Avis de tempête
Transcription
Avis de tempête
isharmonies GRATUIT Avis de tempête OCTOBRE 2015 « Tantôt, comme une bête, elle se met à hurler, Tantôt, comme une enfant, elle éclate en sanglots. », Pouchkine, Soir d’hiver Édito Ami lecteur, que vous soyez conscrit ou ici de longue date, Disharmonies vous souhaite une fort heureuse rentrée ! Nous ouvrons l’année en rendant hommage à l’automne et aux mois des tempêtes, dans une tornade d’inspirations diverses ! Désirez-vous en savoir plus sur le (pas si) mystérieux phénomène de la tempête ? Au choix : Echoes of Science vous explique « El Niño », tandis que Historiquement vôtre vous rappelle comment les philosophes de l’Antiquité abordaient ce désastre naturel. Si vous préférez les images, Des jeux et des hommes explore pour vous ce thème dans les jeux vidéo, à moins que vous ne choisissiez les photos de notre reporter à Valparaiso. Mais inutile d’aller si loin : Virées parisiennes vous les montre dans les œuvres du peintre Darger, exposées ici même ! Si vous voulez affronter les éléments, vous êtes servis ! Vous trouverez du vent (La Horde du Contrevent est star de notre premier Regards, Cri, Tics), de la neige (Biographia literaria explore les nouvelles de Boulgakov), le désert (allez savourer Ephémère) et les océans : plongez dans notre bande dessinée ! immergez-vous dans la musique de The Gentle Storm, notre second Regards, Cris, Tics ! enfoncez-vous dans les Histoires Extraordinaires d’un mystérieux écrivain, ou dans les Miscellanées du destin de la ville d’Ys… Plus étonnant encore : allez découvrir les tempêtes magnétiques provoquées par les éruptions solaires (Rumeurs d’outre-monde). Et pour vous reposer de ces émotions, pourquoi ne pas agiter une tempête sous votre crâne en tâchant de résoudre nos mots fléchés ? (Soyez parmi les plus rapides à nous envoyer par mail le motmystère : récompenses à la clé !) Miscellanées 2 Éphémère 4 Concours! 5 Camera Obscura 5 Histoires extraordinaires 6 Virées parisiennes 8 Historiquement vôtre 9 Playlist 10 Les aventures du Capitaine Kidd 11 Regards, cris, tics (1) 14 Echoes of science 15 Des jeux et des hommes 16 Biographia literaria 17 Bienvenue au port, et bon Regards, cris, tics (2) vent pour cette année ! 18 Fantômas La meute du Contrevent 19 Rumeurs d’outre-monde 20 Jeux 22 PAGE 2 Miscellanées La venue de l’homme en rouge Les vagues s’écrasaient à la base des murailles, faisant écho au son des cloches qui résonnait à travers la ville en fête. Ys. Capitale du royaume le plus prospère de Bretagne. La prestigieuse cité de la mer, construite sur les falaises, au sein de l’océan même. Seule la Grande Digue, cadeau du Petit Peuple, lui permettait de se dresser fièrement au milieu des eaux, sans sombrer dans la mer. Comme tous les ans, la fête battait son plein. Le Mardi Gras était devenu un événement majeur de la vie de la cité, depuis la conversion du roi au christianisme et l’abandon des anciennes traditions. Des lampions colorés éclairaient les rues d’une faible lueur, tandis que les badauds allaient et venaient dans les rues, masqués. Mais le cœur de la fête se situait au château du roi, pour l’occasion décoré de guirlandes fleuries. C’est dans cette ambiance festive que survint le cavalier. Il entra dans la ville par l’ancienne porte des Fées, maintenant renommée porte Est et remonta la grande rue qui menait au château, en se frayant un chemin parmi les piétons qui dansaient devant les tavernes. Après avoir traversé le bruit de la ville, il s’arrêta devant la porte massive du palais. Après avoir mis pied à terre, sous le regard des gardes, le cavalier s’avança vers eux avec confiance. Il abaissa son capuchon, révélant la figure d’un jeune homme d’une vingtaine d’année, aux cheveux roux, flamboyants à la lumière des torches. « Bonne soirée, messieurs, déclara-t-il d’une voix douce. On dit partout dans le royaume que le roi ouvre son palais à tous en cette sainte journée. Je viens donc partager mes vœux de bonheur et de prospérité pour Ys à sa table… et profiter du banquet. » Son assurance, tout comme son accoutrement princier, désignait clairement un jeune homme d’origine noble. Après avoir échangé un regard avec son camarade, l’un des gardes fit signe à l’étranger d’entrer. La porte s’ouvrit peu après, révélant le luxe du palais royal. Alors qu’il entrait dans le palais aux murs recouverts de tapisseries multicolores, l’étranger ôta son manteau, découvrant ainsi une tunique rouge brodée de fils d’or, un ouvrage certainement coûteux, au même titre que sa ceinture sertie de grenats ou ses bottes de bonne facture. Il s’avança dans le hall et apprécia du regard les mosaïques aux sol, représentant diverses créatures de la faune marine, telles que des baleines, des poulpes, des Selkies ou de gigantesques crabes. Les tapisseries recouvrant les murs, quant à elles, racontaient l’histoire de la construction de la ville. On pouvait ainsi voir avec précision l’accord entre le Petit Peuple et les humains pour construire la plus belle ville du monde, une ville d’échange où régnerait l’abondance. La construction de la Grande Digue, sous la direction des esprits de la mer était également représentée par une tapisserie aux couleurs bleues mettant en valeur la beauté du monument. Plus loin, on voyait le mariage du roi avec une princesse des elfes, au port majestueux, scellant l’alliance entre les humains et le Petit Peuple. Les représentations ne montraient pas, hélas, la mort de la reine en donnant naissance à une jeune fille, la princesse Dahut. On ne voyait pas non plus la chasse à tous les représentants du Petit Peuple, hors de la ville, ni leur extermination, écho de la douleur du roi en deuil et de sa conversion au christianisme. L’homme en rouge arriva finalement dans la grande salle. Des tables étaient agencées le long des murs, débordant de victuailles raffinées, tandis que le centre de la salle avait été aménagé en piste de danse. Tout au fond, devant un vitrail impressionnant représentant le couronnement de la Vierge, se tenaient un trône doré et un fauteuil, plus modeste, couvert de nacre. Les sièges du roi et de la princesse. Le roi était assis sur son trône, parlant avec un homme à l’air sévère, un prêtre du Dieu Unique à en juger par son accoutrement... Le second trône était vide, la princesse participant aux festivités avec joie, nullement concernée par les affaires du royaume. L’homme en rouge avait vu la princesse Dahut seulement une fois, lors de la grande procession de Pâques, de nombreuses années auparavant. Elle était alors une jeune demoiselle d’une douzaine d’années, belle et fraîche comme une rose, vêtue de blanc et couronnée de fleurs, son visage angélique débordant d’innocence. C’est ce même visage que cherchait maintenant notre étranger, scrutant la foule des convives tous habillés de riches atours et de bijoux. Quand enfin il la retrouva, une pointe de surprise traversa fugacement son visage : la jeune fille était maintenant devenue une femme élégante et gracieuse. Cependant, ce n’était pas tant le changement physique dû à l’âge que l’aura qu’elle dégageait qui avait surpris l’homme en rouge. Envolées l’innocence et la simplicité de la demoiselle, Dahut présentait maintenant une assurance hautaine et une séduction non voilée qui s’exprimait dans tous ses mouvements. Elle virevoltait à travers la grande salle, discutant et riant avec les nobles gens, faisant voltiger sa douce robe d’or. Nombreux étaient les jeunes hommes à la dévorer du regard, emplis de désir. Mais la belle ne leur souriait que pour mieux s’arracher à leurs invitations. Amusé par ce spectacle, l’étranger marcha dans sa direction à travers la foule. Restant à distance, il contourna la demoiselle, marchant avec grâce parmi les danseurs. Il mémorisait chaque détail de la belle : ses longs cheveux noirs de jais, savamment coiffés, ses yeux noisette pétillant de joie, les opales pendues à ses oreilles et la petite chaîne d’argent à son cou, à laquelle pendait une petite clef dorée, finement ouvragée. En se rapprochant, il put sentir le parfum de la princesse, un arôme entêtant, qui rappelait la lavande. Avec une démarche féline, lentement, il s’approcha de Dahut. La princesse, tout d’abord, feignit l’indifférence, puis fit un pas vers lui et, avec un large sourire, parla d’une voix douce comme le cristal : « Qui êtes-vous donc, mon cher ? Je connais tous les jeunes gens de noble famille de la ville et pourtant je DISHARMONIES ne vous ai jamais vu. » L’étranger s’inclina légèrement devant la princesse et l’invita à danser. Ils commencèrent alors à valser sous le regard inquisiteur de plusieurs nobles dames. « Ma Dame, je vais vous faire une confession, dit-il en s’approchant d’elle jusqu’à finalement lui chuchoter à l’oreille. Je viens d’un endroit encore plus merveilleux que cette magnifique cité. — Vraiment ? questionna la belle en riant. Je doute fort qu’un tel lieu existe. La ville d’Ys est la plus belle du monde. PAGE 3 parts, vous verrez ainsi qu’Ys est également un lieu merveilleux, riche en ornements et architecture. — Cela, je le sais déjà, répondit le jeune homme. Mais j’adorerais, en effet, me promener sur les remparts. » Ils se dirigèrent vers une petite porte donnant sur un long couloir qu’ils parcoururent longuement avant de déboucher enfin sur les remparts longeant la falaise. La pluie avait commencé à tomber, une pluie fine si caractéristique du climat de la région. « J’espère que votre Altesse ne laissera pas cette petite pluie gâcher notre promenade. — Peut-être... En tout cas, sa princesse est la plus jolie femme du monde. Mais sûrement puis-je vous convaincre en vous décrivant mon pays ? — Certainement pas ! s’exclama la princesse. Mais appelez-moi Dahut. Et vous comment puis-je vous appeler ? » — Faites donc, répondit simplement Dahut, amusée. Parlez-moi donc de cet endroit si fabuleux, selon vos dires. Avec un sourire malicieux, l’étranger commença à marcher le long du rempart, sans