FLEISCH - la seconde tigre

Transcription

FLEISCH - la seconde tigre
FLEISCH
Marathon de danse
Pauline Laidet
©Jeanne Garraud
« Le texte est dru, tant dans la profération du maquignon sataniquequi conduit le bal que dans les échanges hors
d’haleine des compétiteurs aux muscles las, dans ces moments de portés improbables extrêmement inventifs au
milieu des corps enchevêtrés au bord de la chute éliminatoire. Voilà du théâtre dansé avec vaillance, qui réussit avec
art, par un biais métaphorique, à toucher charnellement à la violence du politique dans les corps. »
L’Humanité, Jean-Pierre Léonardini- avril 2016
« Notre jouissance face à la destruction des autres est incommensurable. Mais l’auteure et chorégraphe retourne cette
monstrueuse pulsion scopique : le spectacle prend à la gorge les spectateurs »
I/O Gazette, Sabrina Weldman – avril 2016
« En s’appuyant sur le théâtre et la danse et plus globalement sur la représentation des corps, Pauline Laidet a créé
une œuvre audacieuse qui ne manquera pas d’interpeler le spectateur et de susciter le débat. »
Regard en coulisse, Dan Rénier- mai 2016
Contact :
[email protected]
©Jeanne Garraud
Il y a presque dix ans, tout juste sortie de l’école de La Comédie de St-Etienne, je regarde
pour la première fois ce film bouleversant « On achève bien les chevaux » de Sydney
Pollack. Je ne connais pas encore le versant historique de ce film ni le fait qu’il soit
adapté du roman d’Horace Mc Coy, mais j’y vois alors une allégorie assez angoissante de
ce qui semble m’attendre après l’école : les affres du monde du travail et ses rivalités.
Depuis ce film m’accompagne, comme le marqueur de chaque étape importante de mon
parcours et je le revois toujours avec autant d’émotion et lui découvre systématiquement
de nouvelles pertinences et de nouvelles interprétations.
L’idée de transposer non seulement ce film, mais plus encore sa charge émotionnelle,
sensorielle et sa dimension politique, sur une scène de théâtre s’est imposée à moi il y a
trois ans. C’était aussi l’envie d’aller plus loin dans mon désir grandissant de mettre en
scène, et de développer un travail sur la place prédominante du corps au sein d’une
dramaturgie théâtrale.
Avec FLEISCH, je ne cherche pas à adapter le roman ou le scénario du film, mais à le
raconter par le prisme de notre époque contemporaine et peut-être plus largement, à
donner à ces marathons de danse, une réelle teneur symbolique et atemporelle. Je
cherche à mettre en œuvre une traversée sensible de 3 mois de marathons le temps de
deux heures de spectacle.
Je me suis bien évidemment inspirée du roman et du film, de leurs situations et des
personnages, mais j’ai aussi collecté pour mon travail de réécriture, un certain nombre
de documents d’archives : textes, thèses, vidéos et photographies. Il n’est pas question
d’un spectacle documentaire qui se voudrait exhaustif sur ce qu’étaient ces marathons et
ce qu’ils révélaient de la société du spectacle de l’époque, mais plutôt de créer un écho,
une perspective vers notre monde contemporain.
Quelques mots sur ces marathons de danse dans leur CONTEXTE HISTORIQUE:
Ces marathons ont été inventés d’abord aux Etats-Unis à la fin des années 20, alors que
se développe la notion de « record », et que l’Amérique traverse la « Grande Dépression ».
Des organisateurs privés ont lancé des défis de plus en plus fou appelés « Dance
Marathon » et qui consistaient à danser en couple, le plus longtemps possible, avec 10
minutes de pause toutes les 50 minutes. Une prime financière était finalement
remportée par le dernier couple qui restait debout.
Ces marathons repoussent toujours plus loin les limites, ils durent plusieurs semaines,
puis plusieurs mois, jours et nuits. Le record a été atteint en 1931 par un couple qui a
dansé sept mois et demi… 5154 heures !
