VIVA LA MAMMA !

Transcription

VIVA LA MAMMA !
Fiche pédagogique
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DONIZETTI
VIVA LA MAMMA !
OPÉRA MAKING OF
operaderouen.fr
Direction musicale
Federico Santi
Mise en scène
François de Carpentries
Karine Van Hercke
Billetterie 0 810 811 116
Viva la Mamma! Opéra making of
d’après Le Convenienze ed Inconvenienze teatrali
de Gaetano Donizetti
Contact: Anne Marguerin
Responsable de l’Action pédagogique
7 rue du Docteur Rambert
76000 Rouen
02 35 98 50 98
[email protected]
Direction musicale Federico Santi
Adaptation et dramaturgie Karine Van Hercke et François de Carpentries
Mise en scène et lumières François de Carpentries
Scénographie et costumes Karine Van Hercke
I) L’histoire d’un opéra
La vie du compositeur
Gaetano Donizetti (1797-1848)
Gaetano Donizetti est un compositeur italien né à Bergame en 1797 et mort dans la même ville
en1848. Travailleur acharné, il a composé pas moins de 13 symphonies, 18 quatuors, 3
quintettes, 28 cantates et 115 autres compositions religieuses. Mais l’histoire musicale l’a
surtout retenu pour ses opéras. Il a en effet écrit 71 ouvrages lyriques. Son nom est associé à
deux notions essentielles : la musique romantique et le « belcanto ».
Il eut une carrière internationale ses opéras ayant été joués non seulement en Italie (Naples,
Rome, Bologne, Milan et Venise) mais aussi à Vienne et à Paris
Donizetti fait partie des compositeurs capables de travailler très vite. Lucia di Lammermoor,
sans doute son opéra le plus célèbre, créé en 1835, a été composé en six semaines.
La fin de la vie de Donizetti est marquée par la maladie. La syphilis dont il ressent les premières
atteintes en 1842 l’oblige à cesser de travailler dès 1845. Il perd la parole, ne peut plus marcher
et sombre peu à peu dans la folie.
La génèse de Viva la Mamma !
Viva la Mamma ! est un opéra qui a connu une histoire un peu mouvementée. A l’origine,
l’œuvre s’appelle Le convenienze teatrali (Les conventions théâtrales). C’est un opéra-comique
que Donizetti appelle « farsa ». Le mot italien peut se traduire par une « farce ». L’œuvre est en
un acte, Donizetti a lui-même écrit le livret, d’après une pièce d’Antonio Simone Sografi,
présentée à Venise en 1794. La première représentation de cette version a lieu au Teatro Nuovo
de Naples en novembre 1827. Ce fut un grand succès, grâce notamment au rôle de Mamma
Agata, interprété par une basse bouffe de légende, Gennaro Luzio.
Une nouvelle version en deux actes, Le convenenienze ed inconvenienze teatrali ossia Viva la
Mamma ! (Les Convenances et inconvenances théâtrales ou Viva la Mamma !) a été ensuite
créée à Milan, au Teatro della Cannobiana, en avril 1831. Pour écrire le livret de cette seconde
version, Donizetti s’était appuyé sur une autre pièce de Sografi, L’inconvenienze teatrali, créée à
Padoue en 1800 et présentée comme la suite de celle qui avait inspiré la première œuvre.
L’œuvre n’est plus une « farce », mais un « opéra-bouffe ». Cette nouvelle version eut un
succès éphémère, malgré des reprises à Vienne en 1840 et à Milan en 1845. Donizetti était
attaché à cette œuvre puisqu’il a songé à en faire une troisième version en 1845. Mais sa
maladie l’en empêcha.
L’ouvrage a été redécouvert dans les années 1960. Il est assez régulièrement repris depuis, soit
dans sa première forme, soit dans sa seconde, soit, comme ici, avec un travail d’adaptation.
Pour cette version, François de Carpentries et Karine Van Hercke ont en effet réécrit le livret
dans une optique visant à le confronter à notre époque, tout en restant fidèles à la verve
comique de Donizetti.
Viva la Mamma! - Fiche pédagogique
III) Pistes pédagogiques
Pour préparer la venue des élèves
Enregistrements
Le Convenienze ed inconvenienze teatrali ont connu un certain nombre d’enregistrements en CD. Ceux-ci sont parfois difficiles à trouver mais
ils peuvent évidemment servir de base à un travail de préparation. La qualité technique de ces enregistrements est loin d’être excellente :
● Giuseppe Taddei, Daniela Mazzuccato, Sergio Tedesco, Paolo Montarsolo, Orchestre symphonique de Vienne, Chœurs d’État de Vienne,
direction Carlo Franci, 2cd, Bella Voce. 1976. Cette version en 2 actes propose le plateau vocal le plus homogène. L’enregistrement est public.
● Simone Alaima, Daniela Dessi, William Matteuzzi, Giuseppe Lamazza, Orchestra sinfonica Estense, Coro del Teatro dell’opera Giocosa,
direction Antonello Allemandi. Ars Nova, 1981. L’enregistrement est public. On n’utilisera cette version que si on n’en trouve pas d’autres.
● Domenico Trimarchi, Maria Angeles Peters, Sergio Tedesco, Vito Maria Brunetti, Orchestre symphonique de l’Emilie Romagne, Chœurs du
Théâtre Rossini de Lugo, direction Bruno Rigacci. Bongiovanni, 1990. C’est le seul enregistrement public de la version en 1 acte.
● Bruno de Simone, Maria Constanza Nocentini, Bruno Lazzaretti, Mauro Utzeri, Orchestra dei Pomeriigi Musicali, Coro dell’ Teatro di Bergamo,
direction Fabrizio Maria Carminati. Ricordi, 1995
DVD
Le meilleur outil pédagogique sera sans doute le DVD :
Gaetano Donizetti, Le Convenienze ed inconvenienze teatrali [Viva la Mamma], Orchestre, solistes et chœur de l’Accademia del Teatro Alla
Scala, direction Marco Guidarini, mise en scène Antonio Albanese. Bel-Air, 2005. La mise en scène insiste, parfois un peu lourdement, sur
l’aspect opéra-bouffe.
