`Deffence et illustration` du clavardage
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`Deffence et illustration` du clavardage
« Dis-moi où tu écris, et je te dirai comment » ‘Deffence et illustration’ du clavardage Rapport de recherche Janvier – novembre 2011 Dan Van Raemdonck Thylla Nève de Mévergnies Remerciements Avant toute chose, nous tenons à remercier tout particulièrement Kathy Huet et Bernard Harmegnies du service de Métrologie et Sciences du Langage de l’UMons pour leur précieuse analyse statistique des données obtenues dans le cadre de notre enquête quantitative. Merci également à Marie-Louise Moreau et { Anne Dister d’avoir relu attentivement notre questionnaire et de l’avoir très justement commenté. Nous remercions aussi tous les professeurs de rhétorique et de BA1 qui nous ont accordé un peu de leur temps de cours pour faire la promotion de notre enquête auprès des élèves et des étudiants afin d’obtenir un maximum de données, ainsi qu’aux secrétariats des différentes facultés de l’ULB et { Monique Tavernier pour la diffusion de notre annonce par courriel. Nos remerciements vont enfin et peut-être surtout aux élèves et étudiants qui ont accepté de consacrer du temps { la réponse aux questionnaires tant écrit qu’oral. Qu’ils soient tous chaleureusement remerciés. 2 Introduction L’usage, le bon usage et la norme Depuis Vaugelas (1647) et ses Remarques sur la langue françoise, l’enregistrement de l’usage s’est souvent mué en règlementation de celui-ci, et ce, sur la base de critères esthétiques, voire sociaux. L’usage décrit par Vaugelas repose sur « la façon de parler de la plus saine partie de la Cour conformément { la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps ». La grammaire scolaire, initiée par Lhomond en 1780, prend le relais de cette conception, et le Belge Maurice Grevisse, dans son Bon usage, y fait clairement référence, lorsqu’il en sous-titre certaines éditions : avec des remarques sur la langue française d’aujourd’hui. Le concept de norme est donc central en français. L'usage et la norme Lorsqu'on cherche à se représenter une langue donnée, on est souvent confronté à ce dilemme : faut-il représenter la langue telle qu'elle est parlée, ou faut-il la représenter telle qu'elle devrait être parlée si elle était bien parlée ? Cette question est fondamentale dans les premières grammaires qui ont été réalisées sur la plupart des langues. Aujourd'hui, la linguistique cherche à séparer la description scientifique d'une langue des préoccupations concernant sa norme. Cet objectif pose un problème de fond : où passe la frontière entre l'usage et la norme ? Aux origines de la notion de norme : une problématique socio-culturelle Dans l'histoire, la conscience de ce qu'est une langue est étroitement liée au développement de l'idée de norme. En France au XVIe siècle, il était bien difficile de dire ce qu'était le français. Quand les grammairiens ont commencé à s'intéresser à la manière dont parlaient les gens dans le royaume, ils n'ont trouvé qu'une marqueterie de dialectes, de patois, de technolectes, de sociolectes. L'idée qu'il existait une langue française s'est donc essentiellement construite au moyen de la notion de norme. Dans ses Remarques sur la langue française parues en 1647, Vaugelas propose d'aligner tout ce qui pourra être dit en matière de grammaire sur une variété de français parlé par, dit-il, « la plus saine partie de la Cour », à quoi il faudrait ajouter les œuvres de quelques grands écrivains choisis. C'est ce qu'il appelle le « bon usage ». On remarque qu'il s'agit d'une conception très restrictive de l'usage, et, à vrai dire, elle a été interprétée dans l'histoire de manière de plus en plus « puriste », pour se transformer, surtout après les premiers travaux de l'Académie française, en une norme très stricte. On est donc passé de l'enregistrement de l'usage au formatage de celui-ci. Les concepts de norme et d'usage sont donc surtout des concepts socio-culturels, et ils ont beaucoup varié selon les lieux et les époques. On les retrouve d'ailleurs dans d'autres domaines que le langage : dans les comportements sociaux, par exemple. Dans l'histoire de la linguistique, l'opposition norme/usage a pu servir à distinguer la grammaire, dans sa version la plus traditionnelle, de la moderne linguistique. La grammaire s'appuierait essentiellement sur la défense d'une norme, autrement dit elle serait de nature prescriptive, alors que la linguistique aurait l'ambition d'être seulement descriptive. 3 L'exemple français n'est pas isolé, même si on remarque que, dans cette tradition culturelle, la notion de norme a joué un rôle particulièrement fort. La sociolinguistique constate que, dans la plupart des langues existantes, des différences apparaissent plus ou moins rapidement entre diverses variétés de langue. La sociolinguistique ne parlera pas alors de norme, mais de « variété légitime », de « langue standard », de « langue de référence » ou de « langue officielle ». La langue standard se définit par un certain nombre de prescriptions en matière de phonologie, de phonétique, de lexique, de syntaxe et de style. Elle est souvent associée à un usage soutenu, surtout écrit. Le français standard Lorsque l’on parle d’une langue, même si l’on reconnaît sa diversité, on envisage une seule variété, sélectionnée parmi d’autres pour être la plus représentative. Il s’agit de la langue de référence ou langue standard. Cette langue standard est en fait un objet construit par quelques-uns à partir des différents registres dont elle sélectionne des caractéristiques. Pour le français, dans la construction mentale, culturelle, plus ou moins inconsciente qui en est faite, la langue standard a d’abord été envisagée sous un angle normatif. On parlait, avec une pointe de dédain, de niveaux de langue, comme si l’un d’entre eux était supérieur aux autres. Sous l’influence des défenseurs de la norme, on rejetait presque systématiquement les néologismes au profit des archaïsmes, ainsi que le recours aux emprunts comme les anglicismes. On privilégiait de la même manière le français parisien de la moyenne bourgeoisie, des universitaires ou des présentateurs de la télévision, celui des classes que l’on voulait investir. Cette conception de la langue renvoyait de préférence à une langue écrite, plutôt soutenue : celle des bons écrivains reconnus. L’attitude { l’égard de la langue standard et des registres de langue a changé, notamment grâce aux apports de la sociolinguistique. Aujourd’hui, avec la reconnaissance de la diversité des usages de la langue, le sentiment de hiérarchie s’est estompé. La langue standard n’est plus une langue meilleure que les autres ; elle est un point de référence par rapport auquel l’usage de chacun peut être situé. La variation Le concept de variation est l'un des concepts majeurs de la sociolinguistique. Il s'oppose à la vision structurale des langues qui estime qu'il n'y a qu'une manière de dire ce que l'on veut dire. On parlera de variation dès qu'on observe des écarts, aussi minimes soient-ils, entre des manières comparables de s'exprimer. Le concept de variation a rencontré depuis les travaux de W. Labov (fin des années 60) un grand succès. Il est aujourd'hui utilisé de manière très large, et des distinctions ont été proposées. Ainsi, la variation dans le temps est appelée variation diachronique, la variation dans l'espace est nommée variation diatopique, la variation liée aux registres est appelée variation diastratique et la variation liée au contexte de communication est intitulée variation diaphasique. Une dernière variation a été distinguée sous le nom de variation diamésique ; elle concerne le canal utilisé (oral/écrit) et pourrait être étendue au support-espace d’écriture. 4 La notion de variation pose un problème dans l'analyse de la structure des langues. Comment peut-on parler de structure s'il existe, dans chaque état synchronique d'une langue, de la variation ? Il est parfois difficile, dans les phénomènes de variation, de faire la différence entre ce qui reste à l'intérieur du système central et ce qui tend à glisser vers un autre système, un système dialectal, par exemple. Ceci montre à quel point le concept de langue est fragile. Un exemple de variation : le registre de langue Les registres de langues répondent à la question « Qui parle quoi, quand et à qui ? ». En effet, le type de langue que l’on utilise { un même moment et dans un même lieu peut varier en fonction des situations de parole. Ces différents types de langue sont appelés des registres de langue. Il n’est pas facile de tracer des frontières nettes entre registres de langue ; le passage de l’un { l’autre se fait sans rupture tangible. Cependant, malgré la difficulté pour l’observateur d’élaborer une classification rigoureuse, qui ne soit pas trop entachée de subjectivité, on reconnait en général quatre registres de langue en français : le registre soutenu, le moyen ou non marqué, le populaire et le vulgaire. Les dictionnaires mettent l’accent sur cette différence, par exemple en faisant figurer l’inscription populaire derrière certains mots. On trouve également d’autres qualificatifs tels que argotique, familier, courant, littéraire, archaïque… Les désignations de registres ont été critiquées car elles ne séparent pas les considérations sociales (populaire) des considérations stylistiques (soutenu). Dans la mesure où chaque locuteur utilise des styles divers, il conviendrait de distinguer, par exemple, un populaire soutenu d’un populaire familier ou vulgaire… Le linguiste O. Soutet donne un bon exemple du passage d’un registre { l’autre1 : 1. L’adjudant, très attaché { la discipline, ne voulait pas que les soldats fussent ivres. (soutenu) 2. L’adjudant, sévère, ne voulait pas que les soldats soient ivres. (moyen) 3. Le juteux, plutôt réglo question discipline, voulait pas que les bidasses soyent saouls. (populaire) 4. C’te vache de juteux, i voulait pas qu’les bidasses s’pètent la gueule. (vulgaire) On remarque que ce n’est pas le contenu sémantique qui change entre (1) et (4), mais la formulation, qui nous donne des indications sur celui qui parle. Ce changement de formulation affecte le vocabulaire (adjudant/juteux), la morphologie (ne…pas/pas), la syntaxe (la concordance des temps : subjonctif imparfait en (1), présent en (2), (3) et (4)) et la prononciation (ct’e ; soient/soyent). Les facteurs de diversification Le milieu socio-économique et le parcours intellectuel du locuteur exercent une influence certaine sur son parler : un garagiste ne parlera normalement pas la même langue 1 SOUTET O., Linguistique, Paris, PUF, 1996. 5 qu’un académicien ou une princesse. Le registre employé peut dès lors donner des indications sur l’origine sociale du locuteur. Cependant, en interaction, le locuteur, quelle que soit son origine sociale, peut être amené à choisir, parmi les différents registres, celui qui lui paraît le plus approprié pour atteindre ses objectifs dans l’échange. Il peut dès lors puiser dans l’éventail des ressources mises à sa disposition. Si un employé demande un dossier à ses collègues, il ne le fera pas de la même manière que s’il le demandait à son employeur. La langue fournit des moyens de marquer une distance plus ou moins grande entre les interlocuteurs : par exemple, avec ses collègues, il utilisera sans doute le tutoiement ; avec son employeur, le vouvoiement. De même, le contexte dans lequel l’échange prend place, la situation, le lieu, les circonstances, déterminent le type de registre utilisé : on parlera différemment selon que l’on se trouve sur son lieu de travail, en famille ou encore dans une séance académique, face à un auditoire. Il y a là des contextes formels, qui commandent un registre plutôt soutenu (discours politiques, juridiques…), et des contextes informels, qui laissent une plus grande liberté et s’accommodent d’un registre populaire, voire vulgaire (vacances, dîners entre amis…). Les travaux des sociolinguistes ont permis de faire la part de l’influence du milieu social sur la variété de langue. La notion de sociolecte, qui désigne la langue d’un groupe social, est venue enrichir l’étude des variations de la langue. D’autres facteurs extralinguistiques – tout comme ceux précédemment cités – peuvent intervenir dans la sélection des registres de langue. Parmi ceux-ci, on retiendra l’âge du locuteur. On ne parle pas de la même façon à 20, 40 ou 60 ans ; en conversation, deux individus d’âge différent ne parlent pas exactement la même langue. De même, le support de communication peut être un facteur de diversification. Le support de la communication comme facteur de diversification Selon que la communication est orale ou écrite, des différences de registres peuvent être perçue (variations diaphasique et diamésique). Cependant, même si l’écrit a plus souvent recours { un style non marqué ou soutenu, et l’oral { un style plus populaire, on ne peut affirmer l’existence d’un lien strict entre registre et support de communication. En effet, certains textes oraux sont d’un langage éminemment soutenu (on cite comme exemple les Oraisons funèbres de Bossuet), et certains textes écrits reproduisent le registre populaire, voire vulgaire (les San Antonio, par exemple). On a pris — assez tardivement en fait — l’habitude de distinguer { gros traits l’oral de l’écrit, au point de présenter parfois deux grammaires : l’accord en genre et en nombre répondrait à des règles différentes, au moins dans leur mise en forme ; l’interrogation ne se ferait pas de la même manière…On a { juste titre montré que la frontière était parfois floue entre ces deux supports : on peut déclamer un texte préalablement écrit, ou écrire un texte empreint d’oralité (on parle même d’oralitude). L’oral obtient enfin droit de cité, jusqu’{ être reconnu et valorisé dans l’enseignement, par le biais des compétences « écouter/parler ». 6 Pour autant, la variété privilégiée pour la langue standard reste l’écrit. Et on n’entend guère reprocher à quelqu’un de parler comme il écrit. Par contre, combien de fois n’entendonsnous pas : « Les jeunes ne savent plus écrire. Ils écrivent comme ils parlent. D’ailleurs, ils n’écrivent plus, ma bonne dame. » ? Au laudator temporis acti, il faut opposer la réalité des pratiques actuelles d’écriture diversifiées et multipliées par le biais des nouvelles technologies. Ces dernières décennies ont vu se développer toute une panoplie de supports-espaces divers pour l’écrit : le téléphone (pour le sms) et l’ordinateur (pour le courriel, les messageries instantanées, les forums de discussion ou de débat, le chat, les blogs, les réseaux sociaux ou communautés d’internautes, les plateformes de jeux,…) ont permis l’expansion de modes d’écriture qui troquent la plume pour le clavardage. Qu’on l’appelle clavardage – et c’est le terme que nous retiendrons dans la présente étude –, un mot-valise proposé par l’Office québécois de la Langue Française, communication électronique ou communication électronique scripturale (Anis), ou discours électronique médié (Panckhurst (2007)), il s’agit bien de la même réalité : la communication { l’aide de son clavier. Ces clavardages ont certes mauvaise presse ; ils contamineraient l’écrit : « Les jeunes écrivent en sms. » Si des études montrent l’impact somme toute limité du sms sur l’écriture (voir notamment les études de KLEIN, FAIRON & al.), aucune étude récente n’a tenté d’établir une typologie–cartographie critériée de ces nouveaux espaces scripturaux et des nouveaux modes d’écriture/clavardage qui en découlent. Certes, les travaux de plusieurs chercheurs témoignent d’un intérêt particulier pour le clavardage, dont ceux d’Anis, Marcoccia, Panckhurst, Fairon & al. et Pierozak notamment, mais tous ne concernent qu’un ou quelques-uns des nombreux supports-espaces d’écriture disponibles sur Internet et les GSM et aucun n’en propose une vision systémique et comparative2. La présente recherche se propose de combler ce manque. Notre objectif est, d’une part, de recueillir et analyser les représentations que les jeunes ont des différents modes d’écriture clavardée et, d’autre part, d’établir une typologie détaillée des supports-espaces de clavardage ainsi qu’une typologie des graphies remarquables et procédés utilisés sur ceux-ci. Nous serons finalement en mesure de déterminer si les clavardeurs possèdent une intelligence adaptative à la variation ou s’ils respectent (ou non), de façon dogmatique et dans tous les cas, la norme du « bon » français. Pour chacun des supports déterminés, nous proposons des réponses aux questions suivantes : - Qui parle ? À qui (cible déterminée ou non ; limitée ou cyberspatiale) ? Pour parler de quoi et en dire quoi (quel type d’information) ? À quelles fins ? Sous quelle forme ? Quand ? Où ? Dans quelle situation ou contexte ? 2 Cf. chapitre 1 pour une bibliographie sélective. 7 - Avec quel input psycho-socio-culturel (représentation et motivation ; frontière entre privé et publique ; degré d’intimité/extimité) ? - Avec quel délai de réponse attendu ? - Avec quel impact du support-espace sur la forme de l’écriture (orthographe, ponctuation, emploi d’abréviations, concision/complexité, correction/relâchement, structuration/linéarité, style écrit/oral,…) ? Loin de vouloir présenter une vision négative des langages clavardés, la présente recherche vise à en dresser le portrait et { déceler l’intelligence adaptative de l’écriture { la situation de communication. Au final, il s’agit de rendre compte du fait que ces dernières décennies ont provoqué l’éclatement de la vision moniste de la langue écrite, et que loin de se retourner nostalgiquement vers le passé d’une maitrise antérieure supposée ou prétendue, la communauté devrait entériner cette multiplicité de supports-espaces et de pratiques, et faire en sorte qu’{ cette nouvelle multiplicité correspondent un apprentissage et un savoir-faire adaptés. Cela fait partie de la compétence linguistique de savoir reconnaitre très précisément les variétés et registres de langue et de pouvoir y avoir recours de la manière la plus appropriée qui soit à la situation de communication. On constate, au demeurant, que peu de locuteurs reconnaissent leur variété de langue dans une langue standard. Il s’agit même pour certains d’une langue qui a les caractéristiques d’une langue seconde. Il importe donc que tous les registres différents et toutes les variétés d’une langue soient reconnus comme autant de témoins de sa richesse plutôt que comme des versions imparfaites à corriger. Il s’agit de rendre enfin les usagers conscients de leur responsabilité de producteurs de langage, de leur dire qu'ils sont responsables de ce qu'ils veulent exprimer et qu'ils disposent pour ce faire de différents moyens dont ils peuvent user librement. Un de nos objectifs est donc de faciliter la réappropriation par les usagers de leur langue, de leur droit de parole, par la reconnaissance, la promotion et l’exercice des différentes variétés, afin qu’elles puissent être mobilisées de la manière la plus adéquate au moment le plus opportun. Méthodologie de la recherche Tout d’abord, nous avons soumis un questionnaire en ligne (questions fermées) à des étudiants de BA1 de différentes orientations { l’ULB (sciences humaines et sciences exactes), ainsi qu’{ des élèves de dernière année de l’enseignement secondaire. Cette enquête quantitative avait pour objectif de déterminer quels sont les nouveaux espaces et modes d’écriture les plus convoqués par ce public et à quelles fins. La tranche d’âge devait permettre des réponses assez réfléchies vu l’habitude des pratiques d’écriture avouées par ces publics lorsqu’on les interroge. De plus, travailler avec un public majeur permet une plus grande liberté dans les choix des questions (l’anonymisation des personnes et des résultats étant garantis par ailleurs). Le choix des écoles secondaires fut effectué avec le souhait de représenter le plus largement possible la diversité de la population scolaire (notamment la diversité géographique, la diversité sociale, la diversité de réseaux, de filières et d’orientations d’enseignement). Malheureusement, la difficulté d’entrer en contact avec certaines écoles et, par conséquent, certains élèves, nous a poussés à revoir quelque peu notre souhait de représentativité. 8 L’enquête quantitative fut doublée d’une investigation qualitative menée auprès d’un échantillon de sept clavardeurs, dont trois en sixième secondaire et quatre en BA1. Nous nous sommes évidemment efforcés de construire cet échantillon de la manière la plus représentative possible, tant du point de vue de la diversité des usages et des productions des enquêtés que de leur profil sociologique dans la mesure où celui-ci exerce aussi une influence sur la production langagière. Toutefois, ce dernier critère fut difficile à évaluer à partir des questions fermées du questionnaire. Grâce à cette partie de l’enquête, nous avons pu affiner les résultats quantitatifs. Par ailleurs, l’étude des différentes productions écrites que ces témoins privilégiés nous avaient fournies au préalable a permis de confronter leurs représentations avec la réalité des écrits. Nous avons ainsi pu vérifier si ceux-ci correspondent bien à ce qui est attendu à partir des déclarations de leur producteur et si ces derniers développent ou non une intelligence adaptative { l’égard de la multiplicité des outils mis à leur disposition. Finalement, nous avons comparé l’analyse de ces données { celles d’un corpus de productions récoltées de manière aléatoire sur la Toile au fil de nos navigations3. Nous avons ainsi pu constater d’une part que les graphies remarquables et procédés utilisés couramment par les sept clavardeurs interrogés se retrouvent également dans ce corpus de vérification, et d’autre part que d’autres graphies remarquables et procédés apparaissent, ce qui signifie qu’ils ne sont pas limités mais se renouvèlent sans cesse et varient en fonction des clavardeurs ainsi que des situations de communication. 3 Ce corpus aléatoire est uniquement composé de productions récoltées sur des supports-espaces de communication publics, c’est-à-dire les forums de discussion et de débat, les chats, les blogs et les sites de rencontres. Nous n’avons pas cherché à obtenir des productions pour les supports-espaces de communication privés étant donné que l’objectif de ce corpus était de vérifier de manière aléatoire les observations faites à partir du corpus de productions des clavardeurs interviewés. 9 1. Typologie des supports-espaces de clavardage : description « technique » Nous avons recensé dix types de supports-espaces de clavardage que nous classons en quatre catégories en fonction de leurs caractéristiques techniques ainsi que des usages qu’en font les clavardeurs – discussion, publication, réseautage et correspondance –, mais leur complexité et leur évolution constante rend leur classement difficile et discutable. En effet, nombreux sont les sites proposant à leurs visiteurs plusieurs supports-espaces (un forum et un chat par exemple) et, de plus, les supports-espaces eux-mêmes sont bien souvent hybrides (il est par exemple possible d’envoyer des messages privés { partir d’une discussion sur un chat). Ainsi, si nous souhaitons qu’elle soit un reflet fidèle des différents modes de clavardage que l’on rencontre sur la Toile, il est important de préciser que la typologie que nous proposons constitue le fruit de nos propres recherches4. Il en existe d’autres, tout aussi pertinentes, mais basées sur des critères différents de ceux qui nous intéressent. 1.1. Discussion 1.1.1. Forum de discussion Description Auparavant limités { Usenet, un système qui existait déj{ avant l’apparition d’Internet, les forums de discussion sur le Web sont à présent nombreux et variés. Il s’agit d’un supportespace de communication plus ou moins publique – certains forums ne sont accessibles qu’après inscription – sur lequel les messages des différents intervenants sont archivés, permettant de la sorte une communication asynchrone. Selon les forums, les internautes postent des messages dans le but de recevoir une réponse presque immédiate – on est alors proche des chats – ou rapide – quelques heures voire quelques jours. Les forums sont organisés en plusieurs fils de discussion ou topics créés par les différents forumeurs. En cliquant sur leur titre, qui indique le sujet dont il est question, on accède au premier message posté par le créateur du fil ainsi qu’{ toutes les réponses, classées par ordre chronologique, qui, bien souvent, finissent par s’éloigner du sujet initialement proposé. Étant donné que la plupart des forums contiennent de nombreux fils de discussion, ceux-ci sont souvent regroupés dans des catégories plus générales : par exemple actualité, littérature, délire, etc. Les forums sont hébergés sur deux types de sites web. D’une part, certains sites y sont exclusivement consacrés et regroupent plusieurs fils de discussion traitant de sujets très variés5. Généralement, les internautes peuvent également consulter quelques articles, mais la raison d’être principale de ces sites est la présence des forums. D’autre part – et c’est le cas de figure le plus courant –, de nombreux sites publiant des articles ou proposant divers services mettent à la 4 Ces recherches sont constituées d’une longue phase de navigation autodidacte et d’observation, mais également de la lecture et l’analyse d’articles et ouvrages plus « techniques ». 5 Exemples : forum.miniil.net : « Le Forum des bons plans en Belgique », www.forumfr.com : « un forum de discussion, de débats, d'entraide ». 10 disposition des internautes un forum doté d’un ou plusieurs fils de discussion6. Notons que certains sites équipés d’un forum7 proposent également un service de chat. Les forums sont généralement surveillés par des modérateurs. Dans son article « Les forums de discussion d’adolescents : pratiques d’écritures et compétences communicatives »8, Michel Marcoccia repère quatre types d’activités principales : les activités de soutien et d’entraide (demande d’évaluation, partage de témoignages, demande d’informations), la confrontation d’opinions (qui est selon nous l’objectif principal sur les forums de débat), le partage d’affinités et les activités ludiques (avec pour objet principal le langage9). L’analyse d’exemples lui permet également de découvrir une série de compétences communicatives développées chez les adolescents grâce { leurs pratiques d’écriture extrascolaires sur les forums de discussion : compétences descriptive, narrative, argumentative, ludique, métalinguistique, expressive et relationnelle. Marcoccia réfléchit par ailleurs aux obstacles que représentent ces pratiques pour l’apprentissage du français écrit standard, mais il souligne également ses plus-values. En effet, selon lui, les pratiques d’écritures extra-scolaires des jeunes peuvent dans certains cas constituer des ressources pour l’apprentissage de compétences communicatives. Fiche technique Messages Destinataire Degré de familiarité / Clavardeurs en contact Finalités Publicité Synchrone Délai de réponse Présence modérateurs Message (post) / Réponse Communauté cible / Tout le monde Rassemblés par le sujet /pour se connaitre Information / humour / exutoire / débat / discussion / rencontre / pratique-utilitaire Public / Semi-privé Non Rapide / Moyen Oui Bibliographie sélective10 MANDELCWAJG S. (2007), « La définition et la négociation des normes de discussion dans les forums : quel idéal communicationnel ? », in Gerbault J. (dir), La langue du cyberespace : de la diversité aux normes, Paris, L’Harmattan. 6 Exemples : www.tout-le-rallye.be/forum/, www.forum.math.ulg.ac.be/. 7 Exemple : www.ados.fr. forum.pim.be/sommaire.php, www.forum-fefb.be/phpBB3/, 8 MARCOCCIA M. (2010), « Les forums de discussion d’adolescents: pratiques d’écriture et compétences communicatives », dans Revue française de linguitsique appliquée, XV-2, p. 139-154. 9 L’écriture prend notamment une importance particulière sur les forums de roleplay (jeux de rôle), ou chaque clavardeur est amené { construire une partie de l’histoire. 10 Nous mentionnons dans ce point – quand il y a lieu – quelques articles et ouvrages-clés concernant plus particulièrement chacun des différents supports-espaces. Nous renvoyons à la bibliographie en fin de rapport pour les ouvrages traitants de plusieurs supports ainsi que pour une bibliographie générale plus complète. 11 MARCOCCIA M. (2010), « Les forums de discussion d’adolescents : pratiques d’écriture et compétences communicatives », dans Revue française de linguistique appliquée, XV-2, pp. 139154). 1.1.2. Forum de débat Description D’un point de vue technique, le fonctionnement du forum de débat est le même que celui du forum de discussion, nous renvoyons donc au point précédent pour sa description. Toutefois, l’importante différence entre les types d’échanges qui y ont lieu nous a poussés { distinguer ces deux supports-espaces. Il s’agit bien ici de débats et non pas de discussions, c’est-à-dire d’échanges de points de vue politiques, philosophiques, socioculturels, d’interrogations sur des faits de société et d’actualité, d’opinions exprimées de manière plus structurée et plus argumentée. Tout comme sur les forums de discussion, le sujet précis influence le mode d’écriture des clavardeurs, mais la finalité est à priori toujours la même : débattre et non simplement discuter. On suppose donc un mode d’écriture généralement plus surveillé sur les forums de débat que sur les forums de discussion : structuration des idées, construction d’un certain ethos, etc. Bien que le débat vire parfois au règlement de compte, que tous les intervenants ne construisent pas forcément une argumentation de qualité et que les messages postés n’aient souvent plus aucun rapport avec la problématique de départ, l’esprit de débat est toujours celui qui prévaut, et non celui de discussion. Les exemples les plus connus de forum de débat sont ceux proposés aux internautes par les grands quotidiens en ligne : Le Monde, La Libre, etc. Ceux-ci consacrent en règle générale une des pages de leur site à un forum composé de plusieurs fils de discussion. Il est également possible de réagir aux différents articles d’actualité publiés par les journalistes en laissant un commentaire dans l’espace prévu { cet effet, généralement sous l’article, commentaire auquel les autres internautes peuvent répondre, ce qui finit par constituer une communication dont les caractéristiques sont semblables { celles de l’espace forum classique. Fiche technique Messages Destinataire Degré de familiarité / Clavardeurs en contact Finalités Publicité Synchrone Délai de réponse Présence modérateurs Message (post) / Réponse Communauté cible / Tout le monde Rassemblés par le sujet Information / exutoire / débat Public / Semi-privé Non Rapide / Moyen Oui Bibliographie sélective MANDELCWAJG S. (2007), « La définition et la négociation des normes de discussion dans les forums : quel idéal communicationnel ? », in Gerbault J. (dir), La langue du cyberespace : de la diversité aux normes, Paris, L’Harmattan. 