Au terme des délibérations du jury, composé du conseil d

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Au terme des délibérations du jury, composé du conseil d
RAPPORT SUR LE CONCOURS DE RECRUTEMENT DES
PENSIONNAIRES
À L’ACADÉMIE DE FRANCE À ROME – VILLA MÉDICIS
POUR L’ANNÉE 2015
Le Ministre de la Culture et de la Communication a nommé, par un arrêté du 22 mai 2015, les
pensionnaires de l’Académie de France à Rome au titre de l’année 2015-2016. La Villa Médicis
accueillera donc à partir de septembre 2015, pour une durée d’un an, une nouvelle promotion qui sera
composée de 16 pensionnaires, représentant 14 projets, âgés de 25 à 44 ans.
La sélection s’est déroulée en trois phases prévues par les textes réglementaires : dépôt des
dossiers par les candidats et examen de ceux-ci par les rapporteurs désignés pour chaque discipline,
présélection par le jury à l’issue d’une discussion avec les rapporteurs par discipline, audition des
candidats présélectionnés et sélection finale par le jury.
Le jury est composé de 3 membres de droit (le directeur de l’Académie de France à Rome, le
président du conseil d’administration de l’Académie de France à Rome, le directeur chargé des arts
plastiques à la Direction générale de la Création du Ministère de la Culture et de la Communication) et
4 personnalités qualifiées, nommées par le Ministre de la Culture et de la Communication. Cette année
il était donc composé de :
Membres de droit :
- Éric de Chassey, président du jury,
- Thierry Tuot,
- Pierre Oudart.
Personnalités qualifiées :
- Caroline Bourgeois, commissaire d’expositions, vice-présidente ;
- Rodolphe Burger, auteur-compositeur ;
- Valérie Mréjen, artiste plasticienne, écrivaine et réalisatrice de cinéma ;
- Eric Reinhardt, écrivain et dramaturge.
1. DÉPÔT DES DOSSIERS DE CANDIDATURE
Cette année, 601 dossiers de candidatures recevables (contre 528 l’année précédente) ont été
déposés auprès de l’Académie de France à Rome, selon une procédure largement dématérialisée (dépôt
d’un dossier électronique sur un site dédié, compléments éventuels de dossier déposés à une adresserelais parisienne). 152 candidatures provenaient de l’étranger (soit 25% du total), réunissant 38
nationalités.
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La répartition par discipline est la suivante (sachant que les candidats peuvent faire acte de
candidature dans plusieurs disciplines) :
Architecture :
Arts plastiques :
Composition musicale :
Design et métiers d’art :
Écriture de scénario cinématographique :
Histoire et théorie des arts :
Littérature :
Photographie :
Restauration des œuvres d’art ou des monuments :
Scénographie, mise en scène et chorégraphie :
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198
68
37
51
57
58
50
14
41
Le niveau des dossiers est très hétérogène. Le jury rappelle que « la sélection ne s'adresse pas à
des étudiants mais à des personnes déjà engagées dans la vie professionnelle, qui cherchent à Rome un
complément d'expérience ou de formation, ou à poursuivre leurs recherches dans le cadre d'un dialogue
franco-italien. » Les déclarations d’intention figurant dans le dossier sont essentielles pour que les
candidatures soient retenues. Celles-ci ne doivent pas artificiellement comporter un lien à l’Italie (ce que
pourrait laisser penser l’expression usuelle de « projet romain »), mais montrer comment le candidat
envisage de passer une année ou plus dans ce lieu particulier qu’est la Villa Médicis, avec son histoire,
ses particularités géographiques et sa communauté de résidents, en suspendant pendant cette durée ses
activités habituelles ou en les transformant.
La nécessité de maîtriser la langue française est également rappelée. Elle n’a pas empêché qu’un
quart des candidatures émanent de candidats étrangers, même si beaucoup de ceux-ci sont résidents en
France ou l’ont été. La possibilité d’être pensionnaire sans posséder la nationalité française ni résider en
France est donc mieux connue.
Il n’existe aucun quota par discipline – suivant les années et la qualité des dossiers une discipline
peut ne pas être représentée pour les auditions ou dans la sélection finale, ou avoir un poids plus ou
moins important.
Les dossiers dématérialisés, ainsi que les suppléments éventuels nécessaires dans certaines
disciplines, ont été examinés par les rapporteurs nommés pour chaque discipline. Ceux-ci, qui peuvent
susciter des candidatures et demander des compléments d’information aux candidats, ont été nommés
le 16 décembre 2014. Les membres du jury qui le souhaitaient ont également pu consulter tout ou
partie des dossiers, à tous les stades de la procédure, sans pour autant intervenir d’aucune façon dans
les propositions des rapporteurs.
Certains dossiers sont accompagnés de lettres de recommandation : celles-ci n’influencent guère
les rapporteurs en général, sauf à émaner d’un vrai spécialiste du domaine concerné et à engager
véritablement celui-ci. Leur absence n’est en aucun cas un handicap.
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Les rapporteurs sont nommés par arrêté du Ministre de la Culture et de la Communication, sur
proposition conjointe du directeur de l’Académie de France à Rome et du directeur, chargé des Arts
Plastiques, à la Direction générale de la Création Artistique du Ministère de la Culture et de la
Communication. La moitié d’entre eux environ est composée de personnalités qui avaient assuré cette
tâche l’année précédente, afin de pouvoir assurer un suivi et transmettre les informations aux nouveaux
rapporteurs. Il s’agissait de :
Architecture :
- Elisabeth Essaïan, architecte et docteure en architecture, enseignante à l’ENSAPVS, ancienne
pensionnaire
- Elias Guenoun, architecte, ancien pensionnaire
Arts plastiques :
- Marianne Derrien, critique d’art et commissaire d’expositions
- Maider Fortuné, artiste, ancienne pensionnaire
- Guitemie Maldonado, historienne et critique d’art
- Emmanuel Van der Meulen, artiste, ancien pensionnaire
Composition musicale :
- Vincent Anglade, programmateur jazz et musiques actuelles de la Cité de la musique
- Laurent Durupt, compositeur, ancien pensionnaire
- Claire-Mélanie Sinhuber, compositrice, ancienne pensionnaire
Design et métiers d’art :
- Emmanuel Carlier, archetier, ancien pensionnaire
- Ramy Fischler, designer, ancien pensionnaire
- Fanette Mellier, graphiste, ancienne pensionnaire
Écriture de scénario :
- Clément Cogitore, cinéaste, ancien pensionnaire
- Caroline Deruas, scénariste et cinéaste, ancienne pensionnaire
- Florence Seyvos, scénariste
Histoire et théorie des arts :
- Frédéric Cousinié, professeur en histoire et théorie de l’art moderne et de l’architecture à
l’Université de Rouen
- Eric Pagliano, conservateur du patrimoine (Centre de recherche et de restauration des Musées
de France), ancien pensionnaire
Littérature :
- Jakuta Alikavazovic, écrivaine, ancienne pensionnaire
- Bertrand Schefer, écrivain, ancien pensionnaire
Photographie :
- Véronique Ellena, photographe, ancienne pensionnaire
- Karolina Ziebinska-Lewandowska, conservatrice pour la photographie au Musée national d’art
moderne – Centre Pompidou
Restauration des œuvres d’art ou des monuments :
- Céline Bonnot-Diconne, restauratrice de cuir, ancienne pensionnaire
- Cinzia Pasquali, restauratrice de peintures de chevalet et de grands décors
Scénographie, mise en scène et chorégraphie :
- Frédéric Fisbach, metteur en scène
- Rémy Yadan, metteur en scène et artiste plasticien, ancien pensionnaire.
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2. PRÉSÉLECTION DES CANDIDATS POUR AUDITION
Les 15 et 16 avril 2015, à Paris, à la direction de la création artistique du ministère de la Culture
et de la Communication, les membres du jury ont écouté les rapports présentés discipline par discipline,
qui ont conduit chaque section des rapporteurs à proposer une liste de candidats, en nombre plus
important que ceux finalement retenus pour audition (le jury considère en effet le niveau général des
candidatures et non pas celui interne à chaque discipline). Les rapporteurs, qui s’étaient préalablement
réunis par discipline pour confronter leurs points de vue, ont proposé de retenir pour audition des
candidats évalués à partir de 1/la qualité du projet traditionnellement dit « romain » (mais ne
concernant pas nécessairement l’Italie), 2/ la qualité du parcours artistique ou de recherche, 3/ la nature
des motivations des candidats. Une partie des dossiers retenus émanent de candidats qui avaient déjà
proposé des projets les années précédentes, soit qu’ils manifestent une maturation plus grande soit
qu’ils fassent l’objet d’un point de vue différent puisque les rapporteurs ont été largement renouvelés.
Peu de dossiers évoquent le fait que l’année de pensionnaire à la Villa Médicis s’inscrit dans un cadre
collectif, avec d’autres pensionnaires : c’est évidemment un défaut, souvent très dommageable à
l’appréciation du dossier.