→ On aura tout intérêt à faire une comparaison entre l’air de Mamma Agata, « Assisa a piè d’un sacco » et l’air du saule de l’Otello de
Rossini. On trouve assez facilement, en CD, la version Philips de cet enregistrement dirigé par Jesus Lopez Coboz.
Corpus de textes
La présentation de cet opéra-bouffe peut profiter d’une recherche sur la thématique du théâtre dans le théâtre, ou celle de l’opéra dans
l’opéra, c’est-à-dire de la mise en abyme. On peut l’envisager dans une optique soit strictement théâtrale, soit plus ouverte vers l’opéra. On
trouvera ci-dessous un corpus d’extraits des œuvres suivantes:
● William Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, 1594, Acte I, scène 2. Traduction de François-Victor Hugo. Scène complète
● Pierre Corneille, L’illusion comique, 1636, Acte V, scène 5. Scène complète.
● Marivaux, Les Acteurs de bonne foi, 1748-1758, scènes 2 et 3. Scènes complètes.
● Luigi Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, 1921, extrait.
● Richard Strauss / Clemens Krauss, Capriccio, 1941, scène 9, extrait. Traduction de Gustave Samazeuilh.
REMARQUES
1. En 1959, Benjamin Britten et Peter Pears ont adapté Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare pour un opéra créé en 1960. Le texte de la
scène 2 du premier acte, légèrement modifié sert de livret à la deuxième scène de l’opéra de Britten. Chez Decca, on trouve un enregistrement
idéal de cet opéra (et donc de cette scène), dirigé par le compositeur.
2. Il y a pas mal d’enregistrements de Capriccio de Strauss. Chez Emi, on en trouve un excellent, dirigé par Wolfgang Sawallisch.
PISTES
L’analyse de ces corpus permet de mettre en évidence deux thématiques liées à ce jeu de mise en abyme : d’une part, à différents degrés,
chaque extrait possède une dimension comique. Par exemple, chez Shakespeare et Britten, le spectateur peut rire du manque d’expérience de
ceux qui s’improvisent comédiens. D’autre part, le corpus met en avant le monde de l’illusion qui est celui du théâtre et de l’opéra. Il semble
possible d’étudier, en collège comme en lycée, un ou plusieurs extraits de ce corpus pour préparer les élèves à la thématique de la
Viva la Mamma! - Fiche pédagogique
mise en abyme. On cherchera par exemple avec eux, ce que ces textes disent de la technique du théâtre, de la mise en scène, etc. Après la
représentation, il sera intéressant de voir comment Donizetti aborde cette thématique, comment François de Carpentries et Karine Van Hercke l’ont
modernisée.
Ne pas oublier, même si cela paraît une évidence pour certaines et certains élèves que l’opéra se joue sans aucune amplification du son des
musiciens ou des chanteuses et chanteurs lyriques. Cela suppose, pour la voix, une technique dans le placement et la projection de la voix.
Ne pas hésiter à leur faire remarquer que s’il y avait un orchestre entre le professeur et les élèves, ces derniers n’entendraient sans doute pas
grand-chose.
Après la représentation
Le spectacle doit donner l’occasion de travailler l’oral comme l’écrit :
● La formulation orale des critiques, que celles-ci soient positives ou non, donnent l’occasion de faire des mises au point qui permettent de
s’assurer de la bonne compréhension du spectacle. Le regard des élèves est le plus souvent très pertinent mais il peut s’être focalisé sur un détail
et avoir laissé de côté des éléments importants pour la bonne lecture. Il convient, en tous cas, de dépasser avec les élèves la simple opposition
entre ceux qui ont aimé et ceux qui n’aiment pas.
● A l’écrit, on peut en profiter pour travailler également l’argumentation. Dans la perspective d’une écriture d’invention (dialogue entre deux
spectateurs qui ont chacun une perception différente du spectacle, rédaction d’une critique pour le Journal de l’établissement, rédaction d’un
programme pour le spectacle, etc.). Dans une perspective tournée vers la dissertation, on peut réfléchir avec les élèves à une problématique qui
soulignerait l’aspect contemporain de la critique du monde du spectacle. Comme il existe une critique de la télé-réalité, Viva la Mamma ! peut-il
être vu comme un opéra-réalité ?
Bibliographie
Outre la lecture ou l’écoute des pièces ou opéras mentionnés au fil de ce dossier, on pourra se reporter à une ouvrage sur Donizetti : Philippe Thanh,
Donizetti, Actes Sud, 2005.
Un ouvrage général sur l’opéra peut servir de passeport à bien des travaux avec les élèves.
Piotr Kaminski, Mille et un opéras, Fayard, 2003.
Enfin, si on ne l’a pas lu, on découvrira avec bonheur le livre de Guy Debord, La Société du spectacle, 1967. Le livre montrait de façon un peu
prémonitoire que nous vivons dans une société où tout rapport social est médiatisé par des images. Ainsi la représentation est préférée à la réalité.
On trouve le texte dans la collection Folio.
Viva la Mamma! - Fiche pédagogique
Document 1.
William Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, 1594, acte I, scène 2, traduction de François-Victor Hugo.
Au début du premier acte entrent sur scène quatre personnages du peuple Bottom, (tisserand), Lecoing (charpentier), Flûte (raccomodeur de
soufflets), Groin (chaudronnier), Etriqué (menuisier) et Meurt de faim (tailleur). Ils répètent une pièce de théâtre qui est le modèle des sujets
baroques : il s’agit du mythe de Pyrame et Thisbé.
Acte I, scène 2.
Même ville, une échoppe
Entrent Étriqué, Bottom, Flûte, Groin, Lecoing et Meurt de faim.
LECOING
Toute notre troupe est-elle ici ?
