Les industries textiles se sont mises en place

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Les industries textiles se sont mises en place
- 155 Les industries textiles se sont mises en place progressivement pendant le dix-neuvième siècle, époque où, comme on l'a vu, le travatl des fibres
textiles a été affecté en Europe Continentale par ce qu'il est convenu d'appeler
la "Révolution Industrielle". Les caractéristiques techniques et économiques spécifiques du textile auraient été compatibles avec plusieurs modèles de répartition géographique. Le but de ce chapitre est d'essayer de préciser par quel
cheminement on est arrivé à la concentration décrite précédemment.
Pour cela il est nécessaire de faire appel aux travaux des historiens.
Ces derniers rencontrent des difficultés pour étudier 1 'in~ustrie textile naissante, car il s'agit d'une activité éparpillée géographiquement et dont les struc
tures de production sont très morcelées. Des données de base, comme le nombre
des actifs, sont très difficiles à déterminer quand de multiples opérations se
réalisent encore à domicile; par ailleurs, des phénomènes conjoncturels extrémement brutaux font varier l'emploi de façon énorme en des laps de temps très
brefs. Il est de ce fait difficile de suivre avec précision le processus par
lequel un centre supplante peu à peu les autres. Rares sont les oeuvres qui,
comme la thèse de Cl. Fohlen, réalisent un travail original concernant la quasi
totalité du textile français (seule la soie n'est pas prise en considération
dans cet ouvrage).
Pour essayer d'expliquer le dynamisme d'un foyer textile, il faudrait
pouvoir analyser de façon précise les comportements des entreprises et de leurs
dirigeants. Pour des raisons faciles à comprendre, ces études sont très rares
(un très bon exemple a été réalisé par Cl. Fohlen dans sa thèse secondaire, mais
elle ne porte malheureusement pas sur la région étudiée). Les quelques renseignements disponibles suggèrent des hypothèses;
ils ne sont pas assez nombreux
pour fournir des certitudes.
Par ailleurs, la lecture des études récentes d'histoire économique
donne l'impression que le problème de la concentration spatiale des activités
n'est pas celui qui intéresse le plus les historiens de l'économie. Leur attention est davantage accaparée par la question du rythme de la croissance au
cours du dix-neuvième siècle (.).
(.) Texte de la note page suivante.
- 156 Le schèma exposé ci-dessous contient, par conséquent, des éléments qui
ne sont pas aussi solidement étayés qu'on le souhaiterait. En particulier, il est
très difficile de quantifier. Les chiffres cités par les ouvrages proviennent
souvent de recoupements complexes, comme l'expliquent les auteurs eux-mêmes.
( .. )
L'essor du textile dans la région du Nord-Pas-de-Calais au cours du
dix-neuvième siècle n'est pas un phénomène isolé: ce sont toutes les industries
de cette époque qui s'épanouissent alors dans ces deux départements. Ces derniers bénéficient en effet d'un ensemble de conditions propices à la croissance
économique en général. Tous les facteurs qui vont être évoqués n'ont pas joué
seulement en faveur du textile, mais ils ne seront envisagés que par rapport
à cette seule industrie.
LES CONDITIONS
GENERALES QUI FAVORISENT AU DIX-NEUVIEME
SIEGLE L'ESSOR DES
INDUSTRIES TEXTILES DANS LA REGION NORD-PAS-DE-CALAIS
Proximité de la Grande-Bretagne.
(.) Il s'agit en particulier
l'économiste
W. Rostowa
dix-neuvième
siècle.
"Qu'est
M. Gillet
économique
accompagnent
(..) L'auteur
notamment
de
: Cl. Fahien
(ouvrage cité). F. Crouzet
au XIX ème
"Au XIX ème, industrialisation
ll
(Revue du Nord,
linéaire
ou industrialisation
sept. 1972). De nombreuses
"Encore
jt.-sept.
indications
1972).
par
bibliogra-
ces études.
nia pas cherché
portantes
en ce domaine,
question,
il faudrait
raient
Industrielle"
française
(Revue Economique,
?"
phiques
si la notion de "take offn
ou non à une réalité dans la France du
Sur ce sujet on peut consulter
ce que la Révolution
la croissance
bonds
de se demander
correspondu
à entreprendre
des recherches
car pour faire progresser
procéder
être à eux seuls l'objet
à des dépouillements
d'une ou plusieurs
personnelles
véritablement
systématiques
thèses.
im-
l'état de la
qui pour-
- 157 -
Le voisinage de la Grande-Bretagne est un élément favorable. C'est
dans ce pays, en effet, qu'ont été réalisés presque tous les progrès décisifs
pour l'industrialisation du textile. Non seulement les brevets y ont été déposés
mais c'est là que sont construits les meilleurs matériels.
L'exemple de la filature de lin est typique à cet égard (.) : le
premier métier vraiment efficace fut réalisé par le Français Philippe de Girard
à la suite d'un concours lancé, en 1810, par le gouvernement impérial pour
promouvoir l'utilisation de cette fibre susceptible de réduire la demande de
coton (c'est l'époque du "Blocus Continental"). Ce métier, mis au point au
moment de la chute de l'Empire, ne rencontre guère de succès en France et son
utilisation commence véritablement, après son transfert, plus ou moins légal,
en Angleterre, à Leeds. Quelques années plus tard, les industriels français
pour développer cette activité chez eux doivent se procurer, clandestinement
(..),du matériel anglais; car la technique mise au point par Philippe de Girard
a rencontré, en Grande-Bretagne, un terrain avide de nouveautés et les matériels
ont reçu des améliorations qui rendent les installations robustes et bien au
point. En 1860 encore (..) un industriel déclare qu'il préfère commander son
matériel de filature en Angleterre, en dépit des droits de douane qui subsistaient (on était juste avant la signature du traité commercial).
Dans les premières décennies du siècle, les Britanniques, pour préserver leur avance technique, interdisent l'exportation du matériel. Il faut
(.) cf. Paul Billaux,
ouvrage
(..) cf. Louis Merchier,
cité.
ouvrage
cité.
- 158 -
souvent le faire venir en fraude plece par pièce, ce qui suppose un grand nombre de voyages. Il est commode de se trouver à seulement quelques dizaines de
kilomètres des rivages anglais. Même en dehors de ces cas extrêmes, séjourner
en Grande-Bretagne est considéré comme la meilleure forme d'apprentissage pour
les jeunes responsables économiques. Faire venir des techniciens britanniques
est souvent indispensable pour acclimater les nouvelles technologies (.).
Le voisinage d'une industrie plus développée pourrait être un danger,
dans la mesure où ses produits supplanteraient les fabrications françaises même
sur le marché intérieur. Cette menace ne se concrétise guère en raison de la
présence de barrières douanières élevées jusqu'en 1860, c'est-à-dire pendant
la période cruciale où naissent les industries textiles régionales.
La plupart des patrons du textile sont à cette époque farouchement protectionnistes et ce n'est pas un hasard si l'un des animateurs de la "Ligue pour
la Défense du Travail National" sera l'industriel roubaisien A. t~imerel (..).
L'existence de ces droits de douane incite des Britanniques à venir s'installer
en France pour avoir librement accès à ce marché. En Grande-Bretagne les structures de production sont encore très morcelées et les industriels qui débarquent
à Calais ou à Dunkerque n'ont pas la puissance financière ou commerciale qui
leur permettrait de monter des usines beaucoup plus puissantes que celles de
la bourgeoisie locale. Ces investissements britanniques ne risquent pas d'étouffer les initiatives régionales; au contraire, ils prennent une valeur d'exemple,
ils forment de la main-d'oeuvre, et prouvent la rentabilité des nouvelles techniques, incitant par là les entrepreneurs locaux à les imiter.
La région Nord-Pas-de-Calais est évidemment bien placée pour accueillir
ces Britanniques qui désirent rester à proximité de leur pays d'où ils font en-
(.) Cette empreinte
bobines
s'est longtemps
(en 1974,
tanniques
les filteries
marquée
D.M.C.
de fil de 100 yards) ou l'emploi
à Calais,
glaise:
ouvrières
par exemple,
qui bobinent
bri-
en France,
des
de termes empruntés
au métier
(..) Des divergences
de vue s'observent
souhaitent
consomment.
de mesures
à vendre,
à la langue an-
de nos jours encore, on appelle
le fil destiné
brésis,
par exemple,
par l'utilisation
continuent
importer
"wheeleuses"
les
à dentelle.
parfois:
le moins
les petits
tisseurs
cher possible
du Cam-
les filés qu'ils
- 159 -
core souvent venir des pièces détachées ou certains produits textiles.
En Grande-Bretagne, également, se trouvent de grandes places de commercialisation des matières premières. Or le développement de l'industrie textile entraîne l'obligation de se procurer des matiéres brutes d'origine de plus
en plus lointaine. Les nouveaux grands producteurs de laine sont, après 1850,
des territoires britanniques de l 'hémisphère sud ou un pays dans lequel l'influence britannique est forte, l'Argentine. Les premières quantités de laine
qui arrivent en Europe de ces lointaines contrées sont commercialisées à Londres.
Quand, après 1860, les négociants régionaux ont eu le mérite d'aller
acheter sur place ces matières premières pour court-circuiter le marché londonien, ils ont dû s'adapter aux pratiques commerciales et à la langue des Britanniques : ils devaient les posséder parfaitement pour entrer en compétition
avec les négociants d'outre-Manche. Le coton aussi vient principalement de pays
de langue anglaise (U.S.A. notamment) ou sous influence économique britannique
(après 1860, Egypte, Soudan, Inde parfois). Une nouvelle matière textile fait
son apparition en Europe, au cours de cette période: le jute, il est cultivé
uniquement dans le Bengale et les Ecossais mettent au point sa filature: ils
diffuseront cette activité en France à Dunkerque, ou dans la vallée de la
Somme (le nom des Etablissements "Carmichaël", installés à Ailly, Y perpétue
encore de nos jours cette influence), c'est-à-dire dans des régions proches des
itinéraires des cargos apportant la matière première.
La Grande-Bretagne pouvait fournir également du charbon mais cela n'a
eu qu'un intérêt très limité pour la région qui disposait d'autres sources de
ravitaillement très abondantes.
Le voisinage de la Belgique a été un avantage fort appréciable. Cet
aspect a été étudié de façon très précise par F. Lentacker, dans sa thèse à
laquelle sont empruntées la plupart des remarques qui suivent. Le fait que les
territoires situés au nord de la région étudiée aient appartenu à un autre Etat,
- 160 -
a permis de protéger le Nord-Pas-de-Calais contre la concurrence des industries
textiles belges. Il est aisé d'apporter la preuve de ce fait, car il s'est trouvé que, pendant quelques années, cette frontière a été abolie: de 1795 à 1814,
les territoires de l'actuelle Belgique sont annexés à la France. Cette période
voit l'apparition de l'industrie textile sur le continent et tous les témoignage~
des contemporains et les études des historiens montrent que le textile de la
région Nord-Pas-de-Calais est alors moins dynamique que celui des départements
récemment annexés: le Préfet Dieudonné, dans sa célèbre statistique du Nord
publiée en 1804, constate le déclin de la bonneterie de Saint-Amand-les-Eaux
et l'explique par le développement de la production des régions belges de Tournai
et de Pérulwez. Ceci n'est pas le plus grave, car il s'agit somme toute d'une
activité encore artisanale appelée à se modifier profondément. Il est frappant
de constater, par contre, que dans la filature de coton, seule branche employant
alors des techniques industrielles, c'est Gand qui devient le centre le plus
important et le plus dynamique
(.).
Liévins Bauwens, l'un des plus remarquables capitaines d'industrie de
toute l'époque impériale, introduit sur le continent les premiers métiers à
filer le coton mécaniquement. Il monte son premier établissement à Paris, en
1800, et en installe aussitôt un autre, à Gand, sa ville d'origine, en 1801.
Un mouvement d'émulation se déclenche, dû en partie à Bauwens lui-mème qui incite les membres de sa nombreuse famille à se lancer dans l'industrie.
En quelques années, un centre complet s'édifie à Gand: 8 filatures
mécaniques fonctionnent en 1808, avec 88.702 broches et 2.783 ouvriers; la
machine à vapeur est utilisée. Le tissage à main se développe dans cette même
ville et, de plus, ses industries font tisser à domicile jusqu'à Arras, Avesnes
et Saint-Quentin, incorporant dans leur orbite économique une partie de la région
(.) cf. R. Blanchard,
toise à l'époque
pp. 232-279.
gantois".
thèse citée,
française
ll
,
On peut consulter
S.E.V.P.E.N.
1969,
et J.
D'hondt
Revue d'histoire
également:
371 pages.
"L'industrie
moderne
F. Leleux
cotonnière
et contemporaine
"Liévin Bauwens
gan-
1955,
industriel
- IGI du Nord-Pas-de-Calais. Bauwens fabrique des métiers à filer et tente d'adapter
les nouvelles techniques à la laine et au lin dont il a, le premier, l'idée de
mouiller les fibres pour faciliter la filature. Si l'on songe que la plus grande
partie de cette production s'écoulait sur les marchés de la France actuelle, on
comprend à quel concurrent redoutable se trouvait confrontée la région lilloise
notamment, où la filature de coton débutait alors timidement (cf. ci-dessous).
Ces entreprises gantoises sont certes fragiles sur le plan financier
la chute de l'Empire, précédée par la faillite de Bauwens lui-même, les soumet
à rude épreuve, mais il en reste un acquit technologique considérable et une
main-d'oeuvre expérimentée. A partir de 1815, une politiqué douanière constamment protectionniste libère la région du Nord-Pas-de-Calais de cette concurrence
pratiquement jusqu'en 1860, tandis que l'industrie textile belge ne dispose plus
que d'un marché considérablement réduit, surtout après 1830, lorsque la séparation d'avec les Pays-Bas la prive des débouchés offerts par ce pays et ses colonies. La présence de la frontière belge ne suffit pas à déclencher la croissance de l'industrie textile du Nord qui avait ses racines sur place, mais elle
handicape gravement des rivaux dangereux.
L'existence de la Belgique a présenté d'autres avantages pour l'industrie textile de la région Nord-Pas-de-Calais. Ce pays a mis à sa disposition
de l'énergie et un peu de matières premières, des réseaux de voies de communication et surtout des hommes.
Sans représenter une part considérable des coûts de production, l'énergie était un élément indispensable pour l'industrialisation du textile. La région
ne pouvait guère compter sur l'utilisation de la force hydraulique, en raison de
la faiblesse d'ensemble de son relief et de l'absence de rivières aux débits
notables.
Le charbon apportait une solution idéale à ce problème. La Belgique
en fut le principal fournisseur étranger pendant tout le dix-neuvième siècle.
Son rôle a été important pour la région du Nord, car la mise en valeur intensive
des bassins belges a démarré plus tôt que celle des gisements français situés
dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Les chiffres cités par
F. Lentacker sont éloquents: en 1855, le bassin du Nord produit 600.000 tonnes
- 162 alors que la Belgique expédie 610.000 tonnes en France. En 1859, les chiffres
sont respectivement de 1.530.000 et de 3.300.000 tonnes. C'est seulement vers
1870, grâce à la mise en valeur des gisements du Pas-de-Calais, que la production régionale dépasse les importations en provenance de Belgique. Ceci signifie
que, pendant des décennies, l'industrie textile du Nord a utilisé en partie des
charbons belges dont les principaux puits étaient dans le Borinage, c'est-à-dire
à proximité de la frontière française. Le réseau de voies navigables permettait
un transport commode, notamment vers la région de Roubaix-Tourcoing. La proximité de la Belgique a, de cette façon, permis à l'industrie régionale de disposer de charbon en abondance, avant même que le gisement du Nord-Pas-de-Calais
connaisse sa pleine mise en valeur.
L'avantage ne portait pas seulement sur les quantités disponibles mais
aussi sur les prix. L'industriel pouvait faire jouer à son profit la concurrence
entre les divers charbonnages. Jusque vers 1880, cela contraint les compagnies
du Nord à aligner leurs tarifs sur ceux des produits belges, en dépit des droits
de douane qui les frappaient
nos voisins ayant besoin d'exporter orientaient
leurs prix de vente plutôt à la baisse.
Cet état de choses fut lourd de conséquences sur le plan des localisations de l'industrie textile, à l'intérieur même de la région (.). La meilleure
situation n'était pas nécessairement la proximité des gisements français, car
pour compenser les moindres bénéfices faits sur les marchés extérieurs à la région, où la concurrence étrangère était vive (par exemple lorsqu'arrivent les
charbons britanniques acheminés par voie maritime) les sociétés minières réservaient le tarif le plus élevé possible à leurs clients les plus proches. Ceux-ci
ne bénéficiaient donc pas pleinement de la rente de situation qu'aurait pu leur
procurer la proximité de la mine. La localisation la plus avantageuse est celle
(.) cf. la thèse citée de M. Gillet,
tarifaire
pratiquée
notamment
par les différents
en ce qui concerne
charbonnages
la politique
du Nord et du Pas-de-Calais.
- 163 -
où il est possible de mettre constamment en concurrence les fournisseurs français et belges, car cela garantit un approvisionnement plus sûr et au moindre
coût. Les régions frontalières se trouvaient de cette façon particulièrement
bien placées et notamment l'arrondissement de Lille qui dispose rapidement de
liaisons fluviales avec tous ces bassins.
La Belgique pouvait également fournir un autre produit utile à l'industrie textile: le lin. Ces livraisons, à vrai dire, ne concernèrent pas tellement les lins bruts mais surtout les lins teillés (.). Courtrai devint, après
1850, le principal centre d'Europe Occidentale pour le rouis$age-teillage de cette fibre, travaillant même la majeure partie des lins bruts français.
La proximité de ce foyer de négoce et de première transformation de la
matière première était un avantage pour les filateurs de la région lilloise, qui
pouvaient s'y ravitailler aisément (il n'y avait plus de droits de douane après
1860 sur ces produits), en dépit des protestations des cultivateurs français. Les
fabricants d'ailleurs soutenaient, cette fois, les réductions tarifaires, affirmant que sans elles ils ne seraient plus compétitifs. De fait, les décennies
1860-1880 sont à la fois celles où s'affirme l'essor du marché de Courtrai et où
la région du Nord-Pas-de-Calais acquiert une supériorité écrasante, en France,
dans la filature du lin (..) puisque, en 1870, elle dispose, à elle seule, des
trois quarts des broches, contre à peine 50 % en 1851.
Au fur et à mesure de sa croissance, l'industrie textile va chercher
ses matières premières et livre ses produits finis de plus en plus loin. Il lui
est par conséquent très utile de disposer des meilleurs réseaux de communication
possibles. Là encore la présence de la Belgique est un avantage: elle permet
par exemple de choisir entre Dunkerque et Anvers (... ) pour faire venir les
(.) F. Lentacker
la filature
mentionne
française
(..) cf. L. Merchier,
dustrie
textile
véritable
ouvrage
française
(... ) cf. la citation
tée par F.
Lentacker
providence
qu'en
provenaient
1870, la moitié
des lins préparés
utilisés
par
de Belgique.
cité, et Cl. Fohlen
au milieu
"La concentration
du dix-neuvième
particulièrement
dans sa thèse:
par ses services
significative
ilLeport belge
de steamers".
siècle",
article
dans l'incité.
d'un contemporain,
(Anvers) représentait
rapporune
- 164 laines d'outre-mer. Pour les liaisons avec l'Est de la France, on pouvait utiliser les réseaux ferrés français ou belges etc ... Même s'il y recourt fort peu,
cette liberté de choix est un atout précieux pour l'industriel, qui s'en sert
pour faire pression sur les transporteurs nationaux de tous ordres, qui ne sont
plus en position de monopole.
La Belgique a été enfin une source considérable de main-d'oeuvre, et
c'est probablement par ce biais que sa présence a le plus favorisé l'épanouissement de l'industrie textile du Nord-Pas-de-Calais. Au cours du temps, ce courant
migratoire a intéressé des catégories différentes de population et s'est fait
suivant des modalités variées.
L'apport en dirigeants et en capitaux reste relativement limité (.),
beaucoup moins important que dans la métallurgie par exemple. Certes, en 1828,
12 % des familles patronales établies à Lille-Roubaix-Tourcoing
proviennent de
Belgique, mais la moitié d'entre elles résidaient initialement dans des communes
situées entre Mouscron et Menin, c'est-à-dire à proximité immédiate de la Frontière : il n'était pas étonnant que certains de leurs membres s'installent à
quelques kilomètres de là, en France, d'autant que les patrimoines fonciers se
répartissaient assez souvent de part et d'autre d'une ligne de séparation politique finalement relativement récente. D'autres familles, comme les Wallaert
arrivés vers 1750 de Courtrai, étaient fixées depuis longtemps. Au total, on
peut considérer que cet apport n'a intéressé qu'une fraction très minoritaire
de la classe dirigeante, même si ces mouvements se sont traduits par un solde
positif en faveur du Nord.
La Belgique a fourni, par contre, une part fort appréciable de la maind'oeuvre salariée. Ces travailleurs quittaient leur pays en raison des difficultés économiques graves que connaissent pendant tout le dix-neuvième siècle les
Flandres et le Hainaut Occidental Belges. Après la chute de l'Empire, des ou-
(.) Pour
tout ce développement
empruntées
contient
notamment
également
toutes
cf. la thèse de F. Lentacker
les données
des remarques
chiffrées.
intéressantes
à laquelle
sont
La thèse de R. Blanchard
sur ce thème.
- 165 -
vriers gantois émigrent à Lille qui profite
ainsi des connaissances techniques
qu'ils ont de l'industrie moderne. Cependant, la plupart des émigrants appartenaient au secteur artisanal. Dans la Belgique de 1819, sur 400.000 emplois rattachés à ce que l'on appelerait de nos jours le secteur secondaire, 300.000
étaient occupés par des travailleurs à domicile dont l'immense majorité s'adonnait à la filature et au tissage du lin. La mécanisation de ces activités, qui
se place, en Belgique, surtout dans la seconde moitié du siècle, va libérer des
effectifs considérables. Une part de ces actifs viendra chercher du travail dans
le textile du Nord.
C'est un apport extrêmement précieux pour les industriels de la région,
car, au moment où leurs activités connaissent une phase de croissance, ils trouvent une main-d'oeuvre assez peu exigeante, en raison de la modicité des salaires
pratiqués dans son pays d'origine. De plus, leur statut d'étrangers les contraint
à faire preuve de modération sur le plan social. Leur présence permet au patronat de peser sur le niveau des salaires de l'ensemble des travailleurs. Il est
également plus facile de licencier ces immigrés en cas de ralentissement économique. Par ailleurs, cette main-d'oeuvre est assez compétente car elle a souvent
une certaine pratique du travail artisanal textile, surtout en tissage. Son
niveau de formation de départ est, en fait, le même que celui des salariés français qui proviennent fréquemment de localités où le travail manuel est en déclin.
Le nombre des Belges qui viennent se fixer dans la région est considérable. Les
différentes estimations faites par F. Lentacker sont très éloquentes:
entre
1871 et 1892, 28,6 % de la population de l'arrondissement de Lille sont nés en
Belgique. Au cours des décennies 1860-1880, des communes telles que Roubaix,
Wattrelos, Halluin ont une population originaire en majorité de Belgique. Il est
évident que ce mouvement a particulièrement profité aux industries étudiées, car
ce sont les communes de l'arrondissement de Lille où la monoactivité textile est
la plus prononcée, qui présentent les plus forts pourcentages de Belges.
Ce réservoir de main-d'oeuvre était d'autant plus précieux que le NordPas-de-Calais ne disposait pas d'autre source extérieure de cette importance.
En effet, les principaux foyers d'émigration français, comme l'Ouest, étaient
- 166 -
beaucoup plus éloignés et, surtout, subissaient avant tout l'attraction de la
région parisienne qui constituait entre eux et le Nord un écran infranchissable.
Même dans une région aussi proche que la Picardie, l'attrait de Paris était
difficile à contre balancer; il s'exerçait d'ailleurs sur les habitants du
Nord-Pas-de-Calais eux-mêmes.
A partir des années 1880-1890, le mouvement d'émigration des Belges
se ralentit sérieusement. Le textile n'en perd pas pour autant cette catégorie de
travailleurs car les migrants deviennent Frontaliers, c'est-à-dire qu'ils restent
domiciliés dans leur pays d'origine mais occupent un emploi dans les usines
françaises. C'est le résultat de l'essor des moyens de communication:
réseaux
de chemin de fer de banlieue, tramways, bicyclettes, autocars à partir de 1920.
Le coût de la vie est moins cher en Belgique, le taux de change est favorable
au franc français. L'industrie textile du Nord continue ainsi à utiliser des
dizaines de milliers de travailleurs, avec la plupart des avantages rencontrés
précédemment,
Ce mouvement a atteint son apogée entre 1925 et 1930, Ces salariés
vont en France chercher du travail en partie parce que les grands centres textiles sont proches de la frontière, mais, inversement, la persistance de ce
flux justifie le maintien de ces industries dans les localisations héritées des
années 1850-1890, Il est clair que la région de Roubaix-Tourcoing et l'ensemble
de la Vallée de la Lys textile, du fait du tracé de la frontière et de leur
position au contact du Hainaut Occidental et de la Flandre, étaient particulièrement bien placés pour tirer partie au maximum de cette situation,
Il est assez difficile d'évaluer l'influence réelle de la proximité de
la région parisienne. Cette dernière n'a guère fourni de capitaux, contrairement
à ce qui s'est passé dans les chemins de fer par exemple, et les sociétés textiles familiales n'ont pas de liens de dépendance vis-à-vis des grandes banques
nationales;
il arrive que celles-ci fournissent des crédits à court terme pour
couvrir le financement des achats de matières premières, mais elles ne sont
- 167 -
guère présentes dans le capital des firmes (.). Paris prive le Nord des grands
courants de migration, mais offre un marché de consommation et de commercialisation important, d'autant que l'industrie de la confection s'y développe. De ce
point de vue, la relative proximité de la capitale peut être utile à l'industrie1.
Les ressources matérielles.
La région, on l'a déjà évoqué, a bénéficié au dix-neuvième siècle de
la mise en exploitation, sur une grande échelle, de son gisement houiller. Celui-ci, toutefois ne devient réellement important qu'après 1860 : au cours de
la période 1843-1847, la région n'extrait que le quart de la production nationale ; après 1886, ce pourcentage atteint 50 % et en 1908-1912, 66 %. F. Lentacker
constate, dans sa thèse, qu'après 1885, l'abondance des charbons du Pas-de-Calais
pèse, à Roubaix-Tourcoing, sur les prix des charbons belges importés. Ceci est
intéressant dans la mesure où les métiers textiles plus complexes et plus rapide
nécessitent à la fin du siècle proportionnellement plus d'énergie (..).
Pourtant le Bassin Houiller n'a pas été un noyau de fixation de l'industrie textile: le charbon n'y était qu'un peu moins coûteux par rapport au
reste de la région; différence trop faible pour attirer à elle seule le textile
pour lequel le prix de l'énergie n'est pas un élément fondamental. Mais, surtout,
le travail de la mine nécessitait beaucoup de main-d'oeuvre au point qu'il fallait en faire venir du reste de la région ou même de l'extérieur. Cette situation
(.) cf. J.
Laloux,
(..) Cl. Fahien
moyenne
1870.
thèse citée.
estime que, vers
700 broches
de filature,
1830, un cheval-vapeur
contre
faisait mouvoir
100 à 120 seulement
en
vers les années
- 168 -
rendait les régions houillères peu attractives pour la plupart des autres industries. M. Gillet y voit la raison essentielle du maintien de la monoactivité
houillère dans tout l'ouest du bassin. Il semblerait que le textile puisse échapper à cette répulsion puisqu'il emploie, dans certaines branches tout au moins,
une grande quantité de main-d'oeuvre féminine que les mines n'étaient pas susceptibles d'occuper. Il faut se souvenir toutefois que, même en filature, les
agents de maîtrise, les régleurs, les mécaniciens et l'ensemble du personnel
d'entretien sont des hommes. Leur présence et leur compétence sont indispensables
Il aurait été difficile de les recruter dans le Bassin Minier car les sociétés
houillères offraient des salaires honorables et surtout une grande stabilité
de l'emploi, ce qui n'était guère le cas dans le textile. Il était plus intéressant pour cette dernière industrie d'être à proximité de la Belgique qui fournissait des travailleurs d~s deux sexes.
Le Nord-Pas-de-Calais fournit du lin. C~te culture, au début du
dix-neuvième siècle, était beaucoup plus largement répandue à travers la région
que de nos jours. Dans sa statistique de 1804, le Préfet du Nord, Dieudonné,
mentionne la production de lins fins notamment dans le Douaisis, la région de
Saint-Amand-les-Eaux et le Cambrésis. Le lin est aussi largement cultivé dans
le Pas-de-Calais. Cette culture est diffusée également dans tout le quart
Nord-Ouest de la France ou elle est parfois associée au chanvre. La plupart de
ces régions ne réussiront pas à passer du stade artisanal à celui de la grande
industrie.