Pour l’architecture, les rapporteurs s’étonnent de la faible (voire très faible) qualité de la
majorité des dossiers, qu’ils attribuent à la mauvaise circulation de l’information sur le concours au sein
de la communauté architecturale ainsi qu’à la difficulté pour les architectes praticiens de quitter leur
agence. Ils soulignent que, malgré une fourchette d’âge assez large (de 26 à 43 ans), les projets présentés
sont assez convenus dans leurs propositions et, pour beaucoup, assez scolaires dans la formulation, et
que très peu d’entre eux prennent en compte la dimension matérielle de l’architecture. Beaucoup de
thématiques portent sur la biodiversité, l’écologie et le paysage, sans originalité malgré l’importance
d’aborder ces thématiques aujourd’hui. D’autres projets affirment leur pluridisciplinarité (musique,
danse, cinéma, etc.), sans mettre en évidence l’apport que ces disciplines pourraient avoir dans le
domaine architectural. Enfin, quelques projets sur les figurations visuelles, parfois assez bien formulés,
mais ne permettant pas d’imaginer un début d’application. Ils ont retenu 2 dossiers solides mais assez
atypiques, en architecture faisant usage des outils vidéo et en histoire de l’architecture, prenant
particulièrement en compte la continuité entre les parcours antérieurs et les projets, qui permettent de
penser que ceux-ci pourront être menés à bien, ainsi que la pertinence de ceux-ci pour l’ensemble du
milieu de l’architecture, y compris du point de vue théorique. Un seul de ces deux dossiers envisageait
un travail sur Rome : il est rappelé que ce n’est pas une nécessité. Le jury a discuté avec les rapporteurs
de plusieurs autres dossiers, notamment avec des positions intéressantes sur l’avenir de l’urbanisme ou
sur des manières originales d’appréhender la relation au patrimoine, mais qui ont paru manquer encore
de maturité, notamment quant à la façon dont ils pourraient se développer dans la durée.
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Pour les arts plastiques, les rapporteurs notent que, malgré l’augmentation importante du
nombre de dossiers par rapport à l’année précédente, le niveau général en est globalement faible, plus
de la moitié des dossiers relevant de pratiques amateures. Par rapport aux années antérieures, on note la
diminution quantitative des dossiers émanant de candidats qui ont eu un solide parcours d’expositions
dans des institutions importantes. Ils ont par ailleurs constaté un grand nombre de dossiers de
circonstance ou, au contraire, de dossiers sans projet autre que de continuer à faire ce que le candidat
fait déjà. Les rapporteurs ont croisé leurs impressions pour se mettre d’accord sur six dossiers à
présenter au jury, d’âges et de niveau de reconnaissance très différenciés (avec de vraies découvertes
selon les rapporteurs, dont un dossier présélectionné émanant d’artistes étrangers dont aucun des
rapporteurs n’avaient entendu parler avant le concours), relevant de pratiques très diverses, parfois
croisées dans un même dossier : installations, performance, travail photographique, vidéo, dessin,
sculpture, édition sonore, roman graphique, conception d’expositions – mais pas de la peinture, qui est
malheureusement absente des dossiers retenus. Les rapporteurs préconisent de faire mieux savoir à des
artistes plus reconnus que la limite d’âge est à 45 ans (beaucoup continuant à croire qu’elle est à 35 ans).
Plusieurs dossiers non- sélectionnés par les rapporteurs ont fait l’objet de discussion avec les membres
du jury, qui les avaient trouvés intéressants : il a été décidé d’en auditionner deux, à cause des potentiels
que l’on pouvait y trouver, quoiqu’ils ne relèvent pas du champ traditionnel de l’art contemporain
exposé en musée ou en galerie.
Pour la composition musicale, les rapporteurs ont indiqué avoir examiné beaucoup de bons
dossiers (une vingtaine) et avoir retenu, de manière largement consensuelle malgré la diversité des
genres musicaux (qui représente parfois un véritable choc des cultures, d’abord entre les rapporteurs
eux-mêmes), ceux qui combinaient un excellent profil et un projet faisant état d’un réel besoin. Ils ont
été frappés du niveau des dossiers mais également de leur manque d’originalité. Les compositeurs de
musique contemporaine écrite voient trop souvent dans le séjour à la Villa Médicis une résidence de
plus, quoique constituant le sommet provisoire d’une suite de résidences, comme une sorte de
récompense ; ils semblent les seuls candidats pour lesquels cette résidence apparaît encore comme un
Prix de Rome qui n’en aurait plus le nom. Il faut noter une certaine difficulté des candidats émanant des
musiques dites actuelles à formuler une position argumentée : le caractère récent de l’ouverture de la
Villa Médicis à tous les types de composition en rend sans doute moins clairs les enjeux. Les
rapporteurs ont proposé 14 projets, dont ils ont fait entendre au jury des extraits des compositions.
Pour ce qui concerne la musique contemporaine écrite, les projets spécifiques à un séjour à la Villa
Médicis sont peu nombreux, souvent remplacés par une liste de commandes déjà existantes et par
l’affirmation quelque peu convenue d’un lien avec d’autres pratiques artistiques. Plusieurs dossiers
retenus émanent de compositeurs qui ont eu l’occasion de venir à la Villa Médicis à l’occasion de leur
programmation dans les festivals de musique contemporaine (Controtempo) ou de musiques actuelles
(Villa Aperta) : il y a là une synergie qu’il faut saluer, mais qui est loin d’être exclusives puisque plusieurs
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dossiers retenus pour audition ne sont pas dans ce cas. Les rapporteurs ont privilégié les dossiers qui
semblaient présenter une véritable nouveauté musicale et des pistes de recherche intrigantes, suivis en
cela par le jury, qui a provoqué la discussion sur un dossier qui n’avait pas été retenu par les
rapporteurs, qui jugent son projet peu réaliste mais conviennent de son intérêt, malgré une formulation
un peu hésitante.
Pour le design et les métiers d’art, les rapporteurs soulignent que peu de candidatures font
vraiment le lien entre la culture et le monde industriel dans le champ du design, que le nombre de
candidatures en graphisme est peu élevé, ce qui tient sans doute à la difficulté de s’extraire de la
commande, tandis que le petit nombre de candidatures en métiers d’art est encore aggravé par le fait
que la plupart d’entre elles manifestent une approche contemporaine et une véritable ouverture, pour
penser la Villa Médicis comme un simple lieu de fabrication et non pas de recherche. Les rapporteurs se
sont mis unanimement d’accord sur 4 dossiers (2 designers, 1 graphiste et 1 métier d’art), qui allient
intérêt du parcours, énergie et originalité, ainsi qu’intérêt et faisabilité du projet (majoritairement lié à la
ville de Rome), et ce malgré une rédaction parfois peu encourageante. Ils ont évoqué quelques autres
dossiers, qu’ils ont jugé moins intéressants, soit qu’ils aient besoin de plus de maturité, soit au contraire
que les dossiers artistiques n’aient pas été mis à jour depuis des candidatures antérieures. Ils remarquent
que les dossiers hybrides sont souvent les plus encourageants car ils permettent l’ouverture à de
l’inattendu.
Pour l’écriture de scénario, les rapporteurs se réjouissent du très grand nombre de dossiers
intéressants et de qualité, qui les a longuement fait hésiter pour mettre au point une liste réduite de
candidats à auditionner selon eux : ils ont proposé à l’unanimité 7 projets, relevant aussi bien du
documentaire que de la fiction, du cinéma réaliste que de l’animation, avec de vrais projets de scénario
(distincts parfois de la réalisation). Les propositions relevant cette année de pratiques expérimentales du
cinéma leur ont paru moins convaincantes. Les projets retenus pour la pré-sélection vont au-delà d’une
simple note d’intention, pour s’appuyer sur des précédents (courts-métrages, souvent primés, longmétrages, scénarios réalisés par d’autres) et proposer parfois un calendrier de travail envisagé pour le
temps de la résidence : tous ont paru aux rapporteurs relever d’une vraie nécessité. Ils ont parfois un
lien fort avec Rome, sans que celui-ci soit artificiel, mais peuvent aussi en être complétement détachés.
Le jury a discuté avec les rapporteurs de 7 dossiers que ceux-ci n’avaient pas retenus préalablement :
l’un d’eux, après discussion, a semblé devoir être auditionné.