On peut s’interroger sur les motivations de ces concurrents qui ne ressortaient souvent
pas indemnes d’une telle épreuve. Il y avait la prime pour les gagnants bien-sûr, mais
également des récompenses à ceux qui proposaient des « numéros » pour les
spectateurs qui pouvaient « miser » sur tel ou tel couple. Les concurrents étaient logés,
nourris et blanchis, le temps qu’ils restaient dans cette compétition, ce qui, en temps de
crise, constituait aussi une raison notable. Et puis il y avait ce fantasme de célébrité, la
possibilité d’être « repéré » et potentiellement engagé par des producteurs ou
réalisateurs qui s’annonçaient… il y a là, bien évidemment un étrange effet miroir avec
nos télé-réalités d’aujourd’hui.
On peut dire en résumé, que ces marathons étaient une sorte de cruel mélange entre
Loft-story, les courses de chevaux et les spectacles de gladiateurs.
Ces marathons avaient beaucoup de succès auprès du public et bien-sûr auprès des
organisateurs qui voyaient là une réelle possibilité d’enrichissement. Ils se sont importés
en Europe et surtout en France, et on constate que certains concurrents revenaient d’un
marathon sur l’autre. On peut aussi interpréter leur participation à ces compétitions
comme la réponse à un certain désenchantement. Comme si les marathons pouvaient
recréer une micro-société, avec ses nouvelles règles, aussi dures soient-elles, mais peutêtre aussi rassurantes puisqu’elles rythmaient un quotidien totalement pris en charge.
C’est en tout cas comme cela que j’interprète ces évènements et leur succès, et c’est ce
que j’ai voulu mettre en avant avec FLEISCH. Sans savoir précisément pourquoi les
personnages se sont inscrits, on sent que c’est une nécessité, et que ce marathon
représente soit la possibilité d’un renouveau, d’une reconnaissance tant attendue, ou
d’un foyer.
Un autre aspect essentiel de ces marathons que j’ai voulu retranscrire dans mon écriture,
est la place du « voyeurisme ».
Le public était non seulement très nombreux à venir voir ces évènements, mais il l’était
de plus en plus au fur et à mesure que les jours passaient. Il y a là, indéniablement, un
attrait du morbide, un attrait pour le suspens, l’accident, le spectaculaire. Mais qu’est-ce
qui « fait » le spectaculaire ? Ici, il s’agit de voir des individus diminuer, voir s’humilier,
mais qui se battent pour réussir et sur lesquels nous pouvons projeter notre empathie.
Le Maître de Cérémonie dans FLEISCH nous renvoie à cette question. Il est en lien
permanent avec le public, et loin de moi l’idée que ce spectacle mette en accusation le
spectateur de théâtre venu voir FLEISCH, il questionne la place de l’ « exhibition » et des
attentes du public.
FLEISCH, un regard sur l’exclusion :
FLEISCH transpose donc ces marathons de danse tels qu’ils existaient aux Etats-Unis
pendant les années 30, dans la société d’aujourd’hui. S’ils étaient à nouveau légalisés, qui
s’inscrirait à ces marathons et pourquoi ? Evidemment, je souhaite faire entendre les
échos qu’il peut y avoir avec la crise économique que traverse l’Europe aujourd’hui, mais
aussi, et surtout, la mise à l’épreuve d’une certaine humanité dans un contexte propre au
performatif et à l’exploitation de la détresse et de la perdition.
Ces marathons résonnent aujourd’hui pour plusieurs raisons: le rapport à la
compétition, le besoin fiévreux de reconnaissance, le spectaculaire à tout prix, le
fantasme d’une possible ascension sociale et économique.
Il y a dans ce « danse ou crève », une sorte d’allégorie de notre société occidentale où l’on
cherche à aller toujours plus loin que les autres, plus vite, être toujours plus performant,
jusqu’à en perdre parfois notre lien à autrui et à ce qui nous constitue intimement et
dignement.
Les personnages sont en proie à la perte de leur dignité dans cette course aliénante vers
la réussite. FLEISCH est le parcours de chacun face à ce processus de déshumanisation :
les corps se bestialisent, le langage se perd, se distend, chacun s’isole, s’enferme, se
replie, pour continuer et rester debout. Dans cette compétition cruelle et impitoyable qui
cherche son audimat par la destruction et l'exploitation des concurrents, les
personnages vont, chacun à leur façon, tenter de relever la tête tant qu’il est encore
temps, et résister à cet anéantissement de leur volonté propre. Mais à quel prix ?