BOTTOM
Vous feriez mieux de les appeler tous l’un après l’autre, eu suivant la
liste.
LECOING
Voici sur ce registre les noms de tous ceux qui, dans Athènes, ont
été jugés capables de jouer notre intermède devant le duc et la
duchesse, pendant la soirée de leurs noces.
BOTTOM
Dites-nous d’abord, mon bon Pierre Lecoing, quel est le sujet de la
pièce ; puis vous lirez les noms des acteurs ; et ainsi vous arriverez à
un résultat.
LECOING
Morguienne, notre pièce c’est La très lamentable comédie et la très
cruelle mort de Pyrame et Thisbé.
BOTTOM
Un vrai chef-d’œuvre, je vous assure, et bien amusant... Maintenant,
mon bon Pierre Lecoing, appelez vos acteurs en suivant la liste...
Messieurs, alignez-vous.
LECOING
Répondez quand je vous appellerai... Nick Bottom, tisserand.
BOTTOM
Présent. Nommez le rôle qui m’est destiné, et continuez.
LECOING
Vous, Nick Bottom, vous êtes inscrit pour le rôle de Pyrame.
BOTTOM
Qu’est-ce que Pyrame ? Un amoureux ou un tyran ?
LECOING
Un amoureux qui se tue très galamment par amour.
BOTTOM
Pour bien jouer ce rôle, il faudra quelques pleurs. Si j’en suis chargé,
gare aux yeux de l’auditoire ! Je provoquerai des orages, j’aurai une
douleur congrue.
À Lecoing
Passez aux autres ... Pourtant, c’est comme tyran que j’ai le plus de
verve. Je pourrais jouer Hercules d’une façon rare : un rôle à crever
un chat, à faire tout éclater.
«Les furieux rocs,
De leurs frissonnants chocs,
Briseront 1es verrous
Des portes des prisons,
Et de Phibus le char
De loin brillera,
Et fera et défera
Les stupides destins.»
Voilà du sublime ! ... Maintenant nommez le reste des acteurs... Ceci
est le ton d’Hercules, le ton d’un tyran ; un amant est plus plaintif.
LECOING
François Flûte, raccommodeur de soufflets.
FLÛTE
Voici, Pierre Lecoing.
LECOING
Il faut que vous preniez Thisbé sur vous.
FLÛTE
Qu’est-ce que Thisbé ? Un chevalier errant ?
LECOING
C’est la dame que Pyrame doit aimer.
FLÛTE
Non, vraiment, ne me faites pas jouer une femme ; j’ai la barbe qui
me vient.
LECOING
C’est égal ; vous jouerez avec un masque, et vous ferez la petite voix
autant que vous voudrez.
BOTTOM
Si je peux cacher ma figure, je demande à jouer aussi Thisbé. Je
parlerai avec une voix monstrueusement petite. Comme ceci : —
Thisné ! Thisné ! — Ah ! Pyrame, mon amant chéri, ta Thisbé chérie
! ta dame chérie !
LECOING
Non, non ; il faut que vous jouiez Pyrame, et vous, Flûte, Thisbé.
BOTTOM
Soit, continuez.
LECOING
Robin Meurt de Faim, le tailleur.
MEURT DE FAIM
Voici, Pierre Lecoing.
LECOING
Robin Meurt de Faim, vous ferez la mère de Thisbé... Thomas Groin,
le chaudronnier.
GROIN
Voici, Pierre Lecoing.
LECOING.
Vous, le père de Pyrame ; moi, le père de Thisbé... Vous, Étriqué, le
Viva la Mamma! - Fiche pédagogique
menuisier, vous aurez le rôle du lion... Et voilà, j’espère, une
pièce bien distribuée.
ÉTRIQUÉ
Avez-vous le rôle du lion par écrit ? Si vous l’avez, donnezle-moi, je vous prie, car je suis lent à apprendre.
LECOING
Vous pouvez improviser, car il ne s’agit que de rugir.
BOTTOM
Laissez-moi jouer le lion aussi ; je rugirai si bien que ça
mettra tout le monde en belle humeur de m’entendre ; je
rugirai de façon à faire dire au duc : Qu’il rugisse encore !
qu’il rugisse encore !
LECOING
Si vous le faisiez d’une manière trop terrible, vous effraieriez
la duchesse et ces dames, au point de les faire crier ; et c’en
serait assez pour nous faire tous pendre.
TOUS
Cela suffirait pour que nos mères eussent chacune un fils
pendu.
BOTTOM
Je conviens, mes amis, que, si vous rendiez ces dames
folles de terreur, il leur resterait juste assez de raison pour
nous faire pendre. Mais je contiendrai ma voix, de façon à
vous rugir aussi doucement qu’une colombe à la becquée.
Je vous rugirai à croire que c’est un rossignol.
LECOING
Vous ne pouvez jouer que Pyrame. Pyrame, voyez-vous, est
un homme au doux visage ; un homme accompli, comme on
doit en voir un jour d’été ; un homme très aimable et très
comme il faut ; donc, il faut absolument que vous jouiez
Pyrame.
BOTTOM
Allons, je m’en chargerai. Quelle est la barbe qui m’irait le
mieux pour ce rôle-là ?
LECOING Ma foi, celle que vous voudrez.
BOTTOM
Je puis vous jouer ça avec une barbe couleur paille, ou avec
une barbe couleur orange, ou avec une barbe couleur
pourpre, ou avec une barbe couleur de couronne de Vénus,
parfaitement jaune.
LECOING
Ces couronnes-là n’admettent guère le poil ; vous joueriez
donc votre rôle sans barbe... Mais, messieurs, voici vos
rôles ; et je dois vous supplier, vous demander et vous
recommander de les apprendre pour demain soir. Nous nous
réunirons dans le bois voisin du palais, à un mille de la ville,
au clair de la lune ; c’est là que nous répéterons. Car, si nous
nous réunissons dans la ville, nous serons traqués par les
curieux, et tous nos effets seront connus. En attendant, je
vais faire la note de tous les objets nécessaires pour la mise
en scène. Je vous en prie, ne me manquez pas.
