La résurrection de la Route de la Soie

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La résurrection de la Route de la Soie
P
ROUTE DE LA SOIE • EN PERSPECTIVE
EN
PERSPECTIVE
La résurrection de la Route de la Soie
La Route de la Soie était autrefois la plus importante route commerciale au monde.
On transportait non seulement de la soie, mais aussi de la porcelaine, du papier,
des fruits, des chevaux, bref de tout. Jusqu’à ce que Christophe Colomb, Magellan et
d’autres navigateurs relient l’Europe au reste du monde avec leurs navires. Maintenant que l’Europe et l’Asie commercent plus que jamais, on cherche des alternatives
terrestres au transport maritime. On étudie si les containers ne peuvent pas prendre
le train et si des camions ne peuvent pas rouler entre l’Asie et l’Europe. L’idée n’est
pas aussi utopique qu’il paraît.
la frontière avec la Géorgie. Celle-ci va
construire une ligne de 29 km jusque
Akhalkalaki et rénover la section de
183 km entre Aklhalkalaki et Tbilissi.
La Turquie a prévu environ 380 mio.
de TRY (196,4 mio. d’EUR) pour la
construction de son tronçon. L’Azerbaïdjan et la Géorgie seront chargés de
la construction du reste, l’appel d’offres
étant en cours.
Selon le ministre turc des Transports
Binali Yildirim, le projet a une grande
valeur stratégique et économique. A
moyen terme, le couloir BTK devrait
sentiel que le projet BTK. On construit
ce «tunnel du siècle» depuis 2004 dans
le cadre du projet Marmaray. Il doit être
prêt pour 2011/2012. Le projet Marmaray concerne une ligne ferroviaire de
76 km entre Gebze (partie asiatique) et
Halkali (partie européenne), dont 13,5
km en tunnels forés et 1,4 km de tunnel
coulé pour traverser le Bosphore. Les
coûts approcheraient les deux milliards
d’Euros. Ils ont quelque peu flambé du
fait que le tunnel est situé dans une
zone sismique délicate, de sorte que les
travaux sont plus compliqués. C’est ainsi
PIETERJAN VAN WYNGENE/PHILIPPE VAN DOOREN
Kazan
Moskou
MER
BALTIQUE
Chelyabinsk
Minsk
POLOGNE
Varsovie
Transport routier
Petropavlovsk
LAC
BAIKAL
Route nord
Route centrale
Krasnoyarsk
Route sud
BIÉLORUSSIE
ALLEMAGNE
Volgograd
UKRAINE
Astrakhan
Poti
MER NOIRE
Istanbul
Nord: via le Kazakstan
Nord: via la Mongolie
Baikhash
ROUMANIE
Route nord
Semipalansk
KAZACHSTAN
Atyrau
MOLDAVIE
BULGARIE
RAIL
Astana
Kiev
OCÉAN
ATLANTIQUE
RUSSIE
Novosibirsk
Tayshet
MER DU NORD
Berlin
Omsk
et Deutsche Bahn. Mais il n’y a pas très
longtemps que des tests ont prouvé
que ce pont terrestre est vraiment une
réalité. Ces tests ont tellement été réussi
que l’opérateur national allemand veut
assurer cette année encore des trains
réguliers entre la Chine et l’Europe.
Mais les trains de la Deutsche Bahn et
de China United International Railway
Container Transport (CUIRC, dans
laquelle la DB a une part de 8%), emprunteront un tout autre itinéraire, en
l’occurrence via la ligne septentrionale
(voir carte). Elle passe par la Mongolie,
Ulaanbatar
MONGOLIE
Aktogay
Route sud
MER
D’ARAL
MER
Tbilisi CASPIENNE
Baku
OUZBÉKISTAN
Taraz
KIRGISIE
Tashkent
Almaty
Urumqi
Erehhot
Hohhot
TURKMENISTAN
TURQUIE
Bukhara
I
l y a quelques années, on doutait
de la possibilité de pouvoir créer
un jour une liaison ferroviaire
entre l‘Extrême-Orient et l‘Europe,
rien déjà que du fait que, surtout dans
les pays traversés, les entreprises ferroviaires (d‘(Etat), ne faisaient guère
preuve de dynamisme ni d‘intérêt
pour les relations internationales, et
c‘est un euphémisme. Il y a quelques
années, lorsque l‘IRU a fait circuler
la première caravane de camions de
Beijing à Bruxelles afin de montrer
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W W W.T R A N S P OR T E C HO. B E
qu‘une liaison routière est bel et bien
possible (voir plus loin), on a même
douté publiquement de la capacité
de réaliser le même périple en train.
Et pourtant, le grand rêve des entrepreneurs de transformer la Route de
la Soie historique en Rail de la Soie
devient petit à petit une réalité.
Grâce à la construction d‘un couloir
ferroviaire transcaucasien et d‘un tunnel
sous le Bosphore, il sera possible dans
quelques années d‘effectuer des transports ferroviaires depuis la Chine vers
Sarakhs
Téhéran
l‘Europe via la Turquie. Un deuxième
itinéraire sera ainsi créé, une solution
de rechange pour l‘autre pont terrestre
euro-asiatique, à travers la Russie et la
Pologne, le Transsibérien.
