un luxe d`expérience

Transcription

un luxe d`expérience
UN LUXE
D’EXPÉRIENCE
LE LUXE À L’ÈRE DE L’ÉCONOMIE DE L’EXPÉRIENCE
Une étude Centre du luxe et de la création en partenariat avec John Paul
01 février 2016
EXECUTIVE
SUMMARY
L
E CENTRE DU LUXE ET DE LA CRÉATION est le think tank
et le do tank de référence des métiers du luxe et de la création.
Son but ? Inventer et construire les voies d’avenir du luxe à
travers ses dimensions créatives, sociologiques et économiques. Il
contribue ainsi à la promotion d’une réflexion transversale, riche
et originale, dont le point d’orgue est le Sommet du luxe et de la création.
Lieu d’échange et d’expression, le Sommet inspire chaque année les
idées, les projets et les courants qui animent en profondeur l’évolution de
la « planète Luxe ».
J
OHN PAUL, le numéro 1 mondial de la fidélisation, a créé le
« Concierge augmenté», le Concierge de la plus grande tradition,
avec les moyens nés de la révolution numérique. Aujourd’hui, au
service des marques et des entreprises les plus attentives à leur
relation client, John Paul cultive les valeurs de mémoire, d’intuition,
d’engagement, de réseau et de discrétion immuables au Concierge.
Doté des meilleures expertises métier, d’outils technologiques brevetés et
de réseaux de partenaires exclusifs à travers le monde, John Paul offre la
solution de fidélisation la plus complète et la plus globale aux entreprises
et marques les plus prestigieuses de la planète, dans plusieurs secteurs :
la banque, l’automobile, le transport, les télécoms, la santé, l’assurance,
le luxe… John Paul accompagne ses clients sur la conception de leur offre
ainsi que sur la mise en œuvre de leurs programmes relationnels, incluant
une offre de service, de contenu et d’animation multicanale personnalisée.
Les auteurs
femmes tendent à privilégier la dimension sensorielle de
l’expérience. De même, pour les jeunes générations,
l’expérience apparaît bien plus sous le signe de
l’intensité, alors que pour les générations plus âgées,
elle est avant tout le support d’un souvenir plaisant et
mémorable car unique.
Le luxe d’expérience représente d’ores et déjà plus de
la moitié du marché global du luxe (55% en 2011) et
il connaît une croissance 50% plus rapide que celle
des biens de luxe. Mais ce développement du luxe
d’expérience reste difficile à cerner, car il résulte des
comportements de consommateurs aux aspirations
très différentes, entre les baby-boomers pour qui
l’expérience vient s’ajouter à la possession d’objets
physiques, et la génération Y pour qui elle tend à s’y
substituer. L’expression même de « luxe d’expérience »
a plusieurs facettes car à côté du tourisme et de la
gastronomie, secteurs dédiés à l’expérience, on assiste
à une « expérientialisation » du luxe dans son ensemble.
L’expérience digitale devient incontournable : les ventes
en ligne de produits de luxe ont atteint 14 milliards
d’euros en 2014, soit seulement 6% des ventes totales
de produits de luxe, mais en croissance de 50% par
rapport à 2013. Et au final, c’est la moitié des ventes
du luxe qui sont générées ou influencées par le digital,
une part qui pourrait atteindre jusqu’à 80% en 2020.
Le digital fait désormais partie intégrante de l’expérience
luxe, où qu’elle ait lieu. Les marques doivent donc offrir
aux clients un engagement régulier et personnalisé,
avec une technologie à l’ergonomie irréprochable, tout
en restant fidèles à leur identité de marque.
Si le digital constitue la nouvelle frontière du luxe,
le magasin est et reste le point de contact privilégié
entre les clients et les marques, qui réunit et magnifie
l’expérience et le produit.
Le développement du réseau de boutiques en propre,
avec une forte dimension de théâtralisation, constitue
un moyen pour les marques de luxe de réaffirmer leur
différence avec les marques premium, tout autant qu’un
levier de croissance économique.
L’hôtellerie de luxe, secteur traditionnel du luxe
d’expérience, livre des clés de lecture essentielles
pour comprendre cette mutation du luxe et les
nouvelles attentes des clients. Avant de viser
le « wow effect », les marques doivent s’assurer
une maîtrise parfaite des fondamentaux en termes
d’organisation et de logistique. Et face à des clients
toujours plus exigeants mais aussi plus sensibles
au prix, elles doivent optimiser leur « retour sur
expérience » pour obtenir une croissance de leur
chiffre d’affaires sans compromettre leur rentabilité.
L’analyse menée en partenariat, et notamment à partir
de données, du leader de la conciergerie de luxe John
Paul démontre l’importance d’un profilage fin par type
de clientèle : si tous s’accordent sur l’importance de
l’expérience, les hommes tendent à mettre plus l’accent
sur une qualité de service irréprochable, alors que les
Pour relever ces défis concomitants, les marques de luxe
ne peuvent pas se contenter d’ajustements cosmétiques :
elles doivent adapter leur business model pour intégrer
les enjeux de l’expérience à tous les points de leur
chaîne de valeur, dans une démarche transversale de
Customer Experience Management.
