L`Eglise a-t-elle un problème avec le sexe? Propos liminaire de
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L`Eglise a-t-elle un problème avec le sexe? Propos liminaire de
L'Eglise a-t-elle un problème avec le sexe? Propos liminaire de Camille de Villeneuve, lors de son débat avec le psychanalyste Jacques Arènes, le 25 septembre 2010 à Lille, lors des premiers Etats généraux du christianisme, à l'initiative de l'hebdomadaire La Vie. Je n'ai pour moi ni l'expérience du psychanalyste, si riche et humaine, et je ne suis pas sexologue. Je n'ai pas non plus l'expertise du théologien. J'ai donc bien peu de chose pour m'exprimer aujourd'hui sur ce sujet, je remercie Jean-Pierre Denis de m'avoir invitée et je vais me débrouiller avec mon peu de chose. Je voudrais seulement dire que j'avais d'abord compris que le sujet était « L'Eglise a-t-elle un problème avec le sexe? », sans doute troublée par mes préoccupations de catholique. L'inflexion du sujet devait apporter beaucoup plus d'ampleur à la question. Vous me pardonnerez j'espère d'en rester à mes préoccupations de catholique – et j'aurai ce matin beaucoup à apprendre. D'autant que cette question qui nous est posée à tous ce matin nécessite, je crois, beaucoup de douceur. De douceur contre ce qu'elle peut susciter immédiatement comme colères, comme indignations, voire comme révoltes, que la réponse soit un oui définitif ou un non aussi radical. Pour l'avoir testée autour de moi, auprès de croyants, mi-croyants ou non-croyants, en tout cas, j'ai pu observer qu'elle ne laissait pas indifférent. « Un problème avec le sexe? Tu parles d'un problème! C'est plutôt un scandale avec le sexe ! » vont répondre ceux qui refont la litanie douloureuse des cas jugés et en jugement de pédophilie – on ne peut éviter en effet sur cette question cette terrible actualité qui comme l'a dit Monseigneur Rouet, si elle révèle davantage le problème de l'Eglise avec le pouvoir, risque durablement d' hypothéquer, par la contamination de l'analogie, toute parole morale de l'Eglise sur la sexualité. Les croyants lassés s'indignent autant: « Mais qu'on fiche la paix aux chrétiens, à l'Eglise, avec ces questions de préservatif et de morale sexuelle, ce n'est vraiment pas là le sens du christianisme, le sens de notre foi, il y a des choses plus intéressantes » répondent-ils. « Par exemple la présence réelle, la Trinité, la vie après la mort, sont de vrais sujets ». Les croyants qui adhèrent à la morale sexuelle de l'Eglise pour leur part renversent la question en dénonçant les problèmes de la société avec le sexe qui auraient bien besoin de l'exemple des chrétiens, assurant une sorte de forteresse quasi cathare contre un monde obscur. C'est d'ailleurs, en passant, une chose dommageable que cette fréquente condamnation du « monde », de la « société » par les chrétiens. Il y a des nonchrétiens qui vivent plus chrétiennement que des croyants. Le monde a des lumières qui peuvent nous évangéliser. Moi aussi devant cette question j'ai réagi tout de suite avec indignation, même si c'était sous un autre chef encore, celui de l'ennui qu'elle m'inspirait. « Mais quel ennui cette question » me suis-je dit, et puis elle est laide, c'est laid de dire le sexe comme ça, un sexe oui d'accord, ça c'est beau, c'est singulier, mais alors le sexe, ça... C'est vulgaire » ai-je conclu. La manière dont nous nous saisissons des expressions de nos grands-parents ou parents, pour surtout éviter d'aller chercher nos propres mots dans des occasions qui nous acculent, m'émerveille toujours. « Je n'ai rien à dire » ai-je donc conclu, avant, bien sûr, de me mettre au travail. Si la question indignait en effet, elle n'étonnait personne. Parce que immédiatement venaient à l'esprit toutes sortes de choses, dans l'ensemble assez déplaisantes. Je le répète sans ordre ni hiérarchie, le préservatif, la pilule, la pédophilie, et la fameuse culpabilité judéo-chrétienne. J'ai donc écrit avec soin la question qui m'était posée, comme je le faisais il n'y a pas si longtemps pour mes devoirs scolaires, j'ai biffé ce sexe que je ne savais voir, et l'ai remplacé par