C’est un spectacle qui nous parle essentiellement de l’exclusion, de la mise au ban injuste
et aléatoire, de ce rapport à l’autorité quelle qu’elle soit, qui nous isole, nous stigmatise,
et que nous sommes tenus d’accepter.
C’est ça aussi dont nous sommes témoins face à FLEISCH : à la capacité/volonté de
rébellion ou non de ces personnages face au pouvoir incarné ici par la figure du Maître
de Cérémonie.
Dans la représentation des concurrents, il est important pour moi de ne pas les
stigmatiser, les enfermer dans ce qui serait une caricature de ce pourquoi ils sont là, à
savoir la plupart du temps, la nécessité économique. Je voulais jouer avec ces codes
sociaux, sans les rendre « anecdotiques », et il me semble que les marqueurs de la
pauvreté aujourd’hui ne sont pas les mêmes que dans les années 30. Ainsi, je mets
davantage l’accent sur l’éclectisme de ces présences au plateau, caractérisant ainsi une
classe moyenne dans son ensemble, et non pas dans un encrage économique et social qui
pourrait être réducteur ou caricatural.
Je cherche à sortir ces marathons de leur seul contexte économique, pour les tirer vers
une lecture plus générationnelle, interrogeant ainsi notre rapport à la vacuité. Comme un
huis-clos réunissant les héritiers de cette « génération perdue » dont nous parlons à
nouveau beaucoup aujourd’hui.
Comment ne pas se laisser abattre par ce désenchantement permanent où les seuls rêves
qu'on semble nous proposer, sont ceux de la propriété matérielle et d’une notoriété
éphémère et illusoire ?
Le TITRE :
FLEISCH en allemand signifie à la fois la viande animale et la chair humaine. C’est cet
amalgame que je trouve signifiant. On passe du bal à l’abattoir, et bientôt on se
demandera ce qu’il restera d’humain à ces personnages en déliquescence.
J’aime l’ambiguïté qu’il laisse entendre par rapport au traitement des corps
qu’impliquent ces marathons.
J’aime la sonorité de ce mot aussi, qui pour moi est tout autant signifiante, même si l’on
ne comprend pas l’allemand. Il y a le son du couteau sur le billot, de la viande qu’on
tranche. Et puis, je dois bien l’avouer, il y a aussi une référence intime à mon adolescence
et aux Comédies musicales que je dévorais inlassablement, notamment le célèbre
« FLASHDANCE ».
Pour finir sur le titre, j’aime aussi que ce soit un mot allemand, même si nous ne parlons
pas cette langue, nous entendons sa spécificité. Il n’y a pas de lien direct avec la culture
allemande que je connais trop peu, par contre, il est important pour moi que ce spectacle
soit le reflet d’une Europe qui est la nôtre. Celle dans laquelle nous avons grandi et que
nous voyons évoluer avec ses polémiques, ses remises en question, ses complexités et
ses perspectives incertaines.
Une ECRITURE PLURIELLE :
Ce projet rassemble à la fois un désir d'écriture et de mise en scène. Les deux sont
indissociables.
FLEISCH est né de l’envie de travailler sur divers langages, mêler une écriture
chorégraphique et une écriture musicale dans le cadre d’une situation dramatique
théâtrale forte basée sur un texte. Le pari est que théâtre, danse et musique soient traités
avec le même soin et la même nécessité, pour donner au spectacle une lecture qui soit
non seulement celle de l’histoire –la fiction- qu’on raconte, par la parole des 5
personnages mais aussi par le prisme d’une lecture davantage sensorielle, voire
abstraite, qui serait celle du travail physique des interprètes et de la composition
musicale.
Mon écriture ne cherche pas le réalisme, mais plutôt à retranscrire les sensations de ces
corps qui luttent. Je cherche à créer une tension étrange entre ces corps éprouvés qui
chutent et disparaissent et le langage qui tente malgré tout de maintenir la pensée et le
lien à l’autre.
Et quand le corps perd peu à peu ses attributs humains, la parole cherche encore à se
tenir, mais se fait plus rare.
©Jeanne Garraud
RESUME de la pièce :
Oscar, le maître de Cérémonie, organise à nouveau un marathon de danse, en suivant les mêmes
règles que celles d’autrefois mais avec les modes et les exigences de l’audimat d’aujourd’hui :
danser en couple le plus longtemps possible sans s'arrêter, avec uniquement une pause de 10
minutes toutes les heures, et espérer dépasser le record détenu en 1931: plus de 7 mois de danse
non-stop. Le couple gagnant, celui qui résistera à cette cruelle compétition, remportera, à priori,
une importante récompense.
FLEISCH se situe dans une salle de bal désuète, et réunit une centaine de participants venus
tenter leur chance, relever le défi dans l’espoir de s’échapper de leurs difficultés sociales et
économiques, et réintégrer une société dont ils se sentent exclus.
Oscar leur promet célébrité, richesse et gloire, ou au moins de se faire remarquer par quelques
personnes importantes du public susceptibles de leur offrir un emploi une fois le marathon
terminé.
Et ils sont prêts à tout pour réussir, ils acceptent donc les règles de cette compétition qui se
transforme peu à peu en boucherie. Les corps s’épuisent, se fatiguent, tombent, entrainent les
autres, tentent de résister, ils chutent et disparaissent progressivement.
Au milieu de cette centaine de participants, on s’attache plus particulièrement à deux couples :
Susy et Hadrien, jeunes et beaux, habitués des marathons, amoureux depuis l’enfance, ils sont là
pour se faire remarquer par d'éventuels producteurs et réaliser ainsi leur rêve de gloire.
Jeanne et Clément se rencontrent à l'occasion de ce marathon et vont apprendre à se découvrir
et à s’apprivoiser. Ils sont venus tous deux pour des raisons différentes. Clément par nécessité
économique et aussi par défi personnel, comme un jeu pour échapper à son quotidien morne et
prédéterminé, et Jeanne par désillusion, comme un dernier possible à une vie qui lui échappe, un
dernier sursaut.
Ce marathon durera trois mois. Les couples dansent, présentent des numéros pour s’attirer les
faveurs du public, le quotidien s’instaure créant amitiés et inimitiés dans cette proximité
contrainte. Le temps passe et la fatigue devient de plus en plus insupportable, jusqu’à ce que les
corps ne soient plus que dans la mécanique de la survie, et que la pensée humaine, le langage
même, disparaissent.
De l’homme à la bête. « A l’abattoir au moins c’est propre », dira Hadrien.
Oscar cherche à créer de plus en plus d’évènements pour garantir toujours plus de spectaculaire,
il met en place une épreuve d’endurance avec une chorégraphie collective et sélective : le DancePool. Les couples sont de moins en moins nombreux jusqu’à ce que ne restent plus sur la piste
que Jeanne, Clément, Susy et Hadrien. Sous la pression d’Oscar, les couples s’inter-changent et se
trahissent.
A bout de souffle et d’espérance, de plus en plus humilié, transformé à jamais par cette épreuve
de trois mois, Clément décide finalement d’arrêter le jeu. Quant à Jeanne, figure tragique et
sacrificielle, elle ne peut pas envisager de retourner à l’extérieur et retrouver cette vie qui lui
semble si dénuée de sens et d’exaltation.
Hadrien et Susy, seuls survivants de cette compétition, remportent finalement une victoire bien
amère. Mais leur sera-t-il seulement possible de se retrouver ?
ECRITURE CHOREGRAPHIQUE :
Avant tout comédienne, je danse depuis l’enfance, et je dois reconnaitre que les comédies
musicales sont une de mes références incontournables. Je crois tout autant en
l’importance de la fiction théâtrale qu’au sensible et à l’abstraction de la danse. Avec
FLEISCH, je veux que ces deux disciplines soient indispensables l’une à l’autre, et si la
situation est éminemment théâtrale, nous basculons peu à peu dans une écriture des
corps qui échappe au réalisme. Le corps peut alors retranscrire l’indicible, l’intime, le
non-avouable.
Avec les interprètes, nous nous sommes interrogés sur la nature de la danse de couple
aujourd’hui. Aujourd’hui où les danses populaires sont majoritairement des moments
solitaires, voire de compétition (les Battle, les concours etc.), comment la contrainte de
danser en couple peut être porteuse de jeu et donner à voire de manière étonnante les
diversités d’énergies et de rapports intimes à la danse ?
