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politis.fr Politis Politis Écologie Biodiversité en péril I Semaine du 14 au 20 mai 2009 I n°1052 I DÉPUTÉS EUROPÉENS 3:HIKNOG=VUXUUZ:?b@a@f@m@k; Ce qu’ils disent... M 03461 - 1052 - F: 3,00 E … ce qu’ils votent ÉCONOMIE Cinq moyens pour l’urgence sociale LOI HADOPI Entretien avec Martine Billard CANNES L’Acid au festival PROCHE-ORIENT La guerre médiatique SOMMAIRE ÉVÉNEMENT EUROPÉENNES Le double langage des députés européens. DE SAKUTIN Pages 4 et 5 ÉCONOMIE ANALYSE. Cinq moyens de financer l’urgence sociale. Pages 6 et 7 CULTURE CANNES. Quinze ans de programmation pour l’Acid. Pages 22 et 23 ROCK. « Together Through Life », de Bob Dylan. Page 23 THÉÂTRE. « Liliom », de Ferenc Molnar, et « Éloge du poil », de Jeanne Mordoj. Page 24 MÉDIAS TÉLÉVISION. « Une histoire du cinéma israélien », de Raphaël Nadjari. Page 25 MOBILISATIONS. Chômeurs et salariés, même combat ? Page 8 IDÉES / DÉBATS SOCIÉTÉ BONNES FEUILLES. INTERNET. Entretien avec Martine Billard : Hadopi, un non-sens historique. « La Nouvelle Guerre médiatique israélienne », de Denis Pages 10 et 11 UNIVERSITÉS. Entretien avec Isabelle This Saint-Jean : « Nous subissons des menaces ». Page 12 ÉCOLOGIE TERRES. La face cachée de la reforestation. Page 14 MONDE SRI LANKA. Vivre la guerre à distance. Page 15 Sieffert. Pages 26 et 27 TRIBUNE. « 8 mai : ne pas oublier Sétif », par Olivier Le Cour Grandmaison. Page 28 DE BONNE HUMEUR. Chronique de Sébastien Fontenelle. Page 29 LE POINT DE VUE DES LECTEURS Pages 32 et 33 BLOC-NOTES Pages 34 et 35 Couverture : Aurel FAGET/AFP DOSSIER BIODIVERSITÉ Malheureuse nature. Une protection peu rapprochée. Ces minuscules envahisseurs. Pages 18 à 21 LA SEMAINE PROCHAINE DANS POLITIS L’EUROPE ET LA DÉMOCRATIE 2I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 ÉDITORIAL PAR DENIS SIEFFERT Cette Europe n’est pas une fatalité R Cette Europe néolibérale n’est pas une donnée météorologique qu’il conviendrait de subir dans une sorte de désenchantement démocratique. evoilà l’Europe ! À trois semaines des élections au Parlement européen, nos concitoyens sont donc invités à se souvenir qu’ils appartiennent à un vaste ensemble géopolitique qui conditionne en partie leur vie quotidienne. Tous les cinq ans, c’est à peu près la même chanson. Hélas, entre-temps, rien ou presque. Ce sont les grands partis, PS et UMP, qui donnent le ton de l’indifférence. Ceux-là se désintéressent à tel point de cette assemblée qu’ils y envoient généralement leurs seconds couteaux, voire de futurs exministres en disgrâce. C’est un peu les culsde-basse-fosse de la République. Les oubliettes. Sommée de quitter les munificences de la Place Vendôme pour l’austère bâtiment strasbourgeois, Rachida Dati n’a d’ailleurs rien trouvé de mieux récemment que de tourner sa propre candidature en dérision, pouffant de rire et avouant publiquement son incompétence. Mais le mal est plus profond. Si la participation n’en finit pas de baisser depuis trente ans que l’on vote pour élire des députés européens, c’est surtout que les gouvernements n’ont cessé d’invoquer l’Europe pour légitimer leur politique néolibérale. L’Europe et le néolibéralisme, c’est un peu comme la poule et l’œuf. En façonnant l’Europe à partir des dogmes néolibéraux, ils ont créé une sorte d’imperium qu’ils invoquent ensuite pour inviter les peuples à la résignation. Peu à peu, « Bruxelles » et « Strasbourg » sont devenus, dans l’imaginaire collectif, le cœur des décisions contre lesquels on ne peut rien. La vérité est évidemment tout autre. Cette Europe néolibérale n’est pas une donnée météorologique qu’il conviendrait de subir dans une sorte de désenchantement démocratique. Ce n’est pas l’Europe qui a inventé le dumping social, la précarité, les délocalisations, la mise en concurrence de la main-d’œuvre, ni affaibli les services publics avant de les liquider, c’est l’idéologie néolibérale de nos dirigeants. Et l’alibi européen pour justifier tous les maux et toutes les vilenies est moins le fait des antilibéraux que des partisans déclarés de cette Europe-là. Ils contribuent à faire haïr ce qui leur est si utile pour se disculper devant leurs électeurs et pour échapper à leurs responsabilités. L’autre grande raison de l’indifférence mâtinée d’hostilité que beaucoup de nos concitoyens éprouvent à l’égard de l’Europe tient à l’attitude de la social-démocratie européenne. En France, la date symbolique est sans aucun doute 1983. Avec la fameuse parenthèse de la rigueur, le pouvoir socialiste a renoncé à toute transformation sociale. Il a adhéré au néolibéralisme ambiant. Il a cédé à un nouveau partage capital/travail tout à l’avantage du capital et du capital financier. Comme les pouvoirs néolibéraux de droite ou de centre-droit, il a instrumentalisé l’Europe pour accréditer l’idée que sa politique lui était imposée de l’extérieur. Mais, plus grave encore, nos socialistes se sont emparés de « l’européisme » comme d’une idéologie de substitution. revanche les enjeux entre le « oui » et le « non ». Ces deux référendums sont la preuve évidente que nos concitoyens ne se désintéressent pas de l’Europe ; qu’ils peuvent même se passionner pour elle, pour autant que les enjeux sont clairs. Souvenonsnous que vingt-six millions de Français ont voté le 7 février 1992 « pour » ou « contre » le traité de Maastricht. Soit plus de 69 % de participation. Souvenons-nous que trente millions se sont prononcés « pour » ou « contre » le traité constitutionnel européen, un certain 29 mai 2005. Soit 70 % de participation. Peut-on parler d’indifférence ? En revanche, quand il s’agit d’arbitrer un duel PS-UMP sans enjeu – ce qui est le cas aujourd’hui –, alors le risque est grand d’une abstention teintée d’hostilité. Il n’y eut guère que 46 % de participation aux européennes de 1999, et 42 % à celles de 2004… Comment éviter que ce sentiment d’impuissance ne se manifeste plus fortement encore cette fois ? Sans doute en s’efforçant de convaincre que les enjeux des deux grands référendums de 1992 et de 2005 existent L’Europe n’était plus un espace toujours et plus que jamais aujourd’hui. Et politiquement neutre auquel la démocratie que l’ambition d’une Europe démocratique, devait donner un contenu, néolibéral pour les uns, social pour d’autres, mais un objectif sociale et écologique, qui s’était exprimée dans le « non » au cours de ces deux grands qui se suffirait à lui-même. Comme si débats, est représentée dans le scrutin du l’Europe, n’importe quelle Europe, avait en 7 juin. La crise, qui n’était pas là il y a quatre soi des vertus sociales, voire socialistes. Ainsi, « Bruxelles », qui était déjà le lieu d’où ans, rend plus urgente encore la mobilisation pour une autre Europe. tombaient les mauvais coups, et où se concoctaient les directives antisociales, devenait de surcroît l’espace des confusions idéologiques. L’Europe, privée d’épithète et de caractérisation politique, devenait le lieu où s’abolissaient les différences entre droite et gauche. La campagne menée de concert par une majorité du PS, l’UDF et une partie du RPR, en 1992, en faveur du traité de Maastricht, allait une première fois répandre ce venin mortel pour notre démocratie, celui de l’indifférenciation politique. Une deuxième fois, en 2005 – et plus spectaculairement encore –, les socialistes partisans du « oui » allaient se fondre et se confondre avec la droite néolibérale. Bras dessus, bras dessous, on alla même jusqu’à battre les estrades ensemble. Mais en 1992 comme en 2005, si le peuple ne voyait plus guère de différences entre droite et gauche traditionnelles, il voyait clairement en 1 4 mai 200 9 I POLITIS I 3 • L’examen détaillé • Martine Aubry : Nous, • Sur tous les grands L’ÉVÉNEMENT EUROPÉENNES Le double langage des députés L’eurodéputée Bernadette Vergnaud, tête de la liste PS de la Région Ouest, entourée de ses colistiers. DE SAKUTIN/AFP iracle du dédoublement. Ce jeudi 23 avril, Razzy Hammadi se mêle au rassemblement des personnels d’EDF et de GDF-Suez aux abords de l’Assemblée nationale. Le fougueux secrétaire national aux services publics du PS ignore-t-il que ses camarades élus au Parlement européen ont, la veille, entériné une vaste réforme visant à poursuivre la libéralisation des marchés européens de l’énergie ? On ne sait. Et qu’importe ! On ne retiendra que l’écart entre le discours et les actes. Razzy Hammadi apporte donc le « soutien » de son parti « aux salariés engagés dans la défense du service public » et dont « les exigences […] relèvent, insiste-t-il, de l’intérêt général de nos territoires et de notre pays ». En la circonstance, la rhétorique socialiste est invariée : « Le PS demande le retrait des projets de démantèlement et d’externalisation de M 4I POLITIS I 1 4 mai 2 0 09 En 2004, le PS avait promis de mettre un terme à la cogestion PPE-PSE de l’Europe. C’est le contraire qui s’est produit. l’activité » de ces deux entreprises publiques. La veille, la travailliste britannique Eluned Morgan, qui rapportait sur une directive clé du « 3e paquet énergie » sur le marché de l’électricité, a obtenu à une très forte majorité (588 pour, 81 contre, 9 abstentions) que les entreprises historiques comme EDF opèrent une séparation entre leurs réseaux de transmission et leurs activités de production. L’hypothèse d’une cession pure et simple de ces réseaux ayant été refusée par plusieurs gouvernements, dont Paris et Berlin, les géants de l’énergie qui refusent ce démantèlement définitif pourront opter pour deux autres solutions à peine moins douloureuses : la location de leur réseau à un opérateur ou sa filialisation avec une séparation stricte. Et c’est cette disposition qu’ont votée les élus européens du PS, à l’exception d’Anne Ferreira et de MarieNoëlle Lienemann, qui ont voté contre, de Benoît Hamon et d’Harlem Désir, qui se sont abstenus ; les élus européens du PS ont fait corps avec le Parti socialiste européen (PSE) pour approuver ce saucissonnage avec leurs collègues UMP du groupe du Parti populaire européen (PPE) et les élus du MoDem, qui siègent dans le groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE). « Oui, nous défendons les services publics », s’exclame néanmoins Martine Aubry en lançant la campagne européenne des socialistes, deux jours plus tard, à Toulouse. Et, dans sa bouche, ce « nous » désigne autant le PS que le PSE, dont les principaux dirigeants sont à ses côtés. Difficile de ne pas réprimer un sourire lorsqu’elle s’en prend au double discours de François Bayrou : « Nous, nous le savons, le discours n’est pas le même à Bruxelles et ici ! » Car ce qui est vrai du MoDem l’est au moins autant du PS. Et François Bayrou n’est pas moins menteur quand il affirme, la main sur le cœur, dimanche dernier sur Europe 1, que ses députés ont « constamment, sans aucune exception, voté dans le sens de la défense des services publics ». Avec un culot mitterrandien, il soutient même qu’« il suffit de reprendre la totalité des votes au Parlement européen » pour le voir. Si la complexité du site web de cette institution protège les eurodéputés de la curiosité des citoyens, l’examen du vote de nos élus n’est jamais dénué de surprises. À condition de s’armer de patience, on peut y découvrir que la fin du monopole de La Poste sur le courrier de moins de 50 grammes – avec tous les risques d’abandon des territoires « non rentables » et de fermeture de bureaux qu’implique cette décision – a été votée le 11 juillet 2008 par les amis de Bayrou et la quasi-totalité du PSE, sauf les socialistes français. Ces derniers n’avaient pas été aussi unanimes lors d’un premier vote sur la directive électricité, le 18 juin 2008, qui exigeait alors une séparation patrimoniale des votes de nos élus au Parlement européen procure bien des surprises. nous le savons, le discours n’est pas le même à Bruxelles et ici ! • dossiers de libéralisation, le PPE, le PSE et l’ADLE s’entendent. MICHEL SOUDAIS européens totale coupant tout lien entre la production, le transport et la fourniture d’électricité. Les socialistes Robert Navarro, Vincent Peillon et Béatrice Patrie avaient voté pour ; les Verts Daniel Cohn-Bendit et Gérard Onesta également. Cette entente sacrée entre le PPE, le PSE et l’ADLE se retrouve sur tous les grands dossiers de libéralisation et de déréglementation qu’a eu à connaître le Parlement européen. Une En 2004, le PS cogestion qui se avait promis de manifeste aussi dans mettre un terme le dépôt de résoluà la cogestion tions communes. PPE-PSE qui L’une d’elles, prédomine la sentée par ces trois construction européenne depuis groupes, le 15 mars ses origines. C’est 2006, marquant la « contribution » du le contraire qui Parlement « au s’est produit. Conseil de printemps 2006 relative à la stratégie de Lisbonne », soulignait l’importance « d’achever le marché intérieur selon ses quatre principes fondamentaux, à savoir la libre circulation des capitaux, des marchandises, des personnes et des services ». Elle encourageait « une plus grande ouverture des marchés au sein de l’UE » et soulignait l’importance « de la poursuite de la libéralisation des marchés de l’énergie d’ici à 2007 ». Adoptée à une très grande majorité (431 pour ; 118 contre ; 55 abstentions), elle a été approuvée par 20 socialistes français, Mmes Castex, Ferreira et Lienemann s’abstenant. Cette union sacrée s’est bien évidemment manifestée sur le traité constitutionnel européen. À plusieurs reprises. « Le maintien du texte actuel [rejeté par les Français et les Néerlandais, NDLR] constituerait un résultat positif de la période de réflexion », affirmait ainsi en jan- L’effet choux de Bruxelles vier 2006 une résolution qui demandait « qu’en tout état de cause tous les efforts soient accomplis pour garantir que la Constitution entrera en vigueur en 2009 ». Facilement adoptée (385 pour, 125 contre, 51 abstentions) elle reçut les voix de quatre socialistes français (Catherine Guy-Quint, Michel Rocard, Yannick Vaugrenard, Bernadette Vergnaud), 19 autres se réfugiant dans l’abstention malgré le clair mandat que le peuple leur avait donné le 29 mai 2005 et l’engagement du PS au congrès du Mans de respecter le vote des Français. Lors de la campagne électorale de 2004, le PS avait promis de mettre un terme à la cogestion PPE-PSE qui domine la construction européenne depuis ses origines. C’est le contraire qui s’est produit. En 2008, affirme l’Observatoire de l’Europe sur son site web, ces deux groupes « ont voté dans le même sens sur 97 % des votes par appel nominal (rapports, résolutions) examinés par le Parlement européen ». Un chiffre à détourner du vote socialiste les plus fidèles militants de ce parti ! Ce site web proche de Philippe de Villiers affirme tirer ce chiffre d’une étude systématique des « 535 votes par appel nominal (votes électroniques, les seuls qui soient enregistrés et donc traçables) » de l’année 2008 ; il ne prend en compte que le vote des groupes (les députés restent individuellement libres d’émettre un vote différent). « Les groupes PPE et PSE n’ont voté différemment que dans 18 cas », dont 8 fois pour s’abstenir ; et sur les 10 votes qui les ont vus vraiment s’opposer « un seul était un texte de nature législative ». La crise peut-elle changer le comportement des eurodéputés en réactivant le clivage droite-gauche ? En campagne, le PS le prétend. Mais, jeudi dernier, au dernier jour de la dernière session de la mandature, le Parlement européen a très LE PARL EMEN T EN QUELQU E S CHIFFRE S Nombre d’élus Il y avait 785 députés dans l’assemblée sortante. Ils seront 736 après le 7 juin. Majorité Le PPE, premier groupe avec 288 députés, ne pouvait avoir la majorité sans l’appoint du PSE (215 élus). Votes En 2008, sur 535 votes électroniques, PPE et PSE ont voté différemment dans 18 cas seulement. largement adopté, par 363 des 475 élus présents, une résolution préparée par l’ancien Premier ministre belge, Jean-Luc Dehaene. Ce texte, qui traite de l’« incidence du traité de Lisbonne sur le développement de l’équilibre institutionnel de l’Union européenne », « se félicite que le rôle essentiel de la Commission comme “moteur” […] de l’Union soit réaffirmé » par ce traité, notamment par « la reconnaissance de son quasi-monopole d’initiative législative, qui est étendu à tous les domaines d’activité de l’Union, à l’exception de la PESC », la politique étrangère et de sécurité commune. Il est pour le moins curieux de voir des parlementaires qui font campagne en arguant de l’augmentation de leurs pouvoirs se satisfaire d’être toujours le seul parlement au monde à ne pas pouvoir proposer de lois, cette possibilité restant un monopole de la Commission. Ils contribuent à octroyer ainsi à une institution qui n’est pas démocratique le pouvoir de bloquer des institutions issues du suffrage universel, puisque ce pouvoir permet à la Commission de refuser de proposer ce que le Conseil des ministres ou le Parlement voudrait qu’elle propose. C’est ainsi qu’à six reprises elle a refusé de proposer une directive sur les services publics. Il est au moins aussi surprenant de découvrir que les socialistes français (excepté l’abstention de Mmes Ferreira et Lienemann), comme les élus du MoDem et du PPE, réclament la poursuite de la cogestion de l’Europe, au plus haut niveau. Le texte de la résolution qu’ils ont voté demande aux « États membres et [aux] grandes familles politiques » de ne pas oublier de respecter « l’équilibre politique et l’équilibre entre les deux sexes » lors des « nominations aux postes politiques les plus importants de l’Union européenne ». En attendant de se partager les postes de commissaires avec les conservateurs libéraux et les démocrates libéraux, les socialistes continuent de faire croire aux électeurs que l’Europe de la (leur) gauche n’a rien à voir avec l’Europe de la droite. _Michel Soudais Retrouvez le blog de Michel Soudais sur www.politis.fr Comment expliquer l’incroyable propension de nos représentants au Parlement européen à tenir ici un discours qu’ils contredisent aussi radicalement par leurs votes dans cette assemblée? Comment se fait-il que la quasi-totalité de nos eurodéputés –socialistes pour l’essentiel, mais les Verts ne sont pas épargnés–, élus sur la promesse de changer les politiques de l’Union européenne, rendent les armes sitôt installés dans l’hémicycle européen? Certes, il n’y a à cela nulle fatalité. Le groupe de la Gauche unitaire européenne, présidé ces dix dernières années par le communiste français Francis Wurtz, prouve que l’aspiration à une Europe démocratique, sociale et pacifique exprimée dans les urnes peut être portée dans le «travail parlementaire». Que celuici n’est pas forcément synonyme de compromission. Reste que l’institution produit sur la majeure partie des élus une « étonnante métamorphose». « Ils en viennent très rapidement et très sincèrement à se considérer comme des représentants d’un intérêt supérieur “européen” transfrontières, et parfois même transpartis, qui n’a nullement fait l’objet d’un débat pendant leur campagne», notent Bernard Cassen et Louis Weber dans un petit essai instructif(1). L’explication est autant sociologique que structurelle. Car ce phénomène est assez comparable à celui qu’avaient observé nos grands-mères: tout aliment plongé dans un bocal ayant contenu des choux de Bruxelles en ressort imprégné de l’odeur et perd sa saveur. La mutation de nos élus est ainsi le produit d’un dispositif institutionnel déséquilibré où le Parlement, seule institution élue au suffrage universel, a moins de pouvoir que la Commission ou le Conseil européen. Un système où, pour peser et s’affirmer dans ce «triangle institutionnel», les eurodéputés ne voient d’autre solution que de faire corps avec leurs collègues de bords politiques opposés. Un système où la marge d’action des élus reste strictement délimitée par les orientations politiques néolibérales gravées dans le marbre des traités. (1) Élections européennes, mode d’emploi, Éd. du Croquant, 128 p., 8 euros. 1 4 mai 20 09 I POLITIS I 5 ÉCONOMIE ANALYSE Remis cette semaine à Nicolas Sarkozy, le rapport Cotis sur le partage des profits démontre l’urgence de suivre de nouvelles pistes pour résorber les effets de la crise. L’argent est là : démonstration. Cinq moyens de financer l’urgence sociale ent vingt milliards d’euros – au bas mot – pour faire face à la crise économique et sociale, c’est possible ! Ce chiffre, loin d’être absurde, est à opposer au manque d’ambition de Nicolas Sarkozy sur le partage des bénéfices pour sortir de la crise. L’économie est en récession et les C perspectives pour les prochains mois ne promettent pas d’amélioration. Quant au plan de relance du gouvernement (sauvetage des banques, fonds d’investissement stratégique, mesures sociales), il n’est pas à la hauteur de la gravité de la situation. Principale raison, l’évolution du partage des revenus en France : les iné- galités s’accroissent, les salaires baissent, les besoins sociaux ne sont pas satisfaits. Le rapport sur le partage des profits demandé par Nicolas Sarkozy à la mission de Jean-Philippe Cotis, directeur général de l’Insee, donne un aperçu de cette situation. Ce document très libéral, qui doit servir de base à un projet de loi prévu pour cet été, conforte l’analyse des économistes antilibéraux sur le partage de la valeur ajoutée en France. « Sans le dire, le rapport Cotis confirme qu’il serait possible, sans toucher à l’investissement, de transférer une part importante de la valeur ajoutée des revenus du capital vers ceux du travail », souligne l’association altermondialiste Attac. Il existe donc des marges de manœuvre pour financer un plan d’urgence sociale. Où trouver ces moyens financiers ? Voici cinq réponses. NICHES FISCALES : 70 milliards d’euros Selon un rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale publié en 2008, il existe environ 486 niches fiscales, représentant un manque à gagner pour l’État de 50 à 73 milliards d’euros. 