Pour l’histoire et la théorie des arts, les candidatures émanent très majoritairement de
titulaires d’un doctorat en histoire de l’art, accompagnées de quelques spécialistes de lettres, cinéma, et
histoire de la musique. Les rapporteurs notent le nombre important de candidatures étrangères (25),
spécialement italiennes (13) et le peu de représentation de candidats non-parisiens. Ils déplorent qu’il
n’y ait eu qu’un seul candidat conservateur du patrimoine ainsi que le manque, cette année, de
candidatures en histoire de l’art moderne, alors que c’est par nature la période où les candidats ont le
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plus à retirer d’un séjour à la Villa Médicis. Ils remarquent que le niveau moyen des dossiers était bon,
ce qui les a conduit à distinguer une quinzaine de dossiers, puis à tomber d’accord sur la présentation de
7 dossiers, de nature très diverse (histoire de l’art italien ou européen du XXe siècle, croisements entre
esthétique et histoire de l’art, histoire du cinéma, commissariat d’expositions). Certains dossiers n’ont
pas été retenus malgré l’intérêt du projet en soi parce qu’ils ne comportaient ni état de l’art ni
programme de recherche avec identification préalable des ressources disponibles – ou bien de façon
trop lacunaire. À l’inverse, des dossiers déjà présentés dans le passé ont été actualisés, manifestant des
avancées dans le travail qui témoignent de leur nécessité pour les candidats : l’inverse est forcément
dommageable. Les dossiers qui ont le plus retenu l’attention des rapporteurs ont été ceux qui, reposant
sur des recherches factuelles précises, faisaient une large place aux questions théoriques ou
méthodologiques, dans une approche manifestement ouverte qui témoigne d’une véritable maturité
(indépendamment de l’âge des candidats). Des dossiers qui n’avaient pas été présélectionnés par les
rapporteurs ont fait l’objet d’une discussion avec les membres du jury, sans finalement convaincre.
Pour la littérature, les rapporteurs déplorent l’absence, cette année, de projets poétiques de
qualité. Ils notent que de nombreux candidats ont privilégié la présentation impersonnelle de leur
parcours et de leurs projets, plutôt que de penser ces derniers comme un lieu déjà voué à l’écriture et à
l’expression d’une personnalité d’écrivain : l’uniformité stylistique et rhétorique d’une partie des dossiers
est frappante et dessert leurs auteurs. Si les projets transdisciplinaires sont bienvenus, leur niveau
général est néanmoins décevant ; plusieurs candidats méprennent un « projet textuel » voire un projet «
avec texte » pour un projet « littéraire ». Ils notent également que des candidatures jugées recevables ne
l’étaient pas au sens strict : les manuscrits joints, s’ils existent bien, n’ont fait l’objet d’aucune
publication à ce jour. De façon générale, le nombre de projets solides a paru limité, sans qu’il y ait de
grande surprise, ce que les rapporteurs déplorent. Ils ont présélectionné 13 projets. 2 projets cohérents
et puissants, d’auteurs déjà confirmés dont la proposition comme le parcours littéraire sont prometteurs
(l’un se présentant pour la première fois avec un parcours ayant gagné en rigueur avec les années, l’autre
ayant redéfini efficacement le projet présenté l’année précédente). 2 projets forts se détachent
également mais dont le projet est moins clair ou bien répète celui d’une candidature antérieure. Les
projets de 4 auteurs au parcours notable ont moins convaincu notamment parce qu’ils paraissaient par
trop artificiellement, fabriqués pour rentrer dans les supposés attendus de la résidence romaine et/ou
émaner d’une demande d’un éditeur plutôt que d’une nécessité personnelle. 2 candidatures hybrides ont
paru de grande qualité, quoique relevant autant, sinon plus, d’un point de vue graphique que strictement
littéraire (mais qui trouvent justement leur place dans cette discipline). 3 projets intéressants, voire
intrigants, reposent cependant sur des parcours moins aboutis. Le jury a demandé à auditionner non
seulement les dossiers les plus explicitement solides mais aussi certains qui semblaient prometteurs
quoique plus problématiques.
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Pour la photographie, discipline qu’il est parfois difficile de distinguer des arts plastiques, ce
qui conduit des artistes pratiquant la photographie à concourir dans une autre discipline, beaucoup de
dossiers étaient trop peu construits et sans projet spécifique, quoique d’un niveau globalement plus haut
que l’année précédente. En même temps, 1/3 des candidatures relève de pratiques multimédia, le plus
souvent purement esthétisantes. Beaucoup de projets ont une vision très stéréotypée de la ville de
Rome et apparaissent par avance sans surprise. 6 dossiers ont paru excellents aux deux rapporteurs, une
douzaine d’autres attirant leur attention sans entièrement les convaincre : ceux que les rapporteurs ont
plus particulièrement souhaité auditionner se distinguent par l’aspect dialectique et ouvert du parcours
en même temps que du projet.
Pour la restauration des œuvres d’art ou des monuments, les rapporteurs ont présenté des
dossiers pourvus d’une échelle de valeur relative reposant sur 4 critères : 1) l’intérêt du projet ; 2) la
qualité du parcours antérieur ; 3) la nature des motivations du candidat ; 4) la qualité globale du dossier.
Ils soulignent la qualité de nombreux dossiers, en progression par rapport à l’année précédente. Ils ont
distingué 5 dossiers qui leur ont paru plus prometteurs, notamment parce que les problématiques,
nouvelles ou renouvelées, ont été bien identifiées, tandis que la faisabilité du projet assez assurée. Les
projets les plus convaincants ne peuvent être menés ailleurs qu’à Rome mais trouveront évidemment
des applications ailleurs. Ces dossiers émanaient aussi bien de restaurateurs exerçant en libéral que dans
des institutions.
Pour la scénographie, mise en scène et chorégraphie, les rapporteurs se félicitent du fait
que des projets de qualité soient plus nombreux et qu’ils témoignent d’une très grande diversité
d’approche par ailleurs, puisque relevant des trois catégories de l’intitulé de la discipline (avec une seule
candidature en scénographie cependant, ce qui est étonnant au vu de l’histoire récente), y ajoutant les
arts du cirque et la radio. Ils ont mis en valeur les dossiers des candidats ayant entamé un parcours
professionnel et proposé un projet cohérent avec le parcours, nécessitant du temps pour aboutir, y
compris lorsque ce projet n’est pas complètement abouti (il importe d’abord qu’il présente des pistes
intéressantes). Certains dossiers relèvent plus de la programmation que de la recherche et n’ont donc pu
être retenus puisqu’il est rappelé que la programmation culturelle de l’Académie de France à Rome
possède son autonomie, même si elle encourage les collaborations des pensionnaires. En revanche
plusieurs dossiers retenus mettaient en évidence l’importance de l’échange avec l’institution et avec les
autres pensionnaires.
À l’issue de l’audition des rapporteurs et d’un vote du jury, prenant notamment en compte les
possibilités d’insertion des candidatures dans la dimension collective qui caractérise la vie de la Villa
Médicis (ce dont les rapporteurs n’ont pas nécessairement à se préoccuper), 33 candidats ont été
présélectionnés pour être auditionnés par le jury (dont trois duos de candidats). Le jury a jugé qu’aucun
candidat en photographie ne présentait de dossier d’une qualité équivalente à celle observable dans les
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autres disciplines et regrette d’avoir dû décider de n’auditionner aucun candidat dans cette discipline.
Pour les autres champs, la proportion de candidatures retenues pour audition est assez homogène
(entre 4,8 et 6,7%) avec des niveaux bien moindres pour l’architecture (3%) et pour les arts plastiques
(2,8%), du fait de la moindre qualité globale des dossiers dans la première discipline et du très grand
nombre de dossiers présentés dans la seconde. Ce chiffre indique une sélectivité similaire à celle du
passé, sauf dans les disciplines où le nombre de candidats a beaucoup augmenté. Cependant, après
plusieurs années de diversification des origines géographiques des candidats auditionnés et malgré un
certain équilibre de ce point de vue dans l’ensemble des candidatures présentées, le jury a retenu pour
audition des candidats résidant majoritairement à Paris ou dans la région parisienne (66%) et de
nationalité française (12% seulement des candidats retenus pour audition ne sont pas français). C’est un
fait que le jury déplore, espérant vivement que des candidats non-parisiens et étrangers continuent à se
présenter aux prochains concours – avec de bons dossiers – ce qui serait un gage de plus grande
diversité sociale des résidents. Il y a légèrement plus de femmes auditionnées que d’hommes (17 et 16
respectivement).
La répartition par discipline de l’ensemble des candidats auditionnés est la suivante :
-
Architecture : 1
Arts plastiques : 5 (dont deux binômes)
Composition musicale : 4
Design et métiers d’art : 3
Écriture de scénario : 4
Histoire et théorie des arts : 4
Littérature : 5
Photographie : 0
Restauration des œuvres d’art ou des monuments : 1
Scénographie, mise en scène et chorégraphie : 4 (dont un binôme)
3. AUDITION DES CANDIDATS PAR LE JURY
Les 11 et 12 mai 2015, au Centre National des Arts Plastiques, à La Défense, les candidats ont
été entendus par le jury pour des entretiens individuels de 25 mn, consistant en une brève présentation
de leur parcours et de leur projet (15 mn environ) et une discussion ouverte (10 mn environ). Les
compositeurs, écrivains, scénaristes, scénographes, metteurs en scènes et chorégraphes, avaient fait
parvenir un exemplaire d’une ou moins de leurs réalisations à chacun des membres du jury, soit sur
support physique soit sur support dématérialisé. Les rapporteurs assistaient aux auditions et, à l’issue
des auditions pour chacune des disciplines, étaient invités par le président du jury à donner leur point
de vue, afin de recueillir un avis spécialisé supplémentaire.