Nous explorons donc au début du spectacle une danse ludique et personnelle, une danse
qui crée le lien à l’autre et un certain plaisir collectif. Puis la danse se transforme au fur
et à mesure par l’épuisement des corps. L’autre devient alors soutien, béquille. La fatigue
et la répétition peut amener à une sorte de transe, d’oubli de soi et des codes sociaux.
Les regards s’absentent, les corps s’affaissent et s’isolent, l’écriture chorégraphique peut
alors nous amener à des propositions tout à fait surprenantes.
Je veux travailler avec des comédiens / danseurs, parce que chacun des personnages à
un parcours dramatique, un texte à défendre, ainsi qu’une partition chorégraphique
précise.
L’écriture chorégraphique va néanmoins chercher dans la spécificité des corps et du
mouvement comme vecteur de quotidien, de maladresse et d’étrangeté aussi parfois.
Comment donner à voir le temps qui passe et se répète par le mouvement et l’évolution
des corps ?
Comment donner à voir la souffrance physique mais aussi la chute des masques sociaux
pour révéler jusqu’à certaines de nos indécences ?
Sur la durée totale de ce spectacle, il y a une réelle évolution, les corps tombent et
disparaissent au fur et à mesure. La piste se vide jusqu'à ce que ne restent sur scène que
les cinq personnages principaux. Nous passons de la masse informe de tous les
participants, à la solitude errante des quelques survivants.
TRAVAIL MUSICAL :
La musique a un rôle essentiel pour accompagner ce marathon, elle va être
prédominante durant tout le spectacle. Et quand la musique disparaitra à certains
moments, ce sera pour davantage traiter les silences, les souffles des danseurs, leurs
solitudes.
Le compositeur Baptiste Tanné propose une réelle dramaturgie dans la musique. Il
travaille à partir de notre culture musicale contemporaine : électro, pop-rock, pour
l’amener progressivement vers une création davantage « impressionniste ».
La musique devient plus singulière, moins reconnaissable, jouant avec la réalité et la
brutalité de ces marathons, c'est-à-dire qu'elle utilise aussi le réel de la piste de danse au
présent de la représentation : les corps qui s’entrechoquent et tombent, les respirations,
les essoufflements, les pensées intérieures.
La musique doit rendre compte du sensible, doit permettre d'amener une étrangeté, une
intensité. Le monde sonore deviendra alors comme le reflet du monde intérieur, mental
et hypnotique, de ces danseurs à bout de souffle.
Il était important pour Baptiste et moi qu’il puisse jouer en live. Déjà comme référence à
la présence de l’orchestre dans ces marathons, et aussi pour créer un binôme avec le MC
représentant l’organisation. Surplombant la piste des danseurs sur une estrade, le MC et
le musicien observent les danseurs et agissent en fonction de ce qu’il se passe. La
musique peut ainsi avoir un double rôle : accompagner la danse, le spectacle, l’état des
danseurs, mais aussi pousser toujours plus loin l’énergie même au sommet de la fatigue.
Comme une provocation.
©Jeanne Garraud
Le travail avec le chœur des amateurs:
J’ai écrit ce texte pour cinq personnages : le Maître de cérémonie et deux couples de
concurrents dont nous allons voir l’évolution tout au long de ce marathon. A cette équipe
s'ajoutera en fonction de chaque lieu de représentation, un chœur de comédiens
amateurs formés en amont et par conséquent toujours différent.
Je trouvais indispensable la présence d’un sixième personnage qui serait l’ensemble des
concurrents éliminés progressivement. La pluralité des corps, des visages, des énergies,
convoque le « réel » sur le plateau, ce qui rend d’autant plus palpable et cruel ce vide
vertigineux quand ils disparaissent… et la solitude de ceux qui restent.
Voir vingt-cinq personnes au plateau est une force et une chose rare. Ce chœur véhicule
autant d’histoires, autant de vécus sur lesquels nous pouvons nous projeter en tant que
spectateurs, et cela me semblait essentiel pour raconter cette histoire. Ils ne sont pas des
figurants, et j’insiste là-dessus, ils constituent à eux vingt, une entité à plusieurs têtes. Je
cherche à développer chez eux le rapport à leurs « propres » danses, celles du lâcherprise et du plaisir, mais aussi à trouver ce qui est plus souterrain, l’inexprimable.
