Mais d`où viennent vraiment les huîtres du Bassin d`Arcachon
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Mais d`où viennent vraiment les huîtres du Bassin d`Arcachon
Luc Bourrianne Mais d'où viennent vraiment les huîtres du Bassin d'Arcachon ? Pas de label, peu de traçabilité, des "transferts" et une transparence défaillante. Commercialement, l’huître du Bassin n’existe pas (Photo L. B.) 1 sur 2 Le prix de revient d’une huître élevée entièrement dans le Bassin est deux fois plus élevé que celui d’une huître élevée en Bretagne ou en Normandie et affinée dans le Bassin. Qui n’a jamais entendu un consommateur breton se vanter de « ses » huîtres ? Qui n’a pas débattu avec un Normand de la plus belle huître : la sienne ou la nôtre du Bassin ? Qui ne se targue pas parfois de n’aimer que les huîtres d’ici ? Autant de chauvinismes qu’il serait bon de tempérer, tant la plupart des huîtres commercialisées sur le Bassin ont des destins de grandes voyageuses au cours de leur vie (trois ans en moyenne). Centre naisseur réputé, le bassin d’Arcachon est un centre de production coûteux. Sa force, le naissain, constitue aussi sa principale faiblesse (1). « Le prix de revient d’une huître produite à 100 % dans le Bassin est deux fois plus élevé que celui de celle grandissant en Normandie ou en Bretagne », explique l’ostréiculteur ferretcapien, Denis Bellocq. Dégustations : petits arrangements Majestueux, unique, enchanteur. Nul ne reste insensible au charme de ces terrasses peuplées de palmiers où le service est assuré avec tact, classe et sérénité. La dune du Pilat en arrière-plan, la conche du Mimbeau au premier, le client est prêt à s’attaquer à sa douzaine de « spéciales ». « Mais, mademoiselle, d’où viennent ces huîtres ? » « Du Mimbeau, nous avons nos parcs juste devant. » Quel bonheur ! Cette réponse servie dans au moins deux sites de dégustation d’huîtres du Cap Ferret comble le touriste-consommateur. Ayant soif d’authenticité, de terroir et de circuit court, le client est heureux de profiter d’un produit issu du site même qu’il admire. Problème, les parcs ostréicoles du Cap-Ferret sont, en période estivale, classés en zone B. Ce qui signifie que sans purification préalable, leurs huîtres ne peuvent être vendues. Sébastien Degrave ne nie pas le hiatus : « J’ai des parcs au Mimbeau et c’est vrai que les huîtres que nous servons actuellement sont issues de mes autres parcs du Grand banc (au large de la Vigne). » Issues de parcs classés en zone A, ces huîtres sont donc proposées dans le respect de toutes les règles sanitaires mais les renseignements donnés verbalement par des serveurs pressés demeurent des raccourcis dont tout le monde s’accommode. « Nous ne cherchons pas à tromper les clients. Je passe souvent leur expliquer en personne la provenance de mes huîtres. J’assume le fait qu’elles viennent parfois de Bretagne. D’ailleurs, je les commercialise sous mon nom. Je ne vends pas l’image du Bassin », conclut Degrave. Il est donc fréquent, car rentable, que des huîtres captées sur le Bassin, poursuivent leur cycle de production en Normandie ou en Bretagne, avant de regagner le Bassin quelques mois, voire quelques semaines, avant leur commercialisation. En matière de traçabilité ostréicole, la législation est des plus élastiques. Une huître peut être vendue sous les couleurs de son dernier site d’affinage à condition que son élevage réponde aux diverses conditions, parfois très strictes, du label de son appellation marchande. Sur le Bassin, c’est encore plus simple : « Il n’y a pas de label. Nous travaillons à sa mise en place mais pour l’heure nous nous en remettons à la loyauté des ostréiculteurs », souligne Olivier Laban, le président régional de la conchyliculture. Légalement, pour