L'essor de la filature mécanique, va correspondre à un déclin de la
culture du lin en France, y compris dans le Nord-Pas-de-Calais. Les industriels
souhaitent disposer de la matière première la moins chère possible, alors que
le cultivateur réclame un prix d'autant plus élevé que de nouvelles spéculations
rémunératrices s'offrent à lui, grâce, par exemple, à l'extension de la culture
de la betterave à sucre dans le Nord-Pas-de-Calais. De plus en plus, l'industrie
se tourne vers les lins d'importation:
la Russie grâce à ses provinces baltes,
au climat favorable et à la main-d'oeuvre abondante, devient, à partir du Second
Empire, un fournisseur important. En 1889, le Nord possède 89 % du total des
- 169 -
broches françaises et les lins venus de Russie représentent 85 % de l'approvisionnement de l'industrie française (.). Cette matière transitait souvent
par la Belgique et était préparée à Courtrai. Le développement de l'industrie
a donc été facilité par le fait qu'elle a su se passer de la production régionale. Il est significatif, à cet égard, de constater qu'en 1887 le Nord
a moins du huitième de la superficie française consacrée au lin.
Il faut évoquer rapidement le problème de l'eau. Ce ne fut certainement pas un atout pour la région, dépourvue de rivières importantes ou de
grandes nappes non-calcaires. Les dérivations réalisées à parti! de la Lys
pour ravitailler Roubaix-Tourcoing, puis les forages opérés dans la nappe
du calcaire carbonifère traduisent les difficultés rencontrées par le principal
foyer textile du Nord. La région de Fourmies elle-même, au climat plus humide,
ne dispose pas de nappes aux réserves abondantes. L'eau n'a été qu'un facteur
de localisation de second ordre, c'est-à-dire qu'à l'intérieur d'un foyer
textile, les activités les plus exigeantes en eau se disposaient plutôt à
proximité des rivières: c'est ainsi que la Marque, dans l'agglomération de
Roubaix-Tourcoing, a été un lieu de concentration de blanchisseries et de
teintureries. Ce fut la même chose pour la Vallée de la Lys, à l'intérieur
de l'ensemble de l'arrondissement de Lille. Toutefois ces implantations n'ont
pas été systématiques. Les peignages, dont les besoins en eau sont pourtant considérables, n'ont pas été attirés par les rivières qui viennent d'être mentionnées.
L'ancienneté et l'importance du travail textile dans le Nord-Pas-deCalais sont un fait bien connu (..). Il est beaucoup plus difficile de détermi-
(.) cf. L. Merchier,ouvrage
(..) Voir notamment
cité.
la récente
IIHistoire
des Pays-Bas
Français"
ouv. cité.
- PO -
ner qu'elle était exactement, à la veille de l'industrialisation,
la place
occupée par la région, par rapport au reste de la France. Dans son étude sur
l'industrie lainière au dix-huitième siècle, T. J. Markovitch a dû renoncer,
faute de documents précis, à évaluer la part de cette activité localisée en
Flandre et au Hainaut. Il semble d'après les quelques éléments dont il a pu
disposer qu'elle ne devait pas s'élever à plus de quelques pour cent.
Les premières données sérieuses datent du début du dix-neuvième
siècle, lorsque Dieudonné élabore sa statistique, mais alors, la révolution
industrielle est déjà en marche. La situation des différents foyers à cette
époque sera évoquée ci-dessous. D'une façon générale, on constate que l'on file
et tisse un peu partout dans les deux départements. Cela suppose la présence de
toute une population habituée au maniement des fibres et au travail minutieux
qu' e 11es exi gent. Toutefoi sil n'en résu1 te pas que des avantages : l' industri e
naissante doit s'efforcer d'élaborer des articles aussi bons que ceux produits
à la main, dont la qualité était déjà fort honorable. Plus les artisans sont
habiles et plus il sera difficile de les supplanter. Par ailleurs, la présence
d'un grand nombre de travailleurs très qualifiés peut entraîner des réactions
hostiles de leur part, vis-à-vis de toute forme de mécanisation, comme ce fut
souvent le cas en Angleterre ou dans la région lyonnaise. Si de multiples
plaintes furent émises dans le Nord contre les "mécaniques" et la "grande industrie", elles ne se transformèrent guère en manifestations violentes car
il s'agissait surtout de ruraux assez mal organisés sur le plan social (.).
L'existence d'une tradition textile antérieure à la révolution industrielle a présenté deux avantages principaux:
le processus d'industrialisation
s'est étalé sur plusieurs décennies. La filature se mécanise en général 20 ou 30
ans avant le tissage. De ce fait, il arrive un moment où la production des filés
devient surabondante, car les tisserands n'ont pas accru dans la même propor-
(.) cf. par exemple
Cambrésis.
la thèse citée de C. Blaise
sur le tissage à main dans le
- 171 -
tion leur capacité de fabrication et ceci constitue un frein au développement
de l'industrie. La présence d'un grand nombre de tisserands à main est alors
un avantage pour l'industriel qui trouve sur place un marché intéressant.
Les filatures mécaniques du Nord ont bénéficié de cet atout; elles ont
rapidement éliminé la production manuelle des filés, car l'ouvrier d'usine
avait une productivité plusieurs dizaines de fois supérieures à celle de
l'artisan. Cette main-d'oeuvre rendue disponible et habituée au travail textile
s'est alors tournée vers le tissage.
Jusqu'aux environs de 1850, les métiers à tisser manuels se multiplient dans la région (.) et constituent un débouché très appréciable pour la
filature locale. Les industriels les plus dynamiques sont d'ailleurs les premiers à favoriser ce mouvement, allant parfois jusqu'à installer eux-mêmes des
métiers chez des artisans à domicile auxquels ils fournissent les filés. La
possibilité donnée à l'industriel de réaliser ce genre d'opérations est doublement avantageuse pour lui, car il peut produire des fils sur une plus grande
échelle et en même temps retirer un bénéfice de la revente de ces tissus dont
il assure lui-même la commercialisation. En offrant un contexte favorable au
développement de ce genre d'activité, la région a facilité la croissance des
industries textiles naissantes, c'est-à-dire au moment où elles étaient les
plus vulnérables.
Après 1850-1860, l'importance du tissage manuel est plutôt un obstacle à l'industrialisation. Ces artisans habiles se contentent de prix de façon
très faibles, car ils aéceptent des journées de travail très longues et ont peu
de matériel à amortir. Cela contribue à rendre leurs produits plus longtemps
compétitifs par rapport à ceux de l'industrie.
Le second avantage procuré par la tradition textile a été l'existence
d'une classe de négociants ou de marchands-transformateurs.
Ces derniers vendaient à l'extérieur les produits des artisans ou les faisaient travailler
(.) L'essor
région,
améliore
du tissage manuel
à partir
beaucoup
est favorisé
du dix-neuvième
la productivité
siècle
également
seulement,
par la diffusion
dans la
de la navette volante
de ce tissage.
Dans la Vallée
de la Lys notamment,
soient fournis
pour attirer
il arrive que les logements
des tisserands
venant
de la Flandre
eux-mêmes
belge.
qui
- 172 -
à façon. Ce groupe a joué un rôle important
car, dans ses rangs, se sont
recrutés nombre d'industriels (.). On considère souvent que l'atout décisif
fut pour eux d'investir les capitaux tirés du négoce. Ce n'est probablement
pas cet aspect qui a été essentiel. On ne dispose guère d'états de fortunes
de ces négociants mais les quelques exemples qui seront donnés ci-dessous
montrent que, souvent, ils ne possédaient pas de capitaux considérables.
Et, de toute façon, au début, l'industrie textile n'était pas très exigeante
sur ce plan.
Le principal avantage des négociants fut surtout une bonne connaissance du marché et de ses exigences;
ils sont capables de choisir les matières
premières, de se livrer à des calculs de rentabilité et de s'adapter à la
versatilité de leurs clients. Toutes ces qualités seront particulièrement
nécessaires à l'industriel. De plus, le négociant doit se déplacer fréquemment
pour ses affaires ( ..) ; dès la fin du dix-huitième siècle beaucoup circulent
à cheval à travers toute la France, la Belgique et la Hollande notamment. Ils
se rendent fréquemment en Grande-Bretagne. Ceci améliore leurs connaissances,
les informe des dernières nouveautés techniques et commerciales. Ce type d'activités fut souvent une excellente école de formation au métier d'industriel,
et c'était d'autant plus précieux qu'il n'existait aucune autre forme d'enseignement organisé en ce domaine.
Cette tradition textile a comporté des éléments favorables, mais il
ne faut pas exagérer son rôle, car elle existait également dans d'autres régions
de France qui ont vu leur importance décroître au cours du dix-neuvième siècle.
Inversement, un centre comme Calais ignorait le travail textile et allait pourtant connaître une brillante réussite dans cette branche industrielle.
(.) cf. l'ensemble
( .. ) cf.
! :
1
"
J.
des publications
Toulemonde • ouvrage
citées de J.
ci té.
Lambert-Dansette.
- 173 -
Au début de la révolution industrielle, la région Nord-Pas-de-Calais
est déjà fortement peuplée: sa densité, en 1801, 100 habitants au kilomètre
carré, est supérieure à celle de la France de 1974. Dans les secteurs où vont
se développer les plus grands centres textiles, cette accumulation de population
était encore plus considérable:
la densité du département du Nord s'élève alors à 132 et celle de l'arrondissement de Lille à 250 (.).
Pour qu'un grand centre textile s'édifie, il était nécessaire de disposer de ressources notables en main-d'oeuvre, car la mécanisation était encore
relativement peu poussée dans cette branche. Toutefois une surabondance de
travailleurs pouvait constituer un frein dans la mesure où des salaires très
bas n'incitaient pas les responsables économiques à rechercher les techniques
les plus productives. L'étude citée de F. Dornic sur la famille Cohin, grands
~égociants en toile sarthois du dix-neuvième siècle, est typique à cet égard;
l'auteur montre comment les faibles prix de façon payés aux artisans à domicile
expliquent que ces entrepreneurs installent tardivement des tissages mécaniques,
alors que leur puissance financière leur aurait permis de le faire bien plus
tôt. Il est évident que si l'abondance de la main-d'oeuvre avait été le facteur
décisif, l'Ouest de la France, dans son ensemble, serait devenu un grand foyer
textile.
Dans la région du Nord-Pas-de-Calais, la situation a été favorable
à l'industrialisation du textile, car, s'il était possible de recruter des travailleurs, le développement simultané d'autres activités, extraction houillère,
métallurgie, industries alimentaires comme la brasserie ou la sucrerie etc ... ,
créait une certaine pression sur le marché de l'emploi.
Si les salaires restaient trop bas, le personnel le plus qualifié
pouvait se tourner vers d'autres branches. L'industriel était incité à mécaniser,
(.) Source
Annuaire
statistique
régional.
INSEE, Lille
1951.
- 174 -
ne serait-ce qu'en raison de la menace qu'il devinait à terme. Pour attirer
les Belges eux-mêmes il fallait leur offrir des rémunérations plus élevées
que dans leur pays et les dissuader de choisir les travaux agricoles, le
bâtiment etc .•. De ce point de vue, ce n'est pas un hasard si les industrles
textiles les plus fortement mécanisées se sont épanouies dans l'arrondissement
de Lille où existent des branches industrielles variées. Au contraire, en
Flandre Intérieure, l'absence d'activités concurrentes et la surcharge démographique ont retardé la mécanisation. Lorsque l'industrie textile y débute
vraiment, il lui est alons difficile de rivaliser avec les centres modernes
et puissants édifiés entre temps ailleurs. La situation, bien que diamétralement opposée à celle du Bassin Minier y aboutissait à un résultat final
similaire.
Le Nord-Pas-de-Calais a également eu la chance
de disposer de très nombreux "entrepreneurs" de talent, c'est-à-dire de gens
ayant le goût du risque économique et l'aptitude à transposer sur le plan
industriel les derniers perfectionnements de la technologie. L'action de ces
hommes s'est d'ailleurs manifestée dans la plupart des branches industrielles
qui se sont créées dans la région au cours de la première moitié du dix-neuvième siècle, et pas seulement dans les activités textiles. C'est cependant
dans celles-ci que leur rôle a été particulièrement important en raison du
contexte général de l'époque: l'Etat français n'intervient guère directement
pour promouvoir telle ou telle branche de l'économie. Lorsque sa sollicitude
se manifeste, c'est en faveur de secteurs bien précis : les chemins de fer,
par exemple, qui brisent les cadres de la vie économique traditionnelle.
Pour le textile, l'Etat se contente de faire jouer les tarifs douaniers ou d'appliquer des lois sociales à caractère général (celle de 1841 sur
la réglementation du travail des enfants, par exemple). Seule l'action des
particuliers à l'esprit entreprenant amorce le processus d'industrialisation
et permet ainsi de concrétiser les potentialités d'un environnement géographique
favorable.
Le volume de capitaux nécessaires pour se lancer dans l'industrie textile naissante est bien plus faible que dans la sidérurgie ou les chemins de fer.
- 175Un peu partout, de nombreuses personnes ont la possibilité matérielle de monter une entreprise textile, car celui qui possède quelques métiers mécaniques
est déjà un producteur notable, à un moment où une part appréciable de la promais cette situation ne dure pas,
duction est encore assurée par les artisans
et une sélection impitoyable va éliminer ceux qui ne se modernisent pas régulièrement. C'est par ce processus que le textile s'est concentré géographiquement
là où se trouvaient le plus d'entrepreneurs dynamiques. Cette évolution s'étale
sur plusieurs décennies. Comme cette jeune industrie est susceptible de fournir
des profits très appréciables, celui qui a débuté modestement peut fort bien
résister s'il réinvestit systématiquement ses bénéfices. L'article industriel
dispose en effet d'un marché en voie d'expansion très rapide: le produit artisanal de qualité, très lent à fabriquer, était coûteux et réservé de ce fait à
une minorité de la population. L'abaissement des prix consécutif à l'industrialisation, permet à de larges couches de consommateurs de se porter acquéreurs
des nouveaux articles textiles. A cela il faut ajouter la croissance générale
de la population. Toutes proportions gardées, l'industriel se trouve dans une
situation proche de celle des fabricants d'appareils d'électro-ménager, dans les
années 1950 : un marché qui s'étend à mesure que la production se mécanise.
Les quelques exemples précis dont on dispose montrent qu'effectivement
l'accumulation du capital pouvait se faire à une allure rapide. L'ouvrage déjà
cité de J. Toulemonde contient un graphique (page 233) retraçant, à l'époque où
naissait l'industrie, l'évolution de la fortune de Floris Toulemonde, membre de
l'une des grandes familles industrielles textiles de la région rouba i s f enne : de
moins de 50.000 francs en 1833, elle s'élève à plus d'un million, 25 ans plus
tard. J. Lambert-Dansette avance, dans sa thèse, pour les années 1850-1870, des
taux de profit de l'ordre de la à 20 % du capital investi dans le tissage armentièrois, époque à laquelle il se mécanise (.). Cela ne signifie pas que la tâche
(.) D'autres
exemples
des firmes Agache,
tiques pour voir
n'était
à partir
et Thiriez).
s'il s'agissait
évidemment
an economic
seront cités ci-dessous
Prouvost
pas propre
d'une documentation
sont en moyenne,
une entreprise
purement
i
textile
l'ouvrage
Oxford,
précise,
chaque année,
toutefois
ou non de cas exceptionnels.
au Nord:
and social history
(cf. notamment
On manque
Clarendon
montre
spécialisée
des débuts
systéma-
Cette
de D.C. Coleman
Press,
que, entre
de 26 % du capital
l'analyse
d'analyses
situation
(Courtaulds,
1965 T. l 274 p.) fait
1830 et 1848, les profits
investi. Courtaulds
dans le,travail
est alors
de la soie.
- 175 bis -
de l'entrepreneur soit aisée à cette époque: il devait choisir les métiers
parmi un foisonnement de types de matériels, réussir à former la main-d'oeuvre,
résister aux très brutales et très fréquentes crises économiques. Les talents
propres de l'entrepreneur étaient plus décisifs que la possession initiale de
quelques dizaines de milliers de francs en plus ou en moins.
La nécessité de réinvestir les bénéfices pour rester compétitif en
dépit de la rapidité des progrès techniques, entraîne une situation apparemment
paradoxale: l'entrepreneur textile fait des profits élevés, doit consacrer beaucoup de temps à une activité difficile et limiter son train de vie par rapport
à son niveau de fortune réel. La situation se complique si, comme cela est fréquent, l'affaire a été fondée par plusieurs personnes physiques car il faut que
.chacun des associés accepte cet état de choses. Dans ce contexte, la forte cohérence des structures familiales devient un atout: les liens créés entre les
individus aident à supporter les tensions qui surgissent dans la gestion des
affa ires. Le sentiment que la réussite de l'entrepri se sera celle de la famill e
à laquelle on se sent profondément attachée, permet de comprendre que l'individu
accepte de restreindre son niveau de vie: il a conscience d'ètre au service de
quelque chose qui dépasse sa simple personne. Si l'ascension sociale est récente,
il est d'ailleurs plus facile de conserver un style de vie pas trop éloigné de
celui des origines. Dans ces conditions, la volonté farouche de ce patronat de
préserver son indépendance se comprend mieux (.)
La joie d'être l'artisan principal de sa réussite et le maître d'une
entreprise dynamique est en quelque sorte une compensation psychologique à la
(.) La plupart
patronat
de celui décrit
mandie
des études historiques
de l'arrondissement
et des témoignages
ici. CL. Fohlen montre
qui consacre
une part importante
et qui a un train de vie plus fastueux.
région
après
1860.
publiés
de Lille, dont le comportement
la différence
avec le patronat
de ses profits
Cela explique
concernent
se rapproche
le
le plus
de la Nor-
en achat de biens fonciers
le déclin relatif de cette
- 176 -
relative austérité des moeurs (.). La pratique religieuse catholique rigoureuse
dans cette bourgeoisie devient elle aussi un élément favorable car elle renforce la cohésion de la famille. De même la grande fécondité de ce patronat
n'est pas une gêne lors de la période d'expansion, car les postes de direction
se multiplient avec le développement de la firme et l'essaimage de ses filiales.
La présence de ce type d'hommes a donc revêtu une importance décisive
en raison du contexte socio-économique de cette période (..). L'essor de l'industrie textile dans le Nord-Pas-de-Calais au dix-neuvième siècle s'explique
en bonne partie par un concours de circonstances. Il n'est guère possible de
doser la part relative de chacune d'elles. Ce qui importe surtout au géographe,
c'est de constater que presque toutes étaient liées à un certain contexte historique et que par conséquent leurs effets furent limités à une certaine période.
La région du Nord-Pas-de-Calais n'avait pas une vocation "naturelle"
Ce sont des événements contingents qui ont
redonné un lustre particulier à cette activité. Ceci montre immédiatement la
fragilité relative de cette concentration géographique. Il convient maintenant
de voir comment ces différents facteurs se sont combinés pour donner à chaque
foyer textile la spécialisation, le poids et le rayonnement constatés dans le
chapitre précédent.
à être une grande région textile.
(.) Lorsque
le grand
industriel
des signes particuliers
ce sont elles qui doivent
comme ces princes
tifiables
entre
roubaisien,
(cheminées
témoigner
de la Renaissance
tous, mais
Alfred Motte,
et murs crénelés),
ici c'est
donne à ses usines
ne signifie-t-il
pas que
aux yeux du public de sa puissance
qui voulaient
que leurs châteaux
l'outil de production
lui-même
?
un peu
soient idenqui devient
objet de gloire.
(..) Des études de psycho-sociologie
pour expliquer
dans
pourquoi
l'arrondissement
ce thème peuvent
de Lille en particulier.
être glanées
"L'industrialisation
les réflexions
historique
ce type de comportement
dans le colloque
en Europe
de P. Chaunu
au cours
sur l'échec
comparées
seraient
nécessaires
a été particulièrement
Des réflexions
réuni par le C.N.R.S.
du dix-neuvieme
industriel
répandu
intéressantes
siecle",
sur
en 1970 sur
cf. notamment
de la Normandie.
- 177 -
b~_EQ~~~IIQ~_Q~~_Q!EE~~~~I~_Ç~~I~~~_I~~IIb~~_Q~
~Q~Q:E~~:Q~:Ç~b~I~·
Avant la Révolution Industrielle, ces deux communes ont un chiffre
de population qui les place parmi les villes moyennes du département du Nord
en 1801, Roubaix compte 8.700 habitants et Tourcoing 12.000 (.). L'importance
plus grande de Tourcoing n'est pas surprenante car cette localité se trouve à
proximité de la route qui, par Roncq et Halluin, relie Lille à Courtrai et à
Gand, tandis que Roubaix se trouve complétement à l'écart de toute voie de
circulation
notable.
Lille, au même moment, avec ses 60.000 habitants, les surpasse très
nettement; et pourtant, la capitale des Flandres Françaises ne les domine pas
à proprement parler. Roubaix et Tourcoing constituent des centres de production
textiles autonomes sur les plans techniques, financiers et commerciaux. Cette
indépendance avait été revendiquée depuis des siècles et acquise progressivement
Elle est devenue totale au cours de la seconde moitié du dix-huitième siècle (..)
Les deux villes travaillent la laine mais se situent à des stades différents du
(.) Source:
Cl. Fohlen
(..) La rivalité
Moyen-Age.
Les différentes
lieu à des contestations
1762, encore,
chartes
textile.
seulement
se manifeste
dès la fin du
et statuts accordés par les autorités
incessantes
les Lillois bataillent
rant le travail
tisfaction
"Roubaix au XIXèrne", article cité.
entre Lille et Roubaix-Tourcoing
entre les bourgeoisies
pour obtenir
la suspension
Les gens de Roubaix-Tourcoing
en 1776. Ils forment alors
donnent
des trois villes. En
de llédit
obtiennent
juridiquement
libé-
pleinement
sa-
un centre pleine-
ment autonome et rival de Lille, ce Qu'ils etaient en fait depuis bien longtemps.
Sur ce point,
consulter
notamment la
recente
"Histoire
des Pays-Bas
Fr-ança.i a'",
- 178 -
cycle de transformation:
Tourcoing se spécialise dans le lavage et le peignage
(.), tandis que Roubaix se consacre au tissage et à la finition des étoffes.
Toutes deux ne rassemblent pas sur leur territoire la totalité des
ouvriers; elles sont surtout le siège des entreprises qui animent cette activité. De ce fait, l'importance réelle de Roubaix et de Tourcoing est plus grande
que ne le fait apparaître le volume limité de leur population. Le marchand tourquennois achète lui-mème de la laine brute, la fait peigner dans son atelier artisanal ou dans les campagnes environnantes par des gens, qui peuvent ètre de
simples façonniers, ou travailler pour leur propre compte. De toute façon, la
revente du ruban de peigné se fait. par l'intermédiaire d'un négociant de la ville
De même le "fabricant" roubaisien se procure des fils de laine élaborés dans les
communes rurales et les fait tisser dans sa ville ou dans les campagnes. Seuls
les teintures et apprêts se font presque toujours à Roubaix dans des entreprises
spécialisées et généralement façonnières (..).
Ce schéma est évidemment très simpliste et la réalité offre une gamme
de situations très variées, depuis celle du négociant pur, se contentant de revendre les tissus réalisés par les artisans, jusqu'au cas du marchand-transformateur qui acquiert de la laine et revend des étoffes achevées. Il faut souligner que ce "fabricant" ne possède, au mieux, qu'une petite partie des moyens
de production. C'est de sa fonction de négociant qu'il tire l'essentiel de son
profit. Pour lui, le principal est de savoir choisir ses matières premières et
ensuite de vendre au meilleur compte. Même lorsqu'il a un atelier de transformation, il s'en absente souvent, car il tient à faire ses achats et ses ventes
lui-même (...). Pour réussir une meilleure opération, il n'hésite pas à se rendre
(.) Sans avoir
quatre
l'exclusivité
cinquièmes
production
est vendue
(..) Cf. notamment
(... ) Pendant
de cette
du peignage
en l'état,
les ouvrages
l'absence
lier et la gestion
la firme et accroît
au dehors
que prend
assure environ
de Lille. La moitié
les
de sa
(d'après Dieudonné).
l'épouse
de l'entreprise.
l'intérêt
Tourcoing
cités de P. Maurer
du négociant,
courante
fonction,
dans l'arrondissement
et J.
assure
Van den Driessche.
la surveillance
Ceci accentue
l'aspect
de l'ate-
familial
la femme au succès de l'affaire.
de
- 179 -
assez loin de son domicile, au besoin à l'étranger. Dès la fin du dix-huitième
siècle, une grande partie des laines travaillées sont achetées dans les Provinces
Unies. La laine n'est d'ailleurs pas la seule matière utilisée en tissage: le
lin l'est aussi (.). D'une façon générale ce qui caractérise ce fabricant, qui
a peu d'immobilisations, c'est sa grande souplesse. Il cherche avant tout à saisir les opportunités offertes par le marché. Il modifie facilement sa gamme
d'articles et n'hésite pas à réorganiser son activité.
Ces marchands appartiennent à des familles installées dans ces localités depuis très longtemps, des siècles parfois (..). P. Maurer, dans son étude
citée, relève un aspect très typique de cette situation: à Roubaix, entre 1750
et 1760, 187 entrées ont lieu dans le corps de métier des fabricants de tissus
78 % des nouveaux maîtres ne font que succéder à leur propre père. Ceci n'est
pas très étonnant dans la mesure où Roubaix-Tourcoing, placées à l'écart des
grandes voies de passage, n'attirent pas les gens venus de l'extérieur.
Toutesces familles se livrant aux mêmes activités,
graphique restreint, ont eu largement le temps de contracter
ances matrimoniales, avant même la Révolution Industrielle.
séquent, d'une bourgeoisie qui se déplace beaucoup pour des
tout en étant profondément enracinée sur le plan familial.
dans un espace géode multiples alliIl s'agit, par conmotifs professionnels
Ces négociants, ces marchands-transformateurs
dominent sans conteste
leurs villes. Les édiles se recrutent parmi eux. L'absence de toute fonction administrative ou judiciaire empêche l'apparition d'un autre type de bourgeoisie,
et à fortiori d'une noblesse de robe. Les propriétaires fonciers eux-mêmes ne
(.) P. Maurer
matières
(..) Nombreux
Dansette,
considère
premières
J.
que, en 1789, la laine représente
utilisées
exemples
Toulemonde
dans les ouvrages
et J.
les trois quarts des
à Roubaix.
et articles
Van Den Driessche.
cités de J.
Lambert-
- 180 -
forment pas un groupe vraiment distinct. Le marchand dont les affaires prospèrent achète facilement des terres. Le "laboureur" aisé organise la vente des
produits de sa ferme, qui peuvent ètre des fibres de lin, prête de l'argent à
un parent qui réalise des opérations de négoce, à moins qu'il ne décide de
s'y livrer lui-même, si les circonstances sont favorables (.).
La réussite dans les affaires est le meilleur moyen, dans ces villes,
pour acquérir la considération générale et montrer que l'on est digne d'accéder
aux plus hautes fonctions municipales. Il règne un climat psycho-social favorable à l'épanouissement de l'esprit d'entreprise. Ceci se traduit de façon manifeste sur le plan des institutions:
alors qu'à Lille cohabitent plusieurs corporations textiles qui se querellent entre elles et sont régies par des dispositions tatillonnes, parfois hostiles à l'expansion des entreprises, puisqu'il
ne faut pas, par exemple, posséder plus de six métiers à tisser; rien de semblable n'existe à Tourcoing ou à Roubaix. Dans cette dernière ville, on trouve
un seul corps de métier organisé en jurandes, celui des fabricants de tissus, et
les réglements sont fixés, en accord avec les marchands, au cours d'assemblées
pleinières. Aucune mesure ne limite le nombre de métiers dont peut disposer un
fabricant. Dans ce contexte, il est facile de créer de nouveaux types d'étoffes,
et d'utiliser les procédés de fabrication modernes. A Lille, par contre, on se
heurtera aux règles anciennes et aux fréquentes récriminations des membres des
corporations voisines considérant que le produit nouveau empiète sur le domaine
de leurs fabrications.
Les marchands-transformateurs
de Roubaix-Tourcoing ne semblent pas
avoir eu des entreprises très puissantes: en 1774, les frères Delaoutre disposent d'un atelier employant 16 ouvriers et possédant 16 métiers; ils appa-
(.) Les deux activités,
pratique
beaucoup
cite notamment
moins
l'exploitation
séparées
le cas de marchands
leur laine, et mettant
Roubaix-Tourcoing
ensuite
avant d'aller
de la terre, et le négoce
que l'on pourrait
acquérant
les bêtes
l'imaginer.
des moutons,
à l'embouche
les revendre
sont dans la
J.