Dans la première scène, première soirée du marathon, il n’est pas encore question de
fatigue, et je cherche à voir des corps exaltés. Puis, après notre première ellipse, les corps
reviennent plus éprouvés. Je leur demande de ne pas « jouer » la fatigue, qui serait trop
réductrice, trop factice, mais à l’exemple des images d’archives, de chercher le « rien »,
l’inexpressif, comme si tout avait disparu. Il y a dans ces visages qui reviennent sans
expression, une réelle violence, ils deviennent leur ombre, les témoins de leur absence
prochaine.
Au-delà du sens que leur présence apporte au spectacle, cela correspond à une vraie
conviction chez moi de créer plus de liens que ce qu’on a l’habitude de faire dans
une production plus « classique ». Le fait de travailler en amont avec un groupe de
personnes volontaires me permet déjà d’être en contact avec l’équipe du théâtre pour la
mise en place du groupe, et de venir plusieurs fois avant la représentation pour prendre
connaissance des lieux et des équipes. Et puis, cela nous permet ensemble de se
questionner sur le « territoire », c’est-à-dire à qui nous pouvons proposer ce travail,
comment provoquer de nouvelles rencontres, de nouvelles curiosités ? Le travail que je
propose est dense mais absolument accessible à toute personne même non
expérimentée, même non danseur. Et puis bien-sûr, cette perméabilité des pratiques
permet de mélanger le public, nous l’espérons, le jour de la représentation. C’est une
donnée essentielle dans ma conception de la mise en scène.
©Jeanne Garraud
La SCENOGRAPHIE :
Signée par Quentin Lugnier, la scénographie répond à une contrainte de départ : créer un
lieu unique, un huis-clos, suffisamment épuré pour laisser une piste sur laquelle peuvent
danser 25 personnes en même temps.
Il s’agissait également, avec les contraintes budgétaires qui étaient les nôtres de donner
à voir l’univers du MC, et sa contemporanéité. Nous avions plusieurs références, celle
d’un plateau-télé, mais je ne souhaitais pas réduire le champ d’interprétation de ce
spectacle seulement à la télé-réalité, et celle d’une salle de bal, sans que cela soit trop
désuet ni trop « disco ».
Quentin est donc parti sur deux éléments scéniques principaux :
-Une estrade à la fois élégante et scintillante, noire et pailletée, signifiant le
rapport au spectacle, surmontée d’un « compteur » géant, marqueur du temps qui passe
et des concurrents qui restent. Sur cette estrade, deux pupitres métallisés, l’un pour le
musicien, comme une géante enceinte, et l’autre pour le MC, avec une énorme tête de
cheval en suspension. A la fois tête de proue de cet espace, et créant une réelle étrangeté,
on peut y lire ce qu’il veut donner à voir de lui : la force et la puissance, tout autant que
l’insigne d’une boucherie chevaline, et bien-sûr un clin d’œil au roman.
-Un lustre de 7 rangées de LED multicolores qui évoluent entre des effets
lumineux tantôt festifs tantôt écrasants et blafards. Benoit Bregeault, éclairagiste, a donc
programmé un logiciel spécifique à cet élément scénographique fort.
Et enfin, autour de la piste, derrière une frontière floue et mouvante composée de 24
couvertures, l’équivalent des vestiaires des concurrents où l’intimité fait encore partie
du spectacle, et où tout est montré, que ce soit quand ils dorment, se changent ou se
lavent.
La scénographie :
©Jeanne Garraud
PRESENTATION DE LA COMPAGNIE :
« SEIGNEUR TIGRE, c’est un coup de trompette en tout son être quand il aperçoit la proie, c’est un sport,
une chasse, une aventure, une escalade, un destin, une libération, un feu, une lumière. Cravaché par la
faim, il saute. Qui ose comparer ses secondes à celles-là ? Qui en toute sa vie eut seulement 10 secondes
tigre ? » (Henri Michaux)
"La seconde Tigre" est une compagnie créée début 2014. C’est un tandem réunissant deux
artistes interprètes et créatrices, une comédienne, Pauline Laidet, et une danseuse, Hélène
Rocheteau, qui toutes deux se rencontrent sur la question centrale de l'investissement du corps.