répondre. Il put voir les vagues en contrebas s’abattre contre la falaise avec violence. Au loin, il pouvait distinguer la Grande Digue, avancée fièrement dans la mer, tandis que le vent agitait sa chevelure rousse à la manière de flammes dans la tempête. — Les arbres y sont les plus verts, la terre la plus douce et l’eau des rivières y est la plus fraîche. Il y a un lac au milieu de la forêt qui est si calme qu’il reflète toute chose plus fidèlement que le plus travaillé des miroirs. La nuit on peut voir le ciel étoilé dans son intégralité se refléter à sa surface, c’est un spectacle merveilleux... — Cela paraît en effet fantastique. Qu’en est-il des gens qui y habitent ? Sont-ils encore plus accueillants que le peuple d’Ys ? » Une ombre passa dans les yeux de l’homme en rouge, si vite que la princesse n’en vit rien. Il reprit, toujours avec la même passion dans la voix : « Les gens... sont différents. Ils étaient auparavant les êtres les plus joyeux et amicaux qu’il soit. Mais, jadis, un désastre a frappé mon peuple. Ils sont maintenant reclus dans la tristesse et le deuil. Cependant, une étincelle de joie persiste en leur cœur, et nous savons encore nous amuser sinon je ne serais pas là », ajouta-t-il avec légèreté. Il en profita pour faire voltiger la princesse en une acrobatie recherchée, puis stoppa la danse en une dernière figure. « Mais ce sont encore des gens très bons et d’habiles artisans, reprit-il. J’ai d’ailleurs avec moi un trésor qui conviendrait parfaitement à une princesse aussi belle... » Une étincelle de curiosité s’alluma au fond des yeux de la princesse à la mention d’un trésor. « Qu’est-ce donc ? — Une surprise pour une belle femme, un ouvrage sans égal qui témoigne de l’art de mon peuple. Mais peut-être devrions-nous sortir un peu : il fait particulièrement chaud et vos gens nous épient. » En entendant ces mots, Dahut parcourut la salle du regard et constata en effet que de nombreuses personnes s’étaient arrêtées de danser pour les regarder. Comment avait-elle fait pour ne pas s’en rendre compte plus tôt ? Cette danse avait semblé un rêve éveillé et elle avait oublié jusqu’à la présence des gens autour d’eux... « Vous avez raison, dit-elle, cherchant à retrouver son assurance. Faisons donc un tour sur les rem- « Allez-vous me dire votre nom ? demanda la demoiselle en arrivant à son niveau. — Et ôter tout mystère à cette soirée ? répliqua l’étranger en continuant de longer le mur. Allons, agissons comme si nous étions toujours au bal, anonymes derrière des masques. » Ce disant, il tendit son bras pour qu’elle le saisisse et ils reprirent leur douce marche. Le vent marin soufflait de plus en plus fort, faisant voleter les beaux cheveux de Dahut. Ils arrivèrent finalement devant un grand escalier qui permettait de rejoindre la cour en face de la Grande Digue. Cette cour avait été aménagée des années auparavant par les mêmes êtres magiques qui avaient construit la digue. Elle était ornée d’un immense dallage coloré représentant les constellations célestes et une fontaine d’eau douce se trouvait en son centre. En face, dans la haute muraille de la digue, une unique porte d’airain décorée de symboles anciens se dressait avec majesté. Le couple s’arrêta un instant au bord de la fontaine, profitant que la place était déserte. « Voilà l’endroit idéal pour vous faire mon cadeau, ma Dame », annonça l’homme en rouge, avec un sourire. Il sortit de sa poche un fin collier d’or, habilement ciselé, incrusté de rubis étincelants dans la lumière de la lune. Dahut ne put contenir son admiration devant un tel présent. « Cet ouvrage est absolument magnifique ! s’exclama-t-elle. Et vous me l’offrez ainsi, sans raison ? — Sans autre raison que votre beauté, ma douce. Laissez-moi vous le mettre. » Il se posta derrière elle pour accrocher le beau fermoir de nacre du bijou, mais arrêta un instant son geste. « Attendez, vous avez déjà une chaîne. Il vous faut l’enlever, j’en ai peur, car je crains que ce métal n’abîme la nacre. Je ne voudrais pas voir ainsi abî- PAGE 4 mer le plus beau joyau forgé par mon peuple... — Allez-y, enlevez-la. De toute manière cette clef est plus une responsabilité pesante qu’un vrai bijou. Voyez-vous, c’est la seule clef du royaume qui puisse ouvrir cette porte. Bien entendu, nous ne l’ouvrons qu’une fois par an, en été, pour l’Assomption, quand la mer est calme et que nous envoyons des offrandes à la Vierge sur de petits bateaux... » L’étranger détacha la chaîne du cou de la belle et la rangea soigneusement avec la clef dans sa propre poche. Il referma alors le fermoir. « Ma Belle, contemplez-vous donc dans l’eau de la fontaine », dit-il tout en se reculant. La princesse Dahut, se penchant au-dessus de la fontaine, put voir qu’en effet le bijou était des plus somptueux sur elle et qu’il mettait en valeur son port altier. « C’est vraiment beau », dit-elle, sans voix devant tant d’émerveillement. La pluie commençait à tomber plus dru sur la place, mais ni la princesse, ni l’homme en rouge n’y faisaient attention. « Il a été ciselé par les plus habiles de ma tribu, annonça l’étranger en s’éloignant vers la Digue. Ce sont de grands artisans, capables de réaliser les plus beaux ouvrages. Cette Digue et cette place notamment, ajouta-t-il d’un ton anodin. Mon peuple a beaucoup apporté à cette ville, l’a rendue la plus belle qui soit. » les plaines », cracha l’étranger, sortant la clef de sa poche. Comme pour marquer ses mots, un éclair illumina le ciel, dévoilant le regard noir de haine du jeune homme. « J’ai vu périr ceux que j’aimais le plus sous le fer de ses soldats, j’ai dû fuir dans les cavernes. Mais aujourd’hui la roue de la Fortune a tourné. Et c’est ce qu’il aime le plus qui sera l’outil de sa fin. » Prononçant cette phrase, il introduisit la clef dans la serrure et ouvrit la porte... « Noooooon !!! » cria Dahut avant d’être engloutie par les flots déchaînés qui bientôt se répandirent à travers la ville. L’orage était à son paroxysme, la foudre s’abattit sur les toits comme si elle souhaitait agir de concert avec la mer pour anéantir la ville. Le tonnerre se faisait l’écho des cris des gens qui se noyaient dans les rues, tandis que les vagues arrachaient les maisons de leurs fondations. Et tandis que la belle princesse s’enfonçait au sein de l’océan, les rubis à son cou étincelant dans les abysses ; que le roi luttait contre le courant à califourchon sur son cheval noir ; que le clocher de la ville s’effondrait dans un affreux tumulte, un foyer ardent s’alluma au fond de l’eau, à l’endroit exact où s’était tenu l’homme en rouge… En s’approchant de la porte, il pouvait entendre le fracas des vagues furieuses, contre les murs. De l’autre côté la tempête semblait battre son plein. Tatou « Ils ne voulaient rien de plus que l’harmonie et la paix, vous savez, continua-t-il. Mais votre père en a décidé autrement... » La princesse venait vers lui, encore sous le charme de son collier. « Mon père ? Que vient-il faire dans votre histoire ? — Il nous a chassés, poursuivis à travers les monts et Éphémère La nonchalance du dromadaire Qu’y a-t-il d’autre à faire ? Le seul roi ici, c’est le Désert. Il tient audience sous un dais de brûlante lumière. Hurlez-lui vos doléances, et Chergui se chargera de les emporter pour les étouffer où nul écho ne pourra plus en témoigner. Humblement, il faut se soumettre à sa volonté et se souvenir qu’il tolère notre traversée. Alors sous une tente montée dans la tourmente commence l’attente. Qu’y a-t-il d’autre à faire ? L’univers s’est renversé. Les dunes où l’on s’enfonçait hier se sont mises à léviter. Haboob s’est dressé et pétrit un nouveau paysage en secret. Les grains de pierre s’écoulent en légèreté dans les airs chahutés. Seul le thé verse encore vers la terre. En guise de clepsydre, une théière, et pour meilleur sablier, des feuilles de menthe qui sédimentent sur un erg sucré. Qu’y a-t-il d’autre à faire ? Le temps ne peut guère être dompté. Le sauvage Semoum fouette les tentures et le sable s’insinue dans l’abri malmené. Les chèches se resserrent sur des visages fermés, tandis que dehors, les bêtes affrontent les tourbillons de poussière. Seule la patience éparpille les heures pesantes. Quand s’élève la tempête, c’est la nonchalance du dromadaire qui guide le caravanier. Ys’tenn DISHARMONIES PAGE 5 Concours! Ce mois-ci, Disharmonies organise un concours de mots fléchés. Rendez-vous en page 22 pour tenter de découvrir le mot-mystère. Envoyez votre réponse à l’adresse [email protected] et vous gagnerez peut-être un objet collector Disharmonies ! La Rédac’ Camera Obscura Pendant ce temps, au Chili... 1 2 3 4 5 1. Container de Brest ! 