Les industries textiles se sont mises en place
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Les industries textiles se sont mises en place
- 155 Les industries textiles se sont mises en place progressivement pendant le dix-neuvième siècle, époque où, comme on l'a vu, le travatl des fibres textiles a été affecté en Europe Continentale par ce qu'il est convenu d'appeler la "Révolution Industrielle". Les caractéristiques techniques et économiques spécifiques du textile auraient été compatibles avec plusieurs modèles de répartition géographique. Le but de ce chapitre est d'essayer de préciser par quel cheminement on est arrivé à la concentration décrite précédemment. Pour cela il est nécessaire de faire appel aux travaux des historiens. Ces derniers rencontrent des difficultés pour étudier 1 'in~ustrie textile naissante, car il s'agit d'une activité éparpillée géographiquement et dont les struc tures de production sont très morcelées. Des données de base, comme le nombre des actifs, sont très difficiles à déterminer quand de multiples opérations se réalisent encore à domicile; par ailleurs, des phénomènes conjoncturels extrémement brutaux font varier l'emploi de façon énorme en des laps de temps très brefs. Il est de ce fait difficile de suivre avec précision le processus par lequel un centre supplante peu à peu les autres. Rares sont les oeuvres qui, comme la thèse de Cl. Fohlen, réalisent un travail original concernant la quasi totalité du textile français (seule la soie n'est pas prise en considération dans cet ouvrage). Pour essayer d'expliquer le dynamisme d'un foyer textile, il faudrait pouvoir analyser de façon précise les comportements des entreprises et de leurs dirigeants. Pour des raisons faciles à comprendre, ces études sont très rares (un très bon exemple a été réalisé par Cl. Fohlen dans sa thèse secondaire, mais elle ne porte malheureusement pas sur la région étudiée). Les quelques renseignements disponibles suggèrent des hypothèses; ils ne sont pas assez nombreux pour fournir des certitudes. Par ailleurs, la lecture des études récentes d'histoire économique donne l'impression que le problème de la concentration spatiale des activités n'est pas celui qui intéresse le plus les historiens de l'économie. Leur attention est davantage accaparée par la question du rythme de la croissance au cours du dix-neuvième siècle (.). (.) Texte de la note page suivante. - 156 Le schèma exposé ci-dessous contient, par conséquent, des éléments qui ne sont pas aussi solidement étayés qu'on le souhaiterait. En particulier, il est très difficile de quantifier. Les chiffres cités par les ouvrages proviennent souvent de recoupements complexes, comme l'expliquent les auteurs eux-mêmes. ( .. ) L'essor du textile dans la région du Nord-Pas-de-Calais au cours du dix-neuvième siècle n'est pas un phénomène isolé: ce sont toutes les industries de cette époque qui s'épanouissent alors dans ces deux départements. Ces derniers bénéficient en effet d'un ensemble de conditions propices à la croissance économique en général. Tous les facteurs qui vont être évoqués n'ont pas joué seulement en faveur du textile, mais ils ne seront envisagés que par rapport à cette seule industrie. LES CONDITIONS GENERALES QUI FAVORISENT AU DIX-NEUVIEME SIEGLE L'ESSOR DES INDUSTRIES TEXTILES DANS LA REGION NORD-PAS-DE-CALAIS Proximité de la Grande-Bretagne. (.) Il s'agit en particulier l'économiste W. Rostowa dix-neuvième siècle. "Qu'est M. Gillet économique accompagnent (..) L'auteur notamment de : Cl. Fahien (ouvrage cité). F. Crouzet au XIX ème "Au XIX ème, industrialisation ll (Revue du Nord, linéaire ou industrialisation sept. 1972). De nombreuses "Encore jt.-sept. indications 1972). par bibliogra- ces études. nia pas cherché portantes en ce domaine, question, il faudrait raient Industrielle" française (Revue Economique, ?" phiques si la notion de "take offn ou non à une réalité dans la France du Sur ce sujet on peut consulter ce que la Révolution la croissance bonds de se demander correspondu à entreprendre des recherches car pour faire progresser procéder être à eux seuls l'objet à des dépouillements d'une ou plusieurs personnelles véritablement systématiques thèses. im- l'état de la qui pour- - 157 - Le voisinage de la Grande-Bretagne est un élément favorable. C'est dans ce pays, en effet, qu'ont été réalisés presque tous les progrès décisifs pour l'industrialisation du textile. Non seulement les brevets y ont été déposés mais c'est là que sont construits les meilleurs matériels. L'exemple de la filature de lin est typique à cet égard (.) : le premier métier vraiment efficace fut réalisé par le Français Philippe de Girard à la suite d'un concours lancé, en 1810, par le gouvernement impérial pour promouvoir l'utilisation de cette fibre susceptible de réduire la demande de coton (c'est l'époque du "Blocus Continental"). Ce métier, mis au point au moment de la chute de l'Empire, ne rencontre guère de succès en France et son utilisation commence véritablement, après son transfert, plus ou moins légal, en Angleterre, à Leeds. Quelques années plus tard, les industriels français pour développer cette activité chez eux doivent se procurer, clandestinement (..),du matériel anglais; car la technique mise au point par Philippe de Girard a rencontré, en Grande-Bretagne, un terrain avide de nouveautés et les matériels ont reçu des améliorations qui rendent les installations robustes et bien au point. En 1860 encore (..) un industriel déclare qu'il préfère commander son matériel de filature en Angleterre, en dépit des droits de douane qui subsistaient (on était juste avant la signature du traité commercial). Dans les premières décennies du siècle, les Britanniques, pour préserver leur avance technique, interdisent l'exportation du matériel. Il faut (.) cf. Paul Billaux, ouvrage (..) cf. Louis Merchier, cité. ouvrage cité. - 158 - souvent le faire venir en fraude plece par pièce, ce qui suppose un grand nombre de voyages. Il est commode de se trouver à seulement quelques dizaines de kilomètres des rivages anglais. Même en dehors de ces cas extrêmes, séjourner en Grande-Bretagne est considéré comme la meilleure forme d'apprentissage pour les jeunes responsables économiques. Faire venir des techniciens britanniques est souvent indispensable pour acclimater les nouvelles technologies (.). Le voisinage d'une industrie plus développée pourrait être un danger, dans la mesure où ses produits supplanteraient les fabrications françaises même sur le marché intérieur. Cette menace ne se concrétise guère en raison de la présence de barrières douanières élevées jusqu'en 1860, c'est-à-dire pendant la période cruciale où naissent les industries textiles régionales. La plupart des patrons du textile sont à cette époque farouchement protectionnistes et ce n'est pas un hasard si l'un des animateurs de la "Ligue pour la Défense du Travail National" sera l'industriel roubaisien A. t~imerel (..). L'existence de ces droits de douane incite des Britanniques à venir s'installer en France pour avoir librement accès à ce marché. En Grande-Bretagne les structures de production sont encore très morcelées et les industriels qui débarquent à Calais ou à Dunkerque n'ont pas la puissance financière ou commerciale qui leur permettrait de monter des usines beaucoup plus puissantes que celles de la bourgeoisie locale. Ces investissements britanniques ne risquent pas d'étouffer les initiatives régionales; au contraire, ils prennent une valeur d'exemple, ils forment de la main-d'oeuvre, et prouvent la rentabilité des nouvelles techniques, incitant par là les entrepreneurs locaux à les imiter. La région Nord-Pas-de-Calais est évidemment bien placée pour accueillir ces Britanniques qui désirent rester à proximité de leur pays d'où ils font en- (.) Cette empreinte bobines s'est longtemps (en 1974, tanniques les filteries marquée D.M.C. de fil de 100 yards) ou l'emploi à Calais, glaise: ouvrières par exemple, qui bobinent bri- en France, des de termes empruntés au métier (..) Des divergences de vue s'observent souhaitent consomment. de mesures à vendre, à la langue an- de nos jours encore, on appelle le fil destiné brésis, par exemple, par l'utilisation continuent importer "wheeleuses" les à dentelle. parfois: le moins les petits tisseurs cher possible du Cam- les filés qu'ils - 159 - core souvent venir des pièces détachées ou certains produits textiles. En Grande-Bretagne, également, se trouvent de grandes places de commercialisation des matières premières. Or le développement de l'industrie textile entraîne l'obligation de se procurer des matiéres brutes d'origine de plus en plus lointaine. Les nouveaux grands producteurs de laine sont, après 1850, des territoires britanniques de l 'hémisphère sud ou un pays dans lequel l'influence britannique est forte, l'Argentine. Les premières quantités de laine qui arrivent en Europe de ces lointaines contrées sont commercialisées à Londres. Quand, après 1860, les négociants régionaux ont eu le mérite d'aller acheter sur place ces matières premières pour court-circuiter le marché londonien, ils ont dû s'adapter aux pratiques commerciales et à la langue des Britanniques : ils devaient les posséder parfaitement pour entrer en compétition avec les négociants d'outre-Manche. Le coton aussi vient principalement de pays de langue anglaise (U.S.A. notamment) ou sous influence économique britannique (après 1860, Egypte, Soudan, Inde parfois). Une nouvelle matière textile fait son apparition en Europe, au cours de cette période: le jute, il est cultivé uniquement dans le Bengale et les Ecossais mettent au point sa filature: ils diffuseront cette activité en France à Dunkerque, ou dans la vallée de la Somme (le nom des Etablissements "Carmichaël", installés à Ailly, Y perpétue encore de nos jours cette influence), c'est-à-dire dans des régions proches des itinéraires des cargos apportant la matière première. La Grande-Bretagne pouvait fournir également du charbon mais cela n'a eu qu'un intérêt très limité pour la région qui disposait d'autres sources de ravitaillement très abondantes. Le voisinage de la Belgique a été un avantage fort appréciable. Cet aspect a été étudié de façon très précise par F. Lentacker, dans sa thèse à laquelle sont empruntées la plupart des remarques qui suivent. Le fait que les territoires situés au nord de la région étudiée aient appartenu à un autre Etat, - 160 - a permis de protéger le Nord-Pas-de-Calais contre la concurrence des industries textiles belges. Il est aisé d'apporter la preuve de ce fait, car il s'est trouvé que, pendant quelques années, cette frontière a été abolie: de 1795 à 1814, les territoires de l'actuelle Belgique sont annexés à la France. Cette période voit l'apparition de l'industrie textile sur le continent et tous les témoignage~ des contemporains et les études des historiens montrent que le textile de la région Nord-Pas-de-Calais est alors moins dynamique que celui des départements récemment annexés: le Préfet Dieudonné, dans sa célèbre statistique du Nord publiée en 1804, constate le déclin de la bonneterie de Saint-Amand-les-Eaux et l'explique par le développement de la production des régions belges de Tournai et de Pérulwez. Ceci n'est pas le plus grave, car il s'agit somme toute d'une activité encore artisanale appelée à se modifier profondément. Il est frappant de constater, par contre, que dans la filature de coton, seule branche employant alors des techniques industrielles, c'est Gand qui devient le centre le plus important et le plus dynamique (.). Liévins Bauwens, l'un des plus remarquables capitaines d'industrie de toute l'époque impériale, introduit sur le continent les premiers métiers à filer le coton mécaniquement. Il monte son premier établissement à Paris, en 1800, et en installe aussitôt un autre, à Gand, sa ville d'origine, en 1801. Un mouvement d'émulation se déclenche, dû en partie à Bauwens lui-mème qui incite les membres de sa nombreuse famille à se lancer dans l'industrie. En quelques années, un centre complet s'édifie à Gand: 8 filatures mécaniques fonctionnent en 1808, avec 88.702 broches et 2.783 ouvriers; la machine à vapeur est utilisée. Le tissage à main se développe dans cette même ville et, de plus, ses industries font tisser à domicile jusqu'à Arras, Avesnes et Saint-Quentin, incorporant dans leur orbite économique une partie de la région (.) cf. R. Blanchard, toise à l'époque pp. 232-279. gantois". thèse citée, française ll , On peut consulter S.E.V.P.E.N. 1969, et J. D'hondt Revue d'histoire également: 371 pages. "L'industrie moderne F. Leleux cotonnière et contemporaine "Liévin Bauwens gan- 1955, industriel - IGI du Nord-Pas-de-Calais. Bauwens fabrique des métiers à filer et tente d'adapter les nouvelles techniques à la laine et au lin dont il a, le premier, l'idée de mouiller les fibres pour faciliter la filature. Si l'on songe que la plus grande partie de cette production s'écoulait sur les marchés de la France actuelle, on comprend à quel concurrent redoutable se trouvait confrontée la région lilloise notamment, où la filature de coton débutait alors timidement (cf. ci-dessous). Ces entreprises gantoises sont certes fragiles sur le plan financier la chute de l'Empire, précédée par la faillite de Bauwens lui-même, les soumet à rude épreuve, mais il en reste un acquit technologique considérable et une main-d'oeuvre expérimentée. A partir de 1815, une politiqué douanière constamment protectionniste libère la région du Nord-Pas-de-Calais de cette concurrence pratiquement jusqu'en 1860, tandis que l'industrie textile belge ne dispose plus que d'un marché considérablement réduit, surtout après 1830, lorsque la séparation d'avec les Pays-Bas la prive des débouchés offerts par ce pays et ses colonies. La présence de la frontière belge ne suffit pas à déclencher la croissance de l'industrie textile du Nord qui avait ses racines sur place, mais elle handicape gravement des rivaux dangereux. L'existence de la Belgique a présenté d'autres avantages pour l'industrie textile de la région Nord-Pas-de-Calais. Ce pays a mis à sa disposition de l'énergie et un peu de matières premières, des réseaux de voies de communication et surtout des hommes. Sans représenter une part considérable des coûts de production, l'énergie était un élément indispensable pour l'industrialisation du textile. La région ne pouvait guère compter sur l'utilisation de la force hydraulique, en raison de la faiblesse d'ensemble de son relief et de l'absence de rivières aux débits notables. Le charbon apportait une solution idéale à ce problème. La Belgique en fut le principal fournisseur étranger pendant tout le dix-neuvième siècle. Son rôle a été important pour la région du Nord, car la mise en valeur intensive des bassins belges a démarré plus tôt que celle des gisements français situés dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Les chiffres cités par F. Lentacker sont éloquents: en 1855, le bassin du Nord produit 600.000 tonnes - 162 alors que la Belgique expédie 610.000 tonnes en France. En 1859, les chiffres sont respectivement de 1.530.000 et de 3.300.000 tonnes. C'est seulement vers 1870, grâce à la mise en valeur des gisements du Pas-de-Calais, que la production régionale dépasse les importations en provenance de Belgique. Ceci signifie que, pendant des décennies, l'industrie textile du Nord a utilisé en partie des charbons belges dont les principaux puits étaient dans le Borinage, c'est-à-dire à proximité de la frontière française. Le réseau de voies navigables permettait un transport commode, notamment vers la région de Roubaix-Tourcoing. La proximité de la Belgique a, de cette façon, permis à l'industrie régionale de disposer de charbon en abondance, avant même que le gisement du Nord-Pas-de-Calais connaisse sa pleine mise en valeur. L'avantage ne portait pas seulement sur les quantités disponibles mais aussi sur les prix. L'industriel pouvait faire jouer à son profit la concurrence entre les divers charbonnages. Jusque vers 1880, cela contraint les compagnies du Nord à aligner leurs tarifs sur ceux des produits belges, en dépit des droits de douane qui les frappaient nos voisins ayant besoin d'exporter orientaient leurs prix de vente plutôt à la baisse. Cet état de choses fut lourd de conséquences sur le plan des localisations de l'industrie textile, à l'intérieur même de la région (.). La meilleure situation n'était pas nécessairement la proximité des gisements français, car pour compenser les moindres bénéfices faits sur les marchés extérieurs à la région, où la concurrence étrangère était vive (par exemple lorsqu'arrivent les charbons britanniques acheminés par voie maritime) les sociétés minières réservaient le tarif le plus élevé possible à leurs clients les plus proches. Ceux-ci ne bénéficiaient donc pas pleinement de la rente de situation qu'aurait pu leur procurer la proximité de la mine. La localisation la plus avantageuse est celle (.) cf. la thèse citée de M. Gillet, tarifaire pratiquée notamment par les différents en ce qui concerne charbonnages la politique du Nord et du Pas-de-Calais. - 163 - où il est possible de mettre constamment en concurrence les fournisseurs français et belges, car cela garantit un approvisionnement plus sûr et au moindre coût. Les régions frontalières se trouvaient de cette façon particulièrement bien placées et notamment l'arrondissement de Lille qui dispose rapidement de liaisons fluviales avec tous ces bassins. La Belgique pouvait également fournir un autre produit utile à l'industrie textile: le lin. Ces livraisons, à vrai dire, ne concernèrent pas tellement les lins bruts mais surtout les lins teillés (.). Courtrai devint, après 1850, le principal centre d'Europe Occidentale pour le rouis$age-teillage de cette fibre, travaillant même la majeure partie des lins bruts français. La proximité de ce foyer de négoce et de première transformation de la matière première était un avantage pour les filateurs de la région lilloise, qui pouvaient s'y ravitailler aisément (il n'y avait plus de droits de douane après 1860 sur ces produits), en dépit des protestations des cultivateurs français. Les fabricants d'ailleurs soutenaient, cette fois, les réductions tarifaires, affirmant que sans elles ils ne seraient plus compétitifs. De fait, les décennies 1860-1880 sont à la fois celles où s'affirme l'essor du marché de Courtrai et où la région du Nord-Pas-de-Calais acquiert une supériorité écrasante, en France, dans la filature du lin (..) puisque, en 1870, elle dispose, à elle seule, des trois quarts des broches, contre à peine 50 % en 1851. Au fur et à mesure de sa croissance, l'industrie textile va chercher ses matières premières et livre ses produits finis de plus en plus loin. Il lui est par conséquent très utile de disposer des meilleurs réseaux de communication possibles. Là encore la présence de la Belgique est un avantage: elle permet par exemple de choisir entre Dunkerque et Anvers (... ) pour faire venir les (.) F. Lentacker la filature mentionne française (..) cf. L. Merchier, dustrie textile véritable ouvrage française (... ) cf. la citation tée par F. Lentacker providence qu'en provenaient 1870, la moitié des lins préparés utilisés par de Belgique. cité, et Cl. Fohlen au milieu "La concentration du dix-neuvième particulièrement dans sa thèse: par ses services significative ilLeport belge de steamers". siècle", article dans l'incité. d'un contemporain, (Anvers) représentait rapporune - 164 laines d'outre-mer. Pour les liaisons avec l'Est de la France, on pouvait utiliser les réseaux ferrés français ou belges etc ... Même s'il y recourt fort peu, cette liberté de choix est un atout précieux pour l'industriel, qui s'en sert pour faire pression sur les transporteurs nationaux de tous ordres, qui ne sont plus en position de monopole. La Belgique a été enfin une source considérable de main-d'oeuvre, et c'est probablement par ce biais que sa présence a le plus favorisé l'épanouissement de l'industrie textile du Nord-Pas-de-Calais. Au cours du temps, ce courant migratoire a intéressé des catégories différentes de population et s'est fait suivant des modalités variées. L'apport en dirigeants et en capitaux reste relativement limité (.), beaucoup moins important que dans la métallurgie par exemple. Certes, en 1828, 12 % des familles patronales établies à Lille-Roubaix-Tourcoing proviennent de Belgique, mais la moitié d'entre elles résidaient initialement dans des communes situées entre Mouscron et Menin, c'est-à-dire à proximité immédiate de la Frontière : il n'était pas étonnant que certains de leurs membres s'installent à quelques kilomètres de là, en France, d'autant que les patrimoines fonciers se répartissaient assez souvent de part et d'autre d'une ligne de séparation politique finalement relativement récente. D'autres familles, comme les Wallaert arrivés vers 1750 de Courtrai, étaient fixées depuis longtemps. Au total, on peut considérer que cet apport n'a intéressé qu'une fraction très minoritaire de la classe dirigeante, même si ces mouvements se sont traduits par un solde positif en faveur du Nord. La Belgique a fourni, par contre, une part fort appréciable de la maind'oeuvre salariée. Ces travailleurs quittaient leur pays en raison des difficultés économiques graves que connaissent pendant tout le dix-neuvième siècle les Flandres et le Hainaut Occidental Belges. Après la chute de l'Empire, des ou- (.) Pour tout ce développement empruntées contient notamment également toutes cf. la thèse de F. Lentacker les données des remarques chiffrées. intéressantes à laquelle sont La thèse de R. Blanchard sur ce thème. - 165 - vriers gantois émigrent à Lille qui profite ainsi des connaissances techniques qu'ils ont de l'industrie moderne. Cependant, la plupart des émigrants appartenaient au secteur artisanal. Dans la Belgique de 1819, sur 400.000 emplois rattachés à ce que l'on appelerait de nos jours le secteur secondaire, 300.000 étaient occupés par des travailleurs à domicile dont l'immense majorité s'adonnait à la filature et au tissage du lin. La mécanisation de ces activités, qui se place, en Belgique, surtout dans la seconde moitié du siècle, va libérer des effectifs considérables. Une part de ces actifs viendra chercher du travail dans le textile du Nord. C'est un apport extrêmement précieux pour les industriels de la région, car, au moment où leurs activités connaissent une phase de croissance, ils trouvent une main-d'oeuvre assez peu exigeante, en raison de la modicité des salaires pratiqués dans son pays d'origine. De plus, leur statut d'étrangers les contraint à faire preuve de modération sur le plan social. Leur présence permet au patronat de peser sur le niveau des salaires de l'ensemble des travailleurs. Il est également plus facile de licencier ces immigrés en cas de ralentissement économique. Par ailleurs, cette main-d'oeuvre est assez compétente car elle a souvent une certaine pratique du travail artisanal textile, surtout en tissage. Son niveau de formation de départ est, en fait, le même que celui des salariés français qui proviennent fréquemment de localités où le travail manuel est en déclin. Le nombre des Belges qui viennent se fixer dans la région est considérable. Les différentes estimations faites par F. Lentacker sont très éloquentes: entre 1871 et 1892, 28,6 % de la population de l'arrondissement de Lille sont nés en Belgique. Au cours des décennies 1860-1880, des communes telles que Roubaix, Wattrelos, Halluin ont une population originaire en majorité de Belgique. Il est évident que ce mouvement a particulièrement profité aux industries étudiées, car ce sont les communes de l'arrondissement de Lille où la monoactivité textile est la plus prononcée, qui présentent les plus forts pourcentages de Belges. Ce réservoir de main-d'oeuvre était d'autant plus précieux que le NordPas-de-Calais ne disposait pas d'autre source extérieure de cette importance. En effet, les principaux foyers d'émigration français, comme l'Ouest, étaient - 166 - beaucoup plus éloignés et, surtout, subissaient avant tout l'attraction de la région parisienne qui constituait entre eux et le Nord un écran infranchissable. Même dans une région aussi proche que la Picardie, l'attrait de Paris était difficile à contre balancer; il s'exerçait d'ailleurs sur les habitants du Nord-Pas-de-Calais eux-mêmes. A partir des années 1880-1890, le mouvement d'émigration des Belges se ralentit sérieusement. Le textile n'en perd pas pour autant cette catégorie de travailleurs car les migrants deviennent Frontaliers, c'est-à-dire qu'ils restent domiciliés dans leur pays d'origine mais occupent un emploi dans les usines françaises. C'est le résultat de l'essor des moyens de communication: réseaux de chemin de fer de banlieue, tramways, bicyclettes, autocars à partir de 1920. Le coût de la vie est moins cher en Belgique, le taux de change est favorable au franc français. L'industrie textile du Nord continue ainsi à utiliser des dizaines de milliers de travailleurs, avec la plupart des avantages rencontrés précédemment, Ce mouvement a atteint son apogée entre 1925 et 1930, Ces salariés vont en France chercher du travail en partie parce que les grands centres textiles sont proches de la frontière, mais, inversement, la persistance de ce flux justifie le maintien de ces industries dans les localisations héritées des années 1850-1890, Il est clair que la région de Roubaix-Tourcoing et l'ensemble de la Vallée de la Lys textile, du fait du tracé de la frontière et de leur position au contact du Hainaut Occidental et de la Flandre, étaient particulièrement bien placés pour tirer partie au maximum de cette situation, Il est assez difficile d'évaluer l'influence réelle de la proximité de la région parisienne. Cette dernière n'a guère fourni de capitaux, contrairement à ce qui s'est passé dans les chemins de fer par exemple, et les sociétés textiles familiales n'ont pas de liens de dépendance vis-à-vis des grandes banques nationales; il arrive que celles-ci fournissent des crédits à court terme pour couvrir le financement des achats de matières premières, mais elles ne sont - 167 - guère présentes dans le capital des firmes (.). Paris prive le Nord des grands courants de migration, mais offre un marché de consommation et de commercialisation important, d'autant que l'industrie de la confection s'y développe. De ce point de vue, la relative proximité de la capitale peut être utile à l'industrie1. Les ressources matérielles. La région, on l'a déjà évoqué, a bénéficié au dix-neuvième siècle de la mise en exploitation, sur une grande échelle, de son gisement houiller. Celui-ci, toutefois ne devient réellement important qu'après 1860 : au cours de la période 1843-1847, la région n'extrait que le quart de la production nationale ; après 1886, ce pourcentage atteint 50 % et en 1908-1912, 66 %. F. Lentacker constate, dans sa thèse, qu'après 1885, l'abondance des charbons du Pas-de-Calais pèse, à Roubaix-Tourcoing, sur les prix des charbons belges importés. Ceci est intéressant dans la mesure où les métiers textiles plus complexes et plus rapide nécessitent à la fin du siècle proportionnellement plus d'énergie (..). Pourtant le Bassin Houiller n'a pas été un noyau de fixation de l'industrie textile: le charbon n'y était qu'un peu moins coûteux par rapport au reste de la région; différence trop faible pour attirer à elle seule le textile pour lequel le prix de l'énergie n'est pas un élément fondamental. Mais, surtout, le travail de la mine nécessitait beaucoup de main-d'oeuvre au point qu'il fallait en faire venir du reste de la région ou même de l'extérieur. Cette situation (.) cf. J. Laloux, (..) Cl. Fahien moyenne 1870. thèse citée. estime que, vers 700 broches de filature, 1830, un cheval-vapeur contre faisait mouvoir 100 à 120 seulement en vers les années - 168 - rendait les régions houillères peu attractives pour la plupart des autres industries. M. Gillet y voit la raison essentielle du maintien de la monoactivité houillère dans tout l'ouest du bassin. Il semblerait que le textile puisse échapper à cette répulsion puisqu'il emploie, dans certaines branches tout au moins, une grande quantité de main-d'oeuvre féminine que les mines n'étaient pas susceptibles d'occuper. Il faut se souvenir toutefois que, même en filature, les agents de maîtrise, les régleurs, les mécaniciens et l'ensemble du personnel d'entretien sont des hommes. Leur présence et leur compétence sont indispensables Il aurait été difficile de les recruter dans le Bassin Minier car