un mot que tout le monde aime beaucoup, et pour cause, celui d' « amour ». Alors bien sûr, la question a pris une tournure plus inquiétante. Et c'est là que j'ai compris qu'il faudrait beaucoup de douceur. « Les chrétiens ont-ils un problème avec l'amour? ». Evidemment pour un chrétien c'est une question scandaleuse. Dieu est Amour. Et de la somme des commandements, des rites, des obligations, des règles auxquels les fidèles de toutes les religions ou spiritualités se sont soumis et se soumettent encore, les chrétiens en ont deux. Deux commandements c'est quand même peu. Ce sont des commandements d'amour. Ces commandements sont ceux de Jésus dans Matthieu XXII, 37 – 39: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C'est là le grand, le premier commandement» dit Jésus et le second ajoute-t-il, aussi important: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ces commandements sont repris par Jean, XV, 12 en un seul: « Voici mon commandement: Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés... ». Alors bien sûr leur formulation est si difficile qu'aujourd'hui encore, après deux millénaires de commentaires, de gloses, de sermons, de traités et de contre-traités, on ne les comprend toujours pas complètement. Les non-chrétiens les regardent, ces commandements, comme des aberrations. « L'amour ne se commande pas! Et puis les amours, de soi, de l'autre, de Dieu, ça n'est pas comparable ». Mais enfin on les comprend suffisamment, ces commandements, pour se rendre compte que ce qui nous est demandé là est quelque chose qui nous dépasse absolument, et c'est pourquoi c'est intéressant. Ça veut dire qu'au bout de la course, ce dont nous devrons répondre – parce que quand on est chrétien on croit qu'il y aura un jugement, ça va quand même avec – c'est de notre amour. Point. Alors évidemment ce serait gonflé de dire que l'Eglise aurait un problème avec l'amour alors qu'elle en est née, que l'amour est sa raison d'être. Eh bien tant pis, puisque après vous me direz tous vos désaccords, je pense que si l'on peut se poser cette question « les catholiques ontils un problème avec le sexe » sans que cela étonne, mais sans que cela laisse calme, c'est que l'Eglise a un problème avec l'amour. L'Eglise, pourquoi l'Eglise? Parce que ce qui se passe dans le coeur des catholiques, je ne le sais pas, c'est leur secret, et je devine que l'amour y exige l'immensité. C'est un secret que les psychanalystes recueillent, les prêtres, les accompagnateurs spirituels. Mais la parole qui porte et représente leur foi, c'est celle de l'Eglise. Or il me semble que le discours chrétien sur le sexe a caché aux yeux du monde la parole sur l'amour – et la parole de l'Amour. Vous allez me dire encore, oui mais ce sont les médias, ils ne voient que ça, ne pensent qu'à ça, et puis l'Eglise communique mal. Mais si l'Eglise communique mal, c'est encore un grave problème. Que faisait le Christ, sinon communiquer avec une intelligence, une efficacité extraordinaires? Sans parler de ceux qui l'ont suivi, Saint Paul et de nombreux autres saints, jusqu'aux plus humbles copistes qui patiemment dans l'ombre de leur scriptorium ont passé leur vie à communiquer à ceux qui suivraient les manuscrits qui transmettraient toute la sagesse et la réflexion des siècles passés. Sans parler des théologiens qui arpentaient les routes dangereuses de l'Europe pour transmettre leur savoir jusqu'à y laisser leur vie, comme Saint Thomas en 1274 sur la route du concile de Lyon ou la grande Thérèse. Qu'est-ce qu'une bonne nouvelle sinon quelque chose qui se communique? Si on ne sait pas communiquer, c'est qu'on ne sait pas transmettre. Et c'est grave. Une bonne nouvelle, si elle n'est pas transmise, meurt. Ce que j'appelle le discours chrétien sur le sexe, c'est d'une part la morale sexuelle qui si elle n'est pas une nouveauté dans l'histoire de l'Eglise, a été considérablement développée sous le pontificat de Jean-Paul II, soutenue par une philosophie à la fois inspirée de la phénoménologie et du personnalisme et que pour ma part je situe à la limite du jargon. Certaines communautés en ont fait une