Toulemonde
en Hollande,
utilisant
dans la région de
en tant qu'animaux
de boucherie.
- 181 raissent comme des fabricants très importants (cf. P. Maurer). En 1806, les
principaux peigneurs de laine tourquennois : Tiberghien, Motte-Clarisse, Masurel,
Desurmont occupent seulement de 20 à 40 ouvriers (cf. J. Toulemonde). Certes,
cela ne renseigne pas sur l'état exact des patrimoines. Toutefois, ceux-ci
étaient souvent morcelés, car ces familles étaient très prolifiques. La rlchesse
véritable du jeune bourgeois, c'est plutôt son réseau d'alliances familiales
même s'il n'a pas personnellement beaucoup de fortune, il peut bénéficier du
soutien financier et des conseils pratiques des nombreux membres de sa famille.
Roubaix et Tourcoing abordent avec prudence la Révolution Industrielle
(.). Tourcoing est durement touchée, car les fils de coton produits mécaniquement
concurrencent la laine dont le peignage manuel est très coûteux. Dieudonné remarque que l'ouvrier tourquennois ne peigne en moyenne que trois kilos de laine
par jour. En 1801, le Préfet considère que cette activité s'est réduite de moitié par rapport à 1789. Les laines à l'état brut proviennent en majeure partie
de l'étranger: Hollande, Italie, Espagne. Roubaix s'est adaptée avec plus de
facilité et tisse de plus en plus de coton (..). La filature est effectuée dans
(.) Il est remarquable
L'entrepreneur
que, dans ces deux villes,
à l'inverse
tion fondamentale
de Roubaix-Tourcoing
chant, parmi ce qui existe,
les plus économiques.
la matière
concevant
Girard
première
ou augmenter
une nouvelle
ou d'industriel
fondant
technique
En schématisant
d'abord
à
on pourrait
l'aspect
gine le matériel
traditionnellement
financier
à un concours,
de production
de
pas d'inventeur
comme Philippe
leurs brillantes
de
inventions)
sur la mise au point d'une nouvelle
.techni-
avec sa peigneuse.
des choses
s'oppose
du négociant
qui s'intéresse
à celle de l'ingénieur
qui ima-
le plus évolué. De plus, le travail des métaux
absent de la région de Roubaix-Tourcoing.
sans doute une certaine
ou Lyon.
avisé cher-
pour épargner
On ne rencontre
avec difficultés
dire que la mentalité
techniquement
lenteur,
par la suite, le médiocre
matériel
la productivité.
sa réussite
Holden
les conditions
de l'améliorer
pour répondre
aucune inven-
Mulhouse
comme un gestionnaire
offrant
il s'efforce
à exploiter
que, CGmme le Britannique
se comporte
le matériel
Au besoin,
(quitte ensuite
ne sera réalisée
de ce qui s'est passé à Bradford,
au début,
développement
dans l'adoption
de l'industrie
Ce contexte
des "mécaniques
de la construction
est
explique
Il
et,
du
textile.
(..) Pour tout ce développement
pos de ces deux villes,
cf. l'ensemble
et particulièrement
de la bibliographie
citée à pro-
les écrits de Cl. Fahien.
- 182 la région lilloise, ou dans les campagnes, a l'aide des "petites mécaniques
anglaises" (les jennies), comme les appe11e Dieudonné. Il s'agit de matériels
simples, peu coûteux, qui remplacent le rouet. Roubaix produit des étoffes
d'habillement fantaisie, les "nankinets". "Chaque année, on voit sortir des
tissus d'une nouvelle invention", remarque le Préfet du Nord, ce quj montre
bien le souci des fabricants de suivre les évolutions du marché. En 1801, ces
métiers a tisser le coton sont dix fois plus nombreux a Roubaix (1.100) qu'a
Tourcoing qui se lance moins vite dans une fabrication plus éloignée de sa
spécialité traditionnelle.
A partir du Premier Empire, la reglon de Roubaix-Tourcoing s'oriente
vers le travail du coton qui va devenir la fibre la plus utilisée jusque vers
1850 (.). Les entrepreneurs de cette région cherchent a rester présents sur
le marché des articles d'habillement et, par conséquent, adoptent toutes les
nouveautés au fur et a mesure que le progrès technique les rend possibles.
Pour alimenter les métiers manuels, apparaissent des filatures de coton. Cellesci se créent dans les premières décennies ; la première machine a vapeur est
signalée en 1818. Quelques années plus tard, on assiste a la multiplication des
métiers jacquard. Ils sont intéressants puisqu'ils permettent d'élaborer des
étoffes très variées. Ils sont répartis dans les campagnes ou rassemblés dans
des ateliers qui n'utilisent pas encore la vapeur. Jusque vers 1840, seule la
filature de coton s'est véritablement industrialisée. Roubaix dispose d'établissements qui sont parmi les plus grands de la région: une unité de 40.000 broches est édifiée en 1842. Cette évolution se fait surtout au profit de Roubaix
dont la population surpasse nettement celle de Tourcoing: en 1851, les chiffres
sont respectivement de 34.700 habitants et de 27.600.
Le travail de la laine n'avait pas disparu complètement.
(.) R. Blanchard,
dans sa thèse,
dans la tradition
du travail de la laine, au cours des premières
du dix-neuvième
siècle:
fût une survivance
La fabrication
"11 semblerait
directe
actuelle
en 1906, avait bien souligné
cette rupture
décennies
que le travail de la laine à Roubaix
de la plus ancienne
est d'origine
A partir de
récente."
des industries
flamandes ...
(cf. page 404).
- 183 -
1830, on commence à la filer mécaniquement. Le tissage des tapis et moquettes
apparaît à Tourcoing; les fabricants utilisent notamment les services de
Belges venus de Tournai où cette activité périclitait.
A partir de 1835, dans les tissages, on lance des étoffes mélangées,
laine et coton: le second réduit le prix, la première améliore la qualité.
L'utilisation de la laine est freinée par le coût trop élevé du peignage manuel
(.). Cette hypothèque est levée, à partir des années 1850, grâce aux peigneuses
de l'alsacien Heilmann et du britannique Holden. La période 1850-1870 se caractérise par un retour massif vers la laine. Avec l'industrialisation du peignage
et de la filature, cette fibre s'impose pour la production des articles de
qualité dans lesquels se spécialisent Roubaix et Tourcoing, qu'il s'agisse de
tissus d'habillement ou de tapis (..).
De plus, les laines de l'hémisphère sud commencent à arriver en quantités notables. La guerre de Sécession provoque, pendant quelques années, un
renchérissement considérable du coton. Au cours de ces deux décennies, le tissage mécanique en usine devient compétitif par rapport au travail manuel. La région recrute une main-d'oeuvre abondante parmi les anciens artisans. Le flot
belge atteint son maximum d'intensité, car les tisseurs manuels de lin subissent
eux aussi la concurrence des machines qui se montent dans les centres industriels de la Belgique. C'est la période où la croissance démographique de Roubaix est la plus rapide: entre 1851 et 1872, la ville fait plus que doubler en
atteignant 76.000 habitants, au lieu de 34.000 au début de l'Empire. Le développement de Tourcoing est un peu moins rapide (+ 57 %). Après 1870, la croissance
se poursuit; les spécialisations acquisent se maintiennent ou se renforcent.
(.) Des essais
santes;
sont faits sur place pour mettre
les réalisations
qui, fait significatif,
Ardennes
ne sont pas originaires
où ils s'étaient
(..) Cette évolution
par le Roubaisien
tion consiste
lorsqu'ils
les plus intéressantes
d'abord
est favorisée
Vandamme,
à enduire
au point des machines
de la région mais viennent
des
livrés au travail des métaux.
par la mise au point,
d'une machine
sous le Second Empire,
à encoller automatique.
les fils de chaîne pour qulils
sont mis sur le métier
satisfai-
sont faites par Morel et Binet
à tisser.
supportent
Cette opérala tension
- 184 -
Le succès de l'industrie textile dans cette agglomération s'explique
par l'ensemble des facteurs évoqués dans la première partie de ce chapitre.
Deux d'entre eux ont joué tout particulièrement:
la proximité de la Belgique,
d'où venait la plus grande partie de la main-d'oeuvre et le dynamisme de la
bourgeoisie textile traditionnelle. J. Lambert-Dansette estime que plus de la
moitié des familles patronales de Roubaix-Tourcoing étaient déjà domiciliées
dans ces villes en 1789, et s'y consacraient au travail et au négoce des fibres,
C'est une proportion plus forte que partout ailleurs, surtout si l'on songe que
presque toutes les firmes importantes ont été fondées par ces vieilles dynasties
textiles ou avec leur appui.
De par sa formation et sa mentalité, cette bourgeoisie était très bien
adaptée aux conditions économiques de cette période. La forte solidarité qui
existait entre tous ses membres était particulièrement précieuse: l'industrie
textile était une activité hasardeuse. L'appui financier ou le soutien économique (commandes, assistance technique, fournitures de matières premières etc ... )
accordés par la famille en cas de difficultés ont permis de surmonter bien des
crises (.). Quelques exemples précis aideront à comprendre le rôle de ces groupes
famil iaux (..).
Les Motte ont constitué la famille sans doute la plus prolifique et
la plus puissante industriellement, au cours du dix-neuvième siècle. En 1784,
un marchand peigneur, de vieille souche tourquennoise, épouse une demoiselle
Clarisse originaire de cette même ville (... ). Son dernier fils, né en 1796,
poursuit ses études, jusqu'à 20 ans, dans un collège de Cambrai et épouse la
(.) Encore
fallait-il
tent par les membres
à Roubaix-Tourcoing
que l'entrepreneur
des familles
où il gardait
de fonds ou ses conseillers
(..) Sources:
ensemble
(... ) En 1962, J.
8.344, dont
Toulemonde
soit jugé sérieux et compé-
Ceci l'encourageait
plus facilement
le contact
à s'implanter
avec ses bailleurs
familiaux.
des ouvrages
1.869 provenaient
en question
apparentées.
estimait
cités et enquêtes
personnelles.
le nombre des descendants
de mariages
consanguins.
de ce couple à
- 185 fi~le d'un ancien maire de Roubaix. Il assure alors la gestion d'une filature de
coton ouverte par son beau-père. Il a 14 enfants dont 10 atteignent l'âge adulte
tous ne peuvent être employés dans l'affaire. Le troisième fils épouse une Dewavrin appartenant à une famille de statut social comparable. Etant cadet, il
ne peut espérer obtenir la direction de l'usine de son père; c'est pourquoi il
fonde sa propre entreprise qui sera le noyau du groupe t4otte-Dewavrin (.).
, ,
, ,
Plusieurs de ses frères se lancent aussi dans l'industrie, aidés par
leur famille: favoriser l'installation d'un cadet, rermet d'éviter
les disputes lors du partage de l'héritage; cela est possible car l'on est dans
une période d'expansion où les capitaux nécessaires pour fonder une affaire ne
sont pas encore très élevés. Parmi cette génération, le plus brillant est d'abord Louis Motte-Bossut. Il s'installe à Roubaix et, avec l'aide de sa mère, de
plusieurs frères, oncles et beaux-frères, monte la plus vaste filature de coton
existant dans toute la région du Nord à cette époque (..). Son entreprise réussit (... ) et, à son tour, il installe un beau-frère, en 1857, en lui rachetant
une filature installée à Auchy-les-Hesdin, dans le Pas-de-Calais. Son plus jeune
frère, Alfred, bénéficie aussi de l'appui familial, lorsqu'il tente la construction d'une grande usine intégrée: filature, tissage, teinture. C'est un échec,
mais, grâce au soutien de ses proches, il surmonte cette épreuve et emploie
alors un autre système: il crée des établissements spécialisés auxquels il associe, en qualité de gérants, des hommes choisis en raison de leurs compétences,
même s'ils n'appartiennent pas à une famille patronale. C'est ainsi qu'une filature de laine peignée est fondée, en 1872, en association avec un Porisse
(.) La répétition
des mêmes patronymes
à créé l'habitude
ri et celui de l'épouse pour distinguer
(..) La famille Motte,
puissance
financière
conune les Dollfus,
L'accession
avant son accession
comparable
que Cl. Fahien
(...) La liste des filateurs
broches
installées
à l'industrie
moderne,
range dans le "patriciat"
comparable
L'ensemble
tiers de celui de toute l'agglomération.
le nom du ma-
n'a pas une
mulhousienne,
de cette ville.
se place après 1850 seulement.
de coton de Roubaix-Tourcoing
que Motte-Bossut,
à Roubaix.
d'associer
membre d'une même famille.
à celle de la grande bourgeoisie
à un niveau de richesse
dans sa thèse, montre
les différents
établie par Cl. Fahien
en 1862, dispose de 40 % du total des
du potentiel
des Motte représente
le
- 186 -
dont le père était simple trieur de laine. Une teinturerie est créée avec des
Mei11assoux, techniciens compétents dans cette spécialité, et originaires de la
Creuse. Ils avaient auparavant prouvé leurs talents dans un établissement de
Suresnes où Alfred Motte les recruta.
La grande famille patronale apparaît, dans ces conditions, comme une
sorte de banque d'affaires qui soutient les initiatives des entrepreneurs jugés
sérieux et compétents, même s'ils ont peu de fortune personnelle. La seule exigence est qu'ils adoptent un comportement conforme à ce que les bailleurs de
fonds estiment devoir être celui d'un industriel. Ce milieu patronal n'est pas
encore fermé, mais les multiples solidarités qui existent entre les hommes et
les firmes contribuent à lui donner une forte homogénéité et à uniformiser les
attitudes. Toutes ces entreprises ont tendance également à faire bloc pour
lutter contre la concurrence des centres textiles extérieurs et cela favorise
beaucoup le développement de Roubaix-Tourcoing.
La plupart des autres familles accêdent moins rapidement que les Motte
industrielle. Charles Tiberghien débute en 1858. Son père était
négociant en laine à Tourcoing;
il triait lui-même avec ses cinq ouvriers. Il
avait perdu une partie de sa fortune en soutenant un neveu. Son fils, au commencement, travaille de ses propres mains dans son usine. Il parvient à monter,
en 1860, un tissage mécanique de 100 métiers, en s'associant avec ses deux
frères et grâce à l'appui de Jules Joire, banquier à Tourcoing et ami personnel
de la famille. Par la suite, il contribue à sauver l'entreprise pourtant concurrente d'un de ses beaux-frères, un Lepoutre. Le groupe familial connaît une
première scission en 1894 : les descendants de Charles et ceux de son frère
Louis se séparent et constituent deux entreprises distinctes.
à la puissance
Ce phénomène commence à être fréquent à cette époque, car la multiplication des héritiers incite à la fragmentation des firmes. Ceci n'est pas
très grave, car l'expansion générale de la production permet aux établissements
issus de ces démembrements de retrouver une taille suffisante. Toutefois, il
est certain que, dès cette époque, le maintien de la structure familiale des
entreprises freine la constitution de très grands groupes intégrés. La solidarité
- 187 -
familiale n'évite pas la création de firmes indépendantes
quotidienne.
dans leur gestion
Les Lorthiois sont peigneurs de laine à Tourcoing au cours du dixhuitième siècle. Un membre de cette famille se lance, en 1838, dans le tissage
du tapis. Il utilise encore des métiers manuels; il crée même une unité à
Tournai, ville renommée pour la fabrication de ce genre d'articles. Vers 1880,
ses descendants adoptent, parmi les premiers, les métiers mécaniques anglais
Wilton. En 1882, on ajoute un département tissage et ameublement. Une scission
s'opère peu après avec la constitution d'une autre société spécialisée dans le
négoce de la laine, une autre encore regroupe bientôt l'activité tissage ameublement.
Les Prouvost appartiennent également à l'une des plus anciennes familles de négociants implantées à Roubaix; en 1795, l'un des leurs est maire
de la commune. Ils ne débutent dans l'industrie qu'en 1851, lorsque Amédée
Prouvost crée un peignage mécanique dans sa ville natale. Pour réaliser cette
opération, il s'est associé à trois frères Lefebvre, âgés, comme lui, d'une
trentaine d'années et qui possèdent déjà un tissage de coton de plusieurs centaines de salariés. Il a fallu, en outre, contracter un emprunt auprès d'un
financier lillois. L'établissement compte à l'origine seulement 21 peigneuses
sa production atteint tout juste 90 tonnes en 1853.
Il est significatif de constater que l'héritier d'une famille importante a eu besoin de nombreux concours pour monter une unité de taille modeste.
En cette période favorable, la croissance est rapide (.) et les bénéfices servent à rembourser rapidement le prêt et à assurer l'autofinancement. En 1867,
la production est de 4.000 tonnes. Dans les années suivantes, l'établissement
poursuit son expansion et devient le second peignage de cette région, juste
après l'unité implantée à Croix par l'industriel et inventeur britannique,
(.) Ceci entraîne
des déménagements
Pour plus de précisions,
successifs
cf. notre article
à l'intérieur
de Roubaix.
sur le groupe Prouvost-Masurel.
!
- 188 -
Isaac Holden.
La famille tourquennoise des Masurel ne s'intéresse à l'industrie
proprement dite qu'à partir de 1851, en montant un atelier de retordage; elle
se limite longtemps à ce seul stade, puis, en 1884, réalise une intégration vers
l'amont en se mettant à produire elle-même les fils qu'elle assemblait dans sa
retorderie.
Ainsi qu'on le constate, la période pendant laquelle les firmes les
plus importantes identifiées vers 1950 prennent leur essor, s'étend schématiquement entre 1850 et 1890. Dans quelques cas, la phase de croissance principale
se place vers 1880-1914, lorsque des familles puissantes peuvent encore financer
de nouvelles implantations (.) : le groupe Lepoutre, par exemple, ne se place
aux tout premiers rangs des firmes lainières qu'à partir des années 1900.
Cependant toutes les firmes industrielles textiles de Roubaix-Tourcoing n'ont pas été fondées par des membres des vieilles familles bourgeoises.
Des entrepreneurs d'origine beaucoup plus modeste ont réussi à accéder à la
fonction patronale, spécialement dans deux cas:
1) ils exercent leurs talents dans des branches qui se sont industrialisées lentement ou tardivement;
la teinturerie en est peut-être le meilleur
exemple, car la multiplicité de ses traitements, restés souvent assez empiriques, laisse des chances de succès à l 'habile praticien (..). L'industrie du
tissage d'ameublement et du tapis offre des situations analogues. Il ne faut
pas oublier d'ailleurs que ce grand centre, aux productions abondantes et variées, offre un environnement favorable à l'épanouissement de firmes moyennes
ou petites aux activités très spécialisées.
(.) Parfois
l'activité
fourni
aussi,
les capitaux
filateur
il s'agit de firmes de négoce qui abordent
industrielle.
suffisants.
au lendemain
(..) Les établissements
par un simple artisan
à l'emplacement
bre de réussites
Leur réussite
dans le commerce
C'est ainsi que le groupe Vandeputte
de la Première
Guerre Mondiale
Derache-Constant
installant
de l'usine
quelques
édifiée
de ce genre
très tardivement
de la laine leur a
furent
devient
seulement.
ont été fondés au début du XXème siècle
métiers
dans une vieille
par la suite. En teinturerie
l'oeuvre
ple. Cf. à ce sujet la thèse de F. Lentacker.
de Belges,
ferme située
un certain
les Browaeys,
nom-
par exem-
- 189 -
ils créent leurs usines au moment du démarrage de l'industria-
II)
li sation (.).
Dans les années 1890-1900, la plupart des groupes textiles importants
sont déjà présents; les entreprises créées par la suite, seront des émanations
de familles ou de firmes déjà en place. Entre 1890 et 1914, la croissance de ce
foyer industriel se poursuit mais à un rythme moins rapide. Dans la mesure où
l'on peut l'évaluer (..), la concentration technique ne semble pas progresser
dans les branches les plus mécanisées (peignage de la laine et filature). Elle
se poursuit certainement en tissage où disparaissent les derniers ateliers
ruraux contenant des métiers manuels (... ). Une nette tendance à l'intégration
se manifeste et l'on voit apparaître des entreprises regroupant plusieurs
opérations du cycle de transformation ou méme l'ensemble de celui-ci.
Dans le domaine de l'industrie lainière, Roubaix et Tourcoing affirment leur suprématie car elles contrôlent le négoce des matières premières.
L'ouverture, en 1883, à Roubaix, du seul marché à terme de laines peignées de
France consacre cette prééminence. Cette fonction est devenue capitale car l'industrie lainière française, à partir des années 1880, doit faire venir les trois
quarts de ses fibres de l'étranger. Les négociants de Roubaix-Tourcoing ont
été les premiers à se procurer la laine directement dans les nouveaux pays
producteurs (Argentine et Australie notamment). Les autres centres textiles
français doivent, par conséquent, recourir de plus en plus à leurs services
(.) La société Hannart
Frères,
avait été créée, en 1819,
gnage,
où lion rencontre
certaines
la plus importante
par un simple artisan
des usines de vastes dimensions,
ont été fondées par des entrepreneurs
on peut citer le peignage
Léon Binet
Malard
(actuel Peignage
(..) Cf. Hennebicque,
en filature
article
nes
(plus de 20.000 broches)
( ...
) J.
Toulemonde
et les établissements
l'auteur
le pourcentage
à Roubaix-Tourcoing,
reste constant
entre
9.862 métiers
des broches,
dans des grandes
usi-
1896 et 1914.
estime que, pour la seule ville de Roubaix,
représentant
1900,
fortune personnelle
édifiés par un habile mécanicien.
cité. D'après
situées
en 1910,
Même dans le pei-
dès les années
sans grande
créé par un ingénieur,
de la Tossée)
de laine peignée,
1914, 45 fabricants
unité de teinture
roubaisien.
à tisser cessent
entre
1894 et
leurs activités.
- 190 -
pour leur approvisionnement, surtout s'ils font des articles en laine peignée.
Le cycle cardé peut utiliser plus facilement les laines de France. Cette situation est évidemment profitable aux firmes industrielles de Roubaix-Tourcoing
qui sont proches géographiquement de ces maisons de négoce auxquelles les
rattachent souvent des liens de parenté (.).
A la veille de la Première Guerre Mondiale (..), l'agglomération de
Roubaix-Tourcoing comprend 16 peignages avec environ 1.900 peigneuses et 12
à 13.000 ouvriers ; 60 % de ce matériel se trouvent à Roubaix. En filature de
laine peignée, on dénombre 821.000 broches réparties en 87 unités occupant
18.000 ouvriers. Le potentiel de production est comparable à celui de la région de Fourmies dont les broches, toutefois, sont plus anciennes. La filature cardée compte cinq fois moins de broches et ne représente qu'une faible
part du matériel français (le quart, Alsace exclue) alors que la peignée représente 40 % des broches nationales (... ). La filature de coton utilise plus
d'un million de broches (1.156.000) et occupe 8.000 ouvriers. On voit que cette
activité est loin d'avoir disparu de Roubaix-Tourcoing et, en même temps,
qu'elle est beaucoup plus mécanisée que la filature de la laine qui emploie
deux fois plus de main-d'oeuvre avec un nombre de broches inférieur. Dans
ce domaine, ce foyer dispose du sixième du potentiel frança i s (Alsace exclue).
En tissage, les données chiffrées sont plus incertaines. Les fabrications et les types de métiers sont beaucoup plus variés qu'en filature. Le
(.) Certains
peignages
la famille Prouvost
vingtième
à des maisons
directement
sa propre
de négoce
firme de négoce au début du
siècle.
(..) Sources
annuaire
sont associés
crée, par exemple,
essentielles:
statistique
ouvrages
régional
cités de G. Sayet et R. Pierreuse
de l'I.N.S.E.E.,
(...) Au total, le Nord dispose
alors d'environ
peignée
qu'il a déjà une place
française,
c'est-à-dire
à celle qu'il occupera
(le centre
rémois
vers
1950. En peignage,
n'a que 200 peigneuses).
et
édition de 1951.
80 % des broches
de filature
sensiblement
comparable
sa part est du même ordre
- 191 -
tissage manuel a comp1étement disparu ou presque (.). On estime que, en 1914,
une centaine de tissages de laine pour habillement occupe près de 25.000
personnes. Les deux tiers se trouvent à Roubaix. Vingt établissements possèdent moins de 50 métiers, mais 12 en ont plus de 500 ; cette activité comprend
ainsi des unités de taille extrêmement variée. Il y a une quinzaine d'usines
d'étoffes pour ameublement et environ autant pour les tapis. Enfin on compte
une quarantaine d'établissements non-intégrés que l'on peut rattacher à l'industrie de l'ennoblissement (blanchiment, teinture et apprêts).
Il est frappant d'observer déjà l'existence de quelques grandes
firmes. Elles jouent un rôle moteur; les plus petites doivent se moderniser
pour résister à leur concurrence ou devenir leurs façonnières (..).
En peignage de laine, quatre entreprises (Isaac Holden, Amédée
Prouvost, Peignage de la Tossée, Alfred Motte et Cie) ont plus de 1.000 salariés. Les Filatures François Masurel comptent 100.000 broches à filer et
à retordre; la société Caul1iez-Delaoutre 75.000. Les filatures J. Desurmont
et Charles Pollet ont chacune plus de 1.000 salariés. Les firmes sont plus
petites en filature cardée: aucune n'atteint le millier d'ouvriers, seule la
maison Lemaire et Dillies se rapproche de ce seuil, grâce à une autre usine
dans les Ardennes.
En tissage, certaines sociétés emploient beaucoup de salariés car
elles sont intégrées et produisent leurs propres fils: Charles Tiberghien,
Tiberghien Frères, Leclercq-Dupire, Auguste et Louis Lepoutre, sont dans ce
cas et dépassent les 2.000 personnes. Ces entreprises ne se cantonnent pas
(.) R. Pierreuse
ment à Roubaix.
signale encore
200 métiers
Dans ces fabrications
séries plus courtes
i
manuels
pour les étoffes d'ameuble-
les matériels
le travail avec des moyens
sont plus complexes,
artisanaux
siest
les
maintenu
plus
longtemps.
(..) L'ouvrage
rédigé
de G. Sayet est la source essentielle
à l'occasion
d'une exposition
Il présente
une notice descriptive
ticipantes.
Il est peu probable
se soient abstenues
assez détaillée
sur ce point:
des différentes
que des firmes importantes
de participer
il a été
tenue, en 1911, à Roubaix.
internationale
à une manifestation
firmes par-
de Roubaix-Tourcoing
de ce genre.
- 192 -
dans les tissus pure laine, mais font des articles laine et soie, et cherchent
ainsi à concurrencer, plus ou moins, les fabricants lyonnais.
L'ennoblissement est dominé par la société Hannart Frères qui occupe
2.400 salariés et possède deux usines, l'une à Roubaix, l'autre à Wasquehal;
la Marque ne suffit plus à l'approvisionnement de ces établissements en eau et
on a recours à des forages. Les entreprises Motte jouent également un rôle de
premier plan dans cette branche: Motte et Delescluse, Motte et Meillassoux,
Motte et Marquette emploient au total environ 2.000 ouvriers (.).
La bonneterie commence à se développer de manière industrielle à
Tourcoing et à Roubaix. Cette dernière ville compte neuf établissements appartenant à cette branche en 1900. Il convient de remarquer le rôle joué par les
grandes firmes lainières en ce domaine: la société André Lepoutre contrôle
trois bonneteries en 1913. L'entreprise Jules Desurmont élabore aussi, à
Tourcoing, des étoffes tricotées en quantités considérables.
Les entreprises de Roubaix-Tourcoing tout en investissant un peu
dans la région de Fourmies s'intéressent surtout à l'étranger. Des implantations ont' eu lieu en Belgique, les principales sont: un peignage de laine
Motte à Estaimpuis, une filature et un tissage de laine à Dottignies (Motte
également). Un tissage de tapis Lorthiois à Mouscron. Ces créations de proximité sont finalement assez limitées et ne concernent que la Belgique francophone. Des réalisations beaucoup plus considérables ont été effectuées en
(.) Bien qu'elles
soient
juridiquement
de la famille
Motte de Roubaix
et constituer
le groupe
est de travailler
surtout
à cette dernière
transformation,
c'est-à-dire
fie qu'il
vaillent
sa place
en peignage
situées
l'ensemble
alors employer
des entreprises
6.000 salariés
de cette agglomération,
à l'étranger.
L'originalité
environ
sans même
de cet en-
à la fois le coton et la laine bien qu'il se consacre
fibre. En outre,
est surtout
essentiellement
s'il est présent
notable
et en teinture.
n'y a pas intégration
à façon,
distinctes,
le plus puissant
tenir compte des implantations
semble
doivent
Cette
technique.
