Etude de composites SiC/SiBC à matrice multiséquencée en fatigue
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Etude de composites SiC/SiBC à matrice multiséquencée en fatigue
Chapitre 1 Bibliographie 17 1. Généralités sur les composites à matrice céramique ...................................................... 17 1.1. Introduction.................................................................................................................... 18 1.2. Composites carbone-carbone ......................................................................................... 19 1.3. Composites à matrice ou fibres oxydes ......................................................................... 22 1.4. Composites SiC/SiC....................................................................................................... 25 1.5. Méthodes d'élaboration .................................................................................................. 33 1.6. Conclusion ..................................................................................................................... 37 2. Comportement mécanique à température ambiante...................................................... 39 2.1. Chargement monotone ................................................................................................... 39 2.2. Fatigue cyclique............................................................................................................. 41 3. Comportement mécanique à haute température ............................................................ 47 3.1. Les constituants des composites .................................................................................... 47 3.2. Evolution des propriétés physico-chimiques et thermomécaniques des constituants.... 53 3.3. Chargement monotone ou cyclé..................................................................................... 60 3.4. Fluage............................................................................................................................. 62 3.5. Fatigue cyclique ............................................................................................................. 66 3.6. Conclusion ..................................................................................................................... 67 4. Modélisation des mécanismes d'endommagement et de rupture .................................. 68 4.1. Comportement en traction monotone............................................................................. 68 4.2. Fatigue cyclique ............................................................................................................. 77 4.3. Interaction fluage-fatigue............................................................................................... 84 4.4. Influence du tissage sur le comportement mécanique ................................................... 88 5. Conclusion .......................................................................................................................... 90 16 Chapitre 1 Bibliographie Ce premier chapitre est tout d'abord consacré à une présentation succincte des composites à matrice céramique (CMC) à fibres continues, de leurs constituants (la fibre, l'interphase et la matrice), et de leurs différents modes d'élaboration. Le comportement thermomécanique en traction et en fatigue cyclique, à température ambiante et à haute température est ensuite présenté, ainsi que la modélisation des principaux mécanismes d'endommagement et de rupture correspondants. Une attention particulière est néanmoins portée tout au long de ce chapitre à la famille des composites SiC/SiC, à laquelle appartient notre matériau d'étude. 1. Généralités sur les composites à matrice céramique Les composites à matrice céramique ont été conçus vers les années 60 (au travers des composites C/C) pour venir à bout du principal point faible des céramiques monolithiques, à savoir leur faible ténacité qui a empêché leur utilisation dans les structures à haute température, les moteurs de fusée, les moteurs d'avions ou les systèmes de protection thermique dans l'industrie aéronautique et spatiale. Les CMC présentent en effet la propriété paradoxale d'être tenaces, bien qu'ils soient composés de matériaux (matrice, fibres, interphase) intrinsèquement fragiles. Ce paradoxe s'explique par le rôle joué par les interfaces et interphases dans la propagation des fissures : la fragilité des fibres et de la matrice rendrait la contrainte à la rupture et la ténacité catastrophiques, si les interfaces et interphases ne déviaient pas les fissures. Mais rappelons tout d'abord la distinction entre ces deux termes. L'interface est en théorie, une discontinuité physique entre deux milieux : la fibre et la matrice, tandis qu’une interphase est un milieu continu, contigu aux deux autres. Toutefois les terminologies décrivant le transfert de charge et la rupture à l’interface fibre/matrice n’est pas claire. En effet, lorsqu’une interphase est introduite durant l’élaboration, les glissements entre la fibre et la matrice peuvent se produire à l’interface fibre/interphase, interphase/matrice ou encore à l’intérieur de l’interphase elle-même. Pourtant lorsque l’on parle de l’interface fibre/matrice macroscopiquement, on inclut ces trois possibilités, sachant que lorsque la différence est importante pour la compréhension, elle sera explicitement mentionnée [KERA1989]. Un autre point particulier aux CMC, est que, sous chargement mécanique, contrairement à la plupart des composites à matrice métallique ou polymère, la matrice se fissure avant les fibres. Mais il est maintenant bien reconnu que ce sont cette microfissuration matricielle et les interactions de ces microfissures avec les zones interfaciales fibre/matrice, qui sont responsables de la remarquable ténacité des CMC. D'un autre côté, un tel endommagement aggrave les effets de l'environnement (l'oxygène peut plus facilement pénétrer en profondeur dans le composite et réagir avec les interphases et/ou les fibres). Elaborer des CMC qui puissent avoir simultanément une grande résistance mécanique et ténacité d'une part, et supporter de longues expositions dans des environnements agressifs d'autre part, est le difficile challenge auquel sont actuellement confrontés les chercheurs actuels. En effet, l'intérêt majeur de ces matériaux est leur utilisation dans le domaine de températures 1000-1400°C. On mettra notamment à profit leurs résistances thermique, mécanique et à l'usure, ainsi que leur conductibilité thermique et conductivité électrique. On pourra ainsi trouver des pièces en CMC dans les chambres de combustion (SiC/SiC et C/SiC), les systèmes de freinage (C/C) utilisés dans les domaines aéronautiques (Mirage 2000, Rafale et Airbus) et automobile (Formule 1) ainsi que dans les chars d'assaut. Dans le domaine des basses températures, ce sont surtout les caractéristiques de dureté et de résistance à l'usure et aux chocs thermiques qui seront mises à profit. On peut citer par exemple, 17 leur utilisation comme plaque de blindage (B4C/(C ou Kevlar)) développée pendant la guerre du Vietnam [SHAF1973]. Un autre domaine est celui du biomédical, qui ouvre de vastes perspectives du fait de la biocompatibilité de certains composites (C/C), comme renforts ligamentaires, prothèses de hanche ou genou, etc [LANG1981], [NASL1985]. Bien sûr, cette liste n'est pas exhaustive et bien d'autres domaines utilisent les CMC. 1.1. Introduction Le caractère peu réfractaire des métaux légers et leur excessive réactivité chimique à haute température vis à vis de la plupart des fibres minérales ont conduit à remplacer les composites à matrice métallique par des composites à matrice céramique (oxyde, non oxyde). Les composites céramique-céramique se sont ainsi développés d'une manière spectaculaire, en répondant aux besoins actuels des motoristes d’utiliser des céramiques ne présentant plus de caractère fragile excessif. En effet, contrairement aux applications des autres matériaux composites (augmentation de rigidité, résistance au cyclage thermique ou à rupture…), c'est avant tout les notions d'amélioration de ténacité et de tenue à des environnements extrêmes qui sont actuellement recherchées dans les composites céramique-céramique [PENA2000]. Les premiers CMC furent les composites carbone/carbone dans les années 1960. Mais malgré sa légèreté et ses excellentes propriétés thermomécaniques, le carbone s'oxyde rapidement à l'air dès 500°C, propriété qui limite l'emploi prolongé des composites carbone-carbone aux seules atmosphères neutre ou réductrice. Pour remédier à ce problème, des recherches ont été conduites en vue de remplacer une partie ou la totalité de la matrice carbonée par une matrice présentant une meilleure tenue à l'oxydation. Les succès enregistrés dans le cas de la substitution du carbone par le carbure de silicium furent à l'origine du développement de nouvelles familles de matériaux [LACO1989], dans la mesure où il fut démontré que la matrice de carbone, mais également les fibres de carbone, pouvaient être remplacées par un carbure (SiC, B4C, …), un nitrure (Si3N4, BN…) ou même un oxyde (Al2O3, SiO2, ZrO2 …) [KERA1999a]. Cependant, il ne suffit pas seulement d'assembler deux matériaux ou constituants possédant des propriétés adéquates, il faut aussi s'assurer de leur compatibilité. Par exemple, la matrice et les fibres doivent posséder des coefficients de dilatation thermique proches, afin de minimiser les contraintes thermiques résiduelles à des températures différentes de la température d'élaboration, et éviter ainsi un endommagement éventuel. Une bonne compatibilité chimique entre fibres et matrice doit être également assurée : les différents constituants en contact doivent être stables chimiquement l'un par rapport à l'autre, pas seulement à l'état final et aux températures d'utilisation, mais aussi lors des différentes étapes d'élaboration. C'est pour faciliter en particulier ces compatibilités, en plus de limiter le caractère fragile de ces matériaux, qu'on intercale un matériau d'interphase entre la fibre et la matrice [KERA1989]. La liaison fibre/matrice, créée entre les constituants lors de l'élaboration du composite, peut être constituée d'une ou plusieurs interfaces et interphases : elle peut être une zone de réaction, formée chimiquement par un ou plusieurs constituants élémentaires du composite lors de son élaboration, mais elle peut aussi être une fine couche introduite volontairement dans le but de protéger la fibre (et constituer dans certains cas une barrière de diffusion contre l'oxygène) ou de contrôler la liaison interfaciale pour optimiser les phénomènes de déviation de fissures et de transfert de charge fibre/matrice [NASL1995]. Le choix de l'interphase est donc tout aussi primordial que celui des fibres et de la matrice [KERA1989], [KERA1999b], [NASL1992]. Ces constituants sont assemblés suivant différentes méthodes d'élaboration selon que l'enrobage des fibres par l'interphase puis la matrice, se fait par voie gazeuse, liquide ou solide. Des procédés mixtes sont également possibles [ORTO2000], [XU1999] pour réduire les temps et les coûts d'élaboration, mais on privilégiera généralement les procédés d'élaboration par voie 18 gazeuse pour les hautes performances et les procédés par voie liquide ou solide pour les applications de grande diffusion. 1.2. Composites carbone-carbone Les composites carbone/carbone ont été utilisés à l'origine comme tuyères d'engins propulsifs et boucliers thermiques des corps de rentrée (programme HERMES notamment) [BROQ1999], [JAME1993], [LACO2002], [LAMI1995] en raison de leur exceptionnelle tenue mécanique à haute température, de leur basse densité et de leur résistance à l'ablation. Cependant ils présentent d'autres propriétés particulièrement intéressantes comme un fort coefficient de friction à haute température et une excellente bio-compatibilité, qui leur a valu une entrée notable dans le domaine des biomatériaux (notamment en chirurgie orthopédique). 1.2.1 Les fibres carbone Les fibres carbone actuellement commercialisées sont élaborées par pyrolyse à partir d'un précurseur organique filable. L'industrie des fibres de carbone utilise trois types de précurseurs qui sont la rayonne, le polyacrylonitrile (PAN), et les brais de houille ou de pétrole [NASL1985]. L'élaboration des fibres de carbone se déroule généralement en quatre étapes [DORL1999] : * étirage par filage à l'état polymère (alignement des macromolécules), ce traitement n’est pas nécessaire pour le brai, car les plans aromatiques sont déjà bien formés et orientés, * pré-oxydation et réticulation du polymère (100-200°C), * carbonisation (1100-1500°C) sous atmosphère neutre ou réductrice, * graphitisation sous atmosphère neutre ou réductrice (2500-3000°C), pour augmenter le module d’Young. Les remarquables propriétés des fibres de carbone résultent de la forte orientation préférentielle des cristallites parallèlement à l’axe de la fibre. Mais d’une manière générale, les caractéristiques des fibres de carbone dépendent à la fois de la nature du précurseur organique et des traitements thermiques et mécaniques qu'elles subissent pendant l'élaboration. On distingue généralement les fibres à haute résistance (HR) (> 3 GPa) et celles à haut module (HM) (> 350 - 400 GPa), dans la mesure où l'augmentation de la température des traitements lors de la graphitisation, qui permet d'accroître le module d'Young, se traduit au-delà d'une certaine température (~1500°C) par une diminution de la résistance mécanique. 1.2.2 La matrice de carbone La production d’une matrice de carbone repose sur le même principe que celui utilisé pour fabriquer les fibres de carbone : carbonisation d’une matière organique à haute température. Les matrices de carbone sont constituées de grains de carbone pyrolitique qui se déposent à chaud sur les fibres, assurant à la fois une liaison mécanique et le remplissage des pores entre celles-ci. Il existe généralement trois façons de déposer une matrice carbone sur une préforme de fibres de carbone [TALL1996] : * par dépôt chimique en phase vapeur DCV (CVD : Chemical Vapour Deposition), * par cycles multiples d'imprégnation et pyrolyse d'un polymère thermodurcissable, * par cycles multiples d'imprégnation et pyrolyse d'un polymère thermoplastique ou de brai. La méthode CVD peut se définir comme un processus physico-chimique plus ou moins complexe au cours duquel un phase solide se forme, généralement au contact d'un substrat par réaction chimique à partir d'un ou plusieurs espèces gazeuses, souvent un gaz hydrocarbure (CH4). On parle aussi de ICV (Infiltration Chimique en phase Vapeur) pour les composites, car la matrice doit combler au mieux les pores internes de la préforme fibreuse. L'utilisation de la 19 technique CVD permet de déposer trois textures de carbone : isotrope, lamellaire lisse ou lamellaire rugueux (pyrocarbone PyC), morphologies qui diffèrent par leurs caractéristiques mécaniques. L'imprégnation d'une résine thermodurcissable (phénolique, furane …) est aussi couramment utilisée, la matrice carbone obtenue dépend alors directement des traitements thermiques, qui déterminent son anisotropie [TALL1996]. Ce type de matrice se rétracte fortement au refroidissement et l'accrochage avec les fibres est sensible aux contraintes thermiques aux interfaces. Enfin, la méthode par imprégnation de brai permet d'obtenir facilement un carbone anisotrope grâce à la mésophase. Sa microstructure est affectée par le type de fibres utilisées dans le composite. Le retrait au refroidissement est également important et peut être à l'origine d'une fissuration. L'utilisation d'une résine thermoplastique telle le PEEK (Polyétheréthercétone) ou le PEI (Polyétherymide) est un procédé relativement nouveau qui permet d'obtenir un carbone plutôt isotrope, intermédiaire entre les brais et les résines thermodurcissables. 1.2.3 Les interphases Les caractéristiques thermomécaniques des composites sont directement liées à celles des constituants utilisés. Cependant, l'autre facteur essentiel à considérer est le rôle des interphases au travers des contraintes variables de cisaillement interfacial en fonction du processus d'élaboration, de la nature des constituants et des conditions extérieures subies par le composite (température, oxydation, sollicitations mécaniques…). Dans le cas des composites carbone-carbone, la matrice et les fibres étant composées du même matériau, la compatibilité chimique et la faible différence des coefficients de dilatation sont déjà assurées. De plus, dans ce type de composite, les propriétés de déviation de fissures et de transfert de charge, normalement assurées par l'interphase, sont déjà naturellement présentes dans le pyrocarbone (PyC) de la matrice carbone. On voit donc que l'intérêt d'une interphase dans ces composites se trouve ailleurs. Ainsi, les travaux les plus récents [LABR2002a], [LABR2002b], [LABR2002c], concernent l'introduction d'une interphase en B-C, Si-B-C ou SiC, utilisée alors comme barrière de diffusion contre l'oxydation. Il semblerait que le comportement de ce type de composite soit complexe et très sensible à de nombreux paramètres d'élaboration (épaisseur des couches, composition chimique) et de conditions d'exposition (environnement, température…). Mais l'optimisation des paramètres d'élaboration [LABR2002b] donne des résultats encourageants [LABR2002c], quant à l'utilisation des composites carbone/carbone en atmosphère oxydante. Pourtant, dans la plupart des cas, les solutions consistent à utiliser un revêtement protecteur ou une matrice présentant une meilleure résistance à l’oxydation. 1.2.4 Les revêtements externes Comme nous venons de le voir, les composés à base de carbone (fibres et matrice) ne sont pas protégés contre l'oxydation à la surface du matériau et les fissures matricielles consécutives à l'élaboration ou à l’endommagement laissent un libre accès à l’oxygène. Pour des applications excédant 500°C, un revêtement protecteur externe devient alors indispensable. Ce sera également le cas de tous les autres types de composites contenant du carbone, notamment au travers d'une interphase PyC (principalement sur les composites SiC/SiC, et sur notre matériau). 1.2.4.1 Revêtement monolithique Parmi les différentes méthodes de protection contre l'oxydation, résultant de l'introduction d'un matériau barrière, on peut tout d'abord noter l'ajout d'un revêtement extérieur appelé "sealcoat", sur toute la surface du composite. Ainsi, les parties mises à nu par l'usinage, qui constituaient un 20 accès privilégié pour l'oxygène sont protégées. Des dépôts à base SiC-B [DAVI1998], [DAVI1999], [KOBA1995], [ZHEN1998], semblent être plus efficaces qu'un simple dépôt de SiC (Figure 1), qui ne présente pas d'amélioration sauf à 425°C d'après Becher et al. [BECH1998]. Figure 1 : Contrainte à rupture à chaud d'un composite 3D SiC/SiC, en fonction de l'atmosphère (vide/air) et de la présence ("sealed") ou non ("unsealed") d'un revêtement protecteur d'après [DAVI1999]. 1.2.4.2 Revêtement multiséquencé Un revêtement protecteur multiséquencé peut également être ajouté, car il favorise en plus la déviation des fissures aux interfaces et donc ralentit l'accès de l'oxygène jusqu'aux fibres. En effet, certains revêtements céramiques classiques, réfractaires et résistants à l'oxydation, sont capables de fournir une aide à la protection contre l'oxydation des composés à base de carbone, mais ces revêtements ne sont pas efficaces à la fois à basse et à haute températures. Il est donc difficile d'assurer une bonne protection sur une large gamme de températures avec un seul revêtement. La solution consiste donc à associer différentes couches, ayant des températures d'oxydation complémentaires : SiC, B et B4C, elles peuvent ainsi fournir une bonne protection sur une large gamme de température (de 450°C à 1500°C) d'après Goujard et al. [GOUJ1994a]. La formation d'oxydes céramiques par oxydation des différentes couches suivant la température, peut en effet facilement cicatriser les fissures dans le revêtement extérieur et limiter la diffusion de l'oxygène dans le composite. L'efficacité de ce système est d'autant plus grande que l'épaisseur des couches est grande, puisque l'on augmente la distance qui sépare l'oxygène du composite, à condition que les coefficients de dilatation entre les couches ne soient pas très différents. Les revêtements externes améliorent grandement la résistance à l'oxydation des composites, puisqu'ils protègent les parties en surface directement accessibles à l'oxygène. Toutefois cette protection ne semble pas suffisante, puisque dès les premières fissurations matricielles, l'oxygène peut pénétrer à l'intérieur du composite. Il est donc nécessaire de prévoir une protection au sein même de la matrice [LAMO1999a-b]. Les matériaux répondant à cette exigence sont nombreux : carbures, nitrures, oxydes et vitrocéramiques : le meilleur exemple de fabrication industrielle est sans doute le C/SiC développé par Snecma Propulsion Solide (France) qui a servi pour les chambres à combustion, les divergents du lanceur de satellite ARIANE, mais aussi sur les roues de turbines et les volets de tuyère du moteur du Rafale [CAVA1989]. On peut aussi citer le C/Si3N4 utilisé comme boulon pour assembler des structures C/C et testé pendant le programme HERMES à plus de 1450°C. 21 1.3. Composites à matrice ou fibres oxydes Les premières recherches sur les matériaux composites à matrice verre remontent au début des années 70, lorsque les composites carbone-carbone commençaient à être utilisés industriellement dans le secteur aérospatial. Les composites à matrice ou fibres oxydes présentent en effet de nombreux avantages. Leur domaine d'application est toutefois plus restreint en température (autour de 1000°C) que celui des matrices céramiques, à cause de la dégradation de leur stabilité thermique [DORE1995], [KERV1993]. Les composites SiC/vitrocéramique peuvent remplacer les pièces métalliques à basse température (<1100°C), comme les aubes en SiC/BMAS sur le moteur Trent 800 de Rolls Royce [BEES1997]. 1.3.1 Les fibres oxydes (Al2O3, ZrO2, SiO2,YAG…) Les fibres utilisées dans les CMC servent de renfort, tout en étant exposées à des environnements agressifs. Par conséquent, les propriétés telles que la résistance aux atmosphères et matrices réactives (non stables chimiquement vis-à-vis de la fibre), au fluage et à la fatigue doivent être prises en compte en parallèle avec la rigidité et la résistance mécanique. Les fibres céramiques oxydes, bien qu'elles présentent généralement des propriétés de renforcement plus faibles que les fibres non-oxydes, offrent une meilleure résistance à l'oxydation, propriété de plus en plus demandée dans de nombreuses applications actuelles. De nombreuses fibres oxydes polycristallines sont actuellement commercialisées et utilisées, même si elles sont limitées par leur rupture en fluage et présentent une forte diminution de leurs propriétés mécaniques au-dessus de 1200°C. Les fibres à base d'alumine sont obtenues à partir d'un précurseur filable constitué le plus souvent d'une solution aqueuse contenant un sel basique d'aluminium, éventuellement des particules d'Al2O3 et un haut polymère pour ajuster la viscosité. D'un point de vue pratique, la fibre d'alumine pure (FP), en raison de sa rigidité et de son diamètre relativement important est d'une mise en oeuvre délicate, par rapport aux fibres de plus petit diamètre à base de carbone, de carbure de silicium ou d'alumine-silice. La masse volumique ρ de l'alumine est déjà relativement élevée pour certaines applications (4 contre 2 g/cm3 pour le carbone) et conduit à des caractéristiques mécaniques spécifiques (σr/ρ et E/ρ, avec σr : contrainte à rupture et E : module d'Young) médiocres. Ces remarques valent a fortiori pour les fibres du même type qui seraient élaborées à partir d'oxydes ultra-réfractaires comme la zircone. Mais l'intérêt de ces fibres se situe plus au niveau de leur tenue en température et de leur inertie chimique que de leurs caractéristiques mécaniques spécifiques. Les fibres disponibles en grande quantité, à des coûts raisonnables, et qui présentent les meilleures performances sont les fibres Nextel 610™ (à base d'alumine ultra pure à grains fins), et Nextel 720™ (à base d'alumine et de mullite), fabriquées par la société 3M. Par ailleurs, on peut à la fois augmenter la résistance au fluage et limiter le grossissement des grains en dopant une alumine avec de l'yttrium, du lanthane ou de la zircone ; c'est le cas de la nouvelle fibre Nextel 650™ avec ~1% Y2O3 et ~10% ZrO2, mais bien que sa résistance au fluage soit supérieure à celle de la Nextel 610™, elle reste inférieure à celle de la Nextel 720™ [MARS2001]. De nouvelles améliorations pour augmenter les températures d'utilisation des fibres polycristallines oxydes sont possibles avec des microstructures polyphasées ou d'autres systèmes comme les oxydes ternaires YAG (Yttrium Aluminium Garnet) [LIU1998] [MORS1994]. Toutefois, il ne faut pas s'attendre à des progrès spectaculaires, car les petites tailles de grains nécessaires pour atteindre de fortes contraintes à rupture, conduisent rapidement au fluage. De plus, les fibres YAG ne sont pas encore commercialisées industriellement [KERA1999a], [MORS1994]. 22 1.3.2 Les matrices oxydes Les matrices vitrocéramiques sont élaborées à base de verre, auquel on fait subir un traitement de céramisation. Ce traitement à haute température, nécessaire pour transformer le verre de base en vitrocéramique, augmente certes les coûts de fabrication, mais cet inconvénient est compensé lorsque les performances désirées sont supérieures pour les vitrocéramiques [PANN1997]. A leur création, les composites à matrice vitrocéramique ou verre servaient de matériau d'étude (SiC-LAS), afin de mieux comprendre les mécanismes d'endommagement des CMC [KERV1991]. Puis, l'industrie aéronautique et spatiale s'est intéressée de plus en plus à ce type de matériau, pour la fabrication et l'utilisation de structures composites. En effet, les CMC avec une matrice vitrocéramique présentent de nombreux avantages [BREN1994], [PREW1982] : une faible masse volumique (3 g/cm3), une facilité d'élaboration due à une faible viscosité de la matrice (rapidité, faible endommagement, faible porosité…), une ténacité importante, un faible coût par rapport aux matrices céramiques cristallines (au niveau des matières premières mais aussi des procédés d'élaboration) et enfin une large variété de matrices chimiquement compatibles avec les fibres céramiques. Toutefois, ces matrices restent limitées en température (<1000°C) [DORE1995], [KERV1993]. Les principales matrices verres et vitrocéramiques utilisées pour la conception de composites renforcés par des fibres SiC sont les suivantes : LAS, MLAS, MAS, CAS, YMAS et BMAS avec A = Al2O3, B = B2O3, C = CaO, L = LiO2, M = MgO, S = SiO2 et Y = Y2O3 [BREN1994], [KERV1991] (Figure 2). Figure 2 : Caractéristiques chimiques et cristallographiques de différentes matrices à base verre ou vitrocéramique. Tmax : température maximale d'utilisation ; Em : module d'élasticité d'après [BREN1994]. Type de matrice Constituants majeurs Phase cristalline majeure Constistuants mineurs Coefficient de Tmax (°C) Em (GPa) dilatation thermique -6 -1 (10 °C ) Verres 7740 borosilicate B2O3, SiO2 Na2O, Al2O3 - 600 65 3,2 1723 aluminosilicates Al2O3, SiO2, MgO, CaO B2O3, BaO - 700 90 5,2 7930 silice SiO2 B2O3 - 1150 65 Vitrocéramiques LAS-I Li2O, Al2O3, SiO2, MgO 1000 ZnO, ZrO2, BaO LAS-II β−Spodumène 1100 90 1 à 1,5 Li2O, Al2O3, SiO2, MgO, Nb2O5 ZrO2 LAS-III 1200 MAS MgO, Al2O3, SiO2 BaO Cordiérite - 4,9 à 10 BMAS BaO, MgO, Al2O3, SiO2 - Baryum Osumilite 105 2,7 CAS CaO, Al2O3, SiO2 - Anorthite 90 5 MLAS MgO, Li2O, Al2O3, SiO2 - β-Spodumène α−Cordiérite 80 0,9 à 1,7 1250 Les nouvelles matrices oxydes poreuses (Al2O3 + (silice poreuse ou mullite)) semblent plus prometteuses, puisqu'elles allient une bonne résistance à l'oxydation et un faible coût [MARS2001]. Mais les températures d'utilisation des composites à matrice poreuse sont 23 principalement limitées par la dégradation mécanique ou la rupture par fluage des fibres, ou encore par la coalescence de la porosité matricielle dans le cas de la matrice alumine/silice. De plus, la faible conductivité thermique de ces composites peut entraîner des chocs thermiques et des contraintes thermiques pouvant provoquer la rupture [KERA1999a]. 1.3.3 Les interphases 1.3.3.1 Par réaction chimique La compatibilité des matrices vitrocéramiques ou verres avec les fibres peut être améliorée par l'ajout de constituants mineurs (Nb2O5, ZrO2…). En effet, la modification de la composition des vitrocéramiques permet de changer l'état de contrainte à l'interface fibre/matrice, et ainsi d'optimiser les propriétés mécaniques du composite, tout en limitant la diffusion des ions de la matrice dans la fibre. Une interphase de carbone peut également se former par réaction chimique lors de la fabrication du composite, notamment entre des fibres SiC Nicalon™ ou Hi-Nicalon™ et des matrices vitrocéramiques [BREN1993a-b] ou encore à cause des ajouts organiques de la barbotine. Cette interphase faible dévie les fissures à l'interface, mais sa stabilité chimique vis à vis de l'oxydation reste limitée par rapport à des interphases de fluoromica plus prometteuses pour ce type de composite [CHYU1993]. Toutefois ce point de vue reste controversé. 1.3.3.2 Oxydes phyllosilicates La famille des monazites, des xénotimes et des scheelites (CaWO4) sont en plein développement [KERA1999a]. Les interfaces entre la monazite LaPO4 et les matrices oxydes dévient les fissures, souvent à l'interface interphase/matrice (Al2O3), plutôt qu'à l'interface fibre/interphase [MARS2001]. Elles ont de faibles valeurs de module d’Young et de dureté, facilitant la décohésion. Mais il apparaît important d'atteindre avec précision la stœchiométrie afin d'éviter la dégradation des fibres par oxydation, due à la présence d'oxygène au sein de l'interphase [TRES1999]. Par ailleurs, des récents travaux sur l'hibonite (CaO2-6Al2O3) comme interphase de microcomposites fibres saphir/matrice Al2O3 ont montré que les fissures matricielles étaient déviées à l'interface (facilitées par l'alignement des cristaux d'hibonite à la surface de la fibre) mais sur de faibles distances. De plus, les températures d'élaboration de cess interphases hexaluminates clivables doivent être réduites à une température supportable pour les fibres polycristallines courantes de faible diamètre (entre 1100°C et 1300°C) [KERA1999a], [TRES1999]. 1.3.3.3 Oxydes poreuses Il est également possible de former une fine couche poreuse oxyde sur des fibres de faible diamètre ou de déposer une interphase poreuse YAG, ZrO2 ou encore (ZrO2 + SiO2) [MARS2001]. Mais la stabilité de ces interphases poreuses au-dessus de 1000°C n'a pas encore été explorée [KERA1999a]. Des interphases poreuses en zircone ont été utilisées sur des composites en alumine renforcés par des fibres saphir. Ces composites sont stables à 1400°C, mais il est difficile de différencier le rôle de l'interphase et celui de la matrice poreuse dans le mécanisme de déviation des fissures. L’intérêt de ces interphases est soulevé par Kerans et al., en mentionnant toutefois la difficulté de connaître le rôle exact de l’interphase dans l‘amélioration du comportement mécanique des composites [KERA1999b]. 1.3.3.4 Multiséquencée Les travaux de Sun, Nutt et Brennan sur un composite à matrice verre et fibres SiC avec une interphase multiple BN/SiC montrent que la double couche est plus stable qu'une simple interphase BN. En effet, la couche BN crée l'interface faible nécessaire à la déviation de fissures, 24 tandis que la couche SiC joue le rôle de barrière de diffusion contre l'oxydation. Mais, de tels composites montrent leurs limites après une longue durée d'exposition sous sollicitations dynamiques à hautes températures [SUN1996]. Enfin, des interphases multiséquencées perovskites sont en cours de développement et semblent être stables sur des composites à matrice alumine jusqu'à 1250°C [TRES1999]. 1.4. Composites SiC/SiC Le caractère sensible à l'oxydation des composés carbonés a favorisé l'émergence de matrices moins réactives vis-à-vis de l'oxygène. Ainsi, les matrices en carbure de silicium ont été développées et ont d'abord donné naissance aux composites C/SiC. Puis, dans les années 70, l'apparition de fibres céramiques de faible diamètre (5 à 20 µm) en carbure de silicium élaborées par pyrolyse de polymères, a constitué un des facteurs clefs de l’essor des composites SiC/SiC [LAMI1986], notamment en offrant une grande flexibilité pour le tissage. Les composites SiC/SiC ont ainsi trouvé de nombreux domaines d'applications potentielles, principalement aux hautes températures avec les chambres à combustion, les cônes d'échappement ou encore les anneaux accroche-flammes, les seules applications industrielles actuelles étant les volets froids de tuyères équipant le moteur SNECMA M88 du Rafale [BROQ1999], [CAVA1989], [JAME1993], [JONE1999]. 1.4.1 Les fibres SiC Les premières fibres SiC, fabriquées par dépôt chimique en phase vapeur (DCV) sur un filament (âme) en carbone ou tungstène (Textron, SCS-X) constituaient principalement le renfort fibreux de composites à matrices métalliques : SCS6-Ti par exemple. En effet, bien qu'elles présentent de très bonnes propriétés thermomécaniques ([GOLD1997], [TRES1999]), leur gros diamètre (> 50 µm) et donc la difficulté à les tisser, limitent encore aujourd'hui leur utilisation dans les CMC, à la fabrication de profilés, de tubes ou de panneaux (Figure 3). Figure 3 : Contrainte à rupture en traction de différentes fibres SiC d'après [TRES1999]. 25 C’est ainsi que la première fibre céramique à base de carbure de silicium (Si-C-O), de faible diamètre (5 à 20 µm) donc tissable, élaborée par pyrolyse de polymère, fut développée par Yajima et al. dans les années 1970, puis commercialisée sous le nom de Nicalon™ par Nippon Carbon, Japon [YAJI1976a-b]. Son procédé de fabrication (Figure 4) consiste à effectuer la pyrolyse, à haute température (~ 1200°C) et sous azote, d’un précurseur organique polycarbosilane (PCS) : -(SiH(CH3)CH2)n-, après l'avoir mis sous forme fibreuse (500 filaments continus). Afin d’assurer la stabilité dimensionnelle des fibres pendant l’étape de pyrolyse, celles-ci sont rendues infusibles par un traitement thermique de réticulation sous air à une température de ~ 180 °C. Figure 4 : Procédé d'élaboration des fibres Nicalon™ et Hi-Nicalon™ d'après [YAJI1976b]. De petit diamètre (15 µm) mais aisément manipulable, la fibre Nicalon™ est aujourd’hui largement utilisée dans la fabrication des composites à matrice céramique d’architecture plus ou moins complexe. Cependant celle-ci présente une instabilité chimique et mécanique à haute température, qui limite son utilisation en tant que renfort au-delà de 1200°C. Ce comportement s’explique par son fort taux d’oxygène résiduel (proche de 12% en masse) issu de l’étape de réticulation pendant laquelle les liaisons qui s’établissent entre les chaînes polymères du précurseur sont de type Si-O-Si. De plus, elles ne sont pas composées que de purs cristaux SiC polycristallins, mais aussi de petits cristaux de SiC-β (≈ 2 nm) et de carbone libre entourés d'une 26 phase intergranulaire amorphe SiCxOy (avec x = 0.85 et y = 1.15 d'après [LECO1993]), qui se décompose dès 1100°C, avec une évolution des monoxydes de silicium et de carbone et un grossissement des grains SiC [CHOL1997a]. Cette instabilité thermique provoque la diminution de la résistance mécanique et du module d'Young, et limite ainsi la température maximale d'utilisation de ces fibres Si-C-O. Pour augmenter la stabilité thermique de ces fibres dérivées de polymères organosiliciés, de nouveaux procédés ont été mis au point. Une approche consiste à introduire des atomes étrangers (Ti, N, …) dans le précurseur organique pour empêcher la cristallisation du SiC en déplaçant la température de décomposition vers des températures plus hautes. Pourtant, tandis que les fibres Si-C-N-O (HPZ de Dow Corning) et SiC-Ti-O (Tyranno Lox M de Ube Industrie) présentent une légère amélioration de leur stabilité thermique, elles restent thermodynamiquement instables, à cause du traitement de polymérisation sous oxygène qui, après pyrolyse, entraîne la formation de phases oxycarbure ou oxynitrure, dont la température de décomposition ne dépasse pas la gamme 1200°C-1400°C [BODE1996], [FISC1988], [MOCA1993a-b], [YAMA1988]. Pour améliorer leur stabilité thermique, les fabricants ont consacré un effort de recherche important et proposent aujourd’hui des fibres à faible taux d’oxygène, commercialisées sous le nom de Hi-Nicalon™ (0,5 % en masse d’oxygène) et Tyranno Lox ZE (1,7 % en masse d’oxygène). La fibre Hi-Nicalon™ a été mise au point par Okamura qui a proposé une réticulation sous bombardement électronique (Figure 4). Les liaisons Si-H et C-H sont ainsi cassées par l'irradiation du faisceau d'électrons, et des liaisons Si-C et Si-Si sont créées [OKAM1987]. Cette étape est suivie d'un traitement à chaud (à 500°C) pendant une courte durée, afin de réduire le nombre de radicaux libres piégés dans la fibre de polycarbosilane irradiée, puis d'une pyrolyse réalisée à 1300°C sous argon. Dans ce procédé, les liens Si-Si formés directement entre les extrémités des chaînes polymères permettent d’obtenir une fibre dont la teneur en oxygène est inférieure à 0,5 % en masse. Ses propriétés mécaniques à température ambiante sont équivalentes à celles de la fibre Nicalon™. Cependant, celles-ci restent stables après des traitements thermiques allant jusqu’à 1400°C [BODE1995], [JONE1999], [TAKE1999a] (Figure 5). Figure 5 : Variation de masse de fibres céramiques après traitement de 10 h sous argon à différentes températures d'après [TAKE1999a]. 27 Puis, l'étude de l'influence du rapport C/Si sur les propriétés mécaniques a permis à Nippon Carbon de sélectionner une nouvelle fibre, appelée Hi-Nicalon™ S, de composition très proche de la stœchiométrie ((C/Si)atomique = 1.05) et fortement cristallisée. Elle présente un taux d'oxygène similaire (0.5% en poids) à celui de la fibre Hi-Nicalon™ mais une teneur en carbone libre beaucoup plus faible, augmentant ainsi sa résistance à l'oxydation. Sa composition et sa microstructure reste homogène du cœur à la surface, contrairement aux fibres Tyranno SA (SiAl-C-O) et Sylramic, dont la stœchiométrie n'est effective qu'en surface [DONG2001]. Des études en fluage réalisées sur cette fibre ont également montré qu'elle était plus résistante au fluage que la fibre Hi-Nicalon™ (les grains plus gros). Elle est également plus stable thermiquement jusqu'à des températures supérieures à 1600°C et combine un fort module d'Young et une meilleure résistance à l'oxydation ([ICHI2000], [TRES1999], [URAN1998]), même sous air [TAKE1998]. Les nouvelles fibres Hi-Nicalon™, Hi-Nicalon™ S ou Tyranno LOX E ou ZE sont donc actuellement les meilleures fibres SiC disponibles sur le marché, malgré un coût excessif même pour des applications aéronautiques [AROF2000], [PAPA2001] (Tableau 1). Tableau 1 : Caractéristiques et coûts de différentes fibres céramiques d'après [PAPA2001]. La recherche se poursuit actuellement avec de nouvelles fibres, synthétisées à base d'un mélange de polymères de polycarbosilane (PCS) et de polyvinylsilane (PVS), traitées par faisceau électronique sous vide. Elles ont un plus petit diamètre (8,5 µm) et une contrainte à rupture plus grande (3,2 GPa) après traitement thermique à 1400°C sous argon. Celle-ci commence à diminuer après traitement thermique à 1500°C, à cause de la croissance et de la cristallisation des cristaux de SiC-β. Il reste maintenant à contrôler la concentration en oxygène de la fibre pour obtenir une fine fibre SiC présentant une excellente résistance thermique [IDES2001]. Nous retiendrons enfin les premiers résultats sur la synthèse, à partir d’un précurseur polycarbosilazane, d’une nouvelle fibre SiCBN amorphe jusqu'à 1800°C, qui présente selon son fabricant Bayer (Allemagne) un potentiel d’utilisation jusqu’à une température de 1500°C (résistance au fluage et résistance mécanique après traitement thermique sous air supérieures aux fibres SiC de composition très proche de la stœchiométrie), une masse volumique de 1,85 g/cm3 seulement et une remarquable résistance à l'oxydation (inhabituelle pour une fibre non oxyde) [BALD1995,1999]. Mais aucune propriété d’un composite intégrant cette nouvelle fibre n’a pu être établie pour l'instant. Les données relatives aux principales fibres présentées sont regroupées sur le Tableau 2 [PAPA2001]. 28 Tableau 2 : Propriétés de différentes fibres d'après [PAPA2001]. 1.4.2 Les matrices SiC De nombreuses méthodes de protection contre l'oxydation des constituants ont été essayées, avec toujours le même objectif : empêcher l'oxygène de pénétrer jusqu'à la fibre, notamment par l'introduction d'un matériau barrière entre les fibres et l'environnement oxydant. Cette barrière peut ainsi intervenir à l'intérieur même de la matrice. 1.4.2.1 SiC (CVI) La matrice SiC élaborée par infiltration chimique en phase vapeur est synthétisée à basse pression par réduction d'un précurseur gazeux appelé méthyltrichlorosilane (MTS), en présence d'hydrogène, autour de 1000°C selon la réaction suivante : H2, 1000°C (Eq. 1) CH3SiCl3 SiC + 3HCl Les matrices ainsi obtenues sont généralement d'une grande pureté et leur composition très proche de la stœchiométrie. 1.4.2.2 Matrice avec des inhibiteurs d'oxydation L'interphase en pyrocarbone des composites SiC/SiC conduisant à une faible résistance à l'oxydation sous air, certains auteurs ont étudié l’ajout de particules de bore dans la matrice [MIZU1997], [ZHU1999] ou autour des torons [STEY1998a], et son rôle protecteur par 29 formation d'oxyde lors de la réaction de ces particules avec l'oxygène [ZHU1998]. En effet, les particules de bore servent de pièges à oxygène, formant un oxyde qui va colmater les fissures et donc empêcher l'oxygène de continuer à pénétrer jusqu'à l'interface fibre/matrice [GUO1999], [ZHU1998]. Les essais de fatigue et de fluage effectués sur de tels composites ("enhanced") avec des fibres Nicalon™ montrent l'efficacité de ce type de protection, puisque les durées de vie sont plus longues que celles des composites "standards" SiC Nicalon™/SiC testés sous air, et même sous argon (Figures 6) [MIZU1998], [ZHU1998]. Figures 6 : Durées de vie à 1300°C sous air (Air) et sous argon (Ar) de composites à fibres Nicalon™ SiC et différentes matrices en fatigue cyclique et en fluage d'après [ZHU1998]. En revanche, la présence du mélange C-B autour des torons semble n'améliorer la tenue à l'oxydation des composites à fibres Nicalon™ que par consommation de l'oxygène résiduel contenu dans les fibres, et devient insuffisante pour des applications longue durée au-dessus de la contrainte de fissuration matricielle [STEY1998a]. 1.4.2.3 Matrice multiséquencée Le principe de la matrice multiséquencée consiste à déposer par CVI différentes couches successives de matrice. Ces couches peuvent être de texture ou de nature chimique différentes. Ce type de matrice a d'abord été utilisé sur des fibres de carbone ou de SiC comme c'est le cas pour le matériau étudié dans ce travail. L'aspect multiséquencé présente de nombreux avantages. En effet, les nombreuses interfaces entre les couches de matrice facilitent d'une part la déviation des fissures, qui rallonge ainsi le chemin de l'oxygène jusqu'à la fibre, et d'autre part la relaxation des contraintes résiduelles thermiques. Reznik et al. ont élaboré un composite C/C avec une matrice multiséquencée en pyrocarbone de différentes textures afin de montrer l'influence de la microstructure de cette matrice multiséquencée sur le comportement mécanique, et notamment l'augmentation de la ténacité d'un tel composite [REZN2002]. Par ailleurs, si ces couches sont de nature chimique différente, les propriétés du composite sont alors grandement améliorées, puisque chaque couche peut aussi jouer un rôle protecteur contre l'oxydation. En effet, des couches de matrice de composition différente précisément choisie peuvent former des oxydes (et/ou verre) qui bouchent les pores et les fissures, et donc limitent la diffusion de l'oxygène à l'intérieur du composite. De plus, si ces couches, ont des températures d'oxydation complémentaires, elles protègent l'interphase de pyrocarbone et les fibres sur un large domaine de températures. Carrère [CARR1996] et Forio [FORI2000] ont étudié ce type de composites avec des fibres SiC Nicalon™, et ont montré une forte amélioration en terme de durée de vie à chaud sous air. De plus, Lamouroux et al. ont testé ce type de système sur des composites C/SiC 2,5 D avec alternance de 2 couches à base des éléments Si, B, C [LAMO1999a-b] et de couches d'interphase en pyrocarbone dopé au bore PyC(B) et ont 30 également montré une augmentation significative de la durée de vie sous air à chaud de ces composites par rapport aux composites C/SiC avec une matrice SiC monolithique. 1.4.3 Les interphases L'interphase correspond à une zone de faible épaisseur qui joue cependant un rôle fondamental dans le comportement mécanique du matériau composite car elle est le siège des mécanismes d'interaction entre les fibres et la matrice. Elle permet d'optimiser les phénomènes de déviation de fissures, de transfert de charge fibre/matrice et parfois même de ralentir l'accès de l'oxygène jusqu'à la fibre. 1.4.3.1 (Pyro)carbone Le pyrocarbone (PyC) est l'interphase la plus répandue des composites SiC/SiC. En effet, les propriétés particulières du carbone (faible liaison inter-feuillets propices aux déviations de fissures et aux frottements) placent le pyrocarbone comme un candidat très intéressant pour réaliser les interphases. Il peut être déposé par CVI à partir d'une grande variété d'hydrocarbures (CH4, C3H8 ou C3H6) et est compatible avec les fibres et les matrices à hautes températures. Le PyC doit être fortement lié à la fibre pour favoriser une déviation diffuse des fissures à l'intérieur de l'interphase, et non à l'interface PyC/fibre, mais il doit aussi garder un bon transfert de charge (réseau de nanofissures à l'intérieur de l'interphase). Ces phénomènes seront favorisés par un PyC cristallisé et orienté parallèlement aux fibres (donc fortement anisotrope) [NASL1985]. 1.4.3.2 Multiséquencée (PyC /SiC)n La seconde fonction de l'interphase peut être d'améliorer la résistance à l'oxydation du composite. Une première solution consiste à introduire une interphase multiséquencée PyC/SiC déposée par CVI. En effet, l'oxydation des composites SiC/SiC avec une interphase en PyC implique principalement des réactions chimiques de l'oxygène avec le C et le SiC. Ce phénomène est responsable de la formation d'une part, de pores annulaires autour des fibres, dont l'extension augmente au fur et à mesure que le pyrocarbone est consommé, et d'autre part de silice sur les parois des pores. Comme cette oxydation circonférentielle est d'autant plus facilitée que l'interphase en pyrocarbone est épaisse [LIN1997a], une solution consiste à réduire l'épaisseur de PyC, en la remplaçant d'une manière séquencée par du SiC (Figure 7), dont l'oxydation en formant de la silice devrait boucher les pores annulaires [PASQ1998], [REBI1998]. Figure 7 : Schéma d'un composite à interphase multiséquencée d'après [REBI1998]. Un autre avantage de cette interphase multiséquencée PyC/SiC réside dans le gain, d'une part de transfert de charge entre la fibre et la matrice (augmentation des contraintes de compression sur les fibres) [REBI1998] et d'autre part de résistance au cisaillement interfacial. En effet, plus on augmente le nombre de séquences et plus la résistance au cisaillement à l'interface de la première interphase carbone avec les fibres augmente [REBI1997a]. Ces composites présentent alors des 31 durées de vie plus longues, par rapport aux composites à une seule interphase de pyrocarbone [BERT2001], [PASQ1998], [REBI1998]. 1.4.3.3 PyC (B) Une autre méthode pour limiter l'accès de l'oxygène jusqu'aux fibres est de rajouter du bore au pyrocarbone (par addition lors de la CVI, d'un gaz précurseur à base de bore (BCl3/H2) aux autres hydrocarbures). Cet ajout a deux effets bénéfiques : il augmente d'une part l'anisotropie du PyC et d'autre part la résistance à l'oxydation du composite, par formation d'un oxyde à faible point de fusion, permettant de remplir les microfissures. Cette interphase a été réalisée sur des composites SiC/SiC [LIN1997b] et sur des microcomposites SiC/SiC avec un gradient de composition PyC/B (Figure 8), afin d'optimiser les mécanismes bénéfiques précédemment décrits [JACQ1996]. Figure 8 : Interphase de PyC dopée au bore avec un gradient de composition d'après [NASL1998]. Lin et al. [LIN1997b] ont montré que cette protection est limitée en durée de vie, car la formation de verre au niveau de l'interphase serait trop rigide et conduirait avec le temps à la fragilisation du composite. De plus, le passage du microcomposite au composite 2D [JACQ1997] montre des résultats bien différents, puisque les propriétés mécaniques du composite 2D à température ambiante restent semblables à celles du composite SiC/SiC à interphase simple PyC et les durées de vie sous air à chaud ne sont pas accrues. Cette absence d’amélioration serait due à la texture nano-poreuse des couches riches en B, créées durant la CVI du composite SiC/SiC, qui favoriserait la diffusion de l'oxygène à cœur. Le procédé doit donc être optimisé, afin de retrouver des résultats sur composites 2D comparables à ceux sur microcomposites correspondants. 1.4.3.4 BN Une autre solution consiste à remplacer le pyrocarbone par du nitrure de bore (BN). Le nitrure de bore a une meilleure résistance à l'oxydation que le carbone : il commence à s'oxyder vers 800°C (au lieu de 500°C) pour le pyrocarbone, en formant une couche passive de B2O3, mais cette résistance reste limitée par la volatilisation du B2O3 vers 1000°C. Néanmoins, il apparaît très important de considérer le taux d'oxygène contenu dans les interphases BN, car comme pour la fibre Nicalon™, l'oxygène contenu intrinsèquement dans le matériau est source d'oxydation privilégiée à haute température même sous atmosphère inerte. More et al. ont montré qu'une réduction de 11% d'oxygène (taux couramment utilisé dans les interphases BN commercialisées) à 2% sur des composites SiC/BN/SiC améliore fortement les propriétés mécaniques et la résistance à l'oxydation de ces composites [MORE1999]. Par ailleurs, une double couche fine 32 C/SiO2 se forme souvent à l'interface fibre/BN ; comme sa résistance en cisaillement est plus faible que celle du BN lui-même, elle favorise le rôle de "fusible mécanique" au niveau de son interface avec la fibre (F) (type I), au lieu de l'interphase (I) BN elle-même (type II) (Figure 9). De ce fait, le transfert de charge fibre (F)/matrice (M) est faible après la multifissuration matricielle. Figure 9 : Déviations à différentes interfaces selon la nature de l'interphase. De plus, le nitrure de bore est sensible à l'humidité surtout lorsqu'il n'est pas bien cristallisé ; or la plupart des interphases BN déposées à basse température sont souvent amorphes ou faiblement cristallisées, donc particulièrement sensibles à l'humidité [NASL1998]. Pourtant, les interphases hex-BN, fortement anisotropes et orientées avec des couches atomiques de BN parallèles aux fibres, peuvent être déposées à partir de mélanges BF3-NH3 mais sous des conditions CVD/CVI trop agressives pour les fibres. Une solution consiste à introduire une première couche de BN isotrope (conditions de dépôts moins agressives), puis d'introduire du BN fortement anisotrope grâce à un procédé en une seule étape : la CVI à gradient thermique [JACQ2000] appelée TGCVI (voir §. 1.5.1 CVI type 2). Mais cette méthode n'est pas tout à fait satisfaisante car l'amélioration des propriétés mécaniques se fait au détriment de la résistance à l'oxydation et vice-versa, même si globalement, l'interphase BN reste plus résistante à l'oxydation que le PyC [JACQ2000], [REBI1997b]. Toutefois, Leparoux et al. [LEPA1998] ont montré que l'efficacité du BN par rapport au PyC dépendait énormément de la sollicitation à laquelle sont soumis les composites SiC/SiC. Ainsi, tandis que sous fatigue statique, l'interphase BN présente de meilleurs résultats, en fatigue cyclique ce sont les composites avec PyC qui se révèlent les plus efficaces, en terme de durée de vie. Enfin, une étude récente sur du BN dopé au silicium, déposé à 1400 °C sur des fibres SiC, présente des résultats encourageants en ce qui concerne la résistance à l'oxydation, tout en gardant de bonnes propriétés mécaniques [TRES1999]. 1.4.3.5 Multiple oxyde SiO2-ZrO2-SiO2 Enfin, un autre système d'interphase multiséquencée, mis au point par Lee et al. [LEE1998], consistant en une interphase oxyde SiO2-ZrO2-SiO2 sur des minicomposites Hi-Nicalon™ SiC/SiC, présente des résultats à température ambiante encourageants, même après oxydation à haute température sous air. Mais pour l'instant, aucun résultat ne précise le comportement de ces composites à chaud sous air. 1.5. Méthodes d'élaboration Dans ce paragraphe, nous présenterons succinctement les principales techniques d'élaboration des CMC [NASL1985] et notamment leurs avantages et leurs limites. Les composites sont constitués de deux phases : 33 - une architecture fibreuse jouant le rôle de renfort, - un dépôt à cœur des matériaux ayant un rôle de liant ou matrice. L'élaboration d'un tel matériau s'effectue par : - la réalisation et la rigidification d'un renfort (ou préforme) d'une structure géométrique proche de la pièce finale désirée, - la densification : la porosité est comblée par apports successifs de matrice et donnera au matériau ses caractéristiques physico-chimiques. Les différentes voies de densification sont la voie gazeuse (CVI), la voie liquide (RMI, MI ou PIP) ou encore la voie solide. 1.5.1 Elaboration en phase vapeur (CVI : Chemical Vapour Infiltration) C'est l'idée d'enrober des fibres céramiques par une matrice elle-même de type céramique et notamment les carbures, qui a conduit à la mise au point d'une méthode appropriée d'élaboration des composites céramique-céramique : la CVI (Chemical Vapour Infiltation). Le principe de la CVI consiste à infiltrer un mélange réactif de gaz dans une préforme poreuse (souvent fibreuse) à une température élevée (900-1200°C suivant la nature du gaz) [CHRI1979]. Le dépôt sur la préforme se fait par réaction chimique en phase vapeur et forme la matrice du composite. Pour accroître la vitesse de déposition en minimisant les gradients de densité, de nombreux facteurs doivent être optimisés (Figure 10). Figure 10 : Facteurs influençant l'élaboration de composites par CVI d'après [SEP1989]. Il existe 5 grandes classes de techniques CVI (Figure 11) [BESM1990, 1991, 1993] : Type I : Isotherme (ICVI : Isothermal Chemical Vapour Infiltration) : les réactifs entourent la préforme et pénètrent par diffusion. Type II : A gradient thermique (TG-CVI : Thermal-Gradient Chemical Vapour Infiltration) [JACQ2000]: les réactifs pénètrent par la paroi froide de la préforme et diffusent vers la paroi chaude. Type III : A flux forcé isotherme: les réactifs passent à travers la préforme. Type IV : A flux forcé à gradient thermique (FCVI : Forced Chemical Vapour Infiltration) [PROB1999] : les réactifs passent à travers la préforme de la paroi froide vers la paroi chaude. 34 Type V : A flux pulsé (P-CVI : Pulsed Chemical Vapour Infiltration) ([LAMO1999a], [NASL2001]): les réactifs entrent et sortent de la préforme grâce à une évacuation et un remplissage cycliques. Figure 11 : Les différents types de CVI d'après [BESM1991]. La CVI a été développée et optimisée (en combinant par exemple la TG-CVI et la P-CVI [STIN1986]) ; actuellement elle est utilisée industriellement pour la fabrication de composites à matrices carbure, nitrure et oxyde. Efficace pour produire des CMC à fibres continues avec des propriétés attractives, tout en gardant une forme proche de la structure définitive, le principal intérêt de ce procédé réside dans le fait que sa mise en œuvre se fait à température très inférieure à la température de fusion ou de décomposition du solide considéré. La CVI offre également la possibilité de fabriquer des matériaux multicomposants avec le même procédé. Des systèmes avec un large choix de fibres (carbure, nitrure, borure et oxyde), de matrices ou d'interphases multiséquencées peuvent être développés, notamment pour augmenter la ténacité et la résistance à l'oxydation [NASL2001]. Quelques inconvénients subsistent pourtant : la durée de traitement (de plusieurs centaines d'heures), l'usinage indispensable des pièces durant l'élaboration pour le bon fonctionnement de l'infiltration, le fort coût conséquent, mais également un gradient de densité entre le cœur et la surface de la pièce difficile à contrôler. 1.5.2 Elaboration par voie liquide ou semi-liquide Si l'on excepte quelques cas particuliers, il apparaît que les procédés par voie liquide (ou semiliquide) sont actuellement beaucoup moins bien maîtrisés que les procédés qui reposent sur la CVI. Ils sont donc peu développés pour la fabrication industrielle, principalement en Allemagne et au Japon. 1.5.2.1 RMI (Reaction Melt Infiltration) L'imprégnation par un liquide réagissant avec la préforme est d'une grande simplicité. Elle comporte deux étapes [NASL1985] : * la préparation d'une préforme poreuse à partir de fibres réfractaires à base d'un élément A ou consolidée à l'aide de A, * l'imprégnation de la préforme à l'aide d'un matériau B liquide. Au moment de l'imprégnation, B réagit avec A, généralement de manière exothermique, pour former in-situ la matrice réfractaire AB. 35 Cette méthode a été appliquée avec succès à l'élaboration de composites C/SiC à partir d'une préforme carbonée (avec B = silicium (Tfusion = 1410°C) et A = carbone). Outre sa simplicité, ce procédé a l'avantage d'être très rapide et de conduire à un matériau dense. En revanche, pour cette technique, le renfort fibreux et son revêtement peuvent être sérieusement dégradés voire totalement transformés par les très hautes températures de mise en œuvre (par exemple, transformation des fibres de carbone en fibres de carbure). 1.5.2.2 MI (Melt Infltration) Compte tenu du caractère réfractaire de la plupart des matrices céramiques, les possibilités d'élaboration par imprégnation directe du renfort fibreux à l'aide de la matrice à l'état liquide sont nécessairement limitées. Une exception importante correspond au cas des matrices vitreuses ou vitrocéramiques. A la température de mise en œuvre du verre, la viscosité est suffisamment faible pour permettre l'imprégnation directe du renfort fibreux au moins lorsque ce dernier n'est pas sous forme trop complexe. Pour prendre en compte les problèmes de mouillage et rendre l'imprégnation plus complète, l'application d'une pression relativement élevée (uniaxiale ou isostatique par exemple) est nécessaire, celle-ci pouvant endommager les fibres. Dans le cas des composites à matrice vitrocéramique, le traitement de céramisation est effectué par recuit après imprégnation. Le procédé a été utilisé depuis plus d'une trentaine d'années, pour l'élaboration de CMC à fibres continues de carbone, carbure de silicium ou alumine et à matrice vitreuse (à savoir silicate ou borosilicate) ou vitrocéramique (à base de silice, alumine et oxyde de lithium) et plus récemment sur des matrices Si/SiC [LUTH2001]. Les avantages du procédé sont nombreux : il est simple et rapide, il s'appuie sur les technologies bien maîtrisées des produits verriers et des composites à matrice organique (même procédé mais à des températures supérieures) et il offre une grande souplesse au niveau de la composition de la matrice. En revanche, il fait appel à des températures de mise en œuvre relativement élevées et suppose qu'il y ait compatibilité chimique et physique des fibres avec la matrice. De plus, les applications industrielles semblent compromises, même si les premiers essais de composites SiC/SiC sur des aubes de moteurs par GE (General Electric Co) présentent des résultats encourageants à des températures > 1200°C. En effet, ce procédé est extrêmement onéreux et le gain en performance reste encore à justifier [LUTH2001]. 1.5.2.3 PIP (Polymer Infiltration and Pyrolysis) L'utilisation des précurseurs organométalliques ou minéraux liquides semble offrir de nombreuses potentialités, notamment sur la base : * de l'expérience acquise dans le domaine des composites carbone-carbone (où la matrice carbone est fréquemment formée par imprégnation/pyrolyse à partir d'une résine organique ou d'un brai) et dans celui des fibres réfractaires (fibres de SiC et d'Al2O3), * de la variété des molécules organométalliques, * des basses températures mises en œuvre (minimisant l'altération du renfort fibreux). Pourtant, la mise en place industrielle de ce procédé ne semble pas encore répandue. Cette méthode se compose de quatre étapes principales : * la synthèse d'un précurseur organométallique approprié, * l'imprégnation de la préforme fibreuse, * la polymérisation in-situ du précurseur, * sa pyrolyse à température modérée conduisant à la matrice céramique. On recommence l'opération jusqu'à obtenir la densification désirée. Mais la plupart des recherches publiées sur les précurseurs organiques liquides des matériaux réfractaires, ont été spécifiquement orientées vers la production de fibres plutôt que vers la 36 préparation par imprégnation/pyrolyse de matériaux composites, à l'exception de travaux de quelques auteurs [JONE1999], [TAKE1999b]. 1.5.3 Elaboration en phase solide L'enrobage en phase solide de fibres céramiques dans une matrice céramique, basé sur la mise en œuvre d'une compression/frittage, est d'une application relativement limitée en regard de la fragilité des fibres et de l'absence de plasticité de la matrice. Ce procédé est donc pratiquement limité aux fibres courtes (coupées ou whiskers), un renfort à fibres continues serait, en effet, très sérieusement endommagé lors de la compression. 1.6. Conclusion Les températures d'utilisation des CMC sont généralement limitées par les fibres. Les progrès dans ce domaine se portent principalement sur leur composition chimique (élimination d'espèces réactives à basse température, comme l'oxygène dans les fibres SiC) et sur leur microstructure (réduction de la croissance des grains à haute température). L'amélioration de leur durée de vie sous air dépend surtout de leur résistance à l'oxydation et à la corrosion. En effet, le remplacement du carbone par des carbures, des nitrures ou des oxydes augmente la longévité des composites, mais réduit aussi les températures d'utilisation. Le problème crucial est de maintenir les propriétés de déviation de fissures à l'interface entre la fibre et la matrice, tout en protégeant l'interphase et les fibres contre l'oxydation. Les solutions résident dans la réduction de la vitesse de pénétration de l'oxygène à l'intérieur du composite, soit par des revêtements externes, soit par des matrices élaborées qui consomment l'oxygène avant qu'il n'atteigne l'interphase puis la fibre. Enfin, le choix du procédé d'élaboration est très important, car il va dépendre de la nature des constituants, de leur stabilité thermique et de leurs propriétés physico-chimiques (viscosité de la matrice, réactivité…), mais également du rapport qualité/prix des composites, au travers d'une part de la minimisation de la dégradation du renfort fibreux, et d'autre part de la réduction du temps d'élaboration. 37 SYNTHESE Les fibres de carbone présentent une forte rigidité, une contrainte à rupture et une résistance au fluage à hautes températures sous atmosphère inerte élevées, mais elles sont extrêmement sensibles à l'oxydation dès 500°C. Néanmoins, si elles sont protégées contre l'oxydation par un revêtement extérieur ou une matrice améliorée, les fibres de C restent les fibres les plus stables thermiquement à haute température (fluage limité) et les moins chères [LAMO1999a]. Les fibres oxydes en alumine, zircone, mullite ou plus récemment les fibres YAG sont thermiquement stables sous atmosphère oxydante, mais ont généralement une faible résistance au fluage à haute température (< 1100°C) [TRES1995]. Les fibres SiC synthétisées par pyrolyse de polymères, plus flexibles et de diamètre plus fins que celles produites par CVD ou frittage, sont un des meilleurs matériaux de renforcement des CMC. Mais contrairement aux céramiques oxydes, le SiC est instable dans l'air à haute température et s'oxyde. Ainsi, malgré les récents efforts de développement de nouvelles fibres pour pallier cet inconvénient, d'autres moyens de protection contre l'oxydation sont souvent nécessaires. Les revêtements externes améliorent grandement la résistance à l'oxydation des composites, puisqu'ils protègent les parties en surface directement accessibles à l'oxygène. Toutefois cette protection ne semblent pas suffisante, puisque dès les premières fissurations matricielles, l'oxygène peut pénétrer à l'intérieur du composite. Il est donc nécessaire de prévoir alors une protection complémentaire au sein même de la matrice [LAMO1999a-b]. Dans des domaines d’utilisation à des températures inférieures à 1400°C et sous atmosphère oxydante, la matrice C peut être remplacée par des oxydes ou d'autres céramiques : vitrocéramique ou SiC. En effet, grâce à ses propriétés (dureté élevée, bonne résistance à l’oxydation, bonne stabilité thermique, module d’Young élevé, coefficient de dilatation thermique faible...), le carbure de silicium est un constituant privilégié. La disponibilité de fibres SiC et de techniques de densification de matrice SiC a fait des composites SiC/SiC un matériau de choix pour de nombreuses applications spatiales et aéronautiques [KARN1991]. Le rôle primordial des interphases les place parmi les principales recherches actuelles. En effet, de gros progrès ont été réalisés pour favoriser le transfert de charge, les déviations de fissures, tout en limitant l'accès de l'oxygène jusqu'aux fibres. Deux procédés d'élaboration de CMC à fibres continues sont en compétition : la voie gazeuse et la voie liquide. Le premier a l'avantage d'être déjà maîtrisé pour un certain nombre de matrices (C, SiC, B4C, TiC, BN, Al2O3 …) et de conduire, avec un minimum de manipulations, à des matériaux de qualité à partir d'une grande variété de préformes (même multidirectionnelles). En revanche, c'est un procédé lent et onéreux, exigeant un contrôle extrêmement rigoureux des conditions opératoires et qui est mal adapté aux matrices chimiquement complexes. Par ailleurs, de par le caractère peu réfractaire des matrices céramiques, les procédés d'élaboration mettant en œuvre la matrice à l'état liquide sont d'application très limitée, si ce n'est pour les matrices vitrocéramiques silicatées, où la voie liquide est particulièrement adaptée et bien maîtrisée. Par référence aux matériau de type carbone-carbone, on peut penser que leur principal avantage est une grande souplesse au niveau de la composition de la matrice et des conditions opératoires. Par contre, ils sont mal adaptés aux préformes constituées de pores de faible diamètre, car ils conduiraient à des matrices de moindre qualité et exigeraient de nombreuses manipulations (répétition des cycles PIP). Toutefois, de nouveaux procédés hybrides remettent en cause cette classification, en combinant CVI et MI en fin d'élaboration [XU1999], ou CVI-PIP [ORTO2000], qui s'avèrent plus rapides et moins coûteux, tout en gardant de bonnes propriétés mécaniques. 38 Les performances des CMC dépendent fortement des propriétés thermomécaniques des constituants. Ainsi, comme nous venons de le voir, les recherches effectuées se penchent essentiellement sur l'amélioration de la fibre (diminution de la concentration en oxygène), de la matrice, de l'interphase, mais aussi sur le procédé d'élaboration qui doit endommager le moins possible le composite. Cependant l'endommagement et la rupture dépendent aussi de l'état de contraintes appliquées et de la texture du renfort (unidirectionnel, stratifié ou tissé), même si les phénomènes sous-jacents de la rupture, intimement liés aux caractéristiques de propagation de fissures et de glissements le long des interfaces sont convenablement illustrés par le comportement de systèmes à renfort unidirectionnel. 2. Comportement mécanique à température ambiante Un CMC peut présenter un comportement non fragile et une certaine tolérance à l'endommagement, ceci bien que l'un et l'autre des constituants soient fragiles. En effet, plusieurs mécanismes interviennent et contribuent au travail de rupture : fissuration matricielle, décohésion interfaciale, glissement et frottement des fibres dans la matrice. Ces mécanismes qui mettent en jeu les propriétés physiques et mécaniques de chaque constituant soulignent le rôle déterminant joué par la liaison fibre-matrice. Voyons maintenant comment ces mécanismes interviennent à température ambiante. 2.1. Chargement monotone Les CMC à fibres continues présentent un comportement mécanique non linéaire, attribué à la formation de fissures matricielles, aux déviations de celles-ci à l'interface macroscopique fibre/matrice, et aux ruptures de fibres. 2.1.1 Courbe typique contrainte-déformation L’endommagement sous chargement monotone des composites SiC/SiC a été étudié par Guillaumat [GUIL1994]. Avant de décrire l'endommagement de ces composites bidirectionnels, il est nécessaire de nommer les différentes composantes du matériau. De par leur procédé d'élaboration par CVI, les SiC/SiC présentent une structure hétérogène. Elle est constituée de fils (ensemble de ~500 fibres), de matrice déposée par CVI, de macropores situés soit entre les strates de tissus, soit à l'intersection de deux fils et de micropores à l'intérieur des fils. Les fils parallèles à l'axe de sollicitation sont appelés fils longitudinaux et les fils perpendiculaires : fils transversaux. La matrice située à l'intérieur de ces fils est qualifiée de matrice intrafil, celle qui recouvre les fils est appelée matrice interfil (Figure 12). Figure 12 : Présentation de la microstructure hétérogène d'un composite SiC/SiC d'après [FORI2000]. fil tranversal fil longitudinal micropore macropore strates de tissus 39 Guillaumat a modélisé la séquence d'endommagement suivante : a. comportement linéaire élastique (ε <0,025%), b. développement de la fissuration matricielle amorcée aux macroporosités et propagation dans la matrice au cœur des fils longitudinaux ( 0,025<ε<0,09%), c. fissuration au cœur des fils transversaux (0,09<ε<0,2%), d. développement des décohésions à l'interface fibre/matrice à partir des deux familles de fissures créées précédemment. La rupture du composite est atteinte par la généralisation de cet endommagement et la rupture progressive des fibres longitudinales. La non-linéarité est, de façon générale, conditionnée par les caractéristiques de l'interphase et par la contrainte de cisaillement τ. Ces deux paramètres ne jouent pas un rôle direct sur la limite de linéarité, mais influent sur l'écart à la linéarité après l'apparition des premières fissures matricielles [GUIL1994]. Ainsi, une interface fibre/matrice en traction ou une faible contrainte de cisaillement interfacial τ facilite les décohésions à l'interface au cours du chargement. La perte de rigidité, fonction croissante du volume endommagé, est par conséquent plus importante et la courbe du comportement mécanique plus aplatie pour des contraintes supérieures à la limite d'élasticité. Par ailleurs, pour les composites avec des matrices sensibles à la corrosion sous contrainte (par exemple alumine ou verres silicatés) [KARA1993], [SORE1995a], [SPEA1994], la courbe de traction monotone dépend fortement de la vitesse de sollicitation. 2.1.2 Cycles de chargement-déchargement Au cours de cycles de chargement-déchargement à contrainte croissante, le composite s'endommage et présente de faibles déformations résiduelles sous sollicitation nulle, une évolution de l'hystérésis des boucles et surtout une variation du module moyen. Par conséquent, le comportement mécanique macroscopique du composite est défini comme élastique endommageable. Ces déformations permanentes et cette hystérésis sont attribuées, pour le SiC/SiC à la fissuration matricielle suivie d'un effet de la contrainte de cisaillement interfacial τ entre les fibres et la matrice (Figure 13). Figure 13 : Cycles de chargement-déchargement d'un composite SiC/SiC à température ambiante d'après [REYN1992]. 2.1.3 Compression Les comportements en compression sont de type linéaire élastique fragile. La courbe en traction/compression présente un point d'inflexion, relatif à une reprise de rigidité en compression qui résulte de la fermeture forcée des fissures, sous sollicitation mécanique. Le module initial en compression est par conséquent proche de celui d'un composite non endommagé. Ce phénomène a plutôt été montré sur des C/SiC par Lorrain et al. [LORR1994] (Figure 14). 40 Figure 14 : Fermeture forcée des fissures lors des passages en compression d'après [LORR1994]. 2.2. Fatigue cyclique Avant de présenter les mécanismes de fatigue, nous allons présenter rapidement la fatigue cyclique et ses différents paramètres. Dans un essai de fatigue cyclique, un échantillon est soumis à une contrainte variable, d'amplitude et de fréquence données. L'amplitude de cette contrainte cyclique est donnée par : σ amp = σ max −σ min 2 et le rapport des contraintes extrêmes : R = σ min σ max où σmin et σmax sont respectivement la contrainte minimale et maximale auxquelles est soumis l'échantillon. Les essais peuvent être effectués en tension-tension, compression-compression, ou tension-compression auquel cas R devient négatif. 2.2.1 Mécanismes de fatigue dans le composite La fatigue cyclique diffère du chargement monotone. En effet, dans les cas des essais monotones, le critère de rupture est atteint par une augmentation continue de la contrainte appliquée, alors que pour les essais de fatigue cyclique, c'est l'évolution des paramètres microstructuraux comme la contrainte de cisaillement interfacial (τ) qui conduit à une augmentation de l'endommagement (taux de fibres rompues q). Par ailleurs, on ne peut parler de mécanismes de fatigue dans les composites, que si la contrainte maximale appliquée σmax est supérieure à la contrainte de fissuration matricielle σe. Les mécanismes d'endommagement potentiels d'un composite soumis à une contrainte de fatigue cyclique sont de trois types différents, selon le site où ils opèrent : la matrice, la fibre ou l'interphase [OLIV1998]. L'objectif de ce paragraphe est donc de passer en revue tous les mécanismes de fatigue susceptibles d'être activés et d'identifier le ou les mécanismes prépondérants responsables de la dégradation progressive des propriétés mécaniques du composite sollicité au-dessus de sa contrainte de fissuration matricielle. 2.2.1.1 • Dans la matrice Mécanismes liés à la microstructure L'existence d'un effet de fatigue exclusivement dû à la périodicité d'une contrainte mécanique a été clairement mis en évidence dans le cas des céramiques monolithiques polycristallines présentant une rupture de type intergranulaire ou un effet de "courbe R" (alumine, nitrure de 41 silicium, zircones partiellement stabilisées) [EVAN1990]. Elle est convenablement décrite par une loi de Paris [DORL1999] : (Eq. 2) da =C dN (∆K) m avec a : la longueur de la fissure, N : le nombre de cycles, ∆K : l'amplitude du facteur d'intensité de contrainte au cours d'un essai de fatigue, C : une constante, m : un paramètre dépendant du matériaux (entre 15 et 50 pour les céramiques au lieu de 2 à 4 pour les métaux). Il est proche de 38 pour le SiC fritté avec ajouts [RITC2000]. Contrairement aux matériaux ductiles, les fissures dans les céramiques au cours d'un essai de fatigue, n'apparaissent pas spontanément : elles sont toujours associées à des défauts préexistants. De plus, la microstructure (taille des grains, joints de grains, porosité …) a une très grande influence sur les vitesses de propagation des fissures. Ainsi, le phénomène de fatigue dans les céramiques résulte de l'ouverture de la fissure par la création d'une zone qui est le siège de fortes déformations pseudo-plastiques (microfissuration, transformation de phase). La mise en compression de cette zone lors de la décharge entraîne la fermeture partielle des fissures, dont la réouverture, lors de la recharge, est conditionnée par la nécessité d'endommager à nouveau la pointe des fissures. Ainsi, pendant la phase de déchargement, des aspérités peuvent bloquer la fermeture des fissures et entraîner localement des contraintes de compression, permettant au phénomène de corrosion sous contrainte d'agir et aux fissures de poursuivre leur propagation [RITC1988]. • Propagation sous-critique (PSC) La rupture fragile des céramiques provient de défauts distribués en surface ou en volume du matériau. La résistance mécanique d’un échantillon est limitée par la taille de son plus gros défaut. Dans de nombreux matériaux céramiques, cette résistance diminue à cause de la croissnance lente de la taille des défauts sous l’influence d’un champ de contraintes en tension. La propagation sous-critique (SCG : "Slow Crack Growth"), connue aussi sous le nom de propagation lente de fissures précède la rupture fragile des matériaux céramiques. Dans de nombreux matériaux, elle est favorisée par la présence d’eau dans l’atmosphère (corrosion sous contrainte), mais elle peut également se produire sous vide. Elle est thermiquement activée et devient donc importante aux hautes températures. La porosité favorise la PSC, en élargissant l’accès aux agents agressifs. Par ailleurs, elle dépend beaucoup de la vitesse de sollicitation, puisqu’il y a une compétition entre la diffusion et la réactivité des éléments chimiques et la sollicitation mécanique. Le carbure de silicium, ne contenant pas de phase intergranulaire, n’est pas très sensible à la propagation sous-critique à basse température, mais au-dessus de 1000°C, la rupture transgranulaire par PSC devient importante [CAMB1994], [LEWI1998]. Il faut toutefois rester prudent car à ce jour, aucune mesure à notre connaissance n’a été réalisée sur du SiC élaboré par CVI, et le SiC couramment étudié est de phase α [GILB1996], [LEWI1998] contrairement au SiC CVI de phase β [JONE1993]. De plus, la présence d’ajouts de frittage dans le SiC fritté peut aussi favoriser la PSC à température ambiante [GILB1996]. • Mécanismes résultant de la structure multiséquencée La structure multiséquencée fait intervenir les mêmes mécanismes que l'interface fibre/matrice (§ 2.2.1.3), mais sans qu'une couche d'interphase soit introduite entre les couches matricielles. Cela signifie que la compatibilité chimique et la différence des coefficients de dilatation entre les différentes couches vont être des paramètres importants, pour comprendre pourquoi certaines 42 décohésions sont favorisées. De même, la fissuration matricielle pourra, du fait de la déviation des fissures en mode II, se produire de façon privilégiée dans une couche en particulier. Mais pour de nombreux CMC, il n'y a pas d'effet de fatigue propre à la matrice du fait de leur faible ténacité. Pour ces composites, la fatigue est dictée soit par la dégradation des fibres, soit par les phénomènes d'interfaces [EVAN1995]. 2.2.1.2 • Mécanismes liés à l'endommagement des fibres Dégradation des fibres Les fibres, dans le cas des CMC, sont des matériaux de type fragile et obéissent donc aux mêmes lois de fatigue que la matrice. Un autre mécanisme de fatigue envisageable pour les fibres concerne la dégradation de leurs propriétés mécaniques par un phénomène d'abrasion ou d'oxydation susceptible d'introduire des défauts critiques en surface. Cette dégradation a été mise en évidence dans les TMC (Composites à Matrice Ti) à fibres SiC de gros diamètre (~100 µm), avec une réduction de la résistance de 10 à 30% [STEY1998b]. Ces mesures ont été réalisées par des tests de traction sur fibres extraites de composites testés ou non en fatigue. Malheureusement, elles n'ont pas été effectuées sur des fibres de faible diamètre, plus couramment utilisées dans les CMC, du fait de la difficulté à extraire et à tester ces fibres. Toutefois, des mesures sur les faciès de rupture miroir de composites SiC Nicalon™ /CAS testés ou non en fatigue, ont montré qu'une certaine dégradation apparaissait, suggérant l'introduction de nouveaux défauts à la surface des fibres ou l'extension des défauts existants durant la fatigue [MCNU1999]. De plus, le milieu agressif entourant le matériau, accélère l’amorçage des fissures et augmente la vitesse de fissuration. • Rupture des fibres Si nous prenons un écheveau de fibres sans matrice (cas de l'écheveau "sec" ou encore quand τ=0), chaque fibre ne comporte qu'une seule fissure qui se crée à partir du défaut le plus sévère. Dans ces conditions, la rupture du fil apparaît lorsque toutes les fibres ont été rompues. En supposant une répartition homogène des défauts le long des fibres, la rupture individuelle des fibres est généralement décrite statistiquement à l'aide d'une fonction de répartition de Weibull. L'analyse simplifiée qui est couramment admise suppose qu'il n'existe qu'une seule population de défauts situés à la surface des fibres. Mais une étude plus fine fait appel à une description statistique à deux populations intégrant les défauts intrinsèques et les défauts extrinsèques, la limite entre chaque population étant définie par le rapport entre une longueur caractéristique séparant les défauts de même sévèrité et la longueur totale des fibres [VILL1991]. Contrairement au cas de l'écheveau "sec", lorsqu'une première rupture apparaît dans une fibre d'un matériau composite, le chargement appliqué à cette fibre ne se relâche pas totalement, ce qui permet une multifissuration de la fibre (cas des composites à matrice organique où εf < εm). Par conséquent, si les fibres seules ne présentent pas un effet de fatigue intrinsèque, la modification de leurs conditions de chargement peut être à l'origine d'une évolution de l'état des fibres (taux de multifissuration) en fonction du nombre de cycles de fatigue. En effet, en supposant que nous soyons dans le cas d'un matériau composite à interface faible, de sorte que la force motrice des fissures matricielles soit insuffisante pour rompre simultanément toutes les fibres, l'apparition d'une rupture de fibre suivant le mécanisme élémentaire présenté ci-dessus conduit à une augmentation de l'ouverture de la fissure. Ceci entraîne une surcharge supplémentaire des fibres voisines intactes et des pointes de la fissure matricielle, favorisant ainsi la propagation de cette dernière [FAVR1992]. Si l'on écarte les effets dus au temps (propagation sous-critique) et à la microstructure de la matrice évoqués précédemment, toute fissure matricielle se propage de façon instable entraînant 43 une désolidarisation limitée de la matrice et des fibres pontantes. L'accroissement de la contrainte supportée par les fibres peut alors provoquer la rupture de certaines d'entre elles ce qui permet à la fissure de se propager un peu plus loin et ce, jusqu'à ce qu'un état d'équilibre soit atteint. La propagation de la fissure peut être ainsi arrêtée avant que celle-ci ne traverse toute la section du composite. L'application d'une contrainte de cyclage accroît la distance de déchaussement à l'interface entraînant ainsi l'augmentation progressive de la contrainte globale supportée par les fibres, dont la rupture conditionne l'avancée de la fissure matricielle. 2.2.1.3 Dégradation de l'interface fibre-matrice Lorsque les fibres céramiques (exceptées celles de carbone) sont choisies comme renfort, l'hypothèse de réduction des propriétés mécaniques des fibres par abrasion peut-être écartée et le mécanisme prépondérant à l'origine de l'effet de fatigue, est la dégradation par usure de l'interface fibre-matrice [EVAN1995], [ROUB1993b]. En effet, les glissements alternés et répétés se produisant le long de la zone de déchaussement entre la fibre et la matrice à chaque cycle conduisent à un phénomène d'usure par émoussement progressif des aspérités de surface et formation de débris. Ce mécanisme est d'autant plus rapide que les aspérités sont grandes. Il se traduit par une diminution de la contrainte de glissement interfacial (τ), et donc par la poursuite du mécanisme de décohésion. Cette idée, énoncée et soutenue dans l'ensemble de la littérature, est confirmée expérimentalement par des essais de "push-out" et "push-back" qui montrent que la force nécessaire pour initier le glissement d'une fibre à l'intérieur d'une gaine de matrice lors du retour de celle-ci dans sa position initiale ne représente que 40 % de l'effort initialement appliqué pour la déplacer [EVAN1989], [MACK1991], [PART1991]. Il est intéressant de signaler que la réduction de la taille des aspérités à l'interface a également été observée expérimentalement dans le cas de composites à matrice métallique (Ti) [WALL1994] présentant une réponse en fatigue similaire à celle des composites à matrice céramique. Enfin, la diminution de la contrainte de glissement interfacial a également été mise en évidence par Holmes et al. [HOLM1992] lors de l'étude des variations de température enregistrées sur un échantillon au cours d'un essai de fatigue. Dans des conditions expérimentales identiques tout au long de l'essai, ces auteurs observent une diminution significative de la température en début de fatigue qu'ils attribuent directement à la diminution de la contrainte de glissement interfacial (τ) (diminution de l'énergie thermique dissipée par frottement). La situation devient ainsi très similaire à celle décrite au § 4.1.2, où l'élargissement des profils de transfert de charge (diminution de τ) est susceptible d'entraîner la rupture de certaines fibres car celles-ci sont surchargées sur une plus grande longueur. La proportion de fibres rompues dépend alors de l'amplitude maximale de la sollicitation ainsi que des propriétés mécaniques du renfort ([LLOR1991], [MARS1987]). 2.2.2 Evolution des caractéristiques mécaniques L'évolution des caractéristiques mécaniques en fatigue cyclique, à température ambiante de composites SiC/SiC a été étudiée par Reynaud [REYN1992]. Lorsque le niveau de sollicitation est inférieur à la limite de linéarité σe (~35 % de σr pour le SiC/SiC), aucun effet de fatigue n'est observé : on reste dans le domaine d'élasticité, où aucun endommagement n'est introduit dans le matériau. Les modules élastiques sont constants et il n'y a pas de déformation permanente. Les boucles d'hystérésis entre la contrainte et la déformation sont plates et confondues avec le chargement initial. Pour des niveaux de contrainte inférieurs au seuil de fatigue σseuil (seuil au-dessous duquel aucune rupture par fatigue n'est observé en dessous de 105 ou 106 cycles) entre 35% et 85 % de σr 44 pour les composites SiC/SiC à température ambiante, le matériau effectue une "accommodation" vis-à-vis de la sollicitation appliquée. Le comportement mécanique du matériau évolue en fonction du nombre de cycles, d'autant plus que la contrainte maximale est élevée. Les modules élastiques diminuent, tandis que l'aire des boucles d'hystérésis et la déformation permanente augmentent. Mais l'on n'observe aucune rupture en dessous de 105 ou 106 cycles. Au dessus du seuil de fatigue (~ 85% de σr), l'évolution de la fissuration matricielle et des glissements et décohésions conséquentes amène également une diminution du module d'Young et une augmentation de la déformation permanente (Figure 15). Par ailleurs, les boucles d'hystérésis changent de forme, du fait de la diminution de la contrainte interfaciale et de l'augmentation de la longueur sur laquelle le glissement opère. Comme pour la fissuration matricielle, l'évolution de ces paramètres est fortement dépendante de la contrainte maximale appliquée pendant la fatigue. Figure 15 : Evolution des paramètres d'endommagement au cours de la fatigue d'après [REYN1996a]. La diminution initiale du module est associée au développement rapide de la fissuration matricielle. Puis la dégradation avec le cyclage est relative à la diminution de la contrainte de cisaillement interfacial, qui augmente la complaisance du composite fissuré. Les boucles d'hystérésis se caractérisent par une allure parabolique avec une région linéaire lors de la charge et de la décharge, par une augmentation de la largeur des boucles et une diminution du module, lorsque le nombre de cycle augmente. Le raidissement des boucles en fin de déchargement provient de la fermeture des fissures matricielles (voir § 4.1.2). Le passage de boucles paraboliques à des boucles avec des zones linéaires correspond à la saturation de la fissuration matricielle (la tenue du composite ne dépend plus que des fibres), le module correspond au module des fibres longitudinales (VflEf) et diminue au fur et à mesure que les fibres rompent. 2.2.3 Influence de la fréquence de sollicitation La plupart des essais de fatigue à température ambiante sont réalisés à des fréquences de 0,3 à 10 Hz. Sur cette gamme de fréquences, il a été montré que l'influence de la fréquence est négligeable sur les durées de vie en fatigue et le comportement des boucles d'hystérésis, notamment sur les composites SiC/CAS [THOM1993]. Toutefois, aux fortes fréquences, des changements importants apparaissent au niveau des phénomènes de glissements et affectent de manière radicale les durées de vie [SHUL1993]. 45 Holmes et al. [HOLM1990,1992,1994] ont montré que le passage d'une fréquence de 10 Hz à 400 Hz sur des composites SiC Nicalon™ /CAS diminuait le seuil et la durée de vie en fatigue (Figure 16). D'une part, ces variations sont attribuées au chauffage par frottement le long des interfaces : à une amplitude de contrainte donnée, l'augmentation de la température à la surface des éprouvettes associée au chauffage par frottement est de 5°C à 10 Hz, alors qu'il est de 150°C à 350 Hz sur des composites (SiC/CAS-II) [SORE1995a], sachant que la température à cœur doit être beaucoup plus élevée. D'autre part, cette augmentation de température est supposée suffisante pour réduire les contraintes thermiques résiduelles de compression le long de l'interface fibre/matrice et donc la contrainte de cisaillement interfacial, mais elle peut également conduire à l'évolution physico-chimique des constituants et notamment de l'interphase en PyC, ce qui peut diminuer la résistance de la fibre [HOLM1994]. Figure 16 : Influence de la fréquence sur la durée de vie d'un composite SiC/CAS d'après [HOLM1994]. Par ailleurs, on notera que pour les matrices sensibles à la corrosion sous contrainte, l'endommagement lors du premier chargement sera d'autant plus grand, que la fréquence sera faible. 2.2.4 Influence de R= σmin/σmax Peu d'études ont porté sur l'influence du rapport R=(σmin/σmax) sur l'endommagement ou les durées de vie en fatigue. Toutefois, Mahfuz et al. [MAHF1995] ont établi que la diminution de R (pour un R>0 et une contrainte maximale donnée) diminue la durée de vie à température ambiante des composites C/C aux fortes contraintes, mais ne change pas le seuil de fatigue. En revanche, Sørensen et Holmes [SORE1999] et Moshelle [MOSH1994] ont montré que la diminution de R (voire négatif) sur des composites SiC Nicalon™ /CAS réduisaient le seuil et la durée de vie en fatigue. En effet, la rupture sera d'autant plus rapide que R sera petit, puisque la diminution de τ sera plus rapide et la distance de glissement et donc la probabilité de rupture dans les fibres augmentées [EVAN1995]. Mais le manque de résultats expérimentaux rend les conclusions difficiles. De plus, il faudrait aussi voir l'effet de la variation de la contrainte maximale à R constant. 2.2.5 Durée de vie et propriétés résiduelles après fatigue La plupart des CMC, indépendamment de leur architecture, présente une réduction progressive de leur résistance avec le cyclage. Le diagramme d'endurance typique présente deux particularités : d'abord un seuil en contrainte au-dessous duquel une rupture par fatigue ne se 46 produit pas. Ce seuil peut se situer entre 60 % et 90 % de la contrainte à rupture en traction monotone, en étant supérieur à la limite de linéarité (à l'inverse des métaux). Autrement dit, un CMC peut présenter une déformation permanente, sans que cela n'altère sa durée de vie. Par ailleurs, il existe une dispersion importante entre les contraintes à rupture et les durées de vie en fatigue (qui peuvent dépasser 3 ordres de grandeurs), provenant du comportement stochastique à la rupture des CMC (Figure 17). Figure 17 : Diagramme d'endurance d'un composite SiC/SiC d'après [REYN1992]. Par ailleurs, la contrainte à rupture résiduelle après fatigue peut dépasser la contrainte à rupture du matériau non préalablement sollicité. L'origine d'un tel comportement n'est pas encore bien comprise. Certains auteurs [SHUL1993] et [MIZU1996] ont suggéré que la baisse de la contrainte de cisaillement, bien que réduisant la résistance des fils de fibres, pouvait rendre le composite moins sensible à la création de défauts par diminution des concentrations de contraintes et donc du transfert de charge sur les fibres. Pourtant aucun modèle n'est à ce jour disponible pour décrire l'évolution des propriétés résiduelles en fonction du temps de fatigue. 3. Comportement mécanique à haute température Pour les essais de fatigue en température, sous atmosphère oxydante, il n'est pas suffisant de considérer uniquement l'endommagement mécanique, et la dégradation de l'interphase. Il faut également prendre en compte les mécanismes physico-chimiques (oxydation) et thermiques (fluage). C'est la combinaison de ces mécanismes qui provoque la rupture du matériau. 3.1. Les constituants des composites 3.1.1 Les fibres Nous allons nous limiter aux fibres SiC fabriquées par Nippon Carbon (Nicalon™, HiNicalon™, Hi-Nicalon™ type S), et voir l'influence du procédé d'élaboration et de la composition chimique sur leur stabilité à haute température [ICHI2000]. L'évolution de la fibre Nicalon™ à la fibre Hi-Nicalon™ type S est représentée schématiquement sur la Figure 18, ainsi que les différents procédés d'élaboration (Figure 4). 47 Figure 18 : Evolution des fibres fabriquées par Nippon Carbon d'après [TAKE1998]. La fibre Hi-Nicalon™ type S sera présentée, mais à notre connaissance aucun composite contenant cette fibre dans une matrice SiC n'a fait l'objet d'une étude approfondie. Les fibres SiC Nicalon™ produites à partir de polymères sont aujourd'hui largement utilisées pour fabriquer des composites à matrice céramique. Récemment, une fibre SiC à très faible teneur en oxygène (fibre Hi-Nicalon™) produite par traitement par faisceau électronique, a également été développée à l'échelle commerciale. Cette fibre possède un module d'Young, une résistance au fluage et une stabilité thermique jusqu'à 1400°C, largement supérieurs à ceux de la fibre Nicalon™ [BODE1995], [CHOL1997a]. Les propriétés thermomécaniques des CMC produits à partir de la fibre Hi-Nicalon™ ont d'ailleurs été largement améliorées. Cependant, la résistance au fluage et à l'oxydation n'est pas encore suffisante pour certaines applications thermostructurales. Ceci provient du fait que cette fibre SiC Hi-Nicalon™ est principalement constituée de nanocristaux de SiC et d'un excès de carbone [CHOL1997b]. C'est pour cette raison, qu'une nouvelle fibre SiC, dotée d'une composition SiC stœchiométrique et d'une meilleure cristallinité, appelée Hi-Nicalon™ type S, a été développée. L'ensemble des propriétés physiques et mécaniques à température ambiante de ces fibres est présenté sur la Figure 19. Figure 19 : Propriétés des fibres SiC fabriquées par Nippon Carbon d'après [URAN1998]. 48 3.1.2 Les matrices Deux types de matrice vont être détaillées : la matrice SiC (CVI) et la matrice multiséquencée élaborée par Snecma Propulsion Solide à base des éléments Si, B, C. En effet, le but est de déterminer l'influence de cette nouvelle matrice sur le comportement mécanique par rapport aux précédents composites SiC/SiC (CVI). • SiC Le carbure de silicium possède d'excellentes propriétés qui le rendent tout à fait performant en tant que matrice pour des composites à fibres de carbone ou de carbure de silicium. En effet, cette céramique présente, outre ses caractéristiques thermomécaniques (résistance et module d'élasticité élevés), une bonne résistance aux chocs thermiques et une bonne résistance à l'oxydation [WINN1964]. La structure de la matrice est représentée sur la Figure 20. On observe nettement les dépôts successifs sous forme de couches concentriques superposées autour des fibres et séparées par un réseau de microporosités [NAVA1990]. L'étude faite par Arnault [ARNA1989] montre que la matrice SiC obtenue par CVI présente un aspect fortement anisotrope, mais qu'il n'existe pas de grandes variations du modules d'Young selon les directions cristallographiques privilégiées des cristaux de SiC-β (forme cristallographique cubique à faces centrées de SiC constituant la matrice) et que l'hypothèse isotrope de la matrice en terme de caractéristiques mécaniques peut être admise [CONC1994]. Figure 20 : Structure colonnaire du SiC déposé par CVI d'après [NAVA1990]. Les caractéristiques mécaniques de la matrice SiC à température ambiante sont décrites dans le Tableau 3. Il faut noter qu'il est difficile d'obtenir des caractéristiques mécaniques pour la matrice, car il est impossible de l'élaborer seule. En effet, le procédé CVI nécessite obligatoirement un substrat. Une alternative existe dans l'exploitation de résultats d'essais de traction sur microcomposites SiC/SiC élaborés par Snecma Propulsion Solide par le même procédé que celui pour la fabrication des composites SiC/C/SiC. Néanmoins, il est possible de trouver quelques valeurs dans la littérature [FRET1991] et [NAVA1990]. 49 Axial 2,9 .10-6 3,1 .10-6 [SEP] 3,9 .10-6 0.12 6.5 4.4 0.25 [FRET1991] 5.46 [LISS1994] 19.55 [LISS1994] * dans un toron 1 D 50 mm ** dans un toron 1 D 180 mm *** SiC monolithique. Coeff. de dilatation (K-1) Radial Coeff. de Poisson Facteur Paramètres d'échelle σo de Weibull 3/m (L=50 mm) (MPa.mm ) Module m 2,16 .103 (50mm) 3,5 .10 -6 2,6-2,8 .103 ~1 Module d'Young (GPa) ~1 [FRET1991] Déformation à rupture (%) 1.1-1.5 [DARZ2000] 1,5 .103 Contrainte à rupture (MPa) [SEP] (220 mm) 270 200 [NAVA1990] 230 2.74 2.55 [SEP] [DARZ2000] Hi-Nicalon™ Masse volumique g/cm3 [VILL1991] Tamb Fibres Nicalon™ Tableau 3 : Propriétés des constituants. 2 .10-6 4,6 . 10-6 0.2 550 3.6 0.035 350 3.15 [NAVA1990] SEP 2 294 * 237** 350*** 401 [ARNA1989] [FRET1991] Matrice SiC 270[DARZ2000] 350 [CARR1996] 290 [FORI2000] 3 SiBC Radial 12 Longitudinal 2.10-6 Plan d'isotropie 0.4 50 Transversal 2,8.10-6 Radial (longitudinal) 0.12 320 12 - 18 350 - 500 1.2 - 1.8 Longitudinal 30 2.1 - 2.4 Pyrocarbone • SiBC multiséquencée Le principe de la matrice multiséquencée consiste à déposer par CVI, différentes couches contenant les éléments Si, B, C (Figure 21). La composition chimique de ces couches a été choisie de sorte que les températures d'oxydation respectives soient complémentaires. En effet, en s'oxydant, ces couches forment des oxydes céramiques, qui limitent la diffusion de l'oxygène dans le composite, sur une large gamme de températures (450°C à 1500°C) [GOUJ1994a-b]. Figure 21 : Structure d'un composite SiC/SiBC à matrice multiséquencée d'après [DARZ2000]. Ces couches SiBC peuvent être considérées comme des composés contenant du carbure de silicium, du carbure de bore et du carbone libre. Ainsi en jouant sur les proportions de bore et de silicium, il est possible de fabriquer des dépôts se rapprochant du carbure de bore pour une protection à basse température par formation de l'oxyde de bore B2O3, et de former des oxydes borosilicatés plus stables à haute température et d'empêcher la volatilisation de B2O3, en augmentant la quantité de silicium. 3.1.3 L'interphase Le rôle de l'interphase de pyrocarbone déposée sur les fibres SiC avant infiltration est considérable sur le plan du comportement mécanique, mais aussi vis à vis de l'oxydation de ces matériaux pour lesquels il semble qu'une interphase de faible épaisseur soit favorable [FILI1991]. Celle déposée sur le SiC/SiC est de l'ordre du dixième de micron (0,1 µm). Les propriétés du carbone (faible liaison inter-feuillets propice aux déviations de fissures et aux frottements) en font un matériau d'interphase de choix. Le pyrocarbone est déposé à l'intérieur de la préforme fibreuse par infiltration chimique en phase vapeur, par craquage d'hydrocarbures gazeux à haute température (1000°C). Suivant les conditions de dépôt, quatre textures de pyrocarbone peuvent être observées : la texture isotrope, la texture laminaire sombre, la texture laminaire lisse et la texture laminaire rugueuse. Pour des composites SiC/SiC ayant des interphases de pyrocarbone de même épaisseur mais de structures différentes, les domaines non-linéaires de la courbe de traction varient fortement [NASL1992]. Il ressort que les dépôts de pyrocarbone présentent une zone amorphe au voisinage de la fibre et que cette zone interfaciale amorphe entre la fibre et la matrice est le siège de la fissuration interfaciale. L'observation par microscopie électronique en transmission de la couche de pyrocarbone montre que le dépôt de pyrocarbone se décompose en trois zones assez distinctes entre la fibre et la matrice [COJE1991] (Figure 22) : 51 * Au contact direct de la fibre se trouve une première sous-couche (A) de 5 nm d'épaisseur composée de silice amorphe et de carbone sous forme d'unités structurales de base (USB) semblables à celles décrites dans la fibre. * Au-dessus de la sous-couche A, le pyrocarbone se présente, soit sous la forme d'une couche (B) très organisée (les USB sont parallèles entre elles) conduisant à une structure anisotrope, soit sous une forme désorganisée conduisant à une structure quasi isotrope ; observées parfois séparément (faciès 1 ou 3), ces deux types de structures coexistent généralement en formant une alternance de zones anisotropes et de zones isotropes avec une périodicité de l'ordre de 50 nm (faciès 2). * Au-delà de cette deuxième sous-couche, le pyrocarbone est isotrope avec une structure nanoporeuse qui tend à se réorganiser à proximité de la matrice. La structure anisotrope dans la sous-couche B étant aisément fissurable par clivage, chaque fois que ce carbone parfaitement orienté perdra localement son anisotropie pour devenir localement microporeux (notamment au niveau des irrégularités de la fibre) il fera obstacle à la propagation de la fissure en provoquant une décohésion parallèle à l'interface [COJE1991]. Par conséquent, le degré d'organisation du pyrocarbone dans la sous-couche B est un paramètre important car c'est lui qui déterminera l'étendue de la déviation des fissures et par conséquent définira en partie le comportement macroscopique du matériau composite. Figure 22 : Schéma des différents faciès rencontrés, classés par ordre de liaison interfaciale décroissante d'après [COJE1991]. 52 3.2. Evolution des propriétés physico-chimiques thermomécaniques des constituants et Les récents développements de nouveaux composites ont poussé les chercheurs à étudier les relations microstructures/propriétés en soulignant l'importance de la composition chimique des fibres et de leur stabilité, de la matrice, de l'interphase et de tous les autres paramètres importants qui contrôlent le comportement thermomécanique des composites. La stabilité thermique de ces constituants est en effet particulièrement dépendante de 3 facteurs : * l'atmosphère (air, argon, azote, vide, humide…), * le temps (de quelques minutes à des dizaines d'heures), * enfin la température (600-1400°C). 3.2.1 Sous atmosphère neutre ou vide 3.2.1.1 Les fibres Après traitement thermique sous argon jusqu'à 1600°C, tandis que la contrainte à rupture en traction de la fibre Nicalon™ diminue fortement (présence de petits cristaux de SiC-β (≈ 2 nm), de carbone libre et d'une phase intergranulaire amorphe SiCxOy, qui se décompose dès 1100°C avec une évolution des monoxydes de silicium et de carbone s'accompagnant d'un grossissement des grains SiC), les deux autres fibres Hi-Nicalon™ gardent une bonne résistance mécanique avec des valeurs assez voisines [ICHI2000] (Figure 23). Le module d'Young des fibres Nicalon™ reste à peu près stable jusqu'à 1300°C [HOCH1996]. Figure 23 : Contraintes à rupture en traction de fibres SiC après 10 h de traitement sous argon, à différentes températures d'après [URAN1998]. 3.2.1.2 Les matrices De par sa structure cristallisée et sa composition chimique proche du SiC pur, la matrice est beaucoup plus stable en température que les fibres. L'évolution du module d'élasticité de la matrice SiBC sous argon a été estimée par Darzens : il diminue de 37% entre la température ambiante et 1200°C [DARZ2000]. 3.2.1.3 L'interphase Plusieurs techniques sont disponibles pour mettre en évidence les modifications des interphases à haute température sous des environnements divers [STEE1998b] : mesure de contrainte de cisaillement interfacial à température ambiante par micro-indentation Vickers sur des éprouvettes testées en fatigue sous argon [DALM1997], essais de traction sur éprouvettes ayant subi un vieillissement thermique [GUIL1994]. Dalmaz montre que pour des températures inférieures à 1000°C, les propriétés interfaciales du C/SiC au cœur des fils ne 53 sont pas affectées par un cyclage mécanique ; en revanche à 1500°C, les propriétés aux interfaces de l'interphase sont modifiées avec une diminution de 50% de la contrainte de décohésion par rapport au composite vierge. De même Guillaumat a montré qu'après un traitement thermique de 12 h sous vide à 1200°C, l'interphase favorise les décohésions. Mais l'évolution de l'interphase reste très difficile à caractériser directement à haute température, car elle est rarement dissociée du comportement du composite. Or ces mesures font nécessairement intervenir d'autres phénomènes liés à la température, tels que les contraintes thermiques résiduelles, qui peuvent avoir une influence prépondérante sur les propriétés interfaciales, indépendamment de l'évolution physico-chimique de l'interphase. 3.2.1.4 Les composites Des composites 2D-Nicalon™/SiC élaborés par CVI ont été vieillis entre 1100°C et 1500°C sous vide ou sous argon [LABR1997a]. Les composites présentent une perte de masse ∆m/m0 relative à la décomposition de la phase SiCxOy des fibres, et à des réactions complémentaires entre les produits gazeux de la décomposition de la fibre (en particulier SiO) et le carbone (de la fibre et de l'interphase). Ce processus de décomposition/réaction entraîne une évolution du comportement mécanique, relative à la perte de masse. Des conditions de vieillissement peu sévères (∆m/m0 < 1,3%) conduisent à un affaiblissement de la liaison fibre/matrice, dû à des décohésions interfaciales, accompagné par une diminution simultanée de la limite élastique et de la contrainte à rupture, ainsi que par une augmentation de l'allongement à rupture. Des conditions de vieillissement plus sévères (∆m/m0 ~ 2%) entraînent une consommation partielle de l'interphase avec formation de cristaux de SiC de grande dimension sur la surface de la fibre affaiblissant les fibres, et conférant au composite un comportement mécanique non-élastique. Enfin, pour des conditions de vieillissement très sévères (3% < ∆m/m0 < 7%), l'interphase est totalement consommée, et les fibres présentent un processus de décomposition/cristallisation prononcé. Le composite devient alors fragile avec une très faible tenue à la rupture [LABR1997a]. Des composites 2D-Nicalon™/C/SiC élaborés par CVI, revêtus ou non par un "sealcoat" de SiC CVD, ont également été vieillis entre 1100 et 1300°C sous vide ou sous monoxyde de carbone. Ils présentent aussi une perte de masse due à la décomposition de la phase SiOxCy au sein des fibres, et à des réactions secondaires entre le carbone (des fibres et de l'interphase) et des produits de décomposition de la fibre (CO et SiO). Le processus de dégradation est ralenti par la présence d'une pression de CO, qu'elle soit appliquée de l'extérieur ou générée dans le composite à la suite du confinement de SiO/CO par le "sealcoat" de SiC. Les composites vieillis entre 1100 et 1200°C rompent à un niveau de contrainte et d'allongement relativement élevé avec une courbe de traction à 'plateau', tandis que les matériaux vieillis à 1300°C sont soit fragiles lorsqu'ils sont traités sous vide, même revêtus d'un "sealcoat" de SiC, soit non fragiles avec une faible contrainte à rupture lorsqu'ils sont traités sous une pression de CO [LABR1997b]. Mozdzierz a montré que lors des recuits sous atmosphère réductrice entre 1300°C et 1400°C, la consommation de l'interphase de C entraîne une forte décohésion au niveau des interfaces F/M, qui pourra faciliter la propagation des fissures, lors d'une sollicitation mécanique [MOZD1993]. La stabilité thermique sous vide de composites SiC/SiC élaborés par CVI et constitués de fibres Nicalon™, Hi-Nicalon™ ou Hi-Nicalon™ type S a été étudiée par Araki et al. [ARAK1998]. Après des traitements thermiques sous vide de 1000°C à 2000°C, il résulte que le composite SiC Nicalon™/SiC présente une forte perte de masse et dégradation dès 1500°C, tandis que le composite Hi-Nicalon™/SiC commence juste à s’oxyder et le composite HiNicalon™ S /SiC ne présente aucune détérioration apparente après des traitements sous vide à 2000°C. La ténacité et la résistance mécanique des composites diminuent lorsque la température de traitement augmente et le composite avec les fibres Hi-Nicalon™ S présente la plus grande contrainte à rupture quelle que soit la température de traitement. 54 3.2.2 Sous atmosphère oxydante 3.2.2.1 Les fibres Le comportement après traitement sous air de ces fibres est présenté sur la Figure 24. Takeda et al. [TAKE1998] ont relié la cause de la rupture à la présence plus ou moins répandue des pores dans les fibres : en effet, la fibre Nicalon™ présente de nombreux pores (visibles sur le faciès de rupture), résultant des bulles de gaz CO produites lors de la décomposition de la phase oxycarbure. En revanche, la fibre Hi-Nicalon™ type S ne présente aucun pore et présente une bien meilleure résistance à l'oxydation jusqu'à des températures supérieures à 1400°C pour des durées de traitement sous air de 10 h [TAKE2000]. Figure 24 : Contraintes à rupture en traction de fibres SiC après traitement de 10 h à 1400°C sous air sec (< 2,6 ppm) ou humide (2% H2O) d'après [TAKE1998]. De plus, on notera que globalement, l'humidité de l'air accélère l'oxydation de ces fibres [TAKE1998]. 3.2.2.2 • Les matrices SiC Le SiC CVI s'oxyde en milieu oxygéné en formant une couche de silice passivante (SiO2(s)) [FILI1991] . La faible vitesse des réactions à des températures modérées lui confère une bonne résistance à l'oxydation sous air et sous oxygène sec. Les cinétiques suivent une loi parabolique en dessous de 1200°C. Lorsque la pression partielle d'oxygène est trop faible, l'oxydation du SiC devient active, et les produits des réactions sont volatils (CO(g) et SiO(g)) . Vaughn et Maahs, puis Schneider ont montré les différents domaines de températures et de pressions partielles d'oxygène, pour lesquels l'oxydation est passive ou active (Figure 25) [SCHN1998], [VAUG1990]. Les conditions d'essais choisies dans la présente étude placent l'oxydation du SiC en zone passive. 55 Figure 25 : Domaines de températures et de pressions partielles d'oxygène, déterminants si l'oxydation est passive ou active d'après [VAUG1990]. • Multiséquencée Si,B,C Le système multiséquencé favorise la déviation des fissures aux interfaces et rend le matériau plus tenace, mais aussi plus résistant vis à vis de l'oxydation (en ralentissant l'accès de l'oxygène jusqu'aux fibres). Peu d'études pour l'instant ont porté sur le comportement mécanique de cette matrice. On peut toutefois mentionner que les premiers travaux ont été menés sur des minicomposites contenant des fibres carbone. Ces travaux montrent qu'une telle matrice accommode mieux les contraintes thermiques résiduelles, et augmente les propriétés thermomécaniques et la résistance à l'oxydation du minicomposite. Les durées de vie sous air sont augmentées d'un ordre de grandeur [LAMO1999a-b]. Par ailleurs, Carrère, Forio et Bouillon et al. ont mis en évidence une nette amélioration à haute température et sous atmosphère oxydante (en terme de durée de vie) des composites SiC/SiBC multiséquencés [BOUI2000], [CARR1996], [FORI2000]. L'étude de l'oxydation de cette matrice sera détaillée dans le Chapitre 3. 3.2.2.3 L'interphase Les différentes études portant sur les SiC/SiC ont montré que sous atmosphère oxydante, l'interphase de pyrocarbone disparaît et qu'elle est remplacée par une couche de silice (SiO2) [FILI1991], [MOZD1992]. Cette couche tend à refermer les espaces laissés libres par la disparition du carbone, et ainsi à auto-protéger le composite en empêchant la pénétration de l'oxygène. Il y a donc compétition entre l'oxydation du carbone et la formation de la couche de silice suivant la température : * à 600°C, l'interphase de carbone a entièrement disparu, * à 1200°C, le carbone n'est consommé que près de la surface et est remplacé par de la silice [DAMB1993]. Cette oxydation des constituants permet d'expliquer la diminution des propriétés constatée au cours d'essais de traction [FILI1991]. La consommation de pyrocarbone entraîne une perte de rigidité en début d'essai, suivie, au fur et à mesure de la production de silice, d'un accroissement de rigidité. Huger a déterminé le temps nécessaire à la protection de l'interphase de pyrocarbone (0.1 µm) par la formation de silice dans un composite SiC/SiC (Tableau 4). En dessous de 1000°C, seule la fibre produit de la silice. A partir de 1000°C, la 56 matrice s'oxyde et le temps nécessaire à l'obturation de l'interstice interfacial diminue rapidement pour être de 3 h à 1100°C [HUGE1992]. Tableau 4 : Temps nécessaire à la protection de l'interphase de pyrocarbone d'après [HUGE1992]. La perte de rigidité due à la disparition du pyrocarbone est accentuée sous charge, car les fissures matricielles plus nombreuses, et plus ouvertes, sous contraintes élevées, facilitent la pénétration et la circulation de l'oxygène [CUTA1993]. Les faciès de rupture présentent alors un mode mixte de rupture : une rupture de type fragile près de la surface, une rupture ductile à cœur. Ces faciès de type fragile sont associés à la présence de silice à l'interphase qui fragilise le matériau. 3.2.2.4 Les composites Dans un premier temps, les SiC/SiC 2D n'étaient pas revêtus d'un ""sealcoat"" après l'usinage. Ces SiC/SiC non protégés ont fait l'objet de nombreuses études dans le cadre du GS4C "Comportements thermomécaniques des composites céramique-céramique" pour le développement du matériau du programme Hermès et en particulier sous atmosphère oxydante. Les effets d'un tel environnement ont été initialement mis en évidence lors de vieillissements sous charge et sous air. Les éprouvettes vieillies ont été observées en microscopie électronique en transmission [COJE1991] ou testées mécaniquement à température ambiante [FRET1990,1992], [FILI1991]. On observe une dégradation des propriétés des matériaux dès 600°C, qui est due à l'oxydation du pyrocarbone au niveau des interphases usinées et non protégées. Si le vieillissement dure assez longtemps, la matrice de SiC et les fibres Si-C-O qui s'oxydent, forment des bouchons de silice [FILI1991]. Ce colmatage protège le matériau contre l'oxydation mais le fragilise mécaniquement [FRET1992], [CUTA1993]. Grâce au revêtement de SiC déposé après usinage des éprouvettes, le vieillissement du matériau non endommagé non chargé, n'a aucun effet sur son comportement :il est insensible à l'oxydation. Il faut alors appliquer au matériau une contrainte suffisante pour créer de nouvelles fissures et permettre l'accès de l'oxygène jusqu'à l'interphase [RAGH1994]. En 1982, Dauchier et al. mentionnaient déjà des essais de flexion à chaud sur des SiC/SiC mettant en évidence une chute de la résistance en flexion à partir de 1000°C [DAUC1982]. Avec des essais mécaniques similaires, Gomina et al. ont montré que les mécanismes de rupture changeaient au delà de 700°C avec un raidissement de la liaison fibre/matrice et de faibles déformations à la rupture [GOMI1989,1991]. Les essais de flexion à chaud nécessitent des éprouvettes de faibles dimensions. Cependant, l'interprétation de ces essais n'est pas aisée, car le champ de contraintes est complexe [ABBE1990] et peut être perturbé par du cisaillement interlaminaire [GOMI1991]. La fragilisation du composite, mise en évidence en traction à haute température sous air dès 900°C a également été observée par Pluvinage et al. [PLUV1993] et par Jenkins et al. à 1000°C [JENK1994]. 57 De plus, à hautes températures, dans le cas des composites, où les fissures sont pontées, la rupture des composants est gouvernée par les forces de pontage dépendantes du temps et exercées par les fibres, qui supportent les surcharges. Le fluage de ces fibres peut causer la propagation sous critique (PSC) [JONE1993]. De nombreux paramètres microstructuraux et environnementaux peuvent influencer la PSC dans les composites SiC/SiC. Mais la structure complexe de ces composites ne permet pas de connaître l’influence respective de chacune de ces variables. Toutefois, la PSC à haute température sous argon et oxygène dans les composites SiC/SiC à fibres Nicalon™ et Hi-Nicalon™ a été étudiée par Jones et al. [JONE1993], [LEWI1998]. Ils montrent que la présence d’oxygène dans l’atmosphère accélère la propagation des fissures. En effet l’oxygène consomme l’interphase en C et limite ainsi le transfert de charge de la matrice sur les fibres et réduit donc l’efficacité du pontage des fibres [JONE1993]. En revanche, la meilleure tenue au fluage des fibres Hi-Nicalon™ diminue bien la vitesse de propagation des fissures, mais la plus grande énergie de décohésion de ces composites par rapport aux composites Nicalon™/SiC l’augmente. L’effet bénéfique de la fibre Hi-Nicalon™ est donc plus réduit sur la PSC que sur la tenue au fluage [LEWI1998]. Le comportement thermomécanique des composites à matrice SiBC est très complexe, du fait de la structure multiséquencée de la matrice. Mais déjà, le composite SiC (Nicalon™)/SiBC 2,5D présente une meilleure tenue à l'oxydation que les composites SiC/SiC de génération antérieure [CARR1996], même si Viricelle et al. montrent que 600°C reste une température critique sous air humide, car l'oxydation du carbure de bore est trop faible et donc la formation du verre protecteur B2O3 insuffisante. En revanche, sous air sec, l'oxydation du B4C est beaucoup plus importante. Aux plus hautes températures, la protection est globalement plus efficace, sous les deux atmosphères, du fait notamment de la formation complémentaire de verres borosilicatés et de silice [VIRI2001]. Une thèse est en cours au Laboratoire des Composites ThermoStructuraux (Bordeaux) dans le cadre de ce CPR, sur l’étude du comportement à l'oxydation de chacun de ces constituants de la matrice multiséquencée (Xavier Martin, soutenance prévue à l'automne 2003). 3.2.3 Conclusion Les propriétés des fibres Nicalon™ sous air, telles que la contrainte à rupture et le module d'Young, sont stables jusqu'à 800°C [PYSH1989] : elles diminuent fortement au-dessus de cette température à cause des changements microstructuraux et de la dégradation de la phase oxycarbure. La fibre Hi-Nicalon™ conserve ses propriétés sous air jusqu'à 1100°C, tandis que la fibre Hi-Nicalon™ type S reste stable mécaniquement jusqu'à des températures ~1200°C (Figure 26) [TAKE1998]. Figure 26 : Contraintes à rupture en traction de fibres SiC après 10 h de traitement à hautes températures sous air (2% H2O) d'après [TAKE1998]. 58 Mais il est important de noter que, si une étude des fibres seules est très utile, il est indispensable de caractériser leur comportement au sein du composite, d'une part parce que l'élaboration peut modifier la microstructure en surface des fibres, déjà dans les fils ou les torons [FARE1987], et d'autre part parce que la nature et la cinétique de départ des espèces gazeuses dépend du milieu environnant la fibre. Ainsi, Morsher a étudié le comportement de minicomposites à fibres Nicalon™ et HiNicalon™ [MORS1997], [MORS1999a-b]. Il a dressé le diagramme de Larson-Miller de ces deux fibres et a montré que les propriétés à rupture à haute température de la Hi-Nicalon™ sont plus intéressantes. De même Bertrand et al. [BERT1999] ont montré que les fibres HiNicalon™ amélioraient le comportement mécanique des minicomposites SiC/SiC. Mais Zhu et al. [ZHU1999] et Mizuno et al. [MIZU1998] ont remarqué qu'il n'y a pas de différence dans le comportement en fatigue cyclique et statique à 1300°C sous air entre un composite 2D à fibres Nicalon™ et un composite à fibres Hi-Nicalon™, sachant qu'ils ont employé une matrice SiC avec des particules à base de bore, qui permet une cicatrisation à haute température. Les données de Snecma Propulsion Solide sur les constituants et les composites sont récapitulées sur les Tableau 3 et Tableau 5. Tableau 5 : Propriétés des composites. 2D SiC/SiC PROPRIETES 20°C [REYN1992] Nuances 02 3 Masse volumique apparente (g/cm ) 2.38 20°C 1000°C [NAVA1990] [NAVA1990] 04 2.2 Porosité ouverte (%) -6 Coefficient de dilatation (10 K) SiC/SiBC 23°C SNECMA 2.55 2.2-2.5 2.05 [CARR1996] 2.61 [FORI2000] 10 10-12% 4.5 4.5.10-6 K-1 Rupture en taction (MPa) 164 290 190/294 180 300 Déformation à rupture (%) 0.21 0.85 0.3 0.4 0.5 Rupture en flexion (MPa) 300 350 Rupture en compression (MPa) 500 400 230 200 40 35 Module d'Young (GPa ) 230 Résistance au cisaillement interlaminaire (MPa) 230 Coefficient dePoisson 0.12 [FORI2000] 1/2 Ténacité (MPa.m ) Diffusion thermique (10-6 m²/s) 250 200 [DARZ2000] 30 30 // 6 2 3.10-6 m².s-1 ⊥ 12 5 1.10-6 m².s-1 59 3.3. Chargement monotone ou cyclé Si la matrice, les fibres et l'interphase restent physiquement et chimiquement stables, et le fluage des constituants n'intervient pas (d'autant plus que l'effet de la température n'a lieu que pendant des temps d'exposition très brefs), le comportement mécanique à haute température est gouverné par les mêmes mécanismes qu'à température ambiante. Les quelques différences vont provenir de la dépendance en température des modules élastiques, mais aussi de la variation de la distribution des contraintes thermiques résiduelles. A plus haute température, les modifications des microstructures et des propriétés des différents constituants avec la température, présentées au § 3.2, vont également jouer un rôle sur les propriétés mécaniques macroscopiques du composite. 3.3.1 Sous atmosphère neutre Des essais de traction sous argon à 1200°C (température supérieure à la température d'élaboration ~1000°C) ont été réalisés par Pasquier sur des composites SiC Nicalon™/SiC à interphase multiséquencée PyC/SiC, le séquençage ne semblant pas avoir d'influence sur le comportement en traction à haute température [PASQ1997]. Comme à température ambiante, les courbes de traction présentent deux zones linéaires et une zone centrale de non-linéarité qui est plus étendue à 1200°C. Aucune rupture prématurée n'est observée. La diminution du module d'Young à 1200°C est de l'ordre de 10 % par rapport à sa valeur à température ambiante, ce qui est confirmé par les études conduites dans le cadre du Groupement Scientifique GS4C "Comportements thermomécaniques des composites céramique-céramique", qui affichent une baisse de la rigidité initiale de 13% à 1000°C et de 26% à 1400°C [ABBE1993]. Les déformations résiduelles à charge nulle sont élevées à 1200°C. Elles atteignent jusqu'à 0,18 % au lieu de 0,05 % à température ambiante. Cette déformation irréversible peut être associée à l'ouverture permanente des fissures et à la déformation non élastique des fibres et de la matrice. La courbe d'endommagement représentée par l'évolution du paramètre D0 = (1-E/E0) (E0 étant le module initial à 1200°C) en fonction de la déformation longitudinale totale met en évidence que, pour une déformation donnée, le taux d'endommagement à 1200°C est plus important qu'à température ambiante. La perte de rigidité se produit plus rapidement. La courbe tend vers une limite d'environ 80 % d'endommagement qui correspond à la saturation de la fissuration matricielle. La valeur asymptotique de D0 est alors proche de 1-(0,5.Vf.Ef/E0) [PASQ1997]. On peut donc faire l'hypothèse que seuls les fils longitudinaux supportent l'effort en fin de traction avant la rupture. On constate que les cycles d'hystérésis ne sont pas parfaitement fermés (Figure 27) [PASQ1997]. Ce phénomène a déjà été observé sur des composites modèles [RUGG1999] et d'architecture 2D [CARR1996]. Il peut être attribué à un endommagement (rupture des fibres [STEE1995]) ou à des déformations visco-élastiques qui se produisent au cours du déchargement et rechargement. Cette évolution rapide de la déformation au cours de la boucle s'accroît lorsque l'on se rapproche de la rupture. L'émission acoustique est nulle au cours des cycles, ce qui écarte l'hypothèse d'endommagement du matériau. On attribue donc cette évolution de l’hystérésis au fluage des fibres dans les zones exposées à l'argon, ce qui serait conforme au mécanisme de dégradation des fibres Si-C-O Nicalon™ proposé par Labrugère [LABR1994]. 60 Figure 27 : Comparaison des cycles d'hystérésis à 1200°C sous argon (en haut) et à température ambiante (en bas) d'après [PASQ1997]. La déformation totale est plus importante sous argon à 1200°C (1,35% au lieu de 1,19 % maximum à température ambiante). Elle est d'autant plus grande que l'essai de traction dure longtemps. Le comportement à haute température sous atmosphère inerte est donc dépendant de la durée d'exposition. 3.3.2 Sous atmosphère oxydante Des essais de traction monotone à haute température (450°C, 700°C, 850°C et 1200°C) sous air, ont également été conduits par Pasquier sur des composites SiC Nicalon™/SiC à interphase multiséquencée PyC/SiC [PASQ1997], sans influence du séquençage non plus. Les courbes de traction obtenues se superposent toutes à la courbe de traction à température ambiante. À 450°C et 700°C, la rupture est identique à celle obtenue à température ambiante. À 850°C et 1200°C, la rupture se produit prématurément dans la zone non linéaire d'endommagement. Le niveau de rupture est d'autant plus faible que la température est élevée ; il diminue de 43% à 1200°C et de 32% à 850°C. Étant donné que cette rupture prématurée n'a pas été observée à 1200°C sous argon, on l'attribue au changement d'environnement, donc à l'oxydation. Ces résultats sont confortés par les travaux de Pluvinage qui a réalisé des essais de traction à chaud sous air et sous argon, sur des composites SiC/SiC (2D tissé et 3D tressé) à interphase pyrocarbone [PLUVI1993]. Il a montré que les effets de l'oxydation étaient beaucoup plus importants sous charge. À 900°C et à 1300°C, la déformation à la rupture sous air est divisée par 2 par rapport aux résultats à température ambiante, alors qu'elle augmente sous argon. Les cinétiques d'oxydation dépendent de la température et du temps. A basse température (450°C, 700°C), la progression de l'oxydation est sans doute trop lente pour avoir une influence sur le comportement macroscopique, au cours d'un essai qui dure 1 minute environ. 61 Si l'on attribue la rupture prématurée à l'oxydation, la vitesse de traction doit modifier le niveau de rupture du composite. Plusieurs essais ont été réalisés à 700°C et 850°C à une vitesse de déformation 10 fois plus lente (0,08 %/min) : Pasquier a alors montré que la rupture se produit d'autant plus tôt à 700°C que la vitesse de déformation est faible. A cette température, il est donc important, en traction sous atmosphère oxydante, d'associer les propriétés à la rupture à la vitesse de sollicitation de l'éprouvette. Les paramètres prépondérants sont la température qui modifie les cinétiques d'oxydation, et à 700°C, la vitesse de traction qui fixe le temps d'exposition à l'air de l'interphase de pyrocarbone. 3.3.3 Conclusion Le comportement à la rupture du composite SiC/SiC 2D, sollicité en traction sous argon, est peu affecté par la température (au moins jusqu'à 1200°C). Les effets observés sont principalement des phénomènes de déformation visco-plastique des fibres Nicalon™ qui se produisent lorsque le matériau est fissuré. Ces phénomènes qui dépendent du temps, n'ont qu'une faible incidence sur la courbe de traction, car les vitesses de sollicitation mécanique sont élevées, et donc les durées d'exposition à l’environnement des fibres, faibles. En revanche, à haute température sous air, l'oxydation entraîne la rupture prématurée du composite. Ces essais ont permis de vérifier l'influence de la vitesse de sollicitation sur les propriétés à la rupture, à haute température sous argon et sous air, sachant qu'à température ambiante le comportement est également dépendant de la vitesse de déformation de l'éprouvette pour les fortes vitesses : une vitesse de déformation plus rapide engendre un pas de fissuration matricielle plus petit (longueur de décohésion plus courte). En revanche, au dessous d'une certaine vitesse, le temps de relaxation influe moins sur le niveau de contrainte atteint, et le développement de la fissuration matricielle semble peu sensible à la vitesse de déformation [GUIL1994]. Les essais de traction monotone jusqu'à rupture ne sont pas toujours adaptés pour caractériser les mécanismes d'oxydation. En effet, il est difficile de découpler les mécanismes d'oxydation, des mécanismes d'endommagement purement dus à l’augmentation du chargement mécanique. En réalisant des essais de vieillissement sous charge constante, i.e. en fatigue statique, on s'affranchit du deuxième paramètre, en figeant la contrainte de maintien au cours du temps. 3.4. Fluage Lorsque l'on travaille à faible fréquence de chargement, le fluage peut affecter le comportement en fatigue cyclique des composites à haute température. Il est donc intéressant de présenter rapidement ce mécanisme d'endommagement. L'interaction fluage-fatigue durant les essais de fatigue à haute température sera discutée plus longuement au § 4.3 de ce chapitre. 3.4.1 Rappel théorique et intérêt Lorsqu'un composite est sollicité mécaniquement à température élevée, un ou plusieurs de ses constituants peuvent se comporter de façon viscoplastique entraînant un comportement viscoplastique du composite. Cette viscoplasticité peut être caractérisée le plus souvent grâce à des essais de fluage qui permettent de mesurer l'évolution de la déformation sous chargement constant [FRAN1992]. La réponse typique d’un matériau, pour un chargement et une température donnés montre trois régimes plus ou moins marqués : - un régime primaire pendant lequel la vitesse de déformation décroît au cours du temps, - un régime secondaire pendant lequel la vitesse est constante, 62 - un régime tertiaire pendant lequel la vitesse croît jusqu'à la rupture du matériau (absente sur les SiC/SiBC dans les conditions de température et de contrainte étudiées [FARI2002]). En fluage, si le composite est traité comme un matériau monolithique et seule la vitesse de déformation en régime secondaire est prise en compte. La formulation de Dorn peut alors être employée: • ε = Aσ exp(− Q ) RT avec A, une constante, n l'exposant des contraintes, Q une énergie d'activation, R la constante des gaz parfaits, et T la température absolue. La valeur de n permet d'identifier le mécanisme de fluage [ABBE1989]. Mais cette équation n'est généralement pas applicable aux composites, puisqu'ils sont ni homogènes et ni isotropes. (Eq. 3) 3.4.2 Sous atmosphère neutre 3.4.2.1 • n Fibres Nicalon™ Les propriétés élastiques et de rupture des fibres SiC en dessous de 1000°C sont bien conservées. Mais il apparaît que la fibre Nicalon™ est instable à partir de 1100°C-1200°C sous argon. La décomposition de la phase vitreuse SiCxOy de la fibre en CO et en SiO ou/et sa réaction avec le carbone libre, associées à une croissance des grains de SiC, entraînent une augmentation de la viscosité globale de la fibre [BODE1996], [JIA1993]. Cela se traduit par l'absence de régime secondaire, particulièrement à 1200°C [BODE1993] et à 1400°C [TRES1995]. Une autre conséquence de l'instabilité chimique de la fibre Nicalon™ est le rôle prépondérant de l'atmosphère environnant de la fibre pendant le fluage, qui conditionne la vitesse de réaction de la phase SiCxOy. Ainsi, la fibre évolue moins vite sous CO que sous argon pour une contrainte et une température données [BODE1993]. Pour des températures inférieures à 1300°C, une contraction de la fibre est observée pour des faibles contraintes appliquées. Par comparaison avec les résultats obtenus avec les autres types d'atmosphère, cette contraction est causée par une décomposition de la fibre plutôt que par une contraction de la phase oxycarbure. Pour de fortes contraintes, les fibres présentent un fluage de type primaire. • Hi-Nicalon™ Des essais de fluage sous argon ont montré que la fibre Hi-Nicalon™ était sensible au fluage dès 1200°C, mais considérablement plus résistante que la fibre Nicalon™ [BODE1995]. Il a également été observé un retrait, lors d'essais de fluage effectués sous faible charge, à cause du manque de stabilité de la fibre. La résistance au fluage de la fibre Hi-Nicalon™ peut encore être améliorée par un traitement thermique sous atmosphère neutre pour faire grossir les grains et augmenter l'arrangement des cristaux, et conduire ainsi à une meilleure stabilité thermique [BODE1995], [CHOL1997b], [TRES1999]. 3.4.2.2 Matrice La plupart des études sur le fluage du SiC monolithique concernent du SiC élaboré par frittage et dont la taille de grains est relativement importante. Le fluage de SiC élaboré par CVD (de taille de grains beaucoup plus faible) a fait l'objet de quelques travaux [CART1984], [COUR1991] et [DICA1986]. Dans tous les cas, le SiC CVI apparaît nettement plus résistant au fluage que la fibre (facteur 100 minimum) [CARR1996]. Comme la résistance au fluage des fibres SiC est plus faible que celle de la matrice SiC (CVI), la fissuration matricielle est le mécanisme d'endommagement prédominant. En effet, 63 l'augmentation de la contrainte dans la matrice, à cause de la redistribution de contraintes sous fluage, amène le développement d'une fissuration matricielle périodique, et favorise donc l'oxydation et le fluage des fibres [RAJ1993], [ZHU1998]. 3.4.2.3 Composite L'existence des trois stades de fluage dépend des conditions de température et de la contrainte appliquée. Pour de fortes contraintes, il n'y a pas de fluage tertiaire, voire même secondaire [ZHU1999]. Lors des essais de flexion sous argon entre 1100°C et 1400°C, Abbé a observé un état de fluage stationnaire (secondaire) [ABBE1989]. Dans le cas d'un composite SiC Nicalon™/SiC 2D, il y a fluage de la fibre dans les zones exposées à l'atmosphère inerte et endommagement de la matrice à partir de 1100°C, (la matrice SiC ne flue pas mais se fissure) [HOLM1993]. Inversement, dans le cas où la matrice est vitrocéramique, dans des conditions de températures et de contraintes suffisantes, celle-ci devient visqueuse et ne participe plus à la résistance mécanique du composite [KERV1993], alors que dans le cas d'un composite Al2O3/SiC [LAMO1994] ou SiC/SiBC [CHER2001b, 2002], il y a multifissuration matricielle, fluage de la fibre, progression de la décohésion fibre/matrice et ouverture des fissures matricielles. Ces exemples illustrent la variété des mécanismes de fluage et la difficulté de les réunir dans un modèle unique. 3.4.3 Sous atmosphère oxydante 3.4.3.1 Fibres Des essais sous atmosphère oxydante ont aussi été réalisés, confirmant le rôle joué par la décomposition de la phase SiCxOy de la fibre Nicalon™ dans le comportement en fluage du composite [BODE1995]. Une absence de régime secondaire a été observé par Bunsell lors d'essais de fluage des fibres sous air. Le fluage de la fibre Nicalon™ débute lorsque la contrainte appliquée dépasse une valeur seuil : 300 MPa à 1100°C, 170 MPa à 1200°C (pour la fibre Nicalon™ NLP101) [BUNS1988], [SIMO1984]. Les durées de vie de la fibre Nicalon™ sous air sont typiquement plus grandes que sous atmosphère neutre grâce à la formation de silice à la surface de la fibre qui limite la diffusion des gaz issus de la décomposition de la phase SiCxOy [BODE1996], [SIMO1984], [TRES1995]. La fibre Hi-Nicalon™ présente un fluage stationnaire et une bien meilleure résistance au fluage sous air (~ un ordre de grandeur : à 1300°C, sous 0,45 GPa , les temps à rupture de la fibre Hi-Nicalon™ et Nicalon™ sont respectivement de 190010 et 2050 min). Elle commence à fluer sous air à 1280°C sous 150 MPa. Ce fluage est activé thermiquement, et corrélé à une légère orientation des USB de carbone dans la direction de changement. Ces agrégats de carbone pourraient permettre également le glissement des grains de SiC [BODE1995]. 3.4.3.2 Matrice Les études qui ont porté sur le fluage du SiC, concernent le plus souvent le SiC fritté, et rarement le SiC CVD. Mais il semblerait que lors d'un essai de fluage d'un composite SiC/SiC sous air, le fluage de la fibre est prépondérant, provoquant la fissuration de la matrice, qui ne flue pas ou beaucoup moins [WILS2000]. Par ailleurs, Carrère n'observe que peu de fissures matricielles dans la matrice intrafil SiBC des composites SiC Nicalon™/SiBC, durant les essais de fluage sous air à 1200°C et attribue cela au fluage de la matrice intrafil [CARR1996] ; mais d'autres auteurs pensent que le fluage de ce type de composite est surtout lié à du "fluage-endommagement" [CHER2002]. 3.4.3.3 Composite Les chercheurs japonais Mizuno et al. ont étudié l'influence de l'ajout de particules à base de bore dans la matrice SiC d'un composite SiC/SiC, sur le comportement en fatigue et en fluage à 1300 °C sous air, sous vide et sous argon, de composites SiC avec 2 générations de fibres 64 SiC (Nicalon™ et Hi-Nicalon™) [MIZU1997], [MIZU1998], [ZHU1998], [ZHU1999]. Ils ont comparé 3 types de composites (Figure 28 et Figures 29) : - un composite SiC/SiC avec fibres Nicalon™ et matrice SiC (CVI) appelé Standard SiC/SiC, - un composite SiC/SiC avec fibres Nicalon™ et matrice SiC (CVI) + particules de B appelé Enhanced SiC/SiC , et - un composite SiC/SiC avec fibres Hi-Nicalon™ et matrice SiC (CVI) + particules de B appelé Hi-Nicalon™/SiC. Figure 28 : Comparaison des durées de vie en fluage de différents composites SiC/SiC, selon leurs constituants et l'atmosphère environnante (Air/Argon) d'après [MIZU1997]. Figures 29 :Vitesse de déformation minimale et durées de vie, en fluage de composites SiC Nicalon™ /SiC à matrice avec bore ("Enhanced") ou non ("Standard"), à 1300°C sous Air ou Argon, d'après [ZHU1998]. Il semblerait que : * les fibres Hi-Nicalon™ n'améliorent pas la tenue en fluage sous air des composites SiC/SiC à matrice contenant du bore (Figure 28) ; * en revanche la matrice avec du bore sur les composites à fibres Nicalon™, augmente de façon importante la résistance au fluage, les durées de vie en fluage sous air (Figures 29); * pour un composite SiC Nicalon™/SiC Standard, les vitesses de fluage à une contrainte donnée sont plus faibles et les durées de vie plus longues sous argon que sous air (Figures 29) [ZHU1998], en contradiction avec l'étude menée par Wilshire et al. [WILS2000] ; * la propagation des fissures dans la matrice avec du bore diffère de celle dans la matrice simple SiC, à cause du remplissage par le verre borosilicaté des fissures. 65 Comme sous atmosphère inerte, le composite SiC Nicalon™/SiBC flue à 1200°C. Mais le fluage est activé sous air, soit par activation du fluage des fibres, même si cela n'a pas été remarqué par Bodet [BODE1996], soit par dégradation de l'interphase, ce qui augmente l'endommagement. L'évolution des modules d'Young est plus grande sous air. On peut penser aussi que les ruptures de fibres, beaucoup plus précoces sous air que sous argon, perturbent le comportement en fluage du composite : des ruptures de fibres en début d'essai conduisent à un rechargement des autres fibres et donc à une activation du fluage [CARR1996], [FARI2002]. 3.4.4 Conclusion L'atmosphère joue un rôle important autant sur les constituants que sur le comportement global en fluage du composite, notamment vis-à-vis des phénomènes d'oxydation. En effet, même si l'ajout de bore dans la matrice (sous forme de particules ou de couches déposées par CVI) améliore le comportement sous air par rapport aux composite à matrice standard SiC (CVI), ces composites présentent des durées de vie plus longues sous argon. La protection par la formation de verres borosilicatés est donc efficace en fluage, mais des dégradations dues à l'environnement subsistent. 3.5. Fatigue cyclique Le comportement en fatigue cyclique est essentiellement décrit par l'étude de l'évolution des caractéristiques mécaniques en fonction du nombre de cycles, tels que le module élastique, les déformations résiduelles et l'ouverture des boucles. 3.5.1 Sous atmosphère neutre Comme nous l'avons mentionné au § 3.4.3.3, Mizuno, Zhu et al. ont également étudié l'influence de l'ajout de particules de bore dans la matrice SiC d'un composite SiC/SiC, sur le comportement en fatigue à 1300 °C sous vide, sous argon et sous air de différents composites SiC/SiC [MIZU1997], [MIZU1998], [ZHU1998], [ZHU1999]. La Figure 30 indique pour un composite SiC Nicalon™/SiC Standard, les durées de vie à une contrainte de fatigue donnée sont beaucoup plus longues sous argon que sous air. Figure 30 : Diagramme d'endurance en fatigue cyclique à 1300°C sous Air ou Argon de composites SiC Nicalon™/SiC à matrice avec bore ("Enhanced") ou non ("Standard"), d'après [MIZU1998]. Des essais de fatigue cyclique sous argon ont été réalisés par Carrère sur des composites SiC Nicalon™/SiBC. Globalement, il observe le même comportement qu'en fluage, en notant toutefois une plus forte diminution du module associée à une fissuration matricielle plus importante en fatigue pour la même contrainte maximale. 66 3.5.2 Sous atmosphère oxydante Les travaux de Mizuno et al. sur les composites décrits précédemment montrent qu'à 1300°C [MIZU1998] : * la matrice avec du bore sur les composites à fibres Nicalon™ augmente de façon importante la résistance et les durées de vie en fatigue à chaud sous air (Figure 30) ; * les fibres Hi-Nicalon™ améliorent peu la tenue en fatigue à chaud sous air des composites SiC/SiC à matrice avec du bore (Figure 31). Figure 31 : Diagramme d'endurance en fatigue cyclique à 1300°C sous air de différents composites SiC/SiC d'après [ZHU1998]. Par ailleurs, la dégradation rapide sous air des composites SiC Nicalon™/SiC (standard) à 1200°C a été confirmée par Carrère, puisque des éprouvettes de SiC/SiC ont rompu lors du chargement initial avant d'atteindre une contrainte comparable à celle des essais de fatigue effectués sur des composites SiC Nicalon™ /SiBC [CARR1996]. Carrère a réalisé des essais de fatigue cyclique sur des composites SiC Nicalon™/SiBC, et suppose que la fermeture des fissures lors du déchargement agit sur le verre à l'intérieur des fissures en uniformisant son épaisseur le long des parois et en expulsant une partie vers l'extérieur. Cela entraîne une production de verre plus importante et des rigidifications plus intenses et plus précoces par rapport aux essais de fluage. En effet, le verre borosilicaté issu de l'oxydation des couches SiBC peut contribuer à la rigidité globale du composite soit en gênant la refermeture des fissures, soit en reconstituant la liaison interfaciale (l'oxyde remplaçant le pyrocarbone disparu). Ces deux phénomènes sont intimement liés à la viscosité du verre : un verre fluide sera plus facilement chassé hors de la fissure lors des déchargements tandis qu'un verre visqueux ou solide créera une forte liaison interfaciale pouvant conduire à la rupture des fibres. Les durées de vie bien plus courtes sous air que sous argon ([CARR1996] [MIZU1998]) indiquent l'existence de mécanismes spécifiques de rupture liés à l'oxydation. La fréquence de sollicitation est également un paramètre important, puisque plus la fréquence est élevée, plus la vitesse d'oxydation de la matrice protectrice SiBC est grande, mais plus sa perméabilité à l'oxygène est importante, ce qui conduit à des durées de vie plus faibles. 3.6. Conclusion Des essais de fatigue cycliques à chaud [ELAH1994], [HERE1995] ont montré que les contraintes résiduelles et les effets de l'environnement influencent énormément le comportement en fatigue. Ainsi, d'une part les durées de vie en fatigue sont beaucoup plus grandes à température ambiante qu'à haute température. Elles sont, d'autre part, sensiblement égales sous chargements statiques et cycliques à des contraintes maximales similaires. Mais globalement, les durées de vie des composites à matrice SiBC sont augmentées par rapport à celles des composites SiC/SiC standards [CARR1996], même si les valeurs restent inférieures à celles sous argon. 67 Il ressort finalement des récentes études que les essais en température sont complexes à mettre en oeuvre et font intervenir de nombreux paramètres : la température, la contrainte appliquée, la vitesse de sollicitation, le temps, l'environnement, etc. Cette contradiction entre un petit nombre d'essais possibles et un grand nombre de paramètres rend l'interprétation difficile. 4. Modélisation des mécanismes d'endommagement et de rupture Les différents mécanismes d'endommagement et de rupture d'un matériau composite unidirectionnel sont ici présentés de manière théorique à l'aide des modèles classiques couramment utilisés. Nous aborderons l'influence du tissage à la fin de cette partie. Dans cette première approche micromécanique des mécanismes élémentaires de renforcement et d'endommagement des composites, le matériau sera considéré comme un système hétérogène constitué d'au moins deux phases homogènes que sont les fibres et la matrice. De plus, ces deux phases sont géométriquement réparties de la manière suivante : les fibres sont continues, parallèles entre elles et séparées les unes des autres par de la matrice. Par ailleurs, les deux constituants présentent un comportement mécanique de type élastique linéaire fragile. On définit alors de façon générale les constantes suivantes : Ex (module d'Young/d'élasticité), Vx (fraction volumique), σxr (contrainte de rupture), εxr (déformation à rupture). Les indices x = c, f, m et p feront respectivement référence aux propriétés du composite, des fibres, de la matrice et de la porosité. Nous appellerons Vfl, la fraction volumique des fibres longitudinales, orientées dans la direction de chargement, que nous considèrerons égale à la moitié de la fraction volumique totale des fibres Vf dans le cas d'un composite 2D. La liaison mécanique entre chaque phase est assurée par un patin mécanique dont le seuil de glissement en cisaillement est constant (τ). Les propriétés physiques du matériau vierge sont obtenues à partir de celles de chacun des constituants par l'intermédiaire de la loi des mélanges, avec Vf + Vm + Vp = 1, Vp n'est pas négligeable, et vaut entre 10 et 15% dans les composites élaborés par CVI. Enfin, comme dans la plupart des cas pour les matériaux composites à matrice et fibres céramiques, pour lesquels l'augmentation de la ténacité et de la résilience sont les objectifs recherchés, la déformation à rupture de la matrice (εmr) est inférieure à la déformation à rupture des fibres (εfr) soit : εfr > εmr 4.1. Comportement en traction monotone 4.1.1 Courbe contrainte-déformation La courbe typique contrainte-déformation (σc - εc) en traction d'un matériau composite unidirectionnel sollicité en traction dans le sens des fibres est présentée sur la Figure 32. 68 Figure 32 : Comportement théorique d'un composite 1D en traction d'après [OLIV1998]. Celle-ci se compose de quatre domaines distincts [EVAN1994b]: • Comportement linéaire élastique : Dans la première région (a), le comportement est purement élastique et le composite ne présente pas d'endommagement. Le système peut être illustré par un modèle de Voigt : les fibres et la matrice sont soumises à une déformation identique (εc = εf = εm), alors que la contrainte subie par le matériau se calcule à partir de la "loi des mélanges" [BERT1992]. Soit : (Eq. 4) σc = Vfl σf + Vm σm = Ec εc (Eq. 5) Ec = Ef Vfl + Em Vm avec Toutefois, pour les CMC, cette règle des mélanges peut ne pas être vérifiée, car une faible cohésion de l’interface fibre-matrice peut limiter le transfert des contraintes de la matrice aux fibres [DORL1999], [STEE1995]. • Multifissuration matricielle [AVES1971] Le premier endommagement (région b) correspond à une fissuration de la matrice, au niveau de contrainte du composite σe (limite d'élasticité) : (Eq. 6) σe = σf* Vfl + σmr Vm avec σf*, contrainte supportée par les fibres au moment de la rupture de la matrice et σmr, contrainte à rupture de la matrice. La matrice se fissure et la charge alors subie par la matrice (σmrVm par unité de surface) est transférée sur les fibres. A ce stade, si les conditions interfaciales conduisent à une désolidarisation entre fibre et matrice, et si la fraction volumique du renfort est suffisante pour lui permettre de supporter la surcharge occasionnée par la fissuration matricielle, alors des fissures transversales multiples apparaissent dans la matrice à la même contrainte σmr. Il en résulte un "plateau" sur la courbe (σc - εc) au niveau de la contrainte de multifissuration du composite σe, alors entièrement supportée par les fibres : (Eq. 7) • σe = Vfl σf Chargement élastique des fibres Lorsque la fissuration de la matrice est saturée, la charge appliquée au composite est entièrement supportée par les fibres qui s'allongent élastiquement (région c). Alors, le comportement en traction du matériau est décrit par : 69 (Eq. 8) • σc = Vfl σf = Vfl (Ef εc) Rupture des fibres La rupture du matériau composite intervient (au point d) lorsque la charge supportée par les fibres atteint la contrainte à rupture des fibres σfr. Cependant, la rupture de toutes les fibres ne se produit pas instantanément mais progressivement, dans un domaine de contraintes plus ou moins étendu. Ce phénomène résulte de la nature fragile des fibres dont les contraintes à rupture individuelles sont distribuées statistiquement. Ainsi l'imminence de la rupture du composite est annoncée par une inflexion de plus en plus prononcée de la courbe (σc, εc) à mesure que le taux de fibres rompues (q) augmente. Lorsque q atteint une valeur critique q*, l'évolution de la rupture du renfort devient instable et conduit à la rupture du composite. La rupture des fibres peut se produire au droit des fissures matricielles ou à l'intérieur des blocs de matrice entre deux fissures matricielles. Dans ce dernier cas, la rupture du composite implique l'allongement avec friction des fibres intactes et l'extraction des fibres rompues hors de la matrice. Ce mécanisme de rupture, consomme de l'énergie et permet donc d'accroître de façon non négligeable la ténacité du composite [EVAN1990], [THOU1988]. • Courbe réelle En raison de la distribution des défauts (décrite par une statistique de Weibull) dans la matrice et les fibres, la fissuration multiple de la matrice et les ruptures individuelles des fibres ne se produisent pas à une contrainte constante [PERE1988]. C'est pourquoi, la courbe contraintedéformation réelle présente une non-linéarité à partir de la contrainte seuil de fissuration matricielle σe. 4.1.2 • Mécanismes d'endommagement Influence des contraintes thermiques La prise en compte des contraintes thermiques résiduelles est importante pour la prédiction du comportement mécanique des composites à matrice céramique, en particulier pour la détermination de la valeur de la contrainte de multifissuration de la matrice et le mécanisme de transfert de charge à l'interface. En effet, la densification de la matrice par CVI exige des températures d'élaboration élevées, et lors de la phase de refroidissement la différence entre les coefficients de dilatation thermique de chacun des constituants engendre l'apparition de contraintes thermiques résiduelles. Dans le cas d'un composite unidirectionnel à fibres continues, les contraintes résiduelles axiales et à l'interface peuvent être mises en équation sous la forme suivante [BUDI1986]: (Eq. 9) σ Tf = E f Em(1−V f )(T0 −T)(α f −α m)/ Ec (Eq. 10) σ mT = − E f EmV f (T0 −T)(α f −α m)/ Ec (Eq. 11) σ iT = Em(T0 −T)(α f −α m)/⎛⎜ (1+Vm)+ Em (1−V f ) ⎞⎟ Ef ⎝ ⎠ avec T, la température d'utilisation du composite, T0, la température d'élaboration, α, le coefficient de dilatation thermique. Ainsi, si (αf > αm et T<T0) ou (αf < αm et T>T0) la matrice est longitudinalement en compression ce qui peut retarder de manière appréciable l'apparition de la première fissure matricielle σe (Eq. 15). Par contre, l'interface est en tension ( σ iT >0) ce qui conduit à un transfert de charge moins efficace. Il est néanmoins possible de modifier la valeur de σ iT et donc de contrôler, dans une certaine mesure, les conditions de frottement à l'interface par 70 l'addition d'une couche d'épaisseur judicieusement choisie de pyrocarbone (PyC) ou de nitrure de Bore (BN) à l'interface fibre-matrice. Par opposition, si (αf < αm et T<T0) ou (αf > αm et T>T0), la contrainte longitudinale de tension présente dans la matrice peut être suffisante pour amorcer la création d'un réseau de microfissures au sein de la matrice dès l'élaboration et diminuer ainsi la résistance du composite, la contrainte de cisaillement radiale favorisant plutôt le frettage de la fibre par la matrice ( σ iT < 0). Quoique confidentielles, on sait que les températures d'élaboration des composites SiC/SiC sont voisines de 1000°C pour des pressions réduites. De plus, dans le cas des composites SiC/SiC classiques, on a αf < αm, si l'on est à T<1000°C, la fibre est frettée par la matrice, en revanche pour T>1000°C, l'interface fibre/matrice sera en tension et favorisera la décohésion. • Contrainte de première fissuration La première fissuration matricielle intervient lorsque la contrainte appliquée au composite satisfait l'équation (Eq. 6). Si l'inéquation (Eq. 12) est respectée, la fissure se propage dans la matrice et le long de l'interface sans rompre les fibres. Celles-ci pontent alors la fissure et assurent ainsi la tenue mécanique du matériau. (Eq. 12) σe Vf ≤σ rf Le seuil d'apparition de cette première fissure matricielle a été envisagé par Aveston Cooper Kelly (ACK) à partir du bilan énergétique mis en jeu par la propagation brutale d'une fissure matricielle, sur toute la section du composite, sous une charge constante. Ce dernier s'écrit [AVES1971]: (Eq. 13) ΓmVm +γ db +U s + ∆U f ≤ ∆W +∆U m avec : ∆W, le travail fourni par la contrainte appliquée au matériau, ∆Um, l'énergie élastique de déformation dissipée par la matrice lors de la création de la fissure, ∆Uf, l'énergie élastique absorbée par la déformation additionnelle des fibres pontant la fissure, US, le travail effectué contre la contrainte de frottement interfacial sur la distance de glissement fibre-matrice, Γm, l'énergie nécessaire à la création des 2 nouvelles surfaces dans la matrice par unité de volume, γdb, le travail de décohésion de l'interface fibre-matrice pour permettre ainsi le glissement indispensable au mécanisme de transfert de charge. En posant comme hypothèse simplificatrice que l'énergie de décohésion de l'interface γdb est nulle, cette analyse permet de calculer la déformation critique εcm à laquelle se développe la première fissure matricielle [AVES1971], [BUDI1986], [MARS1985], [MCCA1987] : (Eq. 14) ⎡ 6τΓmV f2 E f ⎤ ε =⎢ 2 ⎥ ⎣ (1−V f )Em REc ⎦ 1 3 m c En tenant compte des contraintes thermiques résiduelles, la contrainte de première fissuration matricielle devient [BUDI1986], [MARS1992]: 1 (Eq. 15) ⎡ 6τΓmV f2 E f Ec2 ⎤ 3 T Ec σ e =⎢ 2 ⎥ −σ m Em ⎣ (1−V f )Em R ⎦ 71 D'après cette relation, un choix judicieux des propriétés du renfort fibreux et une bonne maîtrise des conditions d'élaboration du composite permet de retarder la microfissuration qui modifie les propriétés du matériau et peut être à l'origine de ruptures prématurées à haute température et en fatigue. Cependant, l'ajustement de la contrainte de multifissuration de la matrice σe est soumise à un compromis (Eq. 12). En effet, si σe est trop élevée, l'énergie élastique libérée par la propagation d'une fissure matricielle est susceptible d'entraîner la rupture des fibres et provoquer ainsi la rupture du composite au lieu de se propager à l'interface fibre-matrice. • Conditions de décohésion à l'interface fibre-matrice. Outwater et Murphy [OUTW1969], suivis par Charalambides et al. [CHAR1989], ont proposé une approche énergétique simplifiée de cette décohésion interfaciale. Ainsi, dans le cas d'un composite libre de toute contrainte résiduelle, la contrainte critique dans la fibre entraînant la rupture de l'interface s'exprime par : (Eq. 16) σ Df = 4E f Γi r avec Γi , l'énergie de rupture de l'interface par unité de surface. Signalons que l'effet des contraintes thermiques résiduelles peut également être pris en considération [HUTC1990], [BENO1993]. La validité de ce critère n'opère que dans le cas d'une décohésion stable [MARS1987], favorisée par la présence, à l'interface, d'une contrainte résiduelle radiale de compression. Ainsi, la rupture de l'interface s'amorce pour la contrainte σ Df et se propage au fur et à mesure que la contrainte appliquée au composite augmente. Cette décohésion interfaciale implique que la propagation de la fissure matricielle s'effectue en mode mixte, détruisant les liaisons fibre-matrice. Analytiquement, Budianski et al. [BUDI1986] ont montré que le décollement de l'interface prédomine par rapport à la rupture des fibres si : (Eq. 17) Γ i ≤ 1Γ f 4 avec Γ f : l'énergie de rupture de la fibre par unité de surface. Cette relation est très généralement vérifiée dans le cadre des composites à matrice et à fibres céramiques pour lesquels l'énergie de rupture de l'interface est très faible (≤ 5 J.m-2) ou fortement réduite par la présence d'une interphase appropriée (généralement de structure lamellaire : carbone pyrolithique, nitrure de bore hexagonal) déposée ou formée sur les fibres durant l'élaboration du composite [BREN1986], [DOME1995], [EVAN1994a], [KERA1995], [RICE1984]. • Mécanismes de transfert de charge La rupture de la matrice modifie la configuration du matériau alors que la charge appliquée reste la même. Il apparaît donc une redistribution de la contrainte supportée individuellement par les fibres et la matrice, au sein du matériau composite : la charge précédemment supportée par la matrice est transférée sur les fibres pontantes. L'accroissement de déformation subie alors par les fibres aux environs de la fissure matricielle génère un mouvement relatif fibrematrice permettant l'activation du mécanisme de frottement. Ainsi, dès l'apparition de l'endommagement, les deux phases sont libres de glisser l'une par rapport à l'autre par l'intermédiaire d'une contrainte de glissement constante qui peut être modélisée par un patin à seuil de glissement τ en cisaillement [GRES1969]. La Figure 33 schématise le processus de transfert de charge. Au droit de la fissure matricielle, la contrainte dans la matrice est nulle et la charge est entièrement transmise aux fibres pontantes. Mais, à mesure que l'on s'éloigne de la discontinuité matricielle, la charge est 72 graduellement transmise des fibres à la matrice par l'intermédiaire des forces de frottement présentes à l'interface. Figure 33 : Fissuration matricielle saturée d'après [REYN1992]. Soit une tranche élémentaire de fibre d'épaisseur dx suffisamment grande pour pouvoir être considérée comme physiquement homogène, mais suffisamment faible pour être considérée macroscopiquement comme infiniment petite, le glissement de cet élément n'est possible que si l'on lui applique un effort élémentaire df égal aux forces de frottement présentes à la surface latérale de l'élément de fibre (Figure 34). Le bilan des forces sur la fibre, fait dans le cadre de la mécanique classique, donne [MARS1992] : avec df + τ.2πr dx = 0 df = dσf. πr² soit (Eq. 18) dσ f =− 2τ dx r Figure 34 : modélisation du frottement interfacial d'après [REYN1992]. Par conséquent tout déplacement de part et d'autre d'une fissure matricielle induit une diminution (donnée par (Eq. 18)) de la charge supportée par les fibres et entraîne une augmentation de la charge supportée par la matrice via le mécanisme de transfert de charge. Ce transfert de charge s'étend sur une distance ldec de chaque côté de la fissure matricielle et dans cette zone, la contrainte appliquée à la matrice est en tout point inférieure à sa contrainte de rupture : aucune autre fissure ne peut donc être générée pour tout -ldec <x< ldec. Cependant, hors de cette zone, la contrainte matricielle retrouve son niveau initial. La matrice peut alors à nouveau se fissurer, d'où le phénomène de fissuration multiple et le plateau représenté sur le diagramme (σc-εc) (Figure 32). La création de chaque fissure entraîne l'apparition d'une zone de glissement fibre-matrice équivalente à celle précédemment décrite. Lorsque la distance d entre deux fissures est comprise entre ldec et 2 ldec les profils de transfert de charge se chevauchent (Figure 35). La fissuration matricielle atteint alors un état de saturation. 73 Figure 35 : Fissuration matricielle saturée d'après [REYN1992]. Par ailleurs, le modèle d'ACK repose sur l'unicité de la contrainte à rupture de la matrice. II est cependant plus réaliste de considérer que la résistance à la rupture locale de la matrice est distribuée et régie par la statistique de Weibull. Par conséquent, la contrainte nécessaire à la poursuite de la multifissuration augmente avec le nombre de fissures jusqu'à un niveau de saturation pour lequel les zones de glissement se chevauchent. Ce dernier est caractérisé par une contrainte (σs) et une distance interfissure à saturation (ds) qui s'écrivent ([LISS1994], [ZOK1992]) : (Eq. 19) σ s =(τd s Lr)V f Ec /(1−V f )Em d s = χ [Γm(1−V f )2 E f Em /V f τ 2 Ec r ]13 r avec χ , qui dépend du type d'évolution considéré pour la microfissuration : périodique (une fissure se forme toujours à l'exact milieu de deux autres fissures préexistantes) ou aléatoire (une fissure se forme à un endroit aléatoire simulé par la méthode de Monte-Carlo [ZOK1992] : χ = 1,5) [BEYE92]. Les simulations de l'évolution de la fissuration matricielle aboutissent toutes à l'expression simplifiée suivante, qui met en évidence une augmentation linéaire de la densité de fissures avec la contrainte appliquée [CURT1993], [EVAN1995], [SPEA1993]: (Eq. 20) ⎛ σ s /σ e −1 ⎞ d =d s⎜⎜ ⎟⎟ e ⎝ σ c /σ −1 ⎠ avec d, la distance interfissure moyenne lorsque la contrainte de traction appliquée au composite est égale à σc. (Eq. 21) 4.1.3 Rupture du composite Les approches analytiques du problème de la rupture se basent toujours sur le travail initial du modèle d'Aveston, Cooper et Kelly [CAO1990], [CURT1991a-b], [ROUB1990a-b], [SUTC1989]. Les variations de l'une à l'autre résident essentiellement dans le choix de la forme et de la répartition des profils de transfert de charge dans les fibres après la microfissuration de la matrice. L'établissement d'un critère de rupture, associé à l'hypothèse faite sur le mode de chargement des fibres, se fait alors par la détermination analytique du taux critique de fibres rompues (q*), dans la totalité ou dans une section donnée du matériau, conduisant à une évolution instable des ruptures de fibres par un effet d'avalanche lors de la répartition des surcharges. La définition du critère est complétée par le calcul de la contrainte ultime σ cr supportée par le matériau, pour laquelle : (Eq. 22) dσ c =0 dq 74 Les propriétés à rupture du composite sont principalement contrôlées par deux paramètres microstructuraux : la contrainte à rupture moyenne et la distribution des contraintes à rupture des fibres, les propriétés interfaciales. Les caractéristiques de la matrice n'interviennent pas. • Analyse statistique de la rupture Comme nous l'avons déjà évoqué pour la matrice, les fibres céramiques présentent un certain nombre de défauts volumiques et surfaciques, de nature plus ou moins critique, dont la répartition sur leur longueur, conditionne leur résistance à la rupture. Nous supposons ici que la rupture des fibres est décrite par la statistique de Weibull. Ainsi, la probabilité de rupture d'une fibre de longueur L subissant une contrainte σf est donnée par (Eq. 23) m ⎡ ⎤ Pr = 1−exp⎢− L⎛⎜ σ f ⎞⎟ ⎥ ⎣ ⎝ σ0 ⎠ ⎦ avec m, un paramètre intrinsèque au matériau qui rend compte de la distribution des contraintes à rupture (plus m est petit, plus le profil de distribution est étalé), et où σ0 est un facteur d'échelle relié à la contrainte à rupture moyenne <σ rf > par la relation [NAVA1990] : (Eq. 24) −1 <σ rf > = σ 0 L mΓ(1+ 1 ) m Par extension de l'équation (Eq. 22) la proportion (q) de fibres rompues au voisinage d'une fissure matricielle (fissuration matricielle non saturée) s'exprime par [ROUB1990a] : (Eq. 25) ⎛ ⎞ rσ cm +1 q = 1−exp⎜⎜ ⎟⎟ 1 1 m + m + m ⎝ τ(V f (1−q) (m+1)σ 0 ⎠ La rupture du composite intervient pour une contrainte appliquée σ cr lorsque le taux de fibres rompues atteint une valeur critique q* : (Eq. 26) [m+1] m 1 σ cr = V f (τ ) (m +1)σ 0 (m +1) exp −1 r et (Eq. 27) • ⎡ −1 ⎤ q* =1 − exp ⎢ ⎣m + 1⎥⎦ Extraction des fibres rompues Dans l'analyse de Curtin [CURT1991a-b], la fissuration matricielle est saturée et les fibres peuvent présenter une rupture multiple. Si la période de fissuration de la fibre est très grande devant la période de fissuration de la matrice, toute rupture de fibre provoque un déchargement qui n'intervient que sur quelques blocs de matrice (Figure 36). Au-delà, la fibre est toujours soumise aux mêmes profils de charge et peut se fissurer à nouveau. Dans ce cas, la partie non déchargée de la fibre peut être assimilée à un plateau et l'effet de la multifissuration matricielle est négligeable. 75 Figure 36 : Décharges induites par les ruptures de fibres dans un composite multifissuré et passage à un profil de contrainte équivalent d'après [CURT1991b]. L'ensemble de ces hypothèses conduit à l'expression du critère de rupture suivant où le taux critique de fibres rompues s'exprime par : (Eq. 28) q* = 2/(m+2) La contrainte ultime supportée par le composite est alors : (Eq. 29) (m+2 ) (mm++12 ) m 1 1 σ cr = V f (τ ) (m+1) <σ rf > (m+1) L (m+1) 2 r avec < σ rf >, la contrainte à rupture moyenne d'une fibre de longueur L. 1 (m +1) Les hypothèses sur lesquelles se base ce modèle impliquent une multifissuration matricielle très dense, engendrée par une population importante de petits défauts superficiels, de taille pratiquement constante, homogènement répartis le long du composite. Dans le cas d'un composite présentant plusieurs familles distinctes de défauts superficiels, ce modèle n'est plus applicable. Ainsi, le choix d'un critère de rupture ne peut se faire qu'en prenant en compte le mode d'endommagement du composite étudié. Du fait de la nature statistique de la résistance des fibres, il existe une probabilité non nulle que la rupture de la fibre se produise à l'intérieur de la matrice à une distance lp de la fissure matricielle (Figure 37). Cette longueur définit la longueur d'extraction propre à chaque fibre. Figure 37 : Rupture des fibres à l'intérieur de la matrice [OLIV1998]. 76 Dans le cas d'une contrainte de cisaillement interfacial constante, Rouby et al. ont établi une expression approximative de la longueur moyenne d'extraction [ROUB1990b] : m ⎡ <σ r >rL1m ⎤ (m +1) f 1 ⎥ <l p > = ⎢ (Eq. 30) 2 ⎢ τ(m+1) ⎥ ⎣ ⎦ Sutcu [SUTC1989] propose également une expression simplifiée de < l p > dans les deux cas d'une fissure matricielle unique et multiple : (Eq. 31) (Eq. 32) <l p >unique = r <σ rf > 2τ(m+ 2) < l p > multiple =< l p >unique (m + 1) 2 m ( m +1) Le mécanisme d'extraction des fibres est celui qui absorbe le plus d'énergie et contribue donc grandement à l'augmentation de la ténacité du matériau [BREN1996], [THOU1988]. Ce mécanisme est favorisé par un module de Weibull m des fibres et une contrainte de cisaillement interfacial τ faibles. Par ailleurs, remarquons que les paramètres intervenant dans les équations précédentes font référence aux propriétés des fibres après leur incorporation dans la matrice. Or ces dernières sont généralement mal connues. C'est la raison pour laquelle, il est couramment supposé que l'élaboration du composite ne modifie pas les caractéristiques du renfort et que ses propriétés restent donc similaires à celles mesurées sur des fibres nues. Conclusion Le développement de différents modèles théoriques d'endommagement des matériaux composites ([LISS1994], [MARS1992], [VAGA1995]) rend compte des paramètres microstructuraux qui influencent le comportement mécanique. Ces modélisations fournissent des informations importantes pour la fabrication de composites avec des propriétés optimales. Signalons cependant, à titre de remarque, que le comportement mécanique d'un composite est également fortement influencé par son environnement en termes de température et d'atmosphère [FRET1990], [REYN1996a-b], [THOU1989]. L'interdiffusion des constituants, la diffusion des espèces gazeuses de l'atmosphère à travers les fissures matricielles vers les fibres et l'interface, modifient les propriétés interfaciales du composite. Par exemple, la rupture du matériau peut devenir fragile si τ devient trop fort ou trop faible. La solution de ce problème réside dans une interphase thermodynamiquement stable dans un environnement donné, et capable d'isoler la fibre de la matrice et du milieu extérieur [KERA1989]. 4.2. Fatigue cyclique Le phénomène de fatigue se traduit par une évolution au cours des cycles, de nombreux paramètres comme le module d'Young, la déformation permanente, mais aussi les caractéristiques de la boucle d'hystérésis σ-ε, pourvu que le composite soit soumis à une contrainte maximale σmax supérieure à sa contrainte de première fissuration matricielle σe. La multifissuration matricielle se poursuit jusqu'à une contrainte σs. Cet état, appelé saturation, correspond au moment où les profils de transfert de charge se chevauchent (§ 4.1.2). Dans certains cas, la rupture du composite se produit même avant que σs soit atteint (cas du SiC/SiC [GUIL1994]). Pour pouvoir relier le comportement macroscopique en fatigue aux propriétés des constituants, il est plus simple de commencer par étudier les paramètres de cette boucle d'hystérésis au cours d'un cycle chargement-déchargement. 77 Notons que les modèles développés par Domergue et al. et Evans et al., Vagaggini et al., se limitent une contrainte comprise entre σe et σs [DOME1995], [EVAN1995], [VAGA1995]. 4.2.1 Cycle de chargement-déchargement Après un cycle de chargement-déchargement à une contrainte maximale σp au-delà de la contrainte de la fissuration matricielle σe, on observe une diminution du module élastique, généralement une boucle d'hystérésis, ainsi que l'apparition d'une déformation permanente. Lorsque les fissures matricielles se ferment avant d'atteindre la charge nulle (à cause notamment de contraintes thermiques résiduelles), la complaisance au déchargement augmente (Figures 38), mais ce cas ne sera pas traité ici. Figures 38 : Courbes typiques de traction de CMC et notamment formes des boucles d'hystérésis, avec (a) ou sans (b) fermeture de fissures, d'après [EVAN1995]. a) b) e La courbe (σ-ε) contient des informations importantes sur les propriétés des constituants, notamment sur le comportement de décohésion/glissement à l'interface au travers de l'énergie de décohésion interfaciale Γi, de la contrainte de cisaillement τ et des contraintes thermiques résiduelles σT. Ces caractéristiques interfaciales peuvent être également déterminées par des méthodes classiques (tests sur microcomposites, essais de push-in et de push-out sur les fibres), mais ces dernières présentent de nombreux inconvénients : essais difficiles à mettre en place surtout à haute température, et interprétation complexe notamment sur les fibres de petit diamètre. Enfin, une dernière limitation de ces méthodes est qu'elles sont appliquées sur des fibres individuelles ou des fils : elles ne tiennent donc pas compte respectivement de l'influence de l'environnement des fibres voisines dans les fils, ni du tissage … Mais ces essais sont actuellement en cours de normalisation dans le cadre du projet VaFTeM (Validation of Fibre Testing Methods). C'est pourquoi, de nombreux auteurs ont plutôt basé leurs modèles sur le comportement macroscopique du composite [DOME1995], [EVAN1995], [REYN1992], [ROUB1993a-b], [VAGA1995]. Ils supposent que la contrainte de cisaillement τ est uniformément répartie dans les zones décollées (cas des composites où le glissement est contrôlé par la rugosité des fibres). L'augmentation de la déformation permanente est associée à l'ouverture des fissures matricielles, et aux phénomènes de décohésion/glissement qui en résultent. Le module d'élasticité tangent mesuré en début de déchargement de la boucle est inversement proportionnel à la distance interfissure d. Une seule mesure de d suffit pour évaluer la contrainte de cisaillement τ, à partir d'une boucle d'hystérésis. De même, les contraintes thermiques résiduelles peuvent être estimées à partir des modules d'élasticité tangent en fin de déchargement et en début de rechargement. La méthodologie complète et les formules 78 permettant la détermination de ces paramètres sont détaillées dans les références suivantes [VAGA1995], puis [DOME1995] pour les composites unidirectionnels et [DOME1996] pour les composites 2D. Cette méthode donne des résultats cohérents pour le composite SiC/SiC, à condition que σp ne soit pas trop faible, en comparaison avec les autres méthodes de détermination de ces caractéristiques. 4.2.2 Cisaillement interfacial Si la température est inférieure à la température de début de fluage des fibres et de la matrice, la diminution de la contrainte interfaciale τ, due à la relaxation des contraintes résiduelles σT, est le mécanisme majeur d'endommagement en fatigue [MIZU1996], [REYN1993a-b]. Le modèle développé par Kotil et al. montre que l'ouverture progressive des boucles est reliée à la valeur de contrainte de glissement fibre/matrice et à la fraction de fibres rompues par fatigue [KOTI1990]. Il attribue l'augmentation de la complaisance à la rupture au cours des cycles des fibres. L'ouverture des boucles, correspondant à l'énergie dissipée par cycle par frottement de la fibre dans la matrice lors des cycles de chargement-déchargement, résulte de la compétition de deux phénomènes : * l'augmentation de la force de frottement F lorsque τ augmente : (Eq. 33) F= 2π τ r Lf avec : Lf : la longueur sur laquelle la fibre glisse, r : le rayon de la fibre, * la diminution de l'ouverture des fissures matricielles lorsque τ augmente, à cause de l'augmentation de l'efficacité du pontage des fissures. Ainsi, cette ouverture est maximale pour une valeur de τ intermédiaire. De même, ces mêmes auteurs ont montré que l'augmentation de la fraction volumique de fibres Vf décale le maximum de l'hystérésis vers les contraintes de cisaillement τ plus faibles. En effet, plus le nombre de fibres augmente, plus la surface disponible pour dissiper de l'énergie est importante, mais l'ouverture des fissures matricielles est réduite, d'où l'existence de ce maximum pour une contrainte de cisaillement intermédiaire. La modélisation proposée pour décrire le comportement en fatigue cyclique de composites à matrice céramique a été également développée, dans le cas du 2D SiC/SiC [REYN1992] et s'appuie sur les concepts développés pour les composites unidirectionnels précédemment établis par Aveston et al. [AVES1971]. Des études préliminaires ayant montré l'indépendance du comportement en fatigue du SiC/SiC avec la fréquence de sollicitation à température ambiante, permet d'écarter tout mécanisme dépendant du temps tels que la propagation souscritique ou la corrosion sous contrainte [REYN1992], même si ce n'est pas le cas des composites SiC/SiBC à chaud, qui font intervenir la propagation sous critique dans la matrice intrafil, l'influence de la fréquence n'est alors pas négligeable [CARR1996], [FORI2000]. Ainsi, pour un composite 2D SiC/SiC à température ambiante, les mécanismes responsables des phénomènes de fatigue, dans les fils longitudinaux, sont attribués aux glissements alternés entre fibres longitudinales et matrice, résultant de l'alternance de l'ouverture et des fermetures des fissures matricielles [ROUB1993b]. Ces glissements provoquent une érosion progressive de la zone interfaciale qui est à l'origine du comportement en fatigue. La contrainte de cisaillement interfacial τ entre la fibre longitudinale et la matrice diminue à chaque cycle [KERA1991], [REYN1994] à partir d'une valeur initiale τ0 (composite vierge) jusqu'à une valeur non nulle τ∞ (interface entièrement usée). Cette évolution peut être représentée (Figure 39) en fonction du nombre de cycles par l'expression suivante : (Eq. 34) τ(N) = sup (τ0N-t, τ∞) avec t : paramètre arbitraire représentatif de la décroissance de τ avec le nombre de cycles N. 79 Mais d'autres lois d'évolution de τ ont également été proposées, notamment par Evans et al. [EVAN1995] : (Eq. 35) (τ −τ 0) =1−exp(−ωN λ ) (τ ∞ −τ 0) avec : ω et λ, deux coefficients numériques. Figure 39 : Diminution de la contrainte de cisaillement interfacial d'après [REYN1992]. 4.2.3 Evolution des paramètres d'endommagement 4.2.3.1 Module d'Young Les modules élastiques des éprouvettes soumises à une contrainte maximale σmax supérieure au seuil de fatigue σseuil, décroissent généralement jusqu'à rupture, sans jamais atteindre de valeurs limites. Pourtant, des échantillons ayant subi de la fatigue pendant une longue durée, présentent des valeurs limites des modules tangents et sécants, relatives à la résistance du composite, à la distance interfissure saturée, et à la valeur de la contrainte interfaciale correspondante [RAMA2000], la contrainte maximale se situant alors en dessous du seuil de fatigue. Globalement, la diminution des modules élastiques est d'abord associée à la multifissuration matricielle, puis à la rupture des fibres (par rechargement ou oxydation § 4.2.5). Par ailleurs, si le comportement général du composite 2D SiC/SiC (modules d'Young tangents, ouverture des boucles) est contrôlé par celui des fils longitudinaux, la présence de fils transversaux, ainsi que leur endommagement progressif, se manifestent par une diminution du module élastique tangent en début du déchargement [DALM1997]. 4.2.3.2 Déformation permanente La déformation permanente est d'abord, en partie attribuée aux déplacements causés par la multifissuration matricielle [VAGA1995]. Son évolution au cours de la fatigue est alors influencée par les propriétés de ses constituants (fibre, matrice, interface) [EVAN1994a], [REYN1992]. Elle dépend en particulier de la contrainte de cisaillement interfacial (τ), de l'énergie de rupture interfaciale (Γi) et des contraintes thermiques résiduelles (σT). 4.2.3.3 Aire des boucles d'hystérésis L'analyse du profil de contrainte le long des fibres pontantes et de son évolution au cours d'un cycle de déchargement-chargement permet de calculer analytiquement la forme des boucles d'hystérésis (σc - εc) (cf. § 4.2.1) [KOTI1990], [VAGA1995]. Le calcul de l'hystérésis mécanique (∆W/We), avec ∆W : l'aire de la boucle et We, une énergie proportionnelle à l'amplitude de la sollicitation correspondante, en fonction de la contrainte de cisaillement interfacial (τ) aboutit à [REYN 1996a] : 80 * Si τ/τ* ≤ 0,5 (glissement fibre-matrice localisé) : (Eq. 36) avec : (Eq. 37) α = EmVm / EfVf ⎞ ) ( ( ) ( )⎟⎟⎟ ⎠ ⎛ 1− 4τ ∆W (τ)=α 2τ ⎜ 3τ * We τ ∗ ⎜⎜ 1+α 1− τ τ* ⎝ τ * = [E mV m ]* [rE f σ [E fV f ] dE max ] c We= 0.5*(σmax-σmin)*(εmax-εmin). * Si τ/τ* ≥ 0,5 (glissement fibre-matrice généralisé, fissuration matricielle saturée): (Eq. 38) ∆W (τ)= α We 3 α + 2τ 2 τ* ( ) Ce calcul théorique montre que l'hystérésis mécanique rapportée à We est nulle lorsque τ est nulle ou infinie, et passe par un maximum pour une valeur de τ particulière (Figure 40). De plus, son évolution lors de la fatigue dépend de l'état d'endommagement dans lequel se trouve le composite après le premier chargement. Figure 40 : Evolution du frottement intérieur ∆W/We en fonction différents paramètres, dont la contrainte de cisaillement interfacial τ d'après le modèle de Reynaud [REYN1992]. Ainsi, si au cours du cycle : * le glissement des fibres est localisé près des fissures matricielles, les profils de transfert de charge de deux fissures matricielles voisines ne se rencontrent pas, l'hystérésis augmente hyperboliquement à mesure que τ diminue par fatigue cyclique ; * le glissement des fibres se produit tout le long des fibres (glissement généralisé), l'interface fibre-matrice est totalement décollée, l'hystérésis commence par augmenter légèrement puis diminue paraboliquement à mesure que τ diminue. Ce phénomène a été expérimentalement mis en évidence sur des composites 2D SiC/SiC [REYN1996a-b]. 81 La Figure 41 présente les évolutions de l'hystérésis mécanique enregistrée lors d'essais de fatigue à température ambiante sur des composites brut d'élaboration et ayant subi un vieillissement thermique sous vide. Figure 41 : Evolutions expérimentales de l'hystérésis mécanique pendant la fatigue de composites SiC/SiC 2D ayant subi un maintien sous vide pendant 50 h à différentes températures (a). Effet théorique du vieillissement thermique sur l'évolution de l'hystérésis mécanique (b). D'après [REYN1996a]. 2 τ/τ* Un traitement thermique préliminaire conduit à une diminution de la contrainte de cisaillement interfacial initiale (τ0) en raison des évolutions physico-chimiques activées par la température. Par conséquent, plus le matériau est traité longtemps à haute température, plus l'hystérésis en début d'essai est importante et plus la position initiale du point (∆W/We, τ/τ*) se rapproche du maximum. Ainsi, la diminution additionnelle de τ pendant la fatigue cyclique devient suffisante pour atteindre et dépasser le maximum de la courbe (∆W/We, τ/τ*). 4.2.3.4 Saturation Durant un essai de fatigue cyclique, il est attendu que les aspérités à la surface des fibres et au sein de l'interphase vont être lissées ou éliminées par usure de frottement. Un état de saturation, déterminé par les contraintes thermiques résiduelles et les coefficients de 82 frottement des différents constituants, devrait être atteint et en l'absence des effets de l'environnement, la résistance du composite devrait être limitée à une valeur donnée. Cette stabilisation des propriétés a déjà été mise en évidence dans les composites à matrice titane [WALL1994], mais dans peu de cas pour des CMC [RAMA2000]. 4.2.4 Diagramme d'endurance Des modèles permettent de prédire la valeur du seuil en fatigue σseuil. Les effets de la variation de la contrainte interfaciale de cisaillement sur cette valeur sont déjà exprimés par la relation donnant la dégradation relative des fils après N cycles [EVAN1995], [ROUB1993b] : (Eq. 39) σ F (N) ⎛ τ(N) ⎞ = σ F0 ⎜⎝ τ 0 ⎟⎠ 1 m +1 avec τ0 et σF0 la contrainte de cisaillement interfaciale initiale et la contrainte à rupture initiale des fils respectivement. La réduction de la résistance du composite après N cycles est alors donnée par [RAMA2000], [ROUB1993b] : 1 m +1 ∞ σ seuil =σ FS =⎛⎜ τ ⎞⎟ (Eq. 40) σ cr σ F0 ⎜⎝ τ 0 ⎟⎠ avec : σFS, et τ∞, la contrainte des fibres et la contrainte de cisaillement interfacial à saturation, respectivement, et σ cr la contrainte à rupture en traction monotone du composite. Durant un essai de fatigue, le taux de fibres rompues q augmente, au fur et à mesure que la valeur de τ diminue, à partir d'une valeur initiale q0 résultant du premier chargement (donnée par l'équation (Eq. 25) avec τ = τ0 et σc= σmax) pour atteindre une valeur limite q∞ correspondant au cas où τ est égal à τ∞. En fonction du niveau maximum de la sollicitation (σmax), plusieurs comportements sont envisageables: • si σmax est suffisamment faible (σe < σmax < σseuil), la valeur de q∞ (taux de fibres rompues associé à τ∞) reste inférieure à q* (taux critique de fibres rompues donné par l'équation (Eq. 28)) durant tout l'essai de fatigue. Ainsi, le matériau présente un effet de fatigue qui se sature et donc une endurance illimitée. • si σmax est suffisamment élevé (σseuil< σmax < σ cr ), il existe un nombre de cycles NR, au bout duquel q(NR) est égal à q*. Dans ce cas, le matériau présente un effet de fatigue conduisant à une rupture différée. La durée de vie du matériau composite 1D s'exprime donc par : (Eq. 41) NR =(σmax /σcr )-(m+1)/t La limite de fatigue σseuil qui sépare le domaine d'endurance quasi-infinie du domaine d'endurance limitée s'écrit : (Eq. 42) σseuil = σcr (τ∞/τ0)1/(m+1) Remarquons que la limite de fatigue σseuil ne dépend pas de la loi de décroissance de τ (caractérisée par t), mais seulement du niveau limite τ∞ atteint par la contrainte de frottement interfacial après la saturation de l'effet de fatigue. Notons, de façon générale, que la limite de fatigue du composite est définie par les propriétés de la matrice vis à vis du premier endommagement et que la rupture par fatigue cyclique est conditionnée par la statistique des ruptures individuelles des fibres. 4.2.5 Rupture La rupture du composite en fatigue est, comme sous chargement monotone, conditionnée par la rupture progressive puis brutale des fibres (§ 4.1.3). 83 4.2.5.1 Par rechargement des fibres Le mode de rupture par rechargement de fibres est identique à celui développé au § 4.1.3 en chargement monotone, en introduisant l'évolution de la contrainte de cisaillement τ avec le nombre de cycles (Eq. 34) et la diminution de la résistance des fibres par création de défauts [LARA1997] (§.4.2.5.2). En effet, les phénomènes d'abrasion ou d'oxydation sont susceptibles d'introduire des défauts critiques en surface des fibres (§ 2.2.1.2). Ces défauts diminuent la résistance des fibres suivant l'équation suivante [RAMA2000] : 1 [ ] [ ] σ mτL m +1 2 m +1 m+1 σ F =⎡⎢ 0 ⎤⎥ (Eq. 43) m+ 2 m+ 2 ⎣ r ⎦ avec : σF, la résistance d'un fil, les autres termes ayant été définis précédemment. Par ailleurs, Rouby et al. [ROUB1993a] et Curtin [CURT1991b] ont défini le taux critique de fibres rompues q* au-delà duquel l'écheveau de fibres intactes autour de la fissure matricielle (saturée ou non) devient instable et provoque la rupture du composite. A partir de ces hypothèses, Reynaud [REYN1992] a soumis une description du comportement en fatigue cyclique de la façon suivante : • Pour des contraintes inférieures à la contrainte seuil d'endommagement du composite, il n'y a pas de fissures matricielles et les fibres longitudinales ne supportent aucune surcharge. Le taux de fibres rompues est alors quasi nul et il n'y a pas d'effet de fatigue. • Pour des contraintes supérieures à la contrainte seuil d'endommagement du composite, il y a fissuration matricielle et donc effet de fatigue. Deux cas se présentent alors : * si le taux de fibres rompues q∞ (défini pour τ = τ∞) est inférieur à la proportion critique q*, la rupture par fatigue n'est pas possible et l'endurance est quasi illimitée ; * si q∞ est supérieur à q*, la rupture par fatigue est possible et atteinte au cycle Nr tel que q(Nr) soit supérieur ou égale à q*. 1 4.2.5.2 Par oxydation Lara-Curzio a établi un modèle de rupture des fibres par oxydation, à partir d'essais de fatigue statique sous air à 950°C de composites SiC Nicalon™/SiC [LARA1997]. Il suppose qu'à cette température le composite ne flue pas, mais s'oxyde. Il relie ainsi la résistance résiduelle des fibres à la création par oxydation de défauts de surface, dont la taille moyenne critique est donnée par l'épaisseur de la couche d'oxyde formée. L'oxydation des fibres est alors contrôlée par la diffusion de l'oxygène à travers la couche d'oxyde. Ce modèle prédit l'augmentation de la complaisance au cours des cycles et une accélération de la déformation permanente près de la rupture, en accord avec les résultats expérimentaux. Par ailleurs, les temps à rupture expérimentaux du composite sont comparables à ceux des fils estimés par le modèle. 4.3. Interaction fluage-fatigue 4.3.1 Fluage uniaxial Différentes approches sur le fluage uniaxial ont été menées à ce jour, afin de décrire l'effet de la différence de comportement au fluage de la fibre et de la matrice sur le comportement global en fluage du composite. Dans ce sens, Chermant et al. [CHER1995], et Holmes et al. [HOLM1995] ont introduit le paramètre d'écart au fluage : CMR ("creep mismatch ratio"), qui informe sur les transferts de charge durant l'essai de fluage : & CMR= ε f & εm avec ε& f et ε&m , les vitesses de fluage respectives de la fibre et de la matrice prises séparément. Ce paramètre est dépendant du temps, de la contrainte et de la température [HOLM1993]. 84 En effet, lors d'une sollicitation en fluage, une redistribution des contraintes entre les fibres et la matrice s'opère, de sorte à réduire la vitesse de fluage du constituant qui flue le plus et à transférer la charge sur le plus résistant au fluage jusqu'à ce que la vitesse de fluage des deux constituants soient égales. Dans le cas de matrices moins résistantes au fluage que les fibres (par exemple, les matrices vitrocéramiques), le paramètre CMR est inférieur à 1 [CHER2001a]. Si la contrainte seuil de fluage des fibres est dépassée, on assiste alors à un rechargement progressif des fibres pouvant conduire à la rupture de ces dernières. Par contre, si les fibres fluent plus vite que la matrice (CMR>1, cas des SiC/SiC), les contraintes dans la matrice s'accroissent et peuvent initier de la multifissuration matricielle à partir du moment où le niveau de contrainte dans la matrice atteint est suffisant. 4.3.2 Influence lors d'un chargement monotone Le CMR n'intervient pas seulement dans le cas d'un chargement constant, il intervient également lors du chargement monotone des éprouvettes [RAMA2000]. En effet, le phénomène de fluage sera d'autant plus important que la vitesse de chargement sera faible et la contrainte maximale appliquée importante. Dans le cas où la résistance au fluage des fibres est plus faible que celle de la matrice (cas des SiC/SiC), une faible vitesse de chargement peut augmenter la fissuration matricielle et donc changer les conditions initiales de fatigue.On voit donc que le comportement en fatigue à haute température des composites sera plus affecté par le fluage dans le cas où la résistance au fluage des fibres est plus faible que celle de la matrice [EVAN1994a]. Pour limiter cet effet, il faut que la vitesse de chargement soit plus grande que la fréquence de fatigue correspondante. La vitesse du chargement initial jusqu'à la contrainte de fatigue est donc un paramètre particulièrement important, et détermine l'état initial du matériau avant fatigue. 4.3.3 Présence d'un effet dépendant du temps durant la fatigue Durant un essai de fatigue à haute température, les effets dépendants du temps prédominent sur les effets d'un chargement purement cyclique, notamment au travers de l'augmentation de la déformation permanente. En effet, lorsque le comportement en déformation est uniquement dépendant du cyclage, les vitesses de déformation (en fonction du nombre de cycles : dε/dN) à la contrainte maximale (inférieure au seuil de fatigue) et minimale en tension sont différentes. Cela provient de la décohésion progressive des interfaces (pour un nombre faible de cycles) et de la baisse graduelle du module élastique (voir § 2.2.1.3.), qui se manifestent, en asservissement de charge, par une déformation permanente plus grande à la contrainte maximale que minimale. Pour des essais avec une contrainte maximale inférieure au seuil de fatigue, la diminution du module élastique se stabilise à une valeur de saturation, et les vitesses de déformation aux contraintes extrêmes deviennent nulles. En revanche lorsque si le comportement dépend du temps, ces vitesses s'égalisent, mais à une valeur non nulle (contrainte de cisaillement et longueur de décohésion constantes), la déformation du composite étant uniquement contrôlé par le fluage des fibres pontantes. Lorsque la contrainte maximale est supérieure au seuil de fatigue, ces déformations restent différentes jusqu'à rupture, que le comportement dépende uniquement du cyclage ou non. Seuls des essais à fréquences différentes peuvent mettre en évidence un effet dépendant du temps. Si l’évolution de la déformation non élastique en fonction du temps reste la même, quelle que soit la fréquence, il s'agit alors d'un endommagement purement dépendant du temps. Cet effet peut également apparaître lors d'un saut de fréquence pendant un essai de fatigue (on s'affranchit ainsi de la dispersion fréquente des éprouvettes élaborées par CVI). Dans ce cas-là, si après une courte période de transition, dε/dt en fonction du temps reste la 85 même (indépendamment de la fréquence), le comportement dépendant du temps est prépondérant, et la rupture sera principalement imputée au fluage des fibres. Toutefois, dans le cas d'un comportement dépendant uniquement du temps, dε/dt peut diminuer lorsque l'on augmente la fréquence, puisque le temps disponible à chaque cycle pour développer une déformation dépendante du temps est plus petit [ZAWA1997]. A l'opposé, lorsqu'il y a une contribution du cyclage à l'évolution de la déformation permanente, dε/dt peut augmenter lorsque la fréquence augmente, à cause des effets cumulés de la dépendance au temps et au cyclage. On notera pourtant, qu'une augmentation de la fréquence limite le transfert de charge du constituant le moins résistant au fluage vers le plus résistant (§ 4.3.1.) en début d’essai et entraîne un vitesse de fluage de la fibre plus grande au départ, ce qui favorise le fluage primaire du composite pendant la fatigue. Par ailleurs, on peut aussi mettre en évidence la dépendance de l'endommagement en fatigue avec le temps par l'observation des boucles d'hystérésis. En effet, pour des contraintes maximales en dessous du seuil de fatigue, un comportement en fatigue purement dépendant du temps (cas du fluage) conduira à une augmentation monotone de la largeur des boucles jusqu'à une valeur constante (dès que la saturation est obtenue) [LAMO1994]. En revanche, lorsque le comportement est dépendant du cyclage, on observe une augmentation de l'aire des boucles en début de fatigue jusqu'à la saturation suivie d'une diminution, une fois que le glissement total est atteint [HOLM1995], [ROUB1993a] . Toutefois, à faible fréquence et à haute température, on observe qu'au maximum de l'aire des boucles, le module élastique est bien supérieur à celui des fibres pontantes VflEf. Ce comportement, opposé à celui à température ambiante, où le maximum de l'ouverture est attribué à l'obtention de la saturation de la fissuration matricielle, fait donc intervenir un phénomène différent de l'usure induite par le cyclage. Cette diminution de la largeur des boucles avant la saturation serait attribuée à la contraction transverse due à l'effet de Poisson des fibres ayant flué (qui limite le frottement), et éventuellement aux contraintes thermiques résiduelles de tension. En effet, ces phénomènes favorisent la décohésion fibre/matrice, diminuant ainsi la contrainte de cisaillement interfacial, et donc la largeur des boucles. Enfin, on peut comparer les durées de vie sous chargement statique et cyclique à hautes températures. Bien sûr, il faudrait pouvoir les comparer à endommagement constant, c'est à dire à une contrainte maximale en fatigue représentative de la contrainte maximale en fluage. Cette estimation est délicate : si certains auteurs ont choisi de se baser sur la contrainte maximale [CAO1998], [ZHU1997], d'autres ont utilisé la contrainte moyenne en fatigue [UNAL1997]. Toutefois, à même contrainte maximale, si l'endommagement du matériau est purement dépendant du temps, la durée de vie en fatigue sera plus grande qu'en fluage, puisque le temps passé à la contrainte maximale en fatigue sera beaucoup plus faible. La rupture sera alors contrôlée par le fluage des fibres (c'est le cas de composites 2D SiC/SiC testés sous argon à 20 Hz [ZHU1999]). 4.3.4 Influence d'un passage en compression La fatigue en traction/compression (T/C) permet la fermeture des fissures matricielles pendant une partie du cycle (décharge en compression), les fibres étant alors exposées à l'endommagement durant un temps plus court. Lorsque l'endommagement en fatigue est dépendant du cyclage (comme à température ambiante), l'endommagement par cycle évolue avec la déformation correspondante aux fissures ouvertes. Ainsi, la fermeture des fissures permet d'augmenter la durée de vie, comparé à des essais d'amplitude équivalente en traction/traction plus élevée, où les fissures matricielles restent ouvertes durant tout le cycle. La fermeture des fissures durant la fatigue se manifeste par l'apparition d'un point d'inflexion dans les boucles d'hystérésis, lorsque les deux lèvres de la fissure se rejoignent à la décharge. Notons, qu'on peut observer le même 86 phénomène en traction/traction (T/T), lorsque le rapport R est petit mais positif, en effet, cette augmentation de rigidité est attribuée soit au blocage des débris de matrice entre les faces des fissures lors du déchargement, soit à la relaxation des contraintes thermiques résiduelles axiales : la décohésion progressive entre la fibre en tension et la matrice en compression amène la contraction de la fibre et l'allongement de la matrice et donc la diminution de l'ouverture des fissures, qui favorise alors le contact des lèvres de la fissure lors du déchargement. Enfin, cette relaxation des contraintes thermiques résiduelles, en réduisant la charge supportée par les fibres, augmente les durées de vie. Lorsque la déformation en fatigue est dépendante du temps, la situation est plus complexe. En effet, on note que les déformations aux contraintes minimales et maximales se stabilisent plus vite et que la déformation permanente est plus faible, que lors d'un essai avec la même contrainte maximale, mais avec une contrainte minimale positive. De plus, les essais en T/C peuvent faire apparaître un point d'inflexion en décharge (indiquant la fermeture des fissures), absent en T/T. La déformation non élastique, augmentant durant la partie du cycle où les fissures sont ouvertes, est complètement recouvrée pendant la partie où les fissures sont fermées, par une déformation en fluage opposée (en compression) des fibres. Dans le cas où R=-1, et en l'absence de déformation permanente, la déformation de fluage en compression devrait être de même amplitude que celle du fluage durant le chargement en traction, mais cela est impossible, car non seulement lorsque les fissures sont fermées, la charge est partagée simultanément par les fibres et la matrice, mais en plus, ce phénomène se produit, lorsque le chargement en T/C n'est pas symétrique (R différent de –1). Cela s'explique en fait, par le déchargement des fibres (plus sensibles au fluage) sur la matrice (plus résistante), qui crée une contrainte résiduelle axiale de compression dès le début du déchargement. Ainsi, non seulement les fibres supportent le chargement en traction sur un temps plus court, mais en outre, la contrainte maximale subie en traction durant ce temps est plus faible. Comme la relation qui lie la vitesse de fluage à la contrainte supportée est une loi puissance, le fluage des fibres pontantes est fortement ralenti, diminuant ainsi la vitesse de déformation du composite. On peut noter que la diminution progressive de la contrainte de cisaillement interfacial favorise la relaxation des contraintes thermiques résiduelles de compression dans les fibres, et peut donc faire disparaître le point d'inflexion, correspondant à la fermeture des fissures, au bout d'un certain nombre de cycles [STEE1995] et donc augmenter la vitesse de déformation du composite. En ce qui concerne l'endommagement dépendant uniquement du cyclage, si, intuitivement la fatigue cyclique n'entraîne pas d'endommagement, lorsque des fissures matricielles sont fermées, la présence de contraintes résiduelles axiales rend cela moins évident. En effet, la décohésion interfaciale reste possible, puisque sous ces conditions, le chargement et le déchargement conduisent toujours à un mouvement relatif de la fibre et de la matrice. Pourtant, lorsque les fissures matricielles sont fermées, une relaxation des contraintes axiales résiduelles de compression est géométriquement impossible. Donc, lorsque la redistribution des contraintes entre les fibres et la matrice n'est pas possible (comme à température ambiante), la contrainte dans les fibres continue d'augmenter, tandis que la matrice se décharge au cours du cyclage. Cela conduit à une diminution de la déformation de la matrice. Si la contrainte subie par les fibres est inférieure à leur contrainte à rupture, le composite a alors une durée de vie illimitée ; si en revanche des fibres commencent à rompre, le rechargement des autres fibres durant le temps du cycle où les fissures sont ouvertes, provoque un effet d'avalanche menant à rupture du composite. A haute température, ce phénomène est limité par le rechargement de la matrice moins sensible au fluage que les fibres [EVAN1994a]. 87 4.3.5 Conclusions Le fluage et la fatigue cyclique favorisent la décohésion progressive des interfaces [HOLM1995], [LAMO1994]. Ainsi, une interaction entre ces deux phénomènes peut se produire et accélérer la rupture en augmentant la vitesse de décohésion interfaciale. Même si certains paramètres mécaniques peuvent nous permettre de voir l'influence prépondérante du cyclage ou du temps, l'interprétation reste difficile. 4.4. Influence du tissage sur le comportement mécanique 4.4.1 Présentation des architectures du renfort fibreux 4.4.1.1 Les composites unidirectionnels Les composites unidirectionnels peuvent être de trois types : * le microcomposite est la structure la plus simple, constituée d'une seule fibre entourée d'une couche d'interphase et de matrice, * on peut également remplacer la fibre par une mèche (ou fil) de ~ 500 fibres, on parle alors de minicomposite, * enfin, lorsque les fils sont tous orientés dans une même direction, on obtient un composite unidirectionnel. 4.4.1.2 Les composites multidirectionnels De nombreuses architectures multidirectionnelles existent [KO1989]. Les structures 2D sont obtenues, soit par empilement de couches unidirectionnelles selon des orientations différentes, soit par tissage, dont les plus répandus sont le taffetas et le satin d'orientation 0/90°. L'intérêt des composites tissés par rapport aux stratifiés est qu'ils possèdent des propriétés plus équilibrées dans le plan. Par contre, les structures tissées sont peu résistantes au délaminage. Toutefois, la tenue au délaminage a pu être améliorée sur des structures 2.5D, soit par l'aiguilletage des fibres dans la direction orthogonale au plan du tissu (procédé Aiguilletex – Snecma Propulsion Solide), soit par ajout d'un fil pour relier les strates (procédé "interlocké" Aérospatiale). Dans les structures 3D,…, nD, le renfort est continu dans une direction autre que celle des strates ou du tissu et assure un pontage entre les couches, qui élimine les tendances au délaminage, et favorise un comportement isotrope de la structure lorsque n augmente. De plus, les structures multidirectionnelles conduisent à un fractionnement de la matrice en blocs. Ces cellules de matrice peuvent être le siège d'une multifissuration très dense, augmentant ainsi considérablement le travail de rupture [QUEN1988]. 4.4.2 Identification des mécanismes d'endommagement Jusqu'à présent, les modèles des mécanismes d'endommagement proposés étaient principalement basés sur des composites unidirectionnels, dont la direction de renforcement correspondait à la direction de sollicitation. Bien que cela soit une forte simplification, cela nous a permis de comprendre les différents mécanismes d'endommagement qui intervenaient. Dans la pratique, les CMC ont une structure de renfort multidirectionnel, sous la forme de nappes croisées et même dans les trois directions perpendiculaires [KOST1997,1999]. Cela ne fait qu'augmenter les différents mécanismes d'endommagement additionnels. La première conséquence de la présence d'un renfort multidirectionnel est que lors du premier chargement, les fissures peuvent se créer dans la microstructure, ailleurs que dans les fils longitudinaux. Pour ces fissures, un effet classique de fatigue, tel qu'il est observé dans les céramiques polycristallines [ROEB1995] ne peut pas être évité, ce qui rend évidemment l'évaluation globale de l'endommagement par fatigue plus délicat. Dans les composites tissés et densifiés par CVI, il est difficile d'infiltrer l'intérieur des fils et par conséquent de nombreuses fibres peuvent être en contact les unes avec les autres à l'intérieur des fils (Figure 21). Dans de tels composites, les glissements peuvent ne pas se 88 produire seulement à l'interface fibre/matrice, mais aussi au niveau des interfaces fibre/fibre. De plus, un glissement est également possible entre le fil et la matrice interfil, ou entre deux fils et en particulier à l'intersection entre les fils longitudinaux et tranversaux [REYN1998a]. Cela peut conduire à un mécanisme de fatigue à forte contrainte, basé sur un endommagement par usure et la création d'une nouvelle population de défauts à la surface des fibres près des intersections entre les fils. Le plus grand nombre de points de glissement possibles augmente l'énergie dissipée durant un cycle de chargement, amenant à une plus grande dépendance en fréquence de la fatigue à température ambiante [SHUL1993]. Une architecture tissée favorise le développement des contraintes non uniformes et des déformations dans les trois directions du composite, en particulier à l'intersection des fils. Cela provoque la rupture de la matrice et un phénomène de spallation à ces endroits [CHAW1996,1998], [KOST1999], [WANG1997], [ZHU1999]. Cette fissuration matricielle localisée et les décohésions correspondantes entre les fils longitudinaux et transversaux aux intersections du tissage créent un comportement résistant à l'endommagement, pour des composites où la liaison fibre/matrice est trop forte pour permettre une décohésion interfaciale et des extractions de fibres. Pourtant, avant un chargement cyclique, cela peut conduire à un endommagement plus important lors de la traction initiale. De plus, ce type de tissage peut également affecter le comportement durant la fatigue : en effet, le nombre de fibres courbées dans un tissu satin est plus petit que dans une armure de type toile. Ainsi les fils longitudinaux d'un tissu satin seront moins endommagés, et la tenue en fatigue plus élevée [STEE2000]. Dans certains CMC, une augmentation de la rigidité avant la rupture, caractérisée par une augmentation du module tangent près de la contrainte maximale, est observée pour de faibles contraintes de sollicitation et un nombre de cycles élevé. Cela a été interprété pour les composites unidirectionnels par un recouvrement de la contrainte de cisaillement interfacial, du fait de l'accumulation des débris le long de l'interface fibre/matrice [CHAW1996], [KARA1992], [HOLM1989], [SORE1995b] ou d'un effet de l'humidité environnante dépendant du temps [HOLM1992]. Dans les CMC tissés, ce phénomène est encore plus fréquent [STEE1996], [WANG1997], et deux effets relatifs à la géométrie ont été invoqués pour l'expliquer : le raidissement géométrique provenant d'un meilleur alignement des fils longitudinaux, et l'extension de la fibre près des points d'intersection entre les fils transversaux et longitudinaux [KOST1999], [SHUL1993]. Ce raidissement géométrique peut augmenter la contrainte à rupture du composite après fatigue, grâce à un meilleur alignement et une meilleure répartition des contraintes des fils longitudinaux, par rapport à la direction de sollicitation. Mais il peut également provoquer la fissuration des fils longitudinaux et le délaminage entre les plans [CHAW1996], [MIZU1996], [WANG1997]. Par ailleurs dans d'autres travaux, une augmentation importante de la raideur associée à une forte augmentation de la déformation permanente a été observée pour des nombres de cycles élevés [DALM1997]. Cela implique que la déformation à la contrainte minimale de traction augmente plus vite que pour la contrainte maximale. Un tel comportement ne peut être expliqué par les mécanismes dépendant du temps ou du nombre de cycles précédemment décrits, pour lesquels la vitesse de déformation à la contrainte maximale était soit égale, soit supérieure à celle à contrainte minimale en traction. Des passages en compression font apparaître que la raideur obtenue en traction tend vers la valeur correspondant au module en compression [REYN1998a], [REYN1998b]. Cela suggère que les fissures présentes dans le composite se ferment progressivement, même à des cyclages où R>0. Une explication possible peut être le changement de l'état des contraintes résiduelles axiales durant le cyclage. En effet, lorsque αm<αf à hautes températures ou αm>αf à basses températures (matrice en compression axiale), la décohésion interfaciale progressive peut conduire à cette évolution, en réduisant l'ouverture des fissures matricielles : ainsi lors du déchargement, les lèvres des fissures se rejoignent à des contraintes plus élevées, en créant un point d'inflexion. Mais l'apparition de ce raidissement au bout d'un nombre de cycles élevé 89 rend cette explication peu probable. Une autre explication possible est la fermeture des fissures après décohésion interfaciale totale. Cela peut se produire lors des essais de fatigue longue durée à chaud, sur un composite avec des contraintes résiduelles initiales à froid en traction dans la matrice, soulagées par une large fissuration matricielle lors du refroidissement initial du matériau après élaboration, (par ex. le C/SiC). Le cyclage d'un tel composite à haute température (avec αm> αf) présente une diminution de l'ouverture des fissures matricielles, par rapport à celle à la température ambiante. Cela augmente la probabilité de fermeture des fissures lors du déchargement. Les boucles d'hystérésis se présentent alors en deux parties : une avec une faible déformation permanente correspondant à la déformation, au point d'inflexion, où les fissures sont fermées et la raideur est grande, une autre avec une forte déformation et une raideur plus faible, lorsque les fissures sont ouvertes. Pour un chargement donné, plus la décohésion interfaciale sera répandue, plus le module tangent lors du chargement avec ouverture des fissures sera faible, tandis que le module tangent dans la zone où les fissures sont refermées ne sera pas affecté par le cyclage. Lorsque pour un chargement donné, la décohésion interfaciale complète est atteinte à la contrainte maximale du cycle, la partie du cycle où les fissures sont ouvertes disparaît et le déchargement se traduit immédiatement par une raideur correspondant à des fissures matricielles fermées. Cela est également confirmé par les fortes valeurs de raideur observées au bout d'un nombre de cycles, déterminé par le maximum des aires des boucles. En effet, une telle augmentation des aires suivie par une diminution est en effet caractéristique du passage d’un glissement interfacial partiel à un glissement total (voir § 3.3.3). Une fois que la fissuration matricielle est apparue lors du chargement en traction, la présence d'un renfort dans la direction transverse ne permet pas aux blocs de matrice de revenir exactement à leur emplacement initial lors du déchargement. Ainsi les fibres ou les fils longitudinaux, supportant la majeure partie de la charge, subissent une contrainte lors du déchargement. Cette contrainte est équivalente à l'effet de fermeture des fissures matricielles évoqué précédemment et peut donc induire des changements importants dans le comportement en fatigue du composite, notamment en ajoutant de fortes contraintes résiduelles axiales de compression, retardant le relaxation de ces contraintes thermiques résiduelles durant le cyclage [STEE1998a,1999]. Après l'élaboration, lorsque les fibres sont en compression axiale résiduelle à température ambiante, la décohésion progressive à l'interface va diminuer ces contraintes et augmenter l'ouverture des fissures matricielles. Pour des essais à R>0, cette augmentation est possible, mais lorsque R<0, l'allongement de la fibre est soumise à une contrainte de compression et partiellement empêchée par la présence d'un renfort dans la direction transverse. Ainsi, la contrainte en traction globale supportée par les fibres est plus faible que lorsque R>0 et conduit à une augmentation considérable de la durée de vie. Outre les propriétés de chaque constituant, la courbure des fils et leur non-alignement avec la direction de sollicitation est à l'origine des différents modes de rupture des composites, et ce point constitue un facteur primordial dans le comportement mécanique et la résistance des composites. 5. Conclusion Le comportement mécanique d'un matériau composite à matrice céramique dépend d'un grand nombre de paramètres qui interviennent à des échelles très diverses. Le rôle de l'interphase est très important, car il conditionne tous les mécanismes de base de renforcement à partir de l'apparition de la première fissure dans le matériau. Mais des mécanismes dont la complexité augmente avec celle de la structure du renfort conditionne aussi la tenue mécanique du matériau. 90