Julie El Ghouzzi, Directrice du Centre du luxe et de la création, associée du
Cabinet Carles & Associés
Florent Buisson, Managing Consultant pour le bureau américain de Carles
& Associés
Remerciements
Les auteurs remercient John Paul et tout particulèrement, son CEO
David Amsellem, Maryam Ingar et Maya Sala pour leur contribution à
l’élaboration du projet.
Atelier Ferdinando Caraceni (Milan), Nicoletta Caraceni - photographe : Mario Leclere
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INTRODUCTION : L’ENTRÉE DU LUXE DANS
L’ÉCONOMIE DE L’EXPÉRIENCE
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1/ BCG, Luxe Redux – Raising the bar for selling of luxuries, 2013.
2/ B. Joseph Pine II & James H. Gilmore, The Experience Economy, Harvard Business Review Press, 2ème ed. 2011.
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1. Source : Bain/Altagamma/BCG, retraitement Centre du luxe et de la création
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Cette mutation globale se traduit notamment par l’essor de nouveaux business models, et la réinvention
d’activités anciennes, comme la conciergerie, activité de service haut de gamme s’il en est. Le luxe
d’expérience peut ainsi passer par des demandes extravagantes, telles qu’avoir trente pingouins pour
une soirée Noir et Blanc, mais également par une qualité de service irréprochable pour des prestations
moins insolites. Le Centre du luxe et de la création et John Paul, numéro1 mondial de la fidélisation, ont
décidé de mener une étude afin de comprendre les ressorts du luxe d’expérience et d’explorer les profils
et les attentes des clients de la conciergerie de luxe.
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Les marchés du luxe: luxe personnel et luxe d’expérience (2015e,Md€)
Outre cette hétérogénéité des publics et de leurs attentes, l’expression même de « luxe d’expérience »
a plusieurs facettes, car elle peut se comprendre au sens strict ou au sens large. Dans son acception
la plus limitée, cette expression renvoie aux secteurs économiques dont l’activité première est de fournir
une expérience, comme l’hôtellerie; mais dans un sens plus large, elle décrit comment le luxe dans son
ensemble se transforme pour répondre aux attentes des clients, en accordant un poids croissant aux
expériences de ces derniers. Dans ce dernier cas, l’expérience vécue vient déterminer la valeur perçue
du luxe et en justifier le prestige et le prix.
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Mais ce développement du luxe d’expérience reste difficile à cerner, car il résulte des comportements de
consommateurs aux aspirations très différentes. Ainsi, les baby-boomers qui ont accumulé pendant des
décennies les signes extérieurs de succès et possèdent tous les biens de luxe (voitures, montres) dont ils
rêvaient, aspirent désormais à des expériences uniques, personnalisées et riches de sens; cette maturation
progressive de la demande au niveau individuel dessine une « hiérarchie des désirs » où l’expérience
vient après la possession. Au contraire, pour la génération Y, celle d’Airbnb et d’Instagram, la possession
d’objets, fussent-ils de luxe, devient entièrement superflue : seules comptent les expériences, et leur
« potentiel facebook ».
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Le luxe n’échappe donc pas au développement de l’Économie de l’Expérience, prophétisée dès la fin des
années 1990 par les auteurs américains Joseph Pine et James Gilmore². Ceux-ci voient dans l’expérience
un stade naturel de l’économie après l’agriculture, l’industrie et les services, et le principal levier à la
disposition des entreprises pour éviter la banalisation et (re)trouver le chemin de la profitabilité et de la
croissance.
En définitive, qu’est-ce que le luxe d’expérience ? Une analyse en termes de secteurs peut donner des premiers
éléments de réponse, mais si l’on veut aller plus en profondeur, il faut partir des attentes des clients et de leurs
évolutions, notamment vers des contenus plus personnalisés ; ces nouvelles attentes impactent à leur tour la relation
qu’ont les marques avec leurs clients, aussi bien dans la sphère digitale qu’en magasin, dans tous les secteurs du
luxe ; et en définitive, les effets de cette évolution se ressentent jusqu’à l’intérieur des entreprises, qui doivent modifier
de façon parfois importante leurs opérations et leur business model.
En premier lieu, on peut aborder la question du luxe d’expérience par la taille des secteurs concernés: par opposition
au luxe de la personne – mode et accessoires, horlogerie et joaillerie, parfums et cosmétiques --, le luxe d’expérience
inclut l’hospitalité (voyages et séjours touristiques), mais également les alcools et spiritueux ainsi que la nourriture fine,
et enfin le mobilier et la décoration. Comme on peut le voir, l’hospitalité représente le premier secteur du luxe global
en termes de chiffre d’affaires, avec environ 175 milliards d’euros par an, soit un poids économique correspondant
à deux-tiers de celui du luxe de la personne.
