Corpus 1 - Feldenkrais France
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Corpus 1 Bulletin de l’association Feldenkr ais Fr ance n°61, Mai 2009 Page 2 Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 3 Tout sur l’Association Feldenkrais France Éditorial Par Jean-Marc Soudon Composition du Conseil d’administration Orphal Annette; Gézélius Helena; Kraus Tania; Lainé Xavier, Soudon Jean-Marc; Cesselin Brigitte; Vincent Rouche; Michèle Guerra. Composition du bureau Président: Jean-Marc Soudon , Courriel: [email protected] Vice-présidente, représentante EUROTAB council et IFF: Annette Orphal, 6 square des Néerlandais 91300 MASSY; tel: 01 69 20 64 70; courriel: [email protected]. Trésorier: Vincent Rouche, [email protected] courriel: Secrétaire Générale: Héléna Gézélius; courriel: [email protected]. Composition des commissions Commission post-formations: organisation des post- formation; enregistrement des stages, vidéo et transcription Brigitte Cesselin. Commission de rédaction du Bulletin: collecte et mise en page du bulletin, Xavier Lainé, 94 avenue Maréchal de Lattre de Tassigny, 04100 Manosque, tel: 0492725481, port: 0670934417; courriel: [email protected]: Commission lien avec les organisations internationales: Annette Orphal , Helena Gezelius, , Michèle Guerra Commission communication: dossier de presse; coordination du groupe «Plaquette de présentation de la méthode»; brainstorming et questionnaires; Vincent Rouche Commission traduction: Tania Kraus, 3 rue Velouterie 84000 Avignon; tel: 0490855278; courriel: [email protected] Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 4 Liste des documents disponibles auprès de Feldenkrais France Polycopiés de post-formation et autres documents réservés aux praticiens ou étudiants autorisés (3e et 4e année) Enseignant Date du stage Thème Durée P .U. Russel Delman Oct. 2004 Trouver le neutre : se mouvoir de la peur à l’amour 5 jours 22€ Suzan Pinto Sept. 2002 Travailler à l’intérieur de la cavité buccale 3 jours 15€ Francesca White Juin 2002 Améliorer le confort du plancher pelvien pour les femmes 3 jours 15€ Paul Newton Avril 2002 La torsion sur le ventre 3 jours 15€ Paul Newton Mai 2001 La torsion sur le dos 3 jours 15€ Mara.Della Pergola Sept. 2001 Donner une IF à partir du bras 3 jours 10€ Elizabeth Beringer Avril 1999 Post formation Aix en Provence 4 jours 15€ Russell Delman Avril 1998 Post formation + week-end public 7 jours 22€ Russell Delman Avril 1996 Approfondir le processus de pensée + Incarner sa vie 7 jours 22€ Russell Delman Oct. 1994 Perfectionner l’idée directrice des leçons 5 jours 15€ Josef della Grotte Oct. 1996 Leçons pour marcher et courir 3 jours 10€ Josef della Grotte Mai 1997 Leçons combinées PCM-IF la marche + position 3 jours assise dynamique 10€ Yvan Joly Juillet 1996 Juillet 1995 L’émergence et la reconnaissance du fil conducteur L’intégration fonctionnelle comme processus artistique 7 jours 22€ 5 jours+ WE public 15€ Yvan Joly Juillet 1993 De la conscience du squelette dans l’espace à la conscience de soi dans l’environnement 5 jours 20€ Yvan Joly Juillet 1992 L’art de composer une leçon en fonction des besoins de l’élève 5 jours 20€ Angele Dibenedetto CD de photos PCM - IF Qté Prix 12€ Documents pour praticiens et étudiants en formation Carl Ginsburg Angele Dibenedetto Moshé Feldenkrais À la source de l’IF Juillet 1995 1972 15€ Week-end public Annecy 2 jours 7€ Séminaire d’Esalen 43 PCM 30€ 377pages Moshé Feldenkrais 1976 Classes du soir San Francisco 78pages 20€ Moshé Feldenkrais 1974 London workshop A paraître 25€ Total documents : -----------€ + Frais d’envoi : -----------€ Total commande : -----------€ Adresse d’envoi des documents : -------------------------------------------------------------------------------------Frais d’envoi : 1 à 2 polycopiés : 7€, sauf Esalen, très volumineux qui compte pour 2 polys. Pour des envois plus nombreux, merci de contacter Elsa au 01 60 19 39 33 ou [email protected] pour connaître les frais d’envoi exacts, avant d’envoyer votre commande. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Devenir trainer : transmettre un chemin de responsabilité Page 5 individuelle et collective Quelques mots de François Combeau pendant l’AG 2008 à propos de son nouveau statut de « trainer » En fait, c'est avant tout un hommage que je voudrais rendre. Pour moi, devenir trainer, ce n'est pas quelque chose de très extraordinaire, c'est la suite d'un processus qui a été long, laborieux, difficile, et dont on est content qu'il soit derrière. Mais cet hommage, c'est pour tout ce qui a fait que je suis là où je suis aujourd'hui, dans ma pratique, dans ma vie. Et quand on parle de l'association, quand on parle du travail Feldenkrais en France, quand on parle des différents niveaux de pratique dans la communauté, finalement je crois qu'il ne faut jamais oublier ce qui a permis que nous soyons soit là où nous sommes aujourd’hui, individuellement et collectivement. Bien sûr ce n'est peut-être pas aussi loin que là où nous le souhaiterions dans l'absolu, ce n'est jamais idéal, mais ça s'est construit sur un vrai cheminement. Nos deux cheminements, à Myriam Pfeffer et moi-même, sont différents. Myriam, elle, a été en contact depuis les premiers jours avec un homme qui s'appelle Moshé Feldenkrais, et qui, du coup, a une charge, une valeur, qui est très individuelle, qui est très particulière, très intime. Pour moi, le premier hommage que je rendrais, intellectuellement il est peut-être à Moshé Feldenkrais, mais dans mon cœur, dans ce que j'ai vécu, il est pour ceux qui nous ont transmis ce travail. Je suis d'une génération qui n'a pas connu Moshé Feldenkrais. Par contre, j'ai connu son travail, j'ai connu ses idées, j'ai développé ses principes grâce à des personnes qui nous les ont transmis. Et dans mon histoire, la transmission, c'est bien ce qu’il y a de plus essentiel. J’apprends des autres, de l’interaction, de la confrontation. Les principes peuvent être extraordinaires, les idées peuvent être merveilleuses, s'il n'y a pas quelqu'un pour les transmettre dans le sens noble du terme, pour nous amener à les vivre au-dedans de nous, elles restent vides de sens, où au mieux nourrissent le mental et l’intellect. Et de toutes ces personnes qui m’ont transmis, la première, et je suis et me sens son élève, c'est Myriam Pfeffer évidemment. C'est aussi Gaby Yaron, qui n'est plus là aujourd'hui, c'est Ruthy Alon, Anat Baniel , Chava Chelav, et tant d’autres, c'est toutes ces personnes qui nous ont formés, qui ont su crée pour nous ces environnements d’apprentissage, ces situations de questionnement, ces occasions de nous sentir, d’apprendre. Quand on parle des formations professionnelles, on a tendance évidemment à penser qu'entre Paris 1 et Paris 12, il y a eu une vraie évolution ! Je dirai des changements c’est sûr mais une évolution... à voir… Il faudrait d’abord définir de quoi on parle… Je suis heureux de voir dans la pièce des personnes qui ont partagé avec moi cette première formation, la seule qui existait à l’époque... Il y avait dans un coin de la pièce une télévision avec des vidéos de Moshé (parce que c'était imposé par la fondation). Le premier segment, c'était la voix de Moshé qu'on entendait, et toutes ces personnes qui enseignaient, faisaient la traduction de ce que le maître disait. Et puis on a « pété les plombs », excusez- moi l'expression, au bout de deux segments, on a dit : «On ne veut plus entendre le son.», nos enseignantes ont répondu : «soit, mais on garde l'image pour suivre le processus.» Ça a duré le temps de la première année, je crois. Et puis, s’affranchissant de cette contrainte « vidéo », toutes ces personnes qui étaient là, tous ces trainers qui étaient là (et qui étaient jeunes dans le métier de trainer, puisque Moshé était décédé l'année précédente), ont pleinement joué leur rôle de transmetteur, ont teinté leur enseignement de leurs passions, personnalités, centres d’intérêts, et tout est devenu absolument fascinant, tellement plus vivant et créatif. Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 6 D’ailleurs quand des années après nous nous rencontrions entre praticiens, nous parlions de la version de telle leçon donnée par Myriam à tel endroit, de la façon dont Gaby avait abordé tel thème, de la leçon de Ruthy… C’était personnel, vivant, créatif. Au fur et à mesure, ce rôle de transmission active s'est développé et est devenu de plus en plus essentiel pour le devenir même de ce travail. Ce n'est pas qu'on s'éloignait de ce qui a été à l'origine, ce n'est pas qu'on prenait de la distance par rapport à ce que Moshé Feldenkrais avait développé avec tellement de génie et d’intelligence, c'est plutôt que chacun faisait sien ce travail, le teintait, l'actualisait. Nous pouvions le vivre pleinement à travers des parcours personnels, à travers des histoires de vie, Myriam a la sienne, Gaby avait la sienne, chacun a la sienne qui est particulière, et moi aussi en tant qu’individu, j'ai la mienne… Chacun de nous a une histoire de vie particulière qui va teinter la transmission, riche de ce que nous sommes, de ce que nous avons vécu, de ce qui nous habite, de nos rêves et aussi de nos limites. Et c’est ce qui est beau, ce qui est créatif, ce qui est fascinant et riche… Et donc l'hommage que je voudrais rendre, il est à tous ceux qui m'ont transmis ce travail, ces pratiques, ces principes. Je suis en train d'écrire un mail à ces personnes qui m'ont transmis pour les en remercier, et je me rends compte qu'il y en a une bonne trentaine. Oui, J'ai eu la chance de travailler avec trente trainers différents. Et chacun d'eux a enrichi mon vécu, mon expérience de ce travail. Chacun d'eux m'a présenté avec un vocabulaire dynamique qui lui est propre, une version, une point de vue, une façon de regarder qui lui est particulière, qui lui est spécifique, et qui est riche parce qu'elle est différente. Je suis de cette génération qui a été formée avant que l’on enregistre et distribue les séances des formations, avant le matériel publié, avant le MP3, avant tout ce qu'aujourd'hui on croit indispensable pour apprendre, mémoriser, comprendre, respecter l’essence de la méthode Feldenkrais. Et c’était « un moins » dit on souvent, et moi je dis haut et fort c’était « un plus ». Pourquoi ? Je voudrais tenter de le partager ici. Lorsque je regarde dans cette salle, et avant de venir j'ai regardé la liste des praticiens, la liste des personnes qui ont été formées avec moi à Paris 1, celles des formations suivantes, mais c'est extraordinaire ce que ces praticiens font aujourd’hui, ce qu’ils sont devenus, ce qu’ils ont créé Créer sans matériel, sans MP3, sans transcription des leçons d'Alexander Yanaï, sans tout cela, mais avec la mémoire de ce qu'ils avaient vécu grâce à ces personnes qui ont transmis. Ils ont tous, en tout cas tellement d'entre eux, développé un travail merveilleux. Nous n'avions rien d’autre à notre disposition que notre mémoire, que tous ces vécus glanés au cours des PCM’s et pratiques d’IF pendant nos formations et post-formations. Mais quelle richesse que ces vécus… Je me souviens, au Stade Français, où avait lieu notre formation, on avait Myriam, on avait Gaby, deux personnalités complètement différentes mais elles étaient là tout le temps, jour après jour avec nous, transpirant l’enthousiasme, la passion de vivre, la curiosité. Et l’on passait d'une PCM à l'autre. Et c'était «Allongez vous, faites ci, faites ça...» et une fois debout, c'était «Waouh !». Une demi-heure après, « allongez vous de nouveau », on refaisait une PCM, et l’on se remettait debout, incroyable !!!, ce que l'on sent ! À la fin de la journée, nous passions du temps avec nos collègues de formation pour tenter de retenir tout cela. Nous avons ainsi passé des heures à écrire « notre mémoire », à mettre des mots personnels, à dessiner, traduisant ce que nous avions vécu, plutôt qu’une sorte d'absolu descriptif de ce qu'étaient ces leçons. Mais ce qu'on avait vécu. Et ce qu'on avait vécu grâce à des transmetteurs et ces situations qu’ils créaient une après l’autre, toujours dans l’interaction avec nous, sur la base évidemment d'un travail très rigoureux, très précis que nous reconnaissons tous, qui est celui de Feldenkrais. Donc il y a eu tous ces trainers pendant notre formation, et ensuite, pendant les post-formations, pendant les séminaires, pendant vingt années de travail nourries, par des transmissions. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 7 Tellement que, lorsque l’on regarde mes fiches de stage (puisque je prends des notes toujours après les stages ou séances que j’anime, à propos de ce que j'ai fait, plutôt qu’avant d’enseigner. Je prends des notes après parce que ça nourrit ce que seront les stages futurs. Je ne passe pas des heures à préparer un stage, je passe des heures à revoir ce que j'ai fait) Eh bien sur ces notes, il y a des prénoms partout. Sur ces notes, ce sont des prénoms et des lieux. Myriam, Paris. Russell, Berlin. Elisabeth, Strasbourg, Anat, Chicago, Yochanan, Paris, Béatriz, Malmö. Et ces noms sont des clics qui rappellent dans ma mémoire ce que j'ai vécu dans cette situation, ce sont les arbres aux essences variées de la forêt dans laquelle je me promène lorsque j’enseigne. Ce que j'enseigne aujourd'hui, là où j'en suis arrivé, c'est grâce à ce que j'ai vécu, beaucoup plus que grâce à ce qui au matériel qui est publié. Ce matériel qui est publié, pour une bonne part je me suis personnellement battu avec beaucoup de conviction et d’énergie, parfois contre vents et marées lorsque j’étais président de la Fédération Internationale Feldenkrais. Je me suis totalement engagé pour qu’il reste dans « la communauté » et soit disponible aux meilleures conditions, pour chacun et chacune, praticiens, formateurs… Je me suis battu et engagé pour qu'il soit traduit, transmis, etc. Mais lorsque je l'ai fait, je pensais que ce matériel serait une véritable bibliothèque de références, serait un endroit où chacun avec sa créativité, chacun avec ses passions, chacun avec son regard, irait puiser l'essence, les pratiques, les idées et surtout les principes que Moshé Feldenkrais promenait avec lui et qu’il développait au gré de l’interaction avec ses élèves, de leurs besoins, de sa propre fantaisie. Je pensais que ce serait tout ce matériel qui serait une bibliothèque. Et je vois qu'aujourd'hui, ce matériel est devenu une sorte de Bible. C'est devenu une sorte de catalogue raisonné. S’il y a peu de moments où je me mets en colère, il y a un pour sûr... c'est lorsque je suis en train de donner une post-formation, ici ou là, à l'étranger ou en France, et qu'à la fin d’une séance un praticien participant vient me demander «c'était quel numéro ?». Je réponds toujours avec un grand sourire idiot comme si je ne comprenais pas la question : « pourquoi, qu’as-tu senti, découvert, vécu… » Ça veut dire quoi ? Oui je comprends. Je comprends ce souci d'avoir de l'écrit, du concret sur le papier, je comprends ce souci de mettre en mots, je comprends ce souci de suivre l'évolution du monde d'aujourd'hui, d’une certaine idée de la professionnalisation, qui demande qu'on ait des références, qu'on puisse prouver, bref, tout ce que l'on connaît aujourd'hui… Mais est-ce que la vérité d’une leçon se réduit à un texte, si élaboré soit-il ? N’est-ce pas l’interaction qui fait la leçon et sa spécificité ? Cela veut dire ce que l’on dit en fonction de ce que l’on observe dans les réactions et développement des élèves ; ce que l’on propose comme consignes et variations, qui tient compte de l’environnement, des personnes présentes, de leurs demandes, du contexte social, culturel, professionnel ; la perception de l’intonation, du rythme de l’enseignant qui souligne, ponctue, attire l’attention. Non seulement le « quoi », mais aussi le comment. Si nous voulions témoigner d’une situation d’apprentissage, d’une leçon, c’est tout cela qu’il faudrait écrire et mettre en mots. Le texte à plat de la leçon n’est pas la leçon dans sa vérité. Il ne faudrait pas oublier aussi une chose : ce qui nous transforme, c'est ce que nous vivons. Ce n'est pas ce que nous savons, ce n'est pas ce qui est dans les dossiers, ce n'est pas ce qui est dans les livres, ce sont les vécus. Et un vécu, cela suppose une situation dans laquelle on vit. Pour que cette situation existe, on a besoin de quelqu'un qui crée les conditions, et c’est ce qu'est un praticien à mes yeux, rien d'autre. C'est quelqu'un qui, grâce à tout ce qu'il a fait, grâce à cette expérience personnelle, pendant le travail de la méthode mais aussi dans sa vie propre, devient capable de créer un environnement dans lequel l'autre en face va pouvoir vivre quelque chose, apprendre, se découvrir dans ces possibles... Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 8 Ce que vit un élève ne nous appartient pas, ça peut aller ensuite dans des directions qui sont totalement étrangères à ce que l'on avait prévu, mais ce sont ses lieux de vie. J’essaie dans mon travail de rester le plus proche possible de cela. De ce point de vue, je me sens un élève de Myriam, un élève de Gaby, un élève de cette première génération de transmetteurs. Myriam et Gaby (et tant d’autres) ne nous faisaient pas de grandes théories, de savantes conférences, elles ne citaient pas des tas de choses extraordinaires, elles ne se répandaient pas en mots ou en formules. Elles savaient créer un environnement dans lequel on vivait quelque chose qui nous marquait, nous impressionnait au sens littéral du terme. Et chacune d'elle, Myriam et Gaby, est un bon exemple, comme le savent toutes celles et ceux, ici, qui les ont connu. Elles étaient aussi différentes l'une de l'autre qu'on peut l'imaginer. Myriam, avec sa voix, avec sa façon de nous entraîner dans un véritable monde sensorimoteur, que vous connaissez tous, et il y avait Gaby qui était une espèce de -- pardonnez moi l'expression car je l'adorais -une espèce de rentre-dedans, qui avait une énergie incroyable et nous bousculait, nous bougeait sans répit ! Ces deux personnes : l'une était très grande, l'autre était moins grande. L'une avait une voix forte et décidée, l'autre avait une voix douce et modulée. L'une nous donnait le temps de faire les choses et de sentir, et l'autre nous poussait avec énergie « on y va, et voilà, c'est facile, et voilà ! » Et chacune, avec sa personnalité, nous a transmis ces principes, chacune avec sa personnalité nous a donné à vivre, à sentir, à questionner, à digérer... Ce que j'espère, c'est que nous allons continuer à aller dans cette direction, même si ce n'est pas dans la direction de ce que la société nous propose et demande aussi aujourd'hui. (Mais M. Feldenkrais n'a jamais été dans le sens de ce que la société proposait ! Il était en avance, il était ailleurs, en amont et au-delà en même temps). Donner à vivre plutôt que donner à penser, donner l’occasion de vivre la vie plutôt que de l’expliquer. Rester dans le domaine tellement riche de « l’expérientiel » et de la connaissance vécue, plutôt que du savoir. Rester du côté de l’apprentissage organique plutôt que de l’apprentissage académique… Oui, aujourd'hui, on nous demande d'avoir des diplômes, oui aujourd'hui on nous demande, pour avoir ces diplômes, d'avoir fait des études sur un certain nombre de sujets, oui on nous demande de donner à nos élèves des paquets d'information, des supports pédagogiques, de mettre sur CD, de mettre sur papier. Oui, tout cela, la société nous le demande et finalement nos élèves nous le demandent… mais... Il n'empêche que nous savons tous, au fond de nous-mêmes, que ce n'est pas cela qui changera quoi que ce soit. Parce que s'il faut faire évoluer le monde d'aujourd'hui, c'est en créant ces lieux de vie dans lesquels chacun va pouvoir vivre une expérience profonde, qui fait que ça le touche au plus profond de son être, là où parfois il ne le sait pas encore, ne le sent pas encore. Et bien sûr, on peut être touché quand on lit un livre ou un article, par quelque chose qui nous remue intérieurement. Mais ce n'est pas la théorie qui nous touchera intimement, ce n'est pas l'explication de la vie qui nous touchera dans notre chair, c'est de vivre. Et toutes ces relations que l'on cherche aujourd'hui à créer, à juste titre, avec le monde scientifique, avec les recherches, sont intéressantes, captivantes parfois, mais n'oublions jamais que la science est LOIN en retard sur la vie. Qu’elle tente simplement d'essayer d'expliquer pas à pas une vie organique qui la dépasse, et qu’elle doit aborder par le petit bout de la lorgnette (il faut discuter avec eux, il faut travailler dans les laboratoires de recherche pour voir comme c'est petit petit petit comme lunettes... Ils essaient de clarifier de petites choses, mais rarement dans leur contexte global, simplement parce qu'aucun laboratoire aujourd'hui n'est capable d'expliquer la vie). Alors oui, bien sûr, on peut s'enrichir -- et il est souhaitable de mon point de vue de le faire -- s'enrichir de ce que tout le monde dit, des livres qui sont écrits, des recherches que font les uns et les autres, mais sans oublier que si on se situe au cœur de la vie, au cœur de l’action (qui comme le disait M. Feldenkrais est indissociable de l’intention vraie, de l’environnement et de l’émotion sousjacente), on est loin loin, loin de toutes ces recherches. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 9 Que même si certains aujourd'hui ont fait des recherches extraordinaires sur ce que fait le cerveau quand on lève le bras, dans la vie quand on lève le bras il se passe mille autres choses. La vie n'est pas quelque chose que l'humain pourra expliquer, parce qu'il y a un principe fondamental en systémique, qui est qu'un système ne peut jamais se comprendre lui-même. Et pour tenter de se comprendre, ce qu'il fait en général, c'est de réduire son champ d’investigation et son point de vue. Il réduit la lorgnette pour pouvoir donner des explications sur les phénomènes. Nous essayons d'être au cœur de la vie, pas de la regarder d'un certain point de vue. Oui, certains d'entre nous sommes plus portés vers la recherche, plus intellectuels, plus passionnés par cette mise en mots des choses. Mais n'oublions pas tous ceux qui, là où ils sont travaillent, développent, créent, transmettent ; et il y en a des centaines en France, il y en a des milliers dans le monde. Des praticiens et praticiennes que l’on n'entend jamais, qui ne parlent pas, qui ne savent pas mettre des mots sur ce qu'ils font, mais qui sont au cœur de la vie avec leurs élèves. Et ce sont eux qui font bouger le monde. Ce sont eux qui, là où ils sont, tels qu’ils sont, font bouger les choses. C'est chacun de nous, là où nous sommes, même si nous ne savons pas l'écrire, chacun de nous quand il crée cet environnement, donne une chance à des personnes de vivre quelque chose d'unique qui les concerne et qui va les amener à se transformer, qui va les aider à bouger, et qui va faire des petits là où on ne le sait pas encore. Peut-être que l'un des rôles de notre association est aussi d'aller à la découverte de ces lieux de vie, de ces praticiens dont on ne parle pas, qui ne parlent pas de ce qu’ils font dans la simplicité et la vérité de leur pratique. Non seulement pour découvrir ce qu'ils peuvent raconter, mais de voir ce qu'il se passe et d'aider, peut-être, à mettre en mots, dans certains endroits, ou avec certaines personnes, ces expériences fantastiques. Moi je trouve qu'il y a des personnes dans notre communauté qu'on n'entend jamais, et qui ont fait des choses vraiment étonnantes, qui ont eu des idées incroyables ! Ça, c'est la richesse de notre travail, c'est la richesse de la communauté. Ma richesse, si tant est qu'il y en ait une, c'est mon parcours parsemé de rencontres, d’expériences, de découvertes, de ruptures, de confrontations… Et ce parcours-là, il est totalement individuel. Ce que j'ai trouvé souvent très difficile dans ce long cursus pour devenir trainer, c'est qu'à tellement de moments, j’ai eu la sensation qu’il me fallait cacher, gommer ce qui venait de mon propre parcours de vie, au profit de ce qu’il fallait faire, de ce qui était écrit, communément admis, qu’il me fallait entrer dans des cases, entrer dans l'enseignement de leçons numérotées, codifiées, pour entrer dans ce qui devrait être, mais je ne peux pas être autre chose que ce que je suis. Et ce que je suis, c'est pour partie ce que j'ai vécu, grâce à la transmission des uns et des autres, et pour partie l'histoire de ma propre vie. Elle a ses propres vérités, ses enthousiasmes, ses traumatismes, ses propres joies, ses propres... comme nous tous. C’est aussi trente-cinq années d’enseignement bien remplies et passionnantes. Ce que j'essaie d'enseigner aujourd'hui, c'est cela. Je ne serai peut-être pas un trainer comme il faut, mais je ne pourrai pas changer là-dessus parce que je ne ferai pas de compromis sur ce que j'enseigne. C'est ce que je suis et je ne pourrai jamais enseigner autre chose que ce que je suis. Si tout cela trouve sa place dans le cadre de la « communauté » telle qu'elle est aujourd'hui, je le ferai volontiers, parce que pour moi, devenir trainer, c'est une responsabilité, et cela veut simplement dire transmettre à mon tour. Transmettre dans le sens de passer toute cette expérience de Moshé Feldenkrais, des personnes que j’ai suivies, et ma propre expérience de nouveaux transmetteurs. Si ça trouve sa place, c'est ma fonction aujourd'hui, c'est mon rôle, je transmettrai, je donnerai tout ce que je peux, avec enthousiasme, rigueur et responsabilité. Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 10 Si cela ne trouve pas sa place dans notre communauté, je continuerai (à mon grand regret) à transmettre là où je transmets déjà. À former des transmetteurs partout où il y a des personnes disponibles pour ce que je peux apporter, pour ces idées et ces principes tellement importants, nourriciers et pleins de sens dans notre monde d’aujourd’hui. La seule chose importante, c'est de transmettre, parce garder pour soi quelque chose qu'on a reçu, il faut juste Myriam l'a fait, à mon tour, je le fais, chacun de nous c'est dans un cadre particulier, même si ça ne s'appelle son boulot ordinaire... Transmettre…. que, c'est la loi de la vie, on ne peut jamais que ça passe. ici le fait, même s'il a deux élèves, même si pas un cours Feldenkrais, même si c'est dans Et ce que je souhaite, c'est que, de plus en plus, dans les formations, on ait ce souci de former des transmetteurs. Et qu'on aide chacun, y compris dans le monde d'aujourd'hui, qui est un monde difficile, à trouver une sécurité intérieure pour transmettre, celle qui vient des vécus profonds et fondateurs qui nous habitent. Pas seulement travailler sur « qu'est-ce qu'on transmet ? », mais aussi sur la « capacité de transmettre ». C'est le sens de toutes ces post-formations que j'ai faites, et que je continuerai à faire sur « l’art d’enseigner, de pratiquer la méthode Feldenkrais », non pas « quoi enseigner » mais « comment enseigner ». Et, à ce propos, je dirai que le deuxième hommage que je souhaite rendre et mes remerciements vont vers tous ceux qui m'ont fait confiance jusqu'à aujourd'hui. Et ils sont nombreux… Ce sont mes élèves, le public évidemment, (il y en a eu beaucoup pendant ces trente-cinq années d’enseignement et vingt années comme praticien et assistant « Feldenkrais » dans tellement de villes, de pays, de milieux différents), mais c'est aussi tous les praticiens et praticiennes qui, en France, comme dans les autres pays où j'ai travaillé, m'ont fait confiance comme assistant, ou plutôt comme transmetteur, sont venus suivre mes post-formations les vivre avec moi. Ils ont tous et toutes été cette partie essentielle de l’interaction qui m'a amené à réfléchir, à créer, à questionner et devenir ce que je suis aujourd'hui. Merci à tous, merci Myriam, merci Sabine, merci à tous les trente trainers que j'ai suivis, tous mes mentors dans ce long processus pour devenir trainer, tous les assistants qui ont été mes pairs et qui m'ont aidé, tous les praticiens que j’ai rencontrés, et, il y a une chose que je ferai c'est d'aller les chercher les uns et les autres pour qu'ils donnent un peu de leur expérience extraordinaire, elle est tellement riche. Merci à vous tous. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Une introduction à la Méthode Feldenkrais Page 11 Texte écrit par Myriam PFEFFER pour le Centre National de la Danse Décembe 2008 Je voudrais vous faire partager quelques idées tirées de mon expérience personnelle. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, étant adolescente, malade, sur les ruines il me fallait entreprendre de dissiper le brouillard, les obscurités, me reconstruire et réapprendre à vivre. Les médecins que j’avais consultés avaient tous conclu que je devais vivre avec mes souffrances étant donné mon passé, et me prescrivaient de nombreux médicaments. Avec tous ces « bons » pronostics, je me sentais quelque peu perdue, attristée et désorientée. Comment pouvais-je m’en sortir, où trouver de l’aide ? Alors que je bouquinais dans une librairie ésotérique, j’achetai un petit livre qui conseillait de pratiquer le yoga dont il vantait les bienfaits, d’apprendre à respirer, à se relaxer, à devenir végétarien etc. D’un livre à l’autre, je compris subitement que j’avais suivi avec passivité et apathie tous ces fameux bons conseils et que je devais prendre une part active dans le destin qui m’était réservé, devenir co-auteur de mon histoire. J’ai commencé à pratiquer toutes ces disciplines au point de pouvoir les transmettre. Munie de différents diplômes, j’ai ainsi commencé à les enseigner telles que je les avais apprises. A la même époque, on pouvait voir dans tous les journaux la photo du premier ministre Ben Gourion en train de faire le poirier à la plage. Il souffrait d’une hernie discale et grâce à Moshé Feldenkrais avait retrouvé un plein fonctionnement; sous forme de boutade, il disait que Moshé l’avait mis debout solidement sur les pieds avant de le mettre sur la tête. A la même époque je rencontrai rue de la Convention à Paris, une collègue avec laquelle j’avais pratiqué le yoga et que j’avais perdue de vue. Elle rentrait d’Israël où elle avait passé trois semaines à prendre des leçons chez Moshé. Elle me dit qu’il avait sauvé son dos et qu’elle recommençait à vivre. Elle était très étonnée que je n’en aie pas entendu parler puisqu’il était mondialement connu. Cette rencontre due au hasard, ou à la nécessité, fut pour moi décisive. En effet je sentais que dans ma façon d’aborder la santé, la vie, et dans ma responsabilité vis-à-vis de mes élèves, quelque chose d’essentiel était éludé. J’ai commencé alors dans ma tête à me diriger vers Moshé. LA RENCONTRE C’est en 1959 que je suis partie à Tel-Aviv. Le lendemain de mon arrivée, je me suis rendue à un cours rue Alexander Yanaï. Je suis arrivée dans une salle où une cinquantaine de personnes était couchée sur des tatamis ; Moshé proposait d’explorer des mouvements qui mènent de la position couchée au sol vers la position assise et debout par un enchaînement de mouvements en spirale, en apprenant le rôle de chaque partie du corps en vue de cette action. Les élèves faisaient le mouvement d’un seul côté, puis de l’autre côté en imagination. J’étais émerveillée par l’unité, la légèreté et l’élégance avec laquelle ils réalisaient cette chorégraphie dans l’intimité du corps. (Le vendredi matin la leçon était essentiellement destinée aux danseurs, aux comédiens et aux professeurs de yoga et d’arts martiaux). Je m’assis à côté de Moshé et il me demanda ce que je faisais dans la vie, je lui répondis que j’enseignais le yoga, la respiration, la relaxation, la diététique etc… Moshé hocha la tête. Je lui demandai à mon tour ce qu’il faisait : « Rien de tout ce que vous faites » me dit-il. Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 12 Je restai bouche bée. Certaines questions toutes simples peuvent renverser toutes les certitudes acquises. Quand je repris mon souffle, j’insistai en lui demandant : « Alors qu’est ce que vous faites ? », il me répondit simplement : « Allongez-vous et faites, alors vous comprendrez ! » LA METAMORPHOSE Je revins le lendemain avec une amie également professeur de yoga pour faire la leçon. Assises en tailleur pendant trois quarts d’heure, nous avons incliné la tête à droite et à gauche et nous sommes sorties avec des raideurs dans la nuque. Mon amie m’a dit qu’elle ne remettrait plus jamais les pieds dans cet endroit. Quant à moi, j’ai compris que je ne comprenais rien à ce que cet homme proposait, et du reste, lorsque je refis cette même leçon, j’en suis sortie avec une tête toute différente, légère comme un ballon gonflé d’hélium qui se dirigerait vers le ciel. J’ai compris que cette leçon n’entrait pas dans le cadre de tout ce que j’avais déjà appris, ni dans la manière de penser, ni dans la manière d’agir, ni dans mon attitude, et que je n’étais pas préparée pour comprendre. J’étais comme aimantée, j’allais au cours deux à trois fois par semaine et je participais chaque fois à deux séances de 45 minutes. Cela m’a pris pas mal de temps pour rentrer dans ce jeu. Je me suis d’abord trouvée dans un état de chaos et de grand désarroi. C’était une véritable remise en question. C’était un processus qui se jouait sur un tout autre registre que tout ce que j’avais appris jusqu’alors. Quand je suis arrivée chez Moshé, j’avais un sac plein de recettes, de réponses et de solutions. On pourrait presque dire un manuel de cuisine. Je faisais ce qu’il fallait faire, je mangeais ce qu’on me disait de manger, je me tenais « droite », j’avais une attitude positive etc… Tout cela par imitation et identification. Je suivais des modèles qui me contraignaient à refaire passivement des chemins tracés par autrui, sans poser de questions, sans y mettre ici et là des points d’interrogation. Des pièges me guettaient. Ces pièges dans lesquels on tombe si facilement et dans lesquels, hélas, beaucoup de personnes continuent de tomber. Je vivais dans le refuge des stéréotypes « connus et prévus », dans lesquels on sait où l’on va, dans la sécurité du « déjà fait ». Moshé n’avait ni recette ni solution, il considérait le mouvement comme un moyen, comme le terrain d’un apprentissage ludique, un ressort d’étonnement, d’éveil, de prise de conscience et de connaissance de soi. Fini le conformisme, la routine et l’inertie. LE GENOU DE MOSHE Les interrogations essentielles ne nous arrivent souvent, hélas, qu’après une maladie, un traumatisme ou un accident. Elles ne surviennent qu’après l’ébranlement de l’édifice solide qu’un être humain se construit pour la commodité de son existence. Moshé Feldenkrais s’était grièvement blessé au genou gauche en jouant au football. Les médecins lui proposaient une intervention chirurgicale tout en lui disant qu’ils ne pouvaient promettre plus de 50% de réussite. Après avoir reçu toutes sortes d’autres soins, il décida de « réparer » tout seul son genou malgré l’avis des médecins. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 13 Moshé se plongea alors dans des études très détaillées d’anatomie, de kinésithérapie, de physiologie et tout ce qui concerne la mécanique humaine et plus spécifiquement celle du genou. Après avoir manipulé son genou pendant plusieurs mois, alors qu’il croyait avoir trouvé la solution, en descendant du rebord d’un trottoir à Londres, les douleurs réapparurent. Déçu et déprimé, sur le point de tout abandonner, il comprit soudain qu’il était comme n’importe quel ignorant qui veut réparer une partie du système sans connaissance du fonctionnement humain dans son ensemble et qu’il lui fallait procéder d’une toute autre manière. Moshé remit alors tout en cause : son éducation, son attitude, sa manière de penser, au point qu’au grand étonnement de sa mère et de son entourage, il abandonna le travail de recherches en physique qu’il exerçait depuis longtemps. « Je suis entré dans un labyrinthe très complexe » disait-il « et quand j’en suis sorti, j’ai compris que la capacité de se « rendre compte » dépend beaucoup du niveau de présence attentive de la personne qui est en train de participer à l’expérience. » Le monde s’offrait à lui d’une manière nouvelle : il fallait comprendre que l’activité d’un organisme s’exerce avant tout dans le contexte d’une expérience vécue d’actions et de réactions par un rapport à un environnement et que l’orientation dans l’espace en est une des données les plus importantes. Moshe a compris que les accidents n’arrivent pas toujours par hasard. Il l’a expliqué et montré dans une vidéo, lors d’une formation et a appelé son exposé « accidents are not pure accidents ». Je cite en substance. Il n’y a pas dans le système nerveux de représentation harmonieuse du corps dans sa dimension tridimensionnelle : il montre et fait observer qu’avec une épaule plus basse que l’autre, on ne peut pas rester convenablement en appui sur la jambe opposée. Sans un bon appui comment pouvez-vous tacler avec agressivité et ne pas vous blesser ? Mais si vous restez ainsi, bien ancré dans le sol – et il montre à nouveau - vous n’avez aucune difficulté. Vous pouvez tourner dans toutes les directions que vous voulez, et même lancer le ballon en arrière. Vous pourrez même recommencer à jouer au football. Et pour réorganiser l’image que l’on fait de soi-même, il est nécessaire de changer la représentation que l’on se fait de chaque partie de soi, du pied à la tête, en la rendant disponible, par la différenciation en passant par le neutre. Cela demande des réorganisations complètes de l’image de soi dans le cortex moteur. Avec des mots c’est facile à dire. Mais comment le faire? C’est la même chose au basket-ball quand on réussit à lancer le ballon avec une main et pas avec l’autre, au patinage et dans la danse. Il est facile de réorganiser cette image si on connaît la démarche de cet apprentissage. Pour comprendre le fonctionnement humain, Moshe Feldenkrais possédait de nombreux atouts en tant qu’ingénieur en mécanique, en électricité, et en tant que docteur ès sciences physiques : il travaillait dans le laboratoire de Frédéric Joliot–Curie. En 1936, il fut le premier Européen à devenir ceinture noire de judo ; avec son maître Jigaro Kano et ses partenaires, il fonda le premier Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 14 club de judo de France et écrivit le livre « JUDO, the Art of Defense and Attack ». Ainsi, il a su créer une passerelle entre la pensée scientifique d’une part et la pensée et la pratique orientale d’autre part. Moshe Feldenkrais conçoit le corps comme une réalité physique constituée de poids, de masses et de jeux de forces qui s’organisent en une unité fonctionnelle composée du squelette, des muscles et du système nerveux en interaction avec l’environnement. Tout en comprenant que la biologie n’est pas une deuxième physique, Moshé met en évidence que les systèmes vivants sont soumis aux lois de la physique et de la chimie, mais règlent leur comportement d’après des signaux qui s’enregistrent et s’archivent au travers d’organes de perception qui vont former l’image de soi, ou la représentation de soi, ou mieux, la simulation. Nous simulons le mouvement quelques millièmes de seconde avant de le commencer car la représentation de l’action dans le système nerveux met en action les mêmes mécanismes que l’exécution de cette action. Cette représentation mentale ne demande aucune dépense d’énergie musculaire. Il existe un répertoire de perceptions lié aux actions. Moshe comprend que le schéma de fonctionnement ou la mélodie cinétique est déjà composée avant de faire le mouvement et qu’il est donc nécessaire d’accorder l’instrument avant d’en jouer. Plus sensible est l’instrument, mieux on en joue. C’est ainsi qu’il développe la méthode Feldenkrais fondée sur l’unité du corps et de l’esprit, la compréhension du fonctionnement sensorimoteur et de ses relations avec la pensée, les émotions, l’action et l’environnement. Cela exige une présence attentive qui n’est pas spontanée. Il faut la cultiver et faire un apprentissage comme pour tout geste et l’acquérir de façon progressive. Moshe comprend également que le levier de cet apprentissage est le senti : c’est en développant sa capacité de sentir son propre corps qu’il trouva les moyens de récupérer l’usage de son genou. Le fondement de sa méthode consiste à « réanimer » le système sensori-moteur, celui de la sensibilité et du mouvement (ce par quoi Aristote caractérisait déjà le vivant), ce qui permet ensuite une réorientation dans l’espace et une nouvelle orientation dans la vie. Moshe Feldenkrais place au centre de ses recherches le fonctionnement de l’être humain. Il comprend que pour changer les habitudes fonctionnelles, il est indispensable d’aller vers le « capitaine de vaisseau » comme il appelle le système nerveux, et de rétablir des connections entre le cortex moteur et la musculature qui sont court-circuités par des habitudes qui nous enferment, des appréciations qui nous bloquent, tensions inutiles, stress et influences environnementales, psychologiques, etc… Il se plonge alors dans la neurophysiologie, la psychologie et travaille avec le professeur A. Katzir et Carl Pribram, deux neurophysiologistes mondialement connus, ceci afin de comprendre nos processus d’apprentissage et le développement de l’adaptabilité, de la flexibilité et de la plasticité du système nerveux. A cette fin, il s’appuie aussi sur la cybernétique, ainsi que sur les théories systémiques et linéaires. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 15 LA METHODE La méthode Feldenkrais comporte deux volets, la Prise de Conscience par le Mouvement (P.C.M.) et l’Intégration Fonctionnelle (I.F.). Dans ses leçons de Prise de Conscience par le Mouvement, qui sont des cours collectifs, Moshe invite la personne à s’explorer, à sentir et à prendre conscience de ce qu’elle sent. Son leitmotiv est « il faut savoir ce que l’on fait pour pouvoir faire ce que l’on veut ». Moshe ne demande ni de croire, ni d’adhérer aveuglément à quoi que ce soit, mais seulement d’éprouver. Il s’agit pour l’individu d’apprendre de lui-même ce que personne ne peut faire à sa place. Cette exploration demande une capacité d’éveil, la possibilité pour chacun de trouver ce qui est bon pour lui-même. Les mouvements proposés et explorés ne sont pas orientés vers un but. Ils se font lentement, doucement, respectueusement. Il ne faut pas faire plus qu’on ne peut. Si un mouvement est gênant, il est nécessaire alors de le faire en imagination car il s’agit de rester dans les limites du confortable. La personne s’appréhende elle-même d’une manière nouvelle, différenciée, de façon plus cohérente et plus hiérarchisée. Elle entre dans un processus de pensée et d’action où elle parle en son nom propre et devient de plus en plus responsable de sa vie. Beaucoup de mouvements proposés dans la méthode Feldenkrais reprennent les mouvements de l’enfant. Auprès de sa femme, pédiatre, Moshé a eu l’occasion d’observer les bébés et a acquis une profonde compréhension du développement du bébé. Par ailleurs, il allait souvent au zoo pour observer les animaux. Déjà à cette époque il avait compris ce que les scientifiques viennent de trouver récemment : à savoir que l’activité la plus élevée de l’esprit n’est pas du tout la logique et le raisonnement. Que la manifestation la plus profonde du savoir et de l’intelligence, ce n’est pas celle de l’expert qui fait des calculs différentiels et des intégrales mais plutôt celle du bébé. Les bébés et même les petits insectes sont des « systèmes » qui n’utilisent pas du tout de raisonnements compliqués, mais sont capables d’incarnation dans le monde par une activité sensori–motrice extrêmement profonde et intéressante. Le bébé fait une véritable construction du monde. Il façonne le contenu de significations du monde par son mouvement continuel, par l’enchaînement et la répétition de l’action et de la perception. C’est sur ce modèle que sont construites les leçons de Moshé. Dans les formations l’élève refait tout le développement du bébé, dans l’ordre de son évolution. Chaque partie du corps est vue en relation avec les autres. Tout ce qui est figé est enfermé, malade. A l’inverse, Moshé Feldenkrais offre des moyens pour faire surgir un potentiel insoupçonné qui va permettre une OUVERTURE : le développement d’un large choix de possibilités pour s’adapter à l’environnement proche et lointain. C’est ainsi que nous parviendrons à ne pas agir sur instruction mais plutôt en opérant une sélection dans l’infinité des possibles. Une séance d’Intégration Fonctionnelle (I.F.) est une séance individuelle. Elle s’adapte aux besoins de chacun. Elle permet de restituer et d’améliorer l’action fonctionnelle. L’élève est guidé par un toucher délicat. Une Intégration Fonctionnelle n’est pas invasive et se révèle être plutôt agréable et plaisante. Elle entre dans une démarche vers une unité de fonctionnement, vers une harmonie des mouvements : comment, dans la vie journalière, rester assis sans se tasser, Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 16 travailler avec un ordinateur, comment ne pas serrer les mâchoires tout en sentant les liens avec la liberté de la nuque et la respiration, le tonus général, marcher sans fatigue, jouer d’un instrument de musique, danser etc… Moshé Feldenkrais nous invite à nous ouvrir, à développer des options par des explorations en commençant par le développement de la petite enfance. Il nous invite à pouvoir fonctionner en faisant des choix. Il a compris par ses propres observations que l’on ne peut rien changer sans modifier le passé fonctionnel des habitudes dérangeantes incontrôlées, car c’est le passé qui est actif et qui influence le comportement présent. Il est rare qu’une personne puisse arriver dans la vie quotidienne et dans la pratique artistique à cette qualité de fonctionnement qui est celle que la méthode Feldenkrais nous offre. Elle souligne avec précision et met en lumière comment chaque acte peut être coordonné aisément en fonction de ce que la personne veut faire. La méthode n’est pas tout, mais elle est un préalable à tout. Elle donne accès au pouvoir organisateur de l’être humain. En même temps les étudiants apprennent les Méta-Thèmes, tous les instruments pour devenir autonomes et retrouver la dignité humaine. Apports spécifiques de la Méthode Feldenkrais pour les danseurs La Méthode Feldenkrais va permettre aux danseurs d’accéder à une meilleure organisation du mouvement et de l’action par des mouvements exploratoires. Ils vont d’abord découvrir leur propre façon de fonctionner, leurs schémas d’action habituels, et vont ensuite développer des alternatives, des schémas nouveaux qui vont assouplir et enrichir leur répertoire. Cela leur permettra d’avoir un grand choix de possibilités pour choisir spontanément les modes d’action les plus adaptés à chaque situation, à chaque instant. La méthode Feldenkrais n’est proposée en général qu’au terme d’un travail préalable durant lequel seront appris les rudiments du fonctionnement de l’être humain. La méthode n’est pas directive, les élèves apprennent à développer des options, à avoir des choix. Moshé connaissait tous les rouages du fonctionnement du corps humain de manière très fine, vécue et réfléchie. Il savait comment créer les conditions permettant de modifier des habitudes et d’apprendre à apprendre. Dans une leçon, chaque partie du corps est éclairée en vue d’une fonction qui va émerger à la fin de la leçon ou de plusieurs leçons menant vers cette fonction, sans qu’il ait été dit au début où cela mènerait. Cet apprentissage permet de libérer l’homme de sa « mécanicité », de ses automatismes tout en découvrant le côté essentiel de sa nature à travers la sensorialité et la motricité qui caractérisent la vie. Dans la pédagogie classique, l’apprentissage est compris comme étant la conséquence de répétitions utilisées dans le but de renforcer les voies déjà frayées du système nerveux. Feldenkrais a développé une méthode basée sur une approche tout à fait différente : à savoir que l’acquisition d’un nouveau schéma d’action requiert non pas la répétition du même à l’identique, mais la réalisation d’une même action au travers de ses variations successives de telle façon que cette action peut être modifiée par des corrections sensorielles. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 17 Mais qu’est-ce qui empêche les danseurs et tous les êtres humains en général de sentir? J’ai remarqué que beaucoup de danseurs pensent que les muscles supportent le corps. Or, c’est le squelette qui est le support de l’édifice et sa poutre maîtresse est la colonne vertébrale. Dans la méthode Feldenkrais on chemine vers la prise de conscience du squelette : . Cette prise de conscience permet de se percevoir soi-même et les autres en termes de configuration squelettique. . Nous développons ainsi le sens interne du squelette, de même que nous apprenons à voir et à sentir le squelette et les besoins des autres. . La fonction du squelette est de neutraliser la gravité en créant des forces contraires égales au poids porté. . La compression est le langage du squelette. . Nous utilisons les compressions pour évoquer des réponses antigravitaires auprès du système nerveux pour l’organisation du squelette. . Cela va permettre d’enlever le travail des muscles contractés. . En utilisant la force extérieure, les muscles n’ont plus besoin de tenir le squelette et se libèrent pour le mouvement. . Les habitudes émotionnelles sont liées à la musculature et une prise de conscience squelettique (image de soi squelettique), va permettre d’augmenter la maturité et la liberté de la personne. . Le travail sur le squelette ne soulève pas de résistance, il permet de contourner la musculature et de sortir du cercle vicieux des émotions. . La prise de conscience du squelette permet un meilleur alignement de celui-ci. De ce fait, la personne se sentira de plus en plus en sécurité, pourra s’affirmer et devenir plus elle-même. D’autre part, la notion généralement admise est que le corps doit être entraîné en faisant des efforts, en effectuant un travail dur, que le corps doit être dominé. Or, cette manière de travailler empêche de sentir, ferme le « flux libre » (selon le terme de Laban) et ne permet pas de trouver la force. Seul le « flux libre » permet au contraire de percevoir, et de trouver flexibilité, grâce et force. Seul le mouvement effectué sans effort est beau. Dans cette optique, l’entraînement le plus prometteur devrait être organisé de manière à allier une minimisation de l’effort à une large variété de sensations clairement différenciées. Il devrait mettre en place les conditions optimales favorisant l’absorption consciente et la mémorisation d’un riche éventail de sensations nuancées, rendues ainsi disponibles à la juste précision du mouvement volontaire. Les mouvements des danseurs orientaux et ceux exécutés dans les arts martiaux sont concentriques. Tout se courbe, les bras embrassent le corps. Tout converge vers le milieu. Les mouvements des danseurs classiques occidentaux sont souvent excentriques. Si les acrobates, les patineurs sur glace ou les plongeurs faisaient de même, ils se blesseraient. Il suffit de regarder les animaux, le chat par exemple, ils font des mouvements concentriques et sans effort. La méthode Feldenkrais permet ce travail - « trouvaille » - en profondeur, et la perception de soi dans son fonctionnement holistique. Elle est, je pourrais presque dire, indispensable pour les danseurs, a fortiori pour les professeurs de danse. Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 18 Moshé répétait souvent de faire les mouvements lentement, en appréciant la sensation de plaisir, de découverte. Il recommandait de ne pas essayer de bien faire, ni de vouloir réussir, d’achever quelque chose, de ne pas développer la force de la volonté mais la capacité de pouvoir le faire aisément et de jouer comme le chaton joue avec une pelote de laine ou une chaussure. L’accent est mis sur la sensorialité et sur la nécessité d’une présence attentive pendant l’action. Seuls les muscles non tendus sont capables de sentir. Seul un laisser-faire rend le corps disponible pour se laisser agir et s’ouvrir à une autre dimension. Cela est possible et facile quand on s’ancre dans le bassin où se trouve la source de la force, et le flux de la vie peut circuler librement tout le long de la colonne vertébrale vers la tête, les bras et les mains (comme la sève de l’arbre). Nous assistons alors à un changement total dans la manière de percevoir et de sentir : la sensorialité, obtenue sans effort, sans tension, sans agression contre soi-même. L’essentiel n’est plus l’objet de notre attention mais la qualité de l’attention que nous lui portons, la qualité du senti. Il en découle naturellement une dimension véritablement humaine, une nouvelle attention à l’autre. La danse prend alors tout son sens, sans souffrance, légère, esthétique comme celle d’Isadora Duncan ou de Martha Graham. La fonction de la beauté est d’être vrai et de percevoir subtilement. La Prise de Conscience par le Mouvement et l’Intégration Fonctionnelle sont la base de l’apprentissage pour devenir un « apprenti-sage ». _______________________________________________________________ Bibliographie de référence (non exhaustive) . FELDENKRAIS (M.).- 1949. L'être et la maturité du comportement, Paris, Editions "Espace du Temps Présent", 1992. . FELDENKRAIS (M.).- 1964. Aspects d'une technique: l'expression corporelle, Paris, Editions Chiron. . FELDENKRAIS (M.).- 1977. Le cas Doris. Aventure de la jungle cérébrale, Paris, Editions "Espace du Temps Présent", 1993. . FELDENKRAIS (M.).- 1978. Energie et bien-être par le mouvement, St-Jean-de-Braye, Editions Dangles, 1993. . FELDENKRAIS (M.).- 1985. La puissance du moi, Paris, Editions Laffont, 1990. . FELDENKRAIS (M.).- 1987. L'évidence en question, Paris, Editions L'Inhabituel, 1997. . GOLDFARB (L.).- 1990. Articuler le changement, Paris, Editions "Espace du Temps Présent", 1998. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 PREMIERE RENCONTRE « EDUCATIOMATICIENNE » EN FRANCE Page 19 Dans une agréable salle dédiée à la pratique et à l’enseignement de l’eutonie Gerda Alexander, située au pied de la Butte Montmartre, s’est déroulée, le 24 janvier 2009, une première, concrétisant les contacts établis depuis deux ans entre associations de praticiens, enseignants d’éducation somatique. Voici le témoignage de chacun. De Denis Barthélemy, eutoniste et vice-président du GREGA En ce qui me concerne, cette journée résulte d’une insatisfaction et d’une curiosité. Insatisfaction de participer à des « discussions d’appareils » entre représentants de praticiens de méthodes visant à la conscience corporelle, sans qu’il y ait échange de pratiques. Curiosité à l’égard d’une pratique « sœur » ou « cousine », sur laquelle je n’avais de connaissance que par mes lectures. Je me sens très satisfait de cette première journée, par la qualité du contact avec nos partenaires, et l’intérêt de ce que j’appellerais un décalage de point de vue sur des questions analogues. Mon ressenti de la journée : Les deux approches font appel au même référentiel, • même genre de mise en situation d’expériences : mouvements initiés par une partie déterminée du corps, s’adressant à une partie déterminée du corps • même genre d’attention portée au vécu de l’expérience corporelle en cours • même souci de replacer in fine l’expérience dans la perspective du corps global, et appel à une com- paraison des ressentis ante et post pour percevoir l’acquis • pas de démonstration de la part du praticien, seulement des consignes verbales, sans référence à une normalité extérieure Une orientation plus fonctionnelle dans la démarche Feldenkrais, et plus ouverte en Eutonie. Cette tendance fonctionnaliste de la méthode Feldenkrais semble faire appel à un corps plus orienté vers l’action, donc plutôt envisagé dans sa structure d’interdépendance osseuse, articulaire et musculaire, avec un grand souci d’intégration nerveuse. En comparaison l’Eutonie se donne une perspective plus orientée vers une conscience du corps propre, l’action étant seulement conçue comme situation particulière de cette conscience. De Jessie Delage, eutoniste et formatrice de praticiens : Recevoir quelques collègues dans ma salle fut un réel plaisir. Le contact immédiat, facile avec aussi quelques surprises. Notamment celle de recevoir autant de questions sur l’eutonie, dès les premières minutes et tout au long de la journée. Cette avidité de rencontrer, de connaître, de la part des professionnels de la méthode Feldenkrais présageait un vrai besoin d’échanges, une réelle motivation. Besoin non assouvi après ces quelques heures passées ensemble, je suppose. Je pense que a pratique dit plus que les mots et ue ce sont les moments passés au tapis qui donnent le plus de réponses. Pour ma part, je n’avais pas de questions, connaissant déjà pas mal la méthode pour avoir déjà reçu des leçons, il y a longtemps, mais plutôt l’envie de pratiquer aujourd’hui, après des années pendant lesquelles « mon » eutonie s’est affinée et précisée. Je me sentais très prête à l’expérience, dans mon corps. J’ai aimé recevoir des consignes des deux enseignantes « Feldenfrais », dont j’ai trouvé l’accompagnement, Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 20 la présence très proche de ce que les eutonistes se donnent comme objectifs : non suggestion, invitation à l’observation. J’ai apprécié leur maturité pédagogique. Je me suis sentie bien pendant le travail et en fin de journée plus légère et plus tonique. En même temps une foule de différences très notables dans l’intention pédagogique affinée. En Feldenkrais je me suis sentie mobilisée dans ma capacité à initier un mouvement inhabituel en en observant tous les aspects moteurs et les limites. On « produit » quelque chose de concret sur le plan d’une aciton voulue par l’enseignante. En eutonie, ce sont les principes de la posture ou du mouvement qui sont proposés à l’élève dans le champ de son expérience propre. Ces principes sont nombreux : celui du repousser contre résistance par exemple Chacun explore les possibilités qu’offre tel ou tel principe : en l’occurrence cette fois le mouvement dessiné à partir du coccyx par exemple ou le repousser du sol jambes fléchies, la découverte de la consistance osseuse du bassin ou les possibilités de mouvement des épaules en position debout. La rencontre bienveillante avec sa propre réalité sentie est une étape importante pour s’approprier ces principes. Nous sommes loin d’avoir fait le tour du sujet et j’ai grand intérêt à travailler avec des personnes dont la sensibilité corporelle est suffisamment affinée pour percevoir la subtilité et l’effet des différentes propositions. Cela m’amuse et en plus me fait du bien. Le contact est là. J’ai participé dans la foulée à un cours de Blandine lundi et Chantal vient me rendre visite aujourd’hui. Merci à tous pour l’expérience. Nous verrons ce qu’il en découlera. De Chantal Guilbaud, praticienne Feldenkrais Je n’ai malheureusement pas pu participer à la discussion à la fin de la journée d’échange entre praticiens de ce deux méthodes. J’ai pu le faire avec Jessie que j’ai rencontrée aujourd’hui. Je suis aussi très satisfaite de cette initiative, de l’accueil de part et d’autre et la découverte de ce travail. Pour ma part, après les deux cours de Denis et Jessie, il est clair que ces deux méthodes sont proches avec quelques spécificités que je voudrais découvrir peut-être lors de prochaines rencontres ou par moi-même. Merci pour cette expérience De Blandine Stintzy, praticienne Feldenkrais : Pour ma part, je venais avec tout simplement de la curiosité pour une autre approche du travail sur le corps et le mouvement. J’avais aussi entendu plusieurs fois au cours de ma formation que « Moshe avait piqué beaucoup de choses à Gerda Alexander », ou tout du moins qu’ils avaient été très amis, et qu’ils avaient cherché dans les mêmes directions, en se rencontrant souvent, à une certaine époque. Très vite, dès la première leçon donnée par Denis, j’ai ressenti très fort la proximité et aussi les différences, et cela s’est clarifié lors de la deuxième leçon proposée par Jessie. Proximité bien sûr dans une démarche d’attention à soi et aux réponses du corps, de disponibilité dans une forme d’écoute, de recherche d’une certaine forme d’aisance dans le corps. Mais ce qui était intéressant, c’était cette différence évidente qui surgissait et qui m’a permis de ressentir autrement, avec un peu de recul, la spécificité de notre travail en Feldenkrais. J’étais interpellée par les consignes surprenantes par rapport à mes « habitudes » Feldenkrais : « faites Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 21 quelques mouvements dont votre corps a besoin, étirez vous si vous sentez que cela vous fait du bien», et aussi beaucoup de consignes invitant à ressentir la qualité des tissus musculaires dans les zones de contact avec le sol. Et relevons aussi des séquences où on est invité à « bouger par le coccyx dans toutes les directions qui peuvent vous attirer, en changeant éventuellement sa position et son orientation dans l’espace ». Ceci était particulièrement frappant dans la leçon sur la relation tête-bassin. Cela aurait pu ressembler à nos leçons dans la structure, dans les mouvements utilisés, et pourtant, le focus du jeu était différent. J’avais l’impression qu’ en eutonie, il y avait une démarche de rencontre de mon propre corps pour le simple plaisir d’un dialogue (d’une réconciliation ?) et pour une écoute « à deux ». Cela m’a fait toucher du doigt à quel point quand j’enseigne des leçons Feldenkrais, il y a une visée fonctionnelle sous-jacente beaucoup plus prégnante. J’ai en tête de donner à mes élèves une expérience sensorielle qui leur permettra d’améliorer un geste, une action, de clarifier la relation entre une intention et une action : et dans cette perspective, j’essaie de mettre en place un dispositif qui leur permettra de fonctionner avec «un peu plus d’eux-même ». Cela devient un dialogue à 3 parties: on s’allie avec son corps et son fonctionnement en vue d’une action. J’essaie de donner à mes élèves une occasion de se réconcilier avec leur corps, de se mettre en marche avec tout leur potentiel par rapport à un contexte donné : améliorer la flexion, pouvoir allonger le bras, mieux sentir l’appui sur le sol, etc… Et il y a le plus souvent une sollicitation importante du système nerveux, qui est appelé à se mettre en tension pour apprendre, expérimenter, se confronter à l’inhabituel, dans l’idée de chercher plus efficient. On fait de moins en moins, on apprend à se reposer, à repasser par le neutre, dans de plus en plus de plaisir, d’aisance et de facilité, mais on se confronte à l’action, même si, grâce au travail par l’imagination, cela peut être simplement son intention. Avec le travail en eutonie, j’ai eu l’impression de m’offrir un peu de « vacances » : je laissais tomber la fonction, pour une écoute du besoin ressenti par le corps dans l’instant. Je ressentais tout à coup à quel point notre travail systématiquement met sous une sorte de tension notre système nerveux, même si c’est en douceur et dans une démarche ludique. Là, on me proposait un cadre pour m’étirer, bailler ! Pas mal ! agréable… et faisant surgir d’autres dimensions de moi… Dans la perspective de poursuivre l’échange, je serais curieuse de rencontrer un peu plus loin la spécificité du travail en Eutonie Gerda Alexander qui tourne autour de la notion de « création de forme », où les élèves sont invités à créer des séquences de mouvements, sorte de chorégraphies, qui leur correspondent à eux, à leur forme, à leur fonctionnement profond… une écoute de soi sans perspective particulière d’action, qui ouvre sans doute à de nouvelles surprises, même si j’imagine qu’il faut sans doute plus de temps pour entrer dans cette démarche. De Marie-Cécile Delache, praticienne Feldenkrais (coordinatrice de l’opération) : Les participants ont été unanimes pour dire que cette journée fut très enrichissante. Elle était basée sur l’échange, la simplicité, l’accueil de l’autre, la complémentarité de nos pratiques. Nous nous sommes sentis tous « en phase ». Personnellement, cette journée d’échanges était très importante. En effet, c’était pour moi, un « retour aux sources » ; car avant de connaître le Feldenkrais, j’avais pratiqué l’eutonie pendant 4 ans sous forme de stages, en Belgique, puis à Talloires avec Gerda Alexander, et j’avais été subjuguée par cette méthode. Aujourd’hui, après plus de 20 ans de pratique et d’enseignement de la méthode Feldenkrais, je peux dire qu’il y a beaucoup de similitude et de complémentarité. Les approches, le vocabulaire sont un peu différents, mais la finalité est la même : une meilleure connaissance du corps, des blocages, pour un mieuxêtre, une conscience plus éveillée. J’ai retrouvé lors de cette journée le plaisir de sentir les tissus musculaires à l’aide de « matériel », la grande liberté de mouvement et le côté ludique. Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 22 Dans mon histoire, je suis passée de l’eutonie au Feldenkrais, en douceur, et j’ai toujours gardé dans mon enseignement Feldenkrais, cette base eutonique. J’espère que cette première étape d’échange entre différentes pratiques se poursuivra, car c’est une ouverture précieuse. De Ilana Nevill, Praticienne Feldenkrais et assistante formatrice : De retour de Paris, trois jours après cette journée si harmonieuse et enrichissante, j’étais surprise et enchantée de trouver que tous les autres comptes rendus étaient déjà sur mon ordinateur. Comme je partage entièrement les sentiments positifs qui y sont exprimés, je ne les répéterai pas ici. Je vais plutôt ajouter quelques remarques et réflexions. C’était surtout pour soutenir cette initiative admirable et innovatrice en participant à l’échange entre collègues provenant de deux approches complémentaires, que j’ai quitté mon petit hameau des Pyrénées. Deux convictions m’ont particulièrement motivée : 1. Les différentes approches qu’on a l’habitude d’appeler « corporelles » vont avoir plus de poids dans notre société et seront probablement prises plus au sérieux par le monde médical et scientifique si on commence à coopérer sérieusement – mais dans un esprit ludique – dans le domaine de l’apprentissage et l’éducation somatique, au lieu de se distraire avec des questions futiles comme « Qui a ‘piqué’ telle ou telle idée ou pratique géniale, et à qui ? » Peut-être que le Regroupement pour l’éducation somatique à Montréal pourrait nous servir d’exemple pertinent. 2. Il est de fait, qu’en général, les praticiens de l’éducation somatique qui, dans leur travail professionnel, ont bien intégré le savoir tacite et les techniques caractéristiques de leur approche particulière, apprécient le beau défi d’être confrontés à des idées et pratiques apparentées, mais clairement différentes. C’était sûrement le cas pour tous les participants de la journée Eutonie-Feldenkrais qui se trouvaient de ce fait inspirés. Rétrospectivement, le chemin qui m’a amenée à embrasser la Méthode Feldenkrais plutôt qu’un autre aspect de l’éducation somatique, me semble évident : Ayant subi la honte d’être forcée de redoubler la première classe de l’école primaire à la suite d’un grave accident de la route, mais ayant aussi eu la chance d’avoir rencontré deux ou trois professeures vraiment inspirées – surtout au lycée - l’apprentissage authentique est devenu – et est resté - ma passion principale. Autrement dit, j’ai eu le privilège de ne jamais perdre la curiosité de la première enfance que Moshe Feldenkrais ne se lassait pas d’évoquer dans ses cours et formations. Après de longues années d’activité pédagogique plutôt en marge de l’éducation officielle, d’enseignement du yoga et de recherches diverses (expérience de la Technique Alexander, du travail d’Elsa Gindler – également dans la version « Sensory Awareness » [Prise de Conscience Sensorielle] de son ancienne disciple Charlotte Selver, et du moins un goût de l’Eutonie de Gerda Alexander), j’ai pu retrouver cette passion sous sa forme la plus pure dans la manière « d’apprendre à apprendre » qui est au cœur même de la méthode créée par Moshe Feldenkrais qui, au fond, n’admettait qu’un seul effort - l’effort mental motivé par le désir de se connaître, dans le sens de comprendre ce que cela veut dire d’être, ou plutôt de devenir, vraiment humain... J’avais presque 50 ans quand j’ai eu la chance de « tomber » sur la méthode à laquelle je vais probablement consacrer le reste de ma vie en essayant de la faire connaître plus largement et d’y contribuer d’une manière créative – surtout en m’ouvrant à d’autres manières de « faire la même chose différemment ». Cela est une des définitions favorites de l’apprentissage vrai de Moshe Feldenkrais. Il aurait sûrement consenti au credo de Peter Brook (cité par Michael Johnson-Chase, praticien de la Technique Alexander et la Méthode Feldenkrais, comme devise, dans un article « Musings on the Methods » [Songeries sur les Méthodes]) : « On doit rester fidèle à soi-même, presque sûr de ce qu’on fait, et en même temps fidèle à la certitude que la vérité est ailleurs. » Ilana Nevill, La Ruzole du Haut, jeudi 5 février 2009 Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 23 PS. Cette attitude-là est probablement caractéristique de tous ceux qui se mettent à la recherche de réponses concrètes à des questions qui d’une part semblent être « dans l’air du temps » et d’autre part leur sont d’une urgence personnelle particulière. Dans le développement de l’éducation somatique, ceux qui nous sont connus comme fondateurs/ fondatrices de méthodes, de techniques et d’approches somatiques couronnées de succès durable, ont poursuivi plus ou moins les mêmes objectifs avec la même passion de vouloir trouver leurs propres réponses, au lieu de se contenter des réponses des autres, y compris de celles d’ « experts », à l’horizon plutôt limité. Il est aisé d’en citer quelques uns: Mathias Alexander qui perdait régulièrement sa voix quand il déclamait sur scène; Moshe Feldenkrais, qui cherchait à éviter une opération du genou dont l’issue était incertaine ; Elsa Gindler qui, tuberculeuse à l’âge de vingt ans, avait été informée qu’elle devrait bientôt mourir, mais voulait vivre; Gerda Alexander, musicienne et pédagogue qui, étant cardiaque à la suite d’une fièvre rhumatismale, a dû abandonner son premier amour, la danse... toutes ces personnes de grand talent menaient à bien des recherches intenses dans un laboratoire qui était leur propre corps - d’abord indépendamment, plus tard parfois « se faisant concurrence », parfois s’inspirant mutuellement et s’appréciant les unes les autres comme collègues et amis. En été 1959 par exemple, Moshe Feldenkrais prenait part au Premier Congrès International sur la relaxation et la rééducation du mouvement fonctionnel à Copenhague, sur l’invitation de Gerda Alexander. Il a animé là des Leçons de coordination mentale et physique et fait deux exposés. Le thème du premier était L’Unité du corps et de l’esprit – une réalité objective ; celui du deuxième était Techniques. Il y parlait de ‘séances individuelles’ et d’ ‘enseignement en groupes’, car les termes ‘Prise de Conscience par le Mouvement’ et ‘Intégration Fonctionnelle’ n’avaient pas encore été inventés. En revanche, tout ce qui concerne le rôle éminent de l’attention dirigée (par contraste avec l’attention attirée par-ci et par-là, au hasard) dans une approche qui se sert du mouvement comme arène de l’apprentissage corps-esprit, y est mis en évidence – ainsi que tout ce qui concerne la prise de conscience comme clé d’une transformation de plus en plus nécessaire et urgente – transformation en terme d’épanouissement de la conscience humaine aussi bien à l’échelle individuelle que globale. Á l’occasion de ces deux exposés, Feldenkrais insistait déjà sur le fait que, en dernière analyse, le sort de l’humanité dépendra de la capacité de l’être humain, pour autant que l’évolution l’ait voulue ainsi, à continuer d’apprendre toute sa vie à s’adapter à cette responsabilité - à cette habileté à répondre pertinemment, et avec une créativité spontanée. Cette faculté acquise par notre naissance est justement bien mal honorée dans une société qui persiste à traiter la plupart des hommes d’une manière purement fonctionnelle et utilitariste. Mais rappelons-nous que l’importance potentielle de l’éducation somatique était déjà bien reconnue par des autorités sociales au milieu du siècle dernier : le voyage de Moshe Feldenkrais et d’un groupe de ses élèves fut subventionné par le Ministère de l’Éducation d’Israël, et le Congrès International de Copenhague fut financé par le Ministère de l’Éducation du Danemark. Au total donc, est-ce qu’un dialogue ouvert et soutenu entre les praticiens des différentes approches de l’éducation somatique pourra contribuer à une reconnaissance plus étendue de cette éducation ? On peut d’autant plus l’espérer que les échanges entre collègues embrassant la même approche sont de plus en plus fréquents… Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 24 Témoins: Feldenkrais? « Prise de conscience par le mouvement »… C’est un objectif annoncé dans la plupart des documents d’information sur la méthode Feldenkrais, et je crois que tout est dans cette phrase…néanmoins un peu sibylline. A part les qualificatifs « extra », « super » qui me viennent naturellement quand je parle de cette expérience à mes amis, j’aimerais faire part, de façon imagée, d’une « prise de conscience » qui a été très positive pour moi : j’ai fait connaissance avec mon tronc ! Je n’ai jamais nié l’importance fondamentale de cette partie du corps, mais sur le plan moteur, le mieux qu’il pouvait faire pour moi jusqu’ici, c’était se faire oublier. Mal au dos, mal aux « abdo » étaient en fait nos seuls échanges. Maintenant, je ressens d’une façon permanente son rôle essentiel dans la transmission du mouvement. Je le sens, et je l’utilise. Tous ces petits mouvements mis en place par la praticienne m’ont fait mesurer la flexibilité étonnante des côtes avec lesquelles on se surprend à jouer de l’accordéon. Sans parler de la satisfaction de découvrir une mobilité du bassin insoupçonné. A mon âge, je me surprends à frétiller de l’arrière train… Sans plaisanter, j’ai maintenant un regard intéressé sur la démarche des animaux qui visiblement utilisent beaucoup plus rationnellement que nous leurs possibilités motrices. Je commence à ressentir la cohérence de la chaîne musculaire qui aboutit à bouger ne serait-ce qu’un doigt de pied, et cette chaîne traverse le tronc ! Et tous ces petits muscles profonds peu sollicités par la gymnastique traditionnelle, je suis sûre que leur renforcement permet un meilleur fonctionnement des organes. En tout cas, je n’ai plus de « mal au dos », et je pense ma gestuelle totalement modifiée par une meilleure maîtrise du rôle de ce tronc. C’est lui qui organise le geste et transforme une « gesticulation » en « articulation » maîtrisée. Pour en terminer avec mon expérience personnelle, je me suis également inscrite à un atelier « Apprendre à danser après 50 ans », dans la mouvance Feldenkrais. Depuis bientôt deux ans que je les pratique, ces deux activités hebdomadaires sont un vrai bonheur et, à 65 ans, elles me donnent un sentiment de progression! Anne Marie Joullié Retraitée Maître de Conférences Université Montpellier 2 (EEA) Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 A la recherche de l’équilibre Par David Hall Page 25 Article publié dans DIRECTION – Journal de la technique Alexander, Volume 1, Numéro 7, NUMERO SPECIAL FELDENKRAIS, traduit par B Wong, avec l’accord de l’association Alexander France Présentation: Un praticien Feldenkrais & Alexander explore la manière dont il utilise chaque méthode pour rééduquer la coordination d’une personne. Résumé: Chauvinisme professionnel, comportement compulsif, chant et stratégies efficaces pour faire face à la douleur, tous ces sujets ont leur place dans cet article qui donne à réfléchir sur les utilisations et la place de chaque méthode. Il est minuit passé. Je suis allongé sur un grand tapis confortable dans mon salon. Tout le monde est endormi. Silence… je roule la tête lentement vers la droite, sentant l’espace dans mon crâne, mon cou et ma poitrine. C’est nouveau…je ne l’ai jamais ressenti ainsi auparavant. J’arrête, je sens mes contacts avec le sol… mes côtes bougent doucement.. Je respire, remarque mes orteils. Oui ! Je sens une possibilité de mouvement. Ma tête tournée sur le côté maintient cette connexion. Je vais pour bouger… arrête…laisse aller dans ma nuque et ma colonne dorsale… je bouge à nouveau, arrête. Où puis-je bouger ? Comment puis-je…Oui ! Je roule la jambe aussi. Ahh…Maintenant ma nuque reste libre, s’arrête… bouge mmm, douce, forte… oui, s’organise à mesure que je bouge… Repos. Mon corps long et large au sol… J’étais en train de faire quelque chose qui me donne davantage de conscience et de contrôle de mon corps. C’est quelque chose qui agit sur mon être entier et fait appel à l’aspect réflexe de ma posture. C’est de la ré-éducation par opposition à la thérapie et cela me donne une expérience réelle d’une nouvelle façon de faire usage de moi. Cela me permet de découvrir des schémas inconscients de mauvais usages de moi, et de les dépasser. Cela me permet de découvrir de nouvelles orientations et de nouveaux répertoires de mouvement. Cela semble familier, n’est-ce pas ? Je parle de la méthode Feldenkrais. Il y a beaucoup de points similaires entre la méthode Feldenkrais et la technique Alexander, dans la philosophie, dans l’application, et dans les bénéfices qui peuvent être tirés de leur pratique. Cependant, le mode de pensée et les stratégies employés par les praticiens de chaque méthode diffèrent de façon fondamentale de bien des manières. Cette diversité sert de source d’enrichissement utilisable pour gagner de nouvelles perspectives sur ce que nous faisons. Je suis praticien des deux méthodes et cet article a pour intention d’éclairer les différences que j’ai rencontrées entre les deux. Alors que je peux être tout à fait clair sur les distinctions entre les deux méthodes de mon propre point de vue, je ne peux pas parler objectivement. Il y a trop de latitude pour l’expression individuelle dans l’une ou l’autre méthode. Pour chaque différence que je vais décrire il y aura quelqu’un qui dira certainement, « Mais je fais cela ». Je peux seulement parler à partir de et pour ma propre expérience. J’utilise le Feldenkrais de trois façons : 1. Pour compléter ce que je fais dans les leçons d’Alexander, 2. Pour explorer et découvrir de nouvelles possibilités dans l’action, 3. Pour développer un mouvement complet dans toutes les directions. Quelle que soit la méthode je fais vraiment la même chose : enseigner aux gens comment sentir, leur donner plus de conscience et plus de contrôle de leur propre corps. Leur permettre de découvrir de nouvelles possibilités dans le mouvement et la perception et de s’adapter à leur mode de vie de la manière la plus efficace. CHAUVINISME PROFESSIONNEL Mais quelles sont les différences entre les deux techniques ? Les praticiens de chacune des disciplines ont certainement une allure différente. Ce qui est drôle, c’est que si quelqu’un mettait vraiment en pratique les idées de Feldenkrais ou d’Alexander, il serait capable d’atteindre les possibilités psychophysiques que propose l’autre ; mais je ne l’ai pas vu. Je n’ai jamais rencontré d’enseignant Alexander Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 26 capable d’exercer un contrôle conscient sur son être entier de manière constructive ni de praticien Feldenkrais qui soit un adulte entièrement mature et s’étant pleinement réalisé (« self-actualising »), libre de pensée ou d’action compulsive. Cela en soi est parlant. Les deux hommes ont créé un idéal presque Nietzschéen pour l’humanité, qu’eux-mêmes ou leurs successeurs jusqu’à présent n’ont pas été capables d’accomplir. Certainement que pour approcher ce niveau d’apprentissage ou de développement, une personne a besoin de faire beaucoup de travail, bien plus que ce qu’est vraiment prête à faire la moyenne des personnes du public . Considérez le temps qu’il vous a fallu avant de sentir que vous aviez vraiment incorporé dans votre vie la pratique des idées d’Alexander. Il me semble qu’il y a habituellement plusieurs points clés qui constituent la fondation de la perception et du comportement automatique ou inconscient d’une personne. Il est très difficile de permettre à une personne de les résoudre par des leçons de l’une ou l’autre technique. Certainement, les techniques mettent les gens en mouvement sur ce chemin, souvent jusqu’au point où leurs vies peuvent réellement changer, mais dans leurs livres, Alexander et Feldenkrais promettent davantage. Qui n’a pas commencé sa formation d’enseignant en pensant à un moment ou à un autre, qu’à la fin de sa formation tous ses problèmes seraient résolus ? Je ne peux pas prendre au sérieux le chauvinisme professionnel pour l’une ou l’autre méthode. En ce qui me concerne, les deux méthodes sont incomplètes. Le contrôle conscient de soi ! Comment pouvons-nous atteindre au contrôle conscient de quelque chose que nous connaissons si peu ! Votre chien pense certainement qu’il a le contrôle de votre voiture. Sommes-nous différents ? Cependant, ne vous méprenez pas, je suis très optimiste. Je sens vraiment qu’il doit être possible d’atteindre ce qui est promis. Cependant, bien davantage doit être découvert avant que nous ne puissions faire le grand pas suivant. J’expérimente avec les deux méthodes. Le matin, je me lève le plus souvent à l’aube, et passe les deux premières heures de la journée à travailler sur moi-même. C’est passionnant. Je peux sentir que quelque chose est disponible. “COMMENT”, EST-CE LA SEULE VOIE ? Mais revenons à ces différences… dans le travail Alexander, nous organisons la personne pour qu’elle soit capable de bouger dans toutes les directions à un moment donné à partir d’un équilibre « stationnaire ». L’accent est mis sur le « comment » du mouvement. Dans le travail Feldenkrais, nous organisons généralement la personne pour qu’elle soit capable de bouger dans une direction spécifique (atteindre, rouler, se lever, aller dans la torsion, etc). Nous leur apprenons à le faire de telle sorte que le mouvement soit réversible et que la personne soit capable de bouger dans n’importe quelle direction à n’importe quelle étape [du mouvement]. L’accent pourrait être mis sur le comment, quoi, quand, où ou pourquoi du mouvement. Nous aidons la personne à découvrir la façon la plus efficace de s’utiliser pour effectuer cette fonction, étant donnés sa structure et son environnement du moment. Par exemple, un élève qui se tient habituellement sur une jambe sera organisé vers un appui sur les deux jambes pendant une leçon d’Alexander. La même chose peut arriver pendant une leçon de Feldenkrais mais l’enseignant peut tout aussi bien réorganiser le corps de la personne pour qu’il lui soit plus facile de se tenir de façon prédominante sur l’autre jambe, ce qui inverse toutes les torsions dans le corps de la personne. C’est une expérience très intéressante à vivre, une sensation plutôt bizarre, très familière mais totalement différente. Elle pourrait être décrite comme une forme d’inhibition sensorielle ; une sensation qui offre à l’élève l’expérience de sentir tout son corps en un instant, juxtaposée à la mémoire de son organisation habituelle. La chose la plus importante est qu’on donne à l’élève une nouvelle expérience qui est incorporée dans son modèle de perception de soi-même et du monde. La personne est alors capable de découvrir de nouvelles manières de s’organiser en conséquence de cette nouvelle information. Feldenkrais a dit que son seul principe était qu’il n’y a pas de principe. Il y a énormément de stratégies pédagogiques employées par les praticiens Feldenkrais pour améliorer l’usage qu’une personne fait d’elle-même. Parfois le praticien peut juste accentuer ou aller dans le sens des schémas qui sont présents. Il est possible de faire bouger le corps d’une personne de la même façon qu’elle le fait elle-même. Pour l’élève c’est un peu comme se voir dans un miroir pour la première fois, cela génère une grande Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 27 attention. Alors que l’on se déplace à travers l’ensemble de son corps, l’élève découvre des parties de luimême dont il n’avait pas conscience. Si ces zones sont mal organisées elles seront réorganisées et incorporées dans la nouvelle perception. Le type de toucher impliqué dans la méthode Feldenkrais est unique. C’est plutôt comme une conversation tactile, très personnelle. Il est possible de parler à différents niveaux de la personne. Il peut y avoir des mouvements dont la personne n’a pas conscience car ils sont masqués par d’autres mouvements ou façons d’être habituels. Par exemple une personne très timide qui cache ses craintes sous un comportement sociable. Si le praticien recrée les mouvements liés à cette timidité, cela peut être une expérience très puissante. Ce travail peut aider les gens à entrer en contact avec des aspects d’eux-mêmes qu’ils expérimentent rarement. Feldenkrais consacre des chapitres de ses livres à l’importance de l’équilibre de la tête par rapport au reste du corps (et la lecture de ses travaux sur le sujet donne vraiment une perspective intéressante pour les enseignants Alexander) mais il ne met pas autant l’accent sur le contrôle primaire que le font les enseignants Alexander. Vous pouvez voir clairement cela dans l’usage [que font d’eux-mêmes] de nombreux praticiens Feldenkrais. Ça c’est quelque chose que nous avons à offrir aux praticiens Feldenkrais et à leurs élèves. Néanmoins, ceci ne diminue en rien la capacité qu’a le travail Feldenkrais à changer la base complète qui fonde la façon dont bouge une personne. Ce que j’ai trouvé d’important à travers mes expérimentation est que l’usage qu’une personne fait d’ellemême peut être modifié à partir de n’importe quelle partie du corps. Cependant, l’implication d’une zone particulière dans le schéma global doit être recréée parfaitement. De cette façon, le reste du schéma est stimulé de manière réflexe. Alors si vous pouvez obtenir de cette partie qu’elle bouge différemment, en continuant à maintenir le contact, l’ensemble du schéma suivra. Ce n’est pas facile. Cela demande de la part du praticien un type d’écoute très patient, précis et ouvert. Par exemple, j’avais du mal à chanter. J’avais eu une formation d’acteur et je pouvais m’exprimer facilement par les mots. J’étais enseignant Alexander depuis trois ans mais quand je chantais, je continuais à chanter faux et je raidissais dans la gorge d’une façon subtile, ce qui fait que je me cantonnais à jouer de la guitare. C’était dommage, j’adorais chanter enfant comme soprano et je peux me rappeler clairement le moment où j’ai décidé, juste avant l’arrivée de la puberté, alors que j’avais l’occasion de chanter avec le chœur de l’église pour Noël devant mes nouveaux amis, que ce n’était pas viril de chanter. J’avais été conscient que le problème du chant était un problème d’usage de soi et d’écoute, et j’avais essayé quelque temps, mais graduellement j’avais oublié et laissé ça de côté. Pendant la dernière année de ma formation Feldenkrais, j’ai eu deux leçons d’Intégration Fonctionnelle (IF) qui ont complètement changé ma façon de m’utiliser et m’ont rendu capable de chanter juste sans prendre de raideur dans la gorge. La première IF avait pour objectif de me donner la capacité d’utiliser la totalité de mon abdomen. Le praticien remarqua un lien entre la dureté à la base de mon cou et en haut de mon abdomen et la mollesse à sa base au-dessus et sur les côtés de mon pubis. Quand j’utilisais mon abdomen dans le mouvement, invariablement il devenait tendu dans sa partie supérieure. Une fois que j’eus appris à utiliser tout mon abdomen tout en gardant la gorge souple, le ton de ma voix changea. Quand je me relevai je remarquai l’absence d’un schéma de tenue de ma cage thoracique, qui me donnait l’impression de s’affaisser mais qui après vérification dans la glace était alignée. Après cela je remarquai que je pouvais rester dans le ton. La seconde IF s’adressait à la même zone mais d’une façon et dans un contexte nouveaux. J’étais étendu sur le dos sur la table basse de travail qu’utilisent les praticiens Feldenkrais, avec les pieds au sol au bout de la table et la tête surélevée par des serviettes. Le praticien soulevait une jambe à la fois, accédant à tout le devant de mon corps en faisant bouger mes jambes et ma tête. Ce fut une expérience remarquable. A la fin de la séance il me poussa en-dehors de la table de telle façon que je passai d’une colonne complètement en extension à une colonne complètement fléchie. J’étais dans une transe profonde et je me souviens m’être senti, alors que je m’accroupissais au pied de la table, comme un Egyptien ancien enfoui dans une jarre. La chose remarquable c’est que trente heures après alors que je conduisais dans la campagne, la partie dure de mon palais commença à laisser aller. C’était comme si les os de mon nez tombaient dans ma bouche et la partie dure de mon palais s’élargissait. Tout d’un coup je pus respirer par les deux narines. C’était fantastique ! Une des principales raisons de mes problèmes pour chanter était Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 28 respiratoire ; une narine était toujours bouchée. A partir de ce moment j’ai été capable de respirer à travers les deux narines. Depuis, ça va et ça vient mais j’ai été capable de continuer à incorporer le changement de structure dans mon usage de moi-même et maintenant je suis capable de chanter. Je chante à nouveau dans une chorale. Cette réaction retard suite à une nouvelle information kinesthésique résulte du fait que le système nerveux agit sur la perturbation de la perception que j’ai de moi-même. Cela se produisit après que j’aie fait un week-end d’atelier de prise de conscience par le mouvement (PCM). Nous fîmes huit leçons en deux jours et deux jours plus tard, alors que je marchais pour prendre un ferry sur le Quai Circulaire, je sentis une odeur tellement absolument familière qu’il fallait vraiment que je trouve ce que c’était. Je suivis l’odeur jusqu’à un bar de produits laitiers. C’était le parfum du milk-shake au citron vert. Il y avait un aide au magasin qui préparait un milk-shake au citron vert qui aurait pu être pour moi si on avait été en 1963. L’odeur n’évoquait pas seulement le souvenir du milk-shake mais l’expérience complète d’être un garçon de sept ans. Je pus avoir accès à cette prise de conscience la fois suivante où j’étais allongé au sol pour faire une PCM. C’était une expérience de douceur, d’ouverture et de flexibilité. Ce genre d’expérience peut déstabiliser les fondations d’un comportement compulsif ou habituel. L’ APPRENTISSAGE AU SERVICE DU DEVELOPPEMENT Une chose importante est le fait que les leçons permettent le développement de compétences dans des domaines spécifiques. L’élève a l’expérience d’une croissance et d’un développement positifs. Au fur et à mesure que croissent les aptitudes, l’estime de soi croît aussi. A mesure que celle-ci se développe, l’apprentissage devient plus facile. Mais comment se développent les aptitudes ? Considérez les sept premières années de la vie. C’est ici que se développe la capacité à acquérir des aptitudes. C’est ici que se forgent les bases de notre masque [les traits de notre visage], que sont semées les graines de notre mauvaise utilisation de soi. C’est ici que Feldenkrais rassembla certaines de ses intuitions les plus utiles et que l’on trouve l’une des différences les plus fondamentales entre les deux méthodes. Dans la technique Alexander, nous travaillons principalement avec le produit fini du processus de développement : être debout et marcher. En Feldenkrais, nous travaillons principalement avec des aspects du processus de développement. Bien sûr les aspects de la position debout et de la marche sont des aspects du processus de développement, mais la façon dont les enseignants Alexander peuvent sentir la direction et travailler sur l’équilibre et l’aisance en équilibre stationnaire est, à mon avis, beaucoup plus sophistiquée. En pratique c’est une différence fondamentale, dans leurs philosophies c’est une différence dans leur centre d’intérêt. Alexander considérait le comportement habituel et les êtres humains comme enfermés dans la nonconscience par instinct, comme n’étant pas encore conscients de leur héritage du contrôle conscient. Feldenkrais voyait le comportement habituel et les êtres humains comme des êtres immatures, esclaves de l’interaction entre la réponse physiologique au réflexe inconditionnel à la chute et les réflexes conditionnés d’anxiété, provenant de la vie dans une société qui encourage les [comportements de] façade. Plutôt qu’un niveau à atteindre comme dans le contrôle conscient, Feldenkrais a écrit sur la croissance et le développement menant à une expression pleinement créative. Sa définition de la bonne santé est très intéressante et vaut la peine d’être citée, « Vivre pleinement vos rêves avoués et inavoués libre de [toute] habitude compulsive et de [toute] coercition ». Le processus de maturation pourrait être décrit comme un voyage depuis la dépendance totale d’un autre être humain vers l’indépendance complète avec la pleine expression de soi. Feldenkrais pouvait voir que très peu de gens accomplissaient ce voyage. Ils restaient bloqués à divers stades de dépendance. Très souvent, une prédisposition au niveau atteint sera créée dans notre système nerveux à un âge très précoce. Nous développerons certaines compétences mais resterons dépourvus d’autres. A partir de ce processus largement inconscient nous formons la base de notre perception de nous-mêmes et du monde. La plupart des gens ne se risquent jamais à expérimenter en-dehors de ce que leur permet Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 29 leur schéma de connexion précoce. En donnant à la personne plus d’expérience dans le mouvement [pour le] développement, cela lui permet de modifier ses schémas de connexion. Cela crée la possibilité pour une nouvelle perception. En enseignant à une personne à faire un meilleur usage de soi, comme nous le faisons en technique Alexander, des éléments restés incomplets dans l’apprentissage au cours du développement peuvent être complétés. Cependant, ce n’est pas la même chose que de travailler avec ces étapes. Le processus a autant de valeur que le produit fini et constitue une fondation pour la structure, la forme, la souplesse et la prédisposition d’une personne. Prenez l’action de ramper et le développement de l’habileté manuelle. Avant qu’un enfant ne rampe, il saisit les choses en utilisant ses doigts de façon très indifférenciée. Quand il rampe, plaçant la main sur le sol puis allant de l’avant, une pression est appliquée sur la paume et les doigts. L’enfant apprend à absorber cette pression à travers tout le corps puis pousse en sens inverse pour aider à la propulsion. En même temps l’enfant regarde la main suivante ou l’objet à toucher. La réorganisation du poids du corps mis sur, puis enlevé de la paume et des doigts est coordonnée avec le mouvement des yeux au loin. Ceci peut être facilement inversé pour créer la capacité à bouger les doigts dans une grande variété de directions en rapport à une direction particulière du regard. Plus il y a de directions de mouvement, plus grande est l’étendue des pressions et des efforts expérimentés, et plus grande est l’habileté. EXPLORER DE NOUVELLES DIRECTIONS DE MOUVEMENT J’ai découvert qu’explorer une grande variété de mouvements, et appliquer les principes d‘Alexander à ma manière de le faire, m’a donné une grande liberté. La Prise de Conscience par le Mouvement (PCM) est une ressource immense que les enseignants et les étudiants Alexander peuvent exploiter. C’est une façon d’explorer systématiquement toutes les directions de mouvement. Des réflexes antigravitaires inhibés et des fléchisseurs inutilement contractés, en particulier à chaque extrémité de la cage thoracique et autour des parties génitales, sont la norme dans notre société. Nous pouvons apprendre à relâcher beaucoup de ces tensions en utilisant la technique Alexander, mais ceci s’accompagne généralement de raideur dans la cage thoracique et de restrictions dans les mouvements du bassin (du point de vue de ce qui est anatomiquement possible) à moins que l’on ne fasse un gros travail. En travaillant avec la séquence du développement, en apprenant à se lever du sol et à y retourner dans toutes les directions possibles et en explorant l’étendue des mouvements que nous faisions bébés, cela peut produire la souplesse et la flexibilité dont je parle. C’est très important de refaire cela car les relations proportionnelles entre les parties du corps pour un adulte et un enfant sont inversées. La tête d’un petit enfant est bien plus grosse par rapport à son corps que celle d’un adulte et les membres d’un adulte sont bien plus gros par rapport à son torse que ceux d’un enfant. Les problèmes antigravitaires qu’un enfant résout sont différents de ceux rencontrés par l’adulte. C’est mon point de vue, que pour vraiment nous libérer de la peur de tomber, pour être vraiment à l’aise, nous devons apprendre à nous lever du sol et à y retourner dans n’importe quelle direction sans tomber ou perdre le contrôle ; nous avons besoin de pouvoir soulever le poids de notre propre corps en utilisant les bras et d’être capable de tomber sans interférer avec notre contrôle primaire. Feldenkrais a élaboré des milliers de leçons de PCM différentes qui faisaient appel aux stratégies d’apprentissage utilisées pendant les années de notre développement. Il y a une mine de mouvements avec lesquels les enseignants Alexander peuvent travailler pour améliorer l’usage de soi d ‘une personne. Je n’ai jamais pu comprendre pourquoi être assis, debout ou marcher étaient en quoi que ce soit des activités différentes de rouler sur le côté ou venir s’asseoir depuis allongé au sol ou n’importe quels autres mouvements. Du moment que l’objectif lui-même est d’importance secondaire par rapport aux moyens. Travailler avec les principes d’Alexander dans de nouveaux contextes (pour les élèves) crée de nouvelles possibilités de mouvement ainsi que le bénéfice d’un meilleur usage de soi. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 30 L’ HISTOIRE DE PHOEBE La technique Alexander et la méthode Feldenkrais se combinent très bien et certaines personnes ont besoin de travailler avec les deux pour pouvoir résoudre leurs difficultés. J’avais une élève de 63 ans qui s’était cassé le col du fémur et avait une bronchectasie. Elle avait eu environ deux ans de leçons Alexander et avait très bien évolué. Elle conservait longueur et largeur et était capable de soulager beaucoup de ses symptômes. Cependant, avec le temps ses douleurs augmentaient et elle devint très restreinte dans ses possibilités d’action. Les trajets en voiture, la marche, la plupart des tâches ménagères devenaient trop douloureux. Sa famille regardait cela avec tristesse tandis que pendant les deux années suivantes son état se détériorait et son moral commençait à baisser. Elle décida d’avoir à nouveau des leçons d’Alexander et vint me voir. En travaillant avec elle je pouvais sentir qu’elle avait bien appris. Elle s‘allongea et à nouveau ceci soulagea ses symptômes, mais je pouvais aussi voir que cela n’allait pas être suffisant pour qu’elle puisse prendre soin de sa propre façon de s’utiliser, et pour restaurer son précédent niveau de fonctionnement. Elle était très frêle, fragile et avait peur de bouger parce que la douleur demeurait tellement longtemps après. Je pus voir combien son dos, sa poitrine et ses hanches étaient raides. Elle avait appris à bien respirer et à adoucir son thorax comme un ensemble. Mais il lui était presque impossible de se pencher car la crainte de la douleur l’en empêchait. Aussi, en la menant à travers une séquence de développement lui donnant des expériences en rotation qui ne causaient pas beaucoup de mouvement dans sa hanche, elle put prendre confiance et expérimenter un peu. Il y avait beaucoup de mouvements qu’elle avait oubliés et son corps était devenu rigide en leur absence. Très souvent la douleur est associée non pas à des endroits du corps mais à des schémas de mouvement. Cette connaissance est utilisée en permanence dans la méthode Feldenkrais. Quand je travaillais avec les jambes de Phoebe sur la table cela provoquait beaucoup de douleur. Cependant, elle pouvait passer de la position debout à la position assise sans douleur, donc j’avais des doutes. Je décidai de lui apprendre à se relever du sol et à revenir au sol. (Imaginez comme c’est difficile de faire des tâches ménagères sans avoir cette capacité…) J’utilisai des chaises et des coussins pour changer la hauteur du sol pour que nous puissions aller au sol par étapes. Elle fut capable de faire ça en quelques séances et bien que le mouvement dans ses hanches soit bien plus important que quand je travaillais avec elle sur la table, il n’était pas associé à un schéma de mouvement douloureux et donc ne provoquait pas de douleur. Plus tard, en lui montrant ce qu’elle avait fait cela me permit de recréer les mouvement de la hanche sur la table sans douleur. Une fois que Phoebe eut appris à aller au sol et à se relever nous commençâmes à explorer le roulement, et des directions spécifiques de mouvement qui lui permirent de devenir plus agile. Par exemple, elle n’était pas capable de se pencher pour mettre ses chaussures et ses chaussettes. Elle ne pouvait que penser au mouvement de se pencher en avant (ce qui était son habitude précédente) ce qui était associé à la douleur. En apprenant à se pencher sur les côtés ceci devint une possibilité. Une fois qu’elle se rendit compte qu’elle pouvait aussi lever le pied vers l’arrière et vers le côté cela devint même gracieux. Pendant quelques mois nous avons travaillé de cette façon, revenant périodiquement à la technique Alexander pour inclure la nouvelle prise de conscience fonctionnelle dans sa conception de la direction. Elle était maintenant capable de sortir se promener et faire beaucoup plus. Son moral remontait vraiment. Elle me raconta un jour que ses parents étaient très stricts. Quand elle était en visite chez d’autres gens ses parents lui avaient dit de ne pas regarder autour d’elle car c’était impoli ! Phoebe était une fille bien élevée et avait obéi et cette discrétion avait continué tout au long de sa vie. Je pouvais sentir que son manque de permission pour sentir son environnement avait beaucoup à voir avec son manque de permission pour se sentir elle-même. Je commençai à faire des PCM en relation avec les yeux et d’autres sens et je l’amenai à fureter dans ma maison tout en gardant la nuque libre. Ce fut libérateur ! En même temps je réalisai qu’elle n’avait pas eu l’occasion de ressentir une joie réelle dans son corps Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 31 depuis longtemps. Je commençai à faire des PCM debout avec de la musique douce de samba. Elle avait toujours voulu danser mais n’avait jamais vraiment pu le faire. Ceci fut terriblement efficace. Elle revint la semaine suivante en ayant dansé chez elle toute la semaine. C’était maintenant beaucoup plus facile de voyager en voiture et elle avait énormément progressé. Plus tard elle fut capable d’assister au mariage de sa fille, de danser et de se faire vraiment plaisir. Cette année elle est allée en vacances dans les territoires du Nord. Phoebe a un riche répertoire de direction, d’inhibition et d ‘exploration du mouvement pour prendre soin d’elle-même et enrichir sa participation à la vie. CONCLUSION En travaillant avec des gens je trouve ce qu’ils font et ce qu’ils veulent faire et je leur montre comment utiliser le contrôle primaire, l’inhibition et la direction. Je les aide à apprendre à bouger dans toutes les directions qui leur sont nécessaires pour accomplir tout ce qu’ils ont besoin de faire. Par exemple, les rameurs ont besoin de pouvoir être assis par terre avec les jambes allongées. Ils doivent pouvoir tirer sur une rame et allonger les jambes avec le maximum de puissance tout en maintenant le Contrôle Primaire. Les jardiniers ont besoin d’être mobiles et à l’aise à genoux et accroupis et de comprendre comment s’aligner et s’organiser pour pousser, tirer et soulever. J’ai découvert que ma perception de mes propres torsions et courbures, et de celles des autres, et ma connaissance de notre façon de bouger, ont vraiment été enrichis par mon implication en Feldenkrais. C’est une ressource merveilleuse qui m’a permis d’entrer dans des zones et d’accéder à des directions de mouvement qu’il m’aurait pris des lustres à découvrir en utilisant seulement la technique Alexander. Les deux disciplines ont beaucoup à s’offrir mutuellement. Les praticiens Feldenkrais pourraient vraiment tirer profit de cette conscience fine de l’usage de soi qui est unique chez les enseignants Alexander et qui les caractérise. Les enseignants Alexander pourraient vraiment tirer profit de la richesse du répertoire de mouvements, de la flexibilité de l’approche et de la compréhension des étapes du développement comme outil d’apprentissage. Je suis sûr que nous nous réfèrerons les uns aux autres à l’avenir, et même si nous ne le faisions pas, avec la multiplication des enseignants de chaque méthode les gens voteront avec leurs pieds. A propos de l’auteur : David Hall est à la fois enseignant de la technique Alexander et praticien de la méthode Feldenkrais. Il vit à Sydney avec sa femme Annette et leur petite fille Lucy. Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 32 Réflexion toute personnelle, par Thierry PAJOT Etudiant en première année à la formation IFELD, je suis sollicité comme tous les futurs praticiens à lire beaucoup de livres et d’articles sur la méthode. Ma curiosité et mon goût, liés aussi à mon activité professionnelle de thérapeute manuel, m’amènent à étendre mes recherches vers des revues de vulgarisation scientifique traitant du fonctionnement du cerveau, des avancées dans le domaine des neurosciences en terme de plasticité neuronale, du phénomène des neurones miroirs et bien d’autres sujets encore. C’est en me documentant ainsi, qu’un certain nombre de questions sont venues émailler ma réflexion, un peu à la manière d’une PCM où la question posée par le praticien fait émerger un questionnement là où l’on ne s’y attend pas, sur le réel intérêt de m’instruire autant en vue de devenir praticien d’une méthode basée sur l’expérience du corps en mouvement. A quoi peut me servir un tel savoir dans ma pratique quotidienne ? L’essentiel n’est-il pas de percevoir, ressentir, découvrir ce que mon corps recèle ? Moshé Feldenkrais a étudié et fait des recherches approfondies en biomécanique humaine, en physiologie, en psychologie et dans beaucoup d’autres domaines afin d’y puiser son inspiration pour concevoir sa méthode. Mais ce travail gigantesque qu’il n’a cessé de mener toute sa vie a bien dû être généré par une motivation profonde qui va bien au-delà de la recherche scientifique ? Certes ses douleurs aux genoux ont été un terrain d’étude peut-être privilégié, mais n’ont certainement pas été à l’origine même de cette vocation à vouloir redonner un meilleur usage de soi à ses contemporains. Comment un homme, professeur d’arts martiaux, ceinture noire de judo, docteur en physique, pouvait-il abandonner une carrière de scientifique renommé, qui aurait pu lui conférer le titre de prix Nobel, s’il n’avait pas eu une conviction tenace, une de celles qui prend aux tripes comme quand il s’agit de survie! Car dès l’âge de treize ans, c’est déjà pour une question de survie que le jeune Moshé quitte sa famille pour rejoindre la Palestine. Et ce n’est certainement pas non plus sans cette motivation profonde que plus tard son premier livre sera consacré à la « défense du faible contre l’agresseur ». La notion de survie est donc au cœur de ses motivations. Alors il est facile d’imaginer que cet homme, de par ses connaissances apprises par le travail et fort de ses convictions sur la survie de l’humanité, se soit intéressé avant tout au comportement humain. C’est de cette conviction profonde, que tout individu ne peut devenir plus humain qu’en améliorant son comportement envers lui-même et donc aussi envers la société, que semble être l’origine de toute sa pédagogie si spécifique et au concept si pertinent : l’amélioration de la conscience corporelle dans son environnement. Le comportement humain, à la fois corps et esprit réunis en une seule entité appelé encore « soma », est propre à chacun. Et c’est de l’expérience unique de chaque individu d’où émerge ce comportement que nous pouvons évoluer chaque jour vers un monde meilleur. Car ce monde marqué par tant de guerres, de désastres écologiques, de dictatures avides de pouvoir, de lois insensées qui en oublient celles de la nature, met en péril l’avenir de l’humanité. Moshé Feldenkrais avait certainement dû prendre conscience très tôt de cet enjeu capital. Génie par son travail, il était à la fois visionnaire et extrêmement lucide. Un prophète des temps modernes qui trace sur sa route un sillage pour tous ceux désireux de suivre son enseignement et dont la seule voie est celle de l’éveil de la conscience vers une plus grande maturité individuelle et collective. Mais comment alors, étudiant ou praticien confirmé, porter la parole ? Comment mettre en mots le message d’une méthode vivante avant tout basée sur l’expérience et le ressenti. Comment susciter avec des mots simples l’intérêt chez une personne à tenter l’expérience ? Comment convaincre les professionnels du monde médical du potentiel que chacun est susceptible de développer en vue d’une amélioration de son état en pratiquant la méthode Feldenkrais ? Comment dire à un musicien, à un sportif, que l’expression optimale de son art passe avant tout par sa propre prise de conscience corporelle ? Comment éveiller l’envie d’une conscience plus mature ? Comment convaincre les indécis, les perplexes ? Car pour aspirer à un monde meilleur, plus humain, plus ouvert aux échanges, il ne suffit pas d’arborer un badge mais il faut aussi être dans l’action, dans la communication, l’information. Savoir « articuler le changement » comme le propose Lawrence Goldfarb, praticien Feldenkrais et auteur du livre du même nom, c’est aussi rendre l’impossible possible et face aux réticences, aux doutes, aux hésitations c’est aussi faire preuve de beaucoup d’humilité en cherchant d’autres chemins. Alors, en plus de me remettre sur le tapis, je reprends mes notes et je retourne aussi à mes lectures pour me familiariser avec un langage parfois ardu mais nécessaire pour apprendre à communiquer avec la parole ou l’écriture dans un monde en perpétuel mouvement, afin d’apporter ma pierre à l’édifice que Moshé Feldenkrais, humaniste et homme de paix, nous a légué. Jeudi 15 mai 2008. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 CINQ SEMAINES DANS LA VIE D’UN METTEUR EN SCENE : entretien Page 33 Stuart SEIDE a signé une quarantaine de mises en scène. Il a enseigné au Conservatoire Supérieur d’Art dramatique de Paris. Depuis 1998, il est Directeur du Théâtre du Nord à Lille où il a créé l’Ecole Professionnelle Supérieure d’Art Dramatique (E.P.S.A.D.). Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Peter Brook et Moshe Feldenkrais ? Je connaissais très bien Peter Brook, mais je n’ai jamais fait partie de sa troupe. Dans les années 70-80, je le voyais régulièrement. Il était un de mes maîtres à penser et il m’a inspiré. A la fin des années 70 ou au début des années 80, mes amis et moi-même avions une compagnie. Peter Brook connaissait bien notre travail, il nous a soutenus. Un jour, il me téléphone pour m’inviter ainsi que ma compagnie à participer à une formation qu’il pense intéressante pour nous et qui était organisée par Monsieur Moshe Feldenkrais. Celui-ci intervenait déjà régulièrement dans la troupe de Peter Brook. Notre stage s’est déroulé aux Bouffes du Nord, pendant cinq semaines, à raison de quatre ou cinq heures de travail par jour durant cinq jours par semaine. Nous étions une quarantaine de personnes, toutes issues du spectacle vivant (surtout du théâtre, mais aussi de la danse, du mime…). Nous occupions tout le plateau des Bouffes du Nord. Moshe Feldenkrais était assis à sa table et Myriam Pfeffer l’accompagnait. J’ai beaucoup appris et j’utilise beaucoup ce que j’ai appris. Vous souvenez-vous de points importants pour la formation des comédiens étudiés à l’occasion de ce stage ? Que vous a apporté cet enseignement ? Nous faisions des mouvements hyper lents, minimalistes, avec un côté du corps pour, une fois la séquence achevée, sentir les différences avec l’autre côté du corps. C’était une rééducation. Normalement, nous étions là pour faire travailler notre corps, en prendre conscience. Mais, au fur et à mesure que nous progressions, nous avons compris, j’ai compris, que le sujet du stage était : comment apprendre. Je crois même que Feldenkrais a précisé, dans les derniers jours, que le but de sa méthode, dont le vecteur est le mouvement, est de découvrir comment être un être humain qui apprend, comment apprendre sans viser tout de suite le résultat, grâce à un processus en douceur, sans se faire violence. Ainsi, pendant deux jours, nous avons appris à tomber. Feldenkrais disait : « Pourquoi un chat ne tombe pas ? C’est parce qu’il sait tomber ». C’est la peur de tomber qui nous fait tomber. Donc, la meilleure façon de ne pas tomber, c’est d’apprendre à tomber pour ne plus avoir peur. Ça, c’est très important parce que ça nous libère. Cette expérience a changé beaucoup de choses pour moi. Feldenkrais nous proposait d’explorer en mouvement un côté du corps pendant une heure, et, ensuite il nous demandait de refaire la séquence avec l’autre côté, uniquement en imagination, en étant à l’écoute de nos sensations. L’idée de comment faire travailler l’imagination, le système nerveux, simplement par la visualisation, l’idée qu’on est pas obligé de faire … je ne sais quoi … dix-sept mille pompes pour obtenir un résultat, mais que c’est en sentant le corps, en laissant faire les choses qu’on y parvient, cette idée-là m’a révélé qu’on peut être moins volontariste dans tout. J’ai appris aussi qu’il faut savoir faire tout de différentes façons. Feldenkrais nous a suggéré d’apprendre à nager à l’envers et il nous a raconté cette anecdote : Un jour, il se trouve dans un train à côté d’un Yéménite qui tient un livre à l’envers. Intrigué, Feldenkrais demande au lecteur : « pourquoi tenez-vous votre livre à l’envers ? Est-ce que vous savez lire ? ou est-ce que vous ne savez pas lire ? Le Yéménite raconte que dans son enfance au village, le maître d’école ne possédait qu’un seul livre. Il réunissait les enfants en cercle autour de lui pour leur apprendre à lire et il posait le manuel au centre du cercle. Chaque jour, les enfants étaient assis à une place différente si bien qu’ils déchiffraient le texte tantôt à l’endroit, tantôt à l’envers, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Et le Yéménite de conclure : « je suis donc capable de lire un livre dans n’importe quelle position et, vous, vous lisez dans une seule position. Qui de nous deux ne sait pas lire ? » Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 34 Vous pouvez faire le test : prenez un livre et lisez une page à l’envers (on y arrive). Lisez ensuite la page à l’endroit : ça va beaucoup plus vite ! On n’a pas besoin de dépenser de l’argent dans tous ces programmes pour apprendre à lire vite. Pour développer sa capacité de lecture, il suffit simplement de s’entraîner régulièrement à lire à l’envers. La façon singulière de procéder enseignée par Moshe Feldenkrais m’a subjugué : comment envisager les choses sous différents angles, comment être à l’écoute de son corps. Peter Brook s’inspire de cette démarche. Il arrive pour une répétition et modifie toute la scénographie mise en place la veille. Cela rend les acteurs très disponibles. Quelles impressions vous a laissé Moshe Feldenkrais ? C’était un gourou Yiddish. Il nous a raconté ce qui l’a poussé à s’intéresser au corps humain. Il faisait souvent référence à sa pratique du judo. Un jour, comme j’étais souvent assis près de lui pour ne rien rater, il s’est adressé à moi pour faire un bras de fer et il m’a battu bien qu’il ait eu près de quatre-vingts ans. Il nous donnait une vraie leçon d’humilité, de sagesse par rapport à la vie, par rapport à l’acte d’apprendre. Il manifestait de la bienveillance envers l’autre et envers soi-même et de l’intolérance envers les intolérants. C’est pour ça que je dis qu’il était un gourou. Son humour était passionnant. Il disait « j’aime beaucoup la danse classique, elle me fait gagner de l’argent parce qu’elle démolit tellement le corps et le dos des jeunes gens ! » Parfois aussi, il s’arrêtait pour nous raconter des histoires par rapport à l’Europe Centrale, à Israël, aux arts martiaux, par rapport à des personnes qu’il connaissait (des musiciens, des chefs d’orchestres …). Cette culture et cet humour yiddish nous rapprochaient parce que je suis Juif New-yorkais et que ma famille vient d’Europe Centrale comme la sienne et que la famille de Peter Brook était d’origine russe. Qu’est-ce que la Méthode Feldenkrais vous a apporté en tant que comédien et en tant que metteur en scène ? Je me destinais surtout à la mise en scène. J’ai appris qu’il est nécessaire, non pas dans le jeu, mais dans le travail, d’aménager un temps de pause, de laisser poser la poussière et de créer un sas au début d’une répétition. Plutôt que de démarrer tout de suite des mouvements pour, par exemple, simuler un geste très viril, il vaut mieux essayer de laisser venir les choses. Pour l’acteur, ce n’est pas tellement ce qu’il faut faire qui importe mais plutôt ce qu’il faut cesser de faire. Il ne faut pas forcer le jeu pour aller vers un résultat trop tôt mais juste être à l’écoute des petites envies, des petites intentions, des sentiments et des sensations qui naissent dans le jeu et les laisser croître en éliminant tout ce qui peut les parasiter et les empêcher d’éclore. A cette époque-là, avec les comédiens de ma troupe, nous utilisions beaucoup cette méthode, individuellement et collectivement, pour nous aider à nous retrouver ensemble. C’était très beau. En tant qu’acteur, j’utilise certains mouvements que j’ai développés moi-même, en particuliers ceux du bassin autour de l’horloge exécutés en douceur comme un jeu et non comme un travail de musculation. Ces mouvements du bassin qui font bouger la tête, qui font le lien entre le haut et le bas, sont vraiment très bien, ils développent le diaphragme, ils décoincent. Je m’allonge et je fais ces mouvements pour trouver une souplesse dans la détente. C’est très utile. Parfois, ça m’aide énormément de pouvoir faire une répétition assis ou allongé, en particuliers dans les moments de fatigue. J’imagine que je dis le texte sans le dire réellement et je fais mes gestes en imagination pour moi-même. Je répète la pièce uniquement en la visualisant, par exemple : là, je prends le verre, je le pose, je me lève, je traverse …Je fais sans faire et c’est très utile. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Page 35 Régulièrement, j’applique cette méthode de travail avec les comédiens, surtout avec les jeunes qui, c’est normal, ont envie de tout donner, de jouer tout de suite et tout le temps. Je leur dis : « ne faites pas pour de vrai, fermez les yeux et imaginez ». Et souvent, ça décoince quelque chose. Je leur explique que ça ne sert à rien de se fatiguer inutilement, qu’il faut mettre les choses en place, non seulement dans l’espace, mais aussi en soi-même avant de pouvoir jouer. Fréquemment, je dis aux acteurs et je le pense : « pour savoir jouer, il faut d’abord savoir ne pas jouer ; dites le texte, pensez à ce que vous allez jouer mais ne le faites pas ». Le but de l’acteur, comme de tout être humain, est d’arriver à faire tout ce qu’il veut. Faire ce qu’on veut, ce n’est pas faire la première chose qui passe par la tête, ça implique de savoir ce qu’on veut faire et donc de faire un choix. Pour pouvoir choisir, il faut être capable de faire les choses de différentes façons. Donc, pour faire ce qu’on veut, on a éliminé certaines choses, on a fait le tri, ce qui oblige à accepter certaines contraintes. La liberté, c’est la maîtrise des contraintes, ce n’est pas faire n’importe quoi. Etre libre, c’est pouvoir faire ce qu’on a choisi de faire. Le choix est une contrainte : on décide de faire ceci et pas cela. La liberté est le résultat de l’assimilation des contraintes. Par exemple, jouer du violon est très contraignant mais c’est par un travail constant sur les contraintes que le musicien devient créatif. La création et même le plaisir seront obtenus au bout de la maîtrise des contraintes. L’idée de Feldenkrais selon laquelle si on sait ce qu’on veut faire on peut faire tout ce qu’on veut, c’est tellement important ! Feldenkrais racontait l’anecdote, probablement fausse, d’une mère qui lui amène son garçon qui ne ment jamais. Or, celui qui dit toujours la vérité parce qu’il n’a pas d’autre choix n’est pas vertueux, c’est un niais, c’est l’idiot du village. Pour être apprécié comme quelqu’un qui dit la vérité, il faut savoir mentir. L’influence de Feldenkrais, je la trouve dans la façon dont Peter Brook met en scène les textes, les personnages, les situations. Brook a porté un regard neuf sur les pièces de Shakespeare parce qu’il envisage une situation en la retournant. De cette façon, on découvre soudain ce qu’est cette situation et comment la jouer sous un angle auquel on ne pensait pas. Il me semble qu’il y a là quelque chose qui vient de Feldenkrais : ne pas donner les coups de marteau toujours au même endroit, si ça ne saigne pas ce n’est pas grave, ça coule autrement, même à l’envers presque. Vous estimez qu’il est important pour des comédiens de développer leur corps. Comment Feldenkrais a-t-il influencé votre conception du corps et du geste ? Je pense que le travail de la voix et du corps est essentiel pour un acteur. La voix est un prolongement du corps dans ses aspects matériel, musculaire et respiratoire. La voix et le corps sont totalement liés. En Occident, et cela renvoie à Feldenkrais, la tendance est de diviser : il y a le corps, il y a la voix, il y a l’esprit ; on sépare la tête du corps. Comme dans le sport, où Feldenkrais intervenait énormément, dans le théâtre, quand il y a une intention, un désir (d’embrasser, d’attraper, de prendre, de reculer, d’avancer…), la « pensée-action » devient corps en une fraction de seconde, à la vitesse de la lumière. Pour Feldenkrais, dans les arts martiaux, aussitôt conçu le geste s’accomplit. Il n’y a pas cette conception d’une pensée qui précède le geste, c’est une sorte de « pensée-geste ». Je vois des acteurs qui prennent un temps avant de parler, d’avancer. Ils ressentent quelque chose et ensuite ils font. Il faut enlever ce hiatus, ce temps de « je pense puis je fais ». C’est « je pense-fais ». Aussitôt qu’une envie, une émotion naissent, le comédien doit les mettre en corps. Je dis souvent aux acteurs : « ne prends pas de temps, ne réfléchis pas, va tout de suite ». Il faut agir, il faut lâcher prise comme ça. Je sais que Feldenkrais était tout à fait d’accord avec ça. Cette notion de spontanéité, de ne pas réfléchir avant de faire (ou de ne pas faire) un geste, c'est-à-dire de ne pas se censurer est capitale pour moi. Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 36 Pensez-vous que la Méthode Feldenkrais puisse aider les comédiens à développer leur sensibilité et leur créativité ? Oui, bien sûr, et c’est Feldenkrais qui nous y encourage, lui qui a commencé à étudier le piano vers soixante cinq ans et qui pensait qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre, mais sans rechercher l’approbation, la reconnaissance. On réussit si on ne cherche pas à réussir. Trop penser au résultat nous fige, nous met sur des rails. Pour être créatif, il ne faut pas viser la réussite. Si on tient à obtenir un résultat, il faut aller vers un point où le résultat nous est indifférent. Pour obtenir ce qu’on désire, il faut procéder comme si on n’y tenait absolument pas. Ainsi, un acteur qui ne parvient pas à rire ou à pleurer dans une scène, il faut tout d’abord lui montrer qu’il peut très bien jouer la scène sans rire ou pleurer, que les larmes ou le rire ne sont pas nécessaires. Si un acteur n’arrive pas à s’exprimer, je lui conseille d’arrêter de faire, d’enlever le texte, de faire juste un déplacement pendant que les autres regardent. Et on constate que c’est très bien, on est touché, on est ému par ce qui se passe. Ça rejoint Peter Brook. On a été élevé en Occident dans l’idée que les acteurs doivent capter l’attention du public lors de leur première entrée en scène. Non : une porte s’ouvre, quelqu’un arrive, et, Peter Brook dit, et Feldenkrais pourrait le dire aussi : « nous sommes tous à l’écoute » .On a payé sa place, on est assis, on est acquis : qui est ce personnage ? Que va-t-il nous dire ? Quel est son problème ? Tous les spectateurs, sauf peut-être quelques mauvaises langues, sont là parce qu’ils veulent écouter. On n’a pas besoin d’attirer leur attention. La question qui se pose est plutôt : comment maintenir cette écoute ? Que faire avec cette écoute ? Dans une interview au journal « La Terrasse », Stuart Seide disait « il faut être souple pour devenir comédien, curieux et souple dans tous les sens du terme ». Au terme de cet entretien passionnant, un lien évident s’établissait entre ces propos et l’enseignement de Feldenkais qui attachait tant d’importance à la curiosité et à la souplesse du cerveau en corrélation avec celle du corps en mouvement. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Notes de lecture: Voyage au-delà de mon cerveau, Par Dr Jill Bolte Taylor Page 37 Ce livre est l’histoire d’un AVC, racontée par la femme qui en est la victime, depuis son déclenchement, jusqu’à un recouvrement presque complet des facultés de l’auteur, quelques huit ans plus tard. Ce qui rend ce récit intéressant et pertinent pour nous, c’est que celle qui effectue ce voyage est une chercheuse spécialisée en anatomo-pathologie du cerveau, et qu’elle va «croiser » son expérience intime avec sa connaissance du fonctionnement du cerveau. Avant son accident, alors qu’elle n’est âgée que de 35 ans, elle est spécialisée dans la dissection des cerveaux de schizophrènes, et passait une partie de son temps à convaincre les gens, à travers les USA, de donner leur cerveau à la science. Tout le temps de son accident et de sa réhabilitation, elle s’exprime dans la même logique que notre pratique Feldenkrais : comment apprendre de l’expérience, comment fonctionner de mieux en mieux, compte tenu du contexte. La partie la plus étonnante et la plus convaincante du récit est la description « en temps réel » du moment de l’accident, avec le point de vue qui est adopté. En fait, l’accident se produit dans la zone gauche du cerveau (comme dans la majorité des cas) et l’auteur parle surtout de la sensation extraordinaire de bien-être qu’elle ressent quand son cerveau gauche arrête de fonctionner. Elle explique cela par le fait que la partie critique et analytique du cerveau se « tait » pour laisser la place au cerveau droit des impressions générales et de la présence infinie au monde. Cela fonctionne avec l’efficacité d’un « polar »: Jill Bolte Taylor, malgré toute sa connaissance du cerveau, ne « comprend » absolument pas ce qui lui arrive, alors que tous les symptômes sont là. Elle n’arrive plus à bouger, elle perd le sens d’elle-même et de sa limite dans l’espace… mais continue à faire comme si de rien n’était !!! Et tout à coup, quand elle comprend qu’elle est en danger, elle s’avère incapable de prendre des décisions simples de sauvegarde (comme aller voir sa voisine) et passe de longues minutes à essayer de se souvenir de son propre numéro de téléphone au bureau… pour se rendre compte qu’elle a perdu le sens des chiffres, puis qu’elle n’arrive plus à parler ! En lisant ce récit, on peut parfaitement comprendre pourquoi de nombreuses victimes vont consulter « trop tard » : la perception de ce qui se passe est altérée, ou plutôt les facultés d’interprétation et de décision sont annihilées. Jill Bolte Taylor insiste sur cette sensation de bien-être liée au fonctionnement du cerveau droit, qu’elle tend à rapprocher de certains états de béatitude lors de méditation. Puis Jill Bolte Taylor décrit ses premiers jours à l’hôpital. Là encore le témoignage est édifiant, car il souligne à quel point ce n’est pas parce qu’elle ne pouvait plus du tout parler qu’elle avait perdu ses facultés cognitives. Nous suivons un petit animal blessé et instinctif, qui supporte mal qu’on parle de lui à la troisième personne, comme d’un débile : cela lui donne envie de se replier, de se refermer. Au contraire, chaque pas vers la guérison est encouragé chaque fois qu’une infirmière ou un médecin s’adresse à elle comme à une personne responsable, malgré l’état de coma ou d’aphasie. Cela paraît du simple bon sens, mais cela fait du bien quand c’est écrit noir sur blanc ! Et puis Jill Bolte Taylor décrit ensuite quelques unes des étapes de sa réhabilitation. Là, le témoignage est stimulant, car elle montre à quel point c’est progressif et long, et comment certaines facultés simples mettent beaucoup de temps à revenir, mais surtout comment la plasticité du cerveau permet sans cesse d’évoluer, de continuer à espérer. Mais ici, on est à mon avis trop dans une « success story » à l’américaine. Jamais de découragements, de rechutes, de colères dans le récit !Tout semble évident, et trois mois après l’accident, elle se raconte de nouveau indépendante. Du coup, le processus semble linéaire et logique et totalement maîtrisé : cela ne ressemble plus beaucoup aux gens que j’ai pu rencontrer, ou aux témoignages que nous entendons parfois. Mais au travers de ces lignes, on sent une logique de soins qui est intéressante : toujours se donner l’occasion d’apprendre, d’expérimenter, de proposer plusieurs choix au cerveau… et se donner la chance de se reposer autant que c’est nécessaire. Ainsi l’auteur fustige le procédé qui consiste à garder les malades éveillés à tout prix, grâce à des traitements chimiques qui rassurent leur entourage, mais pour ne rien faire devant la télévision ! Corpus 1, Le Bulletin n°61, année 2009 Page 38 Il faut au contraire se donner des moments de réapprentissage intense, puis de repos… dans des journées fractionnées, comme dans les PCM. Jill Bolte Taylor cite rapidement la Méthode Feldenkrais, mais à laquelle elle semble n’avoir fait appel que pour débloquer l’articulation de sa mâchoire du côté droit. J’ai recommandé ce livre à des personnes concernées par un AVC, dans leur entourage ou pour ellesmêmes, car il montre bien l’importance de la plasticité du cerveau. Il montre aussi combien le processus est long : il faut être tenace, passer par-dessus les moments de découragement, chercher toujours de nouvelles portes d’entrée, et considérer que, même au bout de plusieurs années, on peut reconstruire des aptitudes. On y trouve ainsi une liste de conseils s’adressant aux malades et à leur entourage, qui peuvent nous paraître du simple bon sens, mais qui sont précieux, et qui peuvent aider à trouver le courage de continuer chaque jour à avancer dans le sens du progrès… Blandine Stintzy 30 décembre 08 à Marseille Voyage au-delà de mon cerveau, Par Dr Jill Bolte Taylor, Prix : 18,50 euros, Broché: 233 pages, Editeur : Jean-Claude Lattès (29 octobre 2008), ISBN : 978-270963081 Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 ARTICLES Vous êtes les bienvenu(e)s pour vous exprimer et écrire des articles dans le bulletin. Voici les critères qui faciliteront la mise en page finale : - travailler à partir d’une page blanche - police Times New Roman, taille 12, espacement simple. - maximum 1000 mots ou 120 lignes. Les articles sont intégrés au fur et à mesure de leur réception dans le Bulletin suivant. Si des thèmes particuliers vous intéressent, merci de nous en faire part. Vous pouvez écrire sur tous vos thèmes préférés, les articles seront regroupés ultérieurement. Merci de contacter Xavier Lainé à [email protected] pour le prévenir que vous écrivez un article, dés que possible, ou pour le lui envoyer. Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009 Feldenkrais France Feldenkrais France, Association loi 1901 Corpus est une revue éditée par Feldenkrais France Siège social: 75011 Paris Rédaction et mise en page: atelier des Ferrages, Manosque Directeur de rédaction: Jean-Marc Soudon Secrétariat: 16bis rue Fontenelles 91310 Linas. des Comité de rédaction: Feldenkrais France. Téléphone/Télécopie : 01 60 19 39 Conseil d’administration Ont participé à ce numéro: Jean-Marc Soudon, François Combeau, Myriam Pfeffer, Denis Barthélemy, 33 Jessie Delage, Chantal Guilbaud, Blandine Stintzy, Marie-Cécile Delache, Ilana Nevill, Anne Marie Joullié, David Hall, Thierry Pajot, Stuart Seide, Andrée Detaille. Messagerie : secré[email protected] Crédit photographique : Michèle Desplanches. « Le mouvement au service de la connaissance de soi » ISSN: en cours d’attribution Sommaire Tout sur l’association, éditorial 3 Liste des documents disponibles 4 Devenir trainer : transmettre un chemin de responsabilité 5-10 Une introduction à la Méthode Feldenkrais 11-18 Première rencontre « educatiomaticienne » en France 19-23 Témoins: Feldenkrais? 24 A la recherche de l’équilibre 25-31 Réflexion toute personnelle 32 Cinq semaines dans la vie d’un metteur en scène : entretien 33-36 Corpus 1, Le bulletin n°61, année 2009