12 MARCOCCIA M. (2010), « Les forums de discussion d’adolescents : pratiques d’écriture et compétences communicatives », dans Revue française de linguistique appliquée, XV-2, pp. 139154). MARCOCCIA M. (2003), « Parler politique dans un forum de discussion », dans Langage et société n°104, juin 2003. 1.1.3. Messagerie instantanée Description La messagerie instantanée11 est un support-espace qui permet l’échange instantané de messages entre deux ou plusieurs clavardeurs connectés au même moment au service de messagerie et qui se connaissent plus ou moins bien, au moins par leur nom d’utilisateur ou leur adresse de courrier électronique (MSN fonctionne par adresse, Facebook par ajout automatique de tous les contacts). La conversation générée par l’échange de messages n’est pas conservée automatiquement dans une quelconque boite électronique, { l’instar du courriel. Bien qu’il soit possible de la retrouver dans la mémoire de l’ordinateur, elle équivaut en quelque sorte { une discussion réelle mais par écran et clavier interposé, l’objectif n’est donc pas de la relire ou de la conserver. La proximité avec la conversation réelle, qui exige une certaine rapidité de réponse pour conserver une bonne interaction, implique un mode d’écriture particulier. Ce type de communication tend { se rapprocher de l’oral, voire { l’imiter, mais toute la communication nonverbale est naturellement impossible à faire transparaitre { l’aide d’un clavier (ce qui engendre le recours à une série de procédés et autres graphies remarquables que nous analyserons au chapitre 3.3.2.5. Cette « hybridation entre l’oral et l’écrit »12, Anis (1999) la nomme « parlécrit », F. Debyser (1989)13 « langue orale scriptée », ou d’autres encore « écrit oralisé ». Plus particulièrement caractéristique des supports de communication synchrone, l’hybridation entre l’oral et l’écrit est également présente de manière plus ou moins récurrente sur les autres supports-espaces. L’intensité de l’oralité varie en fonction d’une série de facteurs que nous nous proposons d’étudier par la suite. À la différence de la discussion « réelle », qui est unique d’un point de vue temporel, un clavardeur peut mener plusieurs conversations électroniques simultanées, individuelles ou collectives, qui apparaissent chacune dans une fenêtre séparée, ainsi qu’écouter de la musique, regarder des photos ou un film, ranger sa chambre, bref, faire plusieurs choses à la fois sans que ses interlocuteurs s’en offusquent. Précisons que le terme « instantané » est à utiliser avec précaution. En effet, un ancêtre de la messagerie instantanée et du chat (cf. Anis, 1998) permettait d’assister en direct à la 11 La messagerie instantanée est parfois désignée par le mot « clavardage » mais, comme nous l’avons précisé dans l’introduction, nous donnons un sens plus générique { ce terme : « bavardage { l’aide de son clavier ». Nous ne l’utiliserons donc pas pour désigner spécifiquement les messageries instantanées. 12 http://users.skynet.be/fralica/refer/theorie/theocom/oral/parlecri.htm#** 13 DEBYSER F. (1989), « Télématique et enseignement du français » dans Langue française n°83, Paris, Larousse, pp. 14-31. 13 rédaction du message par son interlocuteur et de voir les corrections apportées, les retours en arrière, etc. Dorénavant, sur tous les services de messagerie instantanée et de chat, le clavardeur choisit le moment auquel il décide d’envoyer son message, une fois qu’il le juge prêt { être communiqué. Cela n’implique pas pour autant une relecture systématique (nous sommes en effet proches du modèle de la conversation, où les bafouillages existent), mais diffère tout de même légèrement le moment de réception du message par le destinataire de sa production par le destinateur. Fiche technique Messages Destinataires Degré de familiarité / Clavardeurs en contact Finalités Publicité Synchrone Délai de réponse Présence modérateurs Noms Message / Réponse (mode de la conversation) Clavardeurs (individu ou groupe) Se connaissent au moins par leur adresse électronique ou leur nom d’utilisateur (Facebook) Discussion / Information / humour / exutoire / débat / rencontre / pratique-utilitaire Privé Oui Instantané Non MSN, ICQ, Skype, Gtalk, Facebook Bibliographie sélective FILATOVA K. L. (2007), « La construction de l’illusion : mécanismes linguistiques et cognitifs qui assurent la compréhension métaphorique du clavardage », in Gerbault J. (dir), La langue du cyberespace : de la diversité aux normes, Paris, L’Harmattan. 1.1.4. Chat Description Il faut distinguer le chat de la messagerie instantanée14. Tous deux sont des supportsespaces de conversation synchrone, mais sur le premier, qui est dans la plupart des cas public (il nécessite parfois une inscription), les différents clavardeurs en contact ne se connaissent pas forcément tandis que sur le deuxième, qui est privé, les clavardeurs se connaissent plus ou moins bien, au moins par leur adresse électronique ou leur nom d’utilisateur. Le chat permet de discuter avec des personnes inconnues IRL (In Real Life, c’est-à-dire dans la vie réelle), soit de manière individuelle, soit de manière collective, et ce de façon simultanée. Le fonctionnement du chat est grosso modo identique à celui des messageries instantanées, la différence majeure résidant dans le degré de publicité du support ainsi que dans les motivations des clavardeurs. Sur un chat, ceux-ci sont rassemblés autour d’une thématique 14 Selon une enquête internationale menée auprès des jeunes internautes (Mediappro http://www.mediaanimation.be/IMG/pdf/Mediappro-Belgique-ResultatsEuropeens.pdf), le chat est de plus en plus systématiquement délaissé au profit de la messagerie instantanée. L’apparition des réseaux sociaux explique peut-être en partie ce phénomène. 14 commune ou d’une communauté virtuelle qu’ils finissent pas former, non autour d’une personne en particulier. Les chats sont également souvent supervisés par des modérateurs. On retrouve des chats sur plusieurs types de site : certains y sont exclusivement consacrés15 mais, de manière générale, les chats constituent un des divers services proposés par un site. Par exemple, les sites de jeux vidéo sont parfois dotés d’un espace de chat où les joueurs peuvent échanger leurs impressions sur le jeu ou simplement discuter si le temps d’attente est trop long16. Sur un même site, on retrouve bien souvent un espace chat ainsi qu’un espace forum. Ces deux supports-espaces ont en fin de compte des finalités et un mode de fonctionnement similaires (les clavardeurs ne se connaissent pas forcément dans la réalité mais sont rassemblés autour d’un thème ou d’une communauté virtuelle), mais sur les chats, la conversation est synchrone tandis que sur les forums, elle est archivée, ce qui permet un temps de réponse plus long. Cette différence en apparence mineure influence en réalité fortement le mode d’écriture des clavardeurs. Fiche technique Messages Destinataires Degré de familiarité / Clavardeurs en contact Finalités Publicité Synchrone Délai de réponse Présence modérateurs Noms Message / Réponse (mode de la conversation) Communauté cible / Tout le monde Rassemblés par le sujet /pour se connaitre Information / humour / exutoire / débat / discussion / rencontre / pratique-utilitaire Public / Semi-privé / Privé (MP) Oui Instantané Oui IRC Bibliographie sélective17 ANIS J. (2003), « Communication électronique scripturale et formes langagières », dans Actes des Quatrièmes Rencontres Réseaux Humains / Réseaux Technologiques, Poitiers, 31 mai et 1er juin 2002, « Documents, Actes et Rapports pour l'Education », CNDP, p. 57-70. En ligne : http://edel.univ-poitiers.fr/rhrt/document547.php (consulté le 5/04/2011). DRAELANTS H. (2004), Bavardages dans les salons du net, Bruxelles, Labor. FILATOVA K. L. (2007), « La construction de l’illusion : mécanismes linguistiques et cognitifs qui assurent la compréhension métaphorique du clavardage », in Gerbault J. (dir), La langue du cyberespace : de la diversité aux normes, Paris, L’Harmattan. 15 Exemples : http://www.chat-land.org/, http://www.mirc.com/. 16 Exemple : http://www.code-ami.fr/chat.php. 17 Remarquons qu’alors que les chats connaissent de moins en moins de succès et sont délaissés au profit des autres supports-espaces de clavardage, c’est sans doute l’un des plus étudiés. 15 PIEROZAK I. (2003), « Le « français tchaté » : un objet à géométrie variable ? », dans Langage et société n°104. PIEROZAK I. (2000), « Les pratiques discursives des internautes en français : matériaux et éléments de réflexion », Le français moderne, tome LXVIII, n°1, J.-M. KLINKENBERG, coord., Le français du XXIème siècle, pp. 109-129. TATOSSIAN A. (2008), « Typologie des procédés scripturaux des salons de clavardage en français chez les adolescents et les adultes », dans HABERT J. & LAKS B. (éd.), Congrès mondial de linguistique française – CMLF’08, Paris, Institut de Linguistique française. VERVILLE, LAFRANCE (1999), « L’art de bavarder sur internet », Réseaux, n°97, pp. 81-209. 1.2. Publication 1.2.1. Blog Description Le blog est un site Web dont la création et la gestion sont très faciles et le plus souvent gratuites. Il a connu un grand succès, notamment auprès des adolescents. Tout comme les forums de discussion, les blogs peuvent être { usage public (accessible { l’ensemble des internautes) ou privé (mot de passe), professionnel ou intime, et traiter de sujets très variés : du journal « extime » { l’expression d’opinions politiques en passant par la promotion d’une activité artistique, sociale ou professionnelle, la variété de la blogosphère est infinie18. La structure des blogs, quant à elle, varie peu : l’auteur poste des articles ou billets présentés suivant la date de publication (généralement du plus récent au plus ancien), dans certains cas accompagnés19 de vidéos, photos, dessins ou bandes sonores et à propos desquels les lecteurs peuvent généralement faire des commentaires. Il est donc important de distinguer l’écriture des articles sur son propre blog de l’écriture de commentaires sur des blogs d’autrui ou sur son propre blog en réponse aux commentaires postés. Certains blogs ont une forme très proche de celle du forum, dans les cas où le blogueur écrit principalement dans le but de générer des commentaires et de les lire. Il existe néanmoins une différence majeure : la hiérarchisation des intervenants. En effet, l’auteur du blog est systématiquement celui qui lance la discussion par son article, les autres clavardeurs se contentant d’y répondre. Il a également un rôle de censeur arbitraire dans la mesure où il peut supprimer les commentaires, individuellement ou ceux de tous les visiteurs, temporairement ou définitivement, sans devoir justifier son geste. Bref, il est le seul maitre à bord alors que sur un forum, tous les intervenants sont mis sur un pied d’égalité, { l’exception des administrateurs et modérateurs dont le rôle est de gérer et modérer les échanges, mais de manière objective et non-arbitraire. 18 Wikipédia recense également les catégories suivantes : les blogs d’entreprise, les blogs pédagogiques, les blogs de connaissance et les Warblogs (popularisés par l’armée américaine lors de la deuxième guerre du Golfe en 2003). 19 Les blogueurs publient parfois uniquement des photos, des vidéos, ou des dessins. Dans ce cas, le texte est soit inexistant, soit uniquement perçu comme une sorte de légende. 16 Bien que la blogosphère soit immense, nombreux sont les auteurs qui, plus ou moins rapidement, délaissent leur blog qui devient dès lors totalement inactif. L’activité d’un blog dépend en effet de la fréquence de publication d’articles par l’auteur et de l’intérêt que ces derniers suscitent, générant ou non des commentaires de la part des visiteurs. Notons que la création et la consultation des blogs sont en baisse depuis l’utilisation massive des réseaux sociaux20, un support-espace très complet qui offre de multiples possibilités : discussion, publication, rencontre et correspondance. Fiche technique Messages Destinataires Degré de familiarité / Clavardeurs en contact Finalités Publicité Synchrone Délai de réponse Noms Article / Commentaire Soi / Famille / Amis / Communauté cible / Tout le monde Rassemblés par le sujet /car se connaissent Information / humour / exutoire / débat / discussion / rencontre / pratique-utilitaire Public / Privé Non Moyen à lent / pas de réponse Wordpress, Blogger, Posterous, Soup.io, Skyrock Blog, Overblog, Typepad Bibliographie sélective CHAUDOIT C. & C. THYRANT (2010), « Les Français face aux médias sociaux et l’e-réputation », étude menée par ScanBlog, agence de veille et de conseil en e-réputation, et Opened Mind, groupe indépendant expert en étude et conseil en marketing. Présentation publiée en ligne sur http://www.slideshare.net/openedmind/echo-edition-2. MORELLI P. (2007), « Blogs et médias, quels rapports aujourd’hui : essai de typologie », dans Enjeux et usages des Technologies de l'information et de la communication. Médias et diffusion de l'information : vers une société ouverte. - EUTIC (Enjeux et usages des Technologies de l'information et de la communication), Athènes. En ligne http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/36/49/65/PDF/Morelli_athen_2007.pdf (consulté le 15/06/2011). 1.2.2. Micro-blog Description Le micro-blog est un dérivé du blog, plus allégé en quelque sorte. Il permet toutefois également le partage de vidéos, images et sons mais uniquement par un système de renvoi via des liens. Il présente un caractère plus instantané que le blog dans la mesure où les informations sont généralement très rapidement publiées par l’auteur et les commentaires sont générés plus rapidement également. Il se rapproche aussi du chat, à la différence que tous les « articles » – qui 20 CHAUDOIT C. & C. THYRANT (2010), « Les Français face aux médias sociaux et l’e-réputation », étude menée par ScanBlog, agence de veille et de conseil en e-réputation, et Opened Mind, groupe indépendant expert en étude et conseil en marketing (présentation publiée en ligne sur http://www.slideshare.net/openedmind/echo-edition-2). 17 s’apparentent plus { des messages – sont archivés et consultables à postériori et que les clavardeurs ne doivent pas être connectés au même moment pour consulter ce qui a été écrit. Les micro-blogueurs peuvent consulter les messages publiés sur les micro-blogs auxquels ils sont abonnés. Notons qu’il est facile de restreindre l’accès aux messages que l’on poste aux seules personnes concernées. En ce sens, le micro-blog se rapproche également du réseau social (création de groupes de contacts, choix de publicité du profil, etc.). Un facteur de variation très important concernant ce support-espace est la restriction du nombre de caractères (140 sur Twitter) et le dépouillement de l’interface (pas de « parasites » tels que photos, vidéos, etc.). Le micro-blog est ainsi le seul support-espace sur Internet à restreindre { ce point la longueur du message, réponse ou commentaire. S’il se rapproche de la sorte du sms, il semblerait pourtant que l’on y retrouve peu le langage sms. Une des raisons qui pourraient expliquer ce phénomène est le caractère collectif et public des micro-blogs, contrairement aux sms qui s’échangent entre deux individus. Un des micro-blogs les plus largement utilisés est Twitter (qui signifie « gazouiller » en anglais). Selon Dominique Gany, auteur d’un précieux ouvrage intitulé Nouveaux médias, Twitter « s’est positionné { un endroit unique du monde de la communication : au carrefour de l’ordinateur, du gsm/mobile et des messageries instantanées »21. Il est intéressant de constater que nombre d’internautes sont tant membres de Twitter et de Facebook qu’auteurs d’un blog, chatteur, etc., ce qui montre que malgré les frontières poreuses entre ces différents médias sociaux, il existe bel et bien une différence (usages différents, communauté différente, objectifs différents). Fiche technique Messages Destinataires Degré de familiarité / Clavardeurs en contact Finalités Publicité Synchrone Délai de réponse Noms Message / Réponse – Écrit par l’auteur / Repris par lui Famille / Amis / Communauté cible / Tout le monde Rassemblés par le sujet /car se connaissent / pour se connaitre Information / humour / exutoire / débat / discussion / rencontre Public / Semi-public Oui Moyen / lent / pas de réponse Twitter, Identi.ca (relié à Twitter), Jaiku Bibliographie sélective CHAUDOIT C. & C. THYRANT (2010), « Les Français face aux médias sociaux et l’e-réputation », étude menée par ScanBlog, agence de veille et de conseil en e-réputation, et Opened Mind, groupe indépendant expert en étude et conseil en marketing. Présentation publiée en ligne sur http://www.slideshare.net/openedmind/echo-edition-2. 21 GANY D. (2009), Nouveaux médias : mode d’emploi, Liège, Edipro, p. 113. 18 1.3. Réseautage 1.3.1. Réseau social Description Le réseautage social sur Internet peut être considéré comme le reflet du réseautage social dans la vie réelle. Il s’agit en effet d’entrer en contact avec un grand nombre de personnes pour créer un « réseau », qu’il soit d’ordre privé ou professionnel. Selon les sites et selon l’objectif de l’internaute, celui-ci crée des contacts avec des personnes qu’il connait dans la vie réelle ou qu’il ne connait pas. Les réseaux sociaux sont en pleine expansion. Il en existe une multitude, dont le succès varie en fonction des pays et des communautés. Le plus connu et le plus largement utilisé dans le monde est Facebook, qui, d’après Mark Zukerberg, comptait au 6 juillet 2011 plus de 750 millions d’utilisateurs. La spécificité des réseaux sociaux est qu’il faut systématiquement être membre pour pouvoir entrer en contact avec les autres clavardeurs, contrairement aux forums et aux blogs. Cela implique donc un certain engagement de la part de l’internaute, même s’il est minime. Ce support-espace présente également la particularité de regrouper plusieurs supportsespaces différents (en fonction desquels les modes d’écriture peuvent varier considérablement car le degré de publicité, l’objectif, le destinataire sont différents). L’utilisateur d’un réseau social qui possède un compte peut en effet publier des photos, des vidéos, de la musique et des articles sur son profil – dont il peut choisir le degré de publicité : accessible à tous les membres du réseau, uniquement { tous ses contacts ou { certains d’entre eux, voire à personne–, mais également chater avec ses contacts sur la messagerie instantanée, envoyer un message privé (équivalent du courriel), mettre à jour son statut, écrire sur le « mur » de ses amis, laisser des commentaires, lancer une invitation à un évènement, créer un groupe, faire des rencontres, etc. Le réseau social rassemble ainsi tous les supports-espaces que nous avons recensés, à l’exception du sms (bien que les messages envoyés par GSM puissent également l’être via les réseaux sociaux, mais les caractéristiques techniques restent différentes). Bien que ce type de site soit très complet en termes de supports-espaces, son hégémonie n’est pas totale. Ainsi, les blogs, chats, forums, messageries instantanées et autres supports, certes en baisse de fréquentation depuis l’apparition des réseaux sociaux, continuent d’exister et d’être créés. La plupart des internautes naviguent d’ailleurs régulièrement sur plusieurs de ces supports, attestant de la spécificité de chacun d’entre eux (finalités, communautés, etc.). La multiplicité des supports-espaces proposés sur les réseaux sociaux rend l’analyse de l’écriture sur ces derniers dans leur ensemble difficile. Lorsque cela était possible, nous avons étudié la spécificité des modes d’écriture propres { chacun des supports-espaces précis, mais nous n’avions parfois pas d’autre choix que de les envisager globalement. Fiche technique 19 Messages Destinataires Degré de familiarité / Clavardeurs en contact Finalités Publicité Synchrone Délai de réponse Noms Article / Commentaire / Message / Réponse / Statut / Invitation /Profil Soi / Famille / Amis / Communauté cible / Tout le monde Rassemblés par le sujet /car se connaissent / pour se connaitre Information / humour / exutoire / débat / discussion / rencontre / pratique-utilitaire Semi-privé (accessible à tous les membres) / Privé Non (excepté pour la messagerie instantanée) Moyen / rapide / instantané / pas de réponse LinkedIn, Facebook, Myspace, Netlog, Bebo, Orkut, Viadeo Bibliographie sélective CHAUDOIT C. & C. THYRANT (2010), « Les Français face aux médias sociaux et l’e-réputation », étude menée par ScanBlog, agence de veille et de conseil en e-réputation, et Opened Mind, groupe indépendant expert en étude et conseil en marketing. Présentation publiée en ligne sur http://www.slideshare.net/openedmind/echo-edition-2. 1.3.2. Site de rencontres Description Le site de rencontres se situe entre le forum de discussion, le chat et le site de réseautage social. Il regroupe des clavardeurs qui ne se connaissent à priori pas IRL autour d’une même finalité : rencontrer des personnes susceptibles d’apporter amour, amitié, sexe, flirt, etc. Tout comme les réseaux sociaux, les sites de rencontres sont des supports-espaces de communication hybrides étant donné que les clavardeurs disposent d’un service de messagerie instantanée/chat, d’une messagerie électronique et d’un espace réservé { la présentation (profil). La forme et le contenu du message ainsi que l’attention accordée { l’écriture vont ici dépendre du clavardeur, de ses objectifs et de l’image qu’il souhaite donner de lui-même aux autres membres du site. De plus, l’écriture varie inévitablement en fonction du support-espace (messagerie électronique, messagerie instantanée, articles de présentation sur le profil) étant donné que le contexte d’écriture, la durée de conservation de l’écrit et sa finalité varient (attention naturellement plus grande sur la description du profil que lors d’une discussion sur le chat ou le temps d’écriture et de réflexion est plus bref). Notons que la plupart de ces sites sont payants (plus souvent pour les garçons que pour les filles) et impliquent donc une utilisation un tant soit peu « sérieuse ». Faute de suffisamment de données (seuls six répondants au questionnaire disent utiliser les sites de rencontres), nous ne nous attarderons pas sur ce support-espace dans notre analyse. En effet, il est impensable d’imaginer une généralisation de ces données, pas plus qu’il n’est envisageable d’en tirer des conclusions. Fiche technique 20 Messages Destinataires Degré de familiarité / Clavardeurs en contact Finalités Publicité Synchrone Délai de réponse Noms Message / Réponse / Article de présentation sur le profil Groupe (description du profil) ou Individu (messagerie et chat) Connus sur Internet, Rassemblés par l’objectif (pour se connaitre) Discussion / Rencontre Statut semi-privé (accessible aux membres), discussions et messages privés Oui / Non Instantané/rapide Meetic, Smartdate, edarling.be, rendez-vous.be, chichou.com, adopteunmec, 1.4. Correspondance 1.4.1. Courriel Description Le courriel, terme proposé par l’Office québécois de la Langue Française (abréviation de courrier électronique), est en quelque sorte l’équivalent du courrier postal sur Internet bien que les différences dépassent le simple caractère imprimé de l’un et électronique de l’autre. Pour envoyer et recevoir des messages, il faut posséder une adresse (ou un compte) reliée à une boite électronique. Les interlocuteurs se connaissent donc systématiquement, du moins par leur adresse ({ l’exception des spams ou pourriels, c’est-à-dire des courriels envoyés massivement de façon automatique). Il est possible d’envoyer un courriel { un individu ou { un groupe. Certains services de messagerie électronique proposent de regrouper tous les courriels traitant du même objet et envoyés aux mêmes personnes sous un même lien (sorte de fil de discussion comparable { celui du forum), facilitant leur lecture et permettant ainsi d’éviter la répétition. Contrairement aux chats et messageries instantanées, il n’est pas nécessaire d’être connecté au même moment pour s’envoyer des courriels. La rapidité de l’écriture n’est donc plus un facteur important, ce qui influence bien évidemment les productions écrites. Si l’on compare souvent le courriel au courrier postal, il faut toutefois souligner son caractère plus informel, du moins { l’origine. Les premiers auteurs de courriels prêtaient moins attention aux formules d’appel et de politesse, { la construction du corps du texte, etc., car ce nouveau support donnait l’illusion du temps réel. Aujourd’hui, si le courriel reste souvent moins formel qu’une lettre, il a tout de même acquis une grande légitimité dans la sphère socioprofessionnelle ; il a acquis force de preuve opposable en droit. En fonction du destinataire et de l’objectif notamment, l’attention { l’écriture est donc importante. Étant donné que le courriel est le support-espace de communication le plus formel sur Internet, il est privilégié pour entrer en contact avec un professeur, un employeur, un pourvoyeur de service, c’est-à-dire une personne que l’on ne connait pas ou peu et avec laquelle on entretient une relation plutôt formelle. Ainsi, si le courriel est un support-espace de communication ou l’écriture est souvent plus surveillée qu’ailleurs, c’est principalement lié à 21 l’utilisation spécifique qui en est faite (destinataire, objectifs, etc.) et non uniquement { ses caractéristiques techniques. Fiche technique Messages Destinataires Degré de familiarité / Clavardeurs en contact Finalités Publicité Synchrone Délai de réponse Noms Message / Réponse Famille / Amis / Connaissances professionnelles / Contact formel Car se connaissent (au moins par leur adresse) Information / Humour / Pratique-utilitaire / Travail Privé (on décide de qui peut lire le courriel puisqu’on décide des personnes auxquelles on l’envoie. Le contrôle de la publicité est grand, surtout en comparaison des chats, forums, blogs, etc.) Non Moyen Gmail, Yahoo, Hotmail 1.4.2. SMS Description SMS est l’acronyme de « Short Message System ». Il s’agit d’un court message écrit (160 caractères) envoyé par GSM. Ainsi, il diffère des autres supports-espaces d’écriture décrits jusqu’{ présent car il ne nécessite pas d’ordinateur ni de connexion { Internet mais, comme eux, il est électronique et, surtout, il véhicule un français souvent très éloigné de la norme. La caractéristique principale de ce support-espace est la restriction du nombre de caractères (bien que l’envoi d’un même message en plusieurs sms soit désormais possible, il reste très bref). Si les entorses faites aux règles du français standard étaient { l’origine destinées { exprimer le maximum d’informations { l’aide du nombre le plus restreint possible de caractères, elles constituent aujourd’hui un registre de langue { part entière, appelé « langage sms », qui dépasse d’ailleurs très largement ce cadre et se retrouve sur les forums, chats, etc. L’abrègement n’est donc pas l’unique objectif de ce « nouveau » langage, qui peut également témoigner de la capacité des clavardeurs à jouer avec la langue et à créer des variétés nouvelles, sources de richesse22. Le sms est un message privé envoyé par un individu à un autre individu ou à un groupe. Les personnes en contact se connaissent dans la vie réelle (pas de rencontre par sms), qu’elles soient des collègues, des amis, des connaissances, etc. L’écriture est principalement influencée par le destinataire et l’objectif, ainsi que par la contrainte du nombre réduit de caractères (ce qui implique un raccourcissement des formules d’appel, de politesse, etc., l’objectif étant d’aller { l’essentiel). 22 Suite { son étude sur les sms, C. Fairon & al. précisent que si aujourd’hui les jeunes sont capables de jouer avec le français, langue qu’ils ont apprise d’une manière traditionnelle avant d’avoir accès aux TIC, il est difficile de prédire si la génération suivante, utilisant les TIC dès l’apprentissage de l’écrit, aura la même conscience de la spécificité d’une variété de français par rapport à une autre. 22 Notons qu’il existe aujourd’hui une gamme impressionnante de modèles de GSM, proposant chacun des fonctions très variées. Selon le modèle de GSM utilisé, le sms est rédigé soit sur un clavier de douze touches, soit sur un clavier de type AZERTY, semblable { celui d’un ordinateur, ce qui influence bien entendu le mode d’écriture. Les gsm ne disposant que de douze touches proposent généralement une fonction T9 ou dictionnaire, qui facilite la rédaction du sms, mais engendre également un certain nombre de fautes caractéristiques telles que les confusions entre plusieurs mots qui requièrent le même nombre de pressions sur les mêmes touches (« je » et « le » par exemple). Par ailleurs, l’apparition des smartphones, téléphones permettant de naviguer sur Internet et de télécharger des applications offrant diverses fonctions supplémentaires, entraine une modification des pratiques d’écriture. En effet, il est désormais possible d’envoyer un courriel ou un sms avec le même appareil, rendant les particularités des différents supports-espaces parfois difficiles à cerner et les frontières entre ces derniers floues. Nous distinguons ainsi deux générations : la première, très appareillée (ordinateur fixe, ordinateur portable, GSM), est en quelque sorte la pionnière des nouveaux modes d’écriture ; la seconde, qui a troqué ce lourd appareillage contre un smartphone, tend déjà à modifier ces « nouveaux » modes d’écriture. Contrairement { ce que l’on entend auprès des contempteurs des sms, ces modes ne constituent donc pas une nouvelle norme susceptible de supplanter le français standard étant donné qu’ils sont en constante mutation. Ce qui était « tendance » il y a quelques années est devenu ringard et ce qui est « in » parmi les jeunes ne l’est pas pour les adultes. Fiche technique Messages Destinataires Degré de familiarité / Clavardeurs en contact Finalités Publicité Synchrone Délai de réponse Message / Réponse Famille / Amis / Connaissances Car se connaissent Information / Humour / Pratique-utilitaire Privé Non Rapide Bibliographie sélective BRANDT S. (2008), « Parlez-vous textos », in : L’oral en représentation(s) Décrire, enseigner, évaluer, Chantal PARPETTE et Marie-Anne MOCHET (éd.) ; 1er trimestre 2008, pp.135-157. Louvain : EME, collection « Proximités – Didactique ». DAVID J. & GONCALVES H. (2007), « L’écriture électronique, une menace pour la maitrise de la langue ? », dans Le français aujourd’hui, n°156, pp. 39-47. FAIRON C., KLEIN J. R & PAUMIER S. (2006), Le langage SMS. Étude d’un corpus informatisé à partir de l’enquête « Faites don de vos SMS à la science », Cahiers du CENTAL n°3.1, Louvain-la-Neuve, Presses Universitaires de Louvain-la-Neuve. 