Biographie - Le blog de Véronique Biefnot

Transcription

Biographie - Le blog de Véronique Biefnot
Rencontre avec Véronique Biefnot
Biographie
Le regard pétillant, le sourire ravageur, le port altier, Véronique Biefnot est une comédienne et
romancière belge qui attire naturellement les regards. Au premier contact, on découvre une femme
charmante, énergique, sympathique et très talentueuse.
Depuis 2011, elle a donné une autre orientation à sa carrière. Elle avait consacré sa vie au théâtre en
jouant sur les planches de la plupart des scènes belges. Mais la belle qui est aussi très éclectique aime
écrire. Et par un heureux concours de circonstances, depuis 2011 elle est devenue une romancière très
prometteuse. En un an et demi, quatre romans et plusieurs nouvelles ont été publiés chez différents
éditeurs. Véronique ne compte pas en rester là, et va continuer à nous entrainer dans son propre
monde, dans son propre imaginaire, passant du drame au thriller, à l’aventure et à la romance, sans
oublié de faire un détour par le fantastique. Son écriture se distingue par un savant dosage entre drame
et romance. Rien n’est tout à faire rose, rien n’est tout à fait noir. Les thèmes qu’elle nous propose
sont en partie inspirés par des événements de notre époque. Mais au-delà de ses histoires, ce qui la
caractérise le plus c’est son écriture, son style fluide et clair, sa sensibilité, son regard sur les autres.
Ces textes sont écrits pour être lus à haute voix. C’est un plaisir d’entendre Véronique lire des
passages de ses propres textes. Ses talents de comédienne et son habitude du doublage rendent ses
textes encore plus vivants.
Véronique Biefnot est née à Colfontaine, et vit avec son mari et ses trois enfants en Brabant Wallon.
Après une agrégation en philo et lettres à l’ULB, l’étude de la peinture aux Beaux-Arts et de l’Art
Dramatique au Conservatoire, Véronique Biefnot a interprété plus de quarante grands rôles sur la
plupart des scènes théâtrales belges (théâtre du Parc, des Galeries, Varia, Public, Jean Vilar…). Elle
a ainsi eu l’occasion d’interpréter quelques grands rôles emblématiques du répertoire, de Suzaneke
Beulemans à Macha, Helena ou Irina chez Tchékov, Elmire dans « Tartuffe » dans trois mises en
scène différentes, Hélène dans « La guerre de Troyes » et « Les Troyennes », etc. sans oublier le
récent grand succès « Le Dieu du carnage » joué pendant deux saisons au Public et en tournée…
Véronique Biefnot a aussi affronté la scène en solo, avec La lettre d’une religieuse portugaise.
Parallèlement à cette vie de comédienne, de présentatrice de télévision et de metteur en scène
(« Garbo n’a plus le sourire » au Théâtre Royal du Parc et « Les Combustibles » au théâtre Le Public),
elle a toujours mené des projets en solitaire, creusant le sillon artistique grâce à la peinture et
l’écriture.
Ainsi, outre quelques adaptations théâtrales, elle a écrit et dirigé un moyen métrage : « Alme » ; elle
a mis en espace, pour le Magasin d’écriture théâtrale, des textes inédits de Régis Debray, Jacqueline
Harpman, Jean-Marie Piemme… etc.
Véronique Biefnot a présenté plusieurs émissions sur la RTBF (Ciné-clip). À l’heure actuelle, elle est
aussi chroniqueuse pour l’émission 50 degrés Nord coproduite par la RTBF et ARTE.
En tant que comédienne, Véronique fait du doublage. On lui doit par exemple d’être la voix
francophone de Lisa McCune (lieutenant Kate McGregor) dans la série Sea patrol (Patrouille des
mers). Elle a aussi doublé Pamela Anderson (VIP), Diana Glenn (Satisfaction), ou Hermione Norris
(MI-5 et La fureur dans le sang).
En mai 2011, son premier roman, « Comme des larmes sous la pluie », est paru aux éditions Héloïse
d’Ormesson, suivi du second, « Les Murmures de la terre », en mai 2012. Le troisième tome de cette
trilogie est écrit et est pour l’instant chez son éditeur. À partir de novembre 2012, on a eu droit à deux
nouveaux livres dans deux autres registres. « Sous les ruines de Villers », un court roman sentimental
qui s’inscrit dans la collection Kiss and Read des éditions Luc Pire. Et enfin « Elie Owl, l’animalter »,
roman fantastique qui s’adresse à tous les publics, qui aura une suite.
En ce début 2013, comme romancière, Véronique est partie au Salon du livre international de Taipei
(TIBE) pour représenter la communauté française.
Véronique a d’autres projets d’écriture. Elle abordera le sujet dans une des interviews présente dans
ce dossier. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Véronique, ils trouveront sa biographie complète
sur son blog : http://veroniquebiefnot.wordpress.com/
Je ne voudrais pas terminer cette présentation de Véronique sans ajouter quelques mots sur son blog.
En 2012, j’ai proposé de lui faire un blog officiel « Le blog de Véronique Biefnot ». L’objectif
principal était double. D’abord, la rendre plus accessible à son public, à ses lecteurs, aux médias et à
ses proches. Ensuite, lui permettre d’annoncer les événements culturels auxquels elle participe et est
accessible. C’est bel et bien Véronique qui répond aux personnes qui la contactent sur le blog.
Je voudrais remercier Véronique pour le temps qu’elle me consacre, qui me permet de mettre à jour
son blog, pour son amitié, sa patience, sa gentillesse, sa sincérité et la complicité qui s’est établie au
fil du temps, qui m’ont aussi permis de réaliser ce dossier.
Marc Van Buggenhout
Interview
Véronique Biefnot : Meet & Greet avec Marc Bailly
Dans le cadre du « Meet & Greet » proposé par Marc Bailly (Phénix Mag, Le Suricate, le prix
Masterton, le prix Bob Morane) dans l’auditorium de l’ONSS, Véronique Biefnot était son invitée le
19 juin 2012. Elle venait présenter son dernier livre Les murmures de la terre. Livre qui précède deux
autres livres fantastiques qui paraitront encore en 2012. Cette rencontre avec Marc Bailly et les
lecteurs présents ne se résumait pas seulement à l’événement littéraire du moment, mais aussi à une
présentation plus personnelle de la carrière de la romancière, qui est également comédienne, metteur
en scène, animatrice et chroniqueuse à la RTBF et ARTE et peintre. Au théâtre, elle s’occupe aussi
des décors et des costumes. C’est donc une femme aux multiples talents, à la carrière bien remplie,
qui est venue se dévoiler un peu plus au public. Et en matière de révélation, ce moment a été
particulièrement touchant lorsque Véronique Biefnot a offert la lecture d’une de ces nouvelles (Le
fauteuil) qui faisait référence à son enfance et à sa grand-mère. Lecture pendant laquelle elle n’a pas
pu s’empêcher de laisser s’exprimer ses émotions à deux reprises. Derrière un beau sourire, des yeux
pétillants, un esprit vif et un don certain pour la communication, se cache aussi une femme sensible,
émotive, et très attachante.
À 16 ans, Véronique Biefnot était déjà à l’université. Avec une agrégation à l’ULB en philo et lettres
en poche, elle y ajoute le conservatoire en art dramatique et les beaux-arts en peinture. C’est donc
une jeune femme très éclectique, qui a ajouté depuis 2011 une nouvelle facette à son profil en
devenant également romancière. Et en matière de roman, elle n’a pas choisi la facilité. Son premier
livre Comme des larmes sous la pluie à des allures de roman sentimental, mais en le lisant on se rend
vite compte qu’il tient davantage du thriller et du drame.
Lorsque Marc Bailly lui demande quel est le rôle qui l’a le plus marqué dans sa carrière, Véronique
Biefnot répond en faisant référence à Scandaleuse de Jean-Marie Piemme. Puis, de son rôle de
Susanneke dans Le Mariage de mademoiselle Beulemans. Un classique du théâtre belge dans lequel
elle avait le premier rôle féminin au côté de Jacques Lippe. Non contente d’être sur les planches, elle
est aussi metteur en scène. On lui doit les adaptations de Garbo n’a plus le sourire ou Les combustibles
d’Amélie Nothomb. Elle a joué et foulé la plupart des scènes de théâtre belges. On l’a vue dans Le
dieu du carnage, Tartuffe, La guerre de Troie, Beaucoup de bruit pour rien, Les Troyennes. Pour de
plus amples informations sur sa biographie, je suggère de visiter son blog dont voici l’adresse sur le
Web : http://veroniquebiefnot.wordpress.com/.
Véronique écrivait des nouvelles, des poèmes, des aphorismes, des adaptations théâtrales, jusqu’au
jour où un metteur en scène lui a fait remarquer qu’elle écrivait très bien. À la question « Pourquoi
n’écrirais-tu pas un roman ? », en parallèle à son métier de comédienne, elle s’est lancée dans
l’écriture sans avoir d’idée sur la façon de se faire éditée. Les pages s’accumulaient et formaient petit
à petit un roman, qu’elle fit lire par le metteur en scène avec qui elle travaillait. Il a aimé le roman, et
pour être certaine que ce n’était pas un avis subjectif, Véronique l’a fait lire à des spectateurs du
théâtre qui ne savaient pas qu’elle en était l’auteur. La suite, c’est une copie du livre remise chez
Filigranes par un des lecteurs, puis la rencontre avec Héloïse d’Ormesson. Et ce qui était un rêve s’est
soudain concrétisé en livre. Livre écrit dans un style personnel, qui oscille entre Guillaume Musso et
Jean-Christophe Grangier, comme le souligne Marc Bailly.
Au cœur de ce premier livre, on trouve deux personnages principaux. Naëlle, jeune femme perturbée,
avec une enfance compliquée et une amnésie pour les douze premières années de sa vie. Et Simon
Bersic, romancier qui connaît le succès, mais qui n’est pas heureux depuis qu’il a perdu sa femme. Il
vit un deuil en compagnie de son fils. Comme des larmes sous la pluie, raconte la rencontre
improbable de ces deux personnages. À travers ce livre, Véronique Biefnot voulait montrer comment
surmonter les problèmes lorsqu’on n’a pas de chance dans la vie. Le contexte rappelle certaines
affaires qui ont ébranlé la Belgique. Le roman contient des coups de tonnerre qui perturbent les
lecteurs.
Le deuxième roman Les murmures de la terre fait suite à Comme des larmes sous la pluie, mais il
peut se livre de manière indépendante. On retrouve les mêmes personnages. Il s’agit davantage d’un
parcours initiatique en Bolivie, où Naëlle disparait et est censée recouvrer sa mémoire à travers des
pratiques chamaniques. Simon Bersic part à sa recherche, sans savoir ce qui l’attendra. Le livre tient
de l’aventure et du fantastique à travers les voyages spirituels de Naëlle et le paysage amazonien.