La forme des présentations individuelles peut varier fortement d’un candidat à l’autre et d’une
discipline à l’autre : elle va de l’exposé structuré en plusieurs parties à l’entretien informel (l’un et l’autre
ayant tendance à mal disposer le jury, qui attend plus d’ouverture et/ou plus d’engagement visible) ; elle
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comprend ou non des éléments annexes (extraits de film, d’enregistrements, présentation d’œuvres
originales). Les plasticiens présentèrent ainsi pour la plupart une sélection de leurs travaux dans les
réserves du Fonds National d’Art Contemporain tandis que la candidate en métiers d’art apporta des
objets dans la salle des auditions et que le candidat en architecture et un candidat en cinéma utilisèrent
des cartes géographiques pour une audition pouvant se rapprocher d’une performance ; beaucoup de
candidats utilisèrent des projections ou des supports sonores. Il est rappelé que la possibilité d’une
audition par visio-conférence existe, en cas de difficulté majeure pour un candidat se trouvant loin du
lieu des auditions. L’existence d’un CV et d’un projet écrits rend inutile de répéter ceux-ci : il s’agit
plutôt de proposer au jury une mise en perspective et une synthèse, intégrant éventuellement les
ajustements survenus entre l’envoi du dossier et l’audition. La partie de questions-réponses qui suit
revêt une importance fondamentale pour la sélection finale : elle permet en effet de mesurer les
motivations des candidats, le caractère de nécessité de leur projet romain, leur compréhension des
enjeux de la résidence, la faisabilité de leur projet ou de leur pratique à la Villa Médicis, la capacité à
s’insérer dans une communauté vivante et pluridisciplinaire. Il faut que le jury sente que, pour le
candidat, être pensionnaire à l’Académie de France à Rome, à ce moment précis de leur parcours, relève
d’une véritable nécessité. C’est pour cette raison que tous les membres du jury se sont impliqués dans
l’ensemble des discussions, même lorsque la candidature ne relevait pas de leur champ de pratique : les
débats ont été particulièrement riches, avec les candidats, avec les rapporteurs et entre les membres du
jury. Les candidatures sélectionnées par le jury représentent de 0 à 100 % des dossiers retenus pour
audition, selon les disciplines.
Le candidat en architecture, se servant d’une carte pour tracer son parcours puis présenter
certains de ses projets récents, a mis en valeur un projet situé dans le prolongement d’une thèse de
doctorat en architecture qu’il allait soutenir deux jours plus tard, liée à la représentation vidéographique
et donc dynamique des espaces urbains et des architectures, déjà expérimentée dans des films. Le
parcours du candidat, architecte, vidéaste et réalisateur, parallèlement à un travail de chercheur, ne
soulève pas de doute sur la place de cette candidature dans la discipline architecturale, quoiqu’elle soit
atypique. Le projet s’inscrit naturellement dans la forte tradition qui consiste à prendre Rome comme
terrain d’application et d’exploration de la recherche architecturale, et y envisager des collaborations. Le
projet comportait un volet consacré à une exposition au sein de la Villa, mais, celle-ci ne pouvant être
assurée, le candidat a indiqué qu’expérimentations et production des vidéos lui semblaient le plus
important. Il a cependant manifesté une certaine méconnaissance de ce qu’est l’Académie de France à
Rome, qui aurait pu être compensé par une prise de renseignements préliminaires sur les activités qui
s’y déroulent et sur la réalité des collaborations entre pensionnaires.
Les candidats en arts plastiques ont présenté leur travail selon trois modalités : soit comme
une discussion, accompagnée ou non d’images, soit comme une visite d’atelier (présentant des œuvres
réelles et non leur reproduction, sur des cimaises ou au sol), soit comme une partie d’une performance.
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Il n’est pas nécessaire de présenter de très nombreux travaux pour convaincre le jury mais de montrer
comment ce qui est exposé rend compte d’une démarche complexe et permet d’envisager un projet
ambitieux pour la Villa Médicis, qui permette effectivement de nourrir un séjour dans la longue durée :
cependant une sélection représentative est utile, surtout lorsque les travaux de tel ou tel candidat n’ont
été vus que par certains membres du jury en d’autres occasions mais pas par tous. Beaucoup de
candidats ont déjà bénéficié d’autres résidences : il importait alors de bien faire ressortir la spécificité de
celle envisagée à la Villa Médicis. La connaissance des conditions concrètes du séjour et l’ouverture à la
présence d’autres résidents sont de toute évidence un atout ; des candidats dont le parcours témoigne
de la grande qualité n’ont pas été retenus parce qu’ils ne semblaient pas s’en préoccuper et encore
moins envisager la présence sur place d’autres pensionnaires, de leur propre discipline ou d’autres
champs de la création. Le jury s’est fortement attaché à l’originalité de la démarche artistique des
candidats et de leur projet, ce qui l’a conduit à retenir deux dossiers tout à fait atypiques, de deux duos.
Le premier vient d’artistes très jeunes mais témoignant d’un engagement rare, autorisant à faire le pari
que la résidence romaine leur permettra de donner de nouvelles dimensions et résonances à leur travail.
Le second émane d’artistes déjà très reconnus dans un champ considéré comme extérieur à celui de l’art
contemporain (celui du graffiti urbain) mais se trouvant à un moment de leur parcours personnel et de
l’évolution de la pratique où il s’insère qui marque une nécessité de convergence avec une dimension
plus institutionnelle et avec des collaborations extérieures à leur champ d’origine, quitte à détourner
cette dernière. Des candidatures plus traditionnelles auraient tout à fait pu avoir leur chance et une
candidate auditionnée a été fortement encouragée à présenter un projet de résidence courte (artiste
invité), plus adaptée à son projet.
Les candidats en composition musicale relevaient chacun d’une esthétique très différente. La
discussion a largement porté sur les spécificités de leur positionnement artistique, sur son originalité, et
sur la réalité de leur ouverture sur les autres arts, en particulier, dans le cas des candidats auditionnés qui
ont tous été sélectionnés, avec les arts plastiques ou la littérature. Les candidats ont manifesté la
possibilité d’une telle ouverture, tout en envisageant le séjour comme un moment de concentration et
d’immersion dans un travail continu, un moment permettant, comme l’a affirmé l’un d’entre eux (mais
cela est généralisable aux quatre candidats auditionnés), de « continuer à trouver des outils permettant
de mettre en cohérence tout le travail effectué jusque-là». Ils envisagent également pour la majorité
d’entre eux un rapport dynamique à la ville et au lieu de la résidence, qu’ils connaissent déjà plus ou
moins ou sur lequel ils ont pris des renseignements précis.
Les projets soumis en design et métiers d’art relevaient de deux approches très différentes du
design d’objet (toutes deux de grande qualité dans les réalisations) et d’une pratique très originale des
métiers d’art, qui pourrait sembler à première vue s’inscrire dans une démarche proche de l’art
contemporain ou du design mais qui s’en distingue en réalité très fortement. Un projet a paru trop
éloigné de la réalité de Rome et reposer sur des idées génériques pour lesquelles l’environnement
11
concret de cette ville serait plus contre-productif qu’opportun. Un autre affirmait justement vouloir
bousculer ses habitudes pour s’adapter aux contraintes locales, sans pour autant que celles-ci aient paru
bien identifiées, ce qui a conduit à douter de sa pertinence à ce moment précis. Le projet retenu,
quoique pas forcément formulé clairement par écrit, a convaincu à l’audition, à la fois parce qu’il
s’inscrit dans la suite d’un parcours ayant conduit à des réalisations importantes et parce qu’il dégage
des pistes de travail inédite, portées par un engagement citoyen très fort et une étude préalable des
conditions de possibilité de son élaboration sur place. Le séjour est envisagé à la fois comme un temps
de recherche et un temps de réalisation, pour ouvrir des recherches plus personnelles après un travail
en collaboration : le moment du séjour semble être le moment juste dans le parcours du candidat.
Les candidats en écriture de scénario auditionnés manifestaient des degrés de maturité très
différents et l’inscription dans des genres cinématographiques variés : à la lisière du documentaire
expérimental et de la fiction, dans le cinéma de fiction destiné aux circuits commerciaux. Ils
envisageaient leur séjour comme un moment de concentration sur l’écriture, sans exclure un passage à
la réalisation. Il faut souligner que deux des projets émanaient de scénaristes qui ont aussi d’autres
activités dans le cinéma (actrice pour l’une, chef opérateur pour l’autre), ce qui aurait pu être un grand
enrichissement. Les auditions des trois candidats non-retenus ont mis en relief la dimension
autobiographique de leurs projets, sans que celle-ci ait débouché, du moins à l’oral, sur une réelle
ouverture qui aurait permis d’envisager la résidence dans sa dimension collective. A l’inverse, le
candidat retenu a manifesté une bonne connaissance des conditions concrètes d’un séjour à la Villa
Médicis et d’une volonté d’infléchir une pratique déjà reconnue (films primés et ayant bénéficié d’une
critique favorable, sinon d’une forte diffusion dans les circuits commerciaux). Si son projet écrit
semblait un peu confus, il a su convaincre le jury par son engagement et son ouverture à des questions
complexes, ayant avancé entre la lettre de candidature et l’audition dans son projet – ce qui a fait
apparaître celui-ci comme une vraie nécessité. Là encore, c’est un projet atypique qui a été retenu, en
lien fort avec la culture populaire et inscrit pleinement dans les possibilités qu’offre la Villa Médicis.