à tous les stades de
au début et à la fin du cycle,
situation
Peignage
un peu curieuse
et unités qe teinture
pour des firmes extérieures
au groupe.
signitra-
- 193 -
Europe centrale et orientale; cette aire géographique semblant être celle
qui a reçu le plus d'investissements textiles originaires de Roubaix-Tourcoing
(.). En 1913, dans la Pologne sous contrôle russe, on dénombre, à Lodz, un
peignage-filature de laine (Motte et Desurmont) et une filature de laine peignée (Société Allart et Rousseau) ; à proximité de cette ville on rencontre
un établissement Motte et Meillassoux de filature-tissage-teinture de coton;
à Czestochowa, une usine intégrée de laine, peignage, filature, tissage et
teinture (Motte et Meillassoux et Caulliez-Delaoutre). La famille Motte contrôle
en outre une filature de laine à Lublinic, en Haute-Silésie; en Russie, les
Motte ont une filature et un tissage de jute à Odessa et, dans la région de
Moscou, un tissage de laine intégré (en association avec Desurmont et Meillassoux), une teinturerie et une filature de coton. A Aix-la-Chapelle, la société
André et Louis Lepoutre d un tissage de 300 salariés. Les établissements
Charles Tiberghien possèdent une filiale industrielle en Hongrie; la société
Tiberghien Frères une grande usine intégrée de filature-tissage de laine à
Vérone.
Des implantations plus lointaines ont été effectuées: des Lepautre
ont créé un établissement en Argentine et des usines appartenant également à
l'industrie lainière ont été implantées aux U.S.A., dans le Rhode-Island, par
des Masurel, des Tiberghien et des Lepautre, à la suite notamment des relèvements de droits de douane effectués par le président Mac Kinley en 1890.
La motivation essentielle de ces investissements est le désir de
vendre sur des marchés prct.éqés . Les firmes responsables témoignent de leur volonté de mieux résister aux variations conjoncturelles, en multipliant les lieux
de vente. C'est un comportement logique qui prouve leur puissance: elles ne se
contentent pas de subir passivement l'élévation des tarifs douaniers. Toutes
(.) En plus des ouvrages
de P. Catrice
et de J.
mentionnés
ci-dessus,
et F. Meillassoux.
cf. sur ce point
l'étude citée
- 194 -
ces implantations sont le fait du groupe Motte ou de familles ou d'entreprises
lainières, ce qui confirme que ce sont bien ces milieux qui dominent le monde
économique de Roubaix-Tourcoing. Il est remarquable que ces créations extérieures se font souvent grâce à l'association de plusieurs firmes de Roubaix-Tourcoing, ou tout au moins qu'elles se regroupent dans les mêmes centres étrangers.
Dans ce domaine-là, également, les familles de la bourgeoisie textile de
Roubaix-Tourcoing font preuve de leur solidarité habituelle.
En 1914, Roubaix et Tourcoing forment incontestablement le centre
textile le plus puissant du Nord, celui dont le rayonnement est le plus considérable. Tout ceci s'est produit en dehors de l'intervention lilloise. Ces
villes constituaient deux foyers indépendants de Lille ; elles le sont restées
et ont acquis dans le textile une importance ~ien plus grande que le chef-lieu
du Nord. Leur essor industriel a provoqué une vive croissance démographique.
plus vive que celle de Lille même: en 1801, la population de Roubaix et de
Tourcoing réunies représente le tiers de celle du chef-lieu, en 1911, 94 %.
Cette évolution a contribué à compliquer la structure du reseau urbain de
l'arrondissement: Roubaix, métropole lainière de rayonnement mondial, est un
simple chef-lieu de canton.
Lors
de fonctionner
les métaux. La
des structures
de la Première Guerre Mondiale, les Allemands mettent hors d'état
le matériel de production qu'ils démontent et dont ils récupèrent
reconstitution de l'outil de travail se fait sans modification
professionnelles.
Entre les deux guerres, on n'observe pas de modifications profondes
mais une continuation des tendances précédentes: réduction du nombre des producteurs en tissage habillement, 13 entreprises disparaissent au cours de cette période; en 1938, il subsiste 75 unités avec 25.000 métiers, c'est-à-dire
un nombre de matériels comparable à celui de 1913 (cf. J. Toulemonde). Les autres
branches du tissage ne connaissent pas d'évolution sensible du nombre des firmes.
- 195 -
En filature, le nombre de broches ne varie guère pour le coton mais
s'accroît en laine peignée où il dépasse, en 1938, le million d'unités. Il est
alors nettement supérieur à celui de la région de Fourmies où, de plus, le
matériel est un peu moins moderne, mais le déclin relatif de celle-ci n'est
pas un fait nouveau: c'est une évolution qui se poursuit depuis 1890 (cf. cidessous).
La grande crise des années 1930 n'épargne pas Roubaix-Tourcoing:
la
production des filés de coton, en 1932, année la plus médiocre, représente 60 %
de celle de 1929 ; en 1938, le tonnage produit représente plus de 80 % de celui
d'avant la crise. Si l'on en juge par le poids des matières traitées dans les
établissements de conditionnement (.), la production de laines peignées diminue
de près de 50 % au cours de la crise et ne se rétablit pas par la suite; le
peignage est moins affecté: la réduction est seulement d'un tiers car cette
activité est peu répandue à l'étranger et des exportations se poursuivent vers
les pays où les peignages ne suffisent pas à couvrir les besoins nationaux.
La bonneterie connaît un essor incontestable: elle compte une cinquantaine d'unités à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Ce développerrent
concerne surtout les articles chaussants, la chaussette d'hommes en particulier.
Le mouvement frontalier s'est poursuivi et amplifié jusqu'à la Crise
car le progrès des moyens de transport permettait de recruter des travailleurs
résidant de plus en plus loin de Roubaix-Tourcoing. Leur effectif s'éleva à
plusieurs dizaines de milliers en 1930 (..). Il diminue très sensiblement
avec les difficultés économiques. Les dévaluations du franc français, à partir
(.) Les données
tistique
chiffrées
régional
de ce paragraphe
de l'I.N.S.E.E.
sont empruntées
à l'annuaire
sta-
de 1951 qui contient une partie rétrospective
importante.
(..) Cf. les thèses de F. Lentacker
et de G. Vandenbroucke.
- 196 -
de 1936, accentuèrent ce déclin, car elles pénalisaient les ouvriers vivant en
Belgique.
Au cours de cette période, des groupes familiaux déjà puissants renforcent leurs positions. Les Lorthiois, par exemple, construisent deux usines
de tapis, l'une à Tourcoing et l'autre à Halluin, tout en prenant le contrôle
d'une filature de coton à Roubaix. Les familles Toulemonde et Mulliez créent
les filatures de Saint-Lièvin à Wattrelos qui deviendront importantes, surtout
après 1945. En liaison plus ou moins étroite avec la crise, deux vieilles filatures de laine peignée commencent à organiser de manière systématique la
vente par correspondance de leurs articles, ce sont "les Trois Suisses" et
"la Redoute". Ces entreprises sont encore de taille modeste, quelques centaines
de salariés en 1938, mais les dirigeants qui les conduiront, par la suite, au
succès sont déjà en place.
Le rayonnement du centre de Roubaix-Tourcoing continue de s'étendre
par l'implantation d'entreprises à l'étranger, particulièrement après 1930,
lorsque tous les marchés d'exportation se hérissent de barrières douanières (.).
La famille Leclercq-Dupire crée une grande unité, filature, tissage et teinture
de la laine, à Ypres, en Belgique. L'entreprise Paul et Jean Tiberghien, issue
d'une scission intervenue en 1921 au sein des Etablissements Charles Tiberghien,
(.) Des prises
de participation
également
françaises.
viennent
d'enquêtes
directes
menées
sables économiques.
Quelques
firmes de Roubaix-Tourcoing
extérieur,
société
n'ont pas été détectées.
au début du siècle,
force respectifs
leurs dirigeants.
dans d1autres
ou d'anciens
passent
entre
à accroître
leur importance
les uns et les autres
Les créations
du temps de simples
de filiales
opérations
a pas spécialisation
des unités
de vue, on n'assiste
pas à une véritable
évoluent
prépondérants
mais les rapports
suivant
de produits
restructuration
de
les talents de
ou les prises de participation
financières,
et échanges
respon-
sous contrôle
sont reprises par la puissante
la M.F.T.C .. Ces cas sont rares. Les groupes
tendent
régions
Les faits cités ici pro-
auprès d'entreprises
deux usines de tapis, par exemple,
de Beauvais,
la plupart
Toutes
se produisent
textiles
c'est-à-dire
sont
qu'il n'y
entre elles. De ce point
industrielle.
- 197 implante, après 1930, des unités de tissage d'habillement en Belgique, aux
Pays-Bas et en Grande-Bretagne. La société Motte-Dewavrin,branche de la famille
Motte demeurée à Tourcoing, intalle à Roschdale, en Angleterre, une filature
et un peignage.
L'un des faits les plus marquants, au cours de cette période, est
l'ascension du groupe Prouvost. Après 1918, le peignage Holden disparaît;
celui de la famille Prouvost acquiert alors la première place en France. Plusieurs jeunes dirigeants, représentant la troisième génération d'industriels,
avaient fondé, en 1912, une filature de laine (.). Cette unité prend son essor
à partir de 1926, avec le lancement d'un fil à tricoter vendu sous sa propre
marque, le "Pingouin", et distribué en partie par des détaillants qui lui
étaient liés par des contrats d'exclusivité. En 1938, la société assure 8,1 %
de la production française de laine peignée et occupe la première place dans
cette spécialité. Pendant ces mêmes décennies, le groupe avait pris le contrôle d'une filature de laine en Tchécoslovaquie et créé un peignage aux U.S.A.,
dans le Rhode Island, à proximité des autres usines montées par les gens de
Roubaix-Tourcoing, mais la sienne sera la seule à survivre à la crise de 1929.
En 1939, le groupe Prouvost est l'un des plus dynamiques, et il est fortement
intégré sur le plan industriel.
La Seconde Guerre Mondiale ne provoque pas de destructions
(.) Les trois instigateurs
aspiraient
accéd:r
de cette création
lité. Il Y avait là poursuite
de la tradition
digne de ce nom doit prouver
aussi une évolution
fournit
sa valeur
de la famille
(..) Les filiales
postes de responsabile fils de famille
sa propre
l'intégration
affaire.
C'était
du groupe. Le peignage
usine mais une partie des capitaux
fut empruntée
(cf. notre étude de ce groupe citée en bibliographie).
situées dans les pays d'Europe
tionalisées
après 1945, comme l'avaient
De nouveaux
investissements
principalement
alors moins de 30 ans et
selon laquelle
en développant
logique qui complétait
des cadres à la nouvelle
à l'extérieur
avaient
à de véritables
ainsi plus rapidement
notables (..)
Orientale
sont évidemment
na-
été celles situées en Russie après 1918.
sont effectués
sur le continent américain
à l'étranger
entre 1945 et 1954,
(Colombie, Brésil et U.S.A.) et en
AfriQue du Sud. Ils sont surtout le fait du groupe Prouvost (cf. châpitre précédent
la liste
des
implantations
étrangères
des
entreprises
de Roubaix-Tourcoing).
- 198 -
La période de l'après-guerre est marquée par une vigoureuse demande intérieure
qui permet le maintien en activité de presque toutes les firmes existantes. Il
faudra attendre les années 1950 pour que s'amorce une remise en cause profonde
qui sera évoquée dans les chapîtres ultérieurs.
L'industrie textile a trouvé à Roubaix-Tourcoing un milieu particulièrement propice à son épanouissement. Ce qui frappe le géographe, c'est l'accumulation, sur le territoire même de ces communes, de la quasi-totalité des usines
de ce complexe: la répartition spatiale est exactement à l'opposée de celle de
la région lyonnaise. Cela est dû aux conditions particulières de l'environnement géographique:
la frontière belge empêchait une dissémination aisée des
usines au Nord, à l'Ouest et à l'Est. Au Sud, l'agglomération lilloise interdisait également toute implantation. Des établissements de production auraient
pu être créés ailleurs, en Flandre Intérieure, par exemple; mais il aurait
fallu s'installer à 30 ou 40 kilomètres, au delà de la zone d'influence de la
Vallée de la Lys, dans des régions souvent mal desservies en voies de communication avec Roubaix-Tourcoing. Il était beaucoup plus commode de rester sur
place et de profiter du réservoir de main-d'oeuvre belge (,).
Si le textile est devenu l'activité essentielle d'une agglomération
de plus de 300.000 habitants, en 1954, c'est aussi en raison du faible développement des autres branches de l'économie: Lille groupe toutes les fonctions
administratives et militaires ainsi que l'enseignement supérieur. Le rayonne-
(.) L'attraction
tion
de la frontière
: en dépit de l'imbrication
tate une plus grande
les plus proches
concentrent
importance
de la Belgique:
beaucoup
d'unités
Prouvost ... ) construite
frontalier.
après
à l'intérieur
se marque,
des espaces
urbanisés
des établissements
industriels
le Nord de Roubaix
importantes
même de l'aggloméra-
et des usines, on consdans les parties
et Wattrelos,
par exemple,
(Peignage Motte, Prouvost,
1880, c'est-à-dire
lorsque débute
Filatures
le mouvement
- 199 -
ment commercial de Roubaix-Tourcoing est également très limité. Lille exerce
son attraction sur la population de cette agglomération et fait écran entre
cette dernière et le reste de la France. De l'autre côté de la frontière,
Ypres, Courtrai, Tournai constituent des centres anciens bien équipés et leur
aire d'influence est beaucoup plus considérable que ne le laisserait supposer
le chiffre de leur population (.).
Dans le domaine industriel, les investissements extérieurs à la région étaient naturellement plus attirés par Lille que par Roubaix-Tourcoing.
Or, les entrepreneurs de ces deux villes se tournaient presque tous vers le
textile, car les succès initiaux rencontrés dans ce domaine incitaient les
autres à faire de même. Le textile est, on l'a vu, peu susceptible d'attirer
d'autres activités. De plus, le patronat local ne souhaitait pas tellement
voir se développer des branches qui auraient offert des salaires plus élevés.
La crainte d'une raréfaction de la main-d'oeuvre était constamment présente
dans les milieux dirigeants.
C'est un ensemble complexe de facteurs qui explique le rôle écrasant
du textile dans cette agglomération. Leur caractère en bonne partie accidentel ne fut pas souvent perçu ; la concentration géographique frappait par son
aspect exceptionnel, beaucoup en ont conclu, plus ou moins confusèment, que
cela découlait de qualités particulières, mal définies mais inimitables, propres
à cette agglomération. Celle-ci, en quelque sorte, aurait été prédestinée à se
consacrer au textile. Ce mythe devenait à son tour un facteur psychologique
favorisant le maintien sur place du textile.
(.) De plus, pendant
les Frontaliers
commerce
de Roubaix
des salaires
très longtemps,
effectuaient
et de Tourcoing
distribués
pour des raisons de change en particulier,
tous leurs achats
en Belgique,
ne bénéficiaient
par l'industrie
si bien que le
même pas de la totalité
de ces deux villes.
- 200 -
Au dix-huitième siècle, Lille est un centre textile au passé glorieux,
dont les activités sont variées et la plupart du temps en déclin. La célébrité
de la ville avait reposé sur la production d'étoffes de laine. Celle-ci diminue d'abord devant la concurrence de foyers plus dynamiques comme Roubaix (..).
Par la suite, le développement du coton entraîne la quasi-disparition de la
laine, avant méme le début véritable de la Révolution Industrielle. Dieudonné
estime que, en 1789, 120 métiers à tisser seulement utilisaient cette fibre
en 1801, il n'en dénombrait plus que 35 ; subsistaient, en outre, quelques
fabricants de couvertures (9 en 1801).
Le coton apparaît dans le courant du dix-huitième siècle. Sa filature
se faisait d'abord dans les campagnes à l'aide de rouets. Vers 1770-1780, la
"jenny", matériel peu coûteux se substitue à lui et reste diffusêedans les villages. Dieudonné signale que, en 1801, "A présent presque tout se file à la
mécanique" .
En filature, le travail en atelier se manifeste timidement à cette
époque. Le Préfet du Nord considère qu'une seule véritable manufacture existe
en 1801, celle de Lefebvre-Bourghelle, à Seclin: elle compte 90 ouvriers,
occupe un ancien bâtiment religieux et n'utilise pas la vapeur. C'est par conséquent un établissement encore bien modeste. Un cinquième des fils de coton
est vendu en dehors du département, le reste sert à produire des étoffes mixtes
(chaine lin, trame coton), par exemple des toiles à carreaux. Dieudonné estime
que, au début de l'Empire, 100 métiers se consacrent à cette activité, soit la
moitié de ceux qu'il dénombre dans l'arrondissement.
(.) Les sources
et P. Pierrard
essentielles
i
lorsqu'il
sont les thèses de Cl. Fohlen, J.
est fait référence
teurs sont simplement
cités.
(..) P. Maurer montre
dans son diplôme,
la décennie
1750-1760,
de Lille est inférieure
la production
à ces ouvrages,
précédemment
de pièces
à celle de Roubaix.
Lambert-Dansette
les noms des au-
évoqué, que, à partir
de
de tissus en laine de la place
- 201 -
Lille dispose de trois des quatre manufactures d'impression de
toiles de coton en fonctionnement dans le département du Nord, en 1801. Le
coton n'est pas, à cette époque, la branche principale du textile lillois
mais c'est cette ville qui, à l'intérieur de son arrondissement, est la
première à s'y lancer; elle forme un centre complet et autonome. Pendant
tout l'Empire, le développement de cette activité est lent, en partie à
cause de la concurrence belge dont Dieudonné soulignait déjà la vigueur,
dans sa description du département.
La fibre qui, au début du dix-neuvième siècle, occupe le plus de
travailleurs est le lin: il est filé dans les campagnes. Lille en tisse pour
produire des étoffes assez grossières, du genre notamment toile à matelas.
La ville compte 320 métiers de ce type, en 1801. La spécialité véritable du
chef-lieu du Nord est la filterie : les filés sont assemblés dans de petits
ateliers de retordage artisanaux ayant, à l'époque de Dieudonné, cinq ouvriers
en moyenne et produisant cinq kilos de fils par jour. C'est une activité ancienne à Lille. Les fils conditionnés sont en grande partie vendus et utilisés
sur place car cette ville est devenue, dans la seconde moitié du dix-huitième
siècle, un grand centre de dentelles à la main, surclassant en particulier
Valenciennes, où s'élaborent des produits plus fins. Plus de 10.000 dentellières vivent à Lille, en 1801.
Le textile lillois, dans son ensemble, reste caractérisé, jusqu'en
1815 au moins, par des structures de production très artisanales;
il n'est
pas orienté essentiellement vers la mode comme Roubaix, ou vers la très haute
qualité comme le Cambrésis. Toutes ces branches, à l'exception du coton, sont,
ainsi que le montre les évaluations de Dieudonné, plus ou moins en déclin ou
stagnantes.
Le travail textile traditionnel n'a pas entraîné la formation d'une
classe de négociants ou de fabricants puissants: les réglements malthusiens
des corporations, les rivalités qui éclataient entre elles ont empêché le dé-
- 202 ve10ppement d'entreprises de grande ampleur (.). Le lin est acquis sur place;
le coton est encore acheté en petites quantités et ne donne pas lieu à beaucoup
d'opérations de négoce à Lille même. C'est une situation différente de celle de
la laine qui avait provoqué à Roubaix-Tourcoing, on l'a vu, l'existence d'un
véritable commerce international. Les produits finis lillois, en raison de leur
médiocre qualité ne se diffusent pas très loin. En 1815, il n'y a pas à Lille
de firmes possédant la puissance financière d'un Do11fus-Mieg à Mulhouse (cf.
Cl. Foh1en) ni non plus de groupe homogène et solidaire de négociants-transformateurs, comme à Roubaix-Tourcoing.
L'industrialisation du textile se manifeste d'abord par le développement de la filature de coton. De très nombreuses entreprises se sont créées
et ont disparu par la suite. Celles qui ont subsisté ont généralement pris
naissance très tôt, entre 1815 et 1848, et connu une croissance progressive.
Elles n'atteignent une puissance véritable qu'à partir du Second Empire, alors
qu'en Alsace le processus avait été plus précoce.
L'usage de la machine à vapeur est relativement tardif: en 1818,
Auguste Mille est le premier à en introduire une à Lille. En 1832, (cf. LambertDansette) sur 50 établissements de filature de coton 1i110ls, la moitié seulement disposait d'installations de ce genre. L'usine moyenne n'a que 3.600 broches
mais certaines dépassent les 10.000. Les différentes crises économiques qui ponctuent les décennies suivantes entraînent la disparition de la plupart des entreprises créées dans le premier tiers du siècle.
La concentration technique progresse inexorablement :le nombre.moyen de
broches par filature double entre 1832 et 1849, puis entre cette année et 1869.
Il est alors de 16.000 environ, et atteindra 30.000 en 1900 (..). A cette date,
(.) En 1776, un Lillois,
Cuvelier-Brame,
avait été autorisé
ture royale de tissus de soie. Ce privilège
autorisée
par les réglements
dix-neuvième
siècle, mais
que industrielle
la taille
La famille resta dans le textile au
ne connut pas de développement
de la concentration
ces chiffres,
bien supérieure
l'entreprise
à créer une manufac-
de dépasser
à l'épo-
et disparut.
(..) La progression
apparaître
corporatifs.
permettait
car la capacité
à ce qu'elle
est encore plus forte que ne le font
de production
était en 1832.
d'une broche
en 1900 est
- 203 -
subsistent 20 filatures de coton dans l'agglomération lilloise; une dizaine
d'entre elles, généralement les plus grandes, existaient déjà en 1833. Elles
dominaient ce foyer depuis 1870 et seront encore présentes en 1954. Les études
précises faites dans cette branches montrent clairement que si le textile a
permis des réussites éclatantes, le métier d'entrepreneur y fut néanmoins très
aléatoire, jusque vers 1870.
La famille Le Blan (.) se lance dans l'industrie vers 1816-1817. Originaire de Solre-le-Château, dans l'Avesnois, elle se livrait au négoce des
toiles à la fin du dix-huitième siècle. La fortune de Julien, lorsqu'il monte
sa première usine, est certainement modeste, car il doit s'associer successivement avec plusieurs bailleurs de fonds, dont l'un est directeur de la monnaie
à Lille. Il se contente au début de travailler à façon. En 1832, il ne produit
que 50 tonnes de filés par an et essaie de faire un peu de négoce de tissus. Les
années bénéficiaires succèdent à des périodes de difficultés graves.
En 1836, lassé de ne pas connaître une véritable réussite dans le
coton, Julien Le Blan tente une opération de grande ampleur dans le lin: il
investit sa fortune et emprunte pour édifier une usine de 6.000 broches accompagnée d'un tissage de 100 métiers, exemple rare d'intégration à cette époque.
L'établissement est construit à quelques kilomètres de Lille, à Pérenchies.
Par sa conception et son mode de financement, cette unité est en avance sur les
autres firmes existant à cette époque.
La crise qui culmine, en 1848, provoque la faillite de l'entreprise
Le Blan, rachetée par Droulers et Agache (cf. ci-dessous). Après cette épreuve,
Julien doit attendre 1855 pour monter, à Lille, une nouvelle filature de lin
beaucoup plus modeste puisqu'elle ne comporte que 1.300 broches. La conjoncture
plus favorable permet des bénéfices plus réguliers qui sont utilisés pour édifier une filature de coton de 20.000 broches dans les dernières années du Second
(.) Ces diverses
monographies
lectées dans la thèse de J.
directes
proviennent
essentiellement
Lambert-Dansette,
auprès des firmes et des familles
des indications
qui a procédé
intéressées.
à des enquêtes
col-
- 204 -
Empire. La famille dès lors accède à la puissance financière. En 1888, une
scission familiale se produit. F. Codacionni
signale, dans sa thèse, que, en
1911, l'établissement Le Blan est l'une des deux seules usines textiles installées à Lille même, ayant plus de mille salariés.
La famille Wallaert est fixée à Lille depuis 1750 et appartient à
la petite bourgeoisie. Le père de celui qui se lance dans la filature du coton est négociant en épicerie, son frère orfèvre. Plusieurs membres de ce
groupe familial vont faire successivement leur entrée dans l'industrie en
s'appuyant les uns les autres. En 1815, J.B. Wallaert-Desmons crée un établissement qui connaît une croissance régulière:
10.000 broches en 1832, ce qui
en fait l'un des plus importants de la place de Lille; 15.000 en 1850, 22.000
en 1860.
Entre temps, ava it été fondée une autre fi lature de coton ("Wa 11aert
Frères et Soeurs" devenue ensuite "Wa11aert Frères et Desmedt") qui se développe plus lentement: 2.800 broches en 1832, 11.000 en 1850. En 1863, après
avoir affirmé sa position dans la filature, le groupe monte un tissage à
Lille. En 1869, les diverses sociétés fusionnent sous la raison sociale
"Wa11aert Frères". La nouvelle fi rme possède alors 50.000 broches de fi la ture.
Quelques années plus tard, commence la production de fil à coudre sous
une marque propre à l'entreprise (fil "au louis d'or"). La croissance se poursuit sous la Troisième République. En 1911, Wallaert Frères dispose de trois
filatures, avec 105.000 broches (soit environ 5 % du potentiel de la région
lilloise), et de deux retorderies avec 70.000 broches (environ 10 % du potentiel lillois). La société réalise en outre le blanchiment et la teinture. Son
département tissage comprend 500 métiers répartis pour moitié à Lille et à
Halluin, où elle est présente depuis 1895.
dans
dans
Lille
tions
La famille Thiriez se lance, plus tardivement que les deux précédentes,
l'industrie textile. Originaire de Lorraine, elle s'est fixée au Quesnoy,
le Nord, vers 1750. François-Joseph, un maître-tailleur, s'installe à
vers la fin du dix-huitième siècle. Son fils exerce notamment les foncde courtier en coton; son petit-fils, Julien-Romuald, crée sa propre
- 205 -
entreprise en 1833. Il s'associe avec un fonctionnaire, encore en activité,
car il dispose de très peu de capitaux; il apporte surtout sa compétence
technique acquise en travaillant comme salarié dans une filature. La nouvelle
usine est modeste avec, au début, 2.300 broches et elle commence par uti1'ser
un manège à chevaux comme force motrice. L'entreprise se spécialise dans les
filés fins. pour tulle notamment. En 1845, elle s'agrandit car J.R. Thiriez
monte une usine plus vaste dans la banlieue de Lille, à Esquermes (commune
absorbée par Lille en 1858). Il s'associe, à égalité, avec la famille d'un
constructeur de matériel. Les apports Thiriez se montent à 49.000 F. au lieu
de 2.000 en 1833 : exemple frappant de l'accumulation à cette époque, du
capital au sein d'une entreprise bien gérée.
En 1853, Alfred, fils ainé de J.R. Thiriez, avait fondé sa propre
affaire, à l'âge de vingt ans. Les deux sociétés fusionnent, en 1857, et disposent de 17.000 broches, ce qui n'est pas encore très considérable; c'est
à partir du moment où l'affaire n'est plus dirigée que par les membres d'une
seule famille qu'elle connaît le succès véritable. En 1860, la firme perd une
partie de ses clients car la concurrence des filés fins britanniques est devenue plus vive à la suite du traité de libre-échange signé cette année-là.
La société se tourne alors vers la production de fils à coudre en
coton. Ce type d'articles n'est pas encore très répandu car, traditionnellement
les fi1tiers utilisent le lin. Toute la famille unit ses efforts pour améliorer
les procédés de finition du fil et lui donner une plus belle apparence. La
réussite technique sera couronnée par le succès commercial car, au cours de
cette décennie, le début de la diffusion de la machine à coudre favorise le fil
de coton plus souple et moins cassant que son rival. Il s'ensuit une période
de grand essor au cours de laquelle la famille s'intègre aux couches supérieures
de la bourgeoisie lilloise. En 1889, la firme à 90.000 broches de filature et
50.000 de retordage. Toutes les opérations sont intégrées, y compris la confection des bobines en bois sur lesquelles est présenté le fil. 1.535 travailleurs
sont employés par l'entreprise qui a lancé tout un programme de logements et
d'oeuvres sociales.
Les trois exemples qui viennent d'être décrits sont significatifs de
- 206 l'évolution du coton dans la région lilloise
la plupart des firmes ont été
fondées par des entrepreneurs peu fortunés qui ont accumulé progressivement
leurs capitaux par autofinancement, au prix de beaucoup d'obstination et d'habileté. Les firmes lilloises accèdent à la puissance véritable quelques décennies après celles de l'Alsace (.).