BOTTOM
Nous nous y trouverons ; et nous pourrons répéter là aven
plus de laisser-aller et de hardiesse. Appliquez-vous ; soyez
parfaits ; adieu.
LECOING
Au chêne du duc, le rendez-vous.
BOTTOM
Suffit. Nous y serons, eussions-nous, ou non, une corde
cassée à notre arc.
Ils sortent.
William Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, Acte I,
scène 2. Traduction de François-Victor Hugo.
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Document 2
Pierre Corneille, L’illusion comique, 1636, Acte V, scène 5.
Un père (Pridamant) cherche son fils (Clindor) qu’il n’a plus vu depuis 10 ans, il sera amené dans la Grotte d’un magicien (Alcandre) qui a le pouvoir
de lui montrer la vie de son fils durant le temps où il ne l’a plus vu. Après de nombreuses péripéties, Pridamant croit que son fils est mort. L’extrait
suivant le détrompe. Dans la grotte, il a assisté à une pièce de théâtre...
Acte V, scène 5
ALCANDRE.
Ainsi de notre espoir la fortune se joue :
Tout s’élève ou s’abaisse au branle de sa roue ;
Et son ordre inégal, qui régit l’univers,
Au milieu du bonheur a ses plus grands revers.
PRIDAMANT.
Cette réflexion, mal propre pour un père,
Consolerait peut-être une douleur légère ;
Mais après avoir vu mon fils assassiné,
Mes plaisirs foudroyés, mon espoir ruiné,
J’aurais d’un si grand coup l’âme bien peu blessée,
Si de pareils discours m’entraient dans la pensée.
Hélas ! dans sa misère il ne pouvait périr ;
Et son bonheur fatal lui seul l’a fait mourir.
N’attendez pas de moi des plaintes davantage :
La douleur qui se plaint cherche qu’on la soulage ;
La mienne court après son déplorable sort.
Adieu ; je vais mourir, puisque mon fils est mort.
ALCANDRE.
D’un juste désespoir l’effort est légitime,
Et de le détourner je croirais faire un crime.
Oui, suivez ce cher fils sans attendre à demain ;
Mais épargnez du moins ce coup à votre main ;
Laissez faire aux douleurs qui rongent vos entrailles,
Et pour les redoubler voyez ses funérailles.
PRIDAMANT.
Que vois-je ? Chez les morts compte-t-on de l’argent ?
ALCANDRE.
Voyez si pas un d’eux s’y montre négligent.
PRIDAMANT.
Je vois Clindor ! Ah dieux ! Quelle étrange surprise !
Je vois ses assassins, je vois sa femme et Lyse !
Quel charme en un moment étouffe leurs discords,
Pour assembler ainsi les vivants et les morts ?
ALCANDRE.
Ainsi tous les acteurs d’une troupe comique,
Leur poëme récité, partagent leur pratique :
L’un tue, et l’autre meurt, l’autre vous fait pitié ;
Mais la scène préside à leur inimitié.
Leurs vers font leurs combats, leur mort suit leurs paroles,
Et, sans prendre intérêt en pas un de leurs rôles,
Le traître et le trahi, le mort et le vivant,
Se trouvent à la fin amis comme devant.
Votre fils et son train ont bien su, par leur fuite,
D’un père et d’un prévôt éviter la poursuite ;
Mais tombant dans les mains de la nécessité,
Ils ont pris le théâtre en cette extrémité.
PRIDAMANT.
Mon fils comédien !
ALCANDRE.
D’un art si difficile
Tous les quatre, au besoin, ont fait un doux asile ;
Et depuis sa prison, ce que vous avez vu,
Son adultère amour, son trépas imprévu,
N’est que la triste fin d’une pièce tragique
Qu’il expose aujourd’hui sur la scène publique,
Par où ses compagnons en ce noble métier
Ravissent à Paris un peuple tout entier.
Le gain leur en demeure, et ce grand équipage,
Dont je vous ai fait voir le superbe étalage,
Est bien à votre fils, mais non pour s’en parer
Qu’alors que sur la scène il se fait admirer.
PRIDAMANT.
J’ai pris sa mort pour vraie, et ce n’était que feinte ;
Mais je trouve partout mêmes sujets de plainte.
Est-ce là cette gloire, et ce haut rang d’honneur
Où le devait monter l’excès de son bonheur ?
ALCANDRE.
Cessez de vous en plaindre. A présent le théâtre
Est en un point si haut que chacun l’idolâtre,
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits,
L’entretien de Paris, le souhait des provinces,
Le divertissement le plus doux de nos princes,
Les délices du peuple, et le plaisir des grands :
Il tient le premier rang parmi leurs passe-temps ;
Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
Par ses illustres soins conserver tout le monde,
Trouvent dans les douceurs d’un spectacle si beau
De quoi se délasser d’un si pesant fardeau.
Même notre grand roi, ce foudre de la guerre,
Dont le nom se fait craindre aux deux bouts de la terre,
Le front ceint de lauriers, daigne bien quelquefois
Prêter l’œil et l’oreille au théâtre-François :
C’est là que le Parnasse étale ses merveilles ;
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Les plus rares esprits lui consacrent leurs veilles ;
Et tous ceux qu’Apollon voit d’un meilleur regard
De leurs doctes travaux lui donnent quelque part.
D’ailleurs, si par les biens on prise les personnes,
Le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes ;
Et votre fils rencontre en un métier si doux
Plus d’accommodement qu’il n’eût trouvé chez vous.
Défaites-vous enfin de cette erreur commune,
Et ne vous plaignez plus de sa bonne fortune.
PRIDAMANT.
Je n’ose plus m’en plaindre, et vois trop de combien
Le métier qu’il a pris est meilleur que le mien.