les sociétés houillères offraient des salaires honorables et surtout une grande stabilité de l'emploi, ce qui n'était guère le cas dans le textile. Il était plus intéressant pour cette dernière industrie d'être à proximité de la Belgique qui fournissait des travailleurs d~s deux sexes. Le Nord-Pas-de-Calais fournit du lin. C~te culture, au début du dix-neuvième siècle, était beaucoup plus largement répandue à travers la région que de nos jours. Dans sa statistique de 1804, le Préfet du Nord, Dieudonné, mentionne la production de lins fins notamment dans le Douaisis, la région de Saint-Amand-les-Eaux et le Cambrésis. Le lin est aussi largement cultivé dans le Pas-de-Calais. Cette culture est diffusée également dans tout le quart Nord-Ouest de la France ou elle est parfois associée au chanvre. La plupart de ces régions ne réussiront pas à passer du stade artisanal à celui de la grande industrie. L'essor de la filature mécanique, va correspondre à un déclin de la culture du lin en France, y compris dans le Nord-Pas-de-Calais. Les industriels souhaitent disposer de la matière première la moins chère possible, alors que le cultivateur réclame un prix d'autant plus élevé que de nouvelles spéculations rémunératrices s'offrent à lui, grâce, par exemple, à l'extension de la culture de la betterave à sucre dans le Nord-Pas-de-Calais. De plus en plus, l'industrie se tourne vers les lins d'importation: la Russie grâce à ses provinces baltes, au climat favorable et à la main-d'oeuvre abondante, devient, à partir du Second Empire, un fournisseur important. En 1889, le Nord possède 89 % du total des - 169 - broches françaises et les lins venus de Russie représentent 85 % de l'approvisionnement de l'industrie française (.). Cette matière transitait souvent par la Belgique et était préparée à Courtrai. Le développement de l'industrie a donc été facilité par le fait qu'elle a su se passer de la production régionale. Il est significatif, à cet égard, de constater qu'en 1887 le Nord a moins du huitième de la superficie française consacrée au lin. Il faut évoquer rapidement le problème de l'eau. Ce ne fut certainement pas un atout pour la région, dépourvue de rivières importantes ou de grandes nappes non-calcaires. Les dérivations réalisées à parti! de la Lys pour ravitailler Roubaix-Tourcoing, puis les forages opérés dans la nappe du calcaire carbonifère traduisent les difficultés rencontrées par le principal foyer textile du Nord. La région de Fourmies elle-même, au climat plus humide, ne dispose pas de nappes aux réserves abondantes. L'eau n'a été qu'un facteur de localisation de second ordre, c'est-à-dire qu'à l'intérieur d'un foyer textile, les activités les plus exigeantes en eau se disposaient plutôt à proximité des rivières: c'est ainsi que la Marque, dans l'agglomération de Roubaix-Tourcoing, a été un lieu de concentration de blanchisseries et de teintureries. Ce fut la même chose pour la Vallée de la Lys, à l'intérieur de l'ensemble de l'arrondissement de Lille. Toutefois ces implantations n'ont pas été systématiques. Les peignages, dont les besoins en eau sont pourtant considérables, n'ont pas été attirés par les rivières qui viennent d'être mentionnées. L'ancienneté et l'importance du travail textile dans le Nord-Pas-deCalais sont un fait bien connu (..). Il est beaucoup plus difficile de détermi- (.) cf. L. Merchier,ouvrage (..) Voir notamment cité. la récente IIHistoire des Pays-Bas Français" ouv. cité. - PO - ner qu'elle était exactement, à la veille de l'industrialisation, la place occupée par la région, par rapport au reste de la France. Dans son étude sur l'industrie lainière au dix-huitième siècle, T. J. Markovitch a dû renoncer, faute de documents précis, à évaluer la part de cette activité localisée en Flandre et au Hainaut. Il semble d'après les quelques éléments dont il a pu disposer qu'elle ne devait pas s'élever à plus de quelques pour cent. Les premières données sérieuses datent du début du dix-neuvième siècle, lorsque Dieudonné élabore sa statistique, mais alors, la révolution industrielle est déjà en marche. La situation des différents foyers à cette époque sera évoquée ci-dessous. D'une façon générale, on constate que l'on file et tisse un peu partout dans les deux départements. Cela suppose la présence de toute une population habituée au maniement des fibres et au travail minutieux qu' e 11es exi gent. Toutefoi sil n'en résu1 te pas que des avantages : l' industri e naissante doit s'efforcer d'élaborer des articles aussi bons que ceux produits à la main, dont la qualité était déjà fort honorable. Plus les artisans sont habiles et plus il sera difficile de les supplanter. Par ailleurs, la présence d'un grand nombre de travailleurs très qualifiés peut entraîner des réactions hostiles de leur part, vis-à-vis de toute forme de mécanisation, comme ce fut souvent le cas en Angleterre ou dans la région lyonnaise. Si de multiples plaintes furent émises dans le Nord contre les "mécaniques" et la "grande industrie", elles ne se transformèrent guère en manifestations violentes car il s'agissait surtout de ruraux assez mal organisés sur le plan social (.). L'existence d'une tradition textile antérieure à la révolution industrielle a présenté deux avantages principaux: le processus d'industrialisation s'est étalé sur plusieurs décennies. La filature se mécanise en général 20 ou 30 ans avant le tissage. De ce fait, il arrive un moment où la production des filés devient surabondante, car les tisserands n'ont pas accru dans la même propor- (.) cf. par exemple Cambrésis. la thèse citée de C. Blaise sur le tissage à main dans le - 171 - tion leur capacité de fabrication et ceci constitue un frein au développement de l'industrie. La présence d'un grand nombre de tisserands à main est alors un avantage pour l'industriel qui trouve sur place un marché intéressant. Les filatures mécaniques du Nord ont bénéficié de cet atout; elles ont rapidement éliminé la production manuelle des filés, car l'ouvrier d'usine avait une productivité plusieurs dizaines de fois supérieures à celle de l'artisan. Cette main-d'oeuvre rendue disponible et habituée au travail textile s'est alors tournée vers le tissage. Jusqu'aux environs de 1850, les métiers à tisser manuels se multiplient dans la région (.) et constituent un débouché très appréciable pour la filature locale. Les industriels les plus dynamiques sont d'ailleurs les premiers à favoriser ce mouvement, allant parfois jusqu'à installer eux-mêmes des métiers chez des artisans à domicile auxquels ils fournissent les filés. La possibilité donnée à l'industriel de réaliser ce genre d'opérations est doublement avantageuse pour lui, car il peut produire des fils sur une plus grande échelle et en même temps retirer un bénéfice de la revente de ces tissus dont il assure lui-même la commercialisation. En offrant un contexte favorable au développement de ce genre d'activité, la région a facilité la croissance des industries textiles naissantes, c'est-à-dire au moment où elles étaient les plus vulnérables. Après 1850-1860, l'importance du tissage manuel est plutôt un obstacle à l'industrialisation. Ces artisans habiles se contentent de prix de façon très faibles, car ils aéceptent des journées de travail très longues et ont peu de matériel à amortir. Cela contribue à rendre leurs produits plus longtemps compétitifs par rapport à ceux de l'industrie. Le second avantage procuré par la tradition textile a été l'existence d'une classe de négociants ou de marchands-transformateurs. Ces derniers vendaient à l'extérieur les produits des artisans ou les faisaient travailler (.) L'essor région, améliore du tissage manuel à partir beaucoup est favorisé du dix-neuvième la productivité siècle également seulement, par la diffusion dans la de la navette volante de ce tissage. Dans la Vallée de la Lys notamment, soient fournis pour attirer il arrive que les logements des tisserands venant de la Flandre eux-mêmes belge. qui - 172 - à façon. Ce groupe a joué un rôle important car, dans ses rangs, se sont recrutés nombre d'industriels (.). On considère souvent que l'atout décisif fut pour eux d'investir les capitaux tirés du négoce. Ce n'est probablement pas cet aspect qui a été essentiel. On ne dispose guère d'états de fortunes de ces négociants mais les quelques exemples qui seront donnés ci-dessous montrent que, souvent, ils ne possédaient pas de capitaux considérables. Et, de toute façon, au début, l'industrie textile n'était pas très exigeante sur ce plan. Le principal avantage des négociants fut surtout une bonne connaissance du marché et de ses exigences; ils sont capables de choisir les matières premières, de se livrer à des calculs de rentabilité et de s'adapter à la versatilité de leurs clients. Toutes ces qualités seront particulièrement nécessaires à l'industriel. De plus, le négociant doit se déplacer fréquemment pour ses affaires ( ..) ; dès la fin du dix-huitième siècle beaucoup circulent à cheval à travers toute la France, la Belgique et la Hollande notamment. Ils se rendent fréquemment en Grande-Bretagne. Ceci améliore leurs connaissances, les informe des dernières nouveautés techniques et commerciales. Ce type d'activités fut souvent une excellente école de formation au métier d'industriel, et c'était d'autant plus précieux qu'il n'existait aucune autre forme d'enseignement organisé en ce domaine. Cette tradition textile a comporté des éléments favorables, mais il ne faut pas exagérer son rôle, car elle existait également dans d'autres régions de France qui ont vu leur importance décroître au cours du dix-neuvième siècle. Inversement, un centre comme Calais ignorait le travail textile et allait pourtant connaître une brillante réussite dans cette branche industrielle. (.) cf. l'ensemble ( .. ) cf. ! : 1 " J. des publications Toulemonde • ouvrage citées de J. ci té. Lambert-Dansette. - 173 - Au début de la révolution industrielle, la région Nord-Pas-de-Calais est déjà fortement peuplée: sa densité, en 1801, 100 habitants au kilomètre carré, est supérieure à celle de la France de 1974. Dans les secteurs où vont se développer les plus grands centres textiles, cette accumulation de population était encore plus considérable: la densité du département du Nord s'élève alors à 132 et celle de l'arrondissement de Lille à 250 (.). Pour qu'un grand centre textile s'édifie, il était nécessaire de disposer de ressources notables en main-d'oeuvre, car la mécanisation était encore relativement peu poussée dans cette branche. Toutefois une surabondance de travailleurs pouvait constituer un frein dans la mesure où des salaires très bas n'incitaient pas les responsables économiques à rechercher les techniques les plus productives. L'étude citée de F. Dornic sur la famille Cohin, grands ~égociants en toile sarthois du dix-neuvième siècle, est typique à cet égard; l'auteur montre comment les faibles prix de façon payés aux artisans à domicile expliquent que ces entrepreneurs installent tardivement des tissages mécaniques, alors que leur puissance financière leur aurait permis de le faire bien plus tôt. Il est évident que si l'abondance de la main-d'oeuvre avait été le facteur décisif, l'Ouest de la France, dans son ensemble, serait devenu un grand foyer textile. Dans la région du Nord-Pas-de-Calais, la situation a été favorable à l'industrialisation du textile, car, s'il était possible de recruter des travailleurs, le développement simultané d'autres activités, extraction houillère, métallurgie, industries alimentaires comme la brasserie ou la sucrerie etc ... , créait une certaine pression sur le marché de l'emploi. Si les salaires restaient trop bas, le personnel le plus qualifié pouvait se tourner vers d'autres branches. L'industriel était incité à mécaniser, (.) Source Annuaire statistique régional. INSEE, Lille 1951. - 174 - ne serait-ce qu'en raison de la menace qu'il devinait à terme. Pour attirer les Belges eux-mêmes il fallait leur offrir des rémunérations plus élevées que dans leur pays et les dissuader de choisir les travaux agricoles, le bâtiment etc .•. De ce point de vue, ce n'est pas un hasard si les industrles textiles les plus fortement mécanisées se sont épanouies dans l'arrondissement de Lille où existent des branches industrielles variées. Au contraire, en Flandre Intérieure, l'absence d'activités concurrentes et la surcharge démographique ont retardé la mécanisation. Lorsque l'industrie textile y débute vraiment, il lui est alons difficile de rivaliser avec les centres modernes et puissants édifiés entre temps ailleurs. La situation, bien que diamétralement opposée à celle du Bassin Minier y aboutissait à un résultat final similaire. Le Nord-Pas-de-Calais a également eu la chance de disposer de très nombreux "entrepreneurs" de talent, c'est-à-dire de gens ayant le goût du risque économique et l'aptitude à transposer sur le plan industriel les derniers perfectionnements de la technologie. L'action de ces hommes s'est d'ailleurs manifestée dans la plupart des branches industrielles qui se sont créées dans la région au cours de la première moitié du dix-neuvième siècle, et pas seulement dans les activités textiles. C'est cependant dans celles-ci que leur rôle a été particulièrement important en raison du contexte général de l'époque: l'Etat français n'intervient guère directement pour promouvoir telle ou telle branche de l'économie. Lorsque sa sollicitude se manifeste, c'est en faveur de secteurs bien précis : les chemins de fer, par exemple, qui brisent les cadres de la vie économique traditionnelle. Pour le textile, l'Etat se contente de faire jouer les tarifs douaniers ou d'appliquer des lois sociales à caractère général (celle de 1841 sur la réglementation du travail des enfants, par exemple). Seule l'action des particuliers à l'esprit entreprenant amorce le processus d'industrialisation et permet ainsi de concrétiser les potentialités d'un environnement géographique favorable. Le volume de capitaux nécessaires pour se lancer dans l'industrie textile naissante est bien plus faible que dans la sidérurgie ou les chemins de fer. - 175Un peu partout, de nombreuses personnes ont la possibilité matérielle de monter une entreprise textile, car celui qui possède quelques métiers mécaniques est déjà un producteur notable, à un moment où une part appréciable de la promais cette situation ne dure pas, duction est encore assurée par les artisans et une sélection impitoyable va éliminer ceux qui ne se modernisent pas régulièrement. C'est par ce processus que le textile s'est concentré géographiquement là où se trouvaient le plus d'entrepreneurs dynamiques. Cette évolution s'étale sur plusieurs décennies. Comme cette jeune industrie est susceptible de fournir des profits très appréciables, celui qui a débuté modestement peut fort bien résister s'il réinvestit systématiquement ses bénéfices. L'article industriel dispose en effet d'un marché en voie d'expansion très rapide: le produit artisanal de qualité, très lent à fabriquer, était coûteux et réservé de ce fait à une minorité de la population. L'abaissement des prix consécutif à l'industrialisation, permet à de larges couches de consommateurs de se porter acquéreurs des nouveaux articles textiles. A cela il faut ajouter la croissance générale de la population. Toutes proportions gardées, l'industriel se trouve dans une situation proche de celle des fabricants d'appareils d'électro-ménager, dans les années 1950 : un marché qui s'étend à mesure que la production se mécanise. Les quelques exemples précis dont on dispose montrent qu'effectivement l'accumulation du capital pouvait se faire à une allure rapide. L'ouvrage déjà cité de J. Toulemonde contient un graphique (page 233) retraçant, à l'époque où naissait l'industrie, l'évolution de la fortune de Floris Toulemonde, membre de l'une des grandes familles industrielles textiles de la région rouba i s f enne : de moins de 50.000 francs en 1833, elle s'élève à plus d'un million, 25 ans plus tard. J. Lambert-Dansette avance, dans sa thèse, pour les années 1850-1870, des taux de profit de l'ordre de la à 20 % du capital investi dans le tissage armentièrois, époque à laquelle il se mécanise (.). Cela ne signifie pas que la tâche (.) D'autres exemples des firmes Agache, tiques pour voir n'était à partir et Thiriez). s'il s'agissait évidemment an economic seront cités ci-dessous Prouvost pas propre d'une documentation sont en moyenne, une entreprise purement i textile l'ouvrage Oxford, précise, chaque année, toutefois ou non de cas exceptionnels. au Nord: and social history (cf. notamment On manque Clarendon montre spécialisée des débuts systéma- Cette de D.C. Coleman Press, que, entre de 26 % du capital l'analyse d'analyses situation (Courtaulds, 1965 T. l 274 p.) fait 1830 et 1848, les profits investi. Courtaulds dans le,travail est alors de la soie. - 175 bis - de l'entrepreneur soit aisée à cette époque: il devait choisir les métiers parmi un foisonnement de types de matériels, réussir à former la main-d'oeuvre, résister aux très brutales et très fréquentes crises économiques. Les talents propres de l'entrepreneur étaient plus décisifs que la possession initiale de quelques dizaines de milliers de francs en plus ou en moins. La nécessité de réinvestir les bénéfices pour rester compétitif en dépit de la rapidité des progrès techniques, entraîne une situation apparemment paradoxale: l'entrepreneur textile fait des profits élevés, doit consacrer beaucoup de temps à une activité difficile et limiter son train de vie par rapport à son niveau de fortune réel. La situation se complique si, comme cela est fréquent, l'affaire a été fondée par plusieurs personnes physiques car il faut que .chacun des associés accepte cet état de choses. Dans ce contexte, la forte cohérence des structures familiales devient un atout: les liens créés entre les individus aident à supporter les tensions qui surgissent dans la gestion des affa ires. Le sentiment que la réussite de l'entrepri se sera celle de la famill e à laquelle on se sent profondément attachée, permet de comprendre que l'individu accepte de restreindre son niveau de vie: il a conscience d'ètre au service de quelque chose qui dépasse sa simple personne. Si l'ascension sociale est récente, il est d'ailleurs plus facile de conserver un style de vie pas trop éloigné de celui des origines. Dans ces conditions, la volonté farouche de ce patronat de préserver son indépendance se comprend mieux (.) La joie d'être l'artisan principal de sa réussite et le maître d'une entreprise dynamique est en quelque sorte une compensation psychologique à la (.) La plupart patronat de celui décrit mandie des études historiques de l'arrondissement et des témoignages ici. CL. Fohlen montre qui consacre une part importante et qui a un train de vie plus fastueux. région après 1860. publiés de Lille, dont le comportement la différence avec le patronat de ses profits Cela explique concernent se rapproche le le plus de la Nor- en achat de biens fonciers le déclin relatif de cette - 176 - relative austérité des moeurs (.). La pratique religieuse catholique rigoureuse dans cette bourgeoisie devient elle aussi un élément favorable car elle renforce la cohésion de la famille. De même la grande fécondité de ce patronat n'est pas une gêne lors de la période d'expansion, car les postes de direction se multiplient avec le développement de la firme et l'essaimage de ses filiales. La présence de ce type d'hommes a donc revêtu une importance décisive en raison du contexte socio-économique de cette période (..). L'essor de l'industrie textile dans le Nord-Pas-de-Calais au dix-neuvième siècle s'explique en bonne partie par un concours de circonstances. Il n'est guère possible de doser la part relative de chacune d'elles. Ce qui importe surtout au géographe, c'est de constater que presque toutes étaient liées à un certain contexte historique et que par conséquent leurs effets furent limités à une certaine période. La région du Nord-Pas-de-Calais n'avait pas une vocation "naturelle" Ce sont des événements contingents qui ont redonné un lustre particulier à cette activité. Ceci montre immédiatement la fragilité relative de cette concentration géographique. Il convient maintenant de voir comment ces différents facteurs se sont combinés pour donner à chaque foyer textile la spécialisation, le poids et le rayonnement constatés dans le chapitre précédent. à être une grande région textile. (.) Lorsque le grand industriel des signes particuliers ce sont elles qui doivent comme ces princes tifiables entre roubaisien, (cheminées témoigner de la Renaissance tous, mais Alfred Motte, et murs crénelés), ici c'est donne à ses usines ne signifie-t-il pas que aux yeux du public de sa puissance qui voulaient que leurs châteaux l'outil de production lui-même ? un peu soient idenqui devient objet de gloire. (..) Des études de psycho-sociologie pour expliquer dans pourquoi l'arrondissement ce thème peuvent de Lille en particulier. être glanées "L'industrialisation les réflexions historique ce type de comportement dans le colloque en Europe de P. Chaunu au cours sur l'échec comparées seraient nécessaires a été particulièrement Des réflexions réuni par le C.N.R.S. du dix-neuvieme industriel répandu intéressantes siecle", sur en 1970 sur cf. notamment de la Normandie. - 177 - b~_EQ~~~IIQ~_Q~~_Q!EE~~~~I~_Ç~~I~~~_I~~IIb~~_Q~ ~Q~Q:E~~:Q~:Ç~b~I~· Avant la Révolution Industrielle, ces deux communes ont un chiffre de population qui les place parmi les villes moyennes du département du Nord en 1801, Roubaix compte 8.700 habitants et Tourcoing 12.000 (.). L'importance plus grande de Tourcoing n'est pas surprenante car cette localité se trouve à proximité de la route qui, par Roncq et Halluin, relie Lille à Courtrai et à Gand, tandis que Roubaix se trouve complétement à l'écart de toute voie de circulation notable. Lille, au même moment, avec ses 60.000 habitants, les surpasse très nettement; et pourtant, la capitale des Flandres Françaises ne les domine pas à proprement parler. Roubaix et Tourcoing constituent des centres de production textiles autonomes sur les plans techniques, financiers et commerciaux. Cette indépendance avait été revendiquée depuis des siècles et acquise progressivement Elle est devenue totale au cours de la seconde moitié du dix-huitième siècle (..) Les deux villes travaillent la laine mais se situent à des stades différents du (.) Source: Cl. Fohlen (..) La rivalité Moyen-Age. Les différentes lieu à des contestations 1762, encore, chartes textile. seulement se manifeste dès la fin du et statuts accordés par les autorités incessantes les Lillois bataillent rant le travail tisfaction "Roubaix au XIXèrne", article cité. entre Lille et Roubaix-Tourcoing entre les bourgeoisies pour obtenir la suspension Les gens de Roubaix-Tourcoing en 1776. Ils forment alors donnent des trois villes. En de llédit obtiennent juridiquement libé- pleinement sa- un centre pleine- ment autonome et rival de Lille, ce Qu'ils etaient en fait depuis bien longtemps. Sur ce point, consulter notamment la recente "Histoire des Pays-Bas Fr-ança.i a'", - 178 - cycle de transformation: Tourcoing se spécialise dans le lavage et le peignage (.), tandis que Roubaix se consacre au tissage et à la finition des étoffes. Toutes deux ne rassemblent pas sur leur territoire la totalité des ouvriers; elles sont surtout le siège des entreprises qui animent cette activité. De ce fait, l'importance réelle de Roubaix et de Tourcoing est plus grande que ne le fait apparaître le volume limité de leur population. Le marchand tourquennois achète lui-mème de la laine brute, la fait peigner dans son atelier artisanal ou dans les campagnes environnantes par des gens, qui peuvent ètre de simples façonniers, ou travailler pour leur propre compte. De toute façon, la revente du ruban de peigné se fait. par l'intermédiaire d'un négociant de la ville De même le "fabricant" roubaisien se procure des fils de laine élaborés dans les communes rurales et les fait tisser dans sa ville ou dans les campagnes. Seuls les teintures et apprêts se font presque toujours à Roubaix dans des entreprises spécialisées et généralement façonnières (..). Ce schéma est évidemment très simpliste et la réalité offre une gamme de situations très variées, depuis celle du négociant pur, se contentant de revendre les tissus réalisés par les artisans, jusqu'au cas du marchand-transformateur qui acquiert de la laine et revend des étoffes achevées. Il faut souligner que ce "fabricant" ne possède, au mieux, qu'une petite partie des moyens de production. C'est de sa fonction de négociant qu'il tire l'essentiel de son profit. Pour lui, le principal est de savoir choisir ses matières premières et ensuite de vendre au meilleur compte. Même lorsqu'il a un atelier de transformation, il s'en absente souvent, car il tient à faire ses achats et ses ventes lui-même (...). Pour réussir une meilleure opération, il n'hésite pas à se rendre (.) Sans avoir quatre l'exclusivité cinquièmes production est vendue (..) Cf. notamment (... ) Pendant de cette du peignage en l'état, les ouvrages l'absence lier et la gestion la firme et accroît au dehors que prend assure environ de Lille. La moitié les de sa (d'après Dieudonné). l'épouse de l'entreprise. l'intérêt Tourcoing cités de P. Maurer du négociant, courante fonction, dans l'arrondissement et J. assure Van den Driessche. la surveillance Ceci accentue l'aspect de l'ate- familial la femme au succès de l'affaire. de - 179 - assez loin de son domicile, au besoin à l'étranger. Dès la fin du dix-huitième siècle, une grande partie des laines travaillées sont achetées dans les Provinces Unies. La laine n'est d'ailleurs pas la seule matière utilisée en tissage: le lin l'est aussi (.). D'une façon générale ce qui caractérise ce fabricant, qui a peu d'immobilisations, c'est sa grande souplesse. Il cherche avant tout à saisir les opportunités offertes par le marché. Il modifie facilement sa gamme d'articles et n'hésite pas à réorganiser son activité. Ces marchands appartiennent à des familles installées dans ces localités depuis très longtemps, des siècles parfois (..). P. Maurer, dans son étude citée, relève un aspect très typique de cette situation: à Roubaix, entre 1750 et 1760, 187 entrées ont lieu dans le corps de métier des fabricants de tissus 78 % des nouveaux maîtres ne font que succéder à leur propre père. Ceci n'est pas très étonnant dans la mesure où Roubaix-Tourcoing, placées à l'écart des grandes voies de passage, n'attirent pas les gens venus de l'extérieur. Toutesces familles se livrant aux mêmes activités, graphique restreint, ont eu largement le temps de contracter ances matrimoniales, avant même la Révolution Industrielle. séquent, d'une bourgeoisie qui se déplace beaucoup pour des tout en étant profondément enracinée sur le plan familial. dans un espace géode multiples alliIl s'agit, par conmotifs professionnels Ces négociants, ces marchands-transformateurs dominent sans conteste leurs villes. Les édiles se recrutent parmi eux. L'absence de toute fonction administrative ou judiciaire empêche l'apparition d'un autre type de bourgeoisie, et à fortiori d'une noblesse de robe. Les propriétaires fonciers eux-mêmes ne (.) P. Maurer matières (..) Nombreux Dansette, considère premières J. que, en 1789, la laine représente utilisées exemples Toulemonde dans les ouvrages et J. les trois quarts des à Roubaix. et articles Van Den Driessche. cités de J. Lambert- - 180 - forment pas un groupe vraiment distinct. Le marchand dont les affaires prospèrent achète facilement des terres. Le "laboureur" aisé organise la vente des produits de sa ferme, qui peuvent ètre des fibres de lin, prête de l'argent à un parent qui réalise des opérations de négoce, à moins qu'il ne décide de s'y livrer lui-même, si les circonstances sont favorables (.). La réussite dans les affaires est le meilleur moyen, dans ces villes, pour acquérir la considération générale et montrer que l'on est digne d'accéder aux plus hautes fonctions municipales. Il règne un climat psycho-social favorable à l'épanouissement de l'esprit d'entreprise. Ceci se traduit de façon manifeste sur le plan des institutions: alors qu'à Lille cohabitent plusieurs corporations textiles qui se querellent entre elles et sont régies par des dispositions tatillonnes, parfois hostiles à l'expansion des entreprises, puisqu'il ne faut pas, par exemple, posséder plus de six métiers à tisser; rien de semblable n'existe à Tourcoing ou à Roubaix. Dans cette dernière ville, on trouve un seul corps de