Rares sont les entreprises notables nées après 1850. On peut citer
la société Crépy créée, en 1860, par une famille aux moyens importants, car
elle s'adonnait depuis longtemps à l'industrie des huiles et des graisses qui
s'était beaucoup développée dans la région lilloise, au cours du dix-neuvième
siècle. La filature de coton n'a reçu de l'ancienne activité textile ni ses
capitaux, ni ses dirigeants. Le retard initial des entreprises lilloises, par
rapport à celles de l'Est, explique que, en 1914, le chef-lieu du Nord ne dispose que du quart du matériel de production de la France d'alors, c'est-à-dire
en excluant l'Alsace sous occupation allemande.
Au début du vingtième siècle, des capitaux anglais montent une filature à Hellemmes; d'emblée" une installation de 180.000 broches est mise en
service. Avant 1914, la firme lilloise Delebart-Mallet, l'une des quatre premières de la place, fondée en 1830, passe sous contrôle britannique. Ceci montre
clairement les limites du rayonnement lillois.
Le travail du lin est la seconde activité textile lilloise a être
affectée par l'industrialisation. Dès 1829, on dénombre une douzaine de filatures mécaniques, ce chiffre est d'autant plus remarquable que le matériel utilisé n'est pas encore au point. En 1832, 1.500 ouvriers sont employés dans cette
branche. Les résultats économiques sont médiocres car l'on obtient seulement
des filés très grossiers. Cette situation révèle deux faits significatifs
1) la faiblesse technologique
(.) Un Schlumberger,
ches. Cl. Fohlen
accédé
par exemple,
a bien montré
à la puissance.
Dollfus-Mieg
bonnage)
pcssède,
comment,
Cf. en particulier
à main) .
4.200 personnes
de métiers régionaux,
en 1835, une filature de 37.500 bro-
dès 1850, le patriciat
les indications
: en 1839, elle est complètement
et emploie
tisserands
des constructeurs
(y compris
intégrée
toutefois
mulhousien
concernant
a
la firme
(possédant même un charun "certain nombre de
- 207 -
incapables de mettre au point un matériel comparable
à
celui dont disposent
les Britanniques.
II) Le vif désir des entrepreneurs
lillois de mécaniser cette opé-
ration.
Parmi ces firmes pionnières se trouve l'entreprise Agache et Drou1ers.
En 1829, Donat Agache, fils d'une famille d'agriculteurs d'Hem, qui cultivait
le lin, et 1ui-mème négociant en lins bruts, s'associe avec Florentin Drou1ers.
Ce dernier est originaire de Wattrelos où son père était distillateur. Depuis
1820, il s'efforçait de filer du lin sur des métiers en bois rudimentaires fabriqués par le constructeur David Van de Weghe venu s'installer à Lille, après
avoir quitté sa Belgique natale. Comme toutes ses concurrentes, la firme Agache
utilise à cette époque l'énergie animale.
L'industriel Scrive-Labbé va permettre le démarrage véritable de
cette industrie. Il avait pris la succession de son père, négociant lillois fondateur d'une fabrique de cardes en 1795. Ne parvenant pas 1ui-méme à mettre au
point des métiers à filer le lin, il se rend en Angleterre, se fait embaucher
comme ouvrier chez un constructeur britannique et rapporte clandestinement, en
1834, des dessins et des pièces dont l'exportation était toujours interdite (.).
Rapidement des firmes françaises copient ces métiers, en faisant appel, au besoin, à des ouvriers spécialisés d'outre-Manche. Ceci est intéressant, car la
nécessité de recourir à la fraude élevait beaucoup le prix de revient du matériel importé.
Très rapidement les entreprises achètent ces machines. Des contructeurs de métiers comme Scrive-Labbé et Van de Weghe deviennent eux-mémes industriels textiles, situation peu fréquente dans la région du Nord. En 1840,
plus de 100.000 broches sont en activité. Cet engouement se comprend, car
les très nombreux tisserands manuels qui existaient dans beaucoup de régions
de France, et notamment dans le Nord, offraient un débouché considérable.
Des difficultés subsistaient pourtant en raison de la concurrence des filés
(.) Il s'agissait
France,
de matériels
construits
vingt ans plus tôt, par Philippe
suivant
les principes
de Girard.
établis
en
- 208 -
britanniques;
celle-ci fut rendue inoffensive par le relèvement des tarifs
douaniers français, en 1842.
L. Merchier, dans son étude citée, a dressé la liste des filatures de
lin qui, en France, avaient plus de 5.000 broches, en 1840. Le seuil choisi est
élevé si l'on songe que, en raison de sa plus grande complexité, le coût d'installation d'une broche à filer le lin et quatre à cinq fois plus élevé que s'il
s'agissait de travailler le coton (.). Sur 13 établissements de ce type, six se
trouvent dans le Nord-Pas-de-Calais, dont quatre à Lille ou dans ses environs.
Scrive-Labbé a une unité de 10.000 broches. Agache et Drou1ers une de 6.000, de
même que Le Blan à Pérenchies. La dernière a été fondée par un membre de la famille Wa11aert. Cette fois, contrairement à ce qui s'est passé pour le coton, le
Nord devient immédiatement le centre principal de la nouvelle activité. C'est un
avantage considérable, car les autres grandes usines sont géographiquement assez
dispersées (Amiens, Rouen, Bolbec, Cho1et ... ). La présence d'un grand foyer
attire les constructeurs de matériel et les techniciens britanniques.
Les deux autres grandes filatures du Nord-Pas-de-Calais se trouvent à
Frèvent et à Boulogne-sur-Mer. La Vallée de la Lys ne se lance que timidement
dans cette nouvelle production;
l'avantage initial 1i11ois"est, par conséquent,
considérable. Il convient également de remarquer que ces grands industriels
n'appartiennent pas à des familles de maître-fi1tiers ou de gens qui travai11a~nt
le lin sous l'Ancien Régime. Des descendants de fi1tiers, comme les Descamps,
ont monté des petites unités, dès 1802, à Linselles dans le cas de la famille
citée; mais la fi1terie proprement dite (retordage, apprêt et conditionnement
des fils) reste très artisanale. Les firmes qui s'y livrent ont des ressources
limitées, il ne leur est guère facile de monter rapidement des usines modernes.
(.) Estimations
L. Merchier
provenant
et Aftalion.
des calculs
établis,
dans leurs ouvrages
cités, par
- 209 -
La position de la région sur le plan national s'améliore régulièrement,
au cours des décennies suivantes: en 1857, le Nord concentre les deux tiers
du potentiel de production national au lieu de 40 % dix ans plus tôt. L'arrondissement de Lille, c'est-à-dire essentiellement le chef-lieu, dispose à lui
seul de 60 % des broches françaises. Ce dernier pourcentage décro't au cours
des années suivantes, car la Guerre de Sécession ouvre une ère de facilité pour
la filature du lin qui prend momentanément sa revanche sur le coton
partout
des établissements installés à la hâte, surgissent dans les régions aptes à la
culture du lin.
En 1867, la région du Nord-Pas de Calais, prise dans son ensemble,
a conservé son importance relative, mais celle de l'arrondissement de Lille a
diminué en raison de l'expansion très rapide de centres comme Dunkerque (cf.C1.
Foh1en) beaucoup de ces firmes disparaissent dans les années qui suivent le
retour à un ravitaillement normal en coton. Cette fibre continue par la suite
à conquérir, peu à peu, les marchés traditionnels du lin comme, par exemple,
celui de la fi1terie (.).
Cette situation provoque une contraction de l'appareil de production
qui se fait aux dépens des firmes les plus récentes et les plus petites. En
outre, la région lilloise est bien placée pour se ravitailler en lins d'importation.
En 1899, le Nord-Pas de Calais possède 90 % des broches françaises
(95 % en 1914). Les neuf dixièmes du potentiel régional se localisent dans l'arrondissement de Lille. Les cantons lillois, à eux seuls, en ont 40 % et, en incluant des communes comme Pérenchies et Seclin qui dépendent de ce centre textile.
on atteint 70 %.
(.) Des industriels
maître-filtiers
vingtième
(cf. Lambert-Dansette),
du dix-huitième
siècle, comme les Descamps
sont pas eux qui lancent
représente
le fil de coton
le penser.
industriels
en droite
ligne de
dans cette branche
Très attachés
; si bien que la filterie
de l'activité
Le renouveau
récents d'origine
descendant
subsistent
et les Crespel.
pas, en fait, une conversion
comme on pourrait
groupes
siècle,
de coton ne
linière traditionnelle,
a été l'oeuvre
cotonnière.
jusqu'au
au lin, ce ne
essentiellement
de
- 210 -
Au cours de cette période, la firme Agache a conquis la premlere place
en France. En 1848, elle avait repris la grande usine Le Blan de Pérenchies et
l'avait développée. En 1860, elle emploie 1.200 salariés. Les deux familles,
Drou1ers et Agache, se séparent au cours de l'année 1872. Agache obtient, par
tirage au sort l'usine de Pérenchies ; celle de Lille restant a l'autre famille.
La société Agache rachète des établissements concurrents et remporte des succès
économiques dans le travail des étoupes de lin qui donnent des fils grossiers,
mais bon marché, trés demandés par le tissage armentièrois, pour les toiles a
usage militaire. En 1914, la société a 55.000 broches (10 % du total français)
320 métiers a tisser et 3.500 salariés. C'est la firme la plus puissante de la
région lilloise (.).
Le tissage du lin n'est pas trés important a Lille; cette ville, en
1900, compte trois a quatre fois moins de métiers qu'Armentières. Les métiers
réservés uniquement au coton sont en plus petit nombre encore dans le chef-lieu
du Nord. Les tissages ont été implantés par des filateurs désireux de réaliser
une intégration verticale.
Les exemples de négociants-transformateurs
de toiles montant des
tissages mécaniques ont été beaucoup plus rares qu'a Armentières. On peut citer
la famille Huet qui crée un tissage a La Madeleine, en 1904, mais elle en avait
d'abord implanté un à Halluin, en 1879. Une autre unité importante est développée
a Lille en 1890, par les Frémaux ; c'est un cas intéressant car il s'agit d'une
entreprise de négoce de toiles armentièroise qui a d'ailleurs déja créé des
unités dans sa ville d'origine. Elle installe à Lille d'abord ses services
(.) La famille
est probablement
Edouard
avait épousé
ce'qui
tantes.
Agache
lui avait permis
Il siégeait
charbonnages
la plus puissante
la fille du grand
de cumuler
la direction
en outre dans des conseils
(cf.J. Lambert-Dansette
de toute la région du Nord
industriel
et chimiste
Kuhlmann,
de ces deux entreprises
d'administration
et M. Gillet).
impor-
de sociétés de
- 211 -
commerciaux et, peu à peu, l'appareil de production (.).
Le tissage ne trouVE pas son terrain d'élection dans l'agglomération
lilloise; le tulle qui s'étaH un moment développé, disparaît après 1860, devant
la concurrence britannique et celle de Calais (..). La fabrication des tissus
exige une main-d'oeuvre essentiellement masculine dont le recrutement devient
relativement plus difficile par suite de l'essor d'industries comme l'impt'imerie
ou la métallurgie, avec les ateliers de construction mécanique de Fives, par
exemple.
La disparition complète de la dentelle à main, vers 1850, supprime
un grand nombre d'emplois féminins, ce qui crée une situation favorable pour
la filature qui emploie plus de femmes que d'hommes (...). Il serait possible
de faire venir en ville les tisserands à main des régions rurales voisines,
cela se produit parfois, mais il est aussi tentant de les regrouper en ateliers
implantés dans leurs communes de résidence
les terrains y sont moins ch=rs
qu'à Lille et il arrive que l'on puisse réutiliser des locaux où avaient été
rassemblés des métiers manuels. La Vallée de la Lys offre à cet égard bien des
avantages et bénéficie de nombreux investissements lillois (....).
(.) Pour tout ce développement
cf. J. Lambert-Dansette.
(..) Le tissage à main disparaît
les condltlons
l'humidité,
qui ont inspiré
à cette époque. Ce sont
aussi définitivement
de vie de ces artisans,
travaillant
la pathétique
dans des caves pour rechercher
et célèbre description
du médecin
Villermé.
(...) Une autre forme de conversion
la confection
(cf. sur ce point
son essor, après
textiles
malson
1860, et se concentre
interviennent
organisent
existe pour les dentelllères
la thèse de R. Blanchard).
lentement
peu dans cette branche.
eux-mêmes
la confection
à Roubaix-Tourcolng,
avait été différente
peu et ces villes disposaient
nécessitant
faire
les
d'habillement
une surveillance
échantillons
constante
etc ... à Lille,
Les industrlels
de linge de
d'une partie de leurs articles.
(.... ) La situation
des étoffes
en ateliers.
Seuls les fabricants
gie s'y développait
On fabriquait
ou leurs fliles:
Cette activité prend
de beaucoup
et d'ameublement,
de l'industriel
on fait
faire
car la métallurd'espaces
articles
pour vérifier
des tissus
libres.
très variés,
les dessins
de grande
serie.
- 212 -
En définitive, Lille a dû pour l'essentiel son essor textile, moins
à sa tradition dans ce domaine, qu'au fait d'avoir été une grande ville dès le
début du dix-neuvième siècle. Centre important aux activités multiples, la ville
disposait d'entrepreneurs aux origines professionnelles et géographiques beaucoup plus variées qu'à Roubaix-Tourcoing. Noeud de communications assez bien
équipée, elle attire les techniciens et constructeurs de matériel britanniques,
comme le montre éloquemment la liste dressée par P. Pierrard pour les années 1860,
Lille a également bénéficié, jusqu'en 1870, d'un apport considérable de belges:
F. Codacionni signale, dans sa thèse, que, en 1872, sur une population de 158.000
habitants, on compte 29,4 % d'étrangers originaires de ce pays (.).
En 1914, le centre textile lillois a acquis ses caractéristiques de
1954. Une bourgeoisie s'est constituée qui contracte des alliances matrimoniales
de plus en plus nombreuses avec son homologue de Roubaix-Tourcoing;
un milieu
patronal homogène se forme, bien que les activités des deux centres restent très
différentes.
La première Guerre Mondiale entraîne de nombreuses destructions de
matériel en raison de l'occupation allemande et parfois des combats: par exemple,
il ne reste plus rien de la grande usine Agache, à Pérenchies. Au cours des hostilités, certains fabricants ont monté des installations de production provisoires
dans le reste de la France. La société Thiriez en a conservé une usine à Doullens,
dans le département de la Somme et la firme Le Blan un établissement à Mantes.
Des firmes en ont profité pour s'intéresser à l'industrie cotonnière normande.
Le mouvement se poursuivra lors de la crise économique des années 1930 (.. J.
guerre
La filature de lin avait perdu 88 % de son matériel au cours de la
toutes les broches ne sont pas remplacées après la fin des hostilités,
(.) Cet auteur
L'importance
dustrie,
signale
également
de cette colonie
la présence,
est à mettre
(..) Il est assez difficile
quête directe
est difficile,
1965. Les donnees
ports
avec leur rôle dans l'in-
mis en valeur par P. Pierrard.
de se renseigner
riode est trop proche pour avoir susciter
et
en 1886, de 1.086 Britanniques.
en rapport
d'activité
citees
de cette
beaucoup
à propos
société,
exactement
beaucoup
sur cet aspect:
d'études
historiques.
de ces firmes ayant disparu
d'Agache
sont
aimablement
mis
tire,es
entre
directement
à la disposition
la péL'en1954
des rapde l'auteur.
- 213 -
car c'est déjà une activité en difficultés.
La crise des années 1930 amène une quasi-disparition des exportations
de nombreuses firmes cessent de produire. Dans son étude citée, J. Malézieux
dénombre dix fermetures, dans l'agglomération lilloise, entre 1930 et 1935. La
société Agache, par contre, améliore encore sa position au cours de cette période:
l'usine de Pérenchies est reconstruite et agrandie; une filature de coton est
rachetée à La Madeleine, une de lin à Seclin. Elle prend le contrôle d'un tissage
à Armentières, d'une blanchisserie au Pont de Nieppe. En 1928, la firme occupe
plus de 4.000 salariés. En 1931, elle possède 73.000 broches à filer le lin,
soit 15 % du total français. Elle est également devenue une importante entreprise
de filature de coton. En 1934, elle commence à faire de la ficelle agricole en
sisal, à Seclin.
L'industrie du coton aussi est touchée par la crise ( .) : en 1935, la
moitié des broches de filature sont arrêtées. En 1938, la production n'atteint
pas encore le niveau de 1913 ; ces difficultés permettent aux firmes importantes
de renforcer leur prééminence, sans que les structures de production en soient
pour autant bouleversées. C'est ainsi que la société Thiriez absorbe la firme
parisienne Cartier-Bresson dont les moyens de production sont concentrés dans
l'usine lilloise.
Au cours de la décennie qui précède l~ Seconde Guerre Mondiale, les
usines de l'agglomération lilloise, les filatures en particulier, commencent à
organiser le ramassage, par Cir, de la main-d'oeuvre féminine de la région des
mines. L'industrie textile, ivec ses périodes de chômage et son ambiance de
travail pénible, attire de moins en moins la popul~tion résidente. Ce phénomène
( .) cf. Baracca,
Bonnot,
Dozier,
Vermeulen,
étude citée.
- 214 TABLEAU N° 19
EVOLUTION DU NOMBRE DE BROCHES A FILER LE LIN EN FRANCE
ET DANS LA REGION NORD -PAS DE CALAIS
Sources
P. Billaux, L. Merchier, Annuaire statistique régional (édition 1951)
Année
France entière
Nord-Pas de Calais
1847
282.000
118.000
1857
452.000
304.000
1867
625.000
415.000
1899
485.000
444.000
1914
577 .000
552.000
1927
490.000
471.000
1950
439.000
415.000
(N.B.
Il s'agit du nombre de broches en activité.)
Arrondissement
Lill e
272.000
399.000
de
- 215 -
TABLEAU W
20
EVOLUTION DE LA SURFACE PLANTEE EN LIN EN FRANCE ET DANS LE NORD-PAS DE CALAIS
Unité : hectare
Sources : P. Billaux, L. Merchier, Annuaire statistique régional (édition 1951)
Pas-de-Calais
Année
France entière
Nord
IB42
98.600
10.226
7.521
1862
105.455
9.640
17.380
1877
71.163
1899
17.594
1902
21. 996
1929
28.200
6.700
3.100
1938
38.400
4.600
2.100
1948
30.800
3.500
2.600
9.648
1.038
1.361
7.538
- 216 -
affecte assez peu des établissements tels que ceux d'Agache à Pérenchies ou de
Thiriez à Loos, qui logent une grande partie de leur personnel et disposent de
salariés travaillant pour eux depuis parfois plus d'une génération. Les oeuvres
sociales mises en place, dès le dix-neuvième siècle, et la puissance des firmes
contribuent également à créer un climat de sécurité qui leur donne une bonne
image de marque et facilite le recrutement de leur main-d'oeuvre.
La Seconde Guerre Mondiale n'entra1ne pas de grandes destructions
elle est suivie par la prise de contrôle de la • Cotonnière de Fives' par le
groupe Boussac, première entreprise textile française à cette époque.
L'industrie textile lilloise n'a pas acquis le méme rayonnement que
celle de Roubaix-Tourcoing, mais l'économie de la ville ne repose pas essentiellement sur elle. En dépit de leur proximité géographique, ces deux grands foyers
ont conservé leur autonomie. Par la nature de leu~ activités textiles, leur
différenciation s'est même accentuée au cours de la Révolution industrielle.
Dans toute cette région, le textile est très répandu à la veille de la
Révolution industrielle. Il constitue probablement la ressource principale de
la majeure partie de la population. Cette activité est surtout orientée vers
le travail du lin. La plupart des paysans le cultive et valorise leurs récoltes
par le tissage de toiles ordinaires. Le textile est présent dans toutes les
communes et les structures de production sont très artisanales:
beaucoup de
tisserands ne se livrent à cette occupation que pendant la morte-saison.
Presque tous sont des travailleurs indépendants. Ils vont eux-mêmes
vendre leurs toiles dans des foires qui se tiennent à intervalles réguliers;
ce mode de commercialisation est tout à fait analogue à celui des produits agricoles. L'émiettement géographique et technique de la production est d'autant plus
poussé qu'il n'y a jamais eu de corps de métiers ou de jurandes. Au dix-huitième
siècle, en fait, sinon en droit, la fabrication est libre dans toute la Vallée
de la Lys.
- 217 -
La vente des toiles au consommateur se fait par l'intermédiaire de
négociants qui effectuent eux-mêmes, ou par l'entremise de faconniers, le blanchiment. Au début du dix-neuvième siècle, rares sont les entrepreneurs qui ont
un atelier de tissage et ce dernier est toujours de dimension modeste: J.Lambert·
Dansette en dénombre six, en 1806, à Armentières;
ils emploient en moyenne 14
salariés.
Même sur le plan commercial, cette activité n'est pas concentrée géographiquement:
au moins sept ou huit localités sont le théâtre de foires animées,
y compris des petits centres comme La Gorgue ou Estaires. Aucune ville ne dépasse
les 8.000 habitants. Armentières seule avoisine ce chiffre. Ces divers foyers
ne sont pas hiérarchisés entre eux. La finition, elle aussi, est répartie
entre de nombreuses communes: le blanchiment se réalise par exposition des
toiles que l'on humidifie souvent. Les étendues planes qui bordent les rives
de la Lys se prêtent bien à cette opération. Ces blanchisseries entourées de
prairies s'égrènent régulièrement le long du fleuve dans un cadre tout à fait
rural. Dieudonné en dénombre 13 à Estaires, 10 à La Gorgue, 15 à Steenwerck,
7 à Armentières etc
Le blanchiment est une spécialité de la vallée de la
Lys à l'échelle régionale, mais Armentières ne le contrôle pas.
Le secteur de Comines-Wervicq s'individualise déjà par la présence de
quelques productions spécifiques:
la filterie à Wervicq et surtout la rubanerie à Comines (.). Cette activité était représentée dès le dix-huitième siècle
où un atelier avait été monté par un marchand d'Ypres coupé d'une partie de sa
clientèle par la fixation de la frontière entre la France et les Pays-Bas
Autrichiens. Le travail se fait à domicile, la finition en atelier. On utilise
uniquement du lin ( et non pas la soie comme à Saint-Etienne) et élabore plutôt
des cordons que des rubans proprement dits. En 1801, Dieudonné dénombre 100
(.)
cf. E. Flament,
article
cité.
- 218 métiers à Comines, plus des trois quarts de tous ceux du département. En 1805,
les 25 fabricants cominois emploient 100 ouvriers seulement, et le plus important d'entre eux, 15. Là encore il ne s'agit que d'un artisanat. La mentalité
est assez conservatrice sur le plan technique: il faut attendre 1815 pour que
le coton commence à être utilisé.
La Vallée de la Lys ne dispose pas d'un centre urbain et attractif
comme la région lilloise; ses négociants sont moins puissants financièrement
que ceux de Roubaix-Tourcoing et n'ont pas leur habitude du commerce à longue
distance sur des marchés difficiles comme ceux de la mode. Les artisans de
cette région n'ont pas la grande habilité technique de ceux du Cambrésis. Par
conséquent la Vallée de la Lys n'offre pas, à priori, des conditions très favorables à l'industrialisation du textile. Sa situation n'est pas tellement différente de celle de la Flandre Intérieure qui connaîtra plus d'échecs que de succès.
En raison de ce contexte, la modernisation du textile dans la Vallée de la Lys
se caractérise par deux faits fondamentaux
1) La mécanisation
ment de Lille.
se produit plus tardivement que dans le reste de l'arrondisse-
II) Les activités qui se développent vraiment sont celles qui nécessitent le
moins de capitaux.
Comme toujours, c'est par la filature de coton que commence l'industrialisation. De petits établissements apparaissent sous le Premier Empire, à Armentières notamment. La ville (cf.J. Lambert-Dansette) compte 53 ouvriers dans
cette branche, en 1812, et 440, en 1824. Le rôle essentiel revient alors à la
famille Dansette, dont les membres étaient à l'origine des propriétaires terriens
d'Halluin. Ils entrent dans le textile en se livrant au négoce des toiles et
s'intéressent à la filature pour se procurer les filés nécessaires aux tisserands
à domicile qu'ils faisaient travailler.
Ceci est la règle générale dans la Vallée de la Lys: la filature n'est
pas développée pour elle-même mais uniquement par souci d'intégration;
l'activité principale des entreprises reste le tissage ou parfois l'ennoblissement des
toiles. Les conséquences de cette situation sont graves: la filature ne reçoit
pas systématiquement tous les investissements puisqu'elle a une place subordonnée,
- 219 En 1847, la plus grande usine n'a que 6.000 broches, ce qui est peu par rapport
à Roubaix ou à Lille.
Lorsque, à partir de 1850, le tissage de cette reglon s'oriente de
nouveau vers le lin, la filature du coton décline dans la Vallée de la Lys, qui
prend un retard considérable dans cette branche. Cette activité ne connaîtra une
seconde phase d'expansion que vers la fin du dix-neuvième siècle, à un moment
où le marché est déjà en grande partie occupé par des firmes puissantes. La
Vallée de la Lys est dès lors condamnée à jouer un rôle de second plan: 100.000
broches de filature de coton seulement existent, en 1900, dans la région armentièroise.
La filature mécanique du lin débute très timidement dans la Vallée de
la Lys. Après quelques tentatives avortées au début du siècle, le premier établissement armentièrois est créé en 1840 ; mais, dans cette ville, il reste le seul
pendant une dizaine d'années. Cette activité ne prend son essor qu'à partir de
1860, dans l'euphorie provoquée par la Guerre de Sécession. Des firmes lilloises
puissantes existent déjà et, dès les années 1880, la concurrence du coton entraîne une contraction de l'appareil de production (cf. A. Aftalion). Les entreprises
de la Vallée de la Lys ne bénéficient que d'une période assez courte pour assurer
leur développement.
La filterie également ne se modernise que très tardivement. La firme
cominoise la plus importante, Cousin Frères, a été créée, en 1848, par une famille locale; la première machine à vapeur n'est installée qu'en 1860 ; la société
reste très longtemps fidèle au lin. Cette évolution explique que la Vallée de la
Lys, en 1899 (cf. L. Merchier) ne dispose que du quart des broches à filer le
lin du Nord-Pas de Calais; le principal foyer est Armentières, suivi de Halluin
et des communes environnantes.
L'activité essentielle de la Vallée de la Lys reste le tissage, celuici connaît une indiscutable expansion pendant la première moitié du dix-neuvième
siècle: les progrès de la filature mécanique fournissent une matière première
abondante dont la distribution est assurée par les marchands-transformateurs,
ce qui renforce la position de ces derniers vis-à-vis des artisans. Certains
négociants créent de petits ateliers où sont rassemblés des métiers manuels.
- 220 -
Le tissage se développe sans se mécaniser car le métier mécanique
n'est pas tellement plus rapide et coûte plus cher (.). Le prix de façon
des artisans sont bas car ils sont nombreux. Lorsque, vers 1850, l'essor industriel de Lille, Roubaix, Tourcoing crée un appel de main-d'oeuvre qui pourrait
les raréfier, l'arrivée massive des Belges permet de compenser cette influence.
Dans ce domaine ci encore, la mécanisation sera tardive. Une autre caractéristique importante est à signaler: le retour vers le tissage du lin à partir des
années 1840, alors que depuis l'Empire le coton tendait à prendre la première
place. La raison économique en est simple: la mise au point de la filature
mécanique du lin abaisse le prix de revient de fils qui avaient conservé tout
leur prestige pour l'élaboration des toiles destinées au linge de maison, spécialité traditionnelle de la Vallée de la Lys (..). Ce renouveau a eu beaucoup
de conséquences car il cantonnait les firmes sur un marché dont les débouchés
allaient se restreindre après 1880 les obligeant à opérer une conversion vers
les tissus métis.
Le tissage manuel connaît son apogée à Armentières vers 1860 (...). Le
premier établissement mécanisé n'apparaît qu'en 1848, dix ans après Lille. En
1870, subsistent encore plusieurs milliers de métiers à mai~, tandis que 3.000
métiers mécaniques fonctionnent. C'est au cours de la décennie 1860-1870 que
s'édifient beaucoup de fortunes patronales, car la " famine de coton" a permis
d'amortir rapidement le matériel et d'accumuler les capitaux.
Le négoce de toile avait suscité des entreprises puissantes faisant
travailler parfois des centaines de tisserands. La plupart pourtant ne réussissent pas à passer au stade industriel. Un recensement précis, effectué par
J. Lambert-Dansette, montre que le quart seulement des négociants-transformateurs
(.)
En
1860,
(.. ) Le
( ...
