MEMOIRE MASTER 1 Eric Belléard

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MEMOIRE MASTER 1 Eric Belléard
UNIVERSITE DE ROUEN
U.F.R. De Psychologie, Sociologie, Sciences de l'éducation.
De la folie au handicap psychique,
quelle place pour l'éducateur
spécialisé ?
MEMOIRE POUR LE MASTER 1 DE SCIENCES DE L'EDUCATION.
Juin 2009.
Eric BELLEARD
sous la direction de Madame Catherine Tourette-Turgis
1
Je remercie l'ensemble des adhérents du club
Mozart pour leur accueil et leur aimable
participation.
Je remercie également
les administrateurs de
l'association
Espoir
33,
Monsieur
Jean-Paul
Labardin, Directeur du club Mozart, et les
éducateurs(trices) spécialisés(ées) pour
leur
contribution et l'accueil chaleureux qui m'a été fait.
2
«Ma solitude si durement éprouvée,
Souvent ressentie comme un animal qui mord,
Qui fait penser aux autres, mais pétri de remords,
Je fuis au son de musiques sacrées, enlevées !
Mon coeur d'un choeur se rend plus doux, pluriel,
plus fort !
Ecouter...c'est déjà dire au coeur des autres !
Le bonheur, par chez moi, serait-il des vôtres ?...
Un chant de l'âme adoucit bien des efforts;
J'essaie...Je chante à vous...m'attache...vous qui
pouvez,
De même ville...entendre un air sous les pavés.»
+Bernard Roux-Salembien,
adhérent au club Mozart.
SOMMAIRE
Introduction
p5
3
Chapitre 1 : Une brève histoire de la folie.
p9
1.1.
La folie au Moyen-âge
p 10
1.2.
La folie à la Renaissance.
p 12
1.3.
La folie sous l'ancien Régime.
p 14
1.4.
Naissance de l'expérience moderne de la folie.
p 15
1.5.
Naissance du secteur psychiatrique.
p 18
Chapitre 2 : De la maladie mentale au handicap psychique.
p 21
2.1.
La loi de 1975.
p 22
2.2.
Les années 80/90 et le livre blanc de la psychiatrie.
p 23
2.3.
La loi du 11 févier 2005 et la reconnaissance du handicap psychique.
p 26
Chapitre 3: Le handicap psychique, quelles spécificités et quelles pratiques ?
p 28
3.1.
Définition du handicap psychique
p 28
3.2.
Maladie mentale et psycho-pathologie..
p 30
3.3.
Le rapport Charzat.
p 34
Chapitre 4 : Éducation spécialisée et travail sur la relation.
p 39
4.1.
L'éducateur spécialisé et le transfert dans la relation éducative.
p 40
4.2.
Aspects et structures de la relation humaine.
p 43
4.3.
L'éducateur spécialisé : un professionnel de la relation et du savoir-être. p 45
4.4.
travail relationnel de p 48
Problématique du travail de recherche : le
l'éducateur confronté au handicap psychique ?
Chapitre 5 : Enquête, analyses et commentaires.
p 52
5.1.
Présentation du terrain d'enquête et de la méthode d'enquête.
p 52
5.2.
1ère journée d'enquête : partage d'une journée ordinaire.
p 56
5.3.
ème
2
ème
journée d'enquête : entretiens avec les adhérents du club Mozart.
p 65
journée d'enquête : entretiens avec les éducateurs du club Mozart.
p 74
5.4.
3
5.5.
Analyses et commentaires
p 88
Conclusion
p 102
Annexes
p 104
Bibliographie et sitographie
P 108
INTRODUCTION
4
La folie, de tout temps, a intrigué et fasciné. Elle a suscité de l'attrait et de la terreur et n'a
jamais laissé indifférent. Elle est un effondrement du sens et apparaît lorsque la question de la
relation à l'Autre et à soi se retrouve dans un conflit psychique indépassable. Elle envahit
l'être et sa psyché et propulse la personne qui en est atteinte vers la déraison et l'aliénation. La
personne atteinte d'une telle déraison ne communique plus que sur un mode étrange. Le
rapport avec son environnement devient une épreuve douloureuse.
Les fous, devenus au fil de l'histoire, des malades mentaux, ont longtemps été tenus à l'écart
de toute vie sociale. Pourtant, à chaque période de l'histoire, l'homme s'est comporté
différemment face à cet inexplicable. Aussi, est-il, peut-être, plus intéressant de nous
demander quel rapport nous entretenons avec la folie plutôt que de tenter une hypothétique
définition.
Aujourd'hui, un autre regard sur la maladie mentale commence à s'affirmer après de longues
luttes sociales et juridiques, sans oublier l'avancée de la médecine et avec elle de la
pharmacopée. D'autres alternatives à l'hospitalisation psychiatrique pour des malades mentaux
dont la maladie n'est plus évolutive apparaissent dans le paysage social. Ces alternatives
permettent à la personne atteinte de troubles psychiques stabilisés mais invalidants sur le plan
des relations humaines et du quotidien de passer du registre du médical à celui d'une vie en
société plus normalisée. Progressivement, des dispositifs d'accueil et de soutien qui
accompagnent ouvrent une autre voie à ces personnes en leur offrant la possibilité de se
maintenir et de se soutenir dans un quotidien hors de l'hôpital psychiatrique.
Cependant, le retour du malade mental dans la société peut être une épreuve douloureuse pour
lui et son entourage. En effet, en passant d'un lieu de soin protecteur à un univers social qui
peut s'avérer inhospitalier, au regard de ses troubles psychiques, le risque est grand d'une
décompensation psychique. Il apparaît donc de plus en plus important de penser et d'aménager
des dispositifs qui s'inscrivent dans la réadaptation sociale de ce public afin que ce retour
s'effectue dans un mouvement de transition adapté à leurs problématiques.
Récemment, avec la loi du 2 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées que nous abordons dans ce travail au
chapitre 2, l'Etat s'engage à mettre en place diverses mesures de compensation visant à
combler un manque et à réduire un déficit liés aux troubles psychiques. Il considère que tous
5
les individus n'ont pas les mêmes compétences et que le principe d'égalité des chances doit
être sauvegardé à condition que la personne handicapée bénéficie d'aides adaptées.
Ainsi, pour ces personnes, un autre «passage» s'ouvre, grâce à cette transition entre la maladie
mentale et la reconnaissance du handicap psychique dans la loi du 2 février 2005. Mais cette
logique de compensation du handicap psychique doit s'appuyer sur des pratiques
professionnelles inscrites dans des projets d'accompagnement prenant en compte l'impact des
réalités sociales et relationnelles sur le ressenti émotionnel de ces personnes.
Les troubles liés à la maladie mentale impliquent un risque accru d'exclusion. Si des murs
commencent à tomber entre la maladie mentale, l'inadaptation sociale et le handicap
psychique, alors un début d'articulation entre les travailleurs sociaux-éducatifs et la
psychiatrie peut commencer à voir le jour. Les travailleurs sociaux-éducatifs et, avec eux, les
éducateurs spécialisés sont aux premières loges pour accueillir les personnes souffrant de
troubles psychiques. Ces professionnels, en effet, exercent leur métier dans ces «passages»,
accompagnateurs vers les chemins de rencontre, se situant essentiellement dans ces interstices
entre le social, l'institution, le groupe et la personne en situation de fragilité. Ce travail de
recherche est l'occasion de nous intéresser au travail relationnel de ces professionnels lors d'
accompagnements en vue d'une réadaptation sociale de personnes porteuses d'un handicap
psychique.
L'éducation est définie comme la mise en œuvre des moyens propres à former et à développer
la personne. Comment l'éducateur spécialisé peut-il, alors,
utiliser ses compétences
relationnelles pour favoriser le développement de personnes
dont les problématiques
psychopathologiques lui sont relativement inconnues? Jusqu'alors, ces professionnels
n'avaient pas ou peu de contacts avec un tel public, longtemps dévolu à la psychiatrie. Cette
évolution, que nous soulignons dans ce travail, axée sur un rapprochement des politiques
sanitaires avec les politiques sociales, oblige t-elle l'éducateur spécialisé à redessiner sa
pratique, à s'appuyer sur de nouvelles références théoriques, à acquérir de nouvelles
compétences relationnelles et une autre éthique de la relation ?
Afin de répondre à ces questions, nous avons souhaité identifier les modalités d'accueil et
d'accompagnement à travers une pratique relationnelle dans un lieu de travail spécifiquement
conçu pour ce public et appréhender en quoi la relation éducative (et donc relationnelle)
permet à ces personnes de se sentir soutenues dans leur projet de retour à une vie sociale ?
6
Avant d'aborder l'enquête de terrain, nous avons voulu porter notre regard sur l'histoire de la
folie et comprendre comment se sont construites les représentations sociales liées à la folie et
l'évolution de celles-ci du moyen-âge jusqu'à nos jours. Nous avons souhaité, par cette
recherche, dévoiler le fil historique durant lequel s'est progressivement construit le
rapprochement entre folie et éducation spécialisée.
Le chapitre 1 présente les rapports que la société a entretenu avec la folie, du moyen-âge à nos
jours, pour parvenir au moment culturel qui a transformé la folie en maladie mentale.
Le chapitre 2 continue notre exploration historique et sociologique et s'intéresse aux raisons
qui ont poussé les politiques sanitaires et sociales à créer des liens entre la maladie mentale et
la notion de handicap .
Le chapitre 3 explore la question du handicap psychique et vous présente la spécificité de ce
public, et la nécessité de penser des lieux adaptés à ses troubles. Il met aussi, en évidence, les
raisons historiques et sociales qui amènent l'éducateur spécialisé à croiser le chemin de
personnes porteuses d'une maladie mentale invalidante.
Ces trois chapitres sont pour nous, une manière de comprendre si le travail effectué
actuellement par des éducateurs spécialisés auprès de personnes handicapées psychiques peut
représenter une innovation historique quant à la prise en charge de la maladie mentale au
regard de la pratique psychiatrique.
Après vous avoir présenté la spécificité des problématiques liées au handicap psychique, nous
abordons dans le chapitre 4 la spécificité du métier d'éducateur spécialisé, notamment à
travers ses compétences relationnelles qui sont le cœur de sa pratique. Cela nous conduit
progressivement à la problématique de notre travail de recherche en faisant se rejoindre la
folie et par conséquent la maladie mentale, à travers la personne handicapée psychique, et
l'éducateur spécialisé, à travers ses compétences relationnelles au service d'un public qui
jusqu'alors, lui était inconnu.
Nous avons voulu comprendre comment se construisent et se régulent les interactions entre
les éducateurs et les personnes porteuses d'un handicap psychique. Nous avons aussi cherché
7
à faire émerger les effets que produisent, chez ces personnes, cette interaction avec les
éducateurs et quelles sont les valeurs sous-tendues dans ces relations.
Comment se construisent, par le biais des interactions entre les éducateurs(trices)
spécialisés(es) et les personnes porteuses d'une problématique psychique, les conditions
favorables à un accueil et un accompagnement adaptés ? Cette étude a comme finalité de
porter un regard sur une pratique relationnelle auprès de personnes malades mentales et de
voir si, celle-ci, est en mesure d'apporter une aide bénéfique en vue de leur réadaptation
sociale.
Chapitre 1 : Une brève histoire de la folie.
Ce n'est que depuis peu de temps que nous accordons une place à la maladie mentale en
Occident. Le fou, était autrefois un malade ignoré. Perçue comme une manifestation du
8
démoniaque ou du sacré, la folie est considérée par les sociétés primitives jusqu'au temps de
la Renaissance comme une possession du mauvais esprit qu'il faut chasser du corps.
Ainsi, l'histoire de la folie relève plus d'une histoire des idées religieuses que de la médecine.
Le philosophe Michel Foucault nous démontre que c'est la dimension cosmique et tragique
qui prévaut sur le fou : « Ce qu'il y a dans le rire du fou c’est qu’il rit par avance du rire de la
mort »1
Jusqu'à la Renaissance, les possédés, les démoniaques, les pervertis par le surnaturel sont
condamnés à l'errance. Il y a comme une sorte d'incompatibilité avec la construction d'une
organisation sociale cohérente. Le fou fait peur et il ne faut pas s'en approcher au risque de se
retrouver confronté aux forces du mal et d'être à son tour plongé dans les limbes du démon.
Accusés de tous les maux, les fous, à cette époque, sont parfois considérés comme le diable et
comme des sorcières. Ainsi, ils peuvent être brûlés sur les bûchers ou bien chassés, battus et
vendus à des marchands peu scrupuleux. Leur sort n'est pas enviable. On les craint comme la
peste et ils n'ont leur place que dans la hiérarchie des vices.
L'étymologie du mot folie, vient de fol,(enflure,bosse,grosseur), puis de folis, (soufflet, sacs,
outre remplie de vide). Ainsi, faire le fou en temps de carnaval, était et reste encore, montrer
à tous, le vide que l'on a dans la tête, c'est-à-dire la déraison.
Un rapport complexe s'est souvent noué au cours des âges entre les différents modes
d'organisation sociale et cette résistance singulière que la folie pouvait opposer. La folie étant
une sorte de réponse aux maux de la société qui a toujours fabriqué ses «avatars». Elle est
donc intimement liée à la société qui la produit. C'est ce que nous allons tenter de comprendre
dans les pages qui suivent.
1. 1. La folie au Moyen-âge.
Il y a deux époques, au Moyen-Âge, durant lesquelles la société a traité ses fous
différemment.
1 Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972.
9
Durant la première partie du Moyen Âge, du VIème au XIème siècle, le christianisme s'impose
avec force et affirme la transcendance de l’âme sur le corps. Le soin médical est avant tout
une affaire de charité et appartient principalement aux religieux. L'église, en profitant du
savoir médical qui est considéré essentiellement comme un fait religieux, affermie son
pouvoir et sa domination sur les âmes. La guérison de la folie ne peut passer que par la foi. Le
malade, et en particulier le fou, que l'on croit possédé par un esprit diabolique, est exorcisé.
Ainsi, ce que la science ne comprend pas, la superstition l'explique. Aussi, puisque la
souffrance est un instrument du salut, il n'est nul besoin de la faire reculer. La folie est donc
une punition divine en cette première partie du moyen-âge. Elle est une conjuration du démon
qu'il faut chasser de l'esprit mauvais par un rite expiatoire.
Cependant, même s'ils renferment le diable dans leur esprit, les fols sont relativement bien
traités. Ils ne sont ni condamnés, ni rejetés par la collectivité. En effet, du fait de l'esprit de
charité qui règne alors, refuser celle-ci, c'est craindre de repousser le Christ lui-même. Aussi,
on laisse le fou, porteur d'un symbolisme riche et inquiétant, déambuler dans la cité. De plus,
il est reconnu et proclamé lors de fêtes et de liesses et se retrouve installé dans les rangs du
pouvoir en jouissant de nombreux privilèges. Sa folie est utilisée comme satire morale et
amusement public servant à railler le luxe et la puissance. Le fou du roi peut ainsi profiter de
son impunité puisqu'on ne condamne pas un innocent !
Mais, à partir de l'an 1000, l'Occident est projeté dans un monde chaotique rempli de misères
et de troubles religieux. La France, en effet, entre dans une période de crise. La famine, les
intempéries, la guerre contre l'Angleterre, l'arrivée des épidémies, contribuent à ruiner le pays.
En 1348, la grande peste noire fait des milliers de victimes ce qui entraîne un traumatisme
profond dans la société. Cette période d'insécurité provoque des réactions de peur et ébranle
l'autorité divine de l'église.
Le peuple, plongé dans l'ignorance et la détresse se réfugie alors dans des croyances
superstitieuses et des pratiques magiques qui restent leurs seules ressources. Ces superstitions
et ces croyances religieuses nourrissent les délires qui expriment inconsciemment une révolte
sociale et alimentent la conviction des chasseurs de sorcières. C'est à cette époque que la folie
s'est retrouvée apparentée avec la sorcellerie. Elle aura bien du mal à s'en affranchir par la
suite.
10
Puis, des mouvements hérétiques se sont amplifiés, exprimant par leurs paroles et leurs actes,
un espoir en une vie meilleure. Pour maintenir l'ordre moral et politique, le Pape Innocent III
créé l'inquisition en 1199 car il faut, à tout prix, combattre l'infamie et l'incroyance en
rétablissant l'ordre monarchique et religieux. Des tribunaux ecclésiastiques sont nommés pour
juger les hérétiques, comme les fous ou les sorciers, qui doivent être châtiés ou brulés vifs. Il
s'agit alors de combattre le diable. Ceux qui survivent sont enfermés avec les prisonniers de
droit commun, déportés et éloignés de la cité.
Foucault nous montre que le fait de chasser le fou, au moyen-âge, n'est pas seulement lié à la
sécurité ni à l'utilité sociale. Il rapproche cette pratique d'un rite religieux qui concerne l'eau.
Le fou est embarqué vers de lointains horizons à travers les océans. Ainsi, l'eau emporte le fou
et en même temps le purifie. La navigation livre le fou à l'incertitude du sort, du destin, il
devient un passager, c'est à dire, un prisonnier du passage2. Il part vers l'autre monde et
débarque en venant de l'autre monde. Cet autre monde raisonne comme un au-delà, l'au-delà
de la vie, donc la Mort. Foucault nous dit : «la folie(...)c'est le déjà-là de la mort »3. Ainsi, ce
lien entre néant et folie au XVème siècle est puissant et subsistera très longtemps encore.
L'auteur cherche, dans son travail, à dégager les traces qu'ont laissés les temps anciens dans
notre conception moderne de la folie. Il repère ainsi, dans la navigation des fous, une place
symbolique et un sens qui existe jusqu'à nos jours. C'est ainsi qu'à la folie sont attribués, à la
fois, les menaces, les inquiétudes, les angoisses et les secrets du monde. Cela subsiste encore
de nos jours. Plus loin dans son ouvrage, Michel Foucault constate que le destin de la folie
accompagne celui de la pauvreté. Ainsi, comme la folie, la misère glisse après le moyen-âge,
«d'une expérience religieuse qui la sanctifie, à une conception morale qui la condamne.»4
1.2. La folie à la Renaissance.
A la Renaissance, un véritable esprit critique et humaniste se développe et impose
progressivement un changement de la société et de ses modes de pensées. La science et la
raison s'opposent aux pratiques magiques et aux explications démoniaques. La recherche de la
vérité ne passent plus par Dieu.
2 Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, p.26.
3 ibid
4 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard,1972, p.70
11
La maladie mentale attire alors le regard des médecins, des artistes comme Jérôme Boch, J.
Brueghel, des écrivains comme Rabelais, Cervantès ou Shakespeare. La littérature à la
Renaissance place la folie au centre de la raison et de la vérité. L'exemple le plus parlant est
l'ouvrage daté de 1509 du philosophe Erasme (1469-1536), intitulé : Eloge de la folie. Dans
cet ouvrage, Erasme donne la parole à la folie faisant son propre éloge dans ce monde
religieux du début du XVIème siècle.
Une pléiade de médecins jettent les bases d'une démarche et d'une pensée déjà psychiatrique
en s'opposant à des pratiques qui se veulent exécutoires et dignes d'une époque révolue mais
cependant encore en usage à cette époque. La maladie mentale tente donc de s'arracher de ses
anciennes parentés avec la sorcellerie pour être reconnue comme pathologie, dont on essaie de
déterminer les causes et les effets. Le plus célèbre d'entre les médecins de la Renaissance,
Jean Wyer (1515-1588), tourne en dérision les inquisiteurs et affirme que : « le devoir des
moines est de s’estudier plutôt à guérir qu'à faire périr par fagots.»5
Ainsi, le péril que désigne la folie n'est plus d'ordre cosmique. A partir de la Renaissance, elle
menace la raison humaine et vient fragiliser les frontières établies de l'Etre en nouant des jeux
dialectiques entre raison et folie.
Si le lien de la folie avec le surnaturel n'est plus une évidence à la Renaissance, une
représentation du fou, déréglé, anormal, commence à apparaître. Il devient dangereux comme
les criminels et les débauchés, c'est la raison pour laquelle il est exclu du milieu social ou bien
se retrouve enfermé.
A la Renaissance, la folie, devient progressivement une hantise car elle peut apparaître
n'importe où, n'étant pas localisée dans un espace fermé. Ainsi, elle devient un péril perpétuel
qui menace l'ordre du monde comme l'exercice de la raison.
Cependant, lorsque le fou est enfermé, certaines âmes charitables et certains médecins tentent
parfois d'humaniser leurs conditions de réclusion. Aussi, nous voyons apparaître, ici ou là,
5 JeanWyer, De l'imposture du diable, 1563.
http://tecfa.unige.ch/tecfa/teaching/UVLibre/0001/bin43/renaiss.htm (consulté le 25 mars 2009)
12
quelques tentatives d'éducation qui sont, à la fois, les prémices d'une nouvelle gestion de la
folie et les composantes d'une prise en charge hospitalières et répressives de cette folie.
Pour illustrer nos propos, nous vous présentons un extrait de l'ouvrage de Jean Wyer, De
l'imposture du diable: « Estant doncques amené en l’hospital, un homme, d’esprit esmeu et
remué, il faut regarder au commencement si cette émagerie ou maladie d’hors du sens est
naturelle; Ou si par accident elle serait advenue, s’il y a espoir de santé ou de guérison… les
uns ont besoin de calmants et d’un régime, les autres doivent être traités avec bienveillance
afin d’être apprivoisés peu à peu comme des bêtes sauvages, d’autres ont besoin d’être
ésduqués, il en est pour lesquels l’enfermement et les chaînes sont nécessaires, mais on doit
en faire usage de telle sorte qu’ils n’en soient pas effarouchés davantage, dans la mesure du
possible, il faut introduire dans leurs esprits la tranquillité, point de départ d’un retour facile
du jugement et de la raison.»
En cette fin de la Renaissance et ce début de l'âge classique, comme le surnomme Foucault
dans son célèbre ouvrage, les tentatives de vouloir comprendre et cerner la folie pour la
rendre moins dangereuse sont le début d'une volonté de maîtriser celle-ci. Elle va devenir une
figure familière au sein de la société et ne plus être cette barque navigante vers un autre
monde. La barque va se transformer en hôpital. C'est ainsi que Foucault conclut son premier
chapitre: «(...) à l'embarquement des fous va succéder l'internement des fous.6»
Au 16° siècle, c'est la réflexion critique qui domine et Michel Foucault pense que la folie et la
raison , entrent en cette période dans une relation de réversibilité. Ce qui signifie qu'on ne les
sépare plus. La folie devenant une des formes même de la raison. On distingue donc, une folie
folle et une folie sage et on va inclure dans cette dialectique, la folie dans la raison et la raison
dans la folie7.
1.3. La folie sous l'Ancien Régime.
Michel Foucault a montré que la folie, comme maladie mentale, est le produit de notre
culture et de notre histoire8. Si la Renaissance a permis au fou de parler et de errer, l'âge
classique va les réduire au silence par l'internement dans des lieux, aux portes des villes.
6 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972.
7 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, P. 56.
8 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, p.67
13
En 1656, par un édit royal, est créé à Paris le premier hôpital général pour y enfermer les
oisifs, les débauchés, les vénériens, les homosexuels, les délinquants, les mendiants et avec
eux, les fous. Cependant, aucune idée médicale ne domine au sein de l'établissement puisqu'il
s'agit surtout de « redresser » et de faire travailler ceux qui sont une charge pour la société.
Au XVIIème siècle, de nombreux lieux vont être consacrés à l'enfermement. Foucault baptise
cette période de l'âge classique comme la période du «grand renfermement» dans l'histoire de
la folie. L'internement, à cette époque, est une manière de mettre en ordre la misère et n'est
nullement une pratique médicale. Il y a, dans cette pratique, un objectif moral, social et
économique.
L'approche de la folie à l'âge classique apparaît comme une séparation définitive de la raison
et de la déraison et qui se réalise en terme de ségrégation et de domination d'une contrenature (traitements spéciaux réservés aux fous dans l'espace de l'internement) 9. La pratique
d'enfermement ne fut jamais que la structure la plus visible de l'expèrience classique de la
folie. Des espaces clos d'enfermement s’étendent alors sur toute l'Europe (hôpitaux généraux
en France, Workhouses en Angleterre, Zuchthaûser en Allemagne) et les léproseries désertées
du Moyen Âge sont réinvesties par l'asile. Ces anciens lieux maudits que sont alors les
léproseries et qui sont hantés par la lèpre ont joué le rôle de désignation d'un groupe social
déterminé comme inhumain. Ils ont aussi eu l'effet d'imposer à cette frange de population un
espace rigoureusement séparé qui assurait pour le groupe exilant une complète sécurité.
Ainsi, l'enfermement de 1656 dans l'hôpital général est essentiellement un impératif social. Il
fallait faire un compromis entre les valeurs d'assistance de l'église (aider les pauvres) et les
valeurs d'ordre du monde bourgeois (encadrer le monde errant de la misère)10.
Cependant, derrière ces pratiques, il est à noter qu'aucune réflexion, ni aucun horizon médical
n'apparaît. L'internement fournit alors une main-d'œuvre bon marché, car c'est avant tout le
pauvre et l'a-social que l'on met au ban de la société. Cela permet ainsi de combattre l'oisiveté,
moralement condamnée au même titre que la paresse.
9 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, chp.2 et 5
10 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, p.60-64.
14
Aussi, les pauvres et les miséreux, doivent être nourris et assistés. Mais, en contre partie,
ceux-ci doivent abandonner l'oisiveté et la paresse. Il y a donc, à la Renaissance, une remise
au travail du pauvre. Michel Foucault nous montre que c'est l' impératif de travail qui explique
l'internement, et non la guérison, au sens médical du terme11. Toutes les personnes enfermées
sont considérées comme des asociaux et, en fonction de cette morale, de cette éthique du
travail, on les enferme, on les nourrit et on les dresse.
Foucault nous dit qu'il y a une valeur et un champ éthique dans la société qui définit une
norme. Il ajoute que c'est par rapport à cette norme qu'on va définir des étrangers qui sont, en
quelque sorte des a-normaux. Ces a-normaux, en franchissant les limites de l'ordre bourgeois,
s'aliènent hors des limites sacrées de l'éthique bourgeoise. Ce que l'auteur cherche à montrer,
c'est l'évolution, sur le plan social, dans laquelle la folie va s'inscrire à ce moment particulier
de l'histoire et durant lequel on va commencer à la penser autrement.
Pour conclure sur cette période, nous pouvons penser que l'enfermement était essentiellement
en lien avec les valeurs éthiques et morales de son époque.
1.4. Naissance de l'expérience moderne de la folie.
À la fin du XVIIIe siècle survient une période de récession économique. L'indigence semble
nécessaire au renouvellement de la prospérité économique. Ainsi, le pauvre n’est plus le
coupable de l'ancien-régime. Il n'est plus nécessaire de l'enfermer. En effet, il apparaît que
l'enfermement coûte cher à la société et ne doit plus concerner que les pauvres qui sont
malades. A cette catégorie vient se rattacher ces individus au comportement étrange que sont
les fous. Dés lors, et pour la première fois dans l'histoire de la France, une ligne de partage
entre la pauvreté et la maladie s'affiche clairement.
De plus, à la fin du XVIIIe siècle, des épidémies se développent. On accuse alors les fous
internés d'en être à l'origine par un effet de contagion. C'est la «fièvre des prisons» dit-on
alors. Selon Michel Foucault, cette «grande peur» attribue à la folie un caractère contagieux.
Le monde médical s'empresse d'entrer dans les prisons et de communiquer avec le monde de
la déraison car il s'agit de soigner le fou pour préserver la société et les autres catégories
11 Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972, p.102.
15
d'internés. Ainsi, un début de synthèse entre soins et internements commence à se faire. Le
«grand enfermement» dont parle Michel Foucault n'a pas duré plus d'un siècle.
C'est, à l'approche de la révolution française, que tout le monde réclame l'abolition de
l'internement car il est jugé trop représentatif de l'ancienne oppression monarchique. La folie
commence à se percevoir comme un dysfonctionnement social dont il faut se préoccuper pour
tenter de le réajuster. Elle n'est plus perçue comme incurable et devient peu à peu un objet de
soin. De plus, avec l'arrivée de la Démocratie, grâce à la Révolution, il se fait jour l'idée de
l'homme-citoyen. La pratique psychiatrique commence à s'imposer dans cette période
révolutionnaire comme une pratique citoyenne.