métier organisé en jurandes, celui des fabricants de tissus, et les réglements sont fixés, en accord avec les marchands, au cours d'assemblées pleinières. Aucune mesure ne limite le nombre de métiers dont peut disposer un fabricant. Dans ce contexte, il est facile de créer de nouveaux types d'étoffes, et d'utiliser les procédés de fabrication modernes. A Lille, par contre, on se heurtera aux règles anciennes et aux fréquentes récriminations des membres des corporations voisines considérant que le produit nouveau empiète sur le domaine de leurs fabrications. Les marchands-transformateurs de Roubaix-Tourcoing ne semblent pas avoir eu des entreprises très puissantes: en 1774, les frères Delaoutre disposent d'un atelier employant 16 ouvriers et possédant 16 métiers; ils appa- (.) Les deux activités, pratique beaucoup cite notamment moins l'exploitation séparées le cas de marchands leur laine, et mettant Roubaix-Tourcoing ensuite avant d'aller de la terre, et le négoce que l'on pourrait acquérant les bêtes l'imaginer. des moutons, à l'embouche les revendre sont dans la J. Toulemonde en Hollande, utilisant dans la région de en tant qu'animaux de boucherie. - 181 raissent comme des fabricants très importants (cf. P. Maurer). En 1806, les principaux peigneurs de laine tourquennois : Tiberghien, Motte-Clarisse, Masurel, Desurmont occupent seulement de 20 à 40 ouvriers (cf. J. Toulemonde). Certes, cela ne renseigne pas sur l'état exact des patrimoines. Toutefois, ceux-ci étaient souvent morcelés, car ces familles étaient très prolifiques. La rlchesse véritable du jeune bourgeois, c'est plutôt son réseau d'alliances familiales même s'il n'a pas personnellement beaucoup de fortune, il peut bénéficier du soutien financier et des conseils pratiques des nombreux membres de sa famille. Roubaix et Tourcoing abordent avec prudence la Révolution Industrielle (.). Tourcoing est durement touchée, car les fils de coton produits mécaniquement concurrencent la laine dont le peignage manuel est très coûteux. Dieudonné remarque que l'ouvrier tourquennois ne peigne en moyenne que trois kilos de laine par jour. En 1801, le Préfet considère que cette activité s'est réduite de moitié par rapport à 1789. Les laines à l'état brut proviennent en majeure partie de l'étranger: Hollande, Italie, Espagne. Roubaix s'est adaptée avec plus de facilité et tisse de plus en plus de coton (..). La filature est effectuée dans (.) Il est remarquable L'entrepreneur que, dans ces deux villes, à l'inverse tion fondamentale de Roubaix-Tourcoing chant, parmi ce qui existe, les plus économiques. la matière concevant Girard première ou augmenter une nouvelle ou d'industriel fondant technique En schématisant d'abord à on pourrait l'aspect gine le matériel traditionnellement financier à un concours, de production de pas d'inventeur comme Philippe leurs brillantes de inventions) sur la mise au point d'une nouvelle .techni- avec sa peigneuse. des choses s'oppose du négociant qui s'intéresse à celle de l'ingénieur qui ima- le plus évolué. De plus, le travail des métaux absent de la région de Roubaix-Tourcoing. sans doute une certaine ou Lyon. avisé cher- pour épargner On ne rencontre avec difficultés dire que la mentalité techniquement lenteur, par la suite, le médiocre matériel la productivité. sa réussite Holden les conditions de l'améliorer pour répondre aucune inven- Mulhouse comme un gestionnaire offrant il s'efforce à exploiter que, CGmme le Britannique se comporte le matériel Au besoin, (quitte ensuite ne sera réalisée de ce qui s'est passé à Bradford, au début, développement dans l'adoption de l'industrie Ce contexte des "mécaniques de la construction est explique Il et, du textile. (..) Pour tout ce développement pos de ces deux villes, cf. l'ensemble et particulièrement de la bibliographie citée à pro- les écrits de Cl. Fahien. - 182 la région lilloise, ou dans les campagnes, a l'aide des "petites mécaniques anglaises" (les jennies), comme les appe11e Dieudonné. Il s'agit de matériels simples, peu coûteux, qui remplacent le rouet. Roubaix produit des étoffes d'habillement fantaisie, les "nankinets". "Chaque année, on voit sortir des tissus d'une nouvelle invention", remarque le Préfet du Nord, ce quj montre bien le souci des fabricants de suivre les évolutions du marché. En 1801, ces métiers a tisser le coton sont dix fois plus nombreux a Roubaix (1.100) qu'a Tourcoing qui se lance moins vite dans une fabrication plus éloignée de sa spécialité traditionnelle. A partir du Premier Empire, la reglon de Roubaix-Tourcoing s'oriente vers le travail du coton qui va devenir la fibre la plus utilisée jusque vers 1850 (.). Les entrepreneurs de cette région cherchent a rester présents sur le marché des articles d'habillement et, par conséquent, adoptent toutes les nouveautés au fur et a mesure que le progrès technique les rend possibles. Pour alimenter les métiers manuels, apparaissent des filatures de coton. Cellesci se créent dans les premières décennies ; la première machine a vapeur est signalée en 1818. Quelques années plus tard, on assiste a la multiplication des métiers jacquard. Ils sont intéressants puisqu'ils permettent d'élaborer des étoffes très variées. Ils sont répartis dans les campagnes ou rassemblés dans des ateliers qui n'utilisent pas encore la vapeur. Jusque vers 1840, seule la filature de coton s'est véritablement industrialisée. Roubaix dispose d'établissements qui sont parmi les plus grands de la région: une unité de 40.000 broches est édifiée en 1842. Cette évolution se fait surtout au profit de Roubaix dont la population surpasse nettement celle de Tourcoing: en 1851, les chiffres sont respectivement de 34.700 habitants et de 27.600. Le travail de la laine n'avait pas disparu complètement. (.) R. Blanchard, dans sa thèse, dans la tradition du travail de la laine, au cours des premières du dix-neuvième siècle: fût une survivance La fabrication "11 semblerait directe actuelle en 1906, avait bien souligné cette rupture décennies que le travail de la laine à Roubaix de la plus ancienne est d'origine A partir de récente." des industries flamandes ... (cf. page 404). - 183 - 1830, on commence à la filer mécaniquement. Le tissage des tapis et moquettes apparaît à Tourcoing; les fabricants utilisent notamment les services de Belges venus de Tournai où cette activité périclitait. A partir de 1835, dans les tissages, on lance des étoffes mélangées, laine et coton: le second réduit le prix, la première améliore la qualité. L'utilisation de la laine est freinée par le coût trop élevé du peignage manuel (.). Cette hypothèque est levée, à partir des années 1850, grâce aux peigneuses de l'alsacien Heilmann et du britannique Holden. La période 1850-1870 se caractérise par un retour massif vers la laine. Avec l'industrialisation du peignage et de la filature, cette fibre s'impose pour la production des articles de qualité dans lesquels se spécialisent Roubaix et Tourcoing, qu'il s'agisse de tissus d'habillement ou de tapis (..). De plus, les laines de l'hémisphère sud commencent à arriver en quantités notables. La guerre de Sécession provoque, pendant quelques années, un renchérissement considérable du coton. Au cours de ces deux décennies, le tissage mécanique en usine devient compétitif par rapport au travail manuel. La région recrute une main-d'oeuvre abondante parmi les anciens artisans. Le flot belge atteint son maximum d'intensité, car les tisseurs manuels de lin subissent eux aussi la concurrence des machines qui se montent dans les centres industriels de la Belgique. C'est la période où la croissance démographique de Roubaix est la plus rapide: entre 1851 et 1872, la ville fait plus que doubler en atteignant 76.000 habitants, au lieu de 34.000 au début de l'Empire. Le développement de Tourcoing est un peu moins rapide (+ 57 %). Après 1870, la croissance se poursuit; les spécialisations acquisent se maintiennent ou se renforcent. (.) Des essais santes; sont faits sur place pour mettre les réalisations qui, fait significatif, Ardennes ne sont pas originaires où ils s'étaient (..) Cette évolution par le Roubaisien tion consiste lorsqu'ils les plus intéressantes d'abord est favorisée Vandamme, à enduire au point des machines de la région mais viennent des livrés au travail des métaux. par la mise au point, d'une machine sous le Second Empire, à encoller automatique. les fils de chaîne pour qulils sont mis sur le métier satisfai- sont faites par Morel et Binet à tisser. supportent Cette opérala tension - 184 - Le succès de l'industrie textile dans cette agglomération s'explique par l'ensemble des facteurs évoqués dans la première partie de ce chapitre. Deux d'entre eux ont joué tout particulièrement: la proximité de la Belgique, d'où venait la plus grande partie de la main-d'oeuvre et le dynamisme de la bourgeoisie textile traditionnelle. J. Lambert-Dansette estime que plus de la moitié des familles patronales de Roubaix-Tourcoing étaient déjà domiciliées dans ces villes en 1789, et s'y consacraient au travail et au négoce des fibres, C'est une proportion plus forte que partout ailleurs, surtout si l'on songe que presque toutes les firmes importantes ont été fondées par ces vieilles dynasties textiles ou avec leur appui. De par sa formation et sa mentalité, cette bourgeoisie était très bien adaptée aux conditions économiques de cette période. La forte solidarité qui existait entre tous ses membres était particulièrement précieuse: l'industrie textile était une activité hasardeuse. L'appui financier ou le soutien économique (commandes, assistance technique, fournitures de matières premières etc ... ) accordés par la famille en cas de difficultés ont permis de surmonter bien des crises (.). Quelques exemples précis aideront à comprendre le rôle de ces groupes famil iaux (..). Les Motte ont constitué la famille sans doute la plus prolifique et la plus puissante industriellement, au cours du dix-neuvième siècle. En 1784, un marchand peigneur, de vieille souche tourquennoise, épouse une demoiselle Clarisse originaire de cette même ville (... ). Son dernier fils, né en 1796, poursuit ses études, jusqu'à 20 ans, dans un collège de Cambrai et épouse la (.) Encore fallait-il tent par les membres à Roubaix-Tourcoing que l'entrepreneur des familles où il gardait de fonds ou ses conseillers (..) Sources: ensemble (... ) En 1962, J. 8.344, dont Toulemonde soit jugé sérieux et compé- Ceci l'encourageait plus facilement le contact à s'implanter avec ses bailleurs familiaux. des ouvrages 1.869 provenaient en question apparentées. estimait cités et enquêtes personnelles. le nombre des descendants de mariages consanguins. de ce couple à - 185 fi~le d'un ancien maire de Roubaix. Il assure alors la gestion d'une filature de coton ouverte par son beau-père. Il a 14 enfants dont 10 atteignent l'âge adulte tous ne peuvent être employés dans l'affaire. Le troisième fils épouse une Dewavrin appartenant à une famille de statut social comparable. Etant cadet, il ne peut espérer obtenir la direction de l'usine de son père; c'est pourquoi il fonde sa propre entreprise qui sera le noyau du groupe t4otte-Dewavrin (.). , , , , Plusieurs de ses frères se lancent aussi dans l'industrie, aidés par leur famille: favoriser l'installation d'un cadet, rermet d'éviter les disputes lors du partage de l'héritage; cela est possible car l'on est dans une période d'expansion où les capitaux nécessaires pour fonder une affaire ne sont pas encore très élevés. Parmi cette génération, le plus brillant est d'abord Louis Motte-Bossut. Il s'installe à Roubaix et, avec l'aide de sa mère, de plusieurs frères, oncles et beaux-frères, monte la plus vaste filature de coton existant dans toute la région du Nord à cette époque (..). Son entreprise réussit (... ) et, à son tour, il installe un beau-frère, en 1857, en lui rachetant une filature installée à Auchy-les-Hesdin, dans le Pas-de-Calais. Son plus jeune frère, Alfred, bénéficie aussi de l'appui familial, lorsqu'il tente la construction d'une grande usine intégrée: filature, tissage, teinture. C'est un échec, mais, grâce au soutien de ses proches, il surmonte cette épreuve et emploie alors un autre système: il crée des établissements spécialisés auxquels il associe, en qualité de gérants, des hommes choisis en raison de leurs compétences, même s'ils n'appartiennent pas à une famille patronale. C'est ainsi qu'une filature de laine peignée est fondée, en 1872, en association avec un Porisse (.) La répétition des mêmes patronymes à créé l'habitude ri et celui de l'épouse pour distinguer (..) La famille Motte, puissance financière conune les Dollfus, L'accession avant son accession comparable que Cl. Fahien (...) La liste des filateurs broches installées à l'industrie moderne, range dans le "patriciat" comparable L'ensemble tiers de celui de toute l'agglomération. le nom du ma- n'a pas une mulhousienne, de cette ville. se place après 1850 seulement. de coton de Roubaix-Tourcoing que Motte-Bossut, à Roubaix. d'associer membre d'une même famille. à celle de la grande bourgeoisie à un niveau de richesse dans sa thèse, montre les différents établie par Cl. Fahien en 1862, dispose de 40 % du total des du potentiel des Motte représente le - 186 - dont le père était simple trieur de laine. Une teinturerie est créée avec des Mei11assoux, techniciens compétents dans cette spécialité, et originaires de la Creuse. Ils avaient auparavant prouvé leurs talents dans un établissement de Suresnes où Alfred Motte les recruta. La grande famille patronale apparaît, dans ces conditions, comme une sorte de banque d'affaires qui soutient les initiatives des entrepreneurs jugés sérieux et compétents, même s'ils ont peu de fortune personnelle. La seule exigence est qu'ils adoptent un comportement conforme à ce que les bailleurs de fonds estiment devoir être celui d'un industriel. Ce milieu patronal n'est pas encore fermé, mais les multiples solidarités qui existent entre les hommes et les firmes contribuent à lui donner une forte homogénéité et à uniformiser les attitudes. Toutes ces entreprises ont tendance également à faire bloc pour lutter contre la concurrence des centres textiles extérieurs et cela favorise beaucoup le développement de Roubaix-Tourcoing. La plupart des autres familles accêdent moins rapidement que les Motte industrielle. Charles Tiberghien débute en 1858. Son père était négociant en laine à Tourcoing; il triait lui-même avec ses cinq ouvriers. Il avait perdu une partie de sa fortune en soutenant un neveu. Son fils, au commencement, travaille de ses propres mains dans son usine. Il parvient à monter, en 1860, un tissage mécanique de 100 métiers, en s'associant avec ses deux frères et grâce à l'appui de Jules Joire, banquier à Tourcoing et ami personnel de la famille. Par la suite, il contribue à sauver l'entreprise pourtant concurrente d'un de ses beaux-frères, un Lepoutre. Le groupe familial connaît une première scission en 1894 : les descendants de Charles et ceux de son frère Louis se séparent et constituent deux entreprises distinctes. à la puissance Ce phénomène commence à être fréquent à cette époque, car la multiplication des héritiers incite à la fragmentation des firmes. Ceci n'est pas très grave, car l'expansion générale de la production permet aux établissements issus de ces démembrements de retrouver une taille suffisante. Toutefois, il est certain que, dès cette époque, le maintien de la structure familiale des entreprises freine la constitution de très grands groupes intégrés. La solidarité - 187 - familiale n'évite pas la création de firmes indépendantes quotidienne. dans leur gestion Les Lorthiois sont peigneurs de laine à Tourcoing au cours du dixhuitième siècle. Un membre de cette famille se lance, en 1838, dans le tissage du tapis. Il utilise encore des métiers manuels; il crée même une unité à Tournai, ville renommée pour la fabrication de ce genre d'articles. Vers 1880, ses descendants adoptent, parmi les premiers, les métiers mécaniques anglais Wilton. En 1882, on ajoute un département tissage et ameublement. Une scission s'opère peu après avec la constitution d'une autre société spécialisée dans le négoce de la laine, une autre encore regroupe bientôt l'activité tissage ameublement. Les Prouvost appartiennent également à l'une des plus anciennes familles de négociants implantées à Roubaix; en 1795, l'un des leurs est maire de la commune. Ils ne débutent dans l'industrie qu'en 1851, lorsque Amédée Prouvost crée un peignage mécanique dans sa ville natale. Pour réaliser cette opération, il s'est associé à trois frères Lefebvre, âgés, comme lui, d'une trentaine d'années et qui possèdent déjà un tissage de coton de plusieurs centaines de salariés. Il a fallu, en outre, contracter un emprunt auprès d'un financier lillois. L'établissement compte à l'origine seulement 21 peigneuses sa production atteint tout juste 90 tonnes en 1853. Il est significatif de constater que l'héritier d'une famille importante a eu besoin de nombreux concours pour monter une unité de taille modeste. En cette période favorable, la croissance est rapide (.) et les bénéfices servent à rembourser rapidement le prêt et à assurer l'autofinancement. En 1867, la production est de 4.000 tonnes. Dans les années suivantes, l'établissement poursuit son expansion et devient le second peignage de cette région, juste après l'unité implantée à Croix par l'industriel et inventeur britannique, (.) Ceci entraîne des déménagements Pour plus de précisions, successifs cf. notre article à l'intérieur de Roubaix. sur le groupe Prouvost-Masurel. ! - 188 - Isaac Holden. La famille tourquennoise des Masurel ne s'intéresse à l'industrie proprement dite qu'à partir de 1851, en montant un atelier de retordage; elle se limite longtemps à ce seul stade, puis, en 1884, réalise une intégration vers l'amont en se mettant à produire elle-même les fils qu'elle assemblait dans sa retorderie. Ainsi qu'on le constate, la période pendant laquelle les firmes les plus importantes identifiées vers 1950 prennent leur essor, s'étend schématiquement entre 1850 et 1890. Dans quelques cas, la phase de croissance principale se place vers 1880-1914, lorsque des familles puissantes peuvent encore financer de nouvelles implantations (.) : le groupe Lepoutre, par exemple, ne se place aux tout premiers rangs des firmes lainières qu'à partir des années 1900. Cependant toutes les firmes industrielles textiles de Roubaix-Tourcoing n'ont pas été fondées par des membres des vieilles familles bourgeoises. Des entrepreneurs d'origine beaucoup plus modeste ont réussi à accéder à la fonction patronale, spécialement dans deux cas: 1) ils exercent leurs talents dans des branches qui se sont industrialisées lentement ou tardivement; la teinturerie en est peut-être le meilleur exemple, car la multiplicité de ses traitements, restés souvent assez empiriques, laisse des chances de succès à l 'habile praticien (..). L'industrie du tissage d'ameublement et du tapis offre des situations analogues. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que ce grand centre, aux productions abondantes et variées, offre un environnement favorable à l'épanouissement de firmes moyennes ou petites aux activités très spécialisées. (.) Parfois l'activité fourni aussi, les capitaux filateur il s'agit de firmes de négoce qui abordent industrielle. suffisants. au lendemain (..) Les établissements par un simple artisan à l'emplacement bre de réussites Leur réussite dans le commerce C'est ainsi que le groupe Vandeputte de la Première Guerre Mondiale Derache-Constant installant de l'usine quelques édifiée de ce genre très tardivement de la laine leur a furent devient seulement. ont été fondés au début du XXème siècle métiers dans une vieille par la suite. En teinturerie l'oeuvre ple. Cf. à ce sujet la thèse de F. Lentacker. de Belges, ferme située un certain les Browaeys, nom- par exem- - 189 - ils créent leurs usines au moment du démarrage de l'industria- II) li sation (.). Dans les années 1890-1900, la plupart des groupes textiles importants sont déjà présents; les entreprises créées par la suite, seront des émanations de familles ou de firmes déjà en place. Entre 1890 et 1914, la croissance de ce foyer industriel se poursuit mais à un rythme moins rapide. Dans la mesure où l'on peut l'évaluer (..), la concentration technique ne semble pas progresser dans les branches les plus mécanisées (peignage de la laine et filature). Elle se poursuit certainement en tissage où disparaissent les derniers ateliers ruraux contenant des métiers manuels (... ). Une nette tendance à l'intégration se manifeste et l'on voit apparaître des entreprises regroupant plusieurs opérations du cycle de transformation ou méme l'ensemble de celui-ci. Dans le domaine de l'industrie lainière, Roubaix et Tourcoing affirment leur suprématie car elles contrôlent le négoce des matières premières. L'ouverture, en 1883, à Roubaix, du seul marché à terme de laines peignées de France consacre cette prééminence. Cette fonction est devenue capitale car l'industrie lainière française, à partir des années 1880, doit faire venir les trois quarts de ses fibres de l'étranger. Les négociants de Roubaix-Tourcoing ont été les premiers à se procurer la laine directement dans les nouveaux pays producteurs (Argentine et Australie notamment). Les autres centres textiles français doivent, par conséquent, recourir de plus en plus à leurs services (.) La société Hannart Frères, avait été créée, en 1819, gnage, où lion rencontre certaines la plus importante par un simple artisan des usines de vastes dimensions, ont été fondées par des entrepreneurs on peut citer le peignage Léon Binet Malard (actuel Peignage (..) Cf. Hennebicque, en filature article nes (plus de 20.000 broches) ( ... ) J. Toulemonde et les établissements l'auteur le pourcentage à Roubaix-Tourcoing, reste constant entre 9.862 métiers des broches, dans des grandes usi- 1896 et 1914. estime que, pour la seule ville de Roubaix, représentant 1900, fortune personnelle édifiés par un habile mécanicien. cité. D'après situées en 1910, Même dans le pei- dès les années sans grande créé par un ingénieur, de la Tossée) de laine peignée, 1914, 45 fabricants unité de teinture roubaisien. à tisser cessent entre 1894 et leurs activités. - 190 - pour leur approvisionnement, surtout s'ils font des articles en laine peignée. Le cycle cardé peut utiliser plus facilement les laines de France. Cette situation est évidemment profitable aux firmes industrielles de Roubaix-Tourcoing qui sont proches géographiquement de ces maisons de négoce auxquelles les rattachent souvent des liens de parenté (.). A la veille de la Première Guerre Mondiale (..), l'agglomération de Roubaix-Tourcoing comprend 16 peignages avec environ 1.900 peigneuses et 12 à 13.000 ouvriers ; 60 % de ce matériel se trouvent à Roubaix. En filature de laine peignée, on dénombre 821.000 broches réparties en 87 unités occupant 18.000 ouvriers. Le potentiel de production est comparable à celui de la région de Fourmies dont les broches, toutefois, sont plus anciennes. La filature cardée compte cinq fois moins de broches et ne représente qu'une faible part du matériel français (le quart, Alsace exclue) alors que la peignée représente 40 % des broches nationales (... ). La filature de coton utilise plus d'un million de broches (1.156.000) et occupe 8.000 ouvriers. On voit que cette activité est loin d'avoir disparu de Roubaix-Tourcoing et, en même temps, qu'elle est beaucoup plus mécanisée que la filature de la laine qui emploie deux fois plus de main-d'oeuvre avec un nombre de broches inférieur. Dans ce domaine, ce foyer dispose du sixième du potentiel frança i s (Alsace exclue). En tissage, les données chiffrées sont plus incertaines. Les fabrications et les types de métiers sont beaucoup plus variés qu'en filature. Le (.) Certains peignages la famille Prouvost vingtième à des maisons directement sa propre de négoce firme de négoce au début du siècle. (..) Sources annuaire sont associés crée, par exemple, essentielles: statistique ouvrages régional cités de G. Sayet et R. Pierreuse de l'I.N.S.E.E., (...) Au total, le Nord dispose alors d'environ peignée qu'il a déjà une place française, c'est-à-dire à celle qu'il occupera (le centre rémois vers 1950. En peignage, n'a que 200 peigneuses). et édition de 1951. 80 % des broches de filature sensiblement comparable sa part est du même ordre - 191 - tissage manuel a comp1étement disparu ou presque (.). On estime que, en 1914, une centaine de tissages de laine pour habillement occupe près de 25.000 personnes. Les deux tiers se trouvent à Roubaix. Vingt établissements possèdent moins de 50 métiers, mais 12 en ont plus de 500 ; cette activité comprend ainsi des unités de taille extrêmement variée. Il y a une quinzaine d'usines d'étoffes pour ameublement et environ autant pour les tapis. Enfin on compte une quarantaine d'établissements non-intégrés que l'on peut rattacher à l'industrie de l'ennoblissement (blanchiment, teinture et apprêts). Il est frappant d'observer déjà l'existence de quelques grandes firmes. Elles jouent un rôle moteur; les plus petites doivent se moderniser pour résister à leur concurrence ou devenir leurs façonnières (..). En peignage de laine, quatre entreprises (Isaac Holden, Amédée Prouvost, Peignage de la Tossée, Alfred Motte et Cie) ont plus de 1.000 salariés. Les Filatures François Masurel comptent 100.000 broches à filer et à retordre; la société Caul1iez-Delaoutre 75.000. Les filatures J. Desurmont et Charles Pollet ont chacune plus de 1.000 salariés. Les firmes sont plus petites en filature cardée: aucune n'atteint le millier d'ouvriers, seule la maison Lemaire et Dillies se rapproche de ce seuil, grâce à une autre usine dans les Ardennes. En tissage, certaines sociétés emploient beaucoup de salariés car elles sont intégrées et produisent leurs propres fils: Charles Tiberghien, Tiberghien Frères, Leclercq-Dupire, Auguste et Louis Lepoutre, sont dans ce cas et dépassent les 2.000 personnes. Ces entreprises ne se cantonnent pas (.) R. Pierreuse ment à Roubaix. signale encore 200 métiers Dans ces fabrications séries plus courtes i manuels pour les étoffes d'ameuble- les matériels le travail avec des moyens sont plus complexes, artisanaux siest les maintenu plus longtemps. (..) L'ouvrage rédigé de G. Sayet est la source essentielle à l'occasion d'une exposition Il présente une notice descriptive ticipantes. Il est peu probable se soient abstenues assez détaillée sur ce point: des différentes que des firmes importantes de participer il a été tenue, en 1911, à Roubaix. internationale à une manifestation firmes par- de Roubaix-Tourcoing de ce genre. - 192 - dans les tissus pure laine, mais font des articles laine et soie, et cherchent ainsi à concurrencer, plus ou moins, les fabricants lyonnais. L'ennoblissement est dominé par la société Hannart Frères qui occupe 2.400 salariés et possède deux usines, l'une à Roubaix, l'autre à Wasquehal; la Marque ne suffit plus à l'approvisionnement de ces établissements en eau et on a recours à des forages. Les entreprises Motte jouent également un rôle de premier plan dans cette branche: Motte et Delescluse, Motte et Meillassoux, Motte et Marquette emploient au total environ 2.000 ouvriers (.). La bonneterie commence à se développer de manière industrielle à Tourcoing et à Roubaix. Cette dernière ville compte neuf établissements appartenant à cette branche en 1900. Il convient de remarquer le rôle joué par les grandes firmes lainières en ce domaine: la société André Lepoutre contrôle trois bonneteries en 1913. L'entreprise Jules Desurmont élabore aussi, à Tourcoing, des étoffes tricotées en quantités considérables. Les entreprises de Roubaix-Tourcoing tout en investissant un peu dans la région de Fourmies s'intéressent surtout à l'étranger. Des implantations ont' eu lieu en Belgique, les principales sont: un peignage de laine Motte à Estaimpuis, une filature et un tissage de laine à Dottignies (Motte également). Un tissage de tapis Lorthiois à Mouscron. Ces créations de proximité sont finalement assez limitées et ne concernent que la Belgique francophone. Des réalisations beaucoup plus considérables ont été effectuées en (.) Bien qu'elles soient juridiquement de la famille Motte de Roubaix et constituer le groupe est de travailler surtout à cette dernière transformation, c'est-à-dire fie qu'il vaillent sa place en peignage situées l'ensemble alors employer des entreprises 6.000 salariés de cette agglomération, à l'étranger. L'originalité environ sans même de cet en- à la fois le coton et la laine bien qu'il se consacre fibre. En outre, est surtout essentiellement s'il est présent notable et en teinture. n'y a pas intégration à façon, distinctes, le plus puissant tenir compte des implantations semble doivent Cette technique. à tous les stades de au début et à la fin du cycle, situation Peignage un peu curieuse et unités qe teinture pour des firmes extérieures au groupe. signitra- - 193 - Europe centrale et orientale; cette aire géographique semblant être celle qui a reçu le plus d'investissements textiles originaires de Roubaix-Tourcoing (.). En 1913, dans la Pologne sous contrôle russe, on dénombre, à Lodz, un peignage-filature de laine (Motte et Desurmont) et une filature de laine peignée (Société Allart et Rousseau) ; à proximité de cette ville on rencontre un établissement Motte et Meillassoux de filature-tissage-teinture de coton; à Czestochowa, une usine intégrée de laine, peignage, filature, tissage et teinture (Motte et Meillassoux et Caulliez-Delaoutre). La famille Motte contrôle en outre une filature de laine à Lublinic, en Haute-Silésie; en Russie, les Motte ont une filature et un tissage de jute à Odessa et, dans la région de Moscou, un tissage de laine intégré (en association avec Desurmont et Meillassoux), une teinturerie et une filature de coton. A Aix-la-Chapelle, la société André et Louis Lepoutre d un tissage de 300 salariés. Les établissements Charles Tiberghien possèdent une filiale industrielle en Hongrie; la société Tiberghien Frères une grande usine intégrée de filature-tissage de laine à Vérone. Des implantations plus lointaines ont été effectuées: des Lepautre ont créé un établissement en Argentine et des usines appartenant également à l'industrie lainière ont été implantées aux U.S.A., dans le Rhode-Island, par des Masurel, des Tiberghien et des Lepautre, à la suite notamment des relèvements de droits de douane effectués par le président Mac Kinley en 1890. La motivation essentielle de ces investissements est le désir de vendre sur des marchés prct.