)
J.
région
auteur
la
firme
Lambert-Dansette,
travaIl
à utiliser
la
J.
des
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métiers
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pour
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Coisne
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et
lin,
mécaniques
moins
21.000
développement
Lambert.
rapport
la
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rapidité
en 1860
1
personnes
et
le
souples
dont
estime que,
Lambert-Dansette
d'Armentières
estime
et
notamment
de
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à dix.
un
dp
coton,
accroissaIt
le tissage manuel
le mécanique
l'étude
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précise
n'incitait
le
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pas
de
casse.
emploie dans
cf.la
thèse
des
orIgines
de
cet
de
- 221 -
de toiles réussit cette conversion.
L'exemple de la firme Coisne et Lambert permet de bien saisir le mécanisme de l'ascension des firmes modernes. En 1853, Henri Coisne, fils d'une famille de propriétaires terriens de Lomme, reprend une entreprise de tissage
manuel à Armentières. L'actif total de celle-ci, marchandises et matériel compris
se monte à 60.000 francs en 1854. En 1856, la firme s'agrandit d'une blanchisserie. En 1862, Léopold Lambert, jeune belge dynamique, est associé à l'affaire.
Il apportait peu de capitaux (50.000 F) mais avait prouvé sa compétence en travaillant comme salarié dans l'entreprise qui comprenait alors 150 métiers à main.
De 1862 à 1866, la moyenne des bénéfices d'exploitation se monte à 40.000 francs
par an ; cette somme permet de financer, en 1865, la construction d'un tissage
mécanique qui emploie 200 ouvriers. Le contrat d'association avait prévu que les
associés ne pouvaient toucher que 3.000 francs par an plus un intérêt de 5 % du
montant de leurs apports; le reste du bénéfice d'exploitation étant obligatoirement laissé à la disposition
de l'entreprise.
Il serait hasardeux de prétendre qu'Armentières devait nécessairement
devenir le principal foyer textile de la Vallée de la Lys, surtout si l'on se
souvient que beaucoup des entrepreneurs qui ont su tirer partie de la période
favorable, n'étaient pas originaires de cette ville; il y avait même quelques
britanniques. Cet essor industriel se traduit de façon très nette dans l'évolution démographique
: en 1850, la ville a environ 8.000 habitants, chiffre comparable à celui du début du dix-neuvième siècle; on atteint 11.900 en 1861 et
19.000 en 1872. Par la suite la croissance se poursuit à un rythme moins rapide:
29.000 en 1900, puis c'est la stagnation due au développement du mouvement frontalier et aux problèmes que connaît l'industrie linière.
Dès 1890, 20 % des filés utilisés par le tissage sont en coton et une
firme comme Coisne et Lambert a 150 métiers réservés uniquement à cette fibre.
Un regain d'activité se manifeste après 1900 grâce aux commandes militaires
- 222 -
qui deviennent un des principaux débouchés de l'industrie linière. Cela présente
l'avantage d'apporter des ordres importants, mais la branche se trouve cantonnée dans un marché trés spécifique et aléatoire à long terme.
La plupart des autres communes de la vallée de la Lys, situées en aval
d'Armentières, connaissent une période d'industrialisation du tissage du lin
encore plus tardive: à Halluin, Lemaitre- Demeestère, fondée en 1837, se mécanise
seulement en 1870. A Roncq, les établissements Delahousse réalisent cette opération en 1891. Il s'agit de firmes créées par des entrepreneurs locaux. Mais
toutes ces communes offraient un terrain favorable aux grandes entreprises de
Lille, Roubaix et Tourcoing. Ces localités sont d'autant plus attractives qu'elles
sont jumelées avec des cités belges qui se transforment en communes-dortoir et
accroissent beaucoup les disponibilités en main-d'oeuvre (.). Ceci entraîne dans
beaucoup de cas la perte de l'autonomie d'une bonne partie des établissements.
Le travail de la laine est introduit à Halluin, Linselles et Roncq par des gens
de Roubaix-Tourcoing.
Une exception notable à ce processus de subordination s'observe, toutefois, dans la rubanerie (..), à Comines et à Wervicq. Cette activité évolue assez
peu jusqu'en 1850. Certes, une concentration s'est opérée: 8 fabricants au lieu
de 25, mais la technique de production reste artisanale;
le travail se fait à
domicile dans de petites maisons édifiées par les patrons pour accueillir la
main-d'oeuvre, notamment les Belges.
En 1852, la première activité de Comines reste la filterie avec 655
salariés tandis que le tissage de rubans ne procure du travail qu'à 545 personnes. L'industrialisation s'effectue sous le Second Empire: la première machine
à vapeur est installée vers 1850. Des perfectionnements réalisés en partie à
Comines même par Henri Gallant accroissent très sensiblement la productivité
des métiers mécaniques. Le travail se concentre en ateliers et l'entreprise
(.) L'immigration
belge avait déjà beaucoup
le plus spectaculaire
sont belges;
est celui d'Halluin:
en 1872, la proportion
(cf. D. Vermander,
(..) cf. E. Flament
D.E.S.
et J.
gonflé
leur population,
de ces derniers
cité).
Lambert-Dansette.
l'exemple
en 1900, sur 16.600 habitants,
atteignait
9.000
les trois quarts
- 223 -
Lauwicq, reprise ensuite par la famille de l 'habile technicien H. Gallant,
devient la première en France dans cette spècialité, avec 400 salariés, en 1875.
La mécanisation a été tardive, mais Comines est parmi les premiers centres à
l'adopter;
pour une fois la Vallée de la Lys n'est pas en retard et s'est résolument tournée vers l'utilisation du coton. Cette réussite provoque l'extension
de la branche et, en 1914, 11 établissements sont en activité dans les deux
communes employant 860 rubaniers, sans compter le personnel auxiliaire et les
établissements de teinture. Les entreprises sont de taille moyenne mais conservent leur indépendance, car les grandes firmes textiles de l'arrondissement de
Lille n'osent pas s'aventurer dans ce secteur très spécialisé.
A la veille de la Première Guerre Mondiale, les industries textiles de
la Vallée de la Lys présentent déjà la répartition spatiale qui sera encore la
leur dans les années 1950. La guerre fut particulièrement destructrice dans ce
secteur, car, aux déprédations commises par l'occupant, s'ajoutèrent des dégâts
causés par les opérations militaires proprement dites.
Entre les deux Guerres Mondiales, on n'observe pas de transformation
radicale mais une poursuite de l'accroissement du rôle des firmes principales
et l'accentuation de l'emprise de Lille, Roubaix et Tourcoing sur toute la partie
aval de la Vallée de la Lys. Dans la région armentièroise des filatures de lin
ferment, dont cinq entre 1930 et 1935, et le glissement vers le coton s'accentue.
Une firme comme Coisne et Lambert se consacre désormais uniquement à cette fibre.
Elle crée une filature à Bailleul et ouvre un nouvel établissement à La Chapelle
d'Armentières (filature, retorderie, tissage) (.).
Entre les deux Guerres des encouragements sont prodigués par les autorités françaises pour favoriser le développement d'une industrie nationale du
(.) Entre
Sénégal
1945 et 1954, la firme installe
et en Afrique
de première
entreprise
du Sud, confirmant
des unités cotonnières
au Maroc, au
ainsi de façon indiscutable
textile d'Armentières
sa place
et de toute la Vallée de la Lys.
- 224 -
teillage du lin; ceci entraîne l'arrivée d'un certain nombre de producteurs
belges. La Vallée de la Lys proche de la Belgique et des filatures de lin est
évidemment bien placée pour accueillir ces implantations,(sans oublier que l'on
y cultive toujours cette fibre). Il faut noter, toutefois (Cf. P. Billaux), qu'en
1939 50 à 65 % des lins français étaient encore teillés à Courtrai.
Le caractère généralement tardif de l'industrialisation textile dans
la Vallée de la Lys et sa spécialisation dans le tissage, activité la moins
concentrée sur le plan géographique et technique, n'ont pas permis la constitution d'un centre de grande importance et aucune ville n'a eu le temps de polariser
à son profit tout cet ensemble.
On a assisté à une différenciation croissante des divers secteurs de
la Vallée de la Lys, au cours de l'industrialisation:
la partie amont, de Merville à Armentières, a connu la stagnation ou même parfois le déclin (.), la disparition du tissage manuel n'ayant été compensée que par quelques implantations
réalisées par des entreprises armentièroises.
La " Cité de la toile" a acquis une importance et un rayonnement
qu'elle n'avait pas avant la Révolution Industrielle. Sensible déjà dans cette
ville, le rôle de la frontière a été considérable en aval car c'est elle, en
grande partie, qui rendait ces communes attractives pour les investisseurs de
Roubaix-Tourcoing ou de Lille. Les créations qui ne pouvaient se faire en Flandre
belge se localisaient là, entraînant une ségrégation entre la rive française où
se concentraient les usines et la rive belge où s'installaient les travailleurs.
Halluin, proche de Roubaix-Tourcoing en a reçu des activités nouvelles.
(.) Entre
1801 et 1954, la population
fort peu et parfois
décllne
de la plupart
comme à Estaires.
de ces communes
Cf. N. Despringhère,
augmente
D.E.S. cité.
- 225 -
Cbmines et Wervicq ont accentué leur originalité, d'autant que la frontière,
sans l'empêcher complétement, a freiné considérablement la diffusion de la rubanerie dans les communes belges voisines.
Cette partie du Nord-Pas de Calais est l'une de celles où la tradition
textile fut la plus brillante et où le travail textile était encore le plus répandu au début du dix-neuvième siècle. Le renom du Cambrésis était fondé sur la
production de toiles de lin trés fines, appelées" batiste ", du nom de leur
inventeur supposé. Au dix-septième et dix-huitième siècles ces articles étaient
appréciés dans toute l'Europe Occidentale et en Grande-Bretagne notamment( ..).
On utilisait
le lin d'origine
locale.
Initialement réalisé dans les villes, le tissage s'était, au cours du
dix-huitième siècle, trés largement diffusé dans les campagnes. A la veille de
la Révolution, les métiers sont presque tous installés dans les zones rurales
de l'arrondissement de Cambrai. Dieudonné évalue, en 1801, leur nombre à 13.286,
soit environ 90 % de tous ceux du département du Nord. Cambrai et ses environs
immédiats possèdent moins de 5 % du total des métiers de leur arrondissement,
qui se sont surtout diffusés au sud et à l'est du chef-lieu. Toutes les communes
en ont, aucune ne domine les autres
les plus importantes en abritent plusieurs
centaines. Les deux principaux ensembles sont le canton de Clary (27 % de l'arron,
dissement) et celui de Marcoing au sud (25 %). Ces communes rurales ne constituem
pas des centres autonomes car la finition et le négoce se concentrent dans trois
villes périphériques:
Valenciennes, Saint-Quentin et Cambrai. Cette dernière,
en dépit de sa proximité des zones de production, ne joue pas le rôle principal :
(.) Les sources
neuvième
essentielles
siècle;
( .. ) En Anglais,
encore de nos jours,
tes et les toiles
langage
courant
Cambrésis.
sont Dieudonné
L. Bajart et surtout
pour la situation
au début du dix-
R. Bricout pour l'évolution
le
t.erme de
Il
Cambric
II
ultérieure.
désigne
les
batis-
très fines de lin. Le fait que ce nom soit devenu un terme du
indique
à
la fois le prestige
et la diffusion
des articles
du
- 226 -
Valenciennes, en 1789, a quatre fois plus d'établissements de blanchîment que
Cambrai. Saint-Quentin, dont l'arrondissement produit moitié moins de pièces
que celui de Cambrai, a un négoce beaucoup plus important (.). Le Cambrésis se
présente, à cette époque, comme une région d'artisanat textile diffus et spécialisé ; il est assez mal polarisé par les villes voisines.
Le Cambrésis connaît des difficultés croissantes à partir de la seconde
moitié du dix-huitième siècle. La concurrence des étoffes fines de coton, mousselines et tulles, en est la raison fondamentale. Au début, ces articles bénéficient d'un engouement dû à la mode. Sur le marché des produits de luxe, la nouveauté attire toujours beaucoup. Mais bientôt ce sont des causes économiques
profondes qui favorisent l'essor du coton: cette fibre se file mécaniquement,
ce qui n'est pas encore le cas du lin et le tissage mécanique du tulle est mis
au point en Grande-Bretagne, dans la première décennie du dix-neuvième siècle.
La concurrence britannique devient irrésistible, mème si le gouvernement français
prohibe l'introduction de ces articles en France. Dès 1801, Dieudonné constate
que le nombre des métiers à tisser les toiles de lin a diminué, dans le Cambrésis.
de près de 30 % par rapport à 1789 ; cette réduction a affecté à peu près également les divers foyers de production.
Cette reglon dispose d'une main-d'oeuvre habile et abondante (la densité de l'arrondissement de Cambrai atteint 147 habitants au kilomètre carré en
1821) dont l'activité principale est condamnée à un dépérissement irrémédiable.
Une conversion économique s'impose. L'impulsion peut difficilement venir des
communes rurales où se rencontrent presque uniquement des artisans peu entraînés
au calcul économique et appauvris par les difficultés du moment.
(.) Au début du dix-hultième
L.
Crommelin,
contribua
tisseurs
siècle, par exemple,
beaucoup
à développer
du Cambrésis
(Cf. P.
un négociant
à la suite de la révocation
qui avait émigré
le travail
Billaux).
de Salnt-Quentint
de l'Edit de Nantes,
du lin en Ulster.
Il fut aidé par des
- 227 -
On pourrait imaginer que les villes voisines soient les instigatrices
du renouveau, car elles disposent d'un certain nombre de négociants. Ce ne sera
pas le cas. Cambrai, qui ne tenait déjà plus qu'un rôle limité à la fin du dixhuitième siècle, stagne et devient un foyer textile de plus en plus secondaire.
Valenciennes perd d'abord, au début du dix-neuvième siècle, son activité de fabrication de la dentelle au profit de Lille, elle est ensuite rapidement accaparée par le développement des activités minièr,~s et métallurgiques.Saint-Quentin
connaît un certain essor de la filature du coton dans les premières décennies
du dix-neuvième siècle, mais celui-ci est bientôt freiné par la concurrence des
régions de Mulhouse et de Lille. Saint-Quentin aura, au début, un rôle non-négligeable comme place de négoce et contribuera à diffuser la broderie à la fin du
dix-neuvième siècle, mais son influence sera en définitive assez limitée (.).
Le renouvellement des activités textiles se fait très lentement, à la
suite d'initiative isolées venues souvent de l'extérieur. De notre point de vue,
il est surtout intéressant d'essayer de comprendre pourquoi la production des
tulles et dentelles devient prépondérante et comment Caudry va progressivement
dominer cet ensemble. Au début du dix-neuvième siècle, en effet, cette localité
ne se distingue guère des autres: en 1804, elle a moins de 2.000 habitants
(1.926), alors que Le Cateau atteint 4.000. A 100 ou 200 unités près, en plus ou
en moins, Villers-Outréaux,
Clary, Busigny, Quiévy, ont une importance comparable
et des spécialisations textiles identiques. Les jeux sont donc loin d'être faits
d'avance.
Vers 1820, les premiers éléments de renouveau se manifestent,
apparaît la filature de la laine mais l'époque n'est pas encore propice
pansion de cette activité. Comme à Roubaix-Tourcoing,
son développement
après 1850. Cette évolution se fait parallèlement à celle de la région
(.) Cf. la thèse d'A. Demangeon.
mécaniques
L'auteur
de coton en 1810 et leur déclin
mentionne
après
l'existence
1840.
Au Cateau
à l'exse place
voisine
de sept filatures
- 228 -
de Fourmies. Toutefois Le Cateau constitue toujours un centre distinct de celui
de l'Avesnois et beaucoup plus orienté vers le tissage.
Vers 1823-1825, des Britanniques introduisent dans la région des métiers mécaniques à tulle qui ne sont pas encore mus par la vapeur. Comme les
Anglais interdisent l'exportation de ces matériels et que les Français prohibent
les importations de tulle, tous les échanges se font clandestinement, ce qui ne
facilite pas le travail des historiens. Dès 1815-1816, des métiers arrivent en
France, non seulement à Calais, mais aussi à Lille, Saint-Quentin, Douai, Caen,
Rouen même.
Les motifs de ces implantations n'étaient peut-être pas toujours industriels : elles pouvaient servir de • couverture· à des importations frauduleuses de tulles anglais que l'on se contentait de finir en France pour maquiller
leur provenance. Le Cambrésis n'est pas la première région à recevoir ces matériels, mais il était normal que, tôt ou tard, les mécaniciens anglais viennent
dans ce secteur dont ils connaissaient la réputation d'habilité de la maind'oeuvre. Le premier métier fut installé non à Caudry mais à Beauvois par un
Belge, Carpriau, assisté de mécaniciens britanniques (.).Cambrai en reçoit
quelques uns, en 1835 seulement.
L'arrivée de ce matériel suscite l'intérêt des tisserands les plus
dynamiques mais il n'y a pas d'engouement général: il faut apprendre une nouvelle technique et cet équipement est plus coûteux que les métiers traditionnels. Par ailleurs, si l'artisan connaît des difficultés, lui-même ou des membres
de sa famille ont souvent des activités autres, le travail des champs notamment.
Habitué aux fluctuations conjoncturelles, il espère toujours qu'une brusque
flambée de la demande lui fournira l'occasion de retrouver des gains substantiels
(
.. )
La production du tulle se diffuse progressivement
(.) La proximité
pouvait
des centres
faciliter
connaît peu de choses
blance,
l'attention
(..) Pour la description
du dix-neuvième
éventuel
sur Carpriau
s'il ne s'agissait
ne pas attirer
de blanchiment
le maquillage
10 ans plus tard,
de Saint-Quentin
et de Valenciennes,
des tulles venus d'Angleterre.
et R. Bricout
pas d'une prête-nom
se demande,
On
non sans vraisem-
utilisé par des Britanniques
pour
sur leurs activités.
et la persistance
de cette mentalité,
jusqu'à
siècle, cf. la thèse de C. Blaise, qui date de 1899.
la fin
- 229 -
en 1833, l'annuaire statistique du département du Nord signale la présence
d'une vingtaine d'ateliers dans cette région: quatre sont à Beauvois, trois
à Cambrai, sept à Caudry. Cette dernière localité est la seule à posséder en
plus une usine de construction de métiers à tulle. En dehors de Cambrai et du
Cateau, c'est la seule commune ayant plus de 3.000 habitants (3.343). On constate que Caudry commence à prendre un léger avantage à l'intérieur de cet ensemble textile. Au total (cf. carte n° 8), 11 communes, contigües pour la plupart, font du tulle.
Cette activité ne représente pas la seule forme de conversion et
beaucoup de tisserands se sont mis à produire de nouveaux genres d'étoffes sur
leurs métiers traditionnels. Schématiquement, et pour autant que les sources
soient précises, on peut dire que le nord de la région (Avesnes-les-Aubert,
Saint-Hilaire, Viesly) reste plutôt fidèle au lin; tandis que l'ouest (Le
Cateau, Briastre, Haussy) se tourne vers la laine. Le sud (Maurois, Maretz,
Villers-Outréaux) travaille le coton, peut-être sous l'influence du négoce de
Saint-Quentin. Ces contrastes ne sont pas encore trés tranchés mais une différenciation s'amorce. Il est clair qu'il serait difficile de chercher des causes
générales systématiques;
le choix heureux de quelques individus entreprenants
pouvant à lui seul, par effet d'incitation, modifier l'orientation de la production de ces communes qui restent petites. Il est certain que le tulle demeure
une activité globalement très minoritaire dans l'ensemble du Cambrésis textile.
L'évolution constatée se produit très lentement en raison des structures artisanales de la production. La première machine à vapeur apparaît à
Caudry, en 1852, seulement, lorsque la ville a tout juste 3.500 habitants. Alors
que Calais est déjà devenu un centre dentellier, toute cette région en est
restée essentiellement au tulle uni et ne contrôle guère la commercialisation
de ses articles. Cl. Fohlen a publié, dans sa thèse, un tableau très significatif de la répartition des métiers à tulle dans le département du Nord, en 1860:
sur 478 unités dénombrées dans le Cambrésis, les deux tiers sont à Caudry, ce
qui montre que cette ville joue maintenant le rôle principal dans sa région pour
cette activité. L'autre centre important du département est Lille avec 284 méûe~
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- 230 -
dans cette ville, un fabricant possède en moyenne 10 métiers contre 2,5 dans
le Cambrésis. Même pour l'époque, Caudry et ses environs ont des structures de
production très émiettées.
Les années 1860 entraînent une période de crise générale dans le
Cambrésis
l'ouverture des frontières aux articles britanniques est catastrophique pour les producteurs de tulle uni français, car les anglais ont des fils
de coton moins cher et surtout un matériel beaucoup plus moderne. En 1867, les
deux tiers des métiers en service sept ans plus tôt ont disparu.
Par ailleurs, au cours de ces années, le tissage se mécanise vraiment
et commence à être effectué dans des usines équipées de machines à vapeur ; ceci
crée une rude concurrence pour les nombreux tisserands à main qui constituent
alors l'essentiel de la main-d'oeuvre textile de cette région, et nécessite une
réorganisation des entreprises. Mais, pour les mêmes raisons que précédemment,
cette évolution est assez lente: vers 1900, il reste encore plusieurs milliers
de tisserands à la main dans l'ensemble du Cambrésis.
La première solution apportée aux difficultés que connaissait le
Cambrésis consista à se lancer dans la fabrication de la dentelle, qui procurait
à Calais, au même moment, une grande prospérité. Cette implantation va faire de
Caudry la principale ville du Cambrésis textile. Plusieurs raisons expliquent
cette promotion: la ville occupe déjà la première place pour le tulle; elle
attire les activités annexes (maisons de négoce, teintureries, dessinateurs etc ..
La gamme de ses articles comporte des tulles fantaisie nécessitant une plus
grande technicité:
le passage à la dentelle en est rendu plus facile.
Le démarrage véritable de cette phase de prospérité se place vers 1880.
Il fut favorisé au début par l'installation de bureaux de négociants étrangers,
Anglais souvent, qui, en raison de la demande générale de dentelle en Europe,
cherchaient à s'assurer un approvisionnement sûr auprès des nouveaux producteurs.
L'achat de matériel fut facilité par l'intervention de petites banques locales
(Debail et Co, par exemple) qui servaient d'organismes prêteurs sans pour autant contrôler les entreprises car celles-ci remboursaient le plus rapidement
possible ces crédits pour sauvegarder leur indépendance.
Entre 1880 et 1885, 300 métiers Leavers neufs sont installés.
- 231 -
En 1914, ils sont 600 au total dans la région de Caudry, répartis entre 177
fabricants. Un grand nombre de petites firmes subsistent: la prospérité permettait aux petits artisans ou au habiles contrema'tres d'acheter un métier
a crédit, et cela suffisait pour devenir un producteur indépendant; les principaux fabricants, en effet, disposaient d'usines plus vastes que ne l'aurait
nécessité leur propre parc de matériel, ils louaient les places disponibles a
ces artisans. La commercialisation pouvait se faire par l'intermédiaire des
maisons de commission. Cette structure freine le développement des firmes importantes puisque les commissionnaires peuvent s'appuyer sur les artisans, a
l'équilibre financier fragile, pour concurrencer les fabricants susceptibles
de vendre eux-mémes leurs articles.
L'essor de cette région, à la fin du dix-neuvième siècle, est favorisé par un renouveau du tulle uni. La demande porte sur les articles destinés
aux moustiquaires; elle s'explique aussi par l'apparition de la broderie mécanique pour laquelle le tulle sert de support. Grâce à cela, on dénombre 550
métiers modernes à tulle en 1913.
La broderie à la main avait persisté dans la région de Saint-Quentin
vers 1870 y apparaissent des machines importées de Suisse àù elles avaient été
mises au point. Le progrès décisif se place, toutefois, plus tardivement: en
1893, les Suisses adaptent le système jacquard au métier et les ornements les
plus complexes sont dès lors réalisables mécaniquement. Les premières machines
de ce type sont installées a Caudry en 1906. En 1913, la région en possédait
environ 35. Cette activité récente qui exige moins d'investissements que la
dentelle est extrêmement morcelée: la moitié des producteurs sont des artisans
disposant d'un seul métier; un tout petit nombre de firmes en ont plus de deux
au total, on dénombre 630 métiers pour 248 firmes.
Au cours de ces décennies, l'essor de Caudry est trés rapide. De 1860
1880, la population oscille aux alentours de 4.500 habitants. En 1901, elle
a doublé et, en 1911, atteint 13.400, dépassant de plus de 3.000 unités celle
du Cateau, alors que cette dernière commune était deux fois plus peuplée que
Caudry en 1870. Cambrai reste, avec 28.000 habitants, la ville la plus importante de l'arrondissement, bien qu'elle n'ait pas profité du renouvellement
textile. Toutefois, en valeur absolue, son accroissement entre 1872 et 1913,
à
- 232 -
qui est de 6.000 unités, est inférieur à celui de Caudry qui s'est élevé
9.000 (.).
à
Caudry affirme son rôle de capitale car elle présente déjà la situation observée en 1954 : les activités et services annexes se groupent sur son
territoire et elle concentre la majeure partie des métiers à dentelle. Son importance est moins grande dans la broderie qui a rayonné à partir de SaintQuentin et a attiré davantage les artisans du sud de la région, notamment ceux
de Villers-Outréaux;
cette commune est déjà le principal centre après Caudry.
La prospérité de la dentelle n'incitait pas les caudrésiens à se consacrer en
grand nombre à la broderie. Cambrai compte, au total, moins de vingt métiers
à tulle ou à broder et ne joue qu'un rôle négligeable.
L'essor de Caudry n'a pas provoqué, comme à Calais, la concentration
des activités en une seule ville. Le renouveau du tulle, le succès de la dentelle ont favorisé leur diffusion spatiale, comme le montre la carte n° 8 en
comparant l'extension géographique de ces activités en 1833 et à la fin du dixneuvième siècle; des artisans en difficultés ont trouvé dans ces productions
un moyen de se convertir tout en restant dans leur commune d'origine.
En 1913, ces fabrications connaissent leur plus large implantation
géographique, atteignant même deux communes de l'arrondissement d'Avesnes
(Poix du Nord et Bavai). La carte n° 8 montre que ces localités forment presque
toutes un bloc compact autour de Caudry. Comme cette ville en est le centre
d'animation principal, on peut parler d'une" région de Caudry" qui atteint
alors sa plus grande ampleur.
L'autre source de renouveau pour l'industrie
(.) Cette population
est de recrutement
relève que, en 1906, 70 % des habitants
de 40 kilomètres
de la ville.
ce sont surtout des Belges.
patronymes
seulement
essentiellement
sont portés
local:
venus de l'extérieur
Les étrangers
L'homogénéité
textile du Cambrésis,
représentent
R. Bricout
sont nés à moins
moins de 1 % du total,
de la population
est telle que 15
alors par 43 % des habitants.
- 233 -
dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle a été le développement du travail
de la laine, Le Cateau devint un centre complet pratiquant peignage, filature
et tissage, Vers 1860, ces trois activités sont parfois réunies au sein d'une
même entreprise comme celle de Paturle Lupin (,) qui possède notamment 400 métiers à tisser (tous ne sont pas encore rassemblés en atelier).
A la veille de la Première Guerre Mondiale ( .) on peut estimer à
environ 10.000 le nombre de métiers à tisser la laine en service dans cette
région. La filature est peu importante; lorsqu'elle existe, c'est intégrée
au tissage, si bien qu'il ya très peu de ventes. En 1910, pour toutes ces raisons, le bureau de conditionnement du Cateau traite un tonnage de fils de laine
inférieur au dixième de celui de Fourmies
Dans cette branche industrielle, on note la présence d'entreprises
de taille importante: en 1910, la firme Th Michau et C", dont l'usine est à
Beduvois, possède 2.000 métiers et procure du travail à 2 500 personnes, parfois
dispersées dans de petits ateliers ruraux La société Seydoux et Co réalise
toutes les phases du cycle de transformation de la laine et dispose d'unités
de production au Cateau, à Bousies et à Maurois ainsi qu'à Sabadell, en Espagne.
Elle a, au total 2.400 salariés (...). Les intérêts de Roubaix-Tourcoing ne sont
pas absents dans cette activité, et la firme roubaisienne d'Halluin-Lepers possède, par exemple, un tissage de 350 métiers au Cateau. La ville principale
du Cambrésis lainier est incontestablement cette dernière localité qui a environ
11.000 habitants, en 1911. Elle ne domine pourtant pas sa branche comme Caudry
le fait dans la sienne: par exemple, les deux grandes sociétés mentionnées
ci-dessus ont leurs services commerciaux et leurs sièges sociaux à Paris.
(.)
diaprés
(.. ) Ces
A.
