L`espéranto du monde ferroviaire
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L`espéranto du monde ferroviaire
02 2009 AT © Contribution d’Alstom Transport au futur ferroviaire L’espéranto du monde ferroviaire Interview Le plus grand métro du monde Entretien avec Steven A. Feil et Gene Sansone, du New York City Transit. Événement Alstom Transport à Innotrans 2008 Pages 40-41 Pages 2-9 Dossier Cinéma Pages 10-19 Pages 42-47 Technologie Culture Entretien avec Jean-Marc Nizet, directeur de l’activité signalisation Pages 48-53 Métro : un petit mot pour un grand concept L’espéranto du monde ferroviaire Tra(in)velling avant Hitchcock : l’obsession ferroviaire London Transport Museum Pages 20-29 Événement Invité Pages 30-31 Par Hubert Reeves L’AGV : un été à Velim… Dans un wagon doré…. Pages 54-57 Paris-Strasbourg : pari tenu Pages 32-33 Société Laboratoire d’économie des transports : Éclairer les politiques publiques de transport Voyage Le train du Négus Pages 58-67 Entretien avec Alain Bonnafous Pages 34-39 AT Magazine est une publication de la direction de la communication d’Alstom Transport. © - ALSTOM 2009. ALSTOM, le logo ALSTOM et toute version alternative sont des marques de fabrique, de commerce et de service d’ALSTOM. TGV est une marque déposée par la SNCF. Les autres noms mentionnés, déposés ou non, appartiennent à leurs propriétaires respectifs. Les données techniques et autres contenues dans le présent document sont fournies à titre informatif seulement. ALSTOM se réserve le droit de réviser ou de modifier ces données à tout moment et sans préavis. Dépôt légal : 1e trimestre 2009. Directeur de la publication : Christine Rahard. Directeur de la rédaction : Virginie Hourdin. Rédacteur en chef : Laurence Caillet. Les articles et illustrations publiés dans ce numéro ne peuvent être reproduits sans autorisation préalable. Conception-édition : In Fine. Infographies : idé. Photos : © Alstom Transport – Gettyimages/Grant Faint – A. Février – TOMA/C. Sasso – P. de Salabert – Musée Carnavalet/Roger-Viollet – ND/Roger‑Viollet – R. Vilalta – F. Christophorides – TOMA/V. Baillais – istockphoto/Woodstock – istockphoto/Offstone – P. Guignard – istockphoto/Nikada – Marcos Vianna – Libor Fojtik – NTV – Gérard Uferas – www.PlanetObserver.com – TopPhoto/ Roger‑Viollet – Alinari/Roger-Viollet – Sam Shaw/Shaw Family Archives/Roger‑Viollet – Conran Design Group – London Transport Museum/New Century Pictures – London Transport Museum/Andy Paradise – Gettyimages/Mel Curtis – Laurent Védrine. DR Imprimé en France sur Satimat Green, papier à 60 % de fibres recyclées et 40 % de fibres vierges certifiées FSC (Forest Stewardship Council). AT Magazine un think tank du ferroviaire La mission d’AT Magazine est de contribuer au futur du transport ferroviaire et de développer – avec l’aide des meilleurs experts mondiaux – des pistes de réflexions sur les enjeux clés de notre métier. Les trains, les métros, les tramways font partie de la vie quotidienne. À tel point qu’il est parfois utile de rappeler et d’expliquer l’incroyable technologie nécessaire pour permettre chaque jour à des centaines de millions de voyageurs de se déplacer rapidement, à un prix acceptable, dans de bonnes conditions de sécurité. Les infrastructures ferroviaires façonnent les territoires, influencent les sociétés et développent les économies sur plusieurs décennies. Elles représentent des investissements importants pour les collectivités dont les responsabilités sont par ailleurs multiples : les transports, mais aussi la santé, l’enseignement… C’est de toutes ces questions dont nous voulons débattre dans AT Magazine, tout en partageant avec vous l’enthousiasme des collaborateurs d’Alstom Transport sur l’avenir du transport ferroviaire. Bonne lecture ! Philippe Mellier Président d’Alstom Transport i 2 nte r v iew Le plus grand métro du monde Il faut du temps, de la stratégie et des sommes considérables pour transformer une structure altérée au‑delà du raisonnable en une organisation performante. Branche majeure de la Metropolitan Transport Authority (MTA), le New York City Transit poursuit la lourde opération engagée dans les années 80 pour moderniser son métro et améliorer durablement la qualité globale du confort de ses passagers. Steven A. Feil, Senior Vice-President of NYC Transit’s Department of Subways. Avec sa toile complexe de lignes express mais il occupe le premier rang mondial lorsqu’il et omnibus aériennes et souterraines, s’agit de la longueur des voies (1 050 km), de divisions incompatibles A et B héritées du nombre de stations (468) et de la flotte du passé et une jungle technique en de voitures en service (plus de 6 400). coulisses, le monstre centenaire s’adapte Après dix ans passés au métro aux changements de société et de de Washington DC où il avait été nommé comportements. La hausse vertigineuse Chief Operating Officer for Rail, Steven A. Feil des prix du carburant et les sombres est retourné à celui de New York en novembre perspectives qui pèsent sur l’environnement 2007 pour y poursuivre les travaux de ont dissuadé un nombre croissant de modernisation à titre de Senior Vice-President New‑Yorkais d’utiliser leurs véhicules, leur of NYC Transit’s Department of Subways. faisant préférer l’alternative publique plus Gene Sansone est son directeur technique économique et plus propre. Une évolution (Chief Mechanical Officer). Il est depuis qui rend le processus d’amélioration du de nombreuses années un acteur des plus système d’autant plus urgent. Aujourd’hui, influents du renouvellement de la flotte et en termes de nombre de voyageurs, de sa maintenance. Il est également l’auteur le premier mode de transport public d’un ouvrage sur “son” métro(1). de la grande cité américaine vient certes après les métros de Tokyo, Moscou et Séoul, (1) New York Subways: An Illustrated History of New York City’s Transit Cars. By Gene Sansone. Baltimore, Johns Hopkins Univ. Press, 2004 (orig. publ. 1997). 3 Comment décririez‑vous le rôle du métro dans les systèmes de transport de la ville de New York ? S. Feil : Le métro n’est pas seulement le cœur de la vitalité de la ville mais aussi celui de toute la région alentour. Notre système est très vaste, très complexe et pour le moins unique. Nous opérons 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Nous avons plus de 6 400 voitures G. Sansone : En ce qui concerne le premier et nous transportons entre 5,2 et 5,3 millions programme, lorsque les voitures étaient de passagers par jour... Nous sommes en service depuis vingt ans – leur durée de vie l’un des systèmes de transit les plus grands moyenne est de quarante ans –, nous et les plus performants du pays sinon les mettions entièrement à nu en enlevant tout du monde. Et l’un des plus anciens aussi ! l’équipement. S’il y avait des dommages L’IRT (Interborough Rapid Transit) a été structurels ou des travaux d’électricité à faire, construit au tout début des années 1900 nous les réparions. Nous remplacions et, plus tard, dans les années 40 et 50, également les composants. Ce programme le système a été agrandi pour devenir a duré environ vingt ans, jusqu’à 1992. l’appareil complexe qu’il est aujourd’hui. Nous l’avons abandonné pour passer à une Quel est le profil type du passager ? interview Il y a deux étapes majeures dans l’histoire récente du métro de New York : le General Overhaul Program (programme général de remise à niveau) des années 80 et, ensuite, le Scheduled Maintenance System (calendrier de maintenance). En quoi diffèrent-ils ? approche systémique. Au lieu d’attendre que les voitures aient vingt ans pour les remettre en état, nous travaillons sur la durée S. Feil : Le passager type va de l’étudiant de vie des grands systèmes – climatisation, à l’employé de Wall Street, en passant caisse, portes, freins, bogies, etc. – et nous par tous les salariés de la classe moyenne dressons un calendrier de maintenance et autres travailleurs. Cette diversité s’explique pour chacun d’entre eux. par le fait que le métro reste le mode de Il y a une autre différence : alors que transport le plus rapide, le plus efficace et le le principe du premier programme était moins cher que nous pouvons offrir à la ville. d’envoyer les voitures à une société qui Vous prenez souvent le métro ? se chargeait de faire les travaux pour notre compte, le principe du deuxième programme S. Feil : Aussi souvent que je le peux. consiste à pratiquement tout faire nous‑mêmes. Certaines semaines, je le prends tous Bien entendu, sur la base d’un calcul les jours. Parfois, je suis obligé d’emprunter de coûts. Par exemple, comme nous n’avons un mode de transport différent en fonction pas les techniciens qualifiés pour réparer de l’endroit où je dois me rendre, mais, les fissures sur les bogies, nous les confions dans la mesure du possible, je préfère à une société de Chicago. prendre le métro. J’ai certainement emprunté la plupart des lignes mais je poursuis mon exploration. J’ai passé dix ans ici dans les années 80 et je n’ai toujours pas vu toutes les zones souterraines que je voudrais voir. Je pense qu’il me faudra encore deux ans au moins pour y arriver ! Parallèlement à la modernisation systématique en cours de la flotte et des infrastructures, quels changements majeurs ont été opérés pour réduire la complexité du système et accroître son efficacité ? S. Feil : Je dirais que l’un des changements majeurs est la réorganisation du département des métros. Le président du NYC Transit, 4 Howard H. Roberts Jr., qui avait déjà fait Gene Sansone, directeur technique (Chief Mechanical Officer). 5 une réorganisation similaire et réussie au département des bus il y a quelques années, est à l’origine de ce plan de changement. Notre département compte 28 000 employés et son organisation est actuellement très cloisonnée. Le concept consiste à nommer des managers de ligne responsables chacun d’une ligne, et de regrouper plusieurs lignes sous l’autorité d’un manager général. De cette façon, au lieu d’être verticale avec un management du sommet vers la base, l’organisation est horizontale. Cela signifie une meilleure intégration dans le reste du système et cela nous rapproche également du client. Quels problèmes avez‑vous rencontrés ? S. Feil : Les plus importants sont certainement venus du fait que nombre de gens qui avaient travaillé au NYCT depuis vingt ans et plus, rechignaient à changer de système. Ils aimaient la structure telle qu’elle était auparavant. Quand vous essayez interview de réorganiser radicalement quelque chose qui existe depuis longtemps, vous devez et de Brooklyn est telle que le tout ressemble toujours vous attendre à une certaine à un plat de spaghettis avec la “boulette de résistance. Notre système est tellement viande” du downtown en bas de Manhattan ! unique et tellement complexe que cela prend Ailleurs, si vous avez un problème un peu plus de temps pour communiquer sur l’un des rayons de la roue, cela ne correctement les changements. Il faut être va pas nécessairement impacter l’ensemble certain que tous ceux qui sont impliqués du système. Tandis qu’à New York, les acceptent, de façon à ce qu’il n’y ait pas la moindre interférence, le moindre incident de résistance dans la phase de mise en place. sur une ligne peut avoir des répercussions Il s’agit d’identifier les points de résistance étendues, ce qui complique d’autant en amont et de rassurer les collaborateurs la gestion opérationnelle. Vous tirez pour que, le moment venu, l’opération un spaghetti et tous les autres bougent ! s’effectue sans heurts. (Ndlr : Gene Sansone est né à Naples). Néanmoins, la configuration du métro de New York reste en soi passablement complexe... Une autre curieuse caractéristique est le système des divisions A et B avec leurs voitures de gabarits différents. N’est-ce pas là une complication technique aussi bien qu’économique ? G. Sansone : Terriblement complexe ! Si vous prenez une carte du métro de Londres, de Paris, de Washington DC ou autres, 6 vous voyez un centre et les lignes du métro S. Feil : L’IRT, ou division A, est plus qui convergent vers ce centre. Comme contraint dans ses équipements pour des les rayons d’une roue. Mais à New York, j’en raisons de dimension des infrastructures plaisante avec mes étudiants, la géographie et de tracé. Le système ne consiste pas de Manhattan, du Bronx, du Queens en une ligne droite, il y a beaucoup de virages et de pentes à travers la ville, en particulier d’abord des études approfondies de coûts à travers la partie nord de Manhattan en cherchant le plus petit dénominateur (Upper Manhattan), il y a des tunnels sous commun. Avec l’IRT, nous n’avons pas l’eau et des sections aériennes. Le BMT le choix, il nous faut des voitures de 15,5 m. (Brooklyn‑Manhattan Transit), ou division B, Mais pour le BMT, qui a des voitures est un petit peu plus large et il utilise, de de 18,5 m et de 23 m, le plus petit ce fait, un équipement de plus grande taille. dénominateur commun est 18,5 m. Nous En conséquence, l’intégration de l’équipement évaluons actuellement diverses options n’est pas possible et cette restriction génère concernant notre prochain gros achat. évidemment des coûts. Nous n’avons pas encore pris de décision. Quelles sont alors les limites de la standardisation du matériel roulant ? Jusqu’aux années 80, seuls les constructeurs locaux comme St. Louis Car, Budd, Pullman fournissaient le métro de New York. Ensuite, ils ont été remplacés par des constructeurs étrangers basés aux États‑Unis, Kawasaki, Bombardier et Alstom. Pourquoi ? G. Sansone : Nous nous efforçons depuis toujours, ou presque, de standardiser. Nous aurions adoré n’avoir qu’un seul gabarit de voitures mais, physiquement, comme le dit Steven, c’est impossible à cause des différences de hauteur libre. C’est comme avoir une flotte disparate de Peugeot, G. Sansone : Tous ces grands constructeurs Mercedes, BMW et Toyota, avec pièces américains ont fait faillite, ce dont nous de rechange et références pour chaque sommes en partie responsables. Par exemple, marque... Donc, quand nous standardisons St. Louis Car, qui avait été un temps le plus des segments de notre flotte, nous faisons grand constructeur au monde, a eu le contrat 7 interview du R44 dans les années 70. C’était une voiture attendent et exigent un service de bonne d’une nouvelle technologie, d’un concept qualité, un bon service client, un système différent, plus longue, plus grande, plus de transport propre et efficace. Ils sont rapide... Ce n’était pas notre programme mais parfaitement en droit d’attendre et d’exiger le leur. Il leur a fallu énormément de temps cela. La fréquentation du métro a augmenté pour la construire et ils ont pris trop de retard. de manière constante dans le sillage de Avec un taux d’inflation de 15 % à l’époque la hausse des prix du carburant. Compte tenu et nos contrats à prix fixe, ils ont perdu de la récente baisse des prix du pétrole, tellement d’argent qu’ils ont déposé le bilan. on pourrait s’attendre à voir la fréquentation Vous ne travaillez jamais avec des petits constructeurs ? retomber mais ce n’est pas encore le cas. Peut-être dans les deux ou trois mois qui viennent... en tout cas, je n’ai pour l’instant G. Sansone : Quand nous achetons des vu aucun rapport en ce sens. Le métro voitures, nous en achetons par centaines permet de se déplacer facilement en ville à la fois, voire un millier... Si vous n’êtes pas et, comme je le disais, c’est toujours le moyen une très grande entreprise, vous prenez de transport le moins onéreux, le plus rapide un gros risque. Les choses peuvent aller et le plus efficace à New York. de travers, le projet peut être retardé, les prix des matières premières, par exemple l’acier, peuvent augmenter... Ce qui fait que ces entreprises‑là ne veulent pas prendre le risque Quelles alternatives envisagez‑vous qui vous permettraient d’accueillir davantage de passagers ? économique de nous vendre des voitures. Les seules qui veulent faire des affaires S. Feil : Certaines lignes fonctionnent déjà avec nous sont les très grandes. pratiquement à pleine capacité. Donc, Est-ce que les passagers sont satisfaits de la modernisation de leur métro ? Que souhaitent‑ils, qu’exigent‑ils ? nous étudions très attentivement les zones dans lesquelles nous pourrions l’augmenter en introduisant de nouvelles technologies, et ce avant de prendre la décision arbitraire de renforcer le service sur telle ou telle ligne. 