Raconter pour et par le corps, bondir dans le jeu, dans l'émotion, dans la chair.
Eprouver le corps et ses puissances, brouiller les lignes entre corps social -tenu et sous contrôle- et
corps sauvage, ce corps dont chacun est fait, qui nous habite, nous porte, nous échappe, nous
submerge, nous dévaste, nous transforme.
Corps souterrain, brut, impudique, imprévisible, insoumis.
Corps transcendé et exultant.
Chacune avec leurs outils propres, à travers la voix ou le mouvement, elles se retrouvent sur cette
envie commune de placer la sensation au cœur de leur travail.
Créer le désir, le trouble, attiser les projections pour favoriser la perception intime du spectateur.
Que l'interprète et le spectateur, face à face tels deux tigres, soient tous deux aux aguets, en éveil, à
l'affût de ces secondes éphémères et intenses qui constituent le temps suspendu du spectacle.
Paroles et corps comme un mouvement commun, creuser tout à la fois ce qui nous donne à penser
comme à ressentir.
"Nous travaillerons côte à côte en préservant notre autonomie quant à nos envies de créations,
tantôt porteuses de projets, tantôt regards complices, interprètes ou collaboratrices.
"La seconde Tigre" est aussi un espace d'échange, d'émulation, de dialogue. Elle permettra la mise en
place de laboratoires de recherche personnelle et ouverte à d'autres artistes (vidéastes, musiciens,
photographes etc.)
Toutes deux pédagogues et en lien avec la pratique amateur, la transmission et la formation tiennent
également une place importante dans notre projet de compagnie."
Pauline Laidet et Hélène Rocheteau
www.lasecondetigre.com
L’EQUIPE:
Texte, mise en scène: Pauline Laidet
Chorégraphie : Pauline Laidet avec la complicité des interprètes.
Interprétation : Anthony Breurec, Antoine Descanvelle, Logan De Carvalho, Tiphaine
Rabaud-Fournier et Hélène Rocheteau.
Création musicale et interprétation : Baptiste Tanné
Création lumières : Benoit Bregeault
Scénographie : Quentin Lugnier
Régie générale et son : Jacques-Benoit Dardant
Assistante et coordinatrice des groupes amateurs: Lise Chevalier
Chargée de production : Aurélie Maurier - Le Bureau Ephémère
Chargée de diffusion : Lucile Perain
Graphiste : Lisa Lami
Regard dramaturgique : Myriam Boudenia
Retouches couture : Marie Lugnier
Photos : Maxime L’Anthoën, Lise Chevalier et Jeanne Garraud
PRODUCTION :
Production : La seconde Tigre
Créé en résidence dans le cadre du dispositif TRIDANSE ;
En coproduction avec le Vélo Théâtre (Apt), Ilotopie / Le Citron Jaune – Centre National
des Arts de la Rue (Port Saint Louis du Rhône), Le 3bisF – Lieu d'Art contemporains (Aix
en Provence), La Passerelle - Scène nationale (Gap), le Théâtre de Vénissieux et le Pôle
des Arts de la Scène – Friche Belle de mai (Marseille)
Avec le soutien de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, La Ville de Lyon, de la Spédidam, de
l'Onda et de Arts-Valley.
Avec l’aide du CND Lyon et Pantin, et du Théâtre de Vanves.
CALENDRIER DE TOURNEE 2016:
15 janvier : Théâtre de Vénissieux
11 février : Théâtre de Bourgoin-Jallieu
22 mars : Scène Nationale d’Aubusson
01 avril : Théâtre de Vanves pour le Festival « Artdanthé »
09 et 10 avril : Théâtre Paris-Villette // au Grand-Parquet de Paris
10, 11 et 12 mai : Théâtre de La Croix-Rousse (Lyon)
18 mai : Scène Nationale de Cavaillon
27, 28 et 29 mai : Festival Théâtre en mai au TDB-CDN de Dijon.