Falleur,
sont
(...) Ces entreprises
de
la
plupart
une mécanisation
des
citée.
thèse
renseignements
tirés
firmes
beaucoup
de
de broches
l'ouvrage
Roubaix-Tourcoing.
moins
livre encore au tissage manuel,
milliers
de
cité
ont un nombre de salariés
de filature.
poussée:
Ceci
la
de
G.
Sayet.
considérable,
société
tout en disposant
s'explique
Seydoux,
de plusieurs
supérieur
en
par
à celui
partie
par
exemple,
dizaines
de
se
- 234 -
Le travail du lin n'a pas disparu du nord du Cambrésis, notamment dans
le secteur Haspres-Avesnes lez Aubert. A la veille de 1914, une fois encore, les
grands traits de la répartition géographique observée en 1955, sont déjà en
place. Des conversions successives et incomplètes ont diversifié la région. La
plus belle réussite a été celle des dentelles, tulles et broderies, activités
bien adaptées à la nature d'entreprises qui restent proches de l'artisanat.
le caractère tardif de cet essor n'a guère donné le temps aux firmes de cette
branche d'accéder à une taille importante, d'autant plus que leur ascension
était freinée par l'émiettement des structures professionnelles et l'existence,
même entre 1880 et 1914, de crises conjoncturelles brutales.
La Guerre de 1914-1918 se traduit, comme dans tous les territoires
occupés par la mise hors d'usage de tout le matériel textile. La reconstruction
voit quelques producteurs de tulles, dentelles ou broderies, cesser leur activité
dans des communes situées sur les marges du foyer principal : c'est le cas de
Cambrai, Briastre, Bavai notamment (cf. carte n° 8) ; cette contraction est
légère. La rénovation du matériel ne s'accompagne pas d'une modification notable
des structures de production. En 1922, la Chambre de Commerce de Cambrai dénombre 273 fabricants de tulles et dentelles dont les trois quarts se trouvent à
Caudry et 197 producteurs de broderies qui pour le tiers d'entre-eux sont implantés à Caudry (.).
La crise de 1929 touche très durement une activité qui exportait,
(.) Les relevés
effectués
par R. Bricout
vrlers
tullistes,
ment:
en 1909-1912,
paient
55 % de ces ouvriers.
diminue
indiquent
vers
le maintien
occupant
qualifiés
à
l'accroissement
(71 %). Ces résultats
peuvent
Ces données
de la production.
regrou-
s'élève à 80 % et ne
(mais celui-ci
avant la Guerre).
du morcellement
de l'émiette-
moins de 10 tullistes
1920, ce pourcentage
du taux de syndicalisation
élevé chez ces ouvriers
le moins,
Après
1931
dans les archives du syndicat des ou-
une tendance
les établissements
que légèrement
tés par une variation
plutôt
avoir été affecétait déjà
confirment,
pour
- 235 -
directement ou indirectement, la majeure partie de ses articles vers les grands
pays industrialisés,U.S.A. et Allemagne notamment. Ces difficultés ne modifient
pas profondèment les structures de la profession. Toutes les firmes sont atteinœ~
la plupart se contentent d'attendre des jours meilleurs. Patrons et ouvriers ont
toujours connu des périodes de difficultés et font preuve, en définitive, de
beaucoup de patience, d'autant que les premiers ont peu de frais fixes en raison
de la petite taille de leurs firmes. Les seconds n'ont pas perdu tout contact
avec la terre. On constate des cessations d'activité et des ventes de métiers
(.) ; les faillites, par contre, restent exceptionnelles. La broderie, aux productions plus variées, est moins touchée; des métiers sont acquis par des artisans pour cette raison. La population de Caudry ne varie pratiquement pas entre
1911 et 1936 (..). Une fois de plus, cette région témoigne de son aptitude à supporter les crises.
Les autres activités textiles du Cambrésis connaissent également des
difficultés économiques. La reconstruction s'était traduite par la diminution
de moitié du nombre des métiers à tisser la laine. Ceci n'entraînait pas nécessairement une baisse de la capacité de production car il s'agissait de métiers
modernes, mais cela réduit toutefois sensiblement le nombre des emplois. La
crise des années 1930 provoque la disparition des grandes maisons ou leur prise
de contrôle par des firmes de Roubaix-Tourcoing. La plus grande partie du matériel reste inoccupée. Il est frappant de constater que, en 1937 encore, même
s'ils sont souvent en chomâge, des tisseurs se servent encore de métiers manuels
pour produire des toiles fines en lin (...).
(.) Les achats de métiers
le parc diminue
(,.) Pendant
à
environ
cette même période,
bien que cette ville dispose
non-textiles.
dentelle
de 300 unités
Par contre,
cessent
la population
d'activités
Caudry
complètement
par obsolence,
de Calais
portuaires
est purement
en 1937.
cette période
ou vente.
régresse
et de quelques
sensiblement
industries
textile.
(...) L. Bajart estime que, pour tout le Cambrésis,
encore en état de marche
pendant
destruction
1.200 métiers
manuels
sont
- 236 -
La Seconde Guerre Mondiale ne provoque que fort peu de destructions et
ne remet pas en cause, par consèquent, les structures de production traditionnelles.
Le Cambrèsis textile a connu la même èvo1ution d'ensemble que les
autres foyers de la règion du Nord mais à un rythme beaucoup plus lent, de telle
sorte que les structures de production sont restèes plus proches des formes
anciennes. Cela se traduit èga1ement sur le plan gèographique : ses limites,
au dèbut dèS annèes 1950, ne sont pas très différentes de celles qui existaient
au temps du Prèfet Oieudonnè. Le seul fait nouveau a étè l'apparition d'un pôle
d'animation, Caudry, au milieu de cet ensemble rural peu diffèrenciè antèrieurement. ~1ais là encore, 1 'èvo1ution n'a pas tê poussée jusqu'à son terme, puisque Caudry ne domine pas toutes les activitès textiles et que son rayonnement
n'affecte pas toutes les communes de cet ensemble.
è
La req ion de Fourmies et d'Avesnes, à l'aube de la Rèvo1ution industrielle, ne joue pas un grand rôle dans la production des articles textiles. Cette
situation n'est d'ailleurs pas nouvelle et si l'on remonte le cours de 1 'histoire
on constate que c'est la fabrique de draperie de Maubeuge qui fut le centre le
plus notable de cette règion jusqu'au dix-huitième siècle. Au dèbut du dix-neuvième siècle, Fourmies n'est, à vrai dire, qu'un gros bourg n'atteignant pas
3.000 habitants, donc moins peup1è qu'Avesnes. Ce fut l'une des raisons du choix
de cette dernière comme sous-prèfecture.
La statistique de Oieudonnè montre des activitès varièes, peu importantes à 1 'èche11e du dèpartement et orientèe vers la confection d'objets de qua1itè mèdiocre. Le contexte est très différent de celui du Cambrésis voisin: en
1801, on travaille un peu la laine des Ardennes pour faire des ètoffes grossières
(.) La source principale
de ce fait, son auteur
des années
est la thèse de A. Falleur.
a encore pu rencontrer
1890 dont on verra
llimportance
Elle a été écrite en 1930 ;
et interroger
ci-dessous.
des témoins oculaires
- 237 -
tout le cycle de transformation est encore manuel ; le Préfet du Nord estime
que cette production a diminué de moitié depuis la période pré-révolutionnaire.
Le travail du lin est, au début du dix-neuvième siècle, la principale branche
textile de l'arrondissement d'Avesnes, qui ne dispose pourtant que de 7 à 8 %
des rouets et des métiers à tisser les gros fils de lin du département. On y
produit très peu de fils fins. Les deux dernières retorderies élaborant ce type
d'articles fermeront à Fourmies en 1833. En 1801, 240 métiers à tisser les toiles
fines sont dénombrés, soit à peine 3 % du potentiel de l'arrondissement voisin de
Cambrai.
Dieudonné signale encore la présence d'un peu de bonneterie: quelques
dizaines d'artisans, au total, à Fourmies et à Sains-du-Nord;
mais leur nombre
est en diminution car ils résistent mal à la concurrence belge. Le développement
industriel ne pourra guère s'appuyer sur une tradition textile vêritable. En
outre, la population n'est pas très abondante:
la densité de l'arrondissement
d'Avesnes est seulement, en 1801, de 72 habitants au kilomètre carré, chiffre
assez faible pour la région du Nord. Rien ne prédispose vraiment l'Avesnois à
se lancer dans le travail d'une fibre textile particulière.
L'industrie prend naissance à Fourmies un peu plûs tardivement que
dans l'arrondissement de Lille. En 1810, une filature de coton est montée par
un habitant de la bourgade, Louis Joseph Legrand; les métiers sont mus par
les eaux de l'Helpe. L'énergie du relief est suffisante, en effet, dans ce secteur pour permettre l'utilisation de la force hydraulique. Cette création reste
isolée: le travail d'une fibre nouvelle, le coton, suscite peut d'intérêt dans
une région où il n'était guère apparu jusque-là. Louis Joseph Legrand, lui-même,
installe, en 1825, une filature de laine mécanique, imitant en cela Paturle
Lupin qui avait créé son unité, en 1818, au Cateau. La matière première utilisée
est de provenance essentiellement française.
L'époque n'est pas encore très favorable à l'essor de la filature de
la laine peignée en raison de la non-mécanisation du peignage. Les deux industriels cités font preuve pourtant d'un réel dynamisme dans le travail de la
laine: ils adoptent la machine à vapeur vers 1840. Legrand complète sa filature par des ateliers où est pratiqué le peignage à main. Dès les années 1850,
- 238 -
ils acquièrent des premleres peigneuses mécaniques. Le tissage mécanique apparaît en 1853, chez Paturle Lupin, au Cateau. L'exemple de Louis Joseph Legrand
a été suivi à Fourmies même où d'autres filatures furent crêées. En 1844,
51.000 broches sont en activité dans les arrondissements de Cambrai et d'Avesnes,
ce dernier en regroupe la grande majorité. Ce nombre double au cours des dix
années suivantes pour s'élever à 112.000 en 1855. Les capitaux investis dans ces
installations provenaient souvent des revenus de la terre.
La filature de la laine peignée connaît son véritable essor après les
années 1850. De 1855 à 1890, la région de Fourmies bénéficie d'une expansion
remarquable:
le nombre de broches à filer atteint 651.000 en 1867 ( pour les
centres de Fourmies, le Cateau et Vervins) et 930.000 en 1890. Pour autant que
l'on puisse comparer les broches entre elles, cela représente un potentiel de
production comparable à celui de l'agglomération de Roubaix-Tourcoing. En même
temps, les autres branches de l'industrie lainière se sont mécanisées et développées : en 1890, le secteur de Fourmies-Le Cateau compté 630 peigneuses réparties en 26 usines dont 21 appartiennent à des filatures. Le tissage s'est également répandu: on dénombre 16.000 métiers mécaniques, dont un quart seulement
pour l'arrondissement
d'Avesnes.
Au cours de cette phase de croissance, Fourmies affirme sa primauté:
c'est non seulement le premier centre de production mais aussi la ville où se
crée, en 1874, la " Société du Commerce et de l'Industrie Lainière de Fourmies"
Cette association rayonne sur les arrondissements d'Avesnes et de Vervins et
suscite l'installation, en 1875, à Fourmies même, d'un bureau de conditionnement
des fils de laine peignée. Elle organise à partir de 1885 des cours de peignage
et de filature, toujours dans cette même localité (.).
(.) La Société
Industrielle
cats patronaux
avant la lettre, étaient
Industrielle
de Mulhouse,
ment des activités
de Lille
qui avait
de cette ville.
est créée en 1873. Ces groupements,
fondés à l'imitation
joué un rôle si important
syndi-
de la Société
dans le développe-
- 239 -
Fourmies qui avaient seulement 3.400 habitants en 1851, dépasse Avesnes
en 1860, atteint l'effectif de 10.000 en 1872 et approche celui de 15.000 en
1890. Elle n'est surpassée dans son arrondissement que par Maubeuge qui, elle,
ne doit rien au textile. En 1846, la population de Fourmies représente le tiers
seulement de celle des communes environnantes (.). En 1890, ces dernières se sont
accrues en moyenne de 60 %, grâce à l'essor du textile, mais la seule ville de
Fourmies a un nombre d'habitants égal à 83 % du leur. Le phénomène de polarisation est par conséquent incontestable.
En dépit de son expansion, cette région textile présente des faibleses:
la croissance s'est réalisée par la multiplication de petites entreprises sans
que naissent de très grandes firmes: en 1890, on compte 83 filatures. Entre
1855 et 1867, environ 500.000 nouvelles broches ont été installées, mais réparties entre 38 usines. Il semble bien que le nombre de broches par filature n'ait
guère progressé en quarante ans. Ce foyer industriel n'est pas vraiment complet,
car l'ennoblissement n'y est pas représenté. On continue essentiellement à travailler des laines venant de France ou achetées à des négociants de RoubaixTourcoing qui, eux, depuis parfois des décennies, vont les chercher directement
chez les nouveaux grands producteurs de l 'hémisphère sud.
A. Falleur remarque fort justement que Fourmies est un centre industriel et non pas un marché, c'est-à-dire une place animée par tout un ensemble
de négociants.
Les firmes fourmi siennes, face à la concurrence des entreprises de
Roubaix-Tourcoing, se spécialisent dans l'élaboration des filés les plus fins
ces articles sont en grande partie exportés vers les U.S.A. ou l'Allemagne et
leur vente est étroitement soumise aux moindres variations des tarifs douaniers
et de la mode. Il est difficile d'expliquer de façon complète les raisons de ces
faiblesses. A. Falleur oppose le caractère"
joueur" et audacieux de l'industriel de Roubaix-Tourcoing à la prudence de celui de Fourmies. Cela demanderait
(.) Anor, Féron, Glageon,
Ohain,
Trélon,
Wignehies.
- 240 -
à être précisé par l'analyse
de la gestion des entreprises. Il serait intéressant, en particulier, de savoir si, lors des phases d'expansion, le taux de
profit a été aussi élevé que dans l'arrondissement de Lille et si le réinvestissement des bénéfices a été suffisamment pratiqué. D'après A. Falleur, beaucoup de ces industriels sont restés en même temps des propriétaires herbagers.
Une partie du bénéfice tiré du travail de la laine a peut-être été détourné
par ce biais de l'industrie
(.).
La fragilité des structures industrielles ne permet pas à la région
de surmonter les difficultés conjoncturelles qu'elle rencontre à partir de
1890, notamment lorsque le Bill Mac Kinley lui fait perdre ses débouchés sur
le marché américain et que le protectionisme se renforce également en Allemagne
(..). Entre 1890 et les années 1910-1914, le nombre de broches de filature
diminue de 10 % celui des métiers à tisser stagne et le peignage décline sensiblement : 80 % des peigneuses disparaissent au cours de cette période. Le bureau
de conditionnement de Fourmies voit passer 2.174 tonnes de filés de laine peignéE
en 1900, contre 1.987 en 1910, alors qu'entre ces deux dates, les tonnages traités par ceux de Roubaix et de Tourcoing croissent de 14 %. Certes, en 1910, le
Cambrésis la région de Vervins et l'Avesnois produisent 23.000 tonnes de filés
de laine, contre seulement 20.000 à Roubaix-Tourcoing. L'arrondissement d'Avesnes
à lui seul, fournit 15.000 tonnes. Ces chiffres ne doivent pas faire illusion:
la région de Fourmies devient un centre économiquement subordonné à l'autre grand
foyer lainier du Nord ( ...).
Les industriels de Fourmies ont renoncé peu à peu au peignage, à partir
du moment où ils devaient faire venir leurs matières premières d'outre-mer:
ils sont plus loin des ports maritimes que Roubaix-Tourcoing et beaucoup plus
(.) On sait que Cl. Fohlen
de la décadence
(..) Ce contexte
du premier
du textile
de crise est en partie
Mai 1891 au cours de laquelle
amenée pour maintenir
(...)
a vu dans un mécanisme
d'une partie
normand
de ce genre l'une des raisons
après 1860.
responsable
de la tragique
neuf ouvriers
l'ordre.
Tous ces chiffres
proviennent
de l'ouvrage
fusillade
sont tués par la troupe
cité de G. Sayet.
- 241 -
mal reliés à Anvers ou à Dunkerque, et, surtout, il leur fallait passer par l'intermédiaire des négociants du centre concurrent. Ces derniers préfèrent voir
traiter leurs laines là où ils ont leurs entrepôts et où se trouvent des installations plus modernes; en outre, on l'a vu, des liens de famille existent
souvent entre les négociants et les entreprises de peignage de Roubaix-Tourcoing.
Il n'est pas étonnant que Fourmies ne dispose plus, en 1910, que de moins de 5 %
des peigneuses du département du Nord.
Les filateurs qui connaissent des difficultés d'écoulement de leur production renoncent progressivement à travailler pour leur propre compte et se
contentent de filer à façon pour les maisons de Roubaix-Tourcoing, auxquelles
de toute façon, ils doivent acheter leurs rubans de peignés. Les producteurs
de la région de Fourmies nombreux et peu puissants sont en position de faiblesse
lors de la négociation de ces contrats avec les donneurs d'ordres (.). Certaines
usines, à partir de cette époque passent sous le contrôle direct de firmes de
Roubaix-Tourcoing. 27 filatures disparaissent entre 1890 et 1914.
Dans les années 1910-1914, la reglon de Fourmies a acquis son caractère essentiel, une forte spécialisation dans la seule filature de la laine
peignée. Les difficultés rencontrées après 1890 se sont traduites par une diminution de près de 4.000 habitants de l'ensemble Fourmies-Wignehies-Trélon-Glageon
Anor-Avesnes. En 1914, dans les limites fixées au chapitre deux, la région de
Fourmies comprend 640.000 broches à filer et à retordre la laine peignée, réparties entre 50 entreprises. Aucune n'a plus de 27.000 broches, les plus petites
en possèdent 7 à 8.000. C'est dire que les fermetures observées n'ont pas abouti
à une concentration du potentiel de production en quelques unités importantes.
(.) D'aprés
A. Falleur
et les donnAurs
que
la façonnier
les prix de façon baissent
d'ordres
imposent
doit rembourser
livrées et celui des produits
peignés
donnent
Ces pratiques
95 kilos
cessent
des conditions
la différence
finis.
entrp
Si, par exemple,
de fils, il doit payer
après 1918.
de 30 %, entre 1890 et 1900
draconnienn~s
; c'est ainsi
le poids total des matières
100
klJOS
de rubans de
le prix de cinq kilos de peignés.
- 242 -
Cette région compte, en outre, 3.500 métiers à tisser et à peine
4.500 broches de filature cardée. Fourmies rassemble sur son seul territoire
28 % des métiers et 37 % des broches. Sains, Wignehies, Glageon et Avesnes ont
chacune entre 11 et 12 % des broches (Wignehies a de plus 30 % des métiers).
Le noyau formé par Fourmies, Wignehies et Glageon contient la majeure partie
du potentiel de production, les deux tiers des broches notamment.
Cette concentration géographique n'est pas remise en cause par la Première Guerre Mondiale qui accentue la spécialisation du centre. Les dégâts causés par l'occupation sont, comme toujours, considérables. Pratiquement tout le
matériel de tissage est détruit, ainsi que 88 % de celui de la filature. Après
1918, les branches les moins importantes ne sont pas reconstituées dans leur
état antérieur:
un seul peignage est remonté (il disparaîtra après 1930). Le
nombre des métiers à tisser est réduit de moitié.
Par contre, le potentiel de la filature peignée est rétabli et cela
s'accompagne d'une opération de restructuration d'une ampleur unique dans la
région à cette époque: 25 sociétés qui, avant la Guerre, contrôlaient 350.000
broches, près des trois cinquièmes du total régional, fusionnent pour former
la Société des Filatures de la Région de Fourmies. Les actions de cette firme
sont introduites à la Bourse des Valeurs de Paris en 1928. La restructuration
des usines est limitée puisque l'on remet en activité 12 filatures, qui restent
des unités de taille moyenne.
D'autres efforts sont tentés pour rendre le centre de Fourmies plus
autonome:
une teinturerie pour peignés et fils est créée à Fourmies; une
autre destinée aux tissus l'est à Anor. En 1926, est fondé un comptoir de filateurs pour tenter d'uniformiser les prix de façon. Une entreprise de bonneterie
ouvre ses portes à Trélon, en 1925. Ces tentatives vont être plus ou moins
complètement brisées par la crise économique qui surgit quelques années plus
tard. Elles n'avaient eu, d'ailleurs, qu'une portée limitée; il est significatif
de constater que la S.F.R.F. continuait de travailler à façon. Au cours des
années 1930, des petites firmes sont encore reprises par des sociétés de
Roubaix-Tourcoing.
En 1938 (.), 44 % seulement des broches de filature sont
(.) D'après J. Bernard, ouvrage cité.
- 243 -
en activité. La Seconde Guerre Mondiale est suivie, on l'a vu, dès le début
des années 1950, par des difficultés sérieuses.
La région de Fourmies est devenue rapidement un grand centre industriel textile, spécialisé, comme l'agglomération de Roubaix-Tourcoing, dans
l'une des branches les plus mécanisées. Mais, région rurale sans grande ville,
elle a, comme le Cambrésis, conservé des structures de production trop longtemps
morcelées. Elle fut ensuite contrainte d'entreprendre une rénovation particulièrement délicate car il lui fallait en même temps subir la concurrence d'un
centre beaucoup plus puissant: il ya ici dysharmonie entre le type d'activité
textile choisie et les structures sociales.
En 1801, cette localité n'atteint pas les 10.000 habitants; en 1821,
ce chiffre dépasse à peine 12.000. Le port fournit alors à la ville la plus
grande partie de ses activités Dès 1815, près de 30.000 voyageurs le fréquentent
et, en 1819, un premier bateau à vapeur est mis en service sur la ligne Calais
Douvres. Cette facilité des relations incite trois Anglais de Nottingham,
Clarck, Webster et Bonnington à introduire, en 1816, l'un des premiers métiers
mécaniques à tulle sur le continent. L'opération est difficile puisqu'elle doit
se faire clandestinement. Le matériel est démonté et les pièces détachées sont
expédiées, les unes après les autres, grâce à la complicité de marins français.
(.)
La
source
également
Révolution,
la
Saint-Plerre
la
ville
dans
est la thèse
essentiellp
les
D.E.S.
de
F.
ville
de
Calais
qUi
ses
fusionnèrent
Jacob
de
G.
Dubroeucq.
l ouvrage
de
F.
Lennel.
eté morce}pe
en
deux
et
a
en
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llmites actuelles.
citée
1
Tous
les
On
Au
communes
chiffres
cités
a utilisé
moment
de
: Calais
concernent
la
et
- 244 -
Les motivations exactes de ces Britanniques ne sont pas connues. Ils
désiraient certainement profiter du débouché offert par le marché français où
le tulle était à la mode alors que son importation était interdite. Peut-être
aussi, voulaient-ils exploiter des métiers mécaniques sans devoir payer de redevances aux auteurs des brevets et notamment à Heathcoat. Leur situation est
en fait un peu ambigue : ils ont enfreint les lois britanniques et se sont
théoriquement déconsidérés aux yeux des producteurs de Nottingham. Pourtant, ils
continuent à se procurer, sans grandes difficultés apparentes, des pièces détachées et les fins filés de coton dont ils avaient besoin. L'importation de
ces derniers était pourtant interdite par les autorités françaises qui voulaient
protéger l'industrie
naissante de la filature.
Il ne faut pas s'étonner de voir toutes ces interdictions dépourvues
d'effets pratiques;
elles renchérissent simplement le prix des produits: les
traditions de fraude, nées du Blocus Continental, sont encore vivantes et le
trafis entre les deux pays est déjà trop important pour permettre un contrôle
vraiment efficace, si tant est que les autorités l'aient vraiment souhaité.
Les moyens dont disposent ces trois Britanniques sont limités et, dès
le début, ils recrutent sur place des ouvriers pour remonter et faire fonctionner les métiers.
Ils cherchent à faire fabriquer à Calais même une grande partie des
pièces et tout d'abord le bâti, élément le plus encombrant et, par conséquent,
le plus difficile à dissimuler à la douane. C'est chose faite vers 1820. Les
artisans calai siens responsables de cette opération souhaitent ensuite, assez
logiquement, produire eux-mêmes la totalité du métier. Ceci se réalise pour
la première fois, en 1823, dans l'atelier du Calaisien Dubout.
Les conditions historiques très particulières du moment ont ainsi
favorisé l'assimilation de cette technique par les Français, d'autant que l'écoulement de cette production sur le marché intérieur est aisé. Dès 1825, une
cinquantaine de métiers fonctionnent à Calais et dans ses environs. Cette ville
n'est pas la seule dans le Nord-Pas-de-Calais ou même le reste de la France,
où s'implante le tissage mécanique du tulle. Toutefois, elle devient immêdiateme~
- 245 -
le centre le plus important et le plus moderne. La production a débuté une dizaine d'années plus tôt que dans le Cambrésis. La main-d'oeuvre, sans aucune
tradition textile, adopte d'emblée toute les nouveautés, alors que, dans le
Cambrésis beaucoup d'artisans tisserands ne le font que contraints par l'évolution économique;
ils répugnent à devoir abandonner le savoir-faire acquis
dans la fabrication des toiles de lin.
Calais bénéficie également beaucoup de la fréquence des contacts avec
l'Angleterre et de la présence d'un certain nombre de Britanniques. Il est difficile de cerner avec précision ce phénomène mais sa réalité ne fait pas de doute
(.).
Le métier à tulle reçoit, à Calais, des améliorations qui l'allègent,
le rendent moins coûteux et favorisent sa diffusion. Dès les années 1830-1835,
Calais est devenu un centre de production techniquement aussi moderne que Nottingham. A partit de 1834, la prohibition sur les filés britanniques de coton est
levée et remplacée par un droit ad valorem de 35 %. Ceci facilite l'approvisionnement de la place en matières premières, sans compter que la filature francaise est désormais capable de fournir des articles répondant aux exigences des
producteurs de tulle.
L'expansion de cette activité est trés rapide au cours des premleres
décennies: 514 métiers fonctionnent dès 1832, sur le territoire actuel de la
ville de Calais. Leur densité et la fièvre de production sont telles que le
travail de nuit doit être interdit, en 1832, par le maire ce qui incite l'industrie à émigrer vers la commune de Saint-Pierre, moins densément peuplée.
En 1841, la population totale a doublé par rapport à 1821.
Tous les métiers ne se trouvent pas à Calais ou à Saint-Pierre.
(.) En 1860, les archives
municipales
dont, 90 % sont Britanniques.
tile ; le port provoquent
est toutefois
aussi des courants
invraisemblable
dans la de~telle,
révèlent
que beaucoup
car c'est déjà l'activité
les autres. De plus, au cours des décennies
son essor, on observe
1860, représentait
un déclin
environ
la présence
Tous n'ont certainement
d'échange
d'entre
de 1.618 étrangers
pas des liens avec le texentre les deux pays.
Il
eux n'aient pas travaillé
qui domine de façon écrasante
suivantes,
toutes
alors que le port prend
rapide de cette communauté
6 % de la population
Ce
britannique
de la ville.
qui, en
- 246 -
sont des machines légères, encore mues à la main qui se diffusent aisèment dans
les campagnes environnantes;
on en rencontre jusqu'à Saint-Omer et Boulogne.
Cette activité devient prépondérante dans le Ca1aisis car elle nécessite beaucoup de main-d'oeuvre:
il ne faut pas oublier que la dentelle proprement dite
est encore obtenue en ornant, à la main, le tulle mécanique. Les structures de
production restent très morcelées. Un grand nombre de petits artisans apparaissent; beaucoup ne commercialisent pas eux-mêmes leurs produits et passent par
l'intermédiaire de commissionnaires qui les font parfois travailler à façon.
Grâce à la modicité du coat du matériel et aux possibilités d'écoulement de la
marchandise, les ouvriers habiles s'installent facilement à leur compte. Il n'y
a pas encore d'usines à proprement parler. Les commissionnaires eux-mêmes ne sont
pas très puissants: ils sont nouveaux venus dans cette activité et on ne trouvait pas, au départ, de grands capitalistes capables d'accaparer la fonction.
Après 1840, les données techniques se transforment:
la production
mécanique de la dentelle devient possible. Un calaisien réussit, à peu près
en même temps que l'Anglais Ferguson, à adapter le système jacquard au métier
à tulle, pour tisser la dentelle. Ceci confirme le bon niveau technique du centre
calaisien à l'époque. Le métier à tulle surtout utilisé jusque là n'était pas
apte à recevoir ce perfectionnement;
il faut renouveler complètement le matériel et acheter des métiers Leavers, plus lourds (jusqu'à 10 et 12 tonnes) et
plus chers. Les vieilles machines sont souvent vendues dans le Cambrésis.