spécialité auprès des jeunes - j'ai eu l'occasion d'en rencontrer qui l'appliquaient en Afrique, doublé d'un racisme déplaisant puisque ai-je entendu, en Afrique les jeunes ont plus de mal à se contrôler – dans une pastorale qui à mon sens, frôle parfois la pédophilie mentale. Je ne dis pas que cette morale n'a pas son sens. Elle manifeste un idéal d'amour, comme l'ont montré avec beaucoup de finesse les auteurs d'un livre remarquable paru au Cerf, l'Eglise et la sexualité ( Bedouelle, Bruguès, Becquart, 2006). Encore faut-il que cet idéal réponde vraiment à l'amour, et pas à une idéalisation de soi. Comme l'observent les psychanalystes, si cette morale sexuelle ne suscite plus la culpabilité, comme cela fut longtemps le cas – je me souviens de ma grand-mère me racontant comment jeune épouse, un prêtre lui avait refusé l'absolution après avoir demandé des détails sur sa vie conjugale c'est un discours qui suscite l'indifférence de la part des croyants, voire l'humour, comme si c'était une chose surannée, et il n'est pas sûr que ce soit moins pire. « Au fond, chacun fait comme il le sent », « c'est chacun selon sa conscience » entend-on souvent. « Et puis l'Eglise est dans son rôle, elle dit ce qu'elle a à dire, c'est ce qu'on attend d'elle, après chacun fait selon sa vie ». Nous n'avons pas de Pascal pour réactualiser les Provinciales, et c'est bien dommage. La casuistique a ses avantages dont un simple désir de vérité constate vite les limites. Je me demande ce que cela veut dire, d'accepter qu'une vérité soit bonne pour les autres mais pas pour soi. Pour ma part j'estime que l'Eglise n'est pas dans son rôle en condamnant par exemple l'usage des moyens de contraception ou en dénonçant dans l'homosexualité une déviance. Son rôle c'est d'éclairer ce que ça peut bien vouloir dire, l'amour, l'amitié dans toutes ses formes, c'est d'en dénoncer les illusions, les travestissements, d'en révéler les blessures, et de le communiquer au monde. Le monde, ce n'est pas quelques chrétiens dans une catacombe. Le monde c'est chaque être humain. Et c'est une tâche suffisante pour occuper les chrétiens jusqu'à la fin des temps. Quant aux techniques ou à l'interrogation sur les partenaires de l'amour, par pitié, qu'elle les laisse à d'autres. Car l'insistance de l'Eglise à moraliser la sexualité à coup d'encycliques et de lettres est un symptôme de sa difficulté à parler d'amour. Et c'est normal. C'est pour ça qu'en même temps, on ne peut pas en vouloir aux chrétiens qui se protègent de le dire, cet amour, grâce à la morale. Et c'est pour ça que sur ce sujet, il faut beaucoup de douceur. C'est sans doute la chose la plus secrète, la plus cachée, la plus difficile, cette histoire d'amour. Et sans doute l'histoire d'amour la plus cachée, la plus secrète, c'est celle avec Dieu. C'est ce qui est terrible dans la médiatisation du discours de l'Eglise sur la sexualité, sa concordance avec la médiatisation du sexe dans les sociétés occidentales, l'exhibition, l'érotisation de toutes choses qui se double d'une pudibonderie de rigueur, comme l' a souligné Annie Le Brun dans la préface de la réédition de son livre Vagit-Prop: « La récente diabolisation de la pédophilie, devenue le crime sexuel absolu, [ a maintenant lieu] alors même qu'à travers la marchandisation de tous les domaines de l'enfance s'opère un détournement de mineurs à l'échelle d'une société entière, dans la mesure où celle-ci n'en finit pas de donner carte blanche à une politique de marques reposant essentiellement sur une érotisation des moins de quinze ans ». Non que l'Eglise participe de cette érotisation, certes, mais au moins de cette exposition de ce qui n'apparaît aux yeux du monde que comme de la technique, pour mieux escamoter ce qu'il y a de plus vivant, de plus secret, et en fin de compte de plus subversif dans l'amour. Ce n'est pas seulement bien sûr dans la morale que se situe la particularité, aujourd'hui, du discours de l'Eglise sur le sexe. C'est aussi dans un certain usage de l'analogie et de la métaphore, l'utilisation rude et dénuée de la finesse de leurs commentateurs anciens du discours