2. Dans le port de Valparaiso 3. Palmiers dans le vent 4. Vaguement sale... 5. Après le déluge Am42one PAGE 6 Histoires extraordinaires Riders on the storm « Sophia, ce n’est pas possible ! Tu ne peux pas partir comme ça en croisière aux frais de la boîte, pour je ne sais quelle raison ! » Sophia éloigna le téléphone de son oreille pour se donner le temps de trouver quoi répondre à son supérieur, tout en préservant ses tympans. « Je me fiche que le meilleur écrivain de ces vingt dernières années soit sur ce bateau ! Si ça se trouve, il est déjà sous contrat chez des concurrents ! Je ne sais pas comment tu as réussi à me convaincre, mais je m’en rends compte maintenant, c’est n’importe quoi ! » Je t’ai convaincu parce que j’ai pu te parler les yeux dans les yeux… « Roland, enfin, si notre maison d’édition a le succès qu’elle a, tu sais que c’est grâce à moi. Je ne t’ai jamais fait faux bond, je ne vais pas commencer maintenant. » Pourquoi n’as-tu pas un téléphone avec vidéo, espèce d’arriéré ? Un regard, et tu serais en mon pouvoir. Et tu ne t’embarrasserais plus de ces questions... « Tu chasses une chimère, Sophia ! — Faux. Ce type ne sort jamais de chez lui, ne reçoit personne et ne répond même pas aux mails des maisons d’édition ; je le sais, les détectives privés sont très forts de nos jours. Mais j’ai lu toutes les œuvres qu’il a mises en ligne, et crois-moi, c’est un génie, il nous le faut ! Apparemment il a gagné une place pour cette croisière dans un paquet de céréales, c’est l’occasion parfaite pour l’approcher ! — Le jeu n’en vaut pas la chandelle, Sophia, alors écoute-moi bien, tu vas tout de suite… — KRKRKRKR, ah Roland, je t’entends mal, KRSTKRST, il doit y avoir une tempête, ça va coup... » Sophia raccrocha. Finalement, les appels audio ont aussi leurs avantages… Il n’y avait plus de temps à perdre. Vêtue de sa plus belle robe de soirée, Sophia se dirigea vers le pont, où un artiste comme Marc Saint serait forcément présent, admirant le coucher de soleil. Le pont était pratiquement désert, et Sophia comprit vite pourquoi : le ciel était déjà noir, de lourds nuages cachaient les derniers rayons du soleil, et le tonnerre grondait. Son dernier mensonge à Roland semblait avoir un fond de vérité. Une personne restait cependant appuyée au bastingage. C’était lui. Marc Saint. Il semblait hypnotisé par la tempête approchante. Une fois sa surprise passée, Sophia se dirigea vers lui, mais un matelot se dressa sur son chemin. « Désolé madame, mais vu les conditions météorologiques, tous les passagers doivent retourner à leurs cabines. » Si près du but ? Pas question. Sophia croisa le regard du marin avec un sourire. Aussitôt, son pouvoir se déploya, s’insinua dans les recoins de l’esprit du jeune homme pour manipuler le cours de ses pensées. « Je n’en ai que pour une minute. Et si vous tentez de me forcer à rentrer, je crierai à l’agression et vous finirez vos jours dans la misère. » Tout en parlant, Sophia déplaçait les embryons de répartie qui venaient à l’esprit de son interlocuteur, avec une précision de chirurgien. Le but était qu’à court terme après la manipulation mentale, le sujet ne trouve rien de trop étrange dans ses souvenirs de l’événement. Sophia pouvait aussi écraser un esprit plus violemment, à la hache plutôt qu’au scalpel ; heureusement, elle avait rarement besoin de le faire. Le marin s’éloigna, le regard vide, vaguement certain d’avoir accompli sa tâche. Sophia se retourna vers Marc Saint, et sursauta. Il ne prêtait plus attention à la tempête, mais à elle. Il avait observé sa conversation avec le marin. Sophia sourit, et garda son regard sur les yeux de la poule aux œufs d’or. Marc Saint était vêtu d’un costume bon marché, qui jurait affreusement avec le bandana vert fluo qu’il avait sur le front. Ses grands yeux la fixaient si intensément que Sophia eut un moment de pause. « Une charmante jeune femme en robe de soirée, un homme en costume, seuls sur le pont, un soir de croisière... » commença l’écrivain. Sophia le laissa continuer. « … C’est le décor parfait pour une intrigue amoureuse, non ? Alors, madame mystère, vous vouliez me voir pour l’amour, l’argent ou la vengeance ? Ou un peu des trois ? — Monsieur Saint, je m’appelle Sophia Bazo, je travaille aux Éditions Frost, et je viens... — … me faire une offre que je ne peux pas refuser ? » l’interrompit-il en ricanant. Sophia fronça les sourcils. Elle n’arrivait pas à prendre le contrôle de la conversation. Il était temps d’utiliser son pouvoir, et de modeler l’esprit de ce jeune impudent pour le rendre plus influençable. Un cyclone. Des idées volaient en tous sens, fragiles comme de l’eau, semblant ne s’appuyer sur rien, toujours remplacées par de nouvelles vagues, infinies, inarrêtables, impossibles... Sophia rompit le contact visuel, et tituba. Elle n’avait jamais visité un esprit aussi chaotique. Marc la rattrapa et l’emmena s’appuyer sur la rambarde. « C’est donc ça votre truc ? Vous pouvez hypnotiser les gens ? Non, c’est plus puissant, vous pouvez accéder à leurs pensées, c’est pour ça que je vous ai fait tant d’effet. Vous avez besoin d’un contact visuel, on dirait. Mais si la personne porte des lunettes ? Ou qu’elle a un œil fermé ? Ou bien si vous n’utilisez qu’un œil, est-ce que cela fonctionne toujours ? C’est passionnant. » Sophia reprenait son souffle, en fixant les vagues qui DISHARMONIES venaient s’écraser contre la coque. Elle n’étaient pas aussi rapides et violentes que les vagues de l’esprit de cet homme… « Vous êtes passionnante, Madame Sophia Bazo des Éditions Frost, répéta-t-il. Comment avez-vous eu ce don ? Vous êtes née avec ? Est-ce l’histoire d’une jeune fille qui a toujours su influencer sa famille et ses camarades, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que c’était plus que cela ? Avez-vous eu une expérience extra-sensorielle pendant un accident de la route ? Un rituel satanique peut-être ? Une malformation génétique ? Dites-moi si je suis chaud ou froid, Madame de Frost. » Sophia commençait à reprendre ses esprits, à défaut de ceux des autres. Marc parlait sans discontinuer, ses mains posées sur les épaules nues de Sophia. Elle interrompit sa logorrhée. « Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, Monsieur Saint, dit-elle sans le regarder. J’ai eu une simple baisse de tension, et je vous remercie… — PPPFFFRTTT », fit Marc avec sa bouche, sans lâcher Sophia. Elle n’avait jamais entendu un adulte faire un bruit aussi puéril. « Non, non, NON ! Vous voulez vraiment jouer au déni, Madame Sophia ? On perd un précieux temps d’intrigue, là ! Pourquoi vous niez, hum ? Vous avez peur qu’on sache que vous avez fait des choses pas jolies jolies avec ce don ? Peut-être que vous avez l’habitude de manipuler vos écrivains avec ? Ça vous plaît d’émasculer l’initiative des artistes, hum ? Vous voulez essayer avec moi ? » Sophia se tourna vers lui. Ses yeux brillaient d’une violence inhumaine. La pluie battante qui tombait sur le pont n’était rien comparée aux coups qui battaient derrière ces pupilles. « Vous pensez pouvoir me contrôler ? Vous pensez pouvoir nager au milieu d’un typhon ? J’ai bien envie de voir ça ! » En un instant, Marc l’avait saisie et lancée pardessus le bastingage. Un coup sourd à la poitrine, de peur, d’abord. Ensuite, la prise de conscience de la chute. Puis le choc avec l’eau, glacée, choc qui coupe le souffle. Battre des bras, soudaine panique. Remonter à la surface. Trouver la surface, prendre une bouffée de ce précieux air. Mais l’océan n’a pas de pitié, et gifle. La bouffée finit par de l’eau. On tousse, on crache, la panique augmente. Les mouvements à jamais inefficaces dans le chaos des vagues font perdre l’énergie de la vie. Enfin, une vague plus grosse ou plus vicieuse nous engouffre, on retient son souffle, dernier réflexe de survie. On n’y tient plus, la vision se brouille, la bouche s’ouvre, les poumons se remplissent d’eau… « … et c’est la mort, sombre et profonde. » conclut Marc, électrisé. Il retenait Sophia par la main, du bout du bras, à travers les barreaux de la rambarde, dix mètres audessus des vagues déchaînées. « Merci de la prévision, Monsieur Saint ! persifla Sophia. Et félicitations, pour une description improvisée, c’est de bonne qualité ! PAGE 7 — Vous voulez vivre, Madame Sophia ? Qu’est-ce que vous aimez, dans la vie ? Les belles robes de soirée ? Écraser des employés ? Écraser des employés en belle robe de soirée ? Qu’est-ce que vous voulez m’offrir ? Qu’est-ce que je ne peux pas refuser ? Je suis costaud, mais ma main pourrait glisser, donc vous n’avez pas le temps de me mentir. Alors répondez ! » Sophia regarda cet homme, et comprit enfin d’où lui venait ce génie. De cet esprit inarrêtable, vomissant des idées, tempête de méninges, n’ignorant rien et exprimant tout. Elle lui répondit. « J’avais lu les histoires d’un autre écrivain, des nouvelles fantastiques en ligne, certaines prometteuses. Mais un jour, il posta sa dernière histoire où il décrivit son suicide. Quand la police entra chez lui, il était introuvable. — Mystère ! Et maintenant, raccord au sujet de départ ! — J’aurais voulu lui parler, l’aider à s’améliorer, avant qu’il ne soit trop tard. Je suis une manipulatrice, mais… j’aime mon métier. Vous les écrivains, vous n’êtes rien sans nous, les éditeurs. Et l’inverse est vrai. Vous êtes un génie, Marc Saint, je n’ai pas besoin d’explorer votre esprit pour le savoir. Vous avez sans doute pensé à quinze idées d’histoire depuis le début de cette phrase. — Pas loin ! — Mais vous ne pouvez pas penser à tout. Vous finissez par vous répéter. Et vous êtes manifestement trop impulsif. Je peux vous aider avec ça, si vous me laissez faire. — Hum ! — Mais surtout, vous voulez en savoir plus sur moi. » Marc étira son visage en un sourire carnassier. Bonne réponse. Une heure plus tard, un serveur sonna à la cabine de Marc Saint. Sophia lui ouvrit, tout emmitouflée d’une couverture. Le serveur aperçut M. Saint qui écrivait furieusement sur son ordinateur portable. « Votre thé… madame. Désolé du retard, il y a eu… des retards », finit-il, piteusement. La jeune femme le regardait d’un air compréhensif. « Ce n’est pas grave, répondit-elle en lui prenant le plateau. Merci beaucoup. » Sophia remplit les deux tasses, en posa une à côté de Marc, et revint s’asseoir sur le lit avec la seconde. Marc arrêta d’écrire, et se leva comme un ressort. « Alors, alors, que se passe-t-il ? Des retards, dit comme ça, ça cache quelque chose. Qu’avez-vous lu dans son esprit, Madame Bazo ? » Sophia soupira. À quoi bon essayer de lui cacher ? « Le capitaine a été retrouvé mort, dans un bain de sang, dans une pièce fermée de l’intérieur. » Marc trépigna de joie et d’impatience. Sophia leva les yeux au ciel. Ne le dis pas, s’il te plaît… Mais il s’écria : « Suite au prochain épisode ! » Brandolph PAGE 8 Virées parisiennes Le silence et la tempête Dans l’imaginaire torturé de Henry Darger (1892–1973), le coup de vent est un motif aussi récurrent que les batailles épiques et les violences infligées aux enfants. Si c’est le versant pictural de l’œuvre de cette figure consacrée de l’art brut que le Mam (Musée d’art moderne) présente jusqu’au 11 octobre 2015, l’Américain fut avant tout un écrivain prolifique et secret. Les