Le Pop Art et l`art minimal En 1964, la remise du Grand Prix de la
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Le Pop Art et l`art minimal En 1964, la remise du Grand Prix de la
Le Pop Art et l’art minimal En 1964, la remise du Grand Prix de la Biennale de Venise à Robert Rauschenberg permet à la critique européenne de découvrir un mouvement représentatif du réalisme contemporain, né d’une appréhension nouvelle de la nature moderne, industrielle, sociologique et urbaine. Le Pop Art incarne un des changements les plus radicaux dans le cours de la pensée créatrice du XXème siècle. Le prix remporté à la Biennale correspond à la cristallisation d’une situation, au point culminant d’une évolution annoncée et préparée par toute une série de phénomènes avant-coureurs. Le Pop Art est né en Angleterre autour de 1955. Le terme Pop Art est une abréviation de Popular Art, employé pour la première fois par le critique anglais Lawrence Alloway à propos d’œuvres se référant aux produits des mass media, œuvres créées par un groupe de jeunes artistes londoniens réunis à l’Institute of Contemporary Art dont Alloway était le directeur. Ces artistes pratiquaient la technique du collage à la manière des artistes dada allemands, tels Kurt Schwitters. Le Pop Art Qu’est-ce qui rend nos foyers d’aujourd’hui si différents, si sympathiques, 1955, Tübingen, Kunsthalle, de Richard Hamilton, est un petit collage exemplaire de ce que souhaitent les jeunes anglais. Il comprend, de l’image du culturiste à celle du magnétophone, un ensemble d’éléments qui sont constitutifs du langage pop. Lawrence Alloway écrivit à propos de ce collage : “La cité qui présente ses divers matériaux comme un environnement devient alors une scène bourrée de symboles, sillonnée en tous sens par les pistes de l’activité humaine”. L’humour et l’ironie règnent en maître dans ce collage.Aux États-Unis, les 2 représentants les plus audacieux du Pop Art sont Robert Rauschenberg et Jasper Johns. Rauschenberg fut, au début de sa carrière, un peintre expressionniste abstrait, moins talentueux que les pionniers du genre. Il y utilise déjà une technique mixte incluant du tissu, des bouts de journaux et des objets trouvés. Rauschenberg, au début des années cinquante, pressent l’usure du vocabulaire de l’instinct. Il se pose la question de la compensation de cette usure : comment recharger un style qui tourne à vide ? Selon un objectif déterminé en 1959, soulignant que peindre permet d’entrer en relation avec l’art et la vie, il écrit : “J’essaie d’agir dans cet espace qui existe justement entre l’art et la vie”. C’est la raison pour laquelle il reprend la technique du collage utilisée par les Anglais, mais dont on sait qu’elle naquit dans l’atelier de Picasso, en 1912, avec la Nature morte à la chaise cannée, et dans celui de Braque, en septembre de la même année, qui en étendit le principe aux papiers collés. Cette technique permet à Rauschenberg de mêler pratique artistique et vie quotidienne au moment du développement de la société de consommation, dont les supports et les relais sont les moyens d’information et de culture de masse : télévision, images publicitaires, photographies, bandes dessinées, reflet de l’abondance retrouvée après la guerre. Le but des artistes pop a été d’utiliser et/ou de décrire tout ce qui auparavant était jugé indigne d’être remarqué et, encore moins, d’être inclus dans le domaine artistique. Rauschenberg affirme sa volonté de stigmatiser la faiblesse, la violence, les agressions de la société de consommation. En 1955, dans une composition à laquelle il ne donne pas de titre, inspirée par le Déjeuner sur l’herbe de Manet, et appartenant à Jasper Johns, il mêle huile, crayon, pastel avec du tissu, des photographies, le tout sur un support en carton. “Ce sont tous des coups d’envoi. Ils sont au départ de mon travail soit que j’essaie d’être consciemment provocateur ou humoriste ou macabre”. On y voit la confrontation, pour ne pas dire l’affrontement, entre la peinture et les nouveaux media, une zone de peinture, incertaine, où le geste est délibérément présent, associée au tissu, à des feuilles de papier (avec écriture et dessins d’enfant), la photographie d’une pin-up. La volonté de démystifier la peinture est évidente parce que Rauschenberg reconnaît le potentiel esthétique des objets ordinaires (écho des ready-made de Duchamp), dès lors qu’ils perdent tout ou partie de leurs fonctions ou que le contexte dans lequel ils apparaissent leur donne une charge nouvelle, un sens à explorer. L’œuvre de Rauschenberg présente donc, vers 1955, un aspect hybride qu’il revendique comme base de sa démarche artistique, et comme moyen de réflexion pour définir ce que devait être un art renouvelé dans le contexte d’une société de l’après-guerre, s’oubliant dans un désir de consommation qui finira par devenir frénétique. Bed, 1955, New York, MoMA, est l’un des premiers combine paintings, c’est-à-dire des peintures combinées à des objets du réel, parfois des objets trouvés. Il s’agit ici du lit de l’artiste, avec un oreiller, un drap, un édredon (quilt), et recouvert, dans la partie supérieure de l’œuvre, de peinture appliquée dans le style de l’expressionnisme abstrait. C’est l’association d’un style considéré comme authentiquement américain, l’expressionnisme abstrait, avec des objets assemblés, idée européenne ; le tout s’ordonnant autour d’un objet signifiant dans la vie d’un individu, un lit, défait qui plus est, d’où une œuvre volontairement chaotique par les rapprochements plastiques, seul le quilt est préservé de la rage de peindre. Charlene, 1954, Amsterdam, Stedelijk Museum, permet de constater le refus d’une quelconque hiérarchie des éléments de la composition, ce qui fit dire au compositeur John Cage “qu’il n’y a pas davantage de sujet dans un combine painting qu’il n’y en a dans la page d’un journal : tout ce qui s’y trouve est un sujet”. En associant des produits neufs industriels et des déchets, des journaux, Rauschenberg propose un fractionnement du quotidien qui doit obliger le spectateur à considérer chaque élément séparément, comme la Une d’un journal, puis à rassembler ces éléments pour tenter d’en comprendre la globalité. La structure de ces assemblages repose sur la juxtaposition, sur le rapprochement, la proximité des éléments multiples. Nous avons ici un miroir, une lumière électrique, un parapluie déployé, un T-shirt, des reproductions d’œuvres d’art, des journaux, des magazines, des bandes dessinées. Les combine paintings lorsqu’ils se développent dans l’espace posent la question de la peinture et de la sculpture et même, avec Oracle, de l’installation. L’artiste se sentait “bombardé par la télévision, les magazines, les excès du monde…Je pensais donc que, pour peindre ou pour faire un bon travail, je devais incorporer tous ces éléments qui étaient et qui sont la réalité”. Même démarche pour Odalisque, 1955-1958, Cologne, Ludwig Museum, où le choc provient de la présence de l’animal empaillé, trônant au-dessus d’un rectangle en volume suivi d’une colonne dont le pied repose sur un socle portant oreiller, elle appartient à un ensemble d’œuvres où les supports sont accrochés au mur et d’où émerge un élément peut-être plus signifiant que les autres auxquels il est néanmoins relié. Cette mise en scène visait aussi à obliger le spectateur à reconsidérer le monde dans lequel il vivait, ce que, selon Rauschenberg, l’expressionnisme abstrait ne permettait pas. Il jugeait la peinture défaillante parce que trop personnelle, trop individualiste, noyée dans la seule réactivité du peintre gestuel. Que ce soit dans Canyon, 1959, New York, MoMA, dans Marché noir, Cologne, Ludwig Museum, dans Premier atterrissage, 1961, New York, MoMA, on remarque le lien de l’œuvre avec l’extérieur par un oreiller, une caisse ou un pneumatique ; le monde est relié à l’art et réciproquement, un lien indéfinissable mais réel, qui pose aussi la question de nouveau de la société d’abondance. Monogram, 19551959, Stockholm, Moderna Museet, présente une chèvre angora du Tibet, posée sur un plateau, est emprisonnée par un pneumatique (pollution), comme une référence à la phrase de Lautréamont : “Beau comme la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection”. Oracle, 1962-1965, Paris, musée national d’art moderne, témoigne d’un intérêt nouveau pour l’environnement ; le début des années soixante associe cette question écologique aux technologies de l’époque. Rauschenberg affirme “que l’artiste doit donner l’exemple de la participation avec les techniciens, coopérer au monde qui se construit”. Il recherche une collaboration plus étroite entre l’art et l’industrie. En 1967, il fonde avec l’ingénieur Billy Klüver l’association EAT (Experiment on Art and Technology) groupant des artistes et des ingénieurs désireux d’exploiter les nouvelles possibilités offertes par la science et la technique. L’artiste devient celui qui pose aux industriels le problème de leur responsabilité envers la société. C’est aussi avec l’aide de Billy Klüver que Robert Rauschenberg a réalisé cette sculpture-installation que l’on doit considérer comme un ensemble métaphorique de la ville de New York et comme tel, on le mesure dans sa globalité et non élément par élément. Nous avons ici une baignoire avec combiné douche, un morceau d’escalier, un montant de fenêtre, une portière de voiture, un tuyau, des éléments trouvés par Rauschenberg sur des chantiers de démolition d’immeubles à New York et qu’il a placés, côte à côte, en installant dans chacun d’eux un poste émetteur-récepteur réglé sur les fréquences radio de la ville. Oracle est donc une structure visuelle et sonore sur laquelle le visiteur pouvait intervenir en manipulant les postes radio. Jasper Johns va aussi écarter la spontanéité du geste pour créer une peinture dépersonnalisée, désacralisée, tout en s’attachant non pas à l’objet dans sa réalité mais à la représentation de l’objet. L’originalité de Jasper Johns réside dans le choix des objets qui apparaissent dans son œuvre et qui vont lui permettre d’explorer la frontière entre abstraction et figuration. La série des Cibles, Cible aux quatre visages, 1955, New York, MoMA, Cible verte, 1955, id., Cible blanche, New York, The Whitney Museum of American Art, met en scène un objet sur lequel on peut tirer mais son apparence, si on oublie son usage, est basée sur une série de cercles concentriques, forme géométrique abstraite d’une grande pureté. Le processus de dépersonnalisation, le refus de l’exaltation impulsive de l’individu, s’accomplissent au niveau du sujet, au niveau de la couleur (rouge, vert, blanc…), oscillant entre effet optique et monochrome, et au niveau de la technique picturale. La matière est très épaisse, l’artiste y mêle de l’encaustique, étalée par couches superposées au moyen de morceaux de bois. L’absence de recherche formelle est notable : le sujet impose sa forme, il détermine l’aspect du tableau ; Johns se soumet volontairement à l’objet. Ces caractéristiques sont encore plus frappantes quand Jasper Johns s’empare du thème du drapeau américain. Drapeau, 1954, New York, MoMA, est décliné en 1955 et en 1957 (MoMA) jusqu’aux Trois drapeaux, 1958, New York, The Whitney Museum of American Art. Voici une forme qui ne peut pas être modifiée, non plus que la cible, mais qui est associée au mythe de la nation ; le drapeau est autant un simple morceau de tissu qui flotte à un mât qu’un objet hautement symbolique. Le drapeau est un signe que l’esprit connaît déjà ; Pourtant, quand l’artiste altère le signe, et il le fera très systématiquement pour chaque signe porteur de sens, l’identification entre signe et sens est plus difficile. L’altération nous choque et nous oblige à reconsidérer autant l’objet que sa signification, sous-entendant qu’avant l’altération l’objet était devenu invisible parce que familier. Jasper Johns nous force à comprendre la relation entre la vue et la pensée, entre la perception et la conception. Une autre série concerne les nombres (il y eut aussi les lettres de l’alphabet). Quoi de plus abstrait qu’un chiffre et des nombres, et en même temps, autant reliés au concret, puisqu’ils nous servent à compter ce qui nous entoure ou pour conceptualiser le monde ? The Big Five, 1960, Paris, musée national d’art moderne, évoque le 5ème niveau de l’échelle de clarté du signal de transmission radio. Dans de 0 à 9-1961-New York, The Whitney Museum of American Art, l’espace pictural devient un écran tendu entre l’objet réel ou conceptualisé (nous ne verrons jamais un cinq, car il n’a pas de réalité concrète) et sa représentation ; c’est une interrogation sur les rapports qui existent entre le monde de la pensée, le monde appris, le monde issu d’un enseignement, d’une éducation ou d’une culture et celui du vécu quotidien. Jasper Johns agit de même avec la carte des États-Unis au début des années soixante :Carte-1961-New York, The Museum of Modern Art, Carte-1962-Los Angeles, The Museum of Contemporary Art, Carte-1963-Collection particulière. L’apport de l’œuvre de Jasper Johns, excluant les jugements de valeur, excluant l’implication du spectateur, l’affect, est de mettre sur un pied d’égalité la réalité, l’objet, la pensée, le concept et l’image, l’art. Il eut une influence considérable sur les artistes du Minimal Art. Après l’action des pionniers du Pop Art, Robert Rauschenberg et Jasper Johns, leurs suiveurs mettent en valeur l’aspect lisse d’un art commercial avec des formes franches, des couleurs posées en aplat, niant l’expression personnelle, l’implication de soi, pour mieux dénoncer, à leur tour, le manque d’originalité, la trivialité et la vulgarité de la société qui les entoure. Les principaux représentants de cette seconde phase du Pop Art sont Roy Lichtenstein, James Rosenquist et Andy Warhol. Né en 1963, élève de Reginald Marsh à l’Art Students League, en 1940, puis engagé volontaire dans l’US Army, en 1943, Lichtenstein enseigna les arts plastiques avant d’en faire son activité principale. Son exposition chez Leo Castelli en 1962 marqua les esprits. Ses œuvres firent l’effet d’un pavé dans la mare à un moment où l’expressionnisme abstrait était encore très présent parce qu’elles apparaissaient comme de simples copies des supports originaux, alors qu’en élargissant les formats et en choisissant soigneusement les thèmes, l’artiste parvenait à les ancrer dans la vie quotidienne, dans l’illustration des relations entre les hommes et les femmes (amours romantiques), ou encore à évoquer la politique militaire américaine (violence de la guerre). Whaam !, 1963, Londres, Tate Modern, et Oh, Jeff…I love you too, but…, 1964, collection particulière, de Roy Lichtenstein, retiennent l’attention du public au début des années soixante en raison de la provocation de l’image, réplique de celles trouvées dans les bandes dessinées. On retrouve ce goût du double sens dans l’œuvre majeure de James Rosenquist, F-111, 1964-1965, New York, MoMA, et présentée à la galerie Leo Castelli en 1965. Agent commercial puis peintre de panneaux publicitaires de grand format, Rosenquist emploie dans sa peinture les principes du vocabulaire de la publicité : couleurs brillantes, accroches visuelles, destinées à produire un impact puissant sur le spectateur ; après avoir représenté des voitures, des rouges à lèvres, des gants de ménage, des égouttoirs à vaisselle, issus de ce qu’il pouvait voir dans les magazines, donc des images populaires, il se lance dans le grand format, plus critique, ici, puisque l’œuvre porte le nom du bombardier de l’armée de l’air américaine. Le fuselage de l’avion est régulièrement interrompu par des vignettes représentant un pneu, un gâteau, des ampoules électriques, une petite fille sous un séchoir à cheveux, un parasol, un plongeur et des spaghettis à la tomate. Des images du quotidien, aisément identifiables, comme un collage, présentées les unes à côté des autres sans entretenir une relation immédiate, Il faut lire l’ensemble comme une critique d’une société gloutonne de consommation, qui ne cessait de se développer et de proposer l’American way of life à d’autres sociétés, en Europe, en particulier,. Le bombardier F-111 est là pour signifier que cette société se développe au moment de la guerre du Vietnam où de jeunes soldats américains étaient envoyés tous les jours pour y connaître l’enfer, donner la mort et la trouver. Cette acidité lui vint-elle de l’un de ses professeurs à l’Art Students League, George Grosz ? Le bombardier était encore à l’état de développement industriel au moment de la réalisation de cette grande fresque. Voyons les détails : - Pour le pneu, Rosenquist disait que son traitement particulier était voulu pour évoquer une couronne royale. C’est un pneu Firestone, sous-entendant l’idée d’une industrie américaine dominante mais aussi l’industrie de guerre. (cf. James Rosenquist, Painting below zero : Notes on a life in Art, Knopf, 2009) - Le trou du gâteau est l’équivalent visuel de l’impact d’un missile, les petits drapeaux portent les noms de niacine, protéine, riboflavine, les ingrédients du gâteau - Les ampoules électriques qui sortent des portes de l’avion sont des bombes qui éclatent comme des œufs - À propos de la petite fille, Rosenquist écrivait : “Ce qui m’intriguait le plus était le paradoxe de toutes ces familles de la classe moyenne prospérant sur la construction de machines de guerre comme le F-111. C’est pourquoi j’ai placé la petite fille sous un casque en forme de bombe. C’est une métaphore du casque du pilote, parce que c’est la classe moyenne américaine qui produit et pilote le bombardier. La petite fille est la cause et la bénéficiaire de tout ce que l’on peut posséder en produisant des armes de mort : maison en banlieue, la télévision, la machine à laver, le jardin à l’arrière. L’herbe derrière elle est d’un vert radioactif” - Pour le parasol, Rosenquist rappelle que, dans l’Utah, il y avait des publicités incitant à venir voir les essais de la bombe atomique comme s’il s’agissait d’un show. Les gens s’asseyaient sous des parasols en dégustant des glaces et regardaient le champignon atomique. - Le plongeur évoque lui aussi l’explosion nucléaire avec le champignon atomique - Les spaghettis ramènent à la réalité la plus triviale mais leur grouillement est repoussant La figure la plus importante du Pop Art est Andy Warhol, Autoportrait, 1966, New York, MoMA. Durant les années cinquante, Warhol (1928-1987) était un illustrateur publicitaire très apprécié dans son milieu professionnel ; il vit alors dans ce monde qui pousse à la consommation par la production d’images séduisantes. Il va, lui aussi, se poser la question d’une civilisation moderne et superficielle à la fois, tandis que, paradoxalement, il cherchera frénétiquement la célébrité. Il mêle comme personne image populaire et art, travaillant d’après photographies et ouvrant la voie à la reproductibilité des œuvres par l’usage des techniques sérigraphiques. Natif de Pittsburgh, il étudie au Carnegie Institute of Technology et débarque à New York en 1949, il a 21 ans. Pendant treize ans, il est étalagiste et illustrateur, ce qui ne l’empêche pas de produire déjà des séries. Très vite, il adopte la technique de la sérigraphie, qui permet une production mécanique de l’œuvre et donc une distance vis-à-vis du sujet. L’œuvre est obtenue par le truchement d’un écran sérigraphique portant une image photographique (par sensibilisation du support) et recevant une épaisse couche d’encre, garantissant une couleur forte en aplat, qui passe alors du support sur la toile. L’image est imprimée, née d’un cliché photographique. En 1962, il consacre une série aux boîtes de soupe Campbell, déclinées une par une, selon les spécialités, petit pois, bisque de homard, soupe au poulet, etc., ou par lots, et une autre au savon Brillo. On songe à la phrase de Warhol : “Aimer les choses, c’est-à-dire être une machine, car on fait toujours la même chose”. Pourtant, Warhol soulignait que son travail de publicitaire n’était pas machinal. Quand on lui demandait de dessiner un soulier, il reprenait son travail autant de fois qu’il le fallait jusqu’à la satisfaction du client :“A la fin, il y avait un sentiment esthétique, un style”. Pour échapper à la sensibilité que tout artiste, même en se contrôlant, ne peut manquer de trahir sur la toile, il applique donc à la peinture les méthodes de la publicité. Warhol allait jusqu’à dire : “Si voulez savoir qui je suis, regardez la surface de mes tableaux, de mes films, il n’y a rien derrière”. L’œuvre incarne donc la mécanisation qui tend à étouffer l’intervention humaine ; Warhol est-il un témoin ou un procureur de la déshumanisation ou un interprète ambigu du rôle et de l’importance que les objets ont pris dans nos vies au point d’en faire des portraits ? “Warhol déshumanise les gens et humanise les boîtes de conserve”. Il abandonne ensuite les objets banaux pour arriver à l’objet mythique : la bouteille de Coca-Cola qui s’est répandue dans le monde et incarne l’Amérique. Elle est soit image unique, obtenue par la projection du négatif la représentant sur un tissu enduit d’un produit sensible à la lumière qui, après un bain, va révéler la silhouette familière, soit déclinée sur la même toile 112 fois, mêlant production mécanique et production industrielle. Warhol critique-t-il ? Warhol célèbre-t-il ? Au même moment la revue Harper’s Bazaar lui commande un sujet sur les célébrités. Il passe donc de la petite bouteille à l’être humain, ou à ses avatars comme Mickey Mouse. Ces événements sont définis par Warhol comme étant la destruction de la société américaine mais elles trahissent son angoisse de la mort. Ce sont des images qui traduisent les émotions de l’artiste autant qu’elles suscitent les nôtres, associées à des sentiments d’horreurs. L’art peut-il conjurer la souffrance et la mort ? Une série va combiner le thème de la célébrité et de la mort soudaine, celle consacrée à l’attentat qui coûta la vie au président John Fitzgerald Kennedy, le 22 novembre 1963, par la multiplication des images de la veuve éplorée, Jackie Kennedy; vue dans les Neuf Jackie, 1964, New York, The Whitney Museum of American Art, dans la voiture présidentielle à Dallas, quelques minutes avant la tragédie, à Washington le jour des funérailles le 25 novembre, et à côté de Lyndon Johnson prêtant serment dans Air Force One qui rapporte la dépouille mortelle de son prédécesseur. Warhol est donc bien le chroniqueur de l’Amérique contemporaine. Minimal Art En réaction au Pop Art, des artistes, dans les années 80, abandonnèrent les éléments de la représentation, rejetant les questions de composition et d’espace, c’est-à-dire l’emplacement d’une image donnée ou les relations entre un élément figuratif et son arrière-plan. Ils purent le faire notamment en regardant l’œuvre d'Ad Reinhardt qui avait purgé l’abstraction de tout élément périphérique de façon à atteindre la pureté, de ce fait la tension, l’anecdote ou le sens même de l’œuvre s’en trouvaient modifiés. Désormais, la peinture s’offre telle qu’elle est et refuse l’incarnation d’un peintre à travers son geste. Frank Stella affirma “Il n’y rien d’autre à voir que ce qu’il y a à voir”. Le mouvement vers le Minimal Art s’était amorcée au début des années 60 ; Mondrian, comme Matisse, proclamait que la peinture n’est pas l’imitation mais une réalité en soi. Pour garantir la réalité de la peinture, il importait, sur une surface à deux dimensions, de travailler en deux dimensions, donc de nier la profondeur illusionniste. L’évolution de la peinture en ce sens est illustrée par le travail de Frank Stella (Astoria, 1958, New York, MoMA) dont les peintures monochromes, à formes irrégulières, avec leur impassibilité et leur qualité d’objets constituent la pierre de touche de tout l’art minimal. La présentation d’un groupe de ses œuvres à bandes, en 1959, au MoMA, au sein de l’exposition 16 américains, sous la conduite de Dorothy Miller, eut des conséquences comparables à la 1ère exposition des œuvres de Jasper Johns. Stella lançait un défi au goût dominant de l’époque, au bon goût tout court, tout en offrant des images d’une originalité extrême. Le scandale venait aussi du fait qu’elles étaient produites par un peintre qui avait à peine dépassé vingt ans. Stella fut le premier à comprendre les implications de l’attitude de Jasper Johns sur l’espace et la forme. Il se rendit compte que Johns avait résolu la contradiction de l’espace expressionniste en mettant en évidence la surface picturale par un choix d’images, d’objets, que tout le monde savait être plats. Jasper Johns soulignait encore souvent sa surface plate en confondant les dimensions de son sujet avec celles de son œuvre, permettant à la génération suivante de s’en emparer. À partir de 1959-1960, Stella substitua aux bandes noires de trois inches de large (environ 7,5 cm) tissées en réseau vertical et horizontal des parallèles jouant en diagonale. La touche personnelle est supprimée mais la peinture garde une apparence de savoir-faire, de geste parce qu’on y remarque des irrégularités dans les interstices qui séparent les bandes. Ce qui choqua le public, ce fut l’inertie émotionnelle, le manque d’accident visuel (habituel dans l’expressionnisme abstrait) et le refus d’engager la question du sens de l’œuvre (Zambèze, 1959, San Francisco Museum of Modern Art). L’art minimal est une forme artistique qui se veut volontairement réductrice par rapport à ce qui avait existé avant lui. Il tend à simplifier, par l’utilisation des formes géométriques, une composition claire et tient à une apparence impersonnelle. Après les peintures noires, Stella décida en 1960 de découper sur les bords de ses œuvres peintes sur un support d’aluminium les morceaux qui lui paraissaient inutiles; cet acte déplace d’une façon définitive l’accent essentiel, qui ne porte plus sur les rapports entre les diverses formes situées sur le champ pictural mais sur le périmètre même de l’œuvre. Le tableau est détouré, non seulement il n’a plus de cadre depuis bien longtemps, mais la surface de l’œuvre est attaquée, créant des accidents, des zones de décrochement de longueur inégale, dont il faut se demander s’il s’agit d’un geste provocateur et gratuit ou, au contraire, lourd de sens. Les peintures métalliques apparurent pour la 1ère fois à la galerie Leo Castelli à New York. L’altération touche les quatre côtés de l’œuvre sans toucher à son apparence même si ce dernier est en aluminium et non plus sur une toile. Stella peut ainsi individualiser chaque tableau de la série des Peintures sur aluminium en multipliant les variations géométriques, Mas o Menos, 1964, Paris, musée national d’art moderne. Avec cette série, Stella reprend l’expérience de la couleur ; Alfred Pacquement, auteur d’une monographie sur Stella, a souligné que s’établissait une relation de nécessité entre les contours du tableau et sa structure intérieure. Les mouvements de la ligne coïncident avec la forme générale de l’œuvre. La couleur se déploie dans la série des Protactor (rapporteur) qui se compose de 93 peintures, la plupart de très grandes dimensions et recevant des titres relatifs à des villes d’Asie mineure, Hatra I, 1967, Art Institute of Chicago. Stella insiste sur le fait que le titre n’explique en rien les œuvres mais on ne peut s’empêcher de relier le décoratif à l’Orient. Stella veut faire de la peinture décorative réellement viable à travers des formes abstraites et reprend à son compte la leçon de Matisse “Matisse ne tue jamais la toile, il y a la surface de la chose elle-même, la peinture, le fond, le support, la toile ; et il y a la peau, la véritable matérialité de la peinture”. Dans les années 1970, Stella produit des œuvres baroques et flamboyantes, Guadalupe Islands Caracara, 1979, Londres, Tate Modern, ou La Vecchia dell’Orto, 1986, Paris, musée national d’art moderne, l’une tire son nom d’un rapace de la famille des faucons, l’autre fait allusion à un texte d’Italo Calvino, publié dans le recueil des Fables italiennes. Stella assume le retour au volume qui dérive de l’achat et de l’utilisation de gabarits à dessin pour ingénieur, jeu complet de courbes qui servent à dessiner des coques de navires. Stella s’est lassé du Minimalisme et de sa réduction organisée du sens et des jeux de la peinture. Stella est le seul peintre du courant minimaliste dont les principaux représentants sont des artistes travaillant en trois dimensions, Carl André, Dan Flavin, Donald Judd, Sol LeWitt. Carl André fut un contributeur majeur du Minimalisme ; on le connaît surtout pour ses arrangements horizontaux ou verticaux, bois ou métal, empilés ou juxtaposés mais jamais solidaires de façon à ce qu’une modulation de l’œuvre soit possible et, par conséquent, une altération de l’espace dans lequel elles se trouvent, Dernière échelle, 1959, Paris, musée national d’art moderne. Au début des années 1960, il s’intéresse aux matériaux industriels et au pouvoir des formes géométriques abstraites qu’il qualifie de fonctionnelles. Il attire l’attention sur son travail en installant des briques, en formations rectangulaires, sur le plancher d’une galerie, Equivalent VIII, 1966, Londres, Tate Modern. Il poursuit avec des installations de plaques de cuivre ou d’aluminium, sur lesquelles il invite le public à se déplacer. Travaillant sur le concret, sur la forme, carrée ou rectangulaire, sur l’épais comme sur le ténu, Carl André produit des œuvres d’un aspect sévère, déconcertant, suscitant l’ironie ou la perplexité mais qui se veulent des réflexions sur le poids et la masse des matériaux et sur leur disposition dans l’espace. Avec Carl André, la sculpture devient, pour la 1ère fois dans son histoire, horizontale, interactive et combinable, tout en évitant soigneusement l’allusion, le symbole ou toute autre pensée liée intrinsèquement à l’objet présenté. Donald Judd prit le parti de fabriquer des boîtes formant des arrangements sériels en étant disposées soit sur le sol soit le long des murs. Leur disposition ne doit rien à l’aléatoire mais est précisément calibrée, en succession sur le sol, ou en empilement sur le mur, avec un écart qui est généralement le même, Pile, 1964, Paris, musée national d’art moderne, En 1965, dans un article intitulé Specific Objects, Judd expliquait qu’il voulait proposer une nouvelle forme d’art tridimensionnel destinée à transcender les définitions conventionnelles et de la sculpture, en éludant l’illusionnisme et l’espace au sens littéral du terme. (Sans titre-1967- New york, The Museum of Modern Art.) Sol LeWitt commença à travailler sur le relief et le volume à partir de constructions dans l’espace, d’une part, et de dessins muraux, d’autre part. Il les présente pour la 1ère fois en 1965. Ses constructions font appel à des rectangles ou à des cubes ouverts, blancs, définissant des formes dans l’espace, se développant t formant des combinaisons parfois aléatoires au gré des installations. Ce que nous voyons dans les œuvres de Sol LeWitt et de Donald Judd (peut-on encore les qualifier de sculptures ? Doit-on les considérer comme des installations ?) est un art qui s’appuie sur le principe de la grille et de la série, ou de l’organisation modulaire, sans parler du refus de l’implication physique de l’artiste. Les artistes du Minimal Art privilégient donc les éléments préfabriqués, industriels, afin de minimiser ou d’éliminer tout rôle de l’artiste dans le travail de décision concernant l’apparence, on pense à Marcel Duchamp. Il n’y a pas de cadre théorique et, refusant toute théorie et toute information pouvant aider à la compréhension de l’œuvre, le Minimal Art laisse le champ libre à l’interprétation. Dan Flavin travaille à partir de tubes fluorescents du commerce, produisant différentes couleurs et lumières dans l’espace, dans des combinaisons horizontales, verticales ou diagonales, La Diagonale du 25 mai 1963-1963-Fort Worth, Museum of Modern Art. Il associe une réflexion sur la forme à une réflexion sur les effets visuels renforcés par l’aspect esthétique des lumières utilisées. La spécificité de son travail est d’altérer ou de modifier l’espace autour de l’œuvre et il convient d’apprécier son œuvre en termes d’installation plutôt qu’en termes de sculpture. Se destinant d’abord à la prêtrise puis à une carrière militaire, Flavin opte finalement pour l’art en suivant les cours de la New School for Social Research et la Columbia University. C’est la découverte de Tatline, de Naum Gabo et d’Anton Pevsner, pionniers du Constructivisme russe, Monument à Vladimir Tatlin-1964-New York, The Museum of Modern Art et celle de l’œuvre de Brancusi qui déterminent son orientation artistique. Il rend d’ailleurs hommage à ces artistes et à Barnett Newman en leur dédiant certaines de ses créations. En 1961-1962, il explore le monde des tubes de couleurs et les effets qu’ils produisent sur la surface des murs et du sol grâce aux reflets de lumière, en les plaçant dans le coin d’une pièce. Ses couleurs favorites sont le rose, le bleu, le jaune et le vert, associées au blanc, dans une note plus douce que les publicités au néon que l’on peut voir dans l’espace public. Il s’intègre donc à ce groupe d’artistes qui trouve plus intéressant de travailler avec des matériaux qui ne sont pas destinés à l’art mais auxquels ils prêtent des qualités esthétiques. Les œuvres de Dan Flavin combinent la tridimensionnalité de la sculpture, les couleurs de la peinture et la qualité architecturale puisque l’œuvre dépasse ses propres limites en s’emparant des volumes architecturaux qui lui sont liés. Dan Flavin a ouvertement combattu ce que certains considéraient comme des accents spirituels de son art, certainement en raison de sa vocation antérieure. Le débat reste ouvert, peut-on impunément employer lumière et couleurs, éléments hautement symboliques, sans risquer de réintroduire le sens ? En 1979, Donald Judd décida de quitter New York et de créer une fondation à Marfa, au Texas, la Fondation Chinati. L’idée était de préserver et de présenter ses œuvres monumentales dans un environnement privilégié ; le projet s’élargit ensuite aux œuvres des grands noms du Minimalisme, Carl André et Dan Flavin notamment. Enfin, ces œuvres trouvaient un espace qui leur permettait de s’épanouir et de développer leurs qualités de pureté et de simplicité.