8 S. Feil : Je pense que, comme dans L’une des options que nous explorons la plupart des autres villes, les New-Yorkais en ce moment est le contrôle automatique des rames (communication-based train les sommes que nous avons demandées control ou CBTC). Cette technologie permet mais, pour l’instant, nous devons procéder d’accroître en toute sécurité la capacité à des ajustements dictés par le contexte du réseau en augmentant le nombre de trains économique actuel. circulant en période de pointe sur les lignes qui en ont besoin. De plus, nous envisageons également d’introduire, aux heures de pointe et sur certaines lignes particulièrement denses, un blocage automatique des sièges en position verticale. Cela permettrait d’augmenter de 7 % environ l’espace disponible dans les voitures. G. Sansone : En ce qui concerne le service Compte tenu du budget d’austérité approuvé par le MTA à la mi-décembre et les 23 % d’augmentation de recettes nécessaires pour combler le déficit, une augmentation des tarifs est‑elle inévitable dans le métro ? client, nous introduisons de nouveaux moyens S. Feil : Cela ne devrait pas être la première d’information tels que plans de quartiers, solution, mais il faut bien être conscient messages enregistrés, messages déroulants que si l’on veut offrir un niveau d’efficacité et, dans un proche avenir, des écrans LCD constant sinon meilleur, il n’y a parfois pas qui donneront encore plus d’informations d’autre alternative que d’augmenter les tarifs. aux passagers. De quelle manière la crise économique actuelle impacte‑t‑elle vos activités ? Quels sont les prochains défis ? S. Feil : Le nouveau programme managérial que j’ai mentionné plus haut va nous permettre de nous rapprocher étroitement est toujours un problème. Cependant, nous du service client, d’obtenir une plus grande devons faire très attention à ne pas laisser efficacité opérationnelle et de poursuivre le système se détériorer pour des raisons l’intégration de l’IRT avec le reste du système, de contraintes budgétaires. Nous veillons de façon à fournir le même niveau de service, à ne compromettre ni la sécurité du réseau voire un niveau supérieur, aux habitants ni le niveau de service mis en place. de New York. Il est évident que nous aimerions recevoir Propos recueillis par Françoise Nieto S. Feil : En ces temps de crise, le budget L’inox mythique On aime ou on n’aime pas mais à New York, comme partout ailleurs aux États‑Unis, les voitures de métro sont en inox. Non peint. Dans la grande cité au bord de l’Atlantique, au-delà d’une esthétique très américaine, son utilisation a de multiples justifications : il dure plus longtemps que les autres, il est plus résistant aux flammes que l’aluminium et le sel marin ne l’attaque pas. Quid des graffiti qui avaient commencé à fleurir sur les flancs des rames dans les années 70 ? L’inox est lavable... Après une campagne qui a duré des années et coûté près de 300 millions de dollars, ils ont pratiquement disparu. Mais, malgré un entretien quotidien et la surveillance sans relâche de la Vandal Task Force (la brigade antivandalisme de la police new-yorkaise), les tagueurs ne s’avouent toujours pas vaincus : un nouveau type de peinture est apparu, en fait une solution à base d’acide mélangé à de la peinture (ou du cirage) qui laisse des traces indélébiles. Un problème que la pellicule transparente dont on recouvre les voitures et les vitres ne suffit pas à résoudre. Ces bombes sont interdites à la vente aux moins de 18 ans... 9 d os sie r 10 Métro. Apocope du terme “métropolitain”, lui‑même abréviation de “chemin de fer métropolitain”. Un tout petit nom pour un très grand concept. Né à Londres au milieu du XIXe siècle pour régler – déjà ! – les épineux problèmes de circulation que connaissait la capitale britannique, il a essaimé en l’espace de 150 ans à travers toute la planète pour s’imposer comme l’un des principaux modes de transport urbain. Mais que reste-t-il à Manille ou à São Paulo du premier subway londonien ? Rien ou presque. Sinon un esprit, un zeste d’indéfinissable. Car ces métros, pourtant si différents, racontent finalement tous la même histoire : la chronique quotidienne d’un lien social et citadin. Retour sur une extraordinaire odyssée technique et humaine, riche d’un passé illustre et porteuse d’un futur prometteur. Métro : un petit mot pour un grand concept 11 À la conquête du monde emboîteront rapidement le pas. Tokyo devra Tout est parti d’un inventeur anglais : Le métro ne connaîtra cependant son véritable Charles Pearson. Et d’une idée farfelue : essor qu’au lendemain de la Seconde Guerre lancer un chemin de fer urbain souterrain mondiale. Ville par ville, continent par sur une ligne dédiée. Un premier tronçon de continent, de nouveaux réseaux seront créés 6,5 km reliant Farringdon Street à Paddington ou étendus. L’Afrique accueillera sa première construit dès 1863 remportait immédiatement ligne en 1987, au Caire. Les grandes villes un réel succès populaire, malgré les difficultés asiatiques et sud‑américaines, confrontées à nées de l’évacuation de la vapeur dans une pression démographique sans précédent, le tunnel. Moins de dix ans après, naissait rejoindront le concert mondial au cours le premier métro continental à Istanbul des dernières décennies du XXe siècle. – le “tünel” – suivi de près par celui de Budapest en 1896, puis de Vienne en 1898. 12 Scénariste des villes Paris inaugurera sa première ligne électrique La définition actuelle du métro, telle dédiée à la desserte de l’Exposition qu’établie par le Comité des métropolitains de Construction du métro parisien : traversée de la Seine au Châtelet, 1905. universelle en 1900. Berlin puis New York dossier attendre 1927 pour en bénéficier enfin. l’UITP, frappe par sa technicité et sa précision. urbain à proportion qu’il le façonne et le recompose. Les modes de représentation et l’agencement spatial des villes, au travers de cartes, de plans et d’itinéraires, s’en trouvent profondément modifiés. Ainsi, la scénarisation du métro parisien conçue par Fulgence Bienvenüe aura-t-elle grandement contribué à la mise en valeur de la capitale française. Mais les temps changent. Diastole, systole : entre centralisation en concentration d’une part, extension en déconcentration de l’autre, les grandes agglomérations se sont transformées depuis un demi-siècle Metropolis : un métro d’avance en autant d’espaces saturés. Et les centres‑villes en véritables aspirateurs Metropolis a été conçu par Alstom pour répondre avec précision aux besoins des opérateurs de transport urbain des grandes métropoles. Qu’il s’agisse de créer des lignes nouvelles ou de rénover des réseaux historiques, Metropolis propose des technologies modernes, éprouvées et performantes. Leur fiabilité et leur flexibilité répondent à un triple objectif : optimiser le confort et la sécurité des voyageurs, réduire les coûts de maintenance et de fonctionnement, faciliter la gestion du parc matériel et du trafic. Conçu à partir d’un socle de composants standardisés, parfaitement éprouvés, Metropolis laisse à chaque opérateur une grande liberté de personnalisation : styles extérieur et intérieur, dimensions, matériaux… Grâce à une capacité pouvant aller jusqu’à près de 100 000 personnes transportées par heure et par direction, il garantit en outre une fluidité optimale du trafic. Avec plus de 2 700 voitures vendues, Metropolis s’est imposé dans le monde entier comme une solution performante et reconnue. urbains. À titre d’exemple, Tokyo voit affluer Fulgence Bienvenüe, le père du métro parisien. plus de 2 millions de personnes en son centre nerveux – dont 93 % par les transports en commun – aux seules heures de pointe… Plus qu’une évolution, une révolution ! Il s’agit “d’un chemin de fer conçu pour constituer un réseau permettant le transport Le temps des mégalopoles d’un grand nombre de voyageurs à l’intérieur On ne peut penser l’avenir du métro – produit d’une zone urbaine au moyen de véhicules urbain par destination – sans penser l’avenir sur rails avec contrôle externe, dans de la cité. Car si un terrien sur deux peuple un espace totalement ou partiellement les villes à ce jour, deux sur trois seront en tunnel et entièrement réservé à cet usage”. des citadins à l’horizon 2030. Métropole, Une description qui s’affranchit cependant Mégapole, Métapole : l’inflation des d’une dimension sociologique et sociétale vocables décrit parfaitement cette trajectoire fondamentale. exponentielle des populations urbaines. Car le métro n’est pas un moyen Engorgement progressif, exclusion spatiale, de transport public comme les autres. congestion des moyens de transport… Au-delà de sa performance technologique, La planète s’engage inéluctablement sur le il opère en effet un mélange social, de chemin d’une urbanisation extrême alimentée nationalités, de cultures et de générations. par un exode rural massif et durable. “Tel est l’un de ses paradoxes : s’il constitue États occidentaux comme pays en voie une parenthèse mobile dans l’espace de développement sont chaque année un peu urbain et l’emploi du temps des voyageurs, plus concernés par la gestion de ces géantes il s’impose également comme un espace de vie urbaines. Les seconds toutefois plus que spécifique, une sphère autonome”, affirment les premiers : sur les trente-six mégalopoles Jean‑Charles Depaule et Philippe Tastevin, – unités urbaines de 8 millions d’habitants deux ethnologues immergés, le temps et plus selon la définition de l’Unesco – d’une étude, au cœur du réseau cairote. que comptera la planète en 2015, trente Considéré dans sa globalité – étendue de seront situées dans les régions émergentes. ses réseaux, interconnexions, équipements, Sur le seul continent asiatique, trois cents stations – il s’insère en effet dans l’espace villes concentreront chacune plus d’un million 13 dossier Le métro de Shanghai est actuellement le plus grand réseau de métro de Chine. Le métro, premier outil d’aménagement de l’espace de personnes. Elles s’articulent déjà autour de territoires toujours plus vastes et mal équilibrés. L’embolie de leurs voies de dessertes et de leurs artères, la pollution de certains Colonisation urbaine, nouvelles technologies, de leurs quartiers les amènent inéluctablement mobilité des habitants… Les moyens à privilégier des modes alternatifs de communication ne disposent désormais de transport, si possible souterrains, rapides d’autre choix que d’aller à la rencontre et sûrs. “La périurbanisation remplace des territoires. Une poussée qui incite la croissance dense et continue autour des de plus en plus les grandes métropoles métropoles par une extension sur des territoires à se doter de schémas de développement distendus, hétérogènes et multipolarisés, plus ou moins affûtés. Outil premier sans limites précises entre la ville d’aménagement de l’espace, le métro occupe et la campagne. Les interrelations entre indéniablement une place de choix dans ces unités urbaines différenciées impliquent ces nouvelles stratégies urbaines, portées un accès facile aux moyens de communication par une logique d’intermodalité grandissante. et de mobilité qui conditionnent leur À l’instar des tramways, des bus ou des fonctionnement”, confirme Michel Rochefort . (1) trains régionaux, il offre en effet des solutions adaptées aux objectifs d’une croissance 14 (1) Professeur de géographie à l’université de Paris I et président de l’Institut français d’urbanisme. Source : Revue Courrier de la Planète. plus harmonieuse et plus équilibrée des zones urbaines. Avec une différence de taille : il est le seul à ne pas interférer dans les aménagements de surface des villes. Un atout majeur quand la qualité de vie, la préservation des quartiers historiques et le développement des espaces piétons président le plus souvent à la restructuration des cités. Si, à ce jour, deux voitures de métro sur trois roulent en Europe ou en Amérique du Nord, la donne, on vient de le constater, va Lausanne : le métro d’Alstom se prend pour un funiculaire profondément changer. Extensions de lignes dans les cent quinze villes déjà équipées, nouveaux réseaux dans les mégalopoles de Avec l’ouverture fin 2008 du métro M2, premier métro suisse, Lausanne a rejoint le club des grandes villes équipées d’un métro. Empruntant pour partie le tracé d’un ancien funiculaire, le M2 bat également tous les records de déclivité. Des Croisettes à Ouchy, le métro monte et descend une pente de 12 %, au fil de ses quatorze stations. Les quinze rames articulées et entièrement automatisées (technologie Urbalis 300) ont été conçues et fabriquées par Alstom. 25 millions de passagers devraient l’emprunter chaque année. De quoi faire bouger la ville… demain… Le marché s’annonce extrêmement prometteur, notamment en Inde, en Asie et en Amérique du Sud. Sans oublier bien sûr le renouvellement des flottes existantes : aujourd’hui, une voiture sur cinq dans le monde date de plus de trente ans. Les opérateurs sont en outre soumis à de lourds impératifs : transporter au quotidien toujours plus de passagers et assurer une fluidité optimale du trafic en augmentant fréquences et vitesses, en développant des voitures hypercapacitaires, en garantissant une meilleure modularité. Ils doivent aussi mieux prendre en compte le confort et la sécurité des passagers De Kyoto à Grenelle, en Europe comme dans un souci d’éthique et de qualité de ailleurs, le développement des transports service : aménagement optimal des espaces collectifs participe enfin de la lutte en faveur intérieurs, ergonomie des sièges, facilités de l’environnement. Recyclables à près d’accès et de déplacement, systèmes de 95 %, moins bruyants, économiques de surveillance, accessibilité des personnes en énergie, les métros seront amenés à mobilité réduite, informations en temps réel… à occuper une place décisive dans les futures Autre type de réponse possible : batailles contre toutes les formes de la généralisation des métros automatiques pollution urbaine. À moins que n’émergent, ou semi-automatiques. Bien que coûteuse, au fil des décennies, ces métropoles cette solution apparaît sans conteste comme “idéales” rêvées par les urbanistes, organisées l’une des plus efficaces pour intensifier autour d’espaces d’équilibre, de pôles les flux en toute fiabilité et réduire les temps aux fonctionnalités mieux réparties : habitat, d’attente en station. Après Singapour travail, services, commerces, loisirs… – le plus grand métro automatique au La seule garantie d’une solution d’ensemble monde – São Paulo, Milan ou Shanghai, enfin adaptée aux problèmes de transport. le dernier‑né, inauguré à Lausanne le 18 septembre 2008, s’inscrit résolument dans cette tendance de fond (voir encadré). 