quarante-cinq fresques accrochées ces jours-ci à Paris sont extraites d’un corpus de trois cents compositions graphiques exécuté par Darger pour accompagner son grand’ œuvre romanesque, un conte cruel interminablement intitulé The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the GlandecoAngelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion. S’étirant sur plus de quinze mille pages, cette immense chronique narre avec une obstination étonnante les épreuves rencontrées par un peuple de fillettes constamment soumises aux cruelles exactions d’adultes sadiques et aux catastrophes naturelles. La dernière salle de l’exposition concentre ainsi une série de grandes aquarelles saisissantes où le corps enfantin est déformé par les assauts successifs du feu, du fer et des bourrasques. Ponctuant à plusieurs reprises The Story of the Vivian Girls, le surgissement de « tempêtes menaçantes » se retrouve dans les autres écrits de Darger. Celui qui vécut une existence solitaire et monotone – il travailla toute sa vie comme concierge dans un hôpital et résida pendant quarante-trois ans dans la même chambrette – a composé une autobiographie. Comme tous ses carnets narratifs, elle est non publiée et impubliable en l’état : est-elle même lisible dans son intégralité ? Les spécialistes de l’outsider art chargés de la conservation de l’œuvre de Darger confessent volontiers ne pas s’être attelés à cette tâche titanesque. La publication l’année dernière d’une première adaptation française de L’Histoire de ma vie aux Forges de Vulcain s’est faite au prix d’un élagage drastique : l’éditeur a choisi de ne traduire que les passages relatifs à la jeunesse de l’auteur. Or, les souvenirs d’enfance et d’adolescence de Darger n’occupent pas le vingtième des cinq mille pages manuscrites conservées à l’American Folk Art Museum de NewYork ! Dans History of my Life, le récit de soi s’efface rapidement et le fantastique reprend ses droits quand commence à souffler « Sweetie Pie », une terrible tornade ravageant des orphelinats. Durablement impressionné à seize ans par le spectacle d’un ouragan, Darger s’est en outre astreint à garder trace entre 1957 et 1967 des variations météorologiques de sa ville de Chicago. En plus de notations atmosphériques, les entrées quotidiennes de ce journal sont surtout l’occasion pour le diariste de déplorer l’inexactitude et l’incompétence du météorologue, ce qui transfigure le weatherman en un sorcier menaçant et fait du Book of Weather Reports la dernière pièce d’une ensemble écrit hors-norme, difficilement exploitable en tant que telle et impossible à transformer en « produit culturel ». Ses livres-monstres n’expliquent donc pas le succès posthume que rencontre aujourd’hui Henry Darger et qui dépasse largement le cercle des amateurs d’art naïf. Résolus à faire connaître la production de leur locataire qui créa toute sa vie en silence, le couple Lerner a surtout mis en avant l’iconographie développée en marge de la saga des Vivians Girls. Il se dégage des larges fresques de Darger, tout aussi idiosyncrasiques et répétitives que ses récits, peuplées de nymphettes hermaphrodites et de héros de comics, une force directe et immédiate. Les choix scénographiques retenus par les commissaires du Mam accentuent encore cette distinction entre œuvre écrite et œuvre graphique. Encadrées et exposées comme des tableaux, destinées à rester séparées des carnets qu’elles illustrent, les images de Darger s’autonomisent de leur substrat narratif. Pour le visiteur non initié, leur auteur apparaît davantage comme une gloire jusqu’ici inconnue du pop art que comme un héritier du visionnaire William Blake, à la fois graveur et poète. The Story of the Vivian Girls est certes évoquée tout au long de l’exposition mais en l’absence des dix volumes originaux, le texte perd son statut de matrice créative : il est seulement convoqué comme élément de contexte et DISHARMONIES cité brièvement et marginalement, en épigraphe ou en légende. Il serait pourtant excessif de voir dans cette transformation du texte en paratexte plus que le résultat de contraintes muséographiques, d’autant plus que l’œuvre placée au seuil de l’exposition ménage un précieux point d’entrée dans l’œuvre de Darger et justifie à elle seule le déplacement. The Battle of Calverhine est doublement remarquable dans l’œuvre de Darger. Il s’agit de sa première fresque et c’est par cet ouvrage qu’il se fait artiste. Correspondant à l’épisode inaugural de la geste des Vivian Girls, elle représente l’irruption de la guerre dans un monde autrefois idyllique. Les nuages omniprésents attestent que pour Darger le dérèglement climatique est le parfait synonyme de la tourmente et de la désorganisation PAGE 9 morales. Cette œuvre liminaire se signale également par son aspect plastique. Alors que les autres peintures et collages de Darger se caractérisent par leur trait candide et leur transparence, The Battle of Calverhine impressionne d’abord par son épaisseur et sa complexité baroque. Le relief et la teinte soutenue de cette concrétion de centaines de papiers découpés sont encore accentués par la couche de vernis qui recouvre ce désordre d’images. Une attentive et longue contemplation permet de distinguer les masses composant cette vision apocalyptique mais elle ne perce pas le mystère de l’œuvre de Henry Darger : comment le vide, le calme et la vie muette ont-elles pu engendrer une si grande tempête ? Henry Darger, exposition à voir au Musée d’art moderne de la Ville de Paris jusqu’au 11 octobre 2015. 11 avenue du Président Wilson (XVIe). Tous les jours de 10 h à 18 h sauf le lundi, nocturne jusqu’à 22 h le jeudi (5 € / 3 € 50) L’Histoire de ma vie de Henry Darger (144 pages), adapté de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel aux éditions aux Forges de Vulcain (19 €) L. Airaines Historiquement vôtre Enquête naturaliste et rhétorique : le discours sur la tempête à Rome Le De natura rerum de Lucrèce, les Questions naturelles de Sénèque et l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien ont en commun de donner au lecteur des explications à certains phénomènes naturels. Ce sont souvent les mêmes qui suscitent l’étonnement et justifient ainsi quelques paragraphes : catastrophes naturelles, éclipses, comètes, vents, pluie, nuages, tempêtes, tourbillons, etc. Le but poursuivi par les trois hommes, à une centaine d’années près contemporains, est toutefois fort différent. Lucrèce et Sénèque écrivent en philosophes, aussi, lorsque le premier, épicurien, affirme sunt tempestates et fulmina clara canenda (VI, 84), « je dois chanter les tempêtes et les faisceaux des éclairs », le dessein est nettement présenté, car il s’agit de dissiper l’effroi qui s’empare des hommes face à ces assauts de la nature, par l’explication physique (reposant sur l’atomisme). Par là, les hommes cesseront, ce qu’ils font en général, de voir en la volonté des dieux la cause première et arbitraire de ces maux, et donc, credo épicurien s’il en est, se libéreront de leur crainte : quae nisi respuis ex animo longeque remittis dis indigna putare alienaque pacis eorum (VI, 68-69), « si tu ne rejettes pas ces idées loin de ton esprit et persistes à croire les dieux capables de choses indignes et étrangères à leur paix »… quels malheurs ne te seront épargnés ! L’exposé sera donc dogmatique. Si, de même, Sénèque le Stoïcien cherche la quiétude d’âme par la compréhension rationnelle du monde, il se fait volontiers plus moralisateur. Le dernier livre des Questions naturelles s’achève sur une péroraison fort pessimiste, mais qui est aussi une topique de la littérature antique : l’amollissement de la race — par la recherche du luxe et des plaisirs, par l’introduction de pratiques jugées trop peu viriles, notamment auprès des jeunes gens —, la perversion du mos majorum, la perte des savoirs par la disparition des écoles philosophiques, etc. Dans ce contexte, ad sapientiam quis accedit ? (VII, 32, 1), « qui s’occupe de science ? » dira l’homme qui déplore la disparition de l’école de Pythagore, qui n’a plus de chef. Si d’ordinaire la vérité ne se laisse pas aisément découvrir et que chaque époque fait des découvertes qu’ignorait la précédente, rendant vaine toute tentative d’un savoir exhaustif et définitif, si tous les efforts conjugués des pères et des fils ne suffisaient point, que dire en un temps où philosophiae nulla cura est, personne n’a cure de philosophie, et où, par conséquent, [veritatem] in summa terra et leui manu quaerimus (VII, 32, 34), « nous cherchons la vérité en remuant à peine de la main la surface du sol » ? On peut lire cette phrase par laquelle s’achève le traité stoïcien comme une exhortation aux générations futures, et, donc, la quête d’une explication aux choses de la nature comme l’ultime acte de résistance du savant esseulé, qui, rappelons-le, écrit après sa disgrâce en 62. Pline est naturellement plus austère. Il n’est qu’un compilateur, un encyclopédiste qui, sobrement, attribue le typhon (typon) à quelque souffle naissant dans la terre et pouvant provoquer (ut aliquis placere ostendimus, « selon l’opinion de certains que nous avons rapportée »), selon qu’il arrache ou non une nubes gelidia, une nuée glacée, des éclairs, ou bien l’ouragan. De manière très caractéristique de son esprit d’homme pratique, Pline glisse une petite remarque : le vinaigre, dont la nature est très P A G E 10 froide, est le seul remède qu’ont les marins pour se protéger des ardeurs du cyclone (II, 49). La suite de l’exposé (II, 50) est consacrée aux variantes que sont le turben, le tourbillon, et le prester, version ignée du premier. La distinction se fait selon la façon dont le souffle issu de la terre atteint la nuée, s’il la transperce ou l’effleure, quelle distance il parcourt avant de retomber au sol, etc., tant de mouvements qui ne peuvent être figurés qu’avec une grande force d’imagination et correspondent, peu ou prou, aux explications courantes