23 2. Les facteurs de variation Au clavardage ne correspond pas une variété unique et figée de français écrit. En effet, la langue clavardée varie en fonction d’une série de facteurs extralinguistiques pour la plupart interdépendants. Même si cet exercice peut paraitre artificiel, nous nous proposons de les présenter séparément car les liens qui les unissent varient d’un contexte { l’autre, rendant impossible toute étude globale. L’analyse des données fournies par le questionnaire nous permettra de montrer quels sont ces liens, même si nous expliquons déjà ici les plus évidents. 2.1. Le support-espace Le support-espace comme facteur de variation est { l’origine-même de cette recherche. Nous postulons en effet que, même s’il s’agit dans tous les cas d’un français clavardé, le mode d’écriture varie en fonction du support précis sur lequel il est employé. Il s’agit donc d’observer et d’analyser les codes et les normes implicites liés { chacun des supports, codes et normes qu’il est important de maitriser pour une communication réussie. Ainsi, nous verrons par exemple plus loin que le choix du support dépend en partie de la relation que l’on entretient avec son destinataire : communiquer par sms ou par messagerie instantanée avec son patron n’est pas (encore) ce qu’il y a de plus adéquat. 2.2. Le sujet Il est possible d’aborder une multitude de sujets sur les dix supports-espaces de clavardage que nous étudions. Demander des conseils sur la meilleure façon de réaliser des macarons, écrire un journal de l’extime, exprimer son opinion sur un modèle de voiture, faire la critique d’un livre ou d’un film, demander comment faire pour se réconcilier avec sa meilleure amie, s’effrayer du péril dans lequel se trouve prétendument la langue française, faire une déclaration d’amour, s’enquérir des modalités concernant un cours { l’université, fixer un rendez-vous avec ses copains, raconter une blague... La liste est sans fin. Le sujet abordé est un facteur de variation relativement important étant donné qu’il influence le degré d’implication du clavardeur ainsi que le degré d’attention accordé { l’écriture par celui-ci. Notons que le sujet duquel on souhaite entretenir son destinataire influence le choix du support, tout comme le destinataire lui-même. Se séparer de son petit copain sur un forum de discussion, support public, n’est par exemple pas d’usage 2.3. L’objectif Ensuite, les objectifs poursuivis par les clavardeurs influencent également l’attention et l’importance accordée { l’écriture. On peut supposer que la détente et le désir de passer un bon moment impliqueront une attention moins grande au mode d’écriture que le souhait d’obtenir de l’aide de la part d’un professeur par exemple. L’objectif lui-même, tout comme le sujet, détermine dans une certaine mesure le support qui sera choisi par l’émetteur du message. Par ailleurs, il est intéressant de constater que sur certains supports, les clavardeurs poursuivent un objectif commun. Sur les sites de rencontre par exemple, la finalité commune semble assez évidente : il s’agit de flirter ou de rencontrer l’âme sœur et donc, dans (presque) tous les cas, de passer d’une rencontre virtuelle { une rencontre IRL. Les forums, par contre, ont pour finalité première la communication et l’échange par Internet. Au-delà de cette finalité commune, chaque 24 clavardeur possède une série d’objectifs qui influence son degré d’attention { l’écriture et, par conséquent, sa manière d’écrire, objectifs qui peuvent bien entendu varier : professionnels, privés, humoristiques, pratiques, etc. 2.4. Le destinataire Le destinataire du message est sans doute l’un des facteurs de variation les plus influents. En réalité, c’est plus précisément la relation que l’on entretient avec le destinataire plutôt que le destinataire lui-même qui influence l’attention que l’on porte à son mode d’écriture : le degré de familiarité peut varier fortement d’une personne { l’autre et la relation peut ainsi être formelle ou informelle, amicale ou professionnelle, cordiale ou lointaine. Notons que sur certains supports tels que les forums et les blogs accessibles { l’ensemble des internautes par exemple, il est impossible de déterminer avec précision qui lira le message que l’on écrit, c’est-à-dire qui en est le destinataire réel. Cette incertitude concernant le destinataire, même si le clavardeur en a conscience, peut également influencer l’écriture. Ce n’est bien évidemment pas la même chose de clavarder avec une personne bien précise que de s’adresser { une communauté floue et indéfinie, même si elle considérée comme ciblée et connue. 2.5. Le degré de publicité et d’accessibilité des messages clavardés Ce facteur de variation dépend en réalité beaucoup du type de support-espace. Le courriel, le sms et la messagerie instantanée permettent uniquement une communication privée alors que sur les autres supports, la communication est principalement publique ou semi-privée. Sur les forums, les chats et les sites de rencontre, cela dépend des choix des gestionnaires du site : certains nécessitent une inscription avec ou sans mot de passe, soumise ou non { l’approbation d’un administrateur, d’autres sont accessibles { l’ensemble des internautes. Sur les réseaux sociaux, les blogs et les micro-blogs, chaque clavardeur peut décider du degré de publicité de son compte. 2.6. La présence de modérateurs Une équipe de modérateurs est présente sur la plupart des forums et des chats. Comme leur nom l’indique, le rôle de ces internautes est de « modérer » les discussions, c’est-à-dire de veiller à ce que les règles du forum ou du chat soient appliquées. Consultables par tous les utilisateurs, celles-ci préconisent souvent la courtoisie et la liberté d’expression dans le respect de l’autre, interdisent généralement les propos { caractère xénophobe ou pornographique, les insultes… et le langage sms – plus sur les forums que sur les chats. Dans les cas de non-respect de ces règles et selon la gravité des « faits », les sanctions vont du simple avertissement au bannissement définitif du clavardeur. Celui-ci est donc tenu de surveiller son langage, tant du point de vue du contenu que de la forme. La présence ou non d’une équipe de modérateurs – presque systématique pour que les forums et les chats ne soient pas le lieu de débordements mais pourtant source de débat – ainsi que le degré d’interventionnisme de ceux-ci sont donc également des facteurs de variation à prendre en compte, mais uniquement sur les chats et les forums. 25 2.7. Le médiateur Ce facteur de variation est externe tant à la communication qu’au support. Néanmoins, il peut influencer le mode d’écriture du clavardeur. Par médiateur, nous désignons la « machine » utilisée pour clavarder : un ordinateur fixe, un ordinateur portable, un smartphone ou un GSM. Le terme « médiateur », un peu artificiel mais qui nous semble mieux convenir que le mot « outil » utilisé dans un premier temps, nous est inspiré par Rachel Panckhurst23. Si l’on peut supposer que le mode d’écriture diffère peu d’un ordinateur portable { un ordinateur fixe, il en va autrement lorsqu’il s’agit des smartphones, également appelés « téléphones intelligents », et des GSM. En effet, le modèle de GSM utilisé peut déterminer dans une certaine mesure la manière dont sera rédigé un sms : type de clavier, présence ou non de la fonction T9 – ou saisie intuitive –, fonctions de mise en forme, etc. Quant au smartphone, il est le seul médiateur permettant de clavarder sur tous les supports-espaces, qu’ils soient accessibles via Internet ou qu’il s’agisse de sms. Par ailleurs, il intègre souvent un correcteur orthographique. Il présente également la particularité d’être très maniable et très discret, ce qui permet de l’utiliser où que l’on se trouve : au cours, en déplacement, à la maison, chez des amis. Dans ces situations, l’attention portée { l’écriture ne peut évidemment pas être la même, le médiateur et l’endroit sont donc des facteurs de variation linguistique étroitement liés. Les caractéristiques techniques du smartphone, notamment la petite taille de son clavier et de son écran, influencent également le mode d’écriture. Au début de notre entretien avec Morgan, un étudiant en BA1 possédant un smartphone, celui-ci nous a annoncé qu’il nous a envoyé un courriel lorsqu’il était dans le métro pour nous donner des précisions à propos de notre lieu de rendez-vous. Il nous en parle à la fin de notre entretien : « Mais là je vous ai envoyé un e-mail tantôt avec le téléphone et je me suis dit peut-être que vous auriez la possibilité de le voir ou pas, je sais pas, pour trouver le local et c’est vrai que c’était, j’essayais de me relire mais j’ai pas fait aussi attention que si je vous avais envoyé, … que si c’était avec l’ordinateur en fait. C’est tout petit, et puis c’est pas évident. C’est comme quand on écrit au tableau, on est vraiment contre, on voit moins sinon je trouve aussi les fautes et voilà. » Il est vrai que la structuration et la ponctuation de son message ne sont visiblement pas autant surveillées que dans les courriels qu’il écrit sur un ordinateur, mais { part ces deux points, son mode d’écriture semble ne pas changer énormément. 2.9. Autres Il existe bien entendu d’autres facteurs responsables de la variation linguistique sur Internet, tels que la représentation que le clavardeur se fait du support-espace précis où il écrit par exemple, l’âge du clavardeur, sa situation socio-professionnelle, l’endroit où il se trouve, etc. Étant donné que nous ne les avons pas étudiés dans le cadre de notre enquête, soit parce qu’ils nous semblaient peu pertinents, soit parce qu’il était impossible de le faire, nous ne les détaillons pas dans notre rapport. 23 Rachel PANCKHURST « Discours électronique médié : quelle évolution depuis une décennie ? », in GERBAULT J. (dir.) (2007), La langue du cyberespace : de la diversité aux normes, Paris, L’Harmattan. 26 3. Enquête quantitative 3.1. Le questionnaire Afin de récolter un ensemble significatif et représentatif de données sur les usages que font les internautes des différents support-espaces que nous avons décrits précédemment ainsi que sur leurs pratiques d’écriture sur ceux-ci, nous avons élaboré un questionnaire à choix multiples24 accessible en ligne et destiné aux étudiants de BA1 des différentes facultés de l’ULB ainsi qu’{ des élèves de sixième secondaire. En réalité, dans le but d’obtenir des données sociologiques plus précises et de faciliter l’analyse, nous avons créé deux questionnaires quasiment identiques – seules les questions d’ordre sociologique varient –, l’un pour les rhétoriques, l’autre pour les BA1, dont nous joignons une copie en annexe (cf. DVD). Il ne s’agit malheureusement que d’un aperçu incomplet et tronqué, car nous avons conçu un questionnaire interactif, c’est-à-dire que les questions varient en fonction des réponses données. Leur version électronique, auparavant accessible via les adresses http://gramm-r.ulb.ac.be/ba1 et http://gramm-r.ulb.ac.be/rheto, ne sont plus en ligne étant donné que la récolte des données est clôturée. Le questionnaire est relativement long (le temps de réponse variait entre une demiheure et une heure en fonction de la diversité des pratiques des clavardeurs) car nous le souhaitions complet et précis. Ainsi, chacune des questions est motivée et réfléchie et participe à la construction d’une description fidèle de l’utilisation des différents supports-espaces de clavardage, de la représentation qu’ont les clavardeurs des variétés linguistiques qu’ils y rencontrent ainsi que de leurs propres modes d’écriture. Lors des entretiens, les clavardeurs nous ont pour la plupart d’entre eux fait part de leurs impressions sur le questionnaire et, bien que tous en soulignaient la longueur, il semblerait que cela n’ait pas altéré la véracité des réponses fournies. 3.2. Les données Les adresses des deux questionnaires ont été diffusées le plus largement possible afin de récolter un maximum de données. Ainsi, un courriel fut envoyé { l’ensemble des étudiants en BA1 de l’ULB via le service administratif. Nous avons également fait la promotion de notre enquête dans plusieurs auditoires en expliquant notre démarche afin d’encourager les étudiants à répondre. Parallèlement, nous avons demandé à plusieurs professeurs de rhétorique de parler de ce questionnaire à leurs élèves et nous nous sommes nous-mêmes rendus dans certaines classes, soit pour répondre au questionnaire avec eux et en discuter ensemble par la suite (Athénée Royal Lucienne Tellier à Anvaing et Athénée Royal de Waterloo) soit pour faire la promotion du questionnaire (Athénée Royal Charles Janssens). Description de l’échantillon 24 Les questions fermées ne laissent certes pas une grande marge de manœuvre aux répondants étant donné qu’ils doivent impérativement choisir une ou plusieurs réponses parmi celles qui leur sont proposées, mais elles présentent l’avantage de pouvoir être traitées de manière statistique, comme nous le souhaitions, ce que ne permettent pas les questions ouvertes (il est vrai moins orientées). La présence quasi systématique d’une ligne de réponse « Autres » ainsi que les entretiens individuels avaient pour but de compléter les données quantitatives fournies par le questionnaire. 27 Finalement, nous avons récolté 405 réponses complètes et valables, 345 de la part de BA1 et 60 d’élèves en dernière année de l’enseignement secondaire. Cet écart frappant s’explique par la difficulté { faire circuler rapidement et largement l’information dans les classes de rhétorique, et ce malgré une attitude nettement plus active pour la promotion de notre projet auprès de ce public (par exemple, notre présentation dans une classe de l’Athénée Royal Charles Janssens, qui semblait pourtant intéresser les élèves et suscitait de nombreuses questions et réflexions de leur part, n’a donné lieu { aucune réponse). En outre, une aide de l’administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles nous a permis de toucher davantage d’enseignants. Malheureusement, ce ne fut guère fructueux. Études 15% BA1 Rhéto 85% Les élèves de rhétorique ayant répondu au questionnaire proviennent des écoles suivantes : l’Athénée Royal de Waterloo (général), l’Athénée Royal Lucienne Tellier à Anvaing (général), l’Athénée Royal de Thuin (général), l’Athénée Royal d’Athus (professionnel), l’École Internationale du SHAPE (général) et l’Institut de la Providence { Gosselies (général)25. 65 % des élèves sont dans des options principalement orientées vers les sciences exactes (comptabilité, sciences-math, économie-langues) et 35 %, des options orientées vers les sciences humaines (audiovisuel, langues modernes, latin-grec, latin-langues). Options rhétos Scientifique Littéraire 35% 65% Les étudiants de BA1, quant à eux, représentent de manière relativement homogène les différentes facultés de l’ULB, avec néanmoins une représentation plus marquée des étudiants inscrits dans la Faculté de Philosophie et Lettres. 25 À part une, toutes les écoles appartiennent au réseau officiel de la Communauté française. Il fut en effet très difficile de faire circuler l’information auprès des élèves inscrits dans les écoles des autres réseaux. 28 1% 1% 11% Facultés Droit Médecine 5% Philo et lettres 6% Sciences psychologiques et de l'éducation 13% Sciences sociales et politiques 31% Sciences 15% Sciences appliquées 16% Sciences économiques Master Une large majorité de filles a répondu au questionnaire (68 %), ce qui ne signifie pas forcément qu’elles sont plus actives que les garçons sur les différents supports-espaces de clavardage, mais sans doute uniquement qu’elles sont plus conciliantes… Sexe 32% Filles Garçons 68% La majorité des répondants a entre 17 et 20 ans (82 %). Âge 29 Le français est la langue première d’une large majorité des répondants. 12 % d’entre eux l’ont appris comme langue seconde26. Statut du français 3.3. Les résultats Les analyses et observations réalisées à partir des données récoltées dans le cadre de notre enquête ne décrivent bien entendu que les pratiques de l’échantillon que nous venons de décrire, c’est-à-dire de 405 jeunes, étudiants en BA1 et élèves de rhétorique, de sexe, d’origine et d’orientation différents. Nous ne prétendons en aucune manière que cet échantillon, que nous avons souhaité relativement hétérogène excepté du point de vue de l’âge, est représentatif de l’ensemble des clavardeurs, les vérités que nous énonçons sont ainsi uniquement les vérités de l’échantillon. Néanmoins, son analyse doit nous permettre de dégager certaines tendances que nous avons par ailleurs pu observer sur la Toile. Nous avons interrogé les représentations des clavardeurs eux-mêmes, ces donc ces représentations que l’étude reflète ici. Il se peut qu’elles soient en contradiction avec celles que le chercheur ou le lecteur pourraient avoir. Dans le but d’éviter des conflits entre ces différentes représentations, nous avons décidé de rendre exclusivement compte des données qui ressortent des questionnaires soumis aux clavardeurs ainsi que des entretiens, même si elles peuvent surprendre le lecteur. 3.3.1. Utilisation des supports-espaces de clavardage Nous indiquons ici les abréviations utilisées dans les tables et graphiques : - S: ME : MI : RS : sms courriel messagerie instantanée réseau social 26 Nous n’avons malheureusement pas pu observer l’influence de cette donnée sur les représentations linguistiques des répondants. 30 - F: FD : B: C: MB : SR : forum de discussion forum de débat blog chat micro-blog site de rencontres. 3.3.1.1. Taux et fréquence d’utilisation Tous les supports-espaces de clavardage recensés ne sont pas utilisés par tous les clavardeurs, pas plus qu’ils ne le sont { la même fréquence, avec la même intensité, les mêmes objectifs, la même implication. Il est donc intéressant dans un premier temps de dresser un tableau de l’utilisation des supports-espaces par les répondants. Utilisation des nouvelles technologies de socialisation ( % d’utilisateurs) Le sms est le support-espace le plus largement utilisé. En effet, 99,3 % des répondants correspondent par sms, dont certains à une fréquence étonnamment élevée : 28 % déclarent en envoyer plus de vingt-cinq par jour, 23,7 % en envoient entre dix et vingt-cinq par jour et 20,7 % entre cinq et dix par jour. Il est donc impossible de passer à côté de ce court message envoyé par GSM, { toute heure du jour ou de la nuit et dans n’importe quel contexte. Nettement moins encombrant qu’un ordinateur, le GSM peut en effet être utilisé partout pour envoyer un sms (même au cours !), ce qui explique sans doute le succès retentissant de ce mode de communication27. Omniprésent, le sms va jusqu’{ supplanter la conversation téléphonique : 27 Comme nous l’avons déj{ souligné, ces pratiques évoluent depuis l’apparition des smartphones : il est maintenant presque aussi facile d’envoyer un courriel, par exemple, qu’un sms. 31 59 % des répondants déclarent qu’il est plus facile pour eux d’envoyer un sms que de téléphoner, pour des raisons économiques (de nombreux opérateurs proposent des formules avec sms gratuits), pratiques (il est peu commode ou peu discret de téléphoner dans les bruyants transports en commun, au cours, etc.), ou psychologiques (la conversation téléphonique est parfois perçue comme plus insécurisante et plus intrusive que le sms). Voici ce qu’en dit Aurélie : « J’aime pas le téléphone. J’aime pas d’être au téléphone, je sais pas. Je suis pas { mon aise. Alors que je suis plus { l’aise { l’écrit, j’arrive { mieux m’exprimer et { trouver les termes qu’il faut. Fin je me sens plus compréhensible { l’écrit. C’est pour ça que je préfère les sms. »28 Le sms offre un temps de réflexion plus long, permet au destinataire de choisir quand il souhaite répondre et ne comporte pas les « risques » d’une communication directe tels que les bafouillages, les erreurs, etc. Ainsi, nous pouvons constater une évolution dans les modes de communication, le téléphone se voyant délaissé au profit du sms, c’est-à-dire qu’un mode de communication écrit prend le pas sur un mode de communication orale. Dans la sphère professionnelle, c’est le courriel qui tend { jouer ce rôle : de même que le sms, il permet au destinataire de choisir quand il souhaite répondre, ce qui n’est pas le cas de la communication téléphonique qui exige une disponibilité immédiate29. Après le sms, c’est le courriel qui remporte le plus de succès avec 97,5 % d’utilisateurs parmi les répondants. Nous verrons plus loin que cela s’explique notamment par le fait que le courriel est le seul moyen de communiquer avec l’ensemble des clavardaires, quelle que soit la relation que l’on entretient avec eux et quels que soient le contexte et les objectifs. Notons que si presque tous les répondants envoient des courriels, ce support-espace d’écriture est moins fréquemment sollicité que le sms. En effet, il est utilisé en majorité plusieurs fois par semaine (33 %) et non tous les jours (27 %), et 25 % des répondants n’en rédigent que plusieurs fois par mois, alors que le sms fait partie intégrante de leur quotidien. Leur âge et leur situation d’élève ou d’étudiant ne requièrent pas l’envoi fréquent de courriel, contrairement aux contextes professionnels où il est omniprésent. Toutefois, il est intéressant de constater qu’alors qu’il semble aujourd’hui impossible de se passer de ce support, quelques-uns le délaissent et privilégient d’autres types de communication clavardée30. Ainsi, les dix clavardeurs qui affirment ne pas envoyer de courriel communiquent par contre tous par sms et tous sont inscrits sur Facebook. Après le courriel vient la messagerie instantanée, qui est utilisée par 89,1 % des répondants. Pour beaucoup (41 %), il s’agit tout comme le sms d’une pratique quotidienne. 30 % déclarent utiliser ce support plusieurs fois par semaine, 20 % plusieurs fois par mois et seulement 8 % plusieurs fois par an. Le temps de connexion varie entre moins d’une demi-heure 28 Les citations simplement annoncées ou suivies d’un prénom renvoient aux transcriptions fournies en annexe sur DVD. Nous nous contentons d’indiquer le nom du clavardeur interviewé en guise de référence. 29Dans Parlez-vous texto ?, Jacques Anis dénonce un abus de ce système : nombreux sont ceux qui se disent noyés par les courriels. 30Notons que parmi ces clavardeurs disant ne jamais envoyer de courriel, la plupart est susceptible d’avoir accédé au questionnaire via ce support – les BA1 du moins. Ne pas envoyer de courriel ne signifie donc pas qu’on ne possède pas d’adresse électronique que l’on peut consulter de temps en temps. Nous avons souhaité interroger l’un d’entre eux pour comprendre pourquoi il n’utilise pas ce support, mais nous n’avions pas d’autre moyen de contact que… le courriel. Nous avons finalement obtenu son numéro de téléphone grâce à un de ses professeurs, mais il était alors déjà trop tard pour réaliser l’entretien. 32 (29 %), une demi-heure et une heure (41 %) et plus d’une heure (30 %). Ainsi, le clavardage sur les messageries instantanées prend une place relativement importante en termes de temps dans le quotidien de nombre de jeunes. Si MSN représentait auparavant une des portes d’entrée des jeunes sur Internet – 254 répondants y sont encore inscrits –, le succès actuel de la messagerie instantanée est surtout expliqué par la présence de ce support-espace sur les réseaux sociaux tels que Facebook (303 répondants). Le troisième principal service de messagerie instantanée est le site de téléphonie Skype, qui propose également ce support-espace de clavardage, employé par 180 des répondants. Le réseau social, support-espace de communication hybride qui rassemble d’une certaine façon le courriel, la messagerie instantanée et le blog – du point de vue formel –, et présente également des points communs avec les forums et les sites de rencontre en ce qui concerne les objectifs des clavardeurs –, est très largement utilisé (88,9 %) et prend énormément de place dans le quotidien de certains clavardeurs : 28 % restent connectés plus d’une heure, 23 % entre une demi-heure et une heure et 34 % entre dix minutes et une demi-heure. Les membres des sites de socialisation adoptent le plus souvent une attitude passive puisque les longues heures consacrées à la navigation sur le réseau sont principalement dédiées à la lecture et à la consultation des données (60 %) et peu { l’écriture (7 % seulement déclarent passer plus de temps { écrire qu’{ lire). C’est notamment depuis la création de Facebook en 2004 que le concept de réseau social connait un tel succès. 360 répondants sont inscrits sur ce site, contre seulement 9 sur LinkedIn, 13 sur Netlog, 3 sur Bebo et 11 sur d’autres sites moins connus. Véritable phénomène de société, il engendre nombre de débats et de réflexions sur lesquelles nous ne nous attarderons pas dans notre rapport. Nous nous contenterons simplement de préciser qu’aujourd’hui, ne pas être inscrit sur Facebook alors qu’on est adolescent ou jeune adulte représente souvent une prise de position éthique. En effet, ne pas ou ne plus posséder de compte signifie dans de nombreux cas que l’on s’oppose { la manière dont peuvent être utilisées les données échangées par les utilisateurs, ce que ne compensent pas les nombreux services attrayants et les multiples possibilités offerts par le site. « Nous – Et le monstre Facebook ? Pablo – Non ça jamais, c’est dans ma catégorie de choses { éviter. – Pourquoi ? – (…) Avec Nurpa, on est anti-Facebook au possible. – C’est une question d’éthique ? – Oui, clairement. » (Pablo) Ainsi, si les réseaux sociaux et notamment Facebook sont très répandus, ces questions controversées expliquent sans doute pourquoi tous les jeunes ne se laissent pas séduire. Quant aux forums de discussion, 69,1 % des répondants déclarent y naviguer plus ou moins régulièrement. C’est une pratique quotidienne pour seulement 16 % d’entre eux, la majorité s’y connecte plusieurs fois par semaine (25 %), plusieurs fois par mois (34 %), voire seulement plusieurs fois par an (26 %). Le temps de connexion est assez court : 67 % naviguent moins de trente minutes contre seulement 26 % entre trente minutes et une heure et 7 % plus d’une heure. Par ailleurs, il est important de souligner que si les forums de discussion sont assez fréquentés, de nombreux internautes ne s’en servent pas comme un support-espace de communication à proprement parler dans le sens où ils interviennent rarement dans les discussions (56 % des répondants qui déclarent naviguer sur des forums de discussion), voire 33 jamais (33 %), et se contentent de lire ce qui a été posté par d’autres. De plus, parmi ceux qui rédigent des messages, 75 % déclarent y consacrer moins de temps qu’{ la lecture. Ce support, qui ne vit en principe que grâce aux interactions des internautes, représente en réalité pour beaucoup une source d’informations comme le sont d’autres sites web et non un support de communication31. Il en va de même pour les blogs : si 54,3 % des répondants déclarent naviguer sur des blogs – de manière irrégulière puisque 44 % n’en consultent que plusieurs fois par an –, seuls 13,8 % en possèdent un ou plusieurs – 34 sur Skyrock, 7 sur Blogger, 4 sur Wordpress et 13 sur d’autres plateformes telles que Canalblog et Overblog. Les auteurs consacrent relativement peu de temps à la rédaction de leurs articles : 57 % moins d’une demi-heure, 30 % entre une demiheure et une heure et 13 % plus d’une heure. Les commentaires sont également assez rares : 60 % se contentent de lire les articles postés par l’auteur du blog tandis que 39 % laissent de temps en temps un commentaire (parmi eux, 89 % affirment passer moins de temps à écrire qu’{ lire sur les blogs). Ainsi, les jeunes interrogés se révèlent assez passifs étant donné qu’ils naviguent pour la plupart sur différents types de supports-espaces de clavardage (notamment les forums de débat et de discussion ainsi que les blogs) mais que cela n’implique pas forcément une participation active de leur part. La plupart de ces « internautes passifs » expliquent leur attitude par le fait qu’ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient et ne ressentent pas le besoin d’intervenir, et non par la peur de la faute ou du jugement des autres (deux autres explications proposées dans le questionnaire). Par ailleurs, il est frappant de constater que 50,1 % des répondants ont possédé un ou plusieurs blogs auparavant, mais qu’ils ne voient aujourd’hui plus l’intérêt de ce type de support sur Internet, ce qui est dû, notamment, à l’apparition des réseaux sociaux, en particulier de Facebook, qui, nous l’avons dit plus haut, rassemblent les caractéristiques de plusieurs supports-espaces appréciés et présentent l’avantage d’être utilisés de manière généralisée. En effet, ils représentent un phénomène de mode : « Je crois qu'il y un phénomène de "mode" avant c'était les skyblogs maintenant facebook [sic], j'ai suivi comme tout le monde. » (Questionnaire BA1) La visibilité des activités d’un clavardeur est plus grande sur un profil de réseau social très fréquenté que sur un blog perdu dans l’océan du web, ce qui est bien entendu plus attractif puisque l’objectif principal, même s’il n’est pas toujours conscient et assumé, est de communiquer. Paradoxalement, plusieurs personnes déclarent qu’elles ne possèdent pas ou plus de blog car elles souhaitent protéger leur vie privée alors qu’elles sont inscrites sur Facebook qui, on l’a déj{ dit, fait couler beaucoup d’encre { propos de l’utilisation abusive des données qui y sont publiées. Les forums de débat connaissent beaucoup moins de succès que les forums de discussion, dont le fonctionnement est identique mais le contenu sensiblement différent, puisque seuls 20 % des répondants les consultent, de manière assez irrégulière – la majorité des personnes qui naviguent sur des forums de débat le fait au maximum une fois par semaine. Les forumeurs naviguent à peine plus longtemps sur les forums de débat que sur les forums de discussion (42 % naviguent entre une demi-heure et une heure contre 25 %). De plus, tout comme sur les forums de discussion, rares sont ceux qui déclarent intervenir sur les forums de 31 L’aspect participatif des TICS, où l’internaute n’est plus seulement spectateur mais peut devenir acteur, ne semble pas aussi attrayant que ce qu’affirment plusieurs études sur la question. 