Les quatre candidates auditionnées en histoire et théorie des arts présentaient des projets
précisément inscrits en Italie, avec une forte dimension franco-italienne, nécessitant des recherches sur
place dans les fonds d’archives ou des entretiens avec des témoins, avec un plan de travail et un état de
l’art précis, ainsi que des perspectives évidentes de publication. Ils avaient à leur actif une thèse
soutenue (même si le passage par les critères universitaires n’est pas une nécessité) ou/et des livres et
articles bien repérés. Les deux candidates non retenues ont paru ouvrir moins de perspectives nouvelles
sur des sujets déjà étudiés internationalement même si l’on ne peut douter que leurs projets iront à leur
terme. Un séjour à la Villa Médicis n’a pas paru essentiel pour les voir mener à bien, ce qui n’est pas le
cas des deux projets retenus. La candidature en histoire du cinéma repose sur une connaissance très
solide de son sujet, qui pourra se déployer pleinement pendant un séjour romain afin d’avoir des
contacts fréquents avec la cinéaste étudiée et avec les chercheurs locaux, tout en s’ouvrant à des
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dimensions théoriques nouvelles. L’engagement concret de la candidate dans des projets collaboratifs a
également été souligné. Le second projet retenu repose sur une réflexion méthodologique approfondie
et des résultats très stimulants de recherches antérieures à la croisée de l’esthétique et de l’histoire de
l’art : le séjour romain lui permettra de s’approfondir par la fréquentation régulière des œuvres d’art et
des situations qui forment le substrat du projet, dont on ne peut savoir à l’avance s’il sera concluant
(même si les publications antérieures de la candidate permettent de l’envisager avec confiance) mais qui
ouvre des pistes très stimulantes. La possibilité de dialoguer de façon riche avec les artistes des
disciplines prises comme objet de recherche est indéniablement un point positif pour une candidature,
que celle-ci porte sur des périodes anciennes ou sur le contemporain. La possibilité de séjours de
recherche à la Villa Médicis de niveau post-doctoral, dans le cadre de la bourse André Chastel mise en
place avec l’INHA depuis trois ans, est rappelée.
Les candidats auditionnés en littérature représentent des champs d’activité très diversifiés, du
roman traditionnel à l’essai philosophique, en passant par l’illustration et la traduction. Leur oral a été
très différent, marqué ici par une grande maîtrise, là par une difficulté à s’exprimer autrement que par le
livre, sans que cela ait en rien gêné le jury. Les projets retenus surviennent tous à un tournant dans les
parcours des candidats, déjà reconnus pour leurs livres antérieurs, mais qui témoignent de
positionnements nouveaux et inédits, quel que soit leur âge et leur niveau de notoriété (y compris pour
le projet de traduction, qui comblerait un véritable scandale éditorial). Ils affirment un ancrage italien,
sinon romain, qui n’est pas un prétexte et qui permet d’envisager un séjour à Rome comme un apport
fondamental : ce qu’ils souhaitent écrire à la Villa Médicis ne pourraient l’être ailleurs et semblent
répondre à une nécessité quasi-vitale. Ils affirment aussi la nécessité d’une concentration, d’une
immersion dans le travail, dans une certaine durée, sans négliger les collaborations possibles et
souhaitables avec les pensionnaires d’autres disciplines. Cela n’a pas paru être le cas pour les candidats
non-retenus.
La candidate en restauration des œuvres d’art et des monuments a présenté un projet
fortement inscrit à Rome puisqu’elle se proposait d’étudier des dioramas conservés dans un musée de la
ville. Bien qu’elle ait déjà effectué des démarches de rapprochement avec cette institution, son projet
n’a pas semblé encore mûr, ni d’un point de vue pratique, ni d’un point de vue théorique, malgré son
intérêt indéniable.
Les projets auditionnés en scénographie, mise en scène et chorégraphie frappent par leur
extrême diversité, tant du point de vue de la personnalité des candidats que des objectifs et des
domaines envisagés. Deux des candidats semblent ne pas avoir connaissance de ce que sont les activités
et la vie de la Villa Médicis : les projets qu’ils développent y seraient en réalité mal adaptés, malgré leur
qualité. Le projet retenu repose à la fois sur une longue pratique, qui a déjà donné des résultats
remarquables, et sur une véritable originalité, voire une nécessité intime quoique ayant besoin de la
proximité avec d’autres champs disciplinaires pour se développer. Il manifeste une bonne prise en
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compte des spécificités de la résidence et l’envie d’un travail de recherche qui ne peut être mené dans le
cadre des activités professionnelles quotidiennes d’un metteur en scène, tout en paraissant pouvoir
déboucher sur des réalisations concrètes.
4. SÉLECTION DES CANDIDATS PAR LE JURY
Le jury a particulièrement apprécié le niveau très élevé des candidatures, l’intérêt certain de la
très grande majorité des projets et des discussions qui ont eu lieu tout au long des journées d’audition.
Ses membres ont longuement débattu des mérites respectifs des différentes propositions, cherchant à
dégager de véritables critères d’excellence, applicables à l’ensemble des disciplines, ainsi qu’à la
possibilité de créer un véritable collectif, vivant et contradictoire, avec des pensionnaires vivants,
ouverts et passionnés. Ils ont procédé à un vote à bulletin secret pour dégager une liste de candidats à
retenir. Après débat, ils se sont mis d’accord sur une sélection de 14 projets, avec deux projets portés
par des binômes (soit 16 pensionnaires pour 14 bourses).
Il est rappelé qu’il n’existe pas de quota par discipline, ni d’aucune autre sorte. Les seuls critères
de sélection sont la qualité des candidatures, la capacité des candidats à s’intégrer à la dimension
collective de la résidence, et l’appréciation du fait qu’il semble que les candidats se trouvent au moment
optimal de leur parcours pour bénéficier pleinement de la qualité de pensionnaires à l’Académie de
France à Rome. Ce moment peut varier selon les disciplines et les personnalités ; il n’exclut aucunement
la possibilité que celui-ci se trouve dans un moment de formation, ce qui explique que des candidats de
moins de 30 ans puissent être retenus, quoiqu’ils ne soient pas la majorité. L’existence depuis l’année
2014-2015 d’une nouvelle catégorie de résidents, les lauréats, issus des formations d’enseignement
supérieur dépendant du Ministère de la Culture et de la Communication permettra par ailleurs de
donner toute leur place à des artistes ou chercheurs plus jeunes. La diversité des âges présents dans
chaque promotion est un gage pour des partages d’expérience plus riches : la maturité des projets
compte plus que l’âge stricto sensu. Finalement, ce sont les personnalités d’artiste ou de chercheur
affirmées qui font la différence.
Le jury a retenu cette année une promotion d’artistes et de chercheurs âgés de 25 à 44 ans, avec
des profils très diversifiés et des projets de recherche souvent pluridisciplinaires. Les propositions des
futurs pensionnaires traversent les frontières des langages et des formats, en maintenant une large part
de pratiques spécifiques et ancrées dans une longue tradition, mais aussi en s’ouvrant à des domaines
encore peu ou pas représentés à la Villa Médicis, tels que l’illustration, le graffiti, la performance ou le
design urbain.
Cette sélection témoigne tout particulièrement de la manière dont le programme de résidences
de l’Académie de France à Rome a su répondre aux évolutions contemporaines du contexte artistique.
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Les pensionnaires retenus reflètent la richesse et la complexité du monde contemporain des arts ; ils
montrent à quel point la Villa Médicis est plus que jamais un lieu central de la jeune création.
Par arrêté du 22 mai 2015 de la Ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin,
sont donc admis à l’Académie de France à Rome en qualité de pensionnaires pour l’année 2015/2016,
pour des séjours de 12 mois à compter de septembre 2015 :
Pour les arts plastiques
Mmes. Adina Mocanu et Alexandra Sand
MM. Frédéric Malek et Mathieu Kendrick (dits Lek et Sowat)
Pour la composition musicale
M. Fabrice Denys (dit Fantazio)
M. Kenji Sakai
M. Sébastien Roux
M. Jackson Fourgeaud (dit Jackson)
Pour le design et les métiers d’art
M. Johan Brunel
Pour l’écriture de scénario
M. Philippe Petit
Pour l’histoire et la théorie des arts
Mme Julie Cheminaud
Mme Anne-Violaine Houcke
Pour la littérature
M. Mehdi Belhaj Kacem
M. Oscar Coop-Phane
Mme Anne-Margot Ramstein
Pour la scénographie, la mise en scène et la chorégraphie
M. Laurent Bazin.
Laurent Bazin (scénographie, mise en scène et chorégraphie), né en 1981, a suivi des études de
lettres et de philosophie, avant d’intégrer un DESS de mise en scène à Paris X Nanterre. Son travail
convoque des sujets souvent insolites au théâtre comme la chirurgie plastique, les bandes dessinées, la
doctrine spirite ou le marketing sensoriel. À chaque fois, il tente de convoquer une nouvelle manière
d’articuler le texte et l’image : fausse conférence, thriller médiéval, fable futuriste, ballet visuel, théâtre
d’ombres. Chacun de ses spectacles est traversé par la question de notre rapport au voir. Après un
compagnonnage avec la MC93, il est devenu artiste en résidence à la Loge, où il a multiplié les
expérimentations scéniques. Son spectacle Bad Little Bubble B. a reçu le prix du jury du Festival
15
Impatience 2013 organisé par le 104, le théâtre du Rond-Point et Télérama. Il travaille actuellement avec
l’Académie de l’Opéra de Pékin, et des artistes de l’Opéra du Sichuan pour L’Effet W., qui sera créée au
festival Reims Scène d’Europe en 2017.