Véronique a lu plusieurs extraits des deux livres. Et lorsque Marc Bailly a fait référence aux rituels
chamaniques, on a eu droit à une description détaillée de la part de la romancière. Elle a découvert
ceux-ci dans des circonstances personnelles et tragiques. Le texte est fluide et s’écoute autant qu’il
se lit. Un des secrets de cette fluidité, c’est justement qu’elle se relit à haute voix lors de l’écriture.
Lorsqu’on aborde le sujet du blog, Véronique explique que c’est un moyen pour elle d’être en contact
avec ses lecteurs. Il y avait déjà sa page Facebook, mais il faut être inscrit sur le réseau social pour
pouvoir la suivre. De son côté, le blog permet à n’importe qui de la suivre et de la contacter. Je
voudrais signaler que Véronique intervient aussi sur mon propre blog (Le blog science-fiction de
Marc). Elle maintient un contact étroit avec ses lecteurs.
En plus du troisième tome de sa trilogie qu’elle est en train d’écrire, elle a aussi d’autres livres en
cours. Le premier est un conte fantastique dont le titre est Animalter. Le second livre Sous les ruines
de Villers se passe à Villers la ville et contient également une part de fantastique. Les deux livres
s’adressent à des publics différents et sont publiés en 2012.
Pendant la rencontre, Marc Bailly a imposé une liste de noms plus saugrenus les uns que les autres,
que Véronique Biefnot a dû glisser dans ses réponses. Cela a parfois donné lieu à des crises de fou
rire. La rencontre s’est terminée par une séance de dédicaces et un contact plus rapproché avec ses
lecteurs.
Rencontre enrichissante, où on découvre Véronique Biefnot en tant que romancière. Elle est
talentueuse et nous réserve à l’avenir encore de belles pages de lecture.
***
Véronique Biefnot interviewée par Marc Bailly et Marc Van Buggenhout
On trouvera ci-dessous une longue interview faite par Marc Bailly et moi-même. Celle de Marc date
de juin 2012 et a été faite dans l’auditorium de l’ONSS. La seconde date de février 2013, après le
retour de Véronique du salon du livre de Taipei. Marc Bailly a eu la bonne idée de mélanger les deux
interviews pour n’en faire qu’une. C’est cette version qui est ici proposée.
***
Véronique, tu as fait des études de lettres, tu fais de la peinture, tu écris. Comment peut-on te
présenter ?
C’est vrai que ce côté parfois qualifié de touche-à-tout n’est plus tellement privé à l’heure actuelle.
Quoi que, c’est en train de changer. Si on imagine la définition du parfait gentilhomme ou la vision
des arts à la Renaissance, il était tout à fait normal de s’intéresser à tous les arts. Et chacun, dans
certains milieux, avait une approche de la musique, de la peinture. Malheureusement, je trouve qu’on
vit dans une société où on a tendance de demander aux gens de devenir de plus en plus spécialisés
dans un domaine. On peut le voir dans la médecine, par exemple. Maintenant, les spécialistes
s’intéressent à tel organe et ne regardent pas ce qui a autour. C’est un peu pareils pour les arts, avec
cette petite différence, que l’art et l’artisanat sont à la portée, et surtout, potentiellement intéressent
tout le monde. Tout le monde écoute de la musique, tout le monde peut être sensible à la peinture, au
cinéma, à la lecture. J’ai toujours trouvé cela intéressant pour mon équilibre personnel. De m’ouvrir
à un maximum de choses et dans la mesure où tout ce qui est créatif est pour moi essentiel, j’ai besoin
de créer. Créer, cela peut être écrire, peindre. Mais cela peut aussi être : jardiner, cuisiner, coudre.
Cela peut être un tas de choses. Je pense que c’est important dans la vie. Et pour moi, aussi loin que
je me reporte, cela a toujours été essentiel.
On va un peu parler de ta peinture. Quand est-ce que tu as commencé à peindre ? Comment
cela t’est venu ? Et comme peut-on décrire ton style ?
Il a évolué et il évolue encore. J’ai toujours dessiné et j’ai commencé à exposer très jeune, à 15 ans
en autodidacte. Et puis, je suis venue à Bruxelles et j’ai fait une licence, une agrégation à l’ULB en
philo et lettres, tout en continuant à peindre. Et après l’université, j’ai fait à la fois le Conservatoire
en art dramatique et les beaux-arts en peinture. Donc, j’ai une formation classique. J’ai commencé
par faire du figuratif et puis voilà, cela évolue. Je travaille toujours sur d’assez grands formats, même
parfois pour des filmographies théâtrales. J’ai joué dans Le dieu du carnage, où j’avais fait la peinture
qui servait de toile de fond. Et celle-là, elle faisait dix mètres sur six. C’était gigantesque de travailler
avec des poulies. Mais j’adore ça ! Il y a un petit peu un combat avec la matière, avec la peinture.
Mais je fais aussi des plus petites choses : de l’encre, de la calligraphie, des aquarelles.
Tu as fait des études au conservatoire. Pourquoi t’es-tu lancée dans la carrière de comédienne ?
D’abord par hasard. J’ai commencé à faire du théâtre à l’ULB, au théâtre universitaire. Je n’avais pas
imaginé devenir comédienne. J’ai commencé l’unif très tôt à 16 ans, et donc, j’avais fini à 20 ans.
J’ai donné quelques cours de français en rhéto à l’athénée d’Ixelles. Mais j’avais 20 ans, c’était un
peu jeune. Je me suis dit « Non, je ne veux pas devenir tout de suite prof ». Le metteur en scène avec
qui j’avais travaillé au sein du cadre universitaire me conseillait de continuer et j’ai présenté l’examen
d’entrée au Conservatoire. Il se fait que tout de suite, après 3 mois, j’avais mon premier contrat dans
un théâtre professionnel, le Théâtre des Galeries. J’avais le rôle principal d’une pièce et cela a démarré
tout de suite, comme ça. J’ai tout de suite beaucoup joué. Et j’ai aussi commencé cette année-là à
faire de la télé.
Tu as aussi bien joué au théâtre qu’à la télévision. Quelle est pour toi la principale différence ?
Il y en a plein ! D’abord le contact avec le public. C’est la différence fondamentale. Au cinéma et à
la télévision, on a un média qui fait barrage. On n’a pas le retour immédiat du public. La seconde
chose, que j’apprécie au théâtre, c’est que même si c’est un travail d’équipe parce qu’il y a le texte
de l’auteur, il y a la mise en scène du metteur en scène (je fais aussi de la mise en scène), il y les
décors, les costumes et puis il y a l’acteur. Quand la représentation démarre, l’acteur (ou les acteurs)
est seul en scène. Donc, il y a un vrai travail de création, un vrai travail de contrôle du rythme. Toute
une série de choses très techniques et il y a aussi une interaction avec le public. Parce que deux
représentations ne seront pas les mêmes, en fonction de l’écoute, d’un tas de paramètres qui sont liés
au facteur humain, je dirai. Et donc, c’est passionnant parce qu’il y a un vrai travail à faire au quotidien
pendant la représentation.
Au cinéma par exemple, on ne sait pas très bien le résultat. On ne le connaît pas. L’acteur donne
quelque chose et puis le réalisateur va prendre ce qu’il veut. Il peut couper, il peut faire un gros plan
sans que l’on soit forcément au courant, ou bien on peut être dans un plan large. L’acteur est beaucoup
plus manipulé au cinéma. Il n’y a pas tellement besoin de technique, c’est la raison pour laquelle il y
a des gens qui font du cinéma sans avoir une formation d’acteur. Pas besoin d’une technique
particulière au cinéma. En revanche, la pose de voix, la respiration, ce sont des techniques que l’on
doit absolument apprendre.
La télévision, il y a tout de même un montage. Il y a ce rapport étrange de pseudo intimité. Les gens
reçoivent dans leur salon la personne qui est à la télé. Ils ont un sentiment d’impunité parce qu’il y a
une proximité, ce qui n’est pas forcément le cas de la personne qui a été diffusée. Donc cela induit de
drôles de rapports.
Tu as joué des rôles totalement différents, assez forts. Quel est celui qui t’a le plus marquée ?
J’ai joué dans plein de registres, la comédie, mais dans des choses plus pointues comme des créations
au Varia. Je pense à une pièce de Jean-Marie Piemme qui s’appelle Scandaleuses. Et on a eu une
grande chance, on était quatre comédiennes. Cela s’est joué un peu partout en France. Jean-Marie
Piemme a écrit cette pièce pour nous, c’est-à-dire pour les quatre comédiennes, en pensant à nous. Et
ça, c’est un cadeau incroyable ! Des rôles qui ne nous ressemblaient pas, mais qui avaient été écrits
pour nous. C’était du théâtre avant-gardiste. C’était assez tôt dans ma carrière. Mais j’ai joué
Susanneke dans Le mariage de mademoiselle Beulemans. C’est un monument parce que cela touche
tout le monde. On l’a joué énormément, et dans la salle il y avait des gamins, des personnes très âgées.
C’est folklorique ! Au-delà de ça, c’est une pièce très touchante et très bien écrite. Elle est écrite
pratiquement comme une pièce classique, avec les mêmes ressorts et c’est un plaisir de jouer ça. Oh !
J’ai beaucoup joué. J’ai joué du classique, j’ai joué de tout. C’est la seule fois où les gens dans la rue
m’appelaient « Susanneke ». C’était incroyable. C’est un très bon souvenir.
Tu fais aussi de la mise en scène ?
J’en ai fait un petit peu. J’ai notamment fait au Théâtre Public Les combustibles d’Amélie Nothomb.
J’ai fait Garbo n’a plus le sourire au Théâtre du Parc, qui est une création d’un jeune auteur suisse.
Je fais souvent des mises en espace. C’est très chouette aussi. Ce sont des lectures de pièces qui n’ont
pas forcément encore été éditées et qu’on propose à un public intéressé. Je fais cela très régulièrement.
C’est comme le rapport à l’art d’une manière générale avec la peinture, l’écriture, le jeu. En quatre,
tout m’intéresse. Que ce soit la technique. J’ai fait des patines de décors, j’ai fait des trompe-l’œil.
Que ce soit la mise en scène, que ce soit l’écriture, j’ai fait des adaptations théâtrales de romans. J’ai
fait énormément de costumes. J’ai un atelier de costumes avec des couturières qui travaillent pour
moi. Tous les aspects m’intéressent.
Est-ce que cette façon d’écrire t’a aidée pour écrire la suite des romans, des nouvelles ?
Je pense que oui ! Je ne sais pas si cela m’a aidée, mais cela m’a donné un rythme. De manière un
peu instinctive, j’écris des scènes, des chapitres assez courts. Pour moi, je ne réfléchis pas quand je
commence un chapitre. Des scènes, j’appelle ça des chapitres. Quand je commence un chapitre, je ne
me dis pas : tiens, il va faire 3 pages ou 12 pages. Je ne calibre pas cela à l’avance. En revanche, il y
a un moment dans l’écriture où je me dis que c’est bon. On passe à la scène suivante. Et je me rends
compte que cette confiance-là, ce rythme-là viennent du théâtre où il y a une notion de scène. Et
lorsque la scène est finie, il n’y a pas de raison d’en rajouter.
