livre d e s M a c c a b é e s e 4. Les Sentences de Phokylide III. Le livre 3 des Oracles Sibyllins 1. L a v e n u e d u P r i n c e p u r IV. •• 132 135 135 137 138 139 2 . L e roi m e s s i a n i q u e 140 3. Tableau du Jugement dernier 141 4 . L e salut d u p e u p l e d e D i e u 142 5. L a j o i e finale 143 Philon d'Alexandrie 144 1. L a fin d e s g u e r r e s 145 2. L ' i m m o r t a l i t é d e l ' â m e 147 Notes du chapitre — 148 DEUXIÈME PARTIE Au temps de Jésus et des Apôtres 5. Les témoins de l'espérance juive 155 I. Le Testament de Moïse 155 IL Le Livre des antiquités bibliques 158 1. L a p r o m e s s e d u m o n d e à v e n i r 159 2. L e c h o i x d e D a v i d 161 III. La prière synagogale 162 1. R e c e n s i o n p a l e s t i n i e n n e 163 2. Recension babylonienne 163 Notes du chapitre 165 6. Les croyances populaires et la position de Jésus I. IL Prophètes et prétendants royaux au I er siècle 170 2. La révolte d ' A t h r o n g è s 170 3 . J u d a s le G a u l a n i t e et s o n parti 172 4. A u temps des procurateurs 174 5. L e faux p r o p h è t e é g y p t i e n 175 6. L e p r o p h è t e s a m a r i t a i n 176 7. M e s s i a n i s m e et p o l i t i q u e 176 Dans l'entourage de Jésus 180 2. L'attente du Messie davidique 181 3. L'évasion apocalyptique 184 4 . L ' e s p é r a n c e d e la r é s u r r e c t i o n 185 Problèmes posés par le texte 1. P r o b l è m e s d ' u n i t é littéraire 2. Problèmes d'origine Textes relatifs à l'Élu de Dieu 1. L ' É l u a u m i l i e u d e s j u s t e s 2. L e rôle eschatologique de l'Élu III. IV. 179 1. L ' a t t e n t e d u P r o p h è t e e s c h a t o l o g i q u e 7. L'énigme des Paraboles d'Hénoch IL 168 1. J u d a s fils d ' É z é c h i a s Notes du chapitre I. 167 188 191 191 191 193 196 196 197 Textes relatifs au Fils de l'Homme 200 1. L ' E n - t ê t e d e s j o u r s et le Fils d ' H o m m e 200 2. L e « F i l s d ' H o m m e » e n f o n c t i o n d e J u g e 202 Les Paraboles d'Hénoch et le Nouveau Testament .. Notes du chapitre 204 206 TROISIÈME PARTIE L'espérance après la ruine de Jérusalem Introduction 8. Les dernières apocalypses juives I. IL III. L'Apocalypse d'Esdras III. IV. 218 219 2. L a v i s i o n d e T A i g l e et d u L i o n 221 3 . L a v i s i o n d e l ' H o m m e m o n t a n t d e la m e r 222 4 . L a d e s t i n é e d e s i n d i v i d u s et le petit n o m b r e d e s é l u s 226 L'Apocalypse de Baruch 228 1. A v è n e m e n t et r è g n e d u M e s s i e 229 2. L a v i s i o n d e la V i g n e et d e la F o r ê t 231 3 . L a v i s i o n d u n u a g e et d e s e a u x 232 Le livre 5 des Oracles sibyllins 235 1. L e s g u e r r e s d u M e s s i e 235 2. L a félicité m e s s i a n i q u e 236 9. La lecture synagogale de l'Écriture d'après les Targoums IL 217 1. L a v e n u e d u M e s s i e et le r e t o u r au P a r a d i s Notes du chapitre I. 211 La littérature targoumique 238 243 243 1. A l ' o r i g i n e d e s T a r g o u m s 244 2. L e s s o u r c e s à utiliser 245 Le Targoum «Yeroushalmi» du Pentateuque 247 1. L a v i c t o i r e d e s h o m m e s sur le S e r p e n t a u x j o u r s d u M e s s i e 248 2. L a d o c t r i n e d u J u g e m e n t et d u « m o n d e à v e n i r » 248 3. La bénédiction de Jacob à Juda 250 4 . L a d e r n i è r e nuit d u m o n d e 252 5. L e s o r a c l e s d e B a l a a m 253 6. L e T a r g o u m d u D e u t é r o n o m e 256 Le Targoum de Jonathan sur les Prophètes 256 1. L e T a r g o u m d ' I s a ï e 257 2. T a r g o u m d e s petits P r o p h è t e s 267 Le Targoum des Psaumes 271 1. I n t e r p r é t a t i o n h i s t o r i q u e s a n s M e s s i e 272 2. L e M e s s i e et l ' a s s e m b l é e d ' I s r a ë l 275 10. La tradition rabbinique 283 I. Pour un examen critique des sources 283 IL Les «douleurs du Messie» 286 1. T e x t e d e la M e k h i l t a III. 286 2. T e x t e d e la M i s h n a 287 3 . T e x t e recueilli p a r le T a l m u d d e B a b y l o n e 287 4. Textes d'époque talmudique 288 Titres et représentations du Messie 1. U n p r o b l è m e p o s é p a r d e u x t e x t e s d ' É c r i t u r e 289 289 2. L e M e s s i e : s o n n o m et s o n lieu d e n a i s s a n c e 290 3 . L e s q u a t r e e m p i r e s et la v e n u e d u M e s s i e 291 4 . L a d a t e d e la v e n u e d u M e s s i e 292 IV. Les témoignages de l'Écriture au sujet du Messie .. 294 V. La résurrection des morts 297 VI. Le retour d'Élie 298 Notes du chapitre Conclusion I. IL Les constantes de l'espérance juive 305 306 1. L ' a t t e n t e m e s s i a n i q u e 306 2 . L a fin d e l ' h i s t o i r e et l ' e s p é r a n c e j u i v e 310 Les éléments variables de l'espérance juive 1. L a différence e n t r e les c o u r a n t s et les p a r t i s III. 301 311 311 2 . L e m e s s i a n i s m e d a n s les p a r t i s j u i f s 313 3. L'attente du « m o n d e à venir» 316 Le problème des prises de position 1. L e p r o b l è m e p o s é à J é s u s 2. L e problème posé dans l'Église apostolique Notes de la conclusion Liste des textes traduits et commentés Index des références Index analytique 318 318 324 326 329 333 345 Tableaux chronologiques Rois séleucides de Syrie Les grands-prêtres juifs (jusqu'en 63 av. J.-C.) Dynastie hérodienne Gouverneurs romains de Judée et empereurs romains 35 52 169 171