éqés . Les firmes responsables témoignent de leur volonté de mieux résister aux variations conjoncturelles, en multipliant les lieux de vente. C'est un comportement logique qui prouve leur puissance: elles ne se contentent pas de subir passivement l'élévation des tarifs douaniers. Toutes (.) En plus des ouvrages de P. Catrice et de J. mentionnés ci-dessus, et F. Meillassoux. cf. sur ce point l'étude citée - 194 - ces implantations sont le fait du groupe Motte ou de familles ou d'entreprises lainières, ce qui confirme que ce sont bien ces milieux qui dominent le monde économique de Roubaix-Tourcoing. Il est remarquable que ces créations extérieures se font souvent grâce à l'association de plusieurs firmes de Roubaix-Tourcoing, ou tout au moins qu'elles se regroupent dans les mêmes centres étrangers. Dans ce domaine-là, également, les familles de la bourgeoisie textile de Roubaix-Tourcoing font preuve de leur solidarité habituelle. En 1914, Roubaix et Tourcoing forment incontestablement le centre textile le plus puissant du Nord, celui dont le rayonnement est le plus considérable. Tout ceci s'est produit en dehors de l'intervention lilloise. Ces villes constituaient deux foyers indépendants de Lille ; elles le sont restées et ont acquis dans le textile une importance ~ien plus grande que le chef-lieu du Nord. Leur essor industriel a provoqué une vive croissance démographique. plus vive que celle de Lille même: en 1801, la population de Roubaix et de Tourcoing réunies représente le tiers de celle du chef-lieu, en 1911, 94 %. Cette évolution a contribué à compliquer la structure du reseau urbain de l'arrondissement: Roubaix, métropole lainière de rayonnement mondial, est un simple chef-lieu de canton. Lors de fonctionner les métaux. La des structures de la Première Guerre Mondiale, les Allemands mettent hors d'état le matériel de production qu'ils démontent et dont ils récupèrent reconstitution de l'outil de travail se fait sans modification professionnelles. Entre les deux guerres, on n'observe pas de modifications profondes mais une continuation des tendances précédentes: réduction du nombre des producteurs en tissage habillement, 13 entreprises disparaissent au cours de cette période; en 1938, il subsiste 75 unités avec 25.000 métiers, c'est-à-dire un nombre de matériels comparable à celui de 1913 (cf. J. Toulemonde). Les autres branches du tissage ne connaissent pas d'évolution sensible du nombre des firmes. - 195 - En filature, le nombre de broches ne varie guère pour le coton mais s'accroît en laine peignée où il dépasse, en 1938, le million d'unités. Il est alors nettement supérieur à celui de la région de Fourmies où, de plus, le matériel est un peu moins moderne, mais le déclin relatif de celle-ci n'est pas un fait nouveau: c'est une évolution qui se poursuit depuis 1890 (cf. cidessous). La grande crise des années 1930 n'épargne pas Roubaix-Tourcoing: la production des filés de coton, en 1932, année la plus médiocre, représente 60 % de celle de 1929 ; en 1938, le tonnage produit représente plus de 80 % de celui d'avant la crise. Si l'on en juge par le poids des matières traitées dans les établissements de conditionnement (.), la production de laines peignées diminue de près de 50 % au cours de la crise et ne se rétablit pas par la suite; le peignage est moins affecté: la réduction est seulement d'un tiers car cette activité est peu répandue à l'étranger et des exportations se poursuivent vers les pays où les peignages ne suffisent pas à couvrir les besoins nationaux. La bonneterie connaît un essor incontestable: elle compte une cinquantaine d'unités à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Ce développerrent concerne surtout les articles chaussants, la chaussette d'hommes en particulier. Le mouvement frontalier s'est poursuivi et amplifié jusqu'à la Crise car le progrès des moyens de transport permettait de recruter des travailleurs résidant de plus en plus loin de Roubaix-Tourcoing. Leur effectif s'éleva à plusieurs dizaines de milliers en 1930 (..). Il diminue très sensiblement avec les difficultés économiques. Les dévaluations du franc français, à partir (.) Les données tistique chiffrées régional de ce paragraphe de l'I.N.S.E.E. sont empruntées à l'annuaire sta- de 1951 qui contient une partie rétrospective importante. (..) Cf. les thèses de F. Lentacker et de G. Vandenbroucke. - 196 - de 1936, accentuèrent ce déclin, car elles pénalisaient les ouvriers vivant en Belgique. Au cours de cette période, des groupes familiaux déjà puissants renforcent leurs positions. Les Lorthiois, par exemple, construisent deux usines de tapis, l'une à Tourcoing et l'autre à Halluin, tout en prenant le contrôle d'une filature de coton à Roubaix. Les familles Toulemonde et Mulliez créent les filatures de Saint-Lièvin à Wattrelos qui deviendront importantes, surtout après 1945. En liaison plus ou moins étroite avec la crise, deux vieilles filatures de laine peignée commencent à organiser de manière systématique la vente par correspondance de leurs articles, ce sont "les Trois Suisses" et "la Redoute". Ces entreprises sont encore de taille modeste, quelques centaines de salariés en 1938, mais les dirigeants qui les conduiront, par la suite, au succès sont déjà en place. Le rayonnement du centre de Roubaix-Tourcoing continue de s'étendre par l'implantation d'entreprises à l'étranger, particulièrement après 1930, lorsque tous les marchés d'exportation se hérissent de barrières douanières (.). La famille Leclercq-Dupire crée une grande unité, filature, tissage et teinture de la laine, à Ypres, en Belgique. L'entreprise Paul et Jean Tiberghien, issue d'une scission intervenue en 1921 au sein des Etablissements Charles Tiberghien, (.) Des prises de participation également françaises. viennent d'enquêtes directes menées sables économiques. Quelques firmes de Roubaix-Tourcoing extérieur, société n'ont pas été détectées. au début du siècle, force respectifs leurs dirigeants. dans d1autres ou d'anciens passent entre à accroître leur importance les uns et les autres Les créations du temps de simples de filiales opérations a pas spécialisation des unités de vue, on n'assiste pas à une véritable évoluent prépondérants mais les rapports suivant de produits restructuration de les talents de ou les prises de participation financières, et échanges respon- sous contrôle sont reprises par la puissante la M.F.T.C .. Ces cas sont rares. Les groupes tendent régions Les faits cités ici pro- auprès d'entreprises deux usines de tapis, par exemple, de Beauvais, la plupart Toutes se produisent textiles c'est-à-dire sont qu'il n'y entre elles. De ce point industrielle. - 197 implante, après 1930, des unités de tissage d'habillement en Belgique, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. La société Motte-Dewavrin,branche de la famille Motte demeurée à Tourcoing, intalle à Roschdale, en Angleterre, une filature et un peignage. L'un des faits les plus marquants, au cours de cette période, est l'ascension du groupe Prouvost. Après 1918, le peignage Holden disparaît; celui de la famille Prouvost acquiert alors la première place en France. Plusieurs jeunes dirigeants, représentant la troisième génération d'industriels, avaient fondé, en 1912, une filature de laine (.). Cette unité prend son essor à partir de 1926, avec le lancement d'un fil à tricoter vendu sous sa propre marque, le "Pingouin", et distribué en partie par des détaillants qui lui étaient liés par des contrats d'exclusivité. En 1938, la société assure 8,1 % de la production française de laine peignée et occupe la première place dans cette spécialité. Pendant ces mêmes décennies, le groupe avait pris le contrôle d'une filature de laine en Tchécoslovaquie et créé un peignage aux U.S.A., dans le Rhode Island, à proximité des autres usines montées par les gens de Roubaix-Tourcoing, mais la sienne sera la seule à survivre à la crise de 1929. En 1939, le groupe Prouvost est l'un des plus dynamiques, et il est fortement intégré sur le plan industriel. La Seconde Guerre Mondiale ne provoque pas de destructions (.) Les trois instigateurs aspiraient accéd:r de cette création lité. Il Y avait là poursuite de la tradition digne de ce nom doit prouver aussi une évolution fournit sa valeur de la famille (..) Les filiales postes de responsabile fils de famille sa propre l'intégration affaire. C'était du groupe. Le peignage usine mais une partie des capitaux fut empruntée (cf. notre étude de ce groupe citée en bibliographie). situées dans les pays d'Europe tionalisées après 1945, comme l'avaient De nouveaux investissements principalement alors moins de 30 ans et selon laquelle en développant logique qui complétait des cadres à la nouvelle à l'extérieur avaient à de véritables ainsi plus rapidement notables (..) Orientale sont évidemment na- été celles situées en Russie après 1918. sont effectués sur le continent américain à l'étranger entre 1945 et 1954, (Colombie, Brésil et U.S.A.) et en AfriQue du Sud. Ils sont surtout le fait du groupe Prouvost (cf. châpitre précédent la liste des implantations étrangères des entreprises de Roubaix-Tourcoing). - 198 - La période de l'après-guerre est marquée par une vigoureuse demande intérieure qui permet le maintien en activité de presque toutes les firmes existantes. Il faudra attendre les années 1950 pour que s'amorce une remise en cause profonde qui sera évoquée dans les chapîtres ultérieurs. L'industrie textile a trouvé à Roubaix-Tourcoing un milieu particulièrement propice à son épanouissement. Ce qui frappe le géographe, c'est l'accumulation, sur le territoire même de ces communes, de la quasi-totalité des usines de ce complexe: la répartition spatiale est exactement à l'opposée de celle de la région lyonnaise. Cela est dû aux conditions particulières de l'environnement géographique: la frontière belge empêchait une dissémination aisée des usines au Nord, à l'Ouest et à l'Est. Au Sud, l'agglomération lilloise interdisait également toute implantation. Des établissements de production auraient pu être créés ailleurs, en Flandre Intérieure, par exemple; mais il aurait fallu s'installer à 30 ou 40 kilomètres, au delà de la zone d'influence de la Vallée de la Lys, dans des régions souvent mal desservies en voies de communication avec Roubaix-Tourcoing. Il était beaucoup plus commode de rester sur place et de profiter du réservoir de main-d'oeuvre belge (,). Si le textile est devenu l'activité essentielle d'une agglomération de plus de 300.000 habitants, en 1954, c'est aussi en raison du faible développement des autres branches de l'économie: Lille groupe toutes les fonctions administratives et militaires ainsi que l'enseignement supérieur. Le rayonne- (.) L'attraction tion de la frontière : en dépit de l'imbrication tate une plus grande les plus proches concentrent importance de la Belgique: beaucoup d'unités Prouvost ... ) construite frontalier. après à l'intérieur se marque, des espaces urbanisés des établissements industriels le Nord de Roubaix importantes même de l'aggloméra- et des usines, on consdans les parties et Wattrelos, par exemple, (Peignage Motte, Prouvost, 1880, c'est-à-dire lorsque débute Filatures le mouvement - 199 - ment commercial de Roubaix-Tourcoing est également très limité. Lille exerce son attraction sur la population de cette agglomération et fait écran entre cette dernière et le reste de la France. De l'autre côté de la frontière, Ypres, Courtrai, Tournai constituent des centres anciens bien équipés et leur aire d'influence est beaucoup plus considérable que ne le laisserait supposer le chiffre de leur population (.). Dans le domaine industriel, les investissements extérieurs à la région étaient naturellement plus attirés par Lille que par Roubaix-Tourcoing. Or, les entrepreneurs de ces deux villes se tournaient presque tous vers le textile, car les succès initiaux rencontrés dans ce domaine incitaient les autres à faire de même. Le textile est, on l'a vu, peu susceptible d'attirer d'autres activités. De plus, le patronat local ne souhaitait pas tellement voir se développer des branches qui auraient offert des salaires plus élevés. La crainte d'une raréfaction de la main-d'oeuvre était constamment présente dans les milieux dirigeants. C'est un ensemble complexe de facteurs qui explique le rôle écrasant du textile dans cette agglomération. Leur caractère en bonne partie accidentel ne fut pas souvent perçu ; la concentration géographique frappait par son aspect exceptionnel, beaucoup en ont conclu, plus ou moins confusèment, que cela découlait de qualités particulières, mal définies mais inimitables, propres à cette agglomération. Celle-ci, en quelque sorte, aurait été prédestinée à se consacrer au textile. Ce mythe devenait à son tour un facteur psychologique favorisant le maintien sur place du textile. (.) De plus, pendant les Frontaliers commerce de Roubaix des salaires très longtemps, effectuaient et de Tourcoing distribués pour des raisons de change en particulier, tous leurs achats en Belgique, ne bénéficiaient par l'industrie si bien que le même pas de la totalité de ces deux villes. - 200 - Au dix-huitième siècle, Lille est un centre textile au passé glorieux, dont les activités sont variées et la plupart du temps en déclin. La célébrité de la ville avait reposé sur la production d'étoffes de laine. Celle-ci diminue d'abord devant la concurrence de foyers plus dynamiques comme Roubaix (..). Par la suite, le développement du coton entraîne la quasi-disparition de la laine, avant méme le début véritable de la Révolution Industrielle. Dieudonné estime que, en 1789, 120 métiers à tisser seulement utilisaient cette fibre en 1801, il n'en dénombrait plus que 35 ; subsistaient, en outre, quelques fabricants de couvertures (9 en 1801). Le coton apparaît dans le courant du dix-huitième siècle. Sa filature se faisait d'abord dans les campagnes à l'aide de rouets. Vers 1770-1780, la "jenny", matériel peu coûteux se substitue à lui et reste diffusêedans les villages. Dieudonné signale que, en 1801, "A présent presque tout se file à la mécanique" . En filature, le travail en atelier se manifeste timidement à cette époque. Le Préfet du Nord considère qu'une seule véritable manufacture existe en 1801, celle de Lefebvre-Bourghelle, à Seclin: elle compte 90 ouvriers, occupe un ancien bâtiment religieux et n'utilise pas la vapeur. C'est par conséquent un établissement encore bien modeste. Un cinquième des fils de coton est vendu en dehors du département, le reste sert à produire des étoffes mixtes (chaine lin, trame coton), par exemple des toiles à carreaux. Dieudonné estime que, au début de l'Empire, 100 métiers se consacrent à cette activité, soit la moitié de ceux qu'il dénombre dans l'arrondissement. (.) Les sources et P. Pierrard essentielles i lorsqu'il sont les thèses de Cl. Fohlen, J. est fait référence teurs sont simplement cités. (..) P. Maurer montre dans son diplôme, la décennie 1750-1760, de Lille est inférieure la production à ces ouvrages, précédemment de pièces à celle de Roubaix. Lambert-Dansette les noms des au- évoqué, que, à partir de de tissus en laine de la place - 201 - Lille dispose de trois des quatre manufactures d'impression de toiles de coton en fonctionnement dans le département du Nord, en 1801. Le coton n'est pas, à cette époque, la branche principale du textile lillois mais c'est cette ville qui, à l'intérieur de son arrondissement, est la première à s'y lancer; elle forme un centre complet et autonome. Pendant tout l'Empire, le développement de cette activité est lent, en partie à cause de la concurrence belge dont Dieudonné soulignait déjà la vigueur, dans sa description du département. La fibre qui, au début du dix-neuvième siècle, occupe le plus de travailleurs est le lin: il est filé dans les campagnes. Lille en tisse pour produire des étoffes assez grossières, du genre notamment toile à matelas. La ville compte 320 métiers de ce type, en 1801. La spécialité véritable du chef-lieu du Nord est la filterie : les filés sont assemblés dans de petits ateliers de retordage artisanaux ayant, à l'époque de Dieudonné, cinq ouvriers en moyenne et produisant cinq kilos de fils par jour. C'est une activité ancienne à Lille. Les fils conditionnés sont en grande partie vendus et utilisés sur place car cette ville est devenue, dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, un grand centre de dentelles à la main, surclassant en particulier Valenciennes, où s'élaborent des produits plus fins. Plus de 10.000 dentellières vivent à Lille, en 1801. Le textile lillois, dans son ensemble, reste caractérisé, jusqu'en 1815 au moins, par des structures de production très artisanales; il n'est pas orienté essentiellement vers la mode comme Roubaix, ou vers la très haute qualité comme le Cambrésis. Toutes ces branches, à l'exception du coton, sont, ainsi que le montre les évaluations de Dieudonné, plus ou moins en déclin ou stagnantes. Le travail textile traditionnel n'a pas entraîné la formation d'une classe de négociants ou de fabricants puissants: les réglements malthusiens des corporations, les rivalités qui éclataient entre elles ont empêché le dé- - 202 ve10ppement d'entreprises de grande ampleur (.). Le lin est acquis sur place; le coton est encore acheté en petites quantités et ne donne pas lieu à beaucoup d'opérations de négoce à Lille même. C'est une situation différente de celle de la laine qui avait provoqué à Roubaix-Tourcoing, on l'a vu, l'existence d'un véritable commerce international. Les produits finis lillois, en raison de leur médiocre qualité ne se diffusent pas très loin. En 1815, il n'y a pas à Lille de firmes possédant la puissance financière d'un Do11fus-Mieg à Mulhouse (cf. Cl. Foh1en) ni non plus de groupe homogène et solidaire de négociants-transformateurs, comme à Roubaix-Tourcoing. L'industrialisation du textile se manifeste d'abord par le développement de la filature de coton. De très nombreuses entreprises se sont créées et ont disparu par la suite. Celles qui ont subsisté ont généralement pris naissance très tôt, entre 1815 et 1848, et connu une croissance progressive. Elles n'atteignent une puissance véritable qu'à partir du Second Empire, alors qu'en Alsace le processus avait été plus précoce. L'usage de la machine à vapeur est relativement tardif: en 1818, Auguste Mille est le premier à en introduire une à Lille. En 1832, (cf. LambertDansette) sur 50 établissements de filature de coton 1i110ls, la moitié seulement disposait d'installations de ce genre. L'usine moyenne n'a que 3.600 broches mais certaines dépassent les 10.000. Les différentes crises économiques qui ponctuent les décennies suivantes entraînent la disparition de la plupart des entreprises créées dans le premier tiers du siècle. La concentration technique progresse inexorablement :le nombre.moyen de broches par filature double entre 1832 et 1849, puis entre cette année et 1869. Il est alors de 16.000 environ, et atteindra 30.000 en 1900 (..). A cette date, (.) En 1776, un Lillois, Cuvelier-Brame, avait été autorisé ture royale de tissus de soie. Ce privilège autorisée par les réglements dix-neuvième siècle, mais que industrielle la taille La famille resta dans le textile au ne connut pas de développement de la concentration ces chiffres, bien supérieure l'entreprise à créer une manufac- de dépasser à l'épo- et disparut. (..) La progression apparaître corporatifs. permettait car la capacité à ce qu'elle est encore plus forte que ne le font de production était en 1832. d'une broche en 1900 est - 203 - subsistent 20 filatures de coton dans l'agglomération lilloise; une dizaine d'entre elles, généralement les plus grandes, existaient déjà en 1833. Elles dominaient ce foyer depuis 1870 et seront encore présentes en 1954. Les études précises faites dans cette branches montrent clairement que si le textile a permis des réussites éclatantes, le métier d'entrepreneur y fut néanmoins très aléatoire, jusque vers 1870. La famille Le Blan (.) se lance dans l'industrie vers 1816-1817. Originaire de Solre-le-Château, dans l'Avesnois, elle se livrait au négoce des toiles à la fin du dix-huitième siècle. La fortune de Julien, lorsqu'il monte sa première usine, est certainement modeste, car il doit s'associer successivement avec plusieurs bailleurs de fonds, dont l'un est directeur de la monnaie à Lille. Il se contente au début de travailler à façon. En 1832, il ne produit que 50 tonnes de filés par an et essaie de faire un peu de négoce de tissus. Les années bénéficiaires succèdent à des périodes de difficultés graves. En 1836, lassé de ne pas connaître une véritable réussite dans le coton, Julien Le Blan tente une opération de grande ampleur dans le lin: il investit sa fortune et emprunte pour édifier une usine de 6.000 broches accompagnée d'un tissage de 100 métiers, exemple rare d'intégration à cette époque. L'établissement est construit à quelques kilomètres de Lille, à Pérenchies. Par sa conception et son mode de financement, cette unité est en avance sur les autres firmes existant à cette époque. La crise qui culmine, en 1848, provoque la faillite de l'entreprise Le Blan, rachetée par Droulers et Agache (cf. ci-dessous). Après cette épreuve, Julien doit attendre 1855 pour monter, à Lille, une nouvelle filature de lin beaucoup plus modeste puisqu'elle ne comporte que 1.300 broches. La conjoncture plus favorable permet des bénéfices plus réguliers qui sont utilisés pour édifier une filature de coton de 20.000 broches dans les dernières années du Second (.) Ces diverses monographies lectées dans la thèse de J. directes proviennent essentiellement Lambert-Dansette, auprès des firmes et des familles des indications qui a procédé intéressées. à des enquêtes col- - 204 - Empire. La famille dès lors accède à la puissance financière. En 1888, une scission familiale se produit. F. Codacionni signale, dans sa thèse, que, en 1911, l'établissement Le Blan est l'une des deux seules usines textiles installées à Lille même, ayant plus de mille salariés. La famille Wallaert est fixée à Lille depuis 1750 et appartient à la petite bourgeoisie. Le père de celui qui se lance dans la filature du coton est négociant en épicerie, son frère orfèvre. Plusieurs membres de ce groupe familial vont faire successivement leur entrée dans l'industrie en s'appuyant les uns les autres. En 1815, J.B. Wallaert-Desmons crée un établissement qui connaît une croissance régulière: 10.000 broches en 1832, ce qui en fait l'un des plus importants de la place de Lille; 15.000 en 1850, 22.000 en 1860. Entre temps, ava it été fondée une autre fi lature de coton ("Wa 11aert Frères et Soeurs" devenue ensuite "Wa11aert Frères et Desmedt") qui se développe plus lentement: 2.800 broches en 1832, 11.000 en 1850. En 1863, après avoir affirmé sa position dans la filature, le groupe monte un tissage à Lille. En 1869, les diverses sociétés fusionnent sous la raison sociale "Wa11aert Frères". La nouvelle fi rme possède alors 50.000 broches de fi la ture. Quelques années plus tard, commence la production de fil à coudre sous une marque propre à l'entreprise (fil "au louis d'or"). La croissance se poursuit sous la Troisième République. En 1911, Wallaert Frères dispose de trois filatures, avec 105.000 broches (soit environ 5 % du potentiel de la région lilloise), et de deux retorderies avec 70.000 broches (environ 10 % du potentiel lillois). La société réalise en outre le blanchiment et la teinture. Son département tissage comprend 500 métiers répartis pour moitié à Lille et à Halluin, où elle est présente depuis 1895. dans dans Lille tions La famille Thiriez se lance, plus tardivement que les deux précédentes, l'industrie textile. Originaire de Lorraine, elle s'est fixée au Quesnoy, le Nord, vers 1750. François-Joseph, un maître-tailleur, s'installe à vers la fin du dix-huitième siècle. Son fils exerce notamment les foncde courtier en coton; son petit-fils, Julien-Romuald, crée sa propre - 205 - entreprise en 1833. Il s'associe avec un fonctionnaire, encore en activité, car il dispose de très peu de capitaux; il apporte surtout sa compétence technique acquise en travaillant comme salarié dans une filature. La nouvelle usine est modeste avec, au début, 2.300 broches et elle commence par uti1'ser un manège à chevaux comme force motrice. L'entreprise se spécialise dans les filés fins. pour tulle notamment. En 1845, elle s'agrandit car J.R. Thiriez monte une usine plus vaste dans la banlieue de Lille, à Esquermes (commune absorbée par Lille en 1858). Il s'associe, à égalité, avec la famille d'un constructeur de matériel. Les apports Thiriez se montent à 49.000 F. au lieu de 2.000 en 1833 : exemple frappant de l'accumulation à cette époque, du capital au sein d'une entreprise bien gérée. En 1853, Alfred, fils ainé de J.R. Thiriez, avait fondé sa propre affaire, à l'âge de vingt ans. Les deux sociétés fusionnent, en 1857, et disposent de 17.000 broches, ce qui n'est pas encore très considérable; c'est à partir du moment où l'affaire n'est plus dirigée que par les membres d'une seule famille qu'elle connaît le succès véritable. En 1860, la firme perd une partie de ses clients car la concurrence des filés fins britanniques est devenue plus vive à la suite du traité de libre-échange signé cette année-là. La société se tourne alors vers la production de fils à coudre en coton. Ce type d'articles n'est pas encore très répandu car, traditionnellement les fi1tiers utilisent le lin. Toute la famille unit ses efforts pour améliorer les procédés de finition du fil et lui donner une plus belle apparence. La réussite technique sera couronnée par le succès commercial car, au cours de cette décennie, le début de la diffusion de la machine à coudre favorise le fil de coton plus souple et moins cassant que son rival. Il s'ensuit une période de grand essor au cours de laquelle la famille s'intègre aux couches supérieures de la bourgeoisie lilloise. En 1889, la firme à 90.000 broches de filature et 50.000 de retordage. Toutes les opérations sont intégrées, y compris la confection des bobines en bois sur lesquelles est présenté le fil. 1.535 travailleurs sont employés par l'entreprise qui a lancé tout un programme de logements et d'oeuvres sociales. Les trois exemples qui viennent d'être décrits sont significatifs de - 206 l'évolution du coton dans la région lilloise la plupart des firmes ont été fondées par des entrepreneurs peu fortunés qui ont accumulé progressivement leurs capitaux par autofinancement, au prix de beaucoup d'obstination et d'habileté. Les firmes lilloises accèdent à la puissance véritable quelques décennies après celles de l'Alsace (.). Rares sont les entreprises notables nées après 1850. On peut citer la société Crépy créée, en 1860, par une famille aux moyens importants, car elle s'adonnait depuis longtemps à l'industrie des huiles et des graisses qui s'était beaucoup développée dans la région lilloise, au cours du dix-neuvième siècle. La filature de coton n'a reçu de l'ancienne activité textile ni ses capitaux, ni ses dirigeants. Le retard initial des entreprises lilloises, par rapport à celles de l'Est, explique que, en 1914, le chef-lieu du Nord ne dispose que du quart du matériel de production de la France d'alors, c'est-à-dire en excluant l'Alsace sous occupation allemande. Au début du vingtième siècle, des capitaux anglais montent une filature à Hellemmes; d'emblée" une installation de 180.000 broches est mise en service. Avant 1914, la firme lilloise Delebart-Mallet, l'une des quatre premières de la place, fondée en 1830, passe sous contrôle britannique. Ceci montre clairement les limites du rayonnement lillois. Le travail du lin est la seconde activité textile lilloise a être affectée par l'industrialisation. Dès 1829, on dénombre une douzaine de filatures mécaniques, ce chiffre est d'autant plus remarquable que le matériel utilisé n'est pas encore au point. En 1832, 1.500 ouvriers sont employés dans cette branche. Les résultats économiques sont médiocres car l'on obtient seulement des filés très grossiers. Cette situation révèle deux faits significatifs 1) la faiblesse technologique (.) Un Schlumberger, ches. Cl. Fohlen accédé par exemple, a bien montré à la puissance. Dollfus-Mieg bonnage) pcssède, comment, Cf. en particulier à main) . 