des philosophes. Pline, un peu plus loin (II, 86), mentionne aussi certaines tempêtes qui sont dues à un tremblement de terre sousmarin, il parle d’inundationes maris, ce qu’on peut presque mot-à-mot traduire par raz-demarée. Et de dresser ensuite une liste de tremblements de terre célèbres et des ravages qu’ils ont provoqués. Par où l’on voit que Pline n’aborde pas la question des phénomènes naturels de concert avec quelque position philosophique, il s’agit bien plutôt de faire un condensé, une sorte de breviarium de ce qu’on sait à ce sujet (qu’on se place sur un plan physique, historique, ou, même, qu’on adopte le point de vue du marin qui voudrait une astuce pour se protéger contre la tempête, comme Pline en donne tant, contre toutes sortes de fléaux, par exemple, au moment d’aborder, au livre XXII, les herbes médicinales). Il y a là une curiosité gratuite, mais c’est avec la même, ni plus aiguë, ni plus émoussée, qu’il parlera, plus loin, des éléphants, de la clématite, du charbon, ou de l’aspic. Il serait fastidieux, et peut-être aussi sans grand intérêt de détailler, chez Lucrèce ou chez Sénèque, ce qui passe pour être la cause des orages ou des tempêtes. Fastidieux car, outre les prémisses théoriques sur l’atomisme qu’il faudrait maîtriser pour lire fructueusement le premier, il faudrait de toute façon se débattre avec des souffles ardents qui rencontrent des torrents aqueux, la victoire des seconds n’étant assurée que s’ils adoptent telle disposition particulière, etc. Ce serait par ailleurs sans grand intérêt s’il s’agissait d’établir sur quels points, à l’aune de nos connaissances modernes, les philosophes ont eu raison : car, comme l’essentiel du discours n’est que spéculation abstraite, reposant sur des constatations empiriques très primaires, toute exactitude est nécessairement accidentelle. Cela met en lumière cet aspect fort étonnant, non seulement des traités antiques, mais aussi des manuscrits médiévaux — donner toujours la pri- mauté aux dissertations de l’esprit, à la rationalité discursive, sur l’expérience empirique, sur la simple adhésion au vrai que nous livrent les sens. Une autre illustration de ce trait est donnée par le rôle du témoin lors du procès à Rome, au temps de Cicéron. Censé apporter aux juges, de même que telle table astronomique au savant, le strict récit du fait, en toute neutralité, le témoin est toujours passé sous silence par les sources, qui valorisent et (comme la Rhétorique à Hernenius, traité oratoire anonyme) placent en premier dans la hiérarchie des preuves, devant l’évidence rapportée par le témoin, le discours, l’argumentation intrinsèque de l’orateur, dûtelle reposer sur des suppositions, sur des questions purement théoriques. Il faut dire que celle-ci laisse libre cours à l’imagination : à se borner seulement à l’expérience immédiate, Démocrite aurait-il donné naissance à un atomisme aussi génial qu’invisible et impossible à sentir, et ses successeurs (qui, comme Sénèque, respectent dans leur exposé les canons du discours rhétorico-judiciaire) nous auraient-ils livré des traités de météorologie aussi séduisants ? Florimont Playlist Contenu: La Rédac’ Dessin: Ys’tenn DISHARMONIES P A G E 11 Les aventures du Capitaine Kidd P A G E 12 DISHARMONIES P A G E 13 P A G E 14 Regards, cris , tics (1) La Horde du Contrevent Un univers large et puissant, lointain et proche à la fois, dont les paysages défient notre imagination. Une horde de 23 membres, timides, impulsifs, joyeux ou imposants, qui vivent chacun son tour en nous, et dont le but est d’atteindre « l’Extrême-Amont ». Tel est le panorama de La Horde du Contrevent… très simplifié. On pourrait soutenir que la Horde est un personnage à elle seule, aux multiples facettes. L’ExtrêmeAmont, que tous souhaitent, ce but tant attendu, semble parfois bien moins important que le trajet réalisé pour y parvenir. Ce trajet est conté avec délicatesse, fantaisie, merveilleux et originalité par Alain Damasio. Il nous y emmène comme dans un tourbillon, que nous vivons du point de vue de chaque membre de la Horde, successivement. Une lecture qui n’a rien d’une errance entre des pensées décousues. Les styles uniques de chaque personnage nous permettent de voir le monde qui les entoure et leur trajet avec bien plus de relief. L’un s’exprime par courtes phrases-choc, l’autre en discours soignés correspondant à son rang de Prince ; l’un est toujours farceur dans ses dires, l’autre à la recherche de la vérité… mais tous sont membres de la Horde, unis à travers elle depuis leur plus jeune âge. Leur but est l’Extrême-Amont, considéré comme la source des vents qui soufflent sans fin sur leur univers. Ces vents adoptent différentes formes, au nombre de neuf, qui diffèrent par leur intensité, leur structure. Elles sont la zéfirine, le slamino, la stèche, le choon, le crivetz et le furvent… pour les six premiers. La découverte des trois dernières formes du vent est une des missions de la Horde. Les six premières formes sont courantes, et le furvent est rencontré par la Horde avant la période couverte par le roman. Ces formes de vent peuplent son trajet, cet entre-deux entre leur départ de l’Aval et leur but, l’Extrême-Amont. Régulièrement rencontrées, elles sont codifiées par le scribe, qui dispose d’un langage lui permettant de les noter. En utilisant les signes de ponctuation, Alain Damasio invente ce langage, où l’accent grave note une bourrasque, la virgule une décélé- ration… leur combinaison permet la description des formes de vent, de leurs structures. Si le scribe, nommé Sov, est responsable de cette importante mission de recensement des vents, chaque autre membre de la Horde possède un talent nécessaire au groupe : le traceur, Golgoth, est celui qui donne la Trace (le chemin que suivra la Horde) ; le Prince, Pietro, joue le rôle de représentant officiel lors des rencontres ; le pilier Firost est un élément porteur du groupe ; Steppe, le fleuron, connaît tous les milieux où les mène leur Trace et leurs ressources ; Oroshi, l’aéromaître, sait analyser les vents, leurs avantages et leurs dangers ; la feuleuse, Callirhoé, est indispensable pour allumer les feux auprès desquels se reposer ; Coriolis, Sveziest et Barbak sont les crocs, qui portent les possessions de la Horde. En font aussi partie le troubadour Caracole, le combattant-protecteur Erg, le géomaître Talweg, les oiseliers-chasseurs Darbon et Trouse, l’éclaireur Arval, les ailiers (frères) Horst et Karst, la soigneuse Alme, la cueilleusesourcière Aoi, le braconnier du ciel Larco, l’artisan du métal Léarch et l’artisan du bois Boscavo, dont les rôles sont plus facilement reconnaissables. Tous les talents nécessaires à la route sont rassemblés en ces membres, formés dès leur plus jeune âge pour cette Trace, pour certains fils ou filles des membres des précédentes Hordes. Car la Horde dont il est question est la 34e Horde du Contrevent. Auparavant, 33 hordes se sont déjà succédé afin de tenter d’atteindre l’Extrême-Amont, chacune allant un peu plus loin que la précédente, perdant plus ou moins de ses membres au passage, déclarant forfait après trop de pertes ou déclarée perdue après qu’on n’en avait plus eu de nouvelles. Chaque nouvelle horde bénéficie, partiellement, des connaissances acquises précédemment grâce aux Carnets de Contre qui ont pu être retrouvés : rédigés par les scribes, ils sont des carnets de bord des trajets. En comparant son avancée à celles des hordes précédentes, la 34ème Horde constate qu’elle est plus rapide… et peut-être certains de ses membres arriveront au bout, et sauront ce qu’est l’Extrême-Amont. Le trajet est à l’échelle d’une vie, chaque membre de la Horde lui étant entièrement dévoué, depuis sa formation pendant son enfance, le départ d’Aval au tout début de leur adolescence, jusqu’à leur mort sur le trajet si ce n’est la découverte de l’Extrême-Amont. La 34ème Horde semble ainsi bien partie pour sa mission. Les premiers temps de la lecture nous montrent ce système des hordes, leur but à toutes, la structure toujours identique des hordes, qui est aussi notée par Damasio sous forme de signes de ponctuations. Notre esprit est au début plein de cet Extrême-Amont. Petit à petit cependant, nous prenons de plus en plus plaisir dans le trajet même, source de multiples aventures, découvertes, rencontres. Les divers lieux traversés, les diverses personnes rencontrées, ont chacun une résonnance particulière selon le ou les personnage(s) que la narration rend porte-parole pour leur description. Ainsi, plus que d’une quête, il s’agit d’un chemin que nous raconte ici Damasio. Le plaisir que nous trouvons au livre réside dans notre immersion dans le mouvement, si important dans ce monde où le vent toujours actif domine, tellement important qu’il peut se retrouver au sein même des personnages, les modifiant et leur donnant des capacités particulières… L’écriture de Damasio, exigeante, sert l’histoire avec brio. Chaque personnage est individualisé : par son style, par un signe de ponctuation (ou une association de signes) qui le définit dans sa fonction. Par exemple, le Prince est symbolisé par un π, dont la barre fait l’effet d’une couronne. Cette écriture nous happe dès le début, et sortir de cette quête avant sa fin est difficile. Le roman demande un engagement intense, afin de suivre dans leur trajet les membres de cette Horde du Contrevent. Mademoiselle DISHARMONIES P A G E 15 Echoes of science El Niño, un phénomène enfantin Décembre 1997. Une tempête ravage la Floride, avec des vents à plus de 400 km/h. Le même hiver, le Kenya, l’Équateur et le Nord du Pérou connaissent des chutes d’eau exceptionnelles, alors que la Guyane, l’Indonésie et la Papouasie Nouvelle-Guinée sont touchées par une sécheresse record (et la Bretagne connaît des avalanches de crêpes). Un unique phénomène climatique explique une grande partie de ces observations : El Niño. En 1997-1998, ses conséquences sont dramatiques : 24 000 personnes ont trouvé la mort dans ces intempéries, 6 millions d’autres ont été déplacées, et le coût matériel s’élève à plus de 35 milliards de dollars. Mais, qu’est-ce exactement que cet El Niño ? Il s’agit d’un phénomène océanique périodique (tous les 2 à 7 ans), qui secoue le Pacifique équatorial, l’effet maximal se situant aux alentours de Noël d’où le nom, donné par les pêcheurs péruviens, El Niño, "l’enfant" en espagnol, qui désigne ici l’enfant Jésus. 