Ces nouveaux outils de production ne peuvent plus être mus à la main
la modernisation s'accompagne de l'adoption de la machine à vapeur. Les nombreux
artisans répartis dans les campagnes environnantes ne sont pas capables individuellement de construire un atelier de ce type: le progrès technique entraîne
la concentration géographique des moyens de production. A partir de 1850~ 1860,
la fabrication ne se réalise pratiquement plus que dans les usines calaisiennes;
seuls les travaux de finition sont encore effectués par des travailleuses à domicile, résidant parfois dans des communes rurales environnantes. Ces femmes ne
sont pas toujours directement employées par le producteur car des entreprises
assurent la redistribution de ces travaux dans les campagnes.
- 247 -
Cette remise en cause des structures de production sous l'effet de la
mécanisation est classique. La phase de modernisation se place schématiquement
entre 1844 et 1860 : en 1844, 393 métiers Leavers sont en activité contre 606
en 1854. En 1851, on dénombre 7 usines utilisant la machine à vapeur, contre 37
en 1860. Quand commence cette industrialisation le nombre des producteurs se
réduit d'abord: il diminue de moitié entre 1844 et 1854. Ils sont alors 135
et possèdent en moyenne environ quatre métiers. Vers 1860, des fabricants plus
importants se dégagent du lot et essayent de commercialiser eux-mémes leurs
produits.
Le traité de commerce franco-britannique de 1860 est très favorable
à l'industrie calaisienne : le centre est moderne et les salaires français sont
moins élevés qu'à Nottingham. Calais se met à exporter vers la Grande-Bretagne
ainsi que vers les U.S.A. qui vont progressivement devenir le principal débouché.
Au début du vingtième siècle, les seules exportations directes, par mer, vers
ce pays représentent 40 % du chiffre d'affaires de la place. D'une façon générale, et en dépit de crises conjoncturelles, la période de 1860-1914 constitue
une longue phase d'expansion:
en 1906, on compte 2.700 métiers. La population
de Calais atteint 72.000 habitants, en 1911, six fois plus qu'un siècle plus tôt.
L3 prospérité de la cité repose essentiellement sur la dentêlle qui, d'après F.
Lennel, occupe dans la ville et ses environs 30.000 personnes dont 7.500 ouvriers
masculins de plus de 18 ans (.).
En dépit de l'évolution initialement
accompagnée d'un maintien de l'émiettement des
1906, le nombre moyen de métiers par producteur
1854. Si quelques entreprises importantes sont
(.) Dans les années
1880-1890,
tion belge dont l'importance
de la population
Calais
culmine
et supplantent
constatée, cette croissance s'est
structures de production:
en
est pratiquement le même qu'en
apparues, on rencontre toujours
a même bénéficié
d'une certaine
en 1886. Les belges
les Britanniques.
constituent
immigraalors 6 %
- 248 une foule d'artisans n'ayant qu'un seul métier. En effet, pour devenir producteur, il suffit d'acheter un métier; qu'il soit au besoin d'occasion importe
peu car l'absence de progrès technique important empêche le matériel de se démoder. Des entreprises extérieures peuvent assurer la finition ou la vente.
Le problème des locaux lui-même et celui de la force motrice ne se posent pas,
car apparaissent ceux que l'on a appelés, dans le vocabulaire local, les "usiniers ". Ce sont des gens qui, à partir du Second Empire, font construire et
aménager des bâtiments industriels assez vastes, dans lesquels les fabricants
s'installent en payant un simple loyer pour l'utilisation des locaux et de la
force motrice. Ce type de placement connaît un vif succès dans la bourgeoisie
calaisienne : le loyer est relativement élevé et, comme un même bâtiment est
occupé par plusieurs producteurs, cela répartit les risques pour le propriétaire.
C'est en 1900 seulement, qu'est bâtie la première usine individuelle. En 1912,
12 % des fabricants sont installés dans des locaux leur appartenant. Les maisons de commission auraient pu amorcer la concentration industrielle en devenant
producteurs, selon le méme processus que celui observé, par exemple, dans la
Vallée de la Lys. De fait, on constate que des commissionnaires achètent des
dessins et les font ensuite reproduire à façon par des artisans. Cette évolution
est progressivement bloquée par l'action des petits producteurs qui obtiennent
même, en 1897, que les commissionnaires s'engagent officiellement à se cantonner
dans leur rôle de négociant. Si des firmes disposant de plusieurs dizaines de
métiers apparaissent peu à peu, elles sont constamment confrontées à la concurrence d'artisans faisant des articles similaires à des prix compétitifs. Cela
freine éfficacement la concentration industrielle.
Le rassemblement de petits producteurs en un même lieu a certainement
favorisé la prise de conscience, par ces derniers, d'intérêts communs à défendre.
Ce n'est qu'au début du vingtième siècle qu'apparaît le véritable industriel
possédant son matériel, ses locaux, concevant et commercialisant lui-même ses
produits. La période de prospérité touche alors à sa fin. Ces firmes n'auront
plus guère le temps de grandir beaucoup, d'autant que les crises les affectent
autant que les autres. Les difficultés sont généralement provoquées par la perte
de débouchés extérieurs, et les producteurs importants eux-mêmes ne sont pas
assez puissants pour contourner l'obstacle douanier en s'implantant à l'étranger
(.). Comme dans le Cambrésis, le caractère toujours aléatoire des ventes gênait
- 249 -
les investissements à long terme dans d'autres activités. Par ailleurs, le souvenir des années exceptionnelles offrant des chances de promotion à l'habile
conducteur de métier, entretenait le prestige de la dentelle. Il aurait été de
ce fait psychologiquement difficile (..) d'implanter d'autres branches textiles qui n'auraient pu offrir les mêmes espoirs de gains. A la fin du dix-neuvième siècle, apparaissent, toutefois, quelques métiers à broder. Calais a finalement acquis rapidement, plus vite que la région de Caudry, les caractéristiques
observées dans le chapitre précédent.
La Guerre de 1914-1918 ne remet pas en cause les structures de production : Calais est le seul grand centre textile du Nord-Pas de Calais à échapper
à l'occupation et aux destructions. L'activité, freinée par les hostilités,
reprend avec le retour à la paix. Par contre, la ville est frappée de façon particulièrement cruelle par la crise de 1929, puisque son principal client était
les U.S.A. Ces derniers instaurent des droits de douane de 130 % sur la dentelle
et sont peu à peu imités par les autres pays. Un chômage énorme se développe
à Calais : il intéresse environ 5.000 personnes en janvier 1936, où ne fonctionnent plus que 200 métiers. Le nombre des habitants de la ville diminue de
5.800 entre 1921 et 1936.
Cette crise amène une réduction considérable du nombre des producen 1936, ils sont moins de 200, avec environ 2.100 métiers (... ).
teurs
Comme toutes les firmes sont touchées, cette diminution résulte beaucoup plus
(.) Des
velopper
mes
pays
etrangers
la dentelle
calaisiennes,
( .. ) En outre,
main-d'oeuvre
que
producteurs
un décret
similaires
présenté
prendre
débouche
par
une
recrute
des
spécialistes
ce fut le cas aux U.S.A.,
telles,
des phases
ne l'ont
de prosperite,
avaient
; des manifestations
ces ventes;
tions
en tant
lors
parfois
eux,
jamais
calaisiens
par
exemple.
pour
dé-
Des
fir-
toute
la
fait.
la dentelle
accaparait
disponible.
( ... ) Certains
ployés
ont
chez
avaient
leur
gouvernemental
eu lieu
matériel,
conversion.
en mettant
voulu
groupant
les
firmes
une
ouvriers
finit
par
et des
les
réussit
récupéré
d'autant
quand
elastique
même
pour
des métiers
fabricants
interdire.
Ne pouvant
étaient
dentelle
à l'étranger
vendre
à Caudry.
Un fabricant
au point
des
moins
inem-
empêchèrent
Des manifestale capital
tentées
à se créer
corseterie.
re-
d'entre-
un nouveau
- 250 -
d'arrêts d'activité que d'une concentration au profit des firmes les plus importantes; on remarque quand même que le nombre moyen de métiers par producteur
s'est sensiblement élevé au cours de cette période: il double par rapport au
début du siècle. Des métiers sont purement et simplement vendus à la ferraille
et plus aucun matériel neuf n'est acquis pendant toutes ces années (.). On se
contente d'entretenir en état de marche une partie du matériel. En fait, on a
assisté à l'abandon d'un millier de métiers environ sans que cela se soit accompagné d'une restructuration véritable ou d'un commencement de diversification.
La deuxième Guerre Mondiale provoque des destructions notables (..).
312 métiers sont détruits. Les dommages de guerre sont l'occasion pour quelques
firmes d'acheter un peu de matériel de bonneterie. Initiative heureuse puisque
cette branche était appelée à un brillant avenir. Cette nouvelle activité reste
toutefois trés marginale, jusque dans les années 1950, car l'après Guerre est
marqué, comme dans le reste du textile, par une prospérité relative.
Cette région a disposé, au cours des siècles de centres textiles
(.) La plupart
bâtiments
des producteurs
qui subsistent
deviennent
propriétaires
de leurs
au cours de cette période.
(..) Les usines
elles étaient
sont proportionnellement
absentes
de Calais-Nord,
moins
quartier
touchées que la ville car
qui fut rasé à près de 100 %.
- 251 -
notables, le plus brillant étant sans doute Hondschoote qui, au seizième siècle,
s'était spécialisé dans la sayetterie, c'est-à-dire dans les étoffes en laine
peignée ( . ). A la veille de l'industrialisation, la Flandre Maritime et Intérieure se consacre uniquement au travail du lin. Cette fibre locale est filée
et tissée dans les campagnes; on y produit uniquement des toiles grossières.
D'aprés la statistique de Dieudonné, cet ensemble, en 1789 comme en 1801, dispose de la moitié des métiers et du quart des rouets du département qui utilisent les" lins de gros ". Il s'agit par conséquent d'une région spécialisée
dans la production d'étoffes communes distinées aux usagers locaux ou vendues
à l'extérieur par des négociants installés, la plupart du temps, dans l'arrondissement de Lille.
Bailleul, seule, témoigne d'une certaine originalité:
elle dispose
de 15 % des moulins à retordre les fils de lin et, pour cette activité, occupe
la seconde place dans le département, juste après Lille. La dentelle s'y développe également depuis la fin du dix-huitième siècle, parallèlement au déclin
de Valenciennes. Dieudonné estime que, en 1801, 1.000 dentellières travaillent
à Bailleul et dans les campagnes environnantes, jusqu'à Cassel. C'est 10 fois
plus qu'en 1789, mais dix fois moins qu'à Lille, au début du dix-neuvième siècle.
La population de cette reglon est dense: (120 habitants au kilomètre
carré en 1801,130 en 1821 ) (..), surtout si l'on tient compte de l'absence
d'organismes urbains très importants; l'accroissement naturel est sensible.
C'est une situation qui semble, à priori, plutôt favorable à l'expansion du
textile d'autant que cette région bénéficie de la présence de Dunkerque qui,
aprés 1815, importe une partie des matières premières utilisées par l'industrie
textile du Nord-Pas de Calais (...)
(.) Cf. notamment
les travaux d'Emile
de cet auteur contient
de nombreuses
Coornaert
indications
textilp de cette région au cours du dix-neuvième
(._) Cette densité
dissement
a été
de Dunkerque
en effet, Hazebrouck
calculée
en prenant
telles qu'elles
sur ce sujet. L'ouvrage
précises
du
siècle.
comme limites,
existent
cité
sur l'évolution
celles de l'arron-
actuellement;
s'est trouvé à la tête d'un arrondissement
jusqu'en
1926,
séparé.
(.•.) Ce rôle fut limité par le fait que Dunkerque ne prend vraiment son essor
que sous la Troisième République
(Cf. la thèse de F. Lentacker). Dieudonne ne
fait pas figurer ce port parmi les grands fournisseurs
de coton du Nord.
- 252 -
La rareté des entrepreneurs dans cette région ne va pas permettre à
l'industrialisation du textile de se produire sur une grande échelle; il faudra,
pour l'essentiel, compter sur des initiatives extérieures. Le tissage manuel
se maintient pendant la première moitié du dix-neuvième siècle : E. Coornaert
considère que, en 1866, 10.000 métiers sont encore utilisés, au moins à temps
partiel, par des artisans qui associent cette activité à l'agriculture. Le tissage de lin est, peu après, durement touché, car la mécanisation affecte d'abord
les toiles ordinaires, spécialité de cette région. La dentelle disparaît peu à
peu en raison du développement des centres de Calais et de Caudry. Le retordage
de Bailleul est éclipsé rapidement par celui de l'arrondissement de Lille.
Dunkerque fut le principal foyer de rénovation du textile dans cette
région, en partie grâce à l'influence britannique: au début du dix-neuvième
siècle, un Anglais, David Dickson, apporte des plans de métiers à filer le coton
et s'associe à un armateur dunkerquois, Gaspard Malo, qui fournit les capitaux.
Une usine est montée à Coudekerque, et l'entreprise prospère sous la direction
du Britannique qui se fixe définitivement en France. En 1837, une machine à
vapeur est installée, un tissage s'ajoute à la filature; on travaille le lin,
le coton et le chanvre. En 1843, Dickson introduit, le premier dans le département du Nord, le travail du jute. La firme compte 900 salariés en 1860.
Le jute présente beaucoup d'intérêt pour cette région car il sert
le tisserand manuel, habitué aux gros fils
de lin, s'adapte bien à cette production. Des· fabricants· vont continuer à
distribuer du travail aux artisans des campagnes, jusqu'au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Un des rares entrepreneurs originaires de cette région,
Vandesmet, monte, en 1852, une filature de jute à Watten, localité située au
contact de la Flandre Intérieure et Maritime, à 30 kilomètres de Dunkerque,
à faire des toiles très communes;
- 253 -
et reliée à ce port par un canal et une voie ferrée.
Un mouvement d'industrialisation s'amorce au cours de la décennie 1860:
en raison de la hausse des prix du coton, le lin régional retrouve de l'intérêt,
le jute aussi profite de cette situation, car ses cours restent relativement
stables. Plus d'une dizaine de filature se créent dans la région, notamment à
Dunkerque. Ces entreprises ont des bases financières fragiles et périclitent
presque toutes vers 1867-1870. Il n'y a pas de banques locales pour les soutenir
(.). Les plus importants détenteurs de capitaux sont les armateurs et négociants
dunkerquois qui sont peu intéressés par l'investissement industriel proprement
dit. Ils préfèrent rester dans le domaine d'activité qui était le leur, et dont
l'évolution devient assez brillante après l'avènement de la Troisième République.
C'est en bonne partie pour cette raison que ne se créera pas un foyer textile
puissant, associant un port fournisseur de matières premières et de capitaux
et un arrière-pays riche en main-d'oeuvre.
Dans le dernier tiers du dix-neuvième siècle, des usines importantes
se créent pour travailler le jute, mais elles sont l'oeuvre de firmes extérieures
qui estimaient plus rationnel de venir transformer une fibre bon marché dans son
principal port d'importation. Le comptoir linier s'implante·en 1898, suivi par
la société Weill. Cette dernière, d'origine alsacienne, s'installe d'abord en
Lorraine, après 1870, mais s'y trouvant mal reliée aux grands ports importateurs,
elle préfère finalement se localiser à Dunkerque où existe de plus une maind'oeuvre formée à ce genre d'activités. Au cours de la première moitié de vingtième siècle, ces entreprises renforcent leurs positions dans cette région en
reprenant ou créant des établissements à Hazebrouck et même à Armentières, dans
la Vallée de la Lys. Toutes ces villes sont reliées par une voie de chemin de
fer directe à Dunkerque.
(.) Sur cet épisode
significatif
région, cf. notamment
de l'échec du développement
la thèse de Cl. Fahien.
textile dans cette
- 254 -
Dans cette agglomération portuaire, en 1913, le textile emploie 5 à
6.000 personnes (.), essentiellement dans le travail du jute; en dehors de ce
dernier on compte quelques voileries et bâcheries et l'établissement MaloDickson qui est multi-fibres. La Flandre Maritime et Intérieure concentre alors
environ la moitié de l'industrie jutière du département. Cette mème année, Dunkerque importe 60.000 tonnes de cette matière première. Hazebrouck regroupe,
pour sa part, de 1.000 à 1.100 travailleurs textiles dans quatre tissages et une
filature. Bailleul dispose de trois usines, tandis que subsistent 900 tisserands
à domicile travaillant
le jute ou le lin.
L'industrialisation du textile ne s'achève qu'entre les Deux Guerres
Mondiales : à Godewaersvelde et à Boeschepe, entre 1920 et 1930, les derniers
tisserands à domicile sont remplacés par des ateliers mécanisés sous l'influence
d'une firme régionale (Vandesmet) ou d'entreprises locales qui, jusqu'à cette
époque, étaient des donneurs d'ordres. Ce sont les secteurs les plus éloignés
des villes principales qui ont conservé le plus longtemps les anciennes formes
de production. Bailleul, pour sa part, bénéficie, en 1927, de la création d'une
filature de coton par la firme armentièroise Coisne et Lambert. La destruction
de la ville au cours de la Guerre 1914-1918 avait provoqué la disparition des
petits ateliers.
La Seconde Guerre Mondiale entraîne un amoindrissement du potentiel
dunkerquois : toutes les usines endommagées ne sont pas reconstruites car, entretemps, une partie de leur clientèle s'est tournée vers les établissements de
la Somme qui n'ont guère été affectés par ces évènements.
L'évolution de cette région, depuis le début du dix-neuvième siècle
(..) se caractérise, en définitive, par l'échec de la formation de ce qui aurait
(.) Cf. E. Thelliez,
(..) La vallée
de l'importance
neurs
locaux
la moitié
article
de la Somme ne bénéficiait
pourtant
pas de la proximité
de Dunkerque
par contre
elle a profité
très dynamiques
la famille
Saint a directement
du potentiel
l'évidence,
cité.
de production
le rôle déterminant
ques responsables
économiques.
de ce secteur.
qui revient,
de l'action
créé au moins
Cet exemple
à cette époque,
d'un port
d'entrepre-
illustre,
à
à l'action de quel-
- 255 -
pu être un grand foyer textile, Il est frappant de remarquer que, initialement,
la Flandre Maritime et Intérieure n'offrait pas des conditions três différentes
de celles des Vallées de la Somme et de ses affluents, comme la Nièvre, où
s'est implantée une puissante industrie basée sur le jute et située en plein
milieu rural.
Le centre textile de Saint-Amand-les-Eaux a une origine très ancienne
(,). Dès le dix-huitiême siècle, la bonneterie est la principale activité de
cette région. Le lin, bien qu'il y soit cultivé, n'occupe qu'une place limitée,
et les fils produits sont en général utilisés dans le Cambrésis. La laine est
filée à domicile par des travailleurs indépendants; une partie de ces fils est
achetée par les" fabricants" de Roubaix-Tourcoing, mais l'essentiel est
destiné aux bonnetiers locaux. A la veille de la Révolution, il s'agit d'un
centre autonome animé par une vingtaine de marchands-transformateurs
installés
dans la ville même; ces ateliers urbains emploient en moyenne sept à huit personnes; dix fois plus travaillent à domicile dans les environs. On se sert
toujours d'une machine à tricoter rudimentaire, très proche de celle inventée
par l'Anglais William Lee, aux dix-septième siècle. On prodûit des articles
chaussant en laine uniquement.
Dieudonné considérait que ce foyer était, en 1789, le second du département, venant juste après celui de l'arrondissement de Lille et ayant une capacité de production égale à la moitié de celle de ce dernier. Les bas tricotés
à Saint-Amand les Eaux se vendaient jusqu'en Basse-Normandie. Ce centre décline
par la suite devant la concurrence belge; en 1801, son importance a diminué
des deux tiers par rapport à ce qu'elle était à la veille de la Révolution.
La situation de Saint-Amand-les-Eaux
(.) Cf. la Thèse de R. Frult, ouvrage
cité.
s'améliore après 1815.
- 256 -
Cette branche textile se modernise très lentement. Les métiers mécaniques rapides et le travail en atelier ne se répandent véritablement que dans
la seconde moitié du dix-neuvième siècle (.). Les entreprises locales ont la
possibilité de se rééquiper progressivement en matériel. Les autres activités
textiles, comme le travail du lin, ne résistent pas à la concurrence des centres
modernisés.
Avant 1850, quelques entreprises de bonneterie montent des filatures
intégrées de laine et même quelques peignages manuels. C'est une initiative sans
lendemain: toutes ces installations disparaissent rapidement et cette région
se spécialise exclusivement dans la bonneterie. Les travaux de R. Fruit montrent
que l'effectif global des actifs de cette branche reste assez constant au cours
du dix-neuvième siècle: en 1839, 25 entreprises offrent 1.300 emplois dont 150
à 200 en ateliers. En 1873, 14 subsistent avec 1.000 ouvriers en usines et quelques centaines à domicile. En 1865, ce centre, par le nombre de personnes employées, est le plus important du Nord. L'évolution ultérieure se caractérise par
une réduction progressive du nombre des producteurs : 8 seulement en 1900, à
Saint-Amand les Eaux et dans ses environs. Le travail à domicile disparaît progressivement
vers 1914.
Finalement, on constate la survivance et la rénovation d'une activité
née avant la Révolution Industrielle
diffusée dans toute la région de SaintAmand les Eaux, à cette époque, elle s'est concentrée géographiquement dans la
ville principale. Le centre a conservé son autonomie mais son rôle relatif dans
le Nord est en diminution régulière depuis la fin du dix-neuvième siècle,
(.) Même dans la région
ditions
de production
devient
majoritaire
troyenne,
restent
qu'après
be ", étude réalisée,
pourtant
artisanale
1880.
la plus moderne
jusqu'en
de France,
les con-
1850 ; le métier Cotton ne
(Cf. " Les industries
de la maille dans l'Au-
en 1970, par la Banque de France de Troyes).
- 257 -
Dans le chapitre précèdent, on avait relevé la présence d'une série de
très petits centres, notamment dans l'arrondissement d'Arras. Il serait fastidieux et disproportionné par rapport à leur importance de retracer l'évolution
de chacun d'entre eux. Il convient toutefois de relever qu'ils constituent les
vestiges d'une vaste zone où le travail textile était fort répandu avant la
Révolution (.). Ce dernier reposait sur le lin, comme il était fréquent à cette
époque. En 1842, au moment où débute l'industrialisation de la filature, le Pas
de Calais compte 7.200 hectares consacrés au lin (le Nord, 10.200), ce qui lui
donne la troisième place en France (..). En 1898, au moment du grand déclin de
cette culture en France, A.Demangeon remarque que l'arrondissement d'Arras consacre encore 530 hectares au lin, ce qui lui donne la première place dans la région.
Un début d'industrialisation (... ) apparaît vers 1840;
il est dû
essentiellement à des initiatives extérieures à cette région. la réalisation la
plus remarquable est l'édification, en 1840, d'une filature à Frévent ; avec
10.000 broches, cette unité est, à ce moment-là, l'une des plus importantes de
France. Elle a été montée par un négociant, Mi11escamps, qui, très rapidement,
l'intègre au Comptoir linier, société fondée, en 1846, par des négociants originaires du Nord et de la Sarthe. le siège est installée à Paris. la firme acquiert
outre l'unité de Frévent, une filature de jute et de lin à Ailly-sur-Somme et
un tissage mécanique à Cambrai. C'est un cas assez exceptionnel, à cette époque,
d'une firme ayant des implantations mu1tirégiona1es : c'est ainsi que les filés
de lin de Frèvent sont distribués aux tisserands à domicile puis aux petits
ateliers sarthois.
Si le Comptoir linier conserve ses établissements
(.) Dieudonné
Saint-Pol
signale que, en 1801, des rouets
sur Ternoise
pour des centres
pour des Lillois;
filent le coton à Frèvent
P. Billaux,
ouvrage
(...) D1après
F. Dornic et L. Merchier
et à
cette région en fait ne travaille
extérieurs.
(..) Source:
dans le Pas-de-Calais
cité.
études citées.
que
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(il s'incorpore ensuite la filature de Boubers-sur-Canche), il ne les multiplie
pas dans une région qui perd son principal attrait après 1870, lorsqu'il devient
préférable d'utiliser des lins importés. Comme ce secteur du Pas-de-Calais ne
dispose pas d'un très bon réseau de voies de communication, le Comptoir Linier
préfère réaliser ses investissements ultérieurs dans des centres mieux situés
comme Dunkerque, Hazebrouck ou Armentières. Toute cette région avait, en définitive, des potentialités qui n'ont guère été utilisées, dès lors que les implantations dépendaient de firmes dont les centres de décision se trouvaient à l'extérieur.
les différents facteurs favorables à l'épanouissement du textile dans
le Nord-Pas de Calais n'ont pas joué partout avec une égale intensité;
de ce
fait, chaque centre a acquis des caractéristiques propres. Dans tous les cas,
pourtant, s'est manifestée une tendance à la concentration de chaque branche
à l'intérieur d'un ou deux foyers:
les peignages de laine se sont agglutinés
à Roubaix-Tourcoing de même que les établissements de dentelle se sont rassemblés
à Calais et à Caudry ou dans ses environs immédiats. Ceci a entraîné progressivement une grande spécialisation des villes textiles. Ce phénomène s'explique
essentiellement par une série de facteurs propres à cette époque: la réussite
de quelques entrepreneurs locaux dans une activité déterminée incite les autres
à choisir la même spécialité. Ce phénomène d'imitation peut se produire car,
à cause du faible volume de capitaux nécessaires, on rencontre toujours, au début de l'industrialisation, un nombre élevé de personnes susceptibles de se lancer dans les affaires.
Le développement de plusieurs entreprises identiques engendre peu à peu
une situation favorable à la poursuite de l'expansion de cette branche en raison
de
1) La présence d'un noyau de main-d'oeuvre formée à la pratique des nouvelles
techniques. Ceci est important car il n'y a pas d'enseignement professionnel
organisé; la formation se fait" sur le tas"
et comporte encore beaucoup
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de"
Tours de main"
dont l'acquisition
suppose une longue pratique (.).
II) Les activités complémentaires tendent à se localiser là où elles disposent
d'un marché important. La présence de nombreux producteurs de dentelle justifie,
par exemple, la création de teintureries spécialisées, de bureaux d'esquisseurs
et de dessinateurs, de services permanents d'assistance technique des constructeurs de matériels etc ...
III) Le rassemblement de nombreux producteurs attire les négociants et les acheteurs extérieurs parce qu'ils savent qu'ils vont trouver là un grand choix d'articles. Le tisserand installé à Roubaix a plus de chances d'être visité par l'acheteur de tissus parisiens que s'il se trouvait à Lens ou à Boulogne, où il
serait le seul de son espèce (..). Dans ce dernier cas il lui faudrait installer
un bureau de vente à Paris ou à Roubaix, ce qui occasionnerait des frais supplémentaires.
Pour employer le langage des économistes, on peut dire que la localisation dans un centre déjà constitué entraîne, pour l'entreprise, des" économies
externes" qui réduisent les frais de fonctionnement et le montant de l'investissement initial. La concentration géographique devient un palliatif au morcellement des entreprises. Elle facilite la multiplication de petites firmes qui
ne peuvent subsister en dehors du centre où elles trouvent les services complémentaires indispensables. La concentration géographique tend, en quelque sorte,
à s'autoentretenir et ceci constitue un facteur supplémentaire d'inertie des
localisations.
Le rassemblement d'une même branche en une même ville a des conséquences redoutables sur le plan économique et social puisqu'il crée une situation de
monoindustrie. Ceci tend également à renforcer le particularisme de la branche
(.) Si l'on
telle,
reprend
il est très
les
long
terminer
la finesse
que très
progressivement
constitue
le métier
(.,) Ceci
rapides
coup
exemples
de petits
le rassemblement
par
ci-dessus
un trieur
et la qualité
de la laine.
une bonne
du peignage
de laine
De même
connaissance
et de la den-
qui doit,
au toucher,
le tulliste
de la machine
très
de-
n'acquiert
complexe
à dentelle.
est particulièrement
se font
evoques
de former
chemin
centres.
vrai
de fer.
Il était
des bureaux
au dix-neuvième
Il n'est
typique,
de vente
donc
siècle:
pas commode
à cet egard,
des tis~us
les déplacements
de visiter
d'observer,
aux abords
beau-
à Roubaix
de la gare.
que
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dans la mesure où ceux qui y travaillent n'ont pas l'occasion de confronter
leurs expériences professionnelles avec celles d'autres branches industrielles
textiles ou non.
Il apparaît clairement que l'essor du textile dans le Nord-Pas de
Calais résulte d'une évolution complexe qui n'était pas inéluctable. Beaucoup
des facteurs favorables étaient liés au contexte historique social et économique
du dix-neuvième siècle. Cette constation amène logiquement à se demander si le
grand foyer décrit au chapitre précédent constitue ou non une simple survivance
d'une évolution antérieure.