Le luxe d’expérience, au sens strict, recouvre des secteurs avec des caractéristiques économiques très diverses :
l’hospitalité relève des services, le mobilier et les arts concernent des biens durables, et les alcools et spiritueux ainsi
que la nourriture et l’épicerie fine concernent des biens de consommation immédiate. Mais ces différents secteurs
partagent des caractéristiques communes en termes d’attentes des clients.
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Hier signe d’ostentation, aujourd’hui gage d’authenticité et de sensations, le luxe devient plus que jamais
le support d’une expérience unique et riche de sens. Le luxe d’expérience représente d’ores et déjà plus
de la moitié du marché global du luxe (55% en 2011) et il connaît une croissance 50% plus rapide que
celle des biens de luxe1. Loin d’être l’apanage d’une clientèle occidentale censément plus sophistiquée
et revenue de tout, le luxe d’expérience réalise certaines de ses plus belles progressions dans les BRIC et
les nouveaux pays émergents. Il connaît ainsi une croissance de plus de 15% par an en Chine.
ENTRE ÊTRE ET AVOIR, LES NOUVELLES ATTENTES
DES CLIENTS EN MATIÈRE D’EXPÉRIENCE
L’hôtellerie de luxe, navire amiral du luxe d’expérience
Principal secteur du luxe d’expérience en termes de chiffre d’affaires, l’hôtellerie de luxe, et plus généralement
l’hospitalité (ce qui inclut également les séjours et voyages) connait actuellement une forte croissance, portée par
l’appétit de découverte et d’aventure des nouvelles classes affluentes au niveau mondial.
Après une croissance de quasiment +20% entre 2011 et 2012, l’hôtellerie de luxe continue depuis lors d’afficher
un des taux de croissance les plus élevés du luxe, dans un contexte de ralentissement global de la demande pour
le luxe. Entre 2011 et 2015, le chiffre d’affaires du secteur a ainsi augmenté de près de 65%.
Mais cette croissance ne va pas sans risques et difficultés pour les opérateurs hôteliers, car la clientèle se montre
de plus en plus exigeante et la concurrence entre acteurs reste intense.
Ce qui était hier un facteur de différenciation est aujourd’hui devenu la norme ; pour satisfaire des nouveaux clients
avides d’une expérience personnalisée et authentique, les opérateurs hôteliers rivalisent désormais d’inventivité. Ils
se tournent ainsi vers le domaine de l’art, en demandant à des artistes de décorer et de personnaliser les chambres,
et vers l’événementiel, en multipliant spectacles, conférences et événements en tous genres dans les espaces
communs.
La sensation et la qualité au premier plan vs le prix et l’accessibilité
Pour mieux comprendre les ressorts de l’expérience, le cas de l’hôtellerie de luxe est donc particulièrement instructif.
Nous avons analysé les retours clients sur les médias sociaux et les sites internet d’évaluation sur deux régions aux
cultures distinctes, l’Amérique du Nord et l’Asie, ce qui permet d’adopter une perspective globale.
Comme le montre le graphique 3 (p8), les ressorts d’une expérience réussie et satisfaisante sont dans le registre de
la sensation, avec l’esthétique au premier plan, et de la relation client, avec la qualité du service comme second
critère le plus mentionné. Le caractère « luxueux » de l’expérience n’arrive qu’en troisième position.
Inversement, les ressorts d’une expérience insatisfaisante sont dans un registre complètement différent : tout d’abord,
un prix jugé excessif, et dans un deuxième temps les aspects pratiques du séjour, tels que la vitesse du service, la
qualité de l’accès internet ou l’accessibilité du parking.
On peut noter également que l’importance des différents critères est très similaire entre les deux régions, ce qui
confirme l’émergence d’une classe moyenne et fortunée cosmopolite dont les attentes convergent.
Au-delà du secteur de l’hôtellerie, ces résultats mettent en évidence trois leçons plus générales pour le luxe d’expérience.
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L’importance de maîtriser les fondamentaux du service
En premier lieu, il faut noter l’importance de maîtriser les fondamentaux. Avant d’investir dans une expérience
spectaculaire pour les clients, il faut s’assurer d’une exécution impeccable au point de vue logistique. Des détails
apparemment triviaux peuvent rompre le charme et conduire à un ressenti négatif de la part des clients. Garantir un
service irréprochable, à la hauteur des attentes d’une clientèle exigeante est la base indispensable, sans laquelle
on ne peut bâtir une expérience.
Aussi toutes les marques doivent penser à la formation de leur force de vente avant tout.
Une trivialité ? Pas si sûr, tant est important le fait d’accueillir le client avec respect et élégance, savoir discerner
ses vœux, l’accompagner jusqu’à la porte une fois ses achats terminés, et surtout, expliquer les produits, mettre en
valeur l’univers de la marque.
La qualité des vendeurs en boutique est cruciale pour l’avenir de la marque : premiers et parfois uniques représentants
de la marque aux yeux des clients, ils portent son image et son avenir.