Il est vrai que d’abord mon âme s’est émue :
J’ai cru la comédie au point où je l’ai vue ;
J’en ignorais l’éclat, l’utilité, l’appas,
Et la blâmais ainsi, ne la connaissant pas ;
Mais depuis vos discours mon cœur plein d’allégresse
A banni cette erreur avecque sa tristesse.
Clindor a trop bien fait.
ALCANDRE.
N’en croyez que vos yeux.
PRIDAMANT.
Demain, pour ce sujet, j’abandonne ces lieux ;
Je vole vers Paris. Cependant, grand Alcandre,
Quelles grâces ici ne vous dois-je point rendre ?
ALCANDRE.
Servir les gens d’honneur est mon plus grand désir :
J’ai pris ma récompense en vous faisant plaisir.
Adieu : je suis content, puisque je vous vois l’être.
PRIDAMANT.
Un si rare bienfait ne se peut reconnaître :
Mais, grand mage, du moins croyez qu’à l’avenir
Mon âme en gardera l’éternel souvenir.
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Document 3.
Marivaux, Les Acteurs de bonne foi, 1748-1757, scènes 2 et 3.
Le jour des noces d’Angélique et d’Éraste, le valet Merlin orchestre une petite comédie impromptue, interprétée par des acteurs d’occasion...
SCÈNE II
LISETTE, COLETTE, BLAISE, MERLIN
théâtre, et tu me trouves rêveur et distrait. Recule-toi un peu, pour me
laisser prendre ma contenance.
MERLIN
Allons, mes enfants, je vous attendais ; montrez-moi un petit échantillon de votre savoir-faire, et tâchons de gagner notre argent le mieux
que nous pourrons ; répétons.
LISETTE
Ce que j’aime de ta comédie, c’est que nous nous la donnerons à nousmême ; car je pense que nous allons tenir de jolis propos.
MERLIN
De très-jolis propos ; car, dans le plan de ma pièce, vous ne sortez
point de votre caractère, vous autres : toi, tu joues une maligne soubrette à qui l’on en fait point accroire, et te voilà ; Blaise a l’air d’un
nigaud pris sans vert, et il en fait le rôle ; une petite coquette de village
et Colette, c’est la même chose ; un joli homme et moi, c’est tout un. Un
joli homme est inconstant, une coquette n’est pas fidèle : Colette trahit
Blaise, je néglige ta flamme. Blaise est un sot qui en pleure, tu es une
diablesse qui t’en mets en fureur ; et voilà ma pièce. Oh ! Je défie qu’on
arrange mieux les choses.
BLAISE
Oui ; mais si ce que j’allons jouer allait être vrai ! Prenez garde, au
moins; il ne faut pas du tout de bon : car j’aime Colette, dame !
MERLIN
À merveille! Blaise, je te demande ce ton nigaud-là dans la pièce.
LISETTE
Écoutez, Monsieur le joli homme, il a raison ; que ceci ne passe point la
raillerie ; car je ne suis pas endurante, je vous en avertis.
MERLIN
Fort bien, Lisette ! Il y a un aigre-doux dans ce ton-là qu’il faut conserver.
COLETTE
Allez, allez, Mademoiselle Lisette ; il n’y a rien à appriander pour vous ;
car vous êtes plus jolie que moi ; Monsieur Merlin le sait bien.
MERLIN
Courage, friponne ; vous y êtes, c’est dans ce goût-là qu’il faut jouer
votre rôle. Allons, commençons à répéter.
LISETTE
C’est à nous deux à commencer, je crois.
MERLIN
Oui, nous sommes la première scène ; asseyez-vous là, vous autres ; et
nous, débutons. Tu es au fait, Lisette. (Colette et Blaise s’asseyent
comme spectateurs d’une scène dont ils ne sont pas.) Tu arrives sur le
SCÈNE III
MERLIN, LISETTE, COLETTE et BLAISE, assis
LISETTE, feignant d’arriver.
Qu’avez-vous donc, Monsieur Merlin ? vous voilà bien pensif.
MERLIN
C’est que je me promène.
LISETTE
Et votre façon, en vous promenant, est-elle de ne pas regarder les gens
qui vous abordent ?
MERLIN
C’est que je suis distrait dans mes promenades.
LISETTE
Qu’est-ce que c’est que ce langage-là ? il me paraît bien impertinent.
MERLIN, interrompant la scène.
Doucement, Lisette, tu me dis des injures au commencement de la
scène ; par où finiras-tu ?
LISETTE
Oh ! Ne t’attends pas à des régularités ; je dis ce qui me vient ; continuons.
MERLIN
Où en sommes-nous ?
LISETTE
Je traitais ton langage d’impertinent.
MERLIN
Tiens, tu es de méchante humeur ; passons notre chemin, ne nous parlons pas d’avantage.
LISETTE
Attendez-vous ici Colette, Monsieur Merlin ?
MERLIN
Cette question-là nous présage une querelle.
LISETTE
Tu n’en es pas encore où tu penses.
MERLIN
Je me contente de savoir que j’en suis où me voilà.
LISETTE
Je sais bien que tu me fuis, et que je t’ennuie depuis quelques jours.
MERLIN
Vous êtes si savante qu’il n’y a pas moyen de vous instruire.
LISETTE
Viva la Mamma! - Fiche pédagogique
Comment, faquin ! tu ne prends pas seulement la peine de te défendre
de ce que je dis là ?
MERLIN
Je n’aime à contredire personne.
LISETTE
Viens çà, parle ; avoue-moi que Colette te plaît.
MERLIN
Pourquoi veux-tu qu’elle me déplaise ?
LISETTE
Avoue que tu l’aimes.
MERLIN
Je ne fais jamais de confidence.
LISETTE
Va, va, je n’ai pas besoin que tu m’en fasses.
MERLIN
Ne m’en demande donc pas.
LISETTE
Me quitter pour une petite villageoise !
MERLIN
Je ne te quitte pas, je ne bouge.
COLETTE, interrompant de l’endroit où elle est assise.