Via la Turquie
TADJIKISTAN
Urumqi
Yumen
Mary
Tabriz
MÉDITERRANÉE
Dandong
Turkmenbashi
Erzurum
La Turquie commencera en juillet
la construction de sa part du couloir
ferroviaire BTK qui, d’ici 2010, reliera
Bakou (Azerbaïdjan), Tbilissi (Géorgie)
et Kars (Turquie). La Turquie va construire une ligne de 76 km entre Kars et
IRAN
AFGHANISTAN
pouvoir transporter quelque 30 millions
de tonnes par an.
La nouvelle ligne transcaucasienne
ne fait toutefois pas que des heureux.
Ainsi, l’Arménie regrette que ses trois
voisins ne s’occupent plus de l’ancienne
liaison ferrée entre la Turquie et l’Arménie (Kars-Gyumri). Elle n’est plus
utilisée depuis 1993 à cause d’un conflit
entre les deux pays.
Pour arriver à une liaison terrestre
entre l’Asie centrale et l’Europe, un tunnel sous le Bosphore est tout aussi es-
Beijing
Yinchuan
CHINE
que la base du tunnel doit être renforcée
afin de résister à un tremblement de
terre de 7,5 sur l’échelle de Richter.
Deux itinéraires
Que les trains circulent de manière
ininterrompue de la Chine vers l’Europe
ne constituera pas une primeur en soi.
Le concept du pont terrestre euro-asiatique fait déjà mousser depuis longtemps
certaines entreprises ferroviaires comme
European Rail Shuttle (ERS), Eurofreight (EFT), Far East Land Bridge (FELB)
la Russie (Transsibérien) et la Pologne.
Le Rail de la Soie (carte: ligne méridionale) passe par le Kazakhstan, la Russie,
l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie;
ou via le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le
Turkménistan, l’Iran et la Turquie.
Route méridionale
Le désavantage de cette route méridionale vient de ce qu’elle est actuellement handicapée par les nombreux
passages de frontières. «Ils occasionnent
davantage de charges administra-
JUIN/JUILLET 2008
T R A N S P ORT E C HO
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EN PERSPECTIVE • ROUTE DE LA SOIE
tives et des délais de transport
plus longs», explique le Prof. Peter
Klaus de l’Institut Fraunhofer de
Nuremberg. De plus, il souligne
qu’on ne peut pas déjà parler de
véritable «pont terrestre» étant
donné que jusqu’à présent, il y a
au moins un passage maritime. Ce
problème sera toutefois résolu d’ici
quelques années grâce au tunnel
de Marmaray.
Plus problématique est le fait
que le Rail de la Soie traverse une
«zone de tensions», ce qui augmente bien entendu le degré de
dangerosité de l’itinéraire. «Personnellement, je crois que même
une nouvelle infrastructure ne
rendra pas la route méridionale
plus attirante», déclare Klaus. Cet
itinéraire, qui traverse beaucoup
de pays, exigera selon lui toujours
plus de coordination politique
que la route septentrionale. «Il
est dès lors tout à fait logique que
la Deutsche Bahn emprunte l’itinéraire septentrional pour arriver
en Europe.»
Bruxelles-Beijing
par la route
à confondre indépendance et isolation».
Sécurité
Un autre obstacle est celui de
la sécurité: la région n‘est pas sûre
et les bandes armées y foisonnent
dans certains pays. »La criminalité et la pauvreté vont toutefois la
main dans la main. A mesure que
se développeront le commerce et
les transport le long de la Route
de la Soie, le niveau économique
s‘améliorera dans la région et la cri-
»Dans les années 1970, lorsque
la containérisation a commencé à
se développer, il y avait une multitude de zones économiques reliées entre elles par une multitude
de ports. Dans les années 1990
à 2000, on a pu observer que le
nombre de zones et de ports majeurs diminuaient proportionnellement, un mouvement qui s‘est
renforcé à mesure que croissait
la taille des navires. Aujourd‘hui,
80% du commerce entre l‘Europe et l‘Asie est concentré dans
»La globalisation risque d’entraîner
une désertification économique
dans les régions enclavées.
La route peut y remédier.«
Martin Marmy (IRU) a prouvé en 2005 qu’il est possible d’effectuer des transports routiers depuis la
Chine jusqu’en Europe.
marchandises de première nécessité, destinées à la reconstruction
du pays. Pour se rendre jusqu‘à
Kaboul, il a emprunté le corridor
TRACECA (Transport Corridor
Europe Caucasus Asia), un projet
de l‘UE et des pays d‘Asie centrale
visant à stimuler les transports
(pas seulement routiers) et le libre-échange dans la région. Les
6.000 km avaient été franchis en
un mois.
Puis, en 2005, l‘IRU (l‘union
mondiale des transporteurs routiers) a organisé un premier convoi commercial entre Beijing et
port ferroviaire, il n‘y a pas qu‘une
seule Route de la Soie, mais trois.