Les entreprises de luxe ont de plus en plus tendance à considérer les services comme une valeur ajoutée, si bien
qu’elles cherchent à se distinguer et exprimer leur qualité par un empilage toujours croissant de services. Parfois à
l’extrême : aujourd’hui, dans la plupart des grands hôtels, il existe une ribambelle de personnes attachées au service
des clients et une liste de services à n’en plus finir. Est-ce un réel service ou un folklore de service? Alors que les
marques sont en constante recherche de la distinction et singularisation de leur identité, peut-être serait-il opportun
de s’attacher à singulariser le service aussi.
Tous les clients n’attendent pas le même niveau de service ; entre le client pressé, celui qui souhaite un service discret
et non ostentatoire, et celui qui entend goûter au temps qu’il s’offre, il s’agit de cerner le besoin pour y répondre
du mieux possible.
Les marques doivent donc s’attacher à définir des standards de service qui leur sont propres et qui sont différents en
fonction des typologies de clients que le vendeur doit être capable de reconnaître.
Mesurer le retour sur expérience optimal
Par ailleurs, les nouveaux clients du luxe sont de plus en plus sensibles aux prix. Une expérience extraordinaire
est indispensable pour gagner l’attachement et la loyauté des clients, mais pas à n’importe quel prix. Les marques
doivent déterminer le « Retour sur Expérience » optimal, pour réussir à fidéliser des clients de plus en plus fugitifs.
L’écoute du client doit être au cœur du dispositif et aucun « management du client » ne peut remplacer cette écoute.
Là où la relation au client était autrefois directe et personnelle, nous sommes passés à des relations individualisées,
instantanées et multiformes. Cette clientèle cosmopolite, toujours plus dense, implique une nécessaire réorganisation
de l’entreprise, davantage focalisée sur la réaction et sur l’anticipation. Le challenge de ces entreprises est donc de
trouver les moyens de s’adapter à cette nouvelle configuration. Ceci doit conduire :
- à l’élaboration de parcours et de scénarios différenciés qui doivent permettre aux équipes de trouver la bonne
réaction à avoir en fonction des clients et en fonction de leurs demandes. Plus encore un même client peut avoir
deux attitudes très différentes d’une fois sur l’autre et il faut être capable de le prendre en compte : il faut désormais
savoir adapter le temps de la vente aux demandes.
- à la mise en place d’organisations matricielles capables d’identifier puis d’intégrer tous les flux informationnels
pour les restituer sur le long terme. Les marques doivent ainsi entretenir soigneusement un historique des achats,
des préférences et des goûts du client. A ce titre, l’apparition de « responsables de l’expérience » depuis quelques
années est un signal qui démontre que les Maisons de luxe ont pris le tournant d’une gestion agile de l’expérience
client avec une approche très pragmatique qui s’éloigne de certains modèles rigides de CRM du mass market.
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« MY LITTLE EXPERIENCE » : LE DÉVELOPPEMENT DES
CONTENUS PERSONNALISÉS
Evolution du chiffre d’affaire de l’hôtellerie de luxe (Md€)
La Conciergerie de luxe, générateur d’expérience
Majoritairement des hommes (à 83%), d’un âge moyen de 40 ans, les clients de la conciergerie de luxe y font
appel comme « générateur d’expérience » plus que comme « facilitateur de possession », comme on peut le voir sur
le graphique 4 : les principales catégories de requêtes sont la restauration (25% des requêtes), la billetterie (12%)
et l’hôtellerie (12%). Les requêtes liées au shopping n’arrivent qu’en septième position avec 4% des requêtes.
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2012
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2014
2015
Principales requêtes des clients de la conciergerie de luxe
2. Source : Bain & Company, retraitement Centre du luxe et de la création
Susciter l’engagement émotionnel
Enfin, la différence entre une expérience simplement satisfaisante et le « wow effect » s’inscrit pleinement dans
le registre esthétique. Le désir du beau se transforme en désir hédoniste. Pour atteindre le niveau suprême de
l’expérience client, les marques doivent conjuguer, organiser et optimiser les stimuli sensoriels afin de susciter
l’engagement émotionnel des clients. Une maison de luxe doit faire rêver et immerger le client dans son univers et
son mythe, mais attention, une histoire mal maîtrisée ou qui manquerait d’authenticité ne saurait berner longtemps
une clientèle surinformée. La clientèle chinoise par exemple, longtemps perçue comme immature, évolue rapidement:
très exigeante, elle a des demandes de plus en plus sophistiquées. Ainsi chaque marque doit adapter ses services,
son accueil, ses rituels de vente et l’aménagement de ses lieux de vente – physiques ou digitaux – en fonction de
son identité, afin de se différencier et de susciter une adhésion du client à des valeurs choisies et comprises.
Vitesse Accès internet Parking
+ wifi
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Shopping
29-39 ans
39-49 ans
49-59 ans
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5. Source : JohnPaul, retraitement Centre du luxe et de la création
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David Amsellem, CEO de John Paul
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Grâce aux outils de la révolution numérique, nous avons réinventé l’un des plus beaux métiers
du monde, celui de Concierge de palace. Aujourd’hui, notre « Concierge augmenté » est
devenu le pivot de la relation des plus grandes marques désireuses de fidéliser leurs meilleurs
clients et collaborateurs : nous sommes l’âme de leurs programmes relationnels.