Oui; mais est-ce du jeu de me dire des injures en mon absence ?
MERLIN, fâché de l’interruption.
Sans doute ; ne voyez-vous pas que c’est une fille jalouse qui vous
méprise ?
COLETTE
Eh bien ! Quand ce sera à moi à dire, je prendrai ma revanche.
LISETTE
Et moi, je ne sais plus où j’en suis.
MERLIN
Tu me querellais.
LISETTE
Eh ! dis-moi ; dans cette scène-là, puis-je te battre ?
MERLIN
Comme tu n’es qu’une suivante, un coup de poing ne gâtera rien.
LISETTE
Reprenons donc afin que je le place.
MERLIN
Non, non ; gardons le coup de poing pour la représentation, et supposons qu’il est donné ; ce serait un double emploi, qui est inutile.
LISETTE
Je crois aussi que je peux pleurer dans mon chagrin.
MERLIN
Sans difficulté ; n’y manque pas ; mon mérite et ta vanité le veulent.
LISETTE, éclatant de rire.
Ton mérite qui le veut me fait rire (et puis feignant de pleurer.) ; que je
suis à plaindre d’avoir été sensible aux cajoleries de ce fourbe-là !
Adieu : voici la petite impertinente qui entre ; mais laisse-moi faire. (En
s’interrompant.) Serait-il si mal de la battre un peu ?
COLETTE, qui s’est levée.
Non pas, s’il vous plaît ; je ne veux pas que les coups en soient ; je n’ai
point affaire d’être battue pour une farce ; encore, si c’était vrai, je l’endurerais.
LISETTE
Voyez-vous la fine mouche !
MERLIN
Ne perdons point le temps à nous interrompre ; va-t’en, Lisette : voici
Colette qui entre pendant que tu sors, et tu n’as plus que faire ici.
Allons, poursuivons ; reculez-vous un peu, Colette, afin que j’aille audevant de vous.
Viva la Mamma! - Fiche pédagogique
Document 4.
Luigi Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, 1921. Traduit de l’italien par Michel Arnaud.
Sur le plateau d’une scène de théâtre, le chef machiniste installe le
décor d’une pièce qui doit être répétée. Entrent le régisseur puis Directeur, chef de la troupe. Ce dernier règle des détails avec les acteurs
concernant leur pièce. Mais six personnages font leur arrivée : il s’agit
d’une famille entière, comprenant la mère, le père, la belle-fille, le fils,
l’adolescent et la fillette (ces deux derniers rôles sont muets), à la
recherche d’un auteur pour écrire leur pièce. Ils interpellent le Directeur
afin qu’il prenne en charge leur drame, mais sont insatisfaits de l’interprétation des acteurs dans leur personnage. L’extrait, qui se situe vers
le milieu de la pièce, commence alors qu’un entracte vient de se
dérouler.
La sonnerie de l’entracte prévient les spectateurs que la représentation
va reprendre.
Arrivant des loges et par la porte du plateau, et, venant aussi de la
salle, les Acteurs, le Régisseur, le Chef machiniste, le Souffleur et l’Accessoiriste reviennent sur le plateau, et, en même temps, venant de la
loge du Directeur, paraissent celui-ci et les Six Personnages.
Une fois éteinte les lumières de la salle, l’éclairage précédent est
redonné sur le plateau.
LE DIRECTEUR
Allons, allons, mesdames et messieurs ! Tout le monde est là ? Attention, attention ! On va commencer ! Machiniste !
LE CHEF MACHINISTE
Présent !
LE DIRECTEUR
Plantez-moi tout de suite le décor du petit salon. Il suffira de deux portants et d’une feuille avec une porte. Vite, je vous prie !
Le Chef machiniste part aussitôt en courant exécuter cet ordre, et pendant que le Directeur se concerte avec le Régisseur, l’Accessoiriste, le
Souffleur et les Acteurs au sujet de la représentation imminente, il va
installer le semblant de décor indiqué : deux portants et une feuille
comportant la parte demandée, feuilles à rayures roses et or.
LE DIRECTEUR, à l’Accessoiriste.
Voyez un peu au magasin si on a un divan-lit.
L’ACCESSOIRISTE
On a le vert.
LA BELLE-FILLE
Vert ? Non, non ! Il était jaune, à fleurs, un divan en peluche, très grand
! Très confortable !
L’ACCESSOIRISTE
Un comme ça, on n’en a pas.
LE DIRECTEUR
Mais peu importe ! mettez celui qu’on a.
LA BELLE-FILLE
Comment, peu importe ? La fameuse méridienne de Mme Pace !
LE DIRECTEUR
Pour le moment, c’est simplement pour répéter ! Je vous en prie, ne
vous mêlez pas de ça ! (Au Régisseur:) Voyez si l’on a une vitrine plutôt
longue et basse.
LA BELLE-FILLE
Et le guéridon, le guéridon d’acajou pour l’enveloppe bleu ciel !
LE REGISSEUR, au Directeur.
Il y a bien le petit guéridon doré.
LE DIRECTEUR
D’accord, prenez celui-là !
LE PÈRE
Et une psyché.
LA BELLE-FILLE
Et le paravent ! Un paravent ! je vous en prie : sinon, comment est-ce
que je ferai ?
LE REGISSEUR
Ne vous inquiétez pas, madame : les paravents, ce n’est pas ce qui nous
manque.
LE DIRECTEUR, à la Belle-fille.
Et aussi quelques portemanteaux, n’est-ce pas ?
LA BELLE-FILLE
Oui, des tas, des tas de portemanteaux !
LE DIRECTEUR, au Régisseur
Faites apporter tous ceux qu’on a.
LE REGISSEUR
Je m’en charge !
Il part lui aussi en courant exécuter ces ordres, et, pendant que le
Directeur continue de parler avec le Souffleur, puis avec les Personnages et les Acteurs, il va faire transporter par le personnel de plateau
les meubles et les accessoires indiqués et les disposera de la manière
qu’il jugera la meilleure.