Et tu as commencé à écrire des romans et des nouvelles quand ça ? Tu as d’abord commencé
par l’écriture de scénarios ? De mise en scène ? Et puis sont venus les textes, disons plus
classiques ?
Oui. Des nouvelles, j’en écrivais. Des nouvelles, des poèmes, des aphorismes, un peu comme tout le
monde qui a envie d’écrire. Mais je n’avais pas écrit un roman, car s’attaquer à un roman ça me fait
peur. Je n’y arriverai jamais, ou bien je n’aurai pas la motivation suffisante, le temps. Et donc j’ai fait
pas mal d’adaptations théâtrales et très souvent je faisais face à des directeurs, des metteurs en scène
qui me disaient « Mais tu écris drôlement bien. Pourquoi n’écrirais-tu pas de roman ? » Et un jour, à
force d’entendre ça, je me suis dit « Mais dans le fond, ils ont peut-être raison. Je vais essayer. Après
tout, qu’est-ce que je risque ? » Juste de consacrer du temps, voire beaucoup de temps.
Lorsque j’ai commencé mon premier roman Comme des larmes sous la pluie, je ne connaissais
absolument personne dans le domaine de l’édition. Je n’avais aucune perspective, aucune idée de
comment me faire éditer. Je pense même que je ne pensais pas à me faire éditer. Je me demandais
d’abord si j’allais y arriver. Juste pour ma satisfaction personnelle. Et j’ai entamé cette histoire en me
disant : « Le vais écrire 10 pages et puis je vais caler parce que je travaille à côté, parce que j’ai trois
enfants, parce que je n’ai pas le temps, parce que, parce que… ». D’autant que lorsque je jouais Les
dieux du carnage pendant l’écriture de ce premier roman, on était beaucoup en tournée. Donc, je l’ai
écrit dans ma loge, dans le train, à l’hôtel, dès que j’avais un quart d’heure ou une heure, à gauche à
droite, j’écrivais. Et puis, à 10 pages, 20 pages, 100 pages, wow ! Cela commence à ressembler à
quelque chose. À 200 pages, 300 pages… ah ! Le roman est fini ! C’est la première surprise.
Et pendant que je jouais au théâtre public, je suis arrivé avec le manuscrit et je l’ai donné au directeur.
C’était une des personnes qui m’avait dit « Mais enfin, mais pourquoi tu n’écris pas de roman ? ». Et
je lui ai dit « Tiens, si tu as un peu de temps, tu peux lire ça et me donner ton avis ? » Il me dit « Mais
c’est quoi ? ». « Un roman ! Tu m’as dit “Pourquoi tu n’écris pas un roman ?”, j’ai écrit un roman ! »
« Mais enfin, tu es folle ! » Et puis, il m’avait prévenue « Je n’ai pas beaucoup de temps, je sais pas ».
Et puis, quelques jours plus tard, il a déboulé dans ma loge en me disant « Écoute, je l’ai feuilleté
pour voir ce que c’était, et puis j’ai été pris par l’histoire. J’adore ! » C’est chouette, parce que c’était
le premier avis extérieur en dehors de la famille. On sait bien que ce n’est pas complètement objectif.
Lui-même me dit « Moi, je te connais, j’ai aimé, mais est-ce que mon avis est objectif ? ».
Il a eu une idée amusante, mais un peu stressante. Il a fait quelques copies de ce manuscrit et il en a
distribué à des spectateurs du théâtre public sans leur dire qui l’avait écrit, avec un questionnaire à la
clé. Les gens rentraient leur questionnaire avec leurs coordonnées téléphoniques. Et puis, moi je leur
téléphonais pour leur dire que c’était moi qui l’avait écrit, comme une employée du théâtre, pour leur
poser des questions plus précises par rapport au bouquin. C’était hyper stressant parce que les gens
rendaient leur questionnaire sans savoir qui avait écrit le bouquin. Donc, il n’avait aucune censure
pour donner leur avis. Et au téléphone, pareil ! Les gens ne savaient pas qu’ils avaient l’auteur au
téléphone. Je décrochais mon téléphone chaque fois que j’ouvrais une enveloppe. Je me blindais en
me disant que je vais peut-être en prendre plein la tronche. Des choses qui ne vont pas me faire plaisir.
Et puis, il se fait que cela s’est très bien passé, que les réponses ont été super positives. Et que parmi
ces personnes, il y avait quelqu’un qui a remis ce manuscrit (photocopie) à Marianne Pêtre qui est la
première libraire chez Filigranes. Cette Marianne Pêtre l’a aimé, l’a donné à Marc Filipson qui l’a
aimé sans que je le sache. Ce sont des gens que je ne connaissais pas du tout. Héloïse d’Ormesson,
qui est mon éditrice principale, venait en signature avec un auteur la semaine suivante. Marc Filipson
lui a donné mon livre et une semaine après j’étais à Paris pour signer le contrat. C’est un peu un conte
de fées et je n’ai pas réalisé tout de suite. Je me suis rendu compte après, dans des salons, quand je
rencontre des auteurs qui galèrent, qui écrivent depuis des années sans possibilité de se faire éditer.
C’est très compliqué. J’ai eu une chance dingue !
À la lecture de ton premier livre, c’est vraiment un mélange détonnant. Je trouve un Guillaume
Musso pour le côté sentimental, et un Jean-Christophe Grangier pour tout ce qui est noir et
glauque. C’est un mélange étonnant qui nous amène au tréfonds de la psychologie aussi bien
dans les côtés clairs que les côtés sombres. Comment cela t’est venu ? Peux-tu nous en parler ?
Ce qui m’intéressait dans les deux livres (parce que le second est la suite du premier, mais il peut se
lire indépendamment), ce qui m’intéressait, ce n’était pas tant le côté noir et glauque des faits divers.
Ce qui m’intéressait, c’était comment peut-on en sortir ? Comment peut-on surmonter ces épreuves ?
Comment peut-on se construire sur le toboggan de la vie, qui parfois nous amène à rencontrer des
épreuves ? La vie ce n’est pas toujours du beefsteak ! Il ne faut pas le croire !
Mon personnage central, Naëlle, a connu une enfance extrêmement compliquée, voire épouvantable.
Elle en a gardé une totale amnésie pour les douze premières années de sa vie. C’est elle qu’on va
suivre principalement dans les deux romans et voir comment on peut survivre à ça. Le personnage de
Naëlle m’a été inspiré par quelqu’un, une jeune femme que je ne connais pas, mais que j’ai vue.
Physiquement, elle m’a intriguée, elle m’a amenée à me poser un tas de questions par rapport à elle,
à m’amuser à imaginer sa vie, son passé, son histoire. J’espère pour cette jeune dame que cela n’a
rien à voir avec la vie de Naëlle, car elle a vraiment tiré les mauvaises cartes dans le grand opéra de
la vie.
Je voulais parler de comment on peut récupérer quand on n’a pas d’une part, de chance au départ.
D’autre part, vous aurez remarqué que je suis quelqu’un de relativement émotive. Et j’ai été très
perturbée, traumatisée comme beaucoup de gens par l’affaire Dutroux, par toute cette période de la
marche blanche. Ayant trois enfants, je ne peux pas comprendre, je ne peux pas concevoir les abus
de pouvoir sous quelques formes que ce soient. Que ce soit pour des enfants, ou pour des inférieurs
hiérarchiques. Un mari vit avec sa femme. Une femme vit avec son mari. Le rapport de force est
quelque chose que je ne comprends pas et que je ne supporte pas. Donc, je voulais parler de ça aussi.
Pourquoi des gens croient avoir le droit, le pouvoir de maltraiter d’autres personnes ? Tout
simplement parce qu’ils ont la force physique ou le pouvoir. Mais comme je n’avais pas envie de
faire quelque chose qui ressemble à du voyeurisme, ou non plus à une longue descente dans l’ombre
et dans l’enfer, parce que je pense que la vie n’est pas comme ça. La vie alterne les moments faciles,
les moments difficiles, les moments joyeux, les moments tristes. J’avais envie que mes romans
donnent cette impression-là aussi. C’est-à-dire, on n’est pas tout le temps dans le drame, on n’est pas
tout le temps dans la passion.
Dans ces deux romans, il y a quatre univers qui évoluent en parallèle. Il y a celui de Naëlle, qui est
un personnage ambigu, étrange avec le monde, qui a beaucoup de mal avec les règles. Elle ne sait pas
comment faire et elle est très intrigante. Le deuxième univers est celui de Simon Bersic, qui est un
écrivain, un auteur à succès, un peu un de ces romanciers à paillettes, comme on peut en voir (Musso,
Levy), ce genre de personne. Simon, c’est un peu son exact opposé. C’est-à-dire, qu’il a le succès,
qu’il a de l’argent, qu’il voyage, qu’il est à l’aise en société, qu’il passe son temps dans la jet set.
Vraiment l’opposé de Naëlle.
Est-ce que ce personnage de Simon t’est inspiré par un écrivain ?
Cela peut être Musso, cela peut être Levy. Mais plus Levy en l’occurrence. Il le sait ! Je lui ai demandé
son autorisation (ce n’est pas de la blague). Ce personnage est l’opposé de Naëlle.
On a, à côté de ça, une petite famille lambda qui dans le premier roman représente l’encrage au réel.
C’est-à-dire, on est là dans des rapports quotidiens de tendresse, dans un couple qui s’aime depuis 20
ans. On n’est pas dans un début de passion, comme vont le vivre Naëlle et Simon. On est dans la vie
quotidienne, avec ses petits plaisirs, ses petits soucis, avec les enfants qui grandissent, avec les fêtes
de famille. Cela me permet d’avoir des petites bulles d’oxygène. On n’est pas tout le temps dans une
espèce de thriller où on doit absolument découvrir les mystères. C’est vrai qu’il y a pas mal de choses
à découvrir, et que ce premier roman est un peu comme une course. Alors que le second roman est
plus une marche. On va plus au cœur des choses. Le personnage principal essaie de découvrir qui elle
est. On est plus dans un voyage initiatique. On n’est plus dans une course pour échapper à ces faits
divers qui rattrapent le personnage à un certain moment.
Le quatrième univers est celui d’une petite voix dont on ne sait pas de qui elle provient. Elle rythme
le récit, et on comprend que c’est un enfant qui est séquestré. Ces quatre univers évoluent en parallèle
et vont finir par se croiser. Et effectivement, il y a une histoire d’amour très forte entre Simon et
Naëlle. C’est surtout Simon. Alors qu’autour de lui il a des tas de femmes et la possibilité d’avoir des
aventures qu’il voudrait. Simon a aussi sa part de douleur, parce que son épouse est décédée
brutalement lorsque leur enfant n’avait que quatre ans. Il forme avec son fils une espèce de bulle. La
seule qui va arriver à le révéler, c’est Naëlle, qui l’aperçoit de manière fortuite.
Il y a aussi un personnage important dans le livre, qui est le chat !
Oui, le chat Nicolas !