2015/16 pourrait être, comme 1982/83 et 1997/98, une année de fort El Niño. Pendant les années ordinaires, les pressions sont basses dans le Pacifique Ouest (Indonésie, Australie) et hautes dans le Pacifique Est (Pérou). Les alizés poussent les eaux chaudes de surface vers l’ouest. Cela engendre des pluies abondantes sur le Pacifique Ouest. Dans le Pacifique Est, un phénomène d’upwelling, c’est-àdire de remontée des eaux froides riches en nutriments, favorise la présence de bancs de poissons. Pendant les années El Niño, la différence de pression entre l’Est et l’Ouest du Pacifique diminue et les alizés faiblissent, ce qui provoque une inversion des vents à l’Ouest ; dès lors, les eaux chaudes de l’Indonésie et de l’Australie, tel un iceberg, dérivent vers l’Amérique du Sud, y bloquant la remontée d’eau froide. Par conséquent, on observe de fortes pluies sur la côte ouest de l’Amérique du Sud, et un déficit pluviométrique dans le Pacifique Ouest. Un autre phénomène de même type, La Niña, a des causes et des conséquences à peu près opposées à celles d’El Niño : il se produit lorsqu’au contraire, les alizés se renforcent et une masse d’eau froide plus importante que d’habitude remonte près du Pérou. Pour prévoir de tels événements climatiques aux conséquences parfois désastreuses (certains y voient même une raison de l’extinction de certaines civilisations précolombiennes !), plusieurs indicateurs sont utilisés. Par exemple, l’altimétrie, réalisée à partir du satellite TOPEX/ Poseidon et ses successeurs avec une précision de l’ordre du cm, Situation normale dans le Pacifique Sud Les effets d’El Niño en Bretagne consiste à mesurer le niveau de la mer, fortement influencé par les déplacements d’importantes masses d’eau froide ou chaude. Cela a permis de prévoir en 1997 l’El Niño qui se préparait. Par ailleurs, des centaines de mouillages, ancrés à 4000 mètres de fond, mesurent aussi en permanence la température, les courants et la salinité en différents points du Pacifique, pour déceler les prémices d’El Niño futurs! Enfin, le carottage de coraux tropicaux, qui s’enrichissent chaque année d’une nouvelle bande de croissance dont la couleur, la taille et les rapports isotopiques 18O/16O et 13C/12C dépendent de la température de l’eau au moment de la formation, permet aussi de partir sur les traces des El Niño du passé ! Le Mathador Crédits images: BD: Philippe Luguy Schémas: Météo France Situation El Niño dans le Pacifique Sud P A G E 16 Des jeux et des hommes Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente... brouillant son ATH2 à chaque éclair. Dans l’histoire du jeu vidéo, on a très tôt cherché à inclure des composantes liées aux éléments naturels, pour plus de réalisme : l’action des jeux vidéo pouvant se dérouler sur plusieurs jours voire semaines, l’absence de changements dans la météo nuit à l’immersion. Dans un premier temps, la météo est apparue à l’arrièreplan : dans les premiers jeux de plates-formes comme Mario, les nuages étaient comme accrochés au ciel. Leur imposer une vitesse, même uniforme, crée un décor plus réaliste. Puis la météo s’est invitée dans toute la profondeur du jeu, pour finalement permettre de créer les jeux en openworld modernes, tels Grand Theft Auto ou Skyrim, où indépendamment de l’aventure ou des actions du héros, le ciel peut être uniformément bleu ou déchiré par un orage. Les éléments sont parfois utiles pour guider le joueur. Une tempête qui fait rage est un bon moyen de maintenir le joueur à l’intérieur d’un bâtiment jusqu’à ce qu’il ait ramassé un objet critique à la suite de l’aventure. La tempête s’arrête alors comme par magie, et l’histoire peut continuer. Ce procédé a été utilisé dans de multiples jeux, souvent aux dépens du réalisme. Pour cette raison, généralement, les scénaristes se sont efforcés de créer un lien de cause à effet entre l’action à accomplir, et la fin de la tempête¹. Par exemple, dans l’un des volets de Tales of Monkey Island, le héros est bloqué sur une île par des vents contraires (apparemment sans rapport avec sa quête), et ses pérégrinations requièrent qu’il comprenne la cause de ces vents. Pour plus de réalisme, la météo interfère alors également avec le gameplay. Ainsi, conduire une voiture sous une pluie battante invite à davantage de prudence : le rendu graphique de la pluie réduit naturellement le champ de vision du joueur, et pour plus de réalisme, le moteur physique du jeu tient généralement compte des conditions météo en vigueur pour estimer, par exemple, l’adhérence de la chaussée. Ceci est poussé à l’extrême pour des jeux de simulation, visant à recréer la réalité de manière aussi crédible que possible. Le niveau de réalisme atteint par les simulateurs de vol permet aujourd’hui aux pilotes d’effectuer une partie de leur formation au sol, et de se familiariser en toute sécurité à des conditions difficiles ou des manœuvres dangereuses. Dans des jeux plus linéaires, les conditions météo ne sont généralement pas aléatoires, mais dépendent du niveau où se trouve le joueur. Cela permet parfois au jeu de dépendre de ces conditions pour créer une spécificité du niveau : un jeu d’action/infiltration pourra ainsi demander au joueur d’utiliser le tonnerre pour dissimuler ses coups de feu, ou au contraire handicaper le joueur en Poussé à l’extrême, ce mécanisme peut même fournir le scénario d’un jeu entier: dans le dernier opus de la saga Tomb Raider, l’héroïne ainsi que plusieurs compagnons d’infortune se retrouvent naufragés sur une île au large du Japon, suite à une très violente tempête. En cherchant à appeler de l’aide, ils découvrent des siècles d’épaves, et réalisent qu’ils sont piégés sur l’île, cloués au sol par des conditions météo surnaturelles. héros joue cette fois le rôle de maître des vents, et non de victime. Une flûte magique lui permet en effet de contrôler les vents, pour se déplacer en bateau à voile d’île en île, ou, à terre, pour interagir à distance avec son environnement. Tous les vents ne sont pas contraires! Tibo 1. ATH = Affichage Tête Haute (ou parfois HUD pour Heads-Up Display), c’est-à-dire l’ensemble des indicateurs qui informent le joueur de son statut en temps réel (santé, munitions, vitesse…) Pour des jeux se déroulant dans un univers moderne ou futuriste, ceci est généralement assimilé à un appareil électronique projetant ces informations sur la visière du héros. De tels dispositifs existent réellement et sont utilisés par exemple par l’armée (projection d’informations tactiques dans la visière d’un casque) ou l’industrie automobile (projection du compteur de vitesse, des indications de navigation… sur le pare-brise, dans les coins du champ de vision du conducteur). 2. Puisque la science d’aujourd’hui n’est pas en mesure de contrôler la météo, cette astuce scénaristique est réservée à des jeux ayant une composante futuriste ou fantastique. Pour conclure, citons un autre exemple de jeu où les vents et marées occupent un rôle central : dans Zelda : The Wind Waker, le Image promotionnelle de Tomb Raider (2013) DISHARMONIES P A G E 17 Biographia literaria « Moi qui avais toujours pensé que la tempête de neige ne hurlait que dans les romans… » Imaginez que, tout récemment diplômé de médecine, vous soyez maronné dans un hôpital isolé au fin fond de la campagne, à plusieurs bornes de la ville la plus proche. Les paysans qui vous entourent sont ignares, et il leur arrive toutes sortes de malheurs pour lesquels ils viennent vous consulter, car, médecin-chef, vous êtes le seul maître à bord. Vous pensez gouverner un îlot de science et de lumière au milieu d’une mer d’inculture et d’obscurantisme. Votre équipage se compose d’une sage-femme, de deux infirmières et d’un « feldscher », dont les compétences se situent entre celles du dentiste et du médecin. À vous de conduire votre barque sans chavirer et, bien sûr, sans perdre la boule. Un double écueil supplémentaire : vous êtes en Russie, et c’est la Première Guerre mondiale. Voilà le point de départ des Carnets d’un jeune médecin, un ensemble de sept nouvelles qui a été inspiré à Mikhaïl Boulgakov par sa propre expérience en tant que médecin pour un hôpital isolé entre 1916 et 1917 dans le petit village de Nikolskoïe. Écrits à la première personne, ces Carnets sont, en même temps qu’un témoignage sur les conditions d’exercice de la médecine dans les conditions énumérées cidessus, des récits souvent cocasses, plein de drôlerie et minutieusement construits. Le jeune narrateur (dont l’identité est inconnue, et que l’on est tenté d’assimiler à l’auteur) se trouve balloté, impuissant, d’une situation désastreuse à l’autre, tout surpris de s’en sortir sans grand dol, avant bien sûr que n’arrive la prochaine vague. On pourrait même parler, pour qualifier sa situation, de tempêtes à répétitions. Jugez plutôt. La première tourmente est d’ordre psychologique. La désorientation du jeune homme, à se voir débarqué dans un coin perdu, lui dont le regret amer de Moscou perce de temps à autre, est particulièrement vive, comme il se doit, dans le premier récit. Il mettra un assez long moment avant d’établir ses repères – assez long moment dont les nouvelles, étendues sur un an, se font l’écho. À cette désorientation bien compréhensible s’ajoute un autre tourment : l’inquiétude sur ses propres capacités, et la hantise de ne pas se trouver à la hauteur de sa tâche. Il n’est pas rare qu’une petite voix malicieuse au fond de son cerveau prenne soudain corps et lui demande avec autorité de rendre des comptes sur