CONTACTS :
Pauline Laidet, metteuse en scène : 06.17.77.44.35
Aurélie Maurier, chargée de production : 06.60.98.57.69
Benoit Bregeault, régisseur : 06.64.5046.89
Lucile Perain, chargée de diffusion : 06.14.47.39.27
[email protected] // www.lasecondetigre.com //
REVUE DE PRESSE :
*L’Humanité – 4 avril 2016 – Jean-Pierre Léonardini
L
Le Populaire.fr :
BLOGS INTERNET :
I/O La Gazette des Festivals
www.iogazette.fr
//
FLEISCH
Par Sabrina Weldman - 15 avril 2016
Pauline Laidet a réécrit « On achève bien les chevaux », roman d’Horace McCoy et film
mythique qu’elle transpose aujourd’hui. On achève bien les chômeurs… Sourire affiché, une
douzaine de couples s’élancent, avides de s’exposer et de remporter l’argent du marathon
qu’un Maître de cérémonie pervers, secondé par un guitariste, a imaginé : ils danseront
toujours en restant en contact. S’ils fatiguent, ils sont éliminés. Jour après jour, ils s’affaissent,
perdent la notion du temps, glissent, s’agrippent à l’autre dans un vertige, vidés de toute
pensée, de plus en plus machiniques. De la viande en sursis. Notre jouissance face à la
destruction des autres est incommensurable. Mais l’auteur et chorégraphe retourne cette
monstrueuse pulsion scopique : le spectacle prend à la gorge les spectateurs.
REGARD EN COULISSE
www.regardencoulisse.com
Fleisch //Le Vendredi 13 mai 2016 à 20 h 10 min | Par Dan Renier |
Le spectacle Fleisch prend ses sources dans le roman et le film On Achève Bien les Chevaux. Plusieurs dizaines
de couples sont réunis afin de participer à un marathon de danse. Cet événement médiatisé et festif dans les
premiers temps ne laissera pas indemnes ses participants qui repoussent régulièrement leurs limites.
Alors que les marathons de danse ont eu leur heure de gloire pendant la grande dépression des années 1930
aux Etats-Unis (et dans une moindre mesure en Europe), Fleisch a une résonance particulière dans le contexte
actuel de crise économique et sociale, tant sur le plan national qu’international. Le format moderne de la
compétition organisée n’est pas non plus sans évoquer certains aspects de la télé-réalité parfois en quête
effrénée de sensationnalisme.
Pauline Laidet a fait le choix de retenir principalement des comédiens prêts à danser et des interprètes amateurs
plutôt que des danseurs professionnels. Cela apporte une forme de sincérité et de réalisme appréciable aux
chorégraphies supposées être réalisées par des citoyens ordinaires. Baptiste Tanné, à la guitare électrique et à la
table de mixage, crée une belle bande son surfant entre autres sur les rythmes technos, pop et rock.
Fleisch connaît deux phases contrastées. Le début du spectacle est plein de rythme, d’énergie, de couleurs, de
personnages… La deuxième phase est plus sombre, la plupart des participants ayant été éliminés et les derniers
qualifiés n’ayant plus la même vitalité après de nombreux jours de danse quasi sans interruption. Cette phase est
beaucoup plus tendue et plus lente. La sensation de huis clos est alors exacerbée. On peut supposer que
l’intention est de restituer la sensation d’une épreuve qui n’en finit pas pour les « rescapés » mais cela finit par
peser aussi quelque peu sur le spectateur dont l’attention se relâche plus facilement dans les derniers tableaux.
Fleisch met en avant deux couples au sein de la compétition. Les motivations de ces participants divergent mais
on aurait apprécié qu’elles soient encore plus explorées afin de prendre encore plus de recul sur les événements.
Les interprètes, dont Tiphaine Rabaud-Fournier et Hélène Rocheteau, incarnent avec conviction des
personnages prêts à payer le prix fort pour réussir cette épreuve. Avec leurs corps, ils représentent de façon
troublante des êtres au bord de la rupture physique et morale. Les danseurs sont à la fois manipulés et soutenus
par Oscar, le maître de cérémonie du marathon rendu charismatique par Antoine Descanvelle. Avec Fleisch, en
s’appuyant sur le théâtre et danse et plus globalement sur la représentation des corps, Pauline Laidet a créé une
œuvre audacieuse qui ne manquera pas d’interpeller le spectateur et de susciter le débat.