millénaire de la mystique nuptiale – assimilant le couple humain à la relation du Christ et de l'Eglise, ou comparant même, à la limite du mauvais goût ( vous voyez, mes grands-parents ne sont jamais loin), l'orgasme et la liturgie. Il me semble que cette métaphorisation à outrance des liens humains, qui cherche à sacraliser la sexualité, à lui donner du sens, arrive au résultat contraire: celui de contourner ce qu'il y a de difficile, d'inconnu, de nuit dans la sexualité d'une part, et celui de s'empêcher de penser l'amour divin dans sa singularité par rapport à l'amour humain. Si l'on part du principe qu'il faut donner au sexe une dimension sacrée, ou même simplement du sens, c'est déjà qu'on s'en méfie. La sexualité n'a pas besoin d'être sacralisée, elle est déjà sacrée, au sens le plus nu, elle est cette nuit dont parle Joë Bousquet dans une lettre à un ami, cette nuit qui dans l'amour se découvre, lettre dont je vous lis un long extrait excusez-moi, simplement parce qu'elle est belle. « Mon très cher ami » écrit-il, « bien sûr j'aurais préféré te voir seul, ou bien il nous aurait fallu une présence féminine très émouvante, où les regards redeviennent nuit chaude, nuit de source... Nuit de source! Vois si nous sommes cons! Nous n'avons pas appris à être aussi simples dans nos paroles que dans nos regards... Nous avons appris des sciences, nous croyons que l'utérus enfante. Que c'est bête!... Une certaine nuit tiède enfante. (...). Il faudrait être plus simple : ne jamais parler de naissance, ni d'enfantement, sans voir cette nuit de quoi nous sommes faits, sans en renoircir nos yeux: ainsi le marin qui prend des yeux d'azur à force de voir et de revoir la mer dont il a l'amour ». Alors bien sûr, vous allez me dire que ce n'est pas vraiment comme cela que ça se passe, que dans les paroisses, dans les communautés de chrétiens, dans les associations, l'amour se partage, se transmet, se vit, que l'amour est au coeur de leur foi, et que peu importe les mots. Et c'est vrai. Et en même temps ce n'est pas complètement vrai, parce que tant que la parole qui doit guider, celle de l'Eglise, ne dit pas au monde cet amour avec toute la simplicité dont parle Bousquet, nous chrétiens ne sommes pas protégés du risque de transformer l'amour en morale. Parce que transformer l'amour en morale, c'est plus simple que de comprendre pourquoi le Christ dit que l'on est d'autant plus pardonné que l'on a beaucoup péché, de comprendre ce que ça veut dire, ces commandements d'amour bizarrement formulés, ou pourquoi, même si cela ne semble avoir aucun rapport, Angèle de Foligno, la mystique morte en 1310, boit l'eau avec laquelle elle a lavé les lépreux par amour pour Dieu. Et faire de l'amour une morale, c'est se rendre incapable de comprendre ce que peut signifier l'amour envers Dieu. Il n'y a rien de plus amoral que l'amour envers Dieu, de plus dégagé de considération morale. Voyez la passion avec laquelle les mystiques expriment cet amour excessif, cet amour qui lie toutes les facultés de l'âme, qui met hors de soi-même. Que faire de cet excès? Est-ce que l'on comprend l'amour pour Dieu en comparaison de l'amour filial, de l'amour du prochain, est-ce que ces amours sont radicalement différents, l'amour est-il physique ou extatique comme l'a exploré l'abbé Rousselot en 1908, comment Dieu nous aime-t-il et comment se manifeste cet amour, voilà des questions fondamentales qui ont disparu de notre horizon de pensée. Elles ont pourtant été celles de nombreux spirituels et théologiens, qui ont patiemment décrit les étapes franchies par l'âme vers l'amour de Dieu, franchissement comparé aussi à un chemin de libération, puisqu'il n'y a pas d'amour sans liberté. Quel que soit le nombre de ces étapes, elles ont été subtilement décrites, transcrites même tant elles ont été le fruit d'une observation attentive, et nous laissent une expérience vive de ce que cela devrait être l'amour comme disait Jacques Lacan, « si ça avait le moindre sens »1. D'autre part, la moralisation du sexe dans le sens de l'amour conjugal amène à concevoir l'amour pour Dieu sur ce même mode, et