LE DIRECTEUR, au Souffleur.
Vous, en attendant, prenez place. Tenez : voici le scénario, scène par
scène et acte par acte. (Il lui tend quelques feuilles de papier.) Mais il
va falloir que vous exécutiez un tour de force.
LE SOUFFLEUR
Que je prenne en sténo ?
LE DIRECTEUR, agréablement surpris.
Oh, parfait ! Vous connaissez la sténo ?
LE SOUFFLEUR
Viva la Mamma! - Fiche pédagogique
Je ne souffle peut-être pas très bien, mais la sténo...
LE DIRECTEUR
Mais alors cela va de mieux en mieux ! (A un valet de scène:) Allez dans
ma loge chercher du papier – beaucoup de papier – tout ce que vous
trouverez !
Le Valet de scène sort en courant et revient peu après avec une grosse
liasse de papier qu’il donne au Souffleur.
LE DIRECTEUR, enchaînant, au Souffleur.
Suivez bien les scènes au fur et à mesure qu’elles se joueront et tâchez
de noter les répliques, du moins les plus importantes ! (Puis s’adressant aux Acteurs:) Veuillez faire place, mesdames et messieurs ! Tenez,
mettez-vous par là (il indique sa gauche) et soyez très attentifs.
LE GRAND PREMIER RÔLE FEMININ
Mais, permettez, nous...
LE DIRECTEUR, prévenant ce qu’elle va dire.
Rassurez-vous, vous n’aurez pas à improviser !
LE GRAND PREMIER RÔLE MASCULIN
Qu’est-ce que nous devrons faire alors ?
LE DIRECTEUR
Rien ! Pour le moment, vous contenter d’écouter et de regarder ! Chacun d’entre vous aura ensuite son rôle écrit. Maintenant, tant que mal,
on va essayer de répéter ! C’est eux qui vont répéter ! Il montre les personnages.
LE PÈRE, comme tombant des nues, au milieu du brouhaha qui règne
sur le plateau.
Nous ? Excusez-moi, mais que voulez-vous dire par répéter ?
LE DIRECTEUR
Répéter ! Une répétition, une répétition pour eux. Il montre les Acteurs.
LE PÈRE
Mais puisque c’est nous qui sommes les personnages...
LE DIRECTEUR
« Les personnages », d’accord ; mais au théâtre, cher monsieur, ce ne
sont pas les personnages qui jouent la comédie. Au théâtre, ce sont les
acteurs qui la jouent. Quant aux personnages, ils sont là, dans le
manuscrit (il montre le trou du Souffleur) – lorsqu’il y en a un !
LE PÈRE
Justement ! Puisqu’il n’y a pas de manuscrit et que vous avez de la
chance, mesdames et messieurs, de les avoir ici devant vous, vivants,
ces personnages...
LE DIRECTEUR
Oh, elle est bien bonne, celle-là ! Est-ce que vous voudriez tout faire
tout seuls ? jouer la pièce, vous présentez vous-mêmes devant le
public ?
LE PÈRE
Mais oui, tels que nous sommes.
LE DIRECTEUR
Eh bien, je vous assure que ça donnerait un drôle de spectacle !
LE GRAND PREMIER RÔLE MASCULIN
Et nous autres, qu’est-ce que nous ferions ici, alors ?
LE DIRECTEUR
Vous n’allez tout de même pas vous imaginer que vous êtes capables de
jouer la comédie ! Vous êtes risibles... (De fait, les Acteurs rient.) Tenez,
vous voyez, ils rient ! (Se souvenant:) Mais oui, à propos ! il va falloir
distribuer les rôles. Oh, ce ne sera pas difficile : ils sont déjà distribués
d’eux-mêmes ; (au Grand Second Rôle féminin:) vous, madame, LA
MÈRE. (Au Père:) Il va falloir lui trouver un nom.
LE PÈRE
Amalia, monsieur.
LE DIRECTEUR
Mais ça, c’est le nom de votre femme. Nous n’allons tout de même pas
l’appeler par son vrai nom !
LE PÈRE
Et pourquoi pas, s’il vous plaît ? puisqu’elle s’appelle comme ça... Mais
évidemment, si c’est madame qui doit être. (D’un petit geste de la main
il indique discrètement la comédienne.) Elle (il montre la Mère), pour
moi, c’est Amalia, monsieur. Mais faites comme vous voudrez... (Se
troublant de plus en plus:) Je ne sais plus que vous dire... Je commence déjà... comment dire ? Je commence déjà à trouver que les
mots que je prononce sonnent faux, comme s’ils n’étaient plus les
miens.
LE DIRECTEUR
Quant à cela, ne vous en préoccupez pas, ne vous en préoccupez surtout
pas ! Ce sera à nous de trouver le ton juste ! Et en ce qui concerne le
nom, puisque vous tenez à « Amalia », va pour Amalia ; ou bien on en
trouvera un autre. Pour le moment, nous désignerons les personnages
de la façon suivante : (au Jeune Premier:) vous, LE FILS ; (au Grand
Premier Rôle féminin:) et vous, ma chère amie, bien entendu, LA BELLEFILLE.
LA BELLE-FILLE, mise en gaieté.
Comment, comment ? Moi, celle-là ? Elle éclate de rire.
LE DIRECTEUR, furieux.
Qu’avez-vous à rire ?
LE GRAND PREMIER RÔLE FEMININ, indignée.
Personne n’a jamais osé rire de moi ! J’exige que l’on me respecte, ou je
m’en vais !
LA BELLE-FILLE
Mais non, excusez-moi, ce n’est pas de vous que je ris.
LE DIRECTEUR, à la Belle-fille.
Vous devriez vous estimer honorée d’être interprétée par...
LE GRAND PREMIER RÔLE FEMININ, très vivement, avec mépris.
… « celle-là ! »
LA BELLE-FILLE
Mais je vous jure que je ne disais pas ça pour vous ! Je le disais pour
moi qui ne me vois pas du tout en vous, un point c’est tout. Comment
dire ? Vous ne... vous ne me ressemblez en rien !