34 débat : 47 % n’interviennent jamais et 41 % interviennent rarement, mais, parmi ces derniers, 85 % disent consacrer plus de temps { la lecture qu’{ l’écriture. Ainsi, le clavardage sur ce support est très occasionnel au sein de notre échantillon. Plus occasionnel encore est le chat, dont les utilisateurs sont très faiblement représentés32. En effet, cette pratique est peu courante puisque 10,6 % des répondant seulement clavardent sur ce type de support – 35 % quotidiennement, 12 % plusieurs fois par semaine, 21 % plusieurs fois par mois et 33 % plusieurs fois par an. Le temps de clavardage varie fortement : 47 % chattent moins de trente minutes, 26 % entre trente minutes et une heure et 28 % plus d’une heure. Le micro-blog est un nouveau type de support-espace de clavardage. Le plus connu est Twitter, créé en 2006. Même s’il fait de plus en plus parler de lui, il ne connait pas le succès retentissant de Facebook, un site auquel on le compare souvent étant donné leurs caractéristiques communes de réseautage. Seuls 4,7 % des répondants déclarent posséder un compte de microblogging (dont 79 % sur Twitter). Par ailleurs, la majorité (89 %) déclare passer moins de dix minutes à la rédaction de message. En fait, si l’utilisation active d’un micro-blog demande de se connecter régulièrement, le temps consacré { l’écriture est bref et les messages publiés sont très courts, il ne s’agit d’ailleurs pas réellement de conversation – ce qui implique un certain temps d’interaction – mais bien de publication. Enfin, nous avions également classé parmi les supports-espaces de clavardage les sites de rencontres, mais seulement six étudiants (1,5 %) affirment posséder un ou plusieurs comptes. Cette pratique, pas toujours valorisée socialement, n’est par conséquent peut-être pas assumée par tous et donc non avouée. Néanmoins, nous supposons que la possibilité de garder l’anonymat a encouragé des réponses honnêtes et qu’il y a bel et bien très peu de jeunes de notre échantillon qui clavardent sur des sites de rencontres. Étant donné ce faible effectif, nous ne sommes pas en mesure de généraliser les données qui le concernent. 3.3.1.2. Les objectifs Les objectifs poursuivis sur les différents supports-espaces de communication divergent bien entendu, même s’ils se recouvrent parfois. Notre conception du questionnaire laissait aux répondants la possibilité de cocher plusieurs réponses à certaines questions, ce qui explique que la somme des effectifs de chacune des réponses dépasse souvent le nombre d’utilisateurs du support-espace. Les répondants pouvaient également proposer d’autres objectifs que nous n’avions pas envisagés grâce à une ligne de réponse « Autres ». Ces différentes possibilités nous permettent à présent de déterminer quels sont les diverses raisons qui poussent un internaute à naviguer sur un support-espace. Les objectifs premiers des sms, support-espace le plus fréquemment utilisé, sont organisationnels : en effet, ils servent à organiser des activités et des sorties (353) et à régler des questions pratiques telles que l’heure du retour { la maison par exemple (344). La fonction 32 Les pourcentages fournis concernant les chats, les micro-blogs et les sites de rencontre sont à considérer avec prudence étant donné le faible nombre de répondants utilisant ces supports. Par exemple, 50 % des utilisateurs de sites de rencontres ne représentent en réalité que trois personnes, nombre { partir duquel il est impensable d’énoncer des généralités ou de tirer des conclusions. Cela explique également pourquoi nous nous attarderons moins sur ces trois supports-espaces peu utilisés. 35 socialisatrice de ce support-espace est également très forte : 333 répondants l’utilisent pour prendre des nouvelles et entretenir leur relation avec des amis ou des membres de leur famille, et ce même s’ils les voient régulièrement (210 l’utilisent également pour entretenir leurs relations avec des personnes qu’ils ne voient pas souvent). Le sms est par ailleurs très sollicité pour demander { d’autres élèves ou étudiants des informations concernant les cours (312), tandis qu’ils sont très peu nombreux – bien que ce nombre étonne tout de même – à demander les mêmes informations par sms à leurs professeurs (16). Le sms permet encore d’échanger des informations intéressantes (168) et des blagues (120). Enfin, certaines personnes ont précisé qu’ils envoient aussi des sms pour « souhaiter un joyeux anniversaire ;-) » ou envoyer des « messages d’amour ». Certains ajoutent qu’il n’est pas toujours nécessaire d’avoir un objectif précis pour envoyer un sms : ils en envoient « pour rien », « pour tout et n’importe quoi », « parce que j’ai des sms gratuits ». Ainsi, le simple plaisir d’envoyer un sms peut constituer un objectif en soi, ce qui explique en partie le nombre impressionnant de sms envoyés tous les jours. Les objectifs motivant l’envoi d’un courriel sont grosso modo les mêmes que ceux identifiés pour le sms mais la répartition des effectifs est sensiblement différente. En effet, le courriel sert en premier lieu { demander des informations sur les cours { d’autres élèves/étudiants (289) ainsi qu’{ des professeurs (212), ce qui était presqu’impensable dans le cas du sms. Il est également plus utilisé pour échanger des nouvelles avec des amis ou des membres de la famille qu’on ne voit pas souvent (210) qu’avec des proches qu’on voit régulièrement (114). Dans ce contexte, le courriel prend ainsi la place qu’occupait auparavant la lettre de correspondance privée33, destinée à des proches géographiquement éloignés et n’a pas 33 Si l’on définit régulièrement le courriel comme le moyen de communication qui a remplacé la lettre, il est incontestable qu’il remplit également de nouvelles fonctions telles que l’échange rapide d’informations étant donné que ses caractéristiques sont différentes. 36 la même fonction socialisatrice que le sms (création et entretien d’une relation plus intime avec des personnes que l’on côtoie souvent). Par ailleurs, 189 répondants envoient des courriels pour obtenir des informations pratiques auprès de pourvoyeurs de services, ce qui n’est pas envisageable par sms. Le courriel est également utilisé pour organiser des activités et des sorties (167) et régler des questions pratiques (132), mais c’est moins usuel que par sms, supportespace sur lequel cela fait partie des objectifs de presque tous les répondants qui l’utilisent (353 et 344). Le partage d’informations intéressantes (130) et de blagues (60) sont aussi identifiés comme des objectifs mais de manière moins fréquente. Enfin, certains ont précisé que pour eux, le courriel est également le support-espace privilégié pour postuler ou gérer des contacts en rapport avec une activité professionnelle (job d’étudiant par exemple), pour « faire passer une information à plusieurs personnes à la fois » – ce qui est plus difficile par sms –, « pour poser des questions par rapport à mon traitement médical à mon médecin », « pour regler des affaires administratives ». On constate que les situations de communication pointées spontanément par les répondants sont assez formelles et que le choix du support-espace est tant lié { l’objectif poursuivi par l’envoi d’un message que par la relation que l’on entretient avec le destinataire. Bien que nous essayions de nous astreindre à cet exercice afin de comparer la manière dont sont utilisés les différents supports-espaces de clavardage, il est évident qu’il est artificiel d’analyser séparément le destinataire et l’objectif, facteurs de variation linguistique étroitement liés. C’est ce qu’explique Pablo : « Le support, en gros, indirectement le support va découler de mon objectif et de la personne. Je vais pas être sur un chat avec mon prof en train de parler du temps, donc c’est pour ça. Chaque support a son objectif. Donc les trois sont liés [destinataire, objectif et support] mais ils ont une influence sur l’autre. » Quant à la messagerie instantanée, sa finalité principale est bien évidemment la discussion avec des amis et des membres de la famille, qu’on les voie peu souvent (282) ou qu’on 37 les fréquente régulièrement (245). De plus, ce support-espace rejoint le sms quant à sa fonction organisationnelle, puisque 231 répondants l’utilisent pour planifier des activités. Poser des questions { d’autres élèves ou étudiants à propos des cours est également assez fréquent (215), tout comme par sms ou par courriel. Par contre, si certains laissent implicitement entendre qu’envoyer un sms peut constituer un plaisir en soi, la détente est une finalité explicite sur les messageries instantanées pour 147 répondants. L’argument pécuniaire, auquel nous n’avions pas songé lors de l’élaboration du questionnaire, peut également représenter une motivation (et non un réel objectif) : quand on n’a plus de crédit sur son GSM et qu’on ne bénéficie pas d’une formule offrant des sms gratuits, la messagerie instantanée est un bon substitut même s’il est nettement plus contraignant puisqu’il nécessite que les interlocuteurs soient connectés au même moment, ce qui n’est pas le cas du sms. Comme on pouvait l’imaginer, le réseau social, catégorie presqu’exclusivement représentée par Facebook34, a pour finalité principale la création et/ou l’entretien d’un réseau relationnel. Il permet de rester en contact avec des personnes éloignées (308) ou avec des personnes proches (301), de rétablir le contact avec des connaissances qu’on a perdues de vue (262), mais également d’entrer en contact avec des nouvelles personnes, c’est-à-dire d’élargir son réseau (59). Le succès fulgurant de ce support-espace s’explique notamment par le fait qu’il rencontre les attentes de ses utilisateurs : le partage de photos, de vidéos, d’évènements et d’autres divertissements est attrayant, son utilisation est facile et permet de rentrer très aisément en contact avec n’importe qui, puisque (presque) tout le monde est sur Facebook et qu’il est « plus simple d'échanger un nom et un prénom qu'un numéro de téléphone ou une adresse mail ». Par ailleurs, un répondant affirme s’être inscrit sur Facebook par effet de mode, un autre après avoir cédé à « la pression populaire ». Étant donné que tout le monde est 34 Tous les répondants qui clavardent sur ce support-espace sont inscrits sur Facebook et quelques-uns d’entre eux possèdent également des comptes sur d’autres réseaux sociaux. 38 connecté à ce réseau mondial et que de nombreuses informations privées circulent, « surveiller les publications sur [soi] » peut encore être une des raisons pour lesquelles on souhaite s’inscrire sur Facebook35. Les objectifs des clavardeurs varient encore en fonction du support-espace précis où ils écrivent. Le statut – 17 % n’en rédigent jamais, 55 % en rédigent parfois, 20 % souvent et 8 % très souvent –, la plupart du temps accessible { l’ensemble des contacts d’un clavardeur, voire { l’ensemble des membres d’un réseau social, est le lieu où faire part de ses états d’âme, de ses humeurs, de ses envies, où partager une belle formule, etc. Notons que l’écriture y est plus surveillée qu’ailleurs car il s’agit d’un message publié, visible par une communauté, tandis que le message instantané par exemple est plus privé et éphémère : « Ben je fais toujours très attention, mais quand j’écris un statut, je fais encore plus attention. Donc là le que je vais pas le mettre ke, je vais le mettre que. » (Victoria) Ensuite, on peut supposer que la messagerie instantanée et les messages privés, fréquemment employés (plus de la moitié de leur utilisateurs, respectivement 89 % et 98 %, l’utilisent souvent voire très souvent), répondent aux mêmes objectifs que la messagerie instantanée « indépendante » et le courriel. La possibilité de laisser des commentaires { propos de photos, de statuts, de vidéos, d’invitations, etc., est nettement plus exploitée que sur les blogs puisque 38 % en rédigent souvent et 19 % très souvent. De plus, inviter ses contacts à un événement est également possible sur les réseaux sociaux, fonction parfois utilisée par un peu moins de la moitié des répondants (46 %, 37 % ne l’utilisent jamais). Notons que la diversité des supports-espaces influence le degré d’attention accordé { l’écriture pour seulement 33 % des répondants, 54 % estiment que leur mode de clavardage ne varie pas d’un lieu { l’autre sur un réseau social. 35 Certains réseaux sociaux se spécialisent et répondent donc à des objectifs particuliers : tel est le cas de LinkedIn, consacré { la création d’un réseau d’ordre professionnel. Étant donné leur âge et leur statut d’élève ou d’étudiant, les répondants n’ont pour la plupart pas intégré un milieu professionnel et ne sont donc pas intéressés par ce genre de sites (seuls 9 d’entre eux sont inscrits sur LinkedIn). 39 Les objectifs des internautes sur les forums de discussion ont un caractère moins relationnel et socialisant que sur les quatre supports-espaces décrits précédemment. Les caractéristiques sont également très différentes étant donné que les personnes en contact ne se connaissent généralement pas dans la vie réelle. Le type de relation qui s’y noue est donc particulier, ce qui entraine des objectifs différents. Il est également important de préciser que les chiffres que nous donnons ici concernent les personnes qui clavardent sur les forums (67 %) ainsi que celles qui se contentent de naviguer sans jamais intervenir (33 %). La possibilité de rester passif est également une caractéristique nouvelle par rapport aux quatre supportsespaces précédents, or l’investissement de l’internaute sur un forum en termes de participation influence bien évidemment ses objectifs. Tous forumeurs confondus, il apparait que c’est la recherche d’informations qui motive le plus grand nombre d’internautes { naviguer sur un forum, que ce soit sur un sujet précis (227), concernant des questions pratiques telles que des démarches administrative par exemple (158) ou à propos des cours (146). Les forums de classe ou de filière, sur lesquels les élèves ou les étudiants posent notamment leurs questions et partagent leurs cours, sont pratique courante36. Le besoin de conseils pour résoudre un problème pousse 164 des répondants à naviguer sur des forums de discussion (l’un d’entre eux précise qu’il clavarde également pour proposer des solutions aux problèmes des autres), même si tous n’interviennent pas, pas même pour exposer leur problème. La lecture de témoignages de situations semblables à la leur suffit dans certains cas à les aider. Naviguer sur des forums représente également pour certains des moments de détente (76) et/ou une manière de nouer des liens avec d’autres jeunes (43) (objectif évoqué uniquement par ceux qui interviennent sur les forums, une attitude passive ne le permet bien entendu pas). L’organisation d’activités et de sorties peut également passer par les forums, mais à la condition logique que les forumeurs se connaissent dans la vie réelle. Parfois, les forums revêtent une fonction de divertissement, comme c’est le cas de ceux qui sont proposés sur les sites de jeux vidéo, ainsi que les forums de jeux de rôle (RP ou roleplay) ou les forums dédiés { l’écriture dont nous avons découvert l’existence grâce au questionnaire et aux entretiens. 36 Nous pensons aux exemples du forum de la classe de 6 e secondaire de l’Athénée Royal de Waterloo que nous avons rencontrée (http://6c-arw.xooit.be/index.php), qui ne connut visiblement pas un grand succès, ainsi que le forum des romanes de l’ULB (www.romanes.be/forum), très vivant. 40 Bien qu’il s’agisse de deux supports-espaces très proches du point de vue du fonctionnement, les objectifs poursuivis par les internautes sont très différents sur les forums de débat et sur les forums de discussion – c’est d’ailleurs pratiquement le seul facteur qui permet de les distinguer. Sur les forums de débat, on cherche principalement à découvrir le point de vue d’autres internautes sur un sujet particulier (74) et/ou { exprimer le sien (31). Un répondant explique également que la lecture des commentaires sur un forum de débat lui permet de « comprendre, par le biais des réactions l'impact d'une information », un autre va dans le même sens en écrivant qu’il souhaite « voir comment les gens réagissent aux choses ». La détente (10), le besoin de créer des liens (3) et l’aspect exutoire de ce support-espace (3) sont des objectifs secondaires. Ces données démontrent que, tout comme sur les forums de discussion où l’internaute est libre d’intervenir ou non, la majorité des répondants fréquentant des forums de débat adopte une attitude passive dans le sens où elle préfère lire les interventions des forumeurs (47 %) ou intervenir rarement (41 %) que de participer activement au débat (12 %). Pour certains, cela provient notamment du fait qu’ils « tombent » par hasard sur ce type de forums au gré de leur navigation : « C'est surtout en vogant par-ci, par-là, que je me retrouve sur ces forums », déclare un des répondants. 41 Quant aux blogs, ils remplissent principalement une fonction de partage d’informations personnelles, de photos, de nouvelles (37 sur 56), tout comme les réseaux sociaux. Néanmoins, ces derniers le font sur le mode du réseautage alors que la forme du blog s’apparente plus à de la publication. 22 répondants entretiennent un blog concernant un sujet précis et 17 le considèrent comme une sorte de journal intime. Le blog est également pour certains une manière de publier leurs réalisations artistiques telles que leurs photos, leurs écrits littéraires et leurs dessins. Le chat est quant à lui dédié à la détente (27) et à la discussion (21), aux rencontres de personnes censées devenir des amis sur Internet (14) – l’appartenance { une communauté 42 virtuelle peut s’entretenir conjointement sur un chat et sur un forum –, dans la vie réelle (10) et/ou aux rencontres amoureuses (7), { l’échange d’informations pratiques (14) et/ou de conseils concernant un problème rencontré (9). Par ailleurs, tout comme le forum, le chat constitue un support où pratiquer le roleplay. La création d’un compte de microblogging, outre qu’elle naisse sans doute sous l’impulsion de l’effet de mode, permet au clavardeur de partager des informations semblables à celles publiées sur un blog ou sur un réseau social (gout, activités, amis, pensées) (10), de publier des messages contenant des informations hétéroclites (10), de faire de l’humour (6). Le micro-blog de seulement quatre répondants traite d’un sujet précis. Un des jeunes interrogés ajoute que cela lui permet de « suivre des personnes ou des entreprises ciblées », il adopte donc comme la majorité des forumeurs une attitude passive et clavarde lui-même très peu voire pas du tout sur son micro-blog. La particularité de ce support réside dans le fait qu’il est aussi courant de rédiger soi-même des messages que de faire circuler les messages ou les liens publiés par d’autres clavardeurs (fonction Retweet sur Twitter, type de message le plus fréquent pour 6 des 19 répondants inscrits sur un micro-blog). 43 Enfin, les objectifs des six clavardeurs inscrits sur des sites de rencontre sont assez évidents : il s’agit de flirter (6), de se faire de nouveaux amis (3) et de rencontrer l’âme sœur (2). 3.3.1.3. Les destinataires Si le choix du support-espace de communication est en partie déterminé par les objectifs poursuivis, le(s) destinataire(s) joue(nt) également un rôle primordial dans cette décision. En effet, tous les supports-espaces ne peuvent répondre à toutes les attentes des clavardeurs en matière d’objectifs, il en va de même en ce qui concerne les destinataires. Grâce à la possibilité 44 de cocher plusieurs réponses ainsi qu’{ la présence d’une ligne de réponse « autres », nous sommes en mesure de déterminer quels supports-espaces sont privilégiés pour communiquer avec quels destinataires. La communication par sms implique généralement un certain degré d’intimité entre les interlocuteurs. Il est presqu’uniquement utilisé entre amis (401) ainsi qu’entre les membres d’une même famille (378). L’envoi de sms { des professeurs est une pratique (encore ?) très marginale : seuls cinq répondants ont coché cette réponse. Par contre, nous constatons que les normes implicites réglant l’usage du sms sont en évolution : même s’il s’agit d’une pratique qui n’est pas encore généralisée, il n’est aujourd’hui plus « interdit » de contacter ses employeurs et ses supérieurs par sms, ou ses clients. Un fort degré d’intimité n’est donc plus une condition indispensable à la communication par sms, mais il est certain que les relations entretenues avec les destinataires, si elles sont à présents plus variées, influencent l’attention accordée { l’écriture. Ainsi, s’il est { présent permis d’envoyer un sms { son patron, le message ne sera pas rédigé de la même manière que s’il était destiné { un ami. Par ailleurs, le sms présente la particularité d’être le plus souvent – voire toujours – adressé à un interlocuteur unique (94 %), ce qui s’explique par l’impossibilité de créer une situation de communication collective (le nombre ainsi que l’identité des destinataires ne sont connu que de la personne qui envoie le sms et les réponses lui sont par conséquent systématiquement adressées à lui seul). Le fait d’envoyer un sms { une seule ou { plusieurs personnes est tout de même identifié comme un facteur d’influence sur le degré d’attention accordé { la manière d’écrire par 33 % des rédacteurs de sms. Notons que le mode d’écriture utilisé pour la rédaction d’un sms dépend du degré d’intimité entretenu avec le destinataire, du nombre de destinataires, mais également du mode d’écriture généralement utilisé par le destinataire en question – ou du moins du/des mode(s) d’écriture qu’il comprend –, comme l’explique Victoria : « Je fais attention, par exemple je vais envoyer un message à maman, je sais que elle elle va pas savoir comprendre les abréviations et tout ça, alors je fais quand même attention d’écrire 45 les mots en entier, pour qu’elle comprenne. Tandis que si c’est une copine, ou ma sœur, j’écris aussi comme ça en abrégé. » Si le succès du sms s’explique en partie par le fait qu’il permet d’instaurer ou d’entretenir, consciemment ou non, une relation intime entre les clavardeurs, le succès du courriel, quant { lui, est notamment dû au fait qu’il est le seul support-espace qui permet d’entrer en contact avec n’importe quel destinataire, quelle que soit la relation qu’on entretient avec lui. Ainsi, presque tous les répondants envoient des courriels à leurs amis (IRL ou sur Internet) (390) et utilisent ce support-espace pour communiquer avec les membres de leur famille (284) – ce qui est également courant par sms –, nombreux sont ceux qui se servent aussi du courriel pour contacter leurs professeurs (210) et des pourvoyeurs de services (160) ainsi que des « personnes qu’on connait à peine » – ce qui est encore extrêmement rare par sms. Contrairement { ce qui concerne le sms, il n’est pas totalement inhabituel d’envoyer des courriels destinés à plusieurs personnes puisque 22 % des jeunes déclarent adresser leurs courriels autant { une seule qu’{ plusieurs personnes et 7 % principalement à plusieurs personnes. Toutefois, dans la majorité des cas, le courriel est le plus souvent adressé à une seule personne (55 %) voire toujours (15 %). Pour 40 % des clavardeurs, cela représente un facteur de variation, tandis que 54 % déclarent que ça n’influence pas le degré d’attention qu’ils accordent à leur écriture. 46 En termes de destinataires, la messagerie instantanée est comparable au sms : 361 répondants y clavardent avec leurs amis, 186 avec leur famille et 38 avec leurs connaissances. Tout comme dans le cas du sms, le degré d’intimité doit être relativement fort, on ne clavarde pas sur une messagerie instantanée dans un contexte professionnel ou commercial par exemple. Notons que le fait que les discussions soient le plus souvent voire toujours individuelles (98 %) rapproche la messagerie instantanée du sms et, comme nous l’exposerons plus loin, la distingue du chat. 31 % des personnes clavardant sur des messageries se disent influencés du point de vue de leur écriture par le caractère individuel ou collectif de la conversation, tandis que 55 % n’en sont pas affectés. 47 Le réseau social présente des caractéristiques particulières en matière de destinataires : il permet de communiquer uniquement avec ses contacts, c’est-à-dire les personnes inscrites sur le même site que soi – ce qui, sur Facebook, représente tout de même une immense communauté. Les principaux objectifs poursuivis sur ce support-espace sont la création et l’entretien d’un réseau, son contenu est donc logiquement destiné aux amis (316) et { la famille (168), qui forment pour certains une communauté ciblée et connue (138). Quelques-uns des clavardeurs s’adressent également { tout le monde (32) ou { une communauté ciblée mais inconnue (12). Il est important de préciser que les destinataires varient en fonction des objectifs précis des différents sites de réseautage : par exemple, Facebook sert les relations amicales et familiales tandis que LinkedIn s’est spécialisé dans les relations professionnelles mais, comme nous l’avons déj{ souligné, étant donné leur âge et leur situation socio-professionnelle, les répondants se limitent généralement à Facebook. La question du caractère individuel ou collectif d’un message ne se pose pas dans le cadre des forums, puisque par définition les posts sont adressés { un ensemble d’internautes. Dans le cas des forums de discussion, il s’agit d’une communauté ciblée et connue (111), ciblée et inconnue (94), ou de tout le monde (52). La tendance s’inverse sur les forums de débat : les posts sont le plus souvent destinés à tout le monde (26), puis à une communauté ciblée et inconnue (18) et enfin à une communauté ciblée et connue (10). Étant donné que la finalité première des forums de débat est de débattre et que c’est cet aspect et non le désir de socialiser qui rassemble les clavardeurs, il semble logique que les destinataires soient moins bien identifiables que sur les forums de discussion, où il peut s’agir d’amis dans la vie réelle. 48 Quant au blog, il s’agit du seul support-espace où on peut écrire pour soi-même (25), comme dans un journal intime, mais qui est également – et paradoxalement – destiné à tout le monde (25). Cette nouvelle réalité, qui consiste à exposer consciemment sur la Toile une intimité que l’on ne souhaite pourtant pas forcément partager, est désignée par le terme « extimité ». Les blogs peuvent également être entretenus pour les amis (28) et la famille (8), notamment lorsqu’il occupe la même fonction de partage d’informations personnelles et de photos que le réseau social. Quand il traite d’un sujet précis, le blog s’adresse { une communauté ciblée et inconnue (16) ou connue (10). 49 Les destinataires des commentaires rédigés par les visiteurs d’un blog, quant { eux, sont le plus souvent les auteurs des blogs (61 %), très rarement les autres visiteurs (2 %). Rappelons toutefois que cette pratique est peu courante et que seuls 89 répondants déclarent qu’il leur arrive d’écrire des commentaires en réaction { un article publié sur un blog. Bien que les chats fonctionnent sur le même principe que les messageries instantanées, les clavardeurs en contact entretiennent des relations très différentes. Sur les deuxièmes, les clavardeurs, qui se connaissent dans la vie réelle et ont un certain degré d’intimité, mènent des conversations généralement individuelles, tandis que sur les premiers, les conversations sont autant individuelles (46 %) que collectives (37 %) – ce qui influence 40 % des chatteurs – et les messages sont aussi bien destinés { des amis IRL (19) qu’{ des amis rencontrés sur le chat (20), { une communauté ciblée et connue (20) et { une communauté ciblée et inconnue (20), c’est-à50 dire à des personnes liées par un degré d’intimité nettement moins fort que sur les messageries instantanées. Enfin37, les destinataires des messages publiés sur les micro-blogs sont dans certains cas identifiables – les amis (10), la famille(4) – et dans d’autres, ils sont plus incertains puisqu’il s’agit d’une communauté ciblée et connue (3) ou inconnue (6). Dans ce sens, ce type de support se rapproche du blog. 37 Nous avons jugé qu’il n’était pas pertinent de poser la question des destinataires sur les sites de rencontres, réponse qu’il est facile de déduire { partir de l’objectif évident de ce support-espace : chercher l’âme sœur ou un simple flirt, c’est s’adresser { des inconnus qui ont les mêmes objectifs et sont inscrits sur le même site que soi. 51 3.3.1.4. Longueur des messages Par ailleurs, le questionnaire nous permet de montrer dans quelle mesure les différents supports-espaces conditionnent le type et la forme des messages qui y sont échangés ou publiés, ainsi que le délai de réponse et la vitesse d’écriture. Long_F Count Courte Moyenne Longue Total % 27 14,4 % 108 57,4 % 54 28,2 % 189 100,0 % Long_FD Count Courte % Long_MI Count % Long_C Count % Long_B Count % Long_MB Count % 4 9,3 % 105 29,1 % 27 62,8 % 26 23,4 % 12 63,2 % Moyenne 14 32,6 % 225 62,3 % 14 32,6 % 42 37,8 % 7 36,8 % Longue 25 58,1 % 31 8,6 % 2 4,7 % 43 38,7 % Total 43 100,0 % 361 100,0 % 43 100,0 % 111 100,0 % 19 100,0 % Long_RS Courte Moyenne Longue Total Long_SR Long_ME Long_S Count 120 % 33,3 % Count 2 % 33,3 % Count 12 % 3,0 % Count 82 % 20,4 % 207 57,5 % 3 50,0 % 132 33,4 % 253 62,9 % 33 9,2 % 1 16,7 % 251 63,5 % 67 16,7 % 360 100,0 % 6 100,0 % 395 100,0 % 402 100,0 % Les messages les plus courts (quelques mots) s’échangent sur les chats ainsi que sur les micro-blogs. Pour les premiers, cela s’explique par le fait qu’il s’agit d’un support-espace de communication synchrone, les messages, échangés sur le mode de la conversation, sont donc plus nombreux mais également plus brefs. Quant au micro-blog, la restriction du nombre de caractères à 140 constitue la raison évidente pour laquelle les messages publiés sont brefs. Selon 53 % des répondants inscrits sur une plateforme de micro-blog, cela n’a pas d’influence sur le degré de correction de leur écriture tandis que 42 % identifient cette caractéristique comme étant influente. 