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3. Source : données ILTM/Brand Karma, retraitement Centre du luxe et de la création
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Asie
Séjour
Principales catégories de requêtes (% des requêtes par catégorie d’âge)
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Amérique du nord
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4. Source : JohnPaul, retraitement Centre du luxe et de la création
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Prix
Location
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Service
Billeterie spectacle/
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Ce rôle de générateur d’expérience transcende les générations et les genres, comme le montre le graphique 5. La
réservation de restaurant est la première catégorie de requête pour toutes les tranches d’âge sauf les plus de 60
ans, qui privilégient les demandes de billetterie. Les demandes de séjour constituent le second point saillant pour
cette catégorie d’âge, avec près de 10% des demandes, alors que les requêtes relatives aux séjours ne représentent
que 5% en moyenne du total pour les autres.
Les plus jeunes (19-29 ans) se distinguent quant à eux par un recours significativement plus important à la location
de voiture (plus de 15% des requêtes contre 10% en moyenne pour les autres catégories d’âge).
Or si la location de voiture constitue en soi un service, elle représente également une certaine forme d’expérience,
centrée sur l’individu et ses sensations.
Les ressorts de l’expérience dans l’hôtellerie de luxe - Focus sur
l’Amérique du Nord et l’Asie
Esthétique
Restaurant
Fréquence relative du champs lexical du service (‰ du corpus par genre)
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Principales catégories de requêtes
(% du total des requêtes pour chaque genre)
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De même, on observe des différences limitées entre hommes et femmes dans les types de requêtes effectuées
(graphique 6). Les deux principales différences se manifestent au niveau des requêtes de restauration – 26% des
requêtes pour les hommes contre seulement 18% des requêtes pour les femmes -, et les invitations – avec 7% des
requêtes, les femmes y recourent deux fois plus en proportion que les hommes pour qui les invitations ne représentent
que 3% des requêtes.
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A contrario, les femmes mettent plus l’accent sur la
dimension expérientielle et sensorielle du service (graphique
9). Elles utilisent légèrement plus les termes marquant la
temporalité tels que « moment » et « instant » (respectivement
5% et 30% plus), mais surtout, elles recourent beaucoup
plus aux termes mélioratifs comme « merveilleux »,
« extraordinaire » et « inoubliable » (respectivement 70%, 80%
et 80% plus).
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8. Source : JohnPaul, retraitement Centre du luxe et de la création
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6. Source : JohnPaul, retraitement Centre du luxe et de la création
Le luxe d’expérience représente donc une tendance transversale, commune aux différents marchés comme aux
différentes clientèles. Les différences entre catégories démographiques n’apparaissent pas au niveau des types
d’expérience recherchés mais, comme on va le voir, au niveau de la perception qu’en ont les clients.
Intense vs mémorable, typologie des expériences
Nous avons réalisé une analyse en termes de champs lexicaux (machine learning), dont le graphique 7 est la
représentation graphique synthétique. Cette analyse montre des différences notables en termes de perception
entre les genres. Ainsi, les hommes mettent l’accent sur le service lui-même dans une approche qu’on peut qualifier
d’utilitariste (graphique 8). Le terme « service », au singulier ou au pluriel, apparaît 22 fois pour mille du côté
des hommes, contre seulement 13 fois pour mille chez les femmes. Le terme lié « efficacité » apparaît avec une
fréquence 33% plus élevée chez les hommes ; quant au terme lié « professionnalisme », il apparaît quant à lui trois
fois plus souvent chez les hommes que chez les femmes.
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Fréquence relative du champs lexical de l’expérience (‰ du corpus par genre)
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9. Source : JohnPaul retraitement Centre du luxe et de la création
Il est intéressant de noter que cette distinction entre genres se redouble d’une distinction légèrement différente
entre générations. Même si l’expérience d’un point de vue global apparaît comme une tendance qui traverse les
générations, la perception de l’expérience n’est pas la même en fonction de l’âge, comme le montre le graphique
10 : pour les jeunes générations (19-29 ans), l’expérience apparaît bien plus sous le signe de l’intensité, comme
le dénote le poids du terme « plaisir », utilisé 2,4 fois plus fréquemment que pour les générations plus âgées (49
ans et plus).
Plat de Guillaume Sanchez, chef du Nomos (Paris)
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Si leur apport à l’économie générale est indéniable, le luxe et la création sont également et
surtout porteurs de valeurs autres que purement économiques : ils donnent du goût, du sens et
de la couleur à la vie dans un monde en recherche d’authenticité. Le luxe d’expérience incarne
cette quête d’une existence exceptionnelle et unique.
Julie El Ghouzzi, directeur du Centre du luxe et de la création
Au contraire, pour ces dernières, l’expérience apparaît d’abord comme le support d’un souvenir plaisant et
mémorable car unique. Le terme « inoubliable» apparaît ainsi près d’une fois pour mille chez les générations plus
âgées alors qu’il est entièrement absent dans le corpus des jeunes générations.
Par conséquent, les marques doivent adopter une démarche différenciée afin de gagner la satisfaction et la loyauté
des clients : pour les clients les plus jeunes, le développement de l’expérience client passera par le renouvellement
constant, les effets de surprise et de saturation sensorielle ; au contraire, pour les clients plus âgés, le développement
de l’expérience client passera par le storytelling de marque et l’établissement de la relation client dans la durée afin
de capitaliser sur l’histoire commune.
Dans le premier cas, les facteurs situationnels vont avoir tendance à dominer les facteurs relationnels, alors que
ce sera l’inverse dans le second cas ; mais l’expérience luxe est toujours plurielle, et il serait dangereux de vouloir
la réduire à une seule dimension. En effet, quels que soient les clients, la consommation de produits de luxe a une
signification symbolique, c’est une expérience hautement personnelle qui mêle aspects émotionnels, affectifs et
imaginaires.
10. Source : Bain/JohnPaul/BCG, retraitement Centre du luxe et de la création
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L’expérience digitale devient incontournable
Aujourd’hui, au niveau mondial 95% des clients du luxe ont un smartphone, et dans la plupart des marchés
matures, cette valeur atteint 100%3. La moitié des clients du luxe utilisent les médias sociaux de manière au moins
hebdomadaire. En permanence connectés et actifs sur les réseaux sociaux, les clients du luxe ont de fortes attentes
en ce qui concerne leur expérience en ligne. Les ventes en ligne de produits de luxe ont atteint 14 milliards d’euros
en 2014, soit seulement 6% des ventes totales de produits de luxe, mais en croissance de 50% par rapport à
2013. Comme le montre le graphique 11, le poids du digital dans la croissance du luxe personnel ne va faire que
s’accentuer dans les années à venir4.
L’influence du digital sur les ventes du luxe s’étend au-delà des seules ventes directes en ligne, pour inclure la
consultation des sites des marques et des réseaux sociaux à la recherche d’informations : au final, c’est la moitié des
ventes du luxe qui sont générées ou influencées par le digital (Researched Online Purchased Offline et Researched
Offline Purchased Online)5, une part qui pourrait atteindre jusqu’à 80% en 20206. D’autant que le territoire
du digital s’étend avec le progrès technologique et la généralisation des smartphones : plus de la moitié des
recherches en ligne des clients du luxe sont désormais effectuées à partir d’un téléphone mobile7. Les clients n’ont
plus besoin d’être chez eux pour effectuer une recherche internet, ils peuvent se connecter depuis l’intérieur même
d’une boutique de luxe.
Mais l’expérience digitale va au-delà de l’achat en ligne, et impacte l’expérience d’ensemble des clients et leur
rapport aux marques. Les clients réclament une interaction régulière avec leurs marques favorites sur leurs propres
sites ainsi que sur les réseaux sociaux, avec des contenus dédiés et régulièrement renouvelés.
Ces dernières années, un nombre croissant de marques de luxe ont développé de façon importante leur présence
digitale et les relations digitales avec leurs clients. Ainsi, d’ici 2020, environ 90% des clients du luxe auront donné
à leurs marques favorites leur adresse mél et/ou leur identité ; en échange de cette confiance, les clients attendent
désormais des marques qu’elles offrent une expérience digitale omnichannel optimisée et personnalisée.
Pour autant, atteindre ce niveau d’excellence ne nécessite pas forcément des investissements massifs, et les marques
ont intérêt à se concentrer sur les canaux offrant le meilleur retour sur investissement eu égard aux comportements
effectifs des clients : ainsi, moins de 5% des clients du luxe ont téléchargé l’application mobile d’une marque de
luxe. Les investissements effectués doivent également cibler les aspects de l’expérience digitale qui sont les plus
saillants pour les clients ; en la matière, la conclusion tirée précédemment concernant l’expérience dans l’hôtellerie
de luxe reste applicable : il faut maîtriser les fondamentaux avant de penser au « wow effect ».
Fréquence relative du champs lexical de l’expérience
(‰ du corpus par catégories d’âge)
19-29 ans
RETAIL VS INTERNET : L’EXPÉRIENCE D’ACHAT DANS
TOUTES SES DIMENSIONS
Or sur internet, les fondamentaux sont l’ergonomie et la rapidité de navigation, ce qui va à rebours de la tendance
naturelle des marques de luxe à faire passer l’esthétique avant tout.
Les marques doivent donc réussir à marquer leur différence et à mettre en scène leur image dans un monde où les
clients naviguent sur internet via leur mobile et tolèrent de moins en moins les temps de chargement.
Pour cela, elles doivent éviter les stratégies d’imitation (effet « moi aussi») au profit d’une stratégie digitale alignée
sur l’image de marque et la stratégie globale. Une marque d’ultra-luxe qui décide de capitaliser sur sa réputation
d’exclusivité peut par exemple restreindre sa présence globale sur les réseaux sociaux, avec une démarche
différenciée par publics. Réserver certains contenus aux clients et fans les plus fidèles peut permettre de créer la
différence en se focalisant sur l’audience la plus réceptive. En définitive, il serait réducteur de considérer le digital
comme un canal de communication et de vente parallèle à la boutique ; bien au contraire, le digital est désormais
une dimension supplémentaire de l’expérience luxe, où qu’elle ait lieu.
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La contribution du digital à la croissance
du luxe personnel (Md€)
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L’expérience en magasin au cœur de la relation client
Si le digital constitue la nouvelle frontière du luxe, le magasin est et reste le point de contact privilégié entre les
clients et les marques. Ces dernières l’ont bien compris et ont entrepris ces dernières années d’investir de façon
importante dans leur réseau de boutiques en propre, que ce soit pour ouvrir de nouveaux points de vente en propre,
redécorer et réaménager ceux qui étaient déjà détenus par les marques, ou racheter ceux qui étaient gérés par
des tiers. Entre 2005 et 2014, Richemont a ainsi doublé le nombre total de boutiques en propre de ses marques.
Au cœur de ce déploiement stratégique de ressources, l’expérience client. En effet, 80% des clients du luxe
fréquentent régulièrement les boutiques des marques de luxe8 et l’expérience en boutique influence de façon
importante la perception qu’ils ont des marques, ainsi que leur loyauté. Même les clients occasionnels, qualifiés
« d’excursionnistes » du luxe9, qui ont acheté entre 1 et 5 articles de luxe dans les deux dernières années, ont des
attentes très fortes en matière d’expérience en magasin. Etant donné le caractère littéralement exceptionnel de
l’achat et leur manque de familiarité avec le luxe, ils attendent des marques une expérience impeccable qui soit à
la hauteur de leur propre investissement émotionnel.
Le développement des points de vente, avec une forte dimension de théâtralisation constitue en particulier un moyen
pour les marques de luxe de réaffirmer leur différence avec les marques premium, voire mass-market, qui copient
de plus en plus les codes du luxe depuis plusieurs années.
Dans les flagships des marques, véritables temples du luxe, la décoration somptueuse et les rituels feutrés alimentent
ainsi une expérience sensorielle unique et exclusive. Thématisé, le flagship devient un lieu de divertissement et
de spectacle, empreint d’une charge symbolique forte, où les expériences client prennent une intensité et une
résonance toute particulière.
À l’autre extrémité du spectre en termes de permanence mais avec la même attention à la mise en scène, les popup stores renouvellent l’expérience client : ils créent la surprise en relayant la mythologie de la marque de manière
ludique. L’enjeu pour les marques est d’importance, puisque l’expérience en magasin impacte directement les
résultats financiers : quand Prada a converti son point de vente chez Bloomingdale en un shop-in-shop, les ventes
ont augmenté de 30%10.
Le contrôle et le développement de l’expérience en magasin répond également à des priorités stratégiques des
marques : mieux connaître les clients et leurs attentes, et éduquer les clients et clients potentiels sur la marque et
ses produits. On voit ainsi des marques habituées à vendre leurs produits par l’intermédiaire d’un distributeur (ex. :
alcools, horlogerie) ouvrir leurs propres boutiques pour établir une connexion directe avec les clients.
En définitive, la boutique s’avère pour les marques de luxe une passerelle qui réconcilie expérience et produit :
le produit avec sa sensorialité - textures, couleurs, voire odeurs et saveurs – est magnifié par le cérémonial de
l’expérience d’achat ; inversement, le souvenir de celle-ci vient s’incarner durablement dans la possession du produit.
3/ McKinsey & Company, Digital Inside: Get wired for the ultimate luxury experience, 2015
4/ Exane BNP Paribas, Luxury Goods – The Digital Frontier: Ready? Steady! Go!, 2014
5/ McKinsey & Company, Digital Luxury Experience 2013 – Keeping up with changing customers, 2014.
6/ Exane BNP Paribas, Digital Frontier: The New Luxury World of 2020, 2015.
7/ McKinsey & Company, Luxury shopping in the digital age, 2014.
8/ McKinsey & Company, Digital Inside: Get wired for the ultimate luxury experience, 2015.
9/ Dubois & Laurent, « Le luxe par-delà les frontières : une étude exploratoire dans douze pays »,Décisions marketing, 1996.
10/ Sanford Bernstein, European Luxury Goods «Store Wars»: All You Need to Know About the Retail Operations of the Major Luxury Brands, 2013
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Croissance du luxe d’expérience au sens strict, mais également expérientialisation du luxe personnel : du site
internet à la boutique, l’expérience s’est imposée comme une dimension incontournable du luxe. Pour répondre à
cette transformation, il ne suffit pas d’optimiser son site internet ou de redécorer ses boutiques ; les marques de luxe
doivent repenser en profondeur les relations qu’elles ont avec leurs clients, et par là leur business model tout entier.
Cette question de l’expérience est au cœur des interrogations des dirigeants du luxe aujourd’hui:
les business models sont métamorphosés par les enjeux d’internet, les logiques de boutiques
géantes des années 2000 s’essoufflent à certains endroits, les clients recherchent de plus en
plus d’émotion dans l’achat… Face à ces challenges nombreux, le luxe expérimente autant
qu’il propose un nouveau modèle où la relation émotionnelle et l’expérience sont au moins
aussi importantes que le produit.
Jacques Carles, président du Centre du luxe et de la création
En premier lieu, la dichotomie entre la boutique et l’atelier ou le lieu de production tend à s’estomper : via les visites
guidées et les vidéos en ligne, l’atelier devient une vitrine à part entière de la marque. Les boutiques historiques
comportant un atelier sont ainsi investies d’une signification particulière : ces lieux hautement symboliques sont
porteurs de l’histoire de la marque, et l’expérience d’achat y est encore plus qu’ailleurs l’expérience de la marque
elle-même.
Les artisans et créateurs ne peuvent donc plus se contenter de maîtriser à la perfection leurs savoir-faire – même
si cela reste naturellement indispensable --, ils deviennent de véritables ambassadeurs de la marque, en dialogue
permanent avec les clients. La quadrature du cercle pour les marques est alors de préserver leur aura de prestige
et d’exclusivité tout en adoptant une culture de l’ouverture qui va à l’encontre du secret auquel nombre d’entre
elles s’étaient habituées. À l’inverse, avec le développement des ventes en ligne, le logement même des clients
devient un point de contact à optimiser. Pour les marques qui ont l’habitude de « jouer à domicile », l’enjeu est de
développer une expérience riche autour du produit lui-même et de son packaging, sans pouvoir bénéficier du faste
de la boutique et de la présence des vendeurs.
Paradoxalement, au lieu de s’effacer derrière l’expérience d’achat, le produit devient alors le principal support de
celle-ci.
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11. Source : Bain/Altagamma/BCG retraitement Centre du luxe et de la création
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DU PRODUIT À L’EXPÉRIENCE : LES NÉCESSAIRES
MUTATIONS DES ENTREPRISES
Trois grandes étapes ont marqué selon moi l’évolution des prises de conscience. D’abord la
crise économique de 2008, qui a obligé les grandes entreprises à se réinventer, à redécouvrir
le client. Ensuite, l’insolente santé financière du secteur du luxe qui est devenu un modèle pour
toutes les industries. On a réalisé que « sens du client » peut se conjuguer avec rentabilité…
Enfin, la vague du digital a forcé les entreprises à refondre leurs outils, leurs process et repenser
la relation. Nous devons satisfaire des clients de plus en plus globaux, de plus en plus volatiles
et de plus en plus exigeants !
David Amsellem, CEO de John Paul
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Cette extension du domaine de l’expérience client entraîne enfin une restructuration des entreprises avec une
organisation de plus en plus matricielle ; on assiste ainsi à l’apparition de fonctions transversales, telles que le
Customer Experience Management, qui visent à assurer une expérience client de grande qualité à tous les points
de contact, qu’ils soient physiques ou digitaux.
Cette importance de la mise en scène constitue également une opportunité pour les marques avec une histoire riche
et des savoir-faire exceptionnels de se distinguer plus encore des marques premium et mass-market. Les racines
européennes de nombreuses marques de luxe sont un atout inestimable dans l’élaboration d’un storytelling qui saura
émouvoir les clients et susciter le désir d’achat. La localisation de la production en particulier cesse d’être purement
un enjeu de supply chain et devient un atout de communication pour les marques qui peuvent revendiquer le made
in France ou le made in Italy.
Toute la difficulté est alors de concilier l’identité originelle de la marque et la nécessaire adaptation aux contextes
locaux. D’un côté les clients réclament une relation individualisée avec des produits uniques et adaptés à leurs goûts
et cultures ; de l’autre, les clients s’attendent à retrouver la même identité de marque à travers le monde quand ils
voyagent. Par conséquent, il faut préserver et renforcer la clarté de l’image de marque, pour compenser la variété
des produits.
CONCLUSION
Le luxe d’expérience constitue une part croissante du luxe dans son ensemble, et même les secteurs qui relèvent
historiquement du luxe personnel évoluent en ce sens. Face à des clients de plus en plus exigeants, les marques
doivent maintenir l’excellence en toutes circonstances et sur tous les canaux, du digital aux points de vente physiques.
Pour ce faire, les marques ne peuvent pas se contenter de saupoudrer d’expérience leur offre, mais doivent repenser
en profondeur la définition de leur business model.
À ce titre, la place croissante de l’expérience dans le luxe peut sembler remettre en cause certains fondamentaux du
secteur tels que matières premières de grande qualité et produits exceptionnels. Mais en réalité, le luxe d’expérience
repose sur des valeurs intrinsèques au luxe : qualité de service et écoute des clients, valorisation des savoir-faire et
de l’histoire des marques. Loin de menacer le luxe traditionnel, l’expérientialisation du luxe lui offre au contraire une
nouvelle opportunité de différenciation et d’excellence.
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