4.200 personnes de métiers régionaux, en 1835, une filature de 37.500 bro- dès 1850, le patriciat les indications : en 1839, elle est complètement et emploie tisserands des constructeurs (y compris intégrée toutefois mulhousien concernant a la firme (possédant même un charun "certain nombre de - 207 - incapables de mettre au point un matériel comparable à celui dont disposent les Britanniques. II) Le vif désir des entrepreneurs lillois de mécaniser cette opé- ration. Parmi ces firmes pionnières se trouve l'entreprise Agache et Drou1ers. En 1829, Donat Agache, fils d'une famille d'agriculteurs d'Hem, qui cultivait le lin, et 1ui-mème négociant en lins bruts, s'associe avec Florentin Drou1ers. Ce dernier est originaire de Wattrelos où son père était distillateur. Depuis 1820, il s'efforçait de filer du lin sur des métiers en bois rudimentaires fabriqués par le constructeur David Van de Weghe venu s'installer à Lille, après avoir quitté sa Belgique natale. Comme toutes ses concurrentes, la firme Agache utilise à cette époque l'énergie animale. L'industriel Scrive-Labbé va permettre le démarrage véritable de cette industrie. Il avait pris la succession de son père, négociant lillois fondateur d'une fabrique de cardes en 1795. Ne parvenant pas 1ui-méme à mettre au point des métiers à filer le lin, il se rend en Angleterre, se fait embaucher comme ouvrier chez un constructeur britannique et rapporte clandestinement, en 1834, des dessins et des pièces dont l'exportation était toujours interdite (.). Rapidement des firmes françaises copient ces métiers, en faisant appel, au besoin, à des ouvriers spécialisés d'outre-Manche. Ceci est intéressant, car la nécessité de recourir à la fraude élevait beaucoup le prix de revient du matériel importé. Très rapidement les entreprises achètent ces machines. Des contructeurs de métiers comme Scrive-Labbé et Van de Weghe deviennent eux-mémes industriels textiles, situation peu fréquente dans la région du Nord. En 1840, plus de 100.000 broches sont en activité. Cet engouement se comprend, car les très nombreux tisserands manuels qui existaient dans beaucoup de régions de France, et notamment dans le Nord, offraient un débouché considérable. Des difficultés subsistaient pourtant en raison de la concurrence des filés (.) Il s'agissait France, de matériels construits vingt ans plus tôt, par Philippe suivant les principes de Girard. établis en - 208 - britanniques; celle-ci fut rendue inoffensive par le relèvement des tarifs douaniers français, en 1842. L. Merchier, dans son étude citée, a dressé la liste des filatures de lin qui, en France, avaient plus de 5.000 broches, en 1840. Le seuil choisi est élevé si l'on songe que, en raison de sa plus grande complexité, le coût d'installation d'une broche à filer le lin et quatre à cinq fois plus élevé que s'il s'agissait de travailler le coton (.). Sur 13 établissements de ce type, six se trouvent dans le Nord-Pas-de-Calais, dont quatre à Lille ou dans ses environs. Scrive-Labbé a une unité de 10.000 broches. Agache et Drou1ers une de 6.000, de même que Le Blan à Pérenchies. La dernière a été fondée par un membre de la famille Wa11aert. Cette fois, contrairement à ce qui s'est passé pour le coton, le Nord devient immédiatement le centre principal de la nouvelle activité. C'est un avantage considérable, car les autres grandes usines sont géographiquement assez dispersées (Amiens, Rouen, Bolbec, Cho1et ... ). La présence d'un grand foyer attire les constructeurs de matériel et les techniciens britanniques. Les deux autres grandes filatures du Nord-Pas-de-Calais se trouvent à Frèvent et à Boulogne-sur-Mer. La Vallée de la Lys ne se lance que timidement dans cette nouvelle production; l'avantage initial 1i11ois"est, par conséquent, considérable. Il convient également de remarquer que ces grands industriels n'appartiennent pas à des familles de maître-fi1tiers ou de gens qui travai11a~nt le lin sous l'Ancien Régime. Des descendants de fi1tiers, comme les Descamps, ont monté des petites unités, dès 1802, à Linselles dans le cas de la famille citée; mais la fi1terie proprement dite (retordage, apprêt et conditionnement des fils) reste très artisanale. Les firmes qui s'y livrent ont des ressources limitées, il ne leur est guère facile de monter rapidement des usines modernes. (.) Estimations L. Merchier provenant et Aftalion. des calculs établis, dans leurs ouvrages cités, par - 209 - La position de la région sur le plan national s'améliore régulièrement, au cours des décennies suivantes: en 1857, le Nord concentre les deux tiers du potentiel de production national au lieu de 40 % dix ans plus tôt. L'arrondissement de Lille, c'est-à-dire essentiellement le chef-lieu, dispose à lui seul de 60 % des broches françaises. Ce dernier pourcentage décro't au cours des années suivantes, car la Guerre de Sécession ouvre une ère de facilité pour la filature du lin qui prend momentanément sa revanche sur le coton partout des établissements installés à la hâte, surgissent dans les régions aptes à la culture du lin. En 1867, la région du Nord-Pas de Calais, prise dans son ensemble, a conservé son importance relative, mais celle de l'arrondissement de Lille a diminué en raison de l'expansion très rapide de centres comme Dunkerque (cf.C1. Foh1en) beaucoup de ces firmes disparaissent dans les années qui suivent le retour à un ravitaillement normal en coton. Cette fibre continue par la suite à conquérir, peu à peu, les marchés traditionnels du lin comme, par exemple, celui de la fi1terie (.). Cette situation provoque une contraction de l'appareil de production qui se fait aux dépens des firmes les plus récentes et les plus petites. En outre, la région lilloise est bien placée pour se ravitailler en lins d'importation. En 1899, le Nord-Pas de Calais possède 90 % des broches françaises (95 % en 1914). Les neuf dixièmes du potentiel régional se localisent dans l'arrondissement de Lille. Les cantons lillois, à eux seuls, en ont 40 % et, en incluant des communes comme Pérenchies et Seclin qui dépendent de ce centre textile. on atteint 70 %. (.) Des industriels maître-filtiers vingtième (cf. Lambert-Dansette), du dix-huitième siècle, comme les Descamps sont pas eux qui lancent représente le fil de coton le penser. industriels en droite ligne de dans cette branche Très attachés ; si bien que la filterie de l'activité Le renouveau récents d'origine descendant subsistent et les Crespel. pas, en fait, une conversion comme on pourrait groupes siècle, de coton ne linière traditionnelle, a été l'oeuvre cotonnière. jusqu'au au lin, ce ne essentiellement de - 210 - Au cours de cette période, la firme Agache a conquis la premlere place en France. En 1848, elle avait repris la grande usine Le Blan de Pérenchies et l'avait développée. En 1860, elle emploie 1.200 salariés. Les deux familles, Drou1ers et Agache, se séparent au cours de l'année 1872. Agache obtient, par tirage au sort l'usine de Pérenchies ; celle de Lille restant a l'autre famille. La société Agache rachète des établissements concurrents et remporte des succès économiques dans le travail des étoupes de lin qui donnent des fils grossiers, mais bon marché, trés demandés par le tissage armentièrois, pour les toiles a usage militaire. En 1914, la société a 55.000 broches (10 % du total français) 320 métiers a tisser et 3.500 salariés. C'est la firme la plus puissante de la région lilloise (.). Le tissage du lin n'est pas trés important a Lille; cette ville, en 1900, compte trois a quatre fois moins de métiers qu'Armentières. Les métiers réservés uniquement au coton sont en plus petit nombre encore dans le chef-lieu du Nord. Les tissages ont été implantés par des filateurs désireux de réaliser une intégration verticale. Les exemples de négociants-transformateurs de toiles montant des tissages mécaniques ont été beaucoup plus rares qu'a Armentières. On peut citer la famille Huet qui crée un tissage a La Madeleine, en 1904, mais elle en avait d'abord implanté un à Halluin, en 1879. Une autre unité importante est développée a Lille en 1890, par les Frémaux ; c'est un cas intéressant car il s'agit d'une entreprise de négoce de toiles armentièroise qui a d'ailleurs déja créé des unités dans sa ville d'origine. Elle installe à Lille d'abord ses services (.) La famille est probablement Edouard avait épousé ce'qui tantes. Agache lui avait permis Il siégeait charbonnages la plus puissante la fille du grand de cumuler la direction en outre dans des conseils (cf.J. Lambert-Dansette de toute la région du Nord industriel et chimiste Kuhlmann, de ces deux entreprises d'administration et M. Gillet). impor- de sociétés de - 211 - commerciaux et, peu à peu, l'appareil de production (.). Le tissage ne trouVE pas son terrain d'élection dans l'agglomération lilloise; le tulle qui s'étaH un moment développé, disparaît après 1860, devant la concurrence britannique et celle de Calais (..). La fabrication des tissus exige une main-d'oeuvre essentiellement masculine dont le recrutement devient relativement plus difficile par suite de l'essor d'industries comme l'impt'imerie ou la métallurgie, avec les ateliers de construction mécanique de Fives, par exemple. La disparition complète de la dentelle à main, vers 1850, supprime un grand nombre d'emplois féminins, ce qui crée une situation favorable pour la filature qui emploie plus de femmes que d'hommes (...). Il serait possible de faire venir en ville les tisserands à main des régions rurales voisines, cela se produit parfois, mais il est aussi tentant de les regrouper en ateliers implantés dans leurs communes de résidence les terrains y sont moins ch=rs qu'à Lille et il arrive que l'on puisse réutiliser des locaux où avaient été rassemblés des métiers manuels. La Vallée de la Lys offre à cet égard bien des avantages et bénéficie de nombreux investissements lillois (....). (.) Pour tout ce développement cf. J. Lambert-Dansette. (..) Le tissage à main disparaît les condltlons l'humidité, qui ont inspiré à cette époque. Ce sont aussi définitivement de vie de ces artisans, travaillant la pathétique dans des caves pour rechercher et célèbre description du médecin Villermé. (...) Une autre forme de conversion la confection (cf. sur ce point son essor, après textiles malson 1860, et se concentre interviennent organisent existe pour les dentelllères la thèse de R. Blanchard). lentement peu dans cette branche. eux-mêmes la confection à Roubaix-Tourcolng, avait été différente peu et ces villes disposaient nécessitant faire les d'habillement une surveillance échantillons constante etc ... à Lille, Les industrlels de linge de d'une partie de leurs articles. (.... ) La situation des étoffes en ateliers. Seuls les fabricants gie s'y développait On fabriquait ou leurs fliles: Cette activité prend de beaucoup et d'ameublement, de l'industriel on fait faire car la métallurd'espaces articles pour vérifier des tissus libres. très variés, les dessins de grande serie. - 212 - En définitive, Lille a dû pour l'essentiel son essor textile, moins à sa tradition dans ce domaine, qu'au fait d'avoir été une grande ville dès le début du dix-neuvième siècle. Centre important aux activités multiples, la ville disposait d'entrepreneurs aux origines professionnelles et géographiques beaucoup plus variées qu'à Roubaix-Tourcoing. Noeud de communications assez bien équipée, elle attire les techniciens et constructeurs de matériel britanniques, comme le montre éloquemment la liste dressée par P. Pierrard pour les années 1860, Lille a également bénéficié, jusqu'en 1870, d'un apport considérable de belges: F. Codacionni signale, dans sa thèse, que, en 1872, sur une population de 158.000 habitants, on compte 29,4 % d'étrangers originaires de ce pays (.). En 1914, le centre textile lillois a acquis ses caractéristiques de 1954. Une bourgeoisie s'est constituée qui contracte des alliances matrimoniales de plus en plus nombreuses avec son homologue de Roubaix-Tourcoing; un milieu patronal homogène se forme, bien que les activités des deux centres restent très différentes. La première Guerre Mondiale entraîne de nombreuses destructions de matériel en raison de l'occupation allemande et parfois des combats: par exemple, il ne reste plus rien de la grande usine Agache, à Pérenchies. Au cours des hostilités, certains fabricants ont monté des installations de production provisoires dans le reste de la France. La société Thiriez en a conservé une usine à Doullens, dans le département de la Somme et la firme Le Blan un établissement à Mantes. Des firmes en ont profité pour s'intéresser à l'industrie cotonnière normande. Le mouvement se poursuivra lors de la crise économique des années 1930 (.. J. guerre La filature de lin avait perdu 88 % de son matériel au cours de la toutes les broches ne sont pas remplacées après la fin des hostilités, (.) Cet auteur L'importance dustrie, signale également de cette colonie la présence, est à mettre (..) Il est assez difficile quête directe est difficile, 1965. Les donnees ports avec leur rôle dans l'in- mis en valeur par P. Pierrard. de se renseigner riode est trop proche pour avoir susciter et en 1886, de 1.086 Britanniques. en rapport d'activité citees de cette beaucoup à propos société, exactement beaucoup sur cet aspect: d'études historiques. de ces firmes ayant disparu d'Agache sont aimablement mis tire,es entre directement à la disposition la péL'en1954 des rapde l'auteur. - 213 - car c'est déjà une activité en difficultés. La crise des années 1930 amène une quasi-disparition des exportations de nombreuses firmes cessent de produire. Dans son étude citée, J. Malézieux dénombre dix fermetures, dans l'agglomération lilloise, entre 1930 et 1935. La société Agache, par contre, améliore encore sa position au cours de cette période: l'usine de Pérenchies est reconstruite et agrandie; une filature de coton est rachetée à La Madeleine, une de lin à Seclin. Elle prend le contrôle d'un tissage à Armentières, d'une blanchisserie au Pont de Nieppe. En 1928, la firme occupe plus de 4.000 salariés. En 1931, elle possède 73.000 broches à filer le lin, soit 15 % du total français. Elle est également devenue une importante entreprise de filature de coton. En 1934, elle commence à faire de la ficelle agricole en sisal, à Seclin. L'industrie du coton aussi est touchée par la crise ( .) : en 1935, la moitié des broches de filature sont arrêtées. En 1938, la production n'atteint pas encore le niveau de 1913 ; ces difficultés permettent aux firmes importantes de renforcer leur prééminence, sans que les structures de production en soient pour autant bouleversées. C'est ainsi que la société Thiriez absorbe la firme parisienne Cartier-Bresson dont les moyens de production sont concentrés dans l'usine lilloise. Au cours de la décennie qui précède l~ Seconde Guerre Mondiale, les usines de l'agglomération lilloise, les filatures en particulier, commencent à organiser le ramassage, par Cir, de la main-d'oeuvre féminine de la région des mines. L'industrie textile, ivec ses périodes de chômage et son ambiance de travail pénible, attire de moins en moins la popul~tion résidente. Ce phénomène ( .) cf. Baracca, Bonnot, Dozier, Vermeulen, étude citée. - 214 TABLEAU N° 19 EVOLUTION DU NOMBRE DE BROCHES A FILER LE LIN EN FRANCE ET DANS LA REGION NORD -PAS DE CALAIS Sources P. Billaux, L. Merchier, Annuaire statistique régional (édition 1951) Année France entière Nord-Pas de Calais 1847 282.000 118.000 1857 452.000 304.000 1867 625.000 415.000 1899 485.000 444.000 1914 577 .000 552.000 1927 490.000 471.000 1950 439.000 415.000 (N.B. Il s'agit du nombre de broches en activité.) Arrondissement Lill e 272.000 399.000 de - 215 - TABLEAU W 20 EVOLUTION DE LA SURFACE PLANTEE EN LIN EN FRANCE ET DANS LE NORD-PAS DE CALAIS Unité : hectare Sources : P. Billaux, L. Merchier, Annuaire statistique régional (édition 1951) Pas-de-Calais Année France entière Nord IB42 98.600 10.226 7.521 1862 105.455 9.640 17.380 1877 71.163 1899 17.594 1902 21. 996 1929 28.200 6.700 3.100 1938 38.400 4.600 2.100 1948 30.800 3.500 2.600 9.648 1.038 1.361 7.538 - 216 - affecte assez peu des établissements tels que ceux d'Agache à Pérenchies ou de Thiriez à Loos, qui logent une grande partie de leur personnel et disposent de salariés travaillant pour eux depuis parfois plus d'une génération. Les oeuvres sociales mises en place, dès le dix-neuvième siècle, et la puissance des firmes contribuent également à créer un climat de sécurité qui leur donne une bonne image de marque et facilite le recrutement de leur main-d'oeuvre. La Seconde Guerre Mondiale n'entra1ne pas de grandes destructions elle est suivie par la prise de contrôle de la • Cotonnière de Fives' par le groupe Boussac, première entreprise textile française à cette époque. L'industrie textile lilloise n'a pas acquis le méme rayonnement que celle de Roubaix-Tourcoing, mais l'économie de la ville ne repose pas essentiellement sur elle. En dépit de leur proximité géographique, ces deux grands foyers ont conservé leur autonomie. Par la nature de leu~ activités textiles, leur différenciation s'est même accentuée au cours de la Révolution industrielle. Dans toute cette région, le textile est très répandu à la veille de la Révolution industrielle. Il constitue probablement la ressource principale de la majeure partie de la population. Cette activité est surtout orientée vers le travail du lin. La plupart des paysans le cultive et valorise leurs récoltes par le tissage de toiles ordinaires. Le textile est présent dans toutes les communes et les structures de production sont très artisanales: beaucoup de tisserands ne se livrent à cette occupation que pendant la morte-saison. Presque tous sont des travailleurs indépendants. Ils vont eux-mêmes vendre leurs toiles dans des foires qui se tiennent à intervalles réguliers; ce mode de commercialisation est tout à fait analogue à celui des produits agricoles. L'émiettement géographique et technique de la production est d'autant plus poussé qu'il n'y a jamais eu de corps de métiers ou de jurandes. Au dix-huitième siècle, en fait, sinon en droit, la fabrication est libre dans toute la Vallée de la Lys. - 217 - La vente des toiles au consommateur se fait par l'intermédiaire de négociants qui effectuent eux-mêmes, ou par l'entremise de faconniers, le blanchiment. Au début du dix-neuvième siècle, rares sont les entrepreneurs qui ont un atelier de tissage et ce dernier est toujours de dimension modeste: J.Lambert· Dansette en dénombre six, en 1806, à Armentières; ils emploient en moyenne 14 salariés. Même sur le plan commercial, cette activité n'est pas concentrée géographiquement: au moins sept ou huit localités sont le théâtre de foires animées, y compris des petits centres comme La Gorgue ou Estaires. Aucune ville ne dépasse les 8.000 habitants. Armentières seule avoisine ce chiffre. Ces divers foyers ne sont pas hiérarchisés entre eux. La finition, elle aussi, est répartie entre de nombreuses communes: le blanchiment se réalise par exposition des toiles que l'on humidifie souvent. Les étendues planes qui bordent les rives de la Lys se prêtent bien à cette opération. Ces blanchisseries entourées de prairies s'égrènent régulièrement le long du fleuve dans un cadre tout à fait rural. Dieudonné en dénombre 13 à Estaires, 10 à La Gorgue, 15 à Steenwerck, 7 à Armentières etc Le blanchiment est une spécialité de la vallée de la Lys à l'échelle régionale, mais Armentières ne le contrôle pas. Le secteur de Comines-Wervicq s'individualise déjà par la présence de quelques productions spécifiques: la filterie à Wervicq et surtout la rubanerie à Comines (.). Cette activité était représentée dès le dix-huitième siècle où un atelier avait été monté par un marchand d'Ypres coupé d'une partie de sa clientèle par la fixation de la frontière entre la France et les Pays-Bas Autrichiens. Le travail se fait à domicile, la finition en atelier. On utilise uniquement du lin ( et non pas la soie comme à Saint-Etienne) et élabore plutôt des cordons que des rubans proprement dits. En 1801, Dieudonné dénombre 100 (.) cf. E. Flament, article cité. - 218 métiers à Comines, plus des trois quarts de tous ceux du département. En 1805, les 25 fabricants cominois emploient 100 ouvriers seulement, et le plus important d'entre eux, 15. Là encore il ne s'agit que d'un artisanat. La mentalité est assez conservatrice sur le plan technique: il faut attendre 1815 pour que le coton commence à être utilisé. La Vallée de la Lys ne dispose pas d'un centre urbain et attractif comme la région lilloise; ses négociants sont moins puissants financièrement que ceux de Roubaix-Tourcoing et n'ont pas leur habitude du commerce à longue distance sur des marchés difficiles comme ceux de la mode. Les artisans de cette région n'ont pas la grande habilité technique de ceux du Cambrésis. Par conséquent la Vallée de la Lys n'offre pas, à priori, des conditions très favorables à l'industrialisation du textile. Sa situation n'est pas tellement différente de celle de la Flandre Intérieure qui connaîtra plus d'échecs que de succès. En raison de ce contexte, la modernisation du textile dans la Vallée de la Lys se caractérise par deux faits fondamentaux 1) La mécanisation ment de Lille. se produit plus tardivement que dans le reste de l'arrondisse- II) Les activités qui se développent vraiment sont celles qui nécessitent le moins de capitaux. Comme toujours, c'est par la filature de coton que commence l'industrialisation. De petits établissements apparaissent sous le Premier Empire, à Armentières notamment. La ville (cf.J. Lambert-Dansette) compte 53 ouvriers dans cette branche, en 1812, et 440, en 1824. Le rôle essentiel revient alors à la famille Dansette, dont les membres étaient à l'origine des propriétaires terriens d'Halluin. Ils entrent dans le textile en se livrant au négoce des toiles et s'intéressent à la filature pour se procurer les filés nécessaires aux tisserands à domicile qu'ils faisaient travailler. Ceci est la règle générale dans la Vallée de la Lys: la filature n'est pas développée pour elle-même mais uniquement par souci d'intégration; l'activité principale des entreprises reste le tissage ou parfois l'ennoblissement des toiles. Les conséquences de cette situation sont graves: la filature ne reçoit pas systématiquement tous les investissements puisqu'elle a une place subordonnée, - 219 En 1847, la plus grande usine n'a que 6.000 broches, ce qui est peu par rapport à Roubaix ou à Lille. Lorsque, à partir de 1850, le tissage de cette reglon s'oriente de nouveau vers le lin, la filature du coton décline dans la Vallée de la Lys, qui prend un retard considérable dans cette branche. Cette activité ne connaîtra une seconde phase d'expansion que vers la fin du dix-neuvième siècle, à un moment où le marché est déjà en grande partie occupé par des firmes puissantes. La Vallée de la Lys est dès lors condamnée à jouer un rôle de second plan: 100.000 broches de filature de coton seulement existent, en 1900, dans la région armentièroise. La filature mécanique du lin débute très timidement dans la Vallée de la Lys. Après quelques tentatives avortées au début du siècle, le premier établissement armentièrois est créé en 1840 ; mais, dans cette ville, il reste le seul pendant une dizaine d'années. Cette activité ne prend son essor qu'à partir de 1860, dans l'euphorie provoquée par la Guerre de Sécession. Des firmes lilloises puissantes existent déjà et, dès les années 1880, la concurrence du coton entraîne une contraction de l'appareil de production (cf. A. Aftalion). Les entreprises de la Vallée de la Lys ne bénéficient que d'une période assez courte pour assurer leur développement. La filterie également ne se modernise que très tardivement. La firme cominoise la plus importante, Cousin Frères, a été créée, en 1848, par une famille locale; la première machine à vapeur n'est installée qu'en 1860 ; la société reste très longtemps fidèle au lin. Cette évolution explique que la Vallée de la Lys, en 1899 (cf. L. Merchier) ne dispose que du quart des broches à filer le lin du Nord-Pas de Calais; le principal foyer est Armentières, suivi de Halluin et des communes environnantes. L'activité essentielle de la Vallée de la Lys reste le tissage, celuici connaît une indiscutable expansion pendant la première moitié du dix-neuvième siècle: les progrès de la filature mécanique fournissent une matière première abondante dont la distribution est assurée par les marchands-transformateurs, ce qui renforce la position de ces derniers vis-à-vis des artisans. Certains négociants créent de petits ateliers où sont rassemblés des métiers manuels. - 220 - Le tissage se développe sans se mécaniser car le métier mécanique n'est pas tellement plus rapide et coûte plus cher (.). Le prix de façon des artisans sont bas car ils sont nombreux. Lorsque, vers 1850, l'essor industriel de Lille, Roubaix, Tourcoing crée un appel de main-d'oeuvre qui pourrait les raréfier, l'arrivée massive des Belges permet de compenser cette influence. Dans ce domaine ci encore, la mécanisation sera tardive. Une autre caractéristique importante est à signaler: le retour vers le tissage du lin à partir des années 1840, alors que depuis l'Empire le coton tendait à prendre la première place. La raison économique en est simple: la mise au point de la filature mécanique du lin abaisse le prix de revient de fils qui avaient conservé tout leur prestige pour l'élaboration des toiles destinées au linge de maison, spécialité traditionnelle de la Vallée de la Lys (..). Ce renouveau a eu beaucoup de conséquences car il cantonnait les firmes sur un marché dont les débouchés allaient se restreindre après 1880 les obligeant à opérer une conversion vers les tissus métis. Le tissage manuel connaît son apogée à Armentières vers 1860 (...). Le premier établissement mécanisé n'apparaît qu'en 1848, dix ans après Lille. En 1870, subsistent encore plusieurs milliers de métiers à mai~, tandis que 3.000 métiers mécaniques fonctionnent. C'est au cours de la décennie 1860-1870 que s'édifient beaucoup de fortunes patronales, car la " famine de coton" a permis d'amortir rapidement le matériel et d'accumuler les capitaux. Le négoce de toile avait suscité des entreprises puissantes faisant travailler parfois des centaines de tisserands. La plupart pourtant ne réussissent pas à passer au stade industriel. Un recensement précis, effectué par J. Lambert-Dansette, montre que le quart seulement des négociants-transformateurs (.) En 1860, (.. ) Le ( ... ) J. région auteur la firme Lambert-Dansette, travaIl à utiliser la J. des des fils métiers de pour tout Coisne ce et lin, mécaniques moins 21.000 développement Lambert. rapport la que rapidité en 1860 1 personnes et le souples dont estime que, Lambert-Dansette d'Armentières estime