l’instant, rien n’interdit donc à un ostréiculteur d’accoler l’image du Bassin à des huîtres produites ailleurs et à peine trempées dans les eaux locales. Dépourvus de label et de l’image de marque qui va avec, la plupart des ostréiculteurs locaux préfèrent « vendre » la qualité plutôt que la provenance de leurs huîtres. Les marques commerciales (Degrave, La Cabane du Mimbeau, Les Parcs de l’impératrice…) se substituent à la localisation, même si celle-ci est souvent implicite pour le consommateur. Dans la tête du client, l’huître achetée chez un ostréiculteur local est forcément du coin. Pourtant… Ostréiculteur, propriétaire d’un vaste et bel établissement de dégustation, Sébastien Degrave « assume » : ses huîtres sont pour partie produites en Bretagne. Idem, pour Denis Bellocq dont une bonne partie de l’élevage se fait sur la côte est du Cotentin. Comme nombre de professionnels qu’il représente, Olivier Laban rechigne à ouvrir le débat. « Le souci n’est pas dans le lieu de production de l’huître, il est dans sa qualité. Nous avons une obligation de résultats, pas forcément de moyens. Il s’agit d’être mesuré pour ne pas tromper le consommateur. Trois semaines dans les eaux du Bassin, c’est trop peu. Nous, nous préconisons de remettre les huîtres dans le Bassin six mois avant leur commercialisation. » Denis Bellocq assure qu’en quelques mois ses huîtres voyageuses prennent les qualités gustatives des huîtres élevées à 100 % dans le Bassin : « Je défie quiconque de les différencier. » Défi relevé par Christophe Maleyran ! Cet ostréiculteur basé à Petit Piquey, sur la commune de Lège-Cap-Ferret (lire ci-dessous), parle de « tromperie » quand il évoque ces transferts d’huîtres. Quant au consommateur souvent mal informé, il attend toujours un label pour « ses » chères huîtres du Bassin. (1) En période de naissain abondant, huîtres et moules sauvages sont captées sur les parcs ostréicoles. Pour permettre le développement des huîtres d’élevage, il faut ramener à terre chaque poche d’huîtres pour anéantir tout ce captage sauvage. Sur le Bassin, centre naisseur, cette opération doit être effectuée trois à quatre fois au cours d’un cycle de production quand en Bretagne ou en Normandie ces coûts de maind’œuvre n’existent presque pas. « C’est devenu un business » « Une même huître donne parfois trois appellations différentes », s’emporte Christophe Maleyran, ostréiculteur à Petit Piquey (Lège-Cap-Ferret) et opposant déclaré aux huîtres itinérantes. Chez ce « puriste », toutes les huîtres baignent de leur naissance à leur vente dans les eaux du Bassin. Seule entorse à l’authenticité dont il se réclame, Christophe Maleyran produit aussi des huîtres triploïdes (1). Tous les 15 jours, il retourne à la main ses milliers de poches d’huîtres. Tous les trois mois, chacune de ses poches regagne son chai, sur la terre ferme. Elles y sont soigneusement dédoublées pour permettre aux huîtres de continuer leur croissance. Et surtout, elles y sont délestées des moules sauvages qui prolifèrent dans les eaux du Bassin. « C’est un fléau », peste-t-il. Ce surcroît de travail, il l’accepte quand d’autres délaissent leurs parcs aux coûts de production trop importants pour produire ailleurs. « C’est devenu un business. Moi, c’est ma passion. Je continuerai tant que mon outil de travail me permettra de faire des huîtres de qualité. » Et justement, les parcs ostréicoles du Bassin se dégradent. Ils ne seraient pas aussi bien entretenus qu’avant. « Que va-ton léguer aux futures générations d’ostréiculteurs ? On est déjà dans le rouge ! », tranche Christophe Maleyran, jamais avare en combats à mener. (1) Huîtres stériles fabriquées en laboratoires. Elles naissent dans des écloseries.
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