52 Les messages sont souvent constitués de quelques phrases sur la majorité des supportsespaces de clavardage : le forum de discussion, la messagerie instantanée, le blog, le réseau social, le site de rencontres et le sms. Si ces données semblent logiques et cohérentes pour le forum de discussion, le blog, le réseau social et le site de rencontres, elles étonnent plus dans le cas de la messagerie instantanée et du sms. En effet, la première se rapproche beaucoup du chat sur lequel les messages ne sont le plus souvent composés que de quelques mots, or pour 59 % des répondants, les messages rédigés sur messagerie instantanée sont de longueur moyenne. Notons que l’objectif du questionnaire est bien d’interroger les représentations que les jeunes ont de leur utilisation des supports-espaces de clavardage. La longueur moyenne des sms surprend également, étant donné que comme sur les micro-blogs, où les messages sont décrits comme étant courts, le nombre de caractères est restreint. Le côté « formule » des messages publiés sur les micro-blogs et le caractère plus personnel du sms expliquent probablement cette différence. Enfin, les messages les plus fréquemment décrits comme longs sont les posts publiés sur les forums de débat ainsi que les courriels. L’aspect argumentatif des premiers et le rôle de correspondance des seconds impliquent forcément que les messages dépassent les quelques mots ou les quelques phrases et constituent au moins un petit texte. Remarquons que la longueur des messages peut influencer l’attention { l’écriture. C’est notament le cas pour Armèle : « Je fais pas attention, fin je fais moins attention, j’utilise des abréviations, quand je fais des petits textes, des petits sms ou des statuts sur Facebook, mais quand je fais un long texte, j’aime bien que ça ressemble { quelque chose. […] Fin je crois que c’est plus une question de longueur en fait, peut-être pas le support, je crois que c’est vraiment, oui, quand j’écris un plus gros texte, là je fais vraiment attention. J’essaie, fin je me relis et tout ça. » 53 3.3.1.5. Délai de réponse Délai de réponse attendu Del_F Del_FD Count 2 % 1,1 % Count Court 33 17,5 % 11 Moyen 90 47,6 % 12 Long 42 22,2 % 8 18,6 % Pas de rép. 22 11,6 % 12 189 100,0 % 43 Aucun Total Del_MB % Del_MI Del_B Count 212 % 58,7 % Count 21 % 48,8 % 25,6 % 133 36,8 % 19 44,2 % 4 3,6 % 27,9 % 12 3,3 % 2 4,7 % 20 18,0 % 1 2,3 % 25 22,5 % 27,9 % 4 1,1 % 100,0 % 361 100,0 % Del_RS Del_SR Count 2 % 10,5 % Count 48 % 13,3 % Count Court 2 10,5 % 145 40,3 % 1 Moyen 4 21,1 % 122 33,9 % Long 1 5,3 % 16 4,4 % Pas de rép. 10 52,6 % 29 8,1 % Total 19 100,0 % 360 100,0 % Aucun Del_C 100,0 % Del_ME % ,9 % 61 55,0 % 111 100,0 % Del_S Count 1 % ,3 % Count 70 % 17,4 % 16,7 % 15 3,8 % 268 66,7 % 2 33,3 % 155 39,2 % 60 14,9 % 3 50,0 % 219 55,4 % 2 ,5 % 5 1,3 % 2 ,5 % 395 100,0 % 402 100,0 % 6 % 43 Count 1 100,0 % Le délai de réponse, qui peut influencer le degré d’attention accordé { l’écriture, varie également en fonction des supports-espaces. Soulignons qu’il faut distinguer le délai de réponse attendu par les répondants aux messages qu’ils envoient du délai dans lequel eux-mêmes répondent aux messages qui leur sont destinés. Sur les messageries instantanées et les chats, les répondants s’attendent le plus souvent à une réponse quasiment immédiate (aucun délai) et eux-mêmes répondent aussi rapidement. La majorité des blogueurs et micro-blogueurs, par contre, ne s’attend pas spécialement { ce qu’on lui réponde et ne répond elle-même pas toujours étant donné que les messages, comme nous l’avons exposé plus avant, sont généralement destinés { l’ensemble d’une communauté et non à une personne en particulier. Ainsi, il s’agit bel et bien de supports de publication et non de discussion. Entre ces deux extrêmes, on retrouve les forums sur lesquels le délai de réponse attendu correspond la plupart du temps à quelques heures (moyen), mais aussi à quelques minutes (court) ou, au contraire, à quelques jours (long), et certains clavardeurs n’attendent aucune réponse – ce qui semble paradoxal étant donné que le débat ou la discussion, par définition, nécessite une interaction, mais une attitude passive de la part des clavardeurs semble s’être généralisée. Les forumeurs répondent globalement dans les mêmes délais que ceux auxquels ils s’attendent. Si la réponse à un sms est dans la plupart des cas attendue rapidement (quelques minutes), le délai de réponse des répondants est encore plus bref (rapide voire aucun). Il en va de même pour les réseaux sociaux. Enfin, les clavardeurs de notre échantillon se montrent plus patients lorsqu’il s’agit du courriel, auquel on peut répondre après plusieurs jours alors qu’il est plus fréquent qu’euxmêmes répondent après quelques heures. 54 Bien que le délai de réponse attendu semble semblable au délai de réponse des répondants eux-mêmes, nous constatons que ces derniers réagissent de manière plus rapide que ce à quoi ils s’attendent de la part des autres, laissant de la sorte une certaine latitude au(x) clavardaire(s). Délai de réponse des répondants Del_1_F Count % Aucun 9 4,8 % Court 40 Moyen 69 Long 30 Rép. pas Total Del_1_FD Count % Del_1_MI Count % Del_1_C Count % Del_1_B Count % 1 2,3 % 196 54,3 % 22 51,2 % 21,2 % 7 16,3 % 146 40,4 % 15 34,9 % 9 8,1 % 36,5 % 19 44,2 % 9 2,5 % 2 4,7 % 22 19,8 % 15,9 % 5 11,6 % 2 ,6 % 1 2,3 % 17 15,3 % 41 21,7 % 11 25,6 % 8 2,2 % 3 7,0 % 62 55,9 % 189 100,0 % 43 100,0 % 361 100,0 % 43 100,0 % 111 100,0 % Del_1_MB Count % Aucun Del_1_RS Del_1_SR Count 59 % 16,4 % Count % Del_1_ME Count 7 1 ,9 % Del_1_S % 1,8 % Count 124 % 30,8 % Court 6 31,6 % 147 40,8 % 4 66,7 % 38 9,6 % 210 52,2 % Moyen 4 21,1 % 98 27,2 % 1 16,7 % 191 48,4 % 50 12,4 % Long 1 5,3 % 28 7,8 % 136 34,4 % 1 ,2 % Rép. pas 8 42,1 % 28 7,8 % 1 16,7 % 23 5,8 % 17 4,2 % 19 100,0 % 360 100,0 % 6 100,0 % 395 100,0 % 402 100,0 % Total 3.3.1.6. Vitesse d’écriture Vit_F Count Vit_FD % Count Vit_MI % Count Vit_C % Count Vit_B % Count % Lente 26 13,8 % 11 25,6 % 9 2,5 % 1 2,3 % 20 18,0 % Moyenne 91 48,1 % 21 48,8 % 64 17,7 % 12 27,9 % 60 54,1 % 72 38,1 % 11 25,6 % 288 79,8 % 30 69,8 % 31 27,9 % 189 100,0 % 43 100,0 % 361 100,0 % 43 100,0 % 111 100,0 % Rapide Total Vit_MB Count % Lente Moyenne Rapide Total Vit_RS Count % Vit_SR Count % Vit_ME Count % Vit_S Count % 18 5,0 % 98 24,8 % 20 5,0 % 11 57,9 % 130 36,1 % 2 33,3 % 196 49,6 % 107 26,6 % 8 42,1 % 212 58,9 % 4 66,7 % 101 25,6 % 275 68,4 % 19 100,0 % 360 100,0 % 6 100,0 % 395 100,0 % 402 100,0 % L’analyse croisée des données concernant le délai de réponse et la vitesse d’écriture, montre que ces deux facteurs de variation linguistique semblent liés. En effet, sur les supportsespaces où le temps de réponse des clavardeurs est de quelques secondes ou de quelques minutes, la vitesse d’écriture est décrite comme rapide. C’est le cas des messageries instantanées, des chats, des réseaux sociaux, des sites de rencontre et des sms. Là où le délai de réponse est plus long (quelques heures) ou que les clavardeurs ne répondent pas toujours, la vitesse d’écriture est moyenne. Il s’agit des forums, des blogs et micro-blogs ainsi que des 55 courriels. La vitesse à laquelle est rédigé un message dépend également de l’importance qu’on lui accorde, importance qui varie notamment en fonction des destinataires et des objectifs. Ainsi, l’on remarque que sur les supports-espaces utilisés pour communiquer avec l’ensemble d’une communauté (forum de discussion et de débat, micro-blog) avec des personnes avec lesquelles on entretient une relation formelle (courriel), la vitesse de rédaction est plus lente que sur les supports-espaces utilisés en famille ou entre amis (messagerie instantanée, chat, réseau social et sms). Cela renforce une constatation que nous avons déjà faite à plusieurs reprises : les critères influençant le choix du support ainsi que le degré d’attention accordé { l’écriture sont interdépendants, ce qui explique qu’il est parfois difficile et artificiel de les analyser séparément. D’ailleurs, seuls 46 % des répondants identifient la vitesse d’écriture comme un facteur de variation linguistique, ce qui n’apparait certes pas comme une évidence lorsqu’on prend la vitesse d’écriture de manière individuelle et qu’on la sépare des autres facteurs de variation desquels elle dépend elle-même. Influence de la vitesse sur l’écriture Notons que d’après les répondants, la lisibilité ne doit pas être sacrifiée au profit de la rapidité de l’écriture. Sur certains supports, il est donc essentiel d’interagir rapidement, mais les clavardeurs ont conscience que leur message doit avant tout rester compréhensible puisque la communication est l’objectif majeur recherché sur les supports-espaces que nous étudions. 3.3.1.7. Médiateur utilisé Ordinateur fixe Jamais Count 140 % 34,6 % Parfois 145 Souvent 81 Toujours Total Ordinateur portable Count Smartphone 20 % 4,9 % Count 293 % 72,3 % 35,8 % 48 11,9 % 75 18,5 % 20,0 % 123 30,4 % 27 6,7 % 39 9,6 % 214 52,8 % 10 2,5 % 405 100,0 % 405 100,0 % 405 100,0 % Pour clavarder sur les différents supports-espaces qui nous occupent, il faut posséder un ordinateur fixe, un ordinateur portable, un smartphone, ou un GSM pour les sms, et avoir accès à une connexion Internet. Les jeunes que nous avons interrogés utilisent pour la plupart un ordinateur portable. Les smartphones ne sont pas encore très courants puisque seuls 9 % en utilisent souvent ou toujours un. Le cout qu’ils représentent (prix d’achat élevé et forfait Internet), surtout auprès des jeunes, est sans aucun doute la raison principale de son faible 56 succès. 75 % des jeunes que nous avons interrogés ne perçoivent pas le médiateur qu’ils utilisent pour clavarder comme un facteur influant l’attention accordée { l’écriture. Pourtant, l’utilisation d’un GSM pour rédiger un sms n’implique pas le même mode d’écriture que l’emploi d’un ordinateur pour clavarder sur Internet. D’après Victoria, il s’agit bien d’un facteur de variation : « Parce que les sms, le clavier et tout ça… Mais sinon je trouve sur Internet, comme j’ai toutes les touches et tout ça, ça me facilite, j’ai le point l{, c’est pas ça qui va me retarder. » Influence du médiateur Parmi les jeunes possédant un smartphone, ils sont moins nombreux à considérer que le médiateur n’est pas influent (65 %). C’est en effet principalement l’utilisation de ce médiateur-là qui influence l’écriture vu le confort réduit dû à la petite taille des touches et de l’écran, même s’ils sont peu nombreux { l’affirmer. Par contre, que l’ordinateur soit fixe ou portable ne change vraisemblablement pas grand-chose. 3.3.1.8. Endroit Maison (salon, cuisine) Jamais Count 60 % 14,8 Parfois 134 Souvent 153 Toujours Total Maison (chambre) Espace public Amis Cours Déplacement Count 37 % 9,1 Count 197 % 48,6 Count 143 % 35,3 Count 252 % 62,2 Count 263 % 64,9 33,1 62 15,3 182 44,9 244 60,2 132 32,6 128 31,6 37,8 205 50,6 24 5,9 16 4,0 18 4,4 13 3,2 58 14,3 101 24,9 2 ,5 2 ,5 3 ,7 1 ,2 405 100,0 405 100,0 405 100,0 405 100,0 405 100,0 405 100,0 La chambre, ou tout autre espace fermé et intime à la maison, est le lieu où se trouvent le plus souvent les répondants lorsqu’ils clavardent (75 % souvent ou toujours). Le salon, la cuisine ou tout autre pièce de la maison ouverte et partagée avec le reste de la famille, est le second lieu le plus fréquenté pour clavarder. Contrairement aux idées reçues, peu de jeunes déclarent clavarder au cours ou en déplacement. Si l’envoi de sms est certainement fréquent dans ces contextes, le clavardage sur Internet l’est évidemment nettement moins. À l’instar du médiateur, l’endroit n’est majoritairement pas perçu comme un facteur de variation linguistique. 57 Influence de l’endroit 3.3.2. Représentations La deuxième partie du questionnaire interrogeait plus spécialement les représentations des répondants sur l’importance de l’écriture sur les supports-espaces de clavardage ainsi que sur les facteurs de variation linguistique. Il est frappant de constater qu’une grande majorité des répondants a une vision assez normative de sa propre façon de clavarder. En effet, 68 % d’entre eux estiment qu’il ne s’éloignent jamais du français standard lorsqu’ils clavardent. Ces données vont { l’encontre des stéréotypes les plus répandus selon lesquels les jeunes ne savent plus écrire et qu’Internet est le lieu de perdition de la langue par excellence. Lors de certains entretiens, nous avons présenté ces chiffres aux personnes interrogées pour connaître leur réaction. Qu’ils estiment ne jamais s’éloigner du français standard ou non, ils étaient systématiqement surpris par ces déclarations et pensaient que ces données n’étaient en aucun cas le reflet de la réalité. Selon eux, cela montre simplement que « les jeunes » n’ont pas conscience qu’Internet est bel et bien un lieu où on écrit « mal ». Néanmoins, il faut nuancer ces propos : certes, les représentations de la langue ne correspondent pas tout à fait à la réalité des productions que nous avons analysées, mais il semblerait que les clavardeurs que nous avons interrogés ont bel et bien une conscience linguistique développée. Nous reviendrons à cette constatation au point 4.3.2. Respect des règles du français standard 32% 68% Estiment qu'il leur arrive de s'éloigner du français standard Estiment qu'ils ne s'éloignent jamais du français standard 58 Grâce au questionnaire, nous avons pu analyser les représentations linguistiques des répondants de manière plus précise. Nous souhaitions répondre à ces quatre questions-clés : 1) Selon les répondants, sur quels supports-espaces est-il important de bien écrire ? 2) Quelle est l’importance de ce que nous avons appelé les différents « secteurs de langue » (structuration, ponctuation, orthographe, etc.38) en fonction des supports-espaces ? 3) Que signifie « bien écrire » pour les répondants ? Cette représentation varie-t-elle en fonction du support ? 4) Quels facteurs influencent l’attention accordée { l’écriture de manière globale et aux différents secteurs de langue en particulier ? Pour recueillir ces données, nous avons élaboré une série de paires de questions, toutes construites selon la même structure : 1) « Quels facteurs influencent selon toi le degré d’attention que tu accordes { [tel secteur de langue] ? » ; 2) « Sur quels supports-espaces d’écriture estimes-tu que [tel secteur de langue] est important ? ». La dernière paire de questions de ce type concernait l’écriture de manière globale et non plus un secteur de langue en particulier. L’analyse minutieuse et le croisement des réponses { ces questions nous ont permis d’atteindre nos objectifs et d’avoir une idée assez précise des représentations de notre échantillon concernant le clavardage. Remarque La deuxième question de chacune des paires, concernant l’importance de l’écriture par support-espace, n’a été posée qu’aux clavardeurs actifs sur les supports-espaces concernés. Ainsi, la question de l’importance de la structuration sur les forums de débat, par exemple, n’a été posée qu’aux forumeurs intervenant au moins de temps en temps dans le débat. Dans ce casci, il ne s’agit que de 43 des 405 répondants, le pourcentage obtenu a donc une valeur moindre que dans le cas du courriel par exemple, utilisé par 395 répondants. Nombre de clavardeurs par support-espace Support-espace Sms Courriel Messagerie instantanée Réseau social Forum de discussion Blog Forum de débat Chat Micro-blog Sites de rencontres Nombre d’utilisateurs 402 395 361 360 189 111 43 43 19 6 Nous rappelons brièvement ici le nombre de répondants clavardant sur chacun des supports afin que par la suite, leur juste valeur soit accordée aux pourcentages fournis. Nous avons fait le 38 Le terme « secteur de langue » nous sert à désigner une série de réalités très disparates allant de la structuration d’un texte { l’emploi des majuscules en passant par l’utilisation des smileys. Nous les décrivons au point 3.3.2.2. 59 choix d’inclure tous les supports-espaces dans nos analyses, même ceux qui sont les moins utilisés, car ils ont leur importance pour la description détaillée de notre échantillon, mais il est évident que nous ne nous permettrons pas de tirer des conclusions concernant les supports qui sont très peu sollicités, tels que les sites de rencontre et les micro-blogs. 3.3.2.1. Importance accordée à l’écriture par support-espace Dans un premier temps, nous avons classé les supports-espaces selon l’importance que les répondants leur accordent en termes d’attention { l’écriture. Soulignons que le pourcentage mentionné n’indique pas le degré moyen d’importance accordée { l’écriture de l’ensemble des répondants mais le pourcentage de répondants (utilisant le support dont il est question) estimant qu’il est important de bien écrire. Les autres utilisateurs de ces supports estiment quant { eux que ce n’est pas ou peu important. Nous obtenons ainsi un classement des supportsespaces de clavardage selon le nombre proportionnel d’effectifs jugeant qu’il est important de bien y écrire. Ce classement est assez révélateur : tout d’abord, il montre qu’il existe une différence entre les supports et que l’importance accordée { l’écriture n’est pas la même partout ; ensuite, il permet de déterminer sur quels supports, justement, il est important de bien écrire et sur lesquels ça l’est moins (nous verrons au point 3.3.2.3. ce que signifie « bien écrire » pour les clavardeurs de notre échantillon). Importance de l'écriture par support (en %) Courriel Forum débat Forum discussion Site rencontres Blog Réseau social Micro-blog SMS Chat Mess. instant. 98 93 86 83 78 65 47 44 44 41 Les rédacteurs de courriels considèrent de manière presque unanime (96 %) qu’il est important de faire attention { sa manière d’écrire dans un courriel. Étant donné qu’il est le support privilégié dans les situations de communication formelles, il est logique que le mode d’écriture y soit particulièrement surveillé. Ensuite, c’est sur les forums de débat que, proportionnellement, le plus de répondants estiment qu’il est important de bien écrire (93 %). L’objectif commun des forumeurs, consistant à exprimer leur point de vue, à le comparer et à en débattre, ainsi que le caractère public de ce support, impliquent clairement une grande attention { l’écriture. La proportion des clavardeurs considérant qu’il est important de bien écrire sur les forums de discussion est également très élevée (86 %), même si elle est un peu plus basse que sur les forums de débat. Le caractère public de ce support-espace, associé au fait qu’il s’agit 60 d’une communication asynchrone et, par conséquent, consultable à posteriori, explique sans doute pourquoi l’attention accordée { l’écriture y est grande39. La quatrième place est occupée par les sites de rencontres (83 %), mais étant donné que le pourcentage des personnes jugeant qu’il est important de bien y écrire est calculé { partir des six répondants inscrits sur ces sites, cette donnée n’a qu’une valeur toute relative. C’est ensuite sur les blogs – articles et commentaires confondus, la configuration des questionnaires ne nous permet pas de les distinguer – que l’écriture est la plus importante (78 %). À nouveau, le caractère public et asynchrone du support est sans doute { l’origine de cette représentation. Sur les réseaux sociaux, l’importance de l’écriture est moins unanime : 65 % des jeunes possédant un compte estiment qu’il est important de bien y écrire, ce qui signifie que 35 % jugent au contraire que l’écriture n’y est pas ou peu importante. N’oublions pas que ce supportespace est hybride et qu’il contient en réalité plusieurs types de supports-espaces présentant un degré de publicité et une synchronicité différents. Une majorité de clavardeurs (54 %) ne considère pourtant pas que le support-espace précis soit un facteur de variation linguistique. Nous verrons plus loin que le support-espace de clavardage n’est pas consciemment perçu comme influent en matière d’écriture par une grande partie des répondants, mais que le recoupement des réponses révèle qu’au contraire, il conditionne le mode d’écriture, comme l’illustre bien le classement, réalisé de manière indirecte par les répondants : par exemple, il faut, selon l’écrasante majorité d’entre eux, bien écrire dans les courriels alors que seule une minorité considère que c’est important sur les messageries instantanées. 47 % des micro-blogueurs accordent de l’importance { leur mode d’écriture sur les micro-blogs. Étant donné le peu de répondants concernés (19), nous préférons ne pas tirer de conclusions à partir de ce chiffre. Le mode d’écriture employé dans les sms est important pour 44 % des jeunes interrogés, ce qui va { l’encontre des stéréotypes : certes, l’écriture y est considérée comme importante par une proportion de clavardeurs nettement moins grande que dans les courriels, mais ils sont tout de même très nombreux à surveiller la manière dont ils rédigent leur message. La restriction du nombre de caractères ainsi que l’absence d’un clavier complet rendent la rédaction d’un message plus couteux en termes de temps, d’énergie et d’argent que sur les autres supports, mais le désir de rapidité est le même : il semble logique que la compensation ait lieu au niveau de l’attention et de l’importance accordée { l’écriture. Ces deux caractéristiques ne sont pourtant pas considérées comme influentes par les répondants : 71 % considèrent que le nombre limité de touches n’influence pas leur mode d’écriture et 60 % estiment que ni le cout ni le format restreint du sms en termes de caractères n’influencent leur mode d’écriture. 39 Nous analyserons les données sur les représentations concernant l’influence des facteurs de variation au point 3.3.2.7. Nous nous contentons pour le moment de chercher dans l’utilisation des supports-espaces telle qu’elle nous a été décrite par les répondants les raisons expliquant le degré d’importance accordée { l’écriture sur les différents supports. 61 Notons que le sms est principalement employé pour une communication amicale et informelle, il est donc normal que l’écriture y soit perçue comme étant moins importante. Le chat et la messagerie instantanée arrivent en queue de classement. Respectivement 44 % et 41 % des utilisateurs de ces supports estiment qu’il est important de bien y écrire. Le caractère synchrone de ces supports de clavardage les rapproche – de façon illusoire – de la conversation orale. Cela implique une certaine rapidité de réponse et signifie que les erreurs, les hésitations et les bafouillages y sont plus fréquents qu’ailleurs. Ils ne sont par ailleurs utilisés que pour une communication informelle, les clavardeurs s’y sentent donc forcément plus { l’aise et relâchent par conséquent leur attention. Le caractère public du chat et l’incertitude concernant les destinataires réels des messages qu’on y écrit expliquent certainement pourquoi les répondants sont proportionnellement plus nombreux { estimer que l’écriture est importante sur les chats que sur les messageries instantanées. Comme nous pouvons le constater, la proportion de clavardeurs estimant qu’il est important de bien écrire varie fortement en fonction des supports. Toutefois, même sur les supports où l’écriture apparait comme moins importante, nombreux sont encore les jeunes { y faire attention. Que ce soit le cas même sur les supports-espaces les moins formels montre bien à quel point l’imaginaire linguistique des répondants est normatif. Beucoup de jeunes sont imprégnés des représentations normatives du français, et ils contribuent à les diffuser. Le principe de l’adaptation du registre de langue à la situation de communication, s’il est bien compris et appliqué à l’oral, est plus difficilement acceptable { l’écrit. Le parallèle, pourtant 62 évident, ne semble pas acquis. L’écrit est encore prisonnier d’une image très traditionnelle et n’est pas perçu comme un moyen d’interaction moderne, rapide et efficace, même s’il est utilisé de la sorte au quotidien. Il ne se pense souvent qu’en opposition avec l’oral et le clavardage est une variété qu’il est difficile de situer entre ces deux « extrêmes ». Pourtant, nous verrons au point 3.3.2.5. que sur plusieurs supports-espaces, une majorité de clavardeurs déclarent écrire comme ils parlent. Toutefois, l’écart entre la messagerie instantanée et le courriel en termes d’importance d’écriture montre bien un début de conscientisation. Quand nous leur avons posé la question de l’influence du support-espace sur l’attention accordée { l’écriture de manière explicite, les clavardeurs ne l’identifiaient clairement pas comme un facteur de variation influent. Or, leurs réponses concernant l’importance de l’écriture par support-espace varient considérablement, ce qui démontre que selon eux, « bien écrire » ne revêt pas la même importance sur tous les supports-espaces de clavardage. Importance de l'écriture par support (en %) 41 26 44 27 44 30 47 38 65 42 78 58 83 67 86 61 93 79 98 75 Question directe Calcul indirect Ainsi, il est intéressant de remarquer que lorsqu’on s’intéresse aux représentations générales des clavardeurs concernant l’importance de l’écriture par support-espace, c’est-à-dire quand on leur pose la question de manière explicite (en bleu sur le graphe), bien écrire a plus d’importance que lorsqu’on décompose cette représentation par secteur de langue et qu’on en fait une moyenne (voir tableau page 65 : importance de l’orthographe en fonction du support, importance des majuscules en fonction du support, etc.) (en rouge). La différence entre la représentation générale et la représentation particulière de la langue, illustrée par le graphique ci-dessus, nous incite à penser que les répondants ont une vision globale de la langue plus normative que leur vision particulière. Notons que les proportions sont systématiquement les mêmes et que sur aucun des supports, la moyenne des représentations particulières ne dépasse le pourcentage calculé { partir de la question directe. Bref, l’imaginaire linguistique, lorsqu’il est directement sollicité, est nettement plus normatif que la vision spontanée de la langue. 3.3.2.2. Importance des secteurs de langue En fin de questionnaire, nous avons demandé aux répondants quels étaient selon eux les supports sur lesquels ils estimaient qu’il est important de bien écrire de manière globale. 63 Secteur de langue/ Support Courriel Forum Débat Forum Site de Réseaux MicroBlog SMS Discussion rencontres sociaux blog Orthographe 98 % 95 % 88 % 100 % 79 % 75 % 68 % 52 % 49 % 54 % 76 % Ponctuation 94 % 93 % 87 % 100 % 79 % 63 % 37 % 52 % 47 % 48 % 70 % Emploi des majuscules 92 % 91 % 79 % 100 % 70 % 58 % 47 % 44 % 37 % 38 % 66 % Structuration 96 % 93 % 85 % 67 % 75 % 54 % 53 % 38 % 26 % 34 % 62 % Relecture systématique 87 % 74 % 69 % 67 % 61 % 44 % 26 % 32 % 12 % 12 % 48 % Absence des abréviations/acronymes *1 62 % 79 % 47 % 33 % 45 % 27 % 42 % 14 % 30 % 15 % 39 % Utilisation du registre soutenu 43 % 63 % 23 % 33 % 28 % 5% 0% 3% 7% 2% 21 % Absence des smileys *2 30 % 47 % 13 % 33 % 29 % 8% 32 % 3% 7% 2% 20 % Importance de l'écriture en général 98 % 93 % 86 % 83 % 78 % 65 % 47 % 44 % 44 % 41 % 68 % Moyenne 75 % 79 % 61 % 67 % 58 % 42 % 38 % 30 % 27 % 26 % 50 % Chat Messagerie Moyenne Instantanée *1 N’utilisent jamais d’acronymes/abréviations *2 N’utilisent jamais de smileys 64 Auparavant, nous avions détaillé la question et nous étions intéressés { l’importance de différents secteurs de langue en fonction du support, et non pas de l’écriture prise dans sa globalité. Le recoupement de ces données nous permet de déterminer l’importance des différents secteurs de langue, d’une part en fonction des supports, d’autre part de manière globale, esquissant de la sorte ce qui caractérise le bien écrire dans le chef des répondants. Les secteurs de langue évalués dans le questionnaire : - la structuration des idées, l’orthographe, l’emploi de signes de ponctuation adéquats, l’emploi approprié des majuscules, l’emploi d’abréviations et d’acronymes, l’emploi de smileys, l’utilisation d’un registre soutenu, la relecture. Sans surprise, c’est l’orthographe qui constitue le secteur de langue le plus important dans le chef des clavardeurs interrogés, et ce pour l’ensemble des supports que nous étudions. C’est donc incontestablement par elle que passe la mesure du « bien écrire ». Néanmoins, cette perception varie fortement d’un support { l’autre : 98 % des rédacteurs de courriels estiment que l’orthographe est importante sur ce support contre seulement 49 % des chatteurs sur les chats. Entre ces deux extrêmes, nous retrouvons un classement semblable à celui établi à partir de l’importance de l’écriture par support prise dans sa globalité : après le courriel40 vient le forum de débat (95 %41), puis le forum de discussion (88 %), le blog (79 %), le réseau social (75 %), le micro-blog (68 %), la messagerie instantanée (54 %) et le sms (52 %). C’est ensuite { la ponctuation que les clavardeurs déclarent faire le plus attention : en moyenne, 70 % estiment que c’est important de l’utiliser correctement. Toutefois, pour les rédacteurs de courriels, cela passe légèrement après la structuration (96 % contre 94 % pour la ponctuation) et, pour les micro-blogueurs, la ponctuation est nettement moins importante que la structuration (53 % contre 37 % pour la ponctuation) et que l’emploi des majuscules (37 %). Ainsi, nous constatons que, comme nous en faisions l’hypothèse { l’origine de notre recherche, les représentations du bien écrire varient en fonction du support-espace. Si on reprend le classement de ces derniers, il reste semblable à celui déjà repris plus haut : en tête vient le courriel avec 94 % (exception faite du site de rencontre), puis le forum de débat (93 %), le forum de discussion (87 %), le blog (79 %), le réseau social (63 %), le sms (52 %), qui change étonnamment de position et se classe devant le la messagerie instantanée (48 %), le chat (47 %) et le micro-blog (37 %). Plusieurs des clavardeurs rencontrés dans le cadre des entretiens ont souligné le rôle essentiel de la ponctuation dans la communication écrite. Selon eux, elle fait partie des moyens utilisés pour déterminer le ton du message42, moyens parmi lesquels on 40 L’orthographe est très importante sur les sites de rencontre pour 100 % des utilisateurs interrogés. Étant donné que ce pourcentage ne représente que six personnes, nous ne pouvons nous permettre de le classer en première position de manière aussi absolue. 