Tu pourrais nous en dire quelques mots ? Quels sont tes rapports avec ce chat ?
J’ai eu un chat qui s’appelait Nicolas. Et ce chat Nicolas c’est le mixte de deux chats que j’ai eus,
dont un qui un chat qui s’appelait Nicolas. J’ai eu un Main Coon gigantesque qui s’appelait Misty.
J’ai gardé Nicolas comme nom. J’ai pris un peu des caractéristiques de l’un et de l’autre pour faire
cette espèce d’animal un petit peu particulier. Et qui, dans le tome trois que je suis en train d’écrire,
va prendre toute sa dimension et va devenir un personnage à part entière très important. Nicolas, dans
Comme des larmes sous la pluie a un rôle prépondérant parce qu’il va aider Simon dans sa tentative
de sauver Naëlle, de la ramener au réel. Le chat va être très important.
Un premier roman c’est important. Est-ce que tu as des idées pour l’adapter au cinéma ou au
théâtre ?
Cela ne dépend pas de moi. Il y a déjà eu une option dessus, mais cela ne dépend absolument pas de
moi. Ce n’est pas du tout mon métier. Cela demande des moyens. Et quand on est édité, cela ne
m’appartient plus. Les droits sont à la maison d’édition. Si la maison d’édition est contactée et qu’elle
accepte, voilà ! Elle me demandera peut-être mon avis, mais ce n’est plus entre mes mains.
Lecture de la rencontre de Simon et Naëlle dans le métro…
C’est la première rencontre. Suite à ça, Simon va complètement se focaliser sur cette femme,
s’obséder sur elle. Et elle va devenir sa quête, son inaccessible étoile… comme pour la station Jacques
Brel (allusion aux paroles de la chanson La quête). Et elle n’est tellement pas là, pas dans le réel, pas
dans le moment présent. À cause de ce qu’elle a vécu, à cause des traumatismes psychologiques dans
lesquels elle est encore. Et puis, ils sont rattrapés par ces affreux faits divers qui endeuillent Bruxelles
à ce moment-là. Mais néanmoins, Simon va garder le cap et continuer avec patience et détermination
à aider cette femme, à la sortir de l’hôpital psychiatrique où elle va finir par être enfermée, à l’aider
à se reconstruire. C’est donc ce qui traverse ce premier tome.
Le deuxième roman, qui est donc la suite, est très différent du premier. Si on peut assimiler
Comme des larmes sous la pluie à un thriller amoureux, est-ce qu’on pourrait qualifier Les
murmures de la terre comme une aventure, une quête spirituelle, un roman d’initiation, une
sorte de rédemption, une guérison pour Naëlle ?
Oui, c’est ça ! Quand j’ai imaginé cette histoire, je l’ai imaginée en trois tomes. Avec vraiment chacun
sa raison d’être bien particulière. Le premier expose de manière assez tranchée la situation. C’est-àdire c’est vif, c’est glauque. On est entre le noir et le rose. On balance entre les deux. Le deuxième,
c’est le moment où Naëlle va essayer de se construire. Simon est toujours présent et près d’elle. Mais
ils ne peuvent pas vivre cette histoire d’amour tant qu’elle n’est pas disposée à ça, pas ouverte à ça.
Or, elle est encore complètement perdue dans son passé, à essayer de reconstituer des bribes de
mémoire. Comme rien n’a fonctionné dans son cas, ni la médecine traditionnelle, ni les thérapies,
Simon, qui ne sait plus à quel saint se vouer, lui propose un trekking méditatif en Bolivie. C’est un
peu à la mode, c’est très bobo. On fait ça dans différents coins de la planète.
Et voilà, Naëlle partie en Bolivie avec un groupe de gens qui sont là pour des raisons diverses, pour
faire du tourisme intelligent, pour effectivement découvrir des choses, pour faire un travail sur euxmêmes. Le début du livre c’est ça. Ils parcourent une sorte de Bolivie de cartes postales avec un
maître à méditer, qui les aide à mettre à profit la marche. Marche qui est un exercice salutaire, qui
permet d’entrer dans un rythme un peu hypnotique, qui favorise notre réflexion. Cela marche pour la
plupart des orangs-outangs ! Mais pour Naëlle, cela ne marche pas tellement. Son problème est
beaucoup trop grave. Elle est très déçue par cette approche. Elle a vraiment le sentiment d’être dans
un trip factice, et cela ne lui convient pas. Elle n’a de cesse que de s’éloigner du groupe, d’essayer de
découvrir seule le pays, autrement qu’encadrée par le guide Manco qui est magnifique. D’ailleurs,
elle vivra une aventure avec lui. Le guide l’aime bien. Elle voudra découvrir le pays par elle-même.
Donc, le dernier jour du voyage, avant le retour vers La Paz, elle se lance seule dans une escapade
vers la montagne et… patatras, c’est l’embardée ! Elle disparait ! Les organisateurs du voyage sont
bien obligés d’avertir Simon qu’on a perdu sa trace. Simon devient fou évidemment et tout de suite
traverse la Bolivie pour la retrouver. Donc, c’est en parallèle les deux voyages. La quête de Naëlle
qui va rencontrer des gens qui vont vraiment pouvoir l’aider à faire un travail intérieur. Et là, on va
fleureter avec le chamanisme, avec l’autohypnose, avec l’hypnose. Et Simon, lui, il recherche Naëlle.
Ils vont aboutir tous les deux en Amazonie. Et voilà, c’est le récit de ces deux voyages en parallèle,
qui effectivement sont des quêtes unisexes.
Je crois que tu as toi-même essayé des rituels chamaniques. Pourrais-tu nous en parler ?
C’est marrant parce que dans Comme des larmes sous la pluie, il y a des encrages au réel qui sont très
visibles, qui sont par exemple Bruxelles. Je décris des quartiers comme Saint-Gilles, le long du canal,
le bois de La Cambre. L’encrage réel, il est dans les lieux et il est, par exemple, dans les rapports
familiaux avec la petite famille. Et bizarrement dans Les murmures de la terre mon encrage au réel
est dans les passages les plus hallucinés des voyages chamaniques. Parce que ce sont des
retranscriptions de voyages chamaniques que j’ai faits moi-même, même si cela semble les passages
les plus fantasmatiques. Ce sont des voyages que j’ai réellement faits. Et les animaux de pouvoir sont
assez omniprésents dans ce que j’écris.
Je suis pour l’instant en train d’écrire le premier tome d’une série qui va sortir à Noël, pour une
maison d’édition de Bordeaux, et ça s’appelle Animalter. C’est fantastique et il y a énormément
d’animaux qui entrent en jeu. Donc, dans les voyages chamaniques on a, entre autres choses, parfois
la possibilité de rencontrer ces animaux de pouvoir.
Mais qu’est-ce qu’un voyage chamanique pour ceux qui ne savent pas ?
C’est une transe qui peut être induite par différentes choses. Ici, en l’occurrence comme cela se passe
en Bolivie, c’est le chamanisme tout à fait traditionnel, c’est la prise d’ayahuasca. L’ayahuasca étant
un mélange d’une liane et de plantes qui poussent en Amazonie, c’est une décoction connue des
Indiens d’Amazonie, c’est une drogue hallucinogène. On peut dire que sous LSD on peut aussi faire
des trips. La différence avec le voyage chamanique, c’est encadré complètement. Cela fait partie, non
pas du folklore, mais réellement de la culture. Les gens, à l’heure actuelle encore, se soignent ou se
font soigner par des voyages chamaniques. Au cours de voyages chamaniques où le chamane a pour
mission d’aider la personne à évacuer le mal qui est en elle. On y croit ou on n’y croit pas. C’est
comme ça dans les villages, notamment en Bolivie (c’est pour ça que j’ai choisi la Bolivie, parce que
le chamanisme est vraiment ancré dans la culture). Soit par une prise de drogue, soit par des moyens
d’autohypnose qui sont assez simples. Il y a le compte à rebours, y a des musiques, des rythmes
répétitifs. On entre dans une transe, mais à la différence d’un trip sous une drogue civilisée, chimique,
c’est accompagné par le chamane qui chante, qui bat du tambour, qui rythme le voyage. Parce que le
voyage ce n’est pas un voyage gratuit ! Ce n’est pas un voyage juste pour se faire un flash, un trip. Je
ne consomme pas de drogue, donc je ne sais pas. C’est un voyage curatif, thérapeutique. La personne
qui voyage doit ramener un message, une impression. L’accompagnant doit aussi participer, doit en
tirer un enseignement. Ce n’est pas juste se faire des émotions. C’est vraiment dans un but
thérapeutique. C’est ce qui va permettre à Naëlle de progresser dans la voie de la guérison.
On peut quand même se poser la question de savoir, quand on lit tes deux romans, si les deux
héros, Naëlle et Simon, sont vraiment faits l’un pour l’autre ?
Moi, je n’en sais rien !
Est-ce qu’on aura droit à une fin heureuse dans le troisième tome ?
Entre Simon et Naëlle, je pense que cela va finir par s’arranger. J’ai bon espoir en tout cas. Mais le
troisième tome va faire resurgir les fantômes et les monstres du passé. Donc, il va bien être rock and
roll le troisième tome. Je crois ! Le troisième, je vais devoir carburer pour le terminer.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter ? D’être la reine du thriller amoureux ?
C’est très sympathique parce que c’est un ami écrivain français qui m’a envoyé une photographie
prise dans une librairie Cultura. C’est une chaine de librairies, comme chez nous la FNAC. Ce sont
de grosses librairies en France. Il y avait au milieu de l’allée centrale, un énorme portique avec mes
deux romans, avec au-dessus une photo sur laquelle il était écrit : « Véronique Biefnot, la reine du
thriller amoureux ». J’ai trouvé ça super !
Pour Elie Owl l’animalter, comment as-tu eu l’idée de créer un personnage qui vivait sa vie à
travers les corps de différents animaux, et en qui était frappé d’amnésie ?
J’ai, depuis l’enfance, toujours été entourée d’animaux. La nature et les animaux font partie de mon
équilibre, j’ai toujours été fascinée par la ramure d’un arbre centenaire ou le regard d’un chien. Dès
lors, il était tentant d’essayer de me mettre dans la peau d’animaux aussi peu présents dans la
littérature qu’une guêpe, un serpent ou un condor. Quant au personnage d’Elie Owl, sans être adepte
de la métempsychose, je trouvais intéressant de le « balloter » ainsi d’un corps à l’autre, ça ouvre,
d’une part, des perspectives romanesques et, d’autre part, l’empathie permet, me semble-t-il, de
comprendre mieux les autres, d’essayer en tout cas. Son amnésie permet à Elie Owl de découvrir,
chaque matin, une nouvelle réalité à travers un nouvel animal, un nouveau « vaisseau » sans que le
personnage soit trop encombré par ses vies précédentes... mais tout ça n’aura qu’un temps, bien sûr...
Est-ce que les animaux que tu as choisis sont symboliques et correspondent à quelque chose qui
t’a personnellement touchée ou attirée ?
Certains oui, d’autres pas.... l’anecdote du serpent m’est arrivée, toutes proportions gardées : en
faisant de l’escalade en montagne, dans une situation assez périlleuse, je me suis raccrochée à une
pierre plate pour ne pas basculer dans le vide, la pierre s’est détachée de la paroi et, en-dessous, il y
avait un nid de serpents.... je suis restée tétanisée un certain temps avec ces reptiles rampant autour
de moi... le grand chien noir correspond aussi à un épisode marquant de ma vie, mais qu’il serait trop
long d’expliquer ici... et qui, de toute façon, se retrouvera encore dans ce que j’écris, sous une forme
ou l’autre (entre autres dans mon prochain roman : Place de la Liberté)... quant au condor, au-delà
d’une réelle fascination pour les oiseaux et les rapaces en particulier, c’est un petit clin d’œil au tome
deux de ma trilogie Les Murmures de la terre : en effet, ici, le personnage est dans la peau de l’oiseau
qui repère sa proie et non plus, comme l’est Naëlle, dans celle de la victime potentielle...
Étrange, cette vieille clocharde nommée Gabi. Est-ce une vraie rencontre dans ta vie ?
Effectivement, Gaby m’a été inspirée par une rencontre étonnante : un jeune homme qui vivait, lui
aussi derrière l’écran d’un cinéma alternatif à San Francisco. Le quartier était dangereux, il vivait
dans des conditions très précaires... Je pense souvent à lui, me demandant s’il est encore en vie...
Élie Owl est-il condamné à vivre ces réincarnations ? Va-t-il un jour retrouver la mémoire et
donner un sens à sa vie ?
Pas de commentaire ! ;-) ... Il faudra lire la suite pour le savoir...
Avec Sous les ruines de Villers, tu abordes un monde qui t’est plus familier, celui du spectacle.
En te lisant, on a l’impression que tu connais parfaitement les lieux et les activités qui s’y
déroulent. Pourrais-tu nous en dire plus ?
Je vis près de Villers-la-Ville, je connais donc très bien cet endroit magique, de plus, en tant que
comédienne, metteur-en-scène et costumière, j’ai fréquemment vécu ces situations de répétitions dans
des conditions peu confortables, d’incidents techniques et autres empêchements à surmonter durant
l’élaboration d’un spectacle. Je trouvais amusant de mêler ce milieu que je connais bien à l’univers
plus « fantastique » que je décris en parallèle.
Dans ce roman, on découvre Gaia, une jeune femme qui se consacre à sa vie professionnelle et
délaisse sa vie sentimentale, jusqu’à ce qu’elle découvre un anneau dans les ruines de Villers.
Est-ce intentionnel ce côté fantastique et mystérieux que tu distilles au fil du temps ?
Évidemment ! J’ai toujours aimé le fantastique, même si, ici, en l’occurrence, je parlerais plutôt de
« réalisme magique ». Nous n’évoluons pas dans une dimension inventée, nous sommes dans un réel
qui dérape, où on peut être amené à se poser des questions.
Avais-tu envie d’écrire une version du roman qui nous aurait fait découvrir à qui appartenaient
ces mains dans l’obscurité des ruines de Villers ? Et surtout, qui est ce mystérieux sculpteur ?
Non, je trouve que j’en dis bien assez !!! Il faut laisser une part de rêve au lecteur, non ?
Tes personnages ont un point commun. Soit une partie de leur vie a été effacée de leur mémoire,
soit ils cachent un passé qui les a marqués. On dirait que pour être heureux ils ont besoin de
souffrir ou de vivre une vraie épreuve. Est-ce le cas dans tes romans ?
Visiblement, l’écriture révèle des choses et je dois bien admettre que certaines constantes traversent
mes romans. L’amnésie en fait partie, ainsi que la difficulté à vivre en société... mais ce n’est pas une
démarche consciente : une histoire s’impose à moi... puis, je la suis, je vois où elle me mène. Il ne
faut néanmoins pas faire de psychanalyse de comptoir et essayer à tout prix d’apporter des réponses
immédiates à ces questionnements, il n’y a pas grand-chose d’autobiographique dans ce que j’écris !
En tout cas jusqu’à présent...
Où en es-tu dans la suite de Comme des larmes sous la pluie et Les murmures de la terre ? Est-ce
difficile de boucler cette histoire très marquante pour les deux personnages principaux ?
Oui, le dernier tome, qui devrait s’appeler La Mémoire du feu est chez mon éditrice et ce ne fut pas
simple de dire au revoir à des personnages avec lesquels j’ai vécu pendant plus de trois ans ! Ce roman
devrait permettre aux personnes qui auront lu les précédents de retrouver les personnages du début,
réunis jusqu’au dénouement, à travers pas mal de péripéties...
Est-ce le même public qui te suit aujourd’hui ? As-tu rencontré un public différent depuis que
tu es romancière ?
Oui, il me semble que le rapport est très différent : le public du théâtre voit en moi, et à juste titre,
une interprète des textes d’autres auteurs, alors que les gens qui m’abordent après avoir lu mes livres
me semblent immédiatement plus proches, on évolue très vite dans l’intime. L’écriture et la lecture
impliquent cette proximité, cette intimité de l’histoire racontée au creux de l’oreille d’une personne à
une autre. Le théâtre a, forcément, une dimension publique qui induit d’autres rapports.
Comment t’es-tu retrouvée au Salon du livre de Taipei (TIBE) pour la communauté française ?
Pourrais-tu nous en dire plus ?
J’ai été invitée à Taipei, au Salon du livre par le service culturel Wallonie-Bruxelles International. Ce
fut une formidable expérience, je ne connaissais pas l’Asie et j’y ai fait des rencontres très
intéressantes : Cédric Callenaere et Jo Beekman qui orchestraient la présence belge là-bas (la
Belgique était en effet invitée d’honneur et disposait d’un magnifique stand de 400 m² dans cet
incroyable salon du livre, le plus grand d’Asie !), mais aussi les autres invités : Kitty Crowther,
Valéria Do Campo et Helen Lescoat, illustratrices pour la jeunesse, Jacques Dedecker qui animait les
rencontres, Jean-François Maljean et Steve Houben venus nous régaler de quelques concerts, Carl
Norac, auteur pour la jeunesse... Sans oublier le public, extrêmement jeune et nombreux qui fréquente
cette foire !
Dans un autre registre, pourrais-tu nous dire quel est le roman que tu aurais voulu écrire ? Et
pourquoi ?
Il y en a plein, bien sûr, mais j’en retiendrai spécialement deux pour la limpidité de leur histoire et de
leur style : Soie d’Alessandro Baricco et Clair de femme de Romain Gary. Ce sont deux romans courts
dont on se souvient toute sa vie...
Tu as aussi un site Internet. Est-ce que c’est important d’avoir à l’heure actuelle un site
Internet ?
Je n’en sais rien, parce que c’est Marc (Van Buggenhout) qui l’a fait. C’est un blog et on vient de le
rendre accessible. Je me suis dit que c’est bien pour pouvoir communiquer avec les lecteurs. Il y a
des tas de gens qui m’écrivent. Il y a notamment Facebook, mais tout le monde n’a pas cette habitude,
tout le monde n’est pas sur Facebook. Donc, je me suis dit qu’un blog c’était bien. Parce que c’est
très agréable d’avoir des retours des lecteurs.
On parlait tout à l’heure de la différence entre le cinéma et le théâtre. Maintenant, cela fait toute
l’année que je n’ai fait qu’écrire parce que j’ai cinq maisons d’édition. Trois romans qui sortent cette
année. C’est un gros travail, donc je dois travailler tous les jours. Cela a été un bouleversement
incroyable dans ma vie quotidienne, parce que j’ai toujours travaillé en équipe, j’ai toujours travaillé
en bougeant beaucoup physiquement avec les répétitions, avec les représentations. J’ai toujours
travaillé avec beaucoup de monde autour de moi et avec un public ! Donc, avec un retour, avec un
rythme qui était assez particulier, jouant toujours le soir. Et depuis un an, mis à part les studios (je
fais beaucoup de studio, le doublage de voix), mise à part ça, j’écris, donc seule à la table, devant
l’ordi. Et cela m’a fait un changement incroyable.
Quand on écrit, on n’a pas ce contact avec le public. C’est chouette parce qu’on a le retour des
lecteurs… Ou bien quand on est en signature en librairie ou au salon du livre. J’ai des gens qui
m’écrivent des messages très touchants, très émouvants. Plusieurs personnes m’ont dit ne plus avoir
ouvert un livre depuis l’école, quand c’était obligatoire de lire, et qu’on leur avait recommandé et que
depuis, ils avaient repris goût à la lecture. Sincèrement, c’est un cadeau inouï ! Car si on peut imaginer
qu’on redonne ce goût-là à quelqu’un… Moi, je suis une lectrice passionnée, qui ne peut pas imaginer
ne pas avoir un livre en cours, je trouve que c’est un grand plaisir et que c’est dommage de s’en priver.
Donc voilà, cela me fait très plaisir quand des gens me disent que je leur ai redonné le goût de la
lecture.
De quelle manière peut-on rendre hommage à ton talent ? Y a-t-il quelque chose qui te ferait
plaisir…
Je peux donner mon numéro de compte !
... qui serait original ?
Lire mes livres par exemple. Je pense que la vie est faite de périodes. J’ai à la fois beaucoup
d’admiration et je ne comprends pas très bien les jeunes écrivains. Il y en a qui écrivent à 16 ans, à
20 ans. Je trouve qu’il y a un temps pour tout. Un temps pour vivre les choses, un temps pour les
raconter. Quand j’avais 18 ans, 20 ans, 25 ans, je n’avais surement pas, ni le temps ni l’envie, de
passer des heures à écrire toute seule dans mon bureau, alors que maintenant cela me convient très
bien. Je veux dire, c’est un immense plaisir, une satisfaction vraiment intense. En plus, ayant fait de
la mise en scène, étant comédienne… Au théâtre, quand on imagine, quand on a un rêve, quand on a
projet… Tiens, j’aimerais écrire tel spectacle. Tout de suite après, on se dit : combien de comédiens ?
Non, je n’aurai jamais le budget. Le décor ? Ah non, je ne peux pas avoir quatre décors. Bref ! On se
ferme tout de suite l’imagination. Parce qu’on dépend de tellement de contraintes matérielles. Alors
qu’ici, j’ai envie que le bouquin se passe en Bolivie. Allez hop ! Cela se déroule en Bolivie et cela ne
dérange personne.
Ce sur quoi je travaille maintenant est un bouquin fantastique. Les personnages se réincarnent dans
différents coins de la planète. Et alors, où est le problème ? C’est magique ! Il n’y a que l’écriture qui
peut permettre ça. On parlait du cinéma. C’est vrai qu’une adaptation, pas mal de gens m’en parlent
parce que cela serait intéressant, mais cela implique des moyens énormes. La production, c’est
gigantesque. Alors que l’écriture, on ne part de rien. Des feuilles de papier dans un train ou un
ordinateur, et hop on est parti. C’est génial !
Là, je viens de terminer un roman qui va sortir en octobre et qui va se passer à Villers-la-Ville. Donc,
là, on est vraiment en Belgique. C’est un conte un peu fantastique, contrairement aux deux romans
qui ne sont pas fantastiques, qui sont liés à une certaine forme d’actualité, à une approche très
psychologique. Mais les deux sur lesquels je suis en train de travailler pour le moment (Sous les ruines
de Villers-la-Ville et Animalter) sont dans une veine plus fantastique. Cela devrait vous plaire ! Je
sais que vous aimez ça !
Que peut-on te souhaiter sur le plan littéraire en 2013 et quels sont tes projets littéraires ?
De continuer à écrire des histoires !!! Plus sérieusement, le contexte actuel étant particulièrement
difficile dans le secteur artistique plus encore qu’ailleurs, j’espère pouvoir continuer à être éditée.
Avec le nombre croissant de librairies et de maisons d’édition qui ferment leurs portes, c’est de plus
en plus aléatoire... Quoi qu’il en soit, j’espère que le dernier tome de ma trilogie sortira d’ici un an
chez Héloïse d’Ormesson, et que la suite des aventures d’Elie Owl, l’Animalter, se retrouvera bientôt
en librairie (il faut d’abord que je les écrive... ;-) ) et, dans l’immédiat, je termine un roman qui me
tient particulièrement à cœur : Place de la Liberté... Voilà, donc, rendez-vous au prochain épisode...
Merci pour cet agréable entretien.
Avec grand plaisir. Merci à vous !
***
Nouvelle inédite : Tu étais le pays que j’aimais
Il y a cette femme, il ne la connaît pas, mais il sait qu’il doit lui parler.
Il sait qu’elle porte dans les yeux un moment de sa vie à lui.
Quelques secondes ?
Quelques années ?
Tout le reste du temps qu’il lui reste ?
Peu importe, seule compte la certitude qu’elle a dans les yeux, dans les mains, un morceau de
sa vie à lui.
Un endroit où se retrouver, où il se sentirait chez lui, un pays à partager ?
Peu importe.
Il sait qu’il ne la connaît pas, mais il la reconnaît.
Il va lui parler...
« Pose le bout de tes doigts sur mon poignet, pose-les, là où ça palpite. Tout entier, je me rassemble
sur ces dix centimètres carrés de peau, suivant le doux mouvement du bout pulpeux de tes doigts.
Tu hésites, effleures, tu vérifies ma concentration. Moi, tendu, dans l’attente, attentif, je vibre au léger
va-et-vient qui s’installe.
À peine ébauchée cette sinuation rythmique, tu m’abandonnes, les doigts en suspens, sur le fil d’une
cruauté calculée, d’une hésitation entre l’angle d’attaque et la pression exercée.
J’attends, le souffle court, petite demande muette, retenue de pudeur... touche-moi, touche-moi
encore !
Tout mon corps attend, concentré là, autour de ce nœud de petites veines bleues qui palpitent, pour le
coup, plus fort.
Tu redéposes les doigts, je frissonne.
L’ongle de ton pouce explore d’abord doucement mon poignet, puis s’enfonce le long des tendons,
en redessine les contours, palpe les os, entre plaisir et douleur... petite douleur délicieuse.
Tu te promènes maintenant sur ma paume, ouverte, abandonnée. Le reste de mon corps n’existe plus,
son enveloppe est floue, variant au gré des arabesques que tu graves, nouvelles lignes de vie, d’amour,
nouveau parcours du tendre, de plus en plus profond dans ma chair, ondes frissonnantes, galets lancés
dans mes eaux si peu dormantes.
La vibration s’amplifie, sourde et ronde, remonte le long du bras, fulgurante, elle contamine
consciencieusement chaque pouce de peau.
Sous la caresse de tes doigts nait une galaxie, un univers, un pays conquis... une histoire. »
Il y a cet homme.
Elle sait qu’elle ne le connaît pas, il lui semble pourtant familier.
Le réseau de veines qui court le long du bras... elle ne pourra plus en détacher le regard.
Elle voudra le toucher, parcourir ce chemin de vie qui pulse vers le cœur, si rassurant.
« Rien de plus beau, de plus doux, de plus émouvant, que toi, étendu, nu, abandonné à mes côtés pour
cette lente sieste écrasée de chaleur, si loin de tout, si loin du monde.
Tu dors, et moi, je m’abîme dans la contemplation de ce coin de bonheur, des papillons dans le cœur.
Moment suspendu, unique et miraculeux.
Ta peau, parfaite et dorée, miel et cannelle savamment mélangés, tes cils longs, si longs, ombrant loin
tes joues légèrement rosies par le soleil.
Tes mains, posées l’une dans l’autre, un moment immobiles. Ton corps confiant, abandonné à mes
côtés, que je regarde, que je n’en finis pas de regarder.
Je voudrais graver cet instant dans le marbre fragile de ma mémoire et j’attends.
J’attends, pleine du spectacle de ton sommeil, j’attends ton réveil, avec le calme serein qu’offrent les
jours doux de la vie. »
Il y a cette femme.
Il ne la connaît pas, mais il croit qu’il porte en lui un morceau de sa vie à elle.
Il regarde ses yeux, longuement, avec la certitude de voir si loin derrière...
Quelques secondes ?
Quelques mois ?
Le reste de sa vie en lui tenant la main ?
En trois secondes, l’être humain a fixé les paramètres d’un visage... si le regard s’attarde
davantage, on entre dans un autre rapport.
S’il la regarde fixement plus de trois secondes, si elle ne détourne pas les yeux, il aura lancé
un autre fil.
Si elle sourit, si elle ouvre la bouche, il entrera dans ses pensées au moins dans ses pensées.
Mais combien de temps prendra l’oubli ?
« Le point le plus troublant, c’est la confusion.
J’essaie de me souvenir de ton visage et c’est un autre qui apparaît.
J’essaie d’entendre ta voix et son timbre m’échappe.
Pourtant, comme je les aimais, comme je les aime.
Tout est affaire de contraste et maintenant, tout est flou, incertain, j’en ai la nausée.
Je n’arrive plus à voir tes yeux derrière les miens fermés.
Pourtant, comme je les aimais, comme je les aime.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
On peut aimer une chose et oublier sa forme ?
Quelle est leur couleur exacte ?
Combien de pépites d’or autour de leur iris ?
Y en a-t-il autant dans l’œil droit que dans le gauche ?
Toutes ces questions tournent dans ma tête.
Pas de réponse.
Je ne pourrai jamais regarder tes yeux assez longtemps, assez profondément pour les compter, les
étoiles qui s’y noient.
Si je ne peux plus donner de visage à ton souvenir, n’était-ce qu’une illusion d’amour ?
L’amour véritable doit-il imprimer sa marque, indélébile ?
Est-ce qu’on doit, sans confusion aucune, reconnaître l’être aimé au premier regard, dans la foule...
le brouillard... le noir ?
Est-ce qu’on doit s’en souvenir sans faille, le temps d’un battement de cil, d’un battement de cœur ?
Sans devoir chercher, redessiner, recréer les traits, patiemment, un à un ?
Suivre le contour du nez, la trace de l’ange, entre lèvres et narines sans se perdre en chemin...
Se raccrocher à l’arcade d’un sourcil pour ne pas tomber...
Tomber dans l’oubli ?
Le souvenir précis est-il un signe de l’amour véritable ?
Qu’est-ce que l’amour véritable ?
L’oubli de soi ?
Ta nuque, à toucher, comme un point d’ancrage... un moyen de t’atteindre... une porte...
Mes doigts n’y sont plus.
J’aurais dû, quand c’était possible, parcourir ton cou, pouce par pouce, doucement, tendrement,
violemment, l’embrasser.
Trop tard.
Se souvenir, la seule alternative... et quand plus rien ne vient ?
Comment est la douceur de ta peau ?
Je veux la sentir sur ma langue, sous mes lèvres, m’en souvenir, m’en souvenir vraiment.
Qui peut m’aider ?
Ton odeur... sucrée... épicée... musquée ?
Je ne sais plus, je ne sais plus.
Parfois je crois l’attraper dans un souffle, un sillage volatile...
Trop tard... pas eu le temps de la fixer.
Je ne sais plus, je ne sais plus.
Ton ventre, ton sexe, tes cuisses se mélangent avec d’autres sexes, d’autres ventres, d’autres cuisses...
Ça ne devrait pas...
Ça ne doit pas.
Pourtant comme je t’aimais, comme je t’aime. »
Il y a cet homme, elle croit qu’elle le connaît.
Elle regrette déjà de l’avoir regardé, de ne pas avoir détourné les yeux assez rapidement.
Trop tard, le fil est amarré...
Elle sent que cet homme n’est pas bon pour elle.
Elle sent qu’il tient dans ses yeux un morceau de sa vie à elle.
Et que ce morceau est sombre.
Une infinité de moments ?
Une seconde vertigineuse ?
Trop tard... l’histoire a commencé.
« Comment je fais pour te regarder, pour te parler, comme si de rien n’était, comme si on ne s’était
pas parlé, regardé autrement... avant ?
Comment je fais, maintenant ?
On doit se réapprendre ?
Redevenir des étrangers ?
Se découvrir... inintéressants, banals, tièdes ?
Fuir les regards dans lesquels on s’est tellement perdus...
Perdus et trouvés.
Ne plus voir cette bouche qu’on a tellement embrassée, sucée, gobée, ne plus sentir sa douceur, sa
tiédeur, son élasticité ?
Ne plus voir en elle qu’un outil de bavardage ?
Qu’un instrument de mise à distance ?
De mise à l’écart ?
De mise à mort ?
Qu’une machine à dire des mots vides, cruels ?
Ne plus voir que ça ?
Quand c’était une vraie usine à frissons ? »
Il y a cet homme.
Son regard l’a accrochée, elle en avait perdu l’habitude.
Cette fois, elle n’a pas choisi la fuite.
« Et si c’était la dernière fois...
Si c’était la dernière fois que je vois dans les yeux d’un homme qu’il me trouve belle ?
Si c’était la dernière fois que je suis belle ?
Est-ce que ça arrive ?
Je veux dire... s’il y a un jour, une minute, où on a fini d’être belle ?
C’est une chose à laquelle on s’habitue, la beauté...
Mais, tout à coup, quand on se dit que ça va peut-être s’arrêter...
On s’imagine que ce n’est pas très important...
Mais quand on se dit que ça s’en va...
On sait que ce n’est pas là que réside notre mérite, notre valeur...
Mais quand on sent que c’est presque parti...
On sait qu’on a tant de choses à prouver dans tant d’autres domaines...
Mais, tout à coup, quand on se dit que plus jamais on ne surprendra dans les yeux d’un homme cette
petite lueur qui s’attarde, qui vous embrase en un instant ; qu’on n’y verra plus cette petite promesse
qui n’aura presque assurément aucune suite, mais qui aura suffi à vous faire vibrer un instant, une
éternité, sur la piste de tous les possibles.
Alors, on se dit que...
Et si c’était la dernière fois ?
La dernière minute, la dernière seconde où un homme me regarde comme ça ? Pas juste comme une
femme élégante, intéressante, subtile ou cultivée, mais comme une femme excitante et désirable,
comme un homme peut regarder une femme avec violence et envie, brusquement, presque par
surprise.
Est-ce qu’il y a un moment où on se dit que ça n’arrivera plus ? Une minute où on se demande
combien de temps durera la magie ?
Et pour moi... combien de temps encore ?
Et si c’était la dernière fois ?
La dernière fois où je me sens désirée... là... maintenant... dans ce regard, pas encore tout à fait séduit,
mais déjà très attentif ?
Et si c’était aujourd’hui ce dernier jour ?
Et si c’était lui ce dernier homme ? »
Il y a cette femme.
Elle se dit que c’est une surprise.
Elle ne s’y attendait pas.
Elle se dit qu’elle a, dans les yeux, un peu de son pays à elle.
Loin de ses habitudes, loin de ses certitudes.
Un autre miroir, une image inversée, un autre univers.
À découvrir... à inventer.
« Laisse-moi me charger de ton corps.
Lui trouver son vrai poids, débarrassé des autres.
Laisse-moi te donner la légèreté des mots insouciants, des rires, des pensées qui s’envolent.
Laisse-moi m’en charger, trouver sa vraie forme, sa densité lourde.
Je pose les paumes de mes mains sur tes yeux, frais.
Je ferme ta bouche, encore et encore, elle qui veut s’ouvrir, encore et encore.
Veux-tu me parler ? Veux-tu m’embrasser ?
Je prends ta main si froide et blanche, pour une première promenade, une première danse.
De mon souffle, j’anime tes cils, je t’emmène en voyage, nuages bleus sous tes paupières.
J’efface de ton front les sillons soucieux.
Tu seras lisse et sereine, des étoiles plein la tête, des pensées comme des bulles qui nous emporteront
loin... loin vers cet autre pays que j’aimerais tant aimer. »
Véronique Biefnot, juillet 2012.
Bibliographie
À l’heure où ces lignes sont écrites, Véronique Biefnot a publié quatre livres en un peu plus d’un an
et demi. Le dernier tome de sa trilogie est chez son éditeur, et elle pense à écrire la suite d’Elie Owl.
Elle a d’autres projets d’écriture, et en parallèle elle écrit des nouvelles qui sont publiées dans le
magasine Marginales.
Comme des larmes sous la pluie
Attention, littérature ! Une fois n’est pas coutume, j’ai décidé de chroniquer un livre qui n’a rien de
science-fiction, fantasy ou fantastique, mais qui ne m’a pas laissé insensible. Et en plus c’est du
Belge !
Voici le premier roman de Véronique Biefnot. « Comme des larmes sous la pluie » tourne autour de
deux personnages principaux. Simon Bersic, un écrivain à succès, qui a toute la peine à surmonter la
perte de sa femme. Avec son fils, il a décidé de quitter la France et de venir habiter Bruxelles. Et puis
il y a Naëlle, belle, mystérieuse, renfermée sur elle-même, qui a des difficultés à établir le contact
avec les autres. Au milieu de ces deux personnages, il y a Céline et Grégoire, un couple d’amis de
Simon, qui involontairement mettra en contact Simon et Naëlle.
Une fois les deux personnages principaux présentés, on a la certitude qu’ils ont un futur en commun.
On ne sait pas trop quand ni comment, mais on le devine. Et Véronique Biefnot sème petit à petit des
indices qui vont dans ce sens. Mais parallèlement à cette histoire, les pensées d’un enfant viennent
perturber l’histoire. Mais quel lien peut-il exister entre Simon, Naëlle et cet enfant ? Aucun élément
ne nous est fourni, ce qui donne l’impression de lire deux histoires différentes. Mais c’est une illusion
entretenue par l’auteur. À un certain moment, Véronique Biefnot nous surprend par un coup de
tonnerre, en faisant chavirer nos convictions. Ce qui semblait être un roman cousu de fils blanc
devient soudain un drame. Les pensées de l’enfant, qui ont entrecoupé les différents chapitres,
deviennent soudain compréhensibles pour le lecteur.
Véronique Biefnot aborde ici un fait divers qui colle à l’actualité de ces dernières années. Je ne citerai
pas de nom, pour ne pas mettre les futurs lecteurs sur la voie. Mais en lisant ce roman, on ne peut pas
s’empêcher de faire le parallèle à de sordides faits divers qui se sont passés dans plusieurs pays, dont
la Belgique.
En toile de fond, on trouve Bruxelles. Le Bruxelles des Bruxellois, pas celui des touristes. Véronique
Biefnot prend un malin plaisir à nous décrire des lieux accessibles à tous. On devine qu’elle a dû
fréquenter la plupart d’entre eux, car les lieux sont minutieusement décrits ainsi que les habitudes des
personnages secondaires.
« Comme des larmes sous la pluie » est le premier roman de Véronique Biefnot, un auteur belge, qui
est en fait est une comédienne, metteuse en scène au théâtre. Le lecteur ne se rendra pas vraiment
compte qu’il s’agit de son premier roman, car c’est tellement bien écrit qu’on a l’impression d’avoir
dans les mains le livre d’un auteur qui en est à son dixième titre. C’est fluide, rythmé, captivant,
sensible, touchant, mystérieux. On s’attache aux personnages, car ils sont admirablement décrits. On
peut suivre leurs pensées et on se prend au jeu de vouloir la même chose qu’eux. C’est un roman sans
faille. On y passe de la joie à la tristesse, et on finit sur une note d’espoir. Lorsqu’on tourne la dernière
page du livre, on regrette que ce soit déjà fini. Le titre reflète exactement l’histoire. On aurait aussi
pu l’appeler seconde chance.
À coup sûr, Véronique Biefnot est une excellente auteure qu’on a évidemment envie de lire dans
d’autres livres. Elle fait preuve d’une telle maitrise, qu’on se demande pourquoi elle n’a pas écrit plus
tôt ! Ceci est son premier livre, mais certainement pas son dernier.
Comme des larmes sous la pluie, Véronique Biefnot, Editions Héloise d’Ormesson, 2011, 325 pages.
***
Les murmures de la terre
petite escapade en littérature belge avec une de mes auteures préférées !
Après « Comme des larmes sous la pluie », Véronique Biefnot nous propose « Les murmures de la
terre » son deuxième roman qui fait suite au premier. Roman toujours édité par Héloïse d’Ormesson.
Il s’agit toujours d’une romance, mais le thriller a laissé la place à l’aventure et au mystère.
On y retrouve Naëlle toujours perturbée par son passé, et l’écrivain Simon Bersic toujours aussi
amoureux d’elle. Cette fois-ci, le lieu où se passe l’histoire a changé. Ce n’est plus Bruxelles en toile
de fond, mais la Bolivie. À travers les deux personnages principaux, Véronique Biefnot nous fait
visiter ce pays étrange et mal connu des lecteurs. Telle une ethnologue, elle nous fait découvrir la
Bolivie profonde, emprunte de vieilles croyances, où le chamanisme à sa raison d’être. Un pays où la
technologie n’a pas sa place, et où les autochtones vivent à un autre rythme que celui de notre
civilisation occidentale. C’est l’endroit idéal pour Naëlle pour pouvoir se reconstruire, pour aller au
tréfonds de son âme. En tant que lecteur, au début du livre on en est pas persuadé, et les deux
personnages principaux aussi. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cette histoire.
Plus épais d’une centaine de pages, que le premier tome, « Les murmures de la terre », est aussi
l’occasion d’un peu plus explorer l’autre couple de cette histoire. Céline, Grégoire et leurs enfants.
Leur couple est en péril après avoir suivi le naufrage de celui d’amis proches.
Depuis Comme des larmes sous la pluie, Véronique Biefnot nous fait découvrir toutes ses
préoccupations sur les sentiments, sur le couple, sur le bonheur, sur les doutes qui s’installent au fil
du temps, sur la manière d’envisager une vie à deux avec des enfants. Elle en profite aussi pour nous
parler du coup de foudre, nous expliquer le mythe du prince charmant ou les différences entre hommes
et femmes à la façon de John Gray.
Avec le couple Céline et Grégoire, j’ai particulièrement aimé leurs joutes orales, surtout lorsqu’ils se
lancent à la tête des tirades d’Alfred de Musset. Là, je remarque que l’auteure est une vraie
comédienne (je le savais déjà) qui prend plaisir à nous conter cette histoire parsemée de métaphores.
Avec ce deuxième tome, la romancière (toujours comédienne, metteur en scène et peintre), confirme
tout le bien qu’on dit d’elle depuis Comme des larmes sous la pluie. En reprenant ses personnages
principaux là où ils s’étaient arrêtés, elle montre au lecteur une autre facette de son talent. Une de
plus, devrais-je dire. Dès la sortie du premier livre, elle avait annoncé une trilogie. Sur fond d’aventure
et de mysticisme, elle nous propose toujours une histoire sentimentale compliquée pour ses
personnages principaux. Une situation qui entrainera le lecteur au pays des condors et des curanderos.
Ce livre peut se lire indépendamment du premier. Il n’est pas nécessaire de connaître ce qui précède
pour lire ce roman. Mais je conseillerais tout de même aux lecteurs qui ont aimé ce livre-ci de lire le
premier tome. Non pas parce qu’il est indispensable à la bonne compréhension de l’histoire, mais tout
simplement parce qu’il explique comment Naëlle et Simon se sont rencontrés et en sont arrivés à la
situation du début du livre.
Dès les premières pages du livre, on remarque le travail de recherche que Véronique Biefnot a
accompli pour nous décrire de manière exhaustive la Bolivie et sa culture. On pourrait penser qu’elle
y a séjourné. Il n’en est rien. Par son travail très élaboré, la belle est capable de bluffer ses lecteurs
les plus fidèles. La Bolivie est un pays qui nécessite une bonne condition physique pour les visiteurs.
On y passe des hauts plateaux et déserts de sel, à la forêt amazonienne, avec des écarts de température
et des conditions atmosphériques fonction de l’altitude. L’auteure nous fait ici partager sa vision de
la Bolivie. Une vision mystérieuse et colorée, presque un travail d’ethnologue.
Dans ce second opus, on découvre le chamanisme à travers la quête de Naëlle. Pour retrouver les
douze ans de son existence qui ont disparu de sa mémoire, elle se lance dans un périple, qui est une
lente descente au fond d’elle-même, à travers des pratiques chamaniques, parsemées d’animaux de
pouvoir. Mais rien n’est simple pour elle. Malgré sa volonté de découvrir qui elle est réellement, le
parcours est semé d’embuches. Pour Simon Bersic, ce parcours est également compliqué. Il veut
retrouver Naëlle, quitte la Belgique pour la Bolivie, et avec l’aide de Manko, traverse une partie ce
pays.
Dans Comme des larmes sous la pluie, on avait droit à la petite voie qui parsemait chaque chapitre.
Dans Les murmures de la terre, c’est principalement les pensées de Naëlle qui vont parsemer chaque
chapitre. La belle ténébreuse nous semble soudain un peu moins mystérieuse (mais vraiment un peu).
On plonge dans ses rêves, dans ses cauchemars, et on l’accompagne sur le chemin qui doit l’amener
à se retrouver. Derrière un aspect très littéraire, ce roman a aussi une part importante de fantastique.
Chaque titre de chapitre situe le personnage, le lieu et l’heure. Parfois, l’auteur laisse des points de
suspension pour nous laisser dans le doute, ce qui n’est pas plus mal.
Encore un sans faute pour Véronique Biefnot, qui sur sa lancée s’affirme de plus en plus comme une
grande romancière, avec un style qui lui est propre et qui est très agréable à lire. On a droit à des
chapitres courts, qui permettent de progresser plus vite dans la lecture du roman. C’est fluide, c’est
évident pour le lecteur, jusqu’au moment où Véronique Biefnot décide de nous faire des révélations
qui vont mettre à mal nos idées préconçues. On peut facilement se mettre dans la peau des
personnages, sauf de Naëlle, et les lecteurs comprendront pourquoi. On retrouve chez Véronique
Biefnot ce malin plaisir à perturber le lecteur, à lui faire découvrir une réalité toute différente de celle
qu’il imaginait. C’est tellement bien écrit, qu’on en redemande. Difficile de croire qu’il s’agit
seulement du deuxième livre, surtout avec une telle maitrise de l’écriture dans la langue de Molière.
Les murmures de la terre va évidemment donner envie au lecteur de connaître la fin de cette romance.
Pour l’instant, Véronique Biefnot n’a pas encore divulgué beaucoup d’informations sur la suite et fin
de cette envoutante histoire, si ce n’est qu’il y aura un retour en Belgique des personnages principaux.
À l’heure où j’écris ces lignes, l’histoire doit être en cours d’écriture. Je ne crois pas me tromper en
disant que dans un an, on aura droit à la fin de l’histoire. Son éditeur, Héloïse d’Ormesson, ne
manquera pas de publier la fin.
Voilà encore un livre que j’ai beaucoup aimé et un auteur que je continue à suivre de très près.
Les murmures de la terre, Véronique Biefnot, éditions Héloïse d’Ormesson, 2012, 480 pages
***
Sous les ruines de Villers
Avec Sous les ruines de Villers, Véronique Biefnot propose un court roman réservé à ceux qui ne
veulent pas nécessairement lire une histoire étalée sur plusieurs centaines de pages. Dans la collection
de romans de gare Kiss and Read des éditions Luc Pire, on découvre une nouvelle facette de la
romancière à travers un livre léger, rapide à lire, qui laisse planer un certain mystère, et qui se passe
dans des lieux bien de chez nous, en Belgique et à Villers-la-Ville en particulier.
Il n’y a pas de points communs entre ce livre et les deux précédents (Comme des larmes sous la pluie,
Les murmures de la terre), pas plus qu’il n’y en a avec les nouvelles parues dans le magasine
Marginales. Seul le style de l’auteur est reconnaissable.
La romancière nous propose de découvrir Gaya Dewaele, une jeune femme de trente ans, qui est
célibataire, qui consacre son existence à travailler. Elle dirige une société qui produit des spectacles.
Dès les premières pages, on découvre un personnage qui entretient uniquement des relations
professionnelles avec son entourage. Il n’y a aucun lien d’amitié, aucun sentiment, juste des contacts
professionnels. On pourrait la comparer à certains personnages de Charles Dickens qui dès le départ
donnent une image négative d’eux-mêmes et qui évoluent favorablement au fil de l’histoire. Mais
lorsqu’on découvre que cette jeune femme a subi un grave accident dans son existence, et qu’elle doit
en permanence porter un corset pour ses douleurs dorsales, on comprend mieux le désert de Gobi
sentimental dans lequel elle s’est ensablée. Ce n’est pas seulement l’œuvre de son excès de travail,
mais c’est aussi dû à ses problèmes de santé.
Alors qu’elle produit un spectacle à Villers-la-Ville, Gaya découvre une bague dans les sous-sols.
Personne ne semble vouloir réclamer l’objet. Un peu plus tard, toujours dans les ruines, Gaya
découvre un souterrain qui mène à une salle dans laquelle se trouve une statue inachevée. Cette statue
va l’attirer, au point de vouloir revenir la voir à plusieurs reprises. Et chaque fois, la statue est de plus
en plus achevée, sans que Gaya ne sache qui est le sculpteur. Les questions qu’elle se pose ne trouvent
pas de réponses. C’est l’occasion pour le lecteur de voir des changements dans le comportement de
la jeune femme. Elle devient soudain plus sociable, moins distante, plus ouverte à son entourage
direct. Le carcan physique et psychologique dans lequel elle est enfermée depuis des années disparait
petit à petit. La statue y est pour quelque chose, et encore plus l’inconnu qui surgira dans son existence
dans une scène plutôt sensuelle qui peut tenir du fantasme pour le lecteur. En tout cas, un moment
qui surprend agréablement Gaya. Je laisse au lecteur le soin de découvrir la suite de l’histoire.
Le roman se termine avec la rencontre d’un bel inconnu présenté lors d’une soirée organisée par un
membre de l’équipe de Gaya. Véronique Biefnot laisse planer le doute jusqu’au dernier mot de ce
roman. Est-ce lui ? Est-ce celui qui a sculpté la statue qui se trouve dans les ruines de Villers-laVille ? C’est au lecteur de deviner la suite, car la romancière a volontairement donné une fin ouverte
à son histoire. Une chose est certaine, c’est que la jeune femme du début de l’histoire n’a plus grandchose à voir avec celle de la fin.
Histoire d’amour tinté de mystère ? Histoire d’une reconstruction psychologique ? À un certain
moment du livre, on a envie de basculer dans le fantastique. Mais à cause de la fin ouverte, chaque
lecteur peut en déduire ce qu’il veut. Seule Véronique Biefnot connaît la réponse à ce mystérieux
sculpteur, ou à ces deux mains dans l’obscurité qui vont caresser le dos de Gaya alors qu’elle est nue
dans les ruines de Villers-la-Ville.
Avec ce livre, on retrouve le domaine de prédilection de Véronique Biefnot, qui avant d’être
romancière est comédienne et metteur en scène. Les spectacles sont son lot quotidien et elle décrit
très exactement les coulisses de ceux-ci. Je me suis amusé lors de la lecture, pensant parfois
reconnaître certains personnages. Mais je ne m’avancerai pas davantage dans cette voie, car pour le
roman précédent, Véronique Biefnot est déjà parvenue à me faire croire qu’elle avait sillonné la
Bolivie. Ceci dit, j’en redemande !
Un conte moderne, un rien sensuel, qui plaira à bon nombre de lecteurs. Encore une fois, la
romancière arrive à surprendre le lecteur au moment où il s’y attend le moins. À lire tout simplement.
Mais n’oubliez pas, c’est du roman de gare !
Sous les ruines de Villers-la-Ville, Véronique Biefnot, éditions Luc Pire, 2012, 135 pages.
***
Elie Owl, l’animalter
étrange nom pour un personnage encore plus étrange. Véronique Biefnot aborde ici le domaine
fantastique. Elie Owl l’animalter est édité par Myriapode, dans une collection qui est dédiée à la
jeunesse. Mais est-ce vraiment un roman uniquement pour les adolescents ? Non, heureusement. Le
livre s’adresse à tout public, en particulier à ceux qui aiment le fantastique.
L’histoire se passe à notre époque, à des endroits différents de la planète, où l’on suit Elie Owl à
travers ses transformations. Contre son gré, il se retrouve tous les jours dans le corps d’un animal
différent. On a donc droit à une narration à la première personne qui décrit ce que ressent Elie Owl
dans le corps des différents animaux. Très étrange, surtout qu’il semble avoir perdu ses souvenirs dès
le début de l’histoire, et ne comprend pas pourquoi il se réveille à chaque fois dans un autre corps. Et
le lecteur se pose aussi la question !
Les chapitres alternent et permettent d’avoir une vue générale sur une situation donnée ou sur une
vue à travers le regard d’Elie Owl. À la lecture des différentes transformations, on découvre un
personnage qui tient plus de monsieur catastrophes que d’un héros. Peut-être en est-il un ? Seule
Véronique Biefnot le sait. Après une première partie axée sur les transformations, on découvre un
second personnage qui va rappeler à Elie Owl qui il est et ce qu’il est réellement. Il découvre que ses
actes négatifs ne le sont peut-être pas autant qu’il pourrait le penser. Tout a un but (caché) s’il est là,
c’est pour une bonne raison que lui-même ignore.
Heureusement, Véronique Biefnot nous montre l’autre côté du miroir, et l’on accède soudain à une
autre vérité en revivant les scènes sous un autre angle. Oh, tout n’est pas révélé, tant s’en faut ! La
condition d’animalter n’est pas très répandue et n’est pas irrémédiable. Mais quels desseins peut-il
bien servir ? Il est l’instrument du destin, comme l’écrit Véronique Biefnot. Le livre laisse planer des
questions sur les origines d’Elie Owl et surtout sur son avenir immédiat.
Livre fantastique qui se laisse lire, dans lequel on retrouve certains sujets de prédilection de
Véronique Biefnot. L’ouverture avec le chat n’est pas anodine. En lisant ce roman court, j’ai essayé
de faire un parallèle avec quelque chose que j’avais déjà lu ou vu, et je n’ai rien trouvé d’approchant.
La romancière est vraiment sortie des sentiers battus (de la littérature) pour nous proposer une histoire
originale et fantastique. Évidemment, je reste sur ma faim, car la fin du roman m’oblige à attendre la
suite. J’espère que Véronique Biefnot ne tardera pas trop longtemps à fournir le tome deux de ce qui
semble être un cycle ou une trilogie.
Personnellement, j’ai beaucoup aimé. D’abord pour l’histoire, ensuite parce que je retrouve le style
et le rythme d’une romancière que je connais très bien. À conseiller aux grands comme aux petits,
aux jeunes comme aux personnes âgées.
Elie Owl, l’animalter, Véronique Biefnot, éditions Myriapode, 154 pages, 2012, couverture de Marc
Taraskoff
***
Nouvelles
Plusieurs nouvelles ont été publiées dans le magasine belge Marginales. Véronique est un auteur
régulier du magazine. Elle montre qu’elle est aussi à l’ais avec de courtes histoires qu’avec de longs
romans. Parmi ces textes, une nouvelle inédite « Tu étais le pays que j’aimais » qui fait partie de ce
dossier consacré à Véronique Biefnot.
— Le fauteuil (Marginales 279)
— A-mazon (Marginales 280)
— Amazoniaque (Marginales 280)
— La grande maison (Marginale 281)
— Tu étais le pays que j’aimais (Le Suricate)
— Désolé (Marginales 284)
— La poule (Marginales 285)