200 dispositifs sont dérogatoires au seul impôt sur le revenu, pour un coût total de 39 milliards d’euros en 2008. « Les mille premiers bénéficiaires, par ordre décroissant, des niches fiscales, sont des contribuables qui, par le truchement des investissements outre-mer, réussissent à faire baisser de plus de moitié leur impôt sur le revenu et obtiennent une réduction moyenne de 300 000 euros. » Ce propos n’émane pas d’un gauchiste mais du député UMP Charles de Courson, membre de la mission d’information sur les niches fiscales de l’Assemblée. La révision de celles-ci est souvent annoncée sans être vraiment mise en œuvre. Ministre de l’Économie en 2004, Nicolas Sarkozy avait déclaré la guerre à ces avantages fiscaux, mais rien n’avait été fait à son départ de Bercy. EXONÉRATIONS DE COTISATIONS : 30 milliards d’euros Cet hôtel de luxe a été construit à Nouméa dans le cadre du dispositif de défiscalisation des investissements outremer. Les niches fiscales représenteraient entre 50 et 73 milliards de manque à gagner pour l’État. LE CHELARD/AFP 6I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 Les allégements généraux de cotisations patronales sont estimés à 26,5 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2009, dont 23,4 milliards d’euros d’allégements de charges dits « Fillon » et 3,1 milliards d’euros d’exonérations relatives aux heures supplémentaires de la loi de 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (Tepa). ÉCONOMIE À CONTRE-COURANT JEAN-MARIE HARRIBEY Membre du conseil scientifique d’Attac Selon un rapport de la commission des finances du Sénat sur la loi de finances pour 2009, il faut y ajouter « des exonérations ciblées de cotisations patronales en direction de publics particuliers, de secteurs d’activités ou géographiques pour un montant de 6 milliards d’euros ». Pour la commission, il s’agit d’un « empilement coûteux de dispositifs dont l’efficacité sur l’emploi reste à démontrer ». La Cour des comptes a réitéré sa position en faveur d’une diminution des allégements généLe bouclier fiscal raux de cotisareprésente un coût tions et a appelé à de 7,7 milliards « revenir sur le d’euros. Les maquis des multiples exonérations, mesures du abattements, « sommet déductions et social », réductions aux 2,6 milliards… finalités diverses, qui créent de fortes inégalités et constituent une perte de ressources publiques, alors que leur intérêt économique n’est pas ou plus démontré ». Ces milliards pourraient être utilisés « pour abonder des fonds qui, sous le contrôle des salariés et de leurs représentants, financeraient les projets créateurs d’emploi, de formation et d’investissement productif », explique l’économiste de la CGT Nasser Mansouri-Guilani. BOUCLIER FISCAL : 8 milliards d’euros Le bouclier fiscal est la mesure la plus controversée de la loi Tepa. Pour l’année 2008, il représente un coût de 7,7 milliards d’euros selon le ministère de l’Économie, qui explique que cette loi représentera un coût de près de 10 milliards d’euros à plein régime. Surtout, il profite massivement aux titulaires des plus hauts revenus : 810 millions d’euros pour 235 000 bénéficiaires potentiels du bouclier à 50 %. Parmi eux, selon le Syndicat national unifié des impôts (Snui), 18 000 personnes soumises à l’impôt sur la fortune percevraient 564 millions d’euros de remboursement, dont un millier qui se partagerait 250 millions ! « Faut-il vraiment que la France soit le pays occidental où les revenus des personnes très riches sont les moins soumis à l’impôt ? », s’interroge l’économiste Pierre Larrouturou, ancien délégué national Europe du PS (1). En comparaison, les mesures annoncées à l’issue du « sommet social », en février, représentent un coût global de 2,6 milliards… DIVIDENDES : 35,5 milliards d’euros Les entreprises du CAC 40 se préparent à verser 35,5 milliards d’euros de dividendes en 2009 (43 milliards en 2008), selon une estimation du quotidien économique Les Échos publiée le 27 avril. Le quotidien relève aussi que le taux de distribution calculé par rapport au résultat net des entreprises du CAC 40 passe de 44 % à environ 60 %. Il faut remonter à 1987 pour atteindre ce niveau ! On se souvient que Nicolas Sarkozy a proposé une règle très contestée des trois tiers pour la distribution des profits : un tiers à l’investissement, un tiers aux actionnaires et un tiers aux salariés. « Le pré-rapport Cotis illustre (malgré lui ?) l’inanité absolue de la “règle des trois tiers”. À sa manière, il confirme qu’une autre répartition des revenus est possible. En faisant passer la part des dividendes de 36 % à 12 % des profits, il serait possible d’augmenter la masse salariale (salaires et cotisations sociales) d’environ 10 % », explique l’économiste Michel Husson. IMPÔT EUROPÉEN : 18 milliards d’euros L’idée d’une imposition européenne est loin d’être à l’ordre du jour des institutions de l’Union européenne (UE). Celle-ci est réputée pour ses paradis fiscaux qui drainent des centaines de milliards d’euros de fraude fiscale. Pour donner un aperçu de l’injustice fiscale, la seule fraude à la TVA représenterait 14 milliards d’euros chaque année en France, selon le Snui. L’ensemble de la fraude fiscale représentait entre 36 et 45 milliards d’euros en 2007, autant de ressources manquantes pour le financement des services publics et d’une véritable justice sociale. L’évasion et la concurrence fiscales affaiblissent notamment l’imposition des bénéfices des sociétés. Selon l’économiste Pierre Larrouturou, un budget européen financé par un impôt européen permettrait de dégager 18 milliards supplémentaires dans le budget français, c’està-dire le montant de sa contribution à l’UE. Il propose un impôt européen sur les bénéfices des sociétés, ainsi qu’une écotaxe et une taxe Tobin pour limiter la spéculation sur les transactions monétaires. _Thierry Brun Retrouvez le blog de Thierry Brun sur www.politis.fr Que faut-il développer ? (1) Crise, la solution interdite, Pierre Larrouturou, Desclée de Brouwer, 2009. Tant que la nature profonde de la crise ne sera pas reconnue, toutes les mesures annoncées à grand fracas auront l’effet d’un cautère sur une jambe de bois. Cette crise globale est celle du capitalisme qui a cru pouvoir indéfiniment garantir une accumulation par la seule activité financière, improductive par définition. Elle est aussi celle d’un mode de développement fondé sur l’illusion que les limites écologiques pouvaient être toujours reculées. Enfin, elle est idéologique et politique, le néolibéralisme ayant perdu toute légitimité. Il s’ensuit que les propositions en termes de croissance verte ou de développement durable à la sauce officielle sont à côté de la plaque. Faut-il pour autant abandonner toute idée de développement ? Examinons ici trois des problèmes qui sèment la zizanie au sein des mouvements qui veulent rendre compatibles préoccupations sociales et écologiques. L’horizon dans lequel l’humanité est capable de se projeter ne dépasse pas deux ou trois générations. C’est pour cela que s’imposent le respect du principe de précaution et la nécessité de penser la transition pour sortir du capitalisme et du productivisme. Parallèlement à la baisse des productions néfastes, le développement de celles de qualité est indispensable. Certes, l’empreinte écologique de l’éducation, de la santé publique, des transports collectifs, etc. n’est pas nulle, mais la réduction des inégalités passe en grande partie par l’accès de tous à ces services. Si la décroissance de la production et de la consommation ou même leur plafonnement à court terme s’appliquaient à ce type d’activités, c’en serait fini de l’espoir d’inverser la logique dominante, sauf à condamner les pauvres à devenir encore plus pauvres. L’amélioration de la qualité des services Améliorer non marchands impliquera pendant longtemps une la productivité augmentation des moyens mis en œuvre et non une réduction, vu l’état de délabrement dans lequel les aura ne signifie laissés le capitalisme. pas automatiquement accroître la production. D’autre part, certains écologistes critiquent l’amélioration de la productivité du travail, qu’ils assimilent à l’augmentation de la production. Or, la productivité met en rapport la quantité produite et le travail nécessaire. Améliorer la productivité ne signifie donc pas automatiquement accroître la production, si le temps de travail individuel diminue et si l’emploi est réparti entre tous. Les partisans de la décroissance rétorquent que ce raisonnement oublie les coûts cachés de l’amélioration de la productivité. Or, fondamentalement, l’amélioration de la productivité est un principe d’«économie» au sens premier du terme. Et la productivité est, à l’échelle globale, un indicateur monétaire et ne peut dire que ce que dit la monnaie. Vouloir lui faire dire quelque chose en matière d’utilité sociale des biens et services, de préservation de la nature ou de conditions de travail, c’est confondre usage et valeur économique. D’où le troisième problème : que devient le PIB dans une phase de transition non productiviste? Les partisans de la décroissance disent qu’il doit diminuer. Pourtant, on ne peut savoir à l’avance ce qu’il en adviendra. En remplaçant l’agriculture productiviste par l’agriculture biologique, quelle serait la valeur monétaire de celle-ci? Si l’amélioration de la qualité nécessite une plus grande quantité de travail (incluant celui contenu dans les moyens de production), entraînant une hausse de la valeur unitaire de chaque bien ou service, nul ne sait quel sera le résultat de la somme des multiplications de ces valeurs par les quantités produites (le PIB). C’est un autre problème que celui de l’érosion monétaire, que les comptables nationaux essaient de résoudre avec la technique dite «à prix constants», car la production de qualité est un «bien» différent de la production merdique. Au total, la réflexion théorique et la stratégie politique pour une autre économie doivent associer la redéfinition du développement et des finalités du travail, l’utilisation de l’amélioration de la productivité du travail pour diminuer le temps de celui-ci et la réduction des inégalités. Cette dernière passe par deux voies complémentaires: la fixation d’une échelle de revenus maximale très faible et l’accès de tous aux biens communs. 1 4 mai 20 09 I POLITIS I 7 SOCIAL MOBILISATIONS Un nouveau front se dessine à l’occasion des États généraux du chômage et de la précarité. Organisés par le Collectif pour des droits nouveaux, ils rassembleront chômeurs, syndicats et partis politiques. Chômeurs et salariés, même combat ? es manifestations interprofessionnelles le 29 janvier, le 17 mars et le 1er mai ; d’autres prévues le 26 mai puis le 13 juin… Mais « on n’attendra pas le 26 mai pour agir », lâche Évelyne Perrin, animatrice d’Agir ensemble contre le chômage (AC !). L’absence de réponses à la hauteur de la crise provoque « une exaspération sociale qui ne trouve pas de débouché unitaire ni de réponse syndicale suffisamment radicale et durable », constate le Collectif pour des droits nouveaux (1), à l’origine des États généraux du chômage et de la précarité qui se tiendront les 16 et 17 mai à Bobigny (voir ci-dessous). Le Collectif appelle à la création d’une coordination de salariés, de précaires et de chômeurs, et réunira des syndicalistes et des militants associatifs et politiques avec l’objectif « d’établir une plateforme de revendications communes », résume Évelyne Perrin. Une « plateforme unitaire pour une garantie de revenu et la continuité des droits », élaborée en 2006 par quinze associations, organisations et syndicats, servira de base de réflexion. Le texte revendique notamment le droit à un revenu décent et la garantie de droits sociaux (santé, logement) pour tous les chômeurs et les précaires grâce à la création d’un fonds national, interprofessionnel et mutualisé fondé sur une nouvelle répartition des richesses. Mais les débats promettent d’être houleux D Manifestation le 4 décembre 2004 à l’appel d’AC !, du MNCP et de la CGT chômeurs. GUAY/AFP entre syndicats et partis de gauche autour de plusieurs propositions. Il sera en effet question du relèvement et de l’élargissement du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans, de la création d’une allocation pour les jeunes à la recherche d'un emploi et du maintien du salaire pour les personnes licenciées grâce au Fonds d’intervention social, mis en place en avril. Surtout, les avis divergent sur la notion de flexsécurité et sur la responsabilité du capitalisme dans les causes de la crise. En outre, la CGT-Chômeurs et la FSU n’ont pas encore signé la plateforme élaborée en 2006, et le MNCP s’est retiré de l’organisation des États généraux. Malgré tout, organisateurs et participants espèrent obtenir des Le programme des États généraux Un programme chargé attend les participants aux États généraux du chômage et de la précarité, qui auront lieu les 16 et 17mai à la Bourse du travail de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Dans un contexte de grave crise économique, l’enjeu de ces rencontres est d’établir un front de lutte entre les salariés, les chômeurs et les précaires. Elles seront aussi l’occasion d’élargir les débats aux syndicats et aux partis de gauche. Syndicalistes et militants associatifs et politiques se sont donné deuxjours pour dresser un état des lieux du chômage et 8I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 de la précarité en France et présenter des propositions. Six ateliers seront organisés autour de questions d’actualité comme le RSA, la prise en charge des chômeurs par Pôle Emploi, la lutte contre les licenciements ou la formation professionnelle, mais aussi sur les nouvelles formes de précarité, le chômage des jeunes, le travail précaire des femmes. Les économistes Jacques Rigaudiat (Parti de gauche) et Pierre Larrouturou (parti socialiste)interviendront lors de deux tables rondes. La première portera sur le nouveau statut du travail salarié, la garantie d’un revenu pour tous et des droits nouveaux. La seconde traitera de la nécessaire alternative anticapitaliste, de la réduction du temps de travail, de la défense de l’emploi et de la sécurité sociale professionnelle. La synthèse des ateliers et des tables rondes servira de base à une déclaration commune et à la mise en place d’un cadre de mobilisation. _F. D. Rens. : collectif d’organisation, Évelyne Perrin, 06 79 72 11 24. résultats, explique Michel Rousseau, des Marches européennes contre le chômage : « La crise ne suscite pas des attitudes de repli mais des mobilisations. Avant, les chômeurs cachaient leur situation à leurs proches ; aujourd’hui, ils se font entendre et se rendent visibles. » Et la défense des chômeurs est devenue une des priorités pour les syndicats, alors que le niveau de chômage bat des records. Les États généraux comptent ainsi sur la présence d’ouvriers de Caterpillar et de syndicalistes de la CGT. Ils seront aussi l’occasion de mettre en place des initiatives au niveau européen. Parmi les propositions figure une marche des chômeurs et des salariés. Comme dans les années 1990. _Fanny Derrien (1) AC !, Actuchomage, Apeis, Attac Campus Quartier Latin, Collectif féministe Ruptures, Collectif national pour les droits des femmes, Droit au logement, Droits devant !!, Fondation Copernic, Génération précaire, Marches européennes, No Vox, SNU-Pôle emploi-FSU, SNU-TEFI-FSU, Stop Précarité, Union syndicale Solidaire. SOCIÉTÉ INTERNET La bataille contre la loi Création et Internet, dite Hadopi, est loin d’être terminée. La députée Martine Billard (Verts) suit ce dossier en première ligne. « Cette loi est un non-sens historique » POLITIS I Le Parlement européen a adopté le 6 mai un amendement qui remet en cause l’un des principaux points de la loi Hadopi (1). Quelles sont les conséquences de ce vote ? Martine Billard I Le vote du Parlement européen, obtenu par 407 voix contre 57, impose une décision judiciaire préalable à toute coupure d’une connexion Internet. Les députés européens ont massivement décidé qu’Internet est aujourd’hui un outil fondamental à l’éducation et à l’information, et que son interruption présentait un préjudice trop important pour pouvoir être décidé sans recours au juge. Le gouvernement français considère que l’accès à Internet n’a pas à être reconnu comme un droit fondamental, que le recours au juge n’est donc pas nécessaire pour infliger la coupure de la connexion, et que les tribunaux seraient trop encombrés par une telle obligation. Les arguments donnés par Christine Albanel, ministre de la CulCette loi s’appuie ture, lors du débat sur un postulat à l’Assemblée erroné consistant nationale, ont été à faire croire que parfois sidérants, depuis : « Rien la baisse des ventes de disques n’empêche d’aller et DVD est due au consulter ses mails chez son voisin », téléchargement. jusqu’à : puisque « trois juges vont siéger dans la Haute Autorité, il y a bien contrôle du juge », cherchant ainsi à faire croire qu’il suffit qu’un juge siège dans une instance ès qualités pour transformer cette instance en autorité judiciaire. Le projet de loi va être déféré devant le Conseil constitutionnel par les deux groupes d’opposition de l’Assemblée nationale (SRC et GDR). Mais le vote européen n’étant pas définitivement acquis (2), il n’est pas certain que le Conseil constitutionnel décide de censurer tous les alinéas introduisant la suspension de la connexion Internet. Vous avez été à l’Assemblée en première ligne dans cette bataille. Quelle est votre principale critique contre Hadopi ? Cette loi s’appuie sur un postulat de départ erroné consistant à faire croire que la baisse des ventes de disques et DVD est due au téléchargement sans respect des droits d’auteurs. Or, nous assistons au passage d’une économie fondée sur des supports physiques à une économie numérique. Selon les opposants à Hadopi, la loi démontre surtout la volonté de contrôler Internet. HORVAT/AFP 10 I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 Il n’y a donc rien d’extraordinaire à la chute des ventes de disques, dont les prix exorbitants n’ont pas baissé en vingt ans. Les coûts de production et de diffusion sont bien inférieurs dans l’économie numérique, et pourtant la répartition des bénéfices entre artistes et majors de la musique est restée la même, entraînant une hausse de 20 % de la rémunération des distributeurs, mais rien pour les auteurs ! En revanche, les revenus issus du spectacle vivant ou même de la diffusion publique d’œuvres augmentent régulièrement, et la dernière enquête Médiamétrie pour l’année écoulée montre une fréquentation des salles de cinéma en hausse. Cette loi ne sanctionne pas en tant que tels les téléchargements abusifs mais le défaut de sécurisation de la connexion Internet. Pourtant, il est SOCIÉTÉ DE QUELS DROITS ? CHRISTINE TRÉGUIER impossible de garantir que l’adresse IP (adresse de la connexion Internet) relevée en infraction appartient bien au titulaire de l’abonnement mis en cause. Tous les pays qui s’étaient engagés dans ce type d’avertissement par mail des internautes soupçonnés de téléchargement abusif ont dû reculer devant la multiplication d’erreurs, estimées entre 30 et 40 %. Les majors ont soigneusement évité de l’expliquer aux artistes et ont réussi à leur faire croire que la loi ne prévoit qu’une coupure d’au plus 15 jours, alors qu’elle pourra être de 2 à 12 mois. En cas de détournement d’une connexion, c’est le titulaire de l’abonnement qui sera poursuivi et non le responsable du téléchargement abusif, et ce sera à lui de démontrer qu’il n’a pas téléchargé sans respecter des droits d’auteurs et qu’il a bien sécurisé sa ligne. Ce qui est quasi impossible techniquement et exclut d’emblée les configurations informatiques sous logiciel libre. On passe du présumé innocent au présumé coupable. Mais, comme cela pourrait avoir comme conséquence de couper des connexions professionnelles (médecins, avocats, artisans…), la loi prévoit que ce sera à la Haute Autorité de décider ou non de prononcer la coupure comme sanction. Une inégalité de plus devant la loi ! Le réseau Internet pourra donc être surveillé par des sociétés privées (les sociétés de droits d’auteurs) sans décision préalable de justice, ce qui revient à étendre des dispositifs uniquement autorisés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme à la défense d’un droit de propriété. Cette loi démontre surtout la volonté de contrôle d’Internet, et les messageries en ligne y ont échappé de peu, que ce soit par des mesures de surveillance ou par la labellisation de sites par une autorité administrative. Et encore, nous avons échappé de peu au ridicule puisque le rapporteur de la loi voulait obliger les moteurs de recherche à référencer en priorité les sites labellisés par le gouvernement français ! C’est un non-sens historique, inacceptable au plan juridique, et inapplicable en pratique. Cette loi n’apportera pas un centime de plus aux artistes. Pourquoi donc cette obstination gouvernementale ? D’abord, ne pas perdre la face pour Sarkozy après le camouflet du rejet du 9 avril (les partisans de la loi s’étaient trouvés en minorité dans l’hémicycle, NDLR). Ensuite, donner l’impression que l’UMP est un bien meilleur défenseur des artistes que la gauche, tout en garantissant en fait les revenus des majors et des artistes aujourd’hui les mieux rémunérés. Enfin, cette loi est aussi un cheval de Troie préparant d’autres textes à venir ayant à voir avec Internet : loi sur les jeux en ligne, et surtout une nouvelle loi sur la Sécurité intérieure, qui aggravera encore le contrôle d’Internet. Quelle solution alternative proposez-vous qui puisse satisfaire les artistes ? Le téléchargement existe de manière massive depuis une décennie. Peuton dire que cette période a été mise à profit pour étoffer l’offre légale de téléchargement et en améliorer la qualité ? Non. Au contraire, le gouvernement et les majors se sont arc-boutés dans la défense des intérêts de quelques-uns avec le verrouillage du marché par quelques majors qui en contrôlent presque les trois quarts. Une première mesure consiste donc à baisser les prix pratiqués tout en rééquilibrant la répartition au profit des artistes. Ensuite, une contribution payée par les fournisseurs d’accès Internet et les opérateurs téléphoniques, qui proposent de plus en plus de musique, et même maintenant de la télévision, créerait de nouvelles recettes pour la création culturelle. Cela, conjugué avec une licence globale consistant en une somme modique intégrée au prix de l’abonnement, permettrait de dégager autour de 800 millions d’euros. Enfin, pour approfondir les réponses à apporter en tenant compte des droits d’auteurs, des nouvelles pratiques culturelles et du refus de basculer dans le contrôle de la toile, la plateforme « Création, public et Internet » amorcée par l’UFC-Que choisir, l’Isoc France, la Quadrature du Net, le Samup et le Collectif « Pour le cinéma » (créé par Paulo Branco, producteur de Wim Wenders, Werner Schroeter, Michel Piccoli, Manoël de Oliveira ou Raoul Ruiz…) annonce des assises de la création et de l’Internet à l’automne. _Propos recueillis par Denis Sieffert (1) L’acronyme Hadopi, qui a donné son nom à la loi « Création et Internet », correspond à « Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet ». (2) Le vote peut être encore infirmé par le Conseil des ministres européens qui se réunit le 12 juin. La riposte européenne Échaudé par le rejet quelque peu inattendu du 9avril à l’Assemblée nationale, le gouvernement avait mis les bouchées doubles pour faire passer son projet de loi Création et Internet. Sermonnés par Sarkozy, qui en fait une affaire personnelle, et par Jean-François Copé, accusé de ne pas avoir suffisamment mobilisé ses troupes, les députés UMP ont été priés de voter droit. Une bonne centaine d’entre eux étaient donc présents au Palais-Bourbon le 4mai pour la seconde lecture. Pour éviter toute dissonance lors de la discussion générale, l’UMP a soigneusement trié ses orateurs, évacuant ainsi les anti-Hadopi notoires comme Lionel Tardy, Christian Vanneste ou Alain Suguenot. Le lendemain, le bruit a même couru que le Les députés gouvernement pourrait, pour gagner du temps, demander le recours à un vote bloqué, sans ont réaffirmé examen des amendements, en usant de la nécessité l’article 44.3. Il a finalement préféré reculer la date de la protection du vote définitif pour laisser place à la discussion. Ou plus exactement à un dialogue de sourds entre du juge, les opposants et une majorité fermement décidée passant à la à ne pas changer une virgule au texte proposé. trappe un Dans un hémicycle plutôt clairsemé, les opposants ont vaillamment défendu leurs amendement amendements, ne recevant en réponse, la plupart de compromis du temps, qu’un laconique « avis défavorable» de âprement la part du rapporteur et de la ministre, suivi d’un « l’amendement est rejeté» tombant du perchoir. négocié. Le texte devrait donc être adopté sans faire un pli les 12 et 14mai par l’Assemblée et le Sénat. Mais cette loi sera-t-elle applicable ? Déjà, elle menace de ne pas être conforme à la législation européenne. En effet, le 6mai, un vent anti-Hadopi a soufflé du Parlement européen, réuni pour la seconde lecture d’un ensemble de directives dites Paquet télécoms. Ce jour-là, les eurodéputés ont à nouveau voté à une très forte majorité (407 voix contre 57) le fameux amendement 138 (renommé 46). Plébiscité en octobre dernier, avant d’être retiré par le Conseil sous la pression de la France, il stipule qu’«aucune restriction ne peut être imposée aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux sans décision préalable des autorités judiciaires». Les députés ont réaffirmé la nécessité de la protection du juge, passant à la trappe un amendement de compromis âprement négocié entre Conseil, Commission et Parlement, qui proposait, lui, de s’en remettre à un « tribunal indépendant et impartial». Pour Guy Bono, député PSE coauteur du 138 avec Cohn-Bendit, « c’est une claque pour Sarkozy». L’Hadopi, en tant qu’autorité administrative, ne pourrait sur simple présomption suspendre l’accès des internautes. La ministre de la Culture a immédiatement démenti, affirmant que l’accès à Internet n’est pas un droit fondamental. Mais si l’amendement Bono n’a aucun impact sur l’Hadopi, pourquoi la France fait-elle, depuis des mois, des pieds et des mains pour obtenir sa suppression? Il appartient maintenant au Conseil de l’Europe, qui doit se réunir le 12juin, de valider ou non le Paquet télécoms en l’état. S’il le fait, les fournisseurs d’accès pourraient bien disposer d’un argument de choix pour ne pas obtempérer aux injonctions de l’Hadopi, et les internautes d’un sérieux moyen de défense. 1 4 mai 2 0 0 9 I POLITIS I 11 SOCIÉTÉ UNIVERSITÉS Présidente du collectif Sauvons la recherche et professeur d’épistémologie des sciences sociales à Villetaneuse Paris-XIII, Isabelle This Saint-Jean analyse la stratégie du gouvernement face au conflit. « Nous subissons des menaces » POLITIS I Quel jugement portez-vous sur la stratégie gouvernementale pour décrédibiliser le mouvement universitaire ? Isabelle This Saint-Jean I Nous alternons entre colère et indignation. Il faut d’abord rappeler que nous nous battons pour les étudiants. Le mouvement a fait preuve de maturité. Les enseignants ont fait au mieux avec les cours et les étudiants. On doit maintenant être vigilants sur la manière dont on traite les examens. Jusqu’à présent, l’opinion nous a été favorable. L’approche des examens peut faire basculer cette tendance, les gens peuvent avoir un sentiment d’instrumentalisation, d’où la nécessité de répondre en soulignant combien la ministre Valérie Pécresse porte la responsabilité du conflit. Les conditions de sorties de crise étaient clairement exposées, et vraiment pas insurmontables. Valérie Pécresse estime que nombre de revendications ont été entendues et revues. Qu’en est-il exactement ? Elle n’a cédé sur presque rien au regard de l’ampleur de la mobilisation, sachant qu’on ne demandait tout de même pas la lune ! Les lignes les plus dures ont réclamé l’abrogation de la LRU, mais l’ensemble s’est surtout mobilisé sur les décrets, la masterisation, l’emploi et les organismes de recherches. Si l’on regarde ces quatre dossiers, on voit que presque rien n’a été accordé. Sur la masterisation, il y a juste un report d’une année. Sur les décrets, objet de la plus grande mobilisation, sur lesquels circulent beaucoup de mensonges, rien n’a été modifié. Même Claude Guéant a reconnu que, réécrit, le texte est le même ! Il a seulement évolué sur les promotions, mais pas sur l’essentiel, c’està-dire sur les modulations de service, mises en place dans un contexte d’emplois scientifiques décroissants et sans recours possible. Un jeune enseignant-chercheur en début de carrière ne pourra pas dire non à son président d’université, et se retrouvera avec plus de cours. Ces décrets ouvrent la porte « L’une des victoires de notre à de sérieuses interrogations mouvement est peut-être que l’on sur notre indépendance. Dera préparé les rière cette indéesprits pour d’autres secteurs, pendance, ce sont les libertés comme celui de publiques qui l’hôpital et la sont remises en sauvegarde des Côté emplois publics. » cause. emploi, rien n’a changé non plus. Il y a seulement une promesse de François Fillon de non-suppression de postes en universités pour 2010 et 2011. Ce n’est qu’une promesse, laquelle ne concerne même pas les organismes de recherches, qui ont tout à craindre. Il ne s’agit pas seulement de s’élever contre les suppressions, mais aussi d’obtenir davantage d’emplois scientifiques. On attend toujours le plan pluriannuel d’emploi pourtant promis. Enfin, sur le démantèlement des organismes de recherches, c’est l’opacité totale. Aucune garantie n’a été donnée. Comment justifiez-vous l’entêtement du ministère ? Par la volonté d’exemplarité, l’envie de nous mettre à genoux, de manière purement cynique. Le sort des étudiants et la recherche publique ne sont pas sa première préoccupation, sans quoi le gouvernement aurait lâché. Quel est le rôle des présidents d’université ? Manifestation d’enseignants-chercheurs le 4 mars 2008, à Paris. DE SAKUTIN/AFP 12 I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 Il existe une grande diversité au sein de la Conférence des présidents d’université (CPU). Elle a d’abord accompagné et porté la LRU ; aujourd’hui, elle est plus réservée sur la pertinence des réformes en cours. Les présidents occupent une position très inconfortable. Ils sont en charge des étudiants, avec la responsabilité d’un discours à tenir et le devoir de défense des institutions. Ils sont aussi probablement soumis à des menaces du gouvernement. Car celui-ci fonctionne à coups de menaces. La criminalisation du mouvement en témoigne. Si les présidents d’université ne rétablissent pas l’ordre, on leur fait entendre que toutes les ressources seront coupées. Nicolas Sarkozy a été clair : « Pas de moyens sans réformes ! » Cela dit, les moyens n’y sont pas ! C’est pour cette raison que certains présidents sont à nos côtés. Quel regard portez-vous sur le traitement médiatique des revendications ? Il y a une réelle difficulté pour la presse à traiter du sujet sur le fond. Il me semble qu’en général elle suit trop les pièges médiatiques du gouvernement. Maintenant, c’est celui de la « minorité gauchiste » sur les blocages, qui sacrifierait une génération, pour nous discréditer ; c’est aussi le piège des examens. Cela mériterait d’être traité avec plus de recul. Mais le gouvernement a une capacité à occuper le terrain médiatique, une maîtrise de la communication que nous, enseignants, n’avons pas. Cela dit, l’une des victoires de notre mouvement est peutêtre que l’on a préparé les esprits pour d’autres secteurs, comme celui de l’hôpital et la sauvegarde des emplois publics. Enfin, comment envisagez-vous la suite du mouvement ? Il est important de garder l’opinion publique avec nous parce qu’il y a une échéance électorale, et il faut que l’on fasse partie des éléments qui vont envoyer un message très clair au gouvernement. À l’occasion des élections européennes, nous organisons le 30 mai une table ronde au Centquatre, à Paris, sur les réformes universitaires européennes, en présence de nombreux chercheurs. Dans la même perspective, nous organisons le 4 juin une manifestation sous le nom de « marche de tous les savoirs », qui porte un message au cœur de nos préoccupations : la connaissance comme valeur en soi, et non pas comme marchandise. _Propos recueillis par Jean-Claude Renard SOCIÉTÉ MOBILISATION La « ronde des obstinés », qui proteste contre la réforme de l’Université, a franchi le cap du millier d’heures. Elle veut désormais s’intensifier et s’associer à d’autres secteurs en lutte. Le cercle s’ouvre et s’agrandit ls tournaient depuis le 23 mars. 1 000 heures que les enseignantschercheurs, les personnels d’université et les étudiants se relayaient, jour et nuit, pour montrer leur désaccord au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en marchant en rond sur le parvis de l’Hôtel de ville de Paris. 1 000 heures et pas l’once d’une réponse du gouvernement. Le 4 mai dernier, les « obstinés » ont alors choisi d’interrompre leur ronde quotidienne et d’aller tourner « de façon intempestive » en d’autres lieux. Jeudi 7 mai, c’est au Panthéon qu’ils sont partis faire des tours. « Notre marche lancinante entre dans une dynamique centrifuge, explique un tract unitaire distribué par une enseignante de Sauvons l’université. Elle réapparaîtra plus massive […] et s’associera plus encore aux autres secteurs en lutte. » Sous le regard des passants et des touristes, la « ronde des obstinés » suit ainsi une allure décidée. « Le décret qui modifie le statut des enseignants, prétendument réécrit, pose toujours problème, explique madame Dagois, professeur de musique. Il y a aussi le texte sur la masterisation, consacré à la formation des enseignants, qui s’élabore sans concertation en reprenant ce qui posait problème dans le premier décret. » Dans la ronde, on marche aussi pour redire son opposition à la Loi sur l’autonomie des universités (LRU), votée en août 2007. Parce que « tout ce qui nous est présenté par le gouvernement comme des réformes se résume à des économies de moyens », tranche l’enseignante. « Tout ce qui nous « On se bat pour une certaine idée est présenté par de l’enseignement, le gouvernement explique Nicolas, comme étudiant en philodes réformes sophie à Parisse résume VIII, pour une à des économies université en moude moyens. » vement, avec une recherche et des enseignements libres, non pas orientés vers des intérêts économiques ou dictés par un pouvoir politique. » « Changement de sens », hurle un universitaire posté au centre du cercle. Après quelques instants de confusion, les manifestants se retournent et reprennent leur marche et leurs conversations. I Le 7 mai, la « ronde des obstinés » manifestait devant le Panthéon. Et elle compte bien s’inviter dans la campagne des européennes. ERWAN MANAC’H L’Europe des facs se mobilise Un « G8 de l’Université » se tient à Turin cette semaine. Dans le même temps, un contre-sommet s’organise, lieu de débats et de réflexions pour toutes les luttes européennes. P réambule au sommet du G8 des chefs d’État, programmé cet été en Sardaigne, le G8 de l’Université se tiendra à Turin du 17 au 19 mai. Y participeront recteurs et nombre de présidents d’université des États membres pour débattre des stratégies de recherche sur le secteur. Le mouvement Vague européenne organise à cette occasion (via la Vague turinoise Onda Anomala Torino) et aux mêmes dates un contre-sommet sonnant comme une réponse au processus de Bologne, établi il y a dix ans, qui marque le désengagement de l’État, promeut une prétendue autonomie et définit la libéralisation des universités. Au programme de cette rencontre, plusieurs ateliers de réflexion et débats sur l’université globale, la production du savoir vivant, la confrontation des luttes universitaires européennes, en Italie, en Espagne, en Grèce et en France, avant de clore sur une manifestation qui devrait rassembler plusieurs associations (dont Attac). Pour la Vague européenne, alors qu’au Sommet du G8 « l’université sera représentée victorieuse, transformée et globalisée », il s’agit de la décrire comme ce qu’elle est: « une université en crise, contradictoire, avec un abaissement du niveau des savoirs transmis et qui profite de ceux qui les produisent, les condamnant à une condition de précarité. Si ce sont les académies qui continuent à administrer la pénurie des ressources, adoptant la logique d’entreprise, la formation (non plus service public) continuera à se légitimer dans la forme de prestation à acheter, à des prix toujours plus lourds, produisant un “système” insoutenable pour qui y étudie et y travaille». _J.-C. R. Block G8 University Summit, 17 au 19 mai, Turin. Rens. : www.vagueeuropeenne.fr ou http://ondanog8.blogspot.com. Prog. : http://4.bp.blogspot.com Un an après le mouvement étudiant contre la LRU, les enseignants sont en tête de cortège avec la même problématique. « C’est assez exceptionnel, poursuit Nicolas. Les professeurs sont en grève depuis des mois. Ça fait longtemps que ça n’était pas arrivé. » Pourtant, cette année, la mobilisation des étudiants fait un peu défaut pour grossir les cortèges. « Ils sont dans une telle précarité qu’ils sont paniqués à l’idée de s’investir dans un mouvement, estime une thésarde en littérature. Beaucoup travaillent pour financer leurs études, donc une longue grève pose un vrai problème économique. » « La question des validations des semestres nous préoccupe en priorité depuis la rentrée, explique Nicolas. Le gouvernement met la pression làdessus et menace les étudiants d’avoir des diplômes bradés. On tombe un peu dans ce piège finalement. » La ronde redeviendra permanente si aucune concession de fond n’est obtenue le 1er juin. Et, prévient le tract, « la ronde infinie des obstinés s’invitera dans le débat des européennes ». _Erwan Manac’h Site : http://rondeinfinie.canalblog.com 1 4 mai 20 09 I POLITIS I 13 ÉCOLOGIE TERRES Au nom de la lutte contre la pollution, les forêts sont devenues un enjeu financier face auquel les droits des peuples autochtones ne pèsent guère. La face cachée de la reforestation ’est avec un grand sourire que le prince de Galles visite en novembre 2008 « l’une des plus grandes initiatives de restauration des forêts tropicales jamais tentées » sur l’île de Sumatra (Indonésie). En 2002, le gouvernement indonésien a attribué pour cent ans 53 000 hectares des forêts d’Harapan à un consortium d’organisations non gouvernementales environnementales, « afin de les protéger contre la pression des plantations de palmiers à huile et de bois à pâte, de l’exploitation forestière illégale et du feu (1) ». Il y aurait même des emplois pour les communautés en bordure des forêts. Une réalité tronquée, selon Sarwadi Sukiman, paysan originaire de l’île : « Lorsque le consortium a pris le contrôle de la région, des paysans et des indigènes ont été intimidés, arrêtés, interrogés et expropriés de leurs terres, forcés d’accepter par lettre de ne jamais revenir. L’un d’entre eux a été détenu pendant six mois pour avoir défendu la terre de la communauté touchée (2). » Selon le Mouvement mondial pour les forêts tropicales (WRM), l’établissement d’aires protégées est souvent suivi d’expropriations, faisant des réfugiés de la conservation une nouvelle catégorie de migrants en pleine expansion (voir encadré). Dès 2002, le WRM estimait leur nombre à 600 000 en Inde. En Afrique centrale, la création de neuf parcs nationaux aurait entraîné le déplacement forcé de 51 000 résidents, C En Indonésie, les communautés locales se retrouvent coincées entre les plantations et les rares forêts mises sous cloche. ZAMRONI/AFP sans qu’aucune aire d’accueil ne leur soit proposée. Le cas du parc national de Mount Elgon, en Ouganda, est emblématique. Deux ans après sa création en 1992 – qui généra les premiers déplacements –, un accord fut signé entre les autorités de ce pays et la fondation Face, créée par des entreprises électriques néerlandaises, pour y planter 9 000 hectares d’arbres destinés à stocker du carbone en compensation d’émissions de CO2 de centrales à charbon aux Pays-Bas. Le parc bénéficie de la Une convention pour les migrants écologiques Estimés à 25 millions en 2001, les déplacés environnementaux, dont le nombre pourrait atteindre un milliard à la fin du siècle, vivent dans un vide juridique. Des chercheurs du Centre international de droit comparé de l’environnement (CIDCE) et du Centre de recherche interdisciplinaire sur le droit de l’environnement, de l’aménagement et de l’urbanisme (Crideau) (1), à Limoges, esquissent actuellement les contours d’une future convention internationale pour protéger les exilés du dérèglement climatique, mais aussi des catastrophes naturelles, 14 I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 technologiques ou industrielles. Cette initiative scientifique et universitaire, qui prévoit la création d’organisations mondiales dédiées et d’un fonds financier, est actuellement soumise à la communauté internationale, aux États et aux ONG. Cette convention viendrait compléter la Convention de Genève sur le statut des réfugiés (droit d’asile) en introduisant la catégorie des « déplacés environnementaux ». _S. C. (1) www.cidce.org et www.gridauh.fr certification écologique FSC, dont un des principes est d’assurer aux peuples autochtones leurs droits, les terres et leurs ressources. Février 2008 marque pourtant l’expulsion de plus de 4 000 résidents du parc. Pour le service de la faune et de la flore ougandaises (UWA), l’installation de ces communautés était « illégale ». Or, deux ans et demi plus tôt, la justice ougandaise avait autorisé la communauté des Benet « à s’y adonner à des activités agricoles ». Plusieurs conventions et déclarations internationales reconnaissent pourtant les droits des peuples autochtones (3). Mais l’intégration prochaine des forêts et des terres agricoles des pays du Sud dans le marché mondial du carbone (4), sous l’égide de l’accord qui succédera dès 2012 au Protocole de Kyoto, risque encore d’en compliquer l’application. Ainsi, le propriétaire d’une forêt ou d’un champ pourra vendre un droit à polluer correspondant aux quantités de carbone qui y sont stockées. La Banque mondiale estime que ces mécanismes (dits REDD) vont offrir aux populations locales des compléments de ressources. « Ils risquent plutôt de créer une compétition croissante pour l’accès aux ressources productives, selon Via Campesina. Les terres ne serviront plus à nourrir les communautés locales, mais à stocker du carbone pour que le Nord puisse continuer à en émettre. » Pour Sylvain Angerand, chargé de campagne pour la protection des Les terres ne forêts aux Amis de la Terre France, servirons plus à « c’est un néoconourrir les populations mais à lonialisme écolostocker du carbone gique. On réquisitionne de la terre pour que le Nord au Sud pour compuisse polluer. penser la surconsommation du Nord. Les peuples autochtones et les communautés locales se retrouvent coincés entre des plantations de palmiers à huile et les rares forêts restantes mises sous cloche. Tant que les États n’auront pas résolu ces conflits fonciers, les mécanismes de type REDD exacerberont ces tensions. » Il devient donc urgent de transposer dans les droits nationaux les conventions et déclarations relatives aux droits des peuples autochtones, et en particulier le principe de « consentement prioritaire, libre et informé ». Une étude a montré que, quand les communautés indigènes acquièrent des droits, elles défendent avec succès leur territoire contre l’exploitation commerciale. Ainsi, 1 % des territoires octroyés aux indigènes sont touchés par la déforestation en Amazonie (au Brésil), contre 2 % dans les aires uniquement protégées par des mesures environnementales, et 19 % dans les zones non protégées. Relégués actuellement au rang d’observateurs dans les négociations internationales sur le climat, les peuples indigènes demandent donc une suspension immédiate des projets de type REDD sur leurs territoires (5) tant que leurs droits ne seront pas pleinement reconnus, protégés et promus. _Sophie Chapelle (1) www.princesrainforestsproject.org (2) www.viacampesina.org (3) Convention 169 de l’Organisation internationale du travail, Convention sur la diversité biologique et, surtout, Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. (4) Voir Politis n° 1050. (5) www.redd-monitor.org/2008/12/15/indigenouspeoples-censored-at-poznan MONDE SRI LANKA Dans plusieurs villes occidentales, la diaspora tamoule se mobilise face au conflit. Reportage à Paris dans une communauté discrète et très soudée. Vivre la guerre à distance epuis le durcissement des violences au Sri Lanka, en janvier, la diaspora tamoule est plongée dans l’anxiété. Jour et nuit, les Tamouls de Paris se retrouvent par centaines place de la République à Paris pour tenter de réveiller l’opinion et la diplomatie française. Quatre jeunes sont en grève de la faim depuis le 8 avril. Deux ont été hospitalisés et l’état de santé des deux autres s’est fortement dégradé la semaine passée. Ils ont réitéré, samedi 9 mai, leur refus de recevoir des soins. « Je suis déterminé », prévient Shanmugarajah Navaneethan, l’un des grévistes de la faim. Il exhorte Bernard Kouchner à reconnaître la région de l’Eelam comme un territoire tamoul. Malgré l’inquiétude de ses proches, il se dit prêt à jeûner jusqu’à la mort si le ministre français des Affaires étrangères, qui rencontrait mardi à New York son homologue britannique, n’obtient pas d’accalmie dans le nord-est du Sri Lanka. Devant la tente montée pour abriter les grévistes de la faim, Thevarajah Thadcha guette les journalistes et les passants qui s’attardent : « L’armée sri-lankaise utilise des bombes interdites par la convention de Genève, dénonce la militante de l’Organisation des jeunes Tamouls (OJT) : des bombes à phosphore blanc, des bombes à sous-munitions. Les familles guettent le nom de leurs proches dans les journaux, mais la plupart des victimes sont portées disparues car il est difficile d’identifier les corps calcinés par les bombes. » Les femmes entonnent des slogans fustigeant le gouvernement « terroriste » du Sri Lanka. « J’ai quitté le pays en 1986, au moment ou ça commençait à se durcir, témoigne Jana Francis, 29 ans. Mon père était recherché pour avoir aidé les Tigres. Il s’est d’abord enfui seul et on l’a rejoint de peur de subir des représailles. » Jana a mis sa formation de webmaster entre parenthèses, taraudée par l’inquiétude. « Les gens qui sont blessés ou amputés ne sont pas soignés, explique-t-elle. Ils n’ont même pas d’eau pour nettoyer leurs plaies. Au bout de quelques jours, des vers en sortent. » Endeuillés, rongés par l’anxiété, les expatriés font preuve d’une grande D Les femmes fustigent le gouvernement « terroriste » du Sri Lanka. ERWAN MANAC’H solidarité. « Les réseaux tamouls en France sont d’autant plus denses qu’ils se sont créés dans l’adversité », observe l’ethnologue Aude Mary dans un ouvrage sur les Tamouls de Paris (1). Les rites religieux du Ganesh sont célébrés chaque année dans les rues du quartier de la Chapelle, où les Tamouls ont « reconstitué une territorialité ». Beaucoup n’y habitent pas mais viennent y trouver une enclave communautaire très forte, où les Tigres ont une influence politique importante. Ils accompagnent l’intégration des migrants. « Les Tamouls, c’est les Tigres ; et les Tigres, c’est les Tamouls », scande la foule postée place de la République. Pourtant, derrière un soutien unanime en apparence, certains Tamouls dénoncent la violence des Tigres. Une critique discrète et isolée qui, selon plusieurs témoignages, expose à des représailles violentes. L’ONG Human Rights Watch (HRW) dénonçait en 2006 (2) « de graves agressions, des menaces de mort et des campagnes de diffamation » des Tigres envers leurs opposants au sein de la diaspora, en particulier au Canada ou au Royaume-Uni. L’ONG américaine pointait aussi un « racket » quasi quotidien d’une partie de la diaspora. Des réfugiés sont contraints de verser plusieurs milliers d’euros, en s’endettant s’il le faut, et des pressions pèsent sur les familles de réfugiés restées au Sri Lanka. « De nombreux membres de la diaspora soutiennent activement les Tigres, observait Jo Becker, l’auteur du rapport. Mais la peur est si présente que même les Tamouls qui ne les soutiennent pas pensent toujours qu’ils n’ont d’autre choix que de donner de l’argent. » Les réfugiés racontent peu les horreurs qu’ils ont vécues. « Mes parents ont fui leur pays mais ils ne m’ont pas raconté tout ce qui se passe là-bas, explique Shanmugarajah Navaneethan, le gréviste de la faim. C’est avec l’âge et en faisant des études que j’ai compris les choses. » La jeune génération, qui a grandi en France, est en première ligne place de la République. « Nos parents nous ont offert une éducation, explique Thevarajah Thadcha. De notre côté, on a le devoir de remettre notre pays entre leurs mains. » Cette jeunesse, forgée dans une double culture, aspire à être mieux reconnue par la France. « Ça fait vingt-cinq ans qu’on manifeste en France pour la cause tamoule, sans résultat, accuse le gréviste de la faim. Cela nous choque, alors on a décidé de prendre les choses en main. » Le 20 avril dernier, lorsqu’une poignée d’entre eux exprimait violemment sa colère contre les CRS dans les rues du quartier de la Chapelle, la France politico-médiatique découvrait une communauté discrète. « Il a fallu que ça dégénère à la Chapelle pour que les gens s’intéressent à nous », déplore Jana Francis. _Erwan Manac’h (1) En territoire tamoul à Paris, un quartier ethnique au métro La Chapelle, Mary Aude, Autrement, 2008. (2) « Les Tigres tamouls rackettent la diaspora », mars 2006. www.hrw.org Un tiers des Tamouls en exil Depuis la décolonisation du Sri Lanka, en février 1948, des tensions sociales et ethniques embrasent régulièrement le pays. Les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) revendiquent depuis 1976 l’autonomie d’une région littorale du nordest. Une idée toujours refusée par les gouvernements sri-lankais, tenus par l’ethnie cinghalaise majoritaire. En 1983, la guerre civile explose, et la population tamoule se trouve prise en tenaille entre la répression gouvernementale et la domination musclée du LTTE. Les pogroms et la répression sanglante du gouvernement poussent près du tiers des Tamouls à l’exode. En janvier dernier, le gouvernement sri-lankais a lancé son « offensive finale » contre les Tigres. Ils sont aujourd’hui acculés avec des milliers de civils sur une étroite bande de terre dans le nord-est du pays, sous le feu nourri des forces gouvernementales. La diaspora compte 600 000 à 800 000 personnes dans le monde. En France, il s’agit de la première communauté de réfugiés avec 60 000 Sri-Lankais protégés par le droit d’asile et des milliers en situation irrégulière. Les récentes poussées de violence ont précipité, en 2008, 2 948 personnes à demander l’asile politique à la France, soit près de 8 % de l’ensemble des demandes. _E. M. 1 4 mai 2 0 09 I POLITIS I 15 16 I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 LES ÉCHOS Stéphane Richard, directeur de cabinet de Christine Lagarde, va devenir numéro deux du groupe France Télécom. Et l’homme est déjà pressenti pour la succession de l’actuel PDG, Didier Lombard, en 2011. Un avenir parfaitement maîtrisé attend donc celui qui a fait fortune en quelques années et réussi ce tour de force d’échapper à un redressement fiscal considérable assorti d’une pénalité «de mauvaise foi» et «d’abus de droits». Un étonnant compromis est trouvé en 2007, au moment de son arrivée comme directeur de cabinet. Cet homme ira loin. Le PDG de l’entreprise textile Carreman, sise à Castres, dans le Tarn, a proposé un reclassement en Inde à neuf de ses salariés avec un salaire de 69euros. Depuis New York, où il vit, le patron, François Morel, s’est tranquillement justifié en invoquant la « stupidité de la loi française». Et le député de Castres, Philippe Folliot(Nouveau Centre), lui a emboîté le pas en jugeant important de « faire modifier les textes sur les reclassements». Pourtant, une instruction du ministère du Travail datée de 2006 déclare que « la proposition d’une entreprise concernant des postes au sein du groupe dans des unités de production à l’étranger pour des salaires très inférieurs au Smic ne peut être considérée comme sérieuse». Sauf par le patronat et le Nouveau Centre? là-bas La grande peur d’Israël Une diplomate américaine quasi inconnue (mais de premier rang) vient de faire souffler un vent de panique sur le gouvernement israélien. La secrétaire d’État adjointe, Rose Gottemœller, a indiqué que les États-Unis entendaient obtenir la ratification du traité de non-prolifération nucléaire par l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et… Israël. Outre que c’est placer l’État hébreu en bonne compagnie, c’est déjà admettre qu’il possède l’arme nucléaire –ce qu’il a toujours nié contre toute évidence. Plus grave encore: c’est surtout soumettre Israël à un droit international qu’il rejette en totalité. En Israël, on redoute de plus en plus de faire les frais d’un compromis entre l’Iran et les États-Unis sur la question nucléaire. Appel : soutenir le Tribunal Russell sur la Palestine Des Comités nationaux d’appui (CNA) à un tribunal Russell sur la Palestine (voir Politis n°1051) sont créés ou en cours de constitution dans plusieurs pays, dont la France. Leur rôle est de sensibiliser l’opinion. Ils peuvent prendre en charge, avec des experts et des juristes, la préparation d’un rapport d’expertise à présenter au jury du Tribunal sur les violations du droit international (http://www.russelltribunalonpalestine.org/pages/ Comites_nationaux_dappui-1041543.html). Sans ce réseau et ces relais internationaux, ce tribunal des consciences perdrait une partie de son efficacité, l’objectif étant de faire pression sur les États complices des violations du droit international par la mobilisation de l’opinion publique internationale. Nous appelons les personnalités, les associations, les organisations syndicales et politiques en France à le parrainer, à le soutenir. Nous appelons tous les citoyens qui veulent aider à faire respecter le droit, qui veulent voir enfin cesser une impunité insupportable, à nous apporter leur concours. Leur participation, leur soutien sous diverses formes – y compris financier – permettront d’assurer le succès de cette initiative. Pour contacter le CNA France: [email protected] Pour soutenir financièrement: AFPS; 21 ter, rue Voltaire, 75011 Paris (chèque à libeller à l’AFPS en précisant Tribunal Russell). D’OLIVIER BRISSON LU VU Décidément, Rachida Dati est mal à l’aise avec l’Europe et avec la justice. Après son désormais fameux fou rire devant des jeunes de l’UMP, voilà que la future ex-garde des Sceaux sèche devant la question d’un journaliste.. « Où se trouve la Cour de justice des communautés européennes? », lui demande dimanche JeanJacques Bourdin sur RMC et BFM-TV. « – Et bien, euh… à LaHaye. » Le journaliste: « Euh, non à Luxembourg.» Rachida Dati: « Ah… oui pardon… Bien sûr, mais, je pensais que vous me parliez du Conseil de l’Europe.» Problème: le Conseil de l’Europe est à Strasbourg… C’est la Cour de justice internationale qui est à LaHaye. Et celle-ci n’a rien à voir avec une institution européenne, mais avec les Nations unies. pays qui composent les Nations unies rencontre Israël les bras grand ouverts.» Reste à savoir si Israël ferra preuve d’autant d’ouverture. Le roi Abdallah d’Arabie Saoudite l’a dit dans un entretien au site du magazine américain Time (www.time.com, 11mai), c’est « a perfect time» pour relancer le processus de paix, et « Obama a conscience du besoin urgent d’avancer aujourd’hui». Pour régler un conflit vieux de soixante ans, le nouveau président américain tente de substituer une approche régionale à une approche bilatérale et « asseoir à une même table Israéliens et Palestiniens, mais aussi Israéliens et Syriens, Israéliens et Hit-parade Le magazine américain Time vient, comme chaque année, de désigner les cent personnalités «les plus influentes» de la planète. «Pas les plus brillantes», prend soin aimablement de préciser le directeur de la rédaction. Choix en tout cas éminemment subjectif: on y découvre par exemple (stupeur de ce côté-ci de l’Atlantique!) notre ministre de l’Économie, Christine Lagarde, sans doute récompensée pour sa maîtrise de l’anglais dans un récent talk-show à la télé américaine. Mais, surtout, on y trouve pêle-mêle Obama, Sarkozy, le banquier voyou Libanais, avec les Arabes et le Bernard Madoff, le pilote qui monde musulman». L’enjeu? avait réussi à amerrir sur l’Hudson, en janvier dernier, La reconnaissance d’Israël par les 57 États arabes contre et l’acteur George Clooney… Comme aurait dit le très la création d’un État regretté Bobby Lapointe, palestinien. Rien que ça. « C’est un engagement «quel méli-mélo, dis!». important, estime le roi, Le président français figure dans la catégorie «dirigeants auteur, sans succès, d’une et révolutionnaires»… au côté proposition similaire en 2002, nous sommes en train du narcotrafiquant mexicain Joaquin Guzman. de proposer qu’un tiers des NAAMANI/AFP 69 euros de stupidité en 2 mots HORVAT/AFP FEDOUACH/AFP ici Fortuné pantoufleur Le client de supermarché qui remplace les caissières, scanne, emballe et encaisse peut-il être vidé s’il ne travaille pas assez vite ? le chiffre 34 000 C’est le nombre de postes supprimés dans la Fonction publique, soit un fonctionnaire sur deux partant à la retraite en 2010, a confirmé la ministre de l’Économie, Christine Lagarde. Ce qui fait de l’État le plus grand licencieur du pays pour une relative « économie » de 956 millions d’euros. 1 4 mai 2 00 9 I POLITIS I 17 • La biodiversité, ce n’est pas • Une gageure à l’heure où • La Fête de DOSSIER BIODIVERSITÉ MALHEUREUSE NATURE xiste-t-il une notion aussi essentielle et absconse que la biodiversité ? Cette chimère lexicale a été inventée pour donner à percevoir l’incroyable profusion des espèces vivantes, du plus discret unicellulaire à la plus menacée des baleines, mais aussi l’inconcevable maillage de relations qu’elles entretiennent entre elles et avec les milieux, sans parler de la cuisine secrète qui se concocte entre les gènes. On appelle aussi ça « la vie »… Cette fin de semaine, des centaines d’associations animeront la 3e Fête de la nature (voir p. 21), conviant ces particuliers qui entretiennent chez eux un petit coin de nature à y participer. Alors que presque tous les (maigres) efforts publics sont canalisés vers la protection des espèces animales emblématiques – l’ours, le lynx, etc. –, c’est l’occasion d’expliquer que la sauvegarde de la nature « ordinaire » est essentielle à l’équilibre de la vie. Un message hélas encore très peu audible. Si le rapport « Approche économique de la biodiversité et des E services liés aux écosystèmes » du Centre d’analyse stratégique, présenté il y a deux semaines, révèle combien la France est « biodiverse », ce n’est que pour tenter de définir une valeur économique à ce pactole, afin de susciter l’intérêt des décideurs pour la biodiversité. Ainsi, on reste perplexe d’apprendre qu’un hectare de forêt « vaut » 970 euros par an, et une prairie 600. Après le succès planétaire du rapport Stern pour calculer le coût du « laisser-faire » en matière de dérive climatique (1), certains écologistes se rendent à cette logique. Elle est même inscrite au Journal officiel du 12 avril 2009 : adoptant une liste de termes relatifs à l’environnement, au paragraphe « biodiversité », il est souligné que son maintien « est une composante essentielle du développement durable ». À l’ère de l’hypermarchandisation, on ne peut qu’être préoccupé par les tentatives d’administrer désormais à la nature ces vieilles _Patrick Piro recettes empoisonnées. (1) Voir Politis n° 1032-1033. Une protection peu rapprochée Parcs nationaux et réserves naturelles constituent le fer de lance des politiques de préservation de la nature. Au prix d’affrontements d’intérêts et pour des résultats insuffisants. ouze ans après l’annonce du projet en 1997, le parc national des Calanques, dans la région de Marseille, a fait l’objet le 30 avril d’un arrêté du Premier ministre annonçant sa « prise en considération » par le gouvernement. Traduction : si tout se passe normalement, ce dixième parc national français pourrait exister en 2012. Mais les expériences récentes du parc national de Guyane et du parc national marin d’Iroise, à la pointe de la Bretagne, ont montré qu’il était de plus en plus difficile de concevoir et de définir le périmètre d’un parc national, espace qui reste pourtant la façon la plus efficace de D 18 I POLITIS I 14 mai 2009 protéger un ou plusieurs écosystèmes, qu’il s’agisse du paysage, de la maîtrise des aménagements ou de la biodiversité. Instruments de la préservation de la biodiversité prévus par les lois de 1960 et de 2006, les parcs nationaux font l’objet de féroces négociations avec les élus locaux et nationaux, les offices de tourisme, les chasseurs, les agriculteurs et les promoteurs immobiliers. Au fur et à mesure que se précisent les contours et la charte d’un parc national, les impératifs écologiques s’effacent. Il suffit de regarder la forme de la plupart des zones centrales de parc (rigoureusement protégées) pour comprendre que leurs tracés biscornus sont le résultat a minima de consensus n’ayant pas grand-chose à voir avec la logique écologique. Cette religion du compromis bénéficie à tout le monde, sauf aux protecteurs de la nature et à la biodiversité ; elle n’est pas nouvelle, mais entraîne de plus en plus de demi-mesures depuis la création du premier parc national français, celui de la Vanoise, en 1963. Un siècle après le premier parc américain… Face à toutes les majorités, de gauche ou de droite, les scientifiques et les naturalistes doivent plus que jamais négocier pied à pied, mètre après mètre, la dimension des espaces qu’ils veulent voir préserver pour maintenir la biodiversité et sauver des espèces, qu’elles soient emblématiques ou inconnues des politiques et de l’opinion. Le projet de parc national des Calanques en est la dernière illustration. Depuis le lancement du projet par Dominique Voynet, alors ministre de l’Environnement, la superficie seulement les espèces protégées, c’est aussi la nature « ordinaire » • la Nature, les 16 et 17 mai, sensibilisera à ces questions • l’on marchandise même les paysages • de ce qui devrait être le premier parc national terrestre et maritime français (donc les espaces marins et côtiers bénéficiant d’une protection forte) a régulièrement et patiemment été grignotée. Et tout en approuvant le projet fin 2008, la majorité UMP de Marseille a – déjà – voté un certain nombre de « réserves » sur les contours du futur parc. Alors que le massif des Calanques, aux portes de Marseille et inclus dans le parc, est déjà théoriquement protégé depuis 1976 sur 5 463 hectares. En mer, la plupart des élus locaux espèrent que certaines îles de l’espace maritime échapperont à la protection. Les réserves naturelles nationales, celles créées en application de la loi sur la Territoires protégés – 9 parcs nationaux – 161 réserves naturelles, y compris dans les DOM-TOM – 5 réserves naturelles corses – 160 réserves naturelles régionales – 600 sites achetés par le Conservatoire du littoral, couvrant 125000 hectares sur 1 000 km de rivage. protection de la nature de 1976, font également de plus en plus souvent l’objet de discussions où les naturalistes tentent de mettre en avant leurs objectifs de protection contre des édiles locaux qui ne voient dans ces espaces préservés que des « attractions touristiques » que pourront vanter les syndicats d’initiative. Et comme ces réserves sont le plus souvent gérées, par délégation de mission de service public, par des associations, le ministère leur fournit de moins en moins de moyens financiers, les incitant au développement de ressources propres. Ce qui renvoie à l’exploitation touristique, alors que ce n’est pas vraiment leur fonction : le principe du parc national et de la réserve naturelle repose sur une liberté d’accès gratuit. La préservation de la biodiversité ne se construit donc plus depuis des années que comme un infime mitage du territoire auquel les espèces doivent s’adapter ou périr. Comme les ours, pour lesquels le législateur, sous la pression des lobbies politiques et touristiques, « oublia » d’inclure dans le parc national des Pyrénées la zone dans laquelle ils vivaient ; ou comme le grand tétras (coq de bruyère), dont des réserves tentent d’organiser la survie dans l’est de la France, mais que le législateur s’obstine à classer « espèce chassable » pour ne pas faire de peine aux fédérations de chasseurs. Les parcs nationaux, les réserves naturelles, les espaces achetés par le Conservatoire du littoral dans la mesure des dotations de l’État ne visent qu’à protéger la nature « extraordinaire ». Reste la nature ordinaire, celle que les citoyens fréquentent le plus souvent. Une nature qui ne passionne personne et que le Grenelle de l’environnement a tenté de sortir de l’ombre en insistant sur la nécessité de créer des corridors biologiques, ce que les naturalistes appellent la trame verte. Pour que, circulant d’un espace plus ou moins bien protégé à l’autre, les chances de survie des espèces protégées ne soient pas aléatoires. Mais le Medef a refusé que les corridors biologiques soient opposables à des projets d’aménagement. Comme les réserves et les parcs, ils doivent faire l’objet d’un compromis. Ce qui réduit à bien peu de chose le discours officiel sur la biodiversité. Il porte sur quelques espaces exemplaires péniblement délimités, alors que la préservation des espèces doit concerner, c’est l’Europe qui le répète, l’ensemble d’un territoire national. Pas des confettis. Les parcs et les réserves visent à protéger la nature « extraordinaire ». Reste la nature ordinaire, celle que les citoyens fréquentent le plus souvent. FAGET/AFP _Claude-Marie Vadrot 1 4 mai 2 00 9 I POLITIS I 19 DOSSIER BIODIVERSITÉ Ces minuscules envahisseurs Introduites par hasard ou par légèreté dans des écosystèmes qui les ignoraient, certaines espèces en perturbent gravement l’équilibre, proliférant sans opposition. La grenouilletaureau de Floride a déferlé sur le Sud-Ouest, dévorant tout sur son passage. CEYRAC/AFP ne espèce est dite invasive quand elle est introduite dans un milieu naturel qui n’est pas son milieu d’origine et que son développement nuit aux autres espèces, et donc à la biodiversité locale ou nationale. Définition qui vaut aussi bien pour une plante, un insecte et un champignon parasite que pour un mammifère ou un oiseau. Le problème n’est donc pas que l’espèce soit « étrangère » mais qu’elle peut contribuer, ayant trouvé une niche écologique, à faire disparaître des U espèces autochtones. Ce n’est pas toujours le cas puisque les scientifiques considèrent que seule une espèce introduite sur cent devient envahissante. Ainsi l’arrivée de la genette au Moyen Âge, apportée en France d’Afrique du Nord par les Sarrasins, ou du Moyen-Orient par les Croisés, n’a pas perturbé l’écosystème du territoire français, où ce petit carnivore s’est naturalisé et est devenue une espèce protégée par la loi. En revanche, le ragondin, importé d’Amérique du Sud à partir de la Parcs naturels ou touristiques ? La France compte 45parcs naturels régionaux (PNR). Les élus, à la recherche de labels pour le tourisme, les sabots et les cochonnailles, en espèrent d’autres. Indice révélateur: ces espaces proposent plus de 300produits, du fromage de chèvre à la bière en passant par la dentelle, les restaurants ou les hébergements, bénéficiant d’un label «parc naturel régional». Ce qui n’est pas scandaleux mais n’a rien à voir avec la protection des paysages. Problème, escroquerie morale, diraient certains: le citoyen, lorsqu’il aperçoit le panneau «parc naturel régional», imagine pénétrer dans un espace préservé. Alors qu’il découvre la plupart du temps que les méthodes agricoles, la protection des espèces, l’urbanisme commercial, la publicité routière, les aménagements ruraux ressemblent au reste du territoire. Les parcs naturels régionaux n’affichent jamais que les textes réglementaires sur la nature et le paysage y sont les mêmes qu’ailleurs. Ces «parcs» ne sont que des outils d’aménagement peu contraignants, donc logiquement de plus en plus nombreux. Au risque de l’inflation et de la dévalorisation de la dénomination. Pour que cesse cette ambiguïté fâcheuse, il suffirait de ne plus les appeler «parcs». Ce qui évidemment les renverrait à l’idée utilitariste que trop d’élus se font de la nature. Même si, heureusement, certains des PNR, celui de Brière, du Queyras ou des Vosges du Nord, par exemple, jouent de manière bien plus volontariste le jeu de la protection et du respect des milieux naturels. _C.-M. V. fin du XIXe siècle pour sa fourrure, a fini par s’échapper dans la nature et fait partie des espèces exotiques à problèmes : creusement des berges, grignotage des récoltes et destruction des œufs de nombreux oiseaux nichant à terre. Et l’écrevisse rouge de Louisiane est un véritable fléau : en colonisant par millions les plans d’eau, comme ceux du parc naturel de Brière ou de la réserve du lac de Grand-Lieu, elle entraîne la disparition de l’espèce européenne et stérilise les lacs et les étangs, où elle dévore tout. Sans s’attaquer, hélas, à une plante aquatique, la jussie, importée pour orner des bassins et des aquariums et qui, relâchée dans la nature, se multiplie à l’infini, encombrant les plans On le sait peu, d’eau et les rivières. Difmais l’écrevisse ficile de l’éliminer rouge de Louisiane puisqu’un seul tronçon de tige suffit pour qu’elle est un véritable recolonise les eaux par fléau. bouturage. Toujours pour orner un bassin, un châtelain des environs de Bordeaux importa en 1967 une dizaine de grenouilles-taureaux originaires de Floride – ce qui est interdit depuis la fin des années 1970. La bestiole trouva l’écosystème français à son goût ; elle pèse près de 500 grammes, avec une espérance de vie d’une dizaine d’années (moins qu’en Floride), elle a envahi tout le Sud-Ouest et continue à progresser, dévorant tout sur son passage : poissons, petites tortues, oiseaux et les autres grenouilles. En Floride, elle est régulée par les alligators, qui n’existent pas (encore) en France. La mondialisation, en accélérant le rythme des échanges, facilite la venue de ces espèces, tout comme les modifications climatiques qui favorisent l’installation de plantes, d’insectes ou d’oiseaux auparavant incapables de résister à l’hiver. L’exemple des perruches échappées des cages qui commencent à se multiplier inquiète les spécialistes, tout comme celui des écureuils de Corée et des herbes ou algues apportées par les bateaux. Le phénomène des plantes et animaux invasifs, qui a ses origines dans la recherche d’exotisme des jardins et des parcs particuliers du XIXe siècle, a pris une telle ampleur que l’Europe a lancé un programme de recherche et d’observation pour mesurer le phénomène. Premiers résultats publiés en avril : plus d’un millier d’espèces envahissantes, un préjudice de plusieurs milliards d’euros, la constatation que l’invasion vient juste après le réchauffement climatique dans les menaces contre la biodiversité, mais aussi la certitude que nul ne connaît de solution miracle. _C.-M. V. 20 I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 PAR FRANÇOIS LETOURNEUX* Président du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Le papillon qui terrorise la Côte d’Azur L’engouement pour les arbres ornementaux originaux a permis la prolifération d’un papillon ravageur, importé d’Argentine, dont la larve ronge les palmiers jusqu’à les tuer. es palmiers exotiques sous des latitudes tempérées, c’est chic. Depuis plus d’une décennie, les butias ou les trithrinax, bien adaptés à nos frimas, ont la cote sur le pourtour méditerranéen. Mais comme ils poussent très lentement, et que les municipalités, jardins publics, particuliers, etc. n’ont guère la patience d’attendre que poussent les graines, on importe des arbres de 10 à 20 ans d’âge. La mauvaise surprise a été détectée à Hyères en 2001 : dans des ramures nord-argentines, résidait paysandisia, un papillon dont la larve colonise le cœur de l’arbre. Les feuilles se déforment, le bois pourrit, et le palmier peut périr en quatre ans. Et la larve se plaît sur la Côte d’Azur, au point qu’elle infeste aujourd’hui vingt espèces, dont plusieurs endémiques, ainsi que le dattier nord-africain. Paysandisia s’est rapidement propagé, aidé par le commerce horticole. À Montpellier dès 2002 – où 90 % des palmiers ont péri ! –, il est désormais signalé en Angleterre, en Suisse et en Belgique. « La situation est hors de contrôle », estime Jean-Benoît Peltier, chargé de recherche à l’Inra de Montpellier. Car les autorités tergiversent depuis des années. Il D En mai, fêter la nature nous plaît La 3e Fête de la nature se tient les 16 et 17mai. Cette manifestation, créée par le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN, plus de 200 experts, deux ministères, cinq établissements publics et 37 associations de protection de la nature) ainsi que le magazine Terre sauvage, comptera cette année environ 1500 événements organisés dans toute la France (DOM compris). Trois thèmes principaux: une enquête grand public de «science participative», avec l’observation de trois oiseaux(rouge-gorge, rouge-queue noir et hirondelle de fenêtre); l’échange entre les particuliers «qui entretiennent un coin de nature» – acteurs de la sauvegarde de la biodiversité– et les réseaux de protection; et la mise en valeur de ces derniers, alors que les pouvoirs publics retirent leur soutien aux associations dans tous les domaines. _P. P. Voir le site www.fetedelanature.com aurait fallu imposer la destruction de nombreux arbres (toujours délicat) ou des traitements, hélas insatisfaisants (et comment contrôler ?) : le seul produit chimique efficace est interCRÉDIT À VENIR dit, car trop toxique. Mais certains ne se gênent pas pour l’acheter en Espagne, où il reste en vente libre. Quant aux pesticides autorisés, seules les surdoses viennent à bout des larves adultes. Reste un traitement biologique (à base de spores), mais coûteux et fastidieux, et surtout l’application d’une glu, mise au point par Jean-Benoît Peltier, mais pas encore sur le marché. En attendant, les palmiers ont continué à circuler. La mise sous quarantaine des importations, procédure lourde, est rejetée par la profession. « L’alternative, relève Laurence Ollivier, chercheuse au Cirad de Montpellier, pourrait encore être de planter des essences méditerranéennes comme le tamaris, le platane, le cyprès, l’olivier de Bohème et le pin. » En Argentine, son environnement d’origine, paysandisia reste naturellement sous contrôle. Mais les chercheurs n’ont pas la recette de cet équilibre. Il existe un traitement biologique, mais il est coûteux et fastidieux. Veut-on protéger la nature ? L’évolution de la biodiversité peut être comparée à un avion dont tous les rivetsassurent la cohésion: un rivet saute, l’avion vole toujours; deux, trois rivets sautent, ça va encore, mais le danger peut survenir à tout moment. La question essentielle est de savoir combien de rivets l’avion peut perdre avant de s’écraser. Il en va de même de la biodiversité: à partir de quel niveau d’appauvrissement la situation devient-elle irréversible, tant pour la planète que pour le territoire français? Nous ne le savons pas, ou mal, mais nous avons simplement la certitude qu’il existe un point de non-retour. Non pas pour la planète, qui en a vu d’autres, mais pour l’espèce humaine. Ce qui pose la question de la nature «ordinaire». Nous ne protégeons qu’1% de notre espace avec des réserves naturelles et des parcs nationaux, ce qui est bien peu. Cette stratégie du partage de l’espace entre ce 1%, pour que les protecteurs de la nature puissent «jouer entre eux», et le reste, tout le reste, qui s’appauvrit rapidement à cause de notre espèce humaine, que l’on peut considérer comme invasive, n’est plus acceptable. Surtout dans les départements et territoires d’outre-mer, où la France a la responsabilité d’une biodiversité prodigieuse: bien plus d’espèces existent en NouvelleCalédonie que dans toute la métropole. Et la situation est encore pire dans les pays du Sud, que nous appauvrissons par nos prélèvements de riches : déforestation pour les agrocarburants, les cultures intensives ou le bois, etc. En France, nous savons presque tout du loup, de l’ours, de l’aigle royal ou de la loutre, mais il n’existe qu’un seul programme pour suivre l’évolution des oiseaux communs – ceux que nous apercevons tous les jours –, ou celle des populations de papillons. Or, c’est aussi dans la part, de loin la plus importante du territoire, qui n’est pas protégée qu’il faut sauvegarder ou reconstituer la biodiversité. C’est là que les plus grands progrès sont possibles. D’où l’importance des corridors biologiques, la trame verte, qui doit relier les espaces Nous savons protégés, indispensables réservoirs de presque tout de biodiversité, entre eux et avec le reste du territoire. Pas question de figer un état l’ours ou de remarquable de la nature, mais d’accompagner l’aigle royal, mais son évolution, de lui permettre de vivre, de s’adapter, ne serait-ce qu’aux modifications il n’existe qu’un climatiques. programme pour La Fête de la nature que nous organisons observer depuis trois ans n’est pas destinée seulement à faire visiter les réserves et les parcs, que les l’évolution des convaincus connaissent déjà, mais à faire oiseaux découvrir la nature «au coin de la rue», celle que nous avons tous l’occasion de fréquenter communs. presque tous les jours. Cela permet de mettre l’accent sur nos comportements, sur nos habitudes de consommation, sur le danger d’abandonner des déchets n’importe où, de rincer dans une mare ou une rivière un bidon de détergent. La Fête de la nature, c’est l’occasion de reprendre contact avec le tissu vivant dont nous faisons partie. Et ce n’est pas triste, ce qui explique sans doute son succès grandissant. Tous dehors, les 16 et 17 mai, et les autres jours ! * François Letourneux, scientifique, forestier et botaniste de formation, a été directeur du Conservatoire du littoral pendant douze ans, directeur de la protection de la nature au ministère de l’Environnement pendant huit ans. Il vient de publier, avec Marie-Sophie Bazin, Oui ou non, voulons-nous protéger la nature ?, éditions Milan, 117 p., 12,50 euros. _Patrick Piro 1 4 mai 200 9 I POLITIS I 21 CULTURE CANNES Talents de demain epuis quinze ans, l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion propose sa programmation pendant toute la durée du festival. L’occasion, avec le réalisateur Pascal Deux, qui a présidé l’Acid de 2006 à 2008, et dont le documentaire Noble Art a été projeté à Cannes en 2003, de revenir sur le travail accompli par cette association de cinéastes, et de tirer un bilan de la présence de l’Acid à Cannes, dont Politis est, comme l’an dernier, partenaire. D POLITIS I Comment est née l’Acid et pourquoi ? Pascal Deux I L’Acid est née en 1992 dans un esprit militant, avec des cinéastes comme Gérard Mordillat, Serge Le Péron, Robert Guédiguian, Jean-Pierre Thorn… Au début des années 1990, de nombreuses salles de petites et moyennes villes avaient du mal à avoir accès aux copies. Déjà, à l’époque, des films qui pourtant obtenaient de bons résultats en salles étaient rapidement « décrochés » des cinémas. Ce fut le cas notamment pour la Petite Amie d’Antonio de Manuel Poirier et Parfois trop d’amour de Lucas Belvaux. Les cinéastes qui ont créé l’Acid se sont alors dit qu’il fallait se battre pour que ces films puissent être vus. Cela allait passer par une relation étroite avec des exploitants afin de sauvegarder et de développer la place du cinéma en régions. L’une des premières actions de l’Acid a donc été de générer des copies, via l’Agence pour le développement régional du cinéma, et d’en organiser la programmation. Sur ces copies, l’exploitant ne paye pas ce qu’on appelle le minimum garanti dû au distributeur. De plus, l’Acid assure l’organisation de débats avec les réalisateurs. Progressivement, son travail a insisté sur la durée d’exploitation, l’objectif étant de lutter contre le « turn over » délirant des films et de permettre au bouche-à-oreille de fonctionner. Souvent, les films que nous soutenons ont de tous petits moyens de sortie. Donc pratiquement pas de publicité, peu d’accès au réseau généraliste des chaînes de télévision. Avec, en plus, la logique de juger de la carrière du film en fonction de la séance de 14 heures du mercredi de sortie, qui, 22 I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 L’Acid fête ses quinze ans de programmation à Cannes. Au long de ces années, beaucoup de découvertes. Entretien avec le cinéaste Pascal Deux sur le sens de cette présence sur la Croisette. si elle peut avoir du sens pour OSS 117, n’en a aucun pour des films qui passent parfois dans une seule salle et dont la seule affiche dans la ville est sur le fronton du cinéma. Ceux-là ont besoin de s’installer un peu plus dans le temps, et nous devons trouver des moyens pour mieux faire passer les informations sur les films. Il y a aussi un travail d’éveil à accomplir, d’ouverture du public à des œuvres dif- DR férentes. Mais il y a encore un public pour ces films, il y a encore des cinéphiles curieux partout. Nous en avons la preuve chaque fois que nous accompagnons dans les salles des films que nous soutenons. Dès 1994, l’Acid a décidé de présenter des films sur la Croisette. Pourquoi ? Cannes est une formidable caisse de résonance. Les réalisateurs de l’Acid ont décidé d’y montrer des films qui les enthousiasmaient, mais qui, pour la plupart, n’avaient pas de distributeurs. C’est toujours la même logique qui préside aujourd’hui. Les projections de l’Acid sont destinées au public le matin, et prioritairement aux exploitants, aux programmateurs de festivals et aux distributeurs le soir. Et quand les exploitants manifestent leur intérêt pour un film, une dynamique peut s’instaurer qui va nous aider à lui trouver un distributeur. Ce qui arrive, selon les années, dans 80 à 90 % des cas. En général, le distributeur est trouvé dans les six mois qui suivent Cannes. Que vous inspire la liste des premières programmations de l’Acid à Cannes, avec des noms de cinéastes qui, depuis, ont fait assurément leur chemin ? Ce qu’on peut dire, d’abord, c’est que les cinéastes de l’Acid qui ont fait ces programmations ne se sont pas beaucoup trompés. Il y a une variété de réalisateurs – Alexandre Sokourov, Emmanuelle Cuau, Nicolas Philibert, Pascale Ferran, Malik Chibane, JeanDaniel Pollet, Henri-François Imbert… – qui en étaient alors à leur 1er ou 2e film, et qui ont tracé des territoires de cinéma très différents. Beaucoup ont effectivement fait leur chemin depuis. Certains ont changé de « catégorie » en réalisant des films à plus gros budgets, comme les frères Larrieu, par exemple. Plusieurs d’entre eux se sont ensuite retrouvés à la Quinzaine des réalisateurs, et certains en sélection officielle… Oui, mais nous ne sommes pas dans une quelconque concurrence. La sélection de la Quinzaine, historiquement renommée, est chère à notre cœur, pour nous, réalisateurs, mais nous ne faisons pas le même travail. Comme je le disais, les films que l’Acid programme sont pour la plupart sans distributeur, et notre action sur ces films se poursuit après la période du festival, puisque nous les accompagnons CANNES ROCK plusieurs mois après leur sortie. Il s’agit aussi plus largement de dire et redire que de beaux films sont faits par des cinéastes passionnants, qu’ils ont leur place sur les écrans, et que les festivals doivent rester des lieux qui montrent les films les plus ambitieux, les talents qui feront le grand cinéma de demain. On constate une ouverture aux films du monde entier dans la programmation. Comment l’expliquez-vous ? Nous recevons de plus en plus de films de l’étranger tout simplement parce que le travail de l’Acid y est de plus en plus connu. Nous avons des partenariats avec une vingtaine de festivals et de lieux culturels à l’étranger. Les films que nous soutenons y sont montrés, et nous organisons le déplacement des réalisateurs. Partout où nous allons, les réalisateurs, producteurs et distributeurs nous disent combien ils nous envient cet outil formidable qu’est l’Acid, pour le travail de promotion des films « La Vie sur le terrain, mais intermédiaire », aussi pour la solide François darité entre Zabaleta, fait cinéastes. Il est partie de la programmation de donc normal que de plus en plus de l’Acid à Cannes cinéastes aient cette année. envie d’entrer dans cette grande famille… L’actualité de l’Acid, c’est aussi la création de « l’Acid spectateurs »… Aujourd’hui, un discours dominant veut laisser penser que le public a perdu toute curiosité, que les spectateurs ne sont que de simples consommateurs. Alors que c’est le système d’exploitation des films (rotation de « produits frais » pour justifier des cartes illimitées) qui ne laisse aucune place au temps de la découverte et du bouche-à-oreille. Tout au long de l’année, nous rencontrons dans les salles non des consommateurs mais des spectateurs avides de découvertes, c’est pourquoi nous avons décidé cette année de lancer un réseau de spectateurs Acid, que nous pourrons sensibiliser sur tel ou tel film avant leur sortie, sur le passage d’un réalisateur dans leur ville, et avec lesquels nous pourrons dialoguer autour des films et des enjeux de la diffusion. _Propos recueillis par Christophe Kantcheff Voir la programmation 2009 ci-contre. Retrouvez la chronique quotidienne de Christophe Kantcheff sur www.politis.fr On prend les mêmes… Vague de chaleur ylan est partout. Sur la route en permanence. À la radio, où il anime une émission diffusée via le réseau satellite XM. Dans les galeries d’art : récemment à Chemitz (Allemagne de l’Est), bientôt à Londres. Il vient aussi de recevoir une mention spéciale du Pulitzer. Et puis on apprenait en début d’année la sortie à venir d’un nouvel album dont le point de départ fut une demande d’Olivier Dahan, réalisateur de la Môme, d’une chanson pour son prochain film. Une fois celle-ci écrite, neuf autres ont suivi, un album entier, intitulé Together Through Life, qui sonne comme s’il était enregistré à l’instant, devant soi, en une prise. En introduction, « Beyond Here Lies Nothin’ » est lancé comme « Like A Rolling Stone » : un coup sur la caisse claire pour ouvrir les vannes et déverser tout le contenu. C’est un son sourd et épais, une mixture moite et gluante qui sent les terres du Sud. On croirait même que c’est la soif qui rend la voix si éraillée, pourtant d’une présence formidable, portée et poussée par les guitares et une rythmique en bois brut. Car si on a beaucoup parlé de la présence de l’accordéon, ce disque est aussi un disque de guitares, avec au premier plan celle de l’impeccable Mike Campbell, le guitariste de Tom Petty. Après cette entrée en matière, « Life Is Hard » a de quoi surprendre, d’autant que c’est la fameuse chanson écrite pour le film. Le paradoxe est que cette balade de comédie musicale, chantée d’une voix de crooner, D Le nouveau Dylan : rock et blues au son puissant et poisseux. Des chansons débordant d’urgence et de vie. ne trouve guère sa place dans ce disque, qui reprend réellement avec « My Wife’s Hometown », écrit avec Willie Dixon, un des piliers du label Chess, celui de Muddy Waters, Little Walter et Bo Diddley, pour lesquels il a écrit nombre de chansons. Sa présence est emblématique de l’esprit qui souffle ici. À partir de là, il n’y aura plus de changement de cap ni de son, seulement quelques nuances. « Forgetful Heart » est encore plus brûlant que le reste avec sa guitare saturée et un orgue comme une brume de chaleur, « This Dream Of You », avec sa partie de violon, renvoie à « Desire », et « I Feel A Change Comin’ On » est une grande ballade dylanienne chantée d’une voix miraculeusement redevenue presque claire. Quant au final, on y croit à peine tellement il est conduit pied au plancher, guitare et accordéon triturant la même phrase, menant la danse en écho, et Dylan qui s’emporte sur le refrain : « It’s s all good/all good… » C’est peu de le dire, on n’en attendait même pas tant. _Jacques Vincent Together Through Life, Bob Dylan, Sony. Bob Dylan en concert au Mexique en mars 2008. MORENO/NOTIMEX Pedro Almodovar, Ken Loach, Michael Haneke, Quentin Tarantino, Lars Von Trier… La liste des cinéastes en compétition officielle cette année ressemble à une sélection sur papier glacé, riche mais sans risques. On peut comprendre que Gilles Jacob et Thierry Frémaux, les sélectionneurs, restent fidèles aux réalisateurs qu’ils ont déjà invités lors des éditions précédentes, et qu’ils ne conçoivent pas d’arrêter de donner de leurs nouvelles. Mais cette noble attitude comporte quelques inconvénients. Celui, en particulier, de transformer cette sélection officielle en un club de plus en plus fermé et hyperbalisé. Même si les films des uns ou des autres peuvent encore s’avancer sur des chemins esthétiques escarpés, la compétition, au total, a quelque chose d’académique. C’est donc ailleurs, dans les autres sélections (Un Certain Regard, la Quinzaine des réalisateurs) et dans la programmation de l’Acid, que le regard du festivalier a des chances de plonger dans l’inconnu. Là, peu de noms de célébrités (sinon Francis Ford Coppola à la Quinzaine, qui, trop chanceuse, l’a mis en ouverture), quelques habitués (Alain Cavalier ou Pavel Longuine à Un Certain Regard, Pedro Costa ou Alain Guiraudie à la Quinzaine…), mais surtout beaucoup d’inconnus, gages de découvertes. Acid 2009 Les films indiqués entre parenthèses sont les courts métrages dont la projection précède celle des longs. Jeudi14 : Land of Scarecrows, de Gyeongtae Roh, Corée du Sud/France, fiction. Vendredi15 : la Vie intermédiaire, de François Zabaleta, France, essai (Yulia, d’Antoine Arditti, France, animation). Samedi16 : Avant-Poste, d’Emmanuel Parraud, France, fiction (Colchique, de Catherine Buffet et Jean-Luc Greco, France/Canada, animation). Dimanche17 : Perpetuum Mobile, de Nicolas Pereda, Mexique, fiction (l’Enclave, de Jacky Goldberg, France). Lundi18 : Themis, de Marco Gastin, Grèce, documentaire (C’est plutôt genre Johnny Walker, d’Olivier Babinet, France). Mardi19 : The Happiest Girl In The World, de Radu Jude, Roumanie, fiction (Je criais contre la vie ou pour elle, de Vergine Keaton, France). Mercredi20 : Thomas, de Miika Soini, Finlande, fiction (Dahomey, de JeanBaptiste Germain, France). Jeudi21 : Sombras (les Ombres), d’Oriol Canals, France, documentaire (Ébullition, d’Anne Toussaint, France). Vendredi22 : Bad Boys Cellule 425, de Janusz Mrozowski, France/Pologne, documentaire. 1 4 mai 2 009 I POLITIS I 23 CULTURE THÉÂTRE CINÉMA Homme à femmes et femme à barbe « Clara », piètre partition Une comédienne remarquable pour un film sans génie. C « Liliom », mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia. Un beau condensé de réel et d’irréel. BRIGITTE ENGUERAND S 24 I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 La magie de « Liliom », de Ferenc Molnar, et un étrange « Éloge du poil », de Jeanne Mordoj. baraques et de pistes de danse foraines, où se mêlent l’atmosphère de la première moitié du XIXe siècle et quelque chose des foires du Trône d’aujourd’hui, semble souffrir d’immobilité. Sans doute parce que Molnar lui-même, comme le rappelle Bélier-Garcia, parlait d’« odyssée statique ». Rien n’est pressé, rien n’est urgent dans ce drame. La tragédie arrivera bien quand il le faudra ! Passé ce sentiment d’immobilité, la soirée devient belle et envoûtante. Car la mise en scène joue avec toute la rouerie grave de ce mélo qui déploie ses complaintes lancinantes et dit à la fois l’amour et l’impossibilité d’aimer. Agathe Molière incarne la femme délaissée avec un talent émotif magnifique. Rasha Bukvic est un Liliom qui sait donner à sa nonchalance sa douleur dangereuse. Stéphane Roger, Agnès Pontier, Teresa Ovidio et leurs partenaires donnent une belle intensité à ce fort condensé de réel et d’irréel. Place à la femme à barbe à la Bastille ! La barbe que porte Jeanne Mordoj est fausse, bien entendu, mais ce qui est vrai c’est qu’elle a écrit et conçu elle-même cet Éloge du poil avec la collaboration, pour l’écriture et la mise en scène, de Pierre Meunier. Si le titre sonne comme une plaisanterie, c’est bizarrement vers la noirceur et l’idée de la disparition que se dirige peu à peu ce numéro de cirque inhabituel. Jeanne Mordoj attrape des coquilles d’escargot avec ses pieds et les projette dans la cuvette qu’elle a placée sur sa tête, dialogue en ventriloque avec deux crânes d’animaux… Elle s’enterre enfin comme pour saluer l’héroïne d’Oh les beaux jours de Beckett en évoquant une charogne qui pourrait être celle de Baudelaire. Ancienne contorsionniste, elle crée mieux les gestes et les climats que les mots. Mais elle surprend parce qu’elle ne ressemble à personne. _Anne Laurent _Gilles Costaz Liliom, Nouveau Théâtre de Montreuil. Tél. : 01 48 70 48 90. Jusqu’au 18 mai. Éloge du poil, théâtre de la Bastille, Paris. Tél. : 01 43 57 42 14. Jusqu’au 31 mai. DR ans doute parce qu’il est issu des grandes fêtes populaires, le théâtre se souvient beaucoup, ces temps-ci, des fêtes foraines. Après la tourbillonnante mise en scène de Casimir et Caroline, d’Horvath, montée par Emmanuel DemarcyMota au Théâtre de la Ville (actuellement en tournée), voici Liliom, de Ferenc Molnar, qui, créé au Nouveau Théâtre d’Angers, s’installe à Montreuil, et le spectacle d’une étrange contorsionniste, Éloge du poil, au théâtre de la Bastille. Liliom est une sorte de classique qu’on ne voit pas souvent et en même temps un mythe, parce que le cinéma (et surtout Fritz Lang) s’en est emparé voluptueusement. En 1909, le Hongrois Molnar imaginait les aventures d’un homme à femmes paresseux, indécis, qui fascinait la clientèle féminine des luna-parks et dont la pièce conte la vie en deux temps. Toujours sans le sou, ce jeune homme tente un mauvais coup et, le ratant, se donne la mort. Il se retrouve dans l’au-delà, où on lui donne le droit de revenir sur Terre, treize ans plus tard, juste un instant, pour voir l’amie qu’il délaissait autrefois et la fille née de leur union… Le spectacle qu’a mis en scène très subtilement Frédéric Bélier-Garcia a du mal à trouver sa carburation. Cette séduisante atmosphère de lara Schumann, sujet récurrent pour les féministes et les mélomanes. Est-ce en féministe ou en mélomane qu’Helma Sanders-Brahms s’empare de son personnage ? Hélas, Clara ne permet pas de trancher la question, tant il reste en deçà de ses potentialités. Une femme diriget-elle un orchestre, fait extraordinaire pour le milieu du XIXe siècle ? Elle est montrée en maîtresse d’école qui dompte le petit monde des musiciens par des arguments bien sages, et, quand elle les conduit, c’est à la comédienne de porter seule, dans un pauvre jeu de champs-contrechamps, toute la force et l’impétuosité de sa charge. Clara Schumann a un mari génial, Robert, dont l’on retiendra surtout les grimaces de Pascal Greggory. Sa première apparition à l’écran montre déjà la maladie (il finira dans un asile), et raconte en un mot l’histoire du film (il perd sa bague, dont se saisit un jeune homme…). Ligne de jeu constante, donc, pour un personnage pourtant complexe que la maladie rend tyrannique et qui confiera sa femme qu’il adore à un jeune musicien talentueux. On ne peut en vouloir à Pascal Greggory de la linéarité du scénario, ni à Malik Zidi, improbable Johannes Brahms, d’avoir été choisi à contreemploi. Ce dernier est plus convaincant en amoureux de Clara et ami de ses enfants qu’en compositeur génial. Dommage, car l’histoire de cette femme en charge de famille, compositrice sacrifiée entre un époux malade mais aimé et un jeune homme épris, tous trois réunis dans la musique, garde encore aujourd’hui une charge sulfureuse. Reste, toutefois, une comédienne remarquable, Martina Gedeck, qui porte sur ses épaules un film qu’elle parvient à rendre humain et sensible. MÉDIAS À VOS POSTES Histoire en images TLUNDI É L18ÉMAI VISION J’avais 15 ans France 3, 0 h 10 quelques années près, le cinéma israélien naît avec l’avènement du parlant. Le premier film est signé Nathan Axelrod, Oded hanoded (Oded l’errant), tourné en 1933. Il préfigure une longue série de films de propagande, comme Avoda (1935), exaltant le sionisme et sa capacité à forger un homme nouveau sur la terre d’Israël. Il se veut héroïque, bâtisseur, sans plus attendre le salut de Dieu mais prenant en main son destin et celui de son peuple. L’utopie nationaliste des pionniers s’inspire alors du cinéma révolutionnaire soviétique. Cette première période s’étire jusqu’au début des années 1960, marquées par deux films essentiels : Un trou dans la lune, d’Uri Zohar, et Sallah Shabati, d’Efraïm Kishon. Le film de Zohar, perle d’audace politique et formelle, annonce la naissance de la « nouvelle sensibilité », influencée par la Nouvelle Vague française, développant une thématique existentialiste centrée sur l’individu, son aliénation, sa solitude dans la grande ville, en réaction au cinéma sioniste, à son nationalisme et à son collectivisme. Parallèlement, le film de Kishon, grand succès public, conquérant même Hollywood, se veut une comédie populaire, annonçant l’émergence du cinéma commercial dit « bourekas » (du nom d’un friand gras et savoureux), un genre divertissant, dévoué à la représentation souvent caricaturale de la population séfarade en Israël. Dans le second volet de ce documentaire, on observe combien le cinéma israélien des années 1980 se dresse contre l’État. Khirbet Hiza’a, de Ram Loevy (1978), censuré durant quatre ans, livrant la guerre de 1948 du point de vue palestinien, avait donné le coup d’envoi. Dans une société de plus en plus divisée, où les espoirs de paix s’éloignent, l’image se glisse alors sur le terrain de l’intime (à valeur universelle), recueille la voix des minorités. Place à l’homosexualité, à l’oppression des femmes, au poids de la famille et de la religion, au chaos des sentiments. Soit la parole de la diversité du pays. Et dans cette deuxième partie, la place au cinéma de femmes en Israël se veut prépondérante (avec les témoignages de Mihal Bat-Adam, Ronit Elkabetz et Keren Yedaya), tentant de sortir de la présence À À travers une quarantaine de films et de nombreux témoignages, Raphaël Nadjari retrace le parcours du cinéma israélien. écrasante des hommes, qui pourrait s’expliquer par la nécessité de cultiver le mythe militaire. Raphaël Nadjari (né en France, en 1971) s’était illustré (notamment à Cannes) avec The Shade (1999), Apartment 5C (2002), Avanim (2004) et Tehilim (2007). Quittant la fiction pour le documentaire, il livre là une histoire du cinéma israélien, en écartant le commentaire en voix off, en illustrant son sujet par des extraits d’une quarantaine de films, et en laissant la parole à une foule de témoins, de critiques, d’universitaires et de spécialistes. Les historiens Nurit Gretz, Ariel Schweitzer, Nahman Ingbar ; les cinéastes Avi Mograbi (également acteur), Moshe Mizrahi, Yehuda Ne’eman, Renen Schorr, Nissim Dayan, Menahem Golan (également producteur), Eitan Green ou encore Amos Gitai ; les comédiens Salim Dau et Moshe Ivgy. La matière nécessaire à un récit très riche, qui permet de saisir comment, dans la succession de traumatismes et d’événements, entre la Shoah, les guerres israélo-arabes, les vagues d’immigration ou la défaite du socialisme fondateur, ce cinéma est passé de l’affirmation d’une identité contestée à sa permanente remise en cause. Il n’y a donc pas une histoire du cinéma israélien mais des histoires. En fait, souligne le réalisateur, « chaque période annonce la suivante et crée la possibilité d’un dialogue avec différentes couches de la société et ce malgré la violence et les guerres. Il n’y a pas de petites ou de grandes périodes du cinéma israélien car elles procèdent toutes du besoin de définir ce que doit être le cinéma lui-même, c’est-à-dire un modèle d’analyse. […] C’est un cinéma puissant parce qu’il pose en permanence la question de la fonction du cinéma en tant que récit collectif, national, tout en étant conscient de la nécessité de se défaire de sa mission idéologique, didactique. Le cinéma israélien veut faire partie de l’humanisme, conclut Raphaël Nadjari, et c’est son fardeau, son égarement, mais aussi la puissance de sa recherche. Il faut qu’il reste en mouvement, sinon, il redeviendrait idéologique. » _Jean-Claude Renard Une histoire du cinéma israélien, première partie (1933-1978), lundi 18 mai, 23 h 55 (1 h 45) ; seconde partie (1978-2007), jeudi 21 mai, 22 h 25 (1 h 47), Arte. Également disponible en DVD (à partir du 10 juin), chez Arte éditions, avec un livret de 36 pages. Septembre 1941. Le 10. Fin de journée. Métro Porte-Dauphine. André Kirschen tire sur un sous-officier allemand. Un coup de 6.35. Né en 1926, Kirschen a à peine quinze ans. Sa victime est le troisième militaire de la Wehrmacht abattu à Paris. Quelques mois plus tard, le jeune homme est arrêté par la police française puis livré aux Allemands. Il a pris alors le nom de Rossel, en souvenir du général de la Commune de Paris. Il sera du procès des 27 résistants du réseau de la Maison de la chimie en avril 1942, et évitera l’exécution parce que, précisément, la loi militaire allemande interdit la peine de mort pour les moins de 16 ans. Son père et son frère seront fusillés au Mont Valérien, sa mère disparaissant dans la déportation. Par le réalisateur Franck Cassenti, retour sur le destin particulier d’André Kirschen (mort en 2007), juif, fils d’un radiologue, né à Bucarest, débarqué en France en 1931, qui deviendra éditeur après la guerre. MARDI 19 MAI Transsexuel en Iran France 5, 20 h 35 C’est l’histoire d’un paradoxe de la législation iranienne. La République islamique interdit l’homosexualité, mais les personnes transsexuelles sont traitées avec bienveillance par les autorités (depuis que Khomeyni a promulgué une fatwa en leur faveur). Légal et pratiqué avec l’aval du gouvernement, le changement de sexe s’accompagne de l’émission d’une nouvelle carte d’identité. In fine, c’est la seule solution pour éviter le bannissement, la prison ou la condamnation à mort. Mais sans échapper aux regards des voisins, de sa propre famille, à la malveillance. Tanaz Eshaghian livre ici le fruit de quelques rencontres, de Téhéran aux campagnes reculées. Family Life France 2, troisième partie de soirée Véritable remise en cause des valeurs traditionnelles, l’un des premiers films de Ken Loach, tourné en 1971 et articulé autour du conflit familial, entre pressions psychologiques, aliénation et émancipation, violences sociales et médicales. JEUDI 21 MAI Indigènes France 3, 20 h 35 Raphaël Nadjari au festival de Cannes en 2007. GUILLOT/AFP Rediffusion du film de Rachid Bouchareb retraçant le récit de soldats oubliés de la première armée française, recrutés en Afrique du Nord. Avec notamment Jamel Debbouze et Sami Bouajila. 1 4 mai 200 9 I POLITIS I 25 DÉBATS & IDÉES Gaza :l’asphyxie avant les bom La Nouvelle Guerre médiatique israélienne, Denis Sieffert, La Découverte, 153 p., 11,50 euros. 26 I POLITIS Le rappel des événements qui ont rythmé ces trois ans et quatre mois témoigne assurément d’une réalité qui contredit déjà le discours officiel israélien : le départ des 8 500 colons de Gaza n’a jamais signifié la liberté et la souveraineté pour les Gazaouis. Le retrait unilatéral d’Israël n’a pas signifié son désengagement. Il faut donc s’interroger sur l’interprétation qui en a été proposée à l’époque par la plupart des médias occidentaux. Souvenons-nous que l’affrontement, en août 2005, entre les colons et l’armée israélienne avait donné lieu à une médiatisation planétaire au cœur de l’été. Nous savons ce dont Israël est capable quand il s’agit d’empêcher la médiatisation d’un événement. Nous savons aussi ce qu’il peut faire quand il veut montrer au monde entier ce qu’il est en train d’accomplir. Pour mettre en scène ce retrait et donner une forte résonance à ces cas de conscience et aux tourments de ces juifs arrachant d’autres juifs à leur terre « d’adoption », rien n’a été épargné aux téléspectateurs occidentaux. Quatre ans et demi après le retrait israélien de Gaza, la presse, d’abord enthousiaste, s’interroge sur le sens de cet acte politique présenté à l’époque comme un « geste courageux » d’Ariel Sharon. Le Monde a eu le mérite, dans un éditorial du 6 janvier 2009, de remettre en cause l’analyse de l’événement qui avait prévalu à l’époque : « Salué comme un coup de génie du Premier ministre d’alors, Ariel Sharon, le retrait de Gaza, opéré en août 2005, sans concertation aucune avec l’Autorité palestinienne, qu’incarnait depuis plus d’un an le pragmatique Mahmoud Abbas, apparaît aujourd’hui pour ce qu’il était : un coup tactique à courte vue. […] ». Si l’interrogation ne manque évidemment pas de pertinence, on peut en revanche discuter l’analyse qui suppose qu’Israël, en retirant ses colons tout en renforçant les conditions d’une asphyxie économique de l’étroit territoire, aurait commis une « erreur » sur le long terme. Et si cette politique apparemment contradictoire n’avait pas été une « erreur » mais le résultat d’un froid calcul qui conduisait tout droit au renforcement du Hamas et à la guerre civile interpalestinienne ? Après tout, c’est ne pas faire beaucoup d’honneur aux dirigeants israéliens que de considérer qu’ils font toujours le mauvais choix, et qu’ils sont incapables de comprendre ce que nous, observateurs étrangers, I 1 4 mai 2 0 0 9 Dans la Nouvelle Guerre médiatique israélienne, Denis Sieffert propose un autre regard sur l’offensive israélienne contre Gaza et les trois années qui l’ont précédée. Voici un extrait de son livre. comprenons sans peine. La pertinence du choix est déterminée par les buts que l’on poursuit. Si l’objectif est la paix et une relation apaisée avec les Palestiniens, la décolonisation unilatérale de Gaza et son bouclage ont en effet toutes les apparences d’une mauvaise option. Si, au contraire, le but est le renforcement du « meilleur ennemi possible », c’est-à-dire celui qui recueillera dans le monde occidental le crédit de sympathie le plus faible, et cela dans la perspective d’un affrontement programmé, alors le choix d’Ariel Sharon était le bon. On peut faire beaucoup de reproches à l’ancien Premier ministre israélien, mais pas celui d’avoir été sot. Il n’est donc pas interdit d’affirmer que le retrait de Gaza en août 2005 et l’offensive meurtrière sur ce même territoire fin 2008, début 2009, doivent se lire comme un tout cohérent, deux événements qui appartiennent à une seule et même séquence historique. La « décolonisation » unilatérale et le déluge de feu sur Gaza ont été pensés comme les deux étapes du même projet. L’acharnement d’Ariel Sharon à étouffer économiquement la population de Gaza dès le lendemain du retrait israélien plaide en faveur de la thèse d’une stratégie de long terme. Un peu moins d’un an avant le retrait, et alors que le projet annoncé par Sharon était au cœur du débat en Israël, l’un des plus proches conseillers du Premier ministre, Dov Weisglass, vendait la mèche dans une déclaration au quotidien Haaretz : le désengagement de Gaza, disait-il dans un langage imagé, « fournit la quantité de formol nécessaire pour qu’il n’y ait plus de processus de paix. » « La signification du désengagement, répétaitil, est le gel du processus ». Il ajoutait qu’il était tombé d’accord avec l’administration Bush pour que les « principaux blocs de colonies de Cisjordanie ne fassent pas partie d’éventuelles négociations ». Avant de conclure avec un incroyable cynisme : « Le reste [les autres points de la négociation] ne sera traité que lorsque les Palestiniens seront devenus des Finlandais (1) ». Autrement dit, jamais ! Tant de franchise ne pouvait laisser les bureaux du Premier ministre sans réaction. Le lendemain, un communiqué officiel réaffirmait que Ariel Sharon « restait engagé dans la Feuille de route ». Ce nième plan de paix concocté en 2003 par le « Quartet » composé des ÉtatsUnis, des Nations unies, de l’Union européenne et de la Russie, prévoyait notamment le gel de toute nouvelle colonisation et la création d’un État palestinien avant la fin de 2005. Qui disait la vérité, le Premier ministre ou son âme damnée ? Nous penchons nettement en faveur de Dov Weisglass. Dans un portrait qui lui était consacré, Haaretz notait qu’il fonctionnait avec Sharon « comme un vieux couple (2) » […] Un mois auparavant, Ariel Sharon avait luimême reconnu qu’Israël « n’adhérait plus » à la Feuille de route. Et dès la publication de ce plan, en 2003, il avait réagi en posant pas moins de quatorze conditions à son application. La période qui a immédiatement suivi le démantèlement des colonies israéliennes de Gaza a ensuite largement confirmé le peu d’appétence d’Ariel Sharon pour ce plan de paix. Rien ne justifiait en effet qu’Israël organise, immédiatement après s’être retiré, un blocus ravageur pour l’économie gazaouie, et désastreux pour l’évolution psychologique et politique des Palestiniens de ce territoire. Pour mener cette politique d’asphyxie économique, Sharon est allé jusqu’à exacerber une inhabituelle tension diplomatique avec les États-Unis. C’est Condoleezza Rice qui a obtenu – de haute lutte – la première et éphémère ouverture économique de Gaza, fin 2005. Quant à l’émissaire du Quartet, l’ancien dirigeant de la Banque mondiale James Wolfensohn, chargé de contribuer au développement économique de Gaza, il a fini par démissionner devant la mauvaise volonté israélienne (3). Ce blocus, si déterminant dans la vie quotidienne et la psychologie collective des Palestiniens, et qui a déterminé aussi en partie la stratégie du Hamas, est délibérément caché à l’opinion israélienne. Sauf à une minorité éclairée, lectrice de Haaretz, ou engagée dans le combat bes pacifiste. L’effondrement du niveau de vie et des conditions sanitaires des habitants de Gaza à partir de 2005, alors même que le territoire est en fait tenu sous le joug économique depuis 1994, n’est que rarement évoqué dans les grands médias. Le résultat de cette occultation est évidemment que l’homme de la rue en Israël ne comprend rien à la montée du Hamas, et pas davantage aux tirs de roquettes du mouvement islamiste sur les villes israéliennes voisines. Privé d’explications économiques et sociales, il cherche les causes de ces événements dans la nature du Hamas, voire dans la nature des « Arabes », jugés naturellement querelleurs et violents. Il analyse la montée du Hamas comme le résultat d’un phénomène d’islamisation spontané de la population. Selon cet imaginaire collectif, lui-même producteur d’un « Arabe imaginaire », Israël a cessé à partir du 12 septembre 2005 – date du départ du dernier soldat israélien – d’avoir la moindre responsabilité sur le destin de Gaza. Peu importe que toute infrastructure ouvrant Gaza sur le monde – port et aéroport – ait été interdite par l’État hébreu, que la centrale électrique et les ponts aient été pris pour cibles de l’aviation israélienne dès les premiers raids en juillet 2006, que les camions de ravitaillement soient bloqués parfois jusqu’à ce que les denrées qu’ils transportent pourrissent sur place ; peu importe que les 2 700 travailleurs palestiniens de Gaza travaillant en Israël aient été reclus et voués au chômage. D’où le sentiment, lorsque les roquettes pleuvent sur Sderot, que les Gazaouis sont ingrats. Un sentiment exprimé de façon caricaturale au plus fort des bombardements israéliens, et comme pour les justifier, par un éditorialiste de Haaretz, Ari Shavit, interrogé par Libération : « Gaza est le front où Israël a fait ce qu’il fallait : il a démantelé ses colonies, se pliant aux demandes de la gauche israélienne et de la communauté internationale. » « La réponse n’a pas été la paix, poursuit Ari Shavit, comme suffoqué par tant d’injustice, pas même le calme, mais la mise en place d’un régime agressif et extrémiste au terme d’un coup d’État aux relents fascistes (4). » Des Gazaouis libres et souverains, économiquement comblés, votent pour le Hamas et expédient des roquettes sur Sderot, uniquement par haine antiisraélienne. Cette perception aux relents essentialistes a évidemment été renforcée au cours de ces années 2002-2009 par la diffusion de l’idéologie dite du « choc des civilisations », notamment par l’administration américaine au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Faute d’avoir des causes économiques ou sociales, la révolte des Gazaouis, dont la montée du Hamas est l’une des manifestations, ne peut être que « religieuse » et « civilisationnelle ». Mais la décolonisation unilatérale de Gaza, en août 2005, a eu d’autres vertus, notamment en direction de l’opinion publique internationale. La mise en scène spectaculaire et savamment orchestrée des rares expulsions de colons et le départ des huit mille colons de Gaza avaient donné lieu à une couverture médiatique continue, et « mondialisée ». De même, le 5 décembre 2008, soit quelques jours seulement avant l’offensive contre Gaza, l’évacuation de quelques dizaines de jeunes colons retranchés dans une maison de Hébron, en Cisjordanie, a été aussi abondamment montrée et commentée. Les médias israéliens ont même parlé d’« Intifada juive ». Les téléspectateurs ont pu entendre ces jeunes gens traiter les soldats israéliens de « nazis » et les accuser – suprême insulte – d’être « pires que des Arabes ». Répétition des événements et des mots vus et entendus trois ans auparavant à Gaza. […] Or, pendant que l’on tire par les cheveux devant les caméras de télévision une poignée d’adolescents irascibles, les plans d’extension des colonies se multiplient en Cisjordanie. Début 2009, on estime à 250 000 le nombre de colons en Cisjordanie, et à 220 000 à JérusalemEst. Les colons représentent 25 % de la population de la Cisjordanie, mais ils occupent 40 % du territoire. Pendant la période dite d’Oslo, le processus de paix (1993-2000), le nombre de colons est passé de 110 000 à 195 000. Sans compter Jérusalem-Est. Cette duperie explique en grande partie l’explosion de la deuxième Intifada en octobre 2000. Au lendemain des événements de Gaza, en janvier 2009, le mouvement israélien La Paix Maintenant a rendu public un projet de 67 000 nouveaux logements en Cisjordanie, et 5 700 à Jérusalem-Est. Ce qui signifierait, selon une projection démographique moyenne, 292 000 colons supplémentaires. Le double langage est à son comble. Des Palestiniens inspectent l’immeuble présidentiel de Gaza, détruit le 27 décembre 2008 par une frappe aérienne israélienne. KATIB/GETTY IMAGES/AFP © La Découverte (1) Haaretz, 10 août 2004. (2) Cité par le Monde du 6 janvier 2009. (3) Rapporté dans le Monde du 6 janvier 2009. (4) Libération, 16 janvier 2009. 1 4 mai 200 9 I POLITIS I 27 DÉBATS & IDÉES TRIBUNE 8 mai : ne pas oublier Sétif OLIVIER LE COUR GRANDMAISON Spécialiste des questions coloniales, enseignant en sciences politiques à l’université d’Évry-Val d’Essonne*. 8 mai 2009. La France célèbre, comme il se doit, la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. 8 mai 2009. L’Algérie commémore le soixante-quatrième anniversaire des massacres de Sétif et de Guelma perpétrés par l’armée française et de nombreuses milices coloniales composées de civils d’origine européenne. Bilan : Entre 20 000 et 30 000 victimes arrêtées, torturées et exécutées sommairement pour rétablir l’ordre imposé par la métropole et terroriser de façon durable les populations « indigènes ». Une seule et même date. Deux histoires diamétralement opposées en même temps que liées l’une à l’autre ; pour recouvrer son autorité en Europe et dans le monde, la France libre est prête à tout pour défendre l’intégrité de son empire. Ainsi fut fait. En métropole donc et pour les colons des différents territoires d’outre-mer, la joie de la paix, de la liberté et de la démocratie retrouvées. Pour les « musulmans », l’horreur, le sang et les larmes provoquées par le déchaînement de la violence d’État destinée à perpétuer l’oppression et l’exploitation coloniales. De quoi étaient donc « coupables » les « indigènes » ? D’avoir osé manifester pacifiquement, en ce mardi 8 mai 1945, dans la rue principale de Sétif, pour exiger la libération de Messali Hadj, défendre « l’Algérie libre » pour laquelle ils ont conçu un nouveau drapeau, symbole de leur lutte pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et pour l’indépendance. C’est à cela que s’oppose la France afin de perpétuer sa domination Le 8 mai 2005, plusieurs milliers de personnes participent à Paris à une manifestation à l’appel des Indigènes de la République. GUILLOT/AFP 28 I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 Le jour marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale est aussi celui où l’État français a réprimé dans le sang l’une des premières manifestations pacifiques pour l’Algérie libre. Un passé toujours occulté. imposée depuis cent quinze ans. Monarchique d’abord, républicaine ensuite, impériale après, et de nouveau républicaine après la chute de Napoléon III, la métropole a longtemps soumis, comme l’écrivait Ferrat Abbas, les « Arabes » au régime du « talon de fer » et du « mépris », au Code de l’indigénat, voté par la Chambre des députés le 28 juin 1881, aux tribunaux répressifs, à l’internement administratif et aux amendes collectives. Celles-là mêmes qui, massivement appliquées pour sanctionner les tribus kabyles soulevées en 1871, avaient précipité leur ruine pour de longues années. Sans oublier les nombreux massacres commis par l’armée d’Afrique pour conquérir l’Algérie, la « pacifier » comme on disait déjà au XIXe siècle, et rétablir l’ordre colonial lorsque celui-ci était contesté par les « indigènes. » Jusqu’en 1945, ces derniers n’étaient que des « sujets français », des assujettis en fait comme en droit, privés des libertés démocratiques élémentaires. À cela s’ajoutent de nombreuses dispositions discriminatoires et racistes qui ne pesaient que sur eux. Telle était donc la situation de ces « populations » comme on disait alors. C’est contre cet ordre pour eux dictatorial, injuste et inégalitaire que manifestent donc ceux qui se rassemblent à Sétif ce 8 mai 1945 puis le soir même à Guelma. On connaît la suite : le déchaînement de la violence et de la terreur d’État avec son cortège de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Oubliés les principes qui, quelques semaines plus tard, allaient être au fondement de l’article 1er de la Charte des Nations unies, adoptée le 26 juin 1945, établissant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Oubliés aussi les engagements, contractés dans la Résistance, puis inscrits dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui affirme : la France, « écartant tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire », garantit à « tous […] l’exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés » dans le présent texte. Oubliés enfin les fondements philosophiques, politiques et juridiques, plus tard sanctionnés par la Déclaration universelle des droits de l’homme, votée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris, et son article 2 relatif aux droits dont « chacun peut se prévaloir » sans « distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion et d’opinion politique ». Dans les colonies de la France républicaine, ces principes ne s’appliquent pas. Étrange conception de l’universel qui n’a d’universel que le nom puisque les prérogatives mentionnées ne valent ni pour tous les hommes, ni pour tous les lieux, ni pour tous les temps. Les massacres de Sétif et de Guelma en témoignent sinistrement : une fois encore, la force a primé les droits, aussi fondamentaux soient-ils, dès que le visage de l’Autre épouse les traits du « musulman » ici, du « Noir » ailleurs et de « l’Indochinois » bientôt. Une fois encore, en ce mois de mai 2009, ce passé n’a toujours pas droit de cité, ni dans les discours des plus hauts responsables de l’État, ni dans la plupart des grands médias français. Mépris, silence, oubli. Pour combien de temps encore ? *Dernier ouvrage paru : La République impériale : politique et racisme d’État, Fayard, 2009 (voir Politis n° 1044). DE BONNE HUMEUR MOTS CROISÉS PAR JEAN-FRANÇOIS DEMAY GRILLE N° 17 I II III IV V VI VII VIII IX X 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 HORIZONTAL : 1. Elles réclament un chef héroïque ou fantastique. 2. Risquai. Note. Commence une pétition. 3. Il enchaîne les piquettes et les taules. Entoure le manche. 4. En Amérique du Sud, c’est à vomir. 5. Héros hugolien. Plante dont les feuilles ressemblent à des étoiles. 6. Patron que l’on prie. Dans un mois, Nadal va en gagner plus d’un. Véritable, il est encore dangereux. 7. Mesure la sensibilité. Passementât. 8. Pris un principe de précaution en vue d’une grippe mexicaine. 9. Pensée magique sur l’île de Pâques. Instrument à marteaux. 10. On la fait avant de vendre ou d’acheter. VERTICAL : I. Doctrine qui prend le Solution de la grille n° 16 : 1. Ampliation. 2. Énoues. NPA. 3. Relishs. Pu. 4. Omis. Redit. 5. Pètera. Edo. 6. Embrun. 7. Socle. Rami. 8. Trie. Russe. 9. Ale. Fine. 10. Lentiforme. I. Aéropostal. II. Mnème. Orle. III. Politicien. IV. Luise. Le. V. IES. Rée. VI. Ashram. Rif. VII. Se. Bruno. VIII. In. Déraser. IX. Oppidums. X. Nautonière. sujet pensant comme seule réalité. II. Recueils de fables du Moyen Âge. Particulièrement bon. III. Laser non lumineux. Huilé pour la bénédiction. IV. Menue monnaie. Petit singe d’Amérique. V. Bruit de tambour. Démesuré à l’Élysée. VI. Certains se sont rués pour le trouver. Arbre ornemental à larges grappes. VII. Il est vénéré par les rastas. Apparaît. VIII. Ramassai les feuilles. IX. Protégera par des arbres. Un drame à Tokyo. X. Elle précède le partage. SÉBASTIEN FONTENELLE Dray Guevara Le (très) gros titre explose en lettres de six cents mètres de haut, dimanche (10 mai), à la une du Parisien : « Julien Dray sort du silence ». En soi, déjà, c’est furieusement alléchant, car les contributions de Julien Dray au débat public sont toujours d’un immense intérêt – on se rappelle, notamment, qu’il avait largement révolutionné l’histoire des sciences politiques en déclarant, il y a deux ans : « Oui, mon gars, tel que tu m’vois, je soutiens MarieSégolène Royal, et j’aime ça. » Mais là, c’est d’autant plus exaltant que c’est pile « cinq mois après le début de l’affaire » de « mouvements financiers suspects » où il a été mis en cause que Julien Dray « parle enfin » et « se confie en exclusivité » à Dominique de Montvalon (also known as Dom Woodward), du Parisien – et cette info est si extraordinaire que la presse dans son entier la reprend, du Figaro (« Julien Dray rompt le silence ») au Miami Herald (« You’re talking to me ? ») (1). Et que dit Julien Dray quand il « sort » Et que dit Julien (enfin) « du silence » ? Julien Dray psalmodie qu’il est Dray quand il probablement sous le coup d’un (vil) « sort du complot (2) et qu’il est « archifaux » de silence » ? Il prétendre qu’il aurait une « vie psalmodie qu’il est luxueuse » (nonobstant qu’il pose dans le Parisien avec une élégante cravate probablement Hermès probablement plus onéreuse sous le coup d’un qu’un modèle de chez Celio) – puis (vil) complot lance qu’il s’expliquera « devant la justice et personne d’autre », histoire de et qu’il est ne pas nourrir un « voyeurisme « archifaux » malsain(3) » . de prétendre qu’il Puis Julien Dray, se rappelant soudain aurait une « vie qu’avant d’être une incarnation du « socialisme » sécuritaire il a été jeune luxueuse », et fougueux, et même un peu nonobstant une communiste, prévient le monde (que élégante cravate cette révélation traumatise) qu’il a (je Hermès. n’invente rien) « retrouvé dans [sa] tête l’énergie et la radicalité de ses 20 ans » – et le prouve en appelant, pour une « victoire » de « la gauche » en 2012, à « une coalition allant des modérés du Modem à l’extrême gauche ». Dray Guevara ! (1) Nan, je rigole. (2) Comme s’il était d’une telle importance dans le paysage politique français que d’aucun(e)s aient fomenté de l’en « éliminer », comme il dit. (3) En résumé : Julien Dray « sort du silence » pour ne rien dire, ou presque – et les journaux unanimes célèbrent par de frénétiques vivats ce non-événement absolu. Retrouvez le blog de Sébastien Fontenelle sur www.politis.fr 1 4 mai 200 9 I POLITIS I 29 RÉSISTANCES PORTRAITS Elles sont antipub, antinucléaire, anti-OGM, antiguerre… et ne se retrouvent plus dans les formes classiques de mobilisation. Un reportage de Lætitia Legrand. Désobéir, disent-elles tudiante en licence d’administration économique et sociale, cette jeune fille de 20 ans au petit gabarit estime aujourd’hui que « l’agression publicitaire est abusive ». Mais son combat contre l’injustice, Gaëlle a commencé à le mener il y a un an, en étant membre de l’association Icare, une organisation qui agit de manière globale en matière environnementale, sociale et de solidarité internationale. Certains de ses membres mènent en parallèle des actions de désobéissance civile. L’idée mûrit alors dans sa tête. Aujourd’hui, elle s’intéresse plus particulièrement aux actions antipub. « Je pense qu’il y a trop de publicités. Je veux agir contre ce phénomène. » Elle souhaite une publicité vraiment informative, démocratique d’accès, centrée sur toutes les activités humaines et non imposée au public. Elle a envie d’agir de manière forte. Gaëlle décide alors d’intégrer le collectif des Déboulonneurs. Sûre de ses convictions, elle le rejoint en mars, pour sa première action en tant que désobéissante. Le rendez-vous était donné à la sortie d’un métro parisien. L’objectif de É cette rencontre : dégrader en public, de manière assumée et non-violente, les panneaux publicitaires par barbouillage, c’est-à-dire par inscriptions à la peinture. « Des journalistes étaient là, nous avons ainsi pu exprimer notre point de vue et nos revendications auprès d’un large public. » Après quelques barbouillages, les forces de l’ordre sont arrivées. Elles ont arrêté quelques désobéissants, qui se sont ensuite retrouvés en garde à vue pour quelques heures. Gaëlle ne se sentait pas prête à affronter les CRS, aussi a-t-elle mené sa première action en tant que simple soutien aux activistes. Mais elle reste déterminée et combative : aujourd’hui, elle est prête à suivre toutes les actions que le collectif lui proposera, en vraie désobéissante. LAETITIA LEGRAN D Gaëlle, 20 ans, étudiante « Contre l’agression publicitaire » uand Claire ne s’occupe pas de ses six petits-enfants, elle désobéit. Pour cette femme de 71 ans, « on ne doit pas obéir à une chose qui n’est pas bonne ». Dans sa jeunesse, après avoir beaucoup fait l’école buissonnière, elle choisit de suivre des études sur les métiers du livre et, depuis, elle « essaye d’être une citoyenne modèle ». Q Aujourd’hui, ce qui l’énerve le plus, ce sont les personnes qui parlent bien mais n’agissent pas, « qui se renferment sur elles-mêmes, qui ne partagent pas ». L’impression qu’elle a d’être face à un aveuglement général lui donne envie de passer un mes- Claire, 71 ans, LAETITIA LEGRAND Refuser, c’est se respecter 30 I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 retraitée sage : un autre monde est possible. Alors elle intègre divers collectifs de désobéissants. Au sein d’un groupe, « je me sens plus forte et surtout moins seule ». Ce qu’aime Claire, dans la désobéissance civile, c’est qu’à chaque fois elle se rend compte à quel point « c’est simple et libérateur de désobéir ». Elle réalise qu’avant, lorsqu’on lui imposait quelque chose, elle obéissait alors qu’elle était capable de refuser. Aujourd’hui, c’est en refusant qu’elle se respecte. « J’ai obéi jusque-là comme une enfant qui croit sans aller voir ! Avec la désobéissance civile, je dis NON et le ciel ne me tombe pas sur la tête ! » À entendre sa douce voix on ne pourrait imaginer que cette grand-mère est une désobéissante chevronnée. Et pourtant, depuis qu’elle est à la retraite, elle participe à autant d’actions qu’il lui est possible. Mais elle choisit, avant tout, celles qui lui semblent justes, honnêtes, républicaines et dans lesquelles elle ne trouve aucun profit personnel. j’ai toujours été très attirée par la non-violence. Mais il m’était difficile d’être militante lorsque j’avais un emploi. Cela demande beaucoup de temps d’être activiste. J’étais éducatrice spécialisée, je travaillais dans le placement familial. Dans cette structure, on employait beaucoup de femmes maghrébines. C’était une façon de les aider à s’intégrer dans le système français car elles avaient du mal à trouver un emploi. C’était doublement riche car nous avions ainsi une ouverture sur leur culture à elles. Je suis à Attac depuis 1998, date de sa création. Je fais beaucoup de théâtre de rue avec cette organisation, mais je trouve qu’elle ne touche qu’une frange limitée de la population. Son discours est trop complexe pour être accessible à tous. Pour moi, la désobéissance civile, c’est exactement l’inverse. Depuis que je suis à la retraite, j’ai plus de temps et je participe plus à des actions directes non-violentes car je les trouve intuitives et vivantes. POLITIS I Qu’est ce qui, dans votre parcours, vous a conduite à participer à des actions de désobéissance civile ? Annouk I Après avoir suivi des études dans une école d’art, j’ai obtenu une licence en histoire des sciences politiques, et je suis aujourd’hui médiatrice du livre. En 2007 et en 2008, avec des membres de l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP), nous avons monté un groupe de travail afin de créer un jeu pour sensibiliser les enfants à la publicité. Lors d’une réunion avec ce groupe, j’ai rencontré un désobéissant. Le désir de passer à un stade supérieur dans mon mode d’action a fait son chemin en moi. C’est ainsi qu’en février 2009, j’ai participé à un stage de formation à la désobéissance Isabelle, 70 ans, retraitée et mère de deux fils Racontez-nous l’une des actions auxquelles vous avez participé. Avec des membres d’Attac, nous collions des tracts sur des affiches publicitaires dans le métro. Au fil du temps, je me suis retrouvée seule à coller les tracts. Un jour, des policiers sont arrivés. À mon âge, je ne me sentais pas de courir pour échapper aux forces de l’ordre, je n’avais pas envie de me faire mal. Ils m’ont alors arrêtée. Avec l’un des policiers, nous avons engagé une discussion sur mes agissements. Quand on s’est quittés, il m’a demandé un tract en souvenir ! Aujourd’hui, je préfère effectuer des actions avec des collectifs tels que Sortir du nucléaire ou la Brigade activiste des clowns (BAC). Ils sont plus au fait des limites de leurs droits, ils agissent avec plus de prudence. DRAGAN LEKIC POLITIS I Qu’est ce qui vous a conduite à participer à des actions de désobéissance civile ? Isabelle I Depuis que j’ai 18 ans, « La dérision est une arme très intéressante » Comment choisissez-vous les actions auxquelles vous participez ? Je me sens concernée par beaucoup de causes : la justice, les questions d’identité, les sanspapiers… Par contre, je manifeste rarement pour le féminisme car je ne civile, organisé par le collectif des Désobéissants. Ce stage m’a permis de confirmer que je « La désobéissance civile est la seule alternative efficace » C EKI NL AGA DR pensais sur les modes d’actions à mener. Ce que j’y ai apprécié, c’est la large place donnée à la réflexion personnelle. Pour moi, la désobéissance civile est la seule alternative efficace. Racontez-nous l’une des actions auxquelles vous avez participé. Le contre-sommet de l’Otan, avec les Désobéissants. Pour moi, l’essentiel était de participer à une action Annouk, 27 ans, médiatrice auprès d’enfants me retrouve pas dans ses valeurs. Je suis plus attirée par la BAC, qui est dans l’extrême non-violence. Ainsi, les « clowns » ne se confrontent pas physiquement avec les CRS, et la dérision me paraît une arme très intéressante. En fait, je cible les actions auxquelles je participe pour ne pas me disperser ni perdre ma motivation. de blocage non-violente chargée de sens et stratégiquement gênante. En nous ralliant au collectif Block Nato, nous voulions bloquer certaines routes menant aux locaux où avaient lieux les réunions relatives au sommet pour perturber son déroulement. Le plus impressionnant a été de me retrouver face aux forces de l’ordre, que je trouvais en surnombre et surarmées, alors que j’étais à découvert, sans masque ni arme. Le fait de me sentir vulnérable physiquement m’a très fortement impressionnée. Ma détermination à tenir sur ce blocage, alors que les CRS tentaient de nous dégager, résidait dans ma conviction de la légitimité symbolique de l’action, la présence de témoins qui nous protégeaient de la violence éventuelle des forces de l’ordre, et notre solidarité. Quels sont vos critères de choix pour les actions que vous menez ? Il est très important pour moi de bien connaître les différents enjeux de l’action que l’on peut me proposer ou que je pourrais initier, pour être sûre d’être bien en adéquation avec ses objectifs. 1 4 mai 20 09 I POLITIS I 31 LE POINT DE VUE DES Il n'ya rien de plus déstabilisant pour les puissants de ce monde que des peuples qui se mettent à réfléchir et à qui, un jour, on ne pourra plus raconter n'importe quoi. Alors, continuons... Christian David Un conte extraordinaire Deux banques mutualistes chères aux Français, les Caisses d’épargne et les Banques populaires, ont fusionné en février-mars 2009 sous la houlette du secrétaire général adjoint de l’Élysée afin de se sauver d’une faillite possible. Il faut rappeler néanmoins que ces deux établissements ont été entraînés dans le rouge par la création de Natixis et de Natexis. Cette filiale commune est l’œuvre de François Pérol, alors employé par la banque Rothschild, après qu’il eût quitté le ministère des Finances, à l’instar du ministre d’alors, Nicolas Sarkozy. Il est pour le moins surprenant que la personne à l’origine des déboires financiers des deux groupes bancaires organise leur fusion en qualité de secrétaire général adjoint de l’Élysée, et qu’il devienne ensuite tout naturellement le PDG de cette nouvelle entité. La banque d’investissement créée par les Caisses d’épargnes et les Banques populaires avait pour fonction le traitement de « produits financiers sophistiqués », dont certains à hauts risques. Cela explique les pertes colossales de cette entreprise génétiquement modifiée. Cette filiale, comme toutes ses semblables créées par les autres banques, travaillait dans l’opacité confortable des paradis fiscaux sous les conseils avisés de cabinets d’audit et de notation domiciliés dans ces trous noirs de la finance. Il est curieux de remarquer que les responsables de la destruction massive des postes dans la Fonction publique, notamment en milieu hospitalier, par le biais de la Réforme générale des politiques 32 I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 publiques (RGPP), sont ces mêmes experts domiciliés dans ces zones de non-droit que sont les îles anglonormandes. Je veux parler des cabinets d’audit Deloitte et Pricewaterhousecoopers. Mais revenons à NatexisNatixis. […] Un de ses achats par effet de levier (LBO) les plus médiatiques a été la prise de contrôle de l’entreprise des Collants Well. Tout naturellement, cette acquisition entraîna immédiatement plan social, licenciements et délocalisation. La stupide rapacité des fonds spéculatifs, en demandant des retours sur investissements exorbitants, favorise et alimente la crise financière mondiale par la création de bulles spéculatives incontrôlables. La production de richesse dans une entreprise sans difficultés se situe dans le meilleur des cas autour de 6 %. On est bien loin de ce qui est exigé d’elle quand elle passe sous leur contrôle. Ces comportements égoïstes et irresponsables nous précipitent dans le mur. Les mêmes personnes qui ont entraîné le monde dans la crise majeure que nous vivons se proposent aujourd’hui de moraliser le capitalisme. Avec beaucoup d’humour, certains nous proposent même de créer un code éthique, un code de bonne conduite, pour la gouvernance des transnationales et la rémunération de leurs cadres et Pensez-y ! Abonnement web à partir de 8 € par mois* www. poli t i s. fr Paiement sécurisé * voir conditions LECTEURS AGENDA POLITIS courrier des lecteurs, 2, impasse Delaunay, 75011 Paris. 01 43 48 04 00 (fax) [email protected] (e-mail) Créteil (94) : le 15 mai, à 20 h 30, DIFFUSION EN KIOSQUE Pour connaître le point de vente le plus proche de votre domicile, de votre lieu de travail ou même de votre lieu de vacances ; si vous souhaitez que votre marchand de journaux soit approvisionné sous huitaine ; appelez le 01 42 46 02 20 ( d e l u n d i a u v e n d r e d i d e 10 h à 17 h) ou envoyez un courrier électronique à c ontac [email protected] om Un site des NMPP indique également où trouver Politis : w w w.t rouverlapresse.c om de leurs actionnaires. Selon eux, tout cela va permettre de retrouver la croissance et par la même occasion de relancer l’économie. Le pire serait le recours à la loi. Ces nouveaux chevaliers que sont les capitaines d’industrie seraient alors contraints de déserter, afin d’exercer leurs talents sous des cieux plus cléments. Mais le chef suprême veille et les protège. Dans sa grande mansuétude, il les a même décorés de l’ordre de la Légion d’honneur pour les nombreux services rendus à la nation dans leur recherche permanente de l’intérêt général. Ces personnes imbibées d’idéologie ultralibérale, responsables de la tourmente actuelle, sont toujours aux commandes. Elles nous proposent encore et encore leurs fumeuses théories légèrement époussetées. Elles nous disent qu’il faut avoir confiance et croire sur parole les dirigeants compétents qui ont si bien assuré la marche du monde pour le plus grand bonheur de tous. […] Mais un pyromane qui devient pompier n’est-il pas tenté de remettre le feu ? Ne faudrait-il pas retrouver collectivement un peu de sagesse et méditer la parole d’Antoine de Saint Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre, nous l’empruntons à nos enfants » ? Lucien Pons Révolte et légitimité Depuis quelque temps, les salariés, pour se faire entendre, emploient des méthodes plus radicales – séquestration de dirigeants et dernièrement, à Compiègne, saccage de la sous-préfecture par ceux de Continental, excédés par l’attitude de leur groupe. À Clairoix, après avoir accepté de repasser à 40 heures de travail hebdomadaire en 2007, avec la promesse de la direction de maintenir l’activité jusqu’en 2012, Continental annonce la fermeture du site. Trahison ! L’attitude de ces patrons n’est pas saine. Pour sauvegarder la « salubrité publique », un grand nettoyage (au Karcher, comme dirait un certain Sarkozy) est nécessaire au sein du patronat, des grands groupes, des actionnaires. On ne peut pas à la fois garantir aux grands patrons et autres actionnaires des ponts d’or faramineux (même à ceux qui ont ruiné leur entreprise) et avoir un tel mépris pour les salariés. On ne peut pas décider ainsi de la vie d’êtres humains, leur faire vivre des drames insurmontables, la misère, tout cela pour faire de l’argent, le plus d’argent possible, le plus rapidement possible. Cela est inadmissible ! […] Notre pays a multiplié sa richesse, mais la répartition n’est pas équitable. Cela est reconnu officiellement, la majorité s’appauvrit alors qu’une petite minorité s’enrichit. Cela n’est pas tolérable ! Les ouvriers français sont les premiers concernant la productivité au niveau mondial. Et le patronat se plaint. Les charges sociales diminuent tous les ans. Et le patronat se plaint. Subventions Rendez-vous sur notre nouveau site www.politis.fr de tous côtés, aides de l’État. Et le patronat se plaint. Et ce n’est pas le « pipeau » déjà tant et tant entendu ou les « jappements » de notre président qui changeront fondamentalement les choses. Alors les salariés se rebellent, séquestrent et cassent pour affirmer qu’ils sont des êtres humains et non des pions. Nos dirigeants, Sarkozy, Fillon et la ministre de l’Intérieur montent au créneau : « Cela est inadmissible, illégal », « Il y aura des suites judiciaires », etc. c’est sûr, ces actions sont illégales. Mais qui fait ces lois de la République, sinon cette classe de privilégiés ? Et ils font tout pour garder leurs privilèges. Quand ils transgressent leurs propres lois, très peu sont inquiétés. « Suivant que tu naîtras puissant ou misérable… » Si ces messieurs veulent se référer à la légalité pour protéger leurs privilèges, eh bien, moi, j’en appelle à la légitimité. À ce qui est conforme à l’équité, à la justice, au droit naturel. Il y a des moments dans la vie où la légitimité prévaut sur la légalité ; notre histoire de France en est remplie. Lorsqu’un système économique écrase l’être humain, bafoue sa dignité, se moque de la simple morale nécessaire à la vie en société, il faut se révolter. Certes, c’est illégal ; certes, ce n’est pas le meilleur moyen de s’en sortir, mais tant qu’existera un tel mépris pour l’être humain, il y aura des révoltes. Et ce n’est pas l’arsenal policier et judiciaire qui empêchera les luttes légitimes afin de refuser le diktat des grands groupes et de revendiquer le droit de vivre dans le respect et la dignité. La révolte est saine et légitime, n’en déplaise à ces messieurs. Serge Liorzou, délégué du personnel Attac Créteil- Bonneuil et le centre socioculturel Madeleine-Rebérioux organisent un « casse-croûte réflexion » sur le thème : « La crise ? Que faire ? » Avec Bruno Jetin, membre du conseil scientifique d’Attac. Centre Madeleine-Rebérioux, 27 av, François-Mitterrand. [email protected] Strasbourg (67) : les 16 et 17 mai, salon Couleurs et Saveurs équitables 09. Avec Politis. Pavillon Joséphine de l’Orangerie, 03 88 83 28 10. Romans (26) : jusqu’au 17 mai, la Mission des affaires européennes et internationales organise les Ateliers de la coopération. [email protected] Paris IIe : le 18 mai, à 18 h 30, projection du film les Femmes de la Brukman, sur une expérience d’autogestion en Argentine, suivie d’un débat avec Luis Díaz, ouvrier de l’usine autogérée Zanón. À l’occasion de la parution de Produire autrement de la richesse, aux éditions du Cetim. Salle Jean-Dame, 17, rue LéopoldBellan. Paris XVIIIe : le 18 mai, à 19 h 45, la LDH organise un Café-droits de l’homme « La cause des Roms » avec Malik Salemkour, vice président de la LDH, et Pierre Henry, directeur général de France Terre d’asile. 10 av. de la Porte-de-Montmartre, http://lepetitney.free.fr Aix-en-Provence (13) : le 19 mai, à 18 h, l’université populaire et citoyenne du Pays d’Aix et Attac organisent une conférence-débat sur « l’Amérique latine et ses expériences dans la conjoncture internationale » avec Éric Toussaint, historien et président du CADTM. Maison de la vie associative : 06 37 26 91 62 Toulouse (31) : du 19 mai au 10 juin, l’association Bleu comme une orange organise 4 rencontres sur le développement local durable et solidaire. Respect, la Cimade et les autres… Je trouve votre article [email protected], 05 61 34 25 21 bien indulgent vis-à-vis des quatre autres associations que Respect (sur laquelle je partage l’analyse parue dans le n° 1049 de Politis) qui ont rompu l’accord tacite de laisser la Cimade répondre seule à l’appel d’offres du ministère de l’Immigration, au nom d’intérêts boutiquiers ! Colmar (68) : du 21 au 25 mai, Éric Pliez, Montreuil foire éco-bio d’Alsace sur le thème de l’économie du bio. Parc Expo, www.foireecobioalsace.fr www. p oli tis. fr Consulter l’agenda militant mis à jour régulièrement 1 4 mai 2 0 0 9 I POLITIS I 33 BLOC-NOTES VROUM, VROUM ! esses Deux grands-messes successives sont célébrées chaque dimanche matin sur France Culture : celle de l’Église catholique, qui nomadise d’une paroisse à une autre ; celle, laïque et républicaine, que célèbre en son studio-chapitre de Radio France le chanoine Philippe Meyer. On passe de l’une à l’autre en un enchaînement musical harmonieux et comme naturel : un peu comme on passait naguère, dans la vie réelle et dominicale de la bourgeoisie provinciale, de l’église à la pâtisserie. C’est ici à la seconde que je me réfère (1). J’essaye de ne pas la rater trop souvent, tant ses échanges policés entre têtes pensantes du même monde, aux différences inscrites dans ce cercle étroit qu’on dit « de la raison » (l’expression est de Minc, je crois) – c’est-à-dire qu’on y balance harmonieusement du centre droit au centre gauche, en faisant mine parfois de se porter quelque nasarde sans conséquence –, sont représentatifs de cette classe politico-médiatique dont la satisfaction qu’elle a d’elle-même ronronne à mille lieues de la vraie vie : la langue étant plutôt choisie, et fréquent l’emploi du subjonctif, on prend à leur écoute une sorte de plaisir pervers. Le comble de la différence entre ses officiants réguliers (six ou sept, toujours les mêmes, qui se relaient autour du maître de cérémonie) relève de l’opposition entre un ex-bayrouiste désormais sans appartenance revendiquée à un exchevènementiste rallié à Sarkozy. Le premier – Jean-Louis Bourlanges – est un européiste de toujours un peu revenu de ses enthousiasmes d’antan (et de Strasbourg, où il siégea un temps) ; le second – on a reconnu Max Gallo –, longtemps pourfendeur de l’Union et pilier du « non » aux différents traités (deux !) qu’on eut la grâce de soumettre au peuple, se déclare aujourd’hui « totalement satisfait » par le récent discours de Nîmes, où le PP (PrincePrésident) lançait la campagne de son camp en prétendant réconcilier ceux qui avaient voté « oui » et ceux qui avaient dit « non » (2), ce qui paraît pour le moins une affirmation hasardeuse. Dimanche dernier, donc, on parlait de l’Europe, et de cette élection qui vient (à moins que l’insurrection ne la précède !). M 34 I POLITIS I 1 4 mai 2 0 0 9 on mot Bourlanges a le propos volontiers malicieux ; et même couvert d’assez de fleurs de rhétorique pour en masquer le parfum vénéneux, il laisse deviner l’homme qui tuerait pour un bon mot. Ainsi juge-t-il le discours de Nîmes (où il décèle, dans le martèlement, un style péguyste modifié Guaino) : « L’impression que c’est un accélérateur sans embrayage. C’est-à-dire, ça fait : vroum, vroum. Et puis rien, ça tourne en boucle ». Voilà qui est bien trouvé, et qui pourrait, ce me semble, s’appliquer à l’ensemble des prestations du PP, pas seulement au discours sur l’Europe de la semaine dernière. Le blingbling des débuts du règne étant un peu passé de mode (sous l’influence, sans doute de Carlita, une vraie riche « ancienne », elle, qui n’a pas besoin d’étalage), je propose qu’on adopte ce « vroum, vroum » fourni par l’aimable Bourlanges. Il fera la paire avec le nouveau surnom de son compère italien (moins glorieux que le Cavaliere), consécutif à son goût des « veline » (3) et autres donzelles « à peine majeures », comme dit son épouse outrée en exigeant le divorce. Vroum-Vroum et Papounet sont donc les deux grands dirigeants actuels de deux des six États fondateurs de l’Europe ; Monnet et Benvenuti – deux des pères fondateurs – en mangeraient leur chapeau. B oulin à café Heureusement qu’on a l’Allemagne et sa digne chancelière pour redonner un peu de sérieux à cette construction européenne, qui n’a vraiment pas grandchose pour séduire les foules, ni nous convaincre d’aller voter le 7 juin. Et pourtant, même dans l’Allemagne de Mme Merkel (où Sarkozy est allé dimanche faire le joli cœur au meeting de la CDU), on ne s’intéresse pas du tout à ces élections au Parlement, peut-être moins encore qu’en France, ce qui n’est pas peu dire. Référence, encore, à Bourlanges (qui fut, je le rappelle, un zélote de la construction européenne) : « Le Parlement européen est un beau moulin à café, mais on ne met pas de café dedans. » Autrement dit, il tourne à vide. Pourquoi diable irait-on voter pour cette M machine à mouliner du vide, ce qui est en effet une bonne définition d’une Assemblée dont les pouvoirs s’arrêtent (vite) là où commencent ceux (plantureux) de la Commission ? Car chacun le sait, en dehors des discours convenus et des effets de tribune obligés, la vraie question qui s’est débattue entre notre PP et Mme Merkel, et qui occupe les esprits de tous les dirigeants de moindre envergure (le couple francoallemand restant le timon incontournable du char européen), est moins : combien de députés pour chaque camp ? (cette question-là compte aussi, mais surtout dans le champ de la politique nationale) que : quelle composition pour la Commission européenne, quel président et quels commissaires aux postes clés – qui sont la politique étrangère pour la gloire et les portefeuilles économiques pour la matérielle ? Tant il est vrai que là est le pouvoir, et qu’aucun État membre n’entend laisser à d’autres le bénéfice de s’en approprier une trop grosse part. e can La première question qui se pose est celle de la reconduction ou non de ce M. Barroso, seul candidat déclaré à sa succession : c’est lui qui distribue les portefeuilles. Le Portugais (que Bourlanges, décidément en verve, appelle « le gilet rayé des États ») a toutes les faveurs de la droite européenne et d’une grande partie de la gauche sociale-démocrate de même métal. D’où le scepticisme que rencontrent tant Bayrou que le PS lorsqu’ils affirment vouloir s’en débarrasser. Pour le reste, les tractations vont bon train, dans un jeu de poker menteur où l’on pousse un pion belge pour en faire avancer un autre italien, ou encore tel Français à tel poste pour empêcher que tel autre échappe à un Allemand ou un Néerlandais, etc. On cite volontiers – pour les gens de chez nous – un Michel Barnier ou même une Christine Lagarde : comme on voit, ça décoiffe assez modérément. Et tout cela n’a qu’un lointain rapport avec des élections parlementaires où les partis politiques en général ne voient qu’un moyen pratique de caser quelques militants méritants éclopés du suffrage ou – c’est selon – d’en écarter d’autres devenus encombrants dans le jeu hexagonal (le seul qui compte à leurs yeux). W Dans le système bien huilé de la Françafrique, le retour d’ascenseur fonctionne à merveille, et les valises de billets circulent dans les deux sens. PAR BERNARD LANGLOIS On notera aussi que le prestige encore intact de Barack Obama aux yeux de tout ce petit monde (et des électeurs) implique que chacun décline à sa façon le slogan fétiche : « Yes, we can ! » Ce qui donne le « Quand l’Europe veut, elle peut ! » de Sarko à Nice ; ou, plus fort encore, du MoDem : « Jean-François Kahn ! » (Bon, OK, je sors !) rançafrique Encore un mois pour parler de l’Europe, il faudra bien y revenir. Intéressons-nous à cet autre sujet d’ébahissement qu’est, pour beaucoup, la découverte de la solide implantation immobilière (et autres biens) de quelques rois nègres en douce France, de préférence dans les beaux quartiers parisiens, la banlieue chic, la Côte d’Azur et autres lieux de villégiature agréables. Ils sont trois dirigeants africains à encourir les foudres de la justice française à la suite d’une plainte jugée recevable par une juge d’instruction qui n’a pas froid aux yeux, Françoise Desset, déposée par l’avocat William Bourdon au nom d’associations (4) : Bongo, le Gabonais (il y a toujours un Gabonais au compte numéroté que vous demandez…) ; son beau-père, Sassou Nguesso, le Congolais (celui qui a peutêtre le plus de sang sur les mains) ; et Nguema, le Guinéen : trois dictateurs, trois pourris, trois corrompus immensément riches ; et aussi trois corrupteurs – et c’est bien le problème : dans le système bien huilé de la Françafrique, le retour d’ascenseur fonctionne à merveille, et les valises de billets circulent dans les deux sens. Ce qui explique qu’après avoir fait traîner la plainte le plus longtemps possible, le parquet de Paris (obéissant) a fait appel de la décision de la juge. F ’issue lumineuse Le livre que je recommande à votre attention cette semaine est bien trop riche pour que je tente de vous le résumer. Il est d’actualité, en ces temps de turbulences carcérales, puisqu’il nous vient de l’intérieur d’un de ces lieux clos – Fleury-Mérogis en l’occurrence – où est censée passer la justice des hommes. Des cellules et des bibliothèques, des cercles d’écriture, là où se rencontre la littérature, la poésie ; des lecteurs, affamés de liberté ; et des médiateurs, qui mettent en contact les uns et les autres. Dans ma cellule j’ai fait le tour du soleil est un livre magnifique, sur le fond comme dans la forme (5). Il est dédié à Pierre Dumayet (« qui nous a donné le nom Lire c’est vivre, et nous a initiés aux exercices d’admiration ») et à Robert Badinter (« qui le premier instaura le droit à la Culture dans les prisons »). La couverture est la reproduction d’un tableau magnifique de la peintre portugaise Vieira da Silva. Il s’appelle l’Issue lumineuse. Il n’y a pas que des gens moches dans la vie. L _B. L. (1) L’Esprit public, le dimanche à 11heures. (2)Accessoirement (mais il faudrait avoir mauvais esprit pour y déceler un autre motif de satisfaction pour notre graphomane académicien), MmeGallo est candidate en position éligible sur la liste UMP en Île-de-France. (3)La velina, en Italie, est la fille décorative, habillée d’un rien, que les chaînes de télé exposent à longueur d’émission. Berlusconi voulait en truffer ses listes pour les européennes –il n’en a finalement retenu que trois (on n’en est pas encore tout à fait là chez nous, mais faut pas désespérer). (4)Transparence International France et Sherpa, ainsi qu’un ressortissant gabonais. (5) Dans ma cellule j’ai fait le tour du soleil, sous la direction de Geneviève Guilhem, La littérature en terre in-humaine, coédition Lire c’est vivre-AAEL (soutien de la fondation LaPoste), 240p., 24euros. POLITIS Politis, 2, impasse Delaunay 75011 Paris Tél. : 01 55 25 86 86 Fax : 01 43 48 04 00 www.politis.fr [email protected] Fondateur : Bernard Langlois. Politis est édité par Politis, société par actions simplifiée au capital de 941 000 euros. Actionnaires : Association Pour Politis, Christophe Kantcheff, Denis Sieffert, Pascal Boniface, Laurent Chemla, Jean-Louis Gueydon de Dives, Valentin Lacambre. Président, directeur de la publication : Denis Sieffert. Directeur de la rédaction : Denis Sieffert. Comité de rédaction : Thierry Brun (87), Christophe Kantcheff (85), Michel Soudais (89) (rédacteurs en chef adjoints) ; Sébastien Fontenelle (74) (secrétaire général de la rédaction), Olivier Doubre (91), Xavier Frison (88), Ingrid Merckx (70), Patrick Piro (75) (chefs de rubrique) ; Jean-Claude Renard (73), Gilles Costaz, Marion Dumand, Denis-Constant Martin, Christine Tréguier, Claude-Marie Vadrot, Jacques Vincent. Responsable éditorial web : Xavier Frison (88). 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Presse 14, rue des messageries 75010 Paris Tél. : 01 42 46 02 20 www.kdpresse.com Numéro de commission paritaire : 0112C88695, ISSN : 1290-5550 [email protected] Comment s’appelle ce ministre qui travaille à l’international après avoir œuvré dans l’humanitaire et qui s’est vu récemment accusé d’avoir fait de juteuses affaires avec l’un ou plusieurs des rois nègres sus-cités ? Je ne sache pas qu’il ait déposé une plainte en diffamation contre son accusateur. Et qui est donc ce chef d’État élu depuis deux ans (putain, deux ans !) qui s’était engagé pendant sa campagne à en finir avec ces mœurs d’un autre âge ? Circulez, rien à voir ! Vroum, vroum ! 1 4 mai 20 09 I POLITIS I 35