À la Villa Médicis, Laurent Bazin enquêtera sur le désir de voir. À partir de son expérience
personnelle, marquée par une maladie des yeux qui le suit depuis la naissance, il interrogera sa voracité à
l’égard du visible, cet « esclavage de la rétine » dont il a fait sa profession. Après avoir cherché à
produire sur scène des images singulières, il s’interrogera sur la façon de modifier le voir sans modifier
l’objet vu, en travaillant sur les abords de l’image (son, odeur, discours). Ce travail empruntera de
nombreux chemins disciplinaires : performance, réalité virtuelle, roman graphique. Autant de supports
pour harceler le sujet et le réinventer sur un plateau de théâtre.
Mehdi Belhaj Kacem (littérature) est né en 1973. Il a grandi en France après une enfance en
Tunisie. Il commence à publier relativement jeune, à 21 ans, des romans rapidement salués par la
critique, parmi lesquels Cancer, son premier roman, Vies et Morts d’Irène Lepic, ou encore L’Antéforme. Ses
premiers ouvrages théoriques, Esthétique du Chaos et Society, ont été publiés dans les années 2000.
L’année 2006 a marqué sa rencontre avec les éditions Gallimard, chez qui il publie La psychose française et
une traduction du premier poème de Dante Alighieri, Vita Nova. Ses œuvres philosophiques de
maturité, notamment L’esprit du nihilisme, Être et sexuation, La Transgression et l’inexistant, lui ont valu une
reconnaissance dans des publics divers, depuis l’Université (à travers notamment un colloque donné à
l’École Normale Supérieure en 2013 sur son travail) jusqu’aux artistes, écrivains, ou encore militants
politiques. Il travaille actuellement sur plusieurs projets dont un cyber-séminaire et prépare un essai sur
le philosophe Quentin Meillassoux ainsi qu’un roman.
Le projet de Mehdi Belhaj Kacem à la Villa Médicis consistera tout d’abord en la réalisation
d’une traduction lisible par le public moderne de Les Triomphes, poème didactico-dialectique de
Pétrarque, qu’il considère comme l’un des cinq textes fondateurs de la littérature italienne, avec ceux de
Dante et Boccace. Les dernières traductions datant du XVIe siècle et, pour la plus récente, de 1923
(presque introuvable aujourd’hui), il n’existe pas de texte accessible par le lecteur français
contemporain. Mehdi Belhaj Kacem se consacrera par ailleurs à l’écriture d’un essai philosophique et
esthétique, dans la prolongation de plusieurs de ses livres antérieurs, sur l’auteur traduit et la grande
incidence qu’a exercée le pétrarquisme sur l’art occidental depuis le Moyen-âge.
Johan Brunel (design et métiers d’art) est né en 1977. Diplômé de l’Atelier métal de
l’ENSAAMA – École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d'art et de l’ENSCI – École
Nationale Supérieure de Création Industrielle, il est successivement designer en agence en Israël,
scénographe intégré au Centre Pompidou, enseignant en design à l’École Supérieure des Arts
Décoratifs de Reims. En 2004, il fonde l’atelier [jes] avec Samuel Misslen. Au sein de ce collectif, il crée
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notamment des dispositifs interactifs pour La Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris ou le Musée de
l’Air et de l’Espace au Bourget, lieux pour lesquels il cherche à inventer de nouvelles formes de visite.
Designer et constructeur, il réalise des pièces uniques et des aménagements pour des particuliers et des
galeries. Dans une démarche collective d’autoproduction, il dessine des objets domestiques : Usinage &
sentiments, une gamme de mobilier produit dans son atelier, ou Hand in Hand, une collection d’objets en
bambou créés en dialogue avec des artisans à Taïwan. En 2014, il est désigné lauréat du Prix Émile
Hermès pour La Capsule Ventilée, un refuge de relaxation bioclimatique pour pays chauds.
À la Villa Médicis, Johan Brunel se consacrera à la question de l’eau à Rome. Intitulé La
Rencontre – celle entre le nord et le sud, entre cultures du sauna finlandais et des thermes antiques – son
projet consistera à envisager un rapport contemporain à l’eau, dans un contexte mondial de raréfaction.
Il abordera l’eau comme patrimoine romain d’ingénierie et d’art de vivre et patrimoine inaliénable de
l’humanité, mais aussi comme une ressource, à la fois matière et enjeu, pouvant tout aussi bien
déclencher des guerres que rassembler les êtres. Il s’inspirera du rôle fédérateur et du potentiel vivant de
l’eau, vecteur de culture(s), de partage social, d’imaginaires communs, pour créer de nouveaux projets.
Julie Cheminaud (histoire et théorie des arts) est née en 1982. Ancienne élève de l’École
Normale Supérieure de Lyon, elle est agrégée et docteure en philosophie. Après avoir été chargée de
cours à l’Université Paris Sorbonne en tant qu’allocataire monitrice puis en tant qu’attachée temporaire
d’enseignement et de recherche (ATER), elle enseigne désormais dans le secondaire en région
parisienne. Sa thèse de philosophie de l’art, à paraître chez Vrin sous le titre Les évadés de la médecine,
portait sur la figure médicale de l’artiste en France dans la seconde moitié du XIXe siècle. En démêlant
les liens qui s’établissent entre les discours et les pratiques, elle démontrait comment l’écrivain et le
peintre étaient, selon la valeur que différentes formes de positivisme donnaient à la pathologie, tantôt
loués (quand l’excès se révélait fécond), tantôt condamnés (quand l’anormalité était qualifiée de
maladive). En ce sens, la figure physiologique de l’artiste se révélait une variation de la mélancolie
traditionnelle, qui permettait de comprendre les œuvres de la modernité sous un nouveau jour.
Durant son séjour à la Villa Médicis, Julie Cheminaud se consacrera à un essai sur le syndrome
de Stendhal. L’expression désigne l’état de crise qui touche certains touristes face aux œuvres de la
Renaissance italienne. Elle indique ce phénomène selon lequel des spectateurs contemporains sont en
proie à des délires ou à des hallucinations : ils vivent une expérience esthétique extrême, qui a pu être
qualifiée de déviante. L’enjeu de ces recherches est de réévaluer le sens de ces symptômes, et de
dépasser une lecture uniquement psychanalytique pour éprouver une hypothèse : le choc ressenti
prendrait son origine dans les œuvres elles-mêmes. Le syndrome de Stendhal pourrait ainsi révéler la
force de l’expérience artistique.
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Oscar Coop-Phane (littérature) est né en 1988 en France. Après une hypokhâgne et une
khâgne, il décide de faire de l’écriture son occupation principale. Oscar Coop-Phane a publié trois
romans aux éditions Finitude : Zénith-Hôtel, son premier roman, qui a remporté le Prix de Flore en 2012,
Demain Berlin en 2013, et Octobre en 2014. Ces trois romans fonctionnent comme une trilogie sur les
errances urbaines, leurs solitudes et leurs peines. Flammarion a également publié en 2013 les nouvelles
Picon voyageur, et, en 2014, Cours de la vie. Il envisage une nouvelle trilogie, sur les mises à l’écart : le
premier volet sortira en 2016, chez Grasset ; le deuxième sera écrit à Rome. Il a vécu à Paris, Berlin et
Bruxelles et ses ouvrages sont traduits en anglais, en allemand et en turc. Il écrit régulièrement des
chroniques et collabore avec des magazines comme Vanity Fair, Numéro Homme, Le Figaro, L’Inconnu,
parmi d’autres.
Pendant son séjour à la Villa Médicis, Oscar Coop-Phane se consacrera à la rédaction du
deuxième volet d’une trilogie sur le judiciaire en Italie. L’ensemble fonctionnera comme un travail sur la
norme et ses marginaux, sur la « mise à l’écart », à travers l’histoire du jugement d’un cochon
infanticide, au XVIIe siècle, dans les États pontificaux. À travers le procès d’un animal – comme il y en
eut tant – il s’agira, du crime au supplice, de faire vivre l’âme de chacun des acteurs, la mère de l’enfant,
les juges et les témoins, le bourreau, la foule et les matons. Oscar Coop-Phane conçoit ce projet comme
un roman choral autour d’un phénomène historique étrange, une réflexion sur le pouvoir religieux et le
« modeste miroir littéraire de quelques théories foucaldiennes ».