ses diplômes de médecine ; ou que le médecin dont il a repris le poste lui parle dans son imagination pour lui donner les conseils qu’il implore avec tant de ferveur. Ses doutes prennent corps et engagent avec lui des dialogues souvent savoureux. Tourmente… des évènements, aussi. Notre jeune homme se fait des cheveux blancs sur le cas d’une hernie dont le traitement lui échappe totalement, et s’il peut se réjouir d’éviter de croiser ce cas en consultation, c’est seulement pour tomber de Charybde en Scylla. Au choix : une petite fille ne peut être sauvée qu’à condition qu’on lui ampute la jambe, une série d’accouchements difficiles le prennent de court et le jettent dans des réminiscences angoissées de ses cours à l’université. Le pire est que le docteur, malgré son âge, doit se montrer confiant et sûr de lui, même si son état d’esprit est sous de tout autres latitudes. Qu’importe : il prend la situation à bras-le-corps, advienne que pourra. Parfois, il connaît le triomphe de sortir vainqueur de la lutte avec les éléments. D’autres fois, non – et ce sont de nouveau des certitudes, des conquêtes, qui sont remises en question. Ce va-et-vient de victoires et de défaites donne aussi son rythme à la ronde des nouvelles (dont la position chronologique n’est d’ailleurs pas si assurée). On peut y ajouter, naturellement, la tempête, bien réelle celle-là, qui fait souvent rage au-dehors. Elle donne même, en une occasion, son titre à l’une des nouvelles (« Tempête de neige ») ; mais elle n’est, finalement, qu’une reproduction bien tan- gible de ce qui agite notre narrateur en permanence. Tout est tempête dans cette existence chaotique, mouvementée, où la vie humaine ne tient parfois qu’à un fil et où un jeune homme bardé de diplômes mesure la toute relative puissance de la médecine. La tempête de neige redouble évidemment cette insécurité, en favorisant, chez celui qui en est prisonnier, les visions les plus cauchemardesques : terreur de voir les loups venir, aperçu d’un entrefilet de journal relatant sa mort. Le dernier mouvement – toujours à la fin – est paradoxalement donné au sommeil, à l’apaisement, à la nuit : là viennent sombrer tous les souvenirs, les expériences les plus éprouvantes, les efforts récompensés ou non, jusqu’à ce que, bien sûr, le prochain malade vienne frapper à la porte et qu’il faille tout recommencer. On l’aura compris, le motif de la tempête, du chaos, du mouvant, de l’incertain, est central dans ces nouvelles qu’on aura – je l’espère – plaisir à lire, tant par leur humour décalé que par leur réalisme, toujours exact et simple, jamais cru. On repérera aussi de discrets petits motifs poétiques, qui font de cette vision inattendue de la Russie présoviétique une fort agréable balade (malgré les cahotements en tous genres – on vous aura prévenu !) Pour finir, signalons une savoureuse adaptation en série TV, A Young Doctor’s Notebook, assez fidèle à l’esprit des récits de Boulgakov, bien qu’y soient inclus des matériaux provenant de ses autres œuvres. On y verra Jon Hamm et Daniel Radcliffe en grande forme, incarnant respectivement le médecin plus âgé se souvenant de son expérience passée, et le médecin plus jeune aux prises avec cette même expérience pour le moins tempétueuse. Leur interaction est souvent très drôle et reproduit bien les tourmentes intérieures du narrateur de Boulgakov. Tâchez quand même d’avoir le cœur bien accroché… Fantômas P A G E 18 Regards, cris, tics (2) The Gentle Storm The Diary (2015) : Sorti au printemps 2015, The Diary (Le Journal intime) est le premier album de The Gentle Storm (la Douce Tempête), un projet musical réunissant deux musiciens néerlandais : le compositeur et chanteur Arjen Lucassen, qui en a composé la musique, et la chanteuse Anneke van Giersbergen, qui en a écrit les paroles. L’album imagine le journal intime de l’épouse d’un marin parti à bord d’un navire de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Pour qui connaît un peu les deux créateurs, un pareil projet peut paraître étonnant. C’est qu’Arjen Lucassen est surtout un habitué des univers musicaux de sciencefiction, principalement connu pour son projet de metal progressif Ayreon, qui mêle voyages dans le temps, inquiétude écologique et interrogations sur les fauxsemblants de la technologie (1). Anneke van Giersbergen, de son côté, a donné dans le death metal et le rock atmosphérique avec The Gathering et se trouve actuellement à la tête de son propre groupe. Lucassen et Van Giersbergen sont de vieux compagnons de travail, puisqu’Anneke avait déjà participé à plusieurs albums d’Ayreon (avant cet album, je connaissais surtout Anneke van Giesbergen en tant que voix de l’Égyptienne dans Into the Electric Castle, avec la belle chanson « Valley of the Queens », par exemple). Et les voilà lancés dans un projet qui relève purement de l’historique, au point d’avoir consulté un historien pour s’assurer de la pertinence des détails de leur création commune. L’album a pour premier atout cette originalité, qui lui permet de se démarquer des précédents projets des deux musiciens. Les derniers albums de Lucassen, en particulier (des projets comme Guilt Machine ou l’album solo Lost in the New Real) peinaient à ne pas avoir l’air de pâles reprises d’Ayreon. The Diary, en re- vanche, affiche dès la pochette un univers visuel tout différent à base de boussoles, de cartes géographiques et de tableaux de marines hollandais (étrangement, malgré l’absence de la plupart des marqueurs du genre, j’ai eu le sentiment qu’un pareil habillage pourrait ne pas déplaire non plus aux amateurs de steampunk). Comme dans le cas des albums d’Ayreon, le livret fourni avec le CD est soigné, puisqu’il fournit non seulement les paroles complètes de toutes les chansons mais aussi le texte du journal intime en question et tous les détails de l’histoire. Voilà le genre de parti pris de qualité qui, à mes yeux, fait davantage pour sauver les ventes de CD « physiques » que toutes les mesures antipiratage du monde. Hormis ce beau plumage, qu’en est-il du ramage ? The Diary reprend le principe du double album courant dans les autres projets musicaux de Lucassen. Les deux CD proposent les mêmes chansons arrangées différemment, l’un proposant une version gentle (douce) et l’autre une version storm (tempétueuse). L’écoute révèle que ce parti pris n’a rien de paresseux : ce sont bel et bien deux climats musicaux très distincts et (à mes oreilles) également valables qui se déploient au fil des mesures. Lucassen se trouve ici libéré des contraintes, voire des poncifs, du genre metal qu’il avait tendance à répéter un peu facilement d’album en album ces dernières années, et en revient à quelque chose de plus varié, pour son bien si vous m’en croyez. Mais l’autre grand atout de l’album, c’est sans conteste la voix d’Anneke van Giersbergen, virtuose, aussi à l’aise dans les nuances paisibles de la confiance ou de l’inquiétude que dans les emportements de la passion ou de l’affliction. L’imaginaire de la mer et de ses périls forme le cœur de l’univers de l’album : nous suivons les pensées d’une femme de marin au fil des semaines et des mois, des lettres reçues ou attendues avec anxiété, des réponses envoyées, des prières, des espoirs et des malheurs qui frappent l’un et l’autre membre du couple. L’alliance heureuse de la musique de Lucassen et de la voix de Van Giersbergen s’avère aussi envoûtante que puissante, qu’il s’agisse d’évoquer les paysages de ports proches ou lointains, d’Amsterdam jusqu’à l’Inde, ou le déchaînement d’une tempête qui menace le navire. Il faut aussi convenir que ce cadre historique et résolument néerlandais est une bouffée d’air bienvenue au milieu des ficelles habituelles de science-fiction, de fantasy ou de fantastique banalement américanisées. Il n’y a pas jusqu’aux paroles anglaises qui ne se mêlent ici et là d’exclamations en néerlandais dans la version « tempétueuse » de la première chanson de l’album, Endless Sea (La Mer sans fin). Ma seule réserve réside dans le traitement très conventionnel du personnage de l’épouse, qui ne fait pas grand-chose à part s’inquiéter pour son mari puis pour son enfant ; cela s’explique en partie, je suppose, par le choix de la période historique, mais je n’ai pas pu m’empêcher de rester quelque peu sur ma faim (on aurait pu la montrer participant à la gestion financière des affaires, supervisant la vie de la résidence familiale ou quelque chose de ce genre). J’ignore si cette « douce tem- DISHARMONIES P A G E 19 pête » restera l’aventure d’un album ou si les deux musiciens en produiront d’autres ensemble. Anneke a d’ores et déjà entonné plusieurs autres chansons, principalement des reprises (parfois de chansons d’Ayreon, mais aussi des classiques plus anciens), sous forme de titres individuels écoutables sur Internet. C’est en tout cas un bon moyen de passer un peu moins de deux heures en mer dans un bel équilibre entre douceur et énergie, surtout si vous n’êtes pas du genre à refouler votre lyrisme. 