Viva la Mamma! - Fiche pédagogique
Document 5
Richard Strauss, Capriccio, 1941. Livret de Clemens Krauss. Extrait de la scène 9. Traduction française de Gustave Samazeuilh.
Dernier opéra de Richard Strauss, Capriccio a pour sous-titre « Conversation musicale en un acte ». Le livre a été écrit par le chef d’orchestre Clemens Krauss. L’action se passe au XVIIIe siècle, précisément aux alentours de l’année 1775. Elle met en scène une comtesse française du nom de
Madeleine, dont on s’apprête à fêter l’anniversaire. La Roche, directeur de théâtre, dispose de deux artistes, Olivier, le poète, Flamand, le compositeur. Entre les deux, le cœur de Madeleine hésite. Quel sera le genre du spectacle donné pour l’anniversaire de la Comtesse ? Un opera seria, avec
des chanteurs italiens spécialisés dans le bel canto, comme le voudrait La Roche ? Un spectacle faisant la part belle à la poésie et mettant en
valeur le jeu théâtral de mademoiselle Clairon, ainsi que le voudrait Le Comte, frère de Madeleine ? L’extrait suivant se passe pendant la scène 9, la
plus longue de l’opéra qui en compte 13. Le Directeur de théâtre (La Roche) défend sa conception du théâtre après avoir essuyé les moqueries et les
critiques du poète et du musicien qui viennent de se disputer. « Prima la musica – dopo le parole ! », clame-t-on d’un côté. « Prima le parole –
dopo la musica ! », réplique l’autre partie.
LE DIRECTEUR, éclate avec toute sa force.
Holà ! Combattants d’Apollon ! Vous riez et moquer mon fastueux
théâtre ? Qui vous autorise à me parler ainsi, et à railler en moi un
maître de sûr métier ! Vous qui jusqu’ici n’avez rien fait pour la scène ?
(A Olivier.) Tes vers seulement comptent quand Clairon les dit ! Mais la
timide action de tous tes drames, leur structure incertaine, ils ont
besoin de mon aide scénique. (A Flamand.) Et tes petits ensembles pour
instruments à cordes, gracieuse musique de chambre, elle plaît aux
salons. Mais le dernier m’a fait dormir profondément. Pour l’élégie et la
romande, c’est ton domaine, mais la musique du cœur et des passions,
indispensable au théâtre, ne t’a jusqu’ici jamais réussi ! Non ! Non,
votre veto ne me fait pas trembler ! Que savez-vous donc, enfants, de
mes soucis ? Voyez toutes les inepties dont votre capitale se délecte.
La grimace est la règle, la parodie son élément, et son sens plein d’impudence ! Trop sot, trop balourd en est le style. Les masques sont
depuis longtemps tombés, mais vous ne voyez que des fantoches !
Vous blâmez de telles façons, cependant vous les tolérez ! Votre silence
vous rend complices ! Ne dressez pas contre moi votre clique ! Je sers
la vraie cause de notre grand théâtre. Je conserve ses richesses qui
sont les vôtres. C’est l’art de nos pères que je défends. Plein de respect,
je garde l’Antique, et j’attends une nouveauté qui compte. J’espère
l’œuvre de génie qui règnera sur notre temps ! Où sont les œuvres qui
s’inspirent des désirs du peuple, et qui reflètent son âme vraie ?
Où sont-elles ? Pour moi, je l’ignore, malgré mes recherches. De pâles
esthètes me regardent, ils se moquent du classique, sans faire rien qui
vaille ! Dans tous leurs drames se pavanent des héros en baudruche qui
se pourfendent et lancent des tirades qui ne sont que des redites. Dans
l’opéra, même histoire. Vieux prêtres et rois de Grèce de l’époque
antique, druides, prophètes, glissent, pâles ombres, au fond de la
scène.
Je veux sur ma scène des hommes, des vrais hommes ! Des hommes
pareils à vous, qui parlent notre langue. Leurs souffrances sont les
nôtres, et leurs joies sont aussi les nôtres. Ah ! au travail, créez les
œuvres que je cherche. Plein d’audace, je vous conduirai à de nouveaux
succès. Distinguez-vous, donnez au théâtre d’autres moyens et d’autres
principes. Sinon, laissez-moi en paix avec vos critiques. Parvenu au
zénith de ma belle carrière, ai-je besoin de parler encore d’elle, de moi
qui découvre les vrais grands talents, qui les guide, les lance et les
inspire ? Sans des hommes tels que moi, que serait le théâtre ? Sans
l’audace de ma volonté, que dis-je, sans l’appui de ma main secourable
? Un geste qui vient au moment voulu peut sauver un texte terne et
pauvre, et réveiller l’ardeur des plus apathiques. Un exemple entre
mille, le célèbre Lekain, naguère figurant obscur, maintenant le maître
du Palais Royal, c’est par moi seul qu’il a fait son chemin. Allons, flâneurs et rêveurs, vous êtes vaincus !
Reconnaissez la valeur de mon aide ! Mes visées sont très hautes. Et
très forts, très grands mes mérites. Je lutte pour la beauté suprême et
la noblesse du théâtre. Avec ces paroles au fond du cœur, j’ai consacré
ma vie et mon nom vivra à jamais dans les annales de son histoire ! Sic
itur ad astra ! Et sur ma tombe, vous lirez un jour cet adage :
« Ci-gît LA ROCHE, le maître merveilleux,
l’immortel Directeur,
le roi du théâtre,
l’ami des douces muses ;
le soutien des artistes.
Les dieux l’ont toujours honoré,
les hommes l’ont toujours aimé ! » Amen.
CLAIRON, accourt vers le Directeur et, enthousiaste, lui pose un baiser
sur la joue.
La Roche, tu es grand !
La Roche, tu es monumental !
FLAMAND, OLIVIER
Amen ! Amen !
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