L`espéranto du monde ferroviaire

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L`espéranto du monde ferroviaire
02
2009
AT
©
Contribution d’Alstom Transport
au futur ferroviaire
L’espéranto
du monde
ferroviaire
Interview
Le plus grand métro du monde
Entretien avec
Steven A. Feil et Gene Sansone,
du New York City Transit.
Événement
Alstom Transport à Innotrans 2008
Pages 40-41
Pages 2-9
Dossier
Cinéma
Pages 10-19
Pages 42-47
Technologie
Culture
Entretien avec Jean-Marc Nizet,
directeur de l’activité signalisation
Pages 48-53
Métro : un petit mot pour
un grand concept
L’espéranto du monde ferroviaire
Tra(in)velling avant
Hitchcock : l’obsession ferroviaire
London Transport Museum
Pages 20-29
Événement
Invité
Pages 30-31
Par Hubert Reeves
L’AGV : un été à Velim…
Dans un wagon doré….
Pages 54-57
Paris-Strasbourg : pari tenu
Pages 32-33
Société
Laboratoire d’économie des transports :
Éclairer les politiques publiques
de transport
Voyage
Le train du Négus
Pages 58-67
Entretien avec Alain Bonnafous
Pages 34-39
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AT Magazine
un think tank du ferroviaire
La mission d’AT Magazine est de contribuer au futur du
transport ferroviaire et de développer – avec l’aide des
meilleurs experts mondiaux – des pistes de réflexions sur les
enjeux clés de notre métier.
Les trains, les métros, les tramways font partie de la vie
quotidienne. À tel point qu’il est parfois utile de rappeler et
d’expliquer l’incroyable technologie nécessaire pour permettre
chaque jour à des centaines de millions de voyageurs de se
déplacer rapidement, à un prix acceptable, dans de bonnes
conditions de sécurité.
Les infrastructures ferroviaires façonnent les territoires, influencent
les sociétés et développent les économies sur plusieurs
décennies. Elles représentent des investissements importants
pour les collectivités dont les responsabilités sont par ailleurs
multiples : les transports, mais aussi la santé, l’enseignement…
C’est de toutes ces questions dont nous voulons débattre
dans AT Magazine, tout en partageant avec vous l’enthousiasme
des collaborateurs d’Alstom Transport sur l’avenir du transport
ferroviaire.
Bonne lecture !
Philippe Mellier
Président d’Alstom Transport
i
2
nte r v iew
Le plus
grand métro
du monde
Il faut du temps, de la stratégie et des sommes
considérables pour transformer une structure altérée
au‑delà du raisonnable en une organisation performante.
Branche majeure de la Metropolitan Transport Authority
(MTA), le New York City Transit poursuit la lourde
opération engagée dans les années 80 pour moderniser
son métro et améliorer durablement la qualité globale
du confort de ses passagers.
Steven A. Feil,
Senior Vice-President of NYC Transit’s
Department of Subways.
Avec sa toile complexe de lignes express
mais il occupe le premier rang mondial lorsqu’il
et omnibus aériennes et souterraines,
s’agit de la longueur des voies (1 050 km),
de divisions incompatibles A et B héritées
du nombre de stations (468) et de la flotte
du passé et une jungle technique en
de voitures en service (plus de 6 400).
coulisses, le monstre centenaire s’adapte
Après dix ans passés au métro
aux changements de société et de
de Washington DC où il avait été nommé
comportements. La hausse vertigineuse
Chief Operating Officer for Rail, Steven A. Feil
des prix du carburant et les sombres
est retourné à celui de New York en novembre
perspectives qui pèsent sur l’environnement
2007 pour y poursuivre les travaux de
ont dissuadé un nombre croissant de
modernisation à titre de Senior Vice-President
New‑Yorkais d’utiliser leurs véhicules, leur
of NYC Transit’s Department of Subways.
faisant préférer l’alternative publique plus
Gene Sansone est son directeur technique
économique et plus propre. Une évolution
(Chief Mechanical Officer). Il est depuis
qui rend le processus d’amélioration du
de nombreuses années un acteur des plus
système d’autant plus urgent. Aujourd’hui,
influents du renouvellement de la flotte et
en termes de nombre de voyageurs,
de sa maintenance. Il est également l’auteur
le premier mode de transport public
d’un ouvrage sur “son” métro(1).
de la grande cité américaine vient certes
après les métros de Tokyo, Moscou et Séoul,
(1) New York Subways: An Illustrated History of New York City’s
Transit Cars. By Gene Sansone. Baltimore, Johns Hopkins Univ.
Press, 2004 (orig. publ. 1997).

3

Comment décririez‑vous
le rôle du métro dans
les systèmes de transport
de la ville de New York ?
S. Feil : Le métro n’est pas seulement
le cœur de la vitalité de la ville mais aussi celui
de toute la région alentour. Notre système
est très vaste, très complexe et pour le moins
unique. Nous opérons 24 heures sur 24,
7 jours sur 7. Nous avons plus de 6 400 voitures
G. Sansone : En ce qui concerne le premier
et nous transportons entre 5,2 et 5,3 millions
programme, lorsque les voitures étaient
de passagers par jour... Nous sommes
en service depuis vingt ans – leur durée de vie
l’un des systèmes de transit les plus grands
moyenne est de quarante ans –, nous
et les plus performants du pays sinon
les mettions entièrement à nu en enlevant tout
du monde. Et l’un des plus anciens aussi !
l’équipement. S’il y avait des dommages
L’IRT (Interborough Rapid Transit) a été
structurels ou des travaux d’électricité à faire,
construit au tout début des années 1900
nous les réparions. Nous remplacions
et, plus tard, dans les années 40 et 50,
également les composants. Ce programme
le système a été agrandi pour devenir
a duré environ vingt ans, jusqu’à 1992.
l’appareil complexe qu’il est aujourd’hui.
Nous l’avons abandonné pour passer à une
Quel est le profil type
du passager ?
interview
Il y a deux étapes majeures
dans l’histoire récente
du métro de New York :
le General Overhaul Program
(programme général de remise
à niveau) des années 80
et, ensuite, le Scheduled
Maintenance System
(calendrier de maintenance).
En quoi diffèrent-ils ?
approche systémique. Au lieu d’attendre
que les voitures aient vingt ans pour les
remettre en état, nous travaillons sur la durée
S. Feil : Le passager type va de l’étudiant
de vie des grands systèmes – climatisation,
à l’employé de Wall Street, en passant
caisse, portes, freins, bogies, etc. – et nous
par tous les salariés de la classe moyenne
dressons un calendrier de maintenance
et autres travailleurs. Cette diversité s’explique
pour chacun d’entre eux.
par le fait que le métro reste le mode de
Il y a une autre différence : alors que
transport le plus rapide, le plus efficace et le
le principe du premier programme était
moins cher que nous pouvons offrir à la ville.
d’envoyer les voitures à une société qui
Vous prenez souvent le métro ?
se chargeait de faire les travaux pour notre
compte, le principe du deuxième programme
S. Feil : Aussi souvent que je le peux.
consiste à pratiquement tout faire nous‑mêmes.
Certaines semaines, je le prends tous
Bien entendu, sur la base d’un calcul
les jours. Parfois, je suis obligé d’emprunter
de coûts. Par exemple, comme nous n’avons
un mode de transport différent en fonction
pas les techniciens qualifiés pour réparer
de l’endroit où je dois me rendre, mais,
les fissures sur les bogies, nous les confions
dans la mesure du possible, je préfère
à une société de Chicago.
prendre le métro. J’ai certainement emprunté
la plupart des lignes mais je poursuis mon
exploration. J’ai passé dix ans ici dans
les années 80 et je n’ai toujours pas vu toutes
les zones souterraines que je voudrais voir.
Je pense qu’il me faudra encore deux ans
au moins pour y arriver !
Parallèlement à la
modernisation systématique
en cours de la flotte
et des infrastructures, quels
changements majeurs
ont été opérés pour réduire
la complexité du système
et accroître son efficacité ?
S. Feil : Je dirais que l’un des changements
majeurs est la réorganisation du département
des métros. Le président du NYC Transit,
4
Howard H. Roberts Jr., qui avait déjà fait

Gene Sansone,
directeur technique
(Chief Mechanical Officer).
5

une réorganisation similaire et réussie
au département des bus il y a quelques
années, est à l’origine de ce plan de
changement. Notre département compte
28 000 employés et son organisation
est actuellement très cloisonnée. Le concept
consiste à nommer des managers
de ligne responsables chacun d’une ligne,
et de regrouper plusieurs lignes sous l’autorité
d’un manager général. De cette façon,
au lieu d’être verticale avec un management
du sommet vers la base, l’organisation
est horizontale. Cela signifie une meilleure
intégration dans le reste du système et cela
nous rapproche également du client.
Quels problèmes
avez‑vous rencontrés ?
S. Feil : Les plus importants sont
certainement venus du fait que nombre
de gens qui avaient travaillé au NYCT depuis
vingt ans et plus, rechignaient à changer
de système. Ils aimaient la structure telle
qu’elle était auparavant. Quand vous essayez
interview
de réorganiser radicalement quelque chose
qui existe depuis longtemps, vous devez
et de Brooklyn est telle que le tout ressemble
toujours vous attendre à une certaine
à un plat de spaghettis avec la “boulette de
résistance. Notre système est tellement
viande” du downtown en bas de Manhattan !
unique et tellement complexe que cela prend
Ailleurs, si vous avez un problème
un peu plus de temps pour communiquer
sur l’un des rayons de la roue, cela ne
correctement les changements. Il faut être
va pas nécessairement impacter l’ensemble
certain que tous ceux qui sont impliqués
du système. Tandis qu’à New York,
les acceptent, de façon à ce qu’il n’y ait pas
la moindre interférence, le moindre incident
de résistance dans la phase de mise en place.
sur une ligne peut avoir des répercussions
Il s’agit d’identifier les points de résistance
étendues, ce qui complique d’autant
en amont et de rassurer les collaborateurs
la gestion opérationnelle. Vous tirez
pour que, le moment venu, l’opération
un spaghetti et tous les autres bougent !
s’effectue sans heurts.
(Ndlr : Gene Sansone est né à Naples).
Néanmoins, la configuration
du métro de New York reste en
soi passablement complexe...
Une autre curieuse
caractéristique est le système
des divisions A et B avec
leurs voitures de gabarits
différents. N’est-ce pas
là une complication technique
aussi bien qu’économique ?
G. Sansone : Terriblement complexe !
Si vous prenez une carte du métro de Londres,
de Paris, de Washington DC ou autres,
6
vous voyez un centre et les lignes du métro
S. Feil : L’IRT, ou division A, est plus
qui convergent vers ce centre. Comme
contraint dans ses équipements pour des
les rayons d’une roue. Mais à New York, j’en
raisons de dimension des infrastructures
plaisante avec mes étudiants, la géographie
et de tracé. Le système ne consiste pas
de Manhattan, du Bronx, du Queens
en une ligne droite, il y a beaucoup de virages
et de pentes à travers la ville, en particulier
d’abord des études approfondies de coûts
à travers la partie nord de Manhattan
en cherchant le plus petit dénominateur
(Upper Manhattan), il y a des tunnels sous
commun. Avec l’IRT, nous n’avons pas
l’eau et des sections aériennes. Le BMT
le choix, il nous faut des voitures de 15,5 m.
(Brooklyn‑Manhattan Transit), ou division B,
Mais pour le BMT, qui a des voitures
est un petit peu plus large et il utilise, de
de 18,5 m et de 23 m, le plus petit
ce fait, un équipement de plus grande taille.
dénominateur commun est 18,5 m. Nous
En conséquence, l’intégration de l’équipement
évaluons actuellement diverses options
n’est pas possible et cette restriction génère
concernant notre prochain gros achat.
évidemment des coûts.
Nous n’avons pas encore pris de décision.
Quelles sont alors les
limites de la standardisation
du matériel roulant ?
Jusqu’aux années 80, seuls
les constructeurs locaux
comme St. Louis Car,
Budd, Pullman fournissaient
le métro de New York.
Ensuite, ils ont été remplacés
par des constructeurs
étrangers basés aux États‑Unis,
Kawasaki, Bombardier
et Alstom. Pourquoi ?
G. Sansone : Nous nous efforçons depuis
toujours, ou presque, de standardiser.
Nous aurions adoré n’avoir qu’un seul gabarit
de voitures mais, physiquement, comme
le dit Steven, c’est impossible à cause
des différences de hauteur libre. C’est
comme avoir une flotte disparate de Peugeot,
G. Sansone : Tous ces grands constructeurs
Mercedes, BMW et Toyota, avec pièces
américains ont fait faillite, ce dont nous
de rechange et références pour chaque
sommes en partie responsables. Par exemple,
marque... Donc, quand nous standardisons
St. Louis Car, qui avait été un temps le plus
des segments de notre flotte, nous faisons
grand constructeur au monde, a eu le contrat

7

interview
du R44 dans les années 70. C’était une voiture
attendent et exigent un service de bonne
d’une nouvelle technologie, d’un concept
qualité, un bon service client, un système
différent, plus longue, plus grande, plus
de transport propre et efficace. Ils sont
rapide... Ce n’était pas notre programme mais
parfaitement en droit d’attendre et d’exiger
le leur. Il leur a fallu énormément de temps
cela. La fréquentation du métro a augmenté
pour la construire et ils ont pris trop de retard.
de manière constante dans le sillage de
Avec un taux d’inflation de 15 % à l’époque
la hausse des prix du carburant. Compte tenu
et nos contrats à prix fixe, ils ont perdu
de la récente baisse des prix du pétrole,
tellement d’argent qu’ils ont déposé le bilan.
on pourrait s’attendre à voir la fréquentation
Vous ne travaillez jamais avec
des petits constructeurs ?
retomber mais ce n’est pas encore le cas.
Peut-être dans les deux ou trois mois qui
viennent... en tout cas, je n’ai pour l’instant
G. Sansone : Quand nous achetons des
vu aucun rapport en ce sens. Le métro
voitures, nous en achetons par centaines
permet de se déplacer facilement en ville
à la fois, voire un millier... Si vous n’êtes pas
et, comme je le disais, c’est toujours le moyen
une très grande entreprise, vous prenez
de transport le moins onéreux, le plus rapide
un gros risque. Les choses peuvent aller
et le plus efficace à New York.
de travers, le projet peut être retardé, les prix
des matières premières, par exemple l’acier,
peuvent augmenter... Ce qui fait que ces
entreprises‑là ne veulent pas prendre le risque
Quelles alternatives
envisagez‑vous qui vous
permettraient d’accueillir
davantage de passagers ?
économique de nous vendre des voitures.
Les seules qui veulent faire des affaires
S. Feil : Certaines lignes fonctionnent déjà
avec nous sont les très grandes.
pratiquement à pleine capacité. Donc,
Est-ce que les passagers sont
satisfaits de la modernisation
de leur métro ? Que
souhaitent‑ils, qu’exigent‑ils ?
nous étudions très attentivement les zones
dans lesquelles nous pourrions l’augmenter
en introduisant de nouvelles technologies,
et ce avant de prendre la décision arbitraire
de renforcer le service sur telle ou telle ligne.
8
S. Feil : Je pense que, comme dans
L’une des options que nous explorons
la plupart des autres villes, les New-Yorkais
en ce moment est le contrôle automatique
des rames (communication-based train
les sommes que nous avons demandées
control ou CBTC). Cette technologie permet
mais, pour l’instant, nous devons procéder
d’accroître en toute sécurité la capacité
à des ajustements dictés par le contexte
du réseau en augmentant le nombre de trains
économique actuel.
circulant en période de pointe sur les lignes
qui en ont besoin. De plus, nous envisageons
également d’introduire, aux heures de pointe
et sur certaines lignes particulièrement
denses, un blocage automatique des sièges
en position verticale. Cela permettrait
d’augmenter de 7 % environ l’espace
disponible dans les voitures.
G. Sansone : En ce qui concerne le service
Compte tenu du budget
d’austérité approuvé par
le MTA à la mi-décembre
et les 23 % d’augmentation
de recettes nécessaires
pour combler le déficit,
une augmentation des tarifs
est‑elle inévitable dans
le métro ?
client, nous introduisons de nouveaux moyens
S. Feil : Cela ne devrait pas être la première
d’information tels que plans de quartiers,
solution, mais il faut bien être conscient
messages enregistrés, messages déroulants
que si l’on veut offrir un niveau d’efficacité
et, dans un proche avenir, des écrans LCD
constant sinon meilleur, il n’y a parfois pas
qui donneront encore plus d’informations
d’autre alternative que d’augmenter les tarifs.
aux passagers.
De quelle manière la crise
économique actuelle
impacte‑t‑elle vos activités ?
Quels sont les prochains
défis ?
S. Feil : Le nouveau programme managérial
que j’ai mentionné plus haut va nous
permettre de nous rapprocher étroitement
est toujours un problème. Cependant, nous
du service client, d’obtenir une plus grande
devons faire très attention à ne pas laisser
efficacité opérationnelle et de poursuivre
le système se détériorer pour des raisons
l’intégration de l’IRT avec le reste du système,
de contraintes budgétaires. Nous veillons
de façon à fournir le même niveau de service,
à ne compromettre ni la sécurité du réseau
voire un niveau supérieur, aux habitants
ni le niveau de service mis en place.
de New York.
Il est évident que nous aimerions recevoir
Propos recueillis par Françoise Nieto

S. Feil : En ces temps de crise, le budget
L’inox mythique
On aime ou on n’aime pas mais à New York, comme partout ailleurs
aux États‑Unis, les voitures de métro sont en inox. Non peint. Dans la grande cité
au bord de l’Atlantique, au-delà d’une esthétique très américaine, son utilisation
a de multiples justifications : il dure plus longtemps que les autres, il est plus
résistant aux flammes que l’aluminium et le sel marin ne l’attaque pas.
Quid des graffiti qui avaient commencé à fleurir sur les flancs des rames dans
les années 70 ? L’inox est lavable... Après une campagne qui a duré des années
et coûté près de 300 millions de dollars, ils ont pratiquement disparu.
Mais, malgré un entretien quotidien et la surveillance sans relâche de la Vandal
Task Force (la brigade antivandalisme de la police new-yorkaise), les tagueurs
ne s’avouent toujours pas vaincus : un nouveau type de peinture est apparu,
en fait une solution à base d’acide mélangé à de la peinture (ou du cirage)
qui laisse des traces indélébiles. Un problème que la pellicule transparente
dont on recouvre les voitures et les vitres ne suffit pas à résoudre.
Ces bombes sont interdites à la vente aux moins de 18 ans...
9
d
os sie r
10
Métro. Apocope du terme “métropolitain”,
lui‑même abréviation de “chemin de fer métropolitain”.
Un tout petit nom pour un très grand concept.
Né à Londres au milieu du XIXe siècle pour régler –
déjà ! – les épineux problèmes de circulation que
connaissait la capitale britannique, il a essaimé
en l’espace de 150 ans à travers toute la planète pour
s’imposer comme l’un des principaux modes de
transport urbain. Mais que reste-t-il à Manille ou
à São Paulo du premier subway londonien ?
Rien ou presque. Sinon un esprit, un zeste
d’indéfinissable. Car ces métros, pourtant
si différents, racontent finalement tous la même
histoire : la chronique quotidienne d’un
lien social et citadin. Retour sur une
extraordinaire odyssée technique
et humaine, riche d’un passé
illustre et porteuse d’un
futur prometteur.
Métro : un petit
mot pour un
grand concept
11
À la conquête du monde
emboîteront rapidement le pas. Tokyo devra
Tout est parti d’un inventeur anglais :
Le métro ne connaîtra cependant son véritable
Charles Pearson. Et d’une idée farfelue :
essor qu’au lendemain de la Seconde Guerre
lancer un chemin de fer urbain souterrain
mondiale. Ville par ville, continent par
sur une ligne dédiée. Un premier tronçon de
continent, de nouveaux réseaux seront créés
6,5 km reliant Farringdon Street à Paddington
ou étendus. L’Afrique accueillera sa première
construit dès 1863 remportait immédiatement
ligne en 1987, au Caire. Les grandes villes
un réel succès populaire, malgré les difficultés
asiatiques et sud‑américaines, confrontées à
nées de l’évacuation de la vapeur dans
une pression démographique sans précédent,
le tunnel. Moins de dix ans après, naissait
rejoindront le concert mondial au cours
le premier métro continental à Istanbul
des dernières décennies du XXe siècle.
– le “tünel” – suivi de près par celui de
Budapest en 1896, puis de Vienne en 1898.
12
Scénariste des villes
Paris inaugurera sa première ligne électrique
La définition actuelle du métro, telle
dédiée à la desserte de l’Exposition
qu’établie par le Comité des métropolitains de
Construction du métro parisien :
traversée de la Seine au Châtelet, 1905. universelle en 1900. Berlin puis New York
dossier
attendre 1927 pour en bénéficier enfin.
l’UITP, frappe par sa technicité et sa précision.
urbain à proportion qu’il le façonne et
le recompose. Les modes de représentation
et l’agencement spatial des villes,
au travers de cartes, de plans et d’itinéraires,
s’en trouvent profondément modifiés.
Ainsi, la scénarisation du métro parisien
conçue par Fulgence Bienvenüe aura-t-elle
grandement contribué à la mise en valeur
de la capitale française.
Mais les temps changent. Diastole, systole :
entre centralisation en concentration
d’une part, extension en déconcentration
de l’autre, les grandes agglomérations
se sont transformées depuis un demi-siècle
Metropolis :
un métro d’avance
en autant d’espaces saturés.
Et les centres‑villes en véritables aspirateurs
Metropolis a été conçu par Alstom
pour répondre avec précision
aux besoins des opérateurs
de transport urbain des grandes
métropoles. Qu’il s’agisse de créer
des lignes nouvelles ou de rénover
des réseaux historiques, Metropolis
propose des technologies modernes,
éprouvées et performantes.
Leur fiabilité et leur flexibilité
répondent à un triple objectif :
optimiser le confort et la sécurité
des voyageurs, réduire les coûts
de maintenance et de
fonctionnement, faciliter la gestion
du parc matériel et du trafic.
Conçu à partir d’un socle
de composants standardisés,
parfaitement éprouvés, Metropolis
laisse à chaque opérateur une
grande liberté de personnalisation :
styles extérieur et intérieur,
dimensions, matériaux…
Grâce à une capacité pouvant aller
jusqu’à près de 100 000 personnes
transportées par heure et
par direction, il garantit en outre
une fluidité optimale du trafic.
Avec plus de 2 700 voitures vendues,
Metropolis s’est imposé dans
le monde entier comme une solution
performante et reconnue.
urbains. À titre d’exemple, Tokyo voit affluer
Fulgence Bienvenüe, le père du métro parisien.
plus de 2 millions de personnes en son centre
nerveux – dont 93 % par les transports
en commun – aux seules heures de pointe…
Plus qu’une évolution, une révolution !
Il s’agit “d’un chemin de fer conçu pour
constituer un réseau permettant le transport
Le temps des mégalopoles d’un grand nombre de voyageurs à l’intérieur
On ne peut penser l’avenir du métro – produit
d’une zone urbaine au moyen de véhicules
urbain par destination – sans penser l’avenir
sur rails avec contrôle externe, dans
de la cité. Car si un terrien sur deux peuple
un espace totalement ou partiellement
les villes à ce jour, deux sur trois seront
en tunnel et entièrement réservé à cet usage”.
des citadins à l’horizon 2030. Métropole,
Une description qui s’affranchit cependant
Mégapole, Métapole : l’inflation des
d’une dimension sociologique et sociétale
vocables décrit parfaitement cette trajectoire
fondamentale.
exponentielle des populations urbaines.
Car le métro n’est pas un moyen
Engorgement progressif, exclusion spatiale,
de transport public comme les autres.
congestion des moyens de transport…
Au-delà de sa performance technologique,
La planète s’engage inéluctablement sur le
il opère en effet un mélange social, de
chemin d’une urbanisation extrême alimentée
nationalités, de cultures et de générations.
par un exode rural massif et durable.
“Tel est l’un de ses paradoxes : s’il constitue
États occidentaux comme pays en voie
une parenthèse mobile dans l’espace
de développement sont chaque année un peu
urbain et l’emploi du temps des voyageurs,
plus concernés par la gestion de ces géantes
il s’impose également comme un espace de vie
urbaines. Les seconds toutefois plus que
spécifique, une sphère autonome”, affirment
les premiers : sur les trente-six mégalopoles
Jean‑Charles Depaule et Philippe Tastevin,
– unités urbaines de 8 millions d’habitants
deux ethnologues immergés, le temps
et plus selon la définition de l’Unesco –
d’une étude, au cœur du réseau cairote.
que comptera la planète en 2015, trente
Considéré dans sa globalité – étendue de
seront situées dans les régions émergentes.
ses réseaux, interconnexions, équipements,
Sur le seul continent asiatique, trois cents
stations – il s’insère en effet dans l’espace
villes concentreront chacune plus d’un million

13

dossier
Le métro de Shanghai
est actuellement
le plus grand réseau
de métro de Chine.

Le métro, premier outil
d’aménagement de l’espace
de personnes. Elles s’articulent déjà autour
de territoires toujours plus vastes et mal
équilibrés. L’embolie de leurs voies de dessertes
et de leurs artères, la pollution de certains
Colonisation urbaine, nouvelles technologies,
de leurs quartiers les amènent inéluctablement
mobilité des habitants… Les moyens
à privilégier des modes alternatifs
de communication ne disposent désormais
de transport, si possible souterrains, rapides
d’autre choix que d’aller à la rencontre
et sûrs. “La périurbanisation remplace
des territoires. Une poussée qui incite
la croissance dense et continue autour des
de plus en plus les grandes métropoles
métropoles par une extension sur des territoires
à se doter de schémas de développement
distendus, hétérogènes et multipolarisés,
plus ou moins affûtés. Outil premier
sans limites précises entre la ville
d’aménagement de l’espace, le métro occupe
et la campagne. Les interrelations entre
indéniablement une place de choix dans
ces unités urbaines différenciées impliquent
ces nouvelles stratégies urbaines, portées
un accès facile aux moyens de communication
par une logique d’intermodalité grandissante.
et de mobilité qui conditionnent leur
À l’instar des tramways, des bus ou des
fonctionnement”, confirme Michel Rochefort .
(1)
trains régionaux, il offre en effet des solutions
adaptées aux objectifs d’une croissance
14
(1) Professeur de géographie à l’université de Paris I et président de
l’Institut français d’urbanisme. Source : Revue Courrier de la Planète.
plus harmonieuse et plus équilibrée
des zones urbaines. Avec une différence
de taille : il est le seul à ne pas interférer
dans les aménagements de surface des villes.
Un atout majeur quand la qualité de vie,
la préservation des quartiers historiques
et le développement des espaces piétons
président le plus souvent à la restructuration
des cités.
Si, à ce jour, deux voitures de métro sur trois
roulent en Europe ou en Amérique du Nord,
la donne, on vient de le constater, va
Lausanne : le métro
d’Alstom se prend pour
un funiculaire
profondément changer. Extensions de lignes
dans les cent quinze villes déjà équipées,
nouveaux réseaux dans les mégalopoles de
Avec l’ouverture fin 2008 du
métro M2, premier métro suisse,
Lausanne a rejoint le club des
grandes villes équipées d’un métro.
Empruntant pour partie le tracé
d’un ancien funiculaire, le M2 bat
également tous les records
de déclivité. Des Croisettes à Ouchy,
le métro monte et descend une pente
de 12 %, au fil de ses quatorze
stations. Les quinze rames articulées
et entièrement automatisées
(technologie Urbalis 300) ont été
conçues et fabriquées par Alstom.
25 millions de passagers devraient
l’emprunter chaque année.
De quoi faire bouger la ville…
demain… Le marché s’annonce extrêmement
prometteur, notamment en Inde, en Asie
et en Amérique du Sud. Sans oublier bien
sûr le renouvellement des flottes existantes :
aujourd’hui, une voiture sur cinq dans
le monde date de plus de trente ans.
Les opérateurs sont en outre soumis à
de lourds impératifs : transporter au quotidien
toujours plus de passagers et assurer
une fluidité optimale du trafic en augmentant
fréquences et vitesses, en développant
des voitures hypercapacitaires,
en garantissant une meilleure modularité.
Ils doivent aussi mieux prendre en compte
le confort et la sécurité des passagers
De Kyoto à Grenelle, en Europe comme
dans un souci d’éthique et de qualité de
ailleurs, le développement des transports
service : aménagement optimal des espaces
collectifs participe enfin de la lutte en faveur
intérieurs, ergonomie des sièges, facilités
de l’environnement. Recyclables à près
d’accès et de déplacement, systèmes
de 95 %, moins bruyants, économiques
de surveillance, accessibilité des personnes
en énergie, les métros seront amenés
à mobilité réduite, informations en temps réel…
à occuper une place décisive dans les futures
Autre type de réponse possible :
batailles contre toutes les formes de
la généralisation des métros automatiques
pollution urbaine. À moins que n’émergent,
ou semi-automatiques. Bien que coûteuse,
au fil des décennies, ces métropoles
cette solution apparaît sans conteste comme
“idéales” rêvées par les urbanistes, organisées
l’une des plus efficaces pour intensifier
autour d’espaces d’équilibre, de pôles
les flux en toute fiabilité et réduire les temps
aux fonctionnalités mieux réparties : habitat,
d’attente en station. Après Singapour
travail, services, commerces, loisirs…
– le plus grand métro automatique au
La seule garantie d’une solution d’ensemble
monde – São Paulo, Milan ou Shanghai,
enfin adaptée aux problèmes de transport.
le dernier‑né, inauguré à Lausanne
le 18 septembre 2008, s’inscrit résolument
dans cette tendance de fond (voir encadré).

15
dossier
Le tour
du monde
en quatre
métros
Impossible de réduire le métro
à un simple mode de transport.
Emblématique de “sa ville”,
il renvoie à des mythes riches
et variés. Petite promenade
initiatique au cœur de quelques
lignes d’exception.
16

Moscou : le mythe politique
En décembre 1931, s’ouvre le chantier du métro
de Moscou, pensé comme un palais souterrain
dédié à la gloire de l’empire soviétique.
Bien plus qu’un moyen de locomotion au
service des Moscovites, il est construit pour
symboliser le mythe même du soviétisme.
“Tous à la construction du métro” : le slogan
vaut oukase. Le chantier est incroyablement
médiatisé : films, photos, articles, affiches…
Des experts internationaux sont engagés
pour apporter leur expérience. Des équipes
entières d’architectes scénarisent les
extraordinaires décors des stations, dans
un esprit néoclassique socialiste. Le résultat
sera à la hauteur de l’investissement financier,
humain et technique : impérial...
Son extension se poursuivra tout au long
du XXe siècle : “Un récit mythique, où se lit
le chaos géologique du sous-sol de la capitale
et sa transformation en espace social
à Money Train en passant par Un jour
collectif”, selon la spécialiste Josette Bouvard.
à New York, il s’est imposé au fil du XXe siècle
À ce jour, le métro de Moscou reste le deuxième
comme un “personnage” central et
du monde en termes de passagers, juste
incontournable de la filmographie américaine.
derrière Tokyo. Il transporte quotidiennement
Dans un genre très différent, il servira
plus de 7 millions de passagers, soit plus que
également de support originel à l’émergence
les métros de Londres et de New York réunis.
des premiers tags bien avant que cette
New York :
le mythe underground
mode – transformée en art – ne rejoigne
les galeries huppées des grandes avenues.

Si le métro new‑yorkais porte le nom
de subway – pendant anglais du terme
“souterrain” – 40 % de ses lignes suivent
un tracé aérien porté par des viaducs,
ponts et structures diverses de fer et
de béton. Quotidiennement emprunté par
5 millions de voyageurs, il est devenu dans
l’inconscient collectif un véritable symbole
culturel de Big Apple. À l’image d’ailleurs
des fameux Yellow Cabs, emblématiques
taxis de Manhattan. De French Connection
17
dossier
Le théâtre de Singapour.

Singapour :
le mythe moderniste
en 1987, il s’est rapidement étendu, porté
par la volonté politique des autorités locales.
Fort de ses 110 km de lignes et
La capitale sud‑asiatique s’enorgueillit
de ses 64 stations, il compte à ce jour près
à juste raison de posséder l’un des réseaux
de 1,5 million de voyageurs par jour. Suite
les plus modernes au monde. Inauguré
au succès de la très fameuse North East Line
(NEL) automatique, qui transporte jusqu’à
2 000 passagers par train avec une fréquence
de passage inférieure à 90 secondes,
l’opérateur singapourien a décidé
de construire une voie circulaire de 33 km,
baptisée Circle Line. Elle sera – lors de son
ouverture en 2010 – la plus longue ligne
de métro automatisée au monde.
18
Rio de Janeiro :
le mythe exotique
toutefois plus aux exigences d’une mégapole
de 10 millions d’habitants. Des projets
d’extension sont actuellement à l’étude pour
que le rêve s’accorde avec les besoins réels
un éventail d’images tout en contraste :
des Cariocas.
exotisme, onirisme, carnaval mais également
Éric Dumoulin

Rio de Janeiro véhicule à travers le monde
violence, favelas, pauvreté endémique.
Son métro, ouvert en 1979, totalise 38 km
et dessert 33 stations, dont certaines
aux noms évocateurs comme Maracanã,
sans oublier très prochainement Ipanema…
Moderne, plutôt fonctionnel, il ne répond
19
t
20
e chnologie
l’espéranto
du monde
ferroviaire
Augmenter les vitesses commerciales, réduire les
intervalles entre deux trains, abolir les frontières, diminuer
les coûts d’exploitation et de maintenance… L’enjeu
de l’interopérabilité des systèmes de signalisation ferroviaire
n’est rien d’autre que d’accroître la compétitivité du rail
par rapport à la route, en y ajoutant une sécurité maximale.
Alstom Transport, en avance dans ce domaine, en fait
une priorité stratégique.
Jean-Marc Nizet,
directeur de l’activité signalisation
au centre d’excellence ERTMS(1)
d’Alstom Transport à Charleroi, en Belgique.
(1) European Rail Traffic Management System.
Capable à la fois de servir les politiques
le développement du transport ferroviaire pour
environnementales des États et d’apporter
l’acheminement des voyageurs et du fret.
une réponse à la hausse du coût
Si l’enjeu est considérable, les difficultés sont
de l’énergie, le rail bénéficie aujourd’hui
à la hauteur : à la différence du transport
d’un regain d’intérêt manifeste de la part des
aérien, développé dans un cadre réglementaire
pouvoirs publics de nombreux pays à travers
harmonisé mondial et suivant des spécifications
le monde. C’est notamment le cas de l’Union
techniques homogènes, le ferroviaire est
européenne dont les autorités nationales
l’héritier de logiques territoriales nationales.
et communautaires ont décidé d’encourager
En résultent une mosaïque de règlements et

21
technologie
22
ERTMS NIVEAU 1
Codeur
(leu)
* ETCS :
European
Train
Control
System

L’ERTMS
en bref
Signal
Traditionnel
L’ERTMS est une
norme européenne
qui standardise
les 23 différents systèmes
de signalisation présents
en Europe et qui instaure
un nouveau système
unique facilitant le passage
des frontières.
Il existe trois niveaux :
Circuit
de voie
ETCS*
Eurobalise
une multiplicité de spécifications techniques
la signalisation a évolué au fil du temps afin
qui relèvent de la tour de Babel.
d’offrir un système de sécurité conforme aux
Pour une locomotive électrique, par exemple,
normes en vigueur. Au cours des dernières
franchir les frontières intra-européennes
décennies, on a ainsi vu chaque constructeur
suppose, entre autres, d’être apte
développer, sur un marché national captif,
à fonctionner sous différentes tensions
son propre système propriétaire :
et à interpréter de nombreux systèmes
contrôle de vitesse par balises (KVB) en
de signalisation. Dans l’univers ferroviaire,
France, transmission balise-locomotive (TBL)
cette disposition au polyglottisme est
en Belgique, Punktförmige Zugbeeinflussung
désignée sous le terme d’interopérabilité.
(PZB) en Allemagne, Automatische
Quel défi représente aujourd’hui
treinbeïnvloeding (ATB) aux Pays-Bas, etc.
l’interopérabilité dans le domaine
Autant de développements qui ont supposé
de la signalisation ferroviaire ? Quelles sont
des investissements importants et expliquent
les solutions opérationnelles ? AT Magazine
la difficulté qu’éprouvent aujourd’hui certains
a rencontré Jean-Marc Nizet, directeur
opérateurs et gestionnaires d’infrastructures
de l’activité signalisation au centre
ferroviaires à migrer vers de nouveaux
d’excellence ERTMS d’Alstom Transport
systèmes intégrés.
ERTMS niveau 1
Il fonctionne au moyen
d’un ensemble de
balises placées au niveau
de chaque signal
qui transmettent
ponctuellement les
informations nécessaires
à la régulation
de la vitesse des trains.
ERTMS niveau 2
Une liaison continue entre
le sol et le bord par
radio (GSM-R) permet
au conducteur d’être
en contact permanent
avec les centres
de contrôle, rendant
inutile la traditionnelle
signalisation de voie.
ERTMS niveau 3
En cours de
développement, cette
troisième génération
permettra un transfert
d’intelligence du sol
vers le bord.
Les trains pourront
envoyer de façon
autonome leur position
exacte vers le centre de contrôle, sans
système de balises.
à Charleroi, en Belgique.
En quels termes se pose
aujourd’hui le problème
de l’interopérabilité des
systèmes de signalisation
ferroviaire en Europe ?
Comment la coexistence
de multiples systèmes
de signalisation se traduit-elle
concrètement sur les
lignes transfrontalières ?
Prenons l’exemple du Thalys qui relie entre
Jean-Marc Nizet. Dans chaque pays se sont
elles les villes de Paris, Bruxelles, Cologne
développés des systèmes de signalisation
et Amsterdam. Pour assurer une continuité de
destinés, en priorité, à assurer la sécurité
service dans les quatre pays correspondants,
des voyageurs en commandant, par exemple,
chaque rame Thalys doit interfacer pas moins
l’arrêt d’un train en un point et dans
de huit systèmes différents. Cela signifie,
un contexte donnés. Passant du simple feu
entre autres, l’ajout de capteurs, d’antennes
rouge aux systèmes d’aide à la conduite,
et de périphériques spécifiques sur les

23
ERTMS NIVEAU 2
* ETCS :
European
Train
Control
System

technologie
Antenne
Circuit
de voie
ETCS*
Eurobalise
motrices. Outre l’encombrement d’un tel
mais captif, à un grand marché ouvert
dispositif, cette contrainte d’interopérabilité
à la concurrence. Afin de soutenir le
génère des surcoûts en termes
développement de l’ERTMS, la Commission
d’investissement, de développement,
a investi dans l’équipement de lignes
d’acquisition, de formation des conducteurs et
pilotes dans différents pays membres comme
de maintenance. Une analyse de la
l’Italie, la France ou l’Allemagne. J’aimerais
Commission européenne a montré, à cet
cependant souligner un point important :
égard, que la coexistence en Europe de plus
si, à l’heure actuelle, les progrès de
de vingt systèmes différents de contrôle de
l’interopérabilité sont essentiellement guidés
vitesse, totalement incompatibles, représente
par des priorités européennes, ils peuvent
un obstacle majeur au développement du
concerner demain d’autres pays du monde
trafic ferroviaire international et handicape le
– notamment ceux que l’on a désormais
rail dans son effort de compétitivité par
l’habitude de regrouper sous l’appellation
rapport à la route. Cette analyse a jugé
‘BRIC (2)’ – susceptibles d’être intéressés
indispensable de casser les logiques
par des spécifications techniques
nationales pour aboutir à une harmonisation
multiconstructeurs, garantes d’une plus
des spécifications techniques.
forte concurrence dans les réponses aux
C’est ainsi qu’est né l’ERTMS,
système européen de gestion
du trafic ferroviaire…
En effet. À l’instigation de la Commission
européenne, les constructeurs membres
24
Radio Block
Center
appels d’offres et de la possibilité de changer
de constructeur en cas de besoin.
Quel rôle joue Alstom Transport
dans le développement
de l’ERTMS ?
de l’Union des industries ferroviaires
Contribuer à rendre le rail concurrentiel
européennes (Unife) se sont assis autour
par rapport à la route est incontestablement
d’une table afin de réfléchir ensemble
une priorité stratégique d’Alstom Transport
à des spécifications valables pour l’ensemble
qui s’attache à fournir des solutions offrant
des pays et des constructeurs européens.
un haut degré de disponibilité, de sécurité,
Pour ces derniers, l’ERTMS représentait
d’ergonomie, de performance et, bien sûr,
un changement complet de business model,
de compétitivité. L’implication très forte
avec le passage d’un marché certes restreint
(2) Brésil, Russie, Inde, Chine.
Avec Atlas, l’interopérabilité
avance à pas de géant
Système universel développé par Alstom Transport
afin d’accroître la flexibilité et la capacité du trafic
ferroviaire, Atlas intègre par conception deux
fonctions de base : d’une part, la transmission
d’informations sur l’état du trafic et sur son
évolution (vitesse autorisée, aiguillages, distance de
sécurité entre les trains, etc.), de l’autre, le contrôle
automatique de la vitesse. Atlas couvre les deux
niveaux de technologies aujourd’hui opérationnels :
l’ERTMS de niveau 1 et l’ERTMS de niveau 2.
En répondant à une double problématique –
géographique, car il permet l’interopérabilité
sur les corridors ferroviaires en Europe,
et opérationnelle, puisqu’il s’applique à tout type
de train de voyageurs ou de fret – Atlas offre
un gain substantiel de flexibilité dans l’exploitation
des lignes conventionnelles, intérieures
ou transfrontalières, puisqu’il est désormais
possible d’y faire passer consécutivement un train
de fret suivi d’un train régional, d’un train
de banlieue ou d’un train à grande vitesse.
En effet, les trains reçoivent l’information nécessaire
pour anticiper et adapter leur vitesse en toute
sécurité, ce qui optimise les phases d’accélération
et de décélération, autorisant une réduction
des distances de sécurité entre les trains et,
par conséquent, une augmentation de la capacité
de trafic des lignes de 10 à 20 % en moyenne.
Parmi les vingt projets actuellement déployés
dans dix pays, quatre illustrent plus particulièrement
les applications possibles d’Atlas,
que ce soit sur les lignes à grande vitesse,
les lignes conventionnelles, suburbaines ou de fret.
Il s’agit de la ligne à très grande vitesse
Rome‑Naples, équipée du niveau 2 d’Atlas,
du nœud ferroviaire de Mattstetten‑Rothrist,
sur la ligne conventionnelle Berne-Zurich,
pour laquelle les Chemins de fer fédéraux suisses
(CFF) ont choisi l’équipement sol Atlas de niveau 2,
de la ligne suburbaine d’Athènes reliant
le centre‑ville à l’aéroport, équipée pour
les Jeux olympiques de 2004 du niveau 1 d’Atlas
et, enfin, de la Betuwe Route, ligne de fret pour
laquelle Alstom Transport a fourni un dispositif Atlas
pour le sol, constitué de trois radio block centres,
1 650 eurobalises et cinq postes d’aiguillage.
Dans le domaine de la signalisation ERTMS,
les parts de marché d’Alstom Transport s’élèvent
à 23 % en Europe et à 22 % dans le monde.
En effet, la compétitivité et l’universalité d’Atlas
en font une solution attractive bien au-delà
de l’Europe. À cet égard, la Chine, l’Inde
et l’Algérie, notamment, ont déjà manifesté leur
intérêt pour cette solution opérationnelle.
de l’entreprise dans l’ERTMS et son avance
dans ce domaine relèvent de cet
engagement. Alstom Transport a conçu une
solution ERTMS à la fois modulable, ce
qui permet de passer facilement d’un niveau
de supervision à un autre, complète,
car elle intègre le bord et le sol, et compatible
aussi bien avec les lignes à grande vitesse
que classiques. Cette solution unique
sur le marché, c’est Atlas (cf. encadré).
Sur quelles réalisations
s’appuie Alstom Transport
en matière d’ERTMS ?
Tout d’abord, de manière générale,
Alstom Transport a largement contribué
à faire aujourd’hui de l’ERTMS une réalité.
En effet, chaque jour, pas moins de 700 trains
équipés par Alstom Transport opèrent
commercialement en ERTMS niveau 2
à travers l’Europe. Ceci représente à ce jour
pas moins de 12 millions d’heures cumulées
de fonctionnement en service commercial.
Plus spécifiquement, les projets que nous
menons sont essentiellement de deux types :
d’une part, les lignes à grande vitesse, de
l’autre, les corridors de fret. Dans le domaine
de la grande vitesse, Alstom Transport
a équipé les 216 km de la ligne Rome-Naples
d’un ERTMS de niveau 2 et fourni
aux chemins de fer italiens l’équipement
embarqué Atlas pour 27 trains de type
ETR 500 roulant à 300 km/h. Cette ligne
est en service commercial depuis décembre
2005. Aujourd’hui, nous équipons les lignes
Bologne-Florence en Italie, Liège-frontière
allemande (ligne 3) et Bruxelles-Anvers-frontière
néerlandaise (ligne 4) en Belgique, et avons
obtenu des commandes pour équiper l’AGV
de l’opérateur privé italien Nuovo Trasporto
Viaggiatori (NTV) ainsi que les rames ICE3 de
l’opérateur national allemand Deutsche Bahn AG.
Qu’en est-il des corridors
de fret ?
La Commission européenne a défini
six corridors Ecofret et mobilisé des moyens
particuliers sur deux d’entre eux : Rotterdam-

25
technologie
26

Gênes (corridor A) et Anvers-Lyon (corridor C).
en Allemagne. Alstom Transport est
Sur le corridor A, la Suisse notamment était
également le premier constructeur à avoir mis
confrontée à une problématique de rénovation
en service une solution permettant de couvrir
de son infrastructure ainsi qu’à un problème
un corridor complet (en l’occurrence entre
de capacité (pour les trains passagers),
Rotterdam et Gênes). De manière générale,
en particulier sur les 45 km du segment
nous travaillons aussi avec tous les
Mattstetten-Rothrist, véritable goulet
grands constructeurs de matériel ferroviaire,
d’étranglement du réseau. Afin de faire passer
pour lesquels nous avons déjà équipé
de 160 km/h à plus de 200 km/h la vitesse
34 types de trains différents, si bien qu’à
commerciale des trains sur ce segment,
ce jour, 72 % des trains en service commercial
avec un intervalle inférieur à deux minutes
dotés de l’ERTMS sont équipés d’Atlas
entre deux trains, les Chemins de fer fédéraux
avec lequel ils ont parcouru une distance
suisses (CFF) ont lancé un appel d’offres
cumulée de plus de 16 millions de km.
“À ce jour, 72 % des trains en service commercial dotés
de l’ERTMS sont équipés d’Atlas avec lequel ils ont parcouru
une distance cumulée de plus de 16 millions de km.”
à l’issue duquel Alstom Transport s’est vu
confier la mission d’équiper de son système
Atlas de niveau 2 la ligne Mattstetten-Rothrist
et plus de 500 trains de 11 types différents.
Sur quels thèmes Alstom
Transport continue‑t‑il de
travailler pour faire progresser
encore l’interopérabilité ?
Grâce à ce système, la flotte parcourt
Aujourd’hui, nous poursuivons l’évolution de
chaque mois, depuis 2006, en toute sécurité,
notre offre en nous appuyant sur nos atouts :
l’équivalent de la distance Terre-Lune
– notre connaissance des systèmes nationaux,
en ERTMS niveau 2 avec un taux
puisque pas moins de 15 000 trains
de performance supérieur aux exigences
sont équipés de nos systèmes ;
du contrat, soit moins de trente secondes
– la maturité de notre solution ERTMS,
de retard par train et par semaine ! Un autre
notamment acquise dans le cadre du
contrat emblématique est la Betuwe Route,
déploiement de masse auprès des CFF ;
ligne de fret de 150 km reliant le port
– notre maîtrise de la gestion des
de Rotterdam à l’Allemagne, en service
transitions entre l’ERTMS et les systèmes
commercial depuis juin 2007. Prorail,
nationaux telle qu’elle a été mise en œuvre
le gestionnaire d’infrastructure néerlandais,
dans de nombreux projets.
a choisi un consortium mené par
Pour l’heure, nous continuons aussi à faire
Alstom Transport pour l’implantation d’un
progresser l’ergonomie de nos systèmes
ERTMS de niveau 2 pour lequel nous
de conduite, au travers, par exemple,
avons fourni le système Atlas. Chaque jour,
de l’intégration d’écrans d’interface homme-
plus de 70 locomotives équipées par
machine. Nous nous attachons parallèlement
Alstom Transport opèrent commercialement
à promouvoir les systèmes d’aide à la
en ERTMS sur cette ligne. Et, grâce à
maintenance en temps réel, comme TrainTracer,
la performance du système, deux fois plus
qui permettent de diagnostiquer à distance
de trains de marchandises arrivent à l’heure
ce qui se passe à bord d’un train en service,

27
Prima : l’efficacité sans frontières

L’interopérabilité des systèmes ferroviaires ne
s’arrête pas à la signalisation, aussi Alstom Transport
a-t-il conçu sa locomotive électrique Prima
comme un ensemble de sous‑systèmes modulables,
interopérables et standardisés. Dans cet esprit,
ses ingénieurs ont défini un “modèle référent” pour
la structure et les principaux composants de Prima
dont la standardisation limite considérablement
le nombre de sous-ensembles. Sont ainsi concernés
les équipements de signalisation, les bogies
(BoBo et CoCo) et le système de traction (Onix),
de sorte que chacun de ces sous‑systèmes puisse
être facilement adapté à l’évolution des besoins
de tout opérateur. L’ensemble répond en outre
aux spécifications techniques d’interopérabilité (STI)
de l’Union européenne, ce qui en fait une locomotive
apte au service transfrontalier en Europe et à
une exploitation partout dans le monde. En fonction
de sorte à être prêt à intervenir dès son retour
au dépôt. Nous sommes également à la
pointe en ce qui concerne les démonstrations
d’interopérabilité avec d’autres constructeurs.
Enfin, nous avons déjà beaucoup progressé
sur une problématique commune aux
différents constructeurs de matériel roulant :
l’homologation de celui-ci par les autorités
ferroviaires de chaque pays où le matériel
est amené à circuler.
À terme, dans le cadre de nos contrats
en cours, Atlas sera homologué dans
La Prima II, exposée à Innotrans,
à Berlin, en septembre 2008.
vingt pays d’Europe de l’Ouest et de l’Est.
Comment Alstom Transport
envisage-t-il l’avenir
de l’ERTMS ?
Un grand constructeur de matériel et
technologie
de systèmes ferroviaires contribue par nature
au progrès du rail. C’est ce qu’a fait
Alstom Transport en participant à l’élaboration
du cahier des charges technique
de l’ERTMS, à la définition des spécifications
de l’interopérabilité en Europe et à la
mise en œuvre réussie de la solution dans
de nombreux contrats commerciaux.
Alstom Transport a ainsi joué un rôle moteur
dans le développement de l’ERTMS
de niveau 1 et de niveau 2. Aujourd’hui,
l’entreprise s’attache à conserver son avance
en travaillant au développement
de la troisième génération d’ERTMS. Celle-ci
permettra d’accroître encore la capacité
des lignes et de réduire les équipements
et de maintenance (cf. encadré).
Propos recueillis par
Jean-Christophe Hédouin
28

au sol, et donc les coûts d’installation
du pays d’utilisation de chaque locomotive,
le “modèle référent” de Prima est personnalisable,
à commencer par sa chaîne de traction
et, en particulier, ses blocs moteurs et systèmes
de captage de l’électricité. Prima peut ainsi fonctionner
sous quatre tensions électriques – 25 kV, 15 kV,
1 500 V et 3 000 V – ce qui lui permet de développer
des puissances allant de 4 à 6,4 MW, suivant
la configuration choisie par les clients : transport
de marchandises ou de passagers. Ce système
de traction quadritension intègre un transistor bipolaire
à grille isolée (IGBT), dispositif semi-conducteur
utilisé comme interrupteur électronique de puissance.
Ce dernier contribue à réduire la taille et le poids
des modules qui composent le système de traction,
à faciliter leur mise en œuvre, à améliorer la fiabilité
de Prima et à diminuer les consommations d’énergie.
Equipée de la technologie de signalisation Atlas,
la locomotive peut également bénéficier, grâce
à l’adjonction d’un module de communication
de type TrainTracer au système de contrôle-commande
du train, d’une surveillance à distance des besoins
en maintenance des pièces maîtresses
de la locomotive. Informées en temps réel de l’état
du train et de ses éventuelles avaries, les équipes
de maintenance sont en mesure de réduire les temps
d’immobilisation de la locomotive, grâce à un diagnostic
et des réparations plus rapidement effectués.
La contribution d’une locomotive modulaire, flexible
et standardisée à la compétitivité du transport ferroviaire
n’a pas échappé à de nombreux opérateurs à travers
le monde. Prima a été retenue notamment par
le ministère des Transports chinois, dans le cadre
d’un contrat portant sur 180 unités, par l’Office
national des chemins de fer marocains (ONCF)
qui en a commandé vingt exemplaires et par Veolia
Cargo, pour le transport de fret en France
et en Allemagne.
29
un été
à Velim
é
À peine sorti de l’écurie
d’Aytré, le dernier-né des trains
à très grande vitesse d’Alstom
Transport est allé passer
l’été en République tchèque.
Non pas pour s’ébrouer
sur les chemins de la Bohème,
mais pour un programme
de tests intensifs
vé ne me nt sur l’anneau
de vitesse du centre d’essais
ferroviaires de Velim.
Quatre mois durant, tous les fondamentaux
et points critiques du prototype de l’AGV
ont été validés, un à un, à des vitesses
comprises entre 60 et 200 km/h, sous l’œil
attentif d’une équipe de 15 ingénieurs
se relayant 24 heures sur 24. Long de plus
de 13 km, l’anneau de vitesse du centre
d’essais ferroviaires de Velim est l’un
des seuls au monde qui permette de faire
rouler des trains à la vitesse de 200 km/h.
L’AGV y était piloté par un conducteur tchèque
formé à La Rochelle. Jamais autant de
mesures n’avaient été effectuées sur un train !
30
La rame d’essai compte sept voitures
équipées de 2 000 capteurs surveillant
tous les paramètres vitaux. Ils sont reliés
à une multitude d’ordinateurs situés
dans un centre de contrôle aménagé
dans l’une des voitures.
31
Paris-Strasbourg :
pari tenu
événement
32
Entre le 21 novembre et le 14 décembre 2008,
le pur‑sang très novateur qu’Alstom Transport
les noctambules ont pu admirer la ligne racée
a conçu et développé sur fonds propres.
de l’AGV filant jusqu’à 364,4 km/h entre Paris
Une étape décisive pour son homologation
et Strasbourg. Des clients d’Alstom ont même
et la mise en service commerciale
savouré le privilège de vivre en direct cette
des premières rames dès 2010.
série de tests nocturnes effectués en
Près de 7 200 km parcourus en douze nuits
conditions réelles de circulation sur le tronçon
d’essais ont permis d’évaluer le comportement
de la LGV est‑européenne où a été battu
aérodynamique, électrique et acoustique de
le record du monde de vitesse en 2007.
l’AGV à des vitesses allant jusqu’à 364,4 km/h.
Un brillant premier galop d’essai pour
Les 80 ingénieurs et techniciens d’Alstom
mobilisés sur cette campagne de tests
Un concentré d’innovations
se sont particulièrement intéressés
L’innovation la plus remarquable
est la combinaison d’une architecture
complètement articulée avec
une nouvelle motorisation répartie
sur toute la longueur de la rame.
Ses avantages : 20 % d’espace
supplémentaire disponible à bord,
une sécurité accrue, quasiment plus
de vibrations, une augmentation
de la puissance de 18 % pour
une réduction de la consommation
d’énergie de 15 % et des coûts
de maintenance réduits de 30 %.
au confort, aux turbulences provoquées
lors des passages d’ouvrages d’art,
à l’acoustique qui bénéficie des toutes
dernières innovations, au comportement
de la chaîne de traction, à la liaison entre
le pantographe et la caténaire à grande
vitesse... Des essais de freinage
d’urgence ont été menés à 320 km/h
sur rails secs puis “savonnés”.
Le dépouillement et l’analyse des résultats
servent aux derniers réglages et
modifications nécessaires à la validation

de ce bijou de technologie.
Catherine Fressoz
Les premiers AGV
relieront Rome à Naples
L’AGV effectuera ses premiers trajets
commerciaux dès 2010 en Italie.
Alstom Transport livrera en effet
les 25 premières rames de son train
à très grande vitesse de dernière
génération à la société privée de chemin
de fer italien Nuovo Trasporto Viaggiatori
(NTV), créée par le président de Fiat
et Ferrari, Luca Cordero di Montezemolo,
et celui de Tod’s, Diego della Valle.
La vitesse de l’AGV sur le réseau opéré
par NTV atteindra 300 km/h.
33
s
ociété
34
Laboratoire d’économie
des transports
Alain Bonnafous
Professeur, université
Lyon 2 et IEP de Lyon.
Vice-président du Conseil
national des transports.
Secrétaire général de
la World Conference
on Transport Research
Society. Expert-consultant
(OCDE, Commission
européenne, CEMT puis
ITF et Banque mondiale).
Éclairer les
politiques
publiques de
transport
Depuis trente ans, le LET affirme sa présence internationale
dans le champ de la “Transportation science”. Ses recherches,
même nourries d’équations, visent toujours à anticiper les
questionnements de la société sur des problématiques de transport
concrètes afin d’apporter des réponses lisibles et structurantes.
Entretien avec Alain Bonnafous, premier directeur du LET.
Quelle est la mission du LET ?
l’origine, le LET croise ainsi les compétences
d’économistes, de géographes, de
Les recherches du LET, comme son nom
l’indique, sont orientées vers l’économie
(spatiale, industrielle, publique) des transports,
mais non exclusivement. Ses travaux
prospectifs ou d’expertise portent plus
globalement sur la compréhension de
sociologues, de politistes, d’informaticiens.
Le LET est rattaché notamment
au CNRS. Mène-t-il
exclusivement des recherches
théoriques ?
la relation entre les transports et la société :
Nous intervenons pour un secteur dans lequel
cela passe par l’analyse et la modélisation
se posent beaucoup de questions vives
de la mobilité quotidienne, des usages
et concrètes. Une des spécificités du LET est
de l’espace et du temps ou encore
la finalité opérationnelle de ses recherches.
de la localisation des populations et des
Nos programmes de recherche visent
activités. Laboratoire multidisciplinaire dès
toujours à anticiper les questionnements des

35
Le LET
Spécialisé en économie des transports et
en aménagement du territoire, le Laboratoire
d’économie des transports est triplement rattaché
au Centre national de la recherche scientifique
(CNRS), à l’université Lyon 2 et à l’École nationale
des travaux publics de l’État (ENTPE).
Créé il y a plus de trente ans, le LET regroupe
aujourd’hui, sur deux sites lyonnais, près
de soixante chercheurs, enseignants-chercheurs
et doctorants rétribués. Cette équipe fédère
et croise les concepts et outils de disciplines aussi
diverses que l’économie, l’ingénierie, la géographie,
la sociologie ou la science politique. Outre
des recherches fondamentales donnant lieu
à des publications dans des revues internationales
de haut niveau, le LET réalise des expertises
contractuelles contribuant à l’aide à la décision
des acteurs publics, des opérateurs et industriels.
Son champ d’intervention s’organise autour
de trois thématiques :
Mobilités et usage de l’espace et du temps
par les acteurs individuels et collectifs
Localisation des activités (ménages et entreprises)
et leurs implications sur les formes urbaines ;
mobilité et accessibilité notamment sous
leur dimension budget‑temps‑transport
et programmes d’activité ; mobilité quotidienne
dans les pays en développement.
Marchés et organisations propres
aux transports, systèmes d’incitations liés
Équité et acceptabilité ; calcul économique,
tarification, évaluation, mesure de la performance
et de la pertinence des contrats ; performance
et concurrence, notamment dans le transport
ferroviaire et les transports collectifs urbains ;
gouvernance urbaine.

décideurs publics et industriels. C’est ainsi
que vingt ans avant l’émergence de la mobilité
durable, une publication du LET(1) suggérait
d’évaluer non seulement la dimension
économique du transport, mais également
ses dimensions environnementale et d’équité
sociale. Autres exemples : Charles Raux,
actuel directeur du LET, fut parmi les premiers
à travailler sur les permis d’émission
négociables dans les transports et,
dès 1986, nous proposions à nos tutelles
le péage urbain comme projet mobilisateur
de recherche. L’actualité suggère
que nous n’étions pas trop en retard !
Comment a évolué le LET
depuis sa création ?
En trente ans, nous avons beaucoup
progressé sur la fiabilité des systèmes de
simulation qui permettent d’explorer,
sans trop se tromper, l’avenir des transports
de personnes ou de marchandises.
Nos modèles sophistiqués, qui ont bénéficié
de la révolution informatique, intègrent
des données multidimensionnelles nécessaires
à des simulations fiables de systèmes
complexes. Dans le domaine des transports
urbains, par exemple, nos systèmes nous
ont permis, dès les années 80, d’anticiper
des déficits financiers très forts pour
les années 2000 ainsi qu’une faible évolution
des parts de marché du transport collectif.
Modélisation et simulation de la mobilité
des personnes et des marchandises
Le développement d’outils de simulation pour
la mesure des effets à long terme des politiques
de transport est un axe fort du LET. Trois projets
en cours : Simbad (simulation de la mobilité urbaine
durable dans l’agglomération lyonnaise), Ilot
(modélisation multi-agents de l’interaction entre
transport et localisation) et Freturb (modélisation
des transports de marchandises en ville).
L’ensemble de ces travaux se situe dans la triple
perspective environnementale, sociale
et économique du développement durable.
À l’époque, nos prévisions faisaient sourire
les experts qui travaillaient au quotidien
sur ces questions et pensaient qu’il suffisait
d’ajouter 3 km de ligne de métro pour
gagner 3 % de parts de marché !
D’autres changements
significatifs ?
Nous sommes passés d’une problématique
d’optimisation du transport – rendre les
meilleurs services possibles à moindre coût –
à une approche globalisante intégrant
des questions d’aménagement durable du
territoire. Les contradictions entre un objectif
36
(1) Publié en 1978 par Economica,
le livre Evaluer la politique des transports est épuisé.
d’optimisation des transports et un objectif
veiller à enrichir le calcul économique par
d’optimisation de l’espace ont alors surgi.
des considérations structurantes sur l’équité
Les transports sont, en effet, une activité
spatiale et l’environnement afin que les choix
à rendement croissant : plus les flux sont
d’aménagement du territoire ne conduisent pas
massifiés, moins ils sont coûteux à l’unité
à détruire plus de richesses qu’ils n’en créent.
(en passagers/km ou en tonnes/km) et plus
ils sont rentables. Le système économique
optimal de transport ressemblerait donc
à un axe hégémonique – telle une autoroute
Quelle est la place
du transport ferroviaire
dans vos études ?
à huit voies – qui concentrerait tout…
Tous nos modèles de simulation de systèmes
y compris les nuisances et qui, finalement,
de transport incluent le rail, dans ses
répercuterait des saturations en amont
divers usages. La montée des préoccupations
et en aval, créerait le désert tout autour
environnementales a remis ce mode
de lui et s’avèrerait dévastateur. Il faut donc
de transport à l’honneur parce qu’il est

Une offre de formations valorisées
sur le marché du premier emploi
Les équipes du LET jouent un rôle très actif dans la diffusion des connaissances
et des enseignements préparant aux activités de la recherche comme aux métiers
opérationnels dans le domaine des transports et de l’aménagement du territoire.
Le LET a joué un rôle majeur dans la mise en place :
• Au niveau Bac + 3, d’une licence professionnelle “management des services
de transport de voyageurs”.
• Au niveau Bac + 5 :
– d’une spécialisation ingénieur “transport, planification, exploitation” à l’ENTPE ;
– d’un master recherche “transport, espace, réseaux” et de deux masters
professionnels “transports urbains et régionaux de personnes” et “transport
et logistique industrielle et commerciale” à l’Université Lyon 2. Bien souvent,
les étudiants reçoivent des propositions d’embauche avant même d’être diplômés.
37
société

celui qui émet le moins de CO2. Ainsi
L’effet développement durable s’observe
le ferroviaire urbain, resté en sommeil depuis
également dans l’activité fret où s’opèrent
l’après‑guerre, s’est réveillé en France en
des transferts modaux de la route vers
1974 avec la décision de construire les métros
le rail partout en Europe (sauf en France).
de Lyon et de Marseille. Lille, Toulouse,
Nos prévisions en la matière, issues de
Rennes ont suivi. Le tramway a fait un retour
nos modèles, en somme des “Play Stations”
en force dans une vingtaine de villes
dans lesquelles nous injectons des
comme à l’international. Des projets de
hypothèses diversifiées sur l’évolution du prix
tram‑train se développent. Dans ce domaine,
des carburants, des coûts relatifs du routier
les acteurs publics nous sollicitent pour
et du ferroviaire, etc., avaient anticipé ces
éclairer les arbitrages entre les
tendances. Le transfert modal est un enjeu
caractéristiques de l’offre et les aspects
important et particulièrement positif dans
économiques (coûts d’investissement,
les pays bénéficiant d’une électricité d’origine
de fonctionnement, de maintenance).
nucléaire comme la France. Cette politique
Le rayonnement international du LET
En Europe, le LET est partie prenante du réseau de recherche européen
Transportnet. À la demande de l’International Transport Forum, qui fait suite
à la Conférence européenne des ministres du Transport, le LET contribue
à de nombreux contrats de recherche européens impliquant la mise en œuvre
de vastes études croisées dans six ou sept pays différents.
À l’international, le LET joue un rôle très actif dans la World Conference
on Transport Research Society qui se réunit tous les trois ans et dont il gère
le secrétariat général. Au sein de la WCTRS et parmi les instituts de recherche
des cinq continents, le LET est le laboratoire qui a été le plus souvent primé
pour la qualité de ses communications.
38
a moins d’effets positifs en Allemagne
où la production d’énergie est thermique.
Quels sont les enjeux du LET
pour les prochaines années ?
Les transports combinés rail-route entre
la Bavière et la Lombardie émettent
Nous souhaitons rendre les résultats
des émissions de gaz à effet de serre
des travaux de recherche aussi lisibles
quasiment supérieures à celles du transport
que possible par les politiques et les
routier seul et sont plus onéreux.
décideurs. Les réponses aux questions
Il y a un pacte historique évident entre
que l’on nous pose – l’installation d’un péage
l’électronucléaire et l’avenir du rail.
urbain, le prolongement d’une ligne de métro,
le développement d’un nœud intermodal,
l’augmentation massive du réseau tramway…
– prennent la forme d’une masse d’informations
compliquées à interpréter par des nonspécialistes : évolution des mobilités par zone,
par quartier, par rue, par catégorie sociale ;
Nous avons tout naturellement été impliqués
évolution des accessibilités ; partage modal ;
dans les premières études réalisées au monde
modes de financement du système, besoins
sur les effets des TGV. Le LET est ainsi
de subventions, contribution des usagers
devenu, au niveau international, un laboratoire
avec différentes hypothèses de structure
de référence sur les effets indirects de la très
et niveau de tarification… Nous essayons
grande vitesse. Nous avons réalisé avant et
donc, à l’aide de systèmes d’informations
après la mise en service du TGV Paris-Lyon,
géographiques (SIG), de proposer des
une étude aussi approfondie que possible sur
cartographies très lisibles montrant comment
l’usage du train et de l’avion sur l’axe d’affaires
les frontières se déplaceront, quelles seront
Paris/Rhône-Alpes (Lyon, Chambéry,
les zones isochrones(2), les zones d’ombre
Grenoble, Annecy, Saint-Étienne). Je dois dire
dans lesquelles il y aura des déficits
que les résultats nous ont surpris. Selon la
d’accessibilité aux emplois, aux services,
théorie économique, une proximité renforcée
aux commerces, aux loisirs… C’est un défi
favorise les tropismes. Le rapprochement
compliqué, mais passionnant et stratégique
Paris-Lyon aurait dû, dans un pays
pour l’avenir du LET qui entend être reconnu
centralisateur comme la France, accroître
comme un pôle d’excellence au service
le déséquilibre entre les deux villes au profit de
de la mobilité durable.
la capitale. Nous avons effectivement observé
que les grandes entreprises multi-sites avaient
considérablement centralisé leur pouvoir :
Propos recueillis par Catherine Fressoz

Votre localisation lyonnaise
vous a-t-elle conduit
à travailler sur les effets
économiques de la très
grande vitesse ?
(2) Zones accessibles en un même temps donné.
les déplacements vers Paris d’employés
rhônalpins venant assister à des réunions
auparavant organisées en province, ont
rapidement doublé. En revanche, nous avons
été très étonnés de constater un autre
doublement, celui des déplacements vers
Paris de “vendeurs de services” rhônalpins.
De petites entreprises lyonnaises dynamiques
d’informatique ou d’expertise offrant des
prestations de qualité à prix très compétitifs
ont ainsi profité du TGV pour prendre des parts
de marché à leurs concurrents parisiens.
Contact
Charles Raux, directeur du LET
[email protected]
ADRESSES
Laboratoire d’économie des transports
Institut des Sciences de l’Homme
14, avenue Berthelot
F-69363 Lyon Cedex 07
Tél. : 33 (0) 4 72 72 64 03
École nationale de travaux publics de l’État
Rue Maurice Audin
F-69518 Vaulx-en-Velin Cedex
Tél. : 33 (0) 4 72 04 70 46
39
Innotrans 2008
Un vent de mobilité durable soufflait sur l’édition
2008 d’Innotrans, LE salon des professionnels
du rail. Un domaine dans lequel Alstom Transport
s’engage au quotidien. D’où une fréquentation
record de son stand. Jamais autant de visiteurs
internationaux prestigieux n’avaient été aussi
curieux de découvrir les dernières solutions
innovantes, économiques et écologiques du leader
mondial de la construction ferroviaire.
é
vé ne me nt
1
3
2
4
1 Vladimir Yakunin, président de RZD.
2Guillaume Pepy, président
de la SNCF et Philippe Mellier,
président d’Alstom Transport.
3 Délégation japonaise.
4 Délégation Pays nordiques.
40
Les innovations à l’honneur sur le stand Alstom Transport
• Une animation en 3D sur les possibilités d’aménagement et d’ambiances intérieures de l’AGV.
• Le système TrainTracer permettant d’améliorer la disponibilité des trains.
• La nouvelle locomotive fret‑passagers Prima II, totalement interopérable.
• Le tram-train Citadis Dualis conçu pour relier le centre‑ville et la grande banlieue en toute fluidité.
1
2
1 Maquette 1/10e de la locomotive Prima II.
2Prototype de l’AGV, exposé en extérieur.
3
3Délégation coréenne étudiant la maquette
de Citadis Dualis.
41
c
42
iné ma
TRA(IN)VELLING AVANT
Hitchcock :
l’obsession
ferroviaire
“Prêtez-moi, ô Orient-Express, Sud Brenner-Bahn,
prêtez-moi vos miraculeux bruits sourds […]
Ah ! Il faut que ces bruits et que ce mouvement entrent
dans mes poèmes.” Valery Larbaud
Maurice Benassayag,
Senior Vice-President Public Affairs,
Alstom Transport.
Hitchcock n’est pas le seul metteur en scène
“Correspondant 17”, “Les 39 marches”,
à avoir situé le train comme lieu de l’action :
“Une femme disparaît”, “Soupçons”,
les frères Lumière “L’arrivée du train à La Ciotat”
“L’ombre d’un doute”, “La maison du Docteur
(1897), Buster Keaton “Le mécano de
Edwards”, “L’inconnu du Nord‑Express”,
la Générale”, Jean Renoir “La bête humaine”,
jusqu’à “La mort aux trousses”.
René Clément “La bataille du rail”,
John Frankenheimer “Le train”,
Pourquoi ?
Sydney Lumet “Le crime de l’Orient‑Express”,
Cette obsession trouve-t-elle seulement
Brian de Palma “Mission Impossible” (1996)…
son origine dans la petite enfance – c’est
Mais aucun n’a réitéré, alors qu’Alfred
Alfred Hitchcock lui‑même qui le suggère –,
Hitchcock s’est attaché à plonger ses acteurs
ses parents habitaient à proximité
dans cet univers : depuis son premier film
d’un dépôt de tramway, ou bien plutôt
“No 17” (1922) en passant par
d’une analyse des procédés qui engendrent

43

l’anxiété, l’angoisse, la peur ?
Cary Grant poursuit “le chat” cambrioleur ;
Hitchcock déploie avec une diabolique
les falaises du mont Rushmore où le même
habileté des situations, thèmes, techniques
Cary Grant fuit les espions, et souvent
(travellings, plongées, contre-plongées),
les escaliers préludes aux coups de théâtre
tous les ingrédients qui engendrent le malaise
sanglants (dans “Psychose”, Martin Balsam,
des héros… et des spectateurs.
le détective, y sera assassiné) ; l’escabeau,
L’inconnu, l’étrange
cinéma
puis la tour qui paralysent James Stewart
souffrant de vertiges (“Sueurs froides”).
L’inconnu et/ou l’étrangeté dérangent.
Alfred Hitchcock n’a cessé d’être attiré
Hitchcock se plaît à plonger dans
par le champ de la verticalité. L’asphalte :
une promiscuité imposée des personnes
les assassins ayant une fâcheuse
qui ne se sont jamais rencontrées
propension à vouloir défenestrer leur
auparavant, dont la profession est peu
victime (“L’ombre d’un doute”).
identifiable, l’identité fausse ou même
Il arrive que dans cette géométrie dans
inexistante. M. Kaplan, que tout le monde
l’espace, le vertical et l’horizontal se croisent,
poursuit, n’existe pas (“La mort aux
se superposent. Gregory Peck est fasciné
trousses”). Dans le même film, Cary Grant
par les rails et leurs traverses qui défilent,
va devoir partager l’intimité d’un
par les traits que dessine une fourchette sur
compartiment avec une femme mystérieuse.
la nappe, la trace des skis qui s’entrecroisent
Dans “Les 39 marches”, le héros est
sur la neige (“La maison du Docteur
menotté à une inconnue. Dans “Une femme
Edwards”) ; les escaliers si présents dans
disparaît”, la vieille dame, qui n’est pas
plusieurs films dont la verticalité est coupée
celle que l’on croit, côtoie des personnages
par l’horizontalité des marches.
inquiétants ou ambigus que seul
Et dans “La mort aux trousses”, alors que
un voyage en chemin de fer a réunis.
Cary Grant et Eva Marie Saint essaient
Tous ces films se passent dans un train.
d’échapper à la chute finale, le plan suivant
La géométrie dans l’espace
les hisse sur une couchette de train...
horizontale !
Le vide horizontal
Le silence des espaces infinis effraie.
Le clos Espaces déserts (la lande des “39 marches”) ;
Étymologiquement, le mot “angoisse”
la baie où seul navigue le bateau de
est tiré d’augustia : étroitesse, lieu confiné,
Tippi Hedren (“Les oiseaux”) ; la route droite
malaise que l’on éprouve dans un lieu clos.
et sans fin qui traverse une plaine vide
Quoi de plus angoissant qu’un espace réduit
et où Cary Grant attend à un croisement
qu’on ne peut quitter alors que rôde la mort ?
(“La mort aux trousses”).
“La corde” : James Stewart est invité à
Soulignons, au passage, que lorsque
partager un repas d’assassins dans un salon
l’espace se peuple imperceptiblement,
où trône une malle contenant un cadavre.
cette gradation apparaît comme le signe
“Lifeboat” : des naufragés tentent de survivre
d’une menace nouvelle (le premier oiseau
dans un canot de sauvetage. Ces deux films
qui attaque Tippi Hedren, le bruit d’un petit
illustrent absolument l’isolement parfait.
avion au loin dans “La mort aux trousses”).
Le héros confiné dans un plâtre doit garder
la chambre (“Fenêtre sur cour”).
44
Le vide vertical Les voyageurs d’“Une femme disparaît”
Le toit sur lequel, dans “La main au collet”,
ne peuvent s’extraire du train, sauf à en être
précipités. Farley Granger, assis dans
qui loge des personnes en les séparant”,
un compartiment, ne peut échapper au
en les isolant donc.
tentateur de “L’inconnu du Nord‑Express”.
Le train peut même incarner en soi une
Cary Grant est menacé dans un train qui file,
menace. Lorsque Joseph Cotten, le supposé
“La mort aux trousses”. Il est même caché
brave oncle, en réalité un sinistre assassin
dans une couchette supérieure fermée.
– toujours le brouillage identitaire – arrive
Le fugitif des “39 marches” est enchaîné
à Santa Clara, le train crache une fumée
par des menottes à une femme qui,
épaisse qui s’étend sur la paisible petite ville.
de surcroît, entend le dénoncer. Le train
et, plus encore, un compartiment, sont
La fuite
des lieux clos par nature et par destination.
Dans les films d’action, le héros est souvent
La définition du compartiment selon
un innocent menacé à la fois par la police
Le Robert s’énonce : “subdivision
et par les méchants. Et, chez Hitchcock,
d’un espace par des figures régulières […],
c’est d’un train qu’il doit fuir. Échapper à ses

45

poursuivants qui se trouvent dans le train
ou sur les quais devient une véritable gageure.
Les travellings attachés à suivre le tueur
qui lui-même poursuit la victime créent,
en abysse, un formidable suspense.
Éros star
Chacun sait que le train suscite des fantasmes
évocateurs et incitatifs qui favorisent les
transports amoureux, parfois en commun.
Ils peuvent être extravagants et furieux
(ceux du Prince Vibescu cher à Apollinaire),
convenus et classiques (La madone des
sleepings de Dekobra), drôles et fougueux
(Éros dans un train de René Depestre),
solitaires et mélancoliques (la chanson
poème de Marie-Paule Belle) :
cinéma
“Je rêvais du train bleu, du Trans-Europe
Express,
L’amour et la vitesse, les matins fabuleux,
Les roues qui grincent sur leurs essieux,
D’autres provinces sous d’autres cieux […]”
On est un peu distant, froid.
Les héroïnes d’Hitchcock sont toutes
Comme dans un ascenseur entre individus
semblables : apparemment froides, blondes
qui ne se connaissent pas, dans un
et habillées strictement. La ressemblance
compartiment, la gêne ou le désagrément
entre Janet Leigh, Eva Marie Saint, Grace Kelly,
commencent par prévaloir. Les regards qui
Tippi Hedren, Kim Novak est frappante.
s’échangent, jaugent, jugent, en tentant
Hitchcock avoue avoir privilégié un modèle
d’éviter que du furtif ils glissent vers l’intrusif.
de femmes. Sans doute en vertu du principe
Dans un compartiment, on se tient bien.
qui veut que la suggestion est plus pernicieuse
“Le train, gémissant et fougueux, nous faisait franchir
en beauté collines, rivières et tunnels […].
La plainte du train continuait de plus belle à labourer
les flancs intimes de l’espace-temps balkanique.”
René Depestre (“Éros dans un train”, Gallimard)
46
James Stewart, cloué dans son fauteuil
restaurant entre Eva Marie Saint et Cary Grant,
à roulettes, regarde avec effarement la même
qui se rencontrent pour la première fois,
Grace Kelly venue lui rendre visite, sortir
est de ce point de vue un petit chef‑d’œuvre.
de son sac à main, avec une fausse
Ajoutons que ces femmes, apparemment sans
innocence troublante, une arachnéenne
mystère, sont fort mystérieuses, non seulement
chemise de nuit.
parce qu’on devine chez elles une sensualité
On comprend mieux de ce qui précède
retenue, mais aussi parce qu’elles sont
pourquoi Hitchcock a privilégié le train :
porteuses d’un charme sous-jacent, maléfique.
lieu des horizons sans fin, de l’angoisse de
Qui est vraiment Eva Marie Saint ?
la chute, de l’anxiété d’une menace à laquelle
Une classique bourgeoise, un agent du FBI
il est impossible de se soustraire, de la présence
ou une espionne ? Pourquoi l’arrivée de
incontournable d’une femme inconnue dont
Tippi Hedren coïncide-t-elle avec l’apparition
la sensualité vous emprisonne insidieusement.
des oiseaux tueurs ?
C’est peut-être pourquoi
De surcroît, ces femmes si distantes cultivent
“La mort aux trousses” s’inscrit comme
l’audace : est-ce l’anonymat, le précipité
le plus abouti des films d’Hitchcock.
d’un corps froid dans la chaleur d’un espace
Tous les ingrédients d’un savoureux plat
clos qui favorisent les transgressions ?
– “Hitchcooking” – s’y trouvent mitonnés
La très bien élevée Grace Kelly affole
par le grand chef du suspense.
le flegmatique Cary Grant par ses initiatives ;
Maurice Benassayag

que l’image. Le déjeuner dans le wagon-
47
L’immeuble victorien de métal et de verre,
situé sur Covent Garden, abrite
le London Transport Museum (LTM).
c
48
ulture
London
Transport
Museum
Si la cocarde de London Transport symbolise le métro
londonien, London Transport Museum est un formidable
panorama de l’évolution des transports dans les grandes
villes à travers le monde.
L’immeuble victorien de métal et de verre,
Une histoire de la mobilité
situé sur Covent Garden Piazza, à deux pas
du célébrissime opéra royal, abritait un
Plusieurs raisons ont conduit LTM, en 2005,
marché aux fleurs jusqu’en 1974. “Le marché
à décider ce réaménagement de fond
a déménagé du côté de Vauxhall et le musée
en comble : le musée voyait s’éroder sa part
a ouvert ses portes en mars 1980, se
de marché, ses locaux commençaient
souvient Sam Mullins, le directeur du London
à se dégrader et, surtout, ses collections
Transport Museum (LTM). Et, pour moi,
ne présentaient l’histoire du transport
le plus beau jour de la vie du musée est
que jusqu’au début des années 90,
le 22 novembre 2007, où nous avons rouvert
alors que d’importants développements
après vingt-six mois de fermeture au public
et investissements étaient intervenus depuis.
pour travaux. Six années durant, nous avons
En outre, le principe du musée est de traiter
travaillé dans l’attente de ce jour, alors
l’histoire du transport de manière globale,
on imagine sans peine le bonheur que nous
en y incluant tous les modes de déplacement
éprouvons aujourd’hui à voir s’émerveiller
– le transport fluvial sur la Tamise,
les visiteurs, à les regarder pratiquer toutes
les grandes lignes de chemin de fer, les taxis,
sortes d’activités. Et quand certains jours sont
le vélo, la marche à pied, etc. – afin de faire
plus difficiles que d’autres, un simple tour
comprendre au visiteur comment fonctionne
dans la galerie à regarder les gens apprendre
une métropole telle que Londres.
tout en s’amusant suffit pour se rappeler
“Notre vision globale du transport répond
que c’est pour eux que nous faisons cela,
essentiellement à une demande de notre
car c’est eux dont il s’agit et de leur
public, poursuit Sam. Nous avons conduit
interaction avec cette formidable ville.”
une large concertation avec des personnes

49

du monde de l’éducation, des conservateurs
Justine Cooper, la responsable des relations
de musées, des spécialistes du marketing,
publiques du musée : “Un marché aux fleurs
etc. Et nous avons également mené une très
n’est pas conçu pour se prêter à une
grosse enquête auprès des visiteurs du musée.
muséographie. Ainsi, par exemple, le sol
L’analyse des résultats a montré que seule
est en pente de plus de 19 cm par endroits,
une petite part d’entre eux était passionnée
ce qui est fort commode pour nettoyer
par la technique et que les neuf dixièmes
un marché aux fleurs en fin de journée,
étaient beaucoup plus intéressés par l’histoire
mais ne facilite pas la tâche pour implanter
du transport : comment on allait à l’école
les collections d’un musée et recevoir
en trolleybus dans les années 50,
des visiteurs ! En outre, la structure de fer
quelle impression cela fait de se prendre
et de verre du bâtiment génère une intense
pour le passager d’un omnibus de l’époque
luminosité ainsi que de fortes variations
victorienne, comment le transport contribue
de température et d’humidité, peu propices
à la préservation de nos collections sur
“LTM est bien plus qu’un
simple musée, c’est
une association éducative.”
Sam Mullins, directeur du LTM
support papier, de nos posters et diverses
œuvres d’art. Les travaux de réaménagement
proprement dits ont représenté un très gros
défi pour plusieurs raisons : nous ne pouvions
procéder aux gros travaux de perçage qu’un
jour par semaine à cause du voisinage, nous
devions aussi nous débarrasser d’importantes
quantités de gravats et il nous fallait
culture
au développement des banlieues…
transporter des véhicules de grand gabarit
Un des thèmes les mieux représentés est
depuis le centre de Londres jusqu’au site
sans doute l’histoire sociale des transports,
d’entreposage temporaire. Nous avons pas
c’est un excellent fil rouge pour comprendre
mal attiré l’attention du public le jour où nous
la logique de nos collections. En outre,
avons eu recours à des grues pour déplacer
les transports étant appelés à jouer dans
des véhicules de plus de 18 tonnes ! Lorsque
les cinquante années à venir un rôle aussi
la voiture de métro de 1938 a été extraite
important qu’au cours des deux derniers
du musée, nous l’avons garée à l’extérieur
siècles, il nous a paru incontournable
le temps de pouvoir la transférer du
de passer d’une muséographie centrée sur
centre‑ville jusqu’à l’entrepôt. Eh bien,
le passé et la technique à un nouveau
quelqu’un a trouvé le moyen de lui mettre
concept axé sur le présent et le futur, sur la
une contravention !” Certes, le musée
mobilité beaucoup plus que sur la technique.
ne saurait jouir d’une situation plus centrale,
Le contexte social a toujours joué un rôle
mais ce privilège est au prix d’un espace
majeur à nos yeux et nous pensons que
limité, qui ne permet pas au LTM d’exposer
c’est également ce qui intéresse le visiteur.”
toutes ses pièces. Aussi dispose-t-il d’un
Un projet de réaménagement
La contribution de 9,45 millions de livres
reçue du Heritage Lottery Fund ainsi
que les 5 millions de livres collectés auprès
50
dépôt situé à Acton, dans l’ouest londonien
où sont entreposés 98 % de sa collection et…
qui commence lui‑même à se remplir !
Voyage dans le temps
de sponsors industriels ont permis le
Audible depuis l’accueil du musée, le son
redéploiement du London Transport Museum.
amplifié d’un battement de cœur attire
Le réaménagement complet d’un bâtiment
le visiteur vers la galerie des grandes villes
de style victorien, classé et situé en plein
du monde : Tokyo, New York, Shanghai,
cœur de Londres, s’est révélé un projet d’une
Delhi, Paris… De grands plans de métros
extrême complexité, comme l’explique
tapissent les murs de la galerie conduisant
vers les ascenseurs ou, plus précisément,
vers les machines à remonter le temps qui
ramènent le visiteur en 1800. “À cette
époque, souligne Justine, Londres était une
ville de taille assez réduite et trente minutes
à pied suffisaient depuis Westminster pour
se retrouver en pleine campagne.” Il y a deux
siècles, ni rugissement ni vibration ne
secouait le sous-sol de Londres, mais ses
rues fourmillaient de chaises à porteurs
et de voitures à cheval qui tentaient de
se frayer un chemin dans la cohue, tandis que
des flottes de bateaux à voile chargeaient
et déchargeaient leurs cargaisons sur les rives
de la Tamise… Pour rendre plus vivantes
ces évocations, les chevaux factices sont
doués de la parole et LTM engage parfois
des comédiens pour jouer des scènes
dans la galerie, faisant revivre le passé.
La construction du premier métro souterrain
au XIXe siècle a joué un rôle déterminant dans
l’expansion de l’agglomération londonienne.
Pour inciter les habitants de la capitale
à quitter le centre-ville, Metropolitan Railway
a utilisé les emprises dont elle n’avait
pas l’usage, le long des voies ferrées, pour
développer des programmes immobiliers
à proximité immédiate de ses gares flambant
neuves. Elle a ainsi créé un nouveau
marché suburbain à vingt minutes du centre
de Londres. L’idée de vendre en même temps
le terrain, la maison et le moyen de transport
était extrêmement en avance sur son temps…
et a donné naissance à une collection
exceptionnelle de posters vantant les joies
de la vie suburbaine. Puis, avec l’extension
du réseau ferré au-delà des banlieues,
les Londoniens se sont vu proposer de partir
en week-end à la campagne ou au bord
de la mer.
D’une grande ville,
Londres devient une métropole
échafaudèrent alors différents projets,
La capitale britannique aura été la ville
dans le domaine de l’imaginaire, jusqu’à
la plus peuplée de la planète, jusqu’à ce que
des solutions très opérationnelles comme
New York lui ravisse ce titre en 1925 et,
un métro roulant sur des voies surélevées,
tandis que la métropole continuait de gagner
tel qu’on peut le voir à Paris ou à New York,
sur la campagne, le centre se paralysait
sans oublier le métro souterrain qui a, depuis,
sous les embouteillages. Des ingénieurs
transporté des milliards de passagers.
depuis un omnibus volant, qui devait rester

51

Ainsi, la première ligne de métro de Londres
de 5 °C celle de la campagne alentour et que
– et de la planète – devait-elle être ouverte
cette différence pourrait bien atteindre 9 °C
en 1863. Aussi magiques pour les parents
si les habitants ne modifient pas leur mode
que pour les enfants, des maquettes
de déplacement. Le musée a adopté
très réalistes, montrant comment les tunnels
cette approche afin d’encourager le transport
étaient creusés ou comment la fumée
durable, dans lequel la diversité joue un rôle
des locomotives était évacuée par des grilles
crucial, comme le montre la stratégie de
disposées dans la chaussée, retracent
Transport for London (TfL), la régie municipale
cette période d’intense activité d’ingénierie.
de transport londonienne, qui s’attache
En l’espace de quinze ans, à Londres,
à promouvoir une large palette de moyens
les chevaux devaient céder la place
de locomotion aux côtés du métro et du bus
– marche à pied, vélo, navette fluviale,
“Nous considérons ce musée
comme une sorte de port
d’attache londonien pour toute
l’industrie du transport.”
Sam Mullins, directeur du LTM.
tramway, métro léger, etc. – visant à faire
de Londres une ville plus verte.
Promouvoir l’éducation
et la citoyenneté
Il y a de cela quelques mois, l’un des
membres du conseil d’administration du LTM
demanda à Sam Mullins : “Maintenant
que vous avez rouvert le musée, quelle vision
en avez-vous à long terme ? Est-ce
un fabuleux musée des transports qui mène
culture
52
aux chevaux‑vapeur et les volutes de fumée
des actions associatives dans Londres
dans les tunnels devaient disparaître
ou bien un organisme éducatif qui se sert
au profit de l’électricité.
du musée comme base pour mener toutes
Aujourd’hui, la métropole londonienne
sortes d’initiatives ?” Pour Sam, la réponse
dépasse les 7 millions d’habitants,
ne fait aucun doute et c’est bien sûr
générant une croissance de la demande
la deuxième option : “Aujourd’hui, nous
de transport et exigeant de nouvelles
accueillons 350 000 visiteurs et nous entrons
solutions, en particulier dans la perspective
en contact avec plus de 100 000 élèves
des Jeux olympiques de 2012.
chaque année par le biais du grand
Inondations, vagues de chaleur… Comme
programme éducatif que nous menons pour
toute métropole, Londres est de plus en
le compte de TfL sur la sécurité et la
plus inquiète des risques liés au changement
citoyenneté. La préservation d’un héritage
climatique. Afin de sensibiliser le public
et l’éducation sont étroitement liées et,
aux conséquences de leur mode de vie
quoi que nous entreprenions, nous devons
sur l’environnement, le musée a créé
garder ces deux objectifs en ligne de mire.”
un espace interactif appelé Londres 2055.
De fait, éduquer le public au rôle du transport
Cet espace, qui se fonde sur un rapport
dans la société est devenu une activité phare
du programme Foresight, mené par l’Office
du musée. LTM travaille ainsi avec des publics
gouvernemental des sciences, permet aux
de tous âges, depuis les écoliers du primaire,
visiteurs d’explorer différents scénarios pour
auxquels les équipes du musée enseignent
le futur de Londres, en fonction de la manière
à voyager en confiance et en sécurité,
dont ses habitants gèreront leur empreinte
jusqu’aux lycéens qui apprennent l’époque
carbone. Toujours dans ce domaine, les
victorienne, les transports, l’histoire,
galeries du LTM présentent un programme
la géographie et les étudiants en arts
audiovisuel montrant que la température
graphiques qui étudient l’identité visuelle de
moyenne des nuits londoniennes dépasse
London Transport. Le musée collabore avec
la section du Royal College of Art spécialisée
dans la conception de véhicules et effectue
chaque année une sélection de projets
de véhicules futuristes pour les exposer dans
la galerie. L’industrie du transport collabore
également avec le Royal College of Art,
donnant aux étudiants l’occasion de travailler
sur de vrais projets. “Dans le cadre de notre
initiative TfL sécurité et citoyenneté, nous
apprenons aux enfants à utiliser les réseaux
de transports de manière sûre et responsable,
avant qu’ils ne soient appelés à se déplacer
par eux‑mêmes. Nous leur apprenons
également à faire attention aux autres
voyageurs et aux conséquences de leurs
actes sur le fonctionnement des réseaux”,
précise Justine Cooper. En outre, dans
un contexte de pénurie de vocations pour
l’ingénierie, LTM soutient TfL dans son effort
de promotion des carrières d’ingénieurs
auprès des écoles.
London Transport Museum,
lieu de ralliement de
la communauté du transport
London Transport Museum dépend de TfL
qui contribue aujourd’hui au fonctionnement
du musée à hauteur de 50 %, le reste
provenant d’une politique active de billetterie,
de ventes en boutique, de mise à disposition
de ses locaux pour des événements
d’entreprise et de collecte de fonds.
“Nous considérons ce musée comme une
sorte de port d’attache londonien pour toute
l’industrie du transport, déclare Sam Mullins.
Nous organisons quelque cent événements
chaque année qui sont de bonnes occasions
pour les différents acteurs du marché,
parfois concurrents, de se rencontrer
de façon neutre et informelle. C’est une
Ensemble, ils contribuent à faire du
Parallèlement aux partenariats institutionnels,
London Transport Museum non seulement
le musée est soutenu par London Transport
un fantastique musée, mais aussi
Museum Friends, une association
une remarquable entreprise…
caritative qui compte environ 1 500 membres
Et si quelqu’un vous demande un jour
– renforcés par une centaine de volontaires –
ce qu’évoque dans votre esprit le nom
qui participent aux différentes activités
de Covent Garden, il se pourrait que
du musée, qu’il s’agisse de recenser les pièces
la réponse soit désormais autre chose que
de collection, d’entretenir les véhicules,
l’un des plus grands opéras de la planète !
d’organiser des visites guidées, etc.
Jean-Christophe Hédouin
De grands plans de métros tapissent
les murs de la “galerie des grandes
villes du monde” : Tokyo, New York,
Shanghai, Delhi, Paris…

activité très importante pour nous !”
53
i
54
nv ité
Dans
un wagon
doré…
Hubert Reeves
Astrophysicien, président de la Ligue ROC.
“En sortant de l’école
nous avons rencontré
un grand chemin de fer
qui nous a emmenés
tout autour de la terre
dans un wagon doré.”
Jacques Prévert
Et dans ce wagon doré, roulant de vallon
La Belle, endormie, au beau visage froid
en vallon, entre des montagnes sous
qui s’éclairerait d’un sourire si un prince,
un soleil orange, un homme découvre
forcément charmant, lui prenait la main,
les paysages et explore ses songes.
fine et délicate, posée sur le drap blanc.
De la blancheur de la neige qui maintenant
Je suis confortablement installé dans
s’épaissit sur le sol. Aucun pas n’y laisse
un compartiment dont je suis le seul hôte.
une empreinte et nulle construction humaine
n’émerge. Vers où vais‑je ? Sans doute
Une forêt dégringole d’une pente abrupte
qu’au fond de moi, je le sais mais je feins
et le torrent la stoppe. Les arbres de
de l’ignorer pour entretenir le mystère, rester
la bordure veulent se mirer et se désarticulent
un moment en dehors du temps, rejoindre
dans le flot tourbillonnant. Le soleil se voile
les contes qui enchantèrent mon enfance.
et mon esprit s’évade, n’est-ce pas au fond
Furtivement, le visage de ma grand-mère
de ces bois sombres que se cache
se superpose au paysage. C’est elle qui me
le château de la Belle au bois dormant ?
lisait des histoires merveilleuses. Impossible

55

de se lasser d’entendre cent fois celle
J’avance sans poser les pieds sur terre ;
du Chat botté, ou tout autre, car à chaque
en tout cas je n’ai pas l’impression
fois c’est une variante, inattendue, déroutante
de mettre, comme dans la chanson, un pied
qui naît et m’enchante encore. Une même
devant l’autre. Je marche en lévitation
aventure racontée par mille personnes
permanente. Pas de poteau indicateur mais
différentes par la voix d’une seule. Un conte
je sais aller tout droit au château. Pour
mis dans un kaléidoscope dont le hasard
mieux aspirer le parfum des jacinthes bleues
de son maniement engendre des épisodes
jusqu’à m’en enivrer, je dois freiner mon
diversement colorés.
impatience de franchir le perron. J’aime
Dans ce décor de Noël du temps
tant les sous-bois moussus, les fougères
où les hivers existaient, je n’entends ni les
naissantes, même si je n’entends pas
murmures des lents ruisseaux ni le tapage
le bruissement des branches mais un roulis
des rapides tumultueux. Le bruit monotone
perpétuel qui me fait me sentir bien en vie
des roues sur les rails devient le bruit du
dans une douce chaleur qui m’étonne pour
déroulement régulier de la pellicule d’un film
un printemps forestier.
dans les salles de projection du siècle dernier.
Et voilà que se dressent des tourelles
invité
Biographie
Hubert Reeves, né à Montréal,
province de Québec,
le 13 juillet 1932.
Astrophysicien, B.Sc
Université de Montréal, 1953.
MSc McGill University 1955.
PhD, Cornell University,
Ithaca N.Y., 1960.
Conseiller scientifique à la NASA
Institute for Space Studies,
New York, 1960-1964.
Directeur de recherches au
Centre national de la recherche
scientifique (CNRS), Paris, 1965.
Sujets de recherches au Service
d’astrophysique de Saclay : origine
des éléments chimiques, origine du
système solaire, origine de l’univers,
astrophysique nucléaire, cosmologie.
Professeur associé
au département de physique
de l’université de Montréal.
Président de la Ligue ROC pour
la préservation de la faune sauvage.
Ce film, j’en écris chaque séquence en
de dentelle au-dessus d’un feuillage vert
accrochant mon regard autant au paysage,
et mordoré… Au détour du chemin,
fugitif, qu’à mes souvenirs, multiples.
vais-je découvrir le portail ? Il me faut vite
Parfois, la voix off de ma grand-mère s’impose
recourir aux descriptions de Charlotte,
pour faire le lien entre les péripéties
et à mes goûts personnels, pour bâtir cet
désordonnées de mon scénario improvisé.
édifice blanc comme du sucre ou plutôt
comme le Taj Mahal… Mais alors je devrais
Flash-back sur la princesse dans
d’abord franchir le fleuve Yamuna,
son château magique. Quelle sérénité sur
comme le faisait l’empereur Shâh Jahân
son visage ! Je sais qu’elle s’éveillera et
en visite à son épouse disparue.
pourquoi ne tenterais-je pas de jouer le prince
qu’elle attend sans le savoir ? Voilà qu’un
Comment ferais-je s’il n’y a pas de pont ?
sentier s’ouvre juste en face de moi, m’invitant
instantanément à l’emprunter, les yeux
Mais pourquoi s’inquiéter : dans un rêve,
fermés tant je sais à l’avance qu’il me conduira
il n’y a pas d’impossibilité et je survolerais
vers Elle. Avec quelle facilité je franchis
le courant comme par enchantement
la paroi du compartiment et me retrouve
et sans même avoir besoin d’un tapis volant…
en plein air sur un chemin tout à coup
printanier, aux lisières fleuries et parfumées.
Le grès rose et le marbre blanc de l’édifice
Les ronces s’écartent exactement comme
ne subissent pas les méfaits des pollutions
dans un conte quand le fils du roi s’avance
qui rongent les plus beaux bâtiments.
vers le château enchanté. Je me sens léger
Ici, le château est toujours neuf, puisque
et aérien. Un vrai Mercure ailé. J’ai vingt ans.
chaque fois reconstruit, sortant du prisme
de mes souvenirs, anciens et récents mêlés,
Je n’ose ouvrir les yeux de peur de briser
sur un coup de baguette magique dont
le rêve. Rêver, c’est faire mentir la réalité.
je suis détenteur quand je refuse le réel.
La réalité, je la connais, je la fréquente
56
quotidiennement : gardons la voie pleine
Sous la lumière lunaire, les pierres
de surprises agréables de mon rêve contrôlé.
précieuses de son dôme rivalisent avec
Bibliographie
Publications professionnelles :
Environ cent articles dans des revues
spécialisées et deux livres :
• Stellar Evolution and Nucleosynthesis,
1968, publié chez Gordon and Breach,
New York. En français :
Évolution nucléaire et nucléosynthèse,
Dunod, Paris, 1968.
• Nuclear Reactions in Stellar Surfaces,
1972, Gordon and Breach, New York.
Travaux de vulgarisation :
• Livres :
- Soleil – 1977.
- Patience dans l’azur – 1981.
- Poussières d’étoiles – 1984.
- L’heure de s’enivrer – 1986.
- Malicorne – 1990.
- Soleil (2e édition) – 1990.
- Comme un cri du cœur – 1992
(ouvrage collectif).
- Compagnons de voyage – 1992
(avec Jelica Obrenovich).
- Dernières nouvelles du cosmos – 1994.
- L’espace prend la forme
de mon regard – 1995.
- La première seconde – 1995.
- La plus belle histoire du monde –
1995 (ouvrage collectif).
- Intimes convictions – 1996.
- Oiseaux, merveilleux oiseaux – 1998.
- Sommes-nous seuls
dans l’univers ? – 2000.
- Les artisans du huitième jour – 2000
(entretien radiodiffusé).
- Mal de Terre – 2003
(avec Frédéric Lenoir).
- Chroniques du ciel et de la vie – 2005.
- Soleil (3e édition) – 2006.
- Chroniques des atomes
et des galaxies – 2007.
- Je n’aurai pas le temps – 2008.
- Petite histoire de la matière
et de l’univers – 2008.
les étoiles… Car me voilà dans la pénombre.
à peine, ma main droite déjà sur la rampe
Je n’ai pas ouvert les yeux mais à travers
de bois doré qui escalade le mur de droite…
• Films et spectacles scientifiques :
-L
es étoiles naissent aussi.
Centre national de la documentation
pédagogique, 1979, Paris.
-L
e Soleil, notre étoile. Centre
national de la documentation
pédagogique, 1980, Paris.
-L
a vie dans l’univers. 12 émissions
de 15 minutes, sur FR3 (3e chaîne
française). Centre national de la
documentation pédagogique, 1982.
- Un soir, une étoile. 66 émissions
de 2 minutes sur TF1
(1re chaîne française), 1984,
Éd. Fox‑Trot, S. Goldman, Paris.
-D
iaporama : Cosmologie, avec Alain
Superbie et Michel Gonzalès, 1982.
- I nitiation à l’astronomie. 15 heures,
Télé‑enseignement, université
de Montréal, 1990.
-L
es dialogues du ciel et de la vie.
Spectacle audiovisuel de planétarium
avec Benoît Reeves et Michel
Gonzalez.
-H
ubert Reeves, conteur d’étoiles.
Film et DVD avec Iolande Rossignol,
Office national du film du Canada,
2002-2003.
-L
es dialogues du ciel et de la vie
(nouvelle version). Spectacle
audiovisuel présenté sur un ou trois
écrans, avec Benoît Reeves et Alain
Superbie (voir rubrique Spectacles),
2004.
-D
e l’astronomie à l’écologie.
Spectacle audiovisuel écrit et dit
par Hubert Reeves, réalisé par
Benoît Reeves.
mes paupières, ils ont perçu le changement
de luminosité. Sans doute sommes-nous
Premier palier, aucune porte mais un autre
dans un tunnel ? Peu importe cette
escalier que j’emprunte. Deuxième palier, autre
péripétie ferroviaire, la lune éclaire assez
escalier. Pourquoi donc est-ce que je les fais
mon chemin vers le château lumineux.
se succéder au lieu d’ouvrir une porte et
Toutes ses façades éblouissent et m’attirent
de me trouver devant cette Sleeping Beauty
comme un improbable aimant de cristal.
que j’ai vue dans le film de Disney ? Sera-t-elle
comme les fées de son baptême l’ont décrite :
Je n’ai pas eu conscience de franchir
la plus belle personne au monde, pleine
un fleuve et, devant les colonnes du portique,
d’esprit et d’intelligence, dotée d’une grâce
des soldats aux costumes rutilants
admirable… Serai-je amoureux d’elle ?
me font une haie d’honneur figée et muette.
Pourquoi tous ces bruits autour de moi
Je m’avance dans le hall d’entrée. Beaucoup
et cette voix de sorcière qui troue le silence
de portes se répartissent à gauche et
et m’expatrie de mon rêve ?
à droite, mais je suis déjà au pied de l’escalier
“Dans quelques instants, notre train arrivera
Quelle hélice prendre ? Je m’interroge
à Moskva Belorusskaia.”

à double révolution, comme à Chambord.
57
Le train
du Négus
v
58
oyage
Le Chemin de fer djibouto-éthiopien (CDE), plus ancienne
compagnie d’Afrique subsaharienne, est un mythe
pour des générations de cheminots et de passionnés du rail.
Si cette légende est tenace, le “Train du Négus” mérite toujours
quelques nuits à bord. Aujourd’hui, le candidat au voyage
entre l’Éthiopie et Djibouti doit vraiment s’attendre à tout.
Et surtout savoir attendre.
59


voyage
En 1888, la France fonde le protectorat de
le désert, sous les yeux ébahis des nomades
Djibouti, sur les rives occidentales de la mer
de la région, Somalis, Afars et Danakils.
Rouge. La “Côte française des Somalis”,
La première locomotive à vapeur arrive
territoire sauvage brûlé par le soleil, attire tout
en 1902 à Dire-Dawa, minuscule bourgade
ce que la métropole compte d’aventuriers
qui deviendra la deuxième ville du pays.
et de commerçants. À l’Ouest, l’immense
Mais la voie ne parvint finalement
Éthiopie attire rapidement leurs convoitises.
à Addis‑Abeba qu’en 1929, au terme
C’est sur ces hauts plateaux “abyssins”
de trente années de travaux harassants.
que se trouvent toutes les richesses :
les fruits, les légumes, les céréales, les épices,
Savoir attendre
le bétail, les tissus, mais aussi l’or et l’ivoire.
Sous le soleil brûlant de midi, la gare
L’empereur Ménélik II, homme féru de progrès
d’Addis‑Abeba semble s’être assoupie.
technologique, espère alors que la modernité
Façade art déco ponctuée de balcons
assurera l’indépendance et la richesse
mauresques, verrière aux ossements
de son pays. En 1896, il autorise la création
de métal, guichets aveugles : plus rien
d’une société de chemin de fer avec
ne presse, presque plus rien ne bouge.
les Français. Et bientôt les rails défient
À l’intérieur, des wagons échoués en bout
de quai et des moutons errant à la
ERYTHRÉE
YEMEN
Gondar
DJIBOUTI
Djibouti
Addis
Abeba
Dire CDE
Dawa
CD E
Djimma
Golfe
d’Aden
Et pourtant ! Malgré son grand âge et
ses déboires financiers, le Train du Négus
Depuis quelques mois, un chantier rend
la voie ferrée impraticable dans
ETHIOPIE
la capitale éthiopienne. Pour embarquer,
SOMALIE
60
pourraient décourager plus d’un voyageur.
est toujours là, sur ses rails !
Harer
SOUDAN
OUG.
recherche d’herbes sèches entre les traverses
KENYA
200 km
il faut donc se rendre à Akaki, petite station
à trente kilomètres au sud. Mais avant
de partir, musardant une dernière fois
Dans cette alcôve enfumée, manettes
dans la gare, on écoute les palabres des
gravées, compteurs chevrotants et pistons
chauffeurs, contrôleurs et mécaniciens
de cuivre évoquent les forges d’antan.
qui témoignent de la “belle époque”
Le chauffeur adjoint, un homme rond
du Chemin de fer djibouto-éthiopien (CDE).
et jovial, me cite de tête toutes les gares
Akaki, déjà cinq heures d’attente et
de la ligne. Je lui demande quelle est
pas de convoi en vue. Le long des voies,
la marque de la locomotive. La réponse fuse :
une troupe de zébus à longues cornes
“Alstom ! Les meilleures machines !”
dispute à des petits chevaux râblés
Depuis des décennies, le CDE est équipé
de rares touffes de verdure. Sur le quai,
de ces motrices françaises qui font la fierté
des gamins s’époumonent sur des sifflets
de ces cheminots francophiles.
en plastique, tout en prenant des poses
Enfin le contrôleur sort son carnet à souches !
de matamores devant deux militaires
Beaucoup de passagers tentent de négocier
de la sécurité ferroviaire.
une ristourne, arguant du mauvais état
À 17 h 30, une corne de brume annonce,
des banquettes, des retards et des “shiftas”
au loin, l’arrivée du train. Brinquebalant,
(brigands et voleurs) qui ne manqueront
le convoi sort de son dépôt et s’avance dans
pas de les détrousser à bord. Plus tard, au
un vacarme extraordinaire. C’est un train
cœur de la nuit, le chef de train accompagné
mixte, composé de wagons de marchandises
de soldats s’efforcera de faire payer les
et de trois voitures passagers. En prévision
resquilleurs, s’il le faut par la force. À 19 h 30,
du trajet, j’achète deux pains ronds,
le convoi s’ébranle vers le sud. Nous filons
trois oignons rouges, des tomates vertes,
dans l’obscurité, à travers une brousse
un kilo de bananes et un paquet de gâteaux
épaisse de cactus. Des acacias à longues
au miel. Sur un marchepied, une femme
épines griffent la carrosserie des wagons.
emmitouflée d’un “shamma”, le pagne de
Attention aux mains qui pendent des fenêtres !
coton blanc des chrétiens d’Éthiopie, égrène
En chemin, le rythme ternaire du roulis,
son chapelet de buis. Pour passer le temps,
les gerbes d’étincelles sous les essieux,
je visite la cabine du conducteur.
le hurlement du sifflet à vapeur et l’odeur
De gauche à droite :
Le quai de la gare d’Addis-Abeba.
Une vendeuse de canne à sucre.
À bord, une voyageuse.

61

Sur le marchepied de la locomotive… Alstom.

voyage
persistante de gasoil ont ce charme
se succèdent. Au loin, voilà les lueurs
ferroviaire qui n’existe plus en Occident.
de la ville de Nazret. À peine arrivés en gare,
Fermez les yeux et vous voilà dans une
des cris vindicatifs résonnent autour
version sahélienne de “La bête humaine”.
de notre wagon. Ce sont les passagers
Nuit à bord
62
abandonnés qui ont poursuivi le train
à bord d’un minibus loué en catastrophe !
Des chiens noirs aboient aux passages
Au cours du périple, de tels incidents
à niveau. Lors d’une escale, je rejoins
sont exceptionnels. Mes compagnons
la voiture de queue pour y passer la nuit.
passeront une partie de la soirée à rire
Une dizaine de commerçantes, des
et à partager leurs émotions, jusqu’à
colporteuses, somnolent à même le sol
ce que le silence nous recouvre. C’est la nuit
jonché d’énormes sacs de farine et
noire. Des militaires patrouillent, leurs
de patates. Elles partent elles aussi à Djibouti,
kalachnikovs en bandoulière frôlant les corps
à 750 kilomètres de leur foyer, dans
assoupis. Le froid s’est engouffré dans
l’espoir d’un bénéfice au marché. Et comme
cette voiture sans fenêtres. Chacun s’est
à chaque voyage, il leur faudra ruser avec
emmitouflé. La tête calée sur un régime de
les douaniers, dont les taxes peuvent réduire
bananes, secoué par les spasmes du convoi,
à néant leur précieux investissement.
j’observe un gamin recroquevillé sous
Lors de l’arrêt suivant, quelques passagers
une banquette.
descendent grignoter au bistrot de la gare.
À l’aube, des dizaines de “contrebandiers”
Cinq minutes passent. Soudain, sans
montent à bord. Deux d’entre eux prévoient
prévenir, le train redémarre, quitte la gare
d’acheter des lots de vêtements et de matériel
et accélère ! Par la fenêtre, j’aperçois
électronique en provenance de Djibouti.
les voyageurs oubliés courant désespérément
Puis ils remonteront vers la capitale écouler
derrière le wagon. Perplexe, je vois
leurs stocks au “Mercato”, le grand
leurs silhouettes disparaître dans la nuit.
marché du centre-ville. Depuis le matin,
Durant une heure, canyons tortueux,
nous avons quitté les hauts plateaux chrétiens
viaducs rouillés et collines pelées
du Choa pour pénétrer dans le décor aride

63


voyage
du Harargué. Nous croisons des troupeaux
chose, vous devez revenir nous aider, sinon
de dromadaires, des zébus osseux,
cet endroit deviendra un musée ! N’oubliez
des nuées de rapaces et des termitières.
pas, c’est aussi votre histoire qui s’en va !”
Au loin, les silhouettes entrelacées de collines
Ces suppliques, martelées au journaliste
abruptes font penser à des chromos
de passage, expriment une inquiétude réelle.
de déserts américains. Enfin, après 21 heures
Aujourd’hui, les maigres revenus de la
d’un périple aussi éprouvant que magnifique,
compagnie proviennent uniquement du fret.
le train entre en gare de Dire-Dawa.
Le dernier projet de recapitalisation, avec
Mais l’autorail pour Djibouti, tombé en panne
un groupe sud‑africain, a échoué en 2007.
dans le désert, n’est pas au rendez‑vous
Beaucoup d’ouvriers, campés sur leurs vélos
pour la seconde partie du voyage.
chinois à la sortie des ateliers, prédisent
L’histoire s’en va
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la fin du CDE dans les trois années à venir.
Plus tard, à l’heure de l’apéro, les cheminots
Je profite de ce temps mort pour visiter le
perpétuent une longue tradition de pétanque
centre-ville. Ponctuée de bâtiments coloniaux,
sur le terrain de l’Alliance française.
de grandes avenues arborées et de petites
Ici, on joue en doublette et dans le strict
terrasses populeuses, Dire-Dawa est devenue
respect des règles marseillaises.
en un siècle la deuxième agglomération
Depuis quatre jours, nous espérons le départ
du pays. Située à mi-parcours de la ligne,
de l’autorail vers Djibouti. Sur la place de la gare,
la gare abrite les ateliers généraux
des dizaines de paysans Oromos campent
de la compagnie. Et si vous êtes français, les
avec leurs récoltes. Sur le sol, des femmes
portes de cet univers s’ouvrent d’autant plus.
improvisent des petits maquis de braseros,
Occasion pour les mécanos de faire passer
tandis que les hommes jouent au carambola,
un message d’actualité : “Les ingénieurs
une sorte de billard italien à mains nues.
français sont morts dans le désert pour créer
Tout autour, sacs de céréales, ballots de textiles,
ce train ! Et puis vous nous avez abandonnés !
grosses pastèques, bottes de poireaux, patates
La compagnie n’a plus d’argent et les
et pois chiches forment un amoncellement
machines s’épuisent ! Il faut vite faire quelque
qui résonne avec les tissus bigarrés. Finalement,
en fin de journée, une locomotive de secours
déjà entassés à bord, barricadent alors
est trouvée. C’est la cohue pour l’embarquement !
les portes et les fenêtres. Chacun pour soi,
Il faut se battre et se contorsionner pour
c’est la règle pour arriver au bout d’un tel
conserver un bout de banquette. Une heure
voyage ! Pendant ce temps-là, cachés sous
plus tard, les wagons sont pleins à craquer,
les essieux, des petits voleurs démontent
au sens propre. L’air farouche, chacun campe
les tuyaux de freins en caoutchouc pour
sur son tas de victuailles dans l’attente
les revendre en ville. Il faudra les “chicoter”
d’un départ imminent. Mon voisin, un petit
sévèrement pour qu’ils restituent leur butin
moustachu hilare, camoufle plusieurs kilos
et que le convoi puisse repartir. Un peu plus
de khat dans un sac de sous-vêtements.
tard, passant au large d’un village, chacun
Arbuste cultivé dans l’Est de l’Éthiopie, le khat
se baisse pour éviter les cailloux envoyés
est consommé par les peuples de la mer
par des gamins hilares. Les commerçantes,
Rouge. Cette drogue alcaloïde, stimulante et
habituées à ces “sauvageons” du rail,
euphorisante, fait vivre des milliers d’agriculteurs
les insultent vertement en plusieurs langues.
et de contrebandiers dans le pays.
De très longues heures passent, tandis
Chacun pour soi
De gauche à droite :
Abte et Yonas vont à Djibouti faire
des affaires.
C’est la cohue à la gare
de Dire‑Dawa.
Un cheminot à la retraite.
que le voyageur, accoudé à la fenêtre, perd
son regard vers l’horizon de collines brûlantes.
Nous partons enfin vers Djibouti, vers la mer
Peu à peu la lumière s’en va, et avec
Rouge. C’est un pays aride de broussailles
elle les dernières images de l’Éthiopie.
et de collines pierreuses, parsemé de
C’est la nuit africaine. Un cri de nourrisson
campements d’éleveurs somalis. De temps
résonne dans le wagon. La mère, à tâtons
en temps, le chauffeur ralentit pour épargner
dans l’obscurité, lui donne du pain trempé
des dromadaires égarés. Occasion
dans du thé tiède. À plusieurs reprises,
de commerce, de contrebande, mais aussi
le convoi stationne en panne en plein désert.
de rapine, le passage du train dans les villages
L’attente touche au fatalisme, pour moi comme
est toujours un événement pour les habitants.
pour les habitués du Train du Négus. Impatient,
À Shinilé, le train est littéralement pris
un homme descend avec son baluchon
d’assaut par des resquilleurs. Les voyageurs,
et s’enfonce dans le noir, le long de la voie.
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65
voyage
Finira-t-il le trajet à pied ? Vers minuit,
le convoi, dans des fatras de vêtements
immobilisés à proximité d’un village, nous
et de légumes. À Djibouti, en Somalie
voilà encerclés par des lueurs de torches
et au Yémen, le khat éthiopien se paie au prix
électriques. Des dizaines de silhouettes
fort. C’est donc un commerce très rentable
avancent furtivement dans les buissons.
pour les petits trafiquants qui sont légion
Chuchotements, craquements de branches
dans le train. Ce jour-là, chacun fera profil
sèches, les passagers deviennent inquiets
bas, dans l’espoir de repartir au plus vite.
et nerveux. Mes voisines parlent des brigands
et de rebelles somaliens. Les soldats
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La fin du désert
descendent, la main sur la gâchette de leurs
Les premières heures après la frontière
mitraillettes. Un moment de tension, un silence,
dévoilent un paysage lunaire, une érosion
puis surgissant un enfant, encore un autre,
totale, des précipices et des dépressions.
et enfin toute une troupe ! Ce sont les gosses
Avec la lumière rasante du matin, tout
du village, attirés par le phare immobile
ce panorama devient spectaculaire.
de la locomotive, venus assister au spectacle
Avec un point d’orgue à Holl Holl, gros bourg
de la panne !
à cinquante kilomètres de Djibouti, lorsque
Cinq heures du matin. C’est l’aube.
nous passons sur le célèbre viaduc construit
Tout le monde descend ! Bienvenue
par Gustave Eiffel. Ce “monument historique”,
à la frontière éthio-djiboutienne de Guelile,
construit en 1900, est l’ouvrage
dans le désert de l’Ogaden. Des bergers
le plus important de la ligne et annonce
Afars, agrippés à de longues cannes de bois,
pour les voyageurs la fin prochaine du périple.
peignes de pacotille dans leurs cheveux roux,
Avec les derniers kilomètres, nous
attendent, imperturbables, les tracasseries
descendons brutalement. Après vingt‑cinq
douanières. Au poste de police derrière
heures de voyage, au détour d’un monticule,
le grillage, l’accueil est un peu rustique.
apparaît un mirage scintillant, c’est la mer
Les soldats aux airs de matons et le capitaine
Rouge, la fin du désert et le bout du voyage.
ventru moulé dans son treillis kaki ne sont,
Voilà Djibouti avec ses banlieues de sable,
certes, pas là pour nous faire passer
ses mosquées blanches, ses cheminées
un bon moment. Leur mission : débusquer
d’usines, ses légionnaires...
les centaines de kilos de khat cachés dans
Laurent Védrine
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