41 Les chiffres renseignent le pourcentage des utilisateurs d’un support-espace particulier (ici, le forum de débat) estimant que l’orthographe est très importante sur ce même support. 42 Excepté le point, considéré comme une ponctuation neutre et donc superflue sur certains supports. 65 retrouve également les smileys. Étant donné que sur les micro-blogs, le message se rapproche beaucoup de la formule et n’entre bien souvent pas dans un échange entre deux ou plusieurs clavardeurs, il semble logique que la ponctuation y soit moins importante. La restriction du nombre de caractères pourrait également expliquer ces données, mais l’on constate que dans les sms, qui sont également restreints en termes de caractères, la ponctuation est plus importante étant donné qu’il s’agit d’un support de correspondance et non de publication. En moyenne, l’emploi des majuscules est important pour 66 % des clavardeurs. En tête, nous retrouvons toujours le courriel avec 92 % (mis à part le site de rencontres), puis le forum de débat (91 %), le forum de discussion (79 %), le blog (70 %), le réseau social (58 %), le microblog (47 %), le sms (44 %), la messagerie instantanée (38 %) et enfin le chat (37 %). Une fois de plus, le « classement » est grosso modo conservé. Ainsi, si le « bien écrire » varie bel et bien en fonction des supports, on constate que globalement, l’importance accordée aux différents secteurs de langue décroit proportionnellement en fonction de ce classement. La structuration est le quatrième secteur de langue le plus important : en moyenne, 62 % des clavardeurs ayant répondu au questionnaire déclarent y accorder de l’importance. La relecture, systématique pour une moyenne de 48 % des répondants, varie très fortement en fonction du support. 87 % des rédacteurs de courriels déclarent qu’ils relisent toujours leur message avant de l’envoyer, alors que sur les chats et les messageries instantanées, seuls 12 % des utilisateurs le font systématiquement. Cela s’explique bien entendu par la synchronicité des échanges sur ces deux derniers supports, synchronicité qui exige une interaction rapide qui ne laisse pas la place à la réflexion, au brouillon et à la relecture. Toutefois, il existe une pratique assez répandue sur les messageries instantanées et les chats, qui consiste à corriger une erreur aperçue dans un message qu’on vient d’envoyer en répétant le mot incorrect précédé d’une astérisque : « Oui. Fin je vais dire ça m’arrive de l’envoyer sans l’avoir relu mais, s’il est envoyé je vais quand même le relire et si je vois que j’ai fait une faute je fais une petite étoile et j’écris le mot où je me suis trompée. Mais ça je le fais tout le temps quoi. » La relecture ne semble donc pas complètement absente de ces supports-espaces, même si elle est visiblement moins systématique et se fait parfois à postériori. Ensuite en moyenne, 39 % des répondants n’utilisent jamais d’abréviations ou d’acronymes. Ces données varient évidemment fortement entre le courriel (62 %), le forum de débat (79 %) et le sms (14 %) notamment. Notons que 42 % des micro-blogueurs ayant participé { notre enquête n’utilisent jamais d’abréviations, ce qui semble paradoxal puisque le nombre de caractères est restreint. Le caractère public et le rapprochement avec le style de la formule, raisons que nous avons déjà évoquées à maintes reprises, expliquent sans doute ce chiffre43. 43 Il va de soi qu’il est difficile de déterminer si ces constatations s’expliquent par les caractéristiques propres aux supports-espaces concernés ou par les personnalités de leurs utilisateurs, peut-être proportionnellement plus enclins que d’autres { surveiller leur mode d’écriture. 66 En moyenne, 21 % des clavardeurs estiment que le registre qu’ils utilisent est soutenu. Sur les forums de débat, ils sont 63 % { penser qu’ils utilisent ce registre alors qu’ils sont seulement 43 % sur les courriels et 23 % sur les forums de discussion. Sur les réseaux sociaux, les micro-blogs, les sms, les chats et les messageries instantanées, moins de 7 % des utilisateurs déclarent écrire dans un registre soutenu. La confrontation de ces représentations à la réalité des écrits en ce qui concerne le registre révèle soit qu’il existe une grande différence entre ce que les clavardeurs pensent faire et ce qu’ils font réellement, ou entre ce qu’ils disent qu’ils font et ce qu’ils font, soit que ces derniers ne maitrisent pas bien les discours métalinguistiques conventionnels, tels que la différenciation des registres de langue. En effet, nous n’avons rencontré aucun exemple d’utilisation de registre soutenu dans notre corpus. Par exemple, Pauline et Aurélie, deux clavardeuses que nous avons rencontrées dans le cadre d’entretiens, avaient déclaré dans le questionnaire qu’elles utilisaient un registre soutenu pour la rédaction de leurs courriels, or les extraits qu’elles nous ont fournis montre que ce n’est manifestement pas le cas. Enfin, l’absence systématique de smileys concerne une proportion restreinte des utilisateurs des différents supports-espaces, même si elle est somme toute relativement élevée par rapport aux stéréotypes qui circulent { propos de ces figures censées imiter l’expression du clavardeur. En effet, elles ne sont pas utilisées à tort et à travers comme on a souvent tendance à le croire, mais elles sont plus ou moins présentes selon les supports, ainsi que selon les destintaires et les sujets abordés (cf. facteurs de variation au point 3.3.2.7.). Ainsi, l’utilisation des smileys n’est pas perçue comme étant incompatible avec le bien écrire, il s’agit simplement de l’adapter en fonction d’une série de facteurs de variation. 3.3.2.3. Le bien écrire Finalement, qu’est-ce que le « bien écrire », selon les répondants ? Nous avons tout d’abord pu constater qu’il varie en fonction du support-espace concerné : par exemple, bien écrire un sms ne signifie pas la même chose que bien écrire un courriel. Dans le tableau ci-dessous, nous avons classé les différents secteurs de langue par support en fonction du nombre de répondants estimant qu’ils étaient importants (du plus grand nombre de répondants (1) au plus petit nombre de répondants (8)). Dans le cas du sms, où l’écriture est globalement moins importante que sur la majorité des autres supports, il ne s’agit visiblement pas uniquement d’écrire comme dans un courriel mais en « moins surveillé », mais plutôt de surveiller certains secteurs de langue, tels que l’orthographe et la ponctuation, plutôt que d’autres, tels que la structuration comme dans les courriels. Qu’est-ce que « bien écrire » en fonction des supports ? Orthographe Ponctuation Majuscules Structuration Relecture Absence abréviations Registre soutenu Absence smileys ME 1 3 4 2 5 6 FD 1 2 4 2 6 5 F 1 2 4 3 5 6 SR 1 1 1 4 4 6 B 1 1 4 3 5 6 RS 1 2 3 4 5 6 MB 1 5 3 2 7 4 S 1 1 3 4 5 6 C 1 2 3 5 6 4 MI 1 2 3 4 5 6 7 7 7 6 8 7 8 7 7 7 8 8 8 6 7 8 6 7 7 7 67 Toutefois, bien que l’importance des différents secteurs de langue varie en fonction du support-espace, les tendances sont grosso modo semblables, ce qui nous permet de dresser un classement global du bien écrire sur les supports-espaces de clavardage. Importancedes dessecteurs faits dede langue (moyenne) Importance langue (moyenne) Orthographe 76% Ponctuation 70% Majuscules 66% Structuration 62% Relecture 48% Absence abréviations 39% Registre soutenu 21% Absence smileys 20% Ainsi, les principaux secteurs de langue auxquels il faut faire attention si l’on veut bien clavarder sont, par ordre d’importance, l’orthographe, la ponctuation, l’emploi des majuscules et la structuration. Comme nous l’avons dit précédemment, l’utilisation d’abréviations et de smileys n’est souvent pas perçue comme étant contradictoire avec le bien écrire. Lors de notre entretien avec elle, Armèle a expliqué que, pour elle, certains secteurs de langue avaient plus d’importance que d’autres. Ainsi, elle préfère supprimer des espaces après les signes de ponctuation ou utiliser des abréviations considérées comme conventionnelles (influence de la prise de notes) que de « toucher » { l’orthographe-même du mot : « Alors je raccourcis le message mais je raccourcis ailleurs. Je raccourcis pas dans l’orthographe. […] j’enlève des mots ou j’enlève une phrase. Ou alors oui comme ici j’enlève des espaces, parce que d’habitude je mets des espaces entre les points. » (Armèle) 3.3.2.4. Pourquoi bien écrire ? Lors des entretiens, les clavardeurs nous ont fourni plusieurs raisons pour lesquelles il est selon eux important de bien écrire sur les supports-espaces de clavardage. Nous reprenons dans ce point celles qui étaient le plus fréquemment évoquées. a) L’écriture comme image de soi Sur Internet, l’écriture est importante car c’est la première chose qu’on donne { voir de soi { un interlocuteur inconnu. Ainsi, si dans la vie réelle, c’est en premier lieu { partir de l’apparence physique que l’on construit son image de l’autre, sur les supports-espaces de clavardage, c’est le mode d’écriture qui joue ce rôle. Bao explique qu’il « associerai[t] un certain caractère { une certaine orthographe ou une certaine façon de communiquer donc c’est assez compliqué quoi. » C’est pour cette raison que Victoria surveille son écriture lorsqu’elle s’adresse { des personnes qu’elle ne connait pas : « Ben sur les blogs si ce sont des personnes que je ne 68 connais pas, donc je trouve qu’écrire les mots en entier ça fait plus sérieux. » Quant à Pauline, elle est assez catégorique sur le sujet : « Ben ça c’est sûrement des gens que j’aime pas parce qu’en fait c’est sur les chats ou sur les forums, j’en vois qui écrivent des trucs comme ça… Je lis même pas en fait. Non, j’aime pas du tout, donc s’ils écrivent comme ça je pense que c’est pas très intéressant ce qu’ils disent. » Pourtant, tous ne partagent pas cet avis : « Fin je crois il y a beaucoup de gens qui font ça, ils se disent « ah il sait pas bien écrire, il écrit pas correctement, il est con quoi. » Alors que je trouve que ça a pas de lien quoi. Pas forcément. » (Armèle). Mais Armèle admet que socialement, c’est important, puisque beaucoup associent maitrise de la norme écrite et intelligence : « Je trouve ça important de savoir bien écrire même si parfois on peut un peu jouer quoi, on peut faire des abréviations et tout ça mais je trouve ça important de connaitre, d’avoir au moins une base quoi. Je dis pas de connaitre toutes les règles dans le détail, mais je trouve ça important d’avoir au moins une base, aussi pour dans le boulot, c’est vrai que ça apporte finalement de la crédibilité, je sais pas si c’est très juste, parce qu’enfin comme je disais avant il y a des gens qui peuvent mal écrire et être tout à fait intelligents quoi, mais c’est vrai qu’au niveau du travail c’est quand même assez important, pour trouver du boulot etc., d’avoir quand même une bonne orthographe… » b) Politesse et respect de l’autre Pour Pablo, surveiller son écriture dans certains contextes relève du savoir-vivre. Il estime qu’il faut être capable d’adopter les normes sociales du milieu dans lequel on se trouve : « Si par exemple on sait qu’on est dans un milieu où tout le monde parle en sms ben voil{, ça me choque pas. Après, si on est à un endroit où on vient pour avoir de l’aide et pour diffuser ses messages au plus de personnes possible, ça me parait un effort minimum que d’écrire en français complet. » c) Respect de la langue Morgan aborde également la question du respect de son interlocuteur, ainsi que celui de la langue, même si ce dernier concept semble visiblement très difficile à expliquer et à justifier : « Quand on lit ça moi je trouve déjà, ça donne pas envie de le lire. Quand il y a un mot écrit en sms ou un truc comme ça, pff, ça donne pas envie et puis je trouve que quand on écrit quelque chose, ben on essaie que les autres aient envie de le lire. […] Je sais pas l’expliquer en fait. Ben, je sais pas c’est, faut, il y a une langue faut, la langue française faut essayer de l’écrire le mieux qu’on peut, fin, puis je trouve que c’est… » L’idée du respect de la langue revient très régulièrement dans les explications des jeunes que nous avons rencontrés : « Non, je trouve que quand même il faut avoir un respect pour la langue française, c’est pas… […] Disons que ça fait partie de la culture et qu’il faut avoir un respect pour la langue. Fin je sais pas comment expliquer.» (Victoria) Pour Pauline, c’est important de bien écrire car elle respecte ainsi une certaine tradition qu’on lui a inculquée, elle prend soin du « patrimoine linguistique » : 69 « Ben, on m’a toujours appris que c’était important et puis on nous a toujours dit, si on envoie une lettre de candidature { quelqu’un, enfin { un chef d’entreprise, { partir de deux fautes il jette la lettre { la poubelle donc ça sert { rien d’écrire avec des fautes et tout, autant avoir la bonne orthographe dès le début. » (Nous soulignons) Il est étonnant de constater { quel point le message qu’elle véhicule est normatif. Elle n’est pas la seule { penser de la sorte : le souci du respect de la langue et de la tradition chez ces jeunes, qui appartiennent pourtant à une catégorie sociale soi-disant caractérisée par un rejet de l’autorité, est assez frappant. d) Bien écrire pour une bonne compréhension La limite { ne pas dépasser en termes d’éloignement des règles du français standard est fixée par l’intelligibilité du message qu’on écrit. En effet, le but premier du clavardage est de communiquer, il est donc essentiel de se faire comprendre par son interlocuteur. Bao estime que certains ne respectent pas ce principe élémentaire, ce qui le dérange : « Ce qui pose vraiment problème c’est quand c’est illisible et que je comprends vraiment pas le message, ça je trouve vraiment énervant quoi. […] Fin je sais pas, c’est complètement paradoxal parce qu’il veut transmettre un message mais en même temps il se dit pas que son message est incompréhensible pour une personne sur deux, ça fin je me dis c’est… Oui c’est un non-sens quoi. » Il n’est pourtant pas pointilleux en ce qui concerne le respect de l’orthographe ou d’autres règles du français standard. C’est également le cas d’Armèle : « Donc non, ça me dérange pas du tout. Fin, ce qu’il y a, c’est que quand on arrive plus bien { lire, quand j’arrive plus bien à comprendre ça m’énerve quand même quoi. » Aurélie ajoute qu’en plus de gêner la compréhension, s’éloigner des règles est finalement plus compliqué que les respecter : « Parce que ça complique, je sais pas, fin on a inventé des règles pour que ce soit plus simple entre guillemets, pour qu’on se comprenne. Je sais pas, je trouve ça pas beau quoi. » Ainsi, elle donne également un argument d’ordre esthétique : le respect des règles, c’est le respect de la beauté de la langue. Pour Pablo, c’est clairement plus couteux en termes de temps et d’efforts de s’éloigner de la norme que de la respecter : « C’est aussi des personnes qui simplifient alors qu’au final c’est presque plus compliqué de simplifier que la manière... […] En fait c’est juste que pour moi écrire en sms ça me demande un effort bien plus important que le temps que je vais perdre à écrire en vrai français. » (Nous soulignons.) Notons que le français standard correspond visiblement selon lui au « vrai » français, ce qui signifierait sans doute que le langage sms, par exemple, est un « faux » français. e) Peur des mauvaises habitudes Enfin, certains clavardeurs ont évoqué leur crainte de voir les « mauvaises habitudes » prises sur les supports-espaces de clavardage influencer négativement la maitrise de la variété de français socialement reconnue et valorisée : « Parce que ça va devenir une habitude et la personne va plus s’en rendre compte en fait quand elle va devoir rédiger quelque chose qui a un… Allez comment dire… Dans le cadre 70 académique ou quoi, genre { l’école, s’il va devoir rédiger un travail, il peut pas écrire comme ça quoi. Il peut mais il risque d’avoir des problèmes. » (Bao) Etant donné l’importance que revêt la norme lingusitique en ce qui concerne l’image que l’on donne de soi, tant sur les supports-espaces de clavardage que dans un cadre académique ou professionnel, certains pensent qu’il est plus prudent de respecter la norme quel que soit le contexte afin de ne pas risquer de s’en écarter dans les situations qui ne le permettent pas. 3.3.2.5. Le degré d’oralité Pour les répondants, l’importance de l’écriture varie en fonction des supports. Il en va de même en ce qui concerne le degré d’oralité. Dans le questionnaire, nous avons demandé aux utilisateurs de chacun des supports-espaces de clavardage étudiés si sur ceux-ci, ils estiment écrire comme ils parlent. Style oralisé (en %) Mess. instant. SMS Chat Réseau social Site rencontres Micro-blog Forum discussion Courriel Blog Forum débat 72,6 68,4 60,5 50,3 50 47,4 17,9 13,7 9,4 8,6 Cette question a permis de classer les supports en trois catégories. L’écriture sur les messageries instantanées, dans les sms et sur les chats constitue la catégorie de clavardage la plus oralisée (en vert sur le graphe), ce qui s’explique par la synchronicité de l’interaction sur ces supports ainsi que par le degré de familiarité généralement élevé entre les clavardeurs et le caractère informel attribué à ces moyens de communication. Ensuite, les réseaux sociaux, les sites de rencontres et les micro-blogs forment la deuxième catégorie (en bleu) : la moitié de leurs utilisateurs estime écrire comme elle parle, l’autre moitié, au contraire, estime qu’il s’agit bien d’un style écrit. Le caractère hybride des deux premiers supports (présence d’un service de messagerie instantanée, d’un système proche du courriel, d’un espace de présentation, etc.), alliant espaces de discussion synchrone et asynchrone, en est sans doute l’une des raisons. Enfin, la troisième catégorie de supports-espaces (en rouge) est composée des forums de discussion, des courriels, des blogs et des forums de débat. Il s’agit des supports sur lesquels le style est le moins oralisé, autrement dit où le style se rapproche le plus – dans l’imaginaire des répondants, nous sommes toujours dans le domaine des représentations – de l’écrit standard. Selon nous, l’oralité n’a pas sa place sur ces supports-espaces car le degré de familiarité des clavardeurs en contact est généralement plus faible, il s’agit de supports formels, comme le courriel notamment, et les objectifs ne le permettent pas. On remarque que ce tableau reprend en gros, en en inversant les données, ce qui apparaitra logique, le tableau consacré au bien écrire (voir p. 61). 71 Les clavardeurs interviewés, tels que Pablo, semblent visiblement faire la différence entre leur style orale et leur style écrit : « Clairement, quand j’écris en oral j’ai tendance à mettre des enfin partout. […] C’est comme du français écrit sauf qu’il y a une couche de contrôle qualité qui n’existe pas l{. » (Nous soulignons.) 3.3.2.6. La notion de diamésie Dans un article qui interroge la nécessité de la notion de diamésie, proposée par Alberto Mioni en 1983 puis reprise par Françoise Gadet en 2003, Jakob Wüest réfléchit au rapport entre l’oral et l’écrit. Il note : « … les nouveaux médias électroniques ont créé de nouvelles situations de communication qui ne font que compliquer le rapport entre l’écrit et le parler. Dans le chat, on est à la limite entre la conversation publique et privée. Ce sont des individus qui communiquent, mais qui font semblant, sous le couvert de leur pseudonyme, d’être en situation familière. Comme au téléphone, il y a coprésence temporelle, alors que la séparation spatiale peut être extrême, de sorte que le critère de la coprésence/séparation spatio-temporelle vole en éclats. Critère avancée par Koch et Oesterreicher pour différencier l’immédiat communicatif de la distance communicative … . Il s’agit donc d’un type de communication qui utilise le code graphique, mais qui partage un maximum de critères avec l’immédiat communicatif. »44 La diaphasie désigne la variation linguistique due au contexte de communication. La diamésie, quant à elle, signale un changement de canal de communication. Cette notion, remise en question par Jakob Wüest dans son article, nous semble néanmoins tout particulièrement pertinente concernant le clavardage. Il est bel et bien nécessaire de distinguer le contexte de communication du canal utilisé : par exemple, le courriel peut aussi bien être rédigé dans un contexte professionnel que dans un contexte privé. Le canal est le même, pas le contexte de communication. Comme nous l’avons évoqué plus haut, la séparation stricte des facteurs de variation n’a que peu de sens, puisque tous interagissent. Nous avons toutefois démontré que le support-espace représente à lui seul un facteur de variation important, même si le mode de clavardage qui y sera employé ne répond pas à des codes bien précis et varie en fonction d’autres facteurs. Il est donc important de distinguer la diamésie de la diaphasie puisque ces notions désignent deux réalités différentes. 3.3.2.7. Influence des différents facteurs de variation par support et de manière globale Comme nous l’avons souligné { maintes reprises, le mode de clavardage varie en fonction des supports mais également en fonction d’une série d’autres facteurs que nous allons présenter dans ce point. Tout d’abord, nous nous sommes uniquement interrogés sur la nature des facteurs qui pouvaient influencer le clavardage dans sa globalité ainsi que sur leur degré d’influence. Mais il est apparu par la suite que cette analyse n’était pas suffisante car leur importance varie également en fonction des secteurs de langue. Il va de soi que certains d’entre eux sont peu sujets { la variation tandis que d’autres peuvent changer beaucoup. Par exemple, la 44 Jakob WÜEST (2009), « La notion de diamésie est-elle nécessaire ? », in Travaux de linguistique, n°59, Éditions Duculot, p. 149. 72 relecture dépend très fortement du destinataire tandis que l’emploi des majuscules est plus constant. Un tableau à double entrée (cf. p. 75), semblable à celui réalisé pour la question de l’importance de l’écriture, nous permet de synthétiser les données que nous avons pu récolter et de fournir une vision globale de la variation linguistique sur les supports-espaces de clavardage. En premier lieu, il permet d’identifier les facteurs de variation et de déterminer leur degré d’influence, d’une part sur le clavardage pris globalement, d’autre part sur le clavardage découpé en secteurs de langue. Globalement, le facteur le plus influent sur le mode de clavardage est le destinataire : lorsqu’on leur pose la question directement (« Quels facteurs influencent selon toi le degré d’attention que tu accordes globalement { ton écriture ? », données reprises dans la dernière colonne du tableau), 74 % des répondants estiment qu’il est déterminant, voire très déterminant. Après le destinataire, ce sont les objectifs et le sujet abordé qui influencent le plus l’attention accordée { l’écriture, mais de manière nettement moins marquée : respectivement, 56 % et 57 % des répondants déclarent que ces facteurs influencent leur écriture. Le support, quant à lui, est perçu comme influent par 38 % des répondants, ce qui est paradoxal par rapport aux données que nous avons exposées précédemment. En effet, les clavardeurs eux-mêmes reconnaissent que l’importance qu’ils accordent { l’écriture varie en fonction des supports, tout comme le degré d’oralité par exemple, mais lorsque la question leur est posée plus directement, ils répondent souvent par la négative. L’endroit réel où se trouve le clavardeur (23 %), le médiateur utilisé (21 %), la présence ou non d’un modérateur tel que sur les forums (19 %) et, enfin, le degré d’accessibilité et de publicité du support de clavardage utilisé (19 %) sont des facteurs nettement moins influents : ils déterminent le degré d’attention accordé { l’écriture pour seulement entre 19 % et 23 % des répondants. Finalement, on constate que certains stéréotypes concernant la langue sont bien ancrés dans l’imaginaire des jeunes : ainsi, il est communément admis que le destinataire est l’élément principal qu’il faut prendre en compte pour adapter la manière dont on va s’exprimer, que ce soit { l’oral ou { l’écrit. Il est donc logique qu’il soit presque systématiquement pointé comme étant le facteur de variation par excellence. La prise en compte des différents supports-espaces de clavardage, par contre, est une réalité nouvelle. S’il s’agit bel et bien d’un facteur de variation important, tant du point de vue des représentations indirectes – comme le montrent les analyses que nous avons présentées plus avant – que de la réalité – comme en témoigne notre corpus de productions clavardées –, il est visiblement trop neuf pour que les clavardeurs prennent la mesure de son impact sur leur mode d’écriture. Rappelons que les différents facteurs de variation que nous venons de présenter sont extrêmement liés et qu’il est difficile de les dissocier. Par exemple, le support-espace de clavardage n’est pas intrinsèquement influent sur le mode d’écriture, mais il l’est bien parce qu’il est choisi en fonction des objectifs poursuivis ainsi que des destinataires. Lors de notre entretien avec lui, Morgan nous donne un bel exemple de l’interdépendance des facteurs de variation en prenant le cas de l’utilisation du smiley. Il explique qu’il les utilise principalement avec des amis. Etant donné que Facebook est le support-espace utilisé pour communiquer entre amis, contrairement au courriel, il est logique que l’on y retrouve beaucoup plus de smileys qu’ailleurs : « Justement Facebook c’est plus ami, et on a plus tendance { utiliser les smileys 73 Analyse des facteurs de variation par secteur de langue Facteur de variation/ Emploi des Utilisation abréviations/ Emploi des du registre Structuration Orthographe Ponctuation majuscules soutenu acronymes Relecture Degré d’oralité Emploi des smileys Destinataire 82 % 82 % 82 % 77 % 71 % 71 % 63 % 57 % Objectif Sujet Support Endroit Médiateur 66 % 65 % 45 % 30 % 28 % 63 % 58 % 48 % 26 % 25 % 59 % 61 % 50 % 24 % 31 % 62 % 60 % 38 % 23 % 22 % 51 % 45 % 48 % 25 % 32 % 56 % 48 % 42 % 27 % 20 % 52 % 38 % 40 % 24 % 19 % Modérateur 22 % 18 % 13 % 21 % 19 % 21 % Accessibilité 19 % 14 % 13 % 16 % 18 % 14 % Secteur de langue Moyenne Ecriture en général 53 % 71 % 74 % 49 % 40 % 41 % 21 % 23 % 41 % 23 % 34 % 19 % 27 % 55 % 49 % 43 % 24 % 25 % 56 % 57 % 38 % 23 % 21 % 21 % 17 % 15 % 19 % 19 % 16 % 14 % 18 % 16 % 14 % 74 entre amis, je t’ai pas envoyé de smiley dans le cadre des e-mails par exemple. » Cela démontre à quel point les facteurs de variation sont liés : certes, l’on peut faire une distinction entre les supports-espaces en termes d’utilisation des smileys, mais cela s’explique notamment par le fait que les supports ne sont pas utilisés pour communiquer avec les mêmes personnes. Les données que nous venons d’exposer ont été fournies grâce { une question concernant l’écriture dans sa globalité. Elles diffèrent légèrement de la moyenne – présentée dans la pénultième colonne du tableau – que nous avons réalisée à partir des réponses aux questions concernant les secteurs de langue en particulier : il existe donc une légère distorsion entre les représentations générales (en rouge sur le graphique ci-dessous) et les représentations particulières (en bleu) des répondants. Les facteurs de variation communément partagés dans l’imaginaire linguistique collectif, c’est-à-dire le destinataire, l’objectif et le sujet, sont perçus comme influents par un plus grand nombre de personnes lorsqu’on pose la question directement que lorsqu’on calcule une moyenne. Par contre, la tendance s’inverse concernant les autres facteurs de variation : ils sont moins souvent identifiés et reconnus comme facteurs de variation dans les représentations générales que dans les représentations particulières. Pour certains, dont le support-espace notamment, il s’agit simplement d’un manque de reconnaissance et de prise de conscience collective de cette réalité. Influence des facteurs de variation 74% 71% Destinataire 56% 55% Objectif Sujet 49% 38% 43% Support 23% 24% Endroit Outil Modérateur Accessibilité 57% Question directe Calcul indirect 21% 25% 19% 19% 14% 16% En deuxième lieu, le tableau montre dans quelle mesure les différents secteurs de langue – auxquels nous avons ajouté le degré d’oralité – sont sujets à variation. La relecture est l’activité langagière qui varie le plus, principalement en fonction du destinataire, de l’objectif et du sujet abordé. Concrètement, cela signifie que la relecture est loin d’être systématique : selon la personne { laquelle on s’adresse, on relit ou non le message qu’on vient d’écrire. Notons que seuls 45 % des répondants déclarent qu’ils relisent ou non en fonction du support-espace, or il nous semble évident que cet élément est très déterminant : la synchronicité du chat et de la messagerie instantanée, par exemple, ne permet pas une relecture systématique puisque la rapidité de l’interaction est importante. C’est ensuite le degré d’oralité qui varie le plus, toujours 75 principalement en fonction des trois mêmes facteurs (destinataire, objectif, sujet). Les supportsespaces ne sont { nouveau pas identifiés comme étant influents, alors qu’au point précédent, cette caractéristique nous a permis de les classer en trois catégories : de l’écriture la plus oralisée au style le plus écrit. L’emploi des smileys, le choix du registre, l’emploi d’abréviations, la structuration sont également très variables. Finalement, les trois secteurs de langue qui varient le moins – même si on remarque que le destinataire conserve dans tous les cas une certaine importance – sont l’orthographe, la ponctuation et l’emploi des majuscules, c’est-à-dire ceux qui sont considérés comme les plus caractéristiques du bien écrire. Ainsi, nous pouvons supposer que s’ils varient moins, c’est parce qu’ils sont les plus importants et donc les plus systématiquement respectés. 