Fabrice Denys, dit Fantazio (composition musicale), est né en 1972. À l'âge de 15 ans, il a
hérité d'une contrebasse et s’est mis à l'apprivoiser peu à peu. Il a alors commencé à jouer dans les rues
à l’occasion de performances solo. Il est ensuite parti un an à Pékin puis à Berlin, où il a continué de
travailler autour de l’improvisation et où il est resté jusqu’en 1999. Préoccupé par la rupture des
rythmes, des situations et des angles d'attaque, il a collaboré avec de nombreux musiciens, dans les
salles de concert comme les théâtres. Il a ainsi élaboré des performances « accidentées » en Europe,
Afrique, Asie et Amérique latine, toujours accompagné de sa contrebasse et de sa voix qu'il « tord »,
dans les différentes langues qu'il maîtrise désormais : l'italien, l'espagnol, le chinois, l'anglais et le
français. Ses spectacles deviennent des situations où se mêlent musique, performance théâtrale et
poétique, creusant chaque fois un peu plus les liens entre troubles intimes et sociaux.
Le projet de Fantazio à la Villa Médicis consistera à rassembler des éléments épars issus de la
culture populaire et savante occidentale. Cet ensemble sera ensuite mis en forme pour aboutir à une
pièce sonore, en français et italien, façonnée selon le mouvement diastole-systole. Il s’agira donc d’un
travail d’écriture et de réécriture réalisé à partir de multiples éléments : matériaux recueillis de son
expérience, écrits, musiques, textes, discours, conférences, soliloques, improvisations en situation ou
encore enregistrements, et notamment des échos-sons capturés dans la villa romaine. Il développera, à
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partir de cette « matière », une recherche approfondie sur le va-et-vient entre troubles intimes et
collectifs.
Jackson Fourgeaud, dit Jackson (composition musicale), est né en 1979. Musicien, chercheur,
il est adepte de l’hybridation. Découvert pour son travail musical en tant que Jackson And His
Computerband, il a signé deux albums sur le label anglais Warp Records (SMASH en 2005 puis GLOW
en 2014). Ces créations témoignent de son goût pour la déconstruction des genres musicaux et d’une
écriture composite et exploratrice. En 2014, Jackson a dessiné et conçu le « Computerband », un
complexe instrumental électronique qu'il a présenté au cours d’une tournée internationale et dans de
nombreux festivals de musique (Sonar, Melt, Summer Sonic, Todays Art, Villa Aperta…). Après un
bon accueil public et critique, Jackson poursuit ses créations et invente d’autres instruments réunis au
sein de « l’Instrumentarium ». Ce laboratoire électroacoustique a été présenté en 2015 à l’Ircam
(Ircamlive) puis au sein de l'exposition Au fur et à mesure (travaux in situ et situés) de Daniel Buren à Paris
et au Palazzo Tiepolo à Venise pour l'ouverture de la Biennale. Il y a donné une série de performances
intitulées Light Metal Music pour la galerie française Kamel Mennour. Ces performances s'appuient sur
des sculptures mettant en ondes brume sonore, flux, algorithmes, ainsi qu’une transformation du
spectre lumineux en sons.
Le séjour de Jackson à la Villa Médicis sera le temps de la création d’un opéra, Operator, où la
voix humaine sera remplacée par une sonification de particules et le son généré, entre autres, par un
fluide de molécules.
Anne-Violaine Houcke (histoire et théorie des arts) est née en 1980. Elle est diplômée de
l'École Normale Supérieure (Ulm) et de Sciences-Po Paris. Elle est aussi agrégée de Lettres classiques.
En 2012, elle a soutenu une thèse de cinéma, Les inventions de l’antique dans le cinéma italien moderne, dans
laquelle elle étudiait la poétique des ruines dans l’œuvre de Fellini et Pasolini (à paraître en 2016).
Fascinée par ce « rendez-vous secret » entre l’archaïque et le moderne, dont parle Giorgo Agamben
dans Qu’est-ce que le contemporain ?, elle travaille sur les images contemporaines, notamment
audiovisuelles, de l’antique. Elle explore aussi la capacité du cinéma à « inventer » des formes, des
histoires, des représentations et des réalités passées survivant dans le présent. Après sa thèse, elle a
codirigé un projet de recherche intitulé Antiquité 2.0, portant sur les représentations audiovisuelles de
l’antique depuis l’an 2000, et a bénéficié d’une bourse post-doctorale sur Pasolini et la critique. AnneViolaine Houcke a vécu aux États-Unis, où elle a enseigné à l’Université de Yale, et en Italie, à Pise et à
Rome.
Le projet de recherche d’Anne-Violaine Houcke, intitulé L’invention du réel : l’œuvre photographique
et cinématographique de Cecilia Mangini, concerne l’œuvre de la photographe et réalisatrice italienne Cecilia
Mangini. Née en 1927 dans les Pouilles et résidant aujourd’hui à Rome, Cecilia Mangini a débuté sa
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carrière dans les années 1950 comme critique et photographe, a collaboré avec des revues comme
Cinema nuovo, puis s’est consacré au documentaire et a travaillé avec Pasolini, Fortini ou encore
Micciché. Ce projet se propose de permettre la connaissance (ou reconnaissance) de cet auteur et de
son œuvre, dans sa totalité et dans sa spécificité esthétique et politique propre à l’intérieur du
documentaire italien et du cinéma en général. Il a d’autre part pour ambition de contribuer à l’écriture
de l’histoire de l’Italie et, enfin, de participer à la réflexion théorique sur le documentaire.
Frédéric Malek et Mathieu Kendrick, dits Lek et Sowat (arts plastiques), sont nés
respectivement en 1971 et en 1978. Travaillant en binôme depuis 2010, ils partagent un goût commun
pour l’Urbex – ou « Exploration Urbaine » –, discipline qui consiste à explorer la ville à la recherche de
ruines modernes. Poussant les limites du graffiti traditionnel, leurs expérimentations in situ réunissent
vidéos, abstractions architecturales, installations et archéologie, créant une forme moderne de land art
urbain. En 2012, le projet Mausolée les a vus organiser une résidence artistique clandestine dans un
centre commercial abandonné de la capitale et a retenu l’attention de Jean de Loisy, qui leur a ouvert les
portes du Palais de Tokyo. Entourés d’une cinquantaine d’artistes majeurs des arts urbains et du
commissaire d’exposition Hugo Vitrani, Lek et Sowat ont passé deux années à créer une exposition
expérimentale dans les issues de secours du bâtiment : le Lasco Project a été le premier programme
officiel d’art urbain du centre d’art. Depuis, ils multiplient les collaborations avec des artistes d’horizons
variés : John Giorno, Agnès b et Jean Charles de Castelbajac, les pionniers du Graffiti Futura, Mode2 et
Jonone ou encore Jacques Villeglé, qu’ils considèrent comme un précurseur du street art. C’est avec ce
dernier qu’ils ont réalisé le projet Tracés Directs, première œuvre de graffiti à entrer dans la collection
permanente du Centre Pompidou.
En accord avec leur discipline d’élection, l’Urbex, le projet de Lek et Sowat à la Villa Médicis a
pour ambition d’appréhender la Ville éternelle par ses sous-sols et ses ruines, ses tunnels et ses stations
de métro, conduits d’aération, catacombes, palais et carrières abandonnés. Cette approche a pour but
d’explorer les liens plastiques qui existent entre graffiti antiques – source précieuse d’information pour
l’archéologie – et graffiti contemporains, tels qu’il sont nés une seconde fois dans le métro new-yorkais
des années 1970.
Adina Mocanu et Alexandra Sand (arts plastiques) sont toutes deux nées en 1990 et sont de
nationalité roumaine. Elles vivent et travaillent à Bucarest. Après avoir étudié les arts graphiques à
l’université, elles se sont ensuite orientées vers l’art performatif et explorent désormais ce domaine dans
le cadre du duo d’artistes qu’elles ont formé en 2013. Leurs recherches, qui s’intéressent notamment
aux liens entre leur identité en tant qu'êtres humains et en tant qu'artistes, se développent dans le
contexte de l’espace public ainsi que, plus récemment, dans celui du « cube blanc » (les galeries et
musées). Pour elles, l’espace public ne désigne pas uniquement l’espace urbain, mais aussi celui où les
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différentes consciences de soi se manifestent et créent, ensemble, une conscience collective. Elles ont
participé à des projets significatifs depuis la création de leur duo, dont notamment des expositions au
MNAC – Musée national d’art contemporain de Bucarest, des résidences artistiques en Italie et Bulgarie
ainsi que des collaborations avec des lieux alternatifs dédiés aux jeunes artistes de Bucarest.