15 dossier Le tour du monde en quatre métros Impossible de réduire le métro à un simple mode de transport. Emblématique de “sa ville”, il renvoie à des mythes riches et variés. Petite promenade initiatique au cœur de quelques lignes d’exception. 16 Moscou : le mythe politique En décembre 1931, s’ouvre le chantier du métro de Moscou, pensé comme un palais souterrain dédié à la gloire de l’empire soviétique. Bien plus qu’un moyen de locomotion au service des Moscovites, il est construit pour symboliser le mythe même du soviétisme. “Tous à la construction du métro” : le slogan vaut oukase. Le chantier est incroyablement médiatisé : films, photos, articles, affiches… Des experts internationaux sont engagés pour apporter leur expérience. Des équipes entières d’architectes scénarisent les extraordinaires décors des stations, dans un esprit néoclassique socialiste. Le résultat sera à la hauteur de l’investissement financier, humain et technique : impérial... Son extension se poursuivra tout au long du XXe siècle : “Un récit mythique, où se lit le chaos géologique du sous-sol de la capitale et sa transformation en espace social à Money Train en passant par Un jour collectif”, selon la spécialiste Josette Bouvard. à New York, il s’est imposé au fil du XXe siècle À ce jour, le métro de Moscou reste le deuxième comme un “personnage” central et du monde en termes de passagers, juste incontournable de la filmographie américaine. derrière Tokyo. Il transporte quotidiennement Dans un genre très différent, il servira plus de 7 millions de passagers, soit plus que également de support originel à l’émergence les métros de Londres et de New York réunis. des premiers tags bien avant que cette New York : le mythe underground mode – transformée en art – ne rejoigne les galeries huppées des grandes avenues. Si le métro new‑yorkais porte le nom de subway – pendant anglais du terme “souterrain” – 40 % de ses lignes suivent un tracé aérien porté par des viaducs, ponts et structures diverses de fer et de béton. Quotidiennement emprunté par 5 millions de voyageurs, il est devenu dans l’inconscient collectif un véritable symbole culturel de Big Apple. À l’image d’ailleurs des fameux Yellow Cabs, emblématiques taxis de Manhattan. De French Connection 17 dossier Le théâtre de Singapour. Singapour : le mythe moderniste en 1987, il s’est rapidement étendu, porté par la volonté politique des autorités locales. Fort de ses 110 km de lignes et La capitale sud‑asiatique s’enorgueillit de ses 64 stations, il compte à ce jour près à juste raison de posséder l’un des réseaux de 1,5 million de voyageurs par jour. Suite les plus modernes au monde. Inauguré au succès de la très fameuse North East Line (NEL) automatique, qui transporte jusqu’à 2 000 passagers par train avec une fréquence de passage inférieure à 90 secondes, l’opérateur singapourien a décidé de construire une voie circulaire de 33 km, baptisée Circle Line. Elle sera – lors de son ouverture en 2010 – la plus longue ligne de métro automatisée au monde. 18 Rio de Janeiro : le mythe exotique toutefois plus aux exigences d’une mégapole de 10 millions d’habitants. Des projets d’extension sont actuellement à l’étude pour que le rêve s’accorde avec les besoins réels un éventail d’images tout en contraste : des Cariocas. exotisme, onirisme, carnaval mais également Éric Dumoulin Rio de Janeiro véhicule à travers le monde violence, favelas, pauvreté endémique. Son métro, ouvert en 1979, totalise 38 km et dessert 33 stations, dont certaines aux noms évocateurs comme Maracanã, sans oublier très prochainement Ipanema… Moderne, plutôt fonctionnel, il ne répond 19 t 20 e chnologie l’espéranto du monde ferroviaire Augmenter les vitesses commerciales, réduire les intervalles entre deux trains, abolir les frontières, diminuer les coûts d’exploitation et de maintenance… L’enjeu de l’interopérabilité des systèmes de signalisation ferroviaire n’est rien d’autre que d’accroître la compétitivité du rail par rapport à la route, en y ajoutant une sécurité maximale. Alstom Transport, en avance dans ce domaine, en fait une priorité stratégique. Jean-Marc Nizet, directeur de l’activité signalisation au centre d’excellence ERTMS(1) d’Alstom Transport à Charleroi, en Belgique. (1) European Rail Traffic Management System. Capable à la fois de servir les politiques le développement du transport ferroviaire pour environnementales des États et d’apporter l’acheminement des voyageurs et du fret. une réponse à la hausse du coût Si l’enjeu est considérable, les difficultés sont de l’énergie, le rail bénéficie aujourd’hui à la hauteur : à la différence du transport d’un regain d’intérêt manifeste de la part des aérien, développé dans un cadre réglementaire pouvoirs publics de nombreux pays à travers harmonisé mondial et suivant des spécifications le monde. C’est notamment le cas de l’Union techniques homogènes, le ferroviaire est européenne dont les autorités nationales l’héritier de logiques territoriales nationales. et communautaires ont décidé d’encourager En résultent une mosaïque de règlements et 21 technologie 22 ERTMS NIVEAU 1 Codeur (leu) * ETCS : European Train Control System L’ERTMS en bref Signal Traditionnel L’ERTMS est une norme européenne qui standardise les 23 différents systèmes de signalisation présents en Europe et qui instaure un nouveau système unique facilitant le passage des frontières. Il existe trois niveaux : Circuit de voie ETCS* Eurobalise une multiplicité de spécifications techniques la signalisation a évolué au fil du temps afin qui relèvent de la tour de Babel. d’offrir un système de sécurité conforme aux Pour une locomotive électrique, par exemple, normes en vigueur. Au cours des dernières franchir les frontières intra-européennes décennies, on a ainsi vu chaque constructeur suppose, entre autres, d’être apte développer, sur un marché national captif, à fonctionner sous différentes tensions son propre système propriétaire : et à interpréter de nombreux systèmes contrôle de vitesse par balises (KVB) en de signalisation. Dans l’univers ferroviaire, France, transmission balise-locomotive (TBL) cette disposition au polyglottisme est en Belgique, Punktförmige Zugbeeinflussung désignée sous le terme d’interopérabilité. (PZB) en Allemagne, Automatische Quel défi représente aujourd’hui treinbeïnvloeding (ATB) aux Pays-Bas, etc. l’interopérabilité dans le domaine Autant de développements qui ont supposé de la signalisation ferroviaire ? Quelles sont des investissements importants et expliquent les solutions opérationnelles ? AT Magazine la difficulté qu’éprouvent aujourd’hui certains a rencontré Jean-Marc Nizet, directeur opérateurs et gestionnaires d’infrastructures de l’activité signalisation au centre ferroviaires à migrer vers de nouveaux d’excellence ERTMS d’Alstom Transport systèmes intégrés. ERTMS niveau 1 Il fonctionne au moyen d’un ensemble de balises placées au niveau de chaque signal qui transmettent ponctuellement les informations nécessaires à la régulation de la vitesse des trains. ERTMS niveau 2 Une liaison continue entre le sol et le bord par radio (GSM-R) permet au conducteur d’être en contact permanent avec les centres de contrôle, rendant inutile la traditionnelle signalisation de voie. ERTMS niveau 3 En cours de développement, cette troisième génération permettra un transfert d’intelligence du sol vers le bord. Les trains pourront envoyer de façon autonome leur position exacte vers le centre de contrôle, sans système de balises. à Charleroi, en Belgique. En quels termes se pose aujourd’hui le problème de l’interopérabilité des systèmes de signalisation ferroviaire en Europe ? Comment la coexistence de multiples systèmes de signalisation se traduit-elle concrètement sur les lignes transfrontalières ? Prenons l’exemple du Thalys qui relie entre Jean-Marc Nizet. Dans chaque pays se sont elles les villes de Paris, Bruxelles, Cologne développés des systèmes de signalisation et Amsterdam. Pour assurer une continuité de destinés, en priorité, à assurer la sécurité service dans les quatre pays correspondants, des voyageurs en commandant, par exemple, chaque rame Thalys doit interfacer pas moins l’arrêt d’un train en un point et dans de huit systèmes différents. Cela signifie, un contexte donnés. Passant du simple feu entre autres, l’ajout de capteurs, d’antennes rouge aux systèmes d’aide à la conduite, et de périphériques spécifiques sur les 23 ERTMS NIVEAU 2 * ETCS : European Train Control System technologie Antenne Circuit de voie ETCS* Eurobalise motrices. Outre l’encombrement d’un tel mais captif, à un grand marché ouvert dispositif, cette contrainte d’interopérabilité à la concurrence. Afin de soutenir le génère des surcoûts en termes développement de l’ERTMS, la Commission d’investissement, de développement, a investi dans l’équipement de lignes d’acquisition, de formation des conducteurs et pilotes dans différents pays membres comme de maintenance. Une analyse de la l’Italie, la France ou l’Allemagne. J’aimerais Commission européenne a montré, à cet cependant souligner un point important : égard, que la coexistence en Europe de plus si, à l’heure actuelle, les progrès de de vingt systèmes différents de contrôle de l’interopérabilité sont essentiellement guidés vitesse, totalement incompatibles, représente par des priorités européennes, ils peuvent un obstacle majeur au développement du concerner demain d’autres pays du monde trafic ferroviaire international et handicape le – notamment ceux que l’on a désormais rail dans son effort de compétitivité par l’habitude de regrouper sous l’appellation rapport à la route. Cette analyse a jugé ‘BRIC (2)’ – susceptibles d’être intéressés indispensable de casser les logiques par des spécifications techniques nationales pour aboutir à une harmonisation multiconstructeurs, garantes d’une plus des spécifications techniques. forte concurrence dans les réponses aux C’est ainsi qu’est né l’ERTMS, système européen de gestion du trafic ferroviaire… En effet. À l’instigation de la Commission européenne, les constructeurs membres 24 Radio Block Center appels d’offres et de la possibilité de changer de constructeur en cas de besoin. Quel rôle joue Alstom Transport dans le développement de l’ERTMS ? de l’Union des industries ferroviaires Contribuer à rendre le rail concurrentiel européennes (Unife) se sont assis autour par rapport à la route est incontestablement d’une table afin de réfléchir ensemble une priorité stratégique d’Alstom Transport à des spécifications valables pour l’ensemble qui s’attache à fournir des solutions offrant des pays et des constructeurs européens. un haut degré de disponibilité, de sécurité, Pour ces derniers, l’ERTMS représentait d’ergonomie, de performance et, bien sûr, un changement complet de business model, de compétitivité. L’implication très forte avec le passage d’un marché certes restreint (2) Brésil, Russie, Inde, Chine. Avec Atlas, l’interopérabilité avance à pas de géant Système universel développé par Alstom Transport afin d’accroître la flexibilité et la capacité du trafic ferroviaire, Atlas intègre par conception deux fonctions de base : d’une part, la transmission d’informations sur l’état du trafic et sur son évolution (vitesse autorisée, aiguillages, distance de sécurité entre les trains, etc.), de l’autre, le contrôle automatique de la vitesse. Atlas couvre les deux niveaux de technologies aujourd’hui opérationnels : l’ERTMS de niveau 1 et l’ERTMS de niveau 2. En répondant à une double problématique – géographique, car il permet l’interopérabilité sur les corridors ferroviaires en Europe, et opérationnelle, puisqu’il s’applique à tout type de train de voyageurs ou de fret – Atlas offre un gain substantiel de flexibilité dans l’exploitation des lignes conventionnelles, intérieures ou transfrontalières, puisqu’il est désormais possible d’y faire passer consécutivement un train de fret suivi d’un train régional, d’un train de banlieue ou d’un train à grande vitesse. En effet, les trains reçoivent l’information nécessaire pour anticiper et adapter leur vitesse en toute sécurité, ce qui optimise les phases d’accélération et de décélération, autorisant une réduction des distances de sécurité entre les trains et, par conséquent, une augmentation de la capacité de trafic des lignes de 10 à 20 % en moyenne. Parmi les vingt projets actuellement déployés dans dix pays, quatre illustrent plus particulièrement les applications possibles d’Atlas, que ce soit sur les lignes à grande vitesse, les lignes conventionnelles, suburbaines ou de fret. Il s’agit de la ligne à très grande vitesse Rome‑Naples, équipée du niveau 2 d’Atlas, du nœud ferroviaire de Mattstetten‑Rothrist, sur la ligne conventionnelle Berne-Zurich, pour laquelle les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) ont choisi l’équipement sol Atlas de niveau 2, de la ligne suburbaine d’Athènes reliant le centre‑ville à l’aéroport, équipée pour les Jeux olympiques de 2004 du niveau 1 d’Atlas et, enfin, de la Betuwe Route, ligne de fret pour laquelle Alstom Transport a fourni un dispositif Atlas pour le sol, constitué de trois radio block centres, 1 650 eurobalises et cinq postes d’aiguillage. Dans le domaine de la signalisation ERTMS, les parts de marché d’Alstom Transport s’élèvent à 23 % en Europe et à 22 % dans le monde. En effet, la compétitivité et l’universalité d’Atlas en font une solution attractive bien au-delà de l’Europe. À cet égard, la Chine, l’Inde et l’Algérie, notamment, ont déjà manifesté leur intérêt pour cette solution opérationnelle. de l’entreprise dans l’ERTMS et son avance dans ce domaine relèvent de cet engagement. Alstom Transport a conçu une solution ERTMS à la fois modulable, ce qui permet de passer facilement d’un niveau de supervision à un autre, complète, car elle intègre le bord et le sol, et compatible aussi bien avec les lignes à grande vitesse que classiques. Cette solution unique sur le marché, c’est Atlas (cf. encadré). Sur quelles réalisations s’appuie Alstom Transport en matière d’ERTMS ? Tout d’abord, de manière générale, Alstom Transport a largement contribué à faire aujourd’hui de l’ERTMS une réalité. En effet, chaque jour, pas moins de 700 trains équipés par Alstom Transport opèrent commercialement en ERTMS niveau 2 à travers l’Europe. Ceci représente à ce jour pas moins de 12 millions d’heures cumulées de fonctionnement en service commercial. Plus spécifiquement, les projets que nous menons sont essentiellement de deux types : d’une part, les lignes à grande vitesse, de l’autre, les corridors de fret. Dans le domaine de la grande vitesse, Alstom Transport a équipé les 216 km de la ligne Rome-Naples d’un ERTMS de niveau 2 et fourni aux chemins de fer italiens l’équipement embarqué Atlas pour 27 trains de type ETR 500 roulant à 300 km/h. Cette ligne est en service commercial depuis décembre 2005. Aujourd’hui, nous équipons les lignes Bologne-Florence en Italie, Liège-frontière allemande (ligne 3) et Bruxelles-Anvers-frontière néerlandaise (ligne 4) en Belgique, et avons obtenu des commandes pour équiper l’AGV de l’opérateur privé italien Nuovo Trasporto Viaggiatori (NTV) ainsi que les rames ICE3 de l’opérateur national allemand Deutsche Bahn AG. Qu’en est-il des corridors de fret ? La Commission européenne a défini six corridors Ecofret et mobilisé des moyens particuliers sur deux d’entre eux : Rotterdam- 25 technologie 26 Gênes (corridor A) et Anvers-Lyon (corridor C). en Allemagne. Alstom Transport est Sur le corridor A, la Suisse notamment était également le premier constructeur à avoir mis confrontée à une problématique de rénovation en service une solution permettant de couvrir de son infrastructure ainsi qu’à un problème un corridor complet (en l’occurrence entre de capacité (pour les trains passagers), Rotterdam et Gênes). De manière générale, en particulier sur les 45 km du segment nous travaillons aussi avec tous les Mattstetten-Rothrist, véritable goulet grands constructeurs de matériel ferroviaire, d’étranglement du réseau. Afin de faire passer pour lesquels nous avons déjà équipé de 160 km/h à plus de 200 km/h la vitesse 34 types de trains différents, si bien qu’à commerciale des trains sur ce segment, ce jour, 72 % des trains en service commercial avec un intervalle inférieur à deux minutes dotés de l’ERTMS sont équipés d’Atlas entre deux trains, les Chemins de fer fédéraux avec lequel ils ont parcouru une distance suisses (CFF) ont lancé un appel d’offres cumulée de plus de 16 millions de km. “À ce jour, 72 % des trains en service commercial dotés de l’ERTMS sont équipés d’Atlas avec lequel ils ont parcouru une distance cumulée de plus de 16 millions de km.” à l’issue duquel Alstom Transport s’est vu confier la mission d’équiper de son système Atlas de niveau 2 la ligne Mattstetten-Rothrist et plus de 500 trains de 11 types différents. Sur quels thèmes Alstom Transport continue‑t‑il de travailler pour faire progresser encore l’interopérabilité ? Grâce à ce système, la flotte parcourt Aujourd’hui, nous poursuivons l’évolution de chaque mois, depuis 2006, en toute sécurité, notre offre en nous appuyant sur nos atouts : l’équivalent de la distance Terre-Lune – notre connaissance des systèmes nationaux, en ERTMS niveau 2 avec un taux puisque pas moins de 15 000 trains de performance supérieur aux exigences sont équipés de nos systèmes ; du contrat, soit moins de trente secondes – la maturité de notre solution ERTMS, de retard par train et par semaine ! Un autre notamment acquise dans le cadre du contrat emblématique est la Betuwe Route, déploiement de masse auprès des CFF ; ligne de fret de 150 km reliant le port – notre maîtrise de la gestion des de Rotterdam à l’Allemagne, en service transitions entre l’ERTMS et les systèmes commercial depuis juin 2007. Prorail, nationaux telle qu’elle a été mise en œuvre le gestionnaire d’infrastructure néerlandais, dans de nombreux projets. a choisi un consortium mené par Pour l’heure, nous continuons aussi à faire Alstom Transport pour l’implantation d’un progresser l’ergonomie de nos systèmes ERTMS de niveau 2 pour lequel nous de conduite, au travers, par exemple, avons fourni le système Atlas. Chaque jour, de l’intégration d’écrans d’interface homme- plus de 70 locomotives équipées par machine. Nous nous attachons parallèlement Alstom Transport opèrent commercialement à promouvoir les systèmes d’aide à la en ERTMS sur cette ligne. Et, grâce à maintenance en temps réel, comme TrainTracer, la performance du système, deux fois plus qui permettent de diagnostiquer à distance de trains de marchandises arrivent à l’heure ce qui se passe à bord d’un train en service, 27 Prima : l’efficacité sans frontières L’interopérabilité des systèmes ferroviaires ne s’arrête pas à la signalisation, aussi Alstom Transport a-t-il conçu sa locomotive électrique Prima comme un ensemble de sous‑systèmes modulables, interopérables et standardisés. Dans cet esprit, ses ingénieurs ont défini un “modèle référent” pour la structure et les principaux composants de Prima dont la standardisation limite considérablement le nombre de sous-ensembles. Sont ainsi concernés les équipements de signalisation, les bogies (BoBo et CoCo) et le système de traction (Onix), de sorte que chacun de ces sous‑systèmes puisse être facilement adapté à l’évolution des besoins de tout opérateur. L’ensemble répond en outre aux spécifications techniques d’interopérabilité (STI) de l’Union européenne, ce qui en fait une locomotive apte au service transfrontalier en Europe et à une exploitation partout dans le monde. En fonction de sorte à être prêt à intervenir dès son retour au dépôt. Nous sommes également à la pointe en ce qui concerne les démonstrations d’interopérabilité avec d’autres constructeurs. Enfin, nous avons déjà beaucoup progressé sur une problématique commune aux différents constructeurs de matériel roulant : l’homologation de celui-ci par les autorités ferroviaires de chaque pays où le matériel est amené à circuler. À terme, dans le cadre de nos contrats en cours, Atlas sera homologué dans La Prima II, exposée à Innotrans, à Berlin, en septembre 2008. vingt pays d’Europe de l’Ouest et de l’Est. Comment Alstom Transport envisage-t-il l’avenir de l’ERTMS ? Un grand constructeur de matériel et technologie de systèmes ferroviaires contribue par nature au progrès du rail. C’est ce qu’a fait Alstom Transport en participant à l’élaboration du cahier des charges technique de l’ERTMS, à la définition des spécifications de l’interopérabilité en Europe et à la mise en œuvre réussie de la solution dans de nombreux contrats commerciaux. Alstom Transport a ainsi joué un rôle moteur dans le développement de l’ERTMS de niveau 1 et de niveau 2. Aujourd’hui, l’entreprise s’attache à conserver son avance en travaillant au développement de la troisième génération d’ERTMS. Celle-ci permettra d’accroître encore la capacité des lignes et de réduire les équipements et de maintenance (cf. encadré). Propos recueillis par Jean-Christophe Hédouin 28 au sol, et donc les coûts d’installation du pays d’utilisation de chaque locomotive, le “modèle référent” de Prima est personnalisable, à commencer par sa chaîne de traction et, en particulier, ses blocs moteurs et systèmes de captage de l’électricité. Prima peut ainsi fonctionner sous quatre tensions électriques – 25 kV, 15 kV, 1 500 V et 3 000 V – ce qui lui permet de développer des puissances allant de 4 à 6,4 MW, suivant la configuration choisie par les clients : transport de marchandises ou de passagers. Ce système de traction quadritension intègre un transistor bipolaire à grille isolée (IGBT), dispositif semi-conducteur utilisé comme interrupteur électronique de puissance. Ce dernier contribue à réduire la taille et le poids des modules qui composent le système de traction, à faciliter leur mise en œuvre, à améliorer la fiabilité de Prima et à diminuer les consommations d’énergie. Equipée de la technologie de signalisation Atlas, la locomotive peut également bénéficier, grâce à l’adjonction d’un module de communication de type TrainTracer au système de contrôle-commande du train, d’une surveillance à distance des besoins en maintenance des pièces maîtresses de la locomotive. Informées en temps réel de l’état du train et de ses éventuelles avaries, les équipes de maintenance sont en mesure de réduire les temps d’immobilisation de la locomotive, grâce à un diagnostic et des réparations plus rapidement effectués. La contribution d’une locomotive modulaire, flexible et standardisée à la compétitivité du transport ferroviaire n’a pas échappé à de nombreux opérateurs à travers le monde. Prima a été retenue notamment par le ministère des Transports chinois, dans le cadre d’un contrat portant sur 180 unités, par l’Office national des chemins de fer marocains (ONCF) qui en a commandé vingt exemplaires et par Veolia Cargo, pour le transport de fret en France et en Allemagne. 29 un été à Velim é À peine sorti de l’écurie d’Aytré, le dernier-né des trains à très grande vitesse d’Alstom Transport est allé passer l’été en République tchèque. Non pas pour s’ébrouer sur les chemins de la Bohème, mais pour un programme de tests intensifs vé ne me nt sur l’anneau de vitesse du centre d’essais ferroviaires de Velim. Quatre mois durant, tous les fondamentaux et points critiques du prototype de l’AGV ont été validés, un à un, à des vitesses comprises entre 60 et 200 km/h, sous l’œil attentif d’une équipe de 15 ingénieurs se relayant 24 heures sur 24. Long de plus de 13 km, l’anneau de vitesse du centre d’essais ferroviaires de Velim est l’un des seuls au monde qui permette de faire rouler des trains à la vitesse de 200 km/h. L’AGV y était piloté par un conducteur tchèque formé à La Rochelle. Jamais autant de mesures n’avaient été effectuées sur un train ! 30 La rame d’essai compte sept voitures équipées de 2 000 capteurs surveillant tous les paramètres vitaux. Ils sont reliés à une multitude d’ordinateurs situés dans un centre de contrôle aménagé dans l’une des voitures. 31 Paris-Strasbourg : pari tenu événement 32 Entre le 21 novembre et le 14 décembre 2008, le pur‑sang très novateur qu’Alstom Transport les noctambules ont pu admirer la ligne racée a conçu et développé sur fonds propres. de l’AGV filant jusqu’à 364,4 km/h entre Paris Une étape décisive pour son homologation et Strasbourg. Des clients d’Alstom ont même et la mise en service commerciale savouré le privilège de vivre en direct cette des premières rames dès 2010. série de tests nocturnes effectués en Près de 7 200 km parcourus en douze nuits conditions réelles de circulation sur le tronçon d’essais ont permis d’évaluer le comportement de la LGV est‑européenne où a été battu aérodynamique, électrique et acoustique de le record du monde de vitesse en 2007. l’AGV à des vitesses allant jusqu’à 364,4 km/h. Un brillant premier galop d’essai pour Les 80 ingénieurs et techniciens d’Alstom mobilisés sur cette campagne de tests Un concentré d’innovations se sont particulièrement intéressés L’innovation la plus remarquable est la combinaison d’une architecture complètement articulée avec une nouvelle motorisation répartie sur toute la longueur de la rame. Ses avantages : 20 % d’espace supplémentaire disponible à bord, une sécurité accrue, quasiment plus de vibrations, une augmentation de la puissance de 18 % pour une réduction de la consommation d’énergie de 15 % et des coûts de maintenance réduits de 30 %. au confort, aux turbulences provoquées lors des passages d’ouvrages d’art, à l’acoustique qui bénéficie des toutes dernières innovations, au comportement de la chaîne de traction, à la liaison entre le pantographe et la caténaire à grande vitesse... Des essais de freinage d’urgence ont été menés à 320 km/h sur rails secs puis “savonnés”. Le dépouillement et l’analyse des résultats servent aux derniers réglages et modifications nécessaires à la validation de ce bijou de technologie. Catherine Fressoz Les premiers AGV relieront Rome à Naples L’AGV effectuera ses premiers trajets commerciaux dès 2010 en Italie. Alstom Transport livrera en effet les 25 premières rames de son train à très grande vitesse de dernière génération à la société privée de chemin de fer italien Nuovo Trasporto Viaggiatori (NTV), créée par le président de Fiat et Ferrari, Luca Cordero di Montezemolo, et celui de Tod’s, Diego della Valle. La vitesse de l’AGV sur le réseau opéré par NTV atteindra 300 km/h. 33 s ociété 34 Laboratoire d’économie des transports Alain Bonnafous Professeur, université Lyon 2 et IEP de Lyon. Vice-président du Conseil national des transports. Secrétaire général de la World Conference on Transport Research Society. Expert-consultant (OCDE, Commission européenne, CEMT puis ITF et Banque mondiale). Éclairer les politiques publiques de transport Depuis trente ans, le LET affirme sa présence internationale dans le champ de la “Transportation science”. Ses recherches, même nourries d’équations, visent toujours à anticiper les questionnements de la société sur des problématiques de transport concrètes afin d’apporter des réponses lisibles et structurantes. Entretien avec Alain Bonnafous, premier directeur du LET. Quelle est la mission du LET ? l’origine, le LET croise ainsi les compétences d’économistes, de géographes, de Les recherches du LET, comme son nom l’indique, sont orientées vers l’économie (spatiale, industrielle, publique) des transports, mais non exclusivement. Ses travaux prospectifs ou d’expertise portent plus globalement sur la compréhension de sociologues, de politistes, d’informaticiens. Le LET est rattaché notamment au CNRS. Mène-t-il exclusivement des recherches théoriques ? la relation entre les transports et la société : Nous intervenons pour un secteur dans lequel cela passe par l’analyse et la modélisation se posent beaucoup de questions vives de la mobilité quotidienne, des usages et concrètes. Une des spécificités du LET est de l’espace et du temps ou encore la finalité opérationnelle de ses recherches. de la localisation des populations et des Nos programmes de recherche visent activités. Laboratoire multidisciplinaire dès toujours à anticiper les questionnements des 35 Le LET Spécialisé en économie des transports et en aménagement du territoire, le Laboratoire d’économie des transports est triplement rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à l’université Lyon 2 et à l’École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE). Créé il y a plus de trente ans, le LET regroupe aujourd’hui, sur deux sites lyonnais, près de soixante chercheurs, enseignants-chercheurs et doctorants rétribués. Cette équipe fédère et croise les concepts et outils de disciplines aussi diverses que l’économie, l’ingénierie, la géographie, la sociologie ou la science politique. Outre des recherches fondamentales donnant lieu à des publications dans des revues internationales de haut niveau, le LET réalise des expertises contractuelles contribuant à l’aide à la décision des acteurs publics, des opérateurs et industriels. Son champ d’intervention s’organise autour de trois thématiques : Mobilités et usage de l’espace et du temps par les acteurs individuels et collectifs Localisation des activités (ménages et entreprises) et leurs implications sur les formes urbaines ; mobilité et accessibilité notamment sous leur dimension budget‑temps‑transport et programmes d’activité ; mobilité quotidienne dans les pays en développement. Marchés et organisations propres aux transports, systèmes d’incitations liés Équité et acceptabilité ; calcul économique, tarification, évaluation, mesure de la performance et de la pertinence des contrats ; performance et concurrence, notamment dans le transport ferroviaire et les transports collectifs urbains ; gouvernance urbaine. décideurs publics et industriels. C’est ainsi que vingt ans avant l’émergence de la mobilité durable, une publication du LET(1) suggérait d’évaluer non seulement la dimension économique du transport, mais également ses dimensions environnementale et d’équité sociale. Autres exemples : Charles Raux, actuel directeur du LET, fut parmi les premiers à travailler sur les permis d’émission négociables dans les transports et, dès 1986, nous proposions à nos tutelles le péage urbain comme projet mobilisateur de recherche. L’actualité suggère que nous n’étions pas trop en retard ! Comment a évolué le LET depuis sa création ? En trente ans, nous avons beaucoup progressé sur la fiabilité des systèmes de simulation qui permettent d’explorer, sans trop se tromper, l’avenir des transports de personnes ou de marchandises. Nos modèles sophistiqués, qui ont bénéficié de la révolution informatique, intègrent des données multidimensionnelles nécessaires à des simulations fiables de systèmes complexes. Dans le domaine des transports urbains, par exemple, nos systèmes nous ont permis, dès les années 80, d’anticiper des déficits financiers très forts pour les années 2000 ainsi qu’une faible évolution des parts de marché du transport collectif. Modélisation et simulation de la mobilité des personnes et des marchandises Le développement d’outils de simulation pour la mesure des effets à long terme des politiques de transport est un axe fort du LET. Trois projets en cours : Simbad (simulation de la mobilité urbaine durable dans l’agglomération lyonnaise), Ilot (modélisation multi-agents de l’interaction entre transport et localisation) et Freturb (modélisation des transports de marchandises en ville). L’ensemble de ces travaux se situe dans la triple perspective environnementale, sociale et économique du développement durable. À l’époque, nos prévisions faisaient sourire les experts qui travaillaient au quotidien sur ces questions et pensaient qu’il suffisait d’ajouter 3 km de ligne de métro pour gagner 3 % de parts de marché ! D’autres changements significatifs ? Nous sommes passés d’une problématique d’optimisation du transport – rendre les meilleurs services possibles à moindre coût – à une approche globalisante intégrant des questions d’aménagement durable du territoire. Les contradictions entre un objectif 36 (1) Publié en 1978 par Economica, le livre Evaluer la politique des transports est épuisé. d’optimisation des transports et un objectif veiller à enrichir le calcul économique par d’optimisation de l’espace ont alors surgi. des considérations structurantes sur l’équité Les transports sont, en effet, une activité spatiale et l’environnement afin que les choix à rendement croissant : plus les flux sont d’aménagement du territoire ne conduisent pas massifiés, moins ils sont coûteux à l’unité à détruire plus de richesses qu’ils n’en créent. (en passagers/km ou en tonnes/km) et plus ils sont rentables. Le système économique optimal de transport ressemblerait donc à un axe hégémonique – telle une autoroute Quelle est la place du transport ferroviaire dans vos études ? à huit voies – qui concentrerait tout… Tous nos modèles de simulation de systèmes y compris les nuisances et qui, finalement, de transport incluent le rail, dans ses répercuterait des saturations en amont divers usages. La montée des préoccupations et en aval, créerait le désert tout autour environnementales a remis ce mode de lui et s’avèrerait dévastateur. Il faut donc de transport à l’honneur parce qu’il est Une offre de formations valorisées sur le marché du premier emploi Les équipes du LET jouent un rôle très actif dans la diffusion des connaissances et des enseignements préparant aux activités de la recherche comme aux métiers opérationnels dans le domaine des transports et de l’aménagement du territoire. Le LET a joué un rôle majeur dans la mise en place : • Au niveau Bac + 3, d’une licence professionnelle “management des services de transport de voyageurs”. • Au niveau Bac + 5 : – d’une spécialisation ingénieur “transport, planification, exploitation” à l’ENTPE ; – d’un master recherche “transport, espace, réseaux” et de deux masters professionnels “transports urbains et régionaux de personnes” et “transport et logistique industrielle et commerciale” à l’Université Lyon 2. Bien souvent, les étudiants reçoivent des propositions d’embauche avant même d’être diplômés. 37 société celui qui émet le moins de CO2. Ainsi L’effet développement durable s’observe le ferroviaire urbain, resté en sommeil depuis également dans l’activité fret où s’opèrent l’après‑guerre, s’est réveillé en France en des transferts modaux de la route vers 1974 avec la décision de construire les métros le rail partout en Europe (sauf en France). de Lyon et de Marseille. Lille, Toulouse, Nos prévisions en la matière, issues de Rennes ont suivi. Le tramway a fait un retour nos modèles, en somme des “Play Stations” en force dans une vingtaine de villes dans lesquelles nous injectons des comme à l’international. Des projets de hypothèses diversifiées sur l’évolution du prix tram‑train se développent. Dans ce domaine, des carburants, des coûts relatifs du routier les acteurs publics nous sollicitent pour et du ferroviaire, etc., avaient anticipé ces éclairer les arbitrages entre les tendances. Le transfert modal est un enjeu caractéristiques de l’offre et les aspects important et particulièrement positif dans économiques (coûts d’investissement, les pays bénéficiant d’une électricité d’origine de fonctionnement, de maintenance). nucléaire comme la France. Cette politique Le rayonnement international du LET En Europe, le LET est partie prenante du réseau de recherche européen Transportnet. À la demande de l’International Transport Forum, qui fait suite à la Conférence européenne des ministres du Transport, le LET contribue à de nombreux contrats de recherche européens impliquant la mise en œuvre de vastes études croisées dans six ou sept pays différents. À l’international, le LET joue un rôle très actif dans la World Conference on Transport Research Society qui se réunit tous les trois ans et dont il gère le secrétariat général. Au sein de la WCTRS et parmi les instituts de recherche des cinq continents, le LET est le laboratoire qui a été le plus souvent primé pour la qualité de ses communications. 38 a moins d’effets positifs en Allemagne où la production d’énergie est thermique. Quels sont les enjeux du LET pour les prochaines années ? Les transports combinés rail-route entre la Bavière et la Lombardie émettent Nous souhaitons rendre les résultats des émissions de gaz à effet de serre des travaux de recherche aussi lisibles quasiment supérieures à celles du transport que possible par les politiques et les routier seul et sont plus onéreux. décideurs. Les réponses aux questions Il y a un pacte historique évident entre que l’on nous pose – l’installation d’un péage l’électronucléaire et l’avenir du rail. urbain, le prolongement d’une ligne de métro, le développement d’un nœud intermodal, l’augmentation massive du réseau tramway… – prennent la forme d’une masse d’informations compliquées à interpréter par des nonspécialistes : évolution des mobilités par zone, par quartier, par rue, par catégorie sociale ; Nous avons tout naturellement été impliqués évolution des accessibilités ; partage modal ; dans les premières études réalisées au monde modes de financement du système, besoins sur les effets des TGV. Le LET est ainsi de subventions, contribution des usagers devenu, au niveau international, un laboratoire avec différentes hypothèses de structure de référence sur les effets indirects de la très et niveau de tarification… Nous essayons grande vitesse. Nous avons réalisé avant et donc, à l’aide de systèmes d’informations après la mise en service du TGV Paris-Lyon, géographiques (SIG), de proposer des une étude aussi approfondie que possible sur cartographies très lisibles montrant comment l’usage du train et de l’avion sur l’axe d’affaires les frontières se déplaceront, quelles seront Paris/Rhône-Alpes (Lyon, Chambéry, les zones isochrones(2), les zones d’ombre Grenoble, Annecy, Saint-Étienne). Je dois dire dans lesquelles il y aura des déficits que les résultats nous ont surpris. Selon la d’accessibilité aux emplois, aux services, théorie économique, une proximité renforcée aux commerces, aux loisirs… C’est un défi favorise les tropismes. Le rapprochement compliqué, mais passionnant et stratégique Paris-Lyon aurait dû, dans un pays pour l’avenir du LET qui entend être reconnu centralisateur comme la France, accroître comme un pôle d’excellence au service le déséquilibre entre les deux villes au profit de de la mobilité durable. la capitale. Nous avons effectivement observé que les grandes entreprises multi-sites avaient considérablement centralisé leur pouvoir : Propos recueillis par Catherine Fressoz Votre localisation lyonnaise vous a-t-elle conduit à travailler sur les effets économiques de la très grande vitesse ? (2) Zones accessibles en un même temps donné. les déplacements vers Paris d’employés rhônalpins venant assister à des réunions auparavant organisées en province, ont rapidement doublé. En revanche, nous avons été très étonnés de constater un autre doublement, celui des déplacements vers Paris de “vendeurs de services” rhônalpins. De petites entreprises lyonnaises dynamiques d’informatique ou d’expertise offrant des prestations de qualité à prix très compétitifs ont ainsi profité du TGV pour prendre des parts de marché à leurs concurrents parisiens. Contact Charles Raux, directeur du LET [email protected] ADRESSES Laboratoire d’économie des transports Institut des Sciences de l’Homme 14, avenue Berthelot F-69363 Lyon Cedex 07 Tél. : 33 (0) 4 72 72 64 03 École nationale de travaux publics de l’État Rue Maurice Audin F-69518 Vaulx-en-Velin Cedex Tél. : 33 (0) 4 72 04 70 46 39 Innotrans 2008 Un vent de mobilité durable soufflait sur l’édition 2008 d’Innotrans, LE salon des professionnels du rail. Un domaine dans lequel Alstom Transport s’engage au quotidien. D’où une fréquentation record de son stand. Jamais autant de visiteurs internationaux prestigieux n’avaient été aussi curieux de découvrir les dernières solutions innovantes, économiques et écologiques du leader mondial de la construction ferroviaire. é vé ne me nt 1 3 2 4 1 Vladimir Yakunin, président de RZD. 2Guillaume Pepy, président de la SNCF et Philippe Mellier, président d’Alstom Transport. 3 Délégation japonaise. 4 Délégation Pays nordiques. 40 Les innovations à l’honneur sur le stand Alstom Transport • Une animation en 3D sur les possibilités d’aménagement et d’ambiances intérieures de l’AGV. • Le système TrainTracer permettant d’améliorer la disponibilité des trains. • La nouvelle locomotive fret‑passagers Prima II, totalement interopérable. • Le tram-train Citadis Dualis conçu pour relier le centre‑ville et la grande banlieue en toute fluidité. 1 2 1 Maquette 1/10e de la locomotive Prima II. 2Prototype de l’AGV, exposé en extérieur. 3 3Délégation coréenne étudiant la maquette de Citadis Dualis. 41 c 42 iné ma TRA(IN)VELLING AVANT Hitchcock : l’obsession ferroviaire “Prêtez-moi, ô Orient-Express, Sud Brenner-Bahn, prêtez-moi vos miraculeux bruits sourds […] Ah ! Il faut que ces bruits et que ce mouvement entrent dans mes poèmes.” Valery Larbaud Maurice Benassayag, Senior Vice-President Public Affairs, Alstom Transport. Hitchcock n’est pas le seul metteur en scène “Correspondant 17”, “Les 39 marches”, à avoir situé le train comme lieu de l’action : “Une femme disparaît”, “Soupçons”, les frères Lumière “L’arrivée du train à La Ciotat” “L’ombre d’un doute”, “La maison du Docteur (1897), Buster Keaton “Le mécano de Edwards”, “L’inconnu du Nord‑Express”, la Générale”, Jean Renoir “La bête humaine”, jusqu’à “La mort aux trousses”. René Clément “La bataille du rail”, John Frankenheimer “Le train”, Pourquoi ? Sydney Lumet “Le crime de l’Orient‑Express”, Cette obsession trouve-t-elle seulement Brian de Palma “Mission Impossible” (1996)… son origine dans la petite enfance – c’est Mais aucun n’a réitéré, alors qu’Alfred Alfred Hitchcock lui‑même qui le suggère –, Hitchcock s’est attaché à plonger ses acteurs ses parents habitaient à proximité dans cet univers : depuis son premier film d’un dépôt de tramway, ou bien plutôt “No 17” (1922) en passant par d’une analyse des procédés qui engendrent 43 l’anxiété, l’angoisse, la peur ? Cary Grant poursuit “le chat” cambrioleur ; Hitchcock déploie avec une diabolique les falaises du mont Rushmore où le même habileté des situations, thèmes, techniques Cary Grant fuit les espions, et souvent (travellings, plongées, contre-plongées), les escaliers préludes aux coups de théâtre tous les ingrédients qui engendrent le malaise sanglants (dans “Psychose”, Martin Balsam, des héros… et des spectateurs. le détective, y sera assassiné) ; l’escabeau, L’inconnu, l’étrange cinéma puis la tour qui paralysent James Stewart souffrant de vertiges (“Sueurs froides”). L’inconnu et/ou l’étrangeté dérangent. Alfred Hitchcock n’a cessé d’être attiré Hitchcock se plaît à plonger dans par le champ de la verticalité. L’asphalte : une promiscuité imposée des personnes les assassins ayant une fâcheuse qui ne se sont jamais rencontrées propension à vouloir défenestrer leur auparavant, dont la profession est peu victime (“L’ombre d’un doute”). identifiable, l’identité fausse ou même Il arrive que dans cette géométrie dans inexistante. M. Kaplan, que tout le monde l’espace, le vertical et l’horizontal se croisent, poursuit, n’existe pas (“La mort aux se superposent. Gregory Peck est fasciné trousses”). Dans le même film, Cary Grant par les rails et leurs traverses qui défilent, va devoir partager l’intimité d’un par les traits que dessine une fourchette sur compartiment avec une femme mystérieuse. la nappe, la trace des skis qui s’entrecroisent Dans “Les 39 marches”, le héros est sur la neige (“La maison du Docteur menotté à une inconnue. Dans “Une femme Edwards”) ; les escaliers si présents dans disparaît”, la vieille dame, qui n’est pas plusieurs films dont la verticalité est coupée celle que l’on croit, côtoie des personnages par l’horizontalité des marches. inquiétants ou ambigus que seul Et dans “La mort aux trousses”, alors que un voyage en chemin de fer a réunis. Cary Grant et Eva Marie Saint essaient Tous ces films se passent dans un train. d’échapper à la chute finale, le plan suivant La géométrie dans l’espace les hisse sur une couchette de train... horizontale ! Le vide horizontal Le silence des espaces infinis effraie. Le clos Espaces déserts (la lande des “39 marches”) ; Étymologiquement, le mot “angoisse” la baie où seul navigue le bateau de est tiré d’augustia : étroitesse, lieu confiné, Tippi Hedren (“Les oiseaux”) ; la route droite malaise que l’on éprouve dans un lieu clos. et sans fin qui traverse une plaine vide Quoi de plus angoissant qu’un espace réduit et où Cary Grant attend à un croisement qu’on ne peut quitter alors que rôde la mort ? (“La mort aux trousses”). “La corde” : James Stewart est invité à Soulignons, au passage, que lorsque partager un repas d’assassins dans un salon l’espace se peuple imperceptiblement, où trône une malle contenant un cadavre. cette gradation apparaît comme le signe “Lifeboat” : des naufragés tentent de survivre d’une menace nouvelle (le premier oiseau dans un canot de sauvetage. Ces deux films qui attaque Tippi Hedren, le bruit d’un petit illustrent absolument l’isolement parfait. avion au loin dans “La mort aux trousses”). Le héros confiné dans un plâtre doit garder la chambre (“Fenêtre sur cour”). 44 Le vide vertical Les voyageurs d’“Une femme disparaît” Le toit sur lequel, dans “La main au collet”, ne peuvent s’extraire du train, sauf à en être précipités. Farley Granger, assis dans qui loge des personnes en les séparant”, un compartiment, ne peut échapper au en les isolant donc. tentateur de “L’inconnu du Nord‑Express”. Le train peut même incarner en soi une Cary Grant est menacé dans un train qui file, menace. Lorsque Joseph Cotten, le supposé “La mort aux trousses”. Il est même caché brave oncle, en réalité un sinistre assassin dans une couchette supérieure fermée. – toujours le brouillage identitaire – arrive Le fugitif des “39 marches” est enchaîné à Santa Clara, le train crache une fumée par des menottes à une femme qui, épaisse qui s’étend sur la paisible petite ville. de surcroît, entend le dénoncer. Le train et, plus encore, un compartiment, sont La fuite des lieux clos par nature et par destination. Dans les films d’action, le héros est souvent La définition du compartiment selon un innocent menacé à la fois par la police Le Robert s’énonce : “subdivision et par les méchants. Et, chez Hitchcock, d’un espace par des figures régulières […], c’est d’un train qu’il doit fuir. Échapper à ses 45 poursuivants qui se trouvent dans le train ou sur les quais devient une véritable gageure. Les travellings attachés à suivre le tueur qui lui-même poursuit la victime créent, en abysse, un formidable suspense. Éros star Chacun sait que le train suscite des fantasmes évocateurs et incitatifs qui favorisent les transports amoureux, parfois en commun. Ils peuvent être extravagants et furieux (ceux du Prince Vibescu cher à Apollinaire), convenus et classiques (La madone des sleepings de Dekobra), drôles et fougueux (Éros dans un train de René Depestre), solitaires et mélancoliques (la chanson poème de Marie-Paule Belle) : cinéma “Je rêvais du train bleu, du Trans-Europe Express, L’amour et la vitesse, les matins fabuleux, Les roues qui grincent sur leurs essieux, D’autres provinces sous d’autres cieux […]” On est un peu distant, froid. Les héroïnes d’Hitchcock sont toutes Comme dans un ascenseur entre individus semblables : apparemment froides, blondes qui ne se connaissent pas, dans un et habillées strictement. La ressemblance compartiment, la gêne ou le désagrément entre Janet Leigh, Eva Marie Saint, Grace Kelly, commencent par prévaloir. Les regards qui Tippi Hedren, Kim Novak est frappante. s’échangent, jaugent, jugent, en tentant Hitchcock avoue avoir privilégié un modèle d’éviter que du furtif ils glissent vers l’intrusif. de femmes. Sans doute en vertu du principe Dans un compartiment, on se tient bien. qui veut que la suggestion est plus pernicieuse “Le train, gémissant et fougueux, nous faisait franchir en beauté collines, rivières et tunnels […]. La plainte du train continuait de plus belle à labourer les flancs intimes de l’espace-temps balkanique.” René Depestre (“Éros dans un train”, Gallimard) 46 James Stewart, cloué dans son fauteuil restaurant entre Eva Marie Saint et Cary Grant, à roulettes, regarde avec effarement la même qui se rencontrent pour la première fois, Grace Kelly venue lui rendre visite, sortir est de ce point de vue un petit chef‑d’œuvre. de son sac à main, avec une fausse Ajoutons que ces femmes, apparemment sans innocence troublante, une arachnéenne mystère, sont fort mystérieuses, non seulement chemise de nuit. parce qu’on devine chez elles une sensualité On comprend mieux de ce qui précède retenue, mais aussi parce qu’elles sont pourquoi Hitchcock a privilégié le train : porteuses d’un charme sous-jacent, maléfique. lieu des horizons sans fin, de l’angoisse de Qui est vraiment Eva Marie Saint ? la chute, de l’anxiété d’une menace à laquelle Une classique bourgeoise, un agent du FBI il est impossible de se soustraire, de la présence ou une espionne ? Pourquoi l’arrivée de incontournable d’une femme inconnue dont Tippi Hedren coïncide-t-elle avec l’apparition la sensualité vous emprisonne insidieusement. des oiseaux tueurs ? C’est peut-être pourquoi De surcroît, ces femmes si distantes cultivent “La mort aux trousses” s’inscrit comme l’audace : est-ce l’anonymat, le précipité le plus abouti des films d’Hitchcock. d’un corps froid dans la chaleur d’un espace Tous les ingrédients d’un savoureux plat clos qui favorisent les transgressions ? – “Hitchcooking” – s’y trouvent mitonnés La très bien élevée Grace Kelly affole par le grand chef du suspense. le flegmatique Cary Grant par ses initiatives ; Maurice Benassayag que l’image. Le déjeuner dans le wagon- 47 L’immeuble victorien de métal et de verre, situé sur Covent Garden, abrite le London Transport Museum (LTM). c 48 ulture London Transport Museum Si la cocarde de London Transport symbolise le métro londonien, London Transport Museum est un formidable panorama de l’évolution des transports dans les grandes villes à travers le monde. L’immeuble victorien de métal et de verre, Une histoire de la mobilité situé sur Covent Garden Piazza, à deux pas du célébrissime opéra royal, abritait un Plusieurs raisons ont conduit LTM, en 2005, marché aux fleurs jusqu’en 1974. “Le marché à décider ce réaménagement de fond a déménagé du côté de Vauxhall et le musée en comble : le musée voyait s’éroder sa part a ouvert ses portes en mars 1980, se de marché, ses locaux commençaient souvient Sam Mullins, le directeur du London à se dégrader et, surtout, ses collections Transport Museum (LTM). Et, pour moi, ne présentaient l’histoire du transport le plus beau jour de la vie du musée est que jusqu’au début des années 90, le 22 novembre 2007, où nous avons rouvert alors que d’importants développements après vingt-six mois de fermeture au public et investissements étaient intervenus depuis. pour travaux. Six années durant, nous avons En outre, le principe du musée est de traiter travaillé dans l’attente de ce jour, alors l’histoire du transport de manière globale, on imagine sans peine le bonheur que nous en y incluant tous les modes de déplacement éprouvons aujourd’hui à voir s’émerveiller – le transport fluvial sur la Tamise, les visiteurs, à les regarder pratiquer toutes les grandes lignes de chemin de fer, les taxis, sortes d’activités. Et quand certains jours sont le vélo, la marche à pied, etc. – afin de faire plus difficiles que d’autres, un simple tour comprendre au visiteur comment fonctionne dans la galerie à regarder les gens apprendre une métropole telle que Londres. tout en s’amusant suffit pour se rappeler “Notre vision globale du transport répond que c’est pour eux que nous faisons cela, essentiellement à une demande de notre car c’est eux dont il s’agit et de leur public, poursuit Sam. Nous avons conduit interaction avec cette formidable ville.” une large concertation avec des personnes 49 du monde de l’éducation, des conservateurs Justine Cooper, la responsable des relations de musées, des spécialistes du marketing, publiques du musée : “Un marché aux fleurs etc. Et nous avons également mené une très n’est pas conçu pour se prêter à une grosse enquête auprès des visiteurs du musée. muséographie. Ainsi, par exemple, le sol L’analyse des résultats a montré que seule est en pente de plus de 19 cm par endroits, une petite part d’entre eux était passionnée ce qui est fort commode pour nettoyer par la technique et que les neuf dixièmes un marché aux fleurs en fin de journée, étaient beaucoup plus intéressés par l’histoire mais ne facilite pas la tâche pour implanter du transport : comment on allait à l’école les collections d’un musée et recevoir en trolleybus dans les années 50, des visiteurs ! En outre, la structure de fer quelle impression cela fait de se prendre et de verre du bâtiment génère une intense pour le passager d’un omnibus de l’époque luminosité ainsi que de fortes variations victorienne, comment le transport contribue de température et d’humidité, peu propices à la préservation de nos collections sur “LTM est bien plus qu’un simple musée, c’est une association éducative.” Sam Mullins, directeur du LTM support papier, de nos posters et diverses œuvres d’art. Les travaux de réaménagement proprement dits ont représenté un très gros défi pour plusieurs raisons : nous ne pouvions procéder aux gros travaux de perçage qu’un jour par semaine à cause du voisinage, nous devions aussi nous débarrasser d’importantes quantités de gravats et il nous fallait culture au développement des banlieues… transporter des véhicules de grand gabarit Un des thèmes les mieux représentés est depuis le centre de Londres jusqu’au site sans doute l’histoire sociale des transports, d’entreposage temporaire. Nous avons pas c’est un excellent fil rouge pour comprendre mal attiré l’attention du public le jour où nous la logique de nos collections. En outre, avons eu recours à des grues pour déplacer les transports étant appelés à jouer dans des véhicules de plus de 18 tonnes ! Lorsque les cinquante années à venir un rôle aussi la voiture de métro de 1938 a été extraite important qu’au cours des deux derniers du musée, nous l’avons garée à l’extérieur siècles, il nous a paru incontournable le temps de pouvoir la transférer du de passer d’une muséographie centrée sur centre‑ville jusqu’à l’entrepôt. Eh bien, le passé et la technique à un nouveau quelqu’un a trouvé le moyen de lui mettre concept axé sur le présent et le futur, sur la une contravention !” Certes, le musée mobilité beaucoup plus que sur la technique. ne saurait jouir d’une situation plus centrale, Le contexte social a toujours joué un rôle mais ce privilège est au prix d’un espace majeur à nos yeux et nous pensons que limité, qui ne permet pas au LTM d’exposer c’est également ce qui intéresse le visiteur.” toutes ses pièces. Aussi dispose-t-il d’un Un projet de réaménagement La contribution de 9,45 millions de livres reçue du Heritage Lottery Fund ainsi que les 5 millions de livres collectés auprès 50 dépôt situé à Acton, dans l’ouest londonien où sont entreposés 98 % de sa collection et… qui commence lui‑même à se remplir ! Voyage dans le temps de sponsors industriels ont permis le Audible depuis l’accueil du musée, le son redéploiement du London Transport Museum. amplifié d’un battement de cœur attire Le réaménagement complet d’un bâtiment le visiteur vers la galerie des grandes villes de style victorien, classé et situé en plein du monde : Tokyo, New York, Shanghai, cœur de Londres, s’est révélé un projet d’une Delhi, Paris… De grands plans de métros extrême complexité, comme l’explique tapissent les murs de la galerie conduisant vers les ascenseurs ou, plus précisément, vers les machines à remonter le temps qui ramènent le visiteur en 1800. “À cette époque, souligne Justine, Londres était une ville de taille assez réduite et trente minutes à pied suffisaient depuis Westminster pour se retrouver en pleine campagne.” Il y a deux siècles, ni rugissement ni vibration ne secouait le sous-sol de Londres, mais ses rues fourmillaient de chaises à porteurs et de voitures à cheval qui tentaient de se frayer un chemin dans la cohue, tandis que des flottes de bateaux à voile chargeaient et déchargeaient leurs cargaisons sur les rives de la Tamise… Pour rendre plus vivantes ces évocations, les chevaux factices sont doués de la parole et LTM engage parfois des comédiens pour jouer des scènes dans la galerie, faisant revivre le passé. La construction du premier métro souterrain au XIXe siècle a joué un rôle déterminant dans l’expansion de l’agglomération londonienne. Pour inciter les habitants de la capitale à quitter le centre-ville, Metropolitan Railway a utilisé les emprises dont elle n’avait pas l’usage, le long des voies ferrées, pour développer des programmes immobiliers à proximité immédiate de ses gares flambant neuves. Elle a ainsi créé un nouveau marché suburbain à vingt minutes du centre de Londres. L’idée de vendre en même temps le terrain, la maison et le moyen de transport était extrêmement en avance sur son temps… et a donné naissance à une collection exceptionnelle de posters vantant les joies de la vie suburbaine. Puis, avec l’extension du réseau ferré au-delà des banlieues, les Londoniens se sont vu proposer de partir en week-end à la campagne ou au bord de la mer. D’une grande ville, Londres devient une métropole échafaudèrent alors différents projets, La capitale britannique aura été la ville dans le domaine de l’imaginaire, jusqu’à la plus peuplée de la planète, jusqu’à ce que des solutions très opérationnelles comme New York lui ravisse ce titre en 1925 et, un métro roulant sur des voies surélevées, tandis que la métropole continuait de gagner tel qu’on peut le voir à Paris ou à New York, sur la campagne, le centre se paralysait sans oublier le métro souterrain qui a, depuis, sous les embouteillages. Des ingénieurs transporté des milliards de passagers. depuis un omnibus volant, qui devait rester 51 Ainsi, la première ligne de métro de Londres de 5 °C celle de la campagne alentour et que – et de la planète – devait-elle être ouverte cette différence pourrait bien atteindre 9 °C en 1863. Aussi magiques pour les parents si les habitants ne modifient pas leur mode que pour les enfants, des maquettes de déplacement. Le musée a adopté très réalistes, montrant comment les tunnels cette approche afin d’encourager le transport étaient creusés ou comment la fumée durable, dans lequel la diversité joue un rôle des locomotives était évacuée par des grilles crucial, comme le montre la stratégie de disposées dans la chaussée, retracent Transport for London (TfL), la régie municipale cette période d’intense activité d’ingénierie. de transport londonienne, qui s’attache En l’espace de quinze ans, à Londres, à promouvoir une large palette de moyens les chevaux devaient céder la place de locomotion aux côtés du métro et du bus – marche à pied, vélo, navette fluviale, “Nous considérons ce musée comme une sorte de port d’attache londonien pour toute l’industrie du transport.” Sam Mullins, directeur du LTM. tramway, métro léger, etc. – visant à faire de Londres une ville plus verte. Promouvoir l’éducation et la citoyenneté Il y a de cela quelques mois, l’un des membres du conseil d’administration du LTM demanda à Sam Mullins : “Maintenant que vous avez rouvert le musée, quelle vision en avez-vous à long terme ? Est-ce un fabuleux musée des transports qui mène culture 52 aux chevaux‑vapeur et les volutes de fumée des actions associatives dans Londres dans les tunnels devaient disparaître ou bien un organisme éducatif qui se sert au profit de l’électricité. du musée comme base pour mener toutes Aujourd’hui, la métropole londonienne sortes d’initiatives ?” Pour Sam, la réponse dépasse les 7 millions d’habitants, ne fait aucun doute et c’est bien sûr générant une croissance de la demande la deuxième option : “Aujourd’hui, nous de transport et exigeant de nouvelles accueillons 350 000 visiteurs et nous entrons solutions, en particulier dans la perspective en contact avec plus de 100 000 élèves des Jeux olympiques de 2012. chaque année par le biais du grand Inondations, vagues de chaleur… Comme programme éducatif que nous menons pour toute métropole, Londres est de plus en le compte de TfL sur la sécurité et la plus inquiète des risques liés au changement citoyenneté. La préservation d’un héritage climatique. Afin de sensibiliser le public et l’éducation sont étroitement liées et, aux conséquences de leur mode de vie quoi que nous entreprenions, nous devons sur l’environnement, le musée a créé garder ces deux objectifs en ligne de mire.” un espace interactif appelé Londres 2055. De fait, éduquer le public au rôle du transport Cet espace, qui se fonde sur un rapport dans la société est devenu une activité phare du programme Foresight, mené par l’Office du musée. LTM travaille ainsi avec des publics gouvernemental des sciences, permet aux de tous âges, depuis les écoliers du primaire, visiteurs d’explorer différents scénarios pour auxquels les équipes du musée enseignent le futur de Londres, en fonction de la manière à voyager en confiance et en sécurité, dont ses habitants gèreront leur empreinte jusqu’aux lycéens qui apprennent l’époque carbone. Toujours dans ce domaine, les victorienne, les transports, l’histoire, galeries du LTM présentent un programme la géographie et les étudiants en arts audiovisuel montrant que la température graphiques qui étudient l’identité visuelle de moyenne des nuits londoniennes dépasse London Transport. Le musée collabore avec la section du Royal College of Art spécialisée dans la conception de véhicules et effectue chaque année une sélection de projets de véhicules futuristes pour les exposer dans la galerie. L’industrie du transport collabore également avec le Royal College of Art, donnant aux étudiants l’occasion de travailler sur de vrais projets. “Dans le cadre de notre initiative TfL sécurité et citoyenneté, nous apprenons aux enfants à utiliser les réseaux de transports de manière sûre et responsable, avant qu’ils ne soient appelés à se déplacer par eux‑mêmes. Nous leur apprenons également à faire attention aux autres voyageurs et aux conséquences de leurs actes sur le fonctionnement des réseaux”, précise Justine Cooper. En outre, dans un contexte de pénurie de vocations pour l’ingénierie, LTM soutient TfL dans son effort de promotion des carrières d’ingénieurs auprès des écoles. London Transport Museum, lieu de ralliement de la communauté du transport London Transport Museum dépend de TfL qui contribue aujourd’hui au fonctionnement du musée à hauteur de 50 %, le reste provenant d’une politique active de billetterie, de ventes en boutique, de mise à disposition de ses locaux pour des événements d’entreprise et de collecte de fonds. “Nous considérons ce musée comme une sorte de port d’attache londonien pour toute l’industrie du transport, déclare Sam Mullins. Nous organisons quelque cent événements chaque année qui sont de bonnes occasions pour les différents acteurs du marché, parfois concurrents, de se rencontrer de façon neutre et informelle. C’est une Ensemble, ils contribuent à faire du Parallèlement aux partenariats institutionnels, London Transport Museum non seulement le musée est soutenu par London Transport un fantastique musée, mais aussi Museum Friends, une association une remarquable entreprise… caritative qui compte environ 1 500 membres Et si quelqu’un vous demande un jour – renforcés par une centaine de volontaires – ce qu’évoque dans votre esprit le nom qui participent aux différentes activités de Covent Garden, il se pourrait que du musée, qu’il s’agisse de recenser les pièces la réponse soit désormais autre chose que de collection, d’entretenir les véhicules, l’un des plus grands opéras de la planète ! d’organiser des visites guidées, etc. Jean-Christophe Hédouin De grands plans de métros tapissent les murs de la “galerie des grandes villes du monde” : Tokyo, New York, Shanghai, Delhi, Paris… activité très importante pour nous !” 53 i 54 nv ité Dans un wagon doré… Hubert Reeves Astrophysicien, président de la Ligue ROC. “En sortant de l’école nous avons rencontré un grand chemin de fer qui nous a emmenés tout autour de la terre dans un wagon doré.” Jacques Prévert Et dans ce wagon doré, roulant de vallon La Belle, endormie, au beau visage froid en vallon, entre des montagnes sous qui s’éclairerait d’un sourire si un prince, un soleil orange, un homme découvre forcément charmant, lui prenait la main, les paysages et explore ses songes. fine et délicate, posée sur le drap blanc. De la blancheur de la neige qui maintenant Je suis confortablement installé dans s’épaissit sur le sol. Aucun pas n’y laisse un compartiment dont je suis le seul hôte. une empreinte et nulle construction humaine n’émerge. Vers où vais‑je ? Sans doute Une forêt dégringole d’une pente abrupte qu’au fond de moi, je le sais mais je feins et le torrent la stoppe. Les arbres de de l’ignorer pour entretenir le mystère, rester la bordure veulent se mirer et se désarticulent un moment en dehors du temps, rejoindre dans le flot tourbillonnant. Le soleil se voile les contes qui enchantèrent mon enfance. et mon esprit s’évade, n’est-ce pas au fond Furtivement, le visage de ma grand-mère de ces bois sombres que se cache se superpose au paysage. C’est elle qui me le château de la Belle au bois dormant ? lisait des histoires merveilleuses. Impossible 55 de se lasser d’entendre cent fois celle J’avance sans poser les pieds sur terre ; du Chat botté, ou tout autre, car à chaque en tout cas je n’ai pas l’impression fois c’est une variante, inattendue, déroutante de mettre, comme dans la chanson, un pied qui naît et m’enchante encore. Une même devant l’autre. Je marche en lévitation aventure racontée par mille personnes permanente. Pas de poteau indicateur mais différentes par la voix d’une seule. Un conte je sais aller tout droit au château. Pour mis dans un kaléidoscope dont le hasard mieux aspirer le parfum des jacinthes bleues de son maniement engendre des épisodes jusqu’à m’en enivrer, je dois freiner mon diversement colorés. impatience de franchir le perron. J’aime Dans ce décor de Noël du temps tant les sous-bois moussus, les fougères où les hivers existaient, je n’entends ni les naissantes, même si je n’entends pas murmures des lents ruisseaux ni le tapage le bruissement des branches mais un roulis des rapides tumultueux. Le bruit monotone perpétuel qui me fait me sentir bien en vie des roues sur les rails devient le bruit du dans une douce chaleur qui m’étonne pour déroulement régulier de la pellicule d’un film un printemps forestier. dans les salles de projection du siècle dernier. Et voilà que se dressent des tourelles invité Biographie Hubert Reeves, né à Montréal, province de Québec, le 13 juillet 1932. Astrophysicien, B.Sc Université de Montréal, 1953. MSc McGill University 1955. PhD, Cornell University, Ithaca N.Y., 1960. Conseiller scientifique à la NASA Institute for Space Studies, New York, 1960-1964. Directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Paris, 1965. Sujets de recherches au Service d’astrophysique de Saclay : origine des éléments chimiques, origine du système solaire, origine de l’univers, astrophysique nucléaire, cosmologie. Professeur associé au département de physique de l’université de Montréal. Président de la Ligue ROC pour la préservation de la faune sauvage. Ce film, j’en écris chaque séquence en de dentelle au-dessus d’un feuillage vert accrochant mon regard autant au paysage, et mordoré… Au détour du chemin, fugitif, qu’à mes souvenirs, multiples. vais-je découvrir le portail ? Il me faut vite Parfois, la voix off de ma grand-mère s’impose recourir aux descriptions de Charlotte, pour faire le lien entre les péripéties et à mes goûts personnels, pour bâtir cet désordonnées de mon scénario improvisé. édifice blanc comme du sucre ou plutôt comme le Taj Mahal… Mais alors je devrais Flash-back sur la princesse dans d’abord franchir le fleuve Yamuna, son château magique. Quelle sérénité sur comme le faisait l’empereur Shâh Jahân son visage ! Je sais qu’elle s’éveillera et en visite à son épouse disparue. pourquoi ne tenterais-je pas de jouer le prince qu’elle attend sans le savoir ? Voilà qu’un Comment ferais-je s’il n’y a pas de pont ? sentier s’ouvre juste en face de moi, m’invitant instantanément à l’emprunter, les yeux Mais pourquoi s’inquiéter : dans un rêve, fermés tant je sais à l’avance qu’il me conduira il n’y a pas d’impossibilité et je survolerais vers Elle. Avec quelle facilité je franchis le courant comme par enchantement la paroi du compartiment et me retrouve et sans même avoir besoin d’un tapis volant… en plein air sur un chemin tout à coup printanier, aux lisières fleuries et parfumées. Le grès rose et le marbre blanc de l’édifice Les ronces s’écartent exactement comme ne subissent pas les méfaits des pollutions dans un conte quand le fils du roi s’avance qui rongent les plus beaux bâtiments. vers le château enchanté. Je me sens léger Ici, le château est toujours neuf, puisque et aérien. Un vrai Mercure ailé. J’ai vingt ans. chaque fois reconstruit, sortant du prisme de mes souvenirs, anciens et récents mêlés, Je n’ose ouvrir les yeux de peur de briser sur un coup de baguette magique dont le rêve. Rêver, c’est faire mentir la réalité. je suis détenteur quand je refuse le réel. La réalité, je la connais, je la fréquente 56 quotidiennement : gardons la voie pleine Sous la lumière lunaire, les pierres de surprises agréables de mon rêve contrôlé. précieuses de son dôme rivalisent avec Bibliographie Publications professionnelles : Environ cent articles dans des revues spécialisées et deux livres : • Stellar Evolution and Nucleosynthesis, 1968, publié chez Gordon and Breach, New York. En français : Évolution nucléaire et nucléosynthèse, Dunod, Paris, 1968. • Nuclear Reactions in Stellar Surfaces, 1972, Gordon and Breach, New York. Travaux de vulgarisation : • Livres : - Soleil – 1977. - Patience dans l’azur – 1981. - Poussières d’étoiles – 1984. - L’heure de s’enivrer – 1986. - Malicorne – 1990. - Soleil (2e édition) – 1990. - Comme un cri du cœur – 1992 (ouvrage collectif). - Compagnons de voyage – 1992 (avec Jelica Obrenovich). - Dernières nouvelles du cosmos – 1994. - L’espace prend la forme de mon regard – 1995. - La première seconde – 1995. - La plus belle histoire du monde – 1995 (ouvrage collectif). - Intimes convictions – 1996. - Oiseaux, merveilleux oiseaux – 1998. - Sommes-nous seuls dans l’univers ? – 2000. - Les artisans du huitième jour – 2000 (entretien radiodiffusé). - Mal de Terre – 2003 (avec Frédéric Lenoir). - Chroniques du ciel et de la vie – 2005. - Soleil (3e édition) – 2006. - Chroniques des atomes et des galaxies – 2007. - Je n’aurai pas le temps – 2008. - Petite histoire de la matière et de l’univers – 2008. les étoiles… Car me voilà dans la pénombre. à peine, ma main droite déjà sur la rampe Je n’ai pas ouvert les yeux mais à travers de bois doré qui escalade le mur de droite… • Films et spectacles scientifiques : -L es étoiles naissent aussi. Centre national de la documentation pédagogique, 1979, Paris. -L e Soleil, notre étoile. Centre national de la documentation pédagogique, 1980, Paris. -L a vie dans l’univers. 12 émissions de 15 minutes, sur FR3 (3e chaîne française). Centre national de la documentation pédagogique, 1982. - Un soir, une étoile. 66 émissions de 2 minutes sur TF1 (1re chaîne française), 1984, Éd. Fox‑Trot, S. Goldman, Paris. -D iaporama : Cosmologie, avec Alain Superbie et Michel Gonzalès, 1982. - I nitiation à l’astronomie. 15 heures, Télé‑enseignement, université de Montréal, 1990. -L es dialogues du ciel et de la vie. Spectacle audiovisuel de planétarium avec Benoît Reeves et Michel Gonzalez. -H ubert Reeves, conteur d’étoiles. Film et DVD avec Iolande Rossignol, Office national du film du Canada, 2002-2003. -L es dialogues du ciel et de la vie (nouvelle version). Spectacle audiovisuel présenté sur un ou trois écrans, avec Benoît Reeves et Alain Superbie (voir rubrique Spectacles), 2004. -D e l’astronomie à l’écologie. Spectacle audiovisuel écrit et dit par Hubert Reeves, réalisé par Benoît Reeves. mes paupières, ils ont perçu le changement de luminosité. Sans doute sommes-nous Premier palier, aucune porte mais un autre dans un tunnel ? Peu importe cette escalier que j’emprunte. Deuxième palier, autre péripétie ferroviaire, la lune éclaire assez escalier. Pourquoi donc est-ce que je les fais mon chemin vers le château lumineux. se succéder au lieu d’ouvrir une porte et Toutes ses façades éblouissent et m’attirent de me trouver devant cette Sleeping Beauty comme un improbable aimant de cristal. que j’ai vue dans le film de Disney ? Sera-t-elle comme les fées de son baptême l’ont décrite : Je n’ai pas eu conscience de franchir la plus belle personne au monde, pleine un fleuve et, devant les colonnes du portique, d’esprit et d’intelligence, dotée d’une grâce des soldats aux costumes rutilants admirable… Serai-je amoureux d’elle ? me font une haie d’honneur figée et muette. Pourquoi tous ces bruits autour de moi Je m’avance dans le hall d’entrée. Beaucoup et cette voix de sorcière qui troue le silence de portes se répartissent à gauche et et m’expatrie de mon rêve ? à droite, mais je suis déjà au pied de l’escalier “Dans quelques instants, notre train arrivera Quelle hélice prendre ? Je m’interroge à Moskva Belorusskaia.” à double révolution, comme à Chambord. 57 Le train du Négus v 58 oyage Le Chemin de fer djibouto-éthiopien (CDE), plus ancienne compagnie d’Afrique subsaharienne, est un mythe pour des générations de cheminots et de passionnés du rail. Si cette légende est tenace, le “Train du Négus” mérite toujours quelques nuits à bord. Aujourd’hui, le candidat au voyage entre l’Éthiopie et Djibouti doit vraiment s’attendre à tout. Et surtout savoir attendre. 59 voyage En 1888, la France fonde le protectorat de le désert, sous les yeux ébahis des nomades Djibouti, sur les rives occidentales de la mer de la région, Somalis, Afars et Danakils. Rouge. La “Côte française des Somalis”, La première locomotive à vapeur arrive territoire sauvage brûlé par le soleil, attire tout en 1902 à Dire-Dawa, minuscule bourgade ce que la métropole compte d’aventuriers qui deviendra la deuxième ville du pays. et de commerçants. À l’Ouest, l’immense Mais la voie ne parvint finalement Éthiopie attire rapidement leurs convoitises. à Addis‑Abeba qu’en 1929, au terme C’est sur ces hauts plateaux “abyssins” de trente années de travaux harassants. que se trouvent toutes les richesses : les fruits, les légumes, les céréales, les épices, Savoir attendre le bétail, les tissus, mais aussi l’or et l’ivoire. Sous le soleil brûlant de midi, la gare L’empereur Ménélik II, homme féru de progrès d’Addis‑Abeba semble s’être assoupie. technologique, espère alors que la modernité Façade art déco ponctuée de balcons assurera l’indépendance et la richesse mauresques, verrière aux ossements de son pays. En 1896, il autorise la création de métal, guichets aveugles : plus rien d’une société de chemin de fer avec ne presse, presque plus rien ne bouge. les Français. Et bientôt les rails défient À l’intérieur, des wagons échoués en bout de quai et des moutons errant à la ERYTHRÉE YEMEN Gondar DJIBOUTI Djibouti Addis Abeba Dire CDE Dawa CD E Djimma Golfe d’Aden Et pourtant ! Malgré son grand âge et ses déboires financiers, le Train du Négus Depuis quelques mois, un chantier rend la voie ferrée impraticable dans ETHIOPIE la capitale éthiopienne. Pour embarquer, SOMALIE 60 pourraient décourager plus d’un voyageur. est toujours là, sur ses rails ! Harer SOUDAN OUG. recherche d’herbes sèches entre les traverses KENYA 200 km il faut donc se rendre à Akaki, petite station à trente kilomètres au sud. Mais avant de partir, musardant une dernière fois Dans cette alcôve enfumée, manettes dans la gare, on écoute les palabres des gravées, compteurs chevrotants et pistons chauffeurs, contrôleurs et mécaniciens de cuivre évoquent les forges d’antan. qui témoignent de la “belle époque” Le chauffeur adjoint, un homme rond du Chemin de fer djibouto-éthiopien (CDE). et jovial, me cite de tête toutes les gares Akaki, déjà cinq heures d’attente et de la ligne. Je lui demande quelle est pas de convoi en vue. Le long des voies, la marque de la locomotive. La réponse fuse : une troupe de zébus à longues cornes “Alstom ! Les meilleures machines !” dispute à des petits chevaux râblés Depuis des décennies, le CDE est équipé de rares touffes de verdure. Sur le quai, de ces motrices françaises qui font la fierté des gamins s’époumonent sur des sifflets de ces cheminots francophiles. en plastique, tout en prenant des poses Enfin le contrôleur sort son carnet à souches ! de matamores devant deux militaires Beaucoup de passagers tentent de négocier de la sécurité ferroviaire. une ristourne, arguant du mauvais état À 17 h 30, une corne de brume annonce, des banquettes, des retards et des “shiftas” au loin, l’arrivée du train. Brinquebalant, (brigands et voleurs) qui ne manqueront le convoi sort de son dépôt et s’avance dans pas de les détrousser à bord. Plus tard, au un vacarme extraordinaire. C’est un train cœur de la nuit, le chef de train accompagné mixte, composé de wagons de marchandises de soldats s’efforcera de faire payer les et de trois voitures passagers. En prévision resquilleurs, s’il le faut par la force. À 19 h 30, du trajet, j’achète deux pains ronds, le convoi s’ébranle vers le sud. Nous filons trois oignons rouges, des tomates vertes, dans l’obscurité, à travers une brousse un kilo de bananes et un paquet de gâteaux épaisse de cactus. Des acacias à longues au miel. Sur un marchepied, une femme épines griffent la carrosserie des wagons. emmitouflée d’un “shamma”, le pagne de Attention aux mains qui pendent des fenêtres ! coton blanc des chrétiens d’Éthiopie, égrène En chemin, le rythme ternaire du roulis, son chapelet de buis. Pour passer le temps, les gerbes d’étincelles sous les essieux, je visite la cabine du conducteur. le hurlement du sifflet à vapeur et l’odeur De gauche à droite : Le quai de la gare d’Addis-Abeba. Une vendeuse de canne à sucre. À bord, une voyageuse. 61 Sur le marchepied de la locomotive… Alstom. voyage persistante de gasoil ont ce charme se succèdent. Au loin, voilà les lueurs ferroviaire qui n’existe plus en Occident. de la ville de Nazret. À peine arrivés en gare, Fermez les yeux et vous voilà dans une des cris vindicatifs résonnent autour version sahélienne de “La bête humaine”. de notre wagon. Ce sont les passagers Nuit à bord 62 abandonnés qui ont poursuivi le train à bord d’un minibus loué en catastrophe ! Des chiens noirs aboient aux passages Au cours du périple, de tels incidents à niveau. Lors d’une escale, je rejoins sont exceptionnels. Mes compagnons la voiture de queue pour y passer la nuit. passeront une partie de la soirée à rire Une dizaine de commerçantes, des et à partager leurs émotions, jusqu’à colporteuses, somnolent à même le sol ce que le silence nous recouvre. C’est la nuit jonché d’énormes sacs de farine et noire. Des militaires patrouillent, leurs de patates. Elles partent elles aussi à Djibouti, kalachnikovs en bandoulière frôlant les corps à 750 kilomètres de leur foyer, dans assoupis. Le froid s’est engouffré dans l’espoir d’un bénéfice au marché. Et comme cette voiture sans fenêtres. Chacun s’est à chaque voyage, il leur faudra ruser avec emmitouflé. La tête calée sur un régime de les douaniers, dont les taxes peuvent réduire bananes, secoué par les spasmes du convoi, à néant leur précieux investissement. j’observe un gamin recroquevillé sous Lors de l’arrêt suivant, quelques passagers une banquette. descendent grignoter au bistrot de la gare. À l’aube, des dizaines de “contrebandiers” Cinq minutes passent. Soudain, sans montent à bord. Deux d’entre eux prévoient prévenir, le train redémarre, quitte la gare d’acheter des lots de vêtements et de matériel et accélère ! Par la fenêtre, j’aperçois électronique en provenance de Djibouti. les voyageurs oubliés courant désespérément Puis ils remonteront vers la capitale écouler derrière le wagon. Perplexe, je vois leurs stocks au “Mercato”, le grand leurs silhouettes disparaître dans la nuit. marché du centre-ville. Depuis le matin, Durant une heure, canyons tortueux, nous avons quitté les hauts plateaux chrétiens viaducs rouillés et collines pelées du Choa pour pénétrer dans le décor aride 63 voyage du Harargué. Nous croisons des troupeaux chose, vous devez revenir nous aider, sinon de dromadaires, des zébus osseux, cet endroit deviendra un musée ! N’oubliez des nuées de rapaces et des termitières. pas, c’est aussi votre histoire qui s’en va !” Au loin, les silhouettes entrelacées de collines Ces suppliques, martelées au journaliste abruptes font penser à des chromos de passage, expriment une inquiétude réelle. de déserts américains. Enfin, après 21 heures Aujourd’hui, les maigres revenus de la d’un périple aussi éprouvant que magnifique, compagnie proviennent uniquement du fret. le train entre en gare de Dire-Dawa. Le dernier projet de recapitalisation, avec Mais l’autorail pour Djibouti, tombé en panne un groupe sud‑africain, a échoué en 2007. dans le désert, n’est pas au rendez‑vous Beaucoup d’ouvriers, campés sur leurs vélos pour la seconde partie du voyage. chinois à la sortie des ateliers, prédisent L’histoire s’en va 64 la fin du CDE dans les trois années à venir. Plus tard, à l’heure de l’apéro, les cheminots Je profite de ce temps mort pour visiter le perpétuent une longue tradition de pétanque centre-ville. Ponctuée de bâtiments coloniaux, sur le terrain de l’Alliance française. de grandes avenues arborées et de petites Ici, on joue en doublette et dans le strict terrasses populeuses, Dire-Dawa est devenue respect des règles marseillaises. en un siècle la deuxième agglomération Depuis quatre jours, nous espérons le départ du pays. Située à mi-parcours de la ligne, de l’autorail vers Djibouti. Sur la place de la gare, la gare abrite les ateliers généraux des dizaines de paysans Oromos campent de la compagnie. Et si vous êtes français, les avec leurs récoltes. Sur le sol, des femmes portes de cet univers s’ouvrent d’autant plus. improvisent des petits maquis de braseros, Occasion pour les mécanos de faire passer tandis que les hommes jouent au carambola, un message d’actualité : “Les ingénieurs une sorte de billard italien à mains nues. français sont morts dans le désert pour créer Tout autour, sacs de céréales, ballots de textiles, ce train ! Et puis vous nous avez abandonnés ! grosses pastèques, bottes de poireaux, patates La compagnie n’a plus d’argent et les et pois chiches forment un amoncellement machines s’épuisent ! Il faut vite faire quelque qui résonne avec les tissus bigarrés. Finalement, en fin de journée, une locomotive de secours déjà entassés à bord, barricadent alors est trouvée. C’est la cohue pour l’embarquement ! les portes et les fenêtres. Chacun pour soi, Il faut se battre et se contorsionner pour c’est la règle pour arriver au bout d’un tel conserver un bout de banquette. Une heure voyage ! Pendant ce temps-là, cachés sous plus tard, les wagons sont pleins à craquer, les essieux, des petits voleurs démontent au sens propre. L’air farouche, chacun campe les tuyaux de freins en caoutchouc pour sur son tas de victuailles dans l’attente les revendre en ville. Il faudra les “chicoter” d’un départ imminent. Mon voisin, un petit sévèrement pour qu’ils restituent leur butin moustachu hilare, camoufle plusieurs kilos et que le convoi puisse repartir. Un peu plus de khat dans un sac de sous-vêtements. tard, passant au large d’un village, chacun Arbuste cultivé dans l’Est de l’Éthiopie, le khat se baisse pour éviter les cailloux envoyés est consommé par les peuples de la mer par des gamins hilares. Les commerçantes, Rouge. Cette drogue alcaloïde, stimulante et habituées à ces “sauvageons” du rail, euphorisante, fait vivre des milliers d’agriculteurs les insultent vertement en plusieurs langues. et de contrebandiers dans le pays. De très longues heures passent, tandis Chacun pour soi De gauche à droite : Abte et Yonas vont à Djibouti faire des affaires. C’est la cohue à la gare de Dire‑Dawa. Un cheminot à la retraite. que le voyageur, accoudé à la fenêtre, perd son regard vers l’horizon de collines brûlantes. Nous partons enfin vers Djibouti, vers la mer Peu à peu la lumière s’en va, et avec Rouge. C’est un pays aride de broussailles elle les dernières images de l’Éthiopie. et de collines pierreuses, parsemé de C’est la nuit africaine. Un cri de nourrisson campements d’éleveurs somalis. De temps résonne dans le wagon. La mère, à tâtons en temps, le chauffeur ralentit pour épargner dans l’obscurité, lui donne du pain trempé des dromadaires égarés. Occasion dans du thé tiède. À plusieurs reprises, de commerce, de contrebande, mais aussi le convoi stationne en panne en plein désert. de rapine, le passage du train dans les villages L’attente touche au fatalisme, pour moi comme est toujours un événement pour les habitants. pour les habitués du Train du Négus. Impatient, À Shinilé, le train est littéralement pris un homme descend avec son baluchon d’assaut par des resquilleurs. Les voyageurs, et s’enfonce dans le noir, le long de la voie. 65 voyage Finira-t-il le trajet à pied ? Vers minuit, le convoi, dans des fatras de vêtements immobilisés à proximité d’un village, nous et de légumes. À Djibouti, en Somalie voilà encerclés par des lueurs de torches et au Yémen, le khat éthiopien se paie au prix électriques. Des dizaines de silhouettes fort. C’est donc un commerce très rentable avancent furtivement dans les buissons. pour les petits trafiquants qui sont légion Chuchotements, craquements de branches dans le train. Ce jour-là, chacun fera profil sèches, les passagers deviennent inquiets bas, dans l’espoir de repartir au plus vite. et nerveux. Mes voisines parlent des brigands et de rebelles somaliens. Les soldats 66 La fin du désert descendent, la main sur la gâchette de leurs Les premières heures après la frontière mitraillettes. Un moment de tension, un silence, dévoilent un paysage lunaire, une érosion puis surgissant un enfant, encore un autre, totale, des précipices et des dépressions. et enfin toute une troupe ! Ce sont les gosses Avec la lumière rasante du matin, tout du village, attirés par le phare immobile ce panorama devient spectaculaire. de la locomotive, venus assister au spectacle Avec un point d’orgue à Holl Holl, gros bourg de la panne ! à cinquante kilomètres de Djibouti, lorsque Cinq heures du matin. C’est l’aube. nous passons sur le célèbre viaduc construit Tout le monde descend ! Bienvenue par Gustave Eiffel. Ce “monument historique”, à la frontière éthio-djiboutienne de Guelile, construit en 1900, est l’ouvrage dans le désert de l’Ogaden. Des bergers le plus important de la ligne et annonce Afars, agrippés à de longues cannes de bois, pour les voyageurs la fin prochaine du périple. peignes de pacotille dans leurs cheveux roux, Avec les derniers kilomètres, nous attendent, imperturbables, les tracasseries descendons brutalement. Après vingt‑cinq douanières. Au poste de police derrière heures de voyage, au détour d’un monticule, le grillage, l’accueil est un peu rustique. apparaît un mirage scintillant, c’est la mer Les soldats aux airs de matons et le capitaine Rouge, la fin du désert et le bout du voyage. ventru moulé dans son treillis kaki ne sont, Voilà Djibouti avec ses banlieues de sable, certes, pas là pour nous faire passer ses mosquées blanches, ses cheminées un bon moment. Leur mission : débusquer d’usines, ses légionnaires... les centaines de kilos de khat cachés dans Laurent Védrine 67 Abonnement gratuit à AT Magazine • Vous souhaitez modifier l’adresse à laquelle vous a été adressé AT Magazine. Merci de compléter le formulaire ci-dessous et de le renvoyer à l’adresse indiquée : Nom……………………………………. Prénom……………………………………… Entreprise ou collectivité… ……………………………………………………………… Fonction……………………………………………………………………………………… Adresse complète…………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………………………… Code postal……………….. Ville… ………………………………………………………… Pays… ……………………………………………………………………………………… • Vous souhaitez abonner l’un de vos collaborateurs à AT Magazine. Merci de compléter le formulaire ci-dessous et de le renvoyer à l’adresse indiquée : Nom……………………………………. Prénom……………………………………… Entreprise ou collectivité… ……………………………………………………………… Fonction……………………………………………………………………………………… Adresse complète…………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………………………… Code postal……………….. Ville… ………………………………………………………… Pays ………………………………………… 02 À renvoyer à : 2009 AT © Contribution d’Alstom Transport au futur ferroviaire AT Magazine c/o Alstom Transport 48, rue Albert Dhalenne 93482 Saint-Ouen Cedex France Adresse e-mail : L’espéranto du monde ferroviaire [email protected] Conformément à la loi Informatique et Liberté du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de suppression sur les données qui vous concernent. Vous pouvez exercer ce droit auprès d’Alstom Transport. © - ALSTOM Transport / Design&Styling - *Nous façonnons l’avenir - Jumpfrance MÉTRO METROPOLIS RÉINVENTER LE CONFORT DES PASSAGERS AU QUOTIDIEN Sur un modèle standard et éprouvé, Metropolis propose le choix d’options le plus large : la taille, la vitesse, les aménagements intérieurs et extérieurs sont modulables et s’adaptent à toutes les exigences. Metropolis est équipé des systèmes les plus performants qui facilitent la maintenance, optimisent la sécurité et l’information des passagers. www.transport.alstom.com © - ALSTOM Transport - *Nous façonnons l’avenir - Jumpfrance SOLUTION DE SIGNALISATION ATLAS VOYAGER DANS UN MONDE SANS FRONTIÈRE Solution de signalisation ERTMS✽, Atlas facilite le passage des frontières, contrôle et optimise en toute sécurité la vitesse des trains pour accroître la fluidité du trafic (passagers, fret) et le rendement des lignes. 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