Le meilleur représentant et l'initiateur de cette pratique est le médecin psychiatre Philippe
Pinel (1745-1824). C'est à lui que l'on donne la charge de Responsable de l'hôpital général de
Paris. Il va modifier le regard et les conditions de vie des enfermés en les libérant de leurs
chaînes et en dressant une typologie des maladies mentales mais sans savoir les soigner pour
autant.Toutefois, il va mettre l'accent sur les causes de ces typologies qui vont pouvoir être
soit somatiques, soit psychologiques, soit institutionnelles. Il introduit dans son célèbre
traité12, le traitement moral, qui, selon lui, doit allier la bonté à une certaine fermeté. C'est
ainsi, grâce à Philippe Pinel, que l'insensé commence à devenir sujet.
La compétence médicale s'est donc imposée après la Révolution pour intervenir dans la
question posée par la folie à l'ordre social. On crée l'hôpital qui fournit enfin un cadre
d'intervention rationnelle au traitement de la folie. Celle-ci devient alors maladie mentale. Un
corps de métier s'instaure, les médecins psychiatres. Ces derniers deviennent détenteurs de la
science et du pouvoir de guérison de cette maladie.
Nous avons vu que, jusqu'au XVIIème siècle, le fou était isolé du monde dans un lieu
d'enfermement. À partir de l'expérience de Philippe Pinel, on va s'attacher à créer ou recréer
une sociabilité à l'intérieur de l'asile en libérant les malades de leur chaîne. En réduisant cet
écart, l'asile permet à ses malades de devenir semblables aux autres humains. De même, en
intégrant les liens familiaux des malades dans leur traitement, la dimension identitaire, social
et historique des personnes internées n’est plus évacuée.
12 Philippe Pinel, Traité médico-psychologique de l'aliénation mentale, Ed. L'Harmattan, réédition 2006.
16
En 1848, une loi est promulguée qui vise à protéger les malades et leurs biens en les déresponsabilisant tout en leur garantissant des droits. Quelque chose de fondamental change
alors : la folie est proclamée comme curable et le fou est pensé comme porteur d'un reste de
raison. Bientôt, des lieux spécifiques vont lui être consacrés. Il est séparé des prisonniers de
droit commun et pensé comme un malade dont il faut prendre soin. Ils se créent alors des
asiles dans chaque grande ville de France. Mais ce premier lieu consacré exclusivement à la
folie va devenir un échec car il se transforme vite en lieu de damnation, fermé sur lui-même,
qui resocialise en milieu clos. Dans cet espace, rien ne s'y renouvèle et la vie sociale que l'on
tente d'instaurer est un leurre, faute de diversité .
Cette volonté de recréer un lieu de sociabilité à l'intérieur des murs de l'institution agît,
finalement, en sens inverse en produisant de la désadaptation. L'aliéné qui retourne dans la
société porte alors le stigmate infamant de son passage dans l'asile13. Ce lieu va fonctionner
ainsi durant plus d’un siècle, jusqu'à la seconde guerre mondiale.
La mort de 40 000 malades mentaux sous l'occupation14, de 1940 à 1945, parachève cette
expérience moderne de la folie. Ces malades sont morts en raison de l'indifférence générale à
leur égard et du fait de leur impossibilité de trouver par eux-même à se nourrir. Aussi, ce n'est
pas le changement de nom de l'asile, en 1937, prenant l'appellation officielle d'hôpital, qui a
changé quelque chose.
Ce n’est qu’à partir de 1945 que la représentation sociale liée à la maladie mentale va
sérieusement évoluer comme le montre les pages qui suivent.
1.5. Naissance du secteur psychiatrique.
La participation à la Résistance française dés 1943 de plusieurs hôpitaux psychiatriques, tel
celui de Saint-Alban dans la Lozère avec, à sa tête, le célèbre psychiatre François Tosquelles 15
qui a hébergé de nombreux juifs et résistants et le comportement adapté dont ont fait preuve
les malades mentaux, démontrent qu'il n'était pas utopique de vouloir désenclaver l'hôpital.
13 Robert Castel, L'ordre psychiatrique. L'âge d'or de l'aliénisme. Paris, Editions de minuit, 1976, p.247
14 Isabelle Von Bueltzingsloewen, L'hécatombe des fous, éd Flamarion, collection Champ histoire, 2009
15 François Tosquelles (1912-1994), médecin psychiatre, un des inventeurs de la psychothérapie institutionnelle,
ayant fortement influencé la psychiatrie et la pédagogie au XXème siècle.
17
Malgré une réflexion commencée en 1945 et qui a abouti à l'instauration du secteur
psychiatrique, le traitement de la maladie mentale est marqué par des débats parfois houleux
mais qui ont permis, sur le terrain, de promouvoir des expériences originales.
A la libération, en 1945, c'est sous l'influence de psychiatres comme Lucien Bonnafé, Henri
Ey, François Tosquelles, Jean Oury, qu' une autre psychiatrie s'invente. L'idée d'un découpage
du territoire français en secteur d'intervention psychiatrique commence à naître ainsi qu'une
critique des institutions psychiatriques avec ce que l'on a appelé : l'anti-psychiatrie. Cette
dernière est lancée par le médecin psychiatre italien Franco Basaglia qui développe une
vision fermement politique en affirmant que la répression psychiatrique n'est qu'un élément de
la répression sociale. Privilégiant l'hypothèse de l'origine sociale des troubles mentaux et
rejetant les traitements psycho-thérapeutiques et médicamenteux, l'anti-psychiatrie a permis
certains débats sur la folie en privilégiant la recherche des alternatives à l’hospitalisation.
A l’aube des années 1960, le rôle de l'hôpital comme mode social de substitution est dénoncé.
La mauvaise conscience étant grandissante, le niveau économique du pays s'améliorant,
l'hôpital, comme seule réponse aux maux de la psyché, devient alors de plus en plus
anachronique.
C'est en 1954, autour du médecin psychiatre Philippe Paumelle que la première équipe
médicale de proximité s'est implantée dans le 13ème arrondissement de Paris. C'est une
expérience qui est restée longtemps la «vitrine» du secteur.
En 1957 et 1958, se sont réunis des psychiatres et des infirmiers sous l'égide des CEMEA
(Centre d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active). Cette instance avait un rôle de
réflexion et de formation des infirmiers. Parallèlement, un groupe de travail de psychothérapie
et de socio-thérapie institutionnel a permis une concertation centrée sur la psychothérapie
institutionnelle (H.Chaigneau, J.Ayme, J.Oury).
Au ministère de la santé, des psychiatres ont participé à des travaux auprès de la Commission
des Maladies Mentales. Cette Commission a élaboré la circulaire du 15 mars 1960 qui est
véritablement le texte princeps du secteur psychiatrique. Ainsi, l'avant-garde de la psychiatrie
souhaite imposer une autre conception du traitement de la maladie mentale par un modèle
thérapeutique original que l'on a dénommé : le secteur psychiatrique.
18
Les idées de base de la politique de sectorisation étaient les suivantes et sont toujours en
application aujourd'hui :
-«Entreprendre les soins psychiatriques à un stade aussi précoce que possible ,
- Eviter d'éloigner le malade de son milieu naturel ,
- Permettre une continuité de prise en charge par une même équipe médicosociale-sociale et ceci dans
une aire géographique donnée.»
C'est à partir de cette circulaire que l'on a commencé à considérer l'hospitalisation comme un
moment parmi d'autres du soin. Ce dispositif de sectorisation des soins psychiatriques
consiste essentiellement à diviser les départements en un certain nombre de secteurs
géographiques. A l’intérieur de chacun de ces secteurs, la même équipe médico-sociale doit
assurer, pour tous les malades, la continuité indispensable entre le dépistage, le traitement
sans hospitalisation (lorsqu' il est possible), les soins avec hospitalisation et, enfin, la
surveillance de post-cure.
Ainsi, le modèle français de la sectorisation est lancé avec ce souci d'articuler le traitement de
la maladie mentale avec le milieu social et familial de la personne soignée. Cependant, ce
dispositif se structure, malgré tout, d'une façon hospitalo-centrique. En effet, l'hôpital reste
encore fédérateur des actions en amont et en aval de l'hospitalisation et l'aspect médical
s'organise autour de ce lieu en présidant à toute action de soin. Les recherches d'alternatives à
l'hospitalisation à vie n'avaient toujours pas bousculé les «Establishments» professionnels et
une sorte d'enfermement dans l'approche soignante avait pris la suite de l'enfermement
asilaire.
Malgré tout, une nouvelle psychiatrie commence à voir le jour avec l’instauration du secteur
et, avec elle, l’idée d’articuler les pratiques médicales avec des partenaires du champ social.
Grâce à ce changement de vision, des thérapeutiques et des méthodes nouvelles commencent
à se mettre en place à l'aube des années 1970 permettant de réduire les durées
d’hospitalisation16.
Ainsi donc, progressivement, depuis 1945, des réflexions issues d’expériences, de pratiques
et de débats idéologiques ont traversés la psychiatrie pour aboutir à cette interface entre
16 Réf : site : www.ch-charcot56.fr/textes/c150360.htm (consulté le 01/02/2008)
19
maladie mentale et handicap psychique. La crise économique des années 1970 va accélérer la
mise en place du secteur médico-social qui fut le prémisse d'une reconnaissance du handicap
psychique. Cette reconnaissance n'interviendra, officiellement, qu'en 2005 .
En retraçant brièvement dans le chapitre suivant, l'historique de l'apparition du terme de
«handicap psychique», cela nous permettra de comprendre à quel degré d'évolution sociétale
et d'innovation se situe l'action des éducateurs spécialisés lorsqu'ils sont amenés à être en
relation avec ce public, longtemps dévolu à la psychiatrie.
Chapitre 2 : De la maladie mentale au handicap
psychique.
Marcel Jaeger parle des deux tentations que la psychiatrie a eu au cours de son histoire17. Il
nous démontre qu'elle a toujours été traversée par un débat entre la tentation médicale et la
tentation sociale.
17 Marcel Jaeger, L'articulation du sanitaire et du social, Ed Dunod, Paris 2000, p22
20
Pour certains, la psychiatrie appartient exclusivement au monde de la médecine, pour d'autres,
elle doit remplir un rôle spécifique de
socialisation des personnes malades. Par ses
innovations, par ses échecs et par le nombre de débats qui ont jalonné son histoire, elle a
préparé la construction du secteur médico-social.
L'une des tendances actuelles nous dit Marcel Jaeger est de rendre moins visible les frontières
entre le handicap, l'inadaptation sociale et la maladie mentale18. Aussi, l'emploi du terme
«handicap», apparu dans le courant du 20ème siècle, et qui sera généralisé à partir des années
70, englobe tout type de déficience, quelle que soit sa nature ou son origine. La «catégorie» de
personnes handicapées se substitue alors aux précédentes (infirmes, invalides, inadaptés,
idiots...) en les unissant sous une qualification commune de «personnes à réadapter». Elle est
associée à des dispositifs institutionnels et législatifs.
La fin des années 1970 est le théâtre de nouvelles transformations à l'échelle internationale
sous l'impulsion et la mobilisation collective des personnes handicapées et l'émergence de
mouvements pour la vie autonome de ces personnes. Ces transformations offrent de nouvelles
grilles de lecture de l'expérience du handicap et de nouveaux espaces d'échanges que les
personnes peuvent ou non s'approprier pour faire sens à leur biographie.
D'autres dispositions législatives sont ainsi intervenues, et ont fait suite à l'organisation de la
psychiatrie en secteur d'intervention, afin d'accompagner le retour du «fou» dans la société en
intégrant l'Education Spéciale comme moyen parmi d'autres.
2.1. La loi de 1975.
Parmi ces dispositions, la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées datant de
1975 a eu une importance considérable en instituant le statut de personne handicapée, assorti
de droits, de modes d'aide et de prises en charge spécifiques, en particulier dans le cadre d'un
secteur spécialisé.
18 Marcel Jaeger, L'articulation du sanitaire et du social, Ed Dunod, Paris 2000, p83
21
Cette loi a semé le paradoxe dans la mise en pratique d'une psychiatrie sectorielle, en faisant
de la maladie mentale et du handicap des concepts indissociables. Elle compte, à cette époque,
parmi les principaux acquis de la protection sociale en faveur des personnes inadaptées à la
vie sociale. Cette loi devient le couronnement de l'activité militante de nombreuses
associations à l'origine de la création d'institutions, d'établissements ou de services qui
accueillent, aujourd'hui encore, ces personnes dites handicapées.
C'est dans les années 1965 à 1975 que se sont développées des structures pour enfants puis
pour adultes. Ce développement a été si important qu'il est devenu difficile de les assimiler
aux structures sanitaires qui accueillent des personnes dont la problématique est différente.
Au delà du développement quantitatif du secteur social, c'est bien la différence de ses
perspectives par rapport à celles du secteur sanitaire qui s'impose progressivement. C'est dans
ces conditions que la nécessité d'une loi spécifique aux institutions sociales et médico-sociales
s'est imposée aux décideurs publics.
Il est affirmé dans les principes de cette loi de 1975 : «... la prévention et le dépistage des handicaps,
les soins, l'éducation, la formation et l'orientation professionnelle, l'emploi, la garantie d'un minimum de
ressources, l'intégration sociale et l'accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l'adulte, handicapé
physique, sensoriel ou mental, constituent une obligation nationale... »
Robert Castel nous fait remarquer que cette ligne de réflexion sur le handicap a mûri dans la
tradition de certaines formes de médecine et de psychiatrie sociale préoccupée par le
problème du travail, de la réinsertion professionnelle, de la réadaptation, du reclassement
social19.
Cependant, si cette loi est venu répondre à une nécessité en clarifiant les situations en
reconnaissant des droits aux personnes handicapées et en mettant en place un certain nombre
d'allocations ou garanties de ressource, elle n'a pas permis une véritable complémentarité des
interventions entre les secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux. Aussi, elle ne fait
nullement allusion à la situation de personnes ayant une maladie mentale.
Durant la décennie 1980, des rapports officiels vont marquer les esprits et alimenter les débats
en faveur de la spécificité de la problématique de ces personnes, ce qui aboutit à la parution
19 Robert Castel, La gestion des risques, Collection le sens commun. Edition de minuit, chap 3
22
du livre blanc de la psychiatrie20, acte fondateur pour le reconnaissance du handicap
psychique.
2.2. Les années 1980/1990 et le livre blanc de la psychiatrie.
- Le rapport Demay21 en 1982 indique qu'il est souhaitable que l'hôpital psychiatrique ne
garde plus la maîtrise de l'ensemble des interventions en santé mentale.
- Le rapport Zambrowsky22 en 1986, traitant de la modernisation et de la diversification des
modes de prise en charge de la psychiatrie française prône, lui, une dés-institutionnalisation
des soins.
Ces rapports sont une tentative de réponse à la loi d'orientation de 1975 dans laquelle il n’est
fait aucune allusion aux personnes handicapées psychiques. Seuls les termes de physique,
sensoriel et mental sont retenus. A l'époque, les personnes souffrant de troubles psychiques
sont considérées essentiellement comme des malades. A ce titre, elles ne peuvent bénéficier de
la législation en faveur des personnes handicapées et sont accueillies essentiellement en
établissement de soin. Ainsi, ces personnes sont, tout simplement, exclues des débats en
faveur de la prise en compte des handicapés, n’étant pas considérées comme tels.
C'est alors que l’on a
pris la commune habitude de qualifier les personnes reconnues
handicapées du fait de troubles psychiques par le vocable de «handicapées mentales» et de
confondre la déficience mentale avec le trouble psychique.
René Baptiste nous explique23 que cette appellation, somme toute banalisée, renvoyait une
image péjorative aux personnes atteintes certes de troubles psychiques mais non déficitaires
sur le plan intellectuel. Partant de ce constat, des familles de malades mentaux s'unissent en
association dans le courant des années 80. Elles entendent aider leur proche dans leur tentative
de retour à la vie normale, c'est-à-dire hors des murs de l’institution psychiatrique.
C'est ainsi que naît l’UNAFAM (Union Nationale des Familles et des Amis des Malades
mentaux) qui a beaucoup œuvré pour la reconnaissance des problématiques sociales et
20
21
22
23
M,Horassius et JJ,Kress, réf : www.psydoc-fr.broca.inserm.fr (consulté le 08/03/2008)
Réf site : http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/LivreBlanc/LBChap1.html (consulté le 08/03/2008)
ibid
Réné Baptiste, Reconnaître le handicap psychique, Ed Chronique Sociale, Collection l'Essentiel, Lyon 2005
23
environnementales liées à la pathologie psychique. Cette association,
reconnue d'utilité
publique, regroupe actuellement plus de 12 500 familles. Ces familles ont eu un poids
considérable dans le débat sur l'accompagnement social des malades mentaux de par leur
expérience douloureuse vécue auprès de leurs proches atteints par une problématique
psychique. Avec certains spécialistes de la pathologie mentale, elles ont pensé que l'insertion
dans la cité de leur proche peut contribuer à leur bien-être, d'autant que les progrès de la
pharmacologie rendent de plus en plus possible la normalisation des comportements sans
entraîner d'effets secondaires indésirables.
La lutte pour la prise en compte des malades mentaux dans les politiques en faveur du
handicap et sa différenciation avec le handicap mental commence. Cette lutte a trouvé son
apogée avec la publication en 2001 du livre blanc de la psychiatrie, précité.
Les buts poursuivis par les signataires de ce rapport sont de faire exister une population dont
le handicap est méconnu. En contribuant à la reconnaissance des caractéristiques particulières
liées à ce handicap, des réflexions se sont engagées afin de proposer des réponses aux besoins
spécifiques de ces presque 600 000 personnes en France, soit 1 % de la population.
Ainsi, deux types de handicaps se différencient à partir de la publication de ce livre blanc :
- Le handicap mental qui résulte de déficiences intellectuelles innées ou provenant de lésions
cérébrales accidentelles.
- Le handicap psychique qui résulte de pathologies psychiques dues à une maladie mentale.
Ces différenciations, certes, discutables sur le plan sémantique, ont cependant l'avantage
d'identifier clairement les différents besoins des personnes, même si certains troubles
psychiques peuvent retentir sur les fonctions intellectuelles des personnes et sur les
apprentissages.
René Baptiste24 nous explique, qu'en général, les personnes handicapées psychiques
conservent toute leur intégrité intellectuelle. Celle-ci peut néanmoins être altérée,
temporairement ou durablement, ou être ralentie lors des phases pathologiques actives ou par
l'effet second de certains médicaments.
24 ibid
24
Ces associations de familles, en cherchant à dissocier la maladie du handicap et en
considérant que le handicap est une conséquence et une séquelle de la maladie, ont contribué
à ce que des murs tombent entre ces différentes acceptions.
Pierre Vidal-Naquet25 explique que pour admettre une telle corrélation, il faut que la maladie
soit en quelque sorte « désactivée », au moins partiellement. La séquelle doit être postérieure
à la maladie. Elle est une trace laissée par elle, une fois la guérison advenue. C'est cette
guérison qui fait problème dans le cas de la maladie mentale fait observer cet auteur. En effet,
des périodes de «rémission », parfois très longues, peuvent être interrompues par des épisodes
de réactivation de la maladie. On a donc avancé l'idée que la maladie pouvait faire l'objet
d'une certaine «stabilisation». C'est une façon de signifier que les manifestations de la maladie
sont toujours possibles, mais ne sont ni fréquentes ni aiguës. En d'autres termes, la guérison
n'est pas acquise. La maladie est toujours là mais fait l'objet d'une certaine régulation. C'est
cette maladie «stabilisée» qui laisse donc des traces handicapantes.
Ainsi, le chemin vers la reconnaissance de ce handicap est largement emprunté à l’aube des
années 2000. Il va encore se poursuivre pour aller vers une reconnaissance officielle dans les
textes de lois. C'est ce que nous allons découvrir dans le chapitre suivant.
2.3. La loi du 11 février 2005 et la reconnaissance du handicap
psychique.
Une loi, votée en 2005, venant rénover la loi de 1975 a pris en compte les recommandations
inscrites dans le livre blanc au sujet des personnes souffrant de troubles psychiques. Cette loi,
intitulée: pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées date du 11 février 2005 et apporte des évolutions fondamentales en
concrétisant des principes forts qui sont :
25 Troubles psychiques et insertion professionnelle, Enquête auprès du réseau Galaxie, Mai 2003
25
-«L'accessibilité généralisée pour tous les handicapés dans les domaines de la vie sociale (éducation,
emploi, logement, transports...)
- Le droit à compensation des conséquences du handicap.
- La participation et la citoyenneté, mise en œuvre par la création de Maisons Départementales pour les
Personnes Handicapées.»
De plus, elle défini le handicap dans toute sa diversité en stipulant dans son article 2 que :
«constitue un handicap, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie
dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive
d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales ou psychiques, d’un poly-handicap ou
troubles de santé invalidants.. »
Ainsi, la reconnaissance officielle par la loi pour l'égalité des chances et des droits, la
participation à la citoyenneté de personnes handicapées est une étape décisive pour les
personnes handicapées psychiques. Le temps, durant lequel le handicap psychique était ignoré
ou mal défini, est révolu puisque le terme psychique est enfin inscrit dans une loi qui
redessine les pratiques de l'action sociale et médico-sociale. C'est une intégration pleine et
entière dans la société ordinaire pour des personnes qui ne veulent plus être considérées
comme des citoyens de seconde zone. Les collectivités territoriales, les associations, les
services d'aide doivent se mettre au service des bénéficiaires, et ce, de façon modulée au
travers d'un projet personnalisé d'accompagnement et de promotion sociale.
En se focalisant, comme l'indique le titre de la loi, sur l'égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté, le législateur semble avoir voulu introduire un important
changement de paradigme dans les politiques qui ont été menées depuis l'origine en direction
de ces personnes. Celles-ci peuvent désormais bénéficier d'un droit à compensation des
conséquences de leur handicap «quels que soient l'origine et la nature de leur déficience, leur
âge ou leur mode de vie.»
Cette compensation doit permettre l'accès à la citoyenneté des personnes qui souffrent d'un
handicap. Ce droit à compensation doit prendre en compte un certain nombre d'aides,
techniques et humaines dont peuvent bénéficier les personnes handicapées en fonction de leur
« projet de vie », c'est-à-dire de l'expression de leurs désirs et de leurs besoins. Il doit
également prendre en compte l'accessibilité des personnes handicapées dans divers secteurs
26
de la vie sociale comme la formation professionnelle, l'accompagnement vers l'emploi, le
logement, les transports, les loisirs, les services de communication etc.
Rappelant la définition de la compensation que l'on trouve dans l'article L.114-1-1 du code de
l'action sociale et des familles, nous notons que ce droit à compensation recouvre des
réponses aussi bien individuelles que collectives aux problématiques que rencontrent les
personnes handicapées psychiques:
« La compensation consiste à répondre aux besoins de la personne handicapée, qu'il s'agisse de l'accueil de
la petite enfance, de la scolarité, de l'enseignement, de l'éducation, de l'insertion professionnelle, des
aménagements du domicile ou du cadre de travail nécessaire au plein exercice de sa citoyenneté et de sa
capacité d'autonomie, du développement ou de l'aménagement de l'offre de services, permettant à
l'entourage de la personne handicapée de bénéficier de temps de répit, le développement de groupes
d'entraides mutuelles ou de places en établissements spécialisés, des aides de toutes natures à la personne
ou aux institutions pour vivre en milieu ordinaire ou adapté, ou encore en matière d'accès aux procédures et
aux institutions spécifiques au handicap ou au moyen de prestations accompagnant la mise en œuvre de la
protection juridique régie par le titre 11 du livre Ier du code civil. Ces réponses adaptées prennent en compte
l'accueil et l'accompagnement nécessaires aux personnes handicapées qui ne peuvent exprimer seules leurs
besoins.»
Avant de parvenir à la problématique précise de ce travail de recherche qui commence à se
profiler, à l'intersection de la psychiatrie, du handicap et de l'éducation spéciale, il nous est
apparu indispensable, de nous pencher sur la spécificité de ce type de handicap.
Chapitre 3 : Le handicap psychique : quelles
spécificités, quelles pratiques ?
Les malades mentaux qui étaient, dans le temps, fortement invalidés par la maladie ou le
traitement, peuvent maintenant prétendre, au moins pour certains, à (re)-participer à la vie
sociale.
27
3.1. Définition du handicap psychique.
Le Conseil Français des Personnes Handicapées pour les Questions Européennes26 (C.F.H.E.)
donne une définition très explicite du handicap en général et du handicap psychique en
particulier. D'après le C.F.H.E, le handicap
résulte de l'interaction entre la déficience,
l'incapacité qui en découle et l'environnement physique, social ou culturel. Cette situation de
handicap provoque une perte partielle ou totale d'autonomie et/ou des difficultés de pleine
participation et ajoute, quant à ce dernier, qu'il est, comme les autres formes de handicap,
relatif à l'environnement et se traduit par :
-«Une moindre capacité à s'adapter,
- Une difficulté à entrer en relation avec les autres,
- Une diminution des habiletés sociales.»
Et peut se caractériser par :
- «Sa variabilité dans le temps,
- Des troubles cognitifs ou comportementaux divers,
- Le poids négatif de sa représentation sociale.»
La problématique de ce travail de recherche prend sa source dans cette nouvelle donne
sociétale qui est la prise en compte de ce type de handicap et par conséquent de ce nouveau
public par les organismes ou services d'aide à la personne.
Nous nous intéresserons, plus particulièrement, dans le chapitre suivant, à un Service
d'Accompagnement à la Vie Sociale (S.A.V.S.) pour personnes handicapées psychiques.
De nombreux services d'accompagnement implantés dans la cité ont été créés pour favoriser
l'intégration sociale des personnes handicapées du fait de troubles fonctionnels, physiques ou
d'une déficience mentale. Seulement, nous l'avons vu, le handicap psychique n'est pas un
handicap mental. Il a sa spécificité car il est une résultante de la maladie mentale.
26 Réf : http://www.cfhe.org (consulté le 12 mars 2008)
28
En effet, le handicap psychique touche particulièrement les personnes souffrant de troubles
psychotiques. René Baptiste pense que chez la personne handicapée psychique, la phase aiguë
des manifestations pathologiques s'est estompée. Cependant, il ajoute que cette stabilisation
ne peut pas être interprétée comme une guérison. Les risques de récidive sont, en effet,
toujours présents et il y a bien, de façon concomitante, une maladie diagnostiquée qui a été
soignée, qui est stabilisée, mais qui est latente et une inadaptation socioprofessionnelle qui est
une résultante de la maladie avec une possibilité d'atténuation.
La maladie mentale comme toute autre maladie est identifiable au travers d'examens cliniques
qui rassemblent un ensemble de symptômes. C'est donc la manifestation des symptômes qui
atteste de la réalité de la maladie. Mais en même temps, ce sont ces mêmes symptômes qui
matérialisent le handicap. Il semble donc bien difficile, dans le cas de la maladie mentale,
d'opérer une réelle dissociation entre la pathologie et le handicap. Certes, la distinction n'est
pas inutile puisqu'elle permet à des bénéficiaires d'accéder au statut de travailleur handicapé.
Mais dans la réalité quotidienne l'implication est très forte, l'identification des deux états
n'étant pas toujours réalisable.
Afin de mieux comprendre le vécu du handicapé psychique et ce qui découle de sa souffrance
liée à ses troubles psychiques dans son rapport au quotidien, il nous a semblé intéressant de
tenter une approche de l'étrangeté de la maladie mentale. Nous avons voulu faire cette
approche, dans le chapitre suivant, à travers ce que l'on peut définir comme la science de la
souffrance psychique, c'est-à-dire la psychopathologie.
3.2. Maladie mentale et psycho-pathologie.
Jean Ménéchal évoque les termes de paranoïa, hystérie, obsession, perversité comme des
termes de la psychopathologie qui désignent des modes d'organisation psychique particuliers
de personnes27.
