La Cour d`appel du Québec impose l`obligation de

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La Cour d`appel du Québec impose l`obligation de
Actualité juridique
La Cour d’appel du Québec impose l’obligation de payer le salaire
des employés aux administrateurs de facto
Décembre 2012
Litiges
Droit des sociétés et droit commercial
Gouvernance et responsabilité des administrateurs
En vertu de l’article 119 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), les administrateurs d’une société
régie par la LCSA peuvent être tenus solidairement responsables, envers les employés de la société, des dettes liées
aux services que ceux-ci exécutent pour le compte de cette dernière, et ce, jusqu’à concurrence de six mois de salaire.
Toutefois, lorsqu’il existe une convention unanime des actionnaires restreignant tous les pouvoirs des administrateurs,
est-il équitable que les administrateurs demeurent responsables envers les employés en vertu de l’article 119
nonobstant les restrictions sur leur pouvoir décisionnel imposées par la convention des actionnaires? La responsabilité
légale envers les employés ne devrait-elle pas plutôt incomber aux actionnaires ou à d’autres personnes?
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Dans une décision rendue récemment , la Cour d’appel du Québec a conclu que, lorsqu’une convention unanime des
actionnaires a enlevé aux administrateurs tous leurs pouvoirs, les personnes par l’entremise desquelles les décisions
concernant la société ont été exécutées devraient être tenues responsables envers les employés, et ce, jusqu’à
concurrence de six mois de salaire en vertu de l’article 119 de la LCSA à titre d’administrateurs de facto.
Les faits
En 1998, Inter-Canadien (1991) inc., une société qui éprouvait des difficultés financières, a été achetée de Canadian
Airlines par la Société I.C.N. Delstar inc., une filiale en propriété exclusive de Canadian Eastern Airlines Ltd. Les
actionnaires d’Eastern étaient les défendeurs/intimés Robert Myhill, Michael Cochrane et Jay Lilge, qui étaient tous
trois spécialisés dans l’acquisition et le redressement d’entreprises en difficulté. En septembre 2008, les trois
défendeurs ont été élus administrateurs d’Inter-Canadien et, peu après, une convention unanime des actionnaires (ou
une déclaration de l’actionnaire unique) a été signée par Delstar, l’unique actionnaire d’Inter-Canadien, enlevant tous
les pouvoirs aux administrateurs défendeurs. Il a été établi en preuve que cela fut fait afin d’écarter la responsabilité
personnelle des administrateurs d’Inter-Canadien.
En 1999, les trois défendeurs ont démissionné à titre d’administrateurs et n’ont pas été remplacés, laissant InterCanadien sans administrateur en poste. En 2000, Inter-Canadien a déclaré faillite et ses employés ont
subséquemment déposé cinq actions distinctes devant la Cour du Québec contre les trois anciens administrateurs,
réclamant les salaires impayés en vertu de l’article 119 de la LCSA. Les actions ont fait l’objet d’une audition commune
devant la Cour du Québec et elles ont été rejetées dans un jugement rendu le 23 février 2005.
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La décision de première instance
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La Cour du Québec a conclu que, malgré la vente et en raison de la relation franchiseur-franchisé avec son ancien
actionnaire, Canadian Airlines, Inter-Canadien était demeurée entièrement dépendante de Canadian Airlines et avait
été incapable de prendre ses propres décisions. Par conséquent, les gestes posés par Myhill, qui était responsable
des opérations quotidiennes d’Inter-Canadien, se résumaient à des actes de gestion pour le compte de Canadian
Airlines. De plus, la Cour du Québec a conclu que les défendeurs pouvaient seulement avoir agi comme dirigeants
d’Inter-Canadien et non comme administrateurs puisqu’ils avaient démissionné à titre d’administrateurs en 1999 avant
que la société ne cesse ses activités et que, dans tous les cas, avant leur démission, la convention unanime des
actionnaires leur avait enlevé tous les pouvoirs. Ainsi, ils ne pouvaient être tenus responsables envers les employés à
l’égard des salaires impayés, et les défendeurs ont été exonérés.
La décision de la Cour d’appel
La Cour d’appel s’est d’abord penchée sur le droit des administrateurs de démissionner et a conclu que la règle
générale est que le mandat d’un administrateur d’une société prend fin avec la démission de cet administrateur et qu’il
n’existe pas de raison, de façon générale, de déroger à cette règle. Une personne n’a pas d’obligation de demeurer en
poste à titre d’administrateur si une société éprouve des difficultés financières.
La cour a ensuite examiné la question de la responsabilité des administrateurs à l’égard des salaires impayés. La cour
a conclu que cette obligation constitue une obligation personnelle qui incombe à ceux qui de fait exercent le contrôle
décisionnel ultime sur le fonctionnement de la société. En général, ce sont les administrateurs qui assumeront la
responsabilité à l’égard des salaires impayés en vertu de l’article 119 de la LCSA. Toutefois, lorsque les
administrateurs n’exercent pas le contrôle dans les faits ou qu’ils n’ont pas le pouvoir ou le droit d’exercer le contrôle
sur les affaires d’une société, ce sont les personnes qui ont le contrôle sur la société, ou les administrateurs de facto,
qui seront plutôt tenus responsables. D’après le raisonnement de la cour, une société ne peut agir que par l’entremise
d’une personne physique et, en dernier ressort, une ou plusieurs personnes doivent exercer le contrôle. Aux fins de
l’article 119 de la LCSA, la responsabilité à l’égard de tout salaire impayé incombera à ces administrateurs de facto qui
ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer que les employés reçoivent les salaires et les autres
sommes qui leur sont dus.
Quant aux faits particuliers de l’affaire, la cour a conclu que les défendeurs exerçaient, dans les faits, le contrôle sur
Inter-Canadien et qu’ils étaient en mesure de prendre les décisions relatives à la protection des employés même s’ils
n’étaient plus administrateurs. Étant donné que ces trois personnes n’ont pas pris les mesures appropriées pour
garantir que la société disposait des fonds requis pour verser les salaires aux employés, la Cour d’appel a renversé la
décision de première instance et les défendeurs ont été jugés responsables en vertu de l’article 119 de la LCSA.
Conclusion
Dans le contexte d’une convention unanime des actionnaires (ou d’une déclaration de l’actionnaire unique) qui enlève
tous les pouvoirs aux administrateurs, toute personne physique, qu’il s’agisse d’un dirigeant, d’un ancien
administrateur, d’un représentant d’actionnaires ou d’une autre personne, devrait savoir que si sa conduite démontre
un contrôle factuel des affaires de la société, elle pourra être tenue solidairement responsable envers les employés à
l’égard des salaires impayés en vertu de l’article 119 de la LCSA, comme l’a confirmé la Cour d’appel du Québec dans
l’affaire Allard c Myhill.
Elliot Shapiro
Meghan Stewart
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Notes
1.
Allard c Myhill, 2012 QCCA 2024 (CanLII).
2.
Allard c Myhill, 2005 CanLII 9257 (QC CQ).
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