Outre le corridor par Moscou et
Astana, il y a celui du TRACECA
(qui implique deux trajets en ferry,
l‘un sur la mer Noire et l‘autre sur
la mer Caspienne), et un troisième,
au sud, via la Turquie et l‘Iran.
Principal obstacle:
l‘administration
L‘IRU a par ailleurs organisé
en 2007 une autre caravane de
camions, effectuant le tour de la
mer Noire. Selon Martin Marmy,
le secrétaire-général de l‘IRU, le
»Le désavantage du trajet méridional
est qu’il est handicapé par les
nombreux passages de frontières.«
Bruxelles, les camions franchissant
la distance de 12.000 km en 17
jours. Ils ont suivi un autre trajet,
passant par le Kazakhstan et la
Russie. Tout comme dans le trans-
but de cette caravane n‘était pas
simplement de faire le tour de la
région, mais de relever sur place
quels problèmes administratifs et
douaniers se posent, quels instru-
ment multilatéraux doivent être
mis en place pour faciliter le commerce et le transport routier.
Indépendance et isolation
Dans ce contexte, il a rappelé
lors du récent congrès de l‘IRU à
Istanbul que la Route de la Soie
pourrait être revitalisée plus rapidement si un outil comme le Carnet TIR se répandait plus largement. Certains pays-clés, comme
la Chine et l‘Inde, n‘ont pas encore
adhéré à la Convention TIR, entre
autres parce que cela impliquerait qu‘ils donnent accès à leurs
routes à des camions étrangers.
«Cela pourrait toutefois se faire
assez rapidement», estime-t-il.
José Capel Ferrer, directeur de la
division des transports Commission économique pour l’Europe
des Nations Unies (CEE-ONU),
partage cet avis: «Plusieurs des
pays traversés par la Route de la
Soie sont devenus indépendants
relativement récemment. Et certains gouvernements ont tendance
minalité baissera,» nous a déclaré
à Istanbul Michaïl Gorbatchev,
l‘invité d‘honneur du congrès de
l‘IRU. Il a toutefois reconnu que
ce processus ne se fera pas du jour
au lendemain.
Développement économique
Certains objectent également
que le principal obstacle, sera le
prix du pétrole, très certainement
s‘il reste aux niveaux aussi élevés
qu‘aujourd‘hui. Umberto De Pretto,
secrétaire-général adjoint de l‘IRU,
acquiesce. «En Europe, moins de
1% du transport routier se fait sur
des distances supérieures à 1.000
km. Il est clair que sur des distances
de 10.000 km, ce sera infinitésimal.
Mais ce qui est surtout important
dans le cadre de la revitalisation
de la Route de la Soie, c‘est qu‘elle
permettra également des transports
sur 250, 500 ou 1.000 km. Cela,
c‘est le plus important pour toutes
ces économies régionales».
Selon Martin Marmy, en effet,
il y a toute une partie du monde
qui est exclue des bénéfices de la
globalisation, et en particulier les
pays d‘Asie centrale, du Caucase et
l‘ouest de la Chine, c‘est-à-dire des
zones enclavées.
quelques zones, ce qui cause non
seulement de la congestion, des
retards et des coûts, mais en plus
entraîne une désertification économique dans les régions enclavées«, dit-il. En d‘autres termes, la
Route de la Soie - ou doit-on dire:
les Routes de la Soie - a surtout
un rôle régional et interrégional
à jouer, plus qu‘un rôle intercontinental.
»Pour cela, il faudra que les
gouvernements de ces pays se
rendent compte que faciliter les
échanges commerciaux et routiers
favoriseront la prospérité et la
stabilité politique. C‘est un des
objectifs que se sont fi xés l‘IRU
et l‘UNESCAP (Commission économique et sociale des NationsUnies pour l‘Asie et le Pacifique)
en organisant une nouvelle caravane en 2009, qui reliera Tokyo,
Bangkok et d‘autres villes en Asie
à Istanbul. »Cela nous permettra
de réévaluer les obstacles administratifs et surtout de sensibiliser
les gouvernements à la nécessité
de supprimer les entraves au
transport routier«.
www.db.de
www.iru.org
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L‘idée de transporter des marchandises par la route entre l‘Asie
et l‘Europe paraît encore plus folle
que par le rail. Pourtant, plusieurs
caravanes ont prouvé que c‘est absolument faisable: l‘infrastructure
est présente et praticable. Certes, la
distance est énorme (de 12.000 à
15.000 km), mais, dans l‘ensemble,
les routes principales sont bonnes.
Les principaux écueils se situent,
ici aussi, au niveau des formalités
administratives et du franchissement des frontières.
La première caravane des
temps modernes à rouvrir la
route de la soie a été organisée
par Mercedes-Benz en septembre 2003, en collaboration avec
la Commission européenne. Il
s‘agissait d‘un convoi humanitaire
composé de dix poids lourds, qui
s‘est rendu jusqu‘en Afghanistan
pour y apporter 200 tonnes de
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