Intitulé Présence et Utopie, le projet d’Adina Mocanu et Alexandra Sand pour la Villa Médicis vise
à réunir leur intérêt pour la conscience du corps et la « conscience de soi » d’une part, et pour les
nouvelles sociétés et la réaction immédiate de l’homme à un certain contexte d’autre part. Leurs
recherches se concentreront sur la création de leur propre avenir, à travers à la fois l'action et la « nonaction ». À cette fin, elles utiliseront l'art de la performance en tant que moyen principal d’expression,
qu’elles associeront à d'autres média, comme l'art vidéo. Elles s’immergeront dans l’atmosphère de
Rome et chercheront à tisser des liens entre leur propre expérience et celle laissée par les artistes en
résidence qui les ont précédées.
Philippe Petit (écriture de scénario cinématographique) est né en 1971. Après des études de
réalisation à l’ESAV – École Supérieure d'Audiovisuel de Toulouse et une maîtrise en réalisation de
films à l’INSAS – l’Institut Supérieur des Arts de Bruxelles en 1998, il s’est installé à Paris. Son univers
s’inspire de la mise à nu de personnages en crise dans un réel cru et contemporain, des êtres décalés,
dont la recherche de liberté met en cause les conventions sociales. Il est auteur et réalisateur de
nombreux courts et moyen métrages, dont Primes de Match, présenté au Festival de Clermont-Ferrand en
1998, Digital Cut en 2010, présenté au festival hors pistes à Beaubourg ou encore Buffer Zone en 2014,
présenté au FID – Festival international du documentaire de Marseille ainsi qu’aux Rencontres du
moyen métrage de Brive. Il a travaillé sur les longs métrages Insouciants, réalisé en 2004 et présenté au
Festival Némo et Danger Dave, présenté au Festival de San Sebastian et primé au Nordost Film festival
ainsi qu’au Madrid film festival en 2014. En 1997, il a rencontré Quentin Dupieux, avec lequel il a
collaboré sur de nombreux projets. Il a entamé par ailleurs une carrière de comédien. Récemment, il a
joué dans le court-métrage Au Lac, de Roland Edzard en 2013, dans les longs-métrages Eden de Mia
Hansen Love en 2014 et Marie et les naufrages de Sebastien Betbeder en 2015. Certains de ses films sont
rassemblés dans l’Anthologie d’un cinéaste punk, un coffret DVD édité par Shellac en 2015.
Le projet de Philippe Petit à la Villa Médicis sera consacré à l’écriture et aux repérages d’un film
rendant compte des difficultés d’un paysagiste-jardinier, quadragénaire, qui peine à faire exister son
travail de création. Inscrit dans le milieu des jardins et des parcs, le film convoque un univers visuel et
sonore dont la réalité est en rupture avec l’image souvent édulcorée qui lui est attachée. C’est autour
d’un territoire brut et puissant, à la grande force d’évocation métaphorique que se déploie le combat de
Sandor : un personnage ambigu, (interprété par l’auteur-réalisateur) nourri de ténacité et engagé dans un
combat qui questionne sa propre nature.
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Anne-Margot Ramstein (littérature) est née à l'île de la Réunion en 1984. Après des études en
arts graphiques à Paris, elle a intégré l'atelier d’illustration des Arts décoratifs de Strasbourg et a effectué
pendant son cursus un échange universitaire à l’école des Beaux-Arts de Boston. Elle a publié, en
collaboration avec Matthias Aregui, L’ABC des tracas en 2010 et Avant après en 2013, chez Albin Michel
Jeunesse. Ce dernier ouvrage, qui traite de l’élasticité du temps, a obtenu en avril 2015 le Bologna
Ragazzi Award au Bologna Children Books Fair, dans la catégorie « non-fiction ». À l’automne 2015
paraîtra En forme !, son premier livre « solo » : un imagier du sport s’intéressant aux relations
qu’entretiennent le corps et l’espace pendant l’exercice physique. À son travail d’auteur s’ajoute celui de
dessinatrice de presse dans plusieurs journaux français, comme Le Monde, Revue XXI, Libération, Les
échos, M3 Magazine, Le Tigre, Revue Dada, ou dans la presse étrangère, dans Bloomberg ou encore Corporate
Knights.
Le projet artistique qu’Anne-Margot Ramstein développera à la Villa Médicis, Faune & flore,
consiste en un livre d’images cachées parodiant les ouvrages didactiques classiques, dans lesquels une
légende souveraine nomme et définit avec autorité le sujet dessiné. Elle se concentrera sur la relation
entre texte et image, chaque dessin qu’elle propose étant accompagné d’une légende ne semblant pas lui
correspondre à première vue. Se dessine d’abord la forme d’une flore variée. Puis, après un examen
attentif, on distingue dans la contre-forme la faune dissimulée au sein de son écosystème naturel. Le
texte se rapporte à la vie animale et aide à identifier ce que l’illustration recèle. Ce travail s’inspire des
recueils d’emblèmes, populaires dans les milieux érudits du XVe et XVIe siècles, qui, au prix d’un
examen méticuleux, révélaient leur sens au lecteur/spectateur. Quant au style graphique, il puise son
inspiration dans l’ornement baroque et les grotesques.
Sébastien Roux (composition musicale) est né en 1977. Il compose de la musique électronique
qu'il donne à entendre sous la forme de disques, de séances d'écoute, d'installations ou parcours ou
encore de pièces radiophoniques. Il s'intéresse aux conditions de l'écoute, à la notion d'espace sonore et
à la composition à partir de contraintes formelles. Depuis plusieurs années, il travaille sur la traduction
sonore, principe consistant à utiliser une œuvre existante comme partition pour une nouvelle pièce. Ce
procédé a donné lieu à Quatuor, musique électro-acoustique d'après le 10ème Quatuor de Beethoven,
Nouvelle, pièce radiophonique basée sur La légende de Saint Julien l'Hospitalier de Flaubert et Inevitable Music,
cycle de traductions sonores des dessins muraux de Sol LeWitt. Il collabore fréquemment avec l’auteure
Célia Houdart et le scénographe Olivier Vadrot sur des projets transdisciplinaires et in situ. Il a réalisé
l'environnement sonore de pièces chorégraphiques de DD Dorvillier, Sylvain Prunenec et Rémy
Héritier.
À la Villa Médicis, Sébastien Roux propose de réactiver sous la forme de traductions sonores
quelques-uns des 300 dessins muraux que Sol LeWitt a réalisés en Italie entre 1968 et 2007, dont ceux
faits à la Villa Médicis entre 2001 et 2003. Lors d’un séjour aux États-Unis, Sébastien Roux a étudié une
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série de dessins de Sol LeWitt. Il a constaté qu’ils sont assez différents du corpus italien de l’artiste
américain et remarque que les formes élémentaires et les couleurs primaires laissent la place à des
motifs plus affirmés et à des jeux de couleurs plus complexes. Cette résidence sera ainsi l'occasion
d'imaginer de nouvelles approches de traduction, d'approfondir la question de la mise en espace des
pièces sonores et d'aborder la question de la traduction sous un angle théorique.
Kenji Sakai (composition musicale) est né à Osaka en 1977. De nationalité japonaise, il a étudié
au Japon avant de déménager en Europe, où il a poursuivi ses études au Conservatoire National
Supérieur de Musique et de Danse de Paris et à l’Ircam. Il a rapidement développé sa carrière à l’échelle
internationale, à travers des créations données notamment par l’Orchestre National de Lyon, celui de
Belgique, le Lucerne Symphony Orchestra, le NHK Symphony Orchestra, le Yomiuri Nippon
Symphony Orchestra ou encore l’Ensemble Intercontemporain. Kenji Sakai a été invité aux festivals
Musica de Strasbourg, Agora de Paris, Musica Nova d’Helsinki, à la Biennale Musiques en Scène de
Lyon, au Centre Pompidou à Paris, au KKL de Lucerne, au TivoliVredenburg à Utrecht, au Suntory
Hall à Tokyo ou encore au Tokyo Opera City. Il a remporté plusieurs prix internationaux, parmi
lesquels le Toru Takemitsu Composition Award en 2009, l’Art Mentor Foundation Lucerne Award en
2011 et le Grand Prix International Reine Elisabeth en 2012. Kenji Sakai a été décoré par le
commissaire aux affaires culturelles du Japon en juillet 2012 et a été membre de l’Académie de France à
Madrid - Casa de Velázquez en 2012-2013.
Le projet de Kenji Sakai à la Villa Médicis sera consacré au compositeur de la Renaissance Carlo
Gesualdo (1566-1613) et à l’étude de son langage de référence. Elle s’articulera en deux étapes. La
première s’attachera à une « ré-interprétation » de l’écriture musicale du compositeur : Kenji Sakai
cherchera à « ajuster » sa propre écriture et à intégrer celle du compositeur à la sienne, en établissant un
lien entre deux styles musicaux différents. Cette recherche s’effectuera dans la perspective de la création
d’un orchestre symphonique et/ou d’une pièce pour ensemble et électronique sur lesquels il travaille
pour la saison 2016-2017. La seconde étape consistera à explorer la notion de « sur-écoute », terme qu’il
désigne comme une écoute interrogative et en dialogue avec le cœur.
Le président du jury, Éric de Chassey
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