et notamment de ceux à dix. un dp coton, accroissaIt le tissage manuel le mécanique l'étude gOQ. précise n'incitait le rIsque pas de casse. emploie dans cf.la thèse des orIgines de cet de - 221 - de toiles réussit cette conversion. L'exemple de la firme Coisne et Lambert permet de bien saisir le mécanisme de l'ascension des firmes modernes. En 1853, Henri Coisne, fils d'une famille de propriétaires terriens de Lomme, reprend une entreprise de tissage manuel à Armentières. L'actif total de celle-ci, marchandises et matériel compris se monte à 60.000 francs en 1854. En 1856, la firme s'agrandit d'une blanchisserie. En 1862, Léopold Lambert, jeune belge dynamique, est associé à l'affaire. Il apportait peu de capitaux (50.000 F) mais avait prouvé sa compétence en travaillant comme salarié dans l'entreprise qui comprenait alors 150 métiers à main. De 1862 à 1866, la moyenne des bénéfices d'exploitation se monte à 40.000 francs par an ; cette somme permet de financer, en 1865, la construction d'un tissage mécanique qui emploie 200 ouvriers. Le contrat d'association avait prévu que les associés ne pouvaient toucher que 3.000 francs par an plus un intérêt de 5 % du montant de leurs apports; le reste du bénéfice d'exploitation étant obligatoirement laissé à la disposition de l'entreprise. Il serait hasardeux de prétendre qu'Armentières devait nécessairement devenir le principal foyer textile de la Vallée de la Lys, surtout si l'on se souvient que beaucoup des entrepreneurs qui ont su tirer partie de la période favorable, n'étaient pas originaires de cette ville; il y avait même quelques britanniques. Cet essor industriel se traduit de façon très nette dans l'évolution démographique : en 1850, la ville a environ 8.000 habitants, chiffre comparable à celui du début du dix-neuvième siècle; on atteint 11.900 en 1861 et 19.000 en 1872. Par la suite la croissance se poursuit à un rythme moins rapide: 29.000 en 1900, puis c'est la stagnation due au développement du mouvement frontalier et aux problèmes que connaît l'industrie linière. Dès 1890, 20 % des filés utilisés par le tissage sont en coton et une firme comme Coisne et Lambert a 150 métiers réservés uniquement à cette fibre. Un regain d'activité se manifeste après 1900 grâce aux commandes militaires - 222 - qui deviennent un des principaux débouchés de l'industrie linière. Cela présente l'avantage d'apporter des ordres importants, mais la branche se trouve cantonnée dans un marché trés spécifique et aléatoire à long terme. La plupart des autres communes de la vallée de la Lys, situées en aval d'Armentières, connaissent une période d'industrialisation du tissage du lin encore plus tardive: à Halluin, Lemaitre- Demeestère, fondée en 1837, se mécanise seulement en 1870. A Roncq, les établissements Delahousse réalisent cette opération en 1891. Il s'agit de firmes créées par des entrepreneurs locaux. Mais toutes ces communes offraient un terrain favorable aux grandes entreprises de Lille, Roubaix et Tourcoing. Ces localités sont d'autant plus attractives qu'elles sont jumelées avec des cités belges qui se transforment en communes-dortoir et accroissent beaucoup les disponibilités en main-d'oeuvre (.). Ceci entraîne dans beaucoup de cas la perte de l'autonomie d'une bonne partie des établissements. Le travail de la laine est introduit à Halluin, Linselles et Roncq par des gens de Roubaix-Tourcoing. Une exception notable à ce processus de subordination s'observe, toutefois, dans la rubanerie (..), à Comines et à Wervicq. Cette activité évolue assez peu jusqu'en 1850. Certes, une concentration s'est opérée: 8 fabricants au lieu de 25, mais la technique de production reste artisanale; le travail se fait à domicile dans de petites maisons édifiées par les patrons pour accueillir la main-d'oeuvre, notamment les Belges. En 1852, la première activité de Comines reste la filterie avec 655 salariés tandis que le tissage de rubans ne procure du travail qu'à 545 personnes. L'industrialisation s'effectue sous le Second Empire: la première machine à vapeur est installée vers 1850. Des perfectionnements réalisés en partie à Comines même par Henri Gallant accroissent très sensiblement la productivité des métiers mécaniques. Le travail se concentre en ateliers et l'entreprise (.) L'immigration belge avait déjà beaucoup le plus spectaculaire sont belges; est celui d'Halluin: en 1872, la proportion (cf. D. Vermander, (..) cf. E. Flament D.E.S. et J. gonflé leur population, de ces derniers cité). Lambert-Dansette. l'exemple en 1900, sur 16.600 habitants, atteignait 9.000 les trois quarts - 223 - Lauwicq, reprise ensuite par la famille de l 'habile technicien H. Gallant, devient la première en France dans cette spècialité, avec 400 salariés, en 1875. La mécanisation a été tardive, mais Comines est parmi les premiers centres à l'adopter; pour une fois la Vallée de la Lys n'est pas en retard et s'est résolument tournée vers l'utilisation du coton. Cette réussite provoque l'extension de la branche et, en 1914, 11 établissements sont en activité dans les deux communes employant 860 rubaniers, sans compter le personnel auxiliaire et les établissements de teinture. Les entreprises sont de taille moyenne mais conservent leur indépendance, car les grandes firmes textiles de l'arrondissement de Lille n'osent pas s'aventurer dans ce secteur très spécialisé. A la veille de la Première Guerre Mondiale, les industries textiles de la Vallée de la Lys présentent déjà la répartition spatiale qui sera encore la leur dans les années 1950. La guerre fut particulièrement destructrice dans ce secteur, car, aux déprédations commises par l'occupant, s'ajoutèrent des dégâts causés par les opérations militaires proprement dites. Entre les deux Guerres Mondiales, on n'observe pas de transformation radicale mais une poursuite de l'accroissement du rôle des firmes principales et l'accentuation de l'emprise de Lille, Roubaix et Tourcoing sur toute la partie aval de la Vallée de la Lys. Dans la région armentièroise des filatures de lin ferment, dont cinq entre 1930 et 1935, et le glissement vers le coton s'accentue. Une firme comme Coisne et Lambert se consacre désormais uniquement à cette fibre. Elle crée une filature à Bailleul et ouvre un nouvel établissement à La Chapelle d'Armentières (filature, retorderie, tissage) (.). Entre les deux Guerres des encouragements sont prodigués par les autorités françaises pour favoriser le développement d'une industrie nationale du (.) Entre Sénégal 1945 et 1954, la firme installe et en Afrique de première entreprise du Sud, confirmant des unités cotonnières au Maroc, au ainsi de façon indiscutable textile d'Armentières sa place et de toute la Vallée de la Lys. - 224 - teillage du lin; ceci entraîne l'arrivée d'un certain nombre de producteurs belges. La Vallée de la Lys proche de la Belgique et des filatures de lin est évidemment bien placée pour accueillir ces implantations,(sans oublier que l'on y cultive toujours cette fibre). Il faut noter, toutefois (Cf. P. Billaux), qu'en 1939 50 à 65 % des lins français étaient encore teillés à Courtrai. Le caractère généralement tardif de l'industrialisation textile dans la Vallée de la Lys et sa spécialisation dans le tissage, activité la moins concentrée sur le plan géographique et technique, n'ont pas permis la constitution d'un centre de grande importance et aucune ville n'a eu le temps de polariser à son profit tout cet ensemble. On a assisté à une différenciation croissante des divers secteurs de la Vallée de la Lys, au cours de l'industrialisation: la partie amont, de Merville à Armentières, a connu la stagnation ou même parfois le déclin (.), la disparition du tissage manuel n'ayant été compensée que par quelques implantations réalisées par des entreprises armentièroises. La " Cité de la toile" a acquis une importance et un rayonnement qu'elle n'avait pas avant la Révolution Industrielle. Sensible déjà dans cette ville, le rôle de la frontière a été considérable en aval car c'est elle, en grande partie, qui rendait ces communes attractives pour les investisseurs de Roubaix-Tourcoing ou de Lille. Les créations qui ne pouvaient se faire en Flandre belge se localisaient là, entraînant une ségrégation entre la rive française où se concentraient les usines et la rive belge où s'installaient les travailleurs. Halluin, proche de Roubaix-Tourcoing en a reçu des activités nouvelles. (.) Entre 1801 et 1954, la population fort peu et parfois décllne de la plupart comme à Estaires. de ces communes Cf. N. Despringhère, augmente D.E.S. cité. - 225 - Cbmines et Wervicq ont accentué leur originalité, d'autant que la frontière, sans l'empêcher complétement, a freiné considérablement la diffusion de la rubanerie dans les communes belges voisines. Cette partie du Nord-Pas de Calais est l'une de celles où la tradition textile fut la plus brillante et où le travail textile était encore le plus répandu au début du dix-neuvième siècle. Le renom du Cambrésis était fondé sur la production de toiles de lin trés fines, appelées" batiste ", du nom de leur inventeur supposé. Au dix-septième et dix-huitième siècles ces articles étaient appréciés dans toute l'Europe Occidentale et en Grande-Bretagne notamment( ..). On utilisait le lin d'origine locale. Initialement réalisé dans les villes, le tissage s'était, au cours du dix-huitième siècle, trés largement diffusé dans les campagnes. A la veille de la Révolution, les métiers sont presque tous installés dans les zones rurales de l'arrondissement de Cambrai. Dieudonné évalue, en 1801, leur nombre à 13.286, soit environ 90 % de tous ceux du département du Nord. Cambrai et ses environs immédiats possèdent moins de 5 % du total des métiers de leur arrondissement, qui se sont surtout diffusés au sud et à l'est du chef-lieu. Toutes les communes en ont, aucune ne domine les autres les plus importantes en abritent plusieurs centaines. Les deux principaux ensembles sont le canton de Clary (27 % de l'arron, dissement) et celui de Marcoing au sud (25 %). Ces communes rurales ne constituem pas des centres autonomes car la finition et le négoce se concentrent dans trois villes périphériques: Valenciennes, Saint-Quentin et Cambrai. Cette dernière, en dépit de sa proximité des zones de production, ne joue pas le rôle principal : (.) Les sources neuvième essentielles siècle; ( .. ) En Anglais, encore de nos jours, tes et les toiles langage courant Cambrésis. sont Dieudonné L. Bajart et surtout pour la situation au début du dix- R. Bricout pour l'évolution le t.erme de Il Cambric II ultérieure. désigne les batis- très fines de lin. Le fait que ce nom soit devenu un terme du indique à la fois le prestige et la diffusion des articles du - 226 - Valenciennes, en 1789, a quatre fois plus d'établissements de blanchîment que Cambrai. Saint-Quentin, dont l'arrondissement produit moitié moins de pièces que celui de Cambrai, a un négoce beaucoup plus important (.). Le Cambrésis se présente, à cette époque, comme une région d'artisanat textile diffus et spécialisé ; il est assez mal polarisé par les villes voisines. Le Cambrésis connaît des difficultés croissantes à partir de la seconde moitié du dix-huitième siècle. La concurrence des étoffes fines de coton, mousselines et tulles, en est la raison fondamentale. Au début, ces articles bénéficient d'un engouement dû à la mode. Sur le marché des produits de luxe, la nouveauté attire toujours beaucoup. Mais bientôt ce sont des causes économiques profondes qui favorisent l'essor du coton: cette fibre se file mécaniquement, ce qui n'est pas encore le cas du lin et le tissage mécanique du tulle est mis au point en Grande-Bretagne, dans la première décennie du dix-neuvième siècle. La concurrence britannique devient irrésistible, mème si le gouvernement français prohibe l'introduction de ces articles en France. Dès 1801, Dieudonné constate que le nombre des métiers à tisser les toiles de lin a diminué, dans le Cambrésis. de près de 30 % par rapport à 1789 ; cette réduction a affecté à peu près également les divers foyers de production. Cette reglon dispose d'une main-d'oeuvre habile et abondante (la densité de l'arrondissement de Cambrai atteint 147 habitants au kilomètre carré en 1821) dont l'activité principale est condamnée à un dépérissement irrémédiable. Une conversion économique s'impose. L'impulsion peut difficilement venir des communes rurales où se rencontrent presque uniquement des artisans peu entraînés au calcul économique et appauvris par les difficultés du moment. (.) Au début du dix-hultième L. Crommelin, contribua tisseurs siècle, par exemple, beaucoup à développer du Cambrésis (Cf. P. un négociant à la suite de la révocation qui avait émigré le travail Billaux). de Salnt-Quentint de l'Edit de Nantes, du lin en Ulster. Il fut aidé par des - 227 - On pourrait imaginer que les villes voisines soient les instigatrices du renouveau, car elles disposent d'un certain nombre de négociants. Ce ne sera pas le cas. Cambrai, qui ne tenait déjà plus qu'un rôle limité à la fin du dixhuitième siècle, stagne et devient un foyer textile de plus en plus secondaire. Valenciennes perd d'abord, au début du dix-neuvième siècle, son activité de fabrication de la dentelle au profit de Lille, elle est ensuite rapidement accaparée par le développement des activités minièr,~s et métallurgiques.Saint-Quentin connaît un certain essor de la filature du coton dans les premières décennies du dix-neuvième siècle, mais celui-ci est bientôt freiné par la concurrence des régions de Mulhouse et de Lille. Saint-Quentin aura, au début, un rôle non-négligeable comme place de négoce et contribuera à diffuser la broderie à la fin du dix-neuvième siècle, mais son influence sera en définitive assez limitée (.). Le renouvellement des activités textiles se fait très lentement, à la suite d'initiative isolées venues souvent de l'extérieur. De notre point de vue, il est surtout intéressant d'essayer de comprendre pourquoi la production des tulles et dentelles devient prépondérante et comment Caudry va progressivement dominer cet ensemble. Au début du dix-neuvième siècle, en effet, cette localité ne se distingue guère des autres: en 1804, elle a moins de 2.000 habitants (1.926), alors que Le Cateau atteint 4.000. A 100 ou 200 unités près, en plus ou en moins, Villers-Outréaux, Clary, Busigny, Quiévy, ont une importance comparable et des spécialisations textiles identiques. Les jeux sont donc loin d'être faits d'avance. Vers 1820, les premiers éléments de renouveau se manifestent, apparaît la filature de la laine mais l'époque n'est pas encore propice pansion de cette activité. Comme à Roubaix-Tourcoing, son développement après 1850. Cette évolution se fait parallèlement à celle de la région (.) Cf. la thèse d'A. Demangeon. mécaniques L'auteur de coton en 1810 et leur déclin mentionne après l'existence 1840. Au Cateau à l'exse place voisine de sept filatures - 228 - de Fourmies. Toutefois Le Cateau constitue toujours un centre distinct de celui de l'Avesnois et beaucoup plus orienté vers le tissage. Vers 1823-1825, des Britanniques introduisent dans la région des métiers mécaniques à tulle qui ne sont pas encore mus par la vapeur. Comme les Anglais interdisent l'exportation de ces matériels et que les Français prohibent les importations de tulle, tous les échanges se font clandestinement, ce qui ne facilite pas le travail des historiens. Dès 1815-1816, des métiers arrivent en France, non seulement à Calais, mais aussi à Lille, Saint-Quentin, Douai, Caen, Rouen même. Les motifs de ces implantations n'étaient peut-être pas toujours industriels : elles pouvaient servir de • couverture· à des importations frauduleuses de tulles anglais que l'on se contentait de finir en France pour maquiller leur provenance. Le Cambrésis n'est pas la première région à recevoir ces matériels, mais il était normal que, tôt ou tard, les mécaniciens anglais viennent dans ce secteur dont ils connaissaient la réputation d'habilité de la maind'oeuvre. Le premier métier fut installé non à Caudry mais à Beauvois par un Belge, Carpriau, assisté de mécaniciens britanniques (.).Cambrai en reçoit quelques uns, en 1835 seulement. L'arrivée de ce matériel suscite l'intérêt des tisserands les plus dynamiques mais il n'y a pas d'engouement général: il faut apprendre une nouvelle technique et cet équipement est plus coûteux que les métiers traditionnels. Par ailleurs, si l'artisan connaît des difficultés, lui-même ou des membres de sa famille ont souvent des activités autres, le travail des champs notamment. Habitué aux fluctuations conjoncturelles, il espère toujours qu'une brusque flambée de la demande lui fournira l'occasion de retrouver des gains substantiels ( .. ) La production du tulle se diffuse progressivement (.) La proximité pouvait des centres faciliter connaît peu de choses blance, l'attention (..) Pour la description du dix-neuvième éventuel sur Carpriau s'il ne s'agissait ne pas attirer de blanchiment le maquillage 10 ans plus tard, de Saint-Quentin et de Valenciennes, des tulles venus d'Angleterre. et R. Bricout pas d'une prête-nom se demande, On non sans vraisem- utilisé par des Britanniques pour sur leurs activités. et la persistance de cette mentalité, jusqu'à siècle, cf. la thèse de C. Blaise, qui date de 1899. la fin - 229 - en 1833, l'annuaire statistique du département du Nord signale la présence d'une vingtaine d'ateliers dans cette région: quatre sont à Beauvois, trois à Cambrai, sept à Caudry. Cette dernière localité est la seule à posséder en plus une usine de construction de métiers à tulle. En dehors de Cambrai et du Cateau, c'est la seule commune ayant plus de 3.000 habitants (3.343). On constate que Caudry commence à prendre un léger avantage à l'intérieur de cet ensemble textile. Au total (cf. carte n° 8), 11 communes, contigües pour la plupart, font du tulle. Cette activité ne représente pas la seule forme de conversion et beaucoup de tisserands se sont mis à produire de nouveaux genres d'étoffes sur leurs métiers traditionnels. Schématiquement, et pour autant que les sources soient précises, on peut dire que le nord de la région (Avesnes-les-Aubert, Saint-Hilaire, Viesly) reste plutôt fidèle au lin; tandis que l'ouest (Le Cateau, Briastre, Haussy) se tourne vers la laine. Le sud (Maurois, Maretz, Villers-Outréaux) travaille le coton, peut-être sous l'influence du négoce de Saint-Quentin. Ces contrastes ne sont pas encore trés tranchés mais une différenciation s'amorce. Il est clair qu'il serait difficile de chercher des causes générales systématiques; le choix heureux de quelques individus entreprenants pouvant à lui seul, par effet d'incitation, modifier l'orientation de la production de ces communes qui restent petites. Il est certain que le tulle demeure une activité globalement très minoritaire dans l'ensemble du Cambrésis textile. L'évolution constatée se produit très lentement en raison des structures artisanales de la production. La première machine à vapeur apparaît à Caudry, en 1852, seulement, lorsque la ville a tout juste 3.500 habitants. Alors que Calais est déjà devenu un centre dentellier, toute cette région en est restée essentiellement au tulle uni et ne contrôle guère la commercialisation de ses articles. Cl. Fohlen a publié, dans sa thèse, un tableau très significatif de la répartition des métiers à tulle dans le département du Nord, en 1860: sur 478 unités dénombrées dans le Cambrésis, les deux tiers sont à Caudry, ce qui montre que cette ville joue maintenant le rôle principal dans sa région pour cette activité. L'autre centre important du département est Lille avec 284 méûe~ ~r ~I ~I ~I 0' 0:' w 0- <Il' w .... z ~! w ~ • ~ ~ œ o j- 1 ":1 ~o ~ jl :t ë! j '" o." L ., u 1, / 1 \ \ ,, r 1 " 1 1 / , \ ,1 \ \ \ \ '-... _fj ( ~1, 1 {", ... " ~ ~ ,; ex> U l - 230 - dans cette ville, un fabricant possède en moyenne 10 métiers contre 2,5 dans le Cambrésis. Même pour l'époque, Caudry et ses environs ont des structures de production très émiettées. Les années 1860 entraînent une période de crise générale dans le Cambrésis l'ouverture des frontières aux articles britanniques est catastrophique pour les producteurs de tulle uni français, car les anglais ont des fils de coton moins cher et surtout un matériel beaucoup plus moderne. En 1867, les deux tiers des métiers en service sept ans plus tôt ont disparu. Par ailleurs, au cours de ces années, le tissage se mécanise vraiment et commence à être effectué dans des usines équipées de machines à vapeur ; ceci crée une rude concurrence pour les nombreux tisserands à main qui constituent alors l'essentiel de la main-d'oeuvre textile de cette région, et nécessite une réorganisation des entreprises. Mais, pour les mêmes raisons que précédemment, cette évolution est assez lente: vers 1900, il reste encore plusieurs milliers de tisserands à la main dans l'ensemble du Cambrésis. La première solution apportée aux difficultés que connaissait le Cambrésis consista à se lancer dans la fabrication de la dentelle, qui procurait à Calais, au même moment, une grande prospérité. Cette implantation va faire de Caudry la principale ville du Cambrésis textile. Plusieurs raisons expliquent cette promotion: la ville occupe déjà la première place pour le tulle; elle attire les activités annexes (maisons de négoce, teintureries, dessinateurs etc .. La gamme de ses articles comporte des tulles fantaisie nécessitant une plus grande technicité: le passage à la dentelle en est rendu plus facile. Le démarrage véritable de cette phase de prospérité se place vers 1880. Il fut favorisé au début par l'installation de bureaux de négociants étrangers, Anglais souvent, qui, en raison de la demande générale de dentelle en Europe, cherchaient à s'assurer un approvisionnement sûr auprès des nouveaux producteurs. L'achat de matériel fut facilité par l'intervention de petites banques locales (Debail et Co, par exemple) qui servaient d'organismes prêteurs sans pour autant contrôler les entreprises car celles-ci remboursaient le plus rapidement possible ces crédits pour sauvegarder leur indépendance. Entre 1880 et 1885, 300 métiers Leavers neufs sont installés. - 231 - En 1914, ils sont 600 au total dans la région de Caudry, répartis entre 177 fabricants. Un grand nombre de petites firmes subsistent: la prospérité permettait aux petits artisans ou au habiles contrema'tres d'acheter un métier a crédit, et cela suffisait pour devenir un producteur indépendant; les principaux fabricants, en effet, disposaient d'usines plus vastes que ne l'aurait nécessité leur propre parc de matériel, ils louaient les places disponibles a ces artisans. La commercialisation pouvait se faire par l'intermédiaire des maisons de commission. Cette structure freine le développement des firmes importantes puisque les commissionnaires peuvent s'appuyer sur les artisans, a l'équilibre financier fragile, pour concurrencer les fabricants susceptibles de vendre eux-mémes leurs articles. L'essor de cette région, à la fin du dix-neuvième siècle, est favorisé par un renouveau du tulle uni. La demande porte sur les articles destinés aux moustiquaires; elle s'explique aussi par l'apparition de la broderie mécanique pour laquelle le tulle sert de support. Grâce à cela, on dénombre 550 métiers modernes à tulle en 1913. La broderie à la main avait persisté dans la région de Saint-Quentin vers 1870 y apparaissent des machines importées de Suisse àù elles avaient été mises au point. Le progrès décisif se place, toutefois, plus tardivement: en 1893, les Suisses adaptent le système jacquard au métier et les ornements les plus complexes sont dès lors réalisables mécaniquement. Les premières machines de ce type sont installées a Caudry en 1906. En 1913, la région en possédait environ 35. Cette activité récente qui exige moins d'investissements que la dentelle est extrêmement morcelée: la moitié des producteurs sont des artisans disposant d'un seul métier; un tout petit nombre de firmes en ont plus de deux au total, on dénombre 630 métiers pour 248 firmes. Au cours de ces décennies, l'essor de Caudry est trés rapide. De 1860 1880, la population oscille aux alentours de 4.500 habitants. En 1901, elle a doublé et, en 1911, atteint 13.400, dépassant de plus de 3.000 unités celle du Cateau, alors que cette dernière commune était deux fois plus peuplée que Caudry en 1870. Cambrai reste, avec 28.000 habitants, la ville la plus importante de l'arrondissement, bien qu'elle n'ait pas profité du renouvellement textile. Toutefois, en valeur absolue, son accroissement entre 1872 et 1913, à - 232 - qui est de 6.000 unités, est inférieur à celui de Caudry qui s'est élevé 9.000 (.). à Caudry affirme son rôle de capitale car elle présente déjà la situation observée en 1954 : les activités et services annexes se groupent sur son territoire et elle concentre la majeure partie des métiers à dentelle. Son importance est moins grande dans la broderie qui a rayonné à partir de SaintQuentin et a attiré davantage les artisans du sud de la région, notamment ceux de Villers-Outréaux; cette commune est déjà le principal centre après Caudry. La prospérité de la dentelle n'incitait pas les caudrésiens à se consacrer en grand nombre à la broderie. Cambrai compte, au total, moins de vingt métiers à tulle ou à broder et ne joue qu'un rôle négligeable. L'essor de Caudry n'a pas provoqué, comme à Calais, la concentration des activités en une seule ville. Le renouveau du tulle, le succès de la dentelle ont favorisé leur diffusion spatiale, comme le montre la carte n° 8 en comparant l'extension géographique de ces activités en 1833 et à la fin du dixneuvième siècle; des artisans en difficultés ont trouvé dans ces productions un moyen de se convertir tout en restant dans leur commune d'origine. En 1913, ces fabrications connaissent leur plus large implantation géographique, atteignant même deux communes de l'arrondissement d'Avesnes (Poix du Nord et Bavai). La carte n° 8 montre que ces localités forment presque toutes un bloc compact autour de Caudry. Comme cette ville en est le centre d'animation principal, on peut parler d'une" région de Caudry" qui atteint alors sa plus grande ampleur. L'autre source de renouveau pour l'industrie (.) Cette population est de recrutement relève que, en 1906, 70 % des habitants de 40 kilomètres de la ville. ce sont surtout des Belges. patronymes seulement essentiellement sont portés local: venus de l'extérieur Les étrangers L'homogénéité textile du Cambrésis, représentent R. Bricout sont nés à moins moins de 1 % du total, de la population est telle que 15 alors par 43 % des habitants. - 233 - dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle a été le développement du travail de la laine, Le Cateau devint un centre complet pratiquant peignage, filature et tissage, Vers 1860, ces trois activités sont parfois réunies au sein d'une même entreprise comme celle de Paturle Lupin (,) qui possède notamment 400 métiers à tisser (tous ne sont pas encore rassemblés en atelier). A la veille de la Première Guerre Mondiale ( .) on peut estimer à environ 10.000 le nombre de métiers à tisser la laine en service dans cette région. La filature est peu importante; lorsqu'elle existe, c'est intégrée au tissage, si bien qu'il ya très peu de ventes. En 1910, pour toutes ces raisons, le bureau de conditionnement du Cateau traite un tonnage de fils de laine inférieur au dixième de celui de Fourmies Dans cette branche industrielle, on note la présence d'entreprises de taille importante: en 1910, la firme Th Michau et C", dont l'usine est à Beduvois, possède 2.000 métiers et procure du travail à 2 500 personnes, parfois dispersées dans de petits ateliers ruraux La société Seydoux et Co réalise toutes les phases du cycle de transformation de la laine et dispose d'unités de production au Cateau, à Bousies et à Maurois ainsi qu'à Sabadell, en Espagne. Elle a, au total 2.400 salariés (...). Les intérêts de Roubaix-Tourcoing ne sont pas absents dans cette activité, et la firme roubaisienne d'Halluin-Lepers possède, par exemple, un tissage de 350 métiers au Cateau. La ville principale du Cambrésis lainier est incontestablement cette dernière localité qui a environ 11.000 habitants, en 1911. Elle ne domine pourtant pas sa branche comme Caudry le fait dans la sienne: par exemple, les deux grandes sociétés mentionnées ci-dessus ont leurs services commerciaux et leurs sièges sociaux à Paris. (.) diaprés (.. ) Ces A. Falleur, sont (...) Ces entreprises de la plupart une mécanisation des citée. thèse renseignements tirés firmes beaucoup de