1. J’avais parlé plus en détail d’Ayreon en juin dans Disharmonies n°56. Eunostos La meute du Contrevent Rêve de contrées arides Rêve d’étendues enneigées Rêve de bords de mers Ys’tenn P A G E 20 Rumeurs d’outre-monde D’Ingheir en Sylal. « Alors, cela vous a plu ce safari sur Terre ? » demanda Sylal en prenant place aux commandes de leur astronef de location. Elle savait déjà à quelle réponse s’attendre et l’explosion de joyeuses exclamations fut immédiate : « Oui ! Oui ! Les salamandres sont super impressionnantes et les anémones de mer sont trop mignonnes ! Et les chevaux avec leur longue tête ! Trop bizarre ! Et la marmotte ! Comment t’as eu peur ! Nan, c’est même pas vrai !... » Sa chère Ingheir également paraissait heureuse et ajouta d’une voix rêveuse : « Tu te rends compte, ces humains qui commencent à peine à développer les nanotechnologies… C’est vraiment touchant de voir une espèce dans les premiers stades de son évolution. — Ah, j’en étais sûre que vous aimeriez ! Bon, prochaine destination, Jupiter, pour refaire le plein d’hydrogène. On peut encore en profiter pour faire un peu de tourisme : d’après le guide du Lonely Galaxy il y a un gigantesque ouragan rouge à observer. Ma mie, veux-tu bien prendre contact avec la comète de contrôle locale pour avoir des horaires et un plan de vol ? — C’est fait. Un instant, je reconnecte mon transducteur cérébral à l’intercom, comme ça tu entendras la réponse télépathique. En attendant, les filles, vous voulez bien aller chercher le guide dans la valise de maman ? » « … Dépassant du tumulte gazeux depuis des dizaines d’années joviennes, le grand anticyclone paraît presque calme et immuable. Sa couleur peut varier du rose-orangé au brun en fonction des composés chimiques qui y sont brassés ou qui s’y forment. Longtemps connue des amateurs de surf nébuleux, celle que les Terriens appellent simplement « La Grande Tache Rouge » est l’objet d’un projet de parc d’attraction contesté. Mais à l’heure où nous rédigeons ce descriptif, le projet a été mis en suspens en raison de la diminution progressive de la taille de l’anticyclone (qui fait actuellement à peine plus que la taille de la Terre). Si cet emblème de Jupiter venait à disparaître, nul doute que les promoteurs tourneront leurs espoirs vers le deuxième grand anticyclone de Jupiter (Oval BA pour les Terriens). Voir également : les grandes taches sombres de Neptune. » Ingheir détacha le petit guide sphérique de son interface palmaire : « Comme d’habitude, cela manque un peu d’information… — Oui mais tu sais, on ne peut pas attendre d’un guide qu’il remplace une encyclopédie sur cette galaxie, et c’est déjà bien que… » commença Sylal. « Ici la tour-relais de l’espace spatial terrien à SI387ACL-24. Négatif. Je répète : négatif. Vous n’avez pas l’autorisation de quitter les pistes lunaires. La station météo de Vénus a confirmé que l’éruption de l’étoile nommée Soleil est de type X16. C’est une grosse tempête qui fonce droit sur nous. Tous les appareils situés dans les astroports du secteur de la Terre ont pour ordre de rester au sol. — Les pistes lunaires ? Mais leur lidar déraille ! On n’est pas sur la Lune, on est au Groenland ! — Dites donc, SI387-ACL-24, on a entendu ! On vous fait remarquer que l’alerte a été lancée il y a plus de deux jours terrestres. Vous êtes totalement inconscients de vous être déconnectés aussi longtemps ! — Oui, enfin, c’est un peu le principe des vacances, non ?, fit Ingheir en coupant le lien télépathique. Bon, que fait-on ? — On a peut-être le temps de faire au moins le trajet entre le Groenland et la face cachée de la Lune. Comme ça, si la tempête endommage l’astronef, on pourra facilement faire les réparations sur le petit astroport lunaire. Le problème, c’est qu’on n’a aucun plan de vol. Mais d’un autre côté, puisqu’aucun appareil n’est censé voler, on devrait avoir le champ libre. Et puis, une fois en approche des pistes, ils ne pourront pas nous refuser d’alunir. — Je n’aime pas trop ça, mais je suis d’accord, nous sommes trop isolées ici. Je te laisse manœuvrer, et pendant ce temps-là, je vais occuper les filles ; cette tempête stellaire me donne un sujet tout trouvé. Appelle-moi si tu as besoin d’aide, mon étoile. » « Comment ça “on veut pas écouter la leçon” ?! Je n’ai pas fait deux parthénogénèses à complication pour voir mes enfants régresser dans l’évolution ! Ce n’est pas parce que Sylal et Maman ont pris un congé sabbatique qu’on va interrompre votre éducation. Allez, zou, sortez les coussins et installez-vous », ordonna gentiment Ingheir à ses filles, tandis qu’elle parcourait la banque de données éducatives. « Bien, vous vous souvenez de vos cours sur les étoiles ? Leur composition, les réactions nucléaires qui mènent à la formation de l’hélium, les particules produites qui chauffent et ionisent la matière stellaire, le plasma résultant qui circule en large zones de convection, et ces courants de charges induisant donc le champ magnétique de l’étoile. C’est bon ? Continuons. Là où différentes cellules de convections se rejoignent – en particulier au niveau de l’équateur – la circulation du plasma est perturbée. De nouveaux courants se mettent en place et cela crée localement d’autres champs magnétiques très intenses. Notez également qu’en raison de ces zones d’intenses champs magnétiques, la convection est freinée, ce qui inhibe l’alimentation en plasma chaud venu des profondeurs de l’étoile, et ainsi ces zones apparaissent comme des taches plus sombres (sur l’équateur). Voici une image prise lors d’une éclipse. On peut voir se dessiner les lignes de champ magnétique, en particulier celles créées localement au niveau des taches : elles forment des boucles dans la couronne stellaire, connectant ces points de magnétisme intense. Les lignes semblent ici matérialisées car, rappelez-vous, les particules chargées s’en- DISHARMONIES roulent autour des lignes de champs en émettant de la lumière, et plus particulièrement des rayons X. Dans ces boucles de champ magnétique se développent donc des réservoirs à plasma où les particules se retrouvent accélérées. Mais les différentes zones de champ intense cohabitent mal et il arrive qu’elles se réorganisent : se produit alors une reconnexion magnétique, c’est-à-dire un réarrangement des lignes de champs, durant lequel des lignes s’ouvrent et laissent alors échapper le plasma. C’est l’éruption stellaire. Lorsque cela se produit, le plasma émis est éjecté dans une direction particulière : c’est cette gigantesque vague de particules chargées et très énergétiques qu’on appelle tempête stellaire… surtout lorsqu’elle se dirige vers une planète ou un vaisseau », ajouta Ingheir, dissimulant mal son inquiétude. Elle reprit : « La plupart des planètes sont habituellement protégées du vent stellaire par leur champ magnétique qui tient à distance et guide les particules sur un itinéraire de contournement. Mais lors d’une tempête stellaire, la bourrasque de particules est bien plus rapide – donc plus énergétique – et elle génère elle aussi un fort champ magnétique, qui va mettre à mal le bouclier planétaire. C’est à nouveau par un phénomène de reconnexion magnétique que la tempête force son passage vers la planète : les lignes de champs des deux domaines magnétiques se connectent entre elles et les protons et électrons, qui coulent le long de ces lignes, peuvent déferler vers le sol. Un instant… Maintenant que j’y pense… Les filles, je vous laisse un moment. En attendant, vous allez chercher dans la base de données la description de la dernière tempête magnétique qu’il y a eue à la maison. À partir des données de vitesse et d’intensité de l’éruption stellaire, et connaissant le champ magnétique de notre planète, je vous demande d’estimer à quelles latitudes Nord et Sud sont arrivées les particules. » Tandis que les enfants faisaient consciencieusement l’exercice, Ingheir retourna auprès de Sylal. « Jusqu’ici, tout va bien, » répondit cette dernière à la question muette qu’elle lut sur le visage d’Ingheir, « mais disons que le décollage s’est fait à l’aveugle : la plupart de nos détecteurs longue portée ne fonctionnent pas dans une atmosphère épaisse. Ce n’est que maintenant que l’on va pouvoir savoir à quelle distance exactement se situe la tempête. — Justement, je me disais qu’on aurait déjà pu vérifier les sondes de champ magnétique depuis un moment, » fit sa compagne, joignant le geste à la parole, « Si le champ magnétique de la Terre n’est pas encore trop perturbé… » Ingheir et Sylal se regardèrent avec effarement tandis que les écrans montraient les premières mesures : de toute évidence, ce n’était pas le cas. Dans quelques instants, leur fragile astronef serait bombardé par un flux de protons et d’électrons. Sylal reprit très vite le contrôle de la situation. « Très bien. C’était le risque. Je suis désolée. Nous n’avons plus d’autre choix que d’essuyer cette tempête. Je renforce notre propre bouclier magnétique et j’arrête tous les systèmes non vitaux. Si des courants induits et des décharges se produisent, je préfère que cela n’interfère pas sur des modules en P A G E 21 cours d’utilisation. Pourvu que, de leur côté, les Terriens ne perdent pas le contrôle de leurs satellites… Au pire, on lancera les nacelles de sauvetage vers leur planète. » Sylal ne put achever la mise en veille de leur vaisseau : tous les voyants du tableau de bord s’étaient allumés et étaient à présent animés de faibles pulsations. L’éclairage se mit également à fluctuer et les alarmes d’incendie et de collision se déclenchèrent sans autre raison que les soudaines variations de courant. L’astronef subissait l’influence du reliquat de plasma stellaire. Sylal s’empressa d’éteindre les derniers systèmes auxiliaires. Regardant par la baie de la salle de contrôle, elle remarqua des lueurs crépitantes à l’avant de leur vaisseau, là où sa défense magnétique est la plus faible : les charges s’accumulaient sur la coque de l’astronef et, bientôt, les claquements secs d’arcs électriques se firent entendre dans la carlingue. Ingheir appella ses filles, et toutes se réfugièrent dans une aile de l’astronef moins exposée. « J’espère que l’alimentation du bouclier va tenir le choc. D’une part, je n’ai pas envie qu’on soit toutes irradiées par ma faute, et d’autre part, il ne faudrait pas qu’un proton vienne jouer au billard dans notre calculateur quantique : sans lui, plus de saut longuedistance à moins de réparations exorbitantes ! — On peut déjà dire adieu à notre caution de location… » soupira Ingheir. « Bon, le vaisseau semble tout de même bien résister. Je vais lancer un petit diagnostic pour avoir une idée des dégâts », proposa Sylal. « Maman, tu crois qu’on peut s’approcher des hublots ? Il doit y avoir des aurores dehors, non ? — D’accord. Venez, on verra mieux à l’arrière. » « Magnifique ! Sylal, le diagnostic peut attendre : tu ferais mieux de venir voir ça ! Ces arcs de voiles verