No future! - Le Labo de Ficelles
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No future! - Le Labo de Ficelles
Liste de lecture : 0. Ain’t got no/I got life Nina Simone p. 4 1. Fainting Spells Crystal Castle p. 8 2. La Rage Keny Arkana p. 29 3. The Death Song Marylin Manson p. 44 4. Holiday in the Sun Sex Pistols p. 61 5. Defiant Order Birdy Nam Nam p. 90 6. The Message M.I.A p. 110 7. Les dingues et les paumés Hubert –Felix Thiefaine p. 130 8. American Life Madonna p. 139 9. We Drift Like Worried Fire Godspeed you Black Emperor ! p. 140 10. Gagnants / Perdants Noir désir p. 158 11. Stress Justice p. 165 1 12. Cigarette Saez p. 176 13. Killing in the Name Rage Against the Machine p. 196 14. Search and Destroy Iggy and the Stooges p. 212 15. Popular Nada Surf p. 226 16. To Bring You My Love Pj Harvey p. 230 17. Mad World Gary Jules p. 248 18. Junkie’s Prayers Mirwais p. 256 19. Emotion Daft Punk p. 267 20. Silent Shout The Knife p. 276 21. Rien à foutre Sexy Sushi p. 289 22. Autosafe Unicorn Pneu p. 305 23. The End The Doors p. 319 24. My Generation Patti Smith p. 341 2 « ta ta talking about my fff fucking generation » 3 Ain’t got no/ I got life Tout va bien ! Pour le moment du moins. Préfère ne pas penser à demain. Verra quand il sera là. Tout va se dégrader. Empirer. Ça va être la merde à la rentrée. Mieux vaut ne pas y penser. Oublier. Le temps est à l’amusement. C’est l’heure de s’éclater. De profiter. C’est l’été ! Nous sommes le Vendredi 13 Juillet et pour moi c’est le début des vacances. Enfin ! Après deux mois passés en stage, à suer, trimer, vais pouvoir commencer à souffler. Faut que je parte, que je me casse. Que je mette les voiles. Quitter Paris et sa banlieue pourrie. Sortir de cette asphyxie. Étouffante, oppressante pollution. Respirer ! Prendre un beau bon bol d’air frais. Éssayer d’avoir un peu de soleil. Ici le temps ne change jamais. On est mi juillet et il pleut 24h sur 24h. Des semaines que le ciel est gris (comme toujours). Me trimballe en pull chez moi, tellement il fait froid. Mais plus pour longtemps… A 17h, Rémy vient me chercher. Va tous les deux choper le train à Gare de Lyon. Direction : Melun ! Chez ses parents. Une caisse nous y attend : la sienne. On fait une combinaison pratique. J’ai le permis, il a une voiture. Les deux font la paire comme on dirait. Prévu un bon Road trip à l’ancienne. Partir 4 sur les routes. Parcourir. Libre comme l’air. Les yeux au loin. Les cheveux dans le vent. Ai trop hâte. On part dans deux jours. Laisse passer le 14, pour pas se taper trop de monde sur la route. Bison pas très futé voit rouge, très rouge, ils ont dit à la télé. Du coup on part que le 15, aux premières lueurs du jour. Pas de temps à perdre. Pas question de traîner. La route est longue et notre temps est court. Tout faire pour en profiter. Destination le Sud ! Première étape : Grenoble. Va passer 3 jours chez ma mère. C’est histoire de lui faire découvrir la région. Il connaît pas le con. Espère que Norman et Lauranne y seront. Enfin, m’en fait pas ; dans tous les cas je sais qu’on s’amusera. Compte cependant pas s’éterniser là-bas. L’idée est d’y stationner 2-3 jours, pas plus. Ensuite, on reprend la route pour descendre sur Avignon. On va se faire le festival. Lui, il connaît bien, il y est déjà allé plusieurs fois quand il était plus petit, mais pour moi ça sera une grande première. Depuis le temps que j’en entends parler. Ne pouvais pas encore une fois passer à côté. On va dormir chez une amie à lui. Enfin, à ses parents. C’est le bon plan. Chercher à se loger à cette période de l’année, c’est le suicide assuré. Tout est soit surbooké, soit hors de prix (quand ce n’est pas les deux). Après, c’est pareil, on va pas y rester longtemps. A tous les deux des obligations. Rémy doit remonter pour commencer son stage de fin d’année et moi j’ai des billets de train pour redescendre sur Grenoble avec ma chérie. Aller-retour express. Là on va prendre notre temps par contre. Plus question de se presser comme des citrons. Enfin, va falloir quand même s’occuper de lui trouver un appartement sur Montpellier pour la rentrée. Mais ça ne devrait pas être trop compliqué. Si on s’y met à fond, en 2 ou 3 jours ça devrait être torché. Ça nous laissera amplement le temps d’en profiter. On aura deux semaines devant nous. Deux semaines pour nous amuser. Deux 5 semaines pour s’aimer, baiser… avant de nous séparer. Étude oblige, elle déménage à la rentrée. Ça va être bien plus compliqué pour se voir. Sais pas encore comment on va faire, mais on verra. On en est pas là. Pour le moment, tout va bien. Mon été commence dans 2h et 43 minutes et je compte pas le gâcher. Ça va être le meilleur été que j’ai jamais passé… 6 NO FUTURE ! 7 Fainting Spells Ca y est. L’été est fini. Déjà. Le temps passe trop vite. Aimerais pouvoir l’arrêter, l’agripper. Le garder au creux de mes doigts. L’empêcher de s’éloigner, de repartir au loin. Mais c’est impossible… Obligé d’avancer. Continuer. Obligé de rentrer. Welcome home ! De retour dans mon petit meublé. Seul. Tout seul. Jessie est partie. Déménagé. Allée vivre à Montpellier. Aurait préféré rester, mais n’y a que là-bas qu’elle peut faire les études qu’elle veut. Ergothérapie. C’est triste la vie. Tu galères à trouver quelqu’un. Quelqu’un de bien. Qui t’aime comme tu es. Quelqu’un de pas trop superficiel, Quelqu’un avec une cervelle. 8 Quelqu’un qui te comprend… Et lorsqu’enfin tu réussis, t’es obligé de t’en séparer. Merci la mondialisation. Existe rien de mieux pour te niquer une relation. Presque tous les couples que je connais sont dans la même situation. C’est comme si c’était une sorte d’épreuve. Baptême du feu, pour tester les amoureux. - Votre couple est-il assez fort pour survivre à cette épreuve ? Est facile de rester en couple lorsque l’on habite juste à côté. Par contre lorsque l’on est séparé par des milliers de kilomètres, la tâche devient tout de suite bien plus compliquée. En sais quelque chose. Suis déjà passé par là. Sauf que mon couple n’avait pas tenu cette fois-là. Espérons que ce coup si se sera différent… Avec Jessie, on a décidé de ne pas se séparer. Préfère tenter le coup. Croire en notre couple jusqu’au bout. Pas envie de la perdre. Le supporterais pas. Comment ferais-je sans elle ? - Vous feriez mieux de rompre. Ça serait plus simple. C’est ce que tout le monde pense. En ai rien à foutre de ce que tout le monde pense. Peux pas la larguer. Peux pas la quitter. Et pourtant, l’ai laissée partir… Ça va bientôt faire une semaine qu’on s’est séparé. Le 25 août. A 4h du matin. C’est ses parents qui sont venus la chercher. Son père avait loué un camion pour l’occasion. Moyen le plus simple pour descendre ses cartons. 9 Y a un peu plus de 6h de route d’ici à Montpellier. Ont pas pu poser de jours de congés. Avaient juste le week-end pour descendre, l’aider à emménager et remonter. Timing serré. Pour ça qu’ils sont partis si tôt. On a voulu marquer le coup pour son dernier soir. Est allé fêter son départ avec des amis à elle (et par défaut à moi) dans un bar. Bien amusé. Fait la fête. Bien picolé. Arrosé ça comme il se doit. - À ton départ Jessie ! Rentré tard. Cassé et complètement bourré. S’est posé sur mon lit. On a rien fait. Est resté l’un contre l’autre, serré. Allongé dans l’obscurité. Attendant. Silencieusement. Profitant de nos derniers instants. L’heure a fini par sonner. Ses parents sont arrivés. Juste dit au revoir, comme on avait l’habitude de le faire. Simplement. Rapidement. Comme si on allait se voir le lendemain. Et elle est partie. Engloutie par la nuit. L’ai regardée s’en aller, puis suis retourné me pieuter. Seul dans mon lit Seul… 10 Plus personne contre qui me serrer. Plus personne avec qui rire. Plus personne avec qui coucher. Plus personne avec qui sortir. Plus personne avec qui aller boire. Rémy, mon meilleur ami est lui aussi parti. Aux États-Unis. Pour ses études. 3 mois chez ces satanés Yankees. Le chanceux. C’est cool les échanges internationaux. Visite un nouveau pays. Découvre une autre langue. Te fais plein de nouveaux amis. Fais la fête tout le temps. T’éclates. Profite. L’envie. Aimerais pouvoir retourner en Irlande (Éirinn go Brách). Arpenter les rues désertes de Dublin. Me balader le long de la Liffey tous les matins. Ai de supers souvenirs de cette époque. Pays vraiment magnifique. Magique. La végétation. Les moutons. Les gens. Les légendes. Le silence… 4 722 028 d’habitants repartis sur 70 273 km2. Soit une densité de 67, 2 habitants par km2 contre 21 289 habitants km2 pour Paris. Sent la différence. A toujours l’impression que les rues sont vides, même aux heures soit disant de pointes. Ne se sent plus aussi pressé, autant stressé. 11 Rémy aussi devrait ressentir ça là-bas. Est parti dans l’Iowa. Pas le coin où y a le plus de monde. Enfin, il trouvera toujours quelqu’un avec qui parler anglais. C’est quand même ça l’idée. Pratiquer, y a que ça de vrai. Seul moyen pour que ça rentre vraiment. Tout le reste c’est du vent. Tu peux pas savoir parler une langue différente tant que t’es pas parti dans le pays. Les voyages forment l’esprit on dit. Sacré bon diction. Complètement raison. Rien, rien de pire que de rester statique. Sédentaire ! Une belle grosse connerie oui. L’homme est fait pour bouger. Voyager. Ça le pourrit de rester tout le temps au même endroit. Peut pas grandir, s’ouvrir. S’épanouir. Pense à toutes les guerres qu’auraient pu être évitées, si on avait été un peu moins borné, autocentré. Enfin bon… Pense qu’il va bien s’amuser. Pleinement profiter. Trouver une jolie poupée avec qui baiser. Me demande comment sont les Américaines au pieu ? Est-ce qu’elles sont moins coincées que les nôtres ? Bonne question. - Une Française ça couche facilement, mais ça suce rarement. Une Américaine c’est l’inverse, me disait une copine à moi. Sais pas d’où elle peut bien sortir ça. Demanderai à Rémy quand il rentrera. L’enfoiré ! L’imagine en train de s’éclater, tandis qu’ici moi me fais royalement chier… 12 Ennuis. Inquiet. Ronge les ongles. Fais les 100 pas. Tourne en rond dans la baraque et. Patatraque ! Tout se détraque. Dégringole. Casse la gueule. Perdu. Jeté sur le chemin impitoyable de l’inconnu. Viens d’arrêter les études. Ma licence en poche, plus de raisons de continuer. Plus possible. Plus envie. Sert à rien. Apprends rien Merde en boite. Perte de temps. Que faire maintenant ? Plus d’idées. Pas de projets. Égaré. Confronté à l’horrible réalité. Dépression. Déperdition. Péter un boulon. Bourdon. Bourdonnement infernal. Bruits incessant dans mes oreilles. Pitié que cela cesse ! Souffrance silencieuse qu’on ne peut nommer. Pas de nom coucher papier. Personne à blâmer. Engueuler. Frapper. Frapper la tête dans ses mains, ses mains contre les murs. Frapper ses mains contre les murs, sa tête contre sa tête. Sa tête contre sa tête. Sa tête contre sa tête. 13 Perdre la boule. Maboule. Être bête à en pleurer. Triste à en crier. - Vas-y cris ! Cris ! Cris à t’en faire péter les poumons ! Impression d’un monde que l’on croyait connaître, qui s’efface petit à petit et puis. Disparaît. Vous laissant seul face à face avec votre plus grande peur : Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa… ………. Tomber. Perdre pied. Se noyer. N’avoir plus rien à quoi se rattacher. Embarcation coulée. Gilet de sauvetage troué. - Combien de fois t’ai-je répété d’apprendre à nager ? Trop tard. Trop loin. Personne pour t’entendre crier. Personne pour t’aider. Tomber. Sombrer. Sans espoir de remonter. 14 * Bruits. Chuchotements. Frissons, frissonnement. Impression de déjà-vu. Déjà entendu. Délire. Propos insensés. Pas de quoi s’inquiéter. Pas de quoi se réveiller. Ça va sûrement passer. ………………………………………………………………… … Tendre l’oreille. Le bruit est toujours là. Ça ne passe pas. La blague grossit. La rumeur enfle. Ils en parlent à la télé. Les gens s’affolent. Tout le monde commence à y croire. Comment savoir ? De quel côté se ranger ? Qui écouter ? Faut-il vraiment paniquer ? ………………………………………………………………… ……………………………………………………………. 15 Ils disent que c’est pour bientôt. Maintenant. Préparez-vous. The End is Near. The End is Here. Comme on l’avait (t’avais prévenu) prévu. Prédit. Trompé, raté, recommencer, depuis des millions d’années. Cette fois ça y est. C’est la bonne. Doutes plus permis. Les signes sont unanimes. Les calendriers affirmatifs. Les Mayas le savaient. Avaient tout calculé. Tout vu, envisagé et ont préféré se suicider. Ils disent que c’est la fin. Que le monde va s’arrêter. La terre disparaître. Pouf ! Envolée, comme si elle n’avait jamais existé. Comme si rien ne s’était passé. Parenthèses refermées. Game over. Merci d’avoir joué. Notre mort est proche. Boule dans l’estomac. Terreur terrible. Mourir. Nous allons tous mourir. 7 milliards de personnes d’un coup effacées. Éradication. Génocide instantané. Que faire ? 16 Comment réagir ? Partir ? Fuir. Découvrir. Pays étranger. Lointaines contrées. Voir tout ce que l’on a jamais vu. À quoi bon… On ne peut échapper à ce qui va nous arriver. Profiter ? Dans le luxe, la luxure se vautrer ? Fête perpétuelle. Se laisser guider par ses sens, ses désirs. Orgie moderne à base de Pan Pan Pan. Claque ! Sur les fesses. Vin qui coule. Dégouline. Dans la bouche. Sur les corps. Sur les sexes. Dans ta chatte. Copuler par milliers. Inconnus rencontrés dans la rue. Juste pour le Ah ! Le Oh ! Le Mummm... Oh oui encore ! C’est bon. Vas-y. Comme ça. Oui. Oui ! Encore. Plus fort ! 17 Juste pour joui... Non merci. Le sexe est si triste lorsqu’il est fait par désespoir. Et alors quoi ! Que nous reste-t-il ? Tout tout laisser tomber et puis tant pis ? Tant pis pour la vie, la technologie, les milliards d’années d’évolutions accomplies ? Tout laisser là en plan. Comme si plus rien n’importait. Comme si plus rien ne valait le coup d’être défendu. Valeurs désuètes pour lesquelles tant de nous sont morts. Notions d’un temps ancien. Tout ceci n’a plus de raison, alors que nous sentons venir la fin… Non ! Hors de question. Cela ne peut pas finir comme ça. Ne pas baisser les bras. Abandonner. Ne pas arrêter le combat. Vagabond, je ne me laisserai pas vagabonder ! Continuer. Nous devons continuer. Agir comme si. L’avenir. Existait. Nous appartenait. Agir comme si. Demain. Encore. On y croyait. Prétendre. Pour que les choses aient encore du sens. Prétendre. Pour que tout ce que nous avons fait, tout ce que nous sommes ne soit pas réduit à néant. Refuser. Réfuter. 18 Ne pas se laisser manipuler. Après tous les mensonges qu’elle nous a racontés, Comment peut-on encore croire la télé ? Comment peut-on encore croire qui que ce soit ? Qu’ils aillent se faire foutre avec leur théorie à la con. Leur prédiction bidon. Ne crois que ce que je vois. Et pour le moment je ne vois rien. * Sortir. Besoin. Air frais. Marcher. Changer les idées. Marcher. Dehors. Aide à penser. Faire le vide, le tri, faire de l’exercice. Erase. Recommencer. Remettre à plat. Repartir de zéro. Mon corps se fatigue. Mon esprit s’éclaire. Les nuages se dissipent. Les idées me viennent. Dois faire quelque chose. Maintenant ou jamais. Now or never ! 19 Le temps est compté. Faire quelque chose. De ma vie. De mes mains. Trouver un job dans ce que j’aime. Ce que je veux faire : Le théâtre ! Mettre en scène mes textes, mon cœur, mon âme. Depuis le temps que j’écris et que personne ne me lit. - Mots sortez de votre tanière et bravez la lumière ! Enfin me confronter au monde extérieur. Que je sache ce que je vaux. Artiste incompris ou raté à vie ? Il est temps de trancher. Mais comment procéder ? Par où commencer ? Aucunes idées. Jamais fait ça. - Va voir sur le net, tu trouveras sûrement quelque chose. Réponse à toutes les questions, même les plus débiles : - Est-ce que mon ex pense encore à moi ? - Quel est le QI du singe ? - Comment faire l’amour à une femme ? - Est-ce que mon mari me trompe ? - Dans combien de temps aurais-je un enfant ? - Est-ce que les Noirs ont une âme ? - Quelle est la taille du plus grand pénis au monde ? - Quels sont les meilleurs albums des années 80 ? Bon, alors voyons… Comment formuler ça : Comment faire du théâtre ? 20 Non. Pas assez précis. Comment monter une pièce de théâtre ? Oui voilà, ça, c’est bien. Alors... Rien. Rien. Site d’annonce. Site sur le théâtre. Tout savoir le théâtre Non. Le théâtre de l’absurde ou la nouvelle modernité Non plus. Ah ! Forum : Comment monter sa première pièce ? Exactement ce qu’il me faut : Bonjour, je m appelle Elisa, j’ai 21 ans. Depuis toute petite j’ai toujours été passionnée par le théâtre et j’aimerais monter ma première pièce, mais je ne sais pas trop par où commencer. Est-ce que quelqu’un aurait une idée ? Des suggestions ? Parfait ! Cette fille est exactement dans la même situation que moi. Pouvais pas rêver mieux. Alors qu’est-ce qu’on lui a répondu : Rien… Génial. Me voilà bien avancé. Laissé tomber. 21 Rien trouvé. - Réfléchis ! T’es pas con, tu peux trouver une solution par toimême. Bon… En premier, il me faut un texte à mettre en scène. Facile, j’en ai déjà écrit plein ! Ensuite, trouver des acteurs. Faut que je passe des petites annonces. Sur le net (doit bien avoir des sites pour ça) et dans les écoles de théâtre : Jeune metteur en scène cherche des acteurs motivés pour projet non rémunéré ! Ça donne envie. - Personne va te répondre. Mais si ! On est à Paris, des gens qui veulent faire du théâtre y en a à la pelle. Vais bien réussir à en trouver 3 ou 4 qui font ça par passion et s’en foutent d’être rémunérés. - Pas sûr. Pas sûr du tout. Ah ! De toute façon, ça me coûte rien d’essayer. Après, il va me falloir une salle pour répéter. En connais quelques-unes dans le centre, mais sont loin d’être données. Entre 10 et 15 euros de l’heure. Combien d’heures de répètes il me faudrait ? - Au minimum 4h. 4h ? C’est tout ! Ça va, fait pas trop cher. Tant pis si je dois débourser une cinquantaine d’euros pour pouvoir monter ma pièce. Suis prêt à mettre le prix. - 4h par semaine. Pas 4h en tout, idiot. Ah... Merde. Ai un peu moins de 3 mois devant moi. 22 Alors... 4x10. Le tout multiplié par 12 ça fait… Arggg ! Aurais jamais assez de thune. - Et la t’as même pas compté l’argent qui va falloir mettre pour le décor, les costumes etc.… Ça on verra après. On en est pas à là. Au pire je fais une mise en scène moderne : pas de décors et costumes de ville. C’est le bon plan. C’est à la mode et ça coûte rien. L’urgence là est de trouver un lieu ou répéter. - Et pourquoi tu ferais pas ça chez toi ? Tu pousses la table du salon, y a assez de place pour 3 personnes. Non, non peux pas faire ça c’est pas pro. C’est ridicule. - C’est mieux que rien. Mmm... Bon, je la garde comme idée de secours. Mais il doit bien avoir autre chose. Y a peut-être des salles gratuites sur Paris ? - Ça m’étonnerait. Vais vérifier on sait jamais. - Et la Mairie ? Pourrait pas te filer une salle ? En ont toujours plein qu’ils prêtent aux associations ? Mais oui ! C’est ça ! Tu as raison ! Faut que je crée mon association ! Passerai à la maison des associations demain pour leur demander comment s’y prendre et s’ils ont des salles disponibles. Parfait. Alors : - Texte / Check Acteurs / Check Salle de répétition / Check 23 C’est bon. Pense avoir fait le tour. - C’est tout ? C’est si simple que ça ? Non, sûrement pas. Des millions de problèmes vont sans doute survenir. Leur fait confiance. Jusqu’ici m’ont jamais trahis. Mais on verra en temps et en heure. - Bon c’est bien beau tout ça, mais t’as conscience que c’est pas en faisant de la mise en scène que tu gagneras de l’argent. L’art ne paye pas. « Métier de fainéant ! Tire-au-flanc ! Va travailler à l’usine, apprends à faire la cuisine, si tu veux une paie ! Fais un vrai métier. Honnête. Sérieux. Rigoureux. De la rigueur ! Pas un truc de manouche. De hippie ! Le théâtre ! Le théâtre ? Baaaa… Juste un passe-temps. Ce n‘est pas ça que font les honnêtes gens. » Dois me trouver un vrai job. Quelque chose qui me permette de manger. Peux pas compter toute ma vie sur mes parents pour me payer le loyer. Mais quoi ? Pas avec mon diplôme, que vais pouvoir trouver quelque chose. À la limite pourrais chercher un poste comme régisseur lumière. Boulot de technicien ça paye (bien). Ai fait ça 2 mois en stage cet été. - Tu rêves personne va t’embaucher. T’y connais rien. T’as pas assez d’expérience ! Mais ne demande que ça d’apprendre moi ! Mais comment faire ? 24 Où aller ? Les facs ne t’apprennent absolument rien et les écoles privées sont bien trop chères. Impasse. Dead End Street. Route sans issue de secours. Au secours ! Seul avenir possible : travailler chez Carrefour. Et pourquoi ne referais-je pas un autre stage tout simplement ? - Pas avec ça que tu vas gagner de l’argent. Non, mais ça m’apprendrait le métier. Fait une expérience sur le cv. Et puis qui sait, si je fais du bon boulot peut-être qu’ils pourront m’embaucher après. - Ne rêve pas. C’est décidé, vais faire ça ! Devrait pas être trop compliqué. Avec tous les théâtres qu’y a sur Paris, vais bien réussir à en trouver un prêt à m’accepter. - Tu as oublié quelque chose : qui dit stage, dit convention. Hors, tu n’es plus à la fac donc tu n’as plus personne pour te signer des conventions. Putain y avait pas pensé ! Doit bien avoir un moyen. Tous les stages n’ont peut-être pas besoin d’être conventionnés. Bien trouver quelque chose. - D’illégale ? De non officiel. Un stage non déclaré. - Aucun théâtre ne voudra prendre se risque. Le moindre problème. La moindre petite chose qui t’arrive et ils sont dans la merde jusqu’au cou. Bien trop risqué pour eux. N’ont rien à gagner. Dois bien exister quelqu’un d’autre pour me signer des conventions : 25 La mairie ? Pôle emploi ? Ma mutuelle ? Doit bien exister quelque chose pour les gens non scolarisés. Vais chercher. * Non. Rien. Rien de rien. Putain. N’ai rien trouvé. Que ça soit sur les forums ou sur les sites tout le monde est unanime : il faut une convention pour faire un stage. Et pour en avoir une il faut être inscrit dans une école. Et merde ! Merde, merde, merde. Si j’avais su, me serais inscrit en Master. - Il n’est peut-être pas encore trop tard. On est que début Septembre, certaines inscriptions sont peut-être encore ouvertes. Vite ! Aller voir. Dernière chance. Pas la laisser passer. La saisir pendant que c’est encore possible. Ce n'est plus possible. Trop tard. Plus d’espoir. Vient de vérifier. Les inscriptions se sont terminées il y a 2 jours. 2 petits jours. 26 Two Fucking Days ! Qu’est-ce que je vais faire ? À la limite peux toujours regarder sur le net si je trouve des petits contrats non rémunérés. Projets bénévoles. Doit bien avoir des compagnies qui cherche quelqu’un pour faire des régies. Avec un peu de chance. Sinon tant pis. Pas le choix. Tente le tout pour le tout. Envoyer quand mêmes des mails aux théâtres. Chercher des stages non conventionnés. On sait jamais. Faire des demandes. Prier. Bonjour Monsieur, Madame, excusez-moi de vous déranger, actuellement sans emploi et sans étude, je ne sais pas quoi faire de ma vie, ni comment payer mon loyer, alors si vous auriez un petit stage à me dépanner, cela m aiderait à m’en sortir. Je sais que vous êtes beaucoup sollicités, mais tout ce que je vous demande c’est un petit stage de rien du tout même pas rémunéré. Dans l’attente de votre réponse (désespérément, désespéré, attendant assis tout seul, allongé comme un mort dans mon appartement, me rongeant les sangs) qui je l’espère (mon dieu par pitié, pitié, exécutez ma prière) sera positive, veuillez agréer Madame, Monsieur l’expression de mes salutations distinguées. En vous souhaitant une bonne journée. Et voilà ! Il ne me reste plus qu’à plus ou moins copier coller et envoyer 27 ça à tout les théâtres de Paname. Et espérer. Plus qu’à attendre. Laisser faire le temps. Wait and See. 28 La Rage - C’est fait ! - Sérieux ? - Ouais. On vient à peine d’emménager. - Où ça alors ? - À Vitry-sur-Seine. - Cool. - Carrément. - T’as besoin d’un coup de main ? - Non, c’est bon. On a tout fini là, ça y est. - Bon, mais alors quand est-ce que je peux passer ? - Ba t’as qu’à venir cette après-midi. - Vers quelle heure ? - Quand ça t’arrange. - Ok. Je prends quoi pour venir chez toi ? - Le C et tu t’arrêtes à la station des Ardoines. - Dac. À t’al heure. Raccroche. Était Norman au téléphone. Un de mes meilleurs amis. Il est de Grenoble (Il n’y a que Grenoble !). S’installe sur Paris. Emménage avec 2 filles : Lucie et Patti (pour Patricia). Des potes à lui. Les connais bien moi aussi. Trop content qu’ils aient trouvé un appartement. Depuis le temps qu’ils cherchent. Ont vraiment pas eu de chance aussi. Avaient trouvés un premier truc cet été (obligé de monter pour chercher, prospecter, signer les papiers), le bail était presque signé (le contrat sur la table, le stylo à la main, la bave aux lèvres), lorsque le proprio est subitement décéder (paix à son âme l’enculé). 29 Leur plan tomba à l’eau. Durent tout reprendre de zéro. Tout recommencer. Hé hé. Youpi, Youp ! C’est pas comme si les tickets de train c’était pas donnés. Rien de plus chiant que d’chercher un logement. Sais ce que c’est pour l’avoir moi-même fait (bien trop souvent : changer de toits trois fois en trois ans). Passe des heures sur le net à consulter les dernières offres, qui viennent d’être publiées. Tourne en rond, en boucle, entre les différentes agences de (co)location. Épluche les petites annonces. Et lorsque, par hasard, miracle, en trouve une intéressante, pas trop chère, pas trop mal située (pas dans le quartier où y a les putes, les descentes de flics et les mecs qui se font buter toutes les 5 minutes) te rends compte que t’es obligé de payer pour pouvoir les contacter. Biziness is Biziness. Arnaque ! Code spécial pour voir le numéro s’afficher. Valable qu’une seul petite journée, alors que. Dépense des journées entières à téléphoner inutilement : - Ah, désolé, mais s’est déjà pris. Trop tard. - Quoi ? L’annonce, mais le site ne l’a pas enlevée ? Ça fait des mois que j’ai trouvé quelqu’un ! - Oui, oui, bien sûr que c’est disponible. Vous aimeriez visiter. C’est pour de la colocation ? Ah… Vous êtes trois ? Hum… Et quel âge avez-vous ? 21 ans ! Je suis désolé, mais ça va pas être possible. Les proprios-agences ne sont pas cons. Connaissent les jeunes. Savent parfaitement comment ça fonctionne. Ça a pas une thune (- Et mes parents ? - Tais-toi on te dit ! ). Ça bosse jamais. Ne pense qu’à faire la fête. Faire chier les voisins. Foutre le bordel : - Sexe, drugs and rock and roll comme ils disent. Pas de ça ici. Non, Monsieur. Veux pas de ces gens-là chez moi. Préfère prendre un beau petit couple. Ça au moins c’est sûr. Stable. Vous attendez un bébé ? Parfait, parfait… 30 Personne ne leur a jamais expliqué que l’amour est plus fragile que l’amitié (la vraie) et qu’un bébé n’a jamais empêché un père de frapper et une mère de se casser. Les vieux pensent pas. Réfléchissent pas. À prioris. Idées préconçues. Stéréotypes. Racisme anti-jeune. Fléau moderne dont personne ne parle. Normal, les seuls qui ont la parole sont ceux qui le font. Qu’on vienne pas s’étonner si on galère après ! L’immobilier à Paris, c’est juste un truc de ouf. Peut pas comparer avec le reste de la France. Pas proportionnel. Y a qu’ici que les gens sont prêt à payer 500 euros pour un 9 m2. Pas de fenêtre. Pas de place. La cuisine dans la chambre. Les toilettes dans ton lit. Trois en un, c’est ça l’avenir. Pouvoir chier pendant que tu te prépares à manger. La crise, l’immobilier ici ils connaissent pas (même s’ils font croire que). Le secteur est pas prêt d’être en baisse. Au contraire. Chaque année les demandes ne cessent d’augmenter. Tout le monde veut venir (et vient) sur Paname, mais tout le monde déteste cette ville : cherchez l’erreur dans le computer. Moi ai eu (beaucoup) de chance. M’a pas fallu trop longtemps avant de trouver mon appartement. Ai trouvé un pur truc. Des que l’ai vu, l’ai voulu. Démené pour l’avoir. Le matin le visitait, l’après – midi je signais. - Merci maman ! Ça aide d’avoir une mère infirmière. C’est pas un métier qui connaît la crise, ni le chômage. C’est comme niquer… Heu Pompier. Y aura toujours des gens à soigner, sauver. Et hop hop hop, c’est dans la poche ! Et tout cela pour la modique somme de 600 euros par mois. Argg…. Habite dans le 93, ou le 9-3 comme on dit, sauf que ça va suis pas en Seine-Saint-Denis Style. Habite le petit patelin paumé du Pré Saint la Gervais. Tu connais ? C’est vers le Nord-Est. Coincé entre Porte des Lilas et Pantin. Assez tranquille. C’est pas parfait c’est sûr (ai régulièrement le droit aux incendies 31 criminels ou au gars qui se fait planter dans la rue), mais y a largement pire. Norman c’est posé à Vitry. Pas super-réputé (même pas du tout), mais attends de voir, d’y être allé, avant de juger. Ne peux. Sait-on jamais. De toute façon, de nos jours à part en Antarctique, t’es en sécurité nulle part. Gouvernements ont beau changer, se succéder, toujours même politique d’appliquer : taper d’abord et taper ensuite. Jamais de prévention, juste de la répression. Ne pas essayer. Ne pas. Chercher à comprendre. Le pourquoi du comment. Qu’est-ce qui fait qu’un homme-agneau devient violent, méchant ? Se contentent de jeter les gens en prisons : meilleur endroit pour l’éducation. - Allez, hop, au trou et on en parle plus ! Dégagez-moi ça ! Hors de ma vue et comme ça, je pourrais tranquillement l’oublier. Faire comme si. Dormir tranquillement dans mon beau grand lit. Inutile. Stérile. Méthodes moyenavaseuses. Ce n’est pas à coups de bâton qu’on fait avancer les bœufs. A pas de mystère. Pas de magie. Toutes actions ont une cause. Une raison. On ne naît pas assassin, on le devient. Est tous potentiellement des criminelles, mais ne vit pas tous en HLM. Affamez un tigre. Emprisonnez-le. Vous verrez s’il deviendra pas teigneux. Sûrement pas par hasard si le plus fort taux de délinquance provient des banlieues. - « Il y en a marre d'être mené par le bout du nez par toute cette population qui nous détruit, détruit notre pays en imposant ses actes » - « Les Français issus de l'immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. » 32 - « Les Arabes sont la source du terrorisme. Ils attaquent tout le monde sans exception. » - « L’islam est dangereux pour la démocratie et en fait la démonstration tous les jours » M’inquiète quand je vois tout ce que j’entends à la télé. Ai l’impression que le racisme est devenu phénomène courant. Tout le monde le tolère. Fait comme si de rien n’était. Tout est normal, je vois pas le problème. Hypocrisie collective. Mensonge national. Et après on s’étonne du 17% du front aux dernières élections. Enfin, vous savez ce qu’on dit : tel père, telle fille. La pomme pourrie est pas tombée très loin de l’arbre desséché. - Tu veux bouger vers quelle heure ma chérie ? Étendue, nue, à côté, contre moi, dans le lit. Revenue de Montpellier pour le week-end. Arrivé hier. Repart ce soir. Déjà ! Séjour express longtemps attendu, désiré. Pouvoir pour une fois, un peu en profiter. Compter les minutes, les secondes passées. - Je sais pas, comme tu veux. - On se presse pas trop. On a qu’à y aller dans une petite heure. Ton train est à quelle heure ce soir ? - 19h. - Ok, ba parfait ça nous laisse 3h là-bas, c’est amplement suffisant. - Oui. Petite voix. Alerte ! Alerte ! Quelque chose ne va pas. 33 - Qu’est ce qu’il y a ? - Rien, pourquoi ? - Tu es sûr, que ça ne te dérange pas d’y aller ? - Non, non. - Tu aurais préféré qu’on reste que tous les deux ? - Mais non, ah ! Tu m’énerves. Je te dis que ça va. Je les aime bien moi aussi tes potes, ça me fait plaisir de les voir. - T’as pas l’air très enthousiaste. - C’est juste que… J’aimerais bien qu’on prenne un peu de temps pour nous deux juste avant que je prenne le train. - Ah ! Mais oui, c’était prévu ! Ne t’inquiètes pas. On va pas y rester toute la journée. On essayera de trouver un petit coin tranquille où se poser. Il doit bien y avoir ça vers Gare de Lyon. Rien de moins sûr. M’arrête. Stop. Prends le temps de la regarder. L’admirer. Est vraiment magnifique. Aimerais pouvoir lui dire combien je l’aime. À quel point elle me fait du bien. Me rend heureux. Mais en suis incapable. Peureux ! N’ai jamais été très doué pour exprimer mes émotions (sauf quand je suis bourré). Suis quelqu’un d’assez renfermé, réservé. - Ouais t’es un mec quoi. Sais pas… Ai l’impression qu’on est pas tous comme ça. En connais pas tant que ça, quand j’y réfléchis. Ai toujours été plus amis avec les filles que les mecs. Me suis vite rendu compte à quel point certains mecs pouvaient être con : Bière, foot, baiser, taper, foot, foot, foot, baiser ! Areu. Ageu. Ont pas inventé la poudre comme on dit. Dis ça, mais presque tous mes vrais amis sont des mecs. 34 - Qu’est-ce que tu peux dire comme conneries ! Espère juste que les gens ne me prennent pas au sérieux. Ça n’en vaut pas la peine. C’est mieux d’en rire. Héhé ! Ahahahaha ! Me glisse dans les bras de Jessica. Vais voir Norman, c’est cool. Ça fait grave longtemps. Fait quelques années maintenant qu’on se connaît avec Norman. Pourrais pas dire combien de temps exactement (non pourrais pas). Jamais été très bon avec les dates et les chiffres (pas pour rien que j’ai fait L). Me rappel pas de la chronologie. Dans ma tête c’est comme dans ma piaule : rien de rangé, un bordel monstre. Les souvenirs sont empilés les autres sur les uns. Quand on s’est rencontré, était en fin de collège, début lycée. À ce moment que notre petit groupe s’est formé, soudé : Laurane, Rémy, Norman et moi. A pas bougé aujourd’hui. Resté le même depuis des années, à quelques exceptions près. Pourrais dire qu’on a fait les 400 coups ensemble, mais on était pas trop du genre à faire les 400 coups. On (je ?) était assez sage. Pas parfait. Pas modèle (ça existe pas de toute façon : fantasme des parents angoissés pour se rassurer). Des adolescents quoi… Des adultes maintenant. - Vraiment ? T’en es sûr ? Quand est-ce que cette merde commence ? (Certainement pas à 18 ans.) Where is the Line ? Comment savoir quand on passe du petit au grand ? Du petit con au grand bouffon ? Les situations ont évolué. Les discussions changées. Commence tous tout doucement à prendre sa route. Sa voie. Chacun de son côté. S’éloigner. Pour mieux se retrouver, comme si de rien. 35 Toujours le même bonheur. La même complicité. Avais peur de les perdre de vue lorsque j’ai bougé sur Paris. Exilé. Eux ensemble là-bas et moi tout seul ici. Mais au final 3 ans plus tard, se retrouve presque tous sur Paris. C’est drôle parfois quand même la vie. - À quoi tu penses ? - À rien. Je réfléchissais. Cerveau en ébullition. Projection. Projeter. Analyser les différents épisodes de sa vie. Avoir l’impression de vivre dans une série. À quelles saisons nous en sommes ? Quelles péripéties les destinéristes nous ont écrit cette fois ? Seul l’avenir nous le dira. - On fait l’amour ? J’ai envie de toi… * 15h04. Vient d’arriver à Vitry. Assez près de Paris en fait. À peine 15 minutes de rer C du centre-ville (St Michel-Notre Dame). Super loin de chez moi par contre. 1h de transport en tout. Du nord au sud parcourir en accord, chaque ville, chaque port, sans cesse et sans effort Habite à 20 minutes à pied de la gare. Sauf que. Connaît pas le chemin. - Ouais, mec, ça y est on est arrivé. Tu viens nous chercher ? - Heu… Ok. Je pars, mais vous avez qu’à déjà avancer, comme ça on se retrouve sur la route. - Si tu veux, mais on sait pas du tout où aller nous. - Tu vois le rond-point ? 36 - Heu… Attends. Tu vois un rond-point ma chérie ? Non ? Non, on en voit pas. - Faut que vous traversiez le parking. - Ouais. - Ensuite tu vas tomber sur le rond-point et là tu prends la rue… C’est quoi déjà le nom de la rue ? Victor Ruiz Patti me dit. C’est celle d’en face normalement. - Ok. - Et après, vous continuez tout droit et on devrait vous tomber dessus normalement. - Dac. À toute. Fait tout comme il a dit. S’avance. Sort de la gare. Traverse le parking. Ça va. A l’air assez sympa vue d’ici. Assez calme, limite un peu campagne. - Ça te rappelle pas Saint-Remy ? - Un peu ouais, mais y avait quand même pas autant de maisons. Saint Rémy-lès-Chevreuse : dernier arrêt du rer B. Direction le sud de Paris. Ai pas compris pourquoi ce village (que dis-je cette bourgade !) était desservi par le rer. Vraiment pas le même monde. Pas la même ambiance. T’as le sentiment d’être dans le centre de la France. - À votre gauche un champ. À votre droite un champ avec une vache : bienvenue à la campagne ! Etait allez là-bas avec Jessie pour observer la Nuit des étoiles en Août dernier. Sur Paname c’est même pas la peine d’essayer de voir quelque chose tellement s’est pollué. 3 ans que j’y habite et ai encore jamais réussi à voir la moindre étoile. On avait passé une magnifique soirée là-bas. Tous les deux, allongés dans un champ pourri, blottis. L’un contre l’autre, regardant les étoiles, écrasant, chassant les moustiques, qui nous dévoraient vivant. 37 Arrive au fameux rond-point. S’engage dans la rue Victor Ruiz (qui est ce tocard ?). Continue. Avançons. A pas croisé âme qui vive depuis la sortie du rer : ni gens, ni voitures, pas même un chien. Y a vraiment pas un chat. À se demander si cette ville est vraiment habitée ? Dans quel traquenard on s’est fourré ? - Regarde, là-bas. Aperçois au loin, au bout de la rue, la silhouette de Norman, reconnaissable entre mille. Démarche nonchalante, la tête haute, les cheveux au vent, l’air de dire bravement : Moi je profite de ma vie ! - Salut. - Salut. - Désolé pour le retard, je venais juste de me réveiller quand tu m’as appelé. Le temps que je m’habille et tout. - T’inquiètes c’est pas grave. - Ça va ? - Ba ouais et vous ? - Super. - Alors ce déménagement ? - Fatiguant. - Tu m’étonnes. - Vous êtes arrivés quand ? - On est monté hier soir pour signer les papiers et on a emménagé juste après. Mais on était tous crevés, donc on a déballé les affaires que ce matin. - Et content de l’appart ? - Ouais trop. Vous verrez il est bien cool. Bon par contre, je sais plus si je vous l’avais dit, mais c’est pas encore meublé. - Pas du tout ? - Ba on a juste trois canapés convertibles pour pouvoir dormir quoi. On a même pas de frigo dis-toi. 38 - Putain… Et vous faites comment pour la bouffe ? - On sait pas encore. On est allé manger à KFC ce midi. Y en a un tout près de chez nous. Je pense qu’on va tout le temps y être fourré. - Normal. - Mais, vous avez rien non plus pour faire la cuisine ? - Si, le proprio nous a laissé une plaque à induction. - Ah, vous êtes à l’électricité. - Oui, mais du coup sur toutes les poêles qu’on a ramené, y en a pas une qui fonctionne. On a été obligé d’aller en acheter une ce matin. - Cher… - Oui. Le paysage change rapidement, radicalement. Les petites maisons à jardin font place aux barres d’immeubles. On se sent déjà tout de suite plus en banlieue. L’animation y est typique, caractéristique. Centre ville plein de vie. Des gens dans tous les sens. Vont, viennent. Assis sur un banc pépèrement entrain de discuter. À la terrasse d’un café attablé, buvant leur bière quotidienne (A ta santé !). Entrant et sortant (+1-1=0) du supermarché. De sacs vident en sacs pleins. De porte-monnaie pleins en porte-monnaie vident. Loi de l’échange équivalent. - Et alors le quartier ça donne quoi ? - Ba y a quelqu’un qu’a jeté un marron sur Lucie hier soir. - Ah ouais ? Merde. - Qu’est-ce qui s’est passé ? - On était sortis pour aller acheter du vin, histoire de fêter notre emménagement et t’as un type qui l’a sifflé quand on est entré dans le magasin. Lucie l’a ignoré et quand on est sortis, il lui a jeté un marron dessus. 39 - Putain. Et ça va ? - Ba ça lui a fait mal quand même, mais ça va. - Ça craint. - Ouais, ça donne pas trop envie de sortir le soir. - Mais après nous notre immeuble il est tranquille. Y a que des chinois, ça sent tout le temps la cuisine asiatique. - Oh ! Moi ça me manque trop la cuisine orientale. Y a aucuns petits bouibouis comme ça chez moi. - Et justement, ça se passe bien à Montpellier ? - Ouais, c’est vraiment génial. Il fait beau tout le temps et les gens sont vraiment trop sympas. - Tant mieux. Et ton école ? - Ça tellement rien à voir avec la P1, c’est un truc de fou. Y a des cours où on passe notre temps à se balader en fauteuils roulant ou a joué à la Wii. - Pourquoi ? C’est quoi le rapport avec l’ergo ? - En fait, ça nous permet de nous familiariser avec le matériel, qu’on sera amené à utiliser avec les patients. - Ça a l’air intéressant. - Trop ! Tourne à droite. S’éloigne un peu du centre-ville pour entrer dans un quartier plus résidentiel. - Voilà, là c’est notre immeuble. C’est un peu la merde là parce que le proprio nous a laissés qu’un jeu de clé pour trois. - T’habites au combien ? - 1er. - Cool. - Ouais carrément. Pousse porte vitrée. N’a pas menti. Tout le hall de son immeuble est parfumé d’une odeur subtile de mets asiatique. Nouilles aux légumes. Soupes au tofu. Nems. Bœuf épicé. Le creux de mon estomac se fait plus insistant. 40 - Et voilà ! Il ouvre la porte de son appartement d’un air majestueux. - Bienvenue à la maison ! - Ouah ! C’est vachement grand ! - C’est un 80 mètres carrés. Je vous fais visiter ? - Of course ! - Alors donc, la cuisine. - Ah, salut Patti. Ca va ? - Oui et vous ? - Nickel. - Nickel. - Le salon. - C’est stylé la baie vitrée, ça vous fait plein de lumière. - C’est juste dommage pour la vue par contre. - Ça on n’y peut pas grand-chose. Un immense immeuble se dresse devant leurs fenêtres, leur bouchant complètement l’horizon. - Salut Lucie. - Salut. - Les chiottes, vous ferez attention la cuvette tient pas bien, la salle de bain et les chambres. - Ça va, vous avez vraiment trouvé un bon truc. - J’aimerais bien avoir un appart comme ça. - Ouais, on espère juste que le proprio va se bouger pour meubler assez rapidement. - Il vous a dit quand il repasserait ? - Normalement il doit nous amener le frigo en fin de semaine au plus tard. Il nous a dit que c’était sa priorité. - Mouais… Méfiez-vous, n’hésitez pas à le relancer : proprios tous des escrocs ! - Non, mais il est assez sympa franchement. C’est juste qu’il s’organise mal. Je pense que c’est la première fois qu’il loue un appart, il est un peu paumé du coup. 41 - Il nous a dit qu’on devait lui faire confiance, qu’il était un peu comme notre grand frère. - C‘est Pascal. L.O.L. - Bon ! Vous voulez boire quelque chose ? - Ba volontiers. - On est pas venu les mains vides. On vous a amené une bouteille de Blanc. - Parfait. - Merci. - Elle doit être encore un peu fraîche. - Il nous reste du Rouge d’hier soir, où on a de la bière sinon. Qu’est-ce que vous préférez ? - Moi, je veux bien du Rouge. - Pareil - De la bière st’plaît. - Et toi Jessica ? - T’aurais de l’eau ? - Oui, bien sûr. - Je vais te prendre un verre d’eau alors. Je suis pas trop alcool. - Pas de problème. - Vous avez pas de meubles, mais vous avez une putain de collection de verre. - C’est ceux que j’ai ramenés de Gre. Et encore je pouvais pas tout monter, j’en ai laissé plein. - J’aimerais trop avoir des verres aussi beaux. - Ba fais comme moi. Maintenant, je m’emmerde plus à en acheter, je les pique directement dans les bars. - Tu te fais pas choper ? - Non, suffit d’être discret. Tu prends un manteau qu’a des grandes poches. - C’est pas super sympa pour les bars quand même. - C’est la crise : faut faire des économies. - Tout le monde est servi ? 42 - Ouais. - Ouais. - Ouais. - Ouais. - Alors santé ! - À votre nouvel appartement. Et à votre vie sur Paris ! - À la tête, au cul et que ça glisse ! - Ah ! Ca fait du bien. - Bon, c’est pas tout ça, mais on met quoi comme musique ? 43 The Death Song Ce matin ai rendez-vous à l’ANPE, désormais rebaptisé Pôle Emploi (allez savoir pourquoi). Vais aller parler de mon avenir. Décider, discuter de mon futur métier. Me faire conseiller par quelqu’un que je ne connais pas. Des semaines que j’attends ça. Pris mon rendez-vous sur le net. Pré-inscrit. Pré-inscription. Rendez-vous obligatoire pour finaliser, valider ma candidature : Veuillez vous présenter à l’agence la plus proche de chez vous, munis de ces documents en original et en photocopie. Toujours la même chose. Même papiers demandés. Chaque fois obligé de fouiller des heures pour les retrouver. Quand je les trouve. Ce qui n’arrive pas si souvent que ça. Organiser. Organise-toi ! Mis le réveil plus tôt. En avance dans le temps. En retard dans la préparation. N’ai presque rien fait. Rien préparé. Trouvé à peine la moitié de ce qu’il fallait. Imprimé mon cv hier soir à minuit et demie juste avant de me coucher. - C’est pas sérieux ! Non, ça l’est pas. Mais ai jamais été quelqu’un de sérieux, minutieux. 44 M’enfile en une bouchée mon petit-déjeuner et. C’est parti pour le rallye. Vive la course au fouillis ! Fouiller. Chercher. Papiers usagés. Papiers inutiles qu’on ne sait pourquoi on refuse de jeter. Sentimentalisme poussé ou bêtise irrattrapable, congénitale ? Tout retourner. Sens dessus dessous. Remettre l’endroit à l’envers. L’envers à l’endroit. Tout déplacer. Ouragan de papiers. Tempête administrative. Vole ! Vole ! Petit arbre coupé, dénaturé, déraciné. Reprends tes droits ! Regagne ta liberté ! S’échaufffffer ! S’énerver ! Ssssssstresser ! Ah putain, vais jamais les trouver ! - Calme-toi. Ne panique pas. Le rendez-vous est encore loin. L’heure n’est pas arrivée. Tu as tout le temps de chercher. - T’en est sûr ? Doute honteux. Vérifier. Allume en vitesse mon ordinateur. Me connecte sur le net : www.pertedetemps.fr Met sur le site de Pôle Emploi : Login et mot de passe. Aucunes idées. Test les habituelles combinaisons. Toujours les mêmes utilisées. Erreur ! Ressaye. Erreur ! Fait chier. Clique sur Mot de passe oublié et c’est comme si le net entier se marrait. Se moque, rigole, de cette guenille, même pas capable de se souvenir de son mot de passe. - Où crois-tu que tu vas pouvoir aller comme ça ? Le monde n’est pas fait pour les loosers comme toi. Secoue-toi un peu, nom de Dieu ! Entrez votre adresse mail. 45 Tape. Un message vient de vous être envoyé avec votre nouveau mot de passe. Parfait. Ouvre gmail. Connecter automatiquement (ouf). Clique sur leur lien... Rien. C’est quoi ce bordel ? Recommence. Une. Deux. Trois fois. Même résultat. Retourne sur Pôle emploi. Reprend la manipulation. Ressaye. Allez... Allez… Mon cœur bat à cent à l’heure tandis que la petite horloge tourne sur mon ordinateur. Réussi ! Vite. Pas le temps de se rassurer. Mon profil. Mon rendez-vous : Rendez-vous le 25/09 au 188 avenue Jeanl’olive pantin à 9h50. Quoi ? 9h50 ! C’est une heure plus tôt que ce je pensais ! Me reste que 15 min pour tout trouver, photocopier. Me préparer. Va falloir méga speeder. * 9h45. Arrive devant Pôle Emploi. Mon dossier (plus ou moins) 46 complet entre mes doigts. Appréhende un peu. Comment ça va se passer ? Ai pris de quoi patienter. Connaissant l’administration, ça risque d’être long. Très. Entre. N’ai aucunes idées d’où aller. Empreinte des escaliers. Pas de fenêtre. Pas d’ascenseur. Ça doit être au premier. Monte jusqu’aux quatrième, dernier étage. Pénètre dans un petit préfabriqué. Salle, faite, refaite à neuf il y a peu. Pue le plastique, mastic, fraîchement séché. M’attendais à entrer dans un complexe immense. Taille d’une multinationale. Pas le cas. Plafond très bas. Très simple local. À peine plus grand que la Poste d’à côté. Sensation d’oppression. Tous les bureaux sont cachés, regroupés au fond. Entassés. Comme s'ils avaient peur de se faire attaquer. La salle est à moitié vide. Au centre, milieu, trône un unique guichet. Une dizaine de personnes patientent, piétinent devant. Pas moyen de se tromper : c’est là qu’il faut se présenter. Surpris de constater qu’ici (à l’inverse de la Préfecture), on n’a pas besoin de ticket. (- Numéro 2 ! Numéro 2 ! - Je suis le numéro 182.) Aperçois au-dessus de moi un panneau flottant, indiquant : Si vous avez pris rendez-vous m erci de vous rendre au guichet directem ent Cool. C’est mon cas ! - Allez, allez ! Poussez-vous bande de gueux ! Je n’ai pas besoin de faire la queue ! Hésite. Examine le visage des gens devant moi. Ne me faut pas longtemps pour me rendre compte, que se serait de la folie de 47 les dépasser. 0. 100% de chance d’y rester. Préfère encore attendre. Sagement patienter. C’est bien meilleur pour la santé. Et puis après tout, il n’y a pas tant de monde que ça. Devrait aller vite. Devrait. Sauf que dans l’administration Française rien ne se passe jamais comme prévu : Papiers perdus. Rendez-vous annulés. Personnes oubliées. Collègue absent, traînant trop longtemps à la machine à café, Dossiers égarés, brûlés, - Désolé Monsieur, c’est mon chien qui l’a mangé. - Et bien vous devriez penser à le faire piquer ! On est pas la Spa nous. On s’en fout. Calcule intérieurement. Combien de temps une personne reste-t-elle au guichet ? Entre 2 et 15 minutes, si son cas est compliqué. Sens bien qu’ici tous les cas vont être compliqués. Peux donc compter 10 minutes par personne. Il y a exactement 8 personnes devant moi. Devrais donc atteindre le guichet dans.... Beaucoup trop longtemps. Fait chier. Si je loupe mon rendez-vous, suis bon pour attendre encore un mois avant d’en obtenir un autre. - Mais qu’est-ce que t’attends ? Impose-toi. Annonce-toi. T’es un homme ou une omelette ? Pourquoi t’hésites ? Y a marqué en gros en gras : si vous avez un rendez-vous, n’attendez pas. T’as rendez-vous oui ou non ? Ba oui. - Alors bouge ton cul et vas-y ! Présente-toi. Qu’est-ce qui te retiens ? Pourquoi tu te gênes ? Arrête de faire ton timide. Ose. Agis. Tu t’en fous des autres. Tu leur craches à la gueule. Pour 48 quoi ? Pour qui tu es poli ? La gentillesse n’a jamais rien amené. Tu devrais le savoir depuis toutes ces années. C’est pas ainsi que fonctionne notre société. C’est pas comme ça que ça marche. Pour moi si. - Viens pas te plaindre après… Commence à désespérer, lorsque. Entends une petite voix s’élever de derrière le guichet : - Excusez-moi : est-ce que quelqu’un à rendez-vous ? Sauvé ! - Oui, moi ! Moi ! Moi ! Là ! Moi ! Regardez-moi ! Là. Lève la main pour que la madame puisse bien me voir. Les 8 autres personnes devant moi en font de même. On a tous rendez-vous. Prévisible.... * Finalement ce fut moins long que prévu. Arrive au guichet tant attendu. - Bonjour Monsieur. Votre nom ? Lui donne. - Très bien. Veuillez patienter dans la salle d’attente. Désigne petit compartiment, juste derrière elle. Faux espoir. En fait ce n’était que le prélude. Début. Attente pré attente. Attendre debout pour pouvoir attendre assis. L’évolution en marche. On arrête pas le progrès. Entre dans la salle. Murs en verre. Transparent. À découvert. 5 autres personnes sont déjà là. M’assois. Sors mon mp3. 49 Écoute de la musique pour patienter. Observe mes compagnons de cellule. Camarades d’infortune. 3 Noirs et un couple d’Algériens : Bobigny oblige. Le couple est venu avec une poussette, mais nulles traces du bébé. Qu’est-ce qu’ils en ont fait ? L’auraient déjà mangé, noyé, étouffé, échangé, troqué, mis dans une machine à laver : L’enfant de 8 ans, que son père avait puni en l’enfermant dans la machine à laver est mort. Étonnant non ? Comme disait Jordy : dur dur d’être un bébé. Le mec en face de moi a l’air complètement désemparé. La première fois qu’il vient à Pôle Emploi ? M’étonnerait. Ne sais pas pourquoi, imagine toutes les personnes venant ici comme plongées dans la merde jusqu’au cou. Essaye de me mettre à sa place. Imaginer. Qui il est ? Qu’est-ce qui l’amène ici ? Marié. 2 ou 3 enfants. Sa femme a arrêté de travailler pour pouvoir s’en occuper. Seul à ramener de l’argent. Un salaire et 4 à 5 bouches à nourrir. Gagne à peine le SMIC. Pas suffisant. Paye tout juste le loyer. Obligé de prendre un boulot de nuit pour s’en sortir. Arrondir les fins de mois. Et puis il s’est fait virer. Pas de sa faute. Licenciement économique. C’est la vie. C’est la crise. Récession oblige, ils doivent faire des réductions de personnel. Faire du tri. Ne garder que les meilleurs. Les plus jeunes. Les plus performants. L’élite. Se débarrasser des autres. Sélection naturelle. Les gros poissons mangent les petits. C’est la vie. Alors il se demande comment ils vont faire ? Pour manger. 50 Pour payer. L’eau, l’électricité. Et les crédits qu’il faut rembourser : la voiture, le frigo, la machine à laver… Crainte. Peur. Terreur. Ça y est. Cette fois c’est sûr, tu ne pourras pas en réchapper. Ils vont envoyer l’Huissier. Alors tu doubles tes efforts. Passes tes journées à faire du porte à porte pour déposer des cv. Traînes sur le net pour répondre aux offres de travail. Sans succès. Alors tu t’inscris à Pôle Emploi. Tu prends rendez-vous avec un conseiller. Peut-être que lui, il pourra t’aider. Peut-être qu’il pourra te sortir de ce merdier. Et tu attends. Courbé sur ta chaise. Le visage à moitié dissimulé sous ta barbe d’un mois. Tu attends. Tu as la foi. Est-ce cela qui m’attends ? Avenir promis. Miroir temporel devant mes rétines. Deviendrais-je comme ça moi aussi ? Bien partis. Bon départ dans la vie. Active. 21 ans et déjà chômeur. À peine sortis des études et déjà dans la merde. Licence en main, mais rien dans les poches. À quoi cela m’a-t-il servi ? Faire des études : perte de temps. Gâcher les précieuses, plus belles années de ma vie. M’a menti. Ce n'est pas ce que l’on me disait lorsque j’étais petit. Tromperies ! La fac ne sert à rien, j’en suis la preuve vivante. Prétexte ! Supercherie ! Faire croire aux pauvres qu’ils ont une chance. Donner le change. Masquer la réalité économique. Si tu veux 51 réussir dans la vie il faut être tuner. Raquer. Soit riche et instruis-toi. Tais-toi ! Paie. Paie. Paie ! Ou. Crève. La tête dans ta flaque. Le nez dans ta merde. Sale gueux. Bouseux. Sale guenille. Aboule, maboul le fric, la monnaie. Sale déchet. Tu ne vaux pas un dixième de mes pets. Ramasse ma merde et non, ne la mange pas, ça reste encore trop bon pour toi, petite enflure. Pas d’études. Pas d’avenir pour les pauvres. Payez. Payez. Faire des prêts. Se faire avoir. S’endetter pour des années. Crouler. Bravo ! Ca y est ! Tu t’es fait enfiler par la société. Emprisonner à perpétuité. N’espère pas. Ne crois pas que tu pourras en réchapper. Le Capitalisme veille, surveille. Pas d’autres libertés que celles qu’il a décidées. Destin tout tracé. N’avoir pas le choix entre une éducation (plus ou moins) gratuite, mais complètement pourrie et une éducation décente, qui t’obliges à vendre ton cul, tes organes pour pouvoir la payer. 7 à 10 milles euros l’année. Pendant 3 à 5 ans. Mais où ils vont les chercher ? Sinon il y a les concours. Lieux de perdition. Débauche. Bafouer toutes les belles valeurs que l’on a essayé de nous inculquer. Concurrence à tout instant. Allez-y ! Tous les coups sont permis ! Crier. Sauter. Hurler. Tout est bon pour déconcentrer. Empêcher les autres de noter. Sélection ! Tout n’est que sélection ! Pas de quartier. Pas de possible amitié. Rituel d’entrer, d'insertion dans leur putain de communauté. Bizutage. Interdit, mais largement pratiqué. Fornication. Humiliation. Forcer sur la boisson. Bois ! Bois ! Bois si t’es pas un pd ! Porte tes couilles. Bousille ton foie. Bousille-toi. Tel est la loi. - Monsieur Ibrahim ! C’est vous! Le mec à côté de moi se lève et suis un conseiller. La cinquantaine. Petit. Le corps couvert de rides. Deux hublots à la place des yeux. Ce pauvre grand père devrait être parti à la retraite depuis longtemps. Depuis combien d'années travaille-til ? 30 ? 40 ans ? Et qu’est-ce qui lui restera ? Une retraite 52 misérable. À peine de quoi manger. Obligé de compter sur la générosité de ses enfants pour survivre. Sauf que les enfants n’ont pas d’argent et en ont plus rien à foutre. Suis plus vraiment sûr de vouloir trouver un travail… Réalise soudain que le mec qui vient d’être appelé est arrivé après moi. C’est quoi ce bordel ? Regarde autour de moi et remarque qu’il ne reste plus personne des gens avec qui je suis arrivé. Tout le monde a été appelé. Suis le dernier. Qu’est-ce que ça veut dire ? Me lève. Vais réclamer des explications au guichet. - Excusez-moi, mais je me demande si on ne m'aurait pas oublié. - Non, Monsieur on ne vous a pas oublié. Veuillez retourner vous asseoir. - D’accord. Obéis bien gentiment. Commence sincèrement à me faire chier. Rien à faire. Poiroter. Pas patienter. Fixer. Regarder les aiguilles de l’horloge tourner. Me rappelle les cours en amphis. Longues heures mortelles d’ennuis. Tout au fond assis, pour pouvoir discuter, déconner. Les premiers rangs étaient toujours désertés. Seuls les fayots s’y mettaient. Au début j’écoutais. Essayais. À l’arrivée. En première année. Et puis ai vite arrêté. Quand ai remarqué les cours et leurs qualités. Ai tout de même appris quelques trucs, les premiers mois. La base. Le b.a.-ba quoi. Mais une fois qu’on a su ça, se fut terminé. Nous restaient deux années de cours et avaient plus rien à nous enseigner. Alors ont innové. Comblé. Répétition en 53 répétition de répétition. Cours à la con, sans queue ni tête. Apprenait aussi bien en surfant sur le net. Amenait tous nos ordis. Dieu bénisse la Wi fi. Des heures à traîner sur Facebook. Parler avec ses potes qui sont assis deux rangs en dessous. Glander. Regarder des vidéos de merdes (coréens reprenant les tubes des années 80, bouseux faisant des conneries devant leur webcam ou le meilleur du pire de Nicolas cage). C’est fou tout (le porno) ce qu’on trouve sur la toile. Véritable usine à merde. Ai l’impression qu’avec l’apparition de You Tube, les gens ont pétés un câble. Tout le monde s’est mis à faire n’importe quoi et à le filmer. Diffusion instantanée. Être regardé par la terre entière. Faire le buz. Des millions de vue. Emploi grassement rémunéré. Seul moyen de se faire connaître désormais. Ringard la télévision. Dépasser de sucer, coucher. Aujourd'hui si tu veux réussir il faut te filmer. Au plus c’est étrange, bizarre, dégueulasse, dérangeant et au plus ça a des chances de marcher. Me fait penser à la télé réalité ... - Monsieur ! C’est à vous ! À bas enfin. 10h40. Presque une heure que je poirote ici. Une dame. La trentaine. Assez jolie dans son tailleur coincé, ultra-serrée. L’aire frigide. Me demande depuis quand elle a pas baisé. - Bonjour, je m’appelle Monique. - Bonjour. - Veuillez me suivre dans mon bureau. À vos ordres m'dame ! - Je suis désolé pour l’attente. Mes collègues ne m’ont pas prévenue que vous étiez arrivé. Sans blague. Putain d’incapable ! - Ce n’est pas grave. La suis. Franchis une porte et. Découvre la vérité. There is no Dark Side of the Moon. 54 Partie cachée de l’iceberg. Avale la pilule rouge. Traverse de l’autre côté. Des dizaines de bureaux s’étendent devant moi, soigneusement rangés les uns à côté des autres. Les uns en face des autres, séparés par un immense couloir. Est pas si petit que ça au final. Cache bien leur jeu. Monique entre dans un bureau. Le sien sûrement. Aucuns indices ne peut me renseigner. Semblable en tout point aux autres. Réplique parfaite. Copie conforme. Aucuns effets personnels. Seulement le strict nécessaire : bureau, chaises, ordis, papiers, stylo, imprimante, lampe. Le kit de survie du bon petit fonctionnaire. - Asseyez-vous, je vous en prie. M’exécute. Docile. Me tourne le dos. Son cul moulé m’excite. Quelles sont les chances que j’ai de la prendre en levrette sur son bureau ? - Assez faible. Suis sûr pourtant qu’elle n’attend que ça. - Est-ce que vous avez bien amené tous les papiers ? - Heu, oui… Je crois. - Et bien voyons ça. Alors : dossier d’inscription, carte vitale, RIB, carte d’identité. C’est bon. Tout y est. - Je n’ai pas pu faire de photocopies par contre, je suis désolé. - Ne vous en faites pas. Je vais m’en charger. Donc c’est la première fois, que vous vous inscrivez au Pôle Emploi ? - Oui. - Et cela est dû à quoi ? Un licenciement ? - Non. Je viens de finir mes études et donc je cherche un premier emploi. - Vous n’avez jamais travaillé avant ? - Si, mais je gagnais pas beaucoup. - C’est-à-dire ? - Pas assez pour le déclarer. - Ne vous préoccupez pas de ça. Vous avez donc déjà eu un 55 emploi. Que faisiez-vous ? - Je bossais pour une boîte d’intérim. Je faisais de la distribution de journaux. - Et vous avez fait ça combien de temps ? - 2 ans. - Ah oui, quand même. - Mais par intermittence. - Et que s’est-il passé pour que vous arrêtiez ? - Rien. J’en avais marre. C’est tout. - D’accord. Je ne vais pas vous inscrire comme premier emploi, mais plutôt pour une fin d’intérim. - Heu... Parce que ça change quoi ? - Cela change combien d’aide vous pouvez avoir le droit. - Et donc à quoi j’ai le droit ? - Pour l’instant à rien. Je ne peux pas enregistrer votre dossier, car il n’est pas complet. - Comment ça ? Je croyais que tous les documents y étaient. - Dans le cadre d’un premier emploi oui, mais là comme vous avez déjà travaillé, il me faut vos attestations de travail. - Je crois pas que je les ai. - Il faut que vous demandiez à votre ancienne boîte de vous les fournir. - Ba je les appellerai et je vous les ramène dès qu’il me les donne. - De toute façon, il faudra que vous nous renvoyez le dossier en entier. - Pourquoi ? Je vous ai tout amené. Il ne manque qu’un seul papier ? - C’est la règle. On ne prend que des dossiers complets. Ça évite de perdre des papiers. - Ça veut dire que vous ne pouvez pas m’inscrire ? - Si, ne vous inquiétez pas. - Ah… - Et donc quel métier recherchez-vous ? 56 - Régisseur. Régisseur lumière exactement. - Très bien. Vous auriez un cv ? - Oui j’en ai pris un. Tenez. - Merci. Donc voyons voir… Vous avez une licence c’est ça ? - Oui, de cinéma. - Et vous l’avez finie ? - Oui, j’attends plus que de recevoir mon diplôme. - Très bien. Et donc après, vous avez fait un stage c’est ça ? - Oui, c’était mon stage de fin de licence - Un stage de 2 mois en tant que régisseur. - Oui. - Rémunéré ? - Non. - Et à part ça ? Avez-vous d’autres expériences dans le domaine de la régie ? - Ba je suis régisseur dans ma propre compagnie. - Vous avez votre compagnie ? - Oui. - Depuis combien de temps ? - Je viens à peine de la créer. J’ai envoyé les statuts au ministère et j’attends la confirmation là. - Il faut le préciser ça. Ça compte pour le calcul de vos droits. - Mais je ne me rémunère pas. - Ah... Et rien d’autre ? - J’ai fait un peu de régie pendant ma licence l’année dernière. On avait un court de théâtre. - Donc en expérience, qu’est-ce que je mets : un an ? - Ouais un an… Enfin un peu moins : un an presque quoi. - Et au niveau des langues ? - Je parle bien anglais. - Qu’est-ce que vous entendez par bien ? - Je parle presque couramment. J’ai fait un semestre en Irlande. - Une deuxième langue ? - J’ai des notions d’Espagnol. 57 - Des notions ? - Je comprends bien, mais je parle très mal. - Hum… Il faudrait le mettre en gras ça sur votre cv. - Que je parle mal ? - Non, vos capacités en langues. Un cv doit pouvoir être parcouru en une seconde. On doit voir tout de suite les informations importantes. Vous devez l’aérer. Et puis changer l’ordre. On met d'abord les compétences en premier, ensuite l’expérience et enfin les diplômes. - D’accord. Heu... Vous auriez de quoi noter ? - Tenez prenez mon stylo. - Merci... Donc vous m’avez dit : compétences en premier… - L’expérience et les diplômes. Je vais regarder sur le site, les offres qui peuvent correspondre à votre profil. Alors : régisseur... - Lumière. Précisez bien, parce que je n’y connais rien en Son. - Régisseur lumière. Ça charge. … - C’est bizarre. Ce n’est pas aussi long d’habitude. Attendez je vais réessayer. … - Ah. Il a buggé ! Il faut que je le fasse redémarrer... … - Bon, il ne redémarre pas. Visiblement il ne veut plus rien savoir. - Comment on fait alors ? - Il faut attendre. Des fois il repart tout seul. - Des fois ? … …….. …………… - Ah ça y est ! Il reprend ! - Tant mieux. - Je relance la recherche, en espérant que ça ne bug pas cette 58 fois. - Oui, ça serait bien. - Regardez sur l’écran ce qu’il a trouvé : Électrotechnicien. Technicien plateau. Régisseur d’exploitation viticole. Régisseur de recettes. Régisseur d’immeuble. Il n’y a rien qui semble correspondre. - Non visiblement… Et donc ? - Il n’y a pas grand-chose à faire. Il faut attendre. Vérifiez le plus souvent possible. Peut-être que des offres se présenteront. Vous avez accepté de recevoir les alertes ? - Oui par mail et téléphone. - Parfait. Vous serez donc directement au courant si quelque chose se présente. - Et c’est tout ? - Non, je vais envoyer votre profil au Pôle Emploi Spectacle. - Le Pôle Emploi Spectacle ? Ça existe ? - Oui, bien sûr. - Et c’est quoi la différence ? - C’est la section réservée pour tout le domaine du spectacle. Ce seront les plus à même de gérer votre dossier. - Je dois donc reprendre un rendez-vous avec eux ? - Non, ce n’est pas la peine. - Ah. - Voilà. Votre profil a été transféré. - D’accord. - Par contre, il faut bien que vous compreniez que l’inscription au Pôle emploi vous donne des droits, mais aussi des devoirs. - C’est-à-dire ? - Vous êtes tenu de nous préciser chaque mois si vous êtes toujours à la recherche d’un emploi. Dans le cas contraire votre profil sera automatiquement désactivé. - Ok. - Et veuillez aussi nous informer, si vous êtes amené à quitter la capitale plus de 7 jours. 59 - D'accord. - Est-ce que vous avez des questions ? - Oui… Je voulais savoir. Pour mon métier, j’aurais besoin de passé des habilitations électrique, mais malheureusement ça coûte trop cher et je n’en ai pas les moyens. Je voudrais savoir s’il est possible que Pôle Emploi m’en finance une partie ? - Non, je ne crois pas. Vous pouvez toujours essayer de faires une demande, mais elle vous sera sûrement refusée. C’est presque certain. Encore si vous n’aviez pas eu de licence peutêtre. Mais là, je les connais ils diront non. - Heu… - Vous avez d’autres questions ? - Non, c’était tout. - Très bien. Je vais vous raccompagner. * - Et voilà. Au revoir. Bonne journée. - Merci au revoir. Passe la porte. Sors. Un peu d’air. Ça fait du bien. Entretien terminé. Quelle heure il est ? 11h19. La matinée est déjà finie. Rendez-vous plus qu’inutile. Aurais dû rester dans mon lit. Conclusion : ai gâché 3h de ma vie. 60 Holidays in the Sun C’est décidé ! Le week-end prochain, descends à Montpellier. Me bouge, move le ass. Vais voir Jessie, ma chérie. M’y prends à la dernière minute. Va me coûter un bras, mais tant pis. Quand on aime, on compte pas. Pensais pas descendre si tôt. C’est vu y a deux semaines à peine. Essaye économiser, histoire de pouvoir tenir toute l’année. Mais elle m’a demandé. A vraiment envie de me voir. Se sent pas bien. C’est difficile pour elle en ce moment. A tout quitté pour aller dans une ville où il n’y a personne qu’elle connaît. Compte sur mon soutien. A besoin de moi. Moi aussi. Ai besoin d’elle. C’est fou à quel point la distance peut faire mal. Suis libre de toute façon. N’ai rien prévu du week-end. No obligation. Va sur le site de la SNCF : Réservez un billet de train : 61 2nd classe. Trajet direct Départ : Paris Gare de Lyon Arrivé : Montpellier Saint-Roch Passager : 1 Passager 1 Age 12-25 ans Aller le : 21/09/2012 A partir de : 06h Cartes et abonnements carte 12-25 Programme de fidélité : aucun Retour le : 23/09/2012 A partir de : 20h Rechercher Nous recherchons les prix disponibles Merci de patienter quelques secondes Résultats : Premier train à 06h05 : 70 euros. Arg… Train suivant à 07h15 : 85 euros. Train d’après à 08h07 : 74 euros. Putain, c’est pas vrai, y a rien à moins de 70 euros ! 62 FLEXIBLE SUR VOS DATES ? Trouvez les meilleurs prix sur un mois Pourquoi pas. Peut être une bonne idée. Suis flexible sur mes dates. Rien qui me retient. Pourrais descendre en semaine. Sauf que. Elle sera en cour. Pourrait se voir que le soir. Donc laisse tomber, aucun intérêt. Choisis mon aller (70 €) et mon retour (75 €) Total : 145 € Compter : 3h30 de train (si tout va bien). Pars vendredi matin à 6h05 et reviens dimanche à 00h34. Vrais horaires de merdes. Seuls horaires pas trop chers. Vais pas beaucoup dormir, mais tant mieux. Au prix où je paye, préfère rester le plus longtemps possible là-bas. Ai tout le reste de la semaine pour pioncer, rattraper. Partir très tôt et rentrer très tard, c’est le meilleur moyen pour pouvoir vraiment profiter d’un séjour. Valider votre réservation 1.1Choisissez comment retirer votre billet Service imprimant e-billet vous-même : Gagnez votre du temps en confirmation e- billet.* Et payez cet achat avec le système 3DSecure. Tout savoir sur 3DSecure. Borne Libre Service (Gares de France et 63 Luxembourg uniquement) : La carte bancaire utilisée pour le paiement doit être en cours de validité au moment du retrait, le code secret vous sera demandé. * Retrouvez la Borne Libre Service la plus proche Gare ou boutique : La carte bancaire utilisée pour le paiement doit être en cours de validité au moment du retrait, le code secret vous sera demandé. ATTENTION : En choisissant ce mode de retrait, vous ne pouvez pas utiliser de cartes virtuelles. Pour un retrait de billet hors de France, des frais supplémentaires seront facturés sur place, consultez les informations utiles. * Retrouvez la gare ou boutique la plus proche Ou posez une simple option et payez plus tard Option : Réservez dès maintenant et confirmez votre billet avant le 20/09/2012 à 6h05 64 Choisis le retrait à la Borne. Espère juste que ça buggera pas comme l’autre fois. Machines pourries. Peut jamais compter dessus. Marche quand ça veut. Une fois sur deux. Faut que je pense à aller retirer mon billet en avance au cas où. 2. Vos Coordonnées Vos références de dossiers vous seront envoyées par E-mail. Elles seront indispensables pour retirer ou imprimer vos billets. Civilité* Nom * Prénom * E-mail * Confirmez votre e-mail * Format de réception * Téléphone * Champs obligatoires 3. Conditions générales : En cochant cette case, je reconnais avoir pris connaissance des Conditions Générales de Vente SNCF, ainsi que des Conditions Générales de Vente et d'Utilisation du site voyages-sncf.com et je les accepte. Continuer votre commande. 65 Sélectionnez une carte ci-dessous pour payer votre réservation. Les symboles indiquent que votre transaction est sécurisée, vous pouvez remplir votre formulaire en toute confiance. Numéro de carte * Expire fin* Code de sécurité * Il est constitué des 3 chiffres inscrits au dos de votre carte bancaire Valider votre paiement. Valider. Et c’est bon ! Note ma référence de dossier. M’a jamais servi, mais préfère pas prendre de risque. Un mail de confirmation vient de m’être envoyé. Parfait. Plus qu’à attendre vendredi prochain maintenant. * 5h50 Arrive à Gare de Lyon Rentre dans le hall 1. 66 Bondé. Des personnes grouillent à droite, à gauche. Attendant. Leur sac sur le dos. Valise à la main. Les yeux rivés sur le tableau. Et moi qui pensais qu’à cette heure-là il n’y aurait personne ! Erreur. À Paris il y a toujours du monde. Avance, cherche mon train sur le panneau central. 6947 – Destination de Montpellier St Roche : 1h de retard. Quoi ? Me stop, net. Tous les trains au tableau de bord ont entre 1h et 1h30 de retard. Comprends pourquoi y a autant de monde ! Putain mais qu’est-ce qui s’est passé ? Y a eu une bombe ? Un attentat ? Les rails ont été détruits par une invasion extraterrestre ? Mesdames et messieurs, en raison d’un accident de personne survenu sur la ligne Paris-Marseille, les trains en provenance du Sud sont prévus avec un retard d’environ une heure. Accident de personne. Traduisez : gars découpé. Suicide. Du sang, des tripes répandues de partout. Des bouts de cervelle qu’ont giclés dans tous les sens. Forcément Accident de personne ça fait plus propre. Plus pro. Peut faire genre comme ça. Croire que c’est juste quelqu’un qui s’est foulé la cheville. Croire que la personne va bien. Putain 1h de retard (en espérant que ça soit pas plus). Devrais arriver vers… 10h30. Font chier. 67 À 145 euros les 3 jours (72 heures), peux te jurer que chaque heure est précieuse. La bonne nouvelle c’est que normalement je pourrais me faire rembourser le billet. Mais qu’est-ce que je vais pouvoir faire moi pendant 1h ? Tourne. Cherche. Que faire… Pas assez de temps pour rentrer chez moi. Dormir. Continuer ma nuit. Appeler quelqu’un ? Qui ? Il est 6h. Tout le monde dort. Suis seul idiot levé. Ai un livre dans mon sac. Peux me poser et lire. - Oui, mais où ça ? Pas un seul siège de libre. M’éloigne de la foule. Me pose dans un coin. Un peu à l’écart. Cherche un endroit pas trop sale et m’assois sur le sol. Seule solution. Vais pas rester 1h debout. Ouvre mon sac. Sort mon bouquin. Reprends où j’en étais. « Le taxi que j’ai pris était un vieux tacot qui sentait comme si on avait dégeulé dedans. Si je vais quelque part tard le soir c’est toujours dans un de ces trucs vomitifs. En plus, dehors, c’était tout calme et vide, spécialement pour un samedi soir. Le taxi que j’ai pris était un vieux tacot qui sentait comme si on avait dégeulé dedans. Si je vais quelque part tard le soir c’est toujours dans un de ces trucs vomitifs. En plus, dehors, c’était tout calme et vide, spécialement pour un samedi soir. Le taxi que j’ai pris était un vieux tacot qui sentait comme si on avait 68 dégeulé dedans. » M’endors. Tourne en boucle. Lis toujours les mêmes lignes. Mes yeux se ferment tout seul. Trop fatigué. Aurais bien besoin d’un bon gros café. Ai vu un Starbuck tout à l’heure. Va te prendre un truc, ça va te réveiller. - T’es con sont pas ouvert à cette heure-là ! Avais pas pensé. Tant pis. Vais devoir me passer de café. Baille. Me secoue. Frotte les yeux et reprends ma lecture : « Le taxi que j’ai pris était un vieux tacot qui sentait comme si on avait dégeulé dedans. Si je vais quelque part tard le soir c’est toujours dans un de ces trucs vomitifs. En plus, dehors, c’était tout calme et vide, spécialement pour un samedi soir. Le taxi que j’ai pris était un vieux tacot qui sentait comme si on avait dégeulé dedans. » * 7h10. Le train est là, prêt à partir. Enfin ! Attends. Prends ton temps. Te précipites pas dedans. Laisse passer la meute. Gros lourdauds à sac à dos. Se précipitent tous ensemble sur le quai. Tous plus pressés les uns que les autres. 69 En attendant que ça se dégage, Prends mon portefeuille. Sors mon ticket. Le passe dans la machine à composter. Bip Bip : Veuillez retourner votre ticket. Change de sens. Bip Bip : Veuillez retourner votre ticket. Change de sens. Bip Bip : Veuillez retourner votre ticket. Ah, mais c’est pas vrai ! Putain de machine. Change de sens. Scratch : Ticket composté. Quand même ! Vérifie où suis assis : wagon 5, place 25. Le flot des gens est presque fini. M’avance sur le quai. Regarde le numéro de wagon : 1 Ouf, c’est bon. Vais pas avoir besoin de marcher 20 000 ans. Avance. 2 3 4 5. Entre. Train à deux étages. En bas : numéro 1 à 40 En haut : numéro 41 à 86 Dung Dung Dung. « Mesdames et messieurs, merci d’avoir pris place à bord du TGV 6947 à destination de Montpellier Saint-Roch. Ce train desservira les gares de Valence TGV, Nîmes et Montpellier sont terminus. Nous vous rappelons que l’étiquetage des bagages est obligatoire, afin que ceux-ci ne soient pas considérés comme des colis abandonnés. Pour le confort de 70 tous, nous vous invitons à passer vos coups de téléphone sur les plateformes destinées à cet effet. Afin de vous restaurer, un wagon bar est mis à votre disposition voiture 4. Dans quelques instants un contrôleur passera dans les wagons, veuillez le tenir informé si vous n’avez pas pu composter votre ticket. » Comme d’habitude, des gens stationnent dans le passage. Pousse. Heureusement que n’ai pas de valise, m’évite de trop galérer. Entre dans le compartiment. Cherche ma place. Une femme est assise dessus. - Excusez-moi Madame, mais je crois que vous êtes assise à ma place. - Quoi ? - Vous êtes assise à ma place Madame. - Non, pas du tout. Place 25, wagon 5. Je suis à la bonne place, Monsieur. - Vous êtes sûr ? - Oui. - Je ne comprends pas. Regardez mon billet c’est bien ce qu’il y a marqué : voiture 5, place 25. - Sur le mien aussi. - Vous pouvez me montrer votre billet. - Tenez. - Place 25, voiture 5 effectivement, je ne… Ah, mais voilà ! - Quoi ? - Madame, vous n’êtes pas dans le bon train. - Comment ça ? Ce train va bien à Montpellier non ? - Oui, mais vous êtes dans le train de 7h. Le vôtre n’est que dans une heure à 8h. Vous n’êtes pas dans le bon train. Vous avez une heure d’avance. Regardez ! - Ah, oui. En effet. Excusez-moi. - C’est pas grave. - Désolé. 71 Prend ses affaires et s’en va. Gens savent vraiment pas lire. M’assois. Dung Dung Dung : « Mesdames et Messieurs le départ de notre train est imminent, les personnes accompagnant les voyageurs sont priées de bien vouloir descendre du train. Attention à la fermeture des portes. Toute l’équipe SNCF membre de l’alliance Railteam et moimême vous souhaitons un agréable voyage.» Merci ! Vais enfin pouvoir pioncer un peu. * 10h34 Arrive à Montpellier. Train pas encore arrêté, que déjà les gens sont prêts à partir. Attendent fébrilement debout devant les portes. Dung Dung Dung « Mesdames et messieurs dans quelques instants notre TGV va arriver en gare de Montpellier Saint-Roch. Montpellier SaintRoch terminus de ce train. Assurez-vous de n’avoir rien oublié à votre place avant de descendre. Nous vous souhaitons une agréable fin de journée. » Les portes s’ouvrent et ça se bouscule pour sortir. Regarde ce triste spectacle, confortablement assis sur mon siège. Comprendrais jamais les gens je crois. Me lève, range tranquillement mes affaires et descends du train. Pas fait deux pas qu’une meuf m’agresse, un questionnaire à la main. - Voulez-vous répondre à mes questions ? 72 Un bonjour aurait été approprié. - Heu… - Comment c’est passé votre voyage ? Apparemment pas le choix. - Quel votre nom ? Âge ? Date de naissance ? Lieu de résidence ? Statut ? Étudiant hein vu votre dégaine. Vous êtes ici pour affaire ? Non je ne pense pas, vacances plutôt. Alors...vacances. Mais pour qui elle se prend cette salope. C’est quoi cet interrogatoire. Est de la police ou quoi ? - Où étiez-vous samedi dernier à 23h34 ? Que faisiez-vous ? Qui êtes-vous ? Pourquoi avez-vous tué ? Quelle est la couleur de vos yeux ? Vos mensurations ? Vous êtes célibataire ? En couple ? Sans enfant ? Fréquence des rapports sexuels ? Taille du pénis ? Puissance de l'éjaculation ? À peine finis de répondre à ses questions à la con, qu’elle se jette sur quelqu’un d’autre. - Madame ! Avez-vous fait bon voyage ? En quelle classe étiezvous ? Seconde ? Ouf… Délivré. Continue mon petit bonhomme de chemin en essayant de me calmer. Déteste qu’on m’accoste comme ça. Prends les escalators. Sors de la gare et aussitôt mon moral remonte. Dehors fait super chaud. Croirait en plein mois de Juillet. Le soleil brille de 1 000 feux. Le ciel est parfaitement bleu. Pas un seul nuage à l’horizon. Dans les rues peu de voitures. Presque pas de bruits. Ça change de Paris. Dépaysement. M’avance dans la ville timidement. Inconnu perdu. Étranger fraîchement arrivé, qui doit apprendre à se repérer. Connais un peu la ville pour y être déjà venu cet été visiter des 73 logements. Mais de pas grand-chose quoi. Le minimum syndical. Devrait cependant pas être trop compliqué. Jessie m’a fourni des indications ultra-détaillées. N’ai qu’à les suivre. Alors d’abord doit prendre le Tram 4 pour aller chez elle. Direction Saint-Denis. Arrêt : station Garcia Lorca. Passe déposer mes affaires (m’a laissé la clé sous le paillasson). Faire un brin de toilette et me reposer un peu si je veux (si je peux surtout). Puis dois repartir, la rejoindre à son école. A cours toute la journée, mais peut se voir pendant sa pause déjeuner. C’est donné rendez-vous à 12h pile. Pour aller à son école dois reprendre le Tram 4 en sens inverse (direction Albert 1 er) jusqu’à la gare et là prendre le Tram 1 direction Mosson et m’arrêter à la station Malbosc. Sais pas combien coûte le ticket de tram ici, mais vais prendre un passe pour la journée. Sera bien plus rentable je pense. Ai moins d’une heure et demie pour tout faire. Faut pas trop que je traîne, ne sachant pas combien de temps de trajet j’ai. Encore faut-il que je trouve l’arrêt de tram. * 11h30. Arrive à Malbosc. Ai 30 min d’avance. Parcours. Tourne un peu autour de la station. 74 Aperçois rien. Arrêt perdu au milieu de nul part. Rien à faire. Me pose à côté du tram, notre point de rendez-vous. Fatigué. Pas réussi à dormir dans le train. Pas eu le temps de me reposer chez Jessie. Eu le temps de rien faire. Entrer et sortir. Obligé de courir. En peux plus. Le soleil me tape sur le crâne. Suis pas habitué à tant de chaleur. Aperçois un petit carré d’ombre sous un arbre. Me réfugie en dessous. M’allonge sur l’herbe rêche, typique des régions arides. Ah ! Se laisser aller. Reposer. Le casque sur les oreilles, Me laisse bercer par la voix mélodieuse de Natasha Kan. Fermer les yeux Attendre... Repos de courte durée. Brutalement réveillé par des cris d’enfants. Rouvre les yeux. Une mère et ses trois garnements se sont posés juste à côté de moi. Pas le choix. Seul endroit à l’ombre. Seul petit bout de terrain sur des kilomètres où l’on peut avoir une chance de pas cramer. Attendent le prochain tram je suppose. Ne me sens pas tranquille avec eux juste aussi près. Pas moyen de se reposer. 75 Me sens pas en sécurité. Quelle heure il est ? 11h55. Jessie ne devrait plus tarder à arriver de toute façon. Prends le temps de les observer. Détailler. S’agit d’une famille tout ce qu’il y a de plus banale (si tant est que ça existe) : 2 fils, 1 fille. L’un des frères joue avec sa sœur (comprendre la taquine, l’embête, la fait chier, chialer comme seul un frère sait le faire), tandis que l’autre s’amuse avec le téléphone de sa mère. M’intrigue. - Qu’est-ce qu’un gosse de 5 ans peut y comprendre ? Est-ce qu’il voit ça comme un jouet ou bien sait-il déjà comment s’en servir ? Les iPhones ont remplacé les super-héros dans les mains de nos petits trésors. La technologie a remplacé la magie. Pourront-ils un jour comprendre ce qu’est la poésie ? Préfère ne pas regarder. Détourne les yeux. Et alors, La vis arriver. Au loin, seule sur le chemin déserté. La distingue à peine. Vague ombre dans le lointain. Mais sais que c’est elle. Silhouette familière. Unique. Le dos courbé par son énorme sac à dos, pesant presque aussi lourd qu’elle. Les jambes collées et avançant très doucement, pas après pas, comme si elle ne marchait presque pas. M’élance à sa rencontre. Le regard perdu dans ses pensées, elle ne m’a pas encore remarqué. Continue de m’approcher. Relève la tête et m’aperçoit. 76 Me sourit. - Salut. - Salut. On s’embrasse. * - Ca va ? - Oui et toi ? - Oui. Maintenant que je suis avec toi. - Ça a été ta matinée. Pas trop chiant ? - Non, non. Ça va. Un peu déprimant les cours mais bon... - Comment ça ? - On a vu les différentes paralysies qu'on pouvait avoir : paraplégies, tétraplégies, les muscles qui ne peuvent plus fonctionner par rapport au niveau d'atteinte de la colonne vertébrale. Ça m'a mis le morale dans les chaussettes... Tu te dis, la vie, la santé, c'est précieux. Il suffit d'une mauvaise chute et puis bam ! T’es en fauteuil roulant à vie. - Oui. - C’est triste. - C’est la vie. - C’est triste la vie… Et toi alors, ça été ton voyage. - Oui, écoute. Sans problème. - T’es pas trop ennuyé dans le train ? - J’ai pas eu le temps, j’ai dormi tout le trajet. Me suis réveillé en arrivant à Montpellier. - Ba tant mieux. Et pour venir ici ? T’as trouvé facilement ? - Oui, oui. Tes indications étaient super claires. - Et alors, comment tu trouves mon appart ? - Bien franchement. Ta chambre est super sympa et le jardin est classe. 77 - Faut que je passe un coup de râteau pour enlever les feuilles mortes. Il ressemble à rien là. On dirait une forêt vierge. - Mouais… Moi je l’aime bien comme ça. - Tu sais qu’on a pas vraiment la même notion du rangement. - N’empêche que je suis bien content que tu ai choisi cet appart au final. T’y seras très bien je pense. - Oui, je pense aussi. Mais la proprio est vraiment casse couille. - Pourquoi ? - Mais parce que… Elle est super exigeante. Genre, on a pas le droit de changer les meubles de l’appart. - Ba… Ça encore je comprends. - Et elle veut pas qu’on invite de gens à dormir. - T’es sérieuse ? - Oui ! Elle me saoule trop je te dis. En plus elle arrête pas de passer à l’appart pour changer des trucs sans me prévenir. C’est flippant. Quand je rentre après j’ai l’impression de m’être fait cambrioler. - Et je fais comment moi du coup si elle veut pas que t’invites de personne à venir dormir ? On va quand même pas aller à l’hôtel ? - Mais non t’es con ! On s’en fout. On l’emmerde. J’ai le droit d’inviter mon copain. - Mais si elle débarque à l’improviste et qu’elle me voit ? - On verra écoute. On improvisera. Et puis y a quand même peu de chance qu’elle passe ce week-end. Elle m’avait dit qu’elle ne peut se déplacer que dans la semaine. - Ouais… J’aime quand même pas trop ça. - Ah, mais t’inquiètes pas. Bon, mais tu veux manger quoi ? - J’sais pas. Tu manges où d’habitude toi ? - J’ai déjà ma bouffe moi. Je me suis fait un Tupperware ce matin. Ça me coûte trop cher de manger dehors le midi. - Ba… Je peux manger où alors ? Qu’est-ce qu’il y a dans le coin ? - Ba là t’as une boulangerie, c’est bon, mais c’est cher. 78 - C’est une boulangerie quoi. Et sinon ? - T’as un supermarché un peu plus loin ou alors t’as la pizzeria qu’est juste là. - Ouais, on va éviter la pizzeria. J’suis déjà assez gros comme ça… Ba va pour la boulangerie écoute. J’ai envie d’un sandwich. - Ils ont une terrasse, tu veux qu’on mange sur place ? - Pourquoi pas ? Tu connais un endroit sympa sinon ? - Avec mes copines généralement on se pose dans le coin, un peu plus bas. C’est sympa. T’as un peu d’herbes pour t’allonger et c’est à l’ombre. - Ba ok écoute, moi ça me va. * - Je suis contente de te voir. - Moi aussi. - Tu m’as manqué. - Toi aussi. - Je t’aime. - Moi aussi. * Marche. Seul. Route désertique infinie. L’écrasante chaleur s’abattant sur mes épaules. De la sueur coule abondamment de mon front, de mon dos, de mes aisselles et de toutes les autres parties de mon corps. Me transforme en Bob l’éponge vivante, qui parle et qui chante. Ma température intérieure doit environner désormais les 50 ou 60 degrés. 79 Suis presque sûr que si me mettais un thermomètre dans le cul celui-ci exploserait. Commence à comprendre le supplice que subissent les casseroles. - Vite ! Vite ! De l’eau. Je brûle ! De l’eau ! De l’eau ! Il me faut de l’eau ! Mon royaume pour un peu de fraîcheur ! Me dirige vers la mer. Vais retrouver Claire. Une pote de Fac, qu’habite sur Montpellier désormais. Fait une éternité que l’ai pas vu. C’était le moment ou jamais. Avais rien à faire de l’aprèm. Jessie est en cours et ai pas assez d’argent pour aller flâner dans les magasins. Claire m’avait envoyé texto plutôt dans la matinée : - Hello. Comment ça va ? Tu es bien arrivé ? Nous sommes partis à la plage avec Jonathan et Marie. Tu nous retrouves las bas dés que tu peux. Tu sais comment y aller ou tu veux que je t’explique le chemin ? Biz. Claire - Ca va aller, je vais me débrouiller. Idiot. Aurais dû lui demander de m’expliquer. Ai bien, grave, galéré. Ai rien compris rien de ce qu’il fallait prendre. Comment m’y rendre. Pris le Tram 1, puis changé pour le Tram 3 jusqu’au terminus. Ensuite m’a dit d’attendre un bus, qui m’y amènerait (bus qu’il fallait repayer, alors que pris un ticket à la journée) Alors ai attendu. Bien sagement. Coincé dans une station paumée en plein soleil. Entouré de touristes comme moi ou de Montpelliérain torses nues, en maillots de bain, serviettes posées négligemment sur les épaules, lunettes de soleil Ray 80 Ban contre façonnées, le corps subtilement bronzé. N’ont pas l’air d’avoir entendu parler des effets néfastes des UV. - Vous savez madame que le cancer de la peau c’est loin d’être un cadeau, loin d’être du gâteau, loin d’être de tout repos. Couvrez ce sein que je n’ai que trop envie de voir, mais que ma morale ne saurait tolérer. En même temps, peux pas les blâmer. Fait tellement chaud, que le cerveau est comme anesthésié. Oublié le stress, la mauvaise humeur. Le monde est beau et la vie trop courte, alors profitons-en. - Amusez-vous ! Amusons-nous ! Au final, ai pas tenu. Trop long. Trop dur. Fuck le bus, tu n’auras pas mon argent. Ai préféré continuer le chemin à pied. Fini par appeler Claire pour qu’elle m’explique le chemin. 20 minutes de marche, elle m’a dit. Déjà prêt de 30 min que je marche et toujours aucun signe de la mer. Ai l’impression que jamais ne l’atteindrai. Désespère. M’apprête à rappeler Claire, lorsque. L’aperçois. Entre deux immeubles. Au détour d’une rue. Miracle. Étendue cristalline. Eau. Bleu d’azur. Bleu d’un cœur pur. S’étendant d’un bout à l’autre (point Z à point A) sur toute la surface. S’étirant bruyamment, là juste sous mon nez. Devant nos yeux. La grande bleue. M’y perds… Rêve de mer. De matin marin. Partir. Sans tout vraiment laisser derrière soi. Prendre l’air frais, prendre le large, le grand, le vrai. Mal de mer. Cabine étroite. Hamac suspendu dans la cave avec les autres, avec les gars, dans la soute. Cargo de Nuit ! 81 35 jours sans voir la terre. Tous sur, dans le même bateau. Et à l’assaut des ombres sur l’O. Aventure risquée. Pas sûr de pouvoir en revenir, rentrer. 24 sur 24 sur le même rade. 7 jours sur 7. Pas de repos pour les matelots. - Souquez ! Souquez ferme si vous espérez revoir un jour votre Normandie. Allez du nerf ! On a pas toute la vie ! Tempête intempérie. Chasser la salope blanche. La grande meurtrière. Secoué. Avant. Arrière. Chaviré. Bâbord. Tribord. Échoué. Le corps las, meurtri, déchiré. Ne devoir sa survie qu’à une misérable, fragile petite planche de bois, sur laquelle désespérément on s’accroche. De toutes ses forces. Luttant contre le courant, le vent, les vagues déferlantes. Luttant. S’accrochant. Y croire jusqu’au bout. Lutter. I’m lost, but I’m not stranded yet. Parcours la plage des yeux. Me demande : où ? Où peuvent-ils bien être ? Mes yeux se plissent, fixent, scrutent l’horizon. Des silhouettes, vagues, flottes dans l’eau. Quatre têtes. M’approche. Ma vue s’améliore et aperçois alors Claire. M’a reconnu et me fait signe. Sautille dans l’eau. Agite sa main frénétiquement dans les airs, faisant valser à chaque mouvement ses gros pectoraux. Cours 82 les rejoindre, sifflotant (sans trop savoir pourquoi), le tube Boys, Boys, Boys de Sabrina sur le chemin. Jette mon tee-shirt n’importe où, quelque part dans le sable. Souhaite bien du courage au pauvre fou qui essaierait de le voler. Et me lance comme une merde, la tête la première (et tant pis pour cette foutue crème solaire) dans la mer. * - Qu’est-ce qu’il y’a ? - Rien… - Qu’est-ce qui ne va pas ? - Je ne sais pas. - Tu ne m’aimes plus ? - Si, bien sûr que si ! - Alors, quoi ? Je ne t’excites pas ? - Si, mais bon… - Quoi ? - Je n’ai pas envie c’est tout ! Alalala ! Pourquoi tu me saoules comme ça ! J’ai pas le droit ? - Ba si, mais c’est bizarre. - Il n’y a rien de bizarre. Des fois j’ai envie et des fois pas. C’est tout. - Oui, c’est normal quand on se voit tous les jours, mais là ça fait déjà plus de deux semaines qu’on s’est pas vu et qu’on a rien fait. - Et ça m’a pas spécialement manqué. - Moi si. - Ah ! Tu ne penses qu’à ça ! - Excuse-moi de te trouver attirante. - Contrôle-toi ! Je t’ai dit que je n’avais pas envie ce soir. 83 - Hier soir non plus. - Hier j’étais trop fatiguée. Tu vas tout de même pas me le reprocher. - Non, je te le reproche pas. C’est juste qu’on a pas beaucoup de temps pour ça, c’est dommage de la gâcher. - Tu vas pas bouder, c’est pas un drame. On est pas obligé de le faire à chaque fois qu’on se voit ? - …. - Quoi ? - Ba moi ça me fait chier de remonter en me disant qu’on a rien fait. - Tu ne descends que pour ça ! Je ne suis qu’un objet sexuel pour toi ! - Tu sais très bien que c’est faux ! - Tu es en manque. Tu as besoin de ta dose de sexe. Tu es accro. - Mais non ! - Alors pourquoi tu regardes tout le temps des pornos ? - Ah… C’est pas pareil. - En quoi ? - Tu peux pas comprendre. - Tu ne m’expliques pas. - C’est deux choses complètement différentes. Ce n’est pas du tout la même sensation, les mêmes pulsions. - Ça reste du sexe. Ça me dérange comment tu en parles. On a l’impression que tu ne peux pas t’en passer. C’est malsain. - Et c’est pour ça que je ne peux pas te toucher ? - Ca me dérange. - Super. - Ça n’empêche pas de nous faire des câlins. - J’ai plus envie. - Pourquoi ? Tu fais la tête ? - Ba oui ! 84 - Ah ! C’est toujours pareil. Il suffit que j’ai pas envie une fois et tu me fais tout un cinéma. - C’est pas vrai. - Regarde-toi. Qu’est-ce que t’es entrain de faire là ? - Ce n’est pas juste à cause de ce soir. C’est tout le temps la même chose, à chaque fois qu’on se voit. Tu n’as jamais envie. - Je suis une fille. On n’a pas les besoins que vous, c’est tout. - Oui, je sais, mais même. Tu ne viens jamais vers moi. - Tu ne m’en laisses jamais le temps. - J’essaye. Mais à chaque fois, je vois bien que tu ne fais rien, alors forcement au bout d’un moment je prends les devant. - Mais au final, on finit toujours par le faire. - Oui, mais j’ai l’impression que je te force. C’est pas agréable. Je finis par croire que je t’attire pas. - Oh… Mais tu sais très bien que si. - Ba nan, j’en sais rien. Comment tu veux que je le sache ? Tu n’es jamais excitée, forcément je me dis que c’est parce que je ne te fais aucun effet. - Oh… - Ba oui ! C’est pesant à force. - Mais j’y peux rien moi si je suis comme ça. Tu m’attires mon chéri. Je te trouve sexy, c’est juste que tu as un trop grand appétit sexuel pour moi. - Je sais, tu me l’as déjà dit. J’essaye de faire des efforts, mais c’est pas facile. Moi ça m’a manqué de pas pouvoir te faire l’amour. Et je ne parle pas purement de sexe, mais de le faire avec toi. C’est ton corps qui m’attire. Qui m’excite autant. C’est avec toi que j’ai envie de faire l’amour et avec personne d’autre. - Oh… - Ba…Ba… Qu’est-ce que tu fais ? - Je te prouve que tu m’attires. 85 - Ah, mais non, je n’ai pas envie de te forcer. Ne te sens pas obligé. - Je croyais que tu savais que tu ne peux pas m’obliger à faire quoique ce soit. Si je le fais, c’est que j’en ai envie. - Oh…Merci ma chérie. - Tais-toi maintenant. * Le soleil couchant. Illuminant. Aucun nuage à l’horizon. Ciel chargé d’électricité. Rouge sang coloré. Couleur de la passion. Représentant la force de notre union. Marcher à tes côtés Tranquillement sans se presser. Main dans la main. - Ne me lâche pas hein ! Se balader. Sur la plage. Sable chaud caressant la plante de nos pieds. Coulant entre nos orteils. La mer ronronnant doucement. Flattant nos oreilles de son chant familier. Parler. De tout et de rien. De ce que l’on aime. De ce que l’on fera demain. Les yeux grands ouverts. Visage radieux, illuminé. 86 Le sourire aux lèvres. Rire. Se détendre. Profiter. Oublier tous ses soucis passés. Réflexion sans intérêt. Turn off your brain Arrêter de réfléchir. Critiquer. Arrêter tout vouloir bouleverser, changer. Profiter. Profite. De la chaleur. De ta jeunesse. Du beau temps. Profite. D’être en bonne santé. D’avoir un toit et de quoi manger. Profite. D’être avec elle. Profite d’être Heureux. * 20h56 Sommes sur le quai, à la gare, prêt au départ. Last moments. Derniers instants ensembles. Week-end passé trop vite. À peine arrivé, déjà reparti. Cœur gros. Gonflé. Envie de rester. - Je suis triste. J’ai pas envie que tu partes. - Moi non plus ma chérie. - Reste ici. - Je ne peux pas, tu le sais. Je dois rentrer. 87 - Pourquoi ? Qu’est-ce que t’a à faire de si important ? - Je dois m’occuper de mon spectacle. - T’as qu’à venir le faire ici. Y a plein de comédiens à Montpellier. - Y peut pas en avoir autant qu’à Paris. - Oui, mais c’est moche et ça pue Paris. - Ah ! Arrête de dire ça, tu m’énerves. - Oh excuse-moi… C’est juste que j’ai envie que tu restes avec moi. Ne pars pas. Serre contre moi. Étreinte déchirante. L’embrasse désespérément, sachant que je ne goûterai plus à ses lèvres avant très longtemps. Ne sait pas quand on se reverra. Avenir incertain. Aucun de nous n’a encore pris de billets de train. Sera sûrement pas avant un mois. Plus peut-être. Va dépendre de si je trouve un stage ou pas. Le sifflet retentit - Je dois y aller. - Oui… Passe un bon voyage. - Je t’appelle quand j’arrive ? - Non il sera tard, je dormirais sûrement. Envoie-moi plutôt un texto. - D’accord. - Bisous. - Bisous... Monte dans mon train. La regarde une dernière fois. Mémorise cette ultime image. Elle me fait un petit signe de la main. Moi aussi. Les portes se ferment. 88 Le train part. 89 Defiant Order Today it’s sun fucking bloody day. Sky bright in my eyes. Hot water everywhere in the air. Lazy morning in my head, Reading, writting et tant pis pour vous, si toi pas piger l’anglais. Rien à affaire, tout à défon, défaire. Ennuis. Envie de folie, folâtrer toute la sainte journée dans mon lit. Lorsque. De nul part mon téléphone retentis. - Allô ? Décracroche. C’est Maître Marc (un de mes amis) glapissant un peu près cet étrange aboiement : - Hey mec, qu’est-ce tu fais cet aprèm ? Rien. Parfait ! Y a des concerts gratuit à Bastille. Ca te dis d’y aller ? Y a C2C ! Of course oui. C2C ! Gratuit ! 2 bonnes raisons de fermer le clapet à camembert de ma mère littéraire. Sortir, quitter mon antre de chevelu qui pue. - Ouais carrément. On se retrouve où et vers quelle heure ? - On peut se donner rendez-vous à la station de métro avant la Bastille. Vu le monde qui risque d’y avoir, ça évitera qu’on se cherche pendant 3 000 ans. - Bonne idée. 90 - J’sais pas trop à quelle heure ça commence, par contre. Donc on a qu’à dire 14h et puis on verra bien. - Ok. À toute. Téléphone fermé. Une fois, ni deux, attrape ma prunelle des yeux. Vais chercher, surfer, me renseigner. De quoi il s’agit exactly. Connecté. Tape, taper : Paris Concerts Gratuit. Environ 7 610 000 résultats (0,30 secondes). God bless internet ! Rien qui ne semble cependant correspondre à ce dont Sir. Marc vient de me parler. Préciser, précision. Rajoute la date d’aujourd’hui : Concerts gratuit Paris, 30 Septembre. Orchestre classique gratuit : Non. Obtenez votre place de concert gratuit : Non. Faites des rencontres près de chez vous, inscription gratuite : Non ! Concert gratuit à Bastille : Ah. Parfait ! www.parisbouge.com. Clic. Love Life Parade : 30 concerts live sur des chars à Bastille. Love Life Parade ? Jamais entendu parler. Lis petit descriptif du site : Avec la Love Life Parade, Solidarité Sida et ses partenaires donnent rendez-vous à toute une génération pour un acte culturel, social et urbain qui fera date. Une manière originale de dire « Merci » et « On a encore besoin de vous » notamment pour propulser à nouveau le sida sur le devant de la scène médiatique et politique. L’enjeu est de taille. Avec la 91 crise financière, de nombreux pays donateurs du Fonds Mondial sont tentés par un repli. La France ne doit pas en faire partie. Ah, en fait c’est un truc contre le SIDA (aidez-nous ! Pitié ! Ne nous laissez pas crever ! Ayez un cœur bande d’enfoiré !). Organisé par les mêmes qui font les Solidays (que j’ai encore loupé cette année). Saute le descriptif de la journée (ai compris l’idée globale, verrais bien le reste une fois sur place) et me rends directement au programme voir un peu quels artistes ils ont réussi à dégoût, dégoter : C2C, Triggerfinger, Don Rimini, le Peuple de l’Herbe, Naive New Beaters, Orchestre National de Barbès, Sporto Kantes, Danakil, La Rue Kétanou, Skip the Use, Zebda, Deportivo, We are the 90’s, Raggasonic, Beat Assailant et Debout sur le Zinc. À part C2C, pas un que je connais. Pas d’importance : c’est gratuit ! Et puis ai vraiment rien à faire de mieux au jour d’aujourd’hui. Faut que j’appelle Norman, suis sûr qu’il sera motivé. - Ouais mec, je te dérange ? - Non, non. - Qu’est-ce que tu fais ? - Je suis avec Lucie et Patti. On est entrain de manger là. - Ok. C’est pour te dire qu’y a des concerts gratuits à Bastille cette après-midi. - Ouais je sais. Patti m’en a parlé. Y a C2C c’est ça ? - Ouais. Ça vous dit ? - Ba écoute, j’sais pas. Y a ma sœur qu’est là et je dois l’accompagner prendre son train. - Elle le prend où, à Gare de Lyon ? - Ouais, à 15h. 92 - Ba vous avez qu’à nous rejoindre après. - Tu penses qu’il y aura encore des trucs ? - Ouais carrément. Surtout que Bastille-Gare de Lyon tu le fais rapidement. C’est juste à côté. Ça te prends même pas 10 minutes à pied. - Ah cool. Ba on vous retrouve dès qu’on a déposé ma sœur alors. - Ça marche. À t’al. Bon. Bonne chose de fait. What time is it ? 13h. Marc m’a donné rendez-vous dans une heure. Quel temps il fait dehors ? Pas trop froid. Vais en profiter pour un peu pédaler. Permettra de digérer toutes les conneries, cocochonneries, qu’j’arrête pas d’ingurgiter. Du coup, si je compte que mets 40 min pour y aller, faut que j’parte a 20. Parfait ! Me laisse pile le temps pour me branler. - Quoi ? Encore ? Mais tu l’as déjà fait hier ? Ça te suffit pas ! Écoute j’ai envie, j’ai envie. Qu’est-ce tu veux que je te dise ? - Bon d’accord… Mais pas de Porno alors. Mais c’est pas vrai ça ! On est en dictature ici ou quoi ? T’es pas ma mère que je sache ! - Je croyais que tu devais arrêter ! Oui… Mais ces choses-là prennent du temps. Ça ne se fait pas clack comme ça, en un claquement de doigts. Il faut y aller doucement, diminuer progressivement. - Je vois pas trop la diminution en ce moment. Tu en regardes tous les jours. 93 Ah… Et alors ! Je vais pas en mourir, non ! Tu préférais que j’agresse, vole, viole, tard le soir, les petites salopes à demie nues qui se baladent, trémoussent du cul dans la rue ? - Non… Bon alors s’il te plaît, fou moi la paix ! Laisse-moi mastiquer comme j’en ai envie ! Ouvre mes favoris. Wild Lesbians Orgy. Clique. Et c’est parti. * Il était une fois, deux, 14h. Arrivé à Bréguet-Sabin à pied. Posé mon vélo-velib un peu plus loin. Peur de ne pas trouver de place. Bornes sont souvent pleines dans le coin. Ai retrouvé Monsieur M. à l’endroit et à l’heure prévue, comme con venu. Marche vers la place de la Bastille. Monte, remonte, le boulevard Richard Lenoir. N’ai, n’avons aucunes idées de ce qu’il nous attend là-bas. Vu l’événement et la programmation (C2C), il y a fort à parier que comme pour l’élection de St. François l’Hollandais, la place soit pleine à craquer. Traversons la fin du marché à l’heure d’égout, dégueu, comme j’aime l’appeler. Commerce est fini. Clients sont partis. Rideau tombé. Fermé. Tables rangées. Remballées. Plus personne à haranguer. Plus personne pour acheter. Un à un les commerçants enlèvent leurs marchandises. Rangent leurs stands. Préparent à rentrer chez eux, avant de revenir le jour d’après la redéballer, représenter. 94 Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’achat (j’achète !) s’en suive. Le bruit s’est calmé. L’animalerie s’est tue. Sol est jonché de détritus : bouts de salade froissés, tomates pourries, jetés, écrasés, baguettes de pain à demie mangés. Le tout ressemble à un gigantesque lendemain de fête : après la joie, la gueule de bois. Au milieu de tout ça ; un son, sifflement soufflé très léger. Passe à côté d’un Pierrot, joueur de Pipeau improvisé. A voir son corps se tordre dans tous les sens et ses yeux vident ne plus rien fixer, comprend vite que son esprit est depuis longtemps égaré. Personne ne le regarde. Les gentilshommes et femmes font en sorte de gentiment l’éviter : - Contourne-le ma chérie, ainsi nous ne serons pas obligés de le regarder. - Mais Bertrand, mon sac, mes poches et mon cul sont remplis à ras bord d’écus. Je pourrais peut-être, pourquoi pas, lui donner un petit pas grand-chose. Une pièce ou deux. Ou juste une. Pas trop grosse. Un centime ou deux. - Non, non et non Jacqueline ! Tu ne vas pas jeter l’argent par les fenêtres comme ça ! Tu ne sais pas, on peut très bien en avoir besoin. C’est trop risqué. Je te l’interdis ! Tu m’emmertends ! Et puis, on n’est pas Crésus, Jésus. On ne peut pas donner comme ça au premier venu, juste parce que soi-disant il en a besoin. On est responsable, coupable, nous s’il n’a pas de toit ? S’il lui manque les deux bras ? Je travaille dur tous les jours à la préfecture pour gagner cet argent ! Ce n’est pas pour que tu ais le gaspiller bêtement. Pour que tu le donnes à ce clo-clo fainéant. Fouille, foirefouille dans mes poches et dégotte, trois pièces de trois fois rien, que je dépose gravement dans son petit gobelet. Sait tous très bien que ça ne sert à rien, mais peut-être qu’au moins ça me permettra de dormir ce soir. 95 Peut-être (pas !). Arrive à Bastille. Le rond-point est fermé à la circulation (automobilistes à la con). Ouvert aux piétons. Étrange sensation que de fouler ce sol recouvert de pavés. Un des derniers dans Paris à ne pas avoir été bétonnés. Aurais presque envie de faire péter les pompes, valdinguer les socquettes, sentir le contact du sol froid sur la membrane de mes pieds. Mais faut pas déconner ! Bien trop de monde. Bien trop de poulets pour se laisser aller à tant de liesse, allégresse. Tout autour (et même pour certains au-dessus) du rond-point et de ses alentours, des personnes sont massées, parquées, entassées. Moyenne d’âge : 20 ans. Comme si tous les jeunes de Paris et sa banlieue s’étaient réunis : le bedo au bec, l’alcool (vodka, bière ou vin) à la main et le sourire aux lèvres. Trouve de tout. Tous les styles. Tous les types. Du punk à chien, au néogothique en passant par le jeune petitbourgeois péteux (Bonjour, moi c’est Jean-Phillipe François). Croise des gens improbables avec une corne de licorne sur la tête, où des cheveux rose fluo. C’est fun. Ça change de l’habillage monocorde, déprimant des Parisiens. L’ambiance est à l’exubérance. Soi jeune et défoule-toi ! Et pourtant. Ne vois, ni n’entends rien. Pas un seul caisson de basse au lointain. Pas une seule scène montée avec des gradins. Aurions-nous fait tout ce chemin pour rien ? Interroge Marc, mais n’est pas plus renseigné. Décidons d’avancer. Faire le tour de la place. Des gens-jeunes partout, mais ça va, est encore possible, assez facile de circuler. 96 Rue de Lyon, aperçois une caméra sur grue entrain de nous filmer (souriez !) Bon, si la télé s’est déplacé c’est bien que quelque chose va se (ou s’est déjà) passée. - Ouais, enfin avec ça on est pas plus avancé ! Continuons. Pas se découragéger. Rue Saint-Antoine, nous parvient l’écho d’un bruit : guitare électrique, basse, batterie et une chanteuse qui cris ! Plus de doute : This way ! Parcourt à peine 5 mètres et distingue quelque chose assez gros, pas très beau. Char motorisé. Structure métallique en mouvement. Gris clair sur gris foncé, se fond parfaitement dans l’environnement. Enceintes suspendues, accrochées. Podium surélevé. Roues roules, entraînés vers l’avant laissant derrière elles une traînée de fans déchaînés, criant, sautant, suivant leur groupe adoré. Donc en fait ça se passe dans tout Paris. - Tu sais jusqu’où ils vont comme ça ? - Aucunes idées. Peut-être jusqu’aux Champs-Élysées. - Et tu sais quel groupe c’est ? - C’est Skip the Use. Je les ai déjà vu en concert. C’était aussi un truc gratuit, ça vaut pas plus. - Ah ouais ? - Ouais, c’est vraiment pas top. - J’espère que C2C est pas déjà passé. - Je pense pas. À mon avis, ils doivent être programmés dans les derniers. Ah putain ! Mon téléphone arrête pas de vibrer. Je reçois des textos toutes les 2 minutes. - Qui c’est ? - Yacine, un pote que je suis censé retrouver. - Il est où ? - Il me demande de le rejoindre en haut des marches de l’Opéra. - Putain, ça va être sympa pour aller là-bas : s’est bondé. - Ouais je sais… On fait quoi, on essaye quand même ? 97 - Ba allez. Retourne sur nos pas. Traverse jusqu’à l’Opéra. Comme m’y attendais c’est blindé. Tout le monde a eu la même fausse bonne idée de se mettre là pour se retrouver (- Hey ! Hey tu me vois ? Je suis là ! Là en rouge. Regarde, je lève la main. Je te fais coucou. Quoi ? Comment ça, tu ne me vois pas ?). Sur les marches de la victoire, sommes obligés de jouer des coudes, pousser (Pardon. Pardon. Excusez-moi. Poussez-vous. Laissez-moi passer. Pardon. Pardon. Poussez-moi, Excusezvous !) les gens pour pouvoir se frayer un passage. Arrivé en haut : personne. Pas la moindre trace de son pote. - Alors ? Qu’est-ce qu’il fout ? Où il est ? - J’sais pas. - Tu ne le vois pas ? - Non. - Il ressemble à quoi ? - Il est super grand. Il fait au moins deux mètres, on devrait pas avoir trop de mal à le trouver. Bon, attends vas-y je vais l’appeler. Allô ? Ouais, mec t’es où ? Ba, nous on est sur les marches là et toi ? Comment ça toi aussi ? Où ça ? Je te vois pas. (to me) Cherche quelqu’un qui est au téléphone. - Le mec avec son Eastpak orange. - Où ça ? - Là. - Non, c’est pas lui. - Je vois personne d’autre au téléphone pourtant… Ah… Attends ! Là ! - Oui, c’est lui ! Hey, Yacine ! Yacine ! Était juste à côté de nous. D’la merde à la place des yeux. Au pays des aveugles, les borgnes sont des rois. Enfin, son pote nous voit. - Salut Marc. - Salut mec, comment ça va ? - Tranquille. 98 - Je te présente un de mes potes de fac. - Salut. - Enchanté. - Vous êtes là depuis longtemps ? - Non, non on vient juste d’arriver. Et toi ? - J’ai eu le temps de voir trois quatre chars passer. - Tant que ça ! - Ils se suivent en fait. Ça va assez vite. Dès que y en a un qui quitte la place, y en a un autre qui le remplace. T’as dix minutes qui les séparent, à peine. - Et t’as vu des trucs bien ? - Ouais, vite fait. Rien de ouf. - Tu sais à quelle heure passe C2C ? - Non, pas la moindre idée. Faut qu’on se chope un programme comme ça on sera fixé. - T’en trouves où ? - T’as des bénévoles qui le distribuent. Faut réussir à les trouver. - Et c’est payant ? - Ouais, je crois. - Merde. - Bon, on bouge ? Repart, part à la recherche des bénévoles invisibles. Perdus, fondus dans l’anonymat général. Aucunes idées d’où les trouver, à quoi peuvent bien ressembler. Doivent sûrement porter un objet particulier. Un signe qui permet de les distinguer ; facilement les repérer : casquette, short, tee-shirt, uniforme avec en gros en gras VOLONTAIRES marqué dessus. Scrute. Examine la foule. Armé de nos 8 yeux, aucun détail ne peut nous échapper. Marc sort une bouteille de 1664 de son sac. 99 Décapsule avec son briquet. En boit une longue gorgée et me la tends. - T’en veux ? - Carrément. Ne manquait plus que ça pour augmenter la perfection de cette aprèm. Une bonne bière, bien… Bon elle n’est pas très fraîche, mais ça passe nickel tout de même. Désaltère. Détends. En bois et la donne à Yacine. Une bouteille pour 3. Va vite être torchée. Faudrait qu’on puisse trouver une épicerie pour s’approvisionner. Risque d’être compliqué. On est dimanche, le jour du seigneur (Jésus cris, cris, cris ! Nique-toi les poumons baby, vas-y !) et tout est sûrement fermé. Pas possible. Ont bien du prévoir des trucs pour se restaurer (picoler) quelque part. T’organises pas un événement de cette taille-là, sans prévoir au minimum à boire et à manger. Faudra penser à regarder. Guetter. Pas l’urgence. Le plus important pour l’instant, c’est de trouver ces foutus bénévoles. - Bonjour ! Quand on parle du loup… - Bonjour, on peut vous prendre un programme ? - Oui, bien sûr. Vous connaissez le principe ? - Heu… non. - C’est payant, mais vous donnez ce que vous voulez. On accepte aussi les billets ! Merde. Ai plus rien sur moi. Ai filés mes dernières pièces au joueur de Pipeau. À moins que… Trouve 2 pièces de 10 centimes, que j’insère très honteusement dans la caisse des bénévoles. Heureusement que les autres ont donné plus que moi. 100 Leur prend qu’un programme. 1 pour 3. Amplement suffisant. L’ouvre. Parcourt. Examine le parcours. Tous les groupes ne partent pas de Bastille. Ils se relient sur les chars en cour de route. 3 points de changement : Hôtel de Ville, Louvres, Opéra. Et C2C est à… 16h30 à l’Hôtel de Ville. A largement le temps. - On fait quoi du coup ? - On a qu’à suivre le prochain char qui passe jusqu’à l’Hôtel de ville. On aura qu’à se poser là-bas pour attendre C2C. - Ouais, pourquoi pas. - Hey c’est cool, le prochain char c’est la Rue ket. - À tes souhaits. - Tu ne connais pas la Rue Kétanou ? - Non. - Ba c’est pas mal, ça bouge bien tu vas voir. Très bien, attends de voir. Le char arrive. Le groupe (trois musiciens : harmonica, guitare, percus) est dessus, ainsi qu’une ribambelle de mecs inutiles. Tee-shirts avec le nom du groupe. Font coucou à la foule. Foutent rien. Ont pas d’instruments. Chantent pas. Ressemblent pas non plus à des techniciens. Peut-être leur manager, attaché de presse, conseiller de communication, qui les conseils sur la tenue à adopter en une telle situation (- Souris. Lève les bras. Tapes dans tes mains. Dis-leur merci. Montre-leur que tu les aimes.) Musique est pas mauvaise. Pas mal d’instrumental. Style provençal, mais très lent. Donne pas du tout envie de bouger. 101 - Ils sont cons ! C’est pas avec celle-là qu’il fallait commencer, tout le monde va s’endormir. Ça c’est sûr. Malgré tout, des centaines de personnes s’amassent autour du char pour les voir. Visiblement le groupe a sa répute. Se mêle aux fans et essaye tant bien que mal de suivre le char. Pas facile. Nous distance rapidement. Bloqués. Collés serrés, pas possible d’accélérer. Commence à le perdre de vue lorsque. Se stoppe. Problèmes de circulation. Nous sommes désolés, veuillez patienter. Manifestation contre le sida ou pas, les bouchons dans Paris ne tarissent pas. 20 min plus tard. Le char repart. Et nous avec. Profiter de l’attente pour se rapprocher, le rattraper. Reste pas longtemps devant cependant. Trop de monde. Le rythme est trop rapide. Arrive pas à suivre. Vite relégués dans les derniers. Fait chier. - Attendez j’ai une idée ! Venez ! Quitte la foule. S’engouffre dans une rue transversale. Suit le char en parallèle. Bonne technique. Presque personne ici. Permet avancer. Facilement remonter. Court. Se dépêche. Veut rien louper. Me fait penser aux manifs. Années bénies du lycée ! Revenus assez près. Récupère. S’insère. Comme si de rien n’était. Arrive à se rapprocher, mais ne tiens pas longtemps et tout est à recommencer : 102 Un pas en avant, trois pas en arrière ! C’est la politique du gouvernement ! * Arrive vers le Marais lorsque. Mon portable vibre. Un nouveau message de Norman : On est à Bastille, vous êtes ou ? Putain comment lui expliquer ça simplement ? - Avancez dans la rue St-Antoine. - On y est. Vous êtes derrière le char qui fait polibalalapopop ? - Non, on est le char d’avant. - Ok. On vous rejoint. Sont loin. S’arrête dans un coin. Les attend. Camouflés, perdus, fondus dans la foule, arriveront jamais à nous trouver. Faut qu’on arrive à s’isoler. Faire en sorte d’être facilement remarqué. Profite d’un énième arrêt de notre char pour me trouver un arbre sur lequel maître Corbeau me percher. Mode recherche activité. Opération : retrouver Norman et ses compagnons. Un grand blond comme lui, ça devrait pas être trop compliqué. Sauf qu’y a des dizaines de gens lui ressemblant. C’est la cohue-bohu. Pas moyen d’avoir les yeux partout. M’en faudrait une dizaine de plus. Ai l’un, deux pressions de jouer à Où est Charlie ? Je suis sur une boîte aux lettres. Regarde en l’aire. Me demande combien de temps vais pouvoir rester comme ça. 103 Flics ne devraient pas tarder à me déloger. Là ! Repérer lui et ses cheveux dorés. - Norman ! M’aperçoivent. Nous rejoignent. Descends de mon piédestal. Petit à petit notre groupe grossit. Petit tour des présentations : Lucie, Patti, Norman, Yacine, Marc. Maintenant que tout le monde se connaît, peut continuer. Toujours aller de l’avant. - Ta sœur est bien partie Norman ? - Ouais nickel. Et vous, vous avez vu des trucs cool ? - Ba on suivait la Rue Kétanou. - Ah ouais ? Ils sont où ? - C’était le char devant nous, mais je crois qu’ils ont fini là. - Déjà, mais ils devaient pas aller jusqu’à l’Hôtel de Ville ? - Si, mais ils auraient dû y arriver y a déjà plus de 40 minutes. Le programme est grave en retard, donc forcement au bout d’un moment ils ont plus rien à jouer. Les pauvres ça fait déjà 3 fois qu’ils recommencent la même chanson. - Et vous savez qui les remplacent ? - Normalement c’est We are the 90’s. - C’est les mecs, qui reprennent les chansons des années 90 ? - Ouais. - Ah, non vas-y c’est trop pourri ! On va pas écouter ça. - Complètement d’accord. - Ça donnait quoi le char derrière lequel vous étiez ? - Ça allait. - C’était pas ouf, mais ça s’écoute. - On les suit ? - Vous voulez pas plutôt qu’on aille directement à l’Hôtel de Ville ? Au moins c’est fait. On s’en sortira jamais sinon. - Il a raison. - Ba allez. 104 * Attendre. Posé à l’Hôtel de Ville. Attendre. Assis par terre ! Sur le trottoir dégueulasse. Comme les clodos qu’on est. Seule place qui reste. Ultra-serrés. Peut même pas se poser tous à côté. Attendre. Un à un voir les chars défiler. Me rappel les concerts que Norman et moi on a fait. Que des purs trucs. À 30 – 50 euros le show, mieux vaut bien choisir ce que tu vas voir : Iggy pop à Bruges, Fever Ray à l’Olympia (Morning keep the street empty for meee…) et les Eurockéennes. De tous mes potes c’est le seul avec qui je fais des concerts. A exactement les mêmes goûts musicaux. Supporte pas non plus les Booba, Rihanna et autres merdes, qui passent à la radio. Musiques préfabriquées, correspondant exactement à ce que le publique attend. Ne pas prendre de risque. Ne pas chercher, innover. Surtout tout faire, sauf de la qualité. Devraient prendre exemple sur Lana Del Rey. Encore que… Tout à coup. Des cris. La foule grossit. La rumeur enfle : - C2C est arrivé ! - Où ça ? - Un peu plus bas dans la rue. Dégoût. Le char n’est même pas devant nous. Trop tard pour bouger. Y retourner. 105 Geste insensé. Arrive dans notre direction de toute façon. Ne voit rien d’où on est. N’entend que la musique. Caissons de basses répétitives. Et ça fait : boom, boom, boom. Dans ton cœur et dans ta tête. Boom, boom, boom, du gros son dans tes oreilles ! Le char arrive enfin à vue d’œil. Sauf que… Pas de traces des quatre DJ tant espérés. À la place une fille colorée, multivitaminé. Move, move, move your ass baby ! Croirait au club fitness pour troisième âge. N’empêche qu’elle est bonne (oh oui !). Son son sonne bien (quand la musique est bonne !) et elle arrive à déchaîner la foule. Check le programme. Qui que c’est dans où ? Missile. Never heard of it. Faudra que j’écoute ce qu’elle fait sur Youporntube. Où pourquoi pas directement charger un album, ça a l’air de valoir le coup. Hésite même à la suivre, mais me ravise. Pas pour elle que suis venu. Pas abandonner si près du but. Le char s’enfuit et le calme revient à l’Hôtel de Ville. * Ca recommence ! En plus fort. Plus puissant. Gens se bousculent dans tous les sens. Pris dans un mouvement général. 106 Pousser. Peut pas résister. Se laisser porter. Étais far far away de me douter de l’émeute que ça provoquerait. Tout le monde est venu pour eux. C’est le problème d’avoir un festival avec une seule vraie tête d’affiche. Ça pousse. Ça cris. Ça dégénère. Les CRS entrent dans la partie : New player press start. Casques et boucliers renforcés. Se postent autour du char pour empêcher les fouans de monter dessus. De notre côté on force, regorge d’inventivité pour avancer : Court. Saute. Esquive. Mais rien n’y fait. La marée déshumanisée est trop épaisse. Grave galère comme technique de concert. S’éloigne. Se perd. Sépare. Marc et Yacine partent de leur côté. Tentent ultime technique pour se rapprocher. Folie. C’est un coup à plus pouvoir revenir. Au final, s’en branle de les voir : c’est juste 4 gonzes sur un char. Ce qui importe c’est le fucking sound. Et ça, ça le fait. Déchire grave. Méga ambiance au cœur de la fosse aux lions. Bouge, saute, cogne, Ai la désagréable sensation d’être dans un pogo géant. Un pogo en mouvement. Gens renversent des poubelles, montent sur les abris de bus. C‘est la panique dans Paris. Transe, danse, déshap. 107 À moitié nue en plein milieu de la rue. La chaire attire la chaire. Filles, garçons tous mélangés. Plus rien distinguer. Plus de sexes, plus de classes, plus de races. Seulement des jeunes qui s’éclatent un max ! La fête est à son apogée. Voit plus le temps passer. Pense qu’ils viennent à peine de commencer, lorsque le son se stoppe. Une heure passée en une minute. Le char se gare. Plus rien à voir. À écouter. Circulez. La musique s’est arrêtée. Le show est terminé. La foule commence déjà à se disperser. * Fin de journée. Partis s’isoler. Allonger, loin du bruit, de la tourmente. Loin des voitures carafonantes de cette ville déprimante. Poser dans les jardins du Louvres. Au centre, mais au calme. Le corps sur l’herbe verte, la tête dans les nuages. Reprendre contact avec notre mère commune. Ressource artificielle essentielle. 108 Petit coin de Paradis, c’est comme ça que j’aime Paris : des buissons m’entourant de leurs grands bras protecteurs et la pyramide du Louvres dans le collimateur. Meilleur moyen de finir cette journée. Dans le ciel, sa majesté le soleil est d’ores et déjà entrain de décliner, teintant le monde d’une suave couleur orangée. Il est 20h. Il reste 82 jours avant la fin du monde. 109 The Message M’ennuis…. Pas qu’j’ai rien à faire, mais pas envie. Pas la motive. Que des trucs chiant. Mails à envoyer. Démarcher des salles pour qu’on puisse y jouer. Théâtres à appeler, harceler, relancer. Stage, projets à trouver. Encore une journée que vais passer enfermé. Terré. Seule sortie pour aller à la boulangerie (sale gros !). À moins que je trouve de quoi grignoter chez moi. Ah ! C’est la dèche dans mon frigo. Bagdad dans ma cuisine. Tout est dégueulasse. La vaisselle s’entasse dans l’évier. Verres sales. Casseroles usagées. Commence grave à puer. La poubelle est bondée. Surchargée. Faut que je pense à la changer. M’en occuperai après. Plus urgent pour le moment. Faut que je fasse des courses. Plus rien à bouffer. Même plus de quoi petit-déjeuner. - Qu’est-ce qu’on a pour manger ? 110 MENU DU JOUR Entrée : Pattes Plat Principal : Pattes Dessert : Pattes - Et qu’est-ce qu’il nous reste pour assaisonner ? Rien. Ni sauce tomate, ni gruyère. Même le beurre est desséché. - Quoi ! Intolérable ! Moi vivant, jamais je ne mangerai des pattes nature ! Préfère encore jeûner. C’est décidé, je vais à supermarché ! * Vite arrivé. Carrefour à deux pas. À peine 5 petites minutes à pied. L’avantage d'avoir un centre commercial juste à côté de soi. Boutiques dégueulasses sur boutiques délavées. Le Carrefour est le seul centre d’intérêt. Arrive à l’entrée. Arrêté par le mec de la sécurité : - Bonjour Monsieur, veuillez me présenter votre sac s’il plaît. Toujours les mêmes consignes à la con. Fermer les sacs empêcher les gens de voler. Ne marche absolument pas, bon… Au moins ça créer des emplois. Scelle mon sac avec une merde en plastique. A pas pensé à fermer la poche avant. Comme d’hab. Aurais dû prendre mes ciseaux pour couper cette merde. 111 chez vous pour mais Obligé de prendre un panier. Le trimballer dans tout le ma super cher. Grrrr... Grrrr… font les roues sur le sol, tandis que Radio de Merde FM retentit dans les haut-parleurs. Musique programmée pour nous pousser à acheter. Lavage de cerveau permanent. - Mon nom est 666 666 le mouton. Bave aux lèvres, je gicle devant tous ses magnifiques articles, dont je n’ai pas besoin, mais que je vais quand même m’empresser d’acheter. Surconsommation. Manger. Manger. Manger. Vite. Vite. Plus vite, avant que la bouffe ne nous soit enlevée. Acheter trop de peur de manquer. Faire des réserves en cas de guerre. S’empiffrer. Grossir. Se goinfrer. Compenser. Remède miracle des pays riches. Tous nos problèmes peuvent être résolus avec une bonne grosse tranche de jambon dodu ! Carnivore. Carnassier. Combien d’humains comptes-tu dévorer quand la viande viendra à manquer ? Quelle partie de tes enfants est la plus tendre à ton avis ? - Et ne vous êtes jamais vous dit que ce steak dans le frigo pouvait être votre mère ? Bien content d’être un putain de Vegan. - Mais n’entends-tu pas les carottes crier ? Non, elles sont cuites depuis longtemps et pas prêtes d’être ressuscités. Notre père qui êtes aux cieux accordés nous votre Peut-être. Amen pour ce bout de salade. - Bon, mais vas-y dépêche-toi, j’ai pas envie de passer la journée là moi. Commence déjà à me saouler. 112 Trop long. Trop de monde dans les rayons. Accélère. Ne regarde même pas ce que je prends. Réfléchis plus. Toujours les mêmes produits choisis. Achats répétés. Routine. Itinéraire tout tracé : - les légumes en premier (comme ça, ils ont le temps d’être bien écrasé au fond du panier), - les pattes, - les conserves, - le vin (français avant tout), - le fromage ! (meilleur moment. Tant de trucs appétissants sauf que. Pas d’argent. Obligé de se rabattre sur un camembert pas cher.) - les desserts, - les surgelés, Et pour finir le rayon produits ménagers ! Où le moindre article est à 10 €. Tu le sens passer quand t’es obligé d’y aller. Sodomie sans lubrifiant te fait l’anus béant ! Achat de parfum, déo, pécu, sopalin, lames de rasoir et bien sûr capotes. Ces derniers temps ne passe plus dans ce rayon que très rarement. Problème d’avoir sa copine à Montpellier. Au moins, fait du bien à mon porte-monnaie. Baiser coûte cher. Entre 9 et 15 € la boite de 12. Après faut pas s’étonner si les gens continuent de pas se protéger. C’est pas des pubs à la con qui vont faire bouger les mentalités. Baissez les prix et vous verrez. C‘est fou n’empêche toutes les sortes qu’il y a. Les fabricants regorgent d’inventivité : avec lubrifiant, nervurées, aux fruits (pour ceux et celles qui aimeraient que leur mec soit une pomme ou une orange), longue durée, grande, petite taille, sensation de ne rien porter, fluo (pour ceux qui aiment faire peur avec leur bite) et j’en passe. 113 Faudrait être riche ou acteur porno pour pouvoir toutes les essayer. Ce que Jessie peut me manquer... Passe prendre une grosse tablette de chocolat pour compenser. Dommage qu’on puisse pas tout acheter dans un supermarché : La foire aux Sentiments : Se sentir aimé : 100 euros. Se sentir fière : 50 euros. Ne plus avoir peur : 1 000 euros. Finis mes courses. Au final ai presque rien acheté. Pas de thune de toute façon. Me dirige vers les caisses. Caisse n°1 : Bondée. Caisse n°2 : Bondée. Caisse n°3 : Bondée. Caisse prioritaire : trop de vieilles. Caisse - 10 articles : bien plus de 10 personnes. Pas le choix. Vais devoir aller aux caisses automatiques. Espère juste que les mongoliens sont restés bien sagement devant leurs télés à regarder Julie Lescaut. Ça va. Presque personne. Attends pas trop longtemps. Bonjour Appuyez sur l’écran. Ça serait drôle s’il nous fallait taper sur la caissière pour qu’elle passe nos articles. 114 Obéis. Bip. Bip. Ouf… Jusqu’ici tout va bien. Bip. Pum. Et Merde. Veuillez attendre l’hôtesse. C’était sûr. - Heu… Madame. Madame… Excusez-moi, mais... M’entend pas. Est débordée. Toute seule pour 6 caisses à gérer. Réduction de personnel. Arrive. Passe son badge sur la machine et ça repart. Bip. Bip. Bip. J’ai fini mes achats Appuis. Avez-vous la carte Carrefour ? Non. Faut vraiment que je pense à la prendre. Depuis le temps que je viens, aurais déjà pu racheter le magasin. Choisissez votre mode de paiement Aimerais payer par harengs c’est possible ? Non ? Ah c’est étonnant. 115 Ce sera par carte bancaire alors. Taper votre code secret : Tape, tapote. À la vue de tout le monde. - C’est le 4267 au cas où le monsieur du fond n’aurait pas bien fait attention ! Récupère mes articles et les mets dans mon… Merde ! Ai oublié que mon sac était fermé. Obligé de rappeler la caissière pour qu’elle m’enlève cette connerie. Range mes courses et me taillis-taillot. - Bonjour Monsieur. Votre ticket de caisse s’il vous plaît. Ah ! Mais c’est pas vrai, ils sont partout ! Bonjour Monsieur, votre confirmation de servir à rien s’il vous plaît. Lui tends. Regarde le ticket, mais pas les articles dans mon sac. Useless ! - Merci, bonne journée. - Vous aussi. Toujours rester polis. C’est la base. Même si je lui chie dessus dans mon esprit. Rentre chez moi. Sac bien méga lourd. Me défonce les épaules. Les 5 petites minutes à pied se transforment en une éternité. Pour passer le temps, pense à toutes les bonnes merdes que vais pouvoir manger en rentrant. Faudrait que je bosse quand même un peu avant. La matinée est bien avancée (presque terminée) et n’ai rien fait. - Pas bien. Non, pas bien. 116 Bon allez, dès que j’arrive je m’y mets ! Comme ça au moins, on en parle plus, c’est fait. Torché et j’ai le reste de l’aprèm pour enjoyé. Arrive. Dépose mon sac dans l’entrée. La flemme de ranger. Ferai après. Y a rien qui craint de toute façon. Ai pas pris de surdégelés. M’en occuperai au moment de déjeuner. Allez hop ! Pas de temps à perdre, ne me distrais pas. Ouvre mon ordi. Plus de batterie. Branche le câble secteur. Relance. S’allume. Lance iTunes (musique avant tout). Peux pas travailler, manger, dormir, baiser sans musique. Musique tout tout le temps. Qu’écouter ? Check dans ce que j’ai récemment chargé. Dead Can Dance ? Pas d’humeur. Radiohead ? Pourquoi pas. Vais voir dans mes artistes préférés. Beatles ? Pink Floyd ? Daft Punk ? Ça sera du Bowie finalement avec un petit Station to Station. Bon, récapitulation des obligations : 1) Répondre à Rémy. 2) Démarcher des théâtres. 3) Chercher des projets. 4) Méditer. Au boulot ! 1) Répondre à Rémy : 117 Me met sur fb. Cherche dans mes amis. Rémy… Rémy… Trouvé ! Nouveau message : Salut mec, désolé de te répondre si tard mais ces derniers temps je suis débordé. Écoute moi sa va tranquil je cherche un stage la et c’est un peu la merde, personne répond. Enfin tu sais ce que c’est. Sinon, ma pièce avance lentement, mais surement. J’ai trouvé des acteurs qui sont intéressé par le projet. Je cherche une salle maintenant, j’ai peur de rien trouvé, mais bon j’essaye de resté positif. Et toi sa va ? Comment se passe les USA ? Tu t’es fais des potes ? Envoyé. Et d’un ! Suivant. 2) Démarcher des théâtres : Ai déjà fait une liste avec les noms de tous ceux que je veux contacter. Faut que la retrouve. Sais plus où l’est enregistrée. Regarde sur le Bureau, dans Mes documents. Rien. Ouvre la barre de recherche Alors… Comment j’ai pu l’appeler : Liste théâtre ? Aucun résultat. Bon c’est pas ça : Annuaire ? Aucun résultat. Non plus. Concentre-toi. Réfléchis. 118 Qu’est-ce que t’as écris dedans ? Crois me souvenir qu’il y avait le Théâtre de Ménilmontant. Tape : Théâtre de Ménilmontant. Aucun résultat. Bon vas-y j’arrête, parce que ça commence vraiment à m’énerver. Vais la refaire. M’avais pas pris si longtemps que ça. Alors, www.canaltheatre.com et hop : la liste de tout les théâtres sur Paris. Classés par ordre alphabétique (bien pratique). En a vraiment trop. Presqu’une dizaine par lettre. Mais le tri va être vite fait. Élimine toutes les grosses salles. Leur programmation est déjà complète jusqu’en 2050 au moins. Exit les cafés théâtre et les salles qui privilégient la comédie. Ma pièce est tout sauf comique. Pas faite pour les enfants. Au final en reste plus tellement. Bon, commençons par le commencement. Lettre A : Non. Non. Ah, L’Aktéon Théâtre. A l’air pas mal. Vais sur leur site. Me renseigne sur le lieu. Petite salle bien cool. Semble valoir le coup. Vais sur la page L’équipe. Trouve le nom du Direktor : Maud Ferrer. Merde. Pas d’adresse mail. Juste une page de contact. Laisse tomber. Perde de temps. Le recevra jamais. Passe à un autre. Le Bouffon Théâtre. Nom Jefe : Richard Arselin. Adresse mail ? Parfait. Copier. Ouvre Word : Dossier de présentation du spectacle. Change à l’attention de Richard Arselin. 119 « Bonjour, Monsieur.» « au sein du Bouffon Théâtre ». « Veuillez trouver : Monsieur. » Et voilà ! Un dossier personnalisé en moins de 2 minutes. Gmail. Nouveau Message. Coller. Taper petit texte d’introduction vite fait. Signé. Joindre un fichier : Dossier de présentation du spectacle. En PDF bien sûr, pour que personne puisse y toucher et Envoyé ! Vous avez un nouveau message. Déjà ? Notice d’erreur : votre message n’a pas pu arriver à Richard Arselin, car sa boîte mail est saturée. Fait chier… Tant pis. Passe à un autre... Continuer. Tout recommencer, en faisant bien (très très, pas) attention à ne rien oublier : penser à changer le nom du théâtre. Le monsieur en madame, le madame en monsieur, le monsieur sous la madame, la madame sous le monsieur, le madame monsieur forniquant aux cieux. Penser à signer. Penser à joindre le fichier. Concentration poussée à l'extrême. « Just as long as I can walk, I’ll walk besides you » Bowie me casse les couilles derrière. Trop lent. Manque de m’endormir. Ai besoin d’un truc qui bouge. London Calling des Clash. Ta ta tataten ! Ta ta tataten ! « London calling to the faraway towns. 120 Now war is declared, and battle come down » Voila avec ça suis paré pour travailler. Reprends la liste des théâtres. Théâtre suivant. Cherche le mail. Pas de mail. Suivant ! Pas de site interne celui-là : péquenaud. Suivant ! Mail ? Oui. Dossier modifié et envoyé. Suivant ! « A nuclear error, but I have no fear. Cause London is drowning, and I live by the river» Avance bien, c’est cool. À ce rythme-là vais avoir fini bien plutôt que prévu ! M’accorde une petite pause. Faut que j’aille pisser. Check mon portable : Ah ! Jessie m’a envoyé un texto : Coucou mon chéri! Qu’est ce tu fais de bo ? Moi je m ennuie… On s’appelle ce soir ? Lui répondrai plus tard. Ai faim il est quelle heure ? 12h30. C’est l’heure de manger. Attrape dans mon sac à dos ce dont j’ai besoin. Sors pain, vin, beurre, fromage et me pose sur mon canapé. Allume la télé. Mets W9. Seul programme intéressant de la journée : Les Simpsons ! Ai beau les connaître par cœur pour les avoir vu vu et revu, ça me fait toujours autant marrer. Même si je dois bien avouer que les derniers épisodes sont bof. Heureusement que la télé a presque 10 saisons de retard ! La saison 15 vient tout juste de sortir en DVD alors qu’ils en sont à la 23 sur le net. 121 - Hey papy accélère ! Appuis sur les béquilles. Et c’est parti pour 1h de série. La TNT n’ayant pas assez d’émissions elle s’est spécialisée dans la programmation de masse. Passe 3 épisodes à la suite dont 2 sont souvent les mêmes que ceux de la veille. Ah merde, c’est la pub. Supporte pas. Zap. - Bienvenue, vous êtes sur BFM TV, la chaine de l’info en continue, qui se répètent toutes les 5 secondes. Tout de suite un rappel des faits ! Suis gavé des infos. Toujours la même chose d’années en années et maintenant de minutes en minutes. God bless le journal de TF1. « Qu’on tricote un pull avec tes tripes dans le Poitou ! Meurs, meurs ! » Zap. NRJ 12 D8 France 2 France 3 M6 Rien. Que de la merde. Reviens sur W9. Préfère encore me taper les pubs. * Le temps file, il est déjà 14h. Faut que je m’y remette. Me lève. 122 Débarrasse pas mon déjeuner. Ferai après. Ouch… C’est fou comme je suis crevé. Peut-être la digestion qui fait effet. - Hey papy ! Pas le temps de faire la sieste. Retour au goulag. Retourne devant mon ordi. Sur la liste de théâtres. Toujours aussi longue. En suis qu’à la lettre J. M’en reste encore un paquet. Tiens ça fait longtemps que je suis pas allé sur Bonjour Madame. Suis sûr qu’y a plein de nouvelles photos sympas. Vais vérifier. www.bonjourmadame.fr Ouvre les archives. Photos magnifiques. Splendides. Sais pas où ils trouvent des filles comme ça. Titille. Des filles avec des corps (seins) comme ça. M’excite. Commence à avoir envie de me branler. Ouvre YouPorn. Fais tomber chemise et pantalon. Cuni cul nu, pose ton postérieur sur ton lit, la bite à la main, les yeux dans l’écran. Cherche. Ah… Ah… T’essouffles, cherches fébrilement, ce qui va t’exciter, te faire dresser fièrement. Dur, bien dur. Ne pas mollir, Molly. Ne faiblit que les faibles. 123 Passe. Zap. Défile, une à une les milliards de millions de vidéos visionnables sur le net. You Porn, xHamster, Elephant Tube, Red Tube, Porn Hub, XNXX et d’autres milliers de sites gratuits te proposant un accès illimité à la pornographie. En a pour tous, tout le maonde, tous les gaoûts. Chacun ses habitudes, chacun ses préférences. Perversion (générale) personnalisée. Anglais ou Français, choisis ta catégorie : Jeunes, Agés, Anal, Asiatique Brunette, Blondinette, Rousse, À sec, Gros seins, Grosse queu, Grosses, Webcam, Amateur, Fétichiste, Doggystyle, Compilation, Cunnilingus, Trio, Orgie, Gang bang, Hentai, Sex-toy, Masturbation (handjob), Fellation (blowjob), Éjaculation (good job) interne, externe, Lesbiennes, 124 Gay, Transsexuelles Sadomaso, Uro, À l’intérieur, À l’extérieur, Et j’en passe et des meilleurs. De catégories simples à catégories spécifiques, tout dépend des sites. Pourrais passer une journée à les répertorier. Pourrais passer ma vie à en regarder. Addiction. Descends, commence lentement, le mouvement si familier. Main droite sur membre droit. Le contact de la peau sur sa peau. C’est quand même bien mieux quand c’est Jessica, mais bon. Fait avec ce qu’on a, les moyens du bâbord. Dans ces moments-là que je regrette d’avoir jetés mon masturbateur. Mais peut pas garder éternellement un truc censé être utilisé une fois seulement. Si j’avais un peu plus d’argent m’achèterais un Fleshlight. Ça change la vie à ce qu’il paraît. La vie, j’sais pas, la masturbation sûrement. La masturbation c’est la vie ! N’est-ce pas les filles ? Ne faites pas genres, cachées derrière vos ordis, image de prout prout coincées, on sait tous très bien ce qu’il en ait. L’activité est très loin de nous être réservée. Vous ne dites rien, mais n’en pensez pas moins. Tout n’est pas encore bon à dire. Certains tabous demeurs, mon seigneur ! Ah… Hum… Putain ce que c’est bon. Plus vite. Plus fort. 125 Le sens, venir, monter. Ah. Ah. Ah ! Putain… Merde. M’en suis foutu partout. Comme d’habitude * 1h plu tard. Branlé, douché, changé. Monde moderne, prosterne-toi un homme nouveau vient d’apparaître ! Le surhomme est enfin arrivé ! Alléluia ! À l’heure ou les justes sont châtiés et les salauds glorifiés ! Et mais… C’est bon ça. Ferait un super début de poème. Vite que je l’écrive avant que je ne l’oublie : Monde moderne, prosterne toi un homme nouveau vient d’apparaître. Le surhomme est enfin arrivé ! Alléluia ! À l’heure ou les justes sont châtier et les salauds glorifier ! Terre à l’envers. Dépasser les limites. Briser les frontières. 126 Au delà des cieux. Envisager enfin un avenir radieux. Où les hommes s’entraideraient. Où les femmes survireraient. Imaginer. Religions abdiqué. Egalité appliquée. Possibilités infinis pour celui qui ose. Décupler notre potentiel. Revenir à l’essentiel. Le surhomme est enfin arrivé ! Alléluia ! La cloche du renouveau a sonnée. (…) Et voilà ! C’est pas du Prévert, mais bon. Assez content du résultat. Faut que je lui trouve une fin. Toujours ce qui me pose problème : comment finir ? Rien ne finit, rien ne commence, tout se transforme. Bon allez ! C’est bien beau tout ça, mais faut que je continue d’envoyer des mails moi. On compte en moyenne une réponse (négative) pour une dizaine de mails envoyés. Suis loin du compte. Pas près d’avoir une réponse. Ouvre Facebook. 127 Pas de nouveau message. Pas de nouvelles notifications. Personne de connecté. Laisse ouvert, on sait... Nouvel onglet. Favoris: Free, Gmail, Fnac.com. Tiens me demande si le nouvel album de Crystal Castle est sorti ? Vais voir. Non pas encore. En précommande. Date de sortie prévue : 5 Novembre. Qu’est-ce qu’il y a d'autre qui va arriver en cd ? Bof, rien de terrible. Aurais bien écouté le nouveau Crystal Castle. Vais voir si peux pas le trouver sur le net. Il sort dans pas longtemps, ça devrait être possible. Crystal Castle III download. Alors… Non, Non, Fichier PDF, Porno, Ah voilà ! Clic. Attends 20 secondes. Taper le cryptogramme si dessous. Toujours illisibles ces trucs. Enter. Click on the link to download. Et voilà. Téléchargement lancé ! Se finit dans 10 minutes. Et 20 € d’économisé ! Dans ton cul la CIA. 128 Tu pensais vraiment que les choses allaient changer ? Of course ça fait chier que Megaupload ait fermé, mais on peut encore charger. La situation est trop avancée pour que vous interveniez. This is out of your control ! Regarde l’horloge. Et merde il est déjà 17h et n’ai presque rien fait. Faut que j’arrête de glander et que je m'y mette sérieusement. Si m’y mets à fond, peux avoir fini dans la soirée. Allez ! Motivation ! Dulu ! Quelqu’un vient me parler sur Facebook. 129 Les dingues et les paumés Ding Dong. On sonne à la porte. Déjà ? Il est en avance. L’attendais pas avant une demi-heure. Rien n’est prêt. Ai pas pu finir de ranger. Le salon est en bordel. Le sol dégueu. Et merde… Moi qui voulais prendre une douche. Tant pis. Plus le temps. Vais lui ouvrir. - Hey, salut ! Ça va ? - Super et toi ? - Tranquille. Vas-y entre. Enlève tes chaussures. - Merci. - T’as pas trop galéré pour venir ? - Non pas du tout. - Tu viens direct de ta fac ? - Ouais. Silence. - Tiens comme j’ai vu la dernière fois que t’étais pas très bien équipé, je suis passé te prendre ça. Il sort une douzaine de verres de champagne de son sac. Ce mec est génial. - Ah ! Putain ! Super, merci. Tu sais que j’ai investi depuis la dernière fois que t’es venus. - Ah oui ? - J’ai acheté une vingtaine de verres à ballons. 130 - Ah ouais, ils sont bien pratiques. Tu peux les utiliser pour presque tout. - Et puis j’ai piqué ça dans un bar. Lui montre mon butin de pirate : 3 verres Heineken et 2 magnifiques verres Affligen. - Toi aussi tu t’y mets ? - Faut bien si je veux avoir des verres un minimum stylés. Mais du coup c’est vraiment parfait ce que t’as ramené. C’est pile le type de verre qu’il me manquait. - Tant mieux. S’assoit. Se pose dans le salon. Fait plaisir de le revoir. Ça faisait longtemps. Silence. Un ange passe. Les autres suivent. - Tu veux une bière ? - C’est une question ? Sors 2 mousses du frigo. Pas froides. Pas assez. Fais chier. Aurais dû les mettre plus tôt. Augmente la puissance du frigo, espérant que les suivantes ne connaîtront pas le même sort. - Chips ? - S’il te plaît ! Pose le saladier rempli à ras bord sur la table basse. - Quel accueil ! - Merci. Je suis passé faire des courses en prévision. J’essaye de faire les choses bien. - Je vois ça. Silence. - Et… T’es venus directement de Créteil du coup ? - Ah non, pas du tout. Je suis plus là-bas. Tu savais pas ? - T’as enfin changé ? Depuis le temps que t’en parlais. - Oui, je suis sur Paname maintenant. À la fac de Diderot, Paris 7. 131 - Ah, elle est bien à ce qu’il paraît. J’en ai pas mal entendu parler. J’ai des potes qui y sont cette année. Et alors ça va ? Ça te plaît ? - Ba écoute pour l’instant c’est un peu tôt pour se faire une idée, vu que je viens à peine de commencer. J’ai fait ma rentrée vendredi dernier. Mais jusqu’à maintenant, les profs ont l’air bien compétents. - Cool et niveau emploi du temps ? - C’est plus tranquille que la L3, mais ça reste quand même assez chargé. - Et tu vas pas pouvoir bosser à côté ? - Non, je vais avoir bien trop de boulot à faire à la maison. - Comment tu vas faire alors pour ton loyer et tout ? - Suis obligé d’encore compter sur ma mère pour m’aider, mais ça devrait aller cette année, car j’ai une bourse. - Comment ça se fait ? - Franchement j’sais pas. Mais tant que c’est dans ce sens, ça me va. - T’es boursier de beaucoup ? - Échelon 6. Le maximum. - Ah ouais ! Quand même… - Quand même ! Mais du coup ça fait que cette année j’peux pas partir à l’étranger. - Pourquoi ? - Ma bourse est pas cumulable avec une bourse de mobilité internationale. Ce qui veut dire que si je pars, je perds ma bourse. - Pas cool. - C’est clair. - Tu pourras toujours partir après. - Pas jusqu’à la fin de ma thèse en tout cas, mais je prendrais peut-être un an pour voyager après mon Doctorat. - Dans 4 ans ? - 5. 132 - Dans 5 ans ! C’est grave long. J’espère que j’aurais pu bouger d’ici là moi. - Bouger ? De Paris ? - De France. - Ah carrément. - Ouais, je me vois vraiment pas rester ici. - Et tu voudrais aller où ? - J’sais pas encore. J’y réfléchis. - Le pays qu’est pas mal c’est l’Australie. Y a plein de gens qui y vont en ce moment. J’ai trois de mes potes qui y sont partis et à ce qu’il paraît tu trouves du boulot vraiment facilement làbas. C’est pas la crise chez eux. - Tout est possible à l’autre bout du monde. - Oui. « Come Walkabout. L'Australie, comme nulle part ailleurs. » - Ça fait loin quand même pour la famille. - Oui, mais tu ne fais rien dans la vie si tu restes attaché à ta famille. - C’est triste. - Bienvenue dans la Mondialisation. Silence. Rêver. S’égarer. Penser. S’évader sans bouger. - Bon, mais du coup pour ce soir j’avais prévu de commander des pizzas. Ça te va ? - Complètement - Ba ce que je peux te proposer c’est qu’on bouge maintenant, le temps qu’il les fassent et tout. - 100% d’accord. - Parce que j’sais pas toi, mais moi j’ai franchement la dalle. - Pareil. - Et bien allez. Se lève. Bouger uniquement pour aller manger. Faire le moins d’efforts possible. 133 Rester vautré toute la soirée. Merdes déposées sur le canapé. L’avantage de tout avoir à côté : Boulanger. Épicier. Pizzeria à deux pas… - Bon alors tu veux quoi ? - J’sais pas. On fait comment, on en prend 2 différentes et on partage ? - Comme tu veux. Moi, ça m’est égal tant qu’il n’y a pas de viande. - Ça laisse plus beaucoup de choix. - C’est pour ça ; choisis ce qui te fait plaisir. - Y a quoi de végétarien ? La 4 Fromages ? - Y a la Végétarienne aussi. Ou t’as la Funghi sinon. - Funghi ? - Mozzarella, duo de champignons, œuf, persil. - On peut prendre ça. Ça te va ? - Prend ce que tu veux j’te dis. - Vous avez choisi ? - Oui, vous faites bien une pizza achetée, une pizza offerte à emporter. - Oui, bien sûr. - Parfait, alors on va vous prendre deux seniors : une 4 Fromages et une Funghi. - Très bien. Je vous fais ça tout de suite. C’est prêt d’ici une vingtaine de minutes. - Merci, beaucoup. Se pose dans la Pizzeria en attendant. - Et du coup ça y est ? Tu manges plus du tout de viande ? - Ça fait un petit bout de temps maintenant. - Enfin la dernière fois que je t’ai vu, t’en mangeais encore un peu. - Oui, mais je me suis décidé depuis. J’ai complètement arrêté. Ca fait bien 6-7 mois maintenant. - Et ça te manque pas ? 134 - Pas trop non, mais faut que j’aille faire des tests là, j’ai peur d’être un peu en carence. - De protéines ? - Oui. - Faut que tu manges des lentilles, c’est riche en protéines. - Oui, je sais. Faut que je me force, parce que si je m’écoute, je mange que de la salade et des pattes. - Et de la bière ! - Évidement. Ça c’est comme le pinard, je suis pas prêt de m’en passer ! - Et pourquoi t’est végétarien déjà ? - Par conviction. - C’est pour pas faire souffrir les animaux ? - Oui. - Mais là les animaux ils sont déjà morts de toute façon, ça ne change rien pour eux. C’est pas toi qui les tues. Tu te prives pour rien. - Ça réduit la demande. - C’est pas une personne qui va faire la différence. - Si tu raisonnes comme ça, tu fais plus rien. Ça sert à rien de voter non plus. C’est pas une voix qui fait la différence. - Je vote pas. - Ouais, ba c’est pas comme ça que les choses vont s’améliorer. - Y a plein d’autres moyens d’agir. - Comme quoi ? - Et voilà ! Une 4 fromages et une Funghi en senior ! - On pourrait avoir des sauces piquantes s’il vous plaît ? - J’en ai déjà mis dans les boîtes. - Super, merci. - Alors, ça vous fera 14 euros s’il vous plaît. - Par carte bleue ? - Ah… Désolé, mais on a pas encore le terminal. - Je suis trop bête, ça me fait le même coup à chaque fois. J’oublie toujours. Ba, attendez je vais aller retirer. 135 - Il y’a un guichet juste à côté si vous voulez. Sur votre gauche. - Parfait. Merci. Course, courir les 100 mètres. Aller et retour en un dixième d’éclair. Record battu ! À peine le temps de dire pizza aux 4 Fro… - Et voilà ! - Merci. Votre monnaie. Bonne soirée. - À vous aussi ! Sort. Se dépêche. Court pas, mais presque. Pas leur laisser le. Pas qu’elles refroidissent. L’odeur (parfum subtil, sublime, exquis) des pizzas, sortant par les trous du carton, nous remplit les narines. Accélérer. Sirène de Police. Gyrophare. Pardonnez-nous. Poussez-vous ! Urgence. Véhicule prioritaire ! - Docteur, dépêchez-vous on est entrain de la perdre ! Non ! Allez, accroche-toi ! Bats-toi ! Tiens le coup, on arrive. C’est presque fini. Accroche-toi nom de Dieu ! Arrive. Vite. Sors mes clés, ouvre la porte. Engouffre dans l’appart. Jette les chaussures. - Les mets où ? - N’importe où, on s’en fout ! - J’prends un couteau ? - Pas la peine, elles sont déjà coupées. - Bière ? 136 - Évidement. - Alors ? Comment elles sont ? - Franchement ? D-e-l-i-c-i-e-u-s-es ! On a bien choisi. On va se péter le bide ! - Bon appétit ! * Silence. Après avoir attendu, attendu et encore attendu, comme elle à l’habitude de le faire, tous ces bons dieux d’jours que Dieux fait, l’obscurité s’est enfin décidée à sortir de l’ombre de son orgueilleux aîné et à recouvert le ciel de son lourd et paisible manteau étoilé. Que la lumière soit ! Et hop, hop, hop la lumière fut ! Ambiance tamisée pour une merveilleuse soirée en compagnie de notre (très, trop) chère amie la fée électricité. Le cul confortablement posé sur le canapé ; la bouche chaude et encore pleine des douces saveurs de nos Pizzas ; le ventre bedonné et gargouillant du plaisir simple, mais toujours aussi satisfaisant, d’avoir bien mangé ; la tête étendue, posée sur un moelleux oreiller ; les yeux rapetissés, presque tout prêt à se fermer, afin de se reposer d’une longue et éprouvante journée, fixés sur l’écran de télé situé a à peine 3 pas sur le côté ; l’esprit tournant, envoûté et enivré par les vapeurs d’alcool, qui tel un immense nuage de fumée, stagnes dans le salon, omniprésentes et pourtant invisibles ; le cerveau coupé, désolidarisé de ses paires, confrères, avec qui il ne veut plus rien avoir à échanger, partager, (qu’on le laisse cuver en paix !) ; les mains sur la manette, les doigts sur les boutons, carré, rond, triangle, croix, croix, carré, rond, R1, R2, rond, triangle, triangle, triangle, 137 faisant instinctivement les combinaisons milles fois répétées, les gestes sûr et certain pour gagner. Quel est donc cet étrange bruit ? Du haut des haut-parleurs, savamment disposés, placés dans la pièce pour obtenir une diffusion optimal, sort un faible, minuscule, sempiternel, perpétuel et jouissant petit son. Le White Power est tombé et à l’heure où le racisme est roi, les couleurs reprennent leurs droits, jaillissant de partout et se mélangeant les unes aux autres en nous imposant leurs tyranniques lois : rouge, vert, bleu. Les lumières renégates, rejetées sortent de leur tanière, fermement décidées à se venger. Pas de quartier ! L’arc-en-ciel se décon-recompose sous nos yeux d’enfants facilement ébahis. Feu d’artifice à domicile. C’est la parade des couleurs ! Émerveillement de milles feux. Fête nationale personnelle. 14 Juillet en avance, dans le salon gratuitement, rien que pour nous deux. Petits chanceux. Le monde s’est arrêté, stop, start, enclenché le bouton arrêt, les aiguilles de l’autre, notre ennemi juré, se sont figées, disparues dans le néant du néon absolu. Il n’y a plus de temps, plus d’espace. Plus d’avant, plus d’après… Plus que nous. 2. 138 American Life Je devrais manger équilibré. Je devrais faire du sport. Je devrais arrêter de me plaindre. Je devrais essayer. Je devrais sourire plus souvent. Être moins méchant. Je devrais me marier. Avoir des enfants. Je devrais arrêter de regarder la télé. Traîner sur internet. Je devrais arrêter de regarder des pornos à longueur de journée. Je devrais méditer. Je devrais être plus souriant. Compatissant. Je devrais donner de l’argent à une ONG. Je devrais dire plus souvent à ma copine que je l’aime. Je devrais me bouger. Je devrais appeler plus souvent mes parents, grands-parents. Je devrais répondre aux SMS que l’on m’envoit. Je devrais commencer à m’inquiéter. Je devrais trier mes déchets. Je devrais écouter ce que l’on me dit. Je devrais arrêter d’en faire qu’à ma tête. Je devrais apprendre à dessiner. Je devrais faire des abdos Je devrais arrêter de parler sans réfléchir. Je devrais arrêter de mentir. Je devrais arrêter de me moquer. De critiquer les autres. Je devrais arrêter d’essayer d’être parfait. 139 We Drifted Like Worried Fire Et voilà ! Encore un ticket de train acheté. Descends le mois prochain. Aller-retour : 120 €. Fait mal au… Ai beaucoup (trop) dépensé cette semaine. Me suis acheté de nouvelles fringues. Urgence. En avais bien besoin. Ressemblais plus à rien. Mon manteau partait en lambeaux, mes chaussures prenaient l’eau et ça faisait plus d’une semaine que je portais le même caleçon (ah… ) Ai pas arrêter de manger dehors en plus : sandwichs sur sang de witch. - À quoi le désirez-vous Monsieur : poulet, thon ou jambon ? - Heu... Vous en auriez un sans viande ? - Uniquement le tomate mozzarella. - Bon ba… Va pour ça. Blasé. En peux plus du tomate mozzarella. Obligé de toujours manger les mêmes plats. Au moins, perds plus de temps à me demander ce que je vais commander à McDo : un wrap, wrap, wrap, wrap chèvre, s’il vous plaît. - Désolé Monsieur, mais nous ne le faisons plus. - Ah… Alors donnez-moi quelque chose sans viande s’il vous plaît. - Un wrap poisson ? - Non, pas de poisson non plus ! Vous n’avez rien pour les végétariens ? - Heu…. reusement il y a Subway ! Subway. Have it your way ! 140 Coûte cher dans tous les cas. Nearly dix euros à chaque fois. Faire attention. Ça descend vite. Rend pas compte, quand on paye par carte bleue. Trou dans le porte-monnaie. Fossé sur mon compte épargne. Faut que je fasse quelque chose. Que je me bouge le cul, si je veux pas me retrouver sans un sou. Trouver un job. Truc de merde. Job d’étudiant. Pas important, du moment que ça me rapporte de l’argent. Problème. Ça prend du temps (que je n’ai pas). Pas facile de trouver un boulot, même dans la capitale. Entreprises cherchent des gens disponibles à plein-temps. Pas mon cas, dois garder du temps pour mes projets. Pense à tout le bordel, que ça me fait faire, refaire, encore une fois. Déteste ça : actualiser son cv, lettre de motive personnalisée. Le tout à imprimer. - En 20 exemplaires Roger, s’t plaît ! Plus les photos à aller prendre au photomaton. 5 euros les 4 photos x 5 = 25 !! Être ensuite obligé de se déplacer. Courir tout Paris pour aller les déposer, aux heures d'ouverture-fermeture. Entre 15h30 et 15h35. Pfff… Suis gavé rien que d’y penser. Suis pas prêt de travailler. Encore moins de faire rentrer de l’argent. Peux pas attendre si longtemps. En ai besoin rapidement. Vais pas avoir le choix… Seule solution. Bordel, non ! Tout mais pas ça ! M’étais dit, promis, (juré craché) de ne plus y retourner. Combien de fois ce serment l’ai-je déjà fait, défait ? - Ça ne serait pas pareil cette fois-ci. C’est juste pour dépanner. Une ou deux missions, histoire de te renflouer. 141 Rien de régulier. C’est ce que j’essaye de me persuader. Mais ne suis pas con. Sais ce que c’est. Une fois que tu commences, plus moyen de t’arrêter. Tu es emprisonné. Embrigadé. Obliger de continuer. D’accepter. Dire oui à tout ce qu’ils te proposent. - Choisis tes missions intelligemment. Prends que des trucs intéressants. Pas trop chiant. Rien de trop tôt. Rien de trop loin. Que des missions à côté de chez toi : Hoche, Jaurès, Porte de Pantin, Porte des Lilas. Ça va être pépère tu verras. T’es sûr ? Crois pas moi.... Hésiter. Sens pas le, la bonne idée. - C’est le plus simple, le plus rapide. Chez eux, tu es déjà inscris. Membre du parti à vie ! (- Code d’identification s’il vous plaît ? - Attendez, il doit être tatoué quelque part là, sous mon poignet. ) T’as qu’un coup de file à donner. Peux même le faire par internet si tu préfères. Même pas à bouger ton cul du canapé. Ont toujours plein de missions à proposer. Avec un peu de chance, dès demain tu pourras travailler ! Hum... Vais sûrement le regretter, mais bon… Allez, faut bien se renflouer ! Code : 42490 Mission : Codistribution Franprix. Descriptif de la Mission : Distribuer le catalogue de promotion Franprix avec le journal Métro. Lieux : Métro Gare de l’Est. Heure : 6h45 à 9h45 Nom du superviseur : Abdel Lassim Téléphone du superviseur : Non Communiqué 142 Lever 5h30. Dur. Très. Ai plus l’habitude. Presque un an, que m’était pas levé aussitôt. Presque un an, qu’ai pas fait ce boulot. Sors de sous la couette. Le froid glacé de mon appartement me gèle les os. Vite ! Un pull avant que je me transforme en statue. Me demande quand est-ce que le proprio va se décider à allumer le chauffage. C’est plus possible. Passe mon temps emmitouflé. Petit dej vite enfilé et douche brûlante pour se réchauffer. Emmagasine, tu vas en avoir besoin. Me rappel l’année dernière. Lever 5h tous les matins. Travailler tout l’hiver. L’enfer ! Ai faillis y rester. 2 doigts de mourir gelé. Chaussettes doublées, paire de gant, écharpe sur le nez, bonnet, l’attirail complet, mais rien n’y fait. Rien ne marche quand t’es obligé de travailler sous -12 degrés. Trop horrible. Mauvais souvenir. Espère qu’aujourd’hui ça ne sera pas comme ça. Qu’il ne fera pas trop froid. En cette saison, ça devrait aller, mais on ne sait jamais… La tête coincée bien profond au fond de mon fion (tape, tape, tambour battant dans ma tête et sur mes tempes, prêtes à exploser ! Boom Boom la fatigue et la journée ne fait que commencer), je sors. La nuit. Paris profondément (bébé pleure pleure, mange, chie et dort, ronfle bruyamment) est encore endormi. Meilleur temps. Moment. Personne. Trottoirs vides. Libre d’être, de circuler. Personne pour te faire chier. Paris est la plus magnifique des villes la nuit. Bercer par le son de mon iPod (The Cure criant, crachant, murmurant The Holy Hour) je vogue, navigue jusqu’à bon port. 143 À mon rythme, sans me presser, largement en avance, prendre le. Et ne pas le lâcher. Profiter. Calme avant la tempête… * 6h55. Suis à mon poste. Aucunes traces du camion de livraison. Un quart d’heure que je poirote. M’y attendais un peu. Pas comme si s’était ma première mission. Sais à quoi m’attendre désormais avec eux. Toujours le bordel d’une manière ou d‘une autre. Ont jamais su s’organiser. N’ai bien sûr pas le numéro du chauffeur pour savoir où il en est. Trop simple. Ne sais même pas à quelles sorties de métro me mettre pour l’attendre. 4 différentes. Passe régulièrement de l’une à l’autre, au cas où. Gymnastique matinale. Espère que je distribuerai devant la Gare et pas sur une vieille sortie de merde sur le côté. Allez ! Positiver. Voir le bon côté. Au moins il ne pleut... Petit à petit, sens les gouttes venir s’écraser sur mon crâne dégarni. Positif, j’ai dit. Ce n’est rien. Ça ne va pas tarder à s’arrêter. Et puis ce n’est que de l’eau. Les gouttes se font de plus en plus grosses. De plus en plus rapprochées. Vais pas tarder à être complètement trempé. Si seulement ce putain de chauffeur pouvait se bouger le cul ! 144 Un camion se gare en double file de l'autre côté de la rue. C’est pour moi. En suis sûr. Depuis le temps, ai appris à les reconnaître. Traverse. Chauffeur est entrain de sortir la marchandise (Hey ! Hey ! Tu veux la drogue ? C’est de la bonne hein. Pas cher. Pas cher. Alors tu prends ?). - Bonjour. Mec a fort accent Arabe. Galère à comprendre ce qu’il me dit. - C’est pour la codistrib ? - Quoi ? - La codistribution. - Oui, Franprix. - Tu as déjà fait ça ? - Oui oui, pas de problème. - Tu donnes principalement aux femmes, entre 25 et 40 ans. C’est la cible prioritaire. Et surtout tu n’oublis pas le message à la criée : Franprix les prix Frantastique ! Heu… C’est cela oui. Compte dessus tiens. Deux ans que je fais ce métier, me la suis toujours carré au cul la criée. Sert à rien. Fait fuir les gens. Sentent agresser des 7 heures du matin : "Non, mais ça va pas de crier comme ça ? Vous n’êtes pas bien !" - Alors… Est-ce que ta tenue est réglementaire ? Tu as bien un pantalon noir ? - Presque. Il est bleu marine. - C’est noir normalement. C‘est précisé dans ton contrat. Tu l’as bien, sur toi ? - Oui, oui. Il est dans mon sac. - Bon je te crois, je vais pas vérifier. Encore heureux, parcequ’il est bien au chaud dans mon ordi. Crois pas que je vais gaspiller de l’encre pour ça. - Je te rappelle les règles : pas le droit de fumer, d’écouter de la 145 musique, de manger de chewing-gum, ni de siffler. « Stop ! Arrête de respirer ! Tes jambes au-dessus de tes bras ! Contorsionne-toi. Travail les yeux fermés et la tête à l’envers ! » Et puis quoi encore ? Sais pas qui est ce mec, mais putain de gros casse couille. Jamais vu des comme ça. D’habitude s’en foutent royalement de ta tenue, de ton contrat. Sont déjà content si t’es la. M’ont pas habitué à autant de rigueur. Sûrement un petit nouveau, qu’est stressé, qu’essaye de bien faire. Étais comme ça au début moi aussi. Mal à l’aise dans mes petits souliers : - Oui. Oui. Oui Monsieur. Pas de problème. Tout distribuer. Le plus vite possible. Oui, bien sûr. Se dépêcher. Plus vite. Plus vite. D’accord. Pas de problème. Je suis désolé. Désolé, il me reste 8 paquets. Oui je sais, c’est plus de la moitié. Désolé. Désolé. Je vous en prie, par pitié, pardonnez-moi ! Je ferai mieux la prochaine fois. Ai vite compris que ça ne serait pas le cas. Pas ma faute à moi Lolita. Te filent beaucoup trop de quantité. Yeux plus gros que le ventre. Petits gourmands ! Savent que, quoiqu’il arrive, quoique tu fasses, tu finiras pas, il en restera. Ça motive ! - Ok alors, tiens voila ta tenue et tes paquets. Si on te demande je t’en ai passé 4. Ca fait 1 000 de quantités (y a 250 par paquets), mais je vais t’en donner que 3, ça sera largement suffisant. Je sais que ça part pas bien ces trucs-là. Oh ? Un élan de générosité. Remonte dans mon estime. Manque plus qu’il me dise qu’il vient me ramasser en avance et j’lui taille une pipe. Enfile ma tenue. Attention transformation en … Super sac à patate ! Veste verte fluo, quatre fois trop grande. Un seul modèle : XXXL. Pour que ça puisse aller à tout le monde, même au méga méga gros. Dis ça, mais m’en fou. C’est comme ça. C’est le taf et puis 146 c’est tout. Suis pas là pour avoir l’air sexy. Fais pas un défilé de mode. Ais juste besoin de thune. - Tu veux qu’on fasse la photo maintenant ou quand je repasse ? Ah… Question piège, je le sens. Censé me prendre en photo pendant que je distribue. Prouver que j’étais bien là. Attestation de présence. « - À l’appelle de votre nom lever la main et dites présent. - Passée ! » Regarde autour de moi. Pas un chat qui miaou miaule. Va être galère de trouver quelqu’un pour la photo. - À 10h, ça sera mieux. Y aura plus de monde. - Ok. Normalement vous êtes censé être 2 pour la distribution. Je ne sais pas ce que fait l’autre. J’ai essayé de l’appeler, mais il ne répond pas. M’ ééééééétone absolument pas. Toujours un absent. C’est élémentaire mon cher mathématique. - Écoute, j’ai pas le temps de l’attendre, j’ai d’autres points à livrer et je suis déjà en retard. Je le note absent. Je te laisse sa tenue au cas ou. S’il arrive tu lui dit de m’appeler. Ok ? - Pas de problème, mais le mec qui distribue le métro il est où ? - Je sais pas, c’est pas moi qui m’occupe de ça. - C’est pas censé être une codistribution avec le Métro ? - Si, mais c’est un autre chauffeur qui livre les Métro. Génial… Sans Métro pour aller avec ça partira jamais. - Allez, à tout à l’heure. Bon courage hein. - Ouais toi aussi. Pas un mauvais bougre dans le fond fond. Démarre son camion et s’insère dans le trafic comme seul un parisien le fait : à fond la caisse. Me retrouve seul. Moi et mes cartons. Debout, sous la pluie, sur la chaussée humide, devant la bouche de métro. Et c’est parti pour 3h de folie ! 147 Espère sincèrement que l’autre gars-meuf va se pointer, sinon vais royalement me faire chier. Personne avec qui parler. Ai mes oreillettes, au cas où... Ça sauve la vie des fois, mais pas pru prude dent ! Pas à l’abri d’un contrôle à l’heure. C’est rare, mais ça arrive. Ai toujours eu de la chance. Ils ne m’ont ja ja jamais attrapé oyez oyez ! Dépose mes cartons à l’abri, histoire qu’ils soient pas tous niqués en 2 secondes 5, par la pluie. Les éventre d’un coup de clé bien senti. En prends un paquet sous le bras. Fin prêt, paré à distribuaer. Quelle heure il est ? À peine 7h. Ai le malheur d’avoir une horloge en face de moi, dans mon champ de vision. L’horloge de la gare. Déjà que c’est un boulot, qui passe (très) lentement. Est encore pire quand on a l’heure constamaman sous les yeux. Passe son temps à la regarder, vérifier. Seulement si peu de temps s’est passée. Déprimé. Déprimant. Sors de ma cachette et commence à tafer. - Bonjour Monsieur... - Je n’ai pas le temps. Les yeux au sol, essaye de m’éviter. - Pas de problème, Monsieur. Bonne journée. - Bonjour Madame... - Suis pressée. Me bouscule presque. - Pas de problème. Bonne journée. - Bonjour Madame, profitez de réductions exceptionnelles avec Franprix ! - Ah ? Merci. Prend le flyer. Souris. - Bonne journée Madame. - Merci, vous aussi. 148 - Bonjour Monsieur, profitez de promotions exceptionnelles avec Franprix ! - Hein ? Qu’est-ce que c’est ? C’est arrêté. Yes ! Un point de gagné. - C’est des promotions pour les magasins Franprix. - Ah… Ça ne m’intéresse pas. - Tant pis. Bonne journée. - Merci. - Bonjour Monsieur... Dois passer 3h à jouer à ce petit jeu. Dur dur d’être un travailleur. Préfère faire ce job en banlieue, les gens sont généralement plus sympas. Savent ce que c’est la galère, les jobs de misères. Prennent pas plus de flyers, mais compatissent. Sourient. Te parlent. Pas grand-chose : un bonjour, un merci, mais ça suffit. Dans le centre (en particulier les quartiers huppés, bobo de mes deux, méga prétentieux), les gens t’ignorent complètement. Te traitent comme de la merde, bouse écrasée sur le pavé. - Vous êtes fou ! Je ne vais pas toucher votre sale flyer, dégoûtant ! Ça pourrait me contaminer. - Vous vous rendez compte de ce que vous faites ! Gâcher ainsi du précieux papier ! Vous pensez aux arbres que vous abattez. Non Madame, je ne suis qu’un crevard sans cœur. Excusez-moi je n'y ai pas pensé, trop occupé que j’étais à me demander comment j’allais pouvoir manger. Ma pile de fly est déjà complètement trempée. Ne ressemble plus à rien. Papiers mouillés, déchirés, éparpillés. Cours après les bouts pour les ramasser. Le site doit rester propre. Aucuns flyers par terre. C’est la consigne prioritaire. Jette à la poubelle ma pile décomposée et en prends une autre dans les cartons. Heureusement que j’ai pu mette ceux-ci à l’abri. Renouvellement et c‘est reparti. - Bonjour Monsieur... - Salut, je suis censé distribuer avec toi. 149 Merci mon dieu (en qui je ne crois pas) ! - Salut. Faut que t’appelle le chauffeur pour lui dire que t’es là. Il t’a noté absent. - Ouais, je sais. C’est déjà fait. Je viens de l’avoir. - Ok. Tiens ta tenue. T’as déjà fait ça ? - Ouais, je distribue régulièrement ici. - T’habites à côté ? - Je suis à 15 min à pied. - Tranquille. - Et toi, t’habites loin? - Pas trop, à Hoche. Avec la 5 c’est rapide. - Tu fais ça depuis longtemps ? - Presque 2 ans et toi ? - Ça va faire tout juste 2 mois. - Ah ça va. T’as pas encore connus l’hiver. - Non, mais je pense que j’arrêterai avant. Ma copine l’a fait l’année dernière et j’ai vu comment elle en a trop chier. Je préfère éviter. - T’as bien raison. Bonjour Madame... Ô Vent, souffle puissant ! - Bonne journée. Et ça part bien d’habitude sur cette station ? - Le journal oui, mais ça non. Ça part nul part. Ils s’en foutent les gens. T’as vu ce qu’ils proposent ? - Non, me suis pas amusé à l’ouvrir. - C’est que des trucs de merde. Faut les comprendre aussi les gens. Les pauvres toute la journée ils sont assaillis par des mecs qui leur filent des flyers, à la fin c’est normal d’en avoir marre. - Ouais, mais un bonjour c’est quand même pas la mort. Nous aussi on en a marre de distribuer, et pourtant on le fait. - Mais nous on est payé pour ça. - Mouais... Pour ce qu’on gagne… Comment tu t’appelles en fait ? - Walid. Et toi ? Réponds. 150 Me demande ce que fout le Métro. Pas normal qu’il soit toujours pas là. Peut-être posté à une autre sortie qu’on ne voit pas. Et puis après tout, m’en fous. Vais pas passer mon temps à faire le tour pour le chercher. Déjà assez chiant comme ça. Regarde à nouveau la pendule. 7h15. 10 petites minutes seulement de passées… * - Hey ! Hey le monsieur avec les journaux ! Psstt…Petit ! Viens voir ! Vieux mec, bien gros, bien gras, le cul dans sa camionnette toute crade, m’appelle. Peut-être veut-il me prendre plusieurs paquets pour m’aider, que je puisse finir plutôt ? Espère. Y crois. Y a des gens comme ça, le cœur sur la main. M’approche, un énorme paquet sous le bras, au cas où... - Tu cherches du travail ? - Ba... Pas vraiment. Je travaille là. - C’est de la merde ça. Tu gagnes des clopinettes. Tu fais pas ça toute la journée, non ? - Juste le matin. - Tu fais quelque chose à côté ? - Ba… Mes études. Pêcheur. Souviens-toi les sacrés commandement : « Tu ne mentiras point à ton prochain ». Ce gars est tout sauf mon prochain. - Ah... T’es étudiant. Mais t’as quel âge ? - 21 ans. Après mes études me prennent pas des masses de temps non plus. - Ouais t’es assez libre quoi. Tu finis à quelle heure là ? - 10h. 151 - Et tu fais quelque chose après ? - Heu… Non, rien de spécial. - Ouais tu glandes, tu flânes, tu vas draguer les gonzesses. Ouais, je l’aurais pas dit comme ça, mais si tu veux, pourquoi pas. - Écoute, moi je gère une entreprise et je cherche des jeunes qui en veulent, motivés comme toi. Qu’est-ce qui lui fait dire ça ? - Dans quel secteur ? - Dans le bâtiment. - C’est vraiment pas ce qui m’intéresse. - Après on fait pas que ça, hein. On fait du commerciale aussi. C’est plus ton truc ça ? - Ouais... Mon truc c’est le sexe, le sang, les drogues et le rock and roll, mais je pense que t’as rien à me proposer dans ce domaine. Encore que... - Et ça serait pour faire quoi exactement ? - Tu fais du porte à porte chez les gens et tu leur proposes un ramonage. Tu sais que le ramonage est obligatoire ? - Heu… - Bien sûr toi tu fais pas le ramonage hein, tu prends juste les rendez-vous pour que quelqu’un passe après. Tu conviens d’une date avec la personne et tu notes son adresse et ses coordonnées. T’es payé à la commission. Donc au plus tu fais d’affaire au plus tu gagnes et en plus t’es nourri et logé. Nourris et logé ? Suis pas SDF moi. Ai pas besoin d’être logé. Louche. Dangereux. C’est un coup à se faire kidnapper ce truc. Matrioshki, le trafic de la honte. Ai pas envie de faire la pute en Roumanie moi. - Alors ça te dirait ? - Ba… Comme ça je sais pas. Faut que j’y réfléchisse. - Réfléchis-y et je repasse quand t’as fini. - Non, mais je vais pas répondre comme ça en 2h. Il me faut 152 plus de temps. - Ok, ba écoute ce qu’on fait c’est que je te file mon numéro, comme ça tu m’appelles des que t’es décidé, okai ? Dis non. Dis non. Envois le chier ce gros con ! Ça pue l’arnaque à plein nez. Oui, mais… - T’as de quoi noter ? - Ouais vas-y. - Alors 06 66 86 66 09 - Ok, ba je t’appelle comme ça t’auras mon numéro. L’appelle. - Yes, c’est bon. C’est enregistré. Moi c’est Roger et toi ? Lui dis pas. Oui dis-lui un faux truc. Un pseudo de merde. Lui dis pas ! Lui dis. Et voilà il a ton prénom et ton numéro: t’es fiché, foutu. - Tu m’appelles et on en discute. On peut se faire une bouffe. - Ouais, non, n’exagérons pas. Mais oui ne t’inquiètes pas, je t’appelle dans la semaine, juré. Pardonnez-moi mon papa, parce que j’ai pêché. - Je compte sur toi. Bon allez salut. Se casse enfin. Bien cru qu’il partirait jamais. Suis confus. Sais pas quoi en penser. Sur le papier, son truc a l’air pas trop mal, mais sais au fond de moi que c’est une escroquerie. Le mec ressemblait a rien. - Ne juge pas un livre sur sa couverture. Bon, ok, mais quand même c’est louche. Depuis quand des mecs te proposent un travail dans la rue comme ça ? Bordel, c’est la crise ou pas ! Reviens vers Walid. - Il t’a dit quoi le mec ? - M'a proposé un job. - Comme ramoneur ou un truc comme ça ? 153 - Ouais exactement. Comment tu le sais ? - Je le vois souvent passer. Il a fait le coup à un mec comme toi la semaine dernière. Fais gaffe, te laisse pas embarquer. - T’inquiètes pas, je suis pas dupe. Je sais qu’il y a une couille quelque part, mais j’arrive pas à savoir quoi. - Moi c’est un mec d’ici qui m’a rencardé sur lui. En fait il te fait aller chez les gens pour repérer les lieux et après ils font des cambriolages. Ah ouais… Quand même. - Et ce mec à ton prénom et ton numéro. Tu seras content qu’il t’appelle pour se faire une bouffe. Dramatise pas. Il ne peut pas me retrouver il a pas mon nom et sait pas ou j’habite. Pages blanches.fr : vous avez le numéro, retrouver le nom. C’est bon, je le rappelle cet aprèm, je lui dis non et on n’en parle plus. - Pas une bonne idée. Mieux vaut te faire oublier. Doit voir des dizaines de gars comme toi. T’oublieras si tu le relances pas. Peut être… Perturbé, perdu dans mes pensées, j’oublie, la pluie, les passant mal polis. Le temps s’enfuit… Bzz ! Un message. Sûrement Jessie. Coucou mon chérie. Sa va ? Je suis inquiète, je viens de filer mon numéro à un inconnu. Tu pense que j’aurai pas du ? Ah ! Matrioshki le retour ! - Excuse-moi deux minutes, faut que je passe un coup de file, c’est urgent ! 154 * 9h10 Ai faim. - Déjà ? C’est le problème de se lever si tôt. T’es complètement décalé. T’as la dalle en milieu de matinée. Ai repéré un petit Monoprix pas loin. - Hé je vais vite fait chercher un truc à manger. Je te ramène quelque chose ? - Non c’est bon, merci. Mais si un contrôleur passe je lui dis quoi ? - Que je suis à l’autre sortie. T’en fais pas j’en ai pour 5 minutes à peine. Bouge. Sors de cette sortie de merde. Commence grave à saturer. Va me faire du bien une petite pause. Enlève ma tenue, retourne dans l’anonymat. Entre dans le Monop. M’achète un sandwich et un Red Bull, parce que Red Bull donne des ailes. Ai pas le droit de boire au travail, je sais, mais m’en fou. Laxisme extraordinaire. Fais ce taf depuis trop longtemps pour me soucier des conséquences. Sais très bien qu’ils sont trop en dèche de personnel pour me virer. Et puis ça aide à patienter. Interminable matinée… * 155 9h45 Enfin ! Il est l’heure. Et le camion n’est pas là. En retard. Et merde ! Peux même pas me barrer. Ai pas fait la photo. Suis obligé de l’attendre, sinon rien ne prouve que je suis bien venue distribuer. Fais chier ! Savais que c’était pas une bonne idée. En plus, ça fait près de 15 minutes que j’ai rien distribué. Ça va être galère pour trouver une personne pour la photo. - À la limite tu peux demander au chauffeur. Non, ils vont le reconnaître. Peut-être si je demande gentiment à quelqu’un : - Excusez-moi, pourrait-on vous prendre en photo ? Ne vous inquiétez pas, on ne verra pas votre visage, juste vos cheveux. S’il vous plaît ça m’arrangerait vraiment beaucoup. Pitié... Ah putain, j’ai l’impression que cet enfer n'aura jamais de fin. * Bilan : 3 heures à travailler. A 8,6 € de l’heure x3 = 25 pauvres euros de gagnés. Déboursé 3,4 € pour les tickets de métro. Plus 2,5 € pour le Red Bull. Déjà 7 € de dépensés. Me reste plus que 16 € En deux McDo (à peine) c’est torché. Ne vaut vraiment pas le coup de travailler. 156 Ne valait vraiment pas la peine de se déplacer. * - Bonjour, c’est Sébastien, je voudrais savoir si tu étais disponible demain matin de 7h à 10h. Ça serait pour une Codistribution Franprix ? - Oui pas de problème. À quelle station ? Quand on a besoin d’argent on est vraiment con. 157 Gagnants / Perdants - Bon, alors… Comment ça va ? - Ba bien. Et toi ? - Je suis crevé. Je fais des horaires de fou en ce moment au boulot. J’ai pas une minute pour moi. Je devais faire plein de trucs ce week-end et au final, j’ai rien eu le temps de faire. Mais bon c’est un pic, ça devrait se calmer d’ici une semaine ou deux… Enfin j’espère. - Et ça se passe bien ? - Ouais le boulot est vraiment très intéressant, après c’est les horaires qui sont assez lourds. Officiellement tu ne travailles que 35 heures dans les bureaux, mais si tu rajoutes à ça le boulot que tu dois faire en plus chez toi, tu te rapproches plus des 40-42 heures. Et évidemment c’est des heures qui te sont pas payés…Mais bon, le patron est sympa. Il est pas tout le temps sur mon dos au moins. Il sait que j’ai de l'expérience et comme il me fait confiance, il me permet de gérer tout seul mes horaires. Je suis pas obligé de pointer tous les matins à 8h. Je fais mon planning. Si une journée j’ai pas envie d’aller au bureau, je peux très bien rester chez moi et prendre tous les rendez-vous au téléphone. Toute la base de donnée dont j’ai besoin est stockée dans ma bécane. - Ouais c’est pratique. - Bon, mais toi qu’est-ce que tu fais en ce moment ? - En ce moment ? Rien. - Comment ça rien ? Tu fais forcément quelque chose. - Je cherche un job. - Dans le cinéma ? 158 - Non, ça fait longtemps que le cinéma ça m’intéresse plus. Je veux faire du théâtre maintenant. - Oui, enfin dans l‘art quoi. Mais tu ne m’avais pas dit que tu étais en stage la dernière fois ? J’ai du mal à suivre avec toi. - Oui j’ai fait un stage de deux semaines dans un théâtre, mais c’était cet été, j’ai fini depuis longtemps. - Et qu’est-ce que tu as prévu ? - Rien, j’attends. Je cherche des projets. - Tu comptes faire ça pendant encore combien de temps ? - Le reste de ma vie. - Tu veux être SDF c’est ça ? - Non, Intermittent du Spectacle. - C’est pareil ! Tu sais très bien que ça ne gagne rien. Je ne comprends pas pourquoi tu t’obstines à vouloir faire ça. - Parce que ça me plaît. - Il faut te réveiller un peu, hein. On ne fait pas toujours ce qu’on aime dans la vie. Il serait peut-être temps que tu le réalises. - Je ne suis pas d’accord. - Tu veux passer ta vie à compter tes sous à la fin de chaque mois et te demander si tu vas avoir assez pour payer le loyer ? Comment tu comptes faire quand t’auras des enfants ? - J’ai pas prévu d’en avoir. - Pour l’instant. Mais ça viendra. Tu changeras d’avis, mais ça sera trop tard. C’est maintenant qu’il faut penser à tout ça. On sera pas toujours là avec ta mère pour t'aider. Ne fais pas les mêmes erreurs que moi. Je ne veux pas que tu te retrouves sans rien pour ta retraite. Profite de ta jeunesse pour étudier. Une fois que tu sors des études c’est fini, tu peux plus y rentrer. Les diplômes y a que ça qui compte de nos jours, tu le sais. - J’ai ma licence. - Et qu’est-ce que tu peux faire comme boulot avec ta licence ? - Je sais pas… Prof de Fac. - Il faut que tu fasses des études, qui te donneront un vrai 159 métier. Pourquoi tu n’essayes pas de faire un truc dans les langues ? T’as toujours été doué dans ce domaine. Depuis tout petit. C’est très demandé de nos jours quelqu’un qui sait parler plusieurs langues. Pourquoi tu ne fais pas une licence en langue ? - Une LEA ? C’est trop chiant, ça m’intéresse pas. - Mais ça te donnerait un bagage. - Ça prend 3 ans de faire une licence je te rappelle, pas un mois. Je n’ai pas 3 ans devant moi. J’en ai ma claque des études. Je n’attendais que ça d’arrêter, alors maintenant que c’est fait je ne compte pas y retourner. J’ai déjà perdu assez d’années. - Je comprends. Tu es jeune, tu as envie de travailler. C’est normal. J’étais pareil à ton âge, mais fais attention à ne pas le regretter. Moi je sais que j’ai toujours regretté de pas avoir passée mon bac. Et plus d’une fois ça m'a été demandé à un entretien d’embauche. - J’ai mon bac. - Mais tu pourrais avoir plus. Au moins continuer une ou deux années. Qu’est-ce qu’il y a après la licence ? - Le Master. - Pourquoi tu fais pas un Master de cinéma ? - Ça sert à rien. C’est une perte de temps. Comme la licence. Ça ne te donne pas d’emploi. Ça sert juste à repousser l’échéance du moment où tu vas devoir trouver du taf. - Écoute… Tu veux vivre de ta passion je comprends, mais c’est pas ça qui va te permettre de payer le loyer. Rien ne t’empêche d’avoir un vrai travail et de faire du cinéma à côté. - Et passer toute ma vie à faire quelque chose qui ne m’intéresse pas ? - Il te faut un revenu fixe, stable. Tu ne pourras pas faire de prêt sinon. Personne ne voudra te louer d’appartement. Pourquoi tu n’essayes pas de passer ton TOEFL ? - C’est pas donné tu sais. 160 - Si c’est qu’une question d’argent ça peut s’arranger. - Ouais, je sais pas… - Ça serait bien que tu l’aies. Ça pourra te servir pour plus tard. - C’est valable qu’un an. - Oui peut-être, mais sur ton cv tu pourras marquer que tu l’a passé et tout de suite ça montre ton niveau en anglais. - Ouais, j’y réfléchirai. - Je dis pas ça pour t’embêter. - Je sais... Bon, mais comment va Papy sinon ? - Ça s’améliore pas. Sa vue baisse de plus en plus. - Et ils peuvent pas l’opérer ? - Il veut pas. - Il préfère devenir aveugle ? - Tu sais, c’est délicat une opération des yeux. Surtout à son âge. Et puis il a une sainte horreur des hôpitaux. Je l’ai jamais vu y mettre les pieds, c’est pas maintenant qu’il va commencer. Tu sais comment il est : quand il a décidé quelque chose, pas moyen de le faire changer. Il est têtu comme une mule. - Comme toute la famille. - Je ne suis pas comme ça moi. - Si, mais tu ne t’en rends pas compte. On est exactement pareil tous les trois. - Enfin ça serait bien que tu passes le voir un peu de temps en temps. Ça lui ferait plaisir. - Oui, je sais. J’aimerais y aller, c’est juste que… J’arrive jamais à trouver le temps. - Essaye de faire un effort. C’est maintenant qu’il faut en profiter. Après il sera trop tard. Il ne va pas vivre éternellement, tu sais. - Je suis au courant… Je passerai le voir ce week-end. - Passe-lui un petit coup de file avant. - Je préfère lui faire la surprise. - Il va être tout chamboulé si tu arrives à l’improviste. - Mais si je le préviens, il va faire à manger pour une armée. 161 - C’est pas un drame. Ça te ferait du bien de prendre un kilo ou deux. On dirait un squelette. Tu manges un peu ? - Mais oui. - On dirait pas. J’ai l’impression que t’as encore maigri. - C’est juste une impression. - Tu pèses combien ? - C’est bon je te dis. Arrête un peu, je suis pas anorexique. Je mange largement assez. - Ah, excuse-moi. C’est juste que je me fais du souci pour ta santé. - Tu n’as pas à t’inquiéter. Je vais très bien. - Et au niveau financier, tu t’en sors ? - Oui. C’est juste, mais ça va. Je fais attention. - Et avec Jessica ? Pas trop dure la relation à distance ? - Si, mais bon… Pas trop le choix. Je l’ai vu le week-end dernier donc ça va. - Ah oui ? T’étais descendu ? Ça c’est bien passée ? - Oui, fait super beau à Montpellier. On a même pu allé se baigner. - Tant mieux. Ça te fait des minis vacances comme ça. - Et toi ? Tu ne comptes pas te remettre avec quelqu’un ? - Pas pour l’instant non. Je n’ai vraiment pas l’esprit à ça. Et puis je n’ai pas envie de me prendre la tête. Je laisse la vie suivre son cours et je verrai bien. - Ouais, t’as raison. - Bon, mais ça serait bien qu’on arrive à se faire une sortie tout les deux, un de ces quatre. C’est quand même un comble, on habite juste à côté et on ne se voit jamais. - Je suis pas mal occupé la journée moi, avec les cv qui faut que je dépose à droite au gauche et tout ça, mais à la limite on pourrait se voir en soirée. - Ça m’arrange pas moi le soir, c’est là où je peux appeler la plupart de mes clients. Et le weekend-end ? - Ba à la limite, je peux me libérer dimanche, vu que tout est 162 fermé c’est pas la peine que je cherche quelque chose. - Parfait. Moi je peux me faire en sorte de n’avoir aucun rendez-vous dans l’après-midi. Qu’est-ce que t’aurais envie de faire ? - Je sais pas. - Tu vas toujours à la piscine ? - Beaucoup moins qu’avant, mais j’essaye oui. - On a qu’a allé nager. Y a une super piscine juste à côté. Ça te dit ? - Ouais, pourquoi pas. Ça pourrait être sympa… Mais vérifie qu’elle ouvre bien le dimanche. - Tu as raison. Je me suis déjà fait avoir comme ça la dernière fois. - Quelle heure il est ? - 17h50. - Merde, faut que j’y aille. - Déjà ? Mais tu viens à peine d’arriver. - Je t’avais dit que je passais en coup de vent. Je suis obligé de bouger, j’ai une régie à 19h. - Où ça ? - Au Théâtre de Ménilmontant. Je sais pas si tu connais. - Ça me dit vaguement quelque chose. - C’est vers Gambetta. C’est pas très loin de chez moi. - Ça se passe bien ? - Moyen. Les acteurs sont un peu relous mais bon… Ça me fait une expérience à mettre sur le cv. - Tu fais ça encore combien de temps ? - Jusqu’à la mi-Novembre. Après je serais obligé de m'arrêter, parce que je devrais faire la régie sur mon propre spectacle. - Tu m’as dit que c’était quand déjà que tu jouais ta pièce ? - Les vendredis et samedis à 19h, dimanche à 15h. Du 15 Novembre au 15 Décembre. - Ah oui, c’est vrai. Pardonne moi, j’ai vraiment du mal avec 163 les dates. Et vous jouez où ? - Vers Bastille. Dans un petit théâtre. - Tu pourras me faire un mail avec toutes les informations, comme ça je pourrai faire tourner à mes contacts pour te faire un peu de pub. - Ouais, ba ce que je ferai, c’est que je t’enverrai le flyer, y a tout écrit dessus. - Ok parfait. - Bon faut vraiment que j’y aille. - Pas de problème. Ça m’a fait plaisir de te voir. Prends soin de toi, fils. - Toi aussi. - Tiens prends ça. - Non, non merci. - Ah, m’embête pas. Prends. - Garde ton argent, Papa. - C’est pas grand-chose, mais tu pourras sortir un peu comme ça. - Merci. - C’est rien. C’est normal. Tu veux pas prendre quelque chose avant de partir ? - Non c’est bon, c’est gentil, mais j’ai tout ce qu’il me faut à la maison. - Même pas un fruit ou deux ? - Tu sais je viens de faire les courses, alors j’ai ce qu’il faut en fruit. - D’accord. Tu es venu comment ? En vélo ? - Oui y a une borne de Vélib’, juste en bas de la rue. - Ok. Bon, je te dis à dimanche. - Oui, à dimanche. - Rentre bien et fais attention sur la route surtout. - Ne t’en fais pas. - Allez bisous. - Bisous. 164 Stress Lundi matin. Levé 8 heures. Ai rendez-vous à 9h. Entretien pour un stage (enfin !). Fatigué. Comme si n’avais pas dormis. Comme si avais fait la bringue toute la nuit. Ne suis pourtant pas sorti. N’ai pas bougé, un poil, un milli cheveux de mon lit. Sais pas ce que j‘ai. Ai l’impression de perdre toutes mes forces. Comme si un vampire me suçait le sang. Hypothèse peu probable tout de même. Si les vampires existaient ça se saurait. - Mais ça se sait monsieur. Ça se sait ! Espère que je ne suis pas (encore) malade. L’hiver est même pas arrivé, que déjà je coule du nez. Qu’est – ce que ça peut être chiant d’être si peu résistant ! Ouvre les yeux difficilement. M’étire, m’étends et… retombe. M’affale comme une merde. La tête me tourne, je devrais manger, petit à petit, petitdéjeuner, mais n’y arrive pas. N’ai pas. Mon estomac est noué, gonflé. Comme si j’allais exploser. Mon corps n’a pas commencé à finir de digérer ce qu’ai mangé hier dans la soirée. Me force quand même. 165 Sinon sais ce qui va se passer. Les choses risques d’empirer. Prépare petit dégueuler. Tartines tartinées. Café coulé. Mélange subtil, horrible. Jessica pense que si je suis comme ça, c’est justement parce que ne me nourris pas. Pas assez. Mange comme un moineau. Trois fois rien. À peine quelques miettes, bouts de pain. JESSICA Tu as besoins de protéines. De vitamines, Tu ne peux pas continuer comme ça. Arrête tes conneries. Ton corps a des besoins, tu dois satisfaire ses envies. Essaye au moins un petit peu. Mange en juste quelques bouts. Ça te donnerait des forces… Oh et puis merde ! Qu’est-ce que ça te coûterait ! C’est quand même pas la mort. C’est juste de la viande ! Après tout tu en mangeais avant ! Alors pourquoi ce revirement ? Tu sais, tu ne peux pas continuer à prendre le sujet à la légère. À faire comme si rien ne se passait : ce n’est pas grave, on s’en occupera plus tard. Comme tu fais d’habitude. Comme tu fais tout le temps. Arrête un peu d’être aussi cool. Tout n’est pas Peace and Love tu sais. Tu ne peux pas être végétarien et agir aussi légèrement. Tu t’es renseigné sur ce qu’il te fallait manger pour être en bonne santé ? Tu as lu le document que je t’avais envoyé ? Non, hein ? Évidement. Ça ne t’intéresse pas ? Tu t’en fous de ce que je te raconte ? C’est bon, c’est bon, j’ai compris, je te laisse, j’arrête de te saouler avec ça. Mais après je te préviens ne viens pas te plaindre, parce que tu ne vas pas bien ! 166 Me tue de le reconnaître, mais elle a sûrement raison. Si seulement j’étais un peu moins con, Je l’écouterai. Les femmes sont la voix de la raison. Suis juste trop orgueilleux pour le reconnaître, l’admettre. Faut que je suive ses conseils. Que je me renseigne… M’en occuperai après. Regarderai, chercherai sur le net (porno ! porno ! porno !). Tout à l’heure. En revenant Là je n’ai pas le temps. Faut que je me presse, que je me dépêche. 8h22. Ai un peu plus de 30 minutes de transport pour y aller. Le théâtre est à Nation. Faut que sois parti d’ici 10 minutes (grand maximum). Dois encore m’habiller, aller chier et me laver. Savonner. Me brosser les dents. Motivé. Motivé. 8h34. Suis prêt. Volets fermés. Lacets lassés. Veste boutonnée. IPod lancé. Porte claquée. Fermée à clés. Double tour. N’ait jamais trop prudent. Sors précipitamment. Jette coup d’œil rapide à la station de Vélib’. Au cas ou… Sans surprise. Tous les voyants sont encore rouges. La station est cassée. Aucun vélo ne peut être emprunté. 167 Des semaines que c’est comme ça. Ne trouve pas de vélo partout où je vais. Au début, ça m’énervait, m’irritait (putain de Parisiens, obligés de tout gâcher, tout saboter, rien ne dure à Paris. Rien ne reste neuf, propre très longtemps. Rien ne persiste dans le temps. Confiture aux cochons), mais maintenant ai renoncé. Abdiqué. Me suis fait à l’idée. Ressorti mes tickets de métro, boulot, dodo. Pas le choix, pas moyen d’y échapper, suis coincé. S’engouffrer. Descendre. Pas à pas. Marche après marche. Passer de l’ombre à la lumière. Du soleil aux ténèbres. L’air pas très frais laisse place à la moiteur, puanteur, mélange perpétuel de pisse, vomi et autres déjections de fluides corporels non identifiés. Arrive devant les portiques électriques. Plonge mes mains dans mes poches à la recherche du ticket perdu. Ne fraude plus (pour le moment). Petit jeu bien trop coûteux, dangereux. La dernière fois m’a coûté 90 €. Aïe, ouïe. Ça fait mal aux couilles. Mais à 1,70 le ticket, vais pas pouvoir rester dans la légalité très longtemps. Mon compte en banque va vite défaillir. Faudrait que je m’occupe de prendre un abonnement. Mais maintenant que je suis plus étudiant, peux plus avoir le droit au tarif Imaginaire. Va me coûter méga trop cher. Sais vraiment pas comment j’vais m’en sortir. Reste planté comme un poteau devant les tourniquets. 168 Tout le monde doit se demander ce que je fais. - Je vous emmerde, voilà ce que je fais ! Ça y est ! Enfin. Trouvé. Pas trop tôt. Et pas trop tard, heureusement. Beaucoup trop de poches, beaucoup trop d’affaires, perdues, égarés, jamais retrouvés. Prends le ticket. Espère qu’il est bon. Bzzzzzz. Raté. Veuillez recommencer. Et merde. Saleté. C’est reparti, reprends la chasse au trésor, jusqu’à tombé sur le lingot d’or. Ticket chéri, soit bénis. Passe. Droite ? Gauche ? Porte d’Italie ou Bobigny ? Droite. Porte d’Italie. En bas, plus bas, entends le métro qui arrive. Vais le louper. Tant pis. Prendrai le prochain. Ne pas (surtout) se presser. C’est le meilleur moyen de trébucher, passer de l’autre côté. Se transformer. Ne suis pas comme eux. Essaye. Résiste. À la foule. À la masse. Non à l’uniformisation ! Vous ne ferez pas de moi un mouton ! Tente de me rassurer, afin de ne pas voir la réalité. Arrive sur le quai. Le prochain train est dans 2 min. Parfait. À peine le temps de souffler. 169 Jette un coup d’œil à l’immense affiche qui se trouve derrière moi. Gleeden, le conjugale ! 1er site de rencontre Quelle connerie ! Détourne le regard, avant que ça ne m’énerve. N’y pense pas. Concentre-toi sur la musique. Dans mes oreilles Roger Waters cris : « I don’t need no Wall around me. And I don’t need drugs to caught me » Le train arrive. Pourrais me jeter en dessous. Cela serait si simple (si horrible). Si rapide. En finir en moins de 2. Solution de facilité. Solution à tous les problèmes. Mais ne fais pas partie de ces gens-là. Tiens trop à la vie moi. Et même si je voulais vraiment le faire. Si je voulais vraiment me foutre en l’air, jamais je ne ferais ça sur une rame de rer. C’est minable. Dégueulasse. Et puis ça dérangerait tout le monde ! - Fait chier ce con ! Je vais être en retard. Il n’aurait pas pu aller se tuer autre part. Les portes s’ouvrent. La grande fourmilière s’active. Des gens sortent. Des gens rentrent. Personne n’a rien vu et le train du bonheur repart à 200 à l’heure. Pas de place à l’intérieur. Pas surpris. - Quelle idée de prendre le métro à cette heure aussi ! Heure de pic, pointe, comme tout le temps à Paris. Tant pis. 170 Reste debout. Rien d’autre pour me retenir que mes genoux. Peut pas atteindre les barres en métal. Trop de monde. Partout. Collés, serrés les uns aux autres, peux à peine respirer. Galère à sortir mon bouquin. L’ouvre. S’agit d’un livre de Victor Levy Beaulieu. Le temps passe plus vite lorsque l’on s’occupe. Il défile, s’enfuit, lorsqu’on lit de la poésie. « Assis dans le sable de grève, emmitouflés dans des couvertures de laine rouge, faisant rôtir des saucisses et buvant de la bière. Pourrais me retrouver là, à m’assoupir devant le feu plutôt que conduire ma mère au restaurant. N’y vais presque plus jamais depuis qu’on m’interdit d’y fumer la pipe, même sur la terrasse. A cause de ce qu’ils appellent la fumée secondaire, celle qu’un non-fumeur pourrait inhaler par inadvertance. Pourtant passent juste devant de pétaradantes motocyclettes, de vieux pick-up sans tuyaux d’échappement, de rutilantes belle anglaises d’autrefois et de polluants tracteurs. Qu’en est-il de leur fumée secondaire, moins délétère pour la femme enceinte que le jus de pipe ? Et toutes ces hormones de croissances dans la viande, tous ces antibiotiques, toutes ces moulées animales dont on engraisses les bêtes de boucheries, ce foin arrosé à l’herbicide et ces engrais pourris, moins dangereux que d’allumer sa pipe ? Fumisterie. Hypocrisie de bien-pensants. Sont trop nonos pour faire une synthèse de tout ce qui les abrutit, de toute cette pollution qu’ils fabriquent euxmêmes. Des cancers ambulants, des nids à bactéries mangeuses de chair. Proliférante humanité dans le grand concert des nations, dans le grand cancer du capitalisme, des tarés, des infirmes, des schizophrènes et des névrosés. Avec comme seule chance de survie le règne des machines intelligentes. En elles notre ultime espoir d’évolution. Après l’apocalypse des épidémies pas besoin de mettre un peu d’ordre dans un 171 troupeau trop nombreux, dont le cerveau s’atrophie plutôt que de se développer. Ne savent même plus quoi penser. S’imaginent que parce que tout le monde en parle, ça parle de quelque chose. Une meute déraisonnée, à la merci de ses dieux grabataires, dépassées et nuls. Du vieux monde. Rien d’autre qu’un nombre. Déjà mort, mais l’ignorant. » Unes a unes les stations défilent. Porte de Pantin. Ourcq. Un mec entre et se met à crier dans toute la rame : - Oui, vous tous ! Pêcheurs ! La fin est proche, repentez-vous ! Jésus miséricordieux vous aime et est prêt à vous pardonnez. Le seigneur est mort pour racheter nos pêchés. Ne l’oubliez pas, repentez-vous ! Laumière. Jaurès. Un mendiant entre et se met à réciter dans toute la rame : - Bonjour, Mesdames et Messieurs, excusez-moi de vous déranger. Je sais que vous êtes beaucoup sollicité. Je m’appelle Jérôme (bonjour jérome !) et je dors dehors depuis plusieurs jours, après que mes parents m’ai mis à la porte. Je cherche un boulot, je cherche vraiment à m’en sortir. Il ne me manque que 3 € pour pouvoir dormir dans un hôtel ce soir. Dormir dans un vrai lit et prendre une douche. Alors si vous pouvez m’aider, faire un petit geste. Ou si vous auriez des tickets repas, ou ne serais-ce même que des cigarettes. Merci de votre générosité. Stalingrad. Gare du Nord. Gare de l’Est. Il fait chaud. Moite. Commence à suer. Transpirer. Ai pourtant mis du déo. Inefficace. Comme d’hab. 172 Satisfait ou remboursé (comme ils disent à la télé). Faudrait que j’essaye un de ces quatre. Que j’aille un peu les engueuler, voir si me fais vraiment rembourser. Qu’on arrête un peu de se faire enculer. L’odeur dans le wagon est nauséabonde. Vient de l’aisselle du type à côté de moi. Doit sûrement avoir la même marque de déodorant. Jacques Bonsergent Une femme entre et se met à réciter dans toute la rame : - Bonjour, Mesdames et Messieurs, excusez-moi de vous déranger. Je sais que vous êtes beaucoup sollicité. Je m’appelle Géraldine (bonjour Géraldine !). République. Ma station. Pas besoin de pousser, la moitié du wagon descend à cet arrêt. Suffit de m’insérer, laisser porter. Mécanique bien huilée. Les couloirs de la mort nous dispaches en fonction de nos destinations. Ville souterraine, c’est ici que se déroule la vraie vie de Paris. Au-dessus ce n’est qu’apparences. Décors truqués, parfumés pour les touristes tarés. Faut descendre sous terre pour voir la réalité. Pour voir la galère. Renifler la misère. Les choses sont loin d’être rose dans la ville des amoureux. Marche. Loin. Toujours plus loin. Monte, descends, tourne, retourne en rond. Lumières blafardes. Nuit en plein jour. Néons crépitant. Sol dégoûtant. Déchets. Tunnels n’en finissent plus. 173 Sur les murs les mêmes affiches débiles se répètent tous les deux mètres. Pubs, affiches de théâtre, Pubs, affiches de cinéma, Prônant la dernière merde hollywoodienne qui vient de sortir. 10 mètres, l’indifférence laisse place à l’énervement. 30 mètres. L’énervement se transforme en un dégoût violent. Envie de tout arracher. Lacérer. Rendre aux murs leurs blancs crasseux. Les délivrer de ces cochonneries colorées, imprimés. Accélérer. Ne pas, surtout regarder. Droit devant fixer. Hurlement intérieur. Accélérer. Arrive dans la rame du 9. Même quai. Même foule. Même décor. Même puanteur. Même métro. Différentes destinations. Variation minimale sur l’équation géante de la normalité. Même procédé. Tout reprendre. Recommencer. À tout jamais. Sortie. Ah ! Respire. Ça fait du bien. Regarde mon portable : 8h58. Pile à l’heure. Parfait. Était pas la peine de me presser. Prend la première à droite et remonte la rue de Montreuil. C’est au 77. 174 64, 66, 68. M’arrête. Dois traverser. Suis pas du bon côté. 69, 70. C’est mieux. 73, 75, 77. Stop ! C’est là. Me fixe. Hésite. Timide. Introvertis. Stress stressé. Passe vite fait la main dans mes cheveux dans l’espoir insensé de me recoiffer. Essayer. À quelque chose ressembler. Resserre ma ceinture. Rentre ma chemise dans mon pantalon. Faire bonne impression. Enlève mon casque. Éteins mon iPod. Prends une longue inspiration. Stress stressé. Avoir qu’une envie : loin au loin, très loin se casser. - Allez. T’inquiètes pas. Tout va bien se passer. Espère. Pousse la porte d’entrée. 175 Cigarette Il est 21h05. Ai rendez-vous avec Norman à Saint-Michel dans 20 minutes. Y serais pas. Aurais dû partir y a déjà plus de 10 minutes. Ai été retenu. Parler avec Jessie sur Facebook. En temps normal, lui aurais dit que n’avais pas le temps, qu’il fallait que j’y aille, mais là elle n’allait pas bien. Vraiment. Moral dans les chaussettes. Coup de blouse. Déprime. Dépress… Alors suis resté. Histoire de. Le temps de lui parler. De la réconforter. Essayer. Voilà pourquoi maintenant je cours dans tout mon appartement. À la recherche du vêtement perdu : Sale. Sale. Pas ça. Sale ! Faut vraiment que je fasse une machine. Bon, tant pis, vas-y, ça me gave ! Pas le choix. Remet les mêmes fringues qu’hier, et avant-hier, et avant avant-hier. No sais depuis combien de temps je mets les mêmes vêtements. Ai perdu le compte. Préfère pas savoir. Ai laissé tomber les caleçons et les chaussettes. Plus possibles, ils puaient trop. Me sens sale, alors que je sors à peine de ma douche. Désagréable sensation. Bon qu’est – ce que je fais ? Vélo ou Métro ? 176 Aurais bien pris le vélo. Besoin de faire du sport. Suis pas sortis de la journée. - Bouge ton cul. Toute cette graisse. Bourrelet infâme, que tu te trimballes sur le bas du ventre. Gros tas. Prends l’air, ça sera toujours mieux que de rester enfermer Six Feet Under. Ferme à clé, sors. Ne remarque. Comprends pas tout de suite. C’est le bruit des voitures qui m’informe : crissement caractéristique du caoutchouc glissant sur le goudron : il pleut ! Et merde. Suis pas du tout habillé pour. Rentrer me changer ? Quelle heure il est ? 21h15 ! Non, plus le temps. Tant pis, ce n’est que de la pluie. Ça va pas me tuer (espère). Suis pas en sucre, bordel (crois pas en tout cas). Check la station de Vélib’ : presque pleine. - Tu m’étonnes ! Personnes a envie de faire du vélo par ce temps. Presque personne. Y a une quinzaine de vélos attachés à la borne. 3 ont le voyant rouge : Out of Order. Faut que j’en trouve un en (un peu près) bon état. Penser à tout vérifier. Toujours le même ordre, afin de ne rien oublier : roue arrière (gonflée !), scelle (serrée !), frein gauche (serré !), frein droit (serré !), roue avant (gonflée !). Ok, allez, j’prends celui-là. Pose la carte sur le lecteur. Bip Bip. Ajuste la scelle à ma hauteur, Détache le vélo. 177 Lance ma musique. Du Jazz. Un bon petit Miles Davis, Kind of Blue. Rien de mieux à écouter lorsqu’il pleut. Serre le casque sur ma tête. Espère qu’il va pas trop morfler avec l’eau. Peux pas mettre ma capuche par-dessus. Trop dangereux, perds en visibilité sur les côtés. Un coup à se faire écrasouiller. Et c’est parti ! Premier coup de pédale, détale. Déjà en temps normal, le vélo dans Paris c’est super dangereux, mais lorsqu’il pleut-pluie, c’est juste de la folie. Laisse tomber mes habitudes de connard-cycliste et me transforme (plus ou moins) en chauffard modèle : vais pas trop vite, regarde à droite, à gauche avant de traverser, patiente comme un con aux feux rouge. Enrage. Un vélo s’est fait pour rouler. A Biker has to ride ! Ride or die ! C’est vraiment insultant d’être cyclistes sur Paris. Entre-deux bien pourris (comprends ce que doivent ressentir les transsexuelles). Tout est fait pour uniquement 2 catégories : piétons et/ou automobilistes. T’en es ou tu crèves. Les pistes cyclables ? Trucs inutiles fait pour t’empêcher de gueuler. Par principe. Histoire de. Faire genre, bonne figure. « Regardez, nous on aime nos amis les cyclistes ». Conneries ! Elles sont faites n’importe où, n’importe comment. N’écartent aucun danger. Augmentent plutôt les chances de se faire écraser. Soit y a des dizaines de passant dessus. (- Dring ! Dring ! Excusezmoi. Pardon ! Pardon ! Madame avec la poussette, pourriezvous avoir l’obligeance de regarder quand vous traversez !) Soit elles sont couplées avec des voies de bus et de taxis. Et autant les bus (certains) patientent gentiment derrière toi (enfin, ça dépend vraiment des fois), autant les taxis n’en ont vraiment 178 rien à foutre et se gênent pas pour doubler. S’en balancent que tu sois accolé à la chaussée, à 2 doigts de tomber, la tête fracassante fracassée sur le pavé. Le pied sur le champignon, eux, tu comprends ils sont là pour se faire du pognon. Coups de klaxon. Accélération. Ne se préoccupent pas de savoir s’il y a un mètre de distance entre eux et toi. Tu n’es qu’un obstacle sur leur passage. Bande d’enfoiré ! Comprends pourquoi les gens s’insultent autant au volant. Sors le pied-de-biche pour le prochain trou du cul, qui s’amuserait à vouloir me dépasser. Vais lui expliquer moi ce qu’il en coûte de niquer le code de la route. Après c’est sûr faut pas s’étonner si les vélos circulent sur les trottoirs. Au moins, là ils sont en sécurité… Encore que. Fait agresser. Gratuitement. Verbalement. Par les piétons, que l’on ne dérange absolument pas, mais qui ne peuvent supporter, que leurs beaux trottoirs soient souillés, dégueulassés par nos roues noires. M’égare dans mes pensées. Risqué. Mortel. L’œil toujours fixé (pas bouger) sur la route, prévention du moindre danger, si l’on veut pouvoir en réchapper. Feu rouge. Encore un. Tein, suis maudit, me les tape tous ! Arriverais jamais à ce rythme. Ah et puis, tant pis ! Pas le temps. M’arrête pas. Ralentis à peine. File. Vérifie : pas de voiture en face. Parfait. Je passe. Ah ! Merde. Un piéton. Freine d’un coup, sec. Oublié. 179 Le sol est mouillé. La roue n’adhère pas à la chaussée : le vélo tangue et suis à 2 doigts de tomber. Pèse de tout mon poids de l’autre côté. Rattrapage incontrôlé. Ouf… S’en est fallu de peu. Dois penser à ne plus freiner aussi fort. Anticiper. Vais essayer. N’attends pas le feu, repars sans lui. M’évite que les voitures me collent au cul. Contrairement à ce que j’espérais, la pluie ne s’est pas arrêtée. Au contraire. Doublée, redoublée d’intensité. Nage dans mes chaussures. Plonge dans mes chaussettes. Mon pantalon s’est transformé en vieille serviette mouillée. Tandis que. Sur mon front dégouline des dizaines de gouttes d’eau. Tombent. Tombant dans mes yeux. M’aveuglant. Partielecomplètement. Sais pas comment vais faire pour arriver vivant. Rêve. Fantasme. D’un abri bien au chaud où je pourrais me sécher. Réchauffer. Sinon demain c’est sûr, vais me réveiller malade comme un chien enrhumé. 3 feux rouges-oranges plus tard. Arrive à St-Miche-Miche Reste plus qu’à trouver une borne libre pour déposer mon vélo maintenant. Pas évident, personne ne sort sous ce temps. Première station : complète. Deuxième station : complète. Croise les doigts. Prie pour que sur la prochaine, il y ait une place pour moi. Faudra que j’retourne sur mes pas sinon. Troisième station : complè… 1 place de libre ! Saute dessus, tel un puceau en chaleur sur un magasine porno. 180 - Cette place est à moi ! A moi vous entendez ! Et je ne laisserai personne me la piquer ! Pose. Raccroche my bike. Bip bip. Retour à la piétonnerie. M’engouffre (vite ! vite !) dans la station de métro pour me protéger de la pluie. Compose : 06 12 74 38 82. Dring… Dring… Dring… Bonjour. - Ouais Norman. T’es où ? Je ne suis pas disponible pour le moment, merci de me laisser un message. Ah ! Sert à rien les boites vocales ! Les gens les écoutent jamais, mieux vaut encore envoyer un texto : T’attend à la sortie du rer C. Sais pas ce qu’il fout. Vu l’heure devrait être là depuis longtemps. Marche. Circule dans les couloirs du métro en l’attendant. L’air moite, moisi des tunnels me réchauffe. Commence légèrement à me sécher. Frotte, frotte pantalon et blouson pour accélérer le procédé quand… - Salut. Norman arrive. - Salut. - Désolé, j’suis un peu à la bourre. Ça fait longtemps que t’attends ? - Non, t’inquiètes. Je viens juste d’arriver. - Ça saoule cette pluie, je suis complètement trempé. - M’en parle pas… - T’es venu en vélo ? 181 - Oui, c’était vraiment la merde. - Tu m’étonnes. - Tu veux faire quoi du coup ? - J’sais pas. J’ai pas vraiment d’idée. Qu’est-ce qui te plairais ? - Ba… T’as assez de thune pour aller boire un verre ? - J’ai 10 €. - On se pose dans un bar ? - Ça me va. T’en connais des sympas dans le coin ? - Ouais, y en a un pas trop mal où je suis déjà allé, je pense que tu devrais aimer. Sort dehors. Retour à la pluiepluie. Chierie. Le quartier Latin est plus que tranquille. Les rues sont à moitié vides. Rarement vue ça. Croulent sous la foule d’habitude. Voit pas à 2 pas. Travailleurs travaillant, Étudiants étudiant, Étranges étrangers, parcourant parcours fléchés, Émerveillés devant les moindres banalités : Notre dame. Photo ! La Seine. Photo ! Les Pavés. Photo ! Les Policiers. Photo ! Les Prostitués. Photo ! Les Mecs bourrés. Photo ! Le Métro. Photo ! Les Clodos. Photo ! Photo ! Et le Chinois inventa l’appareil (Photo !) numérique. Mais pas ce soir. Tout le monde est rentré. 182 Les troupes ont déserté. - Normal. Il pleut. Milieu de semaine. Il est tard. Personne n’a envie de se bourrer la gueule. Préfère rester chez soi, bien au chaud à manger, forniquer, regarder la télé. C’est triste… Tournons dans la rue de la Huchette et passons devant ses nombreux, copieux, restaurants spécialisés. Si les homards en vitrine me dégoûtent plus qu’autre chose, ne peux m’empêcher de baver devant les enseignes de Fondu, Raclette, Tartiflette et autres multitudes de plats en ette. Patates + Fromage fondu + Pinard, multipliés par l’infini. Les Savoyards ont vraiment tout compris à la vie, gastronomie. Faut que je pense à inviter Jessie ici la prochaine fois qu’elle montera. On entre dans Ze Bar. Ce n’est pas The Bar de Paname, mais amplement suffisant pour passer un bon moment. Aime bien l’ambiance. Déco assez stylée. Lumières tamisées, casques de chantier, balançoires accrochées, murs tagués. Me fait penser à un squat. Indique à Norman une partie du plafond : un énorme tag précise qu’il est interdit de faire des fellations. - Cool. - Je trouve aussi. - C’est super ici. On se pose à une table un peu à l’écart. Un groupe de jeune est assis de l’autre côté du bar. Ont l’air assez sympa (mecs bien propres sur eux, tee-shirts serrés, jeans moulants, Converses montantes, Ray Ban originals sur le nez ; les filles super sexy, à moitié dénudées pour cette période de l’année, cheveux lisses lissés, visage soigneusement poudré, sourcils épilés en mode mannequins parfaits), mais discutent fort. Trop. Ai pas envie d’hurler pour parler. Pour une fois que dans un bar la musique ne crie pas. 183 Prend chacun une carte. Pense que vais commander un Mojito (comme d’habitude !), mais lequel ? En ont des dizaines de différents : Mojito Royal (avec du champagne), Mojito Energy (avec de l’energy drink ), Mojito Pink (avec du jus de framboise), Mojito Ruby (avec du citron), ect... Ont différentes tailles aussi : S, XL, XXL. C’est bon, mais par contre s’est pas donné : 14 euros le XL. - Tu prends quoi ? - J’sais pas. On est encore en Happy Hour ? - Non, ça vient de finir. C’était jusqu’à 22h. - Dommage. - Ils ont de très bon cocktails, si tu veux. - Mouais… C’est trop cher les cocktails. Je vais plutôt prendre une bière. Qu’est-ce qu’ils ont en Blonde… Ah, ba je vais prendre une Leffe tiens. Et toi ? - Je vais me prendre un French Kiss. - C’est quoi ? - J’sais pas, mais le nom est sympa, j’ai envie d’essayer. Pas de Mojito au final. Fais un signe au serveur et passe notre commande. Regarde Norman. - Mec, ça fait plaisir de te voir. - Pareil - Sincèrement ça fait combien de temps qu’on était pas allé dans un bar ensemble ? - Longtemps. - Oui. - C’est ouf quand même, on s’est presque jamais vu depuis que t’as déménagé. - Désolé, j’étais pas mal occupé. - T’inquiètes c’était pareil de mon côté. 184 - C’est le problème, on est tous les deux supers occupés et au final, on habite tout près, mais on se voit jamais. - Ouais… Enfin c’est quand même plus simple, que si tu vivais à l’autre bout des États-Unis. - Ah ba, en parlant de ça : t’as des nouvelles un peu de Rémy ? - Je l’ai sur Skype de temps en temps. - Et alors ça se passe bien ? Il est content ? - Ça a l’air d’aller pour l’instant. À part son coloc qui lui casse les couilles. - Ah, pourquoi ? Il est crade ? - Ouais et puis c’est surtout le fait qu’ils partagent la même chambre qui le saoule. - Ils ont qu’une chambre pour deux ? C’est chaud ça. - Il m’a dit qu’y a juste un bureau qui sépare leurs deux lits. - Comme dans les séries Américaines. - Exactement. Mais sinon, ça va plutôt bien. Il s’est fait pas mal de potes. Principalement des étrangers comme lui. - Me dit pas qu’il traîne qu’avec des Français ? - Non, il fait gaffe justement. - Et les cours, il s’en sort, c’est pas trop hard ? - Un peu quand même. Il a beaucoup de boulot à faire chez lui surtout, ça lui laisse pas des masses de temps pour sortir et profiter. - Et tu sais quand il rentre ? - Le 18 Décembre je crois, juste avant… Le serveur revient avec nos boissons. Nous sert. Norman sa bière. Moi mon French Kiss. Un peu déçu. Pas super grand pour un XL, mais bon. Norman sort son portefeuille pour payer. Le mec lui laisse pas le temps et repart aussitôt. L’informe : - On paye en partant. - Ok. - Bon ba : santé ! 185 - À la tienne ! À la bouche. À la langue. À la paille. Sirop. Sirote. Goutte. Goût spécial. Doux. Léger. Frais. Vraiment pas mal. - Bon alors raconte-moi ? Comment se passent ces débuts dans la capitale ? - À part le temps écoute, pas trop mal. - Tu m’ disais que t’étais pas mal occupé, qu’est-ce t’as fait ? - J’ai eu plein de papiers à régler. J’ai dû courir partout, j’ai pas arrêté. Il a fallu que je passe à la banque pour ouvrir un compte. - T’en avais pas un sur Grenoble ? - Si, mais je suis à la Caisse d’Épargne et c’est une banque régionale. Du coup j’ai été obligé d’ouvrir un compte ici pour qu’il puisse faire le transfert de dossier. - Super pratique. - Je suis passée à la LMDE aussi. - Pourquoi faire ? T’es plus étudiant nan ? - Oui, mais je suis encore affecté à eux jusqu’au mois de Novembre. - Ok. Et du coup t’y est allé pourquoi ? - J’avais besoin d’une attestation de sécurité sociale. Ça a été un de ses bordels ! J’ai poireauté plus d’une heure là-bas, juste pour qu’on m’imprime un papier. Y avait une queue de fou, les gens autour de moi ils en pouvaient plus, ils étaient à deux doigts de péter un câble. - Ah… L’administration. - Ouais, et sinon ba, je passe mon temps à chercher un job. - Tu cherches dans quoi ? - Dans tout. Je cherche pas le job de ma vie, juste un truc qui puisse me permettre de payer le loyer. - Tes parents te filent pas du tout d’argent ? 186 - Non. Ils m’ont dit que si je voulais monter sur Paris, je devrais me débrouiller tout seul financièrement. - Dur. - En même temps, je les comprends. Ils ont vraiment pas assez pour me payer un appartement. - T’as des aides de toute façon, non ? - Ouais, j’ai envoyé mon dossier à la CAF le mois dernier. J’attends qu’ils le traitent maintenant. Je devrais avoir 100 € d’APL normalement. - Tant mieux. Tu fais comment pour le loyer en attendant ? - C’est Lucie et Patti qui me le paient pour l’instant. - Putain, elles sont sympas. - Trop. J’ serais vraiment dans la merde sans elles, mais faut que j’trouve quelque chose rapidement, pour pouvoir les rembourser. - Et alors, qu’est-ce que ça donne les jobs ? - J’ai déposé une cinquantaine de cv. J’ai fait le tour de toutes les enseignes autour de chez moi. Tous les fast-foods, les supermarchés, les librairies, les cinémas. - Et t’as eu des réponses ? - J’ai deux entretiens de prévu : un chez McDo et l’autre à Carrefour. - C’est super ! - Ouais, je suis assez fière. - Y a de quoi ! Moi la dépose de cv, ça a jamais rien donné. - Faut croire que je corresponds au profil demandé. Ou que j’ai eu un sacré cul. - Et c’est quand tes entretiens du coup ? - J’en ai un lundi et l’autre vendredi. - Ba merde écoute. - Merci. - Tu me raconteras. - Ouais… À McDo ils m’ont fait rire quand j’y suis allé. Je dépose mon cv et je vais pour partir, lorsque y a la meuf de 187 l’accueil qui m’arrête et me file un rendez-vous direct avec le directeur. - Putain ! Rapide. - Ils doivent vraiment être en dèche de personnel. Donc je pense que j’ai toutes mes chances. - J’espère pour toi. Et avec le proprio ça donne quoi ? - Il est passé nous déposer quelques meubles : une table, un canapé pour le salon, un frigo, mais il doit encore nous ramener un four et une gazinière. C’est vraiment galère là de faire toute la cuisine avec une seule plaque. - Et pour Internet ? - C’est bon on l’a enfin ! Lucie a remonté une boxe de Gre. - Cool. - Ouais, c’était trop chiant de pas avoir le net. J’avais l’impression d’être coupé du monde. - C’était pas une impression. - Mais avec la recherche de job, j’ai même plus trop le temps d’écouter de musique. - Moi en ce moment, je me rends compte que je télécharge à mort. Je dois charger au moins 3 albums de musique par jour. J’en télécharge même plus que je n’en écoute. - Ouais, c’est le piège. À une époque je faisais pareil. Y a tellement de truc qu’ont l’air bien qu’on veut tout écouter et au final on n’écoute rien. - J’sais pas pourquoi, mais ça me fait penser à ce que je suis entrain de lire en ce moment. - Tu lis quoi ? - Finnegans Wake de Joyce. - Connais pas. - Normal, personne connaît. - Ça parle de quoi ? - Ba justement d’un peu de tout et d’un peu rien. - C’est-à-dire ? 188 - C’est assez dur à expliquer, parce que le bouquin est vraiment hard à lire. Je pige pas grand-chose. - Pourquoi tu lis un truc si tu comprends rien ? - Le sens est assez secondaire en fait, ce qu’est génial chez Joyce c’est sa façon d’écrire. Le rythme qu’il donne à son texte. La musicalité qu’il donne aux phrases, les sonorités des mots se répondant les uns avec les autres. Et puis c’est bourré de jeux de mots, d’allusions, de références, dont je ne connais pas la moitié malheureusement. - Mouais… - Je le lis que par petits bouts par contre, sinon je criserais. Ça demande énormément de concentration. - Moi je viens de m’acheter le dernier de Brigitte Fontaine. - Et alors ? Bien ? - Ba c’est spécial quoi, comme tous ses livres. Mais après moi j’ai adoré. - Je te le piquerai à l’occasion. - Ouais pas de problème. Nous on c’est inscrit à la bibliothèque de Vitry et elle est franchement trop bien. On a pu emprunter plein de truc. L’inscription est gratuite en plus. - Vous avez pris quoi ? - Pas mal de cd. - Quel genre ? - Un peu de tout : du rap, du classique, de la New Wave pas mal. Patti à aussi pris des livres sur le rock pour son mémoire et deux dvd : un sur Bowie et l’autre sur Lou Reed. - C’est des live ? - Lou Reed ouais, mais Bowie c’est un documentaire. - Tu me diras s’il est bien. - Ouais, quand on trouvera le temps de le regarder. - Moi c’est pareil. J’ai emprunté 2 films et ça fait des semaines qu’ils traînent sur une étagère. J’ai même pas essayé de les mater. - Comment ça se fait ? 189 - J’sais pas, j’arrive pas à me motiver. C’est des films cultes en plus, donc faut être attentif et pas regarder ça distraitement. Moi ces derniers temps j’ai juste envie de regarder de la merde, où faut pas réfléchir. C’est pour ça que je me mate que des films d’horreur, au moins là t’es pas obligé d’être concentré pour apprécier. T’avais vu The Secret d’ailleurs au final ? - Ouais, je l’ai maté en streaming. - Et alors ? Qu’est-ce t’en a pensé ? - Ba…bof. - Ah ouais ? T’as pas aimé ? - La scénar est cool, mais la real est plate quoi. Y a pas des masses de tension. Pas de sang. Pour moi c’est pas un film d’horreur. - Oui, là dessus on est d’accord, c’est un thriller. Complètement. Mais je l’ai trouvé vraiment bien ficelé, par rapport aux nombreuses merdes, qu’on voit d’habitude. - C’est sûr qu’il est au-dessus de la moyenne, mais il est pas du tout au même niveau que Martyrs. - Ouais, mais en même temps c’est dur de faire aussi bien. C’est sûrement le meilleur film français de ces dernières années. Sauf qu’il sera jamais reconnu comme tel parce que c’est un film d’horreur. - Pourquoi tu crois que tous nos bons réal se cassent aux ÉtatsUnis ? Ils ont compris qu’en restant en France ils avaient aucun avenir. La seule chose qui marche ici c’est les comédies. Une bonne grosse comédie potache, où les gens ont pas besoin de réfléchir et qui leur fait oublier leur quotidien de merde. Regarde le succès de Bienvenue chez les ch’tis. 20 000 000 entrées. Il a eu tout un putain de tapage médiatique, alors qu’il a pas un dixième de la moitié de la qualité d’un film comme Martyrs. Mais bon, ça fait rire… - On se demande où est passée l’exception Française. - Où est passé l’art français tout court. En 30 ans on est passé du statut de modèle, de chef de file artistique, à… 190 - Ça. - Ouais… - C’est triste. - Tout le monde s’en fou de l’art maintenant. Les vrais artistes n’existent plus. Il n’y a plus que des petits péteux, qui veulent se faire remarquer. Qui veulent passer à la télé. Devenir célèbre et se faire de la thune. Les artistes ne sont plus des incompris, justes des putes qui cherchent à se faire du fric. Regarde Burton. - Putain, dire que je considérais ce mec comme un génie. C’est grâce à des films comme Batman Returns, que j’ai eu envie de faire du cinéma. Quand je vois la merde qu’il fait maintenant, ça me dégoûte. C’est là, où je me rends compte qu’il faut pas qu’on finisse comme ça. Il faudra qu’on sache s’arrêter. Se retirer avant de perdre toute crédibilité. - Faut déjà pouvoir débuter. - C’est sûr. C’est sûr… Silence. Dans le bar, le volume de la musique a augmenté. Celui des clients aussi. Regarde Norman, Son verre est vide. Le mien aussi. Pas assez de fric pour se resservir. Il est l’heure de partir. - On bouge ? - Ouep. Dehors la pluie s’est arrêté. Disparu, mais encore présente, Cachée, dissimulée, engouffrée entre les parois des pavés. Se ballade un peu dans le quartier - Tiens, viens, je vais te montrer un endroit trop ouf. - Qu’est-ce que c’est ? 191 - Une librairie. - Ça doit être fermée, t’as vu l’heure ? - Ba on peut toujours vérifier, c’est juste à côté. - Si tu veux. Sort de la Huchette. Traverse. S’engouffre rue de la Bucherie. Arrive devant Shakespeare and Co et… - C’est ouvert ! Parfait. Ça c’est de la librairie ! Entre à l’intérieur. Vieille bâtisse, en mode à l’ancienne. Tout en bois. Coussins, banquettes, pour se poser. Reposer. Espace confiné. Surpeuplé. Tous les livres sont en anglais. Tous les vendeurs sont en. Amoureux de la littérature, dites bonjours aux amoureux de la littérature. Donne tout envie de tout lire. Ne pas, jamais repartir. Rester vivre auprès de tante Sylvia et tonton Ernest. Ah si seulement je parlais mieux anglais… - C’est trop cool ici. - T’as vu. C’est génial et regarde ça : Faux vrai puits reconstruit. Dedans un écriteau : A coin for the starved writters. Tout est dit. Repart. Voyageurs nomades de la nuit, rien au monde ne peut nous retenir ici. Marche. Tout autour, faire le tour de la. Que tu es belle mamaman-dame la Seine, lorsque se reflètent dans tes courbes et tes remous les lumières (scintille, ô scintille étoile du soir !) orangées des milliers de réverbères posés géomathematiquement sur la chaussée. 192 Mendiants, clochards, roms, éclopés, prostitués, policiers et autres rebus de la société, dans le noir, sombrent, fondent, se confondent. Rues lavées, nettoyés (coups de car pas chers) propres, assainis. Que c’est bon d’être en vie ! Pense à tout ce que l’on peut faire la Nuit. Sur Paris. Sortir. Boite. Boite de la Nuit. Aller danser, draguer. Pécho chaud chaud de la meuf. Paf. Paf. S’extasier. Extasie. Bourrer la tête de petites pilules magiques en tout genre. Aller dans une boîte de strip, bam, boom, tease ! Voir de la chaire. De la chatte. Des filles à poils. Real world. Bien mieux que ton écran miteux, tes pornos vaseux. Se faire une te. Se faire une pu. Une femme. Un Homme. Un trans. Un enfant. Trouve de tout dans les rues de Pipi Paris la Galle. Déché, décadence. A deux pas de ceux qui s’en mettent plein la panse. Moulin Rouge. Quartier touristique. Oh que c’est Chick Chick. Pariiiiis, la ville de l’amoour ! Arrive au pont des arts. Bondé de soiffard. Enfin, de la vie ! Des ennuis. Pas encore minuit, mais vous invoque toc-toc, Jeunes de la Nuit ! Bouteille décape, débouche et glou-glou tout va dans le trou. Faire la fête. Pied de nez. Faire la nique à ceux qui nous ont oppressés en sachant parfaitement que. Se saouler pour. Génération d’oubliés. Avortés. Comment voulez-vous qu’on veuille encore procréer ? Sur le pont. 193 Sur les bords : droite, gauche, de chaque côté, des cadenas sont accrochés. Amoureux transis venus sceller, célébrer à jamais leur union éphémère. Des milliers de noms, entassés les uns sur les autres. Des centaines de couples : Yvan et Leah. Léa et Mathilde. 1 Cœur. Jérémy et Cassie Quentin et Laureline Greg + moi = amour toujours… N’en voit pas le bout. La fin. Jessie voulait qu’on en mette un. Trouve ça débile. Pas besoin de ça. S’assoit. La nuit est belle. Magnifique. Regarde. Contemple. L’eau couler. Le temps tranquillement passer. - Et alors ? En dehors de trouver un job, qu’est-ce que tu comptes faire ? - Je sais pas… J’pensais me remettre sérieusement à la guitare. Depuis le temps que je l’ai acheté, ça me saoule de pas savoir en jouer. Et puis si j’arrive à mettre assez d’argent de côté, j’aimerais investir dans un nouvel appareil photo. Me prendre un truc de qualité genre un 7D. - Ça serait super. T’as toujours été doué pour la photo. - Oui, c’est la motive qui me manque. J’arrive jamais à réaliser mes projets totalement. - Je comprends. - C’est pour ça que je suis monté. Ça m’oblige à me bouger. Je me mets en danger. J’ai déjà 22 ans, tu te rends compte ? Qu’est-ce que j’ai fait pendant tout ce temps ? J’ai compris que si je ne me prenais pas ma vie en main maintenant, ça serait foutu après. C’est maintenant ou jamais. 194 Oui. Il a raison. Il est temps de se bouger. Artiste je serais. Quoiqu’il arrive. Quoiqu’il se passe. Dépasser tous les obstacles. Ne pas se laisser aller. Cette année est celle de tous les dangers. Faut se lancer. Plus hésiter. Réussir ou mourir. Plus d’autres choix. Enfin croire en soi. - Comme tu dis, c’est maintenant ou jamais. 195 Killing in the Name Premier jour de mon premier stage : En retard. Première impression qui compte. Commence mal. Pas ma faute. Parti en avance : 50 min disait la RATP. Ai compté 20 min de plus par sécurité. N’ai pas pensé… Pouvais pas prévoir : « Panne d’électricité sur le réseau ferré. Le trafic est arrêté pour une durée indéterminée. » Fuck. Aurais dû y aller en vélo. Devant mes yeux énervés les stations défilent l e n t e m e n t. Bord de la crise de nerf. Peux rien faire. Sautille sur place. Enragé. Crissement de dent. Ai envie d’aller frapper le chauffeur pour qu’il accélère, mais ne peux même pas. Métro est automatique désormais, il n’y a plus de chauffeur. Peux plus taper personne. Où va le monde ? Me le demande. Inquiet. Imagine ce que va dire mon chef : « Bravo ! Vous avez vu à quelle heure vous arrivez ? On voit que vous êtes quelqu’un de motivé ! » 196 Pas commode. Il est de la vieille école. Strict sur les bords et dur au milieu. M’a fait flipper à l’entretient. Assis sobrement sur sa chaise. Séparé uniquement par une pauvre table en bois. Pas l'habitude. Pas tous les jours que me retrouve nez à nez avec un directeur de théâtre. Bouche humide. Yeux fuyants. Comment s’asseoir ? Où poser ces fichus mains ? Aurais dû penser à les arracher avant de venir, elles m’auraient moins gêné. Dos courbé. Dois avoir l’air de rien. Ou de ce que je suis : un mec pas à l’aise. Allez respire. Ça va bien bien se passer. On y croit. On le sait. We all support the team! Yeah. - Pourquoi voulez-vous être régisseur ? Arg… Et voilà : La question qui tue ! Pose toujours des questions dans le genre : pourquoi aimez-vous le théâtre ? Vous avez 4 heures. Vous me ferez un plan didactique en 3 parties : thèse, antithèse, synthèse. Oui, non, peut-être, peut-être pas, qui sait, qui ne sait pas, sait-on jamais, sans doute. L’art de ne rien dire en 25 000 signes. 30 000 si on compte les espaces. Sais jamais quoi répondre à ce genre de question. Toujours envie de sortir un magnifique : pourquoi pas ; mais n’ose pas. A pas l’air d’avoir beaucoup d’humour. Bon, rester concentré. Stay Fuckous. Répondre quelque chose (d’un peu près) sensé. - Heu… Ba. Parce que ça me plaît. Biiiiiiip. Raté. M’a quand même pris. Ai pas compris. Dois avoir une bonne tête. J’avais mis celle des bons jours : celle rasée, souriante et polie, celle qui dit : tout le monde il est mon amis ! La mets pas souvent. La garde. Pour les grandes, exceptionnelles occasions. 197 C’en est une. Après tout le mal que j’ai eu pour avoir cet entretien. Combat, lutte acharnée. Après toute cette sueur froide dépensée. Ces milliers de millions de mails gâchés. Ai enfin trouvé un qui répond. Et en personne en plus ! C’est ma chance. Je dois la saisir, ne pas la laisser passer. Mettre tous mes atouts de mon côté. C’est maintenant ou jamais. Il me dit que j’ai pas frappé à la bonne porte si je cherche à être rémunéré. Sais bien, ai compris comment ça fonctionne dans le métier. Le temps au théâtre est ralenti. L’esclavage n’a pas encore été aboli. Travailler toute la journée. Suer. Suer. En chier, pour ne rien ou presque gagner. Je le sais et je le veux. Arrive enfin. Me précipite hors du métro. Me reste encore 10 grosses minutes de marche. Cours. Vite à bout de souffle. Aurais pas dû autant fumer hier soir. Me reste encore des effets. Me rapproche. Vois les portes. Pousse discrètement. Entre silencieusement. Ne pas attirer l’attention. Souris dans la gueule du chat. Si ça se trouve il n’a même pas remarqué que je n’étais pas là. Après tout quand on est quelqu’un de si grand, si important, est-ce 198 que l’on fait vraiment attention à l’heure à laquelle arrive un pauvre stagiaire de rien du tout ? Doit déjà avoir oublié que je suis censé venir. Tant mieux. Me faufile. Zigzag entre les bureaux. Zone dangereuse ! Vite m’engouffrer dans le local technique. À l’abri des regards. Parfait. Personne ne m’a vu. Pourrais mentir effrontément. - Bien sûr que si Monsieur, je suis arrivé il y a bien longtemps, je n’étais pas du tout en retard. Ouf. La chance semble tourner finalement. Allume les néons blancs crépitant. Jette mon sac sur le sol. En sort mes affaires de rechange. M’avait prévenu : - Régisseur est un métier salissant. Ce n’est pas la peine de venir avec votre plus belle chemise. Mettez des vêtements qui ne craignent pas. Des vieux trucs qui peuvent être tâchés. Tee-shirts à moitié troués. Jeans vieux de plusieurs années. Vêtements traînant au fin fond de mon placard, oubliés, dans l’attente d’être jetés ou de finir en chiffons chiffonnés. Équipe habillée. Armée prête à batailler, mais Sans rien à faire... Est censé demander les missions à mon chef, mais si je vais le voir, va comprendre que j’étais en retard… Bon, mais je vais me démerder. Suis pas stupide, vais bien trouver de quoi m’occuper. Regarde autour de moi : un vrai bordel ! Tout est posé n’importe où, n’importe comment. Sais pas comment ils font pour s’y retrouver. Le sol est recouvert de câbles et de cordes (oups... le mot interdit) enroulés dans tous 199 les sens, formant un gigantesque sac de nœuds. Les projecteurs gisent sur le sol à moitié démontés. Bouts de verres partout par terre. Fouillis sur les étagères. Une grande variété de lampes grillées cohabite avec des prises, des vis et autre dizaine de choses dont je ne connais même pas le nom. Sur le bureau, impossible de travailler, tellement les papiers sont entassés. Me fait penser à ma chambre. Sais exactement ce qu’il me reste à faire : Ranger ! Ça devrait bien m’occuper toute la journée (si ce n’est tout mon stage). Observer. Étudier. Essayer de comprendre, concevoir. Où les choses se rangent. Chaque chose à sa place. Chaque objet son étagère. M’initier avec le matériel. M’interroger. Pourquoi ce projo est-il si léger, quand celui-là, je peux à peine le porter ? Tiré profit de ce que je peux. Apprendre. Suis la pour ça. Apprendre. Le maximum. Mon stage ne dure qu’un tout petit mois, alors dois en profiter. Rentabiliser. Tout savoir sur tout. Sucer la substantifique moelle. Le rangement n’est pas très passionnant, mais au moins suis tranquille. Suis seul. Peux mettre de la musique. 200 Personne sur mon dos pour : crier, m’engueuler, ordonner. - Plus vite ! Plus fort ! Pas là ! Pas comme ça ! Tu m’écoutes ? Tu comprends ce que je dis ? Mais tu dors où quoi ? T’es vraiment qu’un bon à rien ! Me rassure. Suis pas si mal loti. Ai de la chance de ne pas subir ça. Pour tout le monde ce n’est pas le cas… * Le temps avance. Les aiguilles tournent. La journée se passe. * Entends un bruit. Craquement sur le plancher : quelqu’un arrive. Vite ! Éteins ma musique. Portes du locale s’ouvrent. La tête de mon chef apparaît : - Bonjour. - Bonjour. - Est-ce que vous pourriez venir voir ? J’ai un petit chantier pour vous. Cool. Parle même pas de mon retard et me donne une mission à remplir. Enfin ! Les choses sérieuses commencent. Quitte le banc de touche et rentre sur le terrain. - Oui bien sûr. Qu’est-ce que c’est ? 201 - Suivez-moi dans mon bureau. Très solennel tout ça. Étrange… Va peut-être me confier un gros truc ? Un montage ? Où peut-être a t’il besoin d’un régisseur remplaçant pour une date de spectacle ? Ce serait trop ouf ! Essaye de contenir mon excitation. Arrive dans son bureau. À l’intérieur : petite bougie, photos en noir et blanc, tableaux, sièges en cuir, molletonnés, confortable rien qu’à contempler. Mon chef debout, derrière son bureau, me regarde. M’observe. M’attends à ce qu’il me fasse signe de m’asseoir. Il ne le fait pas. Au contraire, me désigne le plafond. - L’ampoule ne marche plus. Est-ce que vous pourriez la changer s’il vous plaît ? Paf ! Le chien. Le choc. - Heu… Oui bien sûr. Génial comme mission ! Super instructif ! Comme ça que vais me former ! Apprendre toutes les ficelles du métier ! Peut pas s’en occuper tout seul de sa putain d’ampoule ? Handicapé ou quoi (peut-être le cas ?). Préférerais encore retourner à mon rangement. Mais bon… Pas le choix. Les ordres sont les ordres. Attrape le siège en cuir, Monte dessus, M’élève. Essaye d’attraper l’ampoule. Manqué. 202 La chaise bouge dans tous les sens. Arrive pas à me stabiliser. Vive les chaises à roulettes ! Manque de me casser la gueule. - Prenez un escabeau ça serait plus prudent. - Oui. Redescends. (Attention !) Prudemment. Sors du bureau d’un pas décidé. Comme si je savais où je devais aller. Pas le cas. Aucunes idées d’où les escabeaux peuvent bien être rangés. - Pourquoi tu lui as pas demandé ? Tant pis. Trop tard. Vais me débrouiller. Chercher. 30 minutes plus tard… Toujours rien trouvé ! Sous-estimé l’ampleur de la tâche. La grandeur du théâtre. Ai cherché partout. Fais tous les coins recoins. Ouvert, fermé les portes. Ouvert, fermé les placards. Rien. Ai plus d’idées. Sais pas comment vais pouvoir faire, lorsque : Tombe sur un technicien du théâtre. Sauvé ! Lui demande gentiment : - Excuse-moi… Est-ce que par hasard tu saurais où sont rangés les escabeaux ? - Oui oui bien sûr. Ils sont justes là. Me désigne une porte cachée, au fond, dans l’ombre. L’avais pas vu. Suis pourtant passé 3 fois devant. Dedans une dizaine d’escabeaux posés les uns sur les autres. Récupère le plus léger et hop la m’en va en guerre. 203 Ampoule maboule me voici ! Prépare-toi a te faire dévisser ! Dépose, dispose l’escabeau, M élève, enlève. L’ampoule. 40 Watts. A culot. Cours à la réserve en chercher une neuve. Reviens aussi vite qu’il le faut pour dire tarte aux marrons nappés sur un nuage au citron. Remonte sur mon petit escabeau et visse l’ampoule : Que la lumière soit et la lumière... Ne vient pas. Que pasa ? - Ça ne marche pas ? - Non. - Pourquoi ? - Heu… Je ne sais pas. Peut-être que l’ampoule que j’ai prise ne fonctionne pas ? - Cela m’étonnerait. Elle sort de sa boîte. Vérifie quand même. Non… Non, les ressorts sont en place. Alors quoi ? - Il doit y avoir un faux contact dans les files. Allez prendre un tournevis et réparez ça s’il vous plaît. QUOI ? - Mais… C’est pas dangereux ? Faudrait qu’on coupe le jus avant non ? - Vous ne risquez rien si vous faites attention. Et le prix de la meilleure réponse de l’année revient à... Bon, mais qu’est-ce que je fais avec ça ? Ai pas envie de mourir maintenant. Tiens un peu près à ma vie moi. Vais quand même chercher le tournevis. Faire bonne figure. Encore faut-il le trouver. Et c’est réparti pour des tours de théâtre à la recherche d’un 204 tournevis. Me presse pas cette fois-ci. M’arrange bien. Profite de mes derniers instants de répits. Changer une ampoule je veux bien, mais trifouiller des files sous tension c’est autre chose. Y a pas marqué électricien là ! Pourquoi il demande pas à quelqu’un d’autre ? À un technicien, un vrai ? Quelqu’un de compétent. Suis juste en stage moi ! Bon, vas-y ça me saoule ! Trouve pas de tournevis. Laisse tomber. M’en occuperai plus tard, après. Demanderai à un technicien quand je le croiserais. Peut bien attendre. Va pas allumer la lumière maintenant de toute façon. Faut juste que je le fasse avant ce soir. Avant de partir. Retourne à mon rangement et à mon bordel ambiant. Quelle heure est-il ? 11h17. Encore une heure avant la pause déjeuner. Ai pas amené à manger. Espère qu’y a des trucs dans le théâtre. Avais prévu un Tupperware mais comme un con l’ai oublié à la maison. Précipité. Y est pas pensé. La journée va être longue... * 15h. Plus que. Encore 3h à tenir. En suis toujours au même point. 205 Entrain d’essayer de trier, ranger les filtres colorés. Les tends devant la lampe et essaye de distinguer les différentes nuances d’orangées pendant que ma rétine est entrain de brûler. À force de les voir passer sous mon nez, commence à connaître leurs numéros par cœur : 247, 204, 180, 204, 204, 247, 180, 247, 204, 204, 204. Bruits de pas derrière moi. Me retourne. Mon chef est là : - Ah vous voici ! Je vous cherchais. Qu’est-ce que vous êtes entrain de faire ? - Je trie les gélatines. - Très bien... Et, avez-vous fini de réparer la lampe dans mon bureau ? - Heu… Et bien, pas tout à fait. - C’est-à-dire ? C’est fait ou ce n’est pas fait ? La lampe marche ou elle ne marche pas ? - Elle ne marche pas. - Alors qu’attendez-vous pour la réparer ? Allez ! - Oui, mais... - Il n’y a pas de « oui mais » qui tienne. « Oui, mais. Oui, mais.» Oui tout court ! Vous n’avez pas à discuter. Quand je vous demande de faire quelque chose vous le faites, un point c’est tout. Vous êtes terribles vous les jeunes ! Vous avez 206 vraiment perdu toutes notions de l’ordre et du maître. Vous êtes en stage dans mon théâtre. Je vous ai accepté en formation. Vous êtes donc mon disciple et moi je suis votre maître. J’ai signé une convention qui l’atteste. Vous-même vous avez signé cette convention. Vous avez accepté ce rapport de force de votre plein gré. C’est trop tard désormais, vous ne pouvez plus le contester. Alors, lorsque je vous demande de changer une ampoule vous devez vous en occuper immédiatement. Vous ne pouvez pas laisser traîner un chantier. Vous ne pouvez pas abandonner. Vous ne pouvez pas laisser tomber une tâche, que l’on vous a confiée. Il en va de votre crédibilité. Il s’agit de la première mission que je vous confie et regardez comment vous l‘accomplissez. Quelle image vous renvoyez en agissant ainsi ? Qu’est-ce que je peux penser de vous moi après ? Déjà que vous êtes arrivé avec plus d’une heure de retard ce matin. - Je… Je suis désolé pour ce matin. Ce n’est pas ma faute. J’ai eu des problèmes avec le métro. - Ne dites pas que ce n’est pas de votre faute. Bien sûr que si, c’est de votre faute ! C’est de votre faute, car vous n‘êtes pas parti plutôt. C’est de votre faute parce que, en arrivant vous n’êtes pas passez à mon bureau pour vous excusez. Vous pensiez sans doute que je ne l’aurais pas remarqué, mais sachez que je suis au courant de tout ce qui se passe dans mon théâtre. Et lorsque j’engage un jeune stagiaire tel que vous, je remarque tout de suite s’il arrive à l’heure ou pas. - Je... - Si vous ne voulez pas faire ce stage, dites-le moi et on arrête tout, tout de suite. Ce n’est pas la peine de continuer si vous n’êtes pas motivé. Je ne vous laisserai pas continuer comme ça. J’engage mon nom dans cette histoire et il est hors de question qu’il soit associé avec quelqu’un qui manque de rigueur. C’est ça que vous voulez ? Vous voulez tout arrêter ? - Non, non. - Alors faites attention ! Faites preuve de rigueur. C’est votre 207 vie que vous jouez ici. C’est une question de vie ou de mort. Vous ne pouvez pas échouer à ce stage. C’est la mort si je vous vire. Réfléchissez-y : tout est une question de vie et de mort. Pas à proprement parler bien entendu, mais au sens figuré. Vous comprenez ce que je vous dis ? - Oui… - Je n’en ai pas l’impression. Vous l’entendez mais vous ne le comprenez pas. Je le vois à votre visage, comme je peux y lire de la colère. Je sens que vous êtes en colère contre moi. Vous vous dites : c’est qui ce connard, qui se permet de me parler ainsi. J’en ai rien à foutre de ce qu’il me dit moi. Mais faites très attention mon jeune ami, n’essayez pas de jouer au plus malin avec moi, ça ne marchera pas je vous le dis tout de suite. - Je n’y pensais pas. - Je sens que vous êtes quelqu’un avec une forte personnalité. C’est bien… Mais il faut pouvoir être capable de la mettre de côté. Un régisseur ne peut pas se permettre de se rebeller. Il doit savoir s’écraser. Voulez-vous vraiment être régisseur ? Je n’en ai pas l’impression. - Si, bien sûr que si. - Je sens autre chose en vous… Vous êtes acteur ? - Non. - Mais vous faites une autre activité que régisseur ? - Je fais de la mise en scène. - Et pourquoi ne faites-vous donc pas plutôt des stages de mise en scène ? - Parce que ce n’est pas ce que je veux faire. J’aime faire de la mise en scène, mais je ne veux pas en faire mon métier. - Pourquoi ça ? - Je ne veux pas que l’économique parasite l’artistique. Je ne veux pas être obligé de faire des mises en scène pour avoir de l’argent. Je préfère être entièrement libre de ce que je fais et pour ça le seul moyen c’est que ça ne soi pas mon métier principal. 208 - Mmm… Oui, c’est assez cohérent comme pensée.... Vous êtes réaliste. Mais alors pourquoi avoir choisi régisseur ? - J’estime que pour pouvoir faire de la mise en scène, il est important de connaître parfaitement la technique. L’un est indissociable de l’autre pour moi. - C’est tout à fait vrai.... Mais j’espère que vous savez à quoi vous vous exposez : régisseur est un métier dur. Très dur. C’est ingrat. À la moindre faute c’est vous qui serez accusé. Vous allez passer votre temps à répondre aux exigences les plus farfelues des metteurs en scène et vous ne devrez rien dire. Vous devrez obéir. C’est éprouvant d’être régisseur. Ça demande une grande force physique et surtout une énorme force mentale. - Oui… Je sais. - Non vous ne savez pas. Si vous saviez, vous ne seriez pas ici. Ne dites pas que vous savez. Par contre, moi je vais vous montrer ce que c’est. Ce qu’être régisseur implique vraiment. J’ai un autre chantier pour vous, mais auparavant, vous avez toujours une lampe à réparer. Venez me voir dès que vous aurez terminé. N’attendez pas que ça soit moi qui vienne vous chercher. Ne rester pas passif. Venez me voir, demandez, exigez que je vous donne des tâches. Ne vous laissez pas faire. Ne pliez pas. Je vous vois entrain de trier les gélatines, mais n’acceptez pas de faire ça ! Faites-le, parcequ’il faut le faire, mais n’acceptez pas mentalement. C’est abrutissant. C’est dégradant comme tâche ! Ce n’est pas digne d’un être humain ! Il faut toujours que vous restiez en état de réflexion. Vous n’êtes pas une bête. Vous n’êtes pas une machine. Vous devez trouver l’intérêt, le plaisir dans les tâches les plus basiques. Il y a bien une raison si je vous demande de changer cette ampoule. Je sais que c’est une tâche très simple. Facile. Je pourrais très bien le faire moi-même. Mais pourtant, je le demande à vous, jeune stagiaire de le faire. Pourquoi ? - Je... Je ne sais pas. 209 - Et bien réfléchissez-y. Allez au travail. M’exécute. N’ai toujours pas de tournevis, mais peut importe. Ferais sans. Vais trouver un moyen. N’ai plus le choix. Et tant pis si je me prends un court-jus. Doit pas être mortel. Me laisserait pas le faire sinon. Enfin... J’espère. Entre dans le bureau. Récupère l’ampoule et la revisse. Et là… Miracle ! Elle s’allume. À ne plus rien comprendre. Ne marchais pas ce matin et maintenant. À moins que... L’avais peut-être mal vissée. Bon, mais ce qui compte c’est qu’elle marche. Remplis ma mission ! Vais aussitôt retrouver mon chef. Ne compte pas le laisser sur cette image de moi. Suis pas un fainéant. Suis bien décidé à faire ce métier et lui prouverai. - La lampe est réparée. - Bien. Vous voyez ce n’était pas si compliqué. Maintenant venez m’aider. Se délocalise dans l’un des cagibis. Complètement en fouillis (lui aussi). - Nous allons faire de cet endroit un bureau. Vous allez sortir tous les éléments d’ici et les placer sous le grand escalier. Vous voyez où c’est ? - Oui. - Et après si vous pouvez donner aussi un petit coup de balai histoire que cela soit un peu propre. Une fois que c’est fait, venez me chercher et nous descendrons ensemble le bureau du deuxième étage. 210 - D’accord. Sort. Me laisse avec mon ouvrage. Y a masse de boulot, mais tant mieux. Vais me dépêcher, m’en occuper en moins deux. Un à un, sors tous les objets, Lourd, léger, Bande les bras, tire les muscles. Pas le temps pour être fatigué. Vite fait bien… Aller chercher, passer coup de balais. En avait bien besoin. 25 centimètres de couche de poussière. Vais prendre aussi, passer la serpillière. Merde ont pas de balais à serpillière. Tant pis ! Ferai sans. Prends eau chaude, brûlante, dégoulinante. Sceau simple. Serpillière à main, plongé, noyé dans l’eau. Sortir. Essorer. Dégouliner. À quatre pattes courbé. Genoux dans la crasse, la saleté. Finis ! Sent bon le neuf, la propreté. Tout fière, retourne voir mon chef. - Ça y est j’ai fini. Qu’est-ce que voulez que je fasse d’autre ? - Voilà ! Très bien ! C’est ça que je veux entendre ! C’est le bon comportement. Continuez comme ça et je pense que l’on va très bien s’entendre. Faites-moi voir ce que vous avez fait. Lui montre. - Ah ! C’est parfait. C’est du travail propre, efficace. Vous avez même passé la serpillière. C’est vraiment très bien. Je vous félicite. Vous avez fait du bon travail. - Je vous remercie. - Tu peux me tutoyer tu sais. 211 Search and Destroy En a marre ! Pétage de câble. Supporte plus. Now, I’ve got… Over my head ! Plus possible. Pourriture permanente. Peux plus vivre dans ce bordel. Faut que je range. Fasse quelque chose Que je clean my room. Qu’je mette de l’ordre dans ma vie. Peux pas continuer ainsi. Vais droit dans le mur. Scratch. Boum. Bim. Bam. La voiture. Tôles écrasées. Os broyés. Organes déchiquetés. Pourriez-vous me rendre ma cervelle s’il vous plaît ? Insane in the brain. Don’t you know I’m loco ? Hiiiiiiiiiii. Déterminisme. Fucking déterminé. Tout. Tout. Tout ranger. Plus un slip, une chaussette ne doit traîner. Ai des choses à faire. Plus haute importance. Porn…. Non ! Pas cette fois ! Pas maintenant ! Tu n’as pas le temps ! L’heure est au rangement ! Peux plus reculer. Repousser. Dois à tout prix m’en occuper. Changer ou crever. Mettre de l’ordre dans mes pensées. 212 Programme. Précis. Réalisé. Étape par étape. Step by Step. Pose chez moi. Ne suis plus le maître dans ma propre maison. Ah ! Putain, ça pue ! Mort. Renfermé. Combien de temps que j’ai pas aéré ? Ouvre fenêtres en grand. Petite tasse, grand bol d’air frais. Purifier… Bilan des calamités : cuisine égout, salle de bain sale, salon poubelle, chambre... Préfère pas en parler. Sors sac-poubelle. Jeter. Détruire pour mieux reconstruire. Restes de nourriture. Papiers, cartons usagés. Bouteilles finies. Autant de vide ? Bois autant à moi tout seul ? Bière, vin (blanc, rouge), martini. Inquiétant tout ce que je descends ! Capte même pas. Comprends pas. Prends pourtant qu’un petit verre de temps en temps… Tous les soirs en rentrant. Alcoo… Non ! C’est juste une habitude que j’ai prise. Peux très bien arrêter quand je veux. Quand j’en ai envie. Même si j’en ai pas envie. Pas dépends dans. Pas encore... Assiettes usagées. Fromage, fondu collé. Dur, dur à enlever. Faire tremper dans l’évier, des heures, des journées. 213 Rien y fait. Fléau que rien n’arrête. Couche de poussière sur les meubles. Miettes sur le sol. Passer le balai, l’aspirateur. L’un après l’autre. Numéros complémentaires. Les deux vont de paires. Déteste faire ça. C’est comme la lessive. Passe des semaines avec mêmes affaires : tee-shirts, slips, chaussettes. Remets jour après jour, jusqu’à ce que. Puanteur insoutenable. Jette au loin dans ma chambre pour ne plus la sentir. Tas qui grandit à vue d’œil. Vitesse exponentielle. Se retrouver envahit sans avoir le temps de comprendre comment. Nager dans les vêtements. Pile sur mon bureau, déplacée sur mon lit pour pouvoir écrire. Pile sur mon lit, déplacée sur mon bureau pour pouvoir dormir. Pile sur mon bureau... Mouvement circulaire répété à l’infini. Trouve jamais le chemin du salon, du savon. Et quand, Alléluia ! Miracle, ils finissent par atterrir dans la machine, y restent des semaines à dépérir. Pas la motive pour les sortir. Jamais la motive pour grand-chose. Mais pas aujourd'hui ! Non, pas aujourd'hui ! Lance 1, 2, 3 Machines, le Lave-Vaisselle, le Sèche-Linge, L’aspirateur et tous les autres trucs avec un moteur. C’est la cohue-bohu ! Branle-bas de combat chez les appareils électro qui nique le ménager ! La solution ? 214 Sortir, et ranger direct après. Ne pas reporter. Ne pas dire : Tant pis, Plus tard, Demain. Plus tard c’est déjà trop tard. Millions de trucs que j’aurais dû faire depuis des semaines. S’entasse sur mon bureau. Remboursement. Assurance. Sécu. Répondre à des mails. Papiers à envoyer. Perdre de l’argent facilement. Lance la musique. Un bon petit Raw Power pour se mettre dans l’humeur. M’y mets. Hop, hop. Chaud, chaud ! Nothing can stop me now ! Trie le courrier. Pub, Pub, Relevé de banque, Pub, Trucs de merde, Loyer, Lettre de la SNCF : À l’attention de : Bonjour Monsieur, Suite, à votre demande de remboursement concernant votre trajet du 3/09/12 sur la ligne ParisMontpellier, nous sommes malheureusement désolés de vous informer, que nous ne sommes pas en mesure d’effectuer celui-ci, le désagrément dont vous avez fait l’objet n’ayant pas été causé par notre entreprise. 215 Veuillez accepter Monsieur nos sincères excuses. L’équipe de la SNCF. Quoi ? Quoi ! C’est pas possible ! Y crois pas. Oublie tout ce que j’étais entrain de faire. Relis deux, trois fois, pour être sûr. Ça se peut pas, doit avoir une erreur quelque part. Tein ! Se foutent bien de ma gueule ses sales connards ! Ils sont sérieux là ? Ils vont pas me rembourser ? Putain faut que je les appelle ! Crois-moi qu’ils vont m’entendre ! Ça va chier ! Va pas se passer comme ça. Non, ça sûrement pas. Suis pas la bonne poire de service, qu’on peut fourrer quand on a envie pour s’amuser. Décroche le combiné. Compose leur numéro… Quelle heure il est ? 12h35. Merde. Doit être fermé. Entrain de manger, s’empiffrer, ses gros tas de fainéant de merde. - Arrête… Ils y sont pour rien. - Toi ta gueule ! On t’as pas demandé ton avis ! En ai rien à foutre, qu’ils y soient pour rien ! Bien sûr que si, ils y sont pour quelque chose. Tu trouves ça normal toi ce qu’ils me font ? Hein… Réponds quand je te parle sale merde ! - Ba... Non, mais… 216 - Y a pas de mais ! Mon train a eu plus de deux heures de retard. Ce qui m’a quand même fait arriver après 1h du matin à Gare de Lyon. Et même si Paris est performant aux niveaux des transports, après 1h du matin, y a plus rien qui circule. Pas d’autres solutions que d’allonger les biffetons et de prendre un taxi. C’est normal donc qu’ils me remboursent ! Bordel ! C’est toujours pareil avec eux ! C’est comme cette pute à l’agence l’autre fois, tu te rappelles ? - Bonjour ! Je viens vous voir, car j’ai acheté un billet de train sur le net, mais malheureusement j’ai perdu la carte avec laquelle je l’ai acheté et du coup je ne peux plus le retirer aux bornes. J’aimerais savoir s’il serait possible, que vous me l’imprimiez ? - Ah, non Monsieur. Ce n’est pas possible. - Quoi ? Comment ça ? - Si vous n’avez plus votre carte, on ne peut rien faire. C’est une sécurité obligatoire pour retirer les tickets. - Mais j’ai la référence de dossier. Et puis j’ai une copie du billet sur ma boîte mail, il suffit de l’ imprimer. - Non, Monsieur ; ça ne marche pas comme ça. - Vous êtes entrain de me dire que vous ne pouvez rien faire ? - C’est ce que je vous ai dit en effet. - Et alors comment je fais moi ? J’ai un train à prendre demain matin, absolument ! - La seule solution, c’est que vous rachetiez un ticket maintenant et après vous pourrez faire une demande exceptionnelle de remboursement par courrier, où vous leur expliquerez votre situation. - Et je serais remboursé au bout de combien de temps ? - Tout d’abord, ce n’est pas sûr qu’ils vous remboursent. Il faut que votre dossier soit accepté. Ensuite, même si votre dossier est accepté, généralement c’est assez lent. Il faut bien compter entre 1 ou 2 mois. 217 - Mais… Moi je n’ai rien sur moi pour payer un autre ticket. Je vous ai dit que j’avais perdu ma carte bleue ! - Alors je ne peux rien pour vous, Monsieur. AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA Espèce de ! Salope ! Pute ! Je vais t’arracher les yeux. Énervement qui monte. Monte. Monte ! Remplis tout mon corps. Peut plus supporter. Contenir. À deux doigts de craquer. Exploser. Tarte dans la gueule. Coups de point, coups de pied. Casse les dents, pète le nez. - Et là t’es toujours sûr que tu peux pas l’imprimer ! Tout est plus facile avec un fusil à pompe dans les mains. Je dégringole. Chute libre. Sors de ma voiture. Quitte les embouteillages. Sors du rang. I’m gonna kick some mother fucker ass ! - Surveille ton langage. Pas envie. Plus être poli. Emmerde les bonnes salopes de mœurs. Usages périmés de la société. Énervé. Envie de tout envoyer chier. Tout péter. Comprends les Breivik et autre fous furieux. À force de te faire tout le temps enculer, ton cul finit par saturer. À la fin, t’as plus que deux choix : te noyer dans la merde qu’on te déverse ou serrer les fesses. Dire Stop ! Allez vous faire foutre bande de connard ! Être obligé de crier pour parler. Prendre les armes. 218 Faire justice soi-même. Violence, seule moyen de reconnaissance. Vous n’êtes visible que si vous massacrez des innocents. Tout le monde se fout du pauvre citoyen qu’on taxe, taxe, taxe, jusqu’à ce qu’il n’ait plus un sou. Jusqu’à ce qu’il n’ait plus d’autres choix que de quitter son toit. SDF j’étais et SDF je resterais. Crever la bouche ouverte devant tout le monde. Demander, implorez : pitié, ayez pitié ! - Je ne peux rien faire pour vous, je suis désolé. Taisez-vous et crevez en paix. Étais vraiment à deux doigts de vriller ce jour-là. Heureusement que je sais prendre sur moi. L’ai déjà fais trop de fois. Suis sortis avant de l‘étriper. Ai dû me plier… Encore. Comme d’habitude. Pas le choix de toute façon. - Merci de baisser votre pantalon pour faciliter la pénétration. Claquer 130 € de plus. Avec le prix du billet initial ça fait 250 en tout. 250 € ! Pour descendre un week-end. Même pas. 24h à peine. Arrivé à 10h le samedi, reparti le lendemain à midi. À ce rythme là, notre relation va pas pouvoir continuer très longtemps. Ma seule source de joie qui m’est enlevée. Patiente plus d’un mois, longue torture. Travail dur tous les jours. Tiens le coup en pensant à quand je vais la revoir. Et quand ça arrive, trouve encore le moyen de se faire bloquer. Putain de SNCF ! Putain de RATP ! 219 L’autre jour, suis tombé sur un contrôleur qui m’a dit : - Vous vous rendez compte que la fraude dans le métro coûte 60 millions d’euros à la RATP ? Et vous, vous vous rendez compte que la RATP encule chaque jour des millions d’usagers ? Trouvez ça normal de payer 1,70 le ticket ? Aller-retour : 3,4 par jour, juste pour vous déplacer. Multiplier par 7. Multiplier par 4. Ça fait 95 € et 20 centimes. 100 balles. 100 putain de balles par mois, juste pour se déplacer. Comment on fait quand on gagne à peine 1 000 euros et qu’avec on a en plus le loyer à payer et deux mômes à qui il faut donner à manger ? Et vous venez me parler de ce que perd la RATP ? Mais qu’est-ce qu’on s’en fout ? Vous voulez mon avis ? Elle perd par encore assez ! Rien que pour ça, suis content de frauder. Chaque tourniquet que je saute c’est 1,7 en moins qui lui est pas versé. Acte de rébellion quotidien. La révolution est en marche ! Encore faut-il ne pas se faire attraper. Aller simple en prison, ne passez pas par la case départ, versez nous 20 000 francs. Enrage. Mes yeux retombent sur leur courrier. Pas remboursé. Pas notre faute. Peut rien pour vous. Personne ne peut rien pour vous. Faut que je me défoule. Que j’évacue. Tape. Taper. Dans quelque chose. N’importe quoi. Sac de boxe. Sale gosse. 220 Nager. Courir. Activité physique. Extérioriser. Sauf que... Pas le temps et mal partout. Que faire… Écrire. Prendre ma plume. Dénoncer. Poème vérité : SNCF cette vielle salope. Sauf que... Personne ne voudra jamais me publier. Censure. Injure. Plus le droit de dire ce que l’on pense. Doit être politiquement correct. Ne sert à rien d’écrire s’il n’y a personne pour lire. Faut que je trouve autre chose. Solution. Autre moyen pour m’apaiser. - Et pourquoi pas méditer ? Pas con. Aurais dû plutôt y penser. Coupe la musique. Ferme les fenêtres. S’isoler du vacarme ambiant. Trouver le son, le bruit dans le silence. M’assois sur mon lit. Le dos appuyé contre le mur, les fesses confortablement posées, surélevées au moyen d’une dizaine d’oreillers. En tailleur. Les mains sur les genoux. Cuisses. Trouver une position confortable. Le but n’est pas d’avoir mal. Dois pouvoir tenir 20 minutes (au moins) sans bouger. Gratter. Éternuer. Parler. Rester. 221 Concentré. Les yeux fermés. Silence. Écouter. Ce que l’on n’entend jamais : Goutte d’eau dans l’évier. Craquement du plancher. Voisins discutant sur le palier. Écouter. Sifflement régulier, singulier. Acouphènes accoutumés. Écouter. Tendre l’oreille. Aller chercher le son. Bruits du dehors. Bruits éloignés. Passants passants sur la chaussée. Moteurs de voiture vrombissant. Klaxons assourdissants. Chants des oiseaux apaisants. Se fondre dans le monde qui nous entoure. Prendre conscience de où l’on est. Dans l’Univers. Sur Terre. En France. À Paris. Au Pré Saint-Gervais. Dans ma chambre. Sur mon lit. Assis. Écouter… Boom… Boom… Boom… 222 Écouter son cœur taper. Pomper. Boom… Boom… Sentir le sang couler. La vie circuler. Sentir son corps. Les extrémités. Mains sur les genoux. Peau contre peau. Quel effet ça fait ? Bilan de A à Z. Check-up complet. De la tête au pied. S’apprivoiser. Se retrouver. Rencontrer. Ce Moi que je connais tellement bien, que je l’ai oublié. Sentir. Jambes l’une contre l’autre. Vêtements sur la peau. Vent sur le visage. Langue entre les dents. Salive avalée. Cheveux hérissés. Sentir. L’aire s’engouffrer. Respirer. Lentement. Concentrer son attention sur sa respiration. Ne pas essayer de. Bloquer. Contrôler. Tenter de. Se laisser aller. Juste observer. Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer. 1. Inspirer. Expirer. 2. Inspirer. Expirer. 3 Inspirer. Expirer. 4 Compter. Aide à se focaliser. 223 Pas perdre le file. Pas s’égarer dans nos pensées. Inspirer. Expirer. 5 Inspirer. Expirer. 6 Inspirer. Expirer. 7 Inspirer. Expirer. 8. Inspirer. Expirer. 9. Inspirer. Expirer. 10 Inspirer. Expirer. 1 Inspirer. Expirer. 2 Reprendre au début. Recommencer. Permet rester sur chiffres pas compliqués. Le but n’est pas de réfléchir. 1 ère étape du processus normalement, mais m’arrête toujours à celle-là. La plus simple et la plus efficace. Pour Moi. 3 Inspirer. Expirer. 4 Inspirer. Expirer. Faut pas que j’y passe trop de temps. Ai encore l’appart à finir de ranger. Les mails à envoyer. Sais pas si j’aurais le temps de faire tout ça avant ce soir. 7 Inspirer. Expirer. 8 Inspirer. Expirer. Tu parles d‘une journée de repos. Ai l’impression que je cours encore plus que quand je travaille. 2. Inspirer. Expirer. 3. Inspirer. Me demande quand est-ce que je vais vraiment pouvoir me reposer. Me dire : aujourd'hui je ne fais rien de la journée. Expirer. 6. Inspirer. Expirer. Ça risque pas d’être pour tout de suite malheureusement. Me reste encore deux semaines de stages et après, y aura les représentations de ma pièce, qui vont commencer. Faudra aller flyer. Poser des affiches. Relancer les gens. Faire de la com à 224 tout instant. Que des trucs chiant. 9. Inspirer. Vivement que Jessie monte, que je puisse passer un peu plus d’une journée avec elle. Que je puisse enfin la voir. Elle me manque tellement. Expirer. 2. Enfin c’est encore dans longtemps tout ça, il faut déjà que je tienne jusqu’à là. Que je trouve le temps de distribuer un peu plus de journaux, histoire de gagner un peu d’argent, parce que c’est pas mon stage qui va me payer à manger. Sans compter la location du théâtre qu’il va falloir avancer. Ne sais vraiment pas comment je vais faire. - Ah ! Arrête de penser à tout ça ! Concentre-toi. T’es entrain de méditer là. Tu verras tout ça après ! Oui, tu as raison. Bon… Reprenons. 1. Inspirer. Expirer. 2. Inspirer. Expirer. 3. Inspirer. Expirer. 4. Inspirer. Expirer. 5 Inspirer. Expirer. 6. Inspirer. Expirer. 7. Inspirer. Expirer. 8. Inspirer. Expirer. 9. Inspirer. Expirer. 10 Inspirer. expirer. 1. Inspirer. Expirer.... 225 Popular S’arracher les yeux pour ne plus rien voir. Repos bien mérité. Le noir pour l’éternité. La paix. Foutez lui la paix ! La vie est déjà assez difficile comme ça. Pas la peine d’en rajouter. Pas la peine de crier. Il ne vous entend pas de toute façon. Il est plongé dans son monde. Là où vous n’existez pas. Là où il n’y a pas d’obligation. Pas de révisions. Juste la force de l’imagination. Futur obscurci par la force du destin. Ne pas savoir de quoi sera fait demain. Réussir ou échouer. De quel côté l’équation vas t’elle penchée ? Ce n’est plus à nous d’en décider. On a fait tout ce qui était en notre pouvoir. On a développé le plus possible notre savoir. 226 Atteint les limites de notre mémoire. Notre tête va exploser. Eclater en milles morceaux. S’éparpiller aux quatre coins du globe. Aux confins de l’univers. Que direz vous mère et père ? Lorsque vous serez accroupis par terre, Ramassant uns à uns les bouts de ma cervelle dans l’espoir de me reconstituer. De me retrouver. Mais cela est inutile. Je suis déjà parti. Ais – je jamais été là ? Accélérer le rythme. Augmenter la cadence. Le concours se rapproche. Le temps se rétrécit. Il est trop tard pour faire marche arrière. On ne peut plus changer d’avis. Il faut aller jusqu’au bout désormais. Finir ce que l’on a commencé. Terminer ce que l’on a entrepris. C’est comme ça la vie. Ce n’est pas toujours drôle. 227 Ce n’est même que rarement marrant, Mais on s’y fait avec le temps, Ou l’on se meurt lentement. La tension monte. Le cœur s’emballe. De la sueur dégouline de ton front. Regarde toi ! Tu es dans tous tes états. Calme toi. Ce n’est pas si grave que ça. Tu ne vas pas en mourir. Tu ne joues que ton destin. Cela n’est pas si important si l’on y regarde bien. Qui a besoin d’un futur de nos jours ? Idées préconçues. Images surfaites d’une vie parfaite. D’un monde idéalisé, Façonné pour t’obliger à acheter. A faire partie de la société. Consommer sans jamais poser de question. C’est ça faire partie de la mondialisation. Baisse ton pantalon, Cela sera plus facile pour t’enculer. Ne crains rien ! Cela ne devrais plus te faire mal, Après toutes ces années, tu devrais t’y être habituée. 228 Tu criais la première fois. Tu te rebellais, te révoltais, mais c’était il y’a longtemps de cela. Tu ne remarques plus rien désormais. Tu ne t’en rends même plus compte. Cela est devenu monnaie courante. Cela fait partie de ton quotidien. Mais il n’est pas trop Il n’est jamais trop tard pour réagir. Pour agir. Relever la tête. Relever son pantalon et dire Non ! Je ne me laisserai plus faire. Je ne suis plus de ceux la. Je prends mon avenir en main. Ma vie m’appartient. Vous n’avez rien à me dire. Je n’ai pas à vous obéir. Je mourrais à trente ans, La tête dans le caniveau, La seringue dans le bras, Si telle est mon envie. Si tel est mon destin. Je suivrai mon propre chemin ! 229 tard. To Bring You My Love - Salut. - Hey ! Salut… Je savais pas que t’étais déjà là. T’es arrivée y a longtemps ? - 10 min. - T’es du genre super en avance. - Pas le choix. C’est soit ça, soit super en retard. - Pas de demi-mesure ? - Pas avec les transports que je prends. - Tu mets combien de temps pour venir ? - 2h. - Mais t’habites où ? - Vers Massy-Palaiseau. - Ah ouais ! Quand même… C’est pas du tout la porte à côté. T’es motivée ! - J’ai l’habitude. - Tu te lèves super tôt du coup, non ? - 5h. - Comment tu fais pour pas être crevée ? - Je suis crevée. - Ah....Toutes mes condoléances. Elle me sourit. Lui rends. Je suis content de la voir. Heureusement qu’elle est là. Avec elle les journées passent plus vite. Les tâches sont moins pénibles. M’aide. M’assiste. Deux à faire le sale boulot. Permet de discuter. De s’occuper. Libérer la tête pendant que le corps travail. Elle, c’est Marie. 230 Elle a 16 ans (tout juste). Elle est arrivée y a une semaine au théâtre. Elle est stagiaire. Comme moi (ou presque). Pour Elle, il s’agit d’un stage de découverte. Première approche. Du monde du travail. De la vie. Comment ça se passe dans un théâtre (un vrai). Se familiariser. Du coup, Elle a pas de spécialisation. Fait rien vraiment, mais touche-à-tout : de la paperasse au ménage en passant par toutes les tâches possibles et inimaginables que peut nous demander notre chef. Pour ça peut pas dire qu’on s’ennuie. Nous trouve toujours quelque chose à faire le vieux : - Repeignez ces marches ; Déplacez ces chaises… Non, non, en fait c’était mieux avant, remettez-les comme elles étaient ; Nettoyez ce couloir ; Installez des lumières ; Plus fort, on ne voit rien ! Moins, c’est beaucoup trop éclairé, ça donne mal aux yeux. Bon, mais en fait enlevez-les. Va et viens et reviens incessant d’ordre, contre ordre qu’on doit accepter silencieusement. Ne jamais surtout contester, sinon… - Pourquoi ? Est-ce que je vous en pose moi des pourquoi ? Pourquoi toi ? Pourquoi moi ? Pourquoi t’es stupide ? Pourquoi vous posez des questions sans réfléchir ? Je ne suis pas là pour répondre à des pourquoi. Il n’y a pas de pourquoi qui tienne ! C’est comme ça et puis c’est tout. Taisez-vous. Arrêtez de me parler, de toute façon je ne vous répondrai pas. Je ne vous écoute pas. Ça s’est fait… Depuis avec Marie, on obéit : on se tait et on fait ce qu’il nous demande, même si on trouve ça aberrant. Au moins, Elle elle me comprend. Vit ce que je vis. Vois ce que je vois. Ressent ce que je ressens. On agit plus qu’en binôme. Préfère le vieux, ait pas tranquille 231 de nous laisser tout seul. On sait jamais ce qui pourrait arriver. Question de sécurité. - Si l‘un de vous meurt, l’autre pourra nous alerter. Peut importe que vous mourriez, du moment qu’il y a quelqu’un pour nous prévenir. Comique le petit. Nous donne les mêmes tâches à faire, mais pas les mêmes libertés. Pas fou. A pas le même âge, permet pas les mêmes possibilités. Prend pas de risque avec une mineure. Lui évite les trucs périlleux, dangereux, comme les échelles de 10 mètres ou les files sous tension électrique. Ça c’est moi qu’ai la chance de m’en occuper… Inséparable on est. Collés comme les 48 doigts des mains et des pieds. Se sépare juste pour aller pisser. Suis content, moi. Me fait quelqu’un avec qui bouffer. Parler. Échanger. Quelqu’un avec qui… - Bon, alors c’est quoi le programme ! Qu’est-ce qu’on fait aujourd'hui ? - En premier, y a le chantier d’hier à finir, ça va bien nous prendre la majeure partie de la matinée et après faudra voir avec lui ce qu’il veut qu’on fasse exactement. Il m’avait parlé d’agrandir la scène dans la Grande Salle, mais je sais pas ce qu’il en est ; si c’est toujours d’actualité ou pas. On verra. - Ok. Parfait. On s’y met ? - Deux secondes. Laisse-moi un peu souffler, je viens juste d’arriver. Je vais d’abord me prendre un café. T’en veux un ? - Non, merci. - Thé ? - Non, c’est sympa, mais j’ai bien petit déjeuné. - Comme tu veux. Jette l’ancien marc de café. Change le filtre. 232 Rempli le réservoir d’eau et fait couler. Petit rituel de la matinée. Café noir sans lait (obligé, puisqu’ils en ont pas), avec beaucoup de sucre, sinon trop dégueu. Café premier prix imbuvable. Apprécie pas vraiment, mais permet de rester éveillé, tenir toute la journée. Pas s’écrouler. Rythme difficile. Ça beau être un stage, c’est loin d’être les vacances. Fais 40 heures par semaine. Pas légal, mais pas grave. Un (seul) jour de repos, bien mérité. Travail physique. Reste toute la journée debout, sur ses deux jambes, cambré. Trouve toujours une ou deux dizaines d’objets lourds à soulever, transporter. (- Excusemoi, pourrais-tu m’aider à déplacer ces poutres de l’autre côté ?) M’enfile mon caca de fée en deux gorgées et passe me changer. Voilà ! Suis fin prêt à travailler. Rejoins Marie dans le hall d’accueil. Déjà courbée sur les marches d’escalier, m’a pas attendu pour commencer à travailler. Une vraie acharnée. Doit repeindre le bout des marches en blanc. Question de sécurité. Histoire que les gens se cassent pas la gueule quand ils sont dans le noir. Sympa à faire au début, mais après une après-midi entière passée à quatre pattes à se contorsionner, finis par en avoir grave marre des escaliers. - Attends-moi. Fait pas tout toute seule ! - Pour ce que tu fais. - Ah ! Comment tu peux dire ça ? Qui c‘est qui a du finir tout seul hier soir, parce que Madame avait un rendez-vous chez le médecin. - Bon… J’avoue. - Et alors ? - Quoi ? - Qu’est-ce qu’il t’a dit le médecin ? - Gros rhume. J’ai attrapé froid. - M’étonne pas vu comment ça caille ici. Il fait limite plus froid 233 que dehors. - Il m'a conseillé de me reposer un ou deux jours le temps que la fièvre descende. - Qu’est-ce que tu fous là alors ? - Je vais pas prendre deux jours maintenant. Mon stage se finit dans trois, ça serait complètement idiot. Je me reposerai quand le stage sera fini. - Si le chef le savait... - Il le sait. - Et qu’est-ce qu’il a dit ? - Que j’étais stupide. - Il t’as pas obligé de rentrer ? - Non… Il a même ajouté, que c’était honorable de ma part. - Honorable de quoi ? - Mourir pour l’art. - Ah ces jeunes… C’est vraiment n’importe quoi. - Tu veux qu’on parle de toi. - Je suis pas un jeune moi. - Bien sûr que si. - J’ai 21 ans, j’ai presque déjà un pied dans la tombe. Rigole. Elle. Secoue la tête. - T’es bête. Doit penser que je suis fêlé. Toutes les filles (et les garçons) le pensent. Sauf ma... Non en fait, même ma copine le pense. Peux pas m’empêcher de faire des blagues de merde. Blagues salaces. C’est bien moi ça, toujours à parler de cul. - Vieux pervers va ! Les filles ça les attirent pas. Aiment pas les bavards. Préfèrent les mecs silencieux comme une tombe. - Putain mais une langue s’est fait pour parler, nom de dieu ! Le début a pas été facile entre Marie et Moi. Courant passait pas spécialement. Étais, timide, assez réservé, parlant peu, quelques mots 234 murmurés comme à chaque fois que je rencontre quelqu’un. Elle. Elle était froide, assez cassante. Aire pet pet, très sup sup, avec son faux accent anglais et ses manières de bourgeoise coincée. Demandais qu’est-ce qu’elle foutait là. - Excusez-moi madame, mais les galléries Lafayette c’est de l’autre côté. Ai très vite pigé que je m’étais trompé. Bien planté. Le chef lui n’était pas dupe. Pas pour rien qu’il l’a accepté. Débrouillarde la petite. Un peu superficielle, mais super serviable. Ça a mis le temps, mais avons réussis par nous comprendre. Nous entendre. Rit même à mes blagues maintenant. Enfin... Rit avec ou de moi, ça ne sais toujours pas… - Et toi t’as fait quoi hier soir ? - Rien de spécial. - Glandé devant la télé ? - Je regarde pas la télé. - Ah ouais ? Pourquoi ? - Parce que c’est de la merde. De la merde dans une boîte. - J’avoue qu’y a beaucoup de nullités qui passent, mais y a aussi quelques trucs sympas. - Comme ? - Arte. - Oui... Je te l’accorde pour Arte. Y a Les Simpsons aussi qui passe sur W9, mais c’est tout. Pas assez suffisant pour que je lui accorde un tant soit peu de mon temps. - Bon, mais t’as fait quoi du coup ? - J’ai bossé. J’avais une régie à faire. - Où ça ? - Vers Bastille. - Ça c’est bien passée ? - Ouais vite fait. L’équipe est sympa, mais super mal organisée, ce qui fait qu’on finit à plus de 23h au lieu de 22h. - Dur. 235 - Ouais, mais c’était qu’une date donc ça va, je me plains pas. - Et c’était bien payé ? - J’étais pas payé. Projet bénévole. - Tu travailles gratuitement? - Dans ce milieu t’es obligé. Si tu veux pouvoir percer, faut commencer par accepter des projets bénévolement, avant de pouvoir faire des trucs rémunérés. - Mouais… Moi ça me saoulerais quand même de travailler pour rien. - Et ici qu’est ce qu’on fait ? - C’est différent. Ce n’est pas un travail, c’est de la formation... - Formation peindre les escaliers ? - Ça peut toujours être utile. - Oui. En tout cas, on est rodé maintenant en peinture. - Comme ça tu pourras te reconvertir dans le bâtiment, si tu réussis pas à être régisseur. - J’y arriverai ne t’en fait pas. - Tu as l’air très sûr de toi. - Oui. Et toi tu sais déjà ce que tu veux faire plus tard ? - Non, pas du tout. Je sais que j’aimerai bien travailler dans un milieu artistique, mais j’ai aucunes idée duquel. - T’as encore le temps d’y réfléchir. T’es en quelle classe ? Première ? - Seconde. - Seconde ? C’est étonnant que vous fassiez des stages en Seconde. Nous c’était qu’en Troisième. - Oui, c’est en Troisième normalement, mais je suis dans une école spéciale. Ce stage c’est l’équivalent de votre stage en troisième. - C’est quoi comme école ? Un truc pour les surdoués ou quelque chose dans le genre ? - Tu penses que je suis une surdouée ? - Tes parents peuvent le penser. - Très drôle... Non c’est une école artistique. 236 - Et qu’est-ce qu’elle a de spéciale cette école ? - On a des cours spécialisés en plus du cursus normal. - Genre ? - En 5 ème, on avait un atelier menuiserie : on nous apprenait à fabriquer toutes sortes d’objets à partir de bois. On commençait avec des trucs simples, comme un œuf et au fur et à mesure de l’année on faisait des objets de plus en plus compliqués : un bilboquet, une brouette. - Ba dis donc… Ça avait l’air cool ! - Ouais c’était sympa. En 3 ème après, on avait un atelier de forge, mais je suis pas allé jusqu’au bout. - Pourquoi ? - C’était horrible. Il faisait vraiment trop chaud. - T’as quand même de la chance d’avoir des cours comme ça. - Ouais. - Et cette école, elle est publique ? - Non privée. - Tu sais combien c’est à l’année ? - Cher. Très cher. - Mais combien un peu près ? - Je sais pas. C’est mes parents qui payent. - Et tu fais quoi après ton stage ? Tu reprends tes cours ? - Pas tout de suite, y a les vacances d’abord. - Ah oui… C’est vrai. Les vacances… Complètement oublié que ça existait. Perdu la notion du temps. Week-ends, semaines All that for me is the same. Plus que des jours de travail. No repos pour les héros. Me rappelle cette époque lointaine (enfance bénie, enfant chéri), lorsqu’impatiemment on attendait. Compte, décompte (trois, deux, un, zéro) les jours qui te séparent des vacances. Pense déjà à ce que tu vas en faire. Vacances de la toux sainte. Fête religieuse périmée. Plus personne ne sait ce que c’est. 237 - Ça un rapport avec Jésus, c’est ça ? Comme toutes les autres, non ? Ont oubliés. La fête des morts : Halloween. Trick or treat ! Manger des bonbons pour célébrer les morts. Ancêtres enterrés dont personne ne veut se rappeler. La vie continue un point c’est tout. On veut pas vivre un seul jour dans le passé. En France, Halloween n’a plus aucun sens. N’en a jamais vraiment eu. Fête commerciale qu’ils disent. Comme la fête des amoureux, gâteux gâteaux. Claque son fric en chocolat pour lui montrer qu’on ne l’oublie pas. La raclée que tu lui as mise hier soir, ça ne t’en fait pas, elle ne l’oublie pas. Sauf que c’est faux. Halloween n’est même plus commercial chez nous. Fait rien vendre. Personne ne se costume. Personne ne va faire le représentant, mendiant en toquant aux portes des gens. Dois être l’un des derniers à le fêter. Ma fête préférée. Gavé de bonbon, bières, pizzas, films d’horreur toute la sainte journée. Yeah ! Même programme, toujours, indémodable, d’années en années. C’est bientôt. Va vite arriver. Faut que je pense à appeler mes potes pour qu’on s’organise. En espérant que le 1er j’ai un jour de congé... No repos pour les héros. Continue de bosser. Tête perdue dans les pensées. Pinceau, trempe, trempe. Dégoût, dégouline. Au-dessus de la moquette. Attention à ne pas tâcher le tapis ! Goutte perdue. Peinture incrustée. - C’est malin ! Comment on va faire pour l’enlever, le laver ? Grip. Zip. Scotch scotché. Délimiter les endroits où passer. Empêche de dé passer. Travail soigné. 238 Résultat impeccable, qui ne tiendra qu’une seule, pauvre petite journée. Lendemain, tout recommencer. Déjà tout, dégueulassée. Aucun respect pour le travail des petits ouvriers… 13h. Enfin ! Pause déjeuner. On a pas mal avancé. Encore du boulot, mais devrait pouvoir finir dans l’après-midi. Laisse notre chef-d’œuvre inachevé et allons chercher de quoi grailler. Pour une fois ai pensé à en apporter. Pas obligé de courir les supermarchés. Fric facilement dépensé. 5€ la tranche d’emmental tartinée entre deux bouts de pain. - Hum ! Cet hors-d’œuvre était délicieux. Qu’y a-t-il comme plat principal maintenant ? - Je suis désolé mon seigneur, mais vous n’avez pas assez sur votre compte épargne pour vous permettre d’acheter le reste. Bouteille d’eau à 1 €. Les 30cl. Fraîche. Pas fraîche : 20 centimes. Paye même plus le produit. Chope mon sac. Sors ma petite boîte de lentille (chanceux !) et la jette dans le micro-onde. Pratique ces petits trucs : 2 minutes (juste le temps d’aller pisser) et le tour est joué. Plus besoin de savoir cuisiner. Marie est déjà attablée, entrain de manger. Son petit Tupperware vert flashy, posée devant Elle, se confondant avec ce qu’il y a dedans. Contenue devenue contenant. - Qu’est-ce que c’est ? - Un mélange de ce que j’avais dans mon frigo. Y a de la salade, des pois chiches, de la tomate, des radis et un peu de chèvre. 239 - Ouf… Bien trop équilibré pour moi ! Mon assiette de lentille déborde du gruyère fondu que j’ai mis dessus, afin de pouvoir l’ingurgiter en toute tranquillité. - Je vois ça. C’est quoi ? Une boîte ? - Ouais. - Pourquoi t’achètes pas des lentilles fraîs ? C’est bien meilleur. - Ça existe ? - Évidement. - Je sais pas moi, c’est pratique les boîtes et c’est pas cher. - Ouais, mais c’est pas bon. - Ça dépend lesquelles. - C’est pour ça que tu rajoutes autant de fromage ? - Ça rien à voir : je rajoute du fromage dans tout ce que je mange. En fait c’est le fromage mon vrai plat, le reste n’est qu’un accompagnement. - Ah... - Quoi ? - Je sais vraiment pas comment tu fais pour manger ça. - Pourquoi ? - C’est même pas du vrai fromage ! C’est juste un vieux truc industriel ! Ça a aucun goût ! - Moi j’aime bien. - C’est plein de produits chimiques. C’est pas bon pour la santé. - Oh tu sais, moi la santé… Je mourrais d’un cancer de toute façon. Comme tout le monde. - Et t’as envie de mourir jeune ? - Qui a envie de vivre vieux de nos jours ? - Moi. - Et donc tu fais attention à ton alimentation ? Tu ne bois pas. Tu ne fumes pas. Te drogue pas. Ne bois pas de café. N’utilise pas de micro-ondes. Ne mange pas dans les fast foods et n’achète que des produits Bio, c’est ça ? - Oui. - Ba écoute, j’espère sincèrement pour toi que ça marchera, 240 mais moi ça me ferait bien trop chier d’autant me priver pour finir avec un cancer de toute manière. - Tu dis ça, mais t’es végétarien pourtant ? Tu te prives déjà non ? - Pas autant. Et ce n’est pas pour moi que je le fais. - Acheter Bio ce n’est pas que bon pour soi, c’est bon aussi pour la planète. Ça évite que tous les champs soient pourris avec des pesticides, qui assèchent le sol et pourrissent les nappes phréatiques. - T’as voté Écolo toi en avril, non ? - J’aurais bien aimée, mais je peux pas voter. - C’est vrai que t’as pas encore ta majorité. - Ouais… Et toi pour qui t’as voté ? - Hollande… Comme tout le monde. Vote utile. Le programme des Verts était intéressant, mais bon... Éva Joly quoi. - Qu’est-ce qu’elle a ? - Aucune crédibilité. - Je trouve pas. Au contraire, je l’a trouve super convaincante. - Ba écoute… Tu voteras pour elle aux prochaines élections… Si on est encore en vie d’ici là. Silence. Un homme passe. Un ange est assis. Elle me sourit tristement. Ne dis rien. On sait tous les deux très bien ce qu’il en est. Il reste 62 jours avant la fin du monde, mais on fait comme si de rien n’était. Projette dans l’avenir. Infime espoir qu’ils se soient trompés. Que tout cela ne finisse pas. Tout va finir. Dans 3 jours, elle va partir : fin de stage. Merci au revoir et à jamais. Dans 3 jours, je ne vais plus jamais la revoir. Dans 3 jours… Dans 3 jours, il sera trop tard. Dis quelque chose. Elle n’attend que ça. 241 Fais quelque chose. Prends les devants. Arrête d’hésiter. Move. Now ! Tends mon bras. Rapproche ma main. Attends. Ne pas y aller brusquement. Les yeux fixés sur moi, elle m’observe. Visage neutre. Pas de signe de consentement, ni de refus. Impossible de savoir. Black Out total. Risque. Il faut savoir risquer. Se jeter. Ma main parcourt les derniers centimètres, qui la séparent de la sienne. Contact dans 3, 2, 1 : Mes doigts brûlants heurtent sa peau glacée. Sa main réagit à mon contact. Elle entrouvre sa paume. Lisse. Fine. Ongles rongés. Sale habitude. Me rappelle ma copine. Ma copine… Oh mon Dieu ! Mais qu’est-ce que je suis entrain de faire ? Rien de mal. (Trahison !) Ce n’est pas un crime. Je ne l’ai pas trompé ! - Arrête. Arrête tout de suite. Met fin à ce petit jeu. Respecte là un peu, sérieux. Bouge pas. La fixe des yeux. Paralysie. Paralysé. Elle. C’est Elle, qui. Dégage. Sort. Ramène lentement son membre. - On s’y met ? Baise. Baise. Baise-la. Baise. Baise. Là. Tout de suite. Table. Appuyé. Haut déchiré. Pantalon retroussé. Étreinte sauvage. 242 Délirante image. Mon cerveau est en ébullition. Ma bite éructe dans mon pantalon. Calmer. Se. Reprendre. - Quoi ? - Qu’est-ce que t’as ? Ça va pas ? - Qui moi ? Si, si, bien sûr. Qu’est-ce que tu disais ? - On retourne bosser, ou t’as encore un truc à manger ? Regarde nos plats. Finis. Plus rien. Plus une miette. Avais même pas noté. Étais trop obnubilé. De la nourriture estelle vraiment entrée dans mon estomac ? Faut croire. Aurais bien pris un café, mais la vois déjà prête à se lever. Tant pis. Ça sera pour plus tard. La suis. - Non, c’est bon. Allons-y. Ai-je rêvé ? Cet instant, minute. Éternité. Comment désormais me comporter ? Attirante beauté. 16 ans. À peine l’âge de se faire trouer. Pas bien. Pas (vraiment) légal. Pas (du tout) moral. Si ma copine l’apprenait... Mais il n’y a aucune raison qu’elle l’apprenne. Suffisant pour prendre les devants. Jouer les amants. - Arrête de t’inquiéter, elle ne le saura jamais. Mais moi si. Pourquoi tout est toujours aussi compliqué ? Fait chier. La regarde. Observe. L’espionne pendant qu’on bosse. Détecter moindre signe de changement : rien. Rien ne semble s’être passé. 243 L’a-t-Elle seulement remarquée ? Loooongue et interminable journée. Tête loin de mon ouvrage. Multiplier les conneries. Travail bâclé. Heureusement qu’Elle était là pour me le faire remarquer. À trop se poser de question, on finit par être complètement con. 18h20 Officiellement finit depuis 20 min, mais avait presque… Allait pas partir en laissant le chantier comme ça. Reste un peu plus longtemps et tant pis. Au moins la satisfaction de savoir qu’on a fini. Range le matos. Nettoyer. Eau chaude. Mains trempées. Peinture collante bien bien collée. Frotte, frotte, frotte. Dans l’espoir de décaper. Sort le White Spirit. Gratte, gratte, arrache la peau et te ronges les os. Au final plus de blanc sur tes vêtements que sur les escaliers. « Non, mais sérieusement ! Incapable de faire quelque chose proprement. Un vrai garnement. Déjà quand il était enfant... » - On y va ? - Ouais ! J’me change et j’arrive. Me transforme plus vite que Superman. 3 Milliards de fois plus rapides que le son de la lumière. 10 minutes à l’aller. 10 secondes au retour. C’est fou comme les choses vont plus vite quand on est pressé. Chaussures. Manteau. Gants. Écharpe. Pour ne pas mourir gelé. Casque. IPod branché. Paré. 244 - T’es habillé ? Je peux entrer ? - C’est trop tard, t’as tout loupé. J’ai déjà remis mon pantalon. - Pff…T’es con. Me touche le bras en disant ça. Caresse. Légère. Passe presque inaperçu. Mais pas pour mon corps. Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que je dois comprendre ? Comment je dois l’interpréter ? Vite ! Vite ! Je suis paumé ! Putain de gonzesses et leur langage à la con ! Bon, mais verrais bien. Plus me prendre la tête. Décidé de la laisser agir. - T’as déjà dit au revoir aux autres ? - Ouais… Je leur est dit de ta part aussi. - Parfait. Tu gères. So, Let’s go ! Sort. Va pas loin. 10 min du métro à pied. Donne pas beaucoup le temps de parler. Heureusement on prend presque le même trajet. Bout de chemin identique. M’accompagne jusqu’à Bastille. Récupère ensuite la 1. Et moi… Continue jusqu’à chez moi. Direct to la solitude. Marche côte à côte. Près. Très près, mais pas collés. Nos mains se cherchent sans se trouver. Ne dis rien. Ne se regarde pas, mais je sais qu’elle pense à moi. Le devine. Son corps la trahi. Me demande ce que fait le mien… Débarque sur le quai. 245 Métro arrive aussitôt. Directement. Dommage. Pour une fois n’étais pas pressé de le voir arriver. Entre. Deux strapontins libres. S’assoit. Le métro repart. Un peu plus loin dans le wagon un homme joue de l’accordéon. Chante une vielle chanson : « C´est le temps de l´amour. Le temps des copains. Et de l´aventure. Quand le temps va et vient. On ne pense à rien. Malgré ses blessures » Marie m’attrape la main et la presse contre son sein. Je la presse en retour. Les stations défilent. Beaucoup trop vite. « Un beau jour c´est l´amour. Et le cœur bat plus vite. Car la vie suit son cours. Et l´on est tout heureux D´être amoureux » Me rends compte que je n’ai aucun moyen de la retrouver. Ni son numéro, ni son mail. Ne sais même pas son nom de famille. Encore temps de lui demander ! Dépêche-toi ! Pas une seconde à perdre ! Mais à quoi ça servirait ? On sait tous les deux très bien ce qui va se passer. Comment ça va se terminer... « On se dit qu´à vingt ans. On est le roi du monde. Et qu´éternellement. Il y aura dans nos yeux. Tout le ciel bleu.» Bastille. Bastille. - C’est ma station. Je sais. Reste assise. Me regarde. S’approche. Me dépose un baiser rapide sur la joue. - À plus. Salut. 246 Dégage sa main. Le signal sonore retentit. Elle se lève et s’enfuit. Pas de dernier regard. Les portes se ferment et le métro repart. « Car le temps de l´amour. C´est long et c´est court. Ça dure toujours On s´en souvient… » 247 Mad World Il reste 42 jours avant la fin du monde. Cette pensée me traverse, transperce. Me réveille en sursaut, en sueur. Tee-shirt humide, drap trempé. Comme quand j’étais petit, pipi au lit. Chaleur brûlante dévore de l’intérieur. Fièvre délirante du malade à peine guérissant. Malgré l’air glacial de mon appartement, mon visage se teinte de couleur rouge sang. Bouillotte, bouillonne comme une. Souffle court, saccadé. Me remets difficilement, suis encore terrifié. Cauchemar connu connard. Revient de plus en plus souvent ces derniers temps : Marche dans la rue. Pas une, mais là. Pas identifiée. Suis-je à la ville ou à la campagne ? Pas moyen de le savoir. Est-ce Paris ou bien Londres ? Grande avenue déserte s’étale devant moi. Place pour des centaines de voitures, mais pas une ne passe. Trottoirs immenses, mais personne dessus. Seul. Au milieu de tout ça. Avance. Sais pas pourquoi. 248 Mais avance. Pas rapide. De plus en plus. Quelque chose me fait peur. Terreur sourde qui tape tape dans mon cœur. Accélère. Cours. Fuis. Quelqu’un, quelque chose est derrière, au-dessus, en dessous, tout autour de moi. Je le sens, je le sais. N’ose pas tourner les yeux, lever la tête : enfant de cinq ans, peureux pleurant, qui, n’arrivant pas à appeler, maman, se cache sous sa couette, pour se protéger du méchant caché dans le placard à balais. Les nuages grossissent, condensent, noircissent. Ténèbres d’encre. La lumière peu à peu disparaît. Aveugle, courant à l’aveuglette. Guidé par mon instinct. Pas besoin de mes rétines. Et puis... Soudain ! La lueur. Venant de sous mes pieds. Raies de lumières brûlants. Insoutenable, insupportable. Explose. Le sol craquèle, frêle et s’effondre. Tombe, disparaît dans l’autre monde. Engloutit. 249 Volcan réveillé. 5 éléments déchaînés. Ne peux plus rien faire. Trop tard. Perdu. Plus rien ne peut les arrêter. Missiles inutiles. Technologie futile. C’est l’apocalypse. Moi, Au milieu d’un océan de flammes, Et les cris déchirés, déchirant, explosent mes tympans. Poussettes déchiquetées, bébés dévorés à peine sortis du corps de la pucelle fraîchement déflorée. Bite démente, déchirante, triomphante. L’horreur. L’autre, là, devant moi, passe, mains devant les yeux, ébouillanté, le visage fondu fondant comme du vieux fromage périmé. Sang, sang, sang. Ciel bleuté devient, de couleur rougeâtre foncé. Astéroïde, qui tombe. Éclaté, déchire la stratosphère. Ça y est, c’est l’enfer sur terre ! Réveillé maintenant, mais loin d’être apaisé. Émerge. Vue brouillée. Rétines colle colle, décollées. Allume lumière de chevet. Essaye d’éclaircir un peu. Quelle heure ? 3h15. 250 Reste encore 4h avant d’être obligé de me lever. Ma vessie m’assaille, me tiraille. Me lève, vais pisser. Dégourdir, divertir. Chasser les images de mon esprit. Ouvre frigo. Attrape un verre d’eau. Baisser la température de mon corps. Rafraîchir. Revenir. Allonger. Tenter de se recoucher. Ferme les yeux : Esprit à plein régime. 100% d’activité. Réfléchis. Atroce réalité. Tout, tout ce que j’ai vu va arriver. L’apocalypse : jugement dernier. Dans 42 jours, nous dévaster. Le ciel va nous tomber sur la tête, sauf que pour une fois l’image est vraie. Le temps est compté. Chronométré. Peux pas oublier. Personne n’y survivra. C’est dit, prédit. On ne pourra pas mourir vieux, bien au chaud, tranquille dans nos pieux. - Venez, approchez, mes chères, mes tendres enfants. Faitesmoi un ultime baiser. Embrassez-moi une dernière fois. Ai pas d’enfant. Personne ne sera à mes côtés. Personne pour m’entourer. Chacun sera occupé de son côté. Aura sa propre catastrophe, sa propre mort à gérer. Peux pas trop leur en demander. Seul. Mon amour à des centaines de kilomètres. Mon meilleur ami à des milliers. Seul. Dans la vie comme dans la mort... 251 Mais qu’ai-je fait ? Pourquoi cette fin brutale ? Pourquoi cela doit-il s’arrêter ? Ne veux pas. Tolère pas. Dis Non, Non, NON à tout ce merdier et allez tous vous faire enculer. Je prône l’illimité. L’éternité. Gratuite et pour tous : Juifs, Chrétiens et même les Maghrébins ! Ça serait mieux ; bien plus joyeux. Comment supporter cette idée ? Pensée de la mort prochaine. Néant. Que vient-il après ? Que vais-je devenir ? Rien à foutre des autres. Je les aime, mais ils peuvent crever la bouche ouverte, cela m’est bien égal tant que moi je n’y reste pas. Unique survivant. Univers désert. Seul au monde, mais seul en vie. Putain oui ! Tout ce qui compte. Continuer coûte que coûte, quoiqu’il en coûte. Survivre. Prêt à tout : Tuer, Voler, Manger son prochain, son voisin. Aime les autres comme tu aimes ton frère. Angoisse. Pouls qui s’accélère, change de vitesse. Tétanisé. Terrorise. Estomac noué. Envie de vomir. Bile qui monte, remonte. Coincer au fond de la gorge prête à partir, surgir. Arrêtez ! Pense à autre chose. Détourner. 252 Tu ne peux rien y faire de toute façon. Le destin est en marche. Il faut continuer. Essayer d’en profiter. Ton plan est en route tu ne peux plus abandonner. La première de la Mort du Roi est dans moins de deux semaines. Continuer plan de communication. Faire venir le plus de monde possible. Succès assuré. Obligé. Réussir à monter sa première pièce à 21 ans est déjà un petit exploit. Regarde en arrière. Résumé de ces 10 dernières années. De ce temps passé depuis que la plume m’a trouvée. Ai jamais arrêté. Besoin vital, virus viral. Entrée, ancrée au plus profond de moi. Ai jamais eu l’impression de beaucoup écrire, mais dans mes tiroirs les papiers croulent, coulent. Ai commencé simplement. Petit enfant, petit texte. Parodie parodique, avant d’attaquer la poésie. Sans égard de style, ni de rythme. Pas trop de question, laisser libre court à son imagine la nation. Transcrire sentiment en mots bien élégant. Pas cher. Pas besoin de fond inexistant. No caméra. No scène. Juste toi sur ta chaise. Juste un crayon et un bout de carton, papier. L’art des pauvres. L’art unique, antique. Tout écrire. Tout essayer. Varier les styles et les formes. Évoluer ou la mort assurée. Chercher, tendre vers le parfait. Projets de plus en plus ambitieux, réussis de mieux en mieux, mais que personne jamais ne lit. - Qu’as-tu écrit en dix ans ? 12 scénarios (on dit scénarii), 7 pièces de théâtres et 3 recueils de poésie. Et rien n’a été publié. 253 Et tout sera oublié. - T’es con. Pourquoi l'avoir fait ? Aurait été plus intelligent d’occuper son temps autrement. Différentes manières de gâcher ses journées : Travailler. Donner de l’argent : ONG, Croix rouge, œuvres caritatives. Aider ceux dans le besoin. Pas que penser à sa sale gueule d’égoïste égocentrique. Tu souffres ? Mais tu n’es pas le premier. Tu te sens seul ? Mais tout le monde s’en fout. Il y a bien pire dans le monde. Bien plus horrible : Guerre. Famine. Catastrophe naturelle, nucléaire. Corps faméliques, osseux dont on n’voit plus que les yeux. Voitures, bus, scooters piégés, détonnent, explosent au premier coin de rue. Vivre au milieu du son des rafales. Maisons en ruines, derniers refuges. Enfants d’à peine 5 ans, apprenant à manier le fusil pour pouvoir se procurer de quoi manger. Boue, caillou, modeler, transformer en gâteau. Plats des plus savoureux. Faire tomber quelque chose, n’importe quoi au fond de son ventre, pour faire taire cette douleur, ces cris incessants qui nous déchire les tympans. Arriver au point ou même la merde à l’air appétissante... Pour certains l’apocalypse ne fera pas une grande différente. Un jour de plus. Un jour banal, où il faut survivre comme tant d’autre, depuis tant des années. Pour certains l’apocalypse sera peut-être une délivrance. N’y a-t-il vraiment aucune chance de s'en sortir ? Pense au dicton : Souris et le monde te Sourira, mais si tout le monde pleure, quel choix ai-je moi ? 254 Et si tout cela n’était qu’une illusion ? Image de l’esprit projetée. Mirage. Attaché, emprisonné, les yeux rivés vers nos ombres, la mort serait-elle le seul moyen de se délivrer ? Sortir de la caverne. Le soleil qui brûle les rétines n’est-il pas cette ultime douleur physique, qui survient lorsque nous laissons nos corps derrière nous ? Sommes-nous réellement qu’un amas de chaire et d’os ? Nos pensées résultent-elles uniquement de connexion entre nos synapses ? N’y a-t-il pas un avant et un après ? Si on regarde attentivement il existe des centaines, des milliers de témoignages de personne ayant subi une expérience métaphysique. Pourquoi ne leur accorde-t-on aucun crédit ? Ne serait-ce pas plutôt nous les fous ? Depuis l’antiquité le même message nous est délivré, martelé. Comment pouvons-nous encore l'ignorer ? S’il se propage depuis tant d’années c’est forcément qu’il doit y avoir du vrai ? Et si notre âme se détachait réellement de notre corps lorsque l’on s’endort ? Passe mon temps à me soucier de merdes sans importances, problèmes débiles du quotidien alors que là sont les vraies questions. Problèmes à résoudre. Peut importe ce que je fais. Le nombre de texte que j’écris. Tout sera détruit. La seule chose qui puisse être sauvée est au fond de moi, cachée. Seule mon âme pourra me tirer de ce merdier. Encore faut-il que j’en aie... 255 Junkie’s Prayer - Tu le craques ? - Non vas-y. Je n’aime pas les commencer. Norman le prend. Cherche. Tout près. À porter. Briquet ? Essayer. Tchik. Tchik. Étincelle rebelle. Fumée sans feu. Drame. Plus de gaz. - T’en a pas d’autre ? - Non j’crois pas. - On le fait avec tes plaques au pire. - On est à l’électricité. - Et merde. Panique à bord. Sortez les bons vieux silex ! Eux au moins on peut leur faire confiance. Ne nous ont jamais laissé tomber. Compagnons de longue date. On leur doit tout et plus, et plus personne ne s’en souvient. Tradition brisée. Où sont passés les primates que l’on était ? - Attends. Je dois avoir des allumettes quelque part. Crack. Pchh… Odeur positive. Connoté enfance. Bon moment. Ça sent l’anniversaire. Première approche. Délicat. Brûler et… Attendre que prenne le papier. Rien de plus mauvais à fumer. En même temps tirer. Aspirer. Ouverture, gonfler ses poumons. Remplir son esprit. Peut à petit. Lent. Ne pas se. Ne pas être. Presser, citron citrouiller. Détente assurée. Remède pour personne stressée. « Extra ! Extra ! Read all about it ! It’ s Miracle cure ! » Vas-y mon petit Tommy, reprends une bouffée ; reprends en une petite bouchée. C’est bon pour ce que t’as. T’inquiètes pas. 256 Ça peut pas te faire de mal. Déjà complètement détruit. Amas de chaire sans vie. Se faire plaisir. Live Fast and Die Young ! 27 ans l’âge d’or. L’âge de mort. Tenir jusqu’à là. Se consommer. Trop vite. Se consumer. Éviter d’entièrement brûler. Ça y est. Il est allumé. Feu à bien pris. Vois le bout se dorer. Les yeux de Norman se fermer. Fumée sort de sa bouche. Stylé. Devrais, aimerais le filmer. Tout dans le noir plongé, pas de lumière, juste la clope pour éclairer et la fumée qui lentement sortirai de lui. Magnifique idée. S’évapore aussi vite qu’elle est entrée. Vais pas m’amuser à faire des courts métrages. Bien trop chiant. Suis pas prêt de retourner là-dedans. - Alors ? - Elle est bonne. Il s’est pas foutu de moi. - C’est quoi ? - De l’Amnésia. « Memory, help me see, Amnesia ! Memory, set me free! Aaaaa men sia ». Amen. Rien que le nom me donne des frissons. Toujours meilleur de se défoncer avec du bon. Me rappel le peu de fois ou j’ai eu l’occasion d’en fumer : Sur le port d’Amsterdam, la tête couchée sur les pavés. Flotte, coule, vole, petit, grand beau ruisseau. Se laisser porter par tes canaux. Sur le trottoir. 257 Dans la nuit, Dans le noir. Sur ton lit. Alors que, posé tranquillement, regarde la télé. Sur la jambe d’un ami, Vomis. Latte de trop avalée. Pas pu me retenir. Super souvenir. - Et t’en a acheté pour combien ? - 30 eu. - C’est cool, ça va pouvoir nous tenir un peu. - Ouais. Si on fume pas tout ce soir. Avons pris l’habitude de se siffler, siffloter 40 eu en une soirée. Pas rentable. Fume pas souvent, mais fume énormément quand on le fait. Aurait dû prendre plus, mais Pas pus. Pas de thune. Norman non plus. Coûte cher (très trop) de se droguer. C’est grâce à un de ses potes qu’on a pu toucher. Un pote de son quartier. Lui a envoyé un texto avant et ont est partis ensemble le chercher. Pas loin, 2 minutes (à peine) à pied. - Tu veux me faire croire qu’il peut pas toucher dans son lotissement ? Évidement que si. T’es à Vitry ! Mais c’est de la merde. C’est pas bien servi. Vitry, marcher international du shit et de la drogue en tout 258 genre. Ouvert à toute heure du jour et de la nuit. Est plus facile à se procurer qu’à boire ou à manger. Vive l’illégalité ! Les dealers eux n’ont pas d’heures de fermeture comme les supermarchés. Seul inconvénient t’est obligé de retirer. Seul le cash est accepté. Pour la carte bleue, sont pas encore équipé. Ça ne saurait tarder avec les profits qu’ils se font. Un marché qu’est sûr de ne jamais connaître la crise. Comme les putes. - Toi t’attends ici, m’a dit Norman. Sont méfiants. S’ils voient quelqu’un qu’ils connaissent pas, ils auront pas confiance et te fileront rien. Alors suis resté. Derrière. Assis bien sagement, posé à la station-service du coin, Attendre. - On en a pour 5 minutes. 15 déjà qu’ils sont partis. Ont pas trouvé ? Les choses se sont mal passées ? Ils se sont fait tabasser, racketter ? Leurs corps dans une poubelle déchiquetés ? J’appelle la police ? Mais non ! T’es con. Tout ça n’arrive que dans les films, à la télévision. Ça prend plus de temps parce que rien ne prend jamais 5 minutes. Toujours multiplier par trois le temps que l’on t’annonces. J’arrive ! = Je pars de chez moi. J’aurai 5 min de retard = J’aurai 20 min de retard. Je suis pas là tout de suite = Je ne viendrai pas. Commence à connaître le truc. Tout le monde parle la même langue codée. Ont finit par ressortir, revenir comme prévu. - C’est bon ? - Ouais. - Vous avez pris quoi : du shit ou de la beu ? - De la beu. 259 Merci mon dieu ! Se rentre. Laisse son ami sur le palier. - Chacun bouffe de son côté et on s’appelle après ? Ok. S’affale dans le salon. - Qu’est-ce tu veux manger ? - J’ai pas très faim tu sais. - Moi non plus. - On s’en roule un ? - Allez. Le rituel commence. Sort le matériel : Feuille, Clope, Toncard, Beu, Briquet. Tout est prêt. Lèche. Colle. Assemble. Deux deviennent un. Agrandissement. Pas penser à s’acheter des OCB. Pas grave. Se les fabrique soi-même. Ensuite, détache la beu. Dépose dans le tabac. Soigneusement dispersée. Éviter les grosses boulettes. Défonce la gorge. Te tue trop vite. Pas le but. Entre deux doigts. Balance. En haut en bas. Rouler. Coller. Serrer. Et hop ! Un bon petit joint bien fait. Norman me tend le bedo. Tire doucement. Ça monte vite à la tête. Ai pas envie d’être déjà fracassé. Essayer. Pouvoir tenir toute la soirée. Vas pas se coucher tard de toute. Ça, on sans doute. - Un peu de musique ? - Of course ! Essaye de pas mettre quelque chose de trop 260 violent. Oreilles sensibles. Cerveau bloqué. Tout marche au ralenti. Musique est à double tranchant : peut vite devenir énervante, mais bien dosé, elle reste un des meilleurs trucs pour planer. C’est ma vraie raison pour fumer : écouter de la musique. Redécouvrir des morceaux 1000 fois passés. Les entendre comme jamais auparavant. Transporté. Votre esprit et le son, mélangés. - Qu’est-ce tu préfères : « Heroes » ou les Velvet ? - Lequel des Velvet ? - Le premier. - Ba…Va pour les Velvet. Sun - day mor-ning, Sun - day mor-ning, brings the daw-ning, and I’m fall - ing. Ma chanson préférée des lendemains de fête. La tête dans le cul. L’estomac tout retourné. Rien qui passe mieux. - Tu veux une bière ? - T’as quoi ? - De la Kro. - Ouais je veux bien. Tcht ! Bonne bière bien fraîche. Aaaaaaaaa…. Chacun allongés sur un canapé. La tête posée devant les 261 enceintes. Un bedo dans une main et dans l’autre une bibine. Lui passe le joint. Fumé que deux trois lattes, mais sens déjà les effets. Monte, monte et ne reviens jamais. I want to get High, so High…. Sens mes joues qui se décontractent. Envie de sourire. M’enfonce encore plus profondément que possible dans le canapé. Départ pour le centre de la terre, me retrouve vingt milles lieux sous les mers. Départ pour le pays enchanté sans arrêt au pays des merveilles. « Faut quand même pas déconner. Tu te niques la santé ! Bousille le cerveau. Mémoire en charpie ! » Ça tombe bien je voulais m’en débarrasser. À bas le passé et le plus que parfait ! Je veux être imparfait ! Le présent lui personne ne peut l’oublier. - Tes coloc ne sont pas là ? - Elles sont dans un bar avec des potes. Elles rentrent après. - Ok. - Tu restes dormir ? - Ouep. Vais pas reprendre le train à cette heure-là. Ai plus la force de bouger de toute façon. Faire le moindre mouvement. Membres de plomb colle au sol, les yeux fixes, rivés au plafond. Le creux dans mon estomac commence déjà à se creuser. - J’ai faim. Comme à chaque fois que je fume. Bouche moite, pâteuse, langue sèche. Bonne gorgée de jus d’orange pour se. Revigorons-nous ! Pense à l’effort qu’il va falloir faire pour grailler. Un monde entier à traverser. Océan à la nage et en apnée. Aurais dû penser à commander des pizzas. Engager un esclave pour nous nourrir. 262 Jeter la bouffe directement dans la bouche. Être une loque ou être une loque ? Ne pas se poser la question. Le joint tourne autour de nous. Ça s’en va et ça revient. Ultime effort tendre la main. Chaque bouffée un peu plus d’effet. Chaque bouffée un peu plus défoncé. Tire une ultime taf : Tof. Tof ! Goût dégueu. Il s’est éteint. Le crâme. Essayé de le rallumer. Peine perdue il est terminé. À peine le temps de l’écraser dans le cendrier que Norman me lance : - On se fait un pure ? - Tu veux vraiment me tuer. - Oh, t’es pas drôle. - Qui t’as dit que je refusais ? - Ah ! Là je te reconnais ! Se lève. Sais pas comment il fait. Surhomme ce mec. Toujours la force quand il s’agit de se défoncer. Va chercher le matos et la cérémonie peut recommencer. - Faut pas qu’on oublie d’appeler ton pote. - Après manger on lui a dit. - Au rythme où on va, on va jamais manger. Répond rien. Sait que j’ai raison. Après celui qu’il est entrain de faire on sera des zombies. Momies. Carcasses de chaires immobiles. Bouillonnant à l’intérieur, mais mort à l’extérieur. - J’aimerais bien reprendre un peu de LSD. - C’est vrai ? - Ba oui. Je me rends compte que j’en ai jamais pris la nuit. - C’est kiffant. Tu te fais ça avec une bonne Playlist. - Faut qu’on se programme ça. - Tu sais ou en trouver ? - Je connais deux trois personnes à qui je peux demander. Tu 263 serais partant ? - Complètement. Ça fait super longtemps que j’en ai pas pris. - Dommage que Rémy soit pas sur Paris. Faudrait faire ça avec lui. - Oui. Dans mon ventre le trou est devenu cratère. Salive en pensant au goût que doit avoir mon bras. Après tout on s’en sert pas tant que ça. Et puis j’en aurai toujours un autre. - Et voilà ! Roule plus vite que son ombre. Pas le temps de souffler. Marathon de la défonce. Seule fin possible le Black Out. Heureusement qu’on peut pas faire d’overdose en fumant. Heureusement... - Ça va ? Ai des sueurs froides. Dois être blanc comme un cul. A dû le remarquer. - Ouais ouais, t’en fais pas. T’as pas une couverture ? - Si tiens. - Merci. Fait froid chez toi. - C’est parce que t’es perché ça. - Tu sais ce qu’il te dit le perche ? Espèce de kéké drogué va ! - Bon, je le craque ? - Non ! - Pourquoi ? - Attends. - Attends quoi ? - Ça ! 264 Les premières notes d’Héroïne commencent et la soirée atteint son apogée. Norman me lance un regard complice. Il a compris. Il craque le joint et se rallonge sur le canapé. Et c’est parti pour 8 minutes 30 d’extase musicale : I don't know just where I'm going But I'm gonna try for the kingdom, if I can 'Cause it makes me feel like I'm a man When I put a spike into my vein And I'll tell ya, things aren't quite the same When I'm rushing on my run And I feel just like Jesus' son And I guess that I just don't know And I guess that I just don't know I have made the big decision I'm gonna try to nullify my life 'Cause when the blood begins to flow When it shoots up the dropper's neck When I'm closing in on death And you can't help me now, you guys And a You can all go take a walk And I guess that I just don't know And I guess that I just don't know I wish that I was born a thousand years ago I wish that I'd sail the darkened seas On a great big clipper ship 265 Going from this land here to that In a sailor's suit and cap Away from the big city Where a man can not be free Of all of the evils of this town And of himself, and those around Oh, and I guess that I just don't know Oh, and I guess that I just don't know Heroin, be the death of me Heroin, it's my wife and it's my life Because a mainer to my vein Leads to a center in my head And then I'm better off and dead Because when the smack begins to flow I really don't care anymore About all the Jim-Jim's in this town And all the politicians makin' crazy sounds And everybody puttin' everybody else down And all the dead bodies piled up in mounds 'Cause when the smack begins to flow Then I really don't care anymore Ah, when the heroin is in my blood And that blood is in my head Then thank God that I'm as good as dead Then thank your God that I'm not aware And thank God that I just don't care And I guess I just don't know And I guess I just don't know 266 Emotion - Coucou. - Coucou. - Ça va ? - Mouais… - Ça a pas l’air. - J’suis fatigué. J’ai mal à la tête. - Oh... Encore ? Qu’est-ce que t’as fais ? - Ba… Rien. - Pourquoi t’as mal à la tête alors ? - J’ai eu une dure journée. - Oh, ma pauvre chérie. T’as finis à quelle heure ? - 20h. - Et t’as mangé suffisamment ce midi aussi ? - Oui, je m’étais fait un gros Tupperware avec des pattes, de la ratatouille, des œufs, de la salade et un peu de riz. - Ah ba ça va ! - Oui, j’ai mangé comme une grosse patate. - Tu vas bientôt plus pouvoir passer les portes. - Tu parles j’ai encore perdu deux kilos. Je commence à flotter dans mes jeans. - Comment ça se fait ? - Je sais pas. J’arrête pas de manger et je maigris quand même. - C’est inquiétant. - Oui, faut que je mange plus de cochonneries. - On se fera un week-end spécial chocolat la prochaine fois que je descends. - Oui !!!!! - On achètera plein plein de chocolats de toutes les sortes : 267 chocolat au lait, chocolat noir, blanc avec des noisettes, du nougat, de l’orange et on le cuisinera de 100 000 façons différentes. On fera un gâteau, un brownie, un flan, une fondue. - Hum... Arrête tu me donnes faim. - T’as pas mangé ce soir ? - Non, j’étais trop fatigué pour faire la cuisine. - Et y a personne chez toi ? - Non, je suis toute seule. Je sais pas où mon coloc est passé. Ça fait une semaine qu’il est pas là. Je sais pas ce qu’il fout. - Il doit être chez sa copine. - Mouais… Ça m’étonnerait qu’il en ait une. - Il est peut-être mort. Un maniaque l’a assassiné et découpé son corps en morceaux avant de le jeter dans une poubelle. - Aaah, mais t’es horrible. - Oh, je plaisante. C’est de l’humour. - C’est pas marrant. - J’y peux rien si t’as pas d’humour. - Ouh... Ma tête. - Ah, mais pourquoi tu prends pas un Aspégic. - Mais... - Ça calmerait la douleur. - J’aime pas prendre tout le temps des médicaments. - Tu préfères avoir mal ? - Mais... Ça m’inquiète. Je sais pas pourquoi je suis toujours fatigué comme ça. J’ai peur d’avoir quelque chose de grave. - Mais non... T’as rien, c’est juste que tu es fatigué c’est tout. Il faut que tu dormes, que tu te reposes et demain tu verras ça ira mieux. - Oui, sûrement. - Va te coucher. - Mais j’ai envie de te parler. J’ai attendu ça toute la journée. - Moi aussi, mais j’ai pas envie que tu te sentes pas bien à cause de ça. - Mais.... Bon mais et toi t'as fait quoi aujourd'hui ? 268 - Ba… Rien de spécial, j’étais à mon stage. - Où ça ? Dans ton théâtre ? - Oui, toujours. Je fais qu’un seul stage. - Ah, mais je comprends jamais rien à ton emploi du temps entre ton stage, tes répètes et tes projets ! - C’est simple pourtant. - Mais... Faudrait que tu me fasses un emploi du temps, comme ça je m’y retrouverai. - Ba j’essayerai, mais ce soir ça va être chaud je pense, j’aurais sûrement pas le temps. - Pourquoi ? Tu fais quoi ? - Pleins de trucs. D’abord faut que j’aille tracter pour notre pièce. - Tu tractes où ? - Je vais rester aux alentours du théâtre où on va jouer. - T’as réfléchis à ce que je t’avais dit ? - Quoi ? - L’idée de faire des petits shows dans la rue. - Ah… Oui, j’y ai réfléchi. - Et alors ? - Ba... - Ah ! Tu vas pas le faire c’est ça ! - Non... - Mais pourquoi ! C’est une bonne idée moi je trouve. - Oui… Mais non. - Ah! Tu m’énerves. - Je suis d’accord que c’est un bon moyen de faire de la pub, mais je me vois pas faire ça avec cette pièce. Elle s'y prête pas, ça n’aurait aucun sens. Je me vois pas dans la rue entrain de crier sur les passants : le roi est mort ! Le roi de mort ! Au feu, aux armes, le roi est mort ! - Moi je trouverai ça cool, mais bon. - Ce qui est cool, c’est qu’on a déjà un peu près une trentaine de personnes sûres qui viennent, dans nos contacts. 269 - Mais faut pas faire de la pub qu’à tes contacts ! L’idée c’est de faire venir des gens que tu connais pas ! - Je sais. - Tu arriveras jamais à être connu si tu fais ça. - Tu sais, je m’en fous d’être connu. Du moment que je peux monter des pièces moi ça me va. - Oui, mais t’as envie que des gens les voient ces pièces non ? C’est quand même mieux de pouvoir jouer devant des salles pleines, que devant trois péquenauds. - Ba oui. - Pour ça faut que tu fasses de la pub, que tu te fasses connaître. - Merci ma chérie, mais on t’a pas attendu pour le faire ça. On a imprimé une centaine d’affiches et 5 000 flyers, qu’on dépose un peu partout dans Paris. - Tu les mets où ? - Partout où je peux : bistrots, librairies, salles de théâtre. - Faut que tu les mettes dans des points stratégiques. T’es allé dans les bibliothèques ? - Oui, c’est prévu ne t’en fait pas. - Bon… Ça me rassure. T’as l’air un peu près organisé pour une fois. - Hé hé. - Du coup ce soir, tu distribues combien de temps tes flyers ? - On va voir en fonction de l’affluence, mais faut au moins qu’on y reste une heure si on veut que ça serve à quelque chose. Mais je sais pas si moi je pourrais rester aussi longtemps, parce qu’après j’ai un spectacle. - Que tu fais ou que tu vas voir ? - Que je vais voir. - Oh... Mais tu m’avais pas dit. - Si, ça fait une semaine que je t’en parle, mais tu as oublié. - Non, c’est pas vrai ! Je suis sûr que tu m’en a pas parlé. - Ah! Arrête. Tu oublies tout, tu le sais. T’as la mémoire d’un poisson rouge. 270 - C’est faux. J’ai une très bonne mémoire. - Pourquoi tu te rappelais pas qu’on s’était déjà parlé hier alors ? - J’étais très fatigué quand tu m’as appelé, mon cerveau a pas retenu les informations. - C’est ce que je dis. T’as une mauvaise mémoire. Mais c’est pas grave, je t’aime quand même t’inquiètes pas. - Ah, mais tu m’énerves à la fin ! Je te dis que j’ai une bonne mémoire ! C’est juste que j’ai une mémoire visuelle et du coup ba j’ai plus de mal à retenir ce qu’on se dit au téléphone. - Moi aussi j’ai une mémoire visuelle et pourtant je me souviens de quand on se parle et de ce qu’on dit. - Oui et ba voilà ! Crotte ! Et puis ça te va bien à toi de me dire ça, monsieur je perds mes cartes bleues tous les mois. - Ça rien à voir avec la mémoire ça. C’est juste que je fais pas attention. - Oui ba c’est pareil. Ah. - Mais pourquoi tu t’énerves ? - C’est toi qui m’énerves à dire que j’ai une mauvaise mémoire. - Mais je dis pas ça méchamment, c’est pas de ma faute si c’est la vérité. C’est juste que t’es trop têtue pour le reconnaître. - Je suis pas têtue. - Laisse-moi rire. Je crois bien qu’avec mon père t’es la personne la plus têtue que je connaisse. - Mais... On aime pas être contredit dans ma famille. - Ça j’avais remarqué. Vous aimez pas qu’on vous dise quoi faire non plus. - On peut pas être parfait hein. - Je te reproche rien. - J’espère bien ! - Oh… Tu me manques… Je me sens si seule ici. - Toi aussi tu me manques mon amour. - C’est pas facile pour moi la relation à distance comme ça. J’ai 271 besoin d’avoir quelqu’un auprès de moi. - Je sais, mais qu’est-ce que je peux y faire moi ? - Rien, mais je t’en parle c’est tout. Je veux dire, déjà qu’on se voit pas souvent et en plus t’as jamais le temps de m’appeler. T’es toujours trop occupé. - Arrête t’exagères. On sait tout le temps au téléphone. - Mais à chaque fois tu me dis que tu dois y aller ; que tu peux pas rester longtemps. - Ba oui, parce que j’ai un emploi du temps super chargé, mais j’arrive quand même toujours à trouver du temps pour t’appeler. - Oui, mais c’est toujours vite fait. - On se parle presque tous les jours au moins une heure ! - C’est pas vrai ! - Hier on s’est appelé 1h20. - Ah ouais ? - Oui. - Bon peut-être, mais ça me suffit pas moi. - Qu’est-ce que tu veux alors ? Qu’on s’appelle 3 heures tous les jours ? Je suis désolé mais je les ai pas et même si je les avais, je t’aime mais je n’ai pas envie de passer mes journées scotché au téléphone. - C’est pas une question de temps… Mais à chaque fois qu’on s‘appelle j’ai l’impression que t’es pressé, qu’on peut que se parler vite fait. Du coup moi y a plein de trucs que j’ai envie de te dire, mais comme je pense que t’as pas le temps, je te les dis pas. On a à peine le temps de nous raconter nos journées et après tu me dis que tu dois y aller. - Mais si je te dis ça, c’est parce que j’ai l’impression que la conversation tourne en rond et qu’on a plus rien à se dire. - Ba si, moi j'ai toujours plein de chose à te dire, mais tu ne m’écoutes jamais. - Ah… Mais si je t’écoute, mais aussi tu mets toujours une heure et demie avant de me parler des trucs importants. Au lieu 272 de m’en parler directement, t’attends toujours qu’on ait épuisé tous les sujets de conversation avant de me lancer un : au fait, je voulais te dire un truc. Je suis pas devin moi, si tu me le dis pas, je peux pas savoir que tu as des trucs à me dire ! - Oh... Ba j’essayerai de te le dire la prochaine fois. - Je ne fais rien moi demain. Si tu veux je te réserve ma soirée pour qu’on s’appelle. Comme ça je serai pas obligé de te dire que je dois y aller et toi tu auras le temps de me dire tout ce que tu as à me dire. Ça te va ? - Oui. Merci. - Tu viens quand ? - Le 11. Tu le sais. - Oh... C’est dans longtemps. - Je pouvais pas venir avant. Tu aurais pu prendre des tickets pour monter, si tu voulais qu’on se voit avant. - J’ai pas d’argent. - J’aurai pu t’en payer une partie. - Mais... Ça pue Paris. - Oui, mais va bien falloir que tu remontes de temps en temps si tu veux qu’on se voie. C’est pas tout le temps moi qui vais faire l’aller-retour. - Bon, mais c’est bon, je vais prendre des tickets ! - Je veux pas t’obliger. - Mais non, je t’ai déjà dis que tu pouvais pas m’obliger à faire quoique ce soit. Je m’en occuperai dès que j’aurais le temps. - Tarde pas trop, les prix montent vite. - Je sais, je sais. Ne t’inquiètes pas. Oh... J’aimerais que tu sois dans mon lit avec moi. - Moi aussi. Mon lit est bien trop grand depuis que t’es partis. Je suis obligé de re dormir avec mes nounours pour pas que ça fasse trop vide. - Oh.... - On essaye de se mettre un peu sur Skype demain ? 273 - Pourquoi ? Tu veux te masturber ? - Ah, mais non ! Je veux te voir ! - Ouais c’est ça ! Tu veux te masturber, je te connais ! - Ah t’es trop bête. - C’est pas vrai heu... Non mais écoutes pourquoi pas, faut voir si j’ai plus mal à la tête, parce que l’ordi ça me défonce vite les yeux. - T’es en sucre aussi. - Ba je suis une fille. Je suis fragile. - Taaapette ! - Mais... Je suis pas une tapette. - Taaapette ! - C’est pas gentil. - Je suis pas gentil. - Oh mais tu veux pas venir ce soir ? - Tu sais très bien que je peux pas. - Mais si ! Tu prends le train maintenant et comme ça, ce soir on dort ensemble. - Je peux pas, j’ai rendez-vous avec mes acteurs pour aller flyer. - Oh mais tu t’en fous, ils peuvent le faire sans toi ! - Oui, mais non. Ça se fait pas de les laisser tout seuls. - Moi tu me laisses bien tout seul. - C’est toi qu’est partie à 700 km, pas moi. C’est toi qui me laisses tout seul. - J’avais pas le choix, c’était pour mes études. - Moi c’est pareil, j’ai pas le choix, faut que j’aille flyer si je veux que des gens viennent voir mon spectacle. D’ailleurs je vais devoir y aller, il est presque l’heure. Ils doivent déjà m’attendre. - Oh... Déjà ? Tu peux pas encore rester un peu ? Je me sens vraiment pas bien. - Je suis désolé ma chérie, mais on s’appelle demain jusqu’à ce que tu n’ai plus rien à le dire, même si ça doit prendre toute la 274 nuit. Ok ? - Oui. - Bon allez… Repose-toi bien et essaye de manger quand même. Même si ce n’est que des pattes, ça te donneras un peu de force. - Oui je vais essayer d'aller me faire à manger. Je me repose encore un peu et j’y vais. - Bonne soirée ma chérie. - Toi aussi mon chéri, bon courage avec tes flyers. - Merci. Je t’aime. - Moi aussi. - Bisous. - Bisous. 275 Silent Shout Ciel étoilé. Dépourve… Nuits blanches. Nuages. Chauds. Gros ronds. Bien emmitouflé. Épais manteau d’hiver. Bonnet blanc en laine. - Allez-y les enfants et surtout n’oubliez pas vos mitaines. Gele. Grêle. Frise mes doigts frêles. Bâtons de glace surgelés. Collés. Étendue dans l’herbe, regarde au-dessus les nuages passer. Et repasser. Tour à tour, tout autour. Axe circonflexe au-dessus de ma tête. Ai oublié. Pas vu le temps passer. - Quelle heure ma sœur ? 23h ! Déjà. Au secours. Si tard et si loin de chez moi. Du chemin à faire pour rentrer. Rer, Bus et puis. Marcher. Pas à la maison avant minuit passé. Me lève pas pour autant. Encore un peu. - S’il te plaît papa. - Non ! Tu files te coucher. Tu as bien assez traîné ! - Mais s’il te plaît ! Auto riser. Auto autorisation. Même sans. Auto-mobile. Auto-indépendant. Auto-rité. Farce depuis longtemps oubliée. Aimerais. Les étoiles dans mes yeux, apercevoir. Aimerais, la voie lactée déposée. Creux dans la main. Mais n’y peux, ne vois rien. 276 Tant pis, c’est ça d’habiter à Paris. L’horizon est bouché. Charcut(i)er. Crime contre l’humanité. Serait-ce vraiment cela m'a vérité ? À croire. Déboire. Reprends un peu à boire. Bouteille trois quarts vide. Vodka alléluia ! Liqueur qui sauve. Qui luit. Qui réchauffe. Soirée de merde. Soirée de célibataire. Seul sur cette bon dieu de terre. Vaut bien le coup de se torcher. Bourrer. Toujours mieux que de se jeter. Suis ici sans acide. Crack. Pouf. Bam ! Le visage. Les jambes. La colonne. Quelle partie touchera le sol en premier ? Écrabouiller. Encore un peu, donner à manger, de la purée pour gentil bébé. Areu Areu et plus personne ne croît en dieu. Débile de chercher. À tous ça un sens donner. Suffit de se laisser aller. Taper. Pied au plancher. Détruire la cale et le navire. Se laisser couler. Des trous partout ! L’eau qui surgit et puis gloup… C’est fini. Reparti. Décidé. Bouger mon gros cul de mammifère vertébré. Prends mon temps. Lentement. Marche. Profite. Climat propice au vice. Développe. Enveloppe. Art-imagination. Art-action. Vagabonder dans les ruines vivifiantes du passé. Passe la mémoire. Transforme. Forme informe sublimée. Substantiel. Susse à l’essentiel. Sucer la substantifique moelle. Couper. Casser. Ronger l’os de la modernité. Ingurgiter jusqu’à en étouffer. Créer. Nature à l’entrée. Œuvre d’art à l’arrivée. Passer par les méninges du singe évolué. Désormais. Grimpe plus aux arbres, les coupes. Bananes ne sont plus bonnes qu’à se mettre au cul. 277 Divague. Vague à l’âme. Déprime. Périme. À l’heure où les fantômes sont rois, il ne me manque plus que Toi. Brume ambiante, environnante. Lumière blanchâtre, diffuse, confuse. Distrait, divise les objets. Tâches parsemées sur la chaussée. La réalité est loin de ce qu’elle était. Loin de ce que je croyais. Endurer. Souffrir... Ton absence. Réminiscence. Douleur dans le cœur. Tire. Tiraillé. Déchire les entrailles. Appeler au secours comme ultime recours. T’appeler au milieu de la nuit, début de matinée. Qu’importe ! Désespérément besoin de te parler. De te toucher. Pourquoi toi pas là à mes côtés ? Pourquoi as-tu fallu de moi te séparer ? Injuste. Monde cruel. Sempiternelle rengaine… Pourrais écrire là-dessus. Sentiment amoureux. Manque de l’autre. Manque de ta trogne, pomme, pom, tomber. Sur la tête, les pattes en l’air. Crâne fracassé, ne pas s’en relever. Sur le côté, décaler, aperçois. Furtif fugitif, camp de réfugié. Famille brisée, agglutinée. Sous le refuge d’un abri de bus venu s’abriter. Entourée. Affaire trop impersonnelle. Le minimum, vraiment essentiel. Cadis, cabas. Vide. Fine épaisse couverture de vêtements fraîchement ramassés. L’un contre l’autre bien serrés. Fraternité contre le froid oblige. Chaleur humaine. Fraîcheur. Par terre, presque, étendus, allongés. Sur le sol. Matelas bien trop bas, pour que personne ne le voie. Misère bien trop dérangeante, pour que personne ne la voie. Sortez les encombrants ! 278 Interdit de mendier, baiser, pisser, sur la voie publique. Personne ne peut. Rien. Personne. Pour eux (comme pour les p’tits vieux). Et moi, non plus. Honteusement honteux détourne les yeux, mais... Reste, attaché, dans mon esprit. Gravite autour de mon orbite. Me perds en cette vie. Impression de. Comme si j’y étais et au fond de moi je le sais, je le serais. Quoique l’on fasse la misère nous rattrapera. Avance. Continue. Reste plus beaucoup. Chemin diminue. Presque arrivé au bout. Tunnel extérieur. Grotte enchantée. Aperçois la station to station éclairée. M’arrête. Observé. Guetteur guettant. Signe imperceptible du moindre agent. Droite. Gauche. Personne à vue et hop. Saute. Enjambe tourniquet. Heure bénie. Tout le monde rentrer chez soi, déjà au lit. - Fais dodo, coca-cola mon p’tit frère. Que tes rêves soient doux et en espérant que tu n’ais pas de poux. Moi, rêve pas. Pas le temps. Pas besoin. Pas con. Pas besoin de rêver, lorsque l’on a l’héroïne. Choose a life. Choose a job. Choose a fucking big television. Bien au-dessus de tout ça. Profite petits plaisir simple de la vie. Essayer. Refuser. Entrer dans le rang. S’habiller. Comme vous. Eux. Les bienheureux. Refuser. Achat. Vente. Consommation détraquée. I choose not to choose. Lève les yeux. Panneau d’affichage : 15 min. Damn ! Bouge. Move. Parcours le quai. Corps en mouvement. Se réchauffer de peur de finir gelé. Personne. Presque. Une 279 fille. Assise. Jambes croisées. Jupe, collants à moitié déchirés. Doit pas avoir chaud la poupée. Haut couvert. Grand manteau fermé d’hiver. Cheveux blonds, courts. Coupe à la garçon. Très peu de maquillage. Noir autour des yeux. À moitié dégouline. Pleuré. Visage triste et déterminé. Femme forte qu’a due en voir plus d’une passer. Marche en équilibre au bord du fossé. Trapéziste bourré. Toujours à deux, trois doigts de tomber. Sort un paquet de clope. Chesterfield. Prend une. Porte à sa bouche. Fouille dans ses poches. Semble contrariée. - Excusez-moi. M’accoste. Sais déjà ce qu’elle va me demander. - Tenez. Lui tends mon briquet. - Merci. Allume sa clope. Récupère mon bien et continue mon petit bonhomme de chemin. Pas envie de m’arrêter. Entendre ses problèmes. Faire comme si. Cela m’intéressait. Préfère m’isoler. Attendre tranquillement dans mon coin, perdu dans la musique, égaré dans mes pensées. Envoi texto à ma bien aimée : Coucou. Ça va ? Bien passer ta journée ? Tu me manques cruellement… J’ai envie de toi. Trop trop longtemps qu’on s’est pas vu. Plus assez de. Temps. Argent. Pour descendre. Elle peut pas-plus monter. Trop de travail. Solitude. Vide sentimental. Bzzzzz. Réponse : Oh... Toi aussi tu manques. Ca été ma journée. T’as le temps de te mettre un peu sur Skype ce soir ? Calcule. Rer arrive dans 12 min. Ai 15 min de trajet et encore après 15 min de marche pied. Suis pas près d’être rentré. 280 - Je penses pas, serai tard à la maison. Tu dormiras sûrement. - Appelle quand tu rentre on sait jamais. Ai faim. Trou dans le ventre. Pas mangé de la journée. Devant moi, distributeur de. Cocochoneries. Twix. Sneakers. Chips. Haribo bo la vie. Red boul bill bulle. Merdes en sachet. Mais m’irait très bien. Comblerait ma faim. Bon pour patienter. Le temps que j’arrive jusqu’à chez moi. Fouille farfouille. Rien. Pas la moindre pièce. Pas plus petits centimes pour pouvoir prendre quelque chose. - Sale pauvre ! Me rassois sur mon banc de misère. Rien d’autre à faire qu’attendre le rer. Des bruits. Cris. Ricahahanement. Gang bande. Sales petits garnements. Trois grands : 2 Noirs. 1 Blanc. Toutes portes mêmes vêtements. Baskets quéquettes Lacoste. Survêts genre Mouais moi je me la pète, blousons Michelon. 100% méga rembourré au coton. Casquettes New York à l’endroit, à l’envers. Sans oublier la sacoche, pendue en bandoulière. Tout de couleur noir, pour mieux se fondre dans le soir. Loubards style : vas-y viens on fait la tournée des bars. Démarche très sûre d’eux. - Quand je bande rien ne peut nous arrêter. Pousse-toi de mon chemin sale merdeux, si tu veux pas te retrouver la tête explosée sur le pavé. Vas-y viens, j’t prends quand tu veux. Combat à la déloyale : trois contre un et ne t’en fais pas tout ira bien. Font du bruit. Essayent rendre intéressant. Provoquer. Attendent qu’on leur dise quelque chose. Toutes les occasions sont bonnes pour se faire remarquer. Prouver aux autres qu’on 281 en a une grosse bien dure, dans le panta pas bien long. Détourne le regard. Connais ce genre de gaillard. Qui s’y frotte s’y pique. Pas d’humeur. Pas ce soir. Sais comment me comporter pour qu’ils me foutent la paix. S’écraser. Plus bas que terre et commencer à creuser. S’enterrer. Se faire oublier. Technique de disparition. Dissimulation. Arrive à ma hauteur. Cœur qui bat. Rythme qui s’accélère. Tendu. Toujours. Ne sait jamais. Suffit de rien. Suffit de juste un : hé qu’est-ce t’a pd ! Et hop c’est fini, parti, péter pour toute la soirée. Risquer. Peut jamais être sur de ce qui va ce passer. D’à quel point ça peut dégénérer. Souvent, le voit pas arriver. Part de rien. Forêt qui s'enflamme. Brindille qui calcine des milles et des milles. La goutte de sang qui fait déborder le vase. Dégorger le poireau. Pense aux fous qui osent lancer un : sale négro ! Donne pas cher chaire de leurs peaux. Telle la croissance, ils ralentissent, mais continuent d’avancer. Très lentement. Ont tout leur temps. Me dépassent et... Soulagement du fin fond de mon fondement. Desserre les fesses. Relâche la. Pression. Orgie orgasmique dans mon pantalon. Attrape le 20 minutes qui trône traîne sur le siège à côté de moi. Presse gratuite. Torchon. Papier chiffon. Papier gâché. Laisser tomber les p’tits papiers. Toujours les mêmes informations, les mêmes abominations. De jour en journées, haha années. Pas besoin de lire pour savoir ce que ces rats content. En hiver, il fait trop froid et en été, il fait trop chaud. Tempêtes, Inondations, Incendies, Neige : bienvenue dans le cycle perpétuel des saisons. Et à côté de ça il y a les faits d’hiver. Le politique, économique : untel a été élue, untel a été déchue, mis en garde à vue, prison a perpétué (ça lui permettra peut-être un peu de se calmer), machin a tapé, tué, volé, violé, mangé, machin. Coups 282 de marteau. 35, 75 coups de couteau, fusil de chasse, scie sauteuse. Bricorama premier trafiquant d’arme nationale. Lis pas sérieusement. Parcours les articles en diago-anale. Divertissement. Saute sauté l’information, hop hop, passer des conneries du ministre de l’éducation au pauvre fermier, qui c’est fait surprendre entrain d’enculer un mouton. Béeeeeetise. Attise. Attention. Alarme ! N’v là tu pas sentir le drame ? Les gigogolitos sont arrivés, arrêtés, devant la fille, la garçonne. Prépare quelque chose. Idée en tête. Sent pas bon. Une merde va arriver. Le décor est planté. Les protagonistes sont en places, prêt à attaquer. Tous les éléments sont réunis, la tragédie peut librement se dérouler. À vos marques, prêt, partez ! Silence. Ça tourne. Moteur et... Action ! - Hey Mlle t’aurais pas une cigarette s’te plaît ? - Non, c’était ma dernière. - Allez. Il doit bien t’en rester une petite dernière. - Non, j’en ai plus. - T’es sûr ? Silence. Glace. Aire. Tendue. À l’extrême tension. Regard dur, déterminé. Fais face, front. Ne lâche rien. Comme devant les chiens. Ne pas montrer que tu te pisses dessus, sinon t’es perdu. - Oui - À merde. C’est pas de chance alors. - Désolée. Ouverture. Ne pas. Laisser passer, refermer. Vite. Dépêche-toi. S’y engouffrer. Sauve conduite. Sauve qui peu. Sauve ta peau. Rester gentil. Polis. Surtout ne pas les énerver. Contre carrier. Les laisser s’en aller. Leur donner aucunes raisons de rester. Merdeux se rapprochent. Regard en coin. Vice yeux. Sourire con plein de pisse. Pouah, pu la merde à plein nez ! Ferais mieux de m’éloigner. Et pourtant… Reste assis. Dangereux de bouger. 283 - C’est étrange quand même. Vous ne trouvez pas les gars ? - Ouais. - Carrément. - J’suis sûr qu’elle nous ment. - Pourquoi vous mentirais-je ? Se rapproche. D’elle. D’un pied. Danger. - Parce que t’es une belle petite salope, voilà pourquoi. S’énerve. S’enflamme. - Personne me parle ainsi et tu vas pas être le premier, espèce de ramassis de dégueulis ! Va pour et puis... Rattraper à temps. Sont trois. Aucune chance toi. Le sait. Raison reprend contrôle sur la passion. Vraiment pas le bon moment pour un truc aussi con. Sécurité passe avant fierté. Encaissé sans broncher. Attends. - Montre voir tes poches voir ce que t’as dedans. S’accélère. Laisse plus le temps de répondre. Met une main dans la poche de sa veste. Introspection Introduction. Pénétration. Ses alcoolytes placés derrière lui. Toute fuite impossible. S’assoit à côté d’elle. Touche. Tri papote à travers son blouson. Main sale hop hop, ballade sans honte sur ce qui ne lui appartient pas. Au secours papa ! Pousse. Plus loin. Jeux de main, jeux de vilain. Des bouts, boutons tombés. Corps, poitrine dévoilée. Résiste. Se débat : lâchez-moi ! L’autre sort coupe coupe. Lame aiguisée, droite, directe sur elle, prête à planter. Message est claire. 284 Arrête de gigoter. Se laisse faire. En silence. Plus aucuns mots échangés. Plus besoin tout est dit. Passe sous son tee-shirt. Ventre. Remonte rapidement vers le haut. Collines du bonheur. Seul truc intéressant. Contact, froid, dégueu. Envie vomir. Envie de mourir… Et moi, et moi, qui est assis silencieusement sur mon banc. Sais pas. Quoi faire ? Idées débitent à 300 000 km heure, seconde dans ma tête. Passe, pense toutes solutions. Possidébilité. Faire comme si. Pas mon problème après tout. M’estimer heureux si je m’en sors sans un bleu. Sauf que... Agression juste sous mes yeux. Entrain tourner au viol. Bien plus grave. Savent que je suis là. Témoin enculaire. Me laisseront pas partir sans rien faire. Quelques bons coups dans la gueule histoire de me taire. Niquer dans tous les cas. Pas le choix. Sauver les meubles. Réduire les dégâts. Agir. Intervenir. Prendre les devant. Quelle heure ? 20h10. Pas encore. Trop tôt. Attendre. Pas se précipiter bêtement. Attendre. Bon moment. Ai qu’une seule, petite, infime chance. Pas la rater. À côté, ont attaqués choses sérieuses. Main descendue vers la zone touffue. Mec éructe. Chien en chaleur. Meuf se surpasse. Sais pas comment elle fait. Bouge pas. Bronche pas. Pleure pas. Endure, comme des milliers avant elle. Comme des milliards après elle. 285 Endosse son rôle de femme jusqu’au bout. Devant, les deux autres ont passé leurs mains dans leurs pantalons : bites sorties, se branlent sans aucuns soucis. Tout naturel. Bande, bien dur. Kifent ça voir leur pote tripoter. Sale pd ! Me demande à quoi servent les caméras de sécurité. Mec derrière son écran mate ça tranquillement. Porno gratuit. Sensations fuertes garantis. Fait sauter les boutons du jean. Les tafioles se rapprochent pour pas en perdre une miette. Absorbés. Me tourne tous les trois le dos. Allez c’est parfait ! - Non, attends. Regarde l’écran : train en approche. Clignotant. C’est le moment ! Plus hésiter. Peux plus popo, pipi, se mouiller. Faut y aller ! Me lève. Approche rapidement. Fais attention. Pas faire de bruit. Pas se faire remarquer. Sors mes clés, seule arme que j’ai à ma portée. Et, Agis. Vite. Coup. Couille. Genou. Plié. Balancé. Ach ! Ouille ! Étonné. Enchaîne. Coups. Poings. Pieds. Tombent. S’écroulent. Train. Arrive. 286 Stop. Quai. S’arrête. Pas moi. Retourne. Rapide. Vers. Autre. Assis. Attaque. Vise. Visage. Clés. Balancés. Défiguré. - Ah ! Enculé ! Frappe. Essaye. M’avoir. Assez rapide. Esquive. Portes s’ouvrent. Gens sortent. Empoigne. Fille. Ferme. Étourdi. Pas le choix. La tire. L’amène. À Moi. Dépêche. Cours. Bouscule. Saute. Entre. S’engouffre. Racailles. Reprennent. Relèvent. Se ramènent. Bloqué. Piégé. Perdu. Niqué. Baisé. Signal sonore. Parfait ! 287 Accélèrent. Trop. Tard. Portes se ferment. Train part. Ouf… Sauvé ! 288 Rien à foutre 18h45. It s Time. Show Time ! L’heure finale. Grand moment. Depuis le temps que tu l’attends. En rêve. Espère. Depuis le temps que tu le, Que tu te prépares. Ça y est ! Enfin, tu y es. C’est le jour. Le soir. De la première. De ta première pièce sur Paris ! Moment important. Unique. Déci. Incisif. Cœur qui bat la chamade. Crocs plantés dans la chaire. Morsure chimique. Sentir sa peau brûler, cramer aux millièmes degrés. Douleur de l’attente. Stress. Le baromètre est à son maximum. Yeux dilatés. Poiles hérissés. Tu es prêt à exploser. Ne tiens plus en place. Chaud. 289 Tu as trop chaud. Si seulement il pouvait baisser ses putains de radiateur ! Les couper. Que la température puisse baisser d’au moins 1 ou 2 degrés. Mais non ! Pas possible. Directeur de merde. Incapable de rien faire. Soucie pas de savoir ce qu’il se passe. Si on a trop chaud ou trop froid. Lui, tout ce qu’il l’intéresse c’est de faire son chiffre. Que je lui signe son petit chèque de merde. Le reste ça ne le regarde pas. Ne l’intéresse pas. C’est comme ça… Sur Paname Paname en tout cas. Directeurs (à de très rares exceptions près) ne sont plus des passionnés, des lettrés, justes des garagistes, des commerciales. Te loue leurs lieux, comme te vendrai leurs dieux. - Bonjour, bienvenue au théâtre X. À votre gauche une salle d’accueil. À votre droite une magnifique scène de type Italienne, datant du 18 ème siècle des années 90. Ça vous plaît ? Pas cher. Achetez. On fait des promotions ce mois-ci. 6 dates louées, la septième offertes. C’est la chance de votre vie. Vous permet de faire des économies terribles. Alors n’hésitez plus. Achetez ! Achetez avant qu’il ne soit trop tard. La demande est très forte vous savez. Je vois des millions de personnes chaque jour. Ne perdez plus de temps. Décidez-vous. Dépêchez-vous. Achetez ! Pourri. Tout est pourri sur Paris. Même l’art vend son cul. Devenu la plus grande des putes. La salope qui se croyait vertueuse. Catin sous la robe d’une vierge. Menteuse, qui prétend, tend au vrai. Tout cela me dégoûte de plus en plus. Envie de vomir. Tête qui tourne. Mais qu’est-ce que je branle là ? Aurais plutôt dû resté chez moi à dormir. Allez. Respire. Prends sur toi. 290 Contrôle. Ce n’est pas si terrible. Tu as vu pire. Non ! Rien. Jamais. De pareil. Joue ma vie. Ma carrière. Mon orgueil. Mon talent. Si ça ne marche pas, suis réduit à néant. M’exile. Loin, au loin ou personne ne me retrouvera jamais. Plus de raison de rester. Enterrer, cacher dans un cimetière au fond d’une grotte pour le reste de l’éternité. Ermite. Vivant simplement. Loin du monde immatériel. Préoccupant rien. Rien d’important. Seul moi. Moi et mes moutons. Plus entendre parler d’art. Ne plus faire de théâtre. - Le supporterais-tu ? Me demande. Questionne. Questions. Fusent à toute vitesse dans ma tête. M’inquiète. À mort. À vie. Mords les doigts. Ronge les ongles. À vif. Ai-je tout fait comme il fallait ? Ai-je fait tout ce que je pouvais ? Sommes-nous vraiment prêts ? Des scènes qu’on aurait dû travailler. Retravailler. Encore et encore. Encore et encore. Encore et encore. Pièce loin d’être parfaite. Stop ! Arrêtez tout ! Ai de nouvelles idées. Interprétations. Nouvelles lignes de textes à ajouter. Des modifications ici et là. Petits changements de dernières minutes. Petits changements de rien du tout, mais qui change tout. Visualise. Examine. Ces millions de choses que tu voudrais transformer. Et puis le jeu de Thomas, que tu aimerais encore pouvoir améliorer. Sa façon de balancer le texte lors de l’acte 2, scène 2. Il en fait 291 trop. Est toujours à la limite du surjeu. Lui est déjà dit pourtant. Des dizaines de fois. Mais continue de le jouer comme ça. Peut-être quand lui donnant des dernières indications… Mais trop tard. Tu ne peux plus rien faire maintenant. Ne peut pas perfectionner éternellement. Sinon reste toute sa vie, dans sa chambre de péquenaud, cloîtré. Un moment faut se lancer. Jeter. Oser. Y aller. Un moment faut parier. 18h50. C’est bon. C’est l’heure. Parfait moment. Vais voir Marc, qui s’occupe de la caisse. - Tu peux ouvrir les portes. S’exécute. Accueil du publique. Pénétrer dans le théâtre, salle d’attente. Sas de décompression. Merci d’attendre ici, assis gentiment. L’air frais de l’hiver s’engouffre par la porte. Ah ! Enfin. Le froid me fait tellement de bien. Les portes sont ouvertes. Grande ouvertes et… Personne. Personne n’est là. Personne n’est venu. Non ! Personne n’est arrivé. Encore. Ils ne sauraient tarder. Qu’ils se dépêchent, la pièce commence dans dix minutes ! Précise. Pas de retard. Timing a respecter. Enfin... Sans publique c’est même pas la peine de jouer. 292 - Bon, tu te rappelles hein ? Quand les gens arrivent tu les laisses pas entrer dans la salle avant mon signal. - Oui, je sais. - Et pense à bien d’1, à tous leur donner un ticket. C’est obligatoire. Si on a une inspection et qu’on l’a pas fait, on est dans la merde. Et de 2, à leur proposer la mail list, pour qu’ils écrivent leurs adresses, s’ils veulent recevoir les infos de la compagnie. - Et s’ils veulent pas ? - Tant pis. Faut pas qu’ils se sentent forcés. Tu les informes juste. - Pa de problème. - Le thé est prêt ? - Oui… Mais ? - Quoi ? - Tu comptes vraiment leur servir du thé à tous ? - Non. Je compte leur offrir du thé. C’est comme pour les mails, j’oblige personne à en boire, mais si les gens en veulent il y en a. - Mais ça va pas être galère ? J’veux dire, comment tu vas faire si t’as 45 personnes, qui débarquent. - On verra écoute. Je m’en fais pas. Très sincèrement, ça m’étonnerait qu’on ait jamais autant de personnes. D’ailleurs, on en est à combien sur les résas de BilletReduc ? - Une dizaine. À peine. - Si peu… - Ouais, mais ça veut rien dire. Tout le monde ne réserve pas sa place à l’avance. Surtout dans des petits théâtres comme ici. T’as plein de gens qu’achète direct sur place. - Espérons que t’ais raison. Parce que c’est pas avec 8 personnes par soir, qu’on va rentrer dans nos frais. - Combien la salle nous a coûté au final ? - 2 164 € Si tu le divises par le nombre de représentations qu’on fait, ça nous donne du un peu près 170 par soir. Sachant que les 293 places sont aux alentours de 10 €, il nous faut au moins 17 personnes par soir, si on veut pouvoir rentrer dans nos frais. - C’est chaud. - Comme tu dis. - Mais après, t’as pas que des places à 10 €. 10 €, c’est les tarifs réduits et BilletReduc. Le reste des places est à 16. Donc si t’as des gens qui prennent des places plein tarif, on aura besoin de bien moins de 17 personnes. - Ouais, mais ça m’étonnerait qu’on en ait beaucoup. Presque tout le monde prend par BilletReduc. - Soit pas défaitiste ! Y a pas de raison. Moi je suis confiant. Je suis sûr qu’on va avoir du monde. - Où ils sont ? Ils devraient déjà être arrivés. - Mais non, tu sais comment ça marche : l’heure qu’on dit aux gens, n’est pas l’heure du début du spectacle, mais l’heure d’arrivé. - Mouais… - Tu vas voir. D’ici dix minutes, ils vont tous arriver en même temps. Avec tout le flyage, qu’on a fait c’est obligé qu’on ait du monde. Mouais... Espère. Un mois qu’on passe des heures dans le froid. À tracter dans la rue. Dans tout Paris. Dans le quartier. Distri. Distribuer aux passants. Agresse. Texte tout fait : - Bonjour Madame. Bonjour Monsieur. Est-ce que vous connaissez la compagnie de l’Aube ? Nous sommes une jeune compagnie et nous venons de monter notre première pièce, La Mort du Roi. Il s’agit d’une tragédie absurde, qui mêle subtilement l’univers de Beckett à celui de Racine. Nous jouons actuellement au théâtre X, vous connaissez peut-être ? Il se situe juste à côté, un peu au-dessus du McDonald. Nous jouons un mois, tous les vendredis et les samedis à 19h et les 294 dimanches à 15h. Et ça ne coûte que 10 euros. Quelques variantes des fois. - Bonjour, est-ce que vous aimez le théâtre ? Qu’est-ce que vous préférez les comédies ou les tragédies ? Les comédies…ah. Me rappel mon taf. Épieu dans le. Écœure. Dégoût de moimême. - Qu’est-ce que tu fais ? Là ? Toi l’artiste. L’incompris. Toi qui y crois. Tu fais la rue. Cherche de la tune. Déhanhanche du cul. A arpente le trop trop toi toire comme une te pu pute ! Arrête de faire le tapin. Tu sais très bien que ça ne sert à rien ! C’est pas de cette façon, que tu vas ramener du monde. Essaye quand même. Tout ce que je peux faire. Tout tenter. Même si. Sens violé, souillé. Crache, pisse sur tout ce que je défends. Mais pas le choix. Sans publique, pas de spectacle vivant. Loi du marché. Du plus fort. Du, à qui mettra son affiche sur celle de l’autre. Du, qui aura la plus grande gueule, pour se faire entendre et pour te bouffer, et les jambes et les bras et tout le reste de ton corps. De ton âme. C’est à qui balancera le plus de fly. Propagande. Publicité de l’esprit. Tout faire pour qu’on te retienne. Que tu donnes envie. Tu vends du désir. - Hey sexy ! Viens. Viens m’enculer mon garçon. Mon grand. Mon bel étalon. Regarde… Regarde. Touche mes seins, mon cul, ma chatte. Sent comme elle gémit. Comme elle rugit. Elle t’attend. Désespère que tu viennes la prendre. Viens. Oui ! Viens ! Me la mettre, la fourrer, m’enfourcher. Oui ! Comme ça. Plus profond. Encore. Oui. Oui. Oui. Vas-y. Jouis ! Arpenter. Chercher. Parcourir, tous les bars, les moindres recoins à la recherche de. Quelqu’un à qui donner. Quelque chose ou déposer. Transforme en Business man. Établi, étudie, étude de marcher. 295 À quels endroits ça a les chances de mieux marcher ? Où les gens sont-ils le plus réceptif ? À quelle heure ? Quel public cibler ? Les jeunes, les vieux, les travailleurs ? Dégage les jeunes et les immigrés. Sales pauvres ! Ont pas de sous à dépenser. Public privilégié : vieux bobos qu’ont des masses de tunes et qui se font assez chier pour oser aller voir une petite pièce de quartier. Et après, on ose prétendre faire de l’art pour tous. Sans discrimination. Quoique tu fasses le théâtre bourgeois te rattrapera. Hahahaha ! Bien fait pour toi ça t’apprendra à y croire. Vouloir faire ton intéressant. Sortir du rang. Il n’y a pas d’issue. No way out of this shit. - Bonjour... 1 personne. Ouf ! Avance la tête timidement. Encadrement de la porte. Hésite. N’ose, ne sais. Pas. - Vous venez pour la pièce ? - Heu... Oui. La Mort du Roi ? - Oui, oui c’est bien ça. Vous êtes au bon endroit. - Ah… Je suis soulagé. Je vous avoue, que j’ai eu du mal à trouver. - Oui, on est désolé, c’est malheureusement pas très bien indiqué. Mais asseyez-vous, ne restez pas debout. Est-ce que vous voulez un peu de thé ? - Heu... - L’eau est déjà chaude. Et c’est gratuit. - Je veux bien une tasse dans ce ça. - Pas de problème. Je vous apporte ça tout de suite. Sourit. Il. Semble apprécier. Hé hé. Fière de moi. Savais que c’était une bonne idée. Savoir chouchouter son public. 296 - Tu t’occupes du billet de Monsieur ? - Oui. Vous aviez réservé ? - Oui, sur BilletReduc. Je dois vous donner ça, je crois. Sort liasse de feuille. Seule une nous intéresse. - Merci. Marc coche le nom de Mm. Lambert sur la liste des résas. Lui tend son billet. - Si ça vous intéresse, d’être tenu au courant des actualités de la compagnie, vous pouvez noter votre adresse mail sur cette feuille. - Ah ? Ba… Oui pourquoi pas. S’inscrit sur la liste. De mon côté. Finis de préparer thé. Laisse le sachet infuser directement dedans. Sors petite tasse. Fait couler. Et voilà ! - Tenez. - Merci. - Il y a du sucre si vous voulez. - Non, c’est gentil. Retourne s’asseoir. Son thé à la main. Très bien. On gère. Reste plus qu’à faire ça avec tous les autres spectateurs. Quelle heure ? Moins cinq ! Merde. - Je peux te laisser t’occuper du thé ? Faut que j’aille voir les acteurs. - Ouais pas de problème. - Merci. Suis trop con, ai failli les oublier. Ont besoin de moi. Dois pas les laisser tomber. Compte sur moi. Encouragement collectif. Pas qu’ils se sentent abandonnés. Gonfler le moral des troupes. 297 Le rôle du capitaine. Ne plus reculer. Ne pas hésiter. En avant… Marche ! Traverse la scène. Ouvre la porte des loges. Sont assis. En rond. Tous les cinq. Dans le noir. Silence. Moteur. Ça se concentre. Tension. Tendu. Prêt. Parés à tout donner. La mort dans les yeux, ils savent ce qui les attend. Public est impitoyable. Laisse rien passer. Moindre erreur de texte. Moindre moment d’inattention et tu te fais manger. Massacrer. Stresser. Je les sens. Je le sais. Moi aussi. Je le suis. Pas le moment de leur dire qu’il n’y a personne. Qu’une seule personne est arrivée. Pas les inquiéter. Ont déjà trop à faire, à penser. - Bon... C’est l’heure… Je… Je vous… Je vais pas tarder à faire entrer les spectateurs.... Silence. Quoi dire ? Que faire ? Compte sur moi. Allez, ne les déçois pas. Compliquer. Exprimer tant de choses avec des moyens si limités. Les voire assis là. Me rappel… La première fois, où je les ai vus. Rencontrés. Chez moi (pas pro ça !) En audition. Stressés. Timide. N’osant pas. Me vouvoie, alors qu’ils sont tous plus vieux que moi. Akward… Étonnés d’être en face de quelqu’un de si peu âgée. - Quoi ? Tu n’as que 21 ans ! Ah ba… Tu ne les fais pas ! Nombreux prétendants, pour peu d’appelés. Fou le nombre de comédiens qu’on peut trouver sur Paris. Le nombre de personnes, qui sont prêtes à tout, n’importe quoi pour jouer. Certaines vont même jusqu’à payer (jusqu’à 250 euros le mois des fois). Des dizaines de réponses, juste avec une simple 298 annonce postée sur www.theatrecontemporain.net Bien préciser : il s’agit d’un projet sérieux, ambitieux. Ceux qui veulent s’amuser, vous pouvez allez voir là-bas, plus loin, si j’y suis. Oblige personne à rester. Être cache dès le début : cherche des personnes motivées. S’agit d’un projet bénévole, non rémunéré. Alors ne vous attendez pas à être payés. Venez pas me dire après que j’vous avais pas prévenu. Joue carte sur table. Réduit tout de suite le nombre de candidature. Vu de tout. Pas retenu beaucoup. Quelqu’uns. Les meilleurs. (les moins pires). Ceux qui pouvaient me convenir. Pas trop exigeant. Accepte les débutants. Comme moi. Égalité. À tous une chance leur donner. Si personne nous laisse commencer, comment peut-on progresser ? Pari risqué. Loin d’être gagné. Complexe, bien trop compliqué. Repense à ces trois mois de répétition, création, crêpage de chignon, passer avec eux. Se retrouver toutes les semaines, le même jour (vendredi) à heure fixe (18h), créneau horaire défini (jusqu’à 22h). A été un beau bordel à mettre en place. Prévoir. Organiser. Mis du temps, avant de pouvoir correctement répéter. Toujours un qui est en retard, qui a eu un problème, qui ne peut pas (veut pas) venir : - Je suis désolé, je suis coincée en campagne. - Mon père est à l’hôpital. - Je suis malade. - Je suis aphone. - Je suis coincé dans les bouchons. - Je suis en dépression. - Je suis... Pas motivé. Tant de semaines à s’inquiéter. Ce projet arrivera-t-il jamais à se concrétiser ? Apprendre sur le tas de fumier son métier. S’improviser metteur en scène sans avoir la moindre fucking 299 idea de comment on fait. Tâtonner. Tenter. Essayer. Erreur stupide. Normal. Tous passé par là. Hésite. Sais pas comment faire. Comment s’y prendre pour. Mettre en scène. Diriger. Et puis. Avec le temps. La vue s’affine. Les indications se précisent. Apprend à se connaître. Savoir ce qu’on veut. Comment l’obtenir. Les techniques qu’il faut retenir et celles dont il vaut mieux s’abstenir. Jusqu’où ils te font confiance. Jusqu’où ils sont prêts à être emmenés. Pas fou folle l’abeille guêpière, te laisse pas tout faire. Métier alambiqué. Gérer les soucis de chacun. Travail avec des humains. Demande un minimum de doigté. Faire attention à pas mal leur parler, engueuler, mais. Rester ferme. Exigeant. Minimum d’autorité, sinon peut pas marcher. Avancer. Petit à petit. Déblayer. Transformer. Passer du texte à la scène. Du mot à l’émotion. De l’idée au corps. Trouver le ton juste, le geste parfait. - Avance. Recule. Lève le bras. Baisse-le. Fronce les sourcils. Non. Non ça ne va pas du tout. Tu fais trop de mouvement inutile. Tu es trop statique. Prends mieux appuis sur tes pieds. Fais attention à ton regard. Pourquoi tu fais ça ? Il y a une intention derrière ? Reprends… Bien, c’est mieux. Vas-y, recommence. Encore. Encore. Encore. Reprends. Recommence. Répète. Répète. Répète. Répète jusqu’à ce que tu n'en puisses plus. Jusqu’à ce que les mots soient imprimés sur ta langue, gravés dans ton âme. Jusqu’à ce que le personnage soit ancré dans tes veines. Que vous ne fassiez plus qu’un. Jusqu’à ce que je sois satisfait. Directeur parano. Dictateur mégalo. Je ne suis pas satisfait, mais maintenant tant pis c’est fait. Je suis ici avec vous alors allons-y. Profitez-en. Amusez-vous. Donnez tout ce que vous avez. Vous n’avez plus rien à perdre, tout à y gagner. Alors foncez ! 300 Voilà ce que je devrais leur dire. Incapable. Minable. Jamais été bon en discours. À la place les prends par les bras. Se réunit. Forme Le Cercle Immortel, Intemporel des poètes réunis. Tête contre tête. Communion d’esprit. Transférons les énergies. Positif. Tout doit être positif. Du bonheur, de la joie, (alléluia !) sinon cela ne sert à rien, mieux vaut rester chez soi. - Un gros merde à vous. - Merde à tous. On s’embrasse. S’enlace. Et se laisse. Se quitte le temps de la représentation. Vit ce moment chacun de son côté. Chacun son rôle. Chacun à son poste. Sors des loges et monte en régie. Vérifs de dernières minutes. Sais que tout est bon, parfait, réglé à la virgule près, mais... Me rassure de re re vérifier. Son ? Ok. Playlist prête. Lumière ? Ok. Les effets sont mémorisés. Les gélatines placées. Les enceintes sont allumées. Les projecteurs correctement orientés. Très content de ce côté. Théâtre qu’on a trouvé nous a permis de pleinement exploiter le spectacle qu’on a créé. Bon matos son et lumière. Une scène bien adaptée à ce qu’on voulait faire. Pas trop grande. Pas trop petite. Salle de 50 personnes Max. Ambiance intimiste. Ne sert à rien de prendre plus, ne les remplira pas de toute. Content du lieu, malgré le Patron bien con. A eu du mal. En a chier pour le trouver. Pris trop tard. Mauvaise période de l’année. Tous les programmes étaient déjà complets. Jouer des coudes et des pieds pour décrocher ce contrat. Dizaines de mails envoyés (sans réponse), d’entretiens annulés, de conditions exubérantes refusées : - Qu’est ce que vous n’avez pas compris dans : on a pas d‘argent ? On est une petite compagnie, qui fonctionne avec 301 nos économies. Vous pensez nous faire un prix en nous facturant 350 euros la salle pour une soirée ? Prix exorbitant. Conditions délirantes. Lieux miteux, cachés dans des quartiers sans vie, là ou même les voisins ne sont pas au courant de leurs existences. Trouve vraiment de tout sur Paris. Être vigilant. Ne vraiment pas tout accepter. Pas se faire en... Plumer. 18h58. 2 minutes. Trop tard pour retourner à l’accueil. Tant pis. Reste en régie. Marc a toutes les indications. Sait ce qu’il a à faire. Compte sur lui. Arrive pas à m’asseoir. Poser. Trop tendue. Excitation. Niveau maximum maximal sur l’échelle de Jacobrichter. Ah ! Défoule. Refoule. Mon dieu faites qu’il y ait foule. D’où je suis je n’entends rien. Murs trop épais. Peux pas savoir ce qu’il se passe à côté. Combien de personnes sont arrivés ? 2, 6, 1, 0 ? Essayer de relativiser. Ce n’est que la première. Même si pas grand monde aujourd'hui, ça ne veut rien dire. Peut être bondé les autres jours. Ont 11 dates pour se manifester. Ça devrait aller. Gens attendent toujours le dernier moment pour venir. - Vous jouez jusqu’en Décembre ? Y a largement le temps ! Et puis oublis. Et si... Personne ne vient. Espère qu’on sera pas obligé 302 d’annuler des dates. Pas le droit de jouer si y a moins de personne dans la salle que sur scène. Inquiet. Terreur. Engager beaucoup d’argent dans cette histoire. Du fric qu’on a pas. Compte sur spectateurs pour nous renflouer. Espère que le navire va pas couler. Ruines. Désespoir… Non ! Non ! Cela ne sera pas. N’arrivera pas. Positif. Restons positifs. Quelle heure ? 18h59. Une minute. 60 secondes. 59. 58. Le temps défile. Impossible de l’arrêter. Ralentir. Ralentis ! Arrête ! Je ne suis pas prêt. Pas encore. Pas maintenant. Laissemoi quelques minutes de plus. Quelques jours. Quelques années ! Peut-on jamais être prêt. 38. 37. 36. Peux plus reculer. M’assois. Finalement. Pas le moment de rêvasser. Flipper. Ai mon rôle à jouer. 25. 24. Éteins les lumières de service. 20. 18. Prépare la musique. 15. 14. Mes doigts tremblent. 11. 10. Souffle. Respire. 7. 6 Calme-toi. Fait le vide. 5. 4 303 Pense aux acteurs dans leurs loges. 3. À tous ceux qui ont participé. 2. Qui m’ont aidé. 1. Merci. 0. 304 Autosafe Unicorn 305 27/04/2008 En Autriche, la police vient de découvrir une femme ayant été séquestrée pendant vingt quatre ans dans une cave, par son père. Ce dernier lui a fait sept enfants, dont trois ont vécus enfermés avec leur mère. 306 21/07/2011 En Norvège, un homme a fait exploser une camionette devant le siège du gouvernement à Oslo, avant de se rendre à un rassemblement des jeunes du Parti travailliste, déguisé en policier. Là, il a ouvert le feu sur la foule pendant plus d’une heure et demie, avant d’être arrêté par la police. 77 personnes ont été tués. 307 06/05/2012 A Paris, un jeune sapeur pompier affirme avoir subis des violences corporelles de la part de ses collègues lors d’un bizutage. Ce dernier aurait notament été violé avec une bouteille. Toute la scène aurait été filmée par un téléphone portable. 308 25/05/2012 A Montréal, un homme de 29 ans a tué un étudiant Chinois, qu’il avait ramené chez lui. Il s’est ensuite filmé entrain de violer le corps et de le découper, avant de poster la vidéo sur Facebook. 309 7/06/2012 A Metz, le cadavre d’un bébé a été retrouvé dans le réfrigérateur d’une femme de 38 ans. Celui-ci était soigneusement emballé dans un sac en plastique. Un cas similaire s’était déjà produit à Metz en 2009. 310 12 /06/2012 En Suède, une loi vient d’être déposée interdisant aux hommes d’uriner debout. 311 17/07/2012 Dans l’Idaho, un homme âgé de 32 ans se faisant passer pour sa femme, a publié une petite annonce dans laquelle il expliquait avoir le fantasme de se faire violer. L’homme a été arrêté pour incitation au viol et au cambriolage. 312 26/07/2012 À Nantes. Alors qu’ils intervenaient pour un conflit de voisinage, deux policiers se sont fait agresser à coups de marteau et de bombe lacrymogènes par un garçon de 8 ans. 26/07/2012 À Cannes. Alors qu’il était trop long à redémarrer à un feu, un automobiliste d’une quarantaine d’années s’est fait rouer de coups par l’occupant de la voiture de derrière. 313 09/2012 En Tunisie, une jeune femme de 27 ans a été violée à tour de rôle dans une voiture par deux policiers. La justice à décidé de juger la jeune femme pour « atteinte à la pudeur. » 314 3/10/2012 Dans l’Ohio, une adolescente de 16 ans s’est fait battre à mort par une de ses camarades de classe, car elle s’était moquée de cette dernière, suite à l’émission d’une flatulence en classe. 315 08/11/2012 En Afrique du Sud, alors qu’elle soupçonnait un homme de 42 ans de la disparition de son neveu, la police a découvert que l’homme gardait les parties intimes de ce dernier dans son porte-feuille. 316 22/11/2012 En Californie, un homme de 68 ans à été interpellé, après que la police ait retrouvé la tête de sa femme dans son frigidaire et certaines parties de son corps, entrain de cuire sur la gazinière de la maison. L’homme a plaidé non coupable. 317 30/11/2012 À Sète. Gêné par le bruit que faisaient ses voisins entrain de fêter un anniversaire, un homme de 49 ans, leur a tiré dessus à l’aide d’un pistolet. Quatre personnes ont été touchées, deux sont mortes. 318 The End 21 Décembre 2012. J-0 avant la fin. On y est. La grande apocalypse. Transformation de tout en rien. Échange non équivalent. Brasier. Écran de fumée. Explosion nucléaire multipliée par l’infinie puissance 1 000 au carré. Même pas possible d’imaginer. La force de destruction du truc. Même pas possible d’envisager. L’ampleur de ce qui va nous arriver. Va prendre cher dans la gueule. Méga bukkake sans possibilité d’avaler. Plus possible de reculer. De faire comme si on n’y croyait pas. Peut plus se mentir. Sait tous ce qui va se passer. Ce qui va nous arriver. Ce soir on sait tous qu’on va douiller. Et pourtant. Personne ne crie. Ici pas de panique. Chacun est assis sagement, silencieusement sur son siège, corps droit, ceinture bouclée, la tête branlante à moitié endormi. C’est Rémy qui conduit. Est rentré des États-Unis. 319 Il était temps. N’allait pas rester là-bas pour la fin. Reviens parmi les siens. Joyeuses retrouvailles. Accolade généreuse. Embrassade. - Ça fait plaisir de te voir mon vieux ! - Pareil. - Alors comment ça s’est passée ? Content de ton séjour ? - Mitigé. C’était sympa c’est sûr, mais pas ouf. C’est pas comme on le pense : Sexe drugs and rock n’roll. Malheureusement être en Amérique ne fait pas tout. Tu peux pas passer ton temps à t’amuser. T’as les études à côté. T’es obligé de bosser si tu veux pas louper ton année. Et puis c’est paumé l’Iowa, à part la fac y a pas grand-chose à faire. Tu te fais vite chier. Ça va que j’ai pu bouger et visiter un peu les autres villes. - T’es allé où ? - Washington. Chicago et New-York. - C’était bien ? - C’était énorme ouais. Les meilleurs moments de mon séjour. - Et t’as pu en profiter pour te faire des meufs ? - Non, même pas. Dommage. C’était l’occasion rêvée. Saurai jamais comment les Américaines sont au lit. Tant pis… Norman est là aussi. Des semaines que l’ai pas vu. Plus le temps. Lui comme moi. Emploi du temps incompatible. Jours de repos différents. Horaires divergents. Galère. - Et alors quoi de neuf depuis tout ce temps ? - Ba rien… Je bosse toujours à Carrefour. - Toujours aussi fatiguant ? - Toujours. 320 - Ba au moins tu te fais de la thune. - Ouais, enfin une fois que j’ai payé le loyer, la bouffe et ma carte de transport, me reste plus grand-chose. Je peux tout juste sortir boire une bière le week-end. J’peux même pas faire de concerts. Quand je pense à tous les artistes qui sont passés que je voulais aller voir. Bien la peine d’être sur Paris si tu peux même pas faire de sorties. Mieux vaut rester en province à ce moment, au moins t’as des arbres et tu peux voir le soleil de temps en temps. J’en peux plus de cette pluie moi. Ça fait au moins un mois que j’ai pas vu un rayon de soleil. - Ouais j’te comprends, on met du temps à s’habituer au climat. Pour tout te dire, même encore maintenant moi j’ai du mal. Alors que ça va faire presque 3 ans que je suis là. Ce ciel gris, c’est déprimant. C’est contre nature. - Enfin, au final j’ai rien fait de ce que je voulais. J’ai même pas pris une seule photo depuis que je suis ici. Mon appareil prend la poussière sur une étagère. J’ai plus envie. J’arrive pas à me motiver. Je suis trop fatigué. Ai pas d’inspiration. Le comprends. Difficile de créer quand t’as bossé dur toute la journée. C’est dommage, lui qui prend de si belles photos… Haut. Toujours plus haut. Monter. En voiture. Pousser à bout bout le vieux tacot. Teuf... Teuf... Teuf... Et l’on prie pour que le moteur ne nous lâche pas avant qu’on arrive, qu’on puisse faire comme on l’espère une ultime teuf. Last Party on Earth. Rendez-vous en enfer. Si l’on doit mourir autant partir en beauté. 321 Se niquer la santé. Alcool, sexe et drogues à volonté. C’est parti pour mille et une seule nuit de pure folie. Se faire péter la tête. Déglinguer le foie. In Drugs We Trust. Pour ça décidé de s’exiler. S’isoler. Pas la peine de rester dans la capitale pour voir le monde exploser. Préfère être en campagne. Loin du bruit, des lumières, des klaxons des voitures, des passages de métro. Loin des parisiens, loin des incivilités. Longtemps hésité à aller au Pech de Bugarach. A l’air sympa comme coin. Et puis on a fini par renoncer. Trop médiatique. Devenu le repère de tous les fanatiques. Pas envie d’être entouré de déments pour nos derniers moments. Envie petit comité. Promiscuité. Être entre amis, entouré des gens qu’on chérit. La famille ? La laissée où elle est. N'a pas sa place ici. Pas qu’on les aime pas, mais c’est générationnel. Est les seuls à pouvoir comprendre cette fin du monde. Et puis c’est aussi de leur faute si ça arrive. C’est eux qui nous ont mis dans la merde. Le fossé est creusé, bien trop grand pour être traversé. Nous sommes tout seuls dans cette affaire. Des millions de solitaire. Us Against the World. Sur le siège, à côté, contre moi, mon amour Jessica. Main dans la main. Tête contre épaule. Ses cheveux chatouillant mon menton. Que ça fait du bien de la retrouver 322 enfin. D’être ensemble, même si c’est pour la fin. Après tout ce temps passé éloigné. Ces soirées, journées passées à s’appeler, skyper. Énervant à force. Frustrant. Pas suffisant. La technologie à beau faire des bonds fulgurants en avant, elle n’arrive pas encore à recréer le corps en entier. Envie de toucher. Palper. L’image et le son ne suffisent pas. Une personne se réduit pas à sa voix ou à son image. C’est tellement plus. Tellement simple, compliqué. Ai hâte d’être arrivé que l’on puisse s’enfermer à clé. Forniquer. 1, 2, 3, 4. Autant de fois que l’on voudra. Autant de fois que notre corps nous le permettra. Jusqu’à l’essoufflement, épuisement. Jusqu’à ce qu’on en puisse plus, qu’on en veuille plus. Une heure qu’elle est serrée contre moi. Fait mine de dormir, mais profite de brefs instants d’inattention des autres occupants pour m’exciter rapidement. Mots crus à l’oreille, griffures sur le bras, main sur le sexe, n’en faut pas plus pour me faire monter au. Garde à vous ! Prêt à tirer ! Mais obligé de rester au chaud, bien caché. Torture. Se détendre. Penser à autre chose. Y arrive pas. Imagine Jessie quand elle jouit. Les yeux grands ouverts, la lueur dans ses prunelles, sa peau contre ma peau, étreinte charnelle, mon sexe dans son sexe, étreinte fusionnelle. Me demande si ça va finir en orgie cette nuit. 3 mecs, 2 filles. Pas très équitable. Surtout quand l’une est ma copine. Même si Lauranne est grave mignonne. A des putains de nibards. 323 Des années que je la connais. Jamais rien passée entre nous. Aurais été plus que partant pourtant, mais m’a jamais demandée. Était toujours prise. Toujours avec un mec différent. Arrive pas à les garder. Se caser. A le don pour tomber sur des connards. Sais pas comment elle fait … Tourne la tête. Regarde le paysage sous mes yeux ébahis défiler. Décor magnifique. Tragiquement superbe. Grandiosement terrible. Montagnes majestueuses. Creux. Vallée vertigineuse. Se perdre dans le vide et se retrouver dans les hauteurs. Passer de la glace à la mer. Collines jonchées de sapins. Seule verdure qui dure, dure, résiste, au grand terrible froid. Dernier survivant, lorsque tous les autres sont morts depuis bien longtemps. Pays perdu. Éloigné. Contrée des contes. Magnifique. Désenchantée. Bienvenue dans la triste réalité. Dans la France que tout le monde essaye d’oublier. Villages entiers désertés. Migration urbaine urgente. Pas possible de rester ici. Pas de boulot. Pas d’avenir. Plus de naissance. Personne ne vient s’y installer. Plus de nouveaux nés. Que les vieux qui sont restés. Ceux qui ne veulent pas, qui ne peuvent pas bouger. Ceux qui n’ont nulle part où aller. Petit à petit voir la vallée se dépeupler au rythme des décès. Le compte à rebours est lancé. Qui sera l’heureux dernier ? M’évade. M’égare. Re. Viens. Et puis. Re. Pars. Partout. Là où mes pensées se laissent aller. À tout ce qui s’est passé. À ce que ces derniers mois m'ont offert. L’heure des comptes dring dring a sonné. 324 Fiche. Bilan mental. Extraire le positif du négation. Qu’ai-je accompli au final... Ma pièce a été un fucking putain d’échec. Plantage complet. Raté. - Merci d’avoir participé. Veuillez ne jamais recommencer pour le bien de l’humanité. Pas que ça n’a pas plu. Eu des retours assez positifs dans l’ensemble. C’est juste que personne est venu. 3 personnes en moyenne par soir dans une salle de 50 places. 47 invendus. 47 sièges vides. Spec-acteurs se sentaient seuls sur scène. Ressentait la même chose dans ma petite régie. Envie de fuir. Courir. Prendre son cou à ses jambes. Sa tête dans ses mains. Crier. Pleurer. Tout laisser tomber. Désolé Mesdames et Messieurs, la représentation est annulée. - Mais... Mais nous on a payé ! Et bien allez vous faire remboursez et… Et puis faites pas chier ! - Ah, mais quel culot ! Ne savez-vous pas que le client est roi ? Oui, quand le client est là. Ne comprends pas. Avait pourtant fait de la com. Pas des masses d’accord, mais quand même. Nous a pas ramené un seul gens. Toutes ces heures à se les cailler sous la pluie, sur les pavés mouillés à sourire béament, bêtement pour rien. Tout l’argent dépensé pour les affiches et les flyers en vain. Aurait mieux fait de le donner. Aux pauvres. Œuvres associatifs. À ceux qui en ont vraiment besoin. Aurais mieux 325 fait de me payer une putain. Personne d’inconnu n’est venu. Été obligé de rameuter, supplier, tyranniser notre famille, nos connaissances, nos amis plus ou moins proches éloignés. Le type que t’as sur Facebook et avec qui t’as pas parlé depuis des années, qui devient subitement ton meilleur ami. À la guerre comme à la guerre. Le moindre centime compte. Pas de temps à perdre. Pas faire de sentiment. On est pas là pour bla bla, prendre le thé. We need money ! Tein, ta tein tein. Tein, tein tein ! Money ! Get back ! Résultat : on est dans la merde. La bonne grosse bousechiasse. - Je te l’avais bien dit ! Espèce d’abrutis. Cela t’apprendra à faire ton intéressant. Quelle idée de vouloir faire de l’art aussi ! Doit un peu plus de 1 000 euros au théâtre. Sais pas d’où vais les sortir. La compagnie n’a pas un rond. C’est ça de pas de demander de cotisation. - Et les subventions ? Donnent pas aux paumés, péquenauds comme nous. Faut avoir au moins un an d’existence et avoir déjà fait pas mal de tournées. - Ba alors comment on fait pour débuter ? Faut avoir du blé. Ai même pas assez sur mon livret A pour pouvoir rembourser. Fais chier ! Me vois vraiment pas demander aux acteurs de la thune. C’est moi qui les ai embarqués dans cette affgallère. M’ont fait confiance en entrant dans le projet. Ont cru en moi. C’est de ma faute si on a échoué. 326 J’ai échoué. Je nous ai mis dans la dèche. C’est à Moi de nous en sortir. Faut que j’vois si je peux pas emprunter à mon père. Peu de chance qu’il soit okai, mais on sait jamais. Enfin… Sert à rien que me prenne la tête pour ça. C’est que de l’argent. Ça brûle, se consomme, comme tout le reste. Demain tout cela n’aura sûrement plus d’importance. Rester concentré sur le moment présent. Enjoy. Essayé. Quand même. Il est encore temps. Respire. Souffle. Ça fait du bien hein ? 327 Fait combien de temps que tu n'as pas eu un moment pour toi ? Profite. Tu l’as bien mérité. Des semaines, mois, que tu te démènes comme un malade (mentale !). Surchargé. Emploi du temps chargé, bondé, débordé. Ne sais plus ou donner de la tête. Dans quel sens aller. Tu ne trouves même plus le temps de te reposer. Semaines de 40-50 heures. Combien de temps que tu ne t’es pas posé à une table pour manger ? Combien de temps que tu n’es pas allé voir tes grands-parents ? Enchaîné les activités. Passer les journées à ton stage et les nuits avec la compagnie à répéter. Corriger. Fignoler. Les derniers détails du spectacle. Et encore pas assez de temps pour tout faire. Mails, courriers s’entassant dans tes boîtes aux lettres virtuoréelles. Millions de milliards de trucs à faire. Dommage (heureusement) qu’il n’y a que 24 heures dans une journée. Tout mon temps était pris par mon stage à courte-longue durée. Devait y rester qu’un mois et là ça va faire presque 2 mois que j’y suis. Mon chef est content de moi. Trouve que je fais du bon boulot. Pour ça qu’il me garde. Ai pas encore l’étoffe d’un vrai régisseur, mais m’en rapproche de plus en plus. Gravis petit à petit les échelons. Me forme. Transforme. Apprends sur le tas (de merde) mon métier. Encore loin de tout savoir. Tas de trucs que j’piges pas. Mais bon… Le job est fatiguant, éprouvant. Physique. Passe mon temps à porter, déplacer, soulever des trucs tout saufs légers. Cour à 328 droite, à gauche, en haut, en bas, dans tous les sens, toute la sainte journée. Suis raide mort à la fin. M’écroule direct dans mon lit. À peine le temps de dormir quelques heures et puis. Se réveiller, reprendre, recommencer. Travailler 8 heures par jour. 6 jours par semaine. Un seul jour de repos. Me laisse le temps de rien faire. Ai pas de week-end. C’est la merde pour voir Jessie. Jusqu’à présent on a réussi à se démerder. C’est elle qu’est montée me voir. Lui est dit, fait croire que c’était exceptionnel. Que la situation n’allait pas durer. Ai honte de lui avoir menti comme ça. Me sens misérable. Savais pas quoi faire d’autre. Mon chef va sûrement me garder pour le reste de l’année. C’est une putain de parfaite opportunité. Occasion en or qu’on ne peut refuser. Peut-être, probablesurement le seul moyen de m’en sortir. De trouver du travail dans ma profession. Peux pas la foutre en l’air. Peux pas refuser. Le problème c’est que si j’accepte peux dire au revoir à mon couple. Jessie acceptera jamais que ça soit elle qui soit à chaque fois obligée de monter. Peux pas lui en vouloir. La comprends. Moi aussi ça me ferait chier. Mais bon… Me les casse de devoir choisir entre mon métier et mon couple. Putain de vie. Lui en ai pas encore parlé. Ose pas lui annoncer. Elle va avoir le cœur brisé. La connais, ça va lui en foutre un coup. Elle va se mettre à pleurer. Moi aussi. Vais pas savoir comment la réconforter. Comme toujours. Vais rester devant elle, à la regarder, comme un con, un benêt. À moins que je lui dise par téléphone, ou par texto. Non... Non, je serais vraiment le dernier des salauds. Faut que je prenne mon courage à demain et que je lui annonce en face. Lui dois bien ça. Enfin... On verra ça demain. Si on survit à ce soir. Silence. 5 dans une voiture et pas un bruit. Juste le grondement du 329 moteur. Le fracas de la tôle. Le sifflement des vitres. La pression oppression. Jette un œil par la fenêtre. Vient juste de dépasser la Mûre. Est à peine à la moitié. La route est longue encore. Tant de chemin à parcourir et si peu de temps. Tant de choses à découvrir. Toutes ces choses à voir que l’on ne verra jamais. Ces pays que l’on ne connaîtra pas. Ces chemins que nous n’arpenterons pas. Toutes ces joies... - À quoi tu penses ? Effleurement léger. De la pointe des doigts. Caresse. Mon amour relève la tête et m’observe. S’inquiète. - J’sais pas. À tout. À rien. Je regardais le paysage. - Il est magnifique. - Oui. Magnifique… * 21h. Que la fête commence ! Les bouteilles sont sorties : alcools, bières, sodas, jus de fruits. Pensé à tout. Rien oublié. Course de fou. Plus de 50 euros par personnes tout compris. Met la musique à fond. Let Get the Party Starded ! And... Go ! Commence en douceur, hauteur. 330 Vitesse, vite, pas de temps à perdre. Vite. S’échauffer. S’réchauffer. Se mettre dans l’ambiance. Entrer dans la danse. Jeux d’alcool pour alcoolos. Cartes. Dés. Tout est bon pour se bourrer. Se dénuder. Strip poker. Strip ta mère. Tac. Tu perds, tu bois. Pof. Tu gagnes, tu bois. Bim. Quoique tu fasses. Tu bois. Bois. Bois. Bois ! Cul sec au sel et au citron. La tête renversée. Vodka dans le gosier. Verre à demi-plein et en entier. Passe, passe, dégage le jus d’orange pour couper. Pas de ça chez nous. Ça c’est pour les pd ! - Hé j’suis pas un pd ! José ressers-moi ! Mon verre est vide ! I can feeeeel the tekilaaaaa in me ! Les verres se vident. Les tasses s’entassent. Plus de place. De vaisselle. - Vas-y on s’en fout mec ! On boit directement à la bouteille. Va se mettre minable et on le sait. S’arrêtera pas avant le coma. Éthylique. Et tant pis nous on chie sur l’éthique ! Danse. Danse à en perdre haleine. Danse. Danse. Comme si la vie n’en valait pas la peine. Les pieds sur terre, la tête en l’air. Les pieds tapent tapent et battent, la cadence sur le sol, parquet, plancher de danse. Transe. Les fesses bougent, bougent, à gauche, à droite, left, right, left, 331 right. Han han. Put yours hands up! Put yours hands up ! Put yours hands up in the air. And jump ! Jump ! Go ahead Jump. Brise. Craque. Fêlure. Crack. Le parquet. Cassé. La terre remoue. Remue-toi. Secoue. And shake shake shake. Shake your booty. Shake your booty. Fais trembler le sol. Bouger les plaques. Sur un air de tek-no. Sur un air de tek-to. Nique. Nique ! Baise. Partout. Sur tout. Table. Toilette. Murs. Canapé. Machine à laver. Cris ! Fais du putain de bruit. Que tout le monde te voit. Que tout le monde t’entend. Te sent. Appelle à la terre entière. Heeeeeeeeeyyyy ! Oh. Let’s go ! Aaaaaaaaaavale. Les petites pilules. Les petits cachetons. Décachetés. D’ecstasy. Extase. LSD. LSA et puis voilà. Un petit rail de coke par-ci par-là. Sans oublier la Salvia. Herbe à profusion. Marijuana. Cannabis. Pas un pet de shit à l‘horizon. Attention, on a fait les choses bien. Se donne les moyens. Euphorie. Excitation. Être tous tout toute excité. Défoncés. Allongés. Même plus capable de. Too Drunk to Fuck. Tenir debout. Bégayer. 332 Dégueuler. Partout par terre. Et puis hop, se redresser, ça va mieux, la fête peut recommencer. Déplorable, mais il y a personne pour pleurer. On est là pour s’amuser. Faire n’importe. Quoi ! Bim. Alcool renversé. Paf. Les bouteilles pétées. Vas-y fait chier, v’là les bouts de verre sous les pieds. Ensanglanté. Mais c’est pas le moment de glander. On a une fin du monde à célébrer. 22h30. La partie ne fait que commencer. Tout. Tout. Il nous reste tout à donner. Pas avare. Ne rien garder. « Terre... Brûlée... » - Oh putain, monte le son ! C’est ma-notre chanson ! Les Lacs du co Connemara ! Merci Michel ma belle. - Au vent des landes de pierres... Chante en chœur. À l’unisson. Unissons-nous. Tous ensemble. Réunis. Cercle parfait. L’un contre l’autre. Bras dessus, bras dessous. Prêt à sauter. Prêt. À tout casser. - C’est le décor du Connemara ! Tein, tein, tein, ta ta ta tein tein. Hey ! Tein, Tein, tata, tein tein ! La lala. Lala lala. La, la, l’alala ! 333 Déchaînés. Déchirés comme des fous. Cris à plein poumon. Kif tous cette chanson. Tellement écoutée quand on était au lycée. Rappelle toutes les teufs qu’on faisait. Tous ces moments passés, perdus, oubliés et d’un seul coup resurgis. Retrouvés. Le temps. Précieuse jeunesse. À l’heure où nous étions tous incon-soucient. Aimerais y retourner, revenir, Come back to the past. Pas envie que ça finisse. Pas comme ça. Pas maintenant. Alors qu’on s’amusait tant. - La, lala, lalalala, la la. - Hey ! Hey ! Hey! 23h30. Il reste une demi-heure avant la fin du monde. - On sort ? - Ouais ! Tout le monde est d’accord. Et, hop, hop, hop on bouge dehors. Gelé. Fais - 1000 degrés, mais qu’est ce qu’on s’en fout ! Même pas mis de pull. Temps d’être malade. Tout sentir. Pas trahir. Jusqu’à la moindre sensation. Dernier putain de glaçon. Il pleut. Tombe de la neige. Flocons de pleurs, cristaux de cendres. Ça y est, le monde se désagrège, le ciel tombe sur nos têtes. S’allonge, se jette sur le sol, dans la neige. Dessine des anges avec nos corps. Les seuls de la soirée. 334 Se relève, remet en route. Direction la montagne. S’élever. Prendre de la hauteur, placer sur un panorama pour ne pas rater ça. Grandiose. Bouge. Court. Tombe. Titube. Plus personne ne marche droit. Pas un qui ne voit. Vision troublée, par. Surconsommation d’alcool, drogues ingérées. Est-ce nous où la terre à déjà commencée à tanguer ? Tout tourne. Arrive à la rivière. Stop. Arrêter. État rapide des lieux. Comment elle est ? Gelée. Parfait peut traverser. Ssss. Glisse. Grimpé. Caillou. Caillasse. Roule. Au dessus, en dessous de nous. Hop ! Esquiver. Attrape. Agrippe. À tout, n’importe quoi. 335 Branche, branchage, feuille, caillou. Surtout pas se péter les genoux. Tomber, trébucher. Peut plus reculer. S’élever. Il nous faut s’élever. Il est 23h47. Arriver en haut. Le plus. Le moins. Maximum où on peut aller. De la surplombe toute la vallée. Lumineuse. Illuminée. Tout le monde est debout, veille, a gardé sa lumière allumée. Pas question de dormir quand il ne reste plus quelques secondes à vivre. Le ciel étoilé au-dessus de notre tête. Étoiles brillantes plus belles que jamais. À moins que ce ne soit que la première fois que je les aperçois. Vraiment. Est-ce la fin ? Ici, comme ça et maintenant. Après en avoir tant parlé, l’avoir tant décrit, écrit, imaginé. Depuis des siècles, des années. Est-ce ainsi que tout va se terminer ? Silence. Personne ne parle. Personne n’a rien à dire. Il n’y a plus rien à dire. Comment traduire tout ce que l’on ressent ? Les mots sont sans poids, sans mesure, sans importance. Notre présence suffit. Body language. Au-delà des codes. 336 Au-delà des sons. Par-delà les lois de la communication. Nous sommes présents et c’est suffisant. L’un à côté de l’autre. On se soutient. Jusqu’à la fin. Amis jusqu’à l’infini. Mon amour me prend le bras. Se serre, s’emmitoufle contre moi. - Ça va ? Ses yeux dans mes yeux. Son âme dans mon âme. Plonger. Le bonheur. L’éternité. Une fraction. Dixième de millième de secondes. Cela suffit. Pas besoin de plus. Cela a toujours suffi. Le temps n’est rien. Ce n’est que maintenant que je le comprends. - Ça va. - Tu es sûr ? - Oui. Lui souris. La serre dans mes bras, près, tout près, toujours plus près, là, contre moi. C’est bon. Ça y est. Je suis prêt. Il est minuit. 337 338 339 340 My Generation Je suis toujours en vie. Nous sommes le 22 décembre. Il est 7h52 et la fin du monde n'a pas eu lieu. Les Mayas se sont bien plantés. Les prévisions se sont trompées. Statistiques échouées. Encore. Encore une fois ce n’est pas le bon moment. Alors quand ? Peut-être jamais. Peut-être maintenant. Comment savoir ? On ne sait pas. Personne ne peut prévoir. Conneries ! Mieux vaux oublier. Tout oublier et plus jamais y penser. Ça arrivera quand ça arrivera et puis voilà ! Tout ça désormais m’est égal. Je suis en vie ! Je suis en vie et je ne suis pas heureux. Sentiment contradictoire. Joie. Soulagement d’abord et puis réflexions, inquiétude, incompréhension, douleur, peur. Et maintenant ? Que faire ? Le monde s’ouvre devant moi. Une infinité de choix. Douloureux. Que faire ? Que choisir entre mon couple et ma carrière ? La route est de nouveau là. Implacable. Obscurcie. Rongée par le brouillard impénétrable du hasard. Que va-t-il m'arriver ? 341 Dans quelles contrées mon corps va-t-il échouer ? Que faire ? Partir ou rester ? Sortir. S’enfuir. Enfin. Tout quitter. Plaquer. À Montpellier allé se réfugier. Sauf. À l’abris bien en chaud, blottis dans les bras de ma bien aimée. Quitter Paris. Quitter la pollution. La mauvaise humeur. Les bars d’immeubles. HLM puants. Quitter les transports dégueulasses, déprimant. Les trottoirs bondés. Retourner à quelque chose de plus simple. De plus vrai. De plus humain. Quitter la grisaille. Quitter mon travail. De nouveau chômeur, mais redevenu rêveur. Revoir le ciel, le soleil. Revoir les étoiles. La nuit. Et travailler à Carrefour Market la journée. Tirer un trait. Croix gammée sur mon avenir dans le théâtre. Pas de boulot pour ça en province. Pas assez de théâtre. Pas assez de demande. Arbeit macht frei. Que faire ? Et puis merde! Qu’importe ce que je ferais. Qu’importe ce que je déciderai. Où je serais. Je suis et ça suffit. Je ne me laisserai pas abattre. Je ne renoncerai pas. Je suis jeune et j’ai désormais toute la vie devant moi. Peut importe si je galère. Peut importe si je fais un travail de merde. Peut importe que je ne sois pas connu. Artiste je suis et Artiste je resterai. Je n’ai pas besoin de gagner de l’argent pour me le prouver. Je ne fais pas de l’art pour gagner ma vie. Je n’ai aucunes raisons de faire de l’art. Et pourtant je ne peux m’empêcher d’en faire. Je suis donc j’écris. Je continuerai à lutter. Pour ce que je crois. Pour ce que j’espère. Je continuerai à rêver. Et peut-être un jour (dans 30, 40 peut-être 100 ans) qui sait, les gens liront mes ouvrages, les gens les aimeront. Et alors je ressusciterai. Poète oublié devenu immortel. À jamais je vivrai dans la 342 conscience collective. Je ferais partis du patrimoine, de la culture, de la nature. Et alors l’univers entier, en pleurant se souviendra de mon nom : 343 Merci…. 344