de broches l'ouvrage Roubaix-Tourcoing. moins livre encore au tissage manuel, milliers de cité ont un nombre de salariés de filature. poussée: Ceci la de G. Sayet. considérable, société tout en disposant s'explique Seydoux, de plusieurs supérieur en par à celui partie par exemple, dizaines de se - 234 - Le travail du lin n'a pas disparu du nord du Cambrésis, notamment dans le secteur Haspres-Avesnes lez Aubert. A la veille de 1914, une fois encore, les grands traits de la répartition géographique observée en 1955, sont déjà en place. Des conversions successives et incomplètes ont diversifié la région. La plus belle réussite a été celle des dentelles, tulles et broderies, activités bien adaptées à la nature d'entreprises qui restent proches de l'artisanat. le caractère tardif de cet essor n'a guère donné le temps aux firmes de cette branche d'accéder à une taille importante, d'autant plus que leur ascension était freinée par l'émiettement des structures professionnelles et l'existence, même entre 1880 et 1914, de crises conjoncturelles brutales. La Guerre de 1914-1918 se traduit, comme dans tous les territoires occupés par la mise hors d'usage de tout le matériel textile. La reconstruction voit quelques producteurs de tulles, dentelles ou broderies, cesser leur activité dans des communes situées sur les marges du foyer principal : c'est le cas de Cambrai, Briastre, Bavai notamment (cf. carte n° 8) ; cette contraction est légère. La rénovation du matériel ne s'accompagne pas d'une modification notable des structures de production. En 1922, la Chambre de Commerce de Cambrai dénombre 273 fabricants de tulles et dentelles dont les trois quarts se trouvent à Caudry et 197 producteurs de broderies qui pour le tiers d'entre-eux sont implantés à Caudry (.). La crise de 1929 touche très durement une activité qui exportait, (.) Les relevés effectués par R. Bricout vrlers tullistes, ment: en 1909-1912, paient 55 % de ces ouvriers. diminue indiquent vers le maintien occupant qualifiés à l'accroissement (71 %). Ces résultats peuvent Ces données de la production. regrou- s'élève à 80 % et ne (mais celui-ci avant la Guerre). du morcellement de l'émiette- moins de 10 tullistes 1920, ce pourcentage du taux de syndicalisation élevé chez ces ouvriers le moins, Après 1931 dans les archives du syndicat des ou- une tendance les établissements que légèrement tés par une variation plutôt avoir été affecétait déjà confirment, pour - 235 - directement ou indirectement, la majeure partie de ses articles vers les grands pays industrialisés,U.S.A. et Allemagne notamment. Ces difficultés ne modifient pas profondèment les structures de la profession. Toutes les firmes sont atteinœ~ la plupart se contentent d'attendre des jours meilleurs. Patrons et ouvriers ont toujours connu des périodes de difficultés et font preuve, en définitive, de beaucoup de patience, d'autant que les premiers ont peu de frais fixes en raison de la petite taille de leurs firmes. Les seconds n'ont pas perdu tout contact avec la terre. On constate des cessations d'activité et des ventes de métiers (.) ; les faillites, par contre, restent exceptionnelles. La broderie, aux productions plus variées, est moins touchée; des métiers sont acquis par des artisans pour cette raison. La population de Caudry ne varie pratiquement pas entre 1911 et 1936 (..). Une fois de plus, cette région témoigne de son aptitude à supporter les crises. Les autres activités textiles du Cambrésis connaissent également des difficultés économiques. La reconstruction s'était traduite par la diminution de moitié du nombre des métiers à tisser la laine. Ceci n'entraînait pas nécessairement une baisse de la capacité de production car il s'agissait de métiers modernes, mais cela réduit toutefois sensiblement le nombre des emplois. La crise des années 1930 provoque la disparition des grandes maisons ou leur prise de contrôle par des firmes de Roubaix-Tourcoing. La plus grande partie du matériel reste inoccupée. Il est frappant de constater que, en 1937 encore, même s'ils sont souvent en chomâge, des tisseurs se servent encore de métiers manuels pour produire des toiles fines en lin (...). (.) Les achats de métiers le parc diminue (,.) Pendant à environ cette même période, bien que cette ville dispose non-textiles. dentelle de 300 unités Par contre, cessent la population d'activités Caudry complètement par obsolence, de Calais portuaires est purement en 1937. cette période ou vente. régresse et de quelques sensiblement industries textile. (...) L. Bajart estime que, pour tout le Cambrésis, encore en état de marche pendant destruction 1.200 métiers manuels sont - 236 - La Seconde Guerre Mondiale ne provoque que fort peu de destructions et ne remet pas en cause, par consèquent, les structures de production traditionnelles. Le Cambrèsis textile a connu la même èvo1ution d'ensemble que les autres foyers de la règion du Nord mais à un rythme beaucoup plus lent, de telle sorte que les structures de production sont restèes plus proches des formes anciennes. Cela se traduit èga1ement sur le plan gèographique : ses limites, au dèbut dèS annèes 1950, ne sont pas très différentes de celles qui existaient au temps du Prèfet Oieudonnè. Le seul fait nouveau a étè l'apparition d'un pôle d'animation, Caudry, au milieu de cet ensemble rural peu diffèrenciè antèrieurement. ~1ais là encore, 1 'èvo1ution n'a pas tê poussée jusqu'à son terme, puisque Caudry ne domine pas toutes les activitès textiles et que son rayonnement n'affecte pas toutes les communes de cet ensemble. è La req ion de Fourmies et d'Avesnes, à l'aube de la Rèvo1ution industrielle, ne joue pas un grand rôle dans la production des articles textiles. Cette situation n'est d'ailleurs pas nouvelle et si l'on remonte le cours de 1 'histoire on constate que c'est la fabrique de draperie de Maubeuge qui fut le centre le plus notable de cette règion jusqu'au dix-huitième siècle. Au dèbut du dix-neuvième siècle, Fourmies n'est, à vrai dire, qu'un gros bourg n'atteignant pas 3.000 habitants, donc moins peup1è qu'Avesnes. Ce fut l'une des raisons du choix de cette dernière comme sous-prèfecture. La statistique de Oieudonnè montre des activitès varièes, peu importantes à 1 'èche11e du dèpartement et orientèe vers la confection d'objets de qua1itè mèdiocre. Le contexte est très différent de celui du Cambrésis voisin: en 1801, on travaille un peu la laine des Ardennes pour faire des ètoffes grossières (.) La source principale de ce fait, son auteur des années est la thèse de A. Falleur. a encore pu rencontrer 1890 dont on verra llimportance Elle a été écrite en 1930 ; et interroger ci-dessous. des témoins oculaires - 237 - tout le cycle de transformation est encore manuel ; le Préfet du Nord estime que cette production a diminué de moitié depuis la période pré-révolutionnaire. Le travail du lin est, au début du dix-neuvième siècle, la principale branche textile de l'arrondissement d'Avesnes, qui ne dispose pourtant que de 7 à 8 % des rouets et des métiers à tisser les gros fils de lin du département. On y produit très peu de fils fins. Les deux dernières retorderies élaborant ce type d'articles fermeront à Fourmies en 1833. En 1801, 240 métiers à tisser les toiles fines sont dénombrés, soit à peine 3 % du potentiel de l'arrondissement voisin de Cambrai. Dieudonné signale encore la présence d'un peu de bonneterie: quelques dizaines d'artisans, au total, à Fourmies et à Sains-du-Nord; mais leur nombre est en diminution car ils résistent mal à la concurrence belge. Le développement industriel ne pourra guère s'appuyer sur une tradition textile vêritable. En outre, la population n'est pas très abondante: la densité de l'arrondissement d'Avesnes est seulement, en 1801, de 72 habitants au kilomètre carré, chiffre assez faible pour la région du Nord. Rien ne prédispose vraiment l'Avesnois à se lancer dans le travail d'une fibre textile particulière. L'industrie prend naissance à Fourmies un peu plûs tardivement que dans l'arrondissement de Lille. En 1810, une filature de coton est montée par un habitant de la bourgade, Louis Joseph Legrand; les métiers sont mus par les eaux de l'Helpe. L'énergie du relief est suffisante, en effet, dans ce secteur pour permettre l'utilisation de la force hydraulique. Cette création reste isolée: le travail d'une fibre nouvelle, le coton, suscite peut d'intérêt dans une région où il n'était guère apparu jusque-là. Louis Joseph Legrand, lui-même, installe, en 1825, une filature de laine mécanique, imitant en cela Paturle Lupin qui avait créé son unité, en 1818, au Cateau. La matière première utilisée est de provenance essentiellement française. L'époque n'est pas encore très favorable à l'essor de la filature de la laine peignée en raison de la non-mécanisation du peignage. Les deux industriels cités font preuve pourtant d'un réel dynamisme dans le travail de la laine: ils adoptent la machine à vapeur vers 1840. Legrand complète sa filature par des ateliers où est pratiqué le peignage à main. Dès les années 1850, - 238 - ils acquièrent des premleres peigneuses mécaniques. Le tissage mécanique apparaît en 1853, chez Paturle Lupin, au Cateau. L'exemple de Louis Joseph Legrand a été suivi à Fourmies même où d'autres filatures furent crêées. En 1844, 51.000 broches sont en activité dans les arrondissements de Cambrai et d'Avesnes, ce dernier en regroupe la grande majorité. Ce nombre double au cours des dix années suivantes pour s'élever à 112.000 en 1855. Les capitaux investis dans ces installations provenaient souvent des revenus de la terre. La filature de la laine peignée connaît son véritable essor après les années 1850. De 1855 à 1890, la région de Fourmies bénéficie d'une expansion remarquable: le nombre de broches à filer atteint 651.000 en 1867 ( pour les centres de Fourmies, le Cateau et Vervins) et 930.000 en 1890. Pour autant que l'on puisse comparer les broches entre elles, cela représente un potentiel de production comparable à celui de l'agglomération de Roubaix-Tourcoing. En même temps, les autres branches de l'industrie lainière se sont mécanisées et développées : en 1890, le secteur de Fourmies-Le Cateau compté 630 peigneuses réparties en 26 usines dont 21 appartiennent à des filatures. Le tissage s'est également répandu: on dénombre 16.000 métiers mécaniques, dont un quart seulement pour l'arrondissement d'Avesnes. Au cours de cette phase de croissance, Fourmies affirme sa primauté: c'est non seulement le premier centre de production mais aussi la ville où se crée, en 1874, la " Société du Commerce et de l'Industrie Lainière de Fourmies" Cette association rayonne sur les arrondissements d'Avesnes et de Vervins et suscite l'installation, en 1875, à Fourmies même, d'un bureau de conditionnement des fils de laine peignée. Elle organise à partir de 1885 des cours de peignage et de filature, toujours dans cette même localité (.). (.) La Société Industrielle cats patronaux avant la lettre, étaient Industrielle de Mulhouse, ment des activités de Lille qui avait de cette ville. est créée en 1873. Ces groupements, fondés à l'imitation joué un rôle si important syndi- de la Société dans le développe- - 239 - Fourmies qui avaient seulement 3.400 habitants en 1851, dépasse Avesnes en 1860, atteint l'effectif de 10.000 en 1872 et approche celui de 15.000 en 1890. Elle n'est surpassée dans son arrondissement que par Maubeuge qui, elle, ne doit rien au textile. En 1846, la population de Fourmies représente le tiers seulement de celle des communes environnantes (.). En 1890, ces dernières se sont accrues en moyenne de 60 %, grâce à l'essor du textile, mais la seule ville de Fourmies a un nombre d'habitants égal à 83 % du leur. Le phénomène de polarisation est par conséquent incontestable. En dépit de son expansion, cette région textile présente des faibleses: la croissance s'est réalisée par la multiplication de petites entreprises sans que naissent de très grandes firmes: en 1890, on compte 83 filatures. Entre 1855 et 1867, environ 500.000 nouvelles broches ont été installées, mais réparties entre 38 usines. Il semble bien que le nombre de broches par filature n'ait guère progressé en quarante ans. Ce foyer industriel n'est pas vraiment complet, car l'ennoblissement n'y est pas représenté. On continue essentiellement à travailler des laines venant de France ou achetées à des négociants de RoubaixTourcoing qui, eux, depuis parfois des décennies, vont les chercher directement chez les nouveaux grands producteurs de l 'hémisphère sud. A. Falleur remarque fort justement que Fourmies est un centre industriel et non pas un marché, c'est-à-dire une place animée par tout un ensemble de négociants. Les firmes fourmi siennes, face à la concurrence des entreprises de Roubaix-Tourcoing, se spécialisent dans l'élaboration des filés les plus fins ces articles sont en grande partie exportés vers les U.S.A. ou l'Allemagne et leur vente est étroitement soumise aux moindres variations des tarifs douaniers et de la mode. Il est difficile d'expliquer de façon complète les raisons de ces faiblesses. A. Falleur oppose le caractère" joueur" et audacieux de l'industriel de Roubaix-Tourcoing à la prudence de celui de Fourmies. Cela demanderait (.) Anor, Féron, Glageon, Ohain, Trélon, Wignehies. - 240 - à être précisé par l'analyse de la gestion des entreprises. Il serait intéressant, en particulier, de savoir si, lors des phases d'expansion, le taux de profit a été aussi élevé que dans l'arrondissement de Lille et si le réinvestissement des bénéfices a été suffisamment pratiqué. D'après A. Falleur, beaucoup de ces industriels sont restés en même temps des propriétaires herbagers. Une partie du bénéfice tiré du travail de la laine a peut-être été détourné par ce biais de l'industrie (.). La fragilité des structures industrielles ne permet pas à la région de surmonter les difficultés conjoncturelles qu'elle rencontre à partir de 1890, notamment lorsque le Bill Mac Kinley lui fait perdre ses débouchés sur le marché américain et que le protectionisme se renforce également en Allemagne (..). Entre 1890 et les années 1910-1914, le nombre de broches de filature diminue de 10 % celui des métiers à tisser stagne et le peignage décline sensiblement : 80 % des peigneuses disparaissent au cours de cette période. Le bureau de conditionnement de Fourmies voit passer 2.174 tonnes de filés de laine peignéE en 1900, contre 1.987 en 1910, alors qu'entre ces deux dates, les tonnages traités par ceux de Roubaix et de Tourcoing croissent de 14 %. Certes, en 1910, le Cambrésis la région de Vervins et l'Avesnois produisent 23.000 tonnes de filés de laine, contre seulement 20.000 à Roubaix-Tourcoing. L'arrondissement d'Avesnes à lui seul, fournit 15.000 tonnes. Ces chiffres ne doivent pas faire illusion: la région de Fourmies devient un centre économiquement subordonné à l'autre grand foyer lainier du Nord ( ...). Les industriels de Fourmies ont renoncé peu à peu au peignage, à partir du moment où ils devaient faire venir leurs matières premières d'outre-mer: ils sont plus loin des ports maritimes que Roubaix-Tourcoing et beaucoup plus (.) On sait que Cl. Fohlen de la décadence (..) Ce contexte du premier du textile de crise est en partie Mai 1891 au cours de laquelle amenée pour maintenir (...) a vu dans un mécanisme d'une partie normand de ce genre l'une des raisons après 1860. responsable de la tragique neuf ouvriers l'ordre. Tous ces chiffres proviennent de l'ouvrage fusillade sont tués par la troupe cité de G. Sayet. - 241 - mal reliés à Anvers ou à Dunkerque, et, surtout, il leur fallait passer par l'intermédiaire des négociants du centre concurrent. Ces derniers préfèrent voir traiter leurs laines là où ils ont leurs entrepôts et où se trouvent des installations plus modernes; en outre, on l'a vu, des liens de famille existent souvent entre les négociants et les entreprises de peignage de Roubaix-Tourcoing. Il n'est pas étonnant que Fourmies ne dispose plus, en 1910, que de moins de 5 % des peigneuses du département du Nord. Les filateurs qui connaissent des difficultés d'écoulement de leur production renoncent progressivement à travailler pour leur propre compte et se contentent de filer à façon pour les maisons de Roubaix-Tourcoing, auxquelles de toute façon, ils doivent acheter leurs rubans de peignés. Les producteurs de la région de Fourmies nombreux et peu puissants sont en position de faiblesse lors de la négociation de ces contrats avec les donneurs d'ordres (.). Certaines usines, à partir de cette époque passent sous le contrôle direct de firmes de Roubaix-Tourcoing. 27 filatures disparaissent entre 1890 et 1914. Dans les années 1910-1914, la reglon de Fourmies a acquis son caractère essentiel, une forte spécialisation dans la seule filature de la laine peignée. Les difficultés rencontrées après 1890 se sont traduites par une diminution de près de 4.000 habitants de l'ensemble Fourmies-Wignehies-Trélon-Glageon Anor-Avesnes. En 1914, dans les limites fixées au chapitre deux, la région de Fourmies comprend 640.000 broches à filer et à retordre la laine peignée, réparties entre 50 entreprises. Aucune n'a plus de 27.000 broches, les plus petites en possèdent 7 à 8.000. C'est dire que les fermetures observées n'ont pas abouti à une concentration du potentiel de production en quelques unités importantes. (.) D'aprés A. Falleur et les donnAurs que la façonnier les prix de façon baissent d'ordres imposent doit rembourser livrées et celui des produits peignés donnent Ces pratiques 95 kilos cessent des conditions la différence finis. entrp Si, par exemple, de fils, il doit payer après 1918. de 30 %, entre 1890 et 1900 draconnienn~s ; c'est ainsi le poids total des matières 100 klJOS de rubans de le prix de cinq kilos de peignés. - 242 - Cette région compte, en outre, 3.500 métiers à tisser et à peine 4.500 broches de filature cardée. Fourmies rassemble sur son seul territoire 28 % des métiers et 37 % des broches. Sains, Wignehies, Glageon et Avesnes ont chacune entre 11 et 12 % des broches (Wignehies a de plus 30 % des métiers). Le noyau formé par Fourmies, Wignehies et Glageon contient la majeure partie du potentiel de production, les deux tiers des broches notamment. Cette concentration géographique n'est pas remise en cause par la Première Guerre Mondiale qui accentue la spécialisation du centre. Les dégâts causés par l'occupation sont, comme toujours, considérables. Pratiquement tout le matériel de tissage est détruit, ainsi que 88 % de celui de la filature. Après 1918, les branches les moins importantes ne sont pas reconstituées dans leur état antérieur: un seul peignage est remonté (il disparaîtra après 1930). Le nombre des métiers à tisser est réduit de moitié. Par contre, le potentiel de la filature peignée est rétabli et cela s'accompagne d'une opération de restructuration d'une ampleur unique dans la région à cette époque: 25 sociétés qui, avant la Guerre, contrôlaient 350.000 broches, près des trois cinquièmes du total régional, fusionnent pour former la Société des Filatures de la Région de Fourmies. Les actions de cette firme sont introduites à la Bourse des Valeurs de Paris en 1928. La restructuration des usines est limitée puisque l'on remet en activité 12 filatures, qui restent des unités de taille moyenne. D'autres efforts sont tentés pour rendre le centre de Fourmies plus autonome: une teinturerie pour peignés et fils est créée à Fourmies; une autre destinée aux tissus l'est à Anor. En 1926, est fondé un comptoir de filateurs pour tenter d'uniformiser les prix de façon. Une entreprise de bonneterie ouvre ses portes à Trélon, en 1925. Ces tentatives vont être plus ou moins complètement brisées par la crise économique qui surgit quelques années plus tard. Elles n'avaient eu, d'ailleurs, qu'une portée limitée; il est significatif de constater que la S.F.R.F. continuait de travailler à façon. Au cours des années 1930, des petites firmes sont encore reprises par des sociétés de Roubaix-Tourcoing. En 1938 (.), 44 % seulement des broches de filature sont (.) D'après J. Bernard, ouvrage cité. - 243 - en activité. La Seconde Guerre Mondiale est suivie, on l'a vu, dès le début des années 1950, par des difficultés sérieuses. La région de Fourmies est devenue rapidement un grand centre industriel textile, spécialisé, comme l'agglomération de Roubaix-Tourcoing, dans l'une des branches les plus mécanisées. Mais, région rurale sans grande ville, elle a, comme le Cambrésis, conservé des structures de production trop longtemps morcelées. Elle fut ensuite contrainte d'entreprendre une rénovation particulièrement délicate car il lui fallait en même temps subir la concurrence d'un centre beaucoup plus puissant: il ya ici dysharmonie entre le type d'activité textile choisie et les structures sociales. En 1801, cette localité n'atteint pas les 10.000 habitants; en 1821, ce chiffre dépasse à peine 12.000. Le port fournit alors à la ville la plus grande partie de ses activités Dès 1815, près de 30.000 voyageurs le fréquentent et, en 1819, un premier bateau à vapeur est mis en service sur la ligne Calais Douvres. Cette facilité des relations incite trois Anglais de Nottingham, Clarck, Webster et Bonnington à introduire, en 1816, l'un des premiers métiers mécaniques à tulle sur le continent. L'opération est difficile puisqu'elle doit se faire clandestinement. Le matériel est démonté et les pièces détachées sont expédiées, les unes après les autres, grâce à la complicité de marins français. (.) La source également Révolution, la Saint-Plerre la ville dans est la thèse essentiellp les D.E.S. de F. ville de Calais qUi ses fusionnèrent Jacob de G. Dubroeucq. l ouvrage de F. Lennel. eté morce}pe en deux et a en 188~. llmites actuelles. citée 1 Tous les On Au communes chiffres cités a utilisé moment de : Calais concernent la et - 244 - Les motivations exactes de ces Britanniques ne sont pas connues. Ils désiraient certainement profiter du débouché offert par le marché français où le tulle était à la mode alors que son importation était interdite. Peut-être aussi, voulaient-ils exploiter des métiers mécaniques sans devoir payer de redevances aux auteurs des brevets et notamment à Heathcoat. Leur situation est en fait un peu ambigue : ils ont enfreint les lois britanniques et se sont théoriquement déconsidérés aux yeux des producteurs de Nottingham. Pourtant, ils continuent à se procurer, sans grandes difficultés apparentes, des pièces détachées et les fins filés de coton dont ils avaient besoin. L'importation de ces derniers était pourtant interdite par les autorités françaises qui voulaient protéger l'industrie naissante de la filature. Il ne faut pas s'étonner de voir toutes ces interdictions dépourvues d'effets pratiques; elles renchérissent simplement le prix des produits: les traditions de fraude, nées du Blocus Continental, sont encore vivantes et le trafis entre les deux pays est déjà trop important pour permettre un contrôle vraiment efficace, si tant est que les autorités l'aient vraiment souhaité. Les moyens dont disposent ces trois Britanniques sont limités et, dès le début, ils recrutent sur place des ouvriers pour remonter et faire fonctionner les métiers. Ils cherchent à faire fabriquer à Calais même une grande partie des pièces et tout d'abord le bâti, élément le plus encombrant et, par conséquent, le plus difficile à dissimuler à la douane. C'est chose faite vers 1820. Les artisans calai siens responsables de cette opération souhaitent ensuite, assez logiquement, produire eux-mêmes la totalité du métier. Ceci se réalise pour la première fois, en 1823, dans l'atelier du Calaisien Dubout. Les conditions historiques très particulières du moment ont ainsi favorisé l'assimilation de cette technique par les Français, d'autant que l'écoulement de cette production sur le marché intérieur est aisé. Dès 1825, une cinquantaine de métiers fonctionnent à Calais et dans ses environs. Cette ville n'est pas la seule dans le Nord-Pas-de-Calais ou même le reste de la France, où s'implante le tissage mécanique du tulle. Toutefois, elle devient immêdiateme~ - 245 - le centre le plus important et le plus moderne. La production a débuté une dizaine d'années plus tôt que dans le Cambrésis. La main-d'oeuvre, sans aucune tradition textile, adopte d'emblée toute les nouveautés, alors que, dans le Cambrésis beaucoup d'artisans tisserands ne le font que contraints par l'évolution économique; ils répugnent à devoir abandonner le savoir-faire acquis dans la fabrication des toiles de lin. Calais bénéficie également beaucoup de la fréquence des contacts avec l'Angleterre et de la présence d'un certain nombre de Britanniques. Il est difficile de cerner avec précision ce phénomène mais sa réalité ne fait pas de doute (.). Le métier à tulle reçoit, à Calais, des améliorations qui l'allègent, le rendent moins coûteux et favorisent sa diffusion. Dès les années 1830-1835, Calais est devenu un centre de production techniquement aussi moderne que Nottingham. A partit de 1834, la prohibition sur les filés britanniques de coton est levée et remplacée par un droit ad valorem de 35 %. Ceci facilite l'approvisionnement de la place en matières premières, sans compter que la filature francaise est désormais capable de fournir des articles répondant aux exigences des producteurs de tulle. L'expansion de cette activité est trés rapide au cours des premleres décennies: 514 métiers fonctionnent dès 1832, sur le territoire actuel de la ville de Calais. Leur densité et la fièvre de production sont telles que le travail de nuit doit être interdit, en 1832, par le maire ce qui incite l'industrie à émigrer vers la commune de Saint-Pierre, moins densément peuplée. En 1841, la population totale a doublé par rapport à 1821. Tous les métiers ne se trouvent pas à Calais ou à Saint-Pierre. (.) En 1860, les archives municipales dont, 90 % sont Britanniques. tile ; le port provoquent est toutefois aussi des courants invraisemblable dans la de~telle, révèlent que beaucoup car c'est déjà l'activité les autres. De plus, au cours des décennies son essor, on observe 1860, représentait un déclin environ la présence Tous n'ont certainement d'échange d'entre de 1.618 étrangers pas des liens avec le texentre les deux pays. Il eux n'aient pas travaillé qui domine de façon écrasante suivantes, toutes alors que le port prend rapide de cette communauté 6 % de la population Ce britannique de la ville. qui, en - 246 - sont des machines légères, encore mues à la main qui se diffusent aisèment dans les campagnes environnantes; on en rencontre jusqu'à Saint-Omer et Boulogne. Cette activité devient prépondérante dans le Ca1aisis car elle nécessite beaucoup de main-d'oeuvre: il ne faut pas oublier que la dentelle proprement dite est encore obtenue en ornant, à la main, le tulle mécanique. Les structures de production restent très morcelées. Un grand nombre de petits artisans apparaissent; beaucoup ne commercialisent pas eux-mêmes leurs produits et passent par l'intermédiaire de commissionnaires qui les font parfois travailler à façon. Grâce à la modicité du coat du matériel et aux possibilités d'écoulement de la marchandise, les ouvriers habiles s'installent facilement à leur compte. Il n'y a pas encore d'usines à proprement parler. Les commissionnaires eux-mêmes ne sont pas très puissants: ils sont nouveaux venus dans cette activité et on ne trouvait pas, au départ, de grands capitalistes capables d'accaparer la fonction. Après 1840, les données techniques se transforment: la production mécanique de la dentelle devient possible. Un calaisien réussit, à peu près en même temps que l'Anglais Ferguson, à adapter le système jacquard au métier à tulle, pour tisser la dentelle. Ceci confirme le bon niveau technique du centre calaisien à l'époque. Le métier à tulle surtout utilisé jusque là n'était pas apte à recevoir ce perfectionnement; il faut renouveler complètement le matériel et acheter des métiers Leavers, plus lourds (jusqu'à 10 et 12 tonnes) et plus chers. Les vieilles machines sont souvent vendues dans le Cambrésis. Ces nouveaux outils de production ne peuvent plus être mus à la main la modernisation s'accompagne de l'adoption de la machine à vapeur. Les nombreux artisans répartis dans les campagnes environnantes ne sont pas capables individuellement de construire un atelier de ce type: le progrès technique entraîne la concentration géographique des moyens de production. A partir de 1850~ 1860, la fabrication ne se réalise pratiquement plus que dans les usines calaisiennes; seuls les travaux de finition