HIMALAYA, l`enfance d`un chef

Transcription

HIMALAYA, l`enfance d`un chef
Rencontre avec Sylvie Carcedo - Technicienne du cinéma
autour du film Himalaya
année scolaire 2002/2003
HIMALAYA, l’enfance d’un chef
32 semaines de tournage à 5 000 mètres d’altitude. 1 400 km parcourus à pied. Des tonnes de matériel transporté par une armée
de 200 sherpas. 21 cols franchis à très haute altitude. Des tempêtes de neige. Des températures allant de + 30° à –40°.
L’association Collège au Cinéma 37 a eu la joie de recevoir Sylvie Carcedo, une technicienne du cinéma qui a
travaillé comme première assistante du chef opérateur sur le long et difficile tournage du film Himalaya, l’enfance
d’un chef. Cette rencontre passionnante et enrichissante a eu lieu au CDDP de Tours le mercredi 26 mars 2003, à la
suite du prévisionnement du film au cinéma Studio une semaine auparavant.
Ce résumé de la rencontre, réalisé par Gaëlle Morlong, a été complété de diverses informations trouvées dans des
ouvrages.
Brève présentation de sa fonction d’assistante-opérateur sur le film Himalaya :
Son activité a consisté à s’occuper des trois caméras qui ont servi pour le tournage, c’est-à-dire essentiellement
l’entretien de ce matériel ainsi que de faire la netteté, avec les divers objectifs, sur les comédiens. Le tournage a
duré huit mois ; de septembre à novembre 1997, suivi d’une interruption de trois mois où l’ensemble de l’équipe
française est rentré en France puis de fin février au début du mois de juillet 1998. Le film a été tourné en Super 35,
transféré ensuite en CinémaScope.
Éric Valli et le Dolpo :
Le but du réalisateur Éric Valli était surtout de laisser un témoignage sur la situation de cette région reculée qu’est
le Dolpo (situé au Nord-Ouest du Népal, à la frontière du Tibet occupé par les Chinois). L’échange du sel et des
céréales entre le Nord et le Sud par les caravanes est un élément vital de l’économie de la région. Cette double
transhumance s’effectue dans des conditions parfois extrêmement périlleuses. Mais ces voyages de caravanes de
yaks pour aller chercher le sel en franchissant des cols à plus de 5 000 mètres d’altitude sont de plus en plus rares.
Aujourd’hui, le sel arrive d’Inde par la mer et des routes qui viennent de la mer jusqu’au Tibet ont été construites. La
concurrence est rude sachant qu’un yak peut transporter au maximum 30 kg de sel, alors qu’un camion en charge
plusieurs tonnes. Le réalisateur souhaitait raconter une histoire assez simple pour ce film qui est un réel témoignage,
tourné avec des personnages locaux authentiques. En effet, son amitié avec Thilen Lhondup (Tinlé dans le film) est à
l’origine de ce long-métrage, qui est à la fois un documentaire et une fiction.
Les personnages :
Éric Valli connaît les « vieux » qui jouent dans le film depuis de longues années. Ils vivent dans ces villages reculés du
Dolpo. Thilen est un vrai yak-pa (c’est-à-dire un conducteur de yak), chef de son village, et le film a été construit
autour de lui et de sa vie.
Les « jeunes » sont, eux, originaires
de Dharamsala. Gurgon Kyap
(Karma) vit désormais à Paris où il a
tenté de devenir comédien ; il
travaille
désormais
comme
décorateur de cinéma. Karma
Tensing Nyma Lama (Norbu) est un
véritable lama tibétain qui vivait à
Lhassa. Il a été fait prisonnier par les
Chinois, mais s’est enfui en Inde en
passant à pied par le Dolpo.
Son rôle a été inspiré de la vie de Tenzing Norbou, un grand ami d’Éric Valli, Lama et peintre du Dolpo, trop âgé
pour jouer son propre rôle. Lhapka Tsamchoe (Péma), née dans le sud de l’Inde, est la seule interprète du film qui ne
connaissait pas les réalités de son pays d’origine. Passionnée par le Tibet et par ses traditions, elle s’est totalement
immergée dans la vie du peuple des montagnes. Ici belle-fille de Tinlé et mère de Passang, elle avait fait ses débuts
au cinéma dans Sept ans au Tibet de Jean-Jacques Annaud. Karma Wangiel (Passang) joue le rôle du petit-fils de
Tinlé, celui qui plus tard prendra la tête des caravanes. Son désir d’enfant était d’aller à Katmandou y suivre des
études, et c’est là qu’il est à présent.
Tout comme pour les personnes âgées qui jouent dans le film, on ne connaît pas l’âge du jeune garçon, les Dolpo-pa
n’ayant pas de registres d’état civil.
Pour l’équipe « jeune », un casting traditionnel a été organisé dans les rues de Katmandou…
Le scénario, qui a été écrit par Éric Valli et Olivier Dazat, a évolué lors du tournage. Au jour le jour des choses
étaient réécrites « au gré de l’expérience des protagonistes, car cette histoire colle tellement à Tinlé, Norbu, et
Karma qu’ils avaient forcément leur mot à dire ». Éric Valli est un photographe, quelques problèmes de mise en
scène avec les comédiens se sont donc posés à lui. Les notions de raccord, de montage lui étaient étrangères et c’est
là que le chef opérateur intervient également.
La préparation du tournage :
Le village que l’on voit au début du film se trouve à trois jours de marche de la première petite ville qui dispose de
quelques commerces. Les dolpo-pa se déplacent à pied ou à cheval. Les techniciens ont donc du s’accoutumer à ce
mode de vie très particulier, et surtout à l’isolement.
Les repérages ont été effectués par le réalisateur, le directeur de production et le régisseur général. En ce qui
concerne plus particulièrement Sylvie Carcedo, la phase de préparation a essentiellement été, comme avant chaque
tournage, trois semaines d’essai du matériel technique (caméras, objectifs…). Aucune phase de préparation
physique spéciale, mis à part un peu d’entraînement en montagne. Avant le départ, toute l’équipe technique a tout
de même passé des tests de capacité respiratoire et de récupération en altitude
Arrivée dans le Dolpo, Sylvie a été très malade et a dû faire
des séances de caisson hyperbare à cause des problèmes
d’oxygène. Le caisson est gonflé et la pression de l’air y est plus
importante qu’à l’extérieur. Le problème vient du fait que
lorsque l’on est en manque d’oxygène, on fabrique trop de
globules rouges. Il faut environ une semaine d’adaptation à
l’altitude. Un médicament contre le mal des montagnes lui a
également été donné par les médecins présents sur le tournage
(qui travaillent habituellement aux urgences de Chamonix).
L’équipe :
Quinze français sont donc partis dans cette aventure népalaise, dont une maquilleuse-coiffeuse-scripte (difficile à
trouver), une photographe de plateau qui a également réalisé le making-off du film. Quelques techniciens présents
lors de la première partie du tournage ne sont pas repartis au Népal après les mois de pose passés en France,
notamment le chef opérateur et les deux plus jeunes de l’équipe. En effet, certains n’ont pas supporté les conditions
climatiques, cette façon de vivre très différente et l’éloignement. Sylvie Carcedo reconnaît qu’il est difficile de tenir
seule à l’autre bout du monde dans de telles conditions, en laissant ses amis, sa famille. De plus, l’altitude fatigue
énormément. Un téléphone-satellite permettait de garder un infime contact avec les proches restés en France (la
production offrait à chaque technicien français dix minutes gratuites de communication par semaine, ensuite il fallait
payer 20 francs la minute !).
L’équipe image était d’abord composée de trois personnes, pour trois caméras. Heureusement que deux autres
personnes sont arrivées en renfort par la suite.
S’ajoute à cette équipe française toute une infrastructure népalaise :
des spécialistes des treks qui géraient les commandes de nourriture ainsi que six cuisiniers, une trentaine de
comédiens, quarante sherpas (guides dans l’Himalaya) et des porteurs, et une centaine de yaks dont environ vingt
apparaissent dans le film. Le yak est un animal qui n’est pas plus haut qu’une vache, très peureux, un peu idiot mais
gentil. Une centaine de personnes ont été mobilisées pour ce tournage. La langue n’a pas été un obstacle à des
échanges très forts entre les personnes : Éric Valli parle népalais, le film a été tourné en tibétain, l’équipe ajoutait à
cela le français et l’anglais. Le plus difficile au niveau de la compréhension était d’expliquer ce qu’il se passait aux
dolpo-pa qui ne connaissent pas ou très peu la notion de cinéma. Ce n’est qu’après avoir vu le film sur grand écran
à Katmandou qu’ils ont pris conscience que tout cela était un témoignage de leur culture. Le film a eu un succès
immense là-bas. Nous imaginons leur fierté quand le film a été nominé pour représenter le Népal aux Oscars, dans
la catégorie meilleur film étranger.
Les conditions du tournage / les conditions climatiques :
Chaque technicien avait sa tente installée à côté des villages, mais certains étaient logés chez l’habitant. Les maisons
dolpo-pa sont sombres, sans fenêtres, avec uniquement un trou dans le plafond pour évacuer la fumée du foyer qui
se trouve au milieu de la pièce (endroit sacré). Il n’y a pas de mobilier, juste quelques « étagères » pour disposer
les ustensiles de cuisine. Ils vivent par terre, sur des tapis qu’ils sortent pour dormir.
Au total, le campement regroupait une quarantaine de tentes (une tente cantine, une tente hôpital…).
Les menus étaient peu variés : du riz tous les jours, des lentilles, des pommes de terre, très rarement de la viande (du
yak ou de la chèvre) étant donné que les dolpo-pa ne tuent pas les animaux pour les manger, ne chassent pas. On
mange un animal uniquement lorsqu’il meure de manière naturelle.
Les températures sont descendues jusqu’à –30° la nuit (-25° sous la tente). Il a également fallu s’accoutumer à des
normes d’hygiène très minces, se laver une fois par semaine dans les rivières qui ont fini par geler. Une tente
sanitaires-douche a donc été mise en place, les cuisiniers faisant chauffer de l’eau. À mi-tournage, une terrible
tempête de neige a obstrué les cols habituellement praticables. Un chemin au milieu des avalanches a donc été
ouvert afin de continuer à avancer. Mais étant donné les conditions déplorables, l’équipe française est rentrée en
France pour quelque temps.
Le retard pris était énorme : la mousson a duré très longtemps, le mauvais temps est notamment arrivé au monastère
de Chedongpa à deux jours de marche du village de Charka que l’on voit au début du film. L’équipe a été
contrainte d’y rester une semaine au lieu de trois jours. Lorsque les scènes de neige devaient commencer, il faisait
beau et il n’y avait pas de neige. Ensuite, il y avait trop de neige donc le lieu de tournage était inaccessible. Au
mois de novembre l’équipe est restée bloquée sans pouvoir filmer une image et n’a pu travailler qu’une semaine. Les
scènes d’intérieur ont été tournées pendant qu’il neigeait trop dehors. Pour la descente au lac, la neige est arrivée
alors que le soleil était attendu. En ce qui concerne la scène de la tempête de neige, il faisait beau. L’équipe a donc
tourné face au Nord, en sortant un canon à neige, et une machine pour faire de la fumée. Afin d’avoir la meilleure
lumière possible (et donc une belle image), les scènes étaient essentiellement tournées très tôt le matin ou en fin
d’après-midi. Par chance, la mousson est arrivée le dernier jour du tournage au mois de juillet.
La scène des funérailles célestes : (voir fiche élève)
La mort n’est pas du tout conçue comme chez les occidentaux. Le taux de mortalité est d’ailleurs encore très
important de nos jours au Népal.
Seuls les lamas assistant à cette cérémonie des funérailles funestes. Lors du tournage de la scène, cinq ou six aigles
sont apparus, tournoyant dans le ciel, dès les premières prières, les premiers chants des lamas. Leur venue n’était
pas du tout prévue dans le scénario. Malgré l’aspect un peu horrifiant que peut avoir cette coutume, la danse des
lamas autour du cadavre fut très émouvante pour Sylvie Carcedo. Le corps (ici celui d’une chèvre) est découpé à la
machette sur une pierre qui fait office d’autel.
La scène du lac de Phoksundo / de la falaise :
Le tournage a eu lieu à plus de 4 000 mètres sur un étroit et vertigineux passage surnommé « le sentier des
démons », mais tous les membres de l’équipe étaient désormais habitués aux chemins népalais très étroits. Les trois
cents mètres de dénivelé étaient tout de même impressionnants, à dix-huit mètres au dessus du lac dont la
température avoisinait les 6°. La production a payé l’entretien de ces chemins qui furent construits pierre après
pierre.
La caméra était tantôt posée sur le chemin, tantôt au-dessus de la falaise, tantôt en contre-bas.
Un faux chemin a été spécialement construit pour la scène où le faux yak (en fibre de verre) tombe à l’eau afin de
pouvoir placer la caméra en face. Éric Valli a réellement assisté à une telle scène quelques années auparavant.
Divers :
Deux écoles existent dans le Dolpo, ouvertes six mois par an, essentiellement fréquentées par des garçons. Ils sont
ravis d’aller à l’école, d’apprendre le Népalais, le Tibétain et l’Anglais. Le Dolpo est une région tibétaine qui a été
annexée par le Népal. Les réfugiés tibétains vont surtout à Katmandou, qui est le pôle d’attraction de la région et
la ville de toutes les débauches. Les vieux des campagnes descendent vivre à Katmandou l’hiver, mais ils sont ravis
de rentrer chez eux.
Les femmes travaillent énormément, également aux moissons. Les hommes travaillent moins, s’occupant
essentiellement des labours au mois d’avril.
Le développement touristique est faible, même si des treks très onéreux commencent à être organisés. Il faut payer
un droit d’entrée dans le Haut-Dolpo de 70 $ par jour, par personne, et de 70$ par semaine dans le Bas-Dolpo.
Nous vous signalons une exposition qui a lieu actuellement et jusqu’au 4 août 2003 au musée national d’Histoire
Naturelle de Paris « Himalaya-Tibet : le choc des continents ».
Le film Himalaya, l’enfance d’un chef produit par Jacques Perrin (un des derniers « vrais » producteurs français qui
se bat vraiment et qui est encore très courageux) a été très rentable.
Sylvie Carcedo a depuis Himalaya travaillé de nouveau avec ce producteur sur le film Le Peuple Migrateur. Elle
travaille actuellement sur un documentaire pour une soirée Théma de la chaîne Arte consacré au pigeon. Désormais,
elle ne souhaite plus travailler sur des tournages traditionnels, c’est-à-dire avec des acteurs, mais préfère de loin
œuvrer dans le domaine du documentaire.