peut-être a-t-on perdu la possibilité de penser la force de la passion amoureuse, humaine comme divine, de la puissance de cette passion qui désigne tout de même un grand temps de la vie chrétienne. C'est celle que décrit Richard de Saint-Victor dans les Quatre degrés de la violente charité, pour qui la passion humaine et la passion de Dieu présentent les mêmes symptômes – la passion amoureuse lie toutes les facultés de l'âme, seulement humaine elle aliène, et divine elle libère. Et la passion ça n'est pas une affaire de sexe. La morale sexuelle est une entreprise de rationalisation qui nous protégerait des irruptions de la passion et des extases de la vie intérieure, voire les étoufferait. On pourrait objecter qu'elle les contiendrait pour mieux les affiner comme elle l'a si longtemps fait, permettant la naissance cachée de témoignages et d'expériences extraordinaires. Mais alors il faudrait que cette morale découle réellement des enseignements de l'amour. L'amour sans fidélité, par exemple, paraît être l'axiome douloureux de l'Homme sans gravité contemporain, selon l'heureuse expression de Charles Melman, cruellement décrit en un quart d'heure par le cinéaste Dino Risi dans un sketch au cours duquel un jeune couple vantant les vertus de l'infidélité devant leurs invités, finissent par s'entretuer en apprenant leurs expériences respectives. Mais qu'un homosexuel ne puisse vivre une vie amoureuse authentique, c'est là une 1 Lacan in Italia proposition terrible. La sexualité est ordonnée au cheminement de l'âme. C'est l'enseignement de l'Incarnation. Et ce cheminement de l'âme est le lieu de la plus grande singularité. Que la passion amoureuse ait disparu de nos représentations est un constat que pour ma part, je mets en rapport avec le discours de l'Eglise sur la femme, puisque c'est là aussi un sujet qui du moins m'a tenu à coeur. « L'Eglise a-t-elle un problème avec le sexe féminin », c'est là sûrement une inflexion du sujet mais je ne pense pas un détournement. Sûrement la morale sexuelle s'accommode d'une certaine image de la femme- je ne reviendrai pas sur ces poncifs connus de la femme accueillante, qui a le sens des responsabilités, qu'il faut savoir attendre, dont le désir serait en harmonie avec les cycles organiques etc... que l'on trouve dans Mulieris Dignitatem, la Lettre aux femmes ou Lettre sur la collaboration de l'homme et de la femme entre autres - bref une femme désexualisée, une femme dont la tâche serait d'aider l'homme à dominer ses pulsions tout comme la morale disciplinerait le corps. Certes c'est aussi un poncif que de faire de la femme une passionnée, mais il y a là à mon sens un symptôme de ce que nous avons perdu de l'amour. Redonner à la femme, et donc à l'homme irréductible pour sa part à ses pulsions, son intégrité d'être désirant serait déjà un premier pas vers la prise au sérieux de cette question de l'amour. C'est sans doute en effet le fruit, cette désexualisation de la femme, d'une hiérarchie trop longtemps et maintenant tragiquement masculine, et donc aussi, je reviens à cette question de la pédophilie, du rapport difficile de l'Eglise au pouvoir. Cacher des crimes pédophiles, accuser les femmes d'être des revendicatrices, ce n'est bien sûr pas de la même gravité. Mais c'est le symptôme d'un même mal. Il n'y a sans doute rien de pire qu'un pouvoir qui s'exerce pour compenser la perte d'autorité. Seule l'autorité affranchit ses fidèles, les rend libres pour aimer. Tout cela me paraît bien général par rapport à la beauté de chaque expérience spirituelle, dont personne ne saurait rendre compte. Mais cela me semble important, car nous catholiques attendons que toutes ces expériences nourrissent le coeur battant de notre Eglise. Tous les cheminements passent par le Christ, par le corps du Christ. Nous avons suffisamment de beautés littéraires, musicales, spirituelles, nous avons tant de témoins chrétiens ou pas pour faire apercevoir l'Amour incarné de Dieu. Le succès du nouveau film de Xavier Beauvois manifeste que notre monde est en attente de cette parole. Il serait terrible de le laisser affamé. --------------