sont encore effectués par des travailleuses à domicile, résidant parfois dans des communes rurales environnantes. Ces femmes ne sont pas toujours directement employées par le producteur car des entreprises assurent la redistribution de ces travaux dans les campagnes. - 247 - Cette remise en cause des structures de production sous l'effet de la mécanisation est classique. La phase de modernisation se place schématiquement entre 1844 et 1860 : en 1844, 393 métiers Leavers sont en activité contre 606 en 1854. En 1851, on dénombre 7 usines utilisant la machine à vapeur, contre 37 en 1860. Quand commence cette industrialisation le nombre des producteurs se réduit d'abord: il diminue de moitié entre 1844 et 1854. Ils sont alors 135 et possèdent en moyenne environ quatre métiers. Vers 1860, des fabricants plus importants se dégagent du lot et essayent de commercialiser eux-mémes leurs produits. Le traité de commerce franco-britannique de 1860 est très favorable à l'industrie calaisienne : le centre est moderne et les salaires français sont moins élevés qu'à Nottingham. Calais se met à exporter vers la Grande-Bretagne ainsi que vers les U.S.A. qui vont progressivement devenir le principal débouché. Au début du vingtième siècle, les seules exportations directes, par mer, vers ce pays représentent 40 % du chiffre d'affaires de la place. D'une façon générale, et en dépit de crises conjoncturelles, la période de 1860-1914 constitue une longue phase d'expansion: en 1906, on compte 2.700 métiers. La population de Calais atteint 72.000 habitants, en 1911, six fois plus qu'un siècle plus tôt. L3 prospérité de la cité repose essentiellement sur la dentêlle qui, d'après F. Lennel, occupe dans la ville et ses environs 30.000 personnes dont 7.500 ouvriers masculins de plus de 18 ans (.). En dépit de l'évolution initialement accompagnée d'un maintien de l'émiettement des 1906, le nombre moyen de métiers par producteur 1854. Si quelques entreprises importantes sont (.) Dans les années 1880-1890, tion belge dont l'importance de la population Calais culmine et supplantent constatée, cette croissance s'est structures de production: en est pratiquement le même qu'en apparues, on rencontre toujours a même bénéficié d'une certaine en 1886. Les belges les Britanniques. constituent immigraalors 6 % - 248 une foule d'artisans n'ayant qu'un seul métier. En effet, pour devenir producteur, il suffit d'acheter un métier; qu'il soit au besoin d'occasion importe peu car l'absence de progrès technique important empêche le matériel de se démoder. Des entreprises extérieures peuvent assurer la finition ou la vente. Le problème des locaux lui-même et celui de la force motrice ne se posent pas, car apparaissent ceux que l'on a appelés, dans le vocabulaire local, les "usiniers ". Ce sont des gens qui, à partir du Second Empire, font construire et aménager des bâtiments industriels assez vastes, dans lesquels les fabricants s'installent en payant un simple loyer pour l'utilisation des locaux et de la force motrice. Ce type de placement connaît un vif succès dans la bourgeoisie calaisienne : le loyer est relativement élevé et, comme un même bâtiment est occupé par plusieurs producteurs, cela répartit les risques pour le propriétaire. C'est en 1900 seulement, qu'est bâtie la première usine individuelle. En 1912, 12 % des fabricants sont installés dans des locaux leur appartenant. Les maisons de commission auraient pu amorcer la concentration industrielle en devenant producteurs, selon le méme processus que celui observé, par exemple, dans la Vallée de la Lys. De fait, on constate que des commissionnaires achètent des dessins et les font ensuite reproduire à façon par des artisans. Cette évolution est progressivement bloquée par l'action des petits producteurs qui obtiennent même, en 1897, que les commissionnaires s'engagent officiellement à se cantonner dans leur rôle de négociant. Si des firmes disposant de plusieurs dizaines de métiers apparaissent peu à peu, elles sont constamment confrontées à la concurrence d'artisans faisant des articles similaires à des prix compétitifs. Cela freine éfficacement la concentration industrielle. Le rassemblement de petits producteurs en un même lieu a certainement favorisé la prise de conscience, par ces derniers, d'intérêts communs à défendre. Ce n'est qu'au début du vingtième siècle qu'apparaît le véritable industriel possédant son matériel, ses locaux, concevant et commercialisant lui-même ses produits. La période de prospérité touche alors à sa fin. Ces firmes n'auront plus guère le temps de grandir beaucoup, d'autant que les crises les affectent autant que les autres. Les difficultés sont généralement provoquées par la perte de débouchés extérieurs, et les producteurs importants eux-mêmes ne sont pas assez puissants pour contourner l'obstacle douanier en s'implantant à l'étranger (.). Comme dans le Cambrésis, le caractère toujours aléatoire des ventes gênait - 249 - les investissements à long terme dans d'autres activités. Par ailleurs, le souvenir des années exceptionnelles offrant des chances de promotion à l'habile conducteur de métier, entretenait le prestige de la dentelle. Il aurait été de ce fait psychologiquement difficile (..) d'implanter d'autres branches textiles qui n'auraient pu offrir les mêmes espoirs de gains. A la fin du dix-neuvième siècle, apparaissent, toutefois, quelques métiers à broder. Calais a finalement acquis rapidement, plus vite que la région de Caudry, les caractéristiques observées dans le chapitre précédent. La Guerre de 1914-1918 ne remet pas en cause les structures de production : Calais est le seul grand centre textile du Nord-Pas de Calais à échapper à l'occupation et aux destructions. L'activité, freinée par les hostilités, reprend avec le retour à la paix. Par contre, la ville est frappée de façon particulièrement cruelle par la crise de 1929, puisque son principal client était les U.S.A. Ces derniers instaurent des droits de douane de 130 % sur la dentelle et sont peu à peu imités par les autres pays. Un chômage énorme se développe à Calais : il intéresse environ 5.000 personnes en janvier 1936, où ne fonctionnent plus que 200 métiers. Le nombre des habitants de la ville diminue de 5.800 entre 1921 et 1936. Cette crise amène une réduction considérable du nombre des producen 1936, ils sont moins de 200, avec environ 2.100 métiers (... ). teurs Comme toutes les firmes sont touchées, cette diminution résulte beaucoup plus (.) Des velopper mes pays etrangers la dentelle calaisiennes, ( .. ) En outre, main-d'oeuvre que producteurs un décret similaires présenté prendre débouche par une recrute des spécialistes ce fut le cas aux U.S.A., telles, des phases ne l'ont de prosperite, avaient ; des manifestations ces ventes; tions en tant lors parfois eux, jamais calaisiens par exemple. pour dé- Des fir- toute la fait. la dentelle accaparait disponible. ( ... ) Certains ployés ont chez avaient leur gouvernemental eu lieu matériel, conversion. en mettant voulu groupant les firmes une ouvriers finit par et des les réussit récupéré d'autant quand elastique même pour des métiers fabricants interdire. Ne pouvant étaient dentelle à l'étranger vendre à Caudry. Un fabricant au point des moins inem- empêchèrent Des manifestale capital tentées à se créer corseterie. re- d'entre- un nouveau - 250 - d'arrêts d'activité que d'une concentration au profit des firmes les plus importantes; on remarque quand même que le nombre moyen de métiers par producteur s'est sensiblement élevé au cours de cette période: il double par rapport au début du siècle. Des métiers sont purement et simplement vendus à la ferraille et plus aucun matériel neuf n'est acquis pendant toutes ces années (.). On se contente d'entretenir en état de marche une partie du matériel. En fait, on a assisté à l'abandon d'un millier de métiers environ sans que cela se soit accompagné d'une restructuration véritable ou d'un commencement de diversification. La deuxième Guerre Mondiale provoque des destructions notables (..). 312 métiers sont détruits. Les dommages de guerre sont l'occasion pour quelques firmes d'acheter un peu de matériel de bonneterie. Initiative heureuse puisque cette branche était appelée à un brillant avenir. Cette nouvelle activité reste toutefois trés marginale, jusque dans les années 1950, car l'après Guerre est marqué, comme dans le reste du textile, par une prospérité relative. Cette région a disposé, au cours des siècles de centres textiles (.) La plupart bâtiments des producteurs qui subsistent deviennent propriétaires de leurs au cours de cette période. (..) Les usines elles étaient sont proportionnellement absentes de Calais-Nord, moins quartier touchées que la ville car qui fut rasé à près de 100 %. - 251 - notables, le plus brillant étant sans doute Hondschoote qui, au seizième siècle, s'était spécialisé dans la sayetterie, c'est-à-dire dans les étoffes en laine peignée ( . ). A la veille de l'industrialisation, la Flandre Maritime et Intérieure se consacre uniquement au travail du lin. Cette fibre locale est filée et tissée dans les campagnes; on y produit uniquement des toiles grossières. D'aprés la statistique de Dieudonné, cet ensemble, en 1789 comme en 1801, dispose de la moitié des métiers et du quart des rouets du département qui utilisent les" lins de gros ". Il s'agit par conséquent d'une région spécialisée dans la production d'étoffes communes distinées aux usagers locaux ou vendues à l'extérieur par des négociants installés, la plupart du temps, dans l'arrondissement de Lille. Bailleul, seule, témoigne d'une certaine originalité: elle dispose de 15 % des moulins à retordre les fils de lin et, pour cette activité, occupe la seconde place dans le département, juste après Lille. La dentelle s'y développe également depuis la fin du dix-huitième siècle, parallèlement au déclin de Valenciennes. Dieudonné estime que, en 1801, 1.000 dentellières travaillent à Bailleul et dans les campagnes environnantes, jusqu'à Cassel. C'est 10 fois plus qu'en 1789, mais dix fois moins qu'à Lille, au début du dix-neuvième siècle. La population de cette reglon est dense: (120 habitants au kilomètre carré en 1801,130 en 1821 ) (..), surtout si l'on tient compte de l'absence d'organismes urbains très importants; l'accroissement naturel est sensible. C'est une situation qui semble, à priori, plutôt favorable à l'expansion du textile d'autant que cette région bénéficie de la présence de Dunkerque qui, aprés 1815, importe une partie des matières premières utilisées par l'industrie textile du Nord-Pas de Calais (...) (.) Cf. notamment les travaux d'Emile de cet auteur contient de nombreuses Coornaert indications textilp de cette région au cours du dix-neuvième (._) Cette densité dissement a été de Dunkerque en effet, Hazebrouck calculée en prenant telles qu'elles sur ce sujet. L'ouvrage précises du siècle. comme limites, existent cité sur l'évolution celles de l'arron- actuellement; s'est trouvé à la tête d'un arrondissement jusqu'en 1926, séparé. (.•.) Ce rôle fut limité par le fait que Dunkerque ne prend vraiment son essor que sous la Troisième République (Cf. la thèse de F. Lentacker). Dieudonne ne fait pas figurer ce port parmi les grands fournisseurs de coton du Nord. - 252 - La rareté des entrepreneurs dans cette région ne va pas permettre à l'industrialisation du textile de se produire sur une grande échelle; il faudra, pour l'essentiel, compter sur des initiatives extérieures. Le tissage manuel se maintient pendant la première moitié du dix-neuvième siècle : E. Coornaert considère que, en 1866, 10.000 métiers sont encore utilisés, au moins à temps partiel, par des artisans qui associent cette activité à l'agriculture. Le tissage de lin est, peu après, durement touché, car la mécanisation affecte d'abord les toiles ordinaires, spécialité de cette région. La dentelle disparaît peu à peu en raison du développement des centres de Calais et de Caudry. Le retordage de Bailleul est éclipsé rapidement par celui de l'arrondissement de Lille. Dunkerque fut le principal foyer de rénovation du textile dans cette région, en partie grâce à l'influence britannique: au début du dix-neuvième siècle, un Anglais, David Dickson, apporte des plans de métiers à filer le coton et s'associe à un armateur dunkerquois, Gaspard Malo, qui fournit les capitaux. Une usine est montée à Coudekerque, et l'entreprise prospère sous la direction du Britannique qui se fixe définitivement en France. En 1837, une machine à vapeur est installée, un tissage s'ajoute à la filature; on travaille le lin, le coton et le chanvre. En 1843, Dickson introduit, le premier dans le département du Nord, le travail du jute. La firme compte 900 salariés en 1860. Le jute présente beaucoup d'intérêt pour cette région car il sert le tisserand manuel, habitué aux gros fils de lin, s'adapte bien à cette production. Des· fabricants· vont continuer à distribuer du travail aux artisans des campagnes, jusqu'au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Un des rares entrepreneurs originaires de cette région, Vandesmet, monte, en 1852, une filature de jute à Watten, localité située au contact de la Flandre Intérieure et Maritime, à 30 kilomètres de Dunkerque, à faire des toiles très communes; - 253 - et reliée à ce port par un canal et une voie ferrée. Un mouvement d'industrialisation s'amorce au cours de la décennie 1860: en raison de la hausse des prix du coton, le lin régional retrouve de l'intérêt, le jute aussi profite de cette situation, car ses cours restent relativement stables. Plus d'une dizaine de filature se créent dans la région, notamment à Dunkerque. Ces entreprises ont des bases financières fragiles et périclitent presque toutes vers 1867-1870. Il n'y a pas de banques locales pour les soutenir (.). Les plus importants détenteurs de capitaux sont les armateurs et négociants dunkerquois qui sont peu intéressés par l'investissement industriel proprement dit. Ils préfèrent rester dans le domaine d'activité qui était le leur, et dont l'évolution devient assez brillante après l'avènement de la Troisième République. C'est en bonne partie pour cette raison que ne se créera pas un foyer textile puissant, associant un port fournisseur de matières premières et de capitaux et un arrière-pays riche en main-d'oeuvre. Dans le dernier tiers du dix-neuvième siècle, des usines importantes se créent pour travailler le jute, mais elles sont l'oeuvre de firmes extérieures qui estimaient plus rationnel de venir transformer une fibre bon marché dans son principal port d'importation. Le comptoir linier s'implante·en 1898, suivi par la société Weill. Cette dernière, d'origine alsacienne, s'installe d'abord en Lorraine, après 1870, mais s'y trouvant mal reliée aux grands ports importateurs, elle préfère finalement se localiser à Dunkerque où existe de plus une maind'oeuvre formée à ce genre d'activités. Au cours de la première moitié de vingtième siècle, ces entreprises renforcent leurs positions dans cette région en reprenant ou créant des établissements à Hazebrouck et même à Armentières, dans la Vallée de la Lys. Toutes ces villes sont reliées par une voie de chemin de fer directe à Dunkerque. (.) Sur cet épisode significatif région, cf. notamment de l'échec du développement la thèse de Cl. Fahien. textile dans cette - 254 - Dans cette agglomération portuaire, en 1913, le textile emploie 5 à 6.000 personnes (.), essentiellement dans le travail du jute; en dehors de ce dernier on compte quelques voileries et bâcheries et l'établissement MaloDickson qui est multi-fibres. La Flandre Maritime et Intérieure concentre alors environ la moitié de l'industrie jutière du département. Cette mème année, Dunkerque importe 60.000 tonnes de cette matière première. Hazebrouck regroupe, pour sa part, de 1.000 à 1.100 travailleurs textiles dans quatre tissages et une filature. Bailleul dispose de trois usines, tandis que subsistent 900 tisserands à domicile travaillant le jute ou le lin. L'industrialisation du textile ne s'achève qu'entre les Deux Guerres Mondiales : à Godewaersvelde et à Boeschepe, entre 1920 et 1930, les derniers tisserands à domicile sont remplacés par des ateliers mécanisés sous l'influence d'une firme régionale (Vandesmet) ou d'entreprises locales qui, jusqu'à cette époque, étaient des donneurs d'ordres. Ce sont les secteurs les plus éloignés des villes principales qui ont conservé le plus longtemps les anciennes formes de production. Bailleul, pour sa part, bénéficie, en 1927, de la création d'une filature de coton par la firme armentièroise Coisne et Lambert. La destruction de la ville au cours de la Guerre 1914-1918 avait provoqué la disparition des petits ateliers. La Seconde Guerre Mondiale entraîne un amoindrissement du potentiel dunkerquois : toutes les usines endommagées ne sont pas reconstruites car, entretemps, une partie de leur clientèle s'est tournée vers les établissements de la Somme qui n'ont guère été affectés par ces évènements. L'évolution de cette région, depuis le début du dix-neuvième siècle (..) se caractérise, en définitive, par l'échec de la formation de ce qui aurait (.) Cf. E. Thelliez, (..) La vallée de l'importance neurs locaux la moitié article de la Somme ne bénéficiait pourtant pas de la proximité de Dunkerque par contre elle a profité très dynamiques la famille Saint a directement du potentiel l'évidence, cité. de production le rôle déterminant ques responsables économiques. de ce secteur. qui revient, de l'action créé au moins Cet exemple à cette époque, d'un port d'entrepre- illustre, à à l'action de quel- - 255 - pu être un grand foyer textile, Il est frappant de remarquer que, initialement, la Flandre Maritime et Intérieure n'offrait pas des conditions três différentes de celles des Vallées de la Somme et de ses affluents, comme la Nièvre, où s'est implantée une puissante industrie basée sur le jute et située en plein milieu rural. Le centre textile de Saint-Amand-les-Eaux a une origine très ancienne (,). Dès le dix-huitiême siècle, la bonneterie est la principale activité de cette région. Le lin, bien qu'il y soit cultivé, n'occupe qu'une place limitée, et les fils produits sont en général utilisés dans le Cambrésis. La laine est filée à domicile par des travailleurs indépendants; une partie de ces fils est achetée par les" fabricants" de Roubaix-Tourcoing, mais l'essentiel est destiné aux bonnetiers locaux. A la veille de la Révolution, il s'agit d'un centre autonome animé par une vingtaine de marchands-transformateurs installés dans la ville même; ces ateliers urbains emploient en moyenne sept à huit personnes; dix fois plus travaillent à domicile dans les environs. On se sert toujours d'une machine à tricoter rudimentaire, très proche de celle inventée par l'Anglais William Lee, aux dix-septième siècle. On prodûit des articles chaussant en laine uniquement. Dieudonné considérait que ce foyer était, en 1789, le second du département, venant juste après celui de l'arrondissement de Lille et ayant une capacité de production égale à la moitié de celle de ce dernier. Les bas tricotés à Saint-Amand les Eaux se vendaient jusqu'en Basse-Normandie. Ce centre décline par la suite devant la concurrence belge; en 1801, son importance a diminué des deux tiers par rapport à ce qu'elle était à la veille de la Révolution. La situation de Saint-Amand-les-Eaux (.) Cf. la Thèse de R. Frult, ouvrage cité. s'améliore après 1815. - 256 - Cette branche textile se modernise très lentement. Les métiers mécaniques rapides et le travail en atelier ne se répandent véritablement que dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle (.). Les entreprises locales ont la possibilité de se rééquiper progressivement en matériel. Les autres activités textiles, comme le travail du lin, ne résistent pas à la concurrence des centres modernisés. Avant 1850, quelques entreprises de bonneterie montent des filatures intégrées de laine et même quelques peignages manuels. C'est une initiative sans lendemain: toutes ces installations disparaissent rapidement et cette région se spécialise exclusivement dans la bonneterie. Les travaux de R. Fruit montrent que l'effectif global des actifs de cette branche reste assez constant au cours du dix-neuvième siècle: en 1839, 25 entreprises offrent 1.300 emplois dont 150 à 200 en ateliers. En 1873, 14 subsistent avec 1.000 ouvriers en usines et quelques centaines à domicile. En 1865, ce centre, par le nombre de personnes employées, est le plus important du Nord. L'évolution ultérieure se caractérise par une réduction progressive du nombre des producteurs : 8 seulement en 1900, à Saint-Amand les Eaux et dans ses environs. Le travail à domicile disparaît progressivement vers 1914. Finalement, on constate la survivance et la rénovation d'une activité née avant la Révolution Industrielle diffusée dans toute la région de SaintAmand les Eaux, à cette époque, elle s'est concentrée géographiquement dans la ville principale. Le centre a conservé son autonomie mais son rôle relatif dans le Nord est en diminution régulière depuis la fin du dix-neuvième siècle, (.) Même dans la région ditions de production devient majoritaire troyenne, restent qu'après be ", étude réalisée, pourtant artisanale 1880. la plus moderne jusqu'en de France, les con- 1850 ; le métier Cotton ne (Cf. " Les industries de la maille dans l'Au- en 1970, par la Banque de France de Troyes). - 257 - Dans le chapitre précèdent, on avait relevé la présence d'une série de très petits centres, notamment dans l'arrondissement d'Arras. Il serait fastidieux et disproportionné par rapport à leur importance de retracer l'évolution de chacun d'entre eux. Il convient toutefois de relever qu'ils constituent les vestiges d'une vaste zone où le travail textile était fort répandu avant la Révolution (.). Ce dernier reposait sur le lin, comme il était fréquent à cette époque. En 1842, au moment où débute l'industrialisation de la filature, le Pas de Calais compte 7.200 hectares consacrés au lin (le Nord, 10.200), ce qui lui donne la troisième place en France (..). En 1898, au moment du grand déclin de cette culture en France, A.Demangeon remarque que l'arrondissement d'Arras consacre encore 530 hectares au lin, ce qui lui donne la première place dans la région. Un début d'industrialisation (... ) apparaît vers 1840; il est dû essentiellement à des initiatives extérieures à cette région. la réalisation la plus remarquable est l'édification, en 1840, d'une filature à Frévent ; avec 10.000 broches, cette unité est, à ce moment-là, l'une des plus importantes de France. Elle a été montée par un négociant, Mi11escamps, qui, très rapidement, l'intègre au Comptoir linier, société fondée, en 1846, par des négociants originaires du Nord et de la Sarthe. le siège est installée à Paris. la firme acquiert outre l'unité de Frévent, une filature de jute et de lin à Ailly-sur-Somme et un tissage mécanique à Cambrai. C'est un cas assez exceptionnel, à cette époque, d'une firme ayant des implantations mu1tirégiona1es : c'est ainsi que les filés de lin de Frèvent sont distribués aux tisserands à domicile puis aux petits ateliers sarthois. Si le Comptoir linier conserve ses établissements (.) Dieudonné Saint-Pol signale que, en 1801, des rouets sur Ternoise pour des centres pour des Lillois; filent le coton à Frèvent P. Billaux, ouvrage (...) D1après F. Dornic et L. Merchier et à cette région en fait ne travaille extérieurs. (..) Source: dans le Pas-de-Calais cité. études citées. que - 258 - (il s'incorpore ensuite la filature de Boubers-sur-Canche), il ne les multiplie pas dans une région qui perd son principal attrait après 1870, lorsqu'il devient préférable d'utiliser des lins importés. Comme ce secteur du Pas-de-Calais ne dispose pas d'un très bon réseau de voies de communication, le Comptoir Linier préfère réaliser ses investissements ultérieurs dans des centres mieux situés comme Dunkerque, Hazebrouck ou Armentières. Toute cette région avait, en définitive, des potentialités qui n'ont guère été utilisées, dès lors que les implantations dépendaient de firmes dont les centres de décision se trouvaient à l'extérieur. les différents facteurs favorables à l'épanouissement du textile dans le Nord-Pas de Calais n'ont pas joué partout avec une égale intensité; de ce fait, chaque centre a acquis des caractéristiques propres. Dans tous les cas, pourtant, s'est manifestée une tendance à la concentration de chaque branche à l'intérieur d'un ou deux foyers: les peignages de laine se sont agglutinés à Roubaix-Tourcoing de même que les établissements de dentelle se sont rassemblés à Calais et à Caudry ou dans ses environs immédiats. Ceci a entraîné progressivement une grande spécialisation des villes textiles. Ce phénomène s'explique essentiellement par une série de facteurs propres à cette époque: la réussite de quelques entrepreneurs locaux dans une activité déterminée incite les autres à choisir la même spécialité. Ce phénomène d'imitation peut se produire car, à cause du faible volume de capitaux nécessaires, on rencontre toujours, au début de l'industrialisation, un nombre élevé de personnes susceptibles de se lancer dans les affaires. Le développement de plusieurs entreprises identiques engendre peu à peu une situation favorable à la poursuite de l'expansion de cette branche en raison de 1) La présence d'un noyau de main-d'oeuvre formée à la pratique des nouvelles techniques. Ceci est important car il n'y a pas d'enseignement professionnel organisé; la formation se fait" sur le tas" et comporte encore beaucoup 259 - de" Tours de main" dont l'acquisition suppose une longue pratique (.). II) Les activités complémentaires tendent à se localiser là où elles disposent d'un marché important. La présence de nombreux producteurs de dentelle justifie, par exemple, la création de teintureries spécialisées, de bureaux d'esquisseurs et de dessinateurs, de services permanents d'assistance technique des constructeurs de matériels etc ... III) Le rassemblement de nombreux producteurs attire les négociants et les acheteurs extérieurs parce qu'ils savent qu'ils vont trouver là un grand choix d'articles. Le tisserand installé à Roubaix a plus de chances d'être visité par l'acheteur de tissus parisiens que s'il se trouvait à Lens ou à Boulogne, où il serait le seul de son espèce (..). Dans ce dernier cas il lui faudrait installer un bureau de vente à Paris ou à Roubaix, ce qui occasionnerait des frais supplémentaires. Pour employer le langage des économistes, on peut dire que la localisation dans un centre déjà constitué entraîne, pour l'entreprise, des" économies externes" qui réduisent les frais de fonctionnement et le montant de l'investissement initial. La concentration géographique devient un palliatif au morcellement des entreprises. Elle facilite la multiplication de petites firmes qui ne peuvent subsister en dehors du centre où elles trouvent les services complémentaires indispensables. La concentration géographique tend, en quelque sorte, à s'autoentretenir et ceci constitue un facteur supplémentaire d'inertie des localisations. Le rassemblement d'une même branche en une même ville a des conséquences redoutables sur le plan économique et social puisqu'il crée une situation de monoindustrie. Ceci tend également à renforcer le particularisme de la branche (.) Si l'on telle, reprend il est très les long terminer la finesse que très progressivement constitue le métier (.,) Ceci rapides coup exemples de petits le rassemblement par ci-dessus un trieur et la qualité de la laine. une bonne du peignage de laine De même connaissance et de la den- qui doit, au toucher, le tulliste de la machine très de- n'acquiert complexe à dentelle. est particulièrement se font evoques de former chemin centres. vrai de fer. Il était des bureaux au dix-neuvième Il n'est typique, de vente donc siècle: pas commode à cet egard, des tis~us les déplacements de visiter d'observer, aux abords beau- à Roubaix de la gare. que - 260 - dans la mesure où ceux qui y travaillent n'ont pas l'occasion de confronter leurs expériences professionnelles avec celles d'autres branches industrielles textiles ou non. Il apparaît clairement que l'essor du textile dans le Nord-Pas de Calais résulte d'une évolution complexe qui n'était pas inéluctable. Beaucoup des facteurs favorables étaient liés au contexte historique social et économique du dix-neuvième siècle. Cette constation amène logiquement à se demander si le grand foyer décrit au chapitre précédent constitue ou non une simple survivance d'une évolution antérieure.