76 4. Enquête qualitative L’enquête quantitative, réalisée au moyen du questionnaire et dont nous avons exposé les résultats au chapitre précédent, a été complétée par une enquête qualitative. Ces deux pans de la recherche se sont en réalité déroulés parallèlement étant donné qu’ils se nourrissaient mutuellement. En effet, c’est-à-partir de l’enquête quantitative que nous avons pu sélectionner un échantillon de clavardeurs que nous souhaitions interroger plus en détails lors d’entretiens, qui nous ont quant à eux permis de mieux comprendre certaines informations récoltées dans le cadre de l’enquête quantitative, de les nuancer et surtout, de les contextualiser. À la fin du questionnaire en ligne, les répondants étaient invités { préciser s’ils acceptaient ou non une éventuelle interview ultérieure. Parmi ceux qui répondaient par l’affirmative, nous avons sélectionné un échantillon de clavardeurs en fonction de leur utilisation des différents supports-espaces de clavardage – aussi diverse que possible – ainsi que de leur profil sociologique. Sept d’entre eux ont accepté de nous rencontrer et de nous fournir au préalable un aperçu de leurs productions sur les différents supports-espaces de clavardage qu’ils utilisent. Ce précieux corpus de productions clavardées nous a permis de confronter les représentations des clavardeurs interrogés avec la réalité de leurs écrits mais également d’établir une typologie des graphies remarquables que l’on peut rencontrer sur la Toile (cf. point 4.3.1.). Ainsi, l’enquête qualitative se compose de sept entretiens d’une durée de 45 minutes { deux heures trente. Nous joignons à ce rapport écrit un DVD contenant l’enregistrement des interviews dans leur intégralité. La retranscription d’extraits significatifs et le corpus de productions clavardées y sont également consultables. Dans ce chapitre, nous ne présenterons pas de manière systématique toutes les informations récoltées lors des entretiens. Il nous semble en effet peu intéressant de faire un compte-rendu de chacun d’entre eux étant donné que bien souvent, les données se recoupent et qu’il est difficile de restituer de manière succincte et structurée des entretiens qui ont pris la forme de conversations, par moment décousues. Comme nous l’avons déj{ précisé, ces entretiens nous ont d’une part permis de mieux comprendre les données quantitatives et de mieux en interpréter les analyses, ce que nous avons mis à profit dans le chapitre précédent, et d’autre part de constituer un corpus de productions clavardées, dont la présentation et l’analyse constituent l’un des objets de ce chapitre. Dans un premier temps, nous présenterons brièvement le profil des sept clavardeurs que nous avons rencontrés, nous détaillerons ensuite les questions posées lors d’un entretien-type ainsi que les objectifs poursuivis et nous analyserons enfin notre corpus. 4.1. Présentation des sept clavardeurs 45 1) Morgan (S100 – ID303) Garçon de 19 ans BA1 en Médecine (ULB) 45 Pour des raisons évidentes, nous avons garanti l’anonymat aux personnes interviewées. Nous nous contenterons donc de les appeler par leur prénom. 77 Français langue maternelle Père informaticien, mère architecte Possède un smartphone Déclare respecter les règles de français standard. Forum discussion Forum débat x Messagerie instantanée Chat x Blog Com. blog Microblog Réseau social x x x x Site de rencontres Courriel SMS x x Courriel SMS x x Courriel SMS x x Courriel SMS x x Courriel SMS x x 2) Armèle Fille de 19 ans BA1 en Langues et Littératures germaniques (ULB) Mère française, père belge Français langue maternelle Déclare qu’il lui arrive de s’éloigner des règles de français standard. Forum discussion Forum débat Messagerie instantanée Chat Blog Com. blog Microblog x Réseau social Site de rencontres x 3) Bao Garçon de 19 ans BA1 en Sciences humaines (ULB) Mère belge, père vietnamien Français langue maternelle Déclare qu’il lui arrive de s’éloigner des règles de français standard. Forum discussion Forum débat x Messagerie instantanée Chat Blog Com. blog Microblog x Réseau social Site de rencontres x 4) Pablo Garçon de 19 ans 2e BA1 en Ingénieur civil (Polytechnique) (ULB) Père belge, mère galicienne Français langue maternelle, parle en galicien avec sa mère jusqu’{ l’adolescence Déclare respecter les règles de français standard. Forum discussion Forum débat x Messagerie instantanée Chat x x Blog Com. blog Microblog x x Réseau social Site de rencontres 5) Pauline Fille de 17 ans Élève de rhétorique (option latin-grec) { l’Athénée Royal de Thuin Français langue maternelle Déclare respecter les règles de français standard. Forum discussion Forum débat Messagerie instantanée x Chat Blog Com. blog x x Microblog Réseau social x Site de rencontres 6) Victoria Fille de 18 ans 78 Élève de rhétorique (option économie-langues) { l’Athénée Royal Lucienne Tellier { Anvaing Mère belge, père italien Français langue maternelle Déclare qu’il lui arrive de s’éloigner des règles de français standard. Forum discussion Forum débat Messagerie instantanée Chat Blog x Com. blog Microblog x Réseau social Site de rencontres x Courriel SMS x x 7) Aurélie Fille de 18 ans Élève de rhétorique (option langues) { l’Athénée Royal Lucienne Tellier { Anvaing Français langue maternelle Déclare respecter les règles de français standard. Forum discussion Forum débat Messagerie instantanée Chat Blog Com. blog Microblog x Réseau social x Site de rencontres Courriel SMS x x 4.2. Entretien type Une grille de questions, reproduite à la page suivante, nous servait de fil rouge lors de nos entretiens. Toutefois, nous n’y avions que rarement recours car les sept jeunes que nous avons interrogés se sont montrés plutôt bavards et devançaient bien souvent nos questions. Par ailleurs, nous avions opté pour une méthode d’entretien dite participative46, préconisant l’implication de l’enquêteur dans le but de favoriser l’implication de l’enquêté. Ainsi, les entretiens se déroulaient plus sur le mode de la conversation que du question-réponse, ce qui fut très fructueux et permit de recueillir une somme considérable de données, dont certaines auxquelles nous ne nous attendions pas et dont les enquêtés n’avaient pas toujours conscience. Nous présentons les questions telles qu’elles se retrouvent dans la grille car c’est ainsi que nous nous les étions posées et c’est principalement ces données que nous souhaitions recueillir. Comme nous l’avons expliqué, présenter chacun d’eux tels qu’ils se sont déroulés reviendrait à les restituer dans leur quasi totalité, ce qui aurait démesurément dilué les informations dans ce rapport. 46 KAUFMANN J.-C. (2004), L’entretien compréhensif, Paris, Armand Colin. 79 Au début des entretiens, nous avons demandé aux jeunes de juger spontanément un ensemble de productions clavardées que nous avons extraites de différents supports-espaces. Cette manière de procéder nous a permis de dégager plusieurs remarques intéressantes sans avoir { poser de question, c’est-à-dire sans orienter l’interviewé. Nous présentons ici ces extraits tels que nous les avons soumis lors des entretiens et les reprenons en annexe accompagnés de leurs références. 80 Jugement spontané d’extraits 1) Normallément le ticket est valable une semaine ou 3. Regarde dessus. C est essence. Profités en bien. Kis 2) yane tkt jen fai oten 3) T'àààiiim3 Jùùù$tiiin Biiii3b3rr ? <3 4) Bonjour les filles! On ira manger ensemble? 11h50 devant le batîment? Kus, s 5) - oh c mon pseudo ki te fais rire... aba sa me plait bien t pui s'il te plai po ou s'il te fé rire ch pense k c po mon prob ness po !!? - Et en plus tu sais pas écrire... Putain. Tu sors. - hah tu me fais riiiiiiiire on dirai que tu es championne d'orthographe. et puis....moi je vérifie pas mon orthographe quand j'écris et en+ je suis ps obligée de te donner aucune justification BAY 6) Coucou!cmt va?remise de ta grippe?je mapercois que jai du boulo pour lecole,je ne saurai pas venir vendredi.dèsolée.on reporte ca a une otr foi.gro bisous 7) toujours finir par acheter au + que ta au plus que tu gagne 81 Au cours des entretiens, nous revenions sur les productions clavardées que les jeunes nous avaient envoyées au préalable afin de demander des précisions et de vérifier leur degré de conscientisation concernant leur propre manière d’écrire. Cela nous a permis de mieux analyser ces extraits (cf. point 4.3.2.) Remarques Nous avons été étonnés de l’importance qu’accordaient la plupart des personnes que nous avons rencontrées { la problématique de l’écriture sur Internet. Bien entendu, toutes avaient répondu positivement à une invitation qu’elles n’étaient en aucune façon tenues d’accepter, ce qui supposait déj{ une certaine ouverture d’esprit { propos du sujet, mais pas forcément un intérêt. Or la majorité d’entre elles avait déj{ manifestement réfléchi, d’une manière ou d’une autre, au clavardage. À travers leur discours, nous nous sommes aperçus que généralement, cette réflexion est née suite { l’observation de productions clavardées très éloignées de la norme, ce qui les amena presque tous à constater que « les jeunes ne savent plus écrire », c’est-à-dire qu’ils ne connaissent plus les règles d’orthographe – puisque, nous l’avons vu, le bien écrire est principalement incarné par ce monstre sacré. Toutefois, cette réflexion ne s’arrête pas l{ pour tous les interviewés, car beaucoup ont montré qu’ils s’étaient posé des questions et qu’ils s’en posaient encore. Parfois tiraillés entre le souci du respect de la norme et des règles qu’on leur a apprises { l’école et le constat que c’est tout simplement impossible sur certains supports, tels que les supports de communication synchrone, ils expliquent que ce n’est pas vraiment la même chose, qu’ils respectent quand même les règles mais qu’elles sont moins importantes, ou différentes… Bref, ils sont en réalité parfois incapables d’expliquer raisonnablement pourquoi ils écrivent de telle ou telle manière sur tel ou tel support, pourquoi ça les dérange – dans le cas d’un éloignement plus ou moins conscient de la norme – ou, au contraire, pourquoi ça ne les dérange pas. Les stéréotypes ne sont donc pas vérifiés, du moins auprès des personnes que nous avons interrogées : ces jeunes s’intéressent bel et bien { la question de l’écriture et de la langue, mais ils sont parfois désemparés face au fossé qui sépare ce qu’on leur a appris de la diversité des usages. Il nous semble donc d’autant plus essentiel d’ouvrir le débat de manière plus large, d’interpeler les jeunes sur cette problématique et de leur fournir des éléments de réponses mais surtout des outils et des pistes de réflexion pour qu’ils puissent se réapproprier leur langue et l’utiliser sans craindre de la « dénaturer ». 4.3. Le corpus de productions clavardées Nous avons analysé un corpus d’un peu moins de 13 000 mots, constitué grâce aux productions envoyées par les sept clavardeurs que nous avons rencontrés. Nous leur avions demandé d’envoyer quelques extraits de productions pour chacun des supports-espaces qu’ils utilisent. Certains nous ont fourni énormément de messages, que nous n’avons par conséquent pas tous eu la possibilité d’analyser de manière systématique, mais qui nous ont permis d’avoir une vision globale de leur mode d’écriture47. 47 Nous ne reprenons dans le corpus, joint en annexe, que les productions analysées. 82 L’analyse de notre corpus a été réalisée de manière méthodique : nous avons méticuleusement comptabilisé chaque déviation par rapport à la norme et les avons ensuite classées selon leur nature. Ce comptage nous a permis d’établir une typologie de ce que nous appellerons désormais les graphies remarquables – au sens où nous les avons remarquées car déviantes, mais nous préférons éviter ce terme à nos yeux trop connoté – et de déterminer la fréquence de leurs apparitions. Les graphies remarquables recouvriront des lors l’ensemble de toutes les erreurs d’usage (tant en orthographe d’usage qu’en orthographe grammaticale), que l’on peut toujours expliquer par d’hypothétiques motivations, conscientes ou non, erreurs auxquelles s’ajoutent les sigles, symboles ou smileys, qui fonctionnent comme autant de conventions et sortent donc du cadre de la norme telle que considérée généralement. 4.3.1. Typologie des graphies remarquables Bien que plusieurs chercheurs aient déjà établi des typologies de ce type, nous avons préféré, dans un premier temps, partir du corpus constitué des productions clavardées fournies par les sept jeunes que nous avons rencontrés dans le cadre des entretiens, ainsi que d’un corpus aléatoire48. Nous nous sommes ensuite référés aux typologies existantes pour comparer nos observations avec celles obtenues par d’autres avant nous. Nous avons principalement retenu celle de Jacques Anis (2003), plus tard repris et complété par Anaïs Tatossian (2008). Toutefois, nous avons souhaité organiser notre typologie selon des critères différents. Tatossian, tout comme Anis, désigne les graphies remarquables par le terme « procédé scriptural », ce qui implique selon nous un acte conscient et volontaire de la part du clavardeur, or ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, les « procédés abréviatifs », tels que la chute de la marque du pluriel, ne sont pas toujours réfléchis et décidés consciemment par le clavardeur. Lors de l’analyse de notre corpus, trois grandes catégories de graphies remarquables se sont dessinées : les graphies de phonétisation, d’abréviation et de décoration. Nous leur avons ajouté une quatrième catégorie, plus marginale, regroupant les signes parasites, c’est-à-dire les erreurs de frappe manifestes. 4.3.1.1. La phonétisation Nous avons distingué d’une part les graphies transcrivant la phonétique et d’autre part les graphies traduisant la phonétique. Les premières sont des graphies qui se rapprochent de l’oral. Il s’agit de : a) b) c) d) la modification de graphème (réduction ou substitution) la suppression de graphème la modification d’éléments morphosyntaxiques l’utilisation de logogrammes (image ou caractère imagé uniques à la place de groupes de phonogrammes (lien biunivoque phonème/graphème)) e) la réduction des éléments purements graphiques (accents et signes diacritiques, majuscules, poncutation, espaces entre les mots). 48 Ce corpus nous a permis d’une part de vérifier que nous retrouvions bien de manière aléatoire les graphies observées au sein de notre échantillon et d’autre part de montrer qu’il en existe d’autres et que plus nous élargissons le corpus, plus nous rencontrons d’autres graphies. 83 Les deuxièmes, que nous plaçons sous l’étiquette « phonétique traduite », sont des graphies propres { l’écrit dont le but est de donner une dimension expressive à un message écrit. Dans ce cas, nous pourrions parler de procédés puisque leur utilisation est manifestement consciente. Il s’agit des étirements graphiques (je t’adoooooore) ainsi que des onomatopées et des interjections. À ces deux catégories s’ajoutent encore les graphies qui traduisent le non-verbal, c’est-àdire l’utilisation des majuscules, qui indiquent une émotion ou une intensité sonore, la répétition des signes de ponctuation ainsi que les smileys. Ces derniers font couler beaucoup d’encre, certes à juste titre car ils sont très présents sur l’ensemble des supports-espaces de clavardage, mais ils occultent souvent dans les représentations concernant ce mode de communication les autres moyens qui permettent de manifester de l’expressivité par écrit. Le smiley est certes très fréquemment employé, mais il ne suffit pas { lui seul { pallier l’absence des éléments de communication non verbaux, caractéristiques de la conversation orale. Il existe d’autres procédés graphiques dont certains, que nous venons d’énumérer, sont des traductions de la phonétique. Dans son article « La construction de l’illusion : mécanismes linguistiques et cognitifs qui assurent la compréhension métaphorique du clavardage »49, K. L. Filatova en répertorie et en analyse d’autres, servant également { pallier l’absence des éléments communicationnels non-verbaux. Il s’agit, pour elle, de la création de l’oralité par l’utilisation de métaphores perceptives (« taper sur le clavier, c’est parler »), l’introduction du contexte (le sien, celui de son interlocuteur par les indices fournis lors de la conversation, et le cyberespace, contexte partagé par les deux interlocuteurs) et la construction de l’image de l’autre (« téléprésence fragile »). L’expressivité { l’écrit ne se limite donc certainement pas à l’utilisation des smileys. 4.3.1.2. L’abréviation En réalité, la plupart des graphies que nous avons rencontrées dans notre corpus sont abréviatives, et c’est l’aspect le plus fréquemment mis en avant par les chercheurs. Néanmoins, il nous semblait artificiel et forcé de les classer selon ce seul critère, puisque nombre d’entre elles tendent autant { oraliser qu’{ abréger. Rappelons que selon nous, il s’agit bien de graphies remarquables, au sens où nous les avons remarquées car elles ne correspondent pas à la norme du français standard, et non pas de procédés, c’est-à-dire qu’elles sont utilisées de manière plus ou moins consciente, mais que toutes n’ont pas forcément pour objectif soit de se rapprocher de l’oral, soit d’abréger. Notre choix est donc tout { fait personnel et nous ne prétendons pas qu’il est le seul envisageable. Toutefois, étant donné la proportion élevée de clavardeurs considérant que leur mode d’écriture relève plus de l’oral que de l’écrit – au moins la moitié des répondants déclarent écrire comme ils parlent sur l’ensemble des supports-espaces de clavardage, exceptés le courriel, les forums de débat et de discussion et le blog – il nous a semblé plus pertinent d’envisager les graphies rencontrées en tenant compte de cet aspect plutôt que de leur caractère abréviatif. 49FILATOVA K. L. (2007), « La construction de l’illusion : mécanismes linguistiques et cognitifs qui assurent la compréhension métaphorique du clavardage », in Gerbault J. (dir), La langue du cyberespace : de la diversité aux normes, Paris, L’Harmattan. 84 Ainsi, nous avons placé dans la catégorie « abréviation » uniquement les graphies qui ne traduisent ou ne transcrivent pas l’oral mais représentent une économie en termes de temps de frappe ou de caractères : - l’ellipse (suis bxl, chez toi 19h), caractéristique du sms mais que l’on peut également rencontrer sur d’autres supports ; la syncope, que Jacques Anis nomme « squelette consonantique » (bcp pour beaucoup) ; la siglaison (tlm pour tout le monde) ; l’acronymie, qui est une siglaison prononcée comme un mot ordinaire (lol vient de laughing out lout) ; les abréviations conventionnelles et les symboles (min, €, +, 1). Notons que cette typologie et la fréquence d’utilisation des différentes graphies remarquables, qu’il s’agisse de phonétisation ou d’abréviation, évoluent au fil du temps. Nous pensons notamment au cas du sms. Techniquement, ce support-espace a beaucoup changé depuis sa création : auparavant strictement limité à 160 caractères « basiques » (il n’incluait pas de mise en forme ou de caractères spéciaux, ce qui n’est plus le cas actuellement), le sms peut aujourd’hui être plus long car plusieurs messages peuvent être envoyés consécutivement. 160 caractères constituent donc toujours l’unité sms, mais étant donné que cette unité a un cout pratiquement nul – la plupart du temps, l’envoi de sms est inclus dans le forfait proposé par les opérateurs –, l’abréviation n’a plus la même importance qu’auparavant. Certes, il s’agit toujours de « faire court », mais c’est plus par habitude, par jeu ou par souci d’économie en termes de temps et d’énergie que pour des raisons financières. 4.3.1.3. La décoration La dernière catégorie de graphies remarquables consiste { décorer l’écrit, { l’embellir. Il n’est plus question ici de phonétiser ou d’abréger, au contraire, c’est l’aspect esthétique qui prime dans ce cas. Nous n’avons rencontré que trois graphies différentes : - un chiffre remplace une lettre (je t’ààààim3) ; les signes diacritiques se multiplient ; le s devient $. Le fait d’enjoliver l’écrit de la sorte est, de manière stéréotypée sans doute, considéré comme typique des jeunes adolescentes, dont se moque un grand nombre de clavardeurs en les appelant les « kikoolol » – car elles ne disent pas coucou mais kikou et ponctuent toutes leurs phrases d’un lol, qui devient une sorte de signe de ponctuation neutre et perd sa signifiaction première. Notons que finalement, nous avons rencontré ce types de graphies presque uniquement chez les personnes qui s’en moquent et les utilisent donc de manière ironique que chez de véritables kikoolol, ce qui nous pousse à croire que cette catégorie de clavardeuses relève plus du stéréotype que de la réalité. Lors des entretiens, nous demandions aux clavardeurs de juger spontanément une série d’extraits issus de supports-espaces de clavardage. Parmi eux, nous avions placé un extrait écrit par une kikoolol ou par une personne souhaitant sans moquer en l’imitant – nous n’avons pas pu déterminer s’il s’agissait d’ironie ou non : « T'àààiiim3 Jùùù$tiiin Biiii3b3rr ? <3 ». Armèle 85 reconnait qu’elle utilise parfois ce type de graphies, mais plus dans un souci d’expressivité que d’esthétique : « Le troisième, c’est pas { ce point-l{, mais c’est vrai que parfois je mets des… je répète des lettres comme les i ou les o, ça je fais oui, mais je le fais pas à ce point-l{, et j’utilise pas les 3 pour faire des e. … parce que c’est fun, et pour exprimer peut-être les trucs qu’on fait { l’oral, les intonations quoi. » Elle estime que dans ce cas, c’est dérangeant car c’est exagéré, « ça fait un peu gamin en fait. Mais même moi, parfois je le fais et je me dis moi-même que j’en fais un peu trop quoi. » Remarquons qu’elle supprime ce qui relève de la décoration pour conserver uniquement les graphies traduisant ce qui est prononcé. Ce mode d’écriture dérange également Bao car, tout comme Armèle, il associe un caractère particulier { cette manière d’écrire : « Ouais bon l{ je dirais que c’est plus dérangeant mais c’est parce que je pense que j’associerais donc ce qu’elle a écrit j’imaginerais c’est qui qui a écrit ça donc… Je vais pas dire ça m’irrite mais fin… … Fin c’est un peu, je sais pas comment je peux dire ça mais… C’est un peu une caricature des adolescents qui écrivent très mal avec des dollars { la place des s, des 3 { la place des e. C’est un peu… Je dirais c’est ridicule. Je pense se forcer pour mal écrire, ça n’a aucun sens quoi. » Le sociotype de la kikoolol, même s’il n’est pas nommé, est clairement identifié par Bao. Pablo, quant à lui, admet que l’écriture kikoolol peut être motivée par l’esthétique, mais d’après lui, ça ne peut pas être employé systématiquement : « Pour moi c’est esthétique mais c’est pas fait pour faire passer un message. » Victoria et Pauline comprennent également que certains aient recours à des graphies décoratives dans un souci esthétique, mais elles estiment qu’il s’agit d’une sorte de mode, qui va passer avec l’âge : « Je me dis que plus tard ils vont certainement changer, c’est parce qu’ils sont encore dans l’adolescence et tout, mais plus tard à mon avis ils vont faire attention. » (Victoria) Cette remarque démontre que les clavardeurs sont conscients d’une évolution de l’écriture sur les supports-espaces de clavardage, évolution qui peut être collective { l’ensemble des clavardeurs (cf. graphies phonétisantes et abréviatives dans le cas du sms), mais également individuelle, en fonction de l’âge. Lorsqu’ils découvrent le clavardage, les jeunes explorent toutes les nouvelles possibilités qui s’offrent { eux et nombreux sont ceux qui adoptent ce qui se rapproche du « langage sms », pour tester de nouvelles manières d’écrire dont on ne leur avait jamais parlé { l’école. Il s’agit d’une sorte de code, qu’on apprend pour se sentir intégré { un groupe, mais qu’on finit par délaisser au fil du temps. L’utilisation du langage sms devient le signe de reconnaissance des jeunes adolescents, les plus âgés souhaitent s’en démarquer et reviennent à une écriture plus normée, ce qui est d’après eux plus mature : « C’était comme ça et après je me suis rendue compte que, fin je me sentais bête en fait. C’est plus avec la maturité qu’on se rend compte. Je vois les enfants plus jeunes, douze treize ans c’est beaucoup cette façon-l{ d’écrire, genre la deux quoi, c’est vraiment comme ça. Après, au plus ça grandit, au plus ils font attention. » (Aurélie) 86 Plusieurs des clavardeurs que nous avons rencontrés se souviennent de cette évolution individuelle et reconnaissent qu’ils s’éloignaient fortement de la norme auparavant, sur certains supports (notamment la messagerie instantanée) mais que ce n’est plus le cas maintenant. Seul Morgan s’est déclaré choqué en découvrant des messages qu’il avait écrits quand il était plus jeune : « Morgan : Fin je sais bien que quand j’étais jeune j’écrivais ainsi aussi hein, ça c’est, je l’ai vu il y a pas longtemps, j’ai retrouvé des trucs que j’avais écrits il y a longtemps et je me suis dit oulala. Nous : Et quoi maintenant que tu revois ça tu te dis… Morgan : Ah oui moi je suis choqué, je me rappelais pas déjà, oh je suis tombé des nues quand j’ai vu ça, c’était un message que j’avais écrit quand j’avais quatorze quinze ans, j’ai dit oulala. » Remarques Tout d’abord, il est important de rappeler que les graphies remarquables que nous venons de répertorier existaient, pour la plupart d’entre elles, avant l’apparition du clavardage, ce qui nous empêche d’adopter le terme de néographie, employé par Anis. Nous pensons notamment aux apocopes syllabiques, tout à fait ancrées dans le langage courant : prof, unif, bio, etc50. Par ailleurs, l’influence des conventions de la prise de notes est incontestable. Contrairement au « langage sms », ces dernières ne sont jamais critiquées et sont même enseignées, car elles sont très pratiques dans certains contextes. Il nous semble étonnant qu’alors que ces « écarts » peuvent être enseignés, la question de l’écriture sur Internet est, quant à elle, très difficile à aborder. Ensuite, nous souhaitons préciser que l’analyse de notre corpus devait, dans un premier temps, nous permettre de construire la typologie que nous venons de présenter en détails. Il s’agissait par la suite de s’appuyer sur celle-ci pour confronter les représentations des scripteurs rencontrés lors des entretiens à la réalité de leurs productions clavardées (cf. 4.3.2.2). En aucun cas, nous ne prétendons généraliser la fréquence d’utilisation des différentes graphies remarquables étant donné que notre échantillon est trop limité. Pour la même raison, nous n’avons pas non plus été en mesure de déterminer s’il était possible d’élaborer une typologie des supports-espaces en fonction des graphies remarquables que l’on y rencontre. 50 Pour une étude plus complète de l’origine de certaines graphies utilisées sur Internet, cf. DEJOND A. (2006), Le cyberlangage, Bruxelles, Éditions Racine. 87 1. Phonétisation 1.1 Phonétique transcrite a. Modification de graphème (réduction ou substitution) • qu > k • ph > f • (e)au > o • ou > w • ai > e • er > é • ai, ais, es, est, ez, ait > é • simplification graphème double • c, ç > s • s>z • c>k • oi > oa • oi > oua • oi > wa • a > o : pas > po b. Suppression de graphème • Apocope - Chute de la consonne finale muette - Chute du e muet à la finale - Réduction du pronom : j’reviens - Syncope (disparition phonème(s) { l’intérieur d’un mot) : p’tit • Syllabogramme (dcd nom de la lettre utilisé pour sa valeur phonétique) • Chute du e muet • Aphérèse (suppression phonème ou partie initiale d’un mot) : cam pour webcam c. Morphosyntaxe • Suppression première partie de la négation « ne » • Suppression pronom sujet des verbes impersonnels • Soudure : keske, jsui d. Logogrammes : + (a+), 4 (4U), etc e. Réduction du pur graphique • Absence d’accent • Absence de signe diacritique • Absence de majuscule • Absence de signe de ponctuation • Absence d’espace entre les mots 1.2. Phonétique traduite • Étirement graphique : je t’adooooore • Onomatopée et interjection : arfff 1.3. Non-verbal traduit • Smiley • Majuscule (intensité sonore ou émotion) • Répétition de signe de ponctuation 2. Abréviation 2.1. Ellipse : suis bxl, chez toi 19h 2.2. Syncope : Squelettes consonantiques (bcp ; ps pour pas) 2.3. Apocope syllabique : ops pour opérateur, conserve s 2.4. Siglaison : tlm pour tout le monde 2.5. Acronymie : siglaison prononcée comme un mot ordinaire : lol 2.6. Abréviation conventionnelle et symbole : min, €, +, 1, 3. Décoration 3.1. Chiffre remplace lettre : t’ààààim3 3.2. Multiplication des signes diacritiques 3.3. s > $ 4. Signes parasites 88 4.3.2. Analyse du corpus Les graphies les plus fréquemment rencontrées sont les modifications et supressions de graphèmes ainsi que les réductions de la composante purement graphique du mot. Les graphies abréviatives sont également très fortement représentées au sein de notre corpus. 4.3.2.1. Norme du bon usage vs normes d’emploi L’analyse de notre corpus nous a amenés { adapter la notion de « procédé scriptural », terme utilisé par Anis et Tatossian. En effet, on ne peut être assurés que les graphies que nous rencontrons sont assumées par les clavardeurs : ils les considèrent parfois eux-mêmes comme des fautes. En réalité, ces très nombreux « écarts » par rapport à la norme sont dictés par la situation de communication et le support-espace utilisé pour communiquer et répondent donc également à un ensemble de règles plus ou moins implicites. Les recherches de Widdowson sur l’enseignement des langues l’amenèrent à distinguer deux types de norme : la norme d’usage et la norme d’emploi. Selon lui, parler une langue signifie être capable de former des phrases linguistiquement correctes, ce pour quoi il faut maitriser les normes d’usage. Cependant, il est certain que « dans les circonstances normales de notre vie quotidienne nous n’avons pas fréquemment l’occasion de manifester notre connaissance de cette façon »51. Et pour cause, il faut également être capable de se détacher du système abstrait qu’est la langue pour pouvoir communiquer, c’est-à-dire maitriser les normes d’emploi. « L’usage est donc un aspect de la performance, l’aspect qui indique dans quelle mesure l’utilisateur de la langue démontre sa connaissance des règles linguistiques. L’emploi est un autre aspect de la performance : celui qui indique dans quelle mesure l’utilisateur de la langue démontre sa capacité à se servir de sa connaissance des règles linguistiques pour communiquer efficacement. »52 Bon nombre de graphies remarquables rencontrées dans notre corpus, qui constituent des écarts au regard de la norme du bon usage, respectent manifestement des normes d’emploi53. Cela correspond en fait à une procéduralisation potentielle de certaines graphies. Par exemple, l’absence de majuscule, souvent couplée { l’absence de signe de ponctuation54, est caractéristique des supports-espaces de communication synchrone tels que les chats et les messageries instantanées car l’envoi du message, toujours très court, fait office de délimitation de la phrase. Dans ce cas, la majuscule et la ponctuation apparaitraient presque comme superflu. « Les majuscules c’est surtout utile pour différencier deux phrases, quand on est sur un chat on ne fait qu’une phrase, donc on se dit que cette règle elle est un peu moins utile. » (Pablo) La présence d’un smiley entraine également la chute du signe de ponctuation, puisqu’il le remplace, comme l’explique Aurélie : « Comme l{, comme c’est un smiley, pour moi c’est comme une fin de phrase donc je mets une majuscule au début du mot qui suit . » 51 WIDDOWSON H.G. (1980), Une approche communicative de l’enseignement des langues, Paris, Hatier, coll. « Linguistique et apprentissage des langues », p. 13. 52 Ibid. 53 Pour éviter les risques de confusion, nous parlerons de « norme du bon usage » – l’usage étant un terme généralement utilisé pour désigner ce que Widdowson nomme l’emploi –, et de « normes d’emploi » – au pluriel puisqu’elles sont multiples et en constante évolution. 54 Notons que seule la ponctuation neutre (principalement le point) est évincée. Les clavardeurs ne font pas l’impasse sur les points d’interrogation et d’exclamation car ils permettent de donner le ton du message, c’est-à-dire de pallier l’absence d’éléments de communication non-verbaux. 89 Finalement, le nombre d’ « écarts » par rapport à la norme du bon usage est réduit, sur la moyenne des productions de notre corpus issu des entretiens, à maximum trois fautes pour cent mots lorsqu’on se réfère aux normes d’emploi. Or il est essentiel d’en tenir compte puisque dans certains cas, le non-respect des normes d’emploi – au profit de la norme du bon usage notamment – peut entrainer des problèmes de communication. Par exemple, l’utilisation de paragraphes et de techniques de structuration n’est clairement pas adéquat sur une messagerie instantanée puisque le message doit être bref et rapide. D’ailleurs, la touche « enter » qui permet la structuration du texte sur tous les autres supports-espaces, sert ici à envoyer le message, il est donc en quelque sorte impossible de faire des paragraphes sur une messagerie instantanée. Nous reproduisons ci-dessous l’ensemble des graphes rendant compte de l’analyse des productions fournies par chacun des clavardeurs que nous avons interrogés. Ces graphes indiquent en bleu le nombre de graphies remarquables rencontrées en moyenne pour cent mots, en rouge le nombre de fautes au regard du bon usage – c’est-à-dire l’ensemble des graphies remarquables auxquelles on soustrait les smileys, symboles et sigles, jamais considérés comme des fautes –, et en vert le nombre de fautes d’emploi – c’est-à-dire l’ensemble des fautes { l’encontre du bon usage auxquelles on soustrait les écarts qui respectent des normes d’emploi. Restent donc dans la colonne en vert les réelles « fautes » ou graphies qui ne respectent ni la norme du bon usage, ni les normes d’emploi. Le dernier graphe présente une moyenne des graphies rencontrées chez l’ensemble des sept clavardeurs interrogés. Analyse Morgan /100 mots 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Graphies remarquables Fautes d'usage Fautes d'emploi Analyse Armèle /100 mots 35 30 25 20 15 10 5 0 Graphies remarquables Fautes d'usage Fautes d'emploi Mess. inst. Réseau Courriel social SMS 90 Analyse Bao /100 mots 70 60 50 40 30 20 10 0 Graphies remarquables Fautes d'usage Fautes d'emploi Analyse Pablo /100 mots 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 Graphies remarquables Fautes d'usage Fautes d'emploi Analyse Pauline /100 mots 35 30 25 20 15 10 5 0 Graphies remarquables Fautes d'usage Fautes d'emploi 91 Analyse Victoria /100 mots 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Graphies remarquables Fautes d'usage Fautes d'emploi Analyse Aurélie /100 mots 30 25 20 Graphies remarquables 15 Fautes d'usage 10 Fautes d'emploi 5 0 Mess. inst. Courriel SMS 92 60 Analyse gobale /100 mots 50 48 46 40 30 1818 20 16 14 16 13 15 15 13 12 14 13 Graphies remarquables 11 10 10 7 2 2 1 2 2 1 3 2 Fautes d'usage 5 1 Fautes d'emploi 0 Nous constatons que le nombre de « fautes » s’écroule quand nous nous référons aux normes d’emploi et non plus à la norme du bon usage. Ces données sont bien entendu imprécises puisque les normes d’emploi ne sont pas constituées d’un ensemble de règles fixées et reconnues par tous, comme l’est la norme du bon usage, mais évolue constamment. Nous avons considéré qu’une graphie remarquable respectait les normes d’emploi lorsque, indexable à une des classes reprises dans le tableau page 89, elle revenait systématiquement chez un clavardeur – ce qui implique que les normes d’emploi ne sont pas les mêmes chez chacun d’entre eux : elles n’ont pas toutes atteint le même degré de procéduralisation chez tous les clavardeurs – ou lorsqu’elle était clairement assumée lors des entretiens. Dès lors, sera considérée comme un écart par rapport aux normes d’emploi les graphies remarquables, non assumées par les clavardeurs ou considérées par eux comme à corriger. Notons également qu’un même écart pourra être considéré ou non comme une faute par rapport aux normes d’emploi en fonction du support-espace : par exemple, l’absence de ponctuation dans un courriel ne respecte généralement pas les normes d’emploi (cela dépend du clavardeur notamment) alors que ce n’est pas le cas sur une messagerie instantanée55. Les clavardeurs semblent avoir conscience qu’ils existe plusieurs normes, mêmes s’ils ne parviennent pas à les nommer ou simplement à rationnaliser cette idée. Ainsi, Pablo donne sans le savoir une explication de ce que signifie le concept de norme d’emploi : « En fait c’est juste des règles qui sautent, mais toutes ces règles sont logiques et c’est pas en gros, on enlève une règle et 55 Il est certain que la frontière est parfois difficile { cerner, c’est pourquoi il ne fut pas toujours facile de trancher. Ainsi, les tableaux reproduits dans ce point ont pour but de montrer que le nombre de « fautes » varie considérablement en fonction des normes auxquelles on se réfère, et non de fournir des données exactes et indiscutables ce qui, nous l’avons dit, ne nous semble pas envisageable. 93 { la place on met quelque chose d’anarchique. » Il ne s’agit donc pas de supprimer toutes les règles pour écrire comme on veut, puisque l’essentiel est de se faire comprendre de ses destinataires. À côté des règles normatives, d’autres normes se sont mises en place, sorte de conventions partagées par un groupe ou une communauté. Certaines conventions sont plus largement partagées, comme celles de la prise de notes par exemple, d’autres graphies sont intuitives et peuvent donc facilement être comprises même si elles ne sont à priori pas connues par le destinataire (utilisation de logogrammes ou de symboles par exemples). 4.3.2.2. Intelligence adaptative Finalement, au terme de notre recherche, nous constatons que les représentations que les clavardeurs (du moins ceux que nous avons interrogés) ont de leur manière d’écrire sur les différents supports-espaces ne correspondent pas à la réalité de leurs productions lorsque l’on se réfère à une norme du bon usage, mais bien lorsque l’on se réfère aux normes d’emploi. Les clavardeurs possèdent donc bel et bien une intelligence adaptative, mais celle-ci ne semble pas toujours tout à fait consciente. En effet, nous avons ressenti chez les clavardeurs un tiraillement manifeste entre le souhait de respecter les règles du français standard, l’impression d’y parvenir et le sentiment d’absurdité dans certains cas que nous mettions en exergue. Il est clair que le respect de la norme du bon usage leur paraissait parfois insensé, mais ils ne parvenaient pas toujours à comprendre les raisons de leur jugement. Leur discours en devenait parfois paradoxal. Par exemple, au cours de notre entretien avec Morgan, ce dernier a réaffirmé { plusieurs reprises qu’il essayait de toujours respecter les règles du français standard car c’était très important pour lui pour diverses raisons, dont certaines assez confuses. Mais il admit également que certaines fautes le dérangeaient moins, en fonction du support-espace : « Ben non, d’ailleurs tout le monde, sur beaucoup de forums et tout ça, les gens ils mettent aussi n’écrivez pas en sms mais c’est pas grave si on fait des fautes, ça arrive, tout le monde… Je sais que j’en fais beaucoup, surtout des fautes de frappe en fait aussi ça m’arrive, des fautes que je ne vois pas qui passent alors que c’est des fautes énormes. » En fin de compte, estime-t-il qu’il faut respecter la norme du bon usage dans toutes les situations de communication ? Bien que luimême déclare avoir réfléchi { la question, il se trouve manifestement dépourvu quand il s’agit de prendre position. Nous aurions souhaité analyser l’influence des supports-espaces sur la fréquence d’utilisation des différentes graphies remarquables, qu’elles soient ou non procéduralisées. Malheureusement, notre corpus ne nous permit pas d’étudier cette question. En effet, si nous possédons de nombreux extraits de productions clavardées fournies par différents jeunes pour le courriel et le sms par exemple, ce n’est pas le cas pour d’autres supports, tels que le microblog et le chat puisque, parmi les interviewés, seul Pablo les utilise. Il est évidemment peu pertinent de prétendre observer des tendances générales { partir de productions d’un seul clavardeur car nous risquerions en réalité d’analyser les tendances du clavardeur en question et non pas du clavardage sur un support en particulier. Une recherche ultérieure sur un corpus plus étendu devrait permettre de caractériser chaque support-espace d’écriture en fonction des types de graphies remarquables mobilisés. 94 Bilan et recommandations La présente recherche était à la fois ambitieuse et modeste. Ambitieuse, parce que, pour la première fois, une étude se proposait d’observer, de manière systémique et non centrée exclusivement sur un support-espace, les représentations et usages des clavardeurs sur les différents supports-espaces d’écriture. Nous voulions dresser un panorama qui fasse sens de ces nouvelles pratiques d’écriture et des représentations qu’en ont les clavardeurs, et, le cas échéant, distinguer les spécificités de chacun de ces supports-espaces. Modeste, car les moyens et le temps imparti pour cette recherche étaient limités. Par ailleurs, toute recherche sur corpus ne pouvant dire de vérité que sur son corpus, il nous a dès lors fallu limiter nos prétentions à ce que nous a révélé ledit corpus. La constitution de l’échantillon de répondants a été difficile. Si l’on peut se réjouir d’avoir obtenu 405 réponses à un long questionnaire, nous aurions souhaité une plus grande diversité socio-culturelle des personnes interrogées. Pour autant, notre échantillon présente une certaine cohérence et est certainement représentatif d’une tranche d’âge d’étudiants universitaires de première année de baccalauréat (365 réponses). La récolte de réponses émanant de l’enseignement secondaire fut assurément plus malaisée (60 réponses seulement). Même les aides de l’administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour rendre public le questionnaire furent sans aucun effet (aucune réponse suite à cette aide). Dès lors, c’est par du démarchage personnel seul que nous avons pu atteindre les élèves qui ont répondu. Pour autant, malgré des tentatives de toucher des publics plus variés, la représentativité de notre échantillon pour le secondaire ne peut être assurée. Notre recherche prétend donc surtout proposer un état des lieux du clavardage tel qu’il ressort des représentations et des pratiques de notre échantillon de répondants. Le croisement des enquêtes quantitative et qualitative ainsi que le recours à un corpus de vérification nous ont permis de recouper les données et dès lors de proposer des conclusions fondées trois fois plutôt qu’une. Il n’était guère question ici de proposer une description linguistique des pratiques et des graphies remarquables observées. Nous n’adoptons guère le point de vue du morphosyntacticien, qui décrit les mécanismes { l’œuvre, sans jugement, sans considérer comme faute ou erreur une graphie non standard. Nous nous sommes confié pour tâche de décrire surtout les représentations des clavardeurs, description absolument nécessaire à la mise en œuvre d’une réelle politique linguistique en la matière. Notre visée est assurément l’enseignement de la langue et la prise en compte des nouvelles pratiques d’écriture dans l’espace classe. Dès lors, nous reprendrons parfois les termes de « faute » et d’ « erreur », parce qu’ils sont mobilisés dans les discours qui disent les représentations des clavardeurs sur leurs usages. Une dernière précaution, et non des moindres, concerne la volatilité des résultats. Non pas que nous ne soyons pas assurés quant à ceux-ci pour notre enquête. Mais les pratiques d’écriture sur nouveaux supports-espaces changent excessivement rapidement au gré des évolutions techniques et des nouvelles opportunités qu’elles offrent. Ainsi, le courriel est-il rapidement passé d’informel { également formel ; l’intégration dans les réseaux sociaux de divers espaces particuliers dédiés au blogging ou à la messagerie instantanée a conduit à la 95 réduction drastique du nombre de blogs personnels sur la toile… Cette évolution rapide des « genres » clavardés s ‘accompagne d’une évolution tout aussi rapide des usages des clavardeurs. Des répondants de notre échantillon récusent souvent les « enfantillages » ludiques qu’ils pratiquaient naguère et dont ils se réjouissaient quelques années plus tôt. Au point que les abréviations, qui passent pour le prototype du langage SMS dans les représentations, n’apparaissent dans les recherches récentes qu’en faible proportion. Dès lors, en la matière, toute recherche est rapidement frappée d’obsolescence (cinq ans devient une éternité). Pour autant, le résultat majeur de notre recherche se révèle pérenne : nous pouvons affirmer que les clavardeurs font preuve d’une intelligence adaptative remarquable, eu égard tant à la diversité des nouveaux supports-espaces qu’{ la rapidité de leur évolution. Cela devrait faire taire les esprits chagrins épris de discours sur la décadence de la langue. L’omniprésence du français clavardé Cette recherche nous a permis de dresser un tableau de l’utilisation des différents supports-espaces de communication sur Internet et les GSM. 99 % des personnes interrogées envoient des SMS (dont 28 % plus de 25 par jour), 98 % rédigent des courriels, 89 % sont inscrits sur un ou plusieurs réseaux sociaux tel que Facebook et discutent sur des messageries instantanées, 69 % naviguent plus ou moins régulièrement sur des forums de discussion, 54 % visitent des blogs et 14 % en possèdent, certains clavardent également sur des chats, publient des messages sur Twitter ou tentent de trouver l’âme sœur sur des sites de rencontres. Ces données attestent l’omniprésence des supports-espaces de clavardage au sein de notre société, il est quasiment impossible de faire l’impasse sur ces modes de communication « branchés ». Bref, les jeunes écrivent ; et ils n’ont jamais autant écrit. Le support-espace de communication comme facteur de variation linguistique Lorsqu’on analyse des extraits de productions clavardées – fournis par sept jeunes rencontrés dans le cadre d’entretiens individuels –, on constate que le support-espace de communication est un facteur de variation linguistique étant donné qu’il conditionne dans une certaine mesure le mode d’écriture employé. En effet, Internet véhicule plusieurs variétés de français, mais pas de manière anarchique et aléatoire : chaque support semble posséder ses propres caractéristiques linguistiques, ses propres codes et ses propres normes implicites56. Cependant, si l’existence de multiples variétés de français sur Internet apparait comme un fait incontestable suite aux analyses, les clavardeurs en ont bien souvent une représentation négative et l’écart par rapport { la norme reste stigmatisé dans l’imaginaire linguistique de nombre de locuteurs. Pour autant, ils font montre d’une intelligence adaptative certaine, en fonction du contexte de communication, ce que révèlent les réponses à nos questionnaires. Il est certes vrai que beaucoup reconnaissent le support-espace de communication comme une source de variation, tout comme le sont le destinataire et les objectifs, mais cette prise de conscience est loin d’être unanime. Par ailleurs, la majorité des répondants estime de manière paradoxale qu’elle ne s’éloigne jamais de la norme du français standard (68 %). Là 56 Le choix du mode d’écriture est déterminé par le support-espace de communication, mais également par une série d’autres facteurs de variation tels que le destinataire et l’objectif. Ces facteurs sont interdépendants, il n’existe donc pas une seule « bonne » manière de s’exprimer pour chacun des différents supports. 96 également, ces représentations sont { nuancer. En fait, si l’on compte un nombre important d’erreurs commises en regard de la norme du bon usage, ce nombre fond comme neige au soleil si l’on examine les productions { l’aune des normes d’emploi. Il importe donc de permettre aux usagers de revoir leurs représentations, eu égard à leur pratique adaptative. Cela passe nécessairement par la reconnaissance de la diversité des « clavalectes » (variété de langage ou de mode d’écriture clavardés), qui vient enrichir et fonder davantage, si besoin en était, le principe de variation diamésique. La reconnaissance de la diversité des clavalectes comme méthode d’enseignement Quelle(s) variété(s) de français faut-il enseigner au clavardeur ? Laquelle/Lesquelles privilégier ? Comment valoriser ses acquis dans sa langue (ou dans celle qu’il découvre si le français n’est pas sa langue maternelle), pour l’encourager { maitriser les normes dont il a besoin dans ses échanges socio-professionnels ? Enseigner uniquement le français standard et occulter la variation inhérente { la langue n’est-il pas une des causes d’une insécurité linguistique forte parmi les usagers du français ? Il est urgent de déculpabiliser les usagers quant à leurs utilisations du français ; la langue doit être { leur service, et non l’inverse. Aussi, l’apprentissage d’une adaptation de l’écrit { la situation de communication est-il primordial. Cela ne signifie pas que le français standard ne doit plus être enseigné, au contraire. Il doit l’être en priorité. Il s’agit cependant de conscientiser les locuteurs que ce n’est finalement qu’une variété de français parmi d’autres, socialement valorisée certes, qui doit dès lors absolument être maitrisée dans certains contextes socioprofessionnels, mais pas dans toutes les situations de communication, et qu’il faut donc le connaître, mais également savoir s’en détacher dans certains cas, sans culpabiliser. L'observation scientifique des (nouveaux) modes d'écriture clavardés permet en effet d'envisager ceux-ci non pas sous l'angle de la perte, de la dégradation ou de la décadence de la variété noble de l'écrit, mais bien sous l'angle de l'enrichissement et, par là, de la reconnaissance de la valeur ajoutée de ces nouvelles pratiques, qui montrent non pas la carence de savoir de la part des clavardeurs, mais une intelligence adaptative remarquable dans leur chef. Il importe de tenir compte de cette nouvelle richesse dans une perspective inclusive, et non plus dans celle exclusive d'un rejet après un procès en impureté. On adhère d’autant moins { la variété dominante que sa propre variété est humiliée. Les auteurs recommandent dès lors de documenter davantage ces pratiques nouvelles et toujours mouvantes, par le biais de recherches plus étendues sur tous les modes de clavardage, et de les inscrire dans une perspective de description systémique des divers modes d'écriture ainsi légitimés, répartis par support, ce que le temps imparti et le corpus réuni ne nous ont pas suffisamment permis dans le cadre de cette étude. Cette reconnaissance de la diversité des modes d'écriture, parce qu’il s’agit bien d’écrit, doit également trouver des répercussions dans le monde de l'école. Révolutionné naguère par la prise en compte de l'oral, ce monde est confronté aujourd'hui à l'explosion des modes d'écriture et à l'irruption dans l'écrit de degrés divers d'oralité, de transpiration d’oral. Cette reconnaissance passe nécessairement par la fin de l'exclusion et de la condamnation des variétés adaptées, mais surtout par une nouvelle pédagogie de l'écrit, incluant la nécessaire prise de conscience et l’étude des caractéristiques d'emplois spécifiques à chaque mode ou support97 espace. Il ne s’agit pas bien sûr d’enseigner « le langage SMS » : les élèves en savent généralement plus que les enseignants sur le sujet et ils n’ont dès lors pas besoin de leur aide. En revanche, la prise de distance par rapport à leurs pratiques, qui passe par une étude réflexive de celles-ci, de leurs représentations ainsi que des genres et registres de discours, est ce que l’enseignant peut leur offrir de plus utile en la matière, afin qu’ils puissent effectivement produire des écrits les plus adaptés aux situations de communication dans lesquelles ils sont impliqués. Se sentant non pas rejeté d'une norme éloignée de ses pratiques, mais participant à la richesse de la langue par ses propres productions, le clavardeur pourra davantage intégrer la nécessité de pratiquer une variété de référence dans les contextes de communication qui l'exigeraient. Le sentiment d’une plus grande liberté linguistique encourage la maitrise des différentes variétés, y compris la variété standard, moins rejetée parce que moins excluante. 98 Bibliographie ANIS J. (2003), « Communication électronique scripturale et formes langagières », dans Actes des Quatrièmes Rencontres Réseaux Humains / Réseaux Technologiques, Poitiers, 31 mai et 1er juin 2002, « Documents, Actes et Rapports pour l'Education », CNDP, p. 57-70. En ligne : http://edel.univ-poitiers.fr/rhrt/document547.php (consulté le 5/04/2011). ANIS J. (2001) (éd.), Parlez-vous texto ? Guide des nouveaux langages du réseau, Paris, Le cherche midi éditeur. ANIS J. 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Typologie des supports-espaces de clavardage : description « technique » .................. 10 1.1. Discussion ........................................................................................................................ 10 1.1.1. Forum de discussion ............................................................................................................ 10 1.1.2. Forum de débat ................................................................................................................... 12 1.1.3. Messagerie instantanée ...................................................................................................... 13 1.1.4. Chat ..................................................................................................................................... 14 1.2. Publication....................................................................................................................... 16 1.2.1. Blog ...................................................................................................................................... 16 1.2.2. Micro-blog ........................................................................................................................... 17 1.3. Réseautage ...................................................................................................................... 19 1.3.1. Réseau social ....................................................................................................................... 19 1.3.2. Site de rencontres ............................................................................................................... 20 1.4. Correspondance ............................................................................................................... 21 1.4.1. Courriel ................................................................................................................................ 21 1.4.2. SMS ...................................................................................................................................... 22 2. Les facteurs de variation ............................................................................................. 24 2.1. Le support-espace ............................................................................................................ 24 2.2. Le sujet ............................................................................................................................ 24 2.3. L’objectif.......................................................................................................................... 24 2.4. Le destinataire ................................................................................................................. 25 2.5. Le degré de publicité et d’accessibilité des messages clavardés ......................................... 25 2.6. La présence de modérateurs............................................................................................. 25 2.7. Le médiateur.................................................................................................................... 26 2.9. Autres .............................................................................................................................. 26 3. Enquête quantitative .................................................................................................. 27 3.1. Le questionnaire .............................................................................................................. 27 3.2. Les données ..................................................................................................................... 27 3.3. Les résultats ..................................................................................................................... 30 3.3.1. Utilisation des supports-espaces de clavardage ................................................................. 30 3.3.1.1. Taux et fréquence d’utilisation ................................................................................................... 31 3.3.1.2. Les objectifs................................................................................................................................. 35 3.3.1.3. Les destinataires ......................................................................................................................... 44 3.3.1.4. Longueur des messages .............................................................................................................. 52 3.3.1.5. Délai de réponse ......................................................................................................................... 54 3.3.1.6. Vitesse d’écriture ........................................................................................................................ 55 3.3.1.7. Médiateur utilisé ......................................................................................................................... 56 3.3.1.8. Endroit......................................................................................................................................... 57 3.3.2. Représentations .................................................................................................................. 58 3.3.2.1. Importance accordée à l’écriture par support-espace................................................................ 60 102 3.3.2.2. Importance des secteurs de langue ............................................................................................ 63 3.3.2.3. Le bien écrire............................................................................................................................... 67 3.3.2.4. Pourquoi bien écrire ? ................................................................................................................. 68 3.3.2.5. Le degré d’oralité ........................................................................................................................ 71 3.3.2.6. La notion de diamésie ................................................................................................................. 72 3.3.2.7. Influence des différents facteurs de variation par support et de manière globale .................... 72 4. Enquête qualitative ..................................................................................................... 77 4.1. Présentation des sept clavardeurs ................................................................................... 77 4.2. Entretien type .................................................................................................................. 79 4.3. Le corpus de productions clavardées................................................................................. 82 4.3.1. Typologie des graphies remarquables................................................................................. 83 4.3.1.1. La phonétisation ......................................................................................................................... 83 4.3.1.2. L’abréviation ............................................................................................................................... 84 4.3.1.3. La décoration .............................................................................................................................. 85 4.3.2. Analyse du corpus ............................................................................................................... 89 4.3.2.1. Norme du bon usage vs normes d’emploi .................................................................................. 89 4.3.2.2. Intelligence adaptative ................................................................................................................ 94 Bilan et recommandations .............................................................................................. 95 L’omniprésence du français clavardé ....................................................................................... 96 Le support-espace de communication comme facteur de variation linguistique ........................ 96 La reconnaissance de la diversité des clavalectes comme méthode d’enseignement ................. 97 Bibliographie .................................................................................................................. 99 103