27 Jean Ménéchal, Introduction à la psychopathologie, Ed Dunod, Collection Les Topos, juillet 2006
29
Ces personnes adoptent des modes de pensées et des conduites qui les rendent différentes.
Une souffrance s'installe car elles ne réunissent pas à trouver facilement les ajustements ou
les aménagements que chacun accompli quotidiennement dans sa vie.
Il ne s'agit pas, ici, de présenter un « abrégé de psychiatrie » mais plutôt de tenter de
s’approcher du monde intérieur de la personne handicapée psychique. Nous ne chercherons
donc pas à rendre compte de toute la pathologie psychiatrique, extrêmement complexe du
reste. Nous tenterons d'illustrer les principales difficultés et souffrances vécues
quotidiennement par ces personnes de manière à nous engager, par la suite, sur les réponses
en terme de soutien, face à ces souffrances, que la société peut apporter dans le champ social.
Il n'existe pas, d'ailleurs, un seul type de folie, mais une diversité de troubles mentaux. Ils
émergent quelques tableaux cliniques typiques : les schizophrénies, les psychoses maniacodépressives, les dépressions, les phobies, les paranoïas... Voyons quelques-unes d'entre elles :
Ces quelques portraits caractéristiques d'affections psychiatriques de l'adulte sont tirés de
différents ouvrages spécialisés en psychopathologie de l'adulte tel que, Psychologie
pathologique de Jean Bergeret28, Psychopathologie de l'adulte de Q. Delay, B. Granger et F.
Azaïs29, Personnalité et développement de Grégory Michel et Diane Purper-Ouakil30.
-Les psychoses maniaco-dépressives :
Ce sont des affections psychiatriques majeures qui se caractérisent par un désordre de
l'humeur : la dépression ou l'exaltation. Elles se caractérisent par l'absence de facteurs
déclenchant. Ces facteurs ne sont ni psychiques, ni somatiques. On parle de psychoses
endogènes, c'est-à-dire inscrite dans le patrimoine héréditaire.
Aussi, il peut y avoir chez le sujet une succession d'état psychique alternant entre l'état
maniaque et l'état état mélancolique, ce qui donne le tableau clinique de la psychose maniacodépressive.
Un épisode maniaque correspond à une phase d'intense exaltation, de surestimation de soi, de
toute puissance, et d'une hyper-activité de la pensée et/ou du comportement qui reste
improductive pour la personne. Durant cet épisode, celle-ci est euphorique, parfois agressive.
28 Jean Bergeret, Psychologie pathologique, Ed Masson, 3ème Ed, Paris 1979
29 Q.Delay, F.Azaïs, B.Granger, Psychopathologie de l'adulte, Ed Masson, 3ème Ed, Collection Les âges de la
vie, Paris 2005
30 D.Purper-Ouakil, G.Michel, Personnalité et développement, Ed Dunod, Collection Clinique, Paris 2006
30
Ses troubles du comportement sont les témoins de l'accélération des processus psychiques. Ils
se manifestent au niveau des gestes par un faciès expressif ou bien, la personne est enjouée,
sans cesse en mouvement, son langage est volubile. Enfin, ses troubles intellectuels se
caractérisent surtout par la fuite des idées et une attention labile.
L'épisode mélancolique peut survenir brutalement ou progressivement après l'épisode
maniaque. Il est marqué par un désintérêt pour les activités habituelles, une asthénie
croissante, un sentiment de tristesse, une insomnie pénible et mal supportée.
La mélancolie est un état dépressif majeur et qui est particulièrement marqué par le
ralentissement des fonctions psychiques.
-Les paranoïas et les délires paranoïaques :
Le terme de paranoïa provient du grec para (à côté) et noos (esprit, raison) et désigne à la
fois, une personnalité pathologique et un délire chronique.
Les traits de personnalité du sujet paranoïaque sont : la méfiance, l'orgueil, la surestimation de
soi, le mépris d'autrui, l'incapacité à remettre en cause ses systèmes de valeurs ou de pensées,
la fausseté du jugement.
Les mécanismes psycho-pathologiques de la personne paranoïaque sont : le déni d'une partie
de la réalité, une dénégation des sentiments éprouvés, une projection des sentiments attribués
à autrui. Ces mécanismes sont des défenses rigides et inadaptées contre la sensitivité. Les
délires paranoïaques seraient des modes de réaction de la personnalité aux événements
extérieurs. Ils sont essentiellement interprétatifs et entraînent la conviction inébranlable du
sujet sur toute sorte d'opinion.
-La schizophrénie :
Ce terme désigne une psychose de l'adulte jeune caractérisée par un ensemble de symptômes
psychiques et dominés par une discordance sur le plan affectif. L'incohérence et l'ambivalence
des propos, l'état autistique, des hallucinations et des idées délirantes envahissent souvent la
personnalité. Ces troubles évoluent le plus souvent vers une dissociation psychique avec une
profonde désorganisation qui peut prendre une allure déficitaire de la personnalité.
31
Le concept de schizophrénie a d'abord été décrit par le médecin psychiatre Emile Kraepelin
(1856-1926) comme une démence précoce, puis par un autre médecin psychiatre Eugène
Bleuler (1857-1939) comme une «division» du cerveau. La schizophrénie est une dissociation
psychique. Ainsi, selon les tenants d'une conception organique, il n'y a pas de lésions du
système nerveux chez la personne mais une modification biochimique entre les neurones, au
niveau des synapses, qui expliquent la schizophrénie. Pour les tenants d'une conception
psycho-dynamique, ce sont des comportements défensifs et organisés qui visent à réduire
l'angoisse qui résulte des mauvaises expériences de l'enfance. La littérature psychiatrique a
décrit des pères autoritaires et passifs et surtout des mères anxieuses et hyper- protectrices
envoyant des messages contradictoires à leur enfant : « t'es un monstre, mais je t'aime... »
Enfin, selon les tenants d'une conception socio-génétique, c’est la société qui crée les
personnes schizophrènes. Le syndrome schizophrénique est une dissociation de la vie mentale
faite de bizarreries, de détachement de soi. Le schizophrène est une personne hermétique qui
se protège d'avoir des rapports affectifs trop étroits. Le processus de la pensée n'est pas altéré
mais mal utilisé, d'où l'impression de déficit. La pensée perd de sa fluidité. Elle est tantôt
tantôt précipitée, tantôt au ralenti, les mots sont détournés de leur sens ou créés de toutes
pièces. Les réactions de la personne sont inadaptées et imprévisibles et ses tentatives de «réaménagement» de ses rapports avec la réalité peuvent être altérées par un délire : le sujet
raconte des choses floues, incohérentes. Il peut avoir aussi un délire de persécutions : il a des
intuitions, a l'impression de sentir des choses. Ces «ré-aménagements» peuvent aussi passer
par des hallucinations psychiques avec l'impression d'avoir et d'entendre des voix ou bien des
délires non structurés, sans cohérence, avec parfois des thèmes mystiques ou de
persécutions...
-Les dépressions :
Ils existent plusieurs formes de dépression. La dépression est un terme qui désigne un état de
tristesse pathologique. La souffrance excessive, par son intensité et sa durée, tout comme sa
relation avec les événements de la vie font la différence avec les réactions de tristesse
normale. Les dépressions font partie des troubles de l'humeur et sont toutes caractérisées par
un syndrome dépressif majeur. La mélancolie est la forme la plus intense et la plus grave des
états dépressifs. Le syndrome dépressif majeur se manifeste par un ou plusieurs épisodes. Cet
32
épisode dépend à la fois du fonctionnement psychologique et de facteurs neuro-chimiques.
Les dépressions sont des maladies mentales très répandues qui se caractérisent par un état de
détresse profonde et qui dure une longue période empêchant la personne atteinte de mener une
existence normale.
Ce bref aperçu des affections psychiatriques les plus courantes nous font comprendre que la
maladie mentale se manifeste sous diverses formes dont la plus grave serait la schizophrénie.
L'encyclopédie médicale Larousse définit la maladie mentale comme : «toute forme de
troubles psychiatriques indiquant toujours un désordre ou une détresse psychologique.»
Divers états de psychoses, une affection mentale caractérisée par une altération profonde de la
personnalité font que la personne atteinte n'a pas toujours conscience de son état et peut
perdre alors, en partie, son contact avec la réalité. Ceci affecte négativement son aspect
psychique et physiologique en plus de son autonomie, son comportement, ses émotions, ses
habiletés, ses compétences et plusieurs de ses capacités dont celles d'apprendre, de se
concentrer, de mémoriser, de penser abstraitement, d'entrer en relation avec les autres, etc. La
personne atteinte souffre également de troubles de la pensée et devient très désorganisée, ce
qui l'empêche de faire adéquatement et efficacement face aux exigences de la vie quotidienne.
Afin de conclure notre présentation des spécificités et des problématiques liés à la structure de
personnalité des personnes handicapées psychiques, nous ne pouvions passer sous silence
l’impact important qu’a laissé et que laisse encore le rapport du parlementaire Michel
Charzat.
3.3. Le rapport Charzat31.
Nous nous appuierons sur ce rapport pour approfondir notre présentation de la spécificité que
représente le handicap psychique car aucun rapport avant celui-ci n’a pu évoquer avec autant
de justesse toutes les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes atteintes de ce
handicap et les réflexions et actions en termes de soutien et de compensation qui doivent être
31 Rapport Charzat consultable sur le site : www.ladocumantationfrançaise.fr (rapportpublics/024000350/index.shtml#)
33
apportées. Cela nous permettra, ensuite, de nous engager dans la problématique du travail de
recherche en ayant une connaissance plus précise du public que l'éducateur spécialisé est
amené à accompagner en vue de leur projet de réadaptation sociale.
Michel Charzat32 s'est vu confier en mars 2002 une mission d'analyse et de propositions sur la
situation des personnes qui se trouvent en situation de handicap du fait de troubles psychiques
graves et durables. Dans ce rapport, ce dernier évoque les résultats de l'enquête de la DRESS
(Direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques) sur la demande
d'aide des personnes en situation de handicap auprès de la COTOREP33 (Comité Technique et
d'Orientation et de Reclassement Professionnel) en 1998. Ces résultats font apparaître que le
quart des demandes d'Allocations Adultes Handicapés (A.A.H.) sur les 65000 demandes pour
l'année 98 est motivé par des déficiences psychiques. C'est la deuxième cause de demande
d’allocation adultes handicapés après les déficiences motrices et intellectuelles. En ce qui
concernant les difficultés vécues dans la vie quotidienne par les personnes souffrant de
troubles psychiques, Michel Charzat fait apparaître, dans ce rapport, des constantes qui
caractérisent ce type de handicap et qui se déclinent comme suit :
- La stigmatisation, la méconnaissance et la crainte du handicap psychique.
Ces sentiments étant renforcés par des représentations très anciennes sur la maladie mentale.
- La souffrance de la personne.
En effet, le trouble psychique blesse la personne dans son for intérieur, son estime de soi, son
rapport au monde et sa communication avec les autres... La personne court un danger pour
elle-même de part, souvent, une indifférence pour sa propre vie, un sentiment de
dévalorisation. Viennent se rajouter, des troubles de l'alimentation et du sommeil, et partant de
ce constat, la dégradation de son état physique. Elle peut aussi se mettre en danger
socialement par une soudaine démission de son travail ou des dépenses financières
inconsidérées.
- La fragilité, la vulnérabilité.
Du fait de menaces de stress qui sont induites par la vie quotidienne, la personne, pour éviter
une rechute, doit aménager sa vie pour limiter ce risque.
32 Michel Charzat, homme politique français, né en 1942 à Paris, économiste et universitaire.
33 Cette instance a été remplacée, depuis la loi de février 2005, par la Commission des Droits et de l'Autonomie
des Personnes Handicapées,
34
Ces aménagements sont contraignants mais nécessaires pour apaiser leurs difficultés d'«être
au monde». Par exemple, les personnes souffrant de troubles psychiques cherchent à éviter les
situations provoquant ces troubles. La vulnérabilité de ces personnes peut aussi concerner les
maltraitances et manipulations dont elles peuvent être victimes du fait de leur crédulité et la
perte de leur estime de soi.
- L'isolement.
Le repli sur soi et l'isolement sont les conséquences de l'éloignement progressif des amis, des
voisins, des collègues de travail et aussi de l’apragmatisme lié à la maladie, c'est-à-dire de
l'incapacité à décider et agir, pouvant entraîner l’inactivité et le confinement chez soi. Aussi,
les perturbations du rapport à l'autre, l'enfermement dans la maladie, l'oubli progressif de soi
et des autres peut mener la personne vers une rupture totale du lien social.
- L'imprévisibilité et la variabilité.
Il est difficile de prévoir les manifestations symptomatiques liées aux troubles psychiques tant
les changements brusques dans le comportement sont variables suivant l'humeur, le rythme et
les moments de la journée, les circonstances du quotidien et des rencontres. De plus, cette
imprévisibilité peut faire peur à l'entourage.
- La durabilité et l’évolution.
Le handicap psychique est un handicap au long cours, il n'est jamais figé car les troubles sont
labiles, évolutifs et variables dans le temps.
- Le poids des traitements.
Même si beaucoup de progrès ont été faits, les médicaments ne guérissent pas mais permettent
l'atténuation des troubles. Cependant des effets secondaires peuvent se présenter tels que, une
prise de poids, des nausées, des somnolences, des tremblements, etc.
- La souffrance de la famille.
35
Seules, face à la maladie, les familles sont souvent confrontées à l'insupportable et subissent
elles aussi les effets de la stigmatisation. Leur sentiment d'incompréhension, d'impuissance et
d'angoisse se transforme en souffrance qu'elles ne peuvent partager.
Ce rapport se clôt par huit recommandations indispensables qui posent la question de fond
concernant une indispensable coordination des actes et des moyens des acteurs oeuvrant dans
le sanitaire, le champ social ou éducatif afin d' aider ses personnes à se suffire à elles-même
au sein de la communauté. Voici ces recommandations :
- Faire l'inventaire de l'existant en matière d'accompagnement des handicapés psychiques et le faire
connaître.
- Développer une offre de soins de proximité en psychiatrie articulée avec l'offre sociale et éducative.
- Mettre en œuvre un plan d'action pour l'accueil et l'accompagnement des personnes handicapées
psychiques.
- Informer le public.
- Former les professionnels.
- Aider les associations d'usagers et de familles.
- Développer des programmes d'études et de recherches.
- Reconnaître et promouvoir le rôle des élus.
Notons que ce rapport pointe, dès son introduction, l'importance d'inventer de nouvelles
formes d'accompagnement. Il se termine en présentant les réalisations actuelles dans les
domaines :
- De la mise en réseau du sanitaire et du social.
- De l'accompagnement à la vie sociale.
- De la formation et de l'insertion professionnelle.
- De la tutelle et des curatelles.»
Certes, cette présentation est loin d’être exhaustive. Pour autant, ce recensement d'actions
concrètes reste un outil pour qui veut œuvrer en faveur de la réhabilitation des personnes
handicapées psychiques. La citoyenneté et avec elle, l'accompagnement social du malade
mental sont devenus des enjeux majeurs des débats en santé mentale. Une grande diversité de
petites et moyennes institutions offrent des services divers, hospitalier ou non : centre médicopsychologique, maisons d'accueil spécialisé, foyers et appartements thérapeutiques, services
36
de soins ou d'aide à domicile, etc. Les usagers des services de psychiatrie sont invités à
s'intégrer à l'environnement social, à se prendre en charge et à circuler entre ces services.
Ainsi, l'hôpital cesse d'être l'organisation centrale des prises en charge. Celles-ci sont
devenues ouvertes et faites de multiples connexions entre des lieux voués au soin psychique et
ceux voués au soutien social. La psychiatrie se doit d'évoluer en travaillant en collaboration
avec d'autres métiers se situant dans et hors champ hospitalier. Afin de répondre au mieux au
besoin de ces personnes, les évolutions en termes de réponses à apporter semblent transcender
les milieux de travail et les institutions. Auparavant, prisonnière d'une prise en charge
uniquement médicale et asilaire, la maladie mentale et les troubles psychiques font désormais
partie de la vie sociale, des politiques d'insertion et des dispositifs d'aide à la personne. Au
regard de l'histoire de la psychiatrie, de la folie, ou bien du travail social, il s'avère que les
frontières des métiers d'aide et de soin, jusque là, étanches entre elles, se trouvent bousculées.
Cette évolution sociétale amène donc un certain nombre d'éducateurs spécialisés à être de plus
en plus aux prises avec les questions de l'accueil, de l'évaluation et de l'accompagnement du
public en situation de handicap psychique.
Les travailleurs socio-éducatifs tels que les éducateurs spécialisés représentent fréquemment
le premier contact et la première «accroche» des personnes handicapées psychiques dans les
dispositifs de soutien faisant suite à leur prise en charge sanitaire. Ce sont des professionnels
de la relation et, en cela, ils sont capables de mesurer la réalité des difficultés des personnes et
de soutenir une relation d'aide. Ils ont un savoir et des modes d'intervention d'une autre nature
que ceux du psychiatre ou du psychologue.
Nous avons fait état de la nécessité d'accompagner au mieux cette population dans leur
insertion sociale. Cet accompagnement, les éducateurs spécialisés sont aux avant-postes pour
y participer.
Nous allons à présent nous pencher sur le métier d'éducateur spécialisé et sur le cœur de ce
métier, à savoir, le travail sur la relation et le savoir-être.
Il s'agit de la dernière étape avant de regrouper tous les éléments présentés jusqu'ici dans ces
différents chapitres et qui nous servirons à construire la problématique de notre recherche.
37
Chapitre 4 : Éducation Spécialisée et travail
relationnel.
Le choix que nous avons fait de tenter de cerner toute la complexité du handicap psychique
dans la sphère sociale a pour objectif d'explorer la question des pratiques d'accompagnement
social et éducatif envers ces personnes par les éducateurs spécialisés. Ces pratiques
38
s'effectuent à travers des échanges relationnels qui se nouent entre ces professionnels et ces
personnes.
La loi sur l'égalité des chances, le rapport Charzat ainsi que la fermeture de lits
d'hospitalisation viennent montrer que la spécificité des problématiques de ce nouveau public
dans le champ social nécessite des aménagements de la réalité. Aussi, confronté par définition
aux délicates missions de socialisation et de rééducation, le travail social doit faire face à
l'arrivée de ce nouveau public.Les dispositifs socio-éducatifs se doivent donc d'offrir une
autre «scène» à ces personnes atteintes de ce type de handicap.
Ce travail relationnel de l'éducateur spécialisé s'effectue au sein de dispositifs existants tels
que les Etablissements de Soin et d'Aide par le Travail (E.S.A.T.), les Centres d'Hébergement
et de Réadaptation Sociale (C.H.R.S.), les centres d'insertion professionnelle, ou bien au sein
de dispositifs nouvellement créés et adaptés à la spécificité de ce public tels que des Services
d'Accompagnement à la Vie Sociale (S.A.V.S.), des Groupes d'Entraide Mutuelle (G.E.M.),
des S.A.M.S.A.H.(Service d'Accompagnement Médico-Social pour Adultes Handicapés).
L'hôpital psychiatrique n'est plus, sauf exception, un lieu de vie pour ces malades, lesquels
vivent pour la plupart dans la cité. Aussi, l'éducateur spécialisé est la personne qui vise et
concourt à construire un nouveau système de rapports de la personne avec son entourage,
elle-même et son environnement. Ce système de rapports étant perturbé, l'éducateur, grâce à la
relation qu'il établit avec la personne et qui lui sert d'outil, l'aide à s'adapter aux exigences
d'une vie en collectivité.
4.1. L'éducateur spécialisé et le transfert dans la relation
éducative
Historiquement, le travail de l'éducateur spécialisé s'est positionné essentiellement dans le
champ social (inadaptation, public précarisé socialement) ou médico-social (handicap mental,
infirmes moteur-cérébraux etc). Aujourd'hui, avec l'évolution de la législation, des dispositifs
spécifiques favorisant l'inscription dans la communauté d'un public souffrant de pathologie
mentale sont nés de la volonté de quelques associations comme nous l'avons vu. Il apparaît,
39
au regard de la population des handicapés psychiques qu'une articulation des deux pôles,
social et médico-social, avec le champ sanitaire s'avère incontournable.
Marcel Jaeger34 qui s'est longtemps intéressé aux interactions entre santé mentale, psychiatrie,
médico-social et social souligne que l'étanchéité entre le secteur sanitaire et le secteur social
peut être un frein à l'innovation en direction de ce public. Il ajoute qu'il lui apparaît impérieux
de développer des prises en charge réellement médico-sociales afin de conjuguer, en
contrepoint d'un projet de soin, un véritable projet de vie, de socialisation et de réinsertion en
milieu ordinaire.
Aussi, l'éducateur spécialisé exerce son métier en collaboration avec tous les professionnels
de l'action éducative et sociale. Il a pour mission d'aider les jeunes ou adultes inadaptés au
quotidien et de faciliter leur insertion dans la société pour éviter qu'il ne se marginalisent. Il
aide les enfants, les jeunes ou les adultes inadaptés à se développer sur le plan intellectuel,
affectif, psychologique et social, afin qu'ils surmontent leurs difficultés quotidiennes et
puissent acquérir le maximum d'autonomie.
Michel Lemay35 décrit les objectifs de travail de l'éducateur spécialisé en ces termes :
«(...) Dans le cadre d'une équipe plus ou moins élargie, il vise par sa manière d'être et sa manière de faire à
constituer un lien privilégié de création, d'expression, de réalisation, d'identification et de projection
permettant, par sa présence effective, influente et significative, de proposer au sujet en difficulté un champ
d'expériences sociales l'invitant à se définir et à se redéfinir dans son identité personnelle vis-à-vis d'un
groupe social donné. »
Le travail éducatif s'enracine dans une rencontre entre humains. Les éducateurs spécialisés
côtoient tous les jours les exclus de la société. Le cœur de leur travail est cette rencontre,
difficile et éprouvante, avec des sujets en souffrance.
Si l'acte éducatif vise un changement chez les sujets qui sont confiés aux éducateurs
spécialisés, il exige également de la part de ces derniers une compétence, un savoir-faire et un
questionnement jamais achevé, sans cesse à remettre sur le métier qui rejoint une certaine
forme d'engagement de soi.
34 Marcel Jaeger, L'articulation du sanitaire et du social, Ed Dunod, Paris 2000, p6
35 Michel Lemay et Maurice Capul, De l'éducation spécialisée, Ed Eres, Paris 1996
40
Le cœur du métier consiste à restaurer la parole de chaque sujet, transmettre des limites,
accompagner à faire des choix de vie. L'éducateur cherche à construire un nouveau système
de rapports de la personne avec son entourage et avec elle-même, grâce à la relation qu'il
établit avec cette personne. Mais il y a une relation qui est privilégiée, et que l'éducateur
cherche à utiliser pour montrer aux personnes en rupture de liens relationnels que toutes les
relations ont une part d'ambivalence, et que les conflits auxquels ces personnes étaient
habituées peuvent avoir une issue différente de l'impasse à laquelle elles ont trop souvent
abouti. Cette relation privilégiée, c'est le transfert. Freud appelle transfert le développement
d'une attitude émotionnelle du patient envers le thérapeute, sous la forme d'une relation
affectueuse, positive ou d'une relation hostile, négative, dérivant dans l'un et l'autre cas des
relations antérieures de la personne avec l'un de ses parents ( ou les deux) et non de la
situation actuelle36.
De même, Joseph Rouzel affirme que l'éducateur spécialisé ne peut tenir sa place qu’en
s’appuyant sur un trépied qui convoque : l'institution qui l'emploie, les médiations culturelles
et le transfert37. L'auteur défend ce qu'il nomme une clinique de l'éducation dans le sens où le
cœur du travail éducatif est la rencontre avec un autre humain en souffrance. Le transfert est
le moteur de cette rencontre humaine explique Joseph Rouzel. En effet, l'éducateur spécialisé
a pour mission d'aider la personne à s'approprier le plus possible son espace psychique,
physique et social. C'est dans l'espace des médiations, à savoir l'espace du quotidien de vie et
d'activités diverses que l'éducateur
travaille la dimension transférentielle de la relation
éducative. Cette clinique du travail social s'opère dans une rencontre où l'éducateur spécialisé
est touché, affecté par ce qui se joue et se noue dans cette rencontre.
L'usager transfère sur la personne de l'éducateur un certain nombre de représentations, de
mots, de projections, de désirs, d’émotions, d'affects qui se ramènent tous à la supposition que
celui-ci pourra gommer sa souffrance par son savoir. Ainsi, la personne suppose que
l'éducateur détient un savoir qui lui permettra de se «sortir» de ses manques, de ses vides, de
ses peurs. Ainsi, la nature de la relation éducative dans sa rencontre avec l’Etre en souffrance
à laquelle se coltine l'éducateur est celle du transfert, à savoir : comment faire avec la charge
émotionnelle et affective renvoyée par l'usager? Comment comprendre cette souffrance, en
saisir le sens et trouver les mots pour l'objectiver et tenter de l’apaiser ?
36 Sigmund Freud, Joseph Breuer, Etudes sur l'hystérie, Ed Puf, Paris,
37 Joseph Rouzel, Le transfert dans la relation éducative, Ed Dunod, Paris 2002
41
Le transfert dans la rencontre est donc ce qui se noue et se dénoue dans une relation. Cela
s'effectue par les mots échangés. Cette médiation qui prend sa source dans le langage, mis en
acte par la parole, est une mise en scène de soi où s'énonce le sujet. Le travail éducatif et,
avec lui, la relation transférentielle, se fait dans une rencontre faite de parole durant laquelle il
s'agit de créer les conditions matérielles et psychiques pour accueillir ceux qui n'ont pas
trouvé les mots pour se raconter. La parole agit comme un cadre symbolique permettant au
sujet en rupture du lien à l'autre et à lui-même d'accéder à une demande et d'avancer dans la
voie du désir et par là même dans l'espace du social.
L'éducateur spécialisé n'est pas, en effet, un psycho-thérapeute, il est un psycho-pédagogue. Il
ne cherche pas à aller aussi profondément que le psychanalyste. Contrairement à ce dernier, il
ne peut maintenir une neutralité absolue. Aussi, l'éducateur étant un professionnel de la
relation, il se doit d'agir avec pertinence lorsqu'il est confronté à des situations et à des
personnes dont la problématique est complexe. Etant constamment impliqué dans une
relation, tout son ressenti joue un rôle prédominant dans la qualité de l'échange, la
connaissance et la reconnaissance de l’autre.
La relation éducative, par sa qualité, a valeur médiatrice. La situation qui rend bien
particulière cette relation est le partage d'un vécu quotidien par l'intermédiaire de multiples
petits actes concrets et l'engagement dans un « ici et maintenant ».
Aussi, les connaissances de l’éducateur qui doivent porter sur le développement de l'être
humain et sur ses vicissitudes lui sont nécessaires afin qu'il puisse les utiliser comme des
outils dans le domaine de l'observation et de l'intervention individuelle et de groupe.
Dans le domaine de la relation humaine il a été accumulé des notions directement applicables
dans les interventions éducatives, que l'on pense aux apports de la psychanalyse sur
l'expression de la psychopathologie de la vie quotidienne, sur la dynamique de groupe, etc.
4.2. : Quelques aspects et structures des relations humaines.
Edmond Marc et Dominique Picard dans Relations et communications interpersonnelles38,
montrent comment la relation humaine se structure à partir de facteurs comme le contexte
38 E.Marc, D.Picard, Relations et communication interpersonnelle, Ed Dunod, 2ème édition, Paris 2008
42
physique, culturel et social de la rencontre ainsi qu'à partir des facteurs de distance et de
temps. Selon ces auteurs, le contexte est constitué par le cadre, la situation et l'institution.
Celui-ci est porteur de normes relationnelles, de codes de communication et de rituels
d'interaction. C'est donc par ces différentes dimensions contextuelles que se déroulent les
relations humaines. Chaque institution, avec son projet et la spécificité de ses membres est
porteuse de certains types de rapports et avec eux, de certaines règles interactionnelles. Le
cadre, la situation et l'institution déterminent les relations et influencent le style relationnel
de chacun.
La nature de la relation dépend aussi de la distance physique et /ou psychologique entre les
protagonistes. La distance physique, parce que l'éloignement ou le rapprochement physique
instaure des types de relations différents et la distance psychique selon la familiarité ou le
degré de divergence entretenu avec l'autre. Mais il est possible de déterminer les
caractéristiques qui spécifient les relations avec les «familiers» et les opposent aux relations
avec les inconnus : par la décontraction, d'abord, et la connaissance immédiate que l'on peut
avoir de l'autre, ensuite. Effectivement, si l'on partage le même environnement culturel et les
mêmes expériences, cela entraîne une certaine forme de solidarité. Aussi, le niveau des
sentiments affecte les degrés de convergences ou de divergences entre les personnes.
Toujours est-il que la relation est prise en compte selon deux caractéristiques, nous disent ces
auteurs. Ces deux caractéristiques sont : l'attitude adoptée et la qualité du lien.
Également, les relations interpersonnelles se structurent à partir de la place qu'occupe chaque
protagoniste. Cette notion de place indique un positionnement dans un réseau relationnel et le
rôle social de chacun. Avoir «sa» place, c'est se sentir reconnu, identifié et différencié.«Être à
sa place», c'est montrer que l'on est inséré dans un ensemble et qu'une certaine place nous a
été assignée. Cette notion de place s'ancre dans une réalité objective et aussi imaginaire : on
peut attribuer imaginairement une place à quelqu'un dans la façon dont on ressent sa position .
Mais, toujours selon les auteurs Edmond Marc et Dominique Picard, l'aspect institutionnalisé
est dominant dans cette notion de rapport de place car celle-ci préexiste à la relation qui
s'instaure et découle de rôle sociaux (exemple: vendeur/client, professeur/élève...)
Nous pouvons aussi envisager que la relation répond à un besoin de reconnaissance d'autrui.
Le regard que l'autre nous porte influe sur notre estime de soi. Ce point de vue a été
développé par Eric Berne39. Selon lui, les relations interpersonnelles répondent à des besoins
39 Eric Berne, Analyse transactionnelle et psychothérapie, Petite Bibliothèque Payot, 1977, p32
43
pour l'être humain en terme de stimulation cognitive et affective, de reconnaissance et de
structuration de la personnalité.
Malgré la spécificité de chaque relation, avec ses multiples aspects et structures, nous
pouvons dégager une constante qui nous fait apparaître la relation interpersonnelle comme
première par rapport à la construction de la personnalité. C'est, en effet, à partir de
l'interaction avec autrui que se constitue notre conscience et la perception de notre identité.
Winnicott40 dit que c'est à partir de l'expression du regard de la mère que le bébé commence
à construire l'image qu'il a et aura de lui. Le regard de la mère est donc cette première forme
de reconnaissance et ce premier miroir. Il apparaît comme fondateur de l'importance d'autrui
dans la quête de soi, de l'autre et par conséquent du sens que l'on donne à son existence.
La nature de l'objet d'intervention de l'éducateur spécialisé est bien la relation humaine dans
toute sa complexité. Il fonde en premier lieu son intervention sur l'établissement d'une
relation, c'est à dire sur une rencontre inter et intrasubjective. L'établissement de cette relation
suppose, chez l'éducateur, le développement d'un certain nombre de qualités qui ne sont
jamais définitivement acquises et qui constituent son identité professionnelle. Cette identité
professionnelle qui est, elle-même, profondément dépendante de la personnalité même de
l'éducateur et de son savoir-être.
4.3. L'éducateur spécialisé : un professionnel de la relation et du
savoir-être.
La relation humaine constitue comme nous venons de l'énoncer, le fondement de la profession
de l'éducateur spécialisé. Le développement de la personne, la connaissance de soi et des
autres reposent sur les relations humaines et supposent la question de l'altérité. Cette question
de l'altérité est essentielle pour l'éducateur spécialisé qui la conçoit comme une dynamique de
va et vient entre lui et la personne ou le groupe. Cette dynamique interactive permet à chacun
de se reconnaître en se percevant comme sujet car identique à autrui.
40 Donald Winnicott, Jeu et réalité, l'espace potentiel, Ed Folio Gallimard, 2004
44
Raymond Chapuis pense que c'est la disparition de l'altérité qui explique la maladie mentale41.
Le malade se replie sur lui-même et se crée un monde irréel.
L'auteur évoque42 la relation à autrui comme étant de l'ordre de l'affectif puisqu'elle est
l'expression d'un vécu entre deux ou plusieurs personnes. Elle est, ajoute t-il, de l'ordre d'une
connaissance de l'autre appréhendée comme une réalité extérieure qui peut être saisie dans ses
constituants. C'est cette tentative de connaissance du fonctionnement de l'autre, qui permet de
prendre conscience de soi et de l'autre et fait émerger le souci de l'altérité. Aussi, nous dit
l'auteur, dans un travail relationnel, la qualité du lien entre les deux protagonistes apparaît
essentielle et dépend de la façon d'être ensemble. Lorsque la relation devient difficile, il faut
que l'un des protagonistes facilite le dépassement du conflit par son attitude. La façon d'être
doit inciter l'autre à dépasser ses limites en lui faisant prendre conscience de lui, de ce qu'il est
et de ce qu'il peut devenir (La psychanalyse emploi le terme de «catharsis» pour nous
expliquer les mécanismes de ce dépassement.).
Mais pour Raymond Chapuis, la qualité de la relation passe aussi par un tier médian qui est le
savoir. En effet, le savoir est un médiateur dans la recherche de soi et de l'autre, à condition
qu'il ne devienne pas un instrument de pouvoir et de domination . Le savoir doit faciliter la
connaissance et l'analyse du système d'interactions dans lequel les protagonistes sont pris.
Pour devenir un médiateur positif, le savoir doit être rassurant pour les personnes et porteur de
significations enrichissantes afin que la relation entre dans une dynamique de progrès.
Lorsque nous parlons de savoir comme support de médiation, nous parlons de savoir conçu
comme support de progrès permettant d'accéder à la connaissance de l'autre. Ce savoir est
donc de l'ordre de l'être. L'affectivité et l'intelligence sont, par conséquent, intimement liées.
C'est la raison pour laquelle nous pouvons évoquer, à présent, la notion de savoir-être .
41 Raymond Chapuis, La psychologie des relations humaines, Ed Puf, 8ème édition, Collection Que sais-je? p7
42 Ibid p11
45
Le travail relationnel se rapproche de la notion de savoir-être qui est un élément constitutif de
la profession de l'éducateur spécialisé comme nous avons pu le constater. Ainsi, relation à
l'autre et savoir-être sont intimement liés chez l'éducateur spécialisé et s'articulent ensemble
permettant à ce professionnel de réagir justement à des situations problématiques. L'existence
d'un savoir-être (attitude, posture) est une condition nécessaire au développement de
compétences relationnelles. Mais si la littérature traite abondamment de la notion de
compétence, il n'en est pas de même pour celle de savoir-être.
Sandra Bellier se propose de rendre intelligible les caractéristiques du savoir-être dans les
pratiques professionnelles43. Selon cette auteure, la première caractéristique du savoir-être
repose sur les qualités morales de la personne. Ces qualités sont de deux types, soient acquises
par l'éducation comme par exemple l'honnêteté, soient plutôt naturelles et construites dés la
naissance comme le sens de l'effort, l'autorité naturelle etc...( ce qui est de l'ordre du
caractère).
Ainsi, le «savoir-être» correspond à la capacité de produire des actions et des réactions
adaptées à l'environnement humain en mobilisant ces deux types de qualités. Ce savoir
correspond aussi à la manière d'agir, avec «tact», par une capacité à répondre promptement
avec sensibilité et pertinence à une situation complexe. Dans le cas de l'éducateur spécialisé,
cela signifie qu'il doit être capable de gérer la complexité d'une rencontre au cours de laquelle
la dimension de l'être en souffrance est centrale.
Ainsi, le «savoir-être» dans une relation éducative, c'est être capable de développer une
intelligence de la situation. Le savoir et le savoir-être jouent un rôle de médiation et incitent
au dépassement des conflits inter et intra-psychiques. La réussite de l'intervention du
professionnel dépend, au final, de sa capacité de compréhension grâce à son savoir. Cela pose
le problème de sa formation théorique et de sa manière d'être agissant comme force
sécurisante.
Avec la politique actuelle de dés-hospitalisation des malades psychiques et en lien avec la loi
du 2 février 2005, les éducateurs spécialisés assurent auprès de certains handicapés
psychiques vivant en milieu ordinaire un accompagnement au plus près de leur quotidien et de
43 S.Bellier, Savoir être dans l'entreprise: utilité en gestion des ressources humaines, Ed Vuibert, Paris 1998
46
leur intimité. Aussi, la qualité de la relation entre l'éducateur et le handicapé psychique
apparaît essentielle pour leur permettre d'atteindre un équilibre de vie satisfaisant.
Cependant, être éducateur dans le domaine de la santé mentale des personnes handicapées
psychiques demeure une profession en mutation comme nous l'avons démontré.
Traditionnellement, cette occupation relevait d'une présence à l'intérieur des murs de
l'institution psychiatrique.
Au regard de l'histoire de la folie, de la psychiatrie, de l' apparition sur la scène sociale d'une
politique de prise en charge du handicap psychique et de l'histoire de l'éducation spécialisée,
nous pouvons légitimement nous interroger sur l'attitude relationnelle des éducateurs
spécialisés et les effets que cette attitude (ou savoir-être) peut induire en terme de mieux-être
pour ce public. Telle est l'interrogation qui va dominer notre travail de recherche que nous
vous présentons à présent.
4.4. Problématique du travail de recherche : Quels sont les aspects
du travail relationnel de l’éducateur spécialisé confronté au
handicap psychique ?
Comme nous venons de le voir, l'éducateur spécialisé est un professionnel de la relation. Cette
profession s'enracine dans des savoirs issus de l'expérience et se fonde sur la connaissance et
la reconnaissance des difficultés et des limites de la personne aidée. Des dispositifs,
47
relativement récents et novateurs chargés d’accueillir et d’accompagner ce public, tentent
d'apporter des réponses spécifiques en terme relationnel liées à ce type de handicap.
L'objectif de notre travail de recherche consiste à questionner la pratique de l'éducateur
spécialisé auprès de personnes souffrant d'un handicap psychique notamment en ce qui
concerne ses compétences relationnelles et donc de son savoir-être qui sont les outils de sa
profession.
En cherchant à comprendre comment et pourquoi est apparu ce public dans le champ social et
quelles sont les particularités de ce handicap, nous avons été conduits à poser notre regard sur
la pratique des éducateurs spécialisés et à formuler la problématique de notre travail de
recherche comme suit :
Face à des situations complexes qui sont en lien avec les problématiques
psycho-pathologiques de personnes handicapées psychiques, l'éducateur
spécialisé a t-il les compétences relationnelles favorisant l'intégration sociale
de ces personnes ?
Pour répondre à cette interrogation nous avons passés quelques jours dans un service
d'accompagnement à la vie sociale que nous vous présentons en détails plus loin. Nous avons
souhaité questionner une pratique professionnelle auprès d'un public handicapé psychique et
reconnaître les compétences relationnelles qui sont mises en œuvre dans ce contexte. Par cette
approche compréhensive d'un contexte relationnel, nous avons voulu savoir comment des
éducateurs qui ne sont pas, à priori, formés et expérimentés pour faire face à des
manifestations psychopathologiques sévères, parviennent à produire des actions et des
réactions adaptées aux besoins spécifiques de cette population.
Cette tentative d'analyse d'une pratique a consisté à dégager et à identifier les différents
éléments de situations relationnelles, d'éclairer l'implicite qui préside aux actes, aux conduites
et aux comportements des professionnels afin d' avancer dans la compréhension des besoins
relationnels de ce public.
48
Partant des besoins et des difficultés relationnels des handicapés psychiques accueillis dans ce
lieu, nous avons souhaité observer les actes des professionnels et recueillir les discours de
chacun qui peuvent nous éclairer sur leurs postures relationnelles et les valeurs éthiques
inhérentes à ces postures contribuant à un processus de mieux-être pour ces personnes.
En nous appuyant sur les notions d'interactions relationnelles et de savoir-être que nous vous
avons présentées, nous avons tenté de déterminer les caractéristiques qui spécifient les
relations entre les professionnels et les usagers de cette structure. Enfin, nous avons souhaité
interroger les protagonistes sur les moyens qu'ils ont, en terme de formation ou d'analyse des
pratiques, qui peuvent leur faciliter la connaissance, l'analyse et le déroulement de situations
d'interactions complexes liées à ce type de handicap. Les outils qu'ils ont sont-ils satisfaisant
ou est-il nécessaire d'en trouver d'autres en terme de formation ou d'accompagnement ?
Lors des rencontres formelles ou informelles qui se sont déroulées sur le terrain d'enquête,
notre but fut de provoquer une parole au sujet des intentions qui sont véhiculées par l'attitude
relationnelle du professionnel. Cette mise en perspective ne peut esquiver la question des
finalités de l'éducation, et donc d'un questionnement renvoyant d'une part à la question du
sens et d'autre part à une certaine éthique du rapport à l'autre.
Nous avons imaginé, en guise d'hypothèse de travail que, confrontés à des manifestations
d'ordre psycho-pathologique complexes et auxquelles ils ne sont pas formés initialement, les
éducateurs(trices) spécialisés(ées) avaient pu acquérir des compétences par et grâce à un
dialogue continu et une relation de confiance entretenue avec les adhérents.
L'idée selon laquelle ces compétences avaient pu germer et progresser dans la quotidienneté
nous est apparue intéressante à explorer. Nous avons fait le rapprochement avec la théorie de
Vygotsky44 qui suggère que la construction de concepts se fait à partir de l'action et des
interactions sociales non formalisées et par une intériorisation des savoirs de référence
proposés par la formation. Vygotsky fonde ainsi un modèle de développement des
compétences qui reconnaît l'apport de l'expérience et la construction dans l'action. Nous
pensions que cette théorie pouvait avoir quelques similitudes avec notre recherche, dans le
sens de ce que Vygotsky définit avec la notion de «zone de développement proche». Cette
notion lui sert à définir l'écart entre ce que le sujet est capable de faire seul et ce qu'il peut
réussir en interaction avec autrui.
44 Vygotsky, Pensée et langage, Collection Terrains, Editions Sociales, rééditions : La Dispute, Paris 1997 p39
49
Prenant comme point de départ cette notion, nous avons posé l'hypothèse
d'une co-construction de la compétence relationnelle de l'éducateur
spécialisé qui serait issue d'une dimension interactive dans la relation avec
les usagers. Ce lien interpersonnel a permis l'appropriation d'une éthique
de la relation adaptée à la problématique psychique des personnes
accueillies.
Il nous est donc apparu incontournable, pour cette enquête, de partir à la rencontre d'un de ces
dispositifs d'accompagnement afin de décrire et de mettre en lumière les compétences
relationnelles que les éducateurs(trices) utilisent.
Nous avons choisi de nous intéresser au travail effectué par des éducateurs au sein d'une
association, composée de trois structures interdépendantes, qui se nomme l'association Espoir
3345. Elle se situe dans la ville de Bordeaux et constitue une émanation de l'association
UNAFAM du département de la Gironde.
Nous avons demandé au directeur, Monsieur Jean-Paul Labardin et à une des membres
fondatrices, Mademoiselle Simone Noailles, de bien vouloir nous recevoir pour nous raconter
l'historique de la création de cette structure et nous expliciter les principes et le projet qui la
fondent.
Ainsi, grâce aux propos recueillis et aux documents qui nous ont été fournis (règlement
intérieur et projet d'établissement) nous allons pouvoir vous présenter précisément ce terrain
d'enquête avant de vous expliciter la méthodologie que nous avons choisie d'utiliser pour
tenter d'apporter des éléments de réponse à nos questions.
Nous avions, préalablement à cet entretien, tracé quelques indications sur une grille46 qui allait
nous permettre de suivre un fil conducteur afin de recueillir le plus de données possibles .
45 Association Espoir 33 : siège social : 20 cours Gambetta, 33150 Cenon.
46 Les trois grilles qui nous ont servi de cadres pour les entretiens et observations que nous avons menés, sur le
terrain, sont présentées en annexes aux pages 105, 106 et 107.
50
Chapitre 5 : Présentation du terrain et de la méthode
d'enquête.
5.1. Présentation du terrain d'enquête.
L’Association Espoir 33 se compose de trois services d'accueil de jour et d'accompagnement
social appelés, Club Mozart, Club Delord et Club Gambetta.
51
Ils sont indépendants géographiquement les uns des autres et se situent, pour le Club Mozart,
dans le quartier du Grand-Parc à Bordeaux, pour le club Delord dans le quartier des Chartrons
à Bordeaux et dans le quartier de Bordeaux- Bastide pour le club Gambetta.
Ces services ont été ouverts respectivement en 1992, 1997 et 2001.
La volonté d'ouvrir ces services prend son origine après les constats qui furent faits au début
des années 90, suite à l'observation du devenir de plusieurs centaines de patients sortis des
institutions soignantes bordelaises.
Ces constats, présentés au Conseil de Santé Mentale de la Gironde en 199047 étaient les
suivants :
- Le parcours évolutif de patients ayant un diagnostic de psychose était très diversifié et non prédictif.
Aussi, leur parcours était rarement linéaire mais le plus souvent erratique, avec des infections qui étaient en
rapport avec de multiples facteurs, organiques ou sociaux ou psycho-affectifs.
- Puis, la « réussite » de la réinsertion à travers le logement individuel était le plus souvent un leurre.
Ainsi, les échecs de ces formes de réinsertion sont apparus liés principalement à trois facteurs :
- L'isolement social,
- L'inactivité,
- La rupture du suivi médical.
Chaque club de l’association est fréquenté par une soixantaine de personnes. Toutes ces
personnes sont suivies, par ailleurs, soit en hôpital de jour, soit en consultation dans un centre
médico- psychologique, soit par un psychiatre libéral.
La moyenne d'âge se situe autour de 40 ans. Les plus jeunes ont, à peu prés, 25 ans et les plus
âgées autour de 55 ans. Il y a approximativement 60 % de femmes et 40 % d'hommes. Si leur
état psychique ne justifie plus une hospitalisation, une tentative de vie totalement autonome,
sans suivi médical ni accompagnement socio-éducatif risquerait de les conduire vers la
rechute.
Cependant, le soin psychiatrique se déroule ailleurs. Chaque adhérent doit consulter
régulièrement le médecin psychiatre de son choix, soit en cabinet privé, soit en centre
hospitalier. Cette obligation est une des conditions d'entrée pour bénéficier des services de
47 Http://www.sante.gouv.fr/dress/santementale/3-...
52
l'association. Aussi, l'association n'a pas de lien avec le milieu médical, ce lien appartenant à
la sphère privée des usagers. Il est donc fait une nette distinction.
Un contact avec le service de soin de l'usager ou avec son médecin est effectué seulement
lorsque l'état psychique de l'usager ne lui permet plus de faire face à la situation vécue ou si
cet état représente un danger pour lui et l'entourage. Chaque adhérent vit dans un appartement
privé extérieur à l'établissement, dont il assure la gestion. Si un soutien est nécessaire, celuici n'est pas assuré par Espoir 33 mais en lien avec les organismes sociaux publics.
La loi du 11 février 2005 donne une dénomination générique à ce genre de clubs, avec
l'appellation de «Groupes d'Entraide Mutuelle » (G.E.M.) La vie dans ces Clubs ou Groupes
d'Entraide Mutuelle, accorde une grande place aux activités de loisirs et d'expressions.
L'agenda des activités est préparé une fois par mois, au cours du conseil des adhérents qui
réunit des membres et les éducateurs présents pour recueillir les idées, canaliser des envies
irréalisables ou en approfondir d'autres.
Deux principes possèdent un caractère fondateur pour l'action de cette association Espoir 33 :
- Le premier consiste à restaurer aussi complètement que possible la position de sujet des
personnes qui fréquentent le club.
Ceci se manifeste de façon formelle à travers les modalités de présentation et d'instruction des
candidatures des personnes qui souhaitent devenir adhérentes d'un de ces clubs. Cela se
manifeste aussi par le fait que les adhérents, une fois admis, fréquentent le club à partir de
leur initiatives personnelles et sans être tenu à un rythme ou une durée de présence, hormis au
moins un contact hebdomadaire qui constitue une obligation contractuelle. De la même façon,
les activités, les sorties, les projets doivent résulter d'une synthèse entre les suggestions des
éducateurs et les intérêts exprimés par les membres adhérents, tant au plan individuel qu'à
travers les réunions qu'ils organisent avec le concours de leurs propres délégués.
- Le deuxième principe consiste dans le respect du droit reconnu à tous les membres de
pouvoir disposer du cadre stable et sécurisant que représente le club pendant ses horaires
d'ouverture. En particulier, cet engagement des services vaut en priorité pour les weekends,
jours fériées et périodes de vacances.
53
En effet, il a été observé que les sujets qui ont un domicile individuel éprouvaient un
sentiment accru de solitude avec l'angoisse qu'elle peut provoquer, aussi bien en fin de journée
qu'avec le ralentissement de l'activité pendant le weekend. On peut enfin noter qu'il est
d'autant plus important que les clubs demeurent ouverts pendant ces périodes durant
lesquelles se trouvent fermés les dispositifs auxquels ils pourraient demander un soutien en
cas de détresse : consultation psycho-thérapeutique, hôpitaux jour, etc.
L'action de chacun de ses Services d'Accompagnement à la Vie Sociale ou Groupes d'Entraide
Mutuelle, est entièrement fondée sur l'intention de répondre aux trois difficultés majeures, que
représentent la fragilité plus ou moins durable des sujets, leur isolement et leur oisiveté.
Ces trois services ont été conçus par l'équipe fondatrice d’Espoir 33 en réunissant le
dynamisme et la compétence de familles de l’UNAFAM et de spécialistes de l'action médicosociale. Le projet et les principes d'action constituent la charte de fonctionnement qui a été
négociée et qui a pris forme conventionnelle entre le conseil général, le Centre Hospitalier
Spécialisé Charles Perrens de Bordeaux et l'Association Espoir 33. Cette dernière est la
promotrice des services et, dans le cadre du partenariat établi, elle en assure la responsabilité
complète.
Des acteurs, professionnels du travail social, et en particulier de l'éducation spécialisée sont
recrutés pour assurer l'animation quotidienne des clubs. Ils ont pour mission de mettre en
œuvre les principes d'action qui régissent le fonctionnement des services et qui visent à
procurer aux adhérents un soutien et un accompagnement leur permettant d'améliorer leur
niveau d'autonomie personnelle et sociale ou de maintenir celui qui a pu être rétabli.
Ce soutien peut être transitoire ou au long cours et peut subsister aussi longtemps qu'il paraît
utile. Les éducateurs spécialisés exercent leur mission avec l’ initiative et la responsabilité
propre à leurs compétences. Dans les situations qui peuvent impliquer des conséquences
importantes ou graves, ils sollicitent le conseil du responsable. Leurs observations et leurs
propositions sont débattues sous l'autorité du responsable à l'occasion des réunions de
coordination hebdomadaire.
Concernant le règlement de fonctionnement de chaque service, la diversité des situations et
les évolutions multiples qui peuvent avoir pour cadre les clubs, interdisent d'en figer le
54
fonctionnement par des règles stables et précises. Il est indispensable en effet de conserver
une flexibilité et une souplesse d'action pour tenir compte aussi bien de la dynamique du
groupe que des personnalités individuelles. En outre, les Clubs ou Groupes d'Entraide
Mutuelle constituent une formule innovante dont il faut préserver les capacités de créativité.
Chaque club est ouvert de 11 heures à 20 h 30 ou 18 h 30 selon les jours, du mardi au
dimanche inclus ainsi que les jours fèriés. Le samedi, ils restent ouverts jusqu'à 22 heures.
Les personnes fréquentant le club paient une cotisation tous les mois qui s’élève à 10 euros et
participent financièrement, à hauteur de 30 %, au paiement des activités de loisir qui sont
organisées. Ceci afin de se sentir co-responsables des actions menées et adhérentes aux
projets divers et variés leur permettant d’éprouver des relations sociales. C’est la raison pour
laquelle, la dénomination d’«adhérent» a été retenue plutôt que celle d’usager.
– Présentation de la méthode d'enquête.
Au préalable, nous avons rencontré les acteurs de terrain de cette association et avons
décidé de choisir le club Mozart comme terrain d'enquête pour ce travail de recherche pour
des raisons de disponibilité de l’équipe à cette période (octobre 2008) .
Une enquête par entretiens individuels avec les personnes reçues dans cette structure n'a pu se
réaliser en raison de l'effet trop anxiogène que pouvait provoquer une situation de face à face
enregistré pour bon nombre d'adhérents, et qui plus est, avec une personne inconnue. Il nous a
été conseillé des entretiens de groupe en présence d'un membre du conseil d'administration.
Ce membre étant dans une position neutre aux regards du travail des éducateurs et
suffisamment sécurisant pour les personnes accueillies.
Nous avons pu constituer deux groupes de huit adhérents chacun. Puis nous avons retiré des
informations et des éléments de réflexion sur la compétence relationnelle mise en œuvre dans
ce contexte par des entretiens individuels avec les professionnels. L'enquête s'est déroulée en
trois étapes. A chaque étape, sa journée. La première journée, nous nous sommes présentés à
ces personnes afin de préparer notre venue et expliciter notre démarche. Nous ne voulions pas
être vécus comme un élément perturbateur et persécuteur, ce qui aurait pu déclencher de la
méfiance de leur part et bloquer la parole.
55
La question principale de ce travail de recherche s'articulant autour des compétences
relationnelles de l'éducateur spécialisé, il nous a semblé intéressant de nous immerger dans
leur quotidien de vie pour le partager durant une journée. Ceci nous a permis de ressentir et
d'appréhender directement dans la réalité du quotidien, les compétences relationnelles mise en
acte et ainsi, avoir une vision plus juste du contexte dans lequel évoluent ces relations. Ainsi,
cette première étape a consisté en une prise de contact avec l'ensemble des adhérents et le
personnel. Elle a eu pour but de nous familiariser avec le contexte d'étude et avec les
personnes fréquentant le lieu avec l'espoir que cela favorise un sentiment de confiance les
autorisant à parler sereinement lors des entretiens futurs. Les échanges informels et les
observations notés ont été riche d'enseignement pour qu'ensuite s'élabore la seconde phase de
notre enquête, celle des entretiens. La seconde journée a donc été consacrée à deux entretiens
en groupe de huit personnes et la troisième journée aux entretiens individuels avec les
éducateurs(trices).
5.2. Première journée au club Mozart.
Nous vous présentons, ci-après le compte-rendu de cette phase exploratoire avec les membres
du club Mozart.
Le club Mozart se situe dans une petite rue du quartier des Chartrons à Bordeaux-Baccalan. Il
est composé, au rez- de- chaussée, d'une salle à manger avec une cheminée et d'une cuisine. A
l'étage, d'un salon avec télévision et canapé et de petites pièces contigües servant pour des
activités diverses. Il existe aussi un petit jardin qui permet d'autres activités dés les beaux
jours.
Nous avons été invités au repas du mardi midi pour ce premier contact. Une grande table a été
dressée pour une vingtaine de personne. Parmi les convives, aucun médecin, mais des
adhérents pour la plupart habitués de ce lieu qu'ils ont découvert après un séjour en hôpital
psychiatrique sur les conseils de leur équipe soignante ou de leur famille. A leurs côtés, les
éducateurs sont aussi attablés et veillent au bon déroulement de la situation. Passées les
présentations et les raisons de notre venue, qui, par ailleurs avaient déjà été évoquées, nous
prenons place à table. Autour des pamplemousses roses, puis du magret de canard, chacun
56
adopte sa propre attitude. Afin d'engager la conversation nous avons demandé aux convives
les motivations qui les ont amenés à s'inscrire à ce club.
Martine, la quarantaine était gondolière dans un supermarché, chargée de placer les produits
dans un rayon. Puis elle s'est retrouvé sans travail du jour au lendemain à cause d'une
dépression. Sans travail et seule. «Aujourd'hui, dit-elle, il y a le club. Quand je me lève , j'ai
un but. Je sais que quelque chose m'attend dans la journée.»
Josette, plus âgée, était aide-soignante dans un service de gériatrie. C'est la tentative de
suicide d'un de ces enfants qui l'a fait «plonger». Dépression, elle aussi et puis démission pour
s'occuper de son fils : «Quand on perd son emploi, le rapport à la société est beaucoup plus
difficile. J'ai travaillé toute ma vie, mais après ça, je ne pouvais plus assumer le quotidien,
je me suis écroulée. J'ai passé 6 mois à l'hôpital psychiatrique, à la sortie, je voulais faire
quelque chose. Ici, je m'occupe, je vois du monde, j'oublie mes problèmes.»
D'autres adhérents sont demeurés silencieux : «je suis venu pour la première fois ce matin,
alors pour l'instant j'y vais pas à pas» glisse très doucement Patrice, un homme d'une
quarantaine d'année. Et, pas à pas, les autres ont essayé de le mettre en confiance, de le
rassurer, de lui demander si «ça allait», ou s'il voulait qu'on lui serve un autre café.
Assis en bout de table, le Directeur, Monsieur Jean-Paul Labardin, que tout le monde a salué
avec chaleur car, dit-il, «se dire bonjour est important tant on connaît leurs difficultés à
renouer chaque matin le contact, à aller vers l'autre , à s'embrasser ou à tendre la main».
Nous avons observé que ce moment de repas est essentiel afin que se prolonge la journée sous
les meilleures auspices. Les éducateurs doivent veiller à sa préparation et à son bon
déroulement. Ils doivent être très attentifs afin de solliciter chacun pour le partage des tâches,
freiner les prises de paroles trop longues bloquant la participation de certains, réguler des
tensions naissantes, inciter certains à découvrir des aliments, faire en sorte que chacun trouve
sa place aux regards des autres.
En fin de repas, ceux qui l'ont souhaité ont profité du beau temps pour échanger quelques
balles de tennis, tandis que d'autres ont refait couler du café et ont passé plus de temps à table.
57
Après les inévitables corvées de nettoyage et de rangement effectués par tous les adhérents
dans la bonne humeur, nous sommes restés avec les éducateurs qui nous ont présenté, avec un
peu plus de précision, le déroulement d'une journée type.
Thierry, éducateur spécialisé, depuis 3 ans dans ce service, nous a expliqué que la vie du club
accorde une grande place aux loisirs. L'agenda des activités est préparé une fois par mois, au
cours du conseil des adhérents qui réunit des membres et un éducateur qui recueille les idées,
canalise des envies irréalisables, ou en approfondit d'autres. «Si quelqu'un semble tenir à une
initiative mais qu'il n'ose pas la proposer, on tente alors de l'aider à s'affirmer.»
La dimension de responsabilité et de citoyenneté qu'offre l'organisation et la participation à
l'élaboration de projets est centrale dans le projet du club. Aussi, a ajouté l'éducateur, la
participation des adhérents est un investissement intellectuel, psychique, physique mais aussi
financier car les activités sont prises en charge à 30 % par l'association et 70 % par les
membres, en plus de leur cotisation mensuelle qui s'élève à 10 euros.
En visitant les locaux, nous avons lu le compte-rendu du conseil des adhérents affiché sur un
panneau jusqu'au rendez-vous suivant. Autour des doléances, une mosaïque d'autres affiches
précise les activités à venir. Sont annoncés, entre autre , des séjours à Nîmes, Rocamadour, ou
Barcelone, mais aussi une remise à niveau en grammaire et en calcul, la prochaine réunion
pour la création d'un journal, les sorties bowling ou encore l'initiation à certains logiciels
informatiques. Sur le mur en face, plusieurs collages photographiques ont fixés les meilleures
souvenirs des vacances à la montagne ou d'une récente soirée déguisée.
Le Directeur nous explique que, «dans la mesure du possible, les loisirs sont organisés en
autogestion. Une séance de cinéma, un concert ou une journée à la plage sans éducateur, ont
l'avantage de suggérer qu'ils peuvent faire les choses sans nous».
Et pour les tâches ménagères le principe est le même et Gaêlle, l'éducatrice précise : «Si
quelqu'un refuse de faire la vaisselle, on va essayer de l'engager à parler de ce refus pour en
donner des explications car, autre chose peut se cacher derrière ce refus, un conflit avec l'un
d'entre eux ou un sentiment de découragement ou un non-dit, plus inquiétant .»
58
Martine, une adhérente, s'est jointe à nous et nous explique que : «il y a beaucoup de choses
qu'on aurait jamais fait de notre vie, il a fallu que je vienne ici pour faire ce que je n'osais
pas faire avant. Maintenant, prendre une initiative, ça me semble plus naturel.»
Thierry, l'éducateur, a renchéri : «Nous essayons de construire une vie moins réglée qu'à
l'hôpital, où il y a un temps pour les médicaments, puis un temps pour les activités, et ainsi
de suite.»
Nous avons noté que les adhérents semblent tenir à cette spontanéité, en atteste cette remarque
consignée dans un récent compte-rendu et affichée sur le panneau : «il apparaît important de
maintenir une spontanéité dans les propositions de sorties et de laisser place à l'imprévu..»
En continuant la visite du club, nous avons profité du jardin et de cette belle journée
ensoleillée. Des tables et des chaises sont disposées afin de prendre le café avec quelques
biscuits préparés par une adhérente. Entre les membres du club, les professionnels et le
directeur nous avons continué notre conversation.
L'équipe nous a expliqué que la souplesse de ce genre d'endroit réside aussi dans la question
des horaires. Pour offrir presque à tout moment un cadre stable et convivial, les clubs restent
ouverts en fin d'après-midi, parfois jusqu'en début de soirée, ainsi que les weekend-ends.
Autrement dit, aux heures de fermeture des hôpitaux de jour et des centre médicopsychologiques, lorsque la solitude se greffe sur les angoisses et la peur du vide.
Il y a une seule obligation, celle de garder un contact hebdomadaire, si ténu soit-il, avec un
membre de l'équipe. «Un coup de fil, même cinq minutes pour dire que tout va bien» nous dit
le Directeur. Si le lien est rompu, l'équipe va tenter de le renouer en douceur, par le biais
parfois d'un autre adhérent ou de l'entourage familial. «Il s'agit alors de savoir où en est
l'absent, si son départ est dû à la lassitude ou s'il n'ose plus venir.»
Marie, une adhérente assise à côté de nous, s'est exprimée à ce sujet : «je suis adhérente
depuis cinq ans au club Mozart. Un jour, il y a eu une grosse coupure, un gros blocage... Je
ne savais pas ce qui se passait et l'équipe a néanmoins gardé le contact, ils m'ont fait
comprendre que j'avais ma place parmi eux, ce qui n'était pas du tout évident pour moi.»
Claude, un autre éducateur a aussi livré sa conception de cette situation et les représentations
de son action : «nous considérons que la maladie psychique est une maladie de la relation à
59
l'autre et non pas une maladie à l'intérieur de soi, qui serait uniquement le résultat de sa
propre histoire.»
Soudain, Alexandre, un adhérent, qui jusque là est resté silencieux, prenant un air parfois
méfiant, a souhaité nous faire partager son opinion. Il s'est exprimé difficilement, avec
émotion. Nous avons ressenti le besoin de cette personne d'être écoutée attentivement : (...)
«moi, je suis classé psychotique, mais ma maladie est globalement stabilisée. Avant, j'étais à
l'hôpital, c'est comme ça, c'était un passage obligé à ce moment de ma vie. Mais si j'avais
rencontré le club plus tôt, j'y serais resté moins longtemps. J'ai compris trop tard qu'une
maladie ça évolue et ça peut se combattre. A l'hôpital psychiatrique, c'est la casse des gens,
on nous considère comme stabilisé, le jour où l'on reste prostré devant la télévision du matin
au soir. Maintenant, ici, je m'occupe enfin, je me sens utile. Il y a le jardin et avec l'aide de
l'éducatrice, je fais pousser des fleurs. Vous comprenez ? Je donne de la vie...» Les sanglots
ont empêché Alexandre de continuer son discours.
Quelques instants plus tard, nous avons assisté à une scène entre un adhérent prénommé
David et le Directeur. A peine a t-il aperçu le Directeur que David s'est dirigé vers lui, lui a
serré la main et a tiré sur la manche de son pull-over. Il a laissé alors apparaître un poignet
dont le bandage servait à cacher des scarifications. Une discussion s'est engagée. David n'en
est pas à sa première tentative. « Regardez bien ce que j'ai fait, cette nuit là, j'ai entendu des
voix de là-haut, il fallait que je le fasse… Je veux voir un Docteur, mon Docteur, il est pas là ?
Je veux voir un Docteur... Je veux voir un Docteur...»
Gaêlle, l'éducatrice, est intervenue et a demandé à David de l'accompagner dans la pièce
voisine. Il y sont restés un long moment. L'éducatrice nous a dit ensuite qu'elle a écouté
David, le temps qu'il a fallu sans aucun jugement : «il se sent en confiance avec moi, et je
parviens à canaliser un peu ses angoisses. C'est un travail de tous les jours . Rien n'est acquis
avec lui, et il faut qu'il sente que les gens sont solides et non rejetant car il tente souvent de
provoquer de l'inquiétude chez l'autre. Alors, il faut jongler entre fermeté, sans qu'il se sente
rejeté et bienveillance. Bref, c'est sur la corde raide à chaque fois. Lorsque David est arrivé
pour la première fois, nous lui avons expliqué que nous allions faire autre chose avec lui que
du soin médical. C'est un passionné de football, mais il n'a jamais osé aller au stade voir les
Girondins. Il en parle souvent, affirme que le week-end prochain il ira, mais à chaque fois,
quelque chose le bloque. Pour nous, une des premières étapes, ce sera de l'amener à réaliser
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ce plaisir là. Vous voyez ? Nous ne nous situons pas dans la thérapie mais notre attitude y
participe et puis ensuite nous tentons de le ramener à leur réalité par le biais de petites
choses du quotidien . »
Ce séjour au sein du club Mozart, nous a permis de mesurer combien était prépondérante la
qualité de la relation entre les adhérents et les professionnels. C'est à partir de cette qualité de
la relation que tout un ensemble d'expériences humaines se développent dont le seul but est de
restaurer la place de sujet à des personnes qui s'en sont senties dépourvues.
Cet exemple de pratique permet de penser à quel point il s'agit d'un véritable changement.
«Ces clubs sont appelés Groupes d'Entraide Mutuelle et ils s'inscrivent dans l'héritage des
clubs thérapeutiques développés en psychiatrie mais constituent une nouveauté car ils ont
vocation à être des lieux gérés par les patients (ou ex-patients) eux-mêmes, sous forme
associative. Ces personnes sont aidées en cela par des éducateurs spécialisés dans une
perspective de socialisation, et ne sont plus «objets» de soin mais actrices de leur
participation.» nous explique le Directeur.
Nous avons pu constater, également, durant cette première journée, que certaines situations
intègrent une dimension fortement émotionnelle et ont demandé aux professionnels de savoir
agir et réagir avec pertinence. Ils ont su mobiliser des ressources sur le plan relationnel qui ont
facilité le dénouement de tensions laissant percevoir une résurgence de problématiques
psychiques douloureuses. L'enchevêtrement des dimensions psychologiques et des réalités
quotidiennes a semblé, parfois, constituer un réel défi pour le professionnel.
Ainsi, un monsieur venu boire un café et discuter quelques moments vers les 14h, s'est mis à
agresser verbalement un adhérent tranquillement assis dans un fauteuil, lui intimant l'ordre de
baisser son regard car cela le dérangeait.
L'éducatrice, heureusement présente à proximité, est intervenue pour apaiser la situation qui
commençait à prendre une tournure extrême tant par les propos que par la violence physique
que l'on sentait poindre, la personne agressée se transformant, elle-même, en agresseur. En
re-situant le cadre et les modalités d'accueil de façon bienveillante et douce, la tension entre
ces deux personnes s'est finalement estompée grâce à l'intervention de l'éducatrice. Il
s'agissait, en fait, nous l'apprenons plus tard, d'une vieille rancune entre ces deux personnes
non encore résolue et qui demande de la part des éducateurs un autre type de travail au long
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cours afin que se parle le conflit entre eux de manière sereine. «Mais le temps n'est pas
encore venu. Ils ne sont pas encore prêts à se confronter paisiblement en face à face. Un jour,
lorsque nous sentirons que cela peut se faire, alors , nous provoquerons une rencontre et l'un
de nous fera le tiers pour que cette confrontation se régule mieux...» nous a expliqué, en
aparté, l'éducatrice.
Durant l'après-midi de nombreuses activités ont eu lieu. Un groupe est parti en randonnée,
quelques uns ont joué aux cartes, d'autres ont participé à un atelier couture ou un atelier
théâtre. Tous ces moments sont considérés par les éducateurs comme des moments de
rencontre avec les adhérents. Ces moments de rencontres, concernant essentiellement les
activités organisées, sont marqués par le mouvement et l'inventivité notamment à travers les
divers espaces de liberté et les différentes activités qui se font, se défont et se mettent en
place par les différents professionnels ou par les adhérents eux-mêmes. Chacun est libre d'y
adhérer.
Peu d'activités sont prévues dans des temps bien identifiés. Au contraire, elles sont initiées
selon le désir des adhérents à l'instant même. Ce quotidien est pensé de manière à ce qu'il ne
soit pas routinier. Dans ces activités les éducateurs soulignent qu'ils sont moins dans
l'exigence quotidienne, au contraire du repas, par exemple. Les adhérents participent aux
activités à travers une démarche volontaire. Le plaisir d'être dans ces moments de rencontre
est donc un plaisir partagé avec le professionnel et médiatisé par l'activité. C'est le sentiment
de bien-être et de détente qui domine dans ces moments partagés.
Nous avons participé à l'activité randonnée autour du lac de Bordeaux avec six adhérents et
Gaëlle, l'éducatrice. Pour que les adhérents parviennent à ce sentiment de bien-être, nous
avons constaté que l'éducatrice a abordé la relation avec les adhérents de manière stratégique.
En tenant compte des déficits propres à la pathologie des personnes, elle a dû s'assurer que ses
remarques n'étaient pas blessantes. Elle a pris un ton humoristique qui a détendu l'atmosphère.
Le déficit d'attention de certains, mélangé à un sentiment d'exclusion chez d'autres, a du être
abordé avec un ton alliant humour, complicité, respect et bienveillance. «C'est à cette
condition, nous dit l'éducatrice, que nous devons veiller... Il faut stimuler la personne...
suffisamment... mais pas trop... Il ne faut pas qu'elle ressente un sentiment de persécution ou
autre... L'activité ne doit pas être vécue comme un échec ou un stress....ça pourrait réactiver
un repli sur soi et là , tout serait à recommencer( …) Sans perdre de vue qu'ils rentrent chez
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eux, tout à l'heure... et la plupart du temps, ils sont seuls..Il y a un risque à ce qu'il revienne
chez eux avec ce vécu d'échec. Le risque du repli sur soi, de réactiver leur problématique et
du passage à l'acte. Nous ne sommes pas à l'abri, c'est déjà arrivé l'an dernier et vraiment ce
fut un coup dur pour l'équipe...»
En effet, le quotidien de ces personnes est émaillé de situations où leur maladie les rend
impuissantes face aux exigences du quotidien. Il n'est donc pas nécessaire que la relation soit
une occasion supplémentaire d'éprouver cette impuissance à être, surtout si cela doit aboutir à
un renforcement du déficit narcissique et un désinvestissement de l'accompagnement.
L'effort de l'éducateur (trice) doit porter sur l'animation afin que se restaure un sentiment
d'aptitude dans l'action aussi bien que dans la capacité des adhérents à interagir de façon
constructive au sein d'un groupe. Ce sentiment de maîtrise retrouvée nous a paru être un levier
essentiel pour réamorcer un processus dynamique basé sur des expériences positives.
Les compétences relationnelles de l'éducateur portent là sur sa capacité à faire fonctionner le
groupe en miroir. En effet, le groupe devient le témoin des efforts et des réussites de chacun.
Il permet, autorise et initie des émotions positives. Les adhérents doivent percevoir,
spécialement de la part de l'éducateur, les approbations, sourires, compliments, et
encouragements qui viennent valider l'impact narcissique. L'éducateur est celui qui donne vie
à l'activité. Il veille de façon bienveillante à ce que chacun trouve sa juste place en facilitant
les échanges et en incitant les adhérents à une attention mutuelle. La qualité de son savoir-être
facilite l'interactivité et participe du renforcement de l'estime de soi de ces personnes.
Nous avons en effet constaté, lors du retour, cette impression de contentement visible sur les
visages. Une adhérente nous a dit qu'elle était satisfaite d'avoir passé une après-midi aussi
joyeuse et qu'elle rentrera chez elle remplie de «belles images».
L'après-midi s'est s'achevée, nous sommes revenus au club et le moment de se dire au revoir
est arrivé. Avant de se quitter un moment a été consacré à une petite collation bien méritée au
cours de laquelle l'éducatrice en a profité pour faire un bilan de cette sortie. Elle s'est appuyée
sur les aspects valorisants et a transmis à chacun ce qui lui est apparue comme des signes
d'évolution positive quant à leur possible. Les adhérents ont pu exprimer leur contentement et
une personne s'est entendue clarifier une parole qu'elle avait mal interprété. Nous avons
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remarqué, en effet, que certains adhérents sont très interprétatifs des propos des uns et des
autres et éprouvent des difficultés manifestes à décoder certains signaux de communication.
L'éducatrice doit donc «soigner» son expression verbale tant du point de vue du contenu que
de la manière de le transmettre. Elle n'a pas hésité à multiplier les arguments et à user
d'images et de métaphores renforçant ainsi des attitudes d'ouverture à la communication. Ceci
a pu éviter quelques équivoques et a surtout permis à l'adhérent de ne pas intégrer la parole
de l'autre comme persécutrice.
Mais l'aspect essentiel lors du moment de la collation à été consacré au renforcement positif
manifesté par l'éducatrice par des remerciements, des encouragements, de la satisfaction et
des compliments. Ainsi, en amenant les personnes à faire une auto-évaluation positive de leurs
habiletés sociales mises en œuvre durant la journée, elle a probablement permis que se
renforce le sentiment de plaisir à vivre ensemble, le désir de revenir et par conséquent de
maintenir un lien relationnel.
A la lumière des observations faites, nous avons pu mesurer l'importance, pour le
professionnel, de savoir mobiliser des compétences relationnelles et par conséquent de savoir
transposer un savoir acquis dans des situations nouvelles et complexes sur le plan émotionnel.
Fort de cette expérience, nous nous sommes attelés à la préparation du guide d'entretien48
permettant de recueillir de plus amples informations auprès des adhérents et des
professionnels sur la construction de ce savoir-être des éducateurs spécialisés dont nous
avions eu une démonstration.
5.3. Seconde journée au club Mozart.
Les entretiens en groupe se sont déroulés de manière très conviviale. Autour de la table du
salon se sont réunis huit adhérents avec un administrateur, faisant fonction de point d'appui et
de réassurance pour les personnes.
Un entretien a eu lieu en début d'après-midi et le second en fin d'après-midi. Il ont duré prés d'
une heure chacun. Le premier groupe est composé de quatre femmes et de quatre hommes et
48 Voir annexe p106.
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le second de cinq femmes et de trois hommes. L'âge moyen est de trente ans pour le premier
groupe et de quarante cinq ans pour le second. La personne la moins âgée ayant vingt trois ans
et la plus âgée, cinquante sept ans. Chacun des participants s'est senti suffisamment à l'aise
pour s'exprimer. Le fait que nous ayons partagé une journée ensemble a permis qu'une relation
de confiance s'instaure et que la parole s'énonce plus facilement, nous dirons les adhérents,
peu après ces entretiens.
Nous vous présentons, à présent, le contenu des entretiens. Le fait que les adhérents n'aient
pas souhaité être enregistrés a rendu cette opération délicate. L'exercice de retranscription se
base sur des notes prises le temps des entretiens, dans un esprit le plus fidèle et le plus
synthétique possible. Mais à la relecture des notes et
de cette retranscription avec les
adhérents, qui les ont approuvé, nous pensons ne pas avoir trahi la pensée des personnes49.
Nous avons alterné avec des attitudes non-directives, notamment lorsque les adhérents du club
ont évoqué leur projet personnel et des phases d'attitudes semi-directives lorsqu'il s'est agit de
parler de la compétence relationnelle des éducateurs .
Sur leur projet personnel, nous n'avons cherché ni à relancer, ni à approfondir leur propos .
Nous avons aussi respecté l'absence de réponse de certains en ce qui concerne notamment les
raisons de leur inscription dans ce club. Ces sujets étant sensibles pour eux, nous avons
respecté leur silence. Concernant la phase d'entretien sur les compétences relationnelles de
l'éducateur, nous n'avons pas observé de difficultés majeures dans l'expression des idées. Les
discours étaient clairs, argumentés, sans obligation de relance de notre part. La réunion s'est
déroulée dans le calme et sans chahut. Chacun a pu participer posément .
- Première phase : inscription et fréquentation du club.
Pour le premier groupe, la date la plus récente d'inscription au club est de six mois et la plus
ancienne de quatre ans. La moyenne de la durée d'inscription est de deux ans. Pour le second
groupe, la durée moyenne est plus ancienne. La plus récente inscription est de deux ans et la
plus ancienne de cinq ans. La moyenne de la durée d'inscription est de quatre ans.
49 Pour le respect de l'anonymat, les prénoms utilisés ne sont pas ceux des adhérents.
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En ce qui concerne la connaissance de l'existence de ce lieu, quatre personnes du premier
groupe et cinq personnes du second groupe ont été informées par leur médecin psychiatre
privé. Deux personnes du premier groupe et trois personnes du second groupe en ont eu
connaissance par le médecin psychiatre du service spécialisé de l'hôpital Charles Perrens50
lors de la préparation de leur sortie d'hospitalisation au long court (supérieure à 6 mois).
Enfin, une personne du premier groupe a eu connaissance de ce lieu par l'intermédiaire d'une
amie qui fréquente, elle-aussi, le club.
Pour ces personnes, la connaissance de ce lieu provient donc essentiellement du milieu de
soin psychiatrique hospitalier ou privé. Quant à la durée moyenne de fréquentation
hebdomadaire, elle est approximativement de treize heures pour le premier groupe et de seize
heures pour le second. Nous notons que les personnes les plus anciennes du club sont celles
qui le fréquentent le plus souvent.
La plupart de ces adhérents viennent au club pour y passer la journée entière, à savoir de
l'ouverture à la fermeture. Aucun ne vient ponctuellement pour participer à une activité bien
précise mais, au contraire, chacun suit les horaires du professionnel et repart au moment où
celui-ci ferme les portes du lieu.
Quatre personnes du premier groupe et quatre personnes du second groupe, fréquentent le
club deux ou trois jours consécutifs, de 11h à 19h. Une personne du second groupe vient tous
les jours, à raison de trente cinq heures par semaine. Les autres viennent une journée par
semaine. Il s'agit de la journée durant laquelle ils n'ont aucun rendez-vous médical ou de suivi
social ailleurs. Cette journée passée au club leur permet de maintenir un rythme continu de
rendez-vous dans la semaine sinon, selon eux, le vide qui s'installerait leur serait
insupportable.
- Seconde phase : sur leur projet personnel quant à la fréquentation du club.
Premier groupe :
-Agnès : C'est en thérapie que Agnès prend conscience de ses troubles. Progressivement, elle
comprend qu'il lui est salutaire de s'ouvrir aux autres car le risque d'enfermement est réel et
50 Hôpital Charles Perrens : Centre hospitalier spécialisé de Bordeaux. Site consultable au : www.ch-perrens.fr
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avec lui celui d'être ré hospitalisée. Elle commençait à percevoir des hallucinations auditives,
seule, enfermée dans son logement. Ainsi, sans aucun contact avec l'extérieur, la peur de
l'autre augmentait. Un rituel s'installait qui consistait en des allers et venues chez son
médecin, à la supérette et chez ses parents, ce qui risquait de l'entraîner, de nouveau, vers des
rites obsessionnels.
Le club Mozart lui permet de sortir de cette situation d'enfermement et d'accepter l'imprévu,
sans risque. Agnès nous dit qu'en se rendant compte que la différence entre les gens n'est pas
dangereuse, elle parvient à moins se rigidifier et à accepter l'échange. Cela l'aide à assouplir
son caractère et à se rapprocher des autres avec plus de confiance. Elle parvient à sortir plus
souvent et découvre de nouveaux lieux et des personnes nouvelles. Cela représente, pour
Agnès, le début d'une autre existence, plus en lien avec la société. Agnès ne s'est pas fixée de
limite de durée, tout dépend des rencontres qu'elle sera capable de nouer grâce au soutien de
ce club et de l'effet bénéfique qu'elle en retirera.
-Béatrice : Pour Béatrice, c'est une dépression sévère et persistante qui l'a conduite au club.
Elle a trente quatre et a commencé à être soignée à l'âge de vingt et un ans, lorsque sa mère
est décédée. Depuis, son existence a alterné entre des périodes de plusieurs mois dans son
appartement et des hospitalisations à Charles Perrens. Il y a eu dix-huit hospitalisations en dix
ans, nous annonce t-elle, presque en riant. Mais depuis qu'elle connait le club, elle parvient à
«tenir» plus longtemps sans être hospitalisée. Auparavant, elle allait à l'hôpital tous les six
mois. A présent, et ce depuis trois ans, elle n'a été hospitalisée qu'à deux reprises. Elle y reste
moins longtemps et dit que le club lui manque si elle en est absente durant de trop longues
périodes. Elle s'y sent bien, «comme dans un cocon», dit-elle. Le personnel est rassurant car
elle peut, à tout moment, les solliciter pour l'apaiser si une angoisse arrive. Elle ajoute qu'il y a
de la vie et que tous les jours ne se ressemblent pas, comme c'était le cas auparavant.
Elle est inscrite au club Mozart depuis quatre ans et souhaite y rester le plus longtemps
possible.
-Clotilde : Elle a pris contact avec le club il y a six mois. Elle y vient une fois par semaine,
essentiellement pour participer au repas. Elle souffre d'anorexie mentale sévère. Elle souhaite,
en venant ici, se réapproprier le plaisir de manger et le plaisir de partager un repas avec
d'autres personnes. Elle est vite écœurée, dit-elle, dés qu'elle touche la nourriture mais en
étant en contact avec les autres et surtout en les regardant manger, elle perd peu à peu cet
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écœurement. Mais c'est un long travail sur soi, dit-elle, et le regard de l'autre l'enferme. Elle
n'arrive pas assez à s'en défaire et se sent prisonnière de ce regard, comme si elle était jugée
sans cesse.
Elle ne sait pas combien de temps elle va rester ici. Cela va dépendre de l'évolution de sa
santé , elle en saura plus le mois prochain à l'issue de sa rencontre avec l'endocrinologue qui
la suit à l'unité de soin des troubles alimentaires de l'hôpital de Bordeaux.
-Delphine : Dephine aussi est dépressive depuis la naissance de son second enfant, il y a cinq
ans. Elle a fait une tentative de suicide, il y a deux ans. C'est depuis lors qu'elle fréquente le
club. D'un jour à l'autre, tout lui était devenu trop dur. Elle ne parvenait plus à faire face à son
quotidien. Elle décrit cela, comme si, arrivée en haut d'un château de carte, elle s'était
écroulée avec lui. D'un jour à l'autre, elle n'a plus rien fait, elle ne parvenait plus à s'occuper
de ses enfants, tout lui semblait impossible à réaliser. Elle restait assise des heures durant
dans le canapé de son salon. Cela a duré des mois. Son mari l'a accompagnée chez un
spécialiste et une hospitalisation s'en est suivie.
Depuis, elle vit auprès de sa famille en tentant de reprendre goût à la vie. Au club, Delphine
nous dit qu'elle «refait surface», qu'elle réapprend le goût de l'effort et le plaisir de vivre. Il lui
arrive de plaisanter, ce qu'elle n'avait plus fait depuis des années. Elle aussi, ne sait pas
combien de temps elle restera inscrite au club. Elle n'y pense pas et chaque jour qui passe est
un nouveau jour. Elle finit de se présenter en nous disant que la maladie est une lutte
constante et qu'elle ne sait pas qui aura le dessus : elle ou la maladie ?
-Eugène : Eugène, lui, s'est peu exprimé sur les raisons qui l'on amené à s'inscrire au club. Il
dira juste qu'il s'ennuie chez lui et qu'il ne voit personne, sauf ici. Il y est depuis deux ans et
projette de rejoindre sa mère à Aix en Provence, peut-être l'été prochain, et y rester ensuite.
-Fabrice : Fabrice est d'une nature anxieuse, nous explique t-il. Chaque fois qu'il s'agit de
participer à une activité, il a peur qu'un imprévu vienne faire échouer son investissement.
Il ne peut s'empêcher de tout contrôler et rumine sans arrêt afin d'anticiper l'imprévu. Il a des
T.O.C.(Troubles Obsessionnels Compulsifs) et questionne sans arrêt les éducateurs et les
autres participants pour savoir si rien n'a été laissé au hasard lors de la préparation de
l'activité. «Cela me bouffe», dit-il. La veille de l'activité et la nuit qui précède, il ne dort pas
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tant l'anxiété monte et l'empêche de s'apaiser. Au club, il apprend à se familiariser avec
l'imprévu et à «lâcher prise». Il doit progressivement accepter qu'il ne peux pas tout contrôler
et qu'il peut, aussi, faire reposer sa confiance sur l'autre. Fabrice pense partir du club dans un
an. Il se fixe cette limite pour se donner un objectif à atteindre en terme de mieux-être.
-Grégoire: Grégoire se définit comme schizophrène... «C'est pas donné à tout le monde !»
lance t-il , d'un air amusé... «En se moment, il ne fait pas bon être schizophrène car on nous
prend pour de dangereux criminels et ça ne donne pas envie de sortir de l'hôpital.» ajoute
Grégoire. Au club, Grégoire y retrouve ses amis et joue souvent aux cartes. C'est sa deuxième
maison et un peu sa famille. Il y est depuis quatre ans et ne s'est jamais senti aussi heureux
depuis qu'il vient ici... «C'est la bonne humeur qui règne et puis l'absence de jugement et de
questions, comme à l'hôpital,» dit-il.
-Isidore : Isidore n' a pas souhaité indiquer les raisons de sa venue au club. Il nous a
seulement dit et ce de manière mystérieuse, qu'ici, les gens étaient étranges. Il a, lui aussi, une
enquête à mener et il restera au club le temps de finir cette enquête.
Second groupe :
-Janine : Janine nous dit que la maladie l'a rendue vulnérable. Ses angoisses la débordent
lorsqu'elle se retrouve seule. Elle ne parvient plus à contrôler sa peur. Cela se manifeste par
des crises qui peuvent survenir à tout moment. Le risque de basculer, de nouveau et d'être
hospitalisée fait augmenter cette angoisse. Mais, venir au club, est comme un répis, un
moment de calme entre deux tempêtes. Elle ajoute que ce n'est pas un centre de soin mais que
le club procure un soin différent et complémentaire. Janine est inscrite depuis un an et demi et
ne se pose pas encore la question de quitter ce lieu.
-Karine: Pour Karine, qui vient d'aménager dans un appartement pour la première fois, son
projet est d'arriver à se soutenir dans cet appartement. Le fait de venir au club régulièrement
participe à se maintenir dans un niveau d'autonomie suffisant. En ayant des objectifs à
atteindre, et qu'elle se fixe elle-même, elle se crée des repères temporels. Le simple fait de
venir dire bonjour, de boire un café puis de repartir sont des actions simples mais qui lui
permettent de maintenir un contact et d'impulser l'effort pour réaliser les actes de la vie
quotidienne.
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-Laurence : Laurence est la doyenne des adhérentes. Elle vient au club depuis cinq ans. Elle
nous explique qu'elle a été hospitalisée d'office durant prés de dix ans en hôpital
psychiatrique, sans en sortir. La maladie? Elle ne souhaite pas nous en parler. Elle dit qu'elle
revient de loin, que la vie ne l'a pas épargnée, qu'elle ne pensait plus pouvoir revivre en
appartement un jour. La peur de sortir de l'hôpital et de ne plus se sentir protégée et écoutée,
était terrifiante pour Laurence. Elle se souvient d'avoir été une femme dynamique, mariée,
entraîneuse bénévole d'une équipe de foot féminine et avec un travail qui lui plaisait. Et
puis..., plus rien..., l'hospitalisation..., puis, elle a tout perdu et se retrouve, à présent, seule.
Pour l'instant, elle se reconstruit pas à pas. Ensuite, elle devra penser à une maison de retraite,
dit-elle.
-Martine : Le médecin lui aurait dit qu'elle est psychotique. Elle nous dit qu'elle entend
parfois des voix qui lui ordonnent de dire des choses dont elle a honte. Elle croit être
manipulée et qu'un jour «sa» vérité l'emportera et qu'on cessera de lui faire du mal.
-Nadine: Nadine était enseignante. Elle a perdu son mari il y a quelques années et, à la suite
de plusieurs tentatives de suicides et de plusieurs hospitalisations, son médecin lui a proposé
de venir ici. Au début, elle n'y croyait pas trop et puis, au fur et à mesure, elle a réussi à créer
des liens. Maintenant, elle va beaucoup mieux. Le plus dur est passé et elle recommence à
faire des projets. Elle pense rester au club quelques mois et se rapprocher de sa fille qui a
emménagé à Montpellier.
-Patrice: Patrice se dit très anxieux, les autres le montrent du doigt. Il a l'impression qu'on se
moque dans son dos mais ne sait pas pourquoi. Cela le rend agressif. Pourtant, il dit qu'il est
un garçon gentil qui aime rendre service. Les gens dans la rue lui font peur. Il n'ose pas sortir
de peur d'être agressé. Au club, on le rassure, on lui parle gentiment et s'il pense qu'on se
moque de lui, il peut toujours en discuter avec l'éducateur. Ainsi, il ne rumine plus, sans arrêt,
pour essayer de comprendre le mal qu'on lui veut.
-Quentin : Quentin est au club depuis deux ans et pense le quitter au printemps prochain car
il a retrouvé un travail. Avec sa R.T.H (Reconnaissance de Travailleur Handicapée), il a signé
un contrat de travail à temps partiel à l'Inspection des Impôts. Le travail est une valeur
essentielle pour Quentin. S'il n'avait pas connu le club, il dit ne pas savoir s'il aurait eu le
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courage d'intégrer ce travail. Dés qu'il ressent un mal-être, il sait qu'au club, il ne sera pas jugé
et pourra trouver les conseils et les paroles qui vont le soutenir.
-Laurent : Pour Laurent, le club lui permet d'apprendre à gérer sa violence. L'ambiance du
club agit comme un médicament, dit-il et ajoute, qu'ici, les éducateurs le connaissent bien et
font attention aux situations qui sont susceptibles de le rendre colérique. Il ne sait pas
pourquoi il est comme ça, c'est incontrôlable mais ne s'en prend jamais physiquement au
personne mais plutôt aux objets. Ce sont surtout ses paroles qu'il ne parvient pas à contrôler .
Mais il apprend à temporiser grâce au soutien de l'équipe.
-Troisième phase : Sur la compétence relationnelle des éducateurs(trices).
En nous aidant des notes prises lors de ces deux entretiens, nous avons essayé de retranscrire
la réalité des relations vécues entre les adhérents et les professionnels et l'analyse qu'ils en
retiraient. Notre but était de provoquer une parole à partir de ce vécu relationnel afin que
s'élabore une pensée et un discours autour de cette question.
Les entretiens n'ayant pas pu être enregistrés, nous vous proposons une synthèse la plus
objective possible des propos recueillis.
Unanimement, les adhérents estiment que les relations entretenues avec les éducateurs leurs
permettent de s'approprier un autre regard sur eux-mêmes. Ils ne se perçoivent plus comme
étant essentiellement des malades mais comme des personnes construisant des relations,
participant à une vie collective au sein de la communauté et en plus grande proximité avec
une vie sociale et citoyenne.
Les relations avec les éducateurs (trices) seraient d'une autre nature que les relations avec le
personnel soignant de l'hôpital car elles sont de l'ordre d'une expérience humaine de personne
à personne et non pas de malade à soignant. Ainsi, l'aspect professionnel de la fonction des
éducateurs(trices) semble mis en second plan. Ce qui apparaît prévalant est la personne au
détriment ou à la place du professionnel.
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Les adhérents se réjouissent de cette plus grande proximité de lien avec les professionnels
contrairement à leur expérience vécu avec le personnel de l'hôpital. Aussi, le fait que les
professionnels n'abordent jamais la question des symptômes et de l'histoire de la maladie
participe au développement d' autres formes de relations que celles qu'ils ont connues avec le
personnel de soin.
La position relationnelle des professionnels, ressentie par les adhérents, prendrait son origine
non pas dans un savoir sur eux et leur maladie, mais dans des valeurs morales telles que
l'attention, la convivialité, le soucis de l'autre, le respect et la discrétion. Les adhérents
expriment majoritairement cette différence dans le regard qu'on leur porte. Il sont sensibles à
la spontanéité et à la disponibilité des professionnels à leur égard. Ils expriment le fait de se
sentir moins pris dans un regard évaluatif sur leur état de santé mental. Ils se sentent reconnus
en tant que personnes et non plus en tant que malades.
La spontanéité dans les relations avec les professionnels et les rencontres qui se nouent entre
les adhérents, basées essentiellement sur des rapport de convivialité, de fraternité, d'amitié ,
voire d'affectivité procurent à ces adhérents le sentiment d'expérimenter du lien social. Ils
disent découvrir ou redécouvrir ce que peuvent procurer les relations humaines et
l'apprentissage de la rencontre avec les illusions et désillusions qui les accompagnent. Ils
expérimentent les aléas de la rencontre humaine avec plus de quiétude qu'auparavant car les
éducateurs(trices) sont toujours bienveillants afin que les éventuels échecs ou difficultés dans
la rencontre avec l'autre ne soient pas vécus de manière traumatisante.
Ainsi, les adhérents disent apprendre sur leur propre fonctionnement et sur ce qu'ils mettent
en jeu de leur désir ou de leur rejet dans un processus de rencontre. Selon les adhérents, le
travail éducatif serait essentiellement de l'ordre de la médiation et les compétences
relationnelles mis en œuvre s'organiseraient autour de la bienveillance, de la discrétion, de la
confiance, de la disponibilité et de la capacité des éducateurs (trices) à savoir développer une
atmosphère conviviale qui facilite les échanges relationnels.
Le rapport de confiance qui s'est instauré avec les professionnels facilite l'expression des
adhérents sur la qualité de la médiation relationnelle. Ils disent s'autoriser, assez facilement, à
aborder cet aspect du travail des éducateurs (trices) en demandant l'organisation d'une table
ronde ou des entretiens individuels ou de groupes. Ces «séances» de régulation plus ou moins
72
improvisées, sont initiées soit par les éducateurs qui souhaitent évaluer l'impact de leur travail
relationnel soit par les adhérents qui souhaitent éclaircir des situations qu'ils ne comprennent
pas.
Les adhérents estiment que les opinions ou les critiques formulées sont pris en compte par
les professionnels. Ils ressentent ainsi que leur parole est respectée et qu'ils jouissent d'une
reconnaissance. Pour eux, les éducateurs(trices) semblent être capables d'adaptation face à
leur problématique, et savent réguler leur action afin de faire respecter un cadre convivial
permettant l'exploration du lien à l'autre.
Il apparaît ainsi, qu'il existe au sein de ce lieu de vie, une véritable régulation et coconstruction de la relation entre les professionnels et les adhérents de sorte que chacun se
sente impliqué dans une action continue vers la reconnaissance de l'autre.
Cette dynamique apparaît essentielle au regard de la problématique du handicap psychique
qui est essentiellement un trouble dans le rapport à soi et au monde. L'hypothèse d'une coconstruction de la compétence relationnelle des éducateurs(trices) spécialisés(ées) semble se
confirmer.
5.4. Troisième journée au club Mozart : restitution des entretiens
avec les professionnels.
Cette troisième journée fut consacrée aux entretiens individuels avec les professionnels. Ils
ont été enregistrés et ont duré prés d'une heure chacun. Cinq entretiens51 ont été réalisés, tous
au même endroit, dans le bureau des éducateurs.
-Première phase de l'entretien traitant de l'expérience et du parcours professionnel des
personnes interrogées :
51 Le guide d'entretien est présenté dans les annexes de ce travail de recherche à la page : 107.
73
Thierry a 27 ans et exerce la profession d'éducateur spécialisé depuis 4 ans. Il a travaillé
durant une année après l'obtention de son diplôme, auprès d'adolescents dans un Institut
Thérapeutique Educatif et Pédagogique (I.T.E.P.). Il est employé à l'association Espoir 33
depuis 3 ans.
-«Je n'ai pas fait mon stage en psychiatrie lorsque j'ai fait ma formation d'éducateur et je ne
connaissais pas la maladie mentale avant de venir ici. En formation, on nous apprend à
élaborer des projets, à savoir travailler en réseau, le droit… et tout et tout... mais pas à
reconnaître ce qu'est un trouble psychique et comment y faire face, comment les accompagner
… Cela n'a pas été facile, pour moi, au début, d'autant que je venais d'un centre pour ados.
Ce n'est évidemment pas la même problématique, ni la même façon de faire. Au début, je
n'avais pas l'impression d'être un éducateur ici, mais plutôt un animateur et parfois un
thérapeute mais sans en avoir les compétences. En fait, j'ai compris qu'ils avaient besoins
d'être écoutés et que l'on aille vers eux pour travailler sur la confiance … Mais en fait, si l'on
est pas formé pour ce public, on travaille sans filet, alors on doit y aller progressivement... Il
faut beaucoup parler entre nous… Il y a des situations qui sont parfois dures à gérer : des
crises, des dépressions, certains sont à peine stabilisés et parfois, certains décompensent
assez vite si nous ne sommes pas vigilants. Lorsqu'ils sont nombreux à venir comme c'est le
cas aujourd'hui, nous sommes vraiment sur le qui-vive, nous sommes complètement happés
par eux. Au début, je croyais que des petits détails étaient sans importance mais tout est
important. Par exemple, la semaine dernière, nous nous sommes rendu compte qu'une
adhérente qui vient tous les jours manger et repart chez elle toujours à une heure très précise
, après le repas, vient d'être hospitalisée. On ne comprenait pas pour quelle raison son départ
était toujours aussi précis... à 14 heures pile. Elle restait toujours silencieuse à nos questions.
En fait, elle vient d'être hospitalisée car elle repartait chez elle pour se faire vomir. C'était
une personne boulimique et nous n'en savions rien. Nous n'avions jamais fait le lien avec ses
départs précipités après le repas. Elle nous racontait qu'elle avait des rendez-vous.
Si nous avions eu des cours sur la boulimie enfin, je veux dire, sur les troubles alimentaires
en général, peut- être que nous aurions pu comprendre avant et l'aider... Enfin, je crois... je ne
sais pas... Mais moi, j'ai toujours cru qu'une personne boulimique, c'était une personne
grosse. Et bien, pas forcément... C'est tout ça que nous ne savons pas. On apprend sur le tas
mais si on avait su avant, je sais pas si nous aurions parlé de ça avec elle, mais peut-être que
cela aurait fait un peu évoluer, mais je sais pas... Bref... Au bout de 3 ans que je suis là, ce
n'est que maintenant que je commence à prendre mes marques. C'est un peu long... La folie,
74
vous savez, c'est pas facile. On ne sait jamais si nos paroles vont avoir un bon impact ou
pas...»
Gaêlle a travaillé en qualité de monitrice-éducatrice dans un Etablissement de Soin et d'Aide
par le Travail (E.S.A.T.) accueillant des personnes handicapées mentales et psychiques durant
8 ans. Elle a ensuite effectué une formation en cours d'emploi d'éducatrice spécialisée, puis a
démissionné de cette structure en 2002 pour occuper son poste actuel au club Mozart. Gaêlle a
32 ans. Elle est la seule qui a une expérience professionnelle auprès de personnes handicapées
psychiques en dehors du secteur psychiatrique. Elle n'a donc jamais ressenti de décalage avec
sa pratique antérieure, si ce n'est sur le plan du dispositif et du projet institutionnel.
-«… Il y a des ressemblances avec un travail en E.S.A.T., et ici,... sur le plan relationnel, je
n'ai pas été en décalage... j'avais l'expérience et je savais repérer leur problème. C'est surtout
sur le plan relationnel d'ailleurs qu'il y a problème pour eux. Il faut du tact, ne pas les
décourager et puis beaucoup d'attention. Il faut bien connaître comment ils réagissent aux
situations, comme cela nous pouvons prévenir les risques, reconnaître les situations durant
lesquelles ils peuvent décompenser. C'est le plus difficile... savoir repérer les situations en
amont; Après, nous savons comment leur faire passer le cap... Il faut beaucoup parler avec
eux pour qu'il comprennent la réalité et donnent du sens, comment ils pourraient s'y prendre,
pourquoi un conflit a éclaté etc... . Ils ont du mal à savoir comment réagir entre eux . Nous,
nous sommes là pour les étayer sur ce plan. A l'E.S.A.T. c'était la même chose...»
Claude a 44 ans . Il est éducateur depuis l'âge de 26 ans. Auparavant, il exerçait la profession
de bibliothécaire. Il a ensuite exercé durant 8 ans dans un hôpital de jour pour adultes en
secteur psychiatrique. Il est employé au club Mozart depuis 10 ans.
-«J'ai toujours été attiré par cette population... mais en hôpital de jour, je commençais a voir
les limites de mon action ; Il me fallait autre chose... c'est que... pour moi... ça se résumait à
des ateliers, toujours les mêmes, aux mêmes heures... ça tournait en rond… il n'y avait pas de
vie... J'étais trop dans la routine. Ici, c'est un soulagement... Il n'y a pas de routine, tout se
fait au jour le jour, avec les personnes présentes, cela oblige à être inventif.»
Pascal travaille au club Mozart depuis son ouverture, en 1992. Il a 48 ans. Son premier métier
était charpentier. Il a exercé ce métier jusqu'à ses 28 ans.
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-«Je suis entré en 92 au club. En 92, on ne parlait pas de handicap psychique, on ne parlait
même jamais de maladie mentale. Il n'y avait aucune structure d'ouverte sur Bordeaux pour
recevoir ces personnes, c'était l'hôpital psychiatrique qui s'en occupait. Mozart a été crée
parce que certaines familles ne pouvaient plus s'occuper de leurs enfants seules. Moi, je suis
arrivé en 1992... et bien... il fallait voir l'état des personnes que l'on a accueillies. Les
médicaments n'étaient pas les mêmes, il y avait beaucoup plus d'effets secondaires. Je me
souviens du premier jour d'embauche, j'essayais de ne pas le montrer mais j'étais presque
terrifié. Mais j'ai compris aussi qu'il s'agissait des effets d'un certain discours sur la maladie
mentale qui circulait alors et encore maintenant, d'ailleurs. On disait : ils sont dangereux,
attention ! Il ne faut pas leur tourner le dos, etc. Enfin, c'était n'importe quoi, il n'y a pas plus
de sujets dangereux chez les shizophrénes que dans la population en général. Mais jamais
j'aurais cru pouvoir travailler avec cette population, je pensais plutôt travailler auprès de
déficients mentaux, mais ici, en fait, ils sont très intelligents. Il n'est pas là le problème. Le
problème, il est qu'il faut faire cohabiter tout ce monde là… et... un parano avec un schizo ou
un état-limite, en groupe restreint, ça va... mais dés qu'ils sont trop nombreux, c'est un travail
épuisant nerveusement...»
Marie-Christine est éducatrice depuis 1986. Elle a toujours exercé cette profession. Elle a
commencé son travail dans un Centre d'Hébergement et de Réadaptation Sociale (C.H.R.S.)
accueillant des jeunes mères avec enfant puis comme déléguée à la tutelle. Elle est employée
au club Mozart depuis 1994.
-«Lorsque je travaillais au C.H.R.S., j'ai vu passer quelques personnes qui venaient de
l'hôpital psy. Alors, quand l'opportunité s'est présentée de venir travailler ici, j'ai dit pourquoi
pas ?(...).En formation, on ne nous dit pas que ce public existe. On nous parle beaucoup de
l'enfance, de l'adolescence à problème ou alors du handicap mental mais peu de la folie. Moi,
je n'avais jamais pensé qu'un jour je serais en contact avec la folie. Je pensais que c'était
réservé à la psychiatrie. C'était plutôt le travail social avec les familles qui m'intéressait.
L'équipe, quand je suis arrivée au club m'a beaucoup aidée à comprendre le travail auprès de
ces personnes. En fait, l'équipe a beaucoup changé ces dernière années. Au début, il y avait
un éducateur qui avait eu une longue expérience en psychiatrie. C'était chouette de travailler
avec lui. Il m'a appris plein de trucs et surtout à me dire qu'il y a toujours un sens caché dans
les propos de ces personnes. Elles parlent souvent comme cela, à bas mots. Mais lorsqu'on
les connaît bien, on arrive à décoder le sens caché. C'est une question de patience, il faut être
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très à l'écoute et avoir une bonne mémoire de ce qui est dit pour y trouver du sens un jour et
pouvoir travailler avec eux.»
Seconde phase de l'entretien concernant la présentation de leur travail auprés de ce
public:
Thierry :
-«Je pense que nous les aidons à se sortir de leur routine. Nous sommes presque comme un
club de rencontre, en fait. Nous sommes des éducateurs, des animateurs, nous faisons en sorte
qu'ils se sentent bien en venant ici et qu'ils repartent en se sentant mieux que lorsqu'ils sont
arrivés. Mais le plus gros du travail, c'est sur la motivation que ça se joue : les aider à se
remotiver, à prendre confiance en eux et à monter des projets pour qu'ils sortent de chez eux.
Si cela doit être du loisir et bien pourquoi pas ? Tant qu'il s'agit de les sortir de la routine...
c'est le principal. Certains s'enferment facilement, il faut vraiment aller les chercher bien loin
dans leur coquille. Ils resteraient au lit constamment. Alors, je les appelle au téléphone, il
faut souvent insister pour les sortir de leur léthargie. Mais après, ils nous remercie parce
qu'on leur fait voir autre chose. Il sont contents... au final»
Gaêlle :
- «Notre principal travail, je pense, est de servir de point d'appui pour qu'il fasse l'expérience
du partage. C'est les aider à ce qu'ils réapprennent à vivre dans le social en apprenant à
gérer les obstacles qu'ils rencontrent et leur apprendre à utiliser leur potentiel.
Ils doivent redécouvrir comment ils fonctionnent hors d'un lieu protecteur comme l'hôpital.
Nous sommes là pour être un tremplin afin qu'ils se sentent suffisamment sécurisés par le lieu
et que celui-ci serve à faire des expériences de vie. Notre travail est de permettre cela : de
favoriser l'expérience, de leur donner les outils et à eux de faire, ensuite, et avec notre
bienveillance...bien entendu. Mais nous devons tout de même nous placer un peu en recul
pour que ce soit eux qui fassent et non pas nous substituer à eux. Il faut faire attention car ils
tentent souvent de nous mettre à la place que l'on ne veut pas être, c'est à dire faire reposer
entièrement le quotidien sur nos épaules. C'est une manière d'être dans l'évitement et de se
77
protéger. Et ainsi , ils se mettent vite en position de consommateurs. Pas tous, bien entendu
mais certains et souvent les mêmes. Il faut repérer cette stratégie d'évitement et pouvoir en
parler, car, à coup sûr, cela cache un blocage ou quelque chose de conflictuel, une angoisse
ou autre.»
Claude :
-«Ayant travaillé en hôpital psy, la grande difficulté que nous avons dans le quotidien, c'est le
rapport qu'entretiennent les gens avec la folie. Le travail éducatif, c'est aussi de travailler sur
le stigmate. A partir du moment , où l'on permet à ces personnes de faire des rencontres
positives avec des gens à l'extérieure du club, c'est que notre travail à servi à quelque chose
pour eux et aussi pour la société. Le club,, il a été crée pour cela : pour favoriser les
échanges entre ceux qui sont handicapés psy et les gens dits «normaux». Comme cela, ils
participent à la vie sociale et apportent des choses. C'est leur faire éprouver une vie
citoyenne, avec tout ce que cela comporte de difficile et aussi de plaisir. Je connais un auteur
qui parle des éducateurs comme étant des passeurs... et bien... c'est ça, nous sommes des
passeurs, entre deux mondes pour mieux se connaître et s'accepter.»
Pascal :
-«Je dirais que l'éducateur, c'est celui qui se sert de sa personnalité. Il s'engage dans une
dynamique relationnelle entre lui et le groupe, lui et la personne, la personne avec son
entourage etc. Il est toujours dans les intermédiaires, si je peux dire. Il doit se servir et
analyser ce qui se joue dans ces intermédiaires pour tenter de mettre un terme aux
répétitions, c'est à dire à ce qui a fait blocage pour les personnes, jusque là, et les conduites
adoptées qui les ont mené à l'échec et au traumatisme. Pour cela, il faut que la relation avec
les adhérents soit bien analysée, bien étudiée pour comprendre les phénomènes de transfert.
Et s'il y a du contre-transfert, que celui-ci puisse être parlé et analysé, en prenant de la
distance. Heureusement, nous avons des réunions avec un superviseur une fois par mois. Cela
nous permet de déposer notre trop plein d'émotion et de le transformer en outil. Sans cette
prise de distance, nous serions envahis par le non-sens... en quelque sorte.»
Marie-Christine :
«Ce qui m'a surprise au club, dés le début, c'est l'aspect convivial du lieu. On se croirait
presque comme des animateurs dans un club de loisirs. J'exagère quand je dis ça mais c'est
un peu vrai tout de même. Il faut toujours être jovial, souriant, accueillant. S'ils ressentent de
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notre part de la lassitude ou de l'énervement, c'est fini pour la journée et impossible après de
faire du bon travail. L'ambiance, c'est hyper important. Comme je suis d'une nature assez
bout- en- train, ils apprécient. Je dirais que le cœur du métier éducatif avec des personnes
comme ici, est d'aménager le cadre, l'espace, l'ambiance, le respect des heures, et tout un
ensemble de rituels qui leur permet de pouvoir s'exprimer. La parole, c'est primordial, surtout
pour eux. Nous ne sommes pas thérapeute mais pourtant, je crois que l'on soigne. En tout cas,
ils ont besoin d'un lieu bien à eux où ils se sentent bien pour qu'ensuite ça leur donne des
ailes pour voir autre chose, partir, mais en ayant fait le choix... leur choix. Et pour une fois,
ce ne sont pas les autres qui vont choisir à leur place.»
-Selon vous, travailler auprès de personnes handicapées psychiques vous apparaît-il
comme novateur pour la profession d'éducateur spécialisé ?
Pour Thierry qui est éducateur depuis peu, le fait de travailler avec des personnes
handicapées psychiques est une expérience singulière dans le parcours d'un éducateur pour les
raisons qu'il évoque :
-«Dans ma promotion d'éducateur à l'I.R.T.S. (Institut Régional des Travailleur Sociaux),
nous étions une majorité à travailler avec des adolescents, les autres travaillaient avec des
personnes déficientes et quelques uns travaillaient avec des RMIstes. Les personnes qu'il y a
ici, je n'en avais jamais entendu parler. Nous n'avons pas eu de cours non plus sur leur
problématiques, j'apprends tout sur le terrain. Si c'est novateur ? Et bien, je ne sais pas... Je
crois que oui... mais bon, c'est de l'éducatif tout de même mais c'est vrai,... c'est particulier
quand même...surtout les problèmes qu'ils ont Il faut savoir gérer parfois... Alors oui, c'est
novateur. Encore faut-il que l'on nous prépare un peu mieux à exercer auprès de ces
personnes et qu'on ne nous laisse pas trop seuls.»
En fait, les éducateurs s'occupent des personnes exclues, alors ces personnes entrent dans
leurs fonctions mais on devrait être un peu mieux formé... ça c'est sûr... Après, à nous de
nous intéresser... de comprendre. Toujours est-il qu'on est vraiment sur la corde raide ici : un
peu éducateur, un peu animateur, un peu psychologue, ça demande de prendre sur soi, c'est
plus difficile qu'avec des ados... enfin, je trouve... et puis, ils sont adultes, ils connaissent la
vie et tout et tout. Ce sont surtout les symptômes de la maladie que l'on doit gérer... alors
novateur ? Pour ça… oui...»
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Pour Gaêlle, ce travail auprès de personnes handicapées psychiques est en continuité avec son
expérience passée et trouve, elle aussi, que le contact avec des personnes atteintes de
pathologie mentale vient en rupture avec les publics que rencontre habituellement
l'éducateur :
-«J'avais déjà travaillé avec des handicapés psychiques avant mais en ESAT, alors c'est
surtout le projet qui change et donc le cadre d'intervention. Au club, il n'y a pas la notion de
travail ou de préparation à la vie active, ils n'en sont pas là pour la plupart. Mais moi qui est
travaillé avec des personnes déficientes et malades mentales en même temps, je peux dire que
cela n'a rien à voir. Alors, c'est vrai, on peut dire que le contact avec ces personnes est tout à
fait spécifique, on les rencontre parfois mais travailler dans un endroit qui prend en charge
exclusivement ce genre de problématique, c'est assez rare... enfin, je pense... A Bordeaux,
oui... Ailleurs... Je ne sais pas... Aucun de mes amis ne travaillent auprès de ce public. Quand
je leur raconte mes journées et les anecdotes qui s'y passent, ils n'en croient pas leurs
oreilles, parfois...c'est vrai, c'est parfois cocasse. Il faut avoir une bonne connaissance de la
maladie mentale pour saisir mais celui qui ne connaît pas, je comprends que cela
surprenne...»
Claude a postulé pour venir travailler au club après une période de travail dans le secteur
sanitaire psychiatrique :
-«Être éducateur au club, c'est novateur dans le sens que l'on a affaire à la maladie mentale
d'une autre manière que dans le sanitaire. Nous sommes directement dans leur quotidien de
vie, on les accompagne dans la vie de tous les jours. Il n'y a plus le cadre de soin qui vient
faire obstacle à la réalité, ils sont moins protégés. Quand il y a un problème à résoudre,
celui-ci est directement issu d'une épreuve réelle, dans leur existence. Et puis, comme il y a
moins de protection entre eux et la vie de tous les jours, je pense que, là, c'est le rôle de
l'éducateur... de faire tampon. Mais, pour ma part, je n'ai pas eu trop de problème pour
m'adapter, par contre je pense vraiment qu'il faut une formation adaptée à ce genre de public
car pour répondre à votre question, ce métier est déjà bien particulier mais avec ce public, il
le devient encore plus. Les symptômes psychiatriques sont difficiles à comprendre. Pour faire
avec, il faut bien en saisir les contours. La relation avec un paranoïaque n'est pas la même
qu'avec un schizophrène, par exemple. D'ailleurs, c'est beaucoup plus facile avec un schizo...
paradoxalement. Avec un schizo., on sait à quoi s'attendre, c'est toujours de la répétition,
tandis qu'avec un parano, tout ce que l'on dit, tout ce que l'on fait, à tendance à être
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interprété à sa façon et si cela ne correspond pas aux schémas de pensée de la personne, cela
peut la persécuter. Donc, il faut faire très attention aux mots employés.»
Pour Pascal, c'est la gestion de la dimension groupale avec ce type de public qui lui apparaît
compliquée et tout à fait spécifique dans la profession d'éducateur spécialisé :
-«C'est novateur parce que rien de ce que l'on veut faire, la plupart du temps, lors des
activités ou tout simplement dans une journée, et bien... on ne peut pas prévoir... Il y a
toujours un événement qui va surgir et qui va mettre l'ambiance en l'air : une crise, des
pleurs, un conflit. Comme des gamins... presque… Sauf que ce sont des adultes mais
quelquefois, on doit agir avec eux comme si c'était des gamins.. C'est étrange... Bon , c'est
vrai, ils ont un grain... ça on ne peut pas le nier... mais quand ils sont ensemble, je vous dit
pas le mélange... A cinq ou six pour une activité comme c'est la plupart du temps le cas, ça
fait cinq ou six cas différents, avec des pathologies différentes... Il faut être souple, ça c'est
sûr...»
Troisième phase de l'entretien concernant la représentation que ce font les
professionnels de leurs compétences relationnelles.
- Description de la nature des relations entretenues avec les adhérents
Thierry :
-«...Il faut savoir où l'on se situe dans l'accompagnement pour savoir comment nous devons
agir avec eux. Ce n'est pas évident lorsqu'on ne connaît pas ou peu le milieu d'où ils
viennent... Je veux parler du secteur psychiatrique. Il faut dire qu'ils sont suivis
médicalement, par ailleurs, et aussi, parfois, par une équipe psychiatrique qui les rencontre
en hôpital de jour ou chez eux. Alors, nous, nous sommes un maillon de plus et il est
important de savoir ce que font les autres pour ne pas refaire la même chose. Nous devons
nous comporter différemment que les soignants, être plus dans le naturel, la spontanéité.
Enfin, je veux dire par là qu'il est utopique de vouloir absolument bâtir un projet d'insertion
car de toute façon, ils sont déjà insérés. Il faut maintenant qu'ils se maintiennent dans cette
insertion, le plus agréablement possible et éviter de rechuter. Cela veut dire : accepter la
maladie, faire avec et surtout croire que les choses vont aller de mieux en mieux. Alors, c'est
ça, notre manière d'être avec eux : c'est, par nos paroles et nos actions, faire en sorte qu'ils
puissent ressentir qu'ils ont de la valeur et qu'il faut continuer à espérer. Pour moi, c'est le
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principal. Après, vous décrire, comment, dans le quotidien?... C'est plus difficile... Pour moi,
ça passe beaucoup par l'humour. Maintenant qu'ils me connaissent bien, je peux me le
permettre. Au début, ce n'était pas le cas mais maintenant ça m'aide et ça les aide aussi à
prendre de la distance sur des choses du quotidien qui leur sont insupportables. Aller faire les
courses par exemple et devoir passer à la caisse, pour certains, c'est difficile. Alors, en
plaisantant avec eux et la caissière, cela permet de faire des échanges agréables et passer un
bon moment. Ils apprécient et après le contact se noue avec cette personne et ils y
reviennent... seuls.»
Gaêlle :
-«Il faut avoir une bonne écoute car on peut passer à côté de certaines choses importantes
,sinon. Il y a des adhérents qui fonctionnent comme cela. Ils lancent des indices, en quelques
mots, sur ce qu'ils ont vécu chez eux ou en famille, etc.. Ensuite, ils se rétractent, ne disent
plus rien et passent à autre chose. En fait, ce n'est pas parce que ce n'est pas important qu'ils
passent à autre chose, mais cela les bouffent intérieurement et comme ils ne savent pas
comment se défaire d'un problème alors ils le gardent pour eux. Ils le ressassent sans arrêt
mais il finit toujours par ressortir un jour ou l'autre et souvent de manière violente. Alors, il
faut faire très attention à ce que l'on dit et aussi à ce qu'ils disent, surtout si les paroles sont
furtives et si cela paraît anodin. C'est souvent là que se cache le problème. C'est plus que de
l'écoute, je dirais. Je pense que la compétence dont on doit faire preuve, elle est dans la
confiance... Il faut qu'ils ressentent qu'ils peuvent nous faire confiance pour nous parler. Nous
sommes disponibles pour eux... juste pour parler. Il faut qu'ils libèrent leurs paroles, nous ne
pouvons pas travailler sans cela et notre rôle est de le permettre. Tenez, ce matin, j'ai discuté
trois quarts d'heure avec Madame M.. Elle ne m'a rien dit, en arrivant, mais moi, je savais
qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, parce que je me suis souvenue et je l'avais noté de
toute manière, que l'an dernier, à la même date, cela avait été un moment difficile pour elle.
Ce week-end, c'est l'anniversaire de son fils, il à 28 ans, je crois. Son fils la rejette et c'est très
dur pour elle . Elle ne sait pas comment faire. Je pense que les jours qui vont arriver vont être
terribles pour elle. Alors si nous n'étions pas là , je crois qu'elle ne se louperait pas... vous
comprenez? Il a fallu se le rappeler, sinon, elle ne nous en disait rien et puis... vlan... on peut
s'attendre à tout. Enfin, voilà...c'est donc plus que l'écoute : c'est anticiper, connaître la
personne et savoir anticiper ce qu'elle pourrait faire, comment elle pourrait réagir etc.»
Claude :
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«...Notre relation avec les adhérents doit être fondée sur une certaine bienveillance, comme si
nous étions pour eux une sorte de repère auprès de qui ils peuvent s'appuyer. Mais c'est
surtout le dispositif qui crée les conditions pour qu'une bonne relation s'instaure. Le cadre et
le projet institutionnel font que nos relations avec les adhérents sont orientées vers une
manière d'être. Ici, c'est surtout l'accueil, la chaleur humaine, enfin tout ce qui a un rapport
avec la convivialité qui est privilégié. Nous pensons que par ce biais là, les adhérents vont
pouvoir trouver un lieu qui les reconnaisse tels qu'ils sont, pas seulement malades mais aussi
comme des personnes à part entière. Cela rejoint aussi votre question précédente, parce que
la convivialité comme axe de travail, cela peut paraître novateur pour l'éducateur spécialisé.
Nous sommes tellement soumis à élaborer des référentiels, comme : savoir monter un projet,
rendre compte etc, etc, et puis, il faut insérer à tout prix les gens, les orienter, enfin, être
rentable, on l'entend de plus en plus... Là, au club, ce sont les adhérents qui détiennent les
solutions de leur bien-être, nous ne faisons que créer de bonnes conditions pour qu'ils se
réadaptent à une vie sociale et puis, il n'y a pas de durée de prise en charge... Il nous faut
assurer une présence la plus humaine possible... Notre principale évaluation pour savoir si
globalement, le club leur est utile, c'est lorsqu'ils nous disent qu'il n'ont plus besoin
d'hospitalisation... On se dit alors qu'on leur permet de se sentir bien, c'est déjà pas mal :
Qu'ils aient un temps de pose dans leur vie pour souffler et puis repartir...»
Pascal :
-«..Je crois que ce qui les aide le plus, aux adhérents, c'est de se sentir solidaire entre eux , de
s'entraider dans la vie de tous les jours. Mon rôle, en tant qu'éducateur, est de les amener à
ce qu'ils prennent conscience que, être ensemble et être solidaire, cela procure du plaisir et
que, en retour, ils y gagneront en terme d'estime. Pour moi, ma relation avec les adhérents,
elle se situe dans ma capacité à créer du lien entre eux. Alors cela passe par le biais des
activités mais aussi en faisant des activités avec eux, j'essaie de faire en sorte qu'ils aident
leurs camarades, qu'ils se motivent entre eux. Leur principal problème, c'est qu'ils sont trop
tournés sur eux-mêmes et qu'ils ne font pas attention à l'autre. On dirait qu'ils sont tellement
envahis par leur problématique, que plus rien n'existe autour d'eux...Ma relation avec eux ,
elle est de leur montrer que l'autre à besoin d'aide et qu'ils se décentrent un peu plus pour
voir autour d'eux. Comme j'aime bien le cinéma, nous avons instauré chaque semaine une
sortie au cinéma. C'est intéressant car ils peuvent voir et penser à d'autres situations qui sont
vécues par d'autres personnes. Je pense qu'il faut les inciter à regarder ailleurs, cela leur
permet de prendre de la distance sur leur vécu qui est souvent trop lourd à porter...»
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Marie-Christine :
-«...il faut une bonne dose d'empathie et tenter de se mettre à leur place n'est pas évident car
jamais nous ne ressentirons réellement leur souffrance mais c'est en leur permettant de mettre
des mots dessus que l'on peut comprendre. Comme ils sont souvent seuls, isolés, sans famille
ou presque, il n'y a personne pour les écouter. C'est triste mais c'est comme ça... et puis, tout
est si fragile chez eux : un jour tout va bien et le lendemain tout s'écroule... Alors, je crois
qu'il faut rester humble, savoir que rien n'est gagné et qu'il faut recommencer chaque jour.
Mais le fait que nous soyons toujours là, que nous ne craquions pas, je pense que c'est un
facteur qui les rassure. Mais il faut souvent les solliciter, aller les chercher, les motiver, tenter
de les rassurer... bref, ils doivent ressentir que nous sommes proches d'eux et que nous ne les
laissons pas tomber...»
-Comment se régulent ou se clarifient les relations avec les usagers du club ?
Thierry :
«Pour l'instant, je n'ai pas eu de gros problèmes avec les adhérents. De toute façon, comme
nous sommes une équipe assez soudée, dés qu'il y a un problème, nous en parlons ensemble.
Nous nous sentons assez libres pour dire les choses... Je pense que c'est très important de ne
pas rester seul avec un problème surtout avec des personnes comme ici sinon nous risquons
vite de culpabiliser. Le fait de parler ouvertement sans avoir peur de dire vraiment les choses,
cela permet de faire baisser des tensions. Parfois, nous avons besoin de nous retrouver tous
ensemble, alors, nous nous enfermons dans le bureau et nous discutons. Après, s'il y a
vraiment un blocage avec l'un d'entre eux, nous prenons le temps d'en discuter avec la
personne concernée. Cela arrive relativement souvent, alors, nous nous isolons avec la
personne et on s'explique. Cela se passe bien en général, c'est une demande réciproque, de
leur part et de la notre... comme cela il n'y a pas de sous-entendu ou de rapports ambigus
entre eux et nous... Mais, en ce qui me concerne, ce qui m'est le plus utile pour clarifier des
relations difficiles, c'est la supervision... Nous avons un superviseur qui vient une fois par
mois. C'est utile pour prendre du recul et c'est surtout dans ces moments là que l'on peut
réfléchir aux situations...»
Gaêlle:
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-«Les relations, elles se régulent d'elles-mêmes, c'est un peu notre outil de travail, dans le
quotidien. Nous discutons, nous échangeons nos points de vue et si une incompréhension ou
une maladresse dans l'attitude ou les propos devait arriver, pour ma part, je m'en explique
ouvertement. En général, je ne prend pas trop de pincettes, je crois qu'il faut être assez
spontanée parce que, déjà que nous les protégeons assez... il ne faudrait pas qu'ils soient surprotégés. Ils n'avanceront jamais sinon... Ils apprécient la franchise que l'on a et le fait d'être
toujours disponible pour parler. La confiance, la disponibilité et la franchise, je crois que ce
sont des points essentiels pour eux. »
Claude :
-«A partir du moment où les adhérents ressentent l'intérêt qu'on leur porte et qu'il y a une
relation de confiance, cela passe bien et en fait de régulation, c'est surtout lorsqu'il y a un
gros, gros pépin qu'il est important de prendre du temps pour en discuter ensemble. La
semaine dernière, il y a un jeune adhérent qui voulait me faire la peau, comme il disait. Il n'a
pas supporté que je m'oppose à ce qu'il participe à une activité. Je le trouvais trop instable et
agressif envers certains. Sur le coup, il n'a pas compris ma position. Il est parti très en colère
et avec violence. Le lendemain, il est revenu pour une explication. Finalement, il a pris
conscience qu'il déconnait en ce moment. En fait, il ne prenait plus son traitement depuis des
jours. Bon ! Je m'en doutais un peu mais il a fallu le frustrer, si je peux dire, pour qu'il
revienne et nous dise pourquoi il était aussi mal. A partir de là, nous pouvons travailler sur
son rapport à la maladie, aux médicaments, l'importance du traitement pour son avenir etc,
etc. L'essentiel c'est de ne jamais rompre le lien même s'il y a un conflit entre eux et nous,
c'est de toujours trouver du sens avec eux et parler, parler, parler...»
Pascal:
-«Je dirais que les relations se régulent surtout durant la réunion de préparation des
activités. Elle a lieu une fois par mois et c'est souvent à cette occasion que nous évoquons ce
qui s'est passé lors des précédentes activités. C'est assez récurrent d'ailleurs. Ils ont besoin
d'éclaircir des choses. Pour les anciens, tout va bien mais les nouveaux ont souvent beaucoup
de questions. Il est difficile de cohabiter dans un même lieu, c'est assez mouvementé en
journée : les uns arrivent, d'autres repartent, ils se croisent et nous aussi parfois... nous
85
sommes sollicités sans arrêt et quelquefois, une parole de travers ou mal interprétée peut
surgir. Si on n'y fait pas gaffe… mais… bon, tout cela est repris et au final tout s'éclaircit...»
Marie-Christine :
-«C'est en discutant avec mes collègues et puis en supervision... Comme cela, j'entends ce que
font mes collègues, comment ils réagissent face à telle ou telle situation et je me fais ma
propre idée. J'ai besoin de me situer par rapport à mes collègues, savoir où je vais, si je ne
fais pas trop de conneries...»
-Sur quels savoirs et théories s'appuient les éducateurs(trices) lorsqu'ils s'interrogent sur
leur pratique relationnelle lors des réunions d'équipe ?
Les réponses à cette question furent également communes. L'axe théorique privilégié étant
celui de la psychanalyse et en particulier la psychanalyse anglaise. Winnicott et Mélanie Kein
ont été cités à plusieurs reprises. Les termes de transfert et contre-transfert et avec eux, les
noms de Freud, Joseph Rouzel et Paul Fustier furent aussi cités et correspondent à l'axe
théorique privilégié par le superviseur extérieur qui rencontre l'équipe une fois par mois.
Imprégnés par ces théories à l'occasion d'analyses de pratique avec le superviseur et provenant
de la formation initiale d'éducateurs spécialisés, les professionnels s'y réfèrent lorsqu'ils
veulent faire partager leurs ressentis et expliciter leurs actions.
-Votre formation initiale d'éducateur(trice) spécialisé(e) vous a t-elle préparé à exercer
votre métier auprès d'un public handicapé psychique ?
La réponse à cette question fut la même pour chacun des professionnels qui ont déclaré ne pas
avoir été préparé lors de leur formation initiale à l'exercice de ce métier auprès d'un public
handicapé psychique. Chacun a fait le constat de ce manque et de leur ignorance quant à
l'origine, aux symptômes, aux traitements et à l'évolution de la maladie mentale. Bien qu'ils
aient insisté sur le fait qu'ils n'étaient pas des soignants et que, de ce fait, ils ne se
préoccupaient pas des questions liées au soin mais plutôt à la personne dans sa réalité de vie,
ils regrettaient cependant de ne pas avoir eu de formations leur facilitant la reconnaissance de
la nature des différents troubles psychiques rencontrés, l'attitude à adopter pour chacun de ces
troubles, ainsi que sur les effets du traitement médicamenteux dans la vie de tous les jours.
86
-Selon-vous, quels sont les thèmes qu'il seraient souhaitables d'aborder ou d'approfondir
en formation initiale afin d'être préparé à exercer auprès de ce public ?
A cette question les réponses furent également unanimes. Tous les professionnels ont, en effet,
déclaré qu'une formation en psycho-pathologie leur aurait été utile afin d'adapter leur relation
aux manifestations cliniques et aussi d'être en mesure d'anticiper des réactions liés aux
troubles psychiques.
Trois professionnels, (Claude, Pascal et Thierry), ont ajouté qu'une formation au travail en
partenariat avec le secteur psychiatrique, en terme de connaissance de ce secteur et de l'action
de chaque professionnel en vue d'une meilleure reconnaissance mutuelle leur permettrait
d'être en plus grande adéquation avec les besoins de la population accueillie.
Un échange d'informations avec le personnel soignant leur permettrait d'appuyer ou de
relancer une dynamique dans l'accompagnement social en terme d'ajustement relationnel et de
décloisonnement des pratiques .
Ces professionnels soulignent qu'ils ont besoin, parfois, de signifier aux adhérents leurs
limites professionnelles et le besoin d'en référer à d'autres professionnels plus compétents
dans certains domaines d'interventions. Il arrive, en effet, que certains adhérents abordent des
points particuliers de leur intimité qui dépasse les seules compétences des éducateurs.
Ils se retrouvent, quelquefois, dans des blocages relationnels. Ils conseillent alors aux
adhérents de prendre un rendez-vous avec leur médecin psychiatre. Ceci engendre des
sentiments d'abandon de part et d'autre et d'incompréhension de la part de l'adhérent.
5.5. Analyses et commentaires :
- Sur les finalités du travail relationnel de l'éducateur(trice) avec
des personnes handicapées psychiques.
Le but de ce travail de recherche était de questionner une pratique d'accompagnement à
travers la nature et les finalités du lien relationnel entre des éducateurs(trices) et des personnes
87
souffrant de troubles psychiques. Pour cela, nous avons interrogé les différents protagonistes
afin de définir sur quelles bases pratiques, théoriques et éthiques le lien relationnel prenait sa
source. Nous avons relevé les mots et expressions récurrentes qui ont été utilisés lors de la
visite initiale et de sa description. Ces mots et/ou expressions ont été utilisés par les
professionnels afin d'évoquer les finalités et les effets recherchés dans leur travail relationnel
qui a, comme objectif, la réadaptation sociale de personnes souffrant de troubles psychiques.
Puis, nous avons relevé les mots et/ou expressions utilisés par
les adhérents et les
professionnels lors des entretiens, à l'évocation de leur expérience inter-relationnelle.
Nous en avons fait une synthèse que nous vous présentons maintenant. Nous avons aussi
ajouté à cette liste, les mots et/ou expressions utilisés dans nos commentaires. Ils reflètent une
réalité vécue et un sentiment éprouvé qui nous a paru intéressant de retranscrire afin de servir
notre analyse et nos commentaires.
-Mots et expressions utilisés lors de la visite initiale :
Aller vers l'autre,
Garder le contact,
Tendre la main,
Avoir sa place,
Être très attentif,
L'émotion,
Solliciter chacun,
Se sentir utile,
Partager,
L'aide,
Réguler les tensions,
Donner de la vie,
Que chacun trouve sa place,
Des moments de rencontre,
Échanger,
Le mouvement,
Passer du temps ensemble,
L'inventivité,
La bonne humeur,
Liberté d'adhésion,
Canaliser les envies,
Le désir,
Aider à s'affirmer,
Démarche volontaire,
Responsabiliser,
Plaisir d'être,
Engager à parler,
Moments de rencontre,
Construire une vie,
Plaisir partagé,
La spontanéité,
Médiation,
Laisser place à l'imprévu,
Bien-être,
88
Offrir un cadre stable et sécurisant,
Détente,
Garder un contact,
Moments partagés,
Renouer le lien,
Sentiment de bien-être,
Douceur,
Stratégique,
Remarques non-blessantes,
Bienveillante,
Ton humoristique,
Douce,
Détendre l'atmosphère,
Intervention,
Aborder le sentiment d'exclusion,
Travail au long court,
Humour,
Faire parler le conflit,
Complicité,
De manière sereine,
Respect,
Se confronter paisiblement,
Veiller,
Effort,
Stimuler,
Animation,
Ne pas ressentir un sentiment de persécution, Restaurer un sentiment d'aptitude,
Ne pas vivre un échec,
Interagir de façon constructive,
Ne pas vivre un stress,
Sentiment de maîtrise retrouvée,
Renforcer le narcissisme,
Processus dynamique,
Investir l'accompagnement,
Expérience positive,
Discussion,
Faire fonctionner le groupe en miroir,
Écouter,
Autoriser les émotions positives,
Sans jugement,
Approbation,
Se sentir en confiance,
Sourire,
Canaliser les angoisses,
Compliments,
Sentir les gens solides,
Encouragements,
Fermeté,
Valider l'impact narcissique,
Bienveillance,
Donner vie à l'activité,
Réaliser le plaisir,
De façon bienveillante,
Restaurer la place de sujet,
Trouver sa juste place,
Qualité de la relation,
Faciliter les échanges,
Entraide mutuelle,
Inciter les adhérents,
La socialisation,
Attention mutuelle,
Acteurs,
Qualité du savoir-être,
Dimension émotionnelle,
Faciliter l'interactivité,
89
Réagir avec pertinence,
Renforcer l'estime de soi,
Mobiliser des ressources,
Le contentement,
Dénouement de tensions,
Joyeuse,
Resituer le cadre,
Exprimer le contentement,
Clarifier,
Encouragements,
Décoder,
Satisfaction,
Soigner son expression verbale,
Compliments,
Manière de transmettre,
Sentiments,
Renforcer des attitudes d'ouverture,
Plaisir,
Communication,
Désir,
Renforcement positif,
Maintenir le lien.
Remerciements,
Mots et expressions utilisés lors des entretiens avec les adhérents :
S'approprier un autre regard sur eux
Affectivité,
Ne plus se percevoir comme des malades,
Expérimenter du lien social,
Se percevoir comme des personnes,
Découvrir les relations humaines,
Construire des relations,
Redécouvrir les relations humaines,
Participer à une vie collective,
Apprentissage de la rencontre,
Proximité avec une vie sociale et citoyenne,
Expérimenter les aléas de la rencontre,
Une expérience humaine,
Quiétude,
Valeurs morales,
Bienveillants,
L'attention,
Apprendre sur leur fonctionnement,
La convivialité,
Mettre en jeu le désir,
Le souci de l'autre,
Processus de rencontre,
Le respect,
Médiation,
La discrétion,
Bienveillance,
Un regard différent de celui des soignants,
Discrétion,
La spontanéité,
Confiance,
La disponibilité,
Disponibilité,
Se sentir reconnu,
Développer une atmosphère conviviale,
90
Absence d'évaluation des troubles mentaux,
Faciliter les rencontres,
Convivialité,
Rapport de confiance,
Fraternité,
Faciliter l'expression,
Amitié,
S'autoriser à …,
Éclaircir des situations relationnelles,
Réguler l'action,
Parole respectée,
Respecter un cadre convivial,
Jouissent d'une reconnaissance,
L'exploration du lien à l'autre.
Capable d'adaptation,
Mots et expressions utilisés lors des entretiens avec les professionnels :
Besoin d'être écouté,
Détails importants,
Un animateur,
Repérer leurs problèmes,
Un thérapeute,
Le tact,
Travailler sur la confiance,
Ne pas les décourager,
Progressivement,
Beaucoup d'attention,
Travailler sans filet,
Connaître leur réaction,
Beaucoup parler,
Prévenir les risques,
Situations dures à gérer,
Repérer les situations en amont,
Faire attention à eux,
Beaucoup parler,
Être sur le qui-vive,
Étayer,
Être happé,
La vie,
Il n'y a pas de routine,
Parler,
Au jour le jour,
Travailler sur le stigmate,
Être inventif,
Faire des rencontres positives,
Faire cohabiter,
Favoriser les échanges,
Travail épuisant,
Participer à la vie sociale,
Un sens caché,
Éprouver une vie citoyenne,
Bien les connaître,
Être des passeurs,
Décoder,
Se servir de sa personnalité,
Patience,
Être dans les intermédiaires,
Être à l'écoute,
Mettre un terme aux répétitions,
91
Trouver du sens,
Relations analysées,
Sortir de la routine,
Relations étudiées,
Un club de rencontres,
Comprendre le transfert,
Se sentent bien,
Aspect convivial,
La motivation,
Club de loisir,
Les aider à se remotiver,
Être jovial,
A prendre confiance en eux,
Souriant,
Aller les chercher,
Accueillant,
Être content,
L'ambiance,
Servir de point d'appui,
Aménager le cadre,
L'expérience du partage,
L'espace,
Réapprendre à vivre dans le social,
L'ambiance,
Les aider,
Le respect,
Apprendre à gérer les obstacles,
S'exprimer,
Apprendre à utiliser leurs potentiels,
La parole,
Redécouvrir comment ils fonctionnent,
Soigne,
Être un tremplin,
S'y sentent bien,
Se sentir sécurisé,
Faire tampon,
Favoriser l'expérience,
L'ambiance,
Donner des outils,
Le naturel,
La bienveillance,
La spontanéité,
Se placer en recul,
L'humour,
Faire attention,
Plaisanter,
Les échanges agréables,
Se motivent,
Avoir une bonne écoute,
Faire attention à l'autre,
Faire attention à ce que l'on dit,
Regarder ailleurs,
Faire attention à ce qu'ils disent,
L'empathie,
La confiance,
Se mettre à leur place,
Ressentir la confiance,
Mettre des mots,
Être disponible,
Les écouter,
Parler,
Rester humble,
Libèrent leurs paroles,
Ne pas craquer,
Anticiper,
Être là,
92
Connaître la personne,
Solliciter,
Bienveillance,
Motiver,
Un repère,
Aller les chercher,
S'appuyer,
Les rassurer,
L'accueil,
Ressentir que nous sommes proches,
La chaleur humaine,
Parler ouvertement,
La convivialité,
Faire baisser les tensions,
Un lieu qui les reconnaisse,
Prendre le temps,
Pas comme des malades,
Se retrouver ensemble,
Comme des personnes à part entière,
S'expliquer,
Bien-être,
Demandes réciproques,
Créer de bonnes conditions,
Être spontané,
Assurer une présence humaine,
Ressentir de l'intérêt,
Se sentir bien,
Ne jamais rompre le lien,
S'apaiser,
Trouver du sens,
Un temps de pause,
Parler,
Se sentir solidaire,
Éclaircir,
S'entraider,
Cohabiter,
Prendre conscience,
Nous sommes sollicités sans arrêt.
Le plaisir,
L'estime,
Créer du lien,
Aident leurs camarades
- Sur le travail relationnel de l'éducateur(trice) spécialisé(ée)
auprès de personnes handicapées psychiques : vers une éthique de
la sollicitude ?
Au cours de ce travail, de la recherche documentaire, à la visite initiale et aux entretiens, une
idée s'est progressivement imposée à nous. Il s'agit de l'idée selon laquelle, pour mobiliser des
personnes handicapées psychiques, il est nécessaire que l'éducateur(trice) soit porteur d'une
suffisante sollicitude. En effet, si l'éducateur veut modifier un tant soit peu «l'être au monde»
93
effondré de ces personnes, il se doit d'avoir auprès d'elles une présence effective et
chaleureuse. L'action et par conséquent, la relation des éducateurs doit être soutenue,
attentive, bienveillante, non-intrusive et constamment sollicitante.
Les mots ou expressions utilisés tels que : «aller vers l'autre, tendre la main, être attentif,
solliciter , garder le contact, stimuler, inciter, renforcement positif, etc.» en témoignent.
Les éducateurs pensent que leurs paroles et leurs actions auprès de ce public sont souvent
porteuses et inductrices de changement si, portées et soutenues par leur propre envie de
partage et de présence, ils parviennent à créer une émulation dans le groupe.
De cette manière, les professionnels sont une source d'impulsion qui relance le plaisir d'être
ensemble et de nouer des dialogues. C'est en obtenant une confiance mutuelle, en étant dans
une proximité de lien, en les aidant à vivre et exprimer leurs émotions que des relations
transférentielles peuvent se nouer et que des actions valorisantes deviennent possibles.
L'intersubjectivité qui émane de ce lieu et l'ouverture à une dialectique permet à ces personnes
de retrouver le désir de vivre, d'entreprendre, de créer et de s'investir avec plus de sérénité.
Les relations entretenues par les éducateurs ont comme finalité de dégager ces personnes
d'une vision trop centrée sur eux-mêmes. Ils leur offrent la possibilité d'aller à la rencontre de
l'autre avec sécurité afin d'engager des relations stables fondées sur la différence, le respect, la
complémentarité et donc l'altérité.
Les mots ou expressions tels que : «s'entraider, cohabiter, s'expliquer, se retrouver, ressentir
que nous sommes proches, faire des rencontres positives, favoriser les échanges, participer à
une vie sociale, éprouver une vie citoyenne, club de rencontre, réapprendre à vivre dans le
social, redécouvrir comment ils fonctionnent, sortir de la routine, l'exploration du lien à
l'autre, jouir d'une reconnaissance, participer à une vie collective, découvrir les relations
humaines, apprentissage de la rencontre, expérimenter les aléas de la rencontre, construire des
relations, s'approprier un autre regard sur eux, restaurer la place de sujet, socialisation...etc.»
en témoignent.
C'est l'altération de la relation aux autres qui fait partie intégrante de la perplexité dans
laquelle se trouve la personne handicapée psychique à l'égard du monde.
94
Blankenburg nous dit dans son ouvrage : «la perte de l'évidence naturelle» : «...de telles
personnes sont déplacées hors des ensembles de conjointures et de renvoies qui nous portent.
Un foule des choses qui sont , pour nous, directement des motifs, qui nous mobilisent , ne les
concernent plus. Leur être concerné est réduit. Ils ne se soucient plus de rien. Non-engagés
eux-même , ils ne s'engagent à rien. C'est sur cet être- en- dehors que repose l'insouciance
schizophrénique52.»
L'accueil et la convivialité au club Mozart sont des données essentielles dans le travail des
éducateurs. Elles s'exercent par et grâce à l'attention soutenue des éducateurs. Se retrouver est
certainement la préoccupation essentielle de ceux qui adhérent au club. Ils se «retrouvent»
eux-mêmes, survivant de la maladie, pour reconstruire leur histoire, leur identité, le cours de
leur vie, trop longtemps abandonné à d'autres. Ce sont aussi les buts recherchés par les
éducateurs en instaurant un climat relationnel basé sur la convivialité .
Les mots ou expression tels que : « la bonne humeur, plaisir, bien-être, détente, cadre stable et
sécurisant, douceur, humour, complicité, spontanéité, animation, respect, détente, sourire,
approbation, compliments, encouragement, bienveillance, plaisir, serein, entraide, émotion,
communication, remerciements, échanges, attention mutuelle, estime de soi, contentement,
sentiments, convivialité, affectivité, quiétude, souci, discrétion, disponibilité, fraternité,
confiance, jovial, apaiser, etc.» en témoignent.
Cependant, même si la convivialité tient lieu d'accompagnement, elle ne se suffit pas à ellemême. En effet, le soucis constant des professionnels comme nous avons pu le constater sur le
terrain, est de maintenir le lien relationnel coûte que coûte. Ils doivent veiller à ce qu'il n'y ait
pas de rupture de lien . Le conflit doit être parlé, verbalisé, afin d'être dédramatisé. L'absence
d'une personne doit inquiéter et alerter le professionnel d'un éventuel mal-être pouvant
prendre des proportions alarmantes. Amener chacun à percevoir l'autre dans sa différence sans
que celle-ci soit vécu comme une attaque, favoriser les échanges de regard, initier le dialogue,
apaiser les tensions, ouvrir à la culture, les arracher de l'enfermement relationnel, se soucier
des détails qui en disent long, des non-dits et des bas-mots, tout ceci affirment la volonté des
éducateurs de poser l'éthique de la relation comme centrale dans leur travail.
52 Blankenburg, La perte de l'évidence naturelle, Ed Puf, mai 1991.
95
Il semble que ce soit cette volonté de porter ce soucis et cette éthique de la relation dans un
quotidien partagé qui contribue à insuffler une pulsion de vie chez ces personnes.
Les mots ou expressions tels que : « réguler les tensions, canaliser, responsabiliser, stimuler,
veiller, se confronter paisiblement, restaurer un sentiment d'aptitude, sentiment de maîtrise
retrouvée, processus dynamique, interagir de façon constructive, canaliser les angoisses,
renforcer le narcissisme, autoriser les émotions, restaurer la place de sujet, mobiliser les
ressources, renforcer les attitudes d'ouverture, faciliter les échanges, maintenir le lien, souci
de l'autre, un regard différent, repérer leurs problèmes, prévenir les risques, être sur le quivive...etc.» en témoignent.
Aussi, il y a une volonté affichée par les adhérents de maintenir une séparation claire entre le
lieu de soin (médecin psychiatre privé et/ ou hôpital de jour ) et le lieu de réadaptation sociale
qu'est le club Mozart. Les adhérents apprécient que les éducateurs n'aient pas une «vision»
soignante de leurs problématiques et par conséquent distinguent l'intention soignante et
l'intention éducative. Ils ne souhaitent pas que l'un interfère sur l'autre afin que le regard qu'on
leur porte soit vécu par eux de manière différente. L'expérience du lien thérapeutique et celui
du lien d'accompagnement social et éducatif doivent être distingués. Les adhérents disent
vouloir expérimenter d'autres types de relations aux autres et à eux-mêmes, avec d'autres
références afin de se sortir d'une relation soignant-soigné.
Les mots ou expressions tels que : « pas comme des malades, des personnes à part entière,
redécouvrir comment ils fonctionnent, apprendre à utiliser leur potentiel, participer à une vie
sociale, travailler sur le stigmate, jouir d'une reconnaissance, regard différent de celui des
soignants, se percevoir comme des personnes, s'approprier un autre regard sur eux...etc.» en
témoignent.
Cette volonté d'effectuer une telle distinction, nous amène à faire le lien avec la notion de
«care». Cette notion fait partie intégrante d'une éthique de la relation nommée : l'éthique de la
sollicitude traduit en anglais par : éthics of care.
96
Paul Ricoeur place la dynamique de la sollicitude sur la trajectoire de l'éthique et donne à ce
mot le statut de : «...spontanéité bienveillante, soucieuse de l'altérité des personnes,
intimement liée à l'estime de soi au sein de la visée de la vie bonne.»53
Dans l'éthique de la sollicitude se rencontrent les valeurs individuelles et professionnelles
dans des notions telles que : «prendre soin et sollicitude».
Cette éthique est l'affirmation de l'égalité de la relation aux autres dans un processus
d'accompagnement.
Aux Etats-Unis, le livre de Carol Gilligan : In a Different Voice (Psychological theory and
women, Harward University Press) a permis d'engager un débat sur une nouvelle
compréhension du «care»54 en affirmant l'importance de l'attention portée aux autres et en
particulier à ceux dont la vie et le bien-être dépendent d'une attention continue.
La philosophie de l'éthique de la sollicitude initiée par Carol Gilligan pourrait être inscrite
comme une référence dans la pratique des éducateurs spécialisés confrontés au handicap
psychique. En constatant dans ce travail de recherche, que la personne handicapée psychique
n'attend pas les mêmes choses d'un éducateur que d'un infirmier psychiatrique ou d'un
médecin psychiatre, cette éthique de la sollicitude pourrait servir de point de référence pour la
reconnaissance d'une pratique spécifique de l'éducateur spécialisé auprès de personnes
porteuses d'un handicap psychique.
Il s'agirait, en effet, de distinguer le soin curatif (curing) du prendre soin (care). Cette notion
de «prendre soin» étant en fait, fortement ancrée dans la profession d'éducateur spécialisé,
puisque la spécificité de l'éducation spéciale est la prise en compte globale de la personne
dans son environnement.
53 Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Ed du Seuil, 1990 p222
54 Carol Gilligan, Une voix différente, Ed Flammarion, Collection Champs Essais, septembre 2008
97
Walter Hesbeen dans son ouvrage : Prendre soin à l'hôpital propose le concept de prendre
soin comme une valeur et définit huit qualités requises pour tisser des liens de confiance
fondés sur le respect de la personne : la disponibilité, la simplicité, la chaleur, l'écoute,
l'authenticité, l'humilité, la compassion, et l'humour55. La relation singulière et la demande
du sollicitant prime avant tout. Il s'agit de répondre à une demande, à une sympathie, qui
consiste en un principe de relation d'égal à égal entre sollicitant et sollicité.
Ces qualités rejoignent la notion de spontanéité bienveillance chère à Paul Ricoeur et
permettent d'établir une correspondance avec ce que les éducateurs et les adhérents évoquent
en terme de qualités relationnelles attendues au club Mozart. Il y a donc bien une similitude
dans ce travail relationnel avec ce que l'on nomme l'éthique de la solitude.
L'importance du «care» dans l'éthique de la sollicitude suppose de reconnaître la dépendance
et la vulnérabilité comme des traits de la condition de tout un chacun. Il nous semble que ce
réalisme est d'autant plus vrai que les personnes atteintes d'un handicap psychique font la
demande d'une attention bienveillante et soutenue.
Selon Walter Hesbeen , le «care» est une affaire concrète qui ne néglige pas les détails lors
des situations vécues. Il se préoccupe, en effet, des particularités des situations et des
personnes et il est une réponse pratique à des besoins spécifiques. Le sujet du «care» se situe
donc dans l'affection, la sensibilité et l'attention. Il est soucieux de l'être et en ce sens, il lutte
contre l'oubli de l'autre et de sa souffrance.
La sensibilité nous semble la condition nécessaire chez l'éducateur spécialisé dans sa
rencontre avec le sujet handicapé psychique. Aussi, la force du «care», au contraire des
exigences de neutralité et de détachement souvent prises comme conditions dans
l'accompagnement social et éducatif en général, est de nous apprendre à reconnaître cette
sensibilité et d'accepter d'en être touché.
Le projet de l'association Espoir 33 semble tourné vers d'une mise en pratique de la notion de
«care» et avec elle, celle de l'éthique de la sollicitude. Mais aussi en développant des espaces
conviviaux comme le club Mozart, l'association Espoir 33 permet le renforcement des liens de
55 Walter Hesbeen, Prendre soin à l'hôpital, inscrire le soin infirmier dans une perspective soignante,
Interédiction Masson, 1997, P.37
98
solidarité entre ces personnes qui viennent remplacer les logiques d'assistance qui sont liées à
celles du soin. L'étayage du groupe et des professionnels assure à la personne en souffrance
psychique une place à part entière.
Ce lieu est géré par les usagers, sous l'impulsion des éducateurs. Il autorise ainsi, l'usager, à
rompre avec sa solitude, à affirmer sa parole et à reprendre le pouvoir sur sa vie. En cela, nous
pouvons affirmer que le travail relationnel de l'éducateur spécialisé au club Mozart se base sur
une pédagogie émancipatrice.
Lors des entretiens, les éducateurs semblaient être d'accord pour dire que leur travail au club
Mozart et auprès de ces personnes était novateur. Il semblerait que, sans en avoir pleinement
conscience, les éducateurs exercent la pratique du «care». Cette pratique mériterait
probablement d'être mieux reconnue par eux et de faire l'objet d'approfondissement afin de
l'inclure dans leurs références théoriques.
-Sur la finalité du travail relationnel de l'éducateur spécialisé au
club Mozart : vers le concept d'«empowerment» ?
Les différents entretiens menés nous ont conduits à confirmer l'hypothèse selon laquelle, les
éducateurs et les adhérents régulent ensemble leur relation ainsi que les effets et les finalités
attendus de cette relation par le moyen de réunions qu'elles soient formelles ou informelles.
Cette co-construction des effets et finalités de la relation semble participer d'une volonté
d'aider ces personnes à retrouver un pouvoir sur leur vie. Grâce aux régulations individuelles
ou groupales, une dialectique s'engage et approfondit la reconnaissance de soi et de l'autre,
condition première pour un travail sur la relation.
La confirmation de cette hypothèse rejoint la pratique du «care» abordée précédemment et
approfondit cette notion. En effet, nous constatons qu'au sein de ce club, c'est l'attention
portée à la personne qui domine. La maladie et les troubles psychiques sont relégués au
second plan. C'est le dialogue qui est au centre de la relation et celui-ci ne se confond pas
avec un discours sur l'autre et sur sa pathologie mais il est un partage et une mise en débat
afin de se comprendre mutuellement en tant que personne voulant reprendre un pouvoir sur
son environnement.
99
Ce dialogue apparaît utile pour une reconquête du sens que chacun va se donner afin d'être
ensemble et de rompre sa solitude. Cette co-construction est également le moyen de redonner
du pouvoir aux personnes accueillies dans ce club.
Quelque soit l'étendue des savoirs et l'expérience de ces professionnels, il apparaît qu'ils
n'exercent pas un rapport de pouvoir par le biais de leur savoir pour orienter et intervenir
selon leurs références. Il y a bien, dans cette pratique, le témoignage du souci porté à la
personne qui laisse de côté la parole savante pour laissé la place à l'attention bienveillante, à
l'accueil et à la simplicité du lien. L'effet attendu peut contribuer au soin mais dans un
déplacement d'intérêt vers la personne et ce qui l'anime et non plus vers son affection.
Ainsi, accueillir la parole de l'autre c'est montrer que le professionnel a le désir de dialoguer et
travaille à faire advenir ce désir chez l'autre. En ayant une exigence d'écoute, en s'interdisant
la persuasion et en favorisant l'échange dans le plus grand respect possible, il autorise l'autre à
faire son propre chemin et à ce qu'il porte un autre regard sur ses capacités.
Nous retrouvons cette intention dans ce que nous avons nommé précédemment comme des
pédagogies émancipatrices et parmi elles, nous retiendrons le concept d'«Empowerment».
Il s'agit d'un processus d'émancipation au cours duquel les capacités des personnes
défavorisées sont renforcées de manière à ce que celles-ci soient en mesure d'exercer leurs
droits et de prendre une part active au processus de conception et de décision les concernant.
«Empowerment» selon le dictionnaire vient du verbe anglais «to empower» signifiant donner
le pouvoir, l'autorité, ou encore habiliter.
«L'Empowerment»concerne la manière de faire des choix en terme d'aptitude à faire ses choix.
C'est un processus au cours duquel il est donné la possibilité de faire des choix à des
personnes à qui cela est ou a été refusé. Sur le plan des interelations, «l'Empowerment» agit
de manière à ce que les personnes acquièrent les ressources nécessaires pour revendiquer et
énoncer leurs attentes. Ceci rend les gens plus aptes à améliorer leur condition et les chances
de réussir leur projet de réadaptation.
100
L'analyse du concept «d'empowerment» réalisée par Y.D. Le Bossé et M. Lavallée dans :
«Empowerment et psychologie communautaire: aperçu historique et perspectives d'avenir56
(1993)
(cahier internationnaux de psychologie sociale ,18, p.7-20) permet de dégager
certaines constantes dans les définitions applicables à «l'Empowerment».
Ces constantes sont : favoriser l'acquisition par les personnes défavorisées du sentiment de
compétence personnelle, de la prise de conscience, de la motivation liée à l'action et aux
relations avec l'environnement. Le Bossé et Lavallée définissent «l'Empowerment» sur le plan
individuel comme la façon par laquelle l'individu accroît ses habiletés favorisant l'estime de
soi, la confiance en soi, l'initiative et le contrôle.
Il s'agit d'un processus social de reconnaissance de promotion et d'habilitation des personnes
dans leur capacité à satisfaire leurs besoins, à régler leurs problèmes et à mobiliser leurs
ressources nécessaires de façon à se sentir en contrôle de leur propre vie.
Il y a une dimension transactionnelle qui se joue car «l'Empowerment» implique une relation
avec les autres. Les personnes sont intereliées dans le sens où il y a un partage des ressources
et où la collaboration de tous est encouragée.
Ainsi, les relations de pouvoir entre les intervenants et les personnes accueillies se trouvent
transformées. Les intervenants visent à transformer le pouvoir d'agir, de s'approprier les outils,
techniques et expertises aux personnes défavorisées afin de leur redonner confiance en elles.
56 Y.D.Le Bossé et M.Lavallée, empowerment et psychologie communautaire: aperçu historique et perspective
d'avenir, cahiers internationaux de psychologie sociale, n°18, 1993 p7-20
101
Conclusion :
L'analyse de cette pratique d'accompagnement auprès de personnes handicapées psychiques
effectuée au sein du service «Mozart» de l'association Espoir 33 à Bordeaux, nous oblige à
penser le savoir-être comme préoccupation fondamentale et comme pierre angulaire du travail
éducatif.
Il nous est apparu comme une évidence, lors de ce travail d'enquête, que ces personnes, qui
ont longtemps lutté pour apprivoiser la maladie mentale, souhaitent, à présent, être vues
autrement et éprouver d'autres types de relations avec des professionnels qui se situent hors
champ médical. C'est la raison pour laquelle, nous pouvons admettre que les
éducateurs(trices) spécialisés(ées), avec leur savoir-être, ont toute leur place auprès de ce
public. Même si, la difficulté qui semble se poser est la préparation de ces professionnels à
faire face aux manifestations psycho-pathologiques qui peuvent apparaître déroutantes, il n'en
demeurent pas moins qu'un véritable savoir issu de leur expérience inter-actionnelle s'est
progressivement construit. Ce savoir prend sa source, même s'il n'est pas formalisé par ces
professionnels, dans une certaine éthique de la sollicitude et un emprunt au concept
d'«empowerment».
Autrefois, il était impossible d'associer citoyenneté et santé mentale. Le «fou» était enfermé
derrière les murs de l'asile, la maladie mentale était la négation de la citoyenneté. Les
mutations sociales de ces dernières années avec la reconnaissance de l'être en souffrance
psychique, et la nécessité d'offrir des lieux adaptés favorise la rencontre de ce public avec les
professionnels de l'éducation spécialisée. Aussi, il y a une longue expérience dans l'histoire de
l'éducation spécialisée qui porte en elle des éléments de réflexion en terme de savoir-être qui
pourraient s'appliquer à l'accompagnement de personnes provenant du milieu psychiatrique.
Il nous semblerait intéressant que les professionnels des différents secteurs d'intervention qui
œuvrent pour le bien-être de ces personnes puissent apprendre à reconnaître leur spécificité et
leur différence en terme d'attitude relationnelle. Cette reconnaissance de la singularité des
différents corps professionnels permettrait de penser la complémentarité des pratiques et des
métiers en santé mentale. Nous pourrions aussi imaginer que les professionnels du soin
psychiatrique ont a apprendre de l'attitude relationnelle des éducateurs dans ce lieu de vie qui
102
pourrait être transférable dans l'exercice de leur fonction. Cette hypothèse n'est, peut-être,
qu'une pure projection de notre part. Cependant, nous pensons que la transférabilité des
compétences d'un secteur à un autre implique également de réfléchir aux possibles ajustement
entre les pratiques. Encore faut-il dépasser les cloisonnement qui nous paraissent à l'œuvre
entre les secteurs sanitaires et sociaux et les filières de formation. Il s'agirait de parvenir à
l'élaboration de véritables identités professionnelles qui puissent être repérées et ajustées aux
besoins de personnes handicapées psychiques par la reconnaissance des compétences
construites et mises en œuvre dans des lieux singuliers comme le club Mozart. Ces lieux sont
actuellement en pleine expansion et de véritables savoir-faire et savoir-être s'y développent
qui s'originent dans des références théoriques, philosophiques et pédagogiques, resituant le
sujet au centre de la relation. La pratique qui consiste à co-construire entre professionnels et
personnes accompagnées, les tenants et les aboutissants d'une relation de soutien adaptée dans
un quotidien de vie non formalisé, comme à Mozart, nous est apparu comme une piste à
explorer.
En effet, la construction d'une identité professionnelle reconnue comme complémentaire en
prenant le relai des pratiques de soin, peut être innovante et avoir du sens pour ces personnes,
si elles sont partie prenante de cette construction. Nous sommes passés de la folie à la maladie
mentale puis, de celle-ci, au handicap psychique. Il nous reste à présent, une orientation à
mettre en œuvre, soignants avec éducateurs, pour donner une vraie place aux usagers de la
santé mentale dans l'élaboration de dispositifs et de modalités de soutien qui soient adaptés à
leurs besoins. Cette place qui leur reste encore à conquérir, l'éducateur spécialisé, avec
d'autres, peut et doit avoir un rôle à jouer afin que la dimension de réciprocité entre
professionnels et handicapés psychiques soit pleinement envisagée dans la construction de
compétences relationnelles.
103
ANNEXES
104
Annexe 1
Guide pour le recueil d'informations sur
l'Association Espoir 33.
-Les raisons (historiques, sociologiques, politiques, en terme de besoins...) qui ont
conduit à la création de cette association.
(demander des textes ou articles de presse ou tout autres écrits)
-Présentation de l'association:
Les différents établissements ( situation géographique, dates d'ouverture etc.)
La fréquentation des lieux ( présentation du public reçu, âge moyen, problématiques
psychiques, sociales, d'où viennent-ils ? ).
Les principes fondateurs à l'origine de la création de l'association.
Les actions, buts recherchés, projet de l'association en direction de ce public.
(voir s'il existe des études, des recherches épidémiologiques etc.)
Quels partenariats avec les structures, associations, tutelles, les autres secteurs de la
région
bordelaise ?
Les règles de fonctionnement (heures d'ouverture, le cadre...)
Le profil des professionnels ( leur nombre, leur formation...)
105
ANNEXE 2
Guide d'entretien avec les adhérents.
( 2 groupes de 8 adhérents)
-Inscription et fréquentation du club.
-Depuis combien de temps êtes-vous adhérents à ce club ?
-Comment avez-vous eu connaissance de l'existence du club?
-Quelle est votre durée de fréquentation chaque semaine?
-Sur leur projet personnel
-Quelles sont les raisons qui vous ont amené à vous inscrire dans cette structure ?
-Est-ce que ce lieu vous aide à soutenir votre projet de vie , à l'extérieur?
-De quelle manière?
-Vous êtes-vous fixé une limite de temps quant à votre inscription dans ce lieu ?
-Sur la compétence relationnelle des éducateurs.
-Aviez-vous déjà été en contact avec des professionnels de la relation avant de venir ici ?
(dans lieu de soin , foyer de vie etc..)
-(si oui) : Ressentez-vous une différence de la part des éducateurs de ce club dans la
façon de vous aborder, de travailler,d'être en relation avec vous ?
-Les relations que vous entretenez avec les éducateurs de ce club ont-elles des effets sur
les objectifs de réadaptation que vous vous étiez fixés à votre arrivée ?
-(Si oui): Quels sont ces effets ?
-Quelles sont , selon vous , les principales caractéristiques du savoir-être des éducateurs
à votre égard ?
-Vous arrive t-il d'aborder avec les éducateurs la question de leur savoir-être avec vous ?
(si oui , à quelles occasions? Pouvez-vous apportez des exemples? Est-ce que cela vous a
paru contribuer à l'amélioration de la relation ? Avez-vous pu aborder cette question
sereinement ?)
-Pensez-vous que les éducateurs doivent améliorer sur certains aspects leurs
compétences relationnelles avec les adhérents du club ?
-(Si oui): Lesquels et comment, selon -vous, pourraient-ils s'améliorer ?
106
ANNEXE 3 :
Guide d'entretien avec les professionnels
Expèrience professionnelle
-Age et depuis combien de temps exercez-vous la profession d'éducateur spécialisé ?
-Depuis combien de temps exercez-vous dans ce lieu ?
-Pensiez-vous que vous pouviez travailler avec ce type de public lorsque vous êtes entrés
dans la profession ?
-Aviez-vous, avant de venir travailler ici, une expérience de ce type de handicap ?
-Si réponse négative : Est-ce que ce manque d'expèrience a été difficil à surmonter à
votre arrivée ?
Sur la présentation de leur travail auprès de ce public
-Quelle est la particularité de votre travail auprès de ces personnes ? ( représentations ,
objectifs, types d'accompagnement etc...)
-Le travail auprés de personnes handicapées psychiques vous apparaît-il comme
novateur pour la profession d'éducateur spécialisé ? Si oui, en quoi cela vous apparaît-il
comme novateur ?
Que pensent-ils (elles) de leurs compétences relationnelles?
-Pouvez-vous nous décrire la nature et la forme des relations que vous entretenez avec
les adhérents du club susceptibles de les aider dans leur objectif de réadaptation ?
(nommer les compétences mis en œuvre)
Sur la régulation des interactions avec les adhérents
-Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans la relation avec les
adhérents et comment se résolvent-elles au quotidien ?
Sur les références théoriques et la formation initiale
-Sur quelles références théoriques vous appuyez-vous pour analyser et comprendre ce
qui se joue dans vos relations avec les adhérents ?
-Votre formation d'éducateur spécialisé vous a-t-elle suffisamment préparé à exercer
votre profession auprès de ce public ?
-Selon-vous, quels sont les thémes qu'il serait souhaitable d'aborder ou d'approfondir
enformation initiale pour travailler auprés de ce public ?
107
BIBLIOGRAPHIE
et
SITOGRAPHIE
108
Articles
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(consulté le 6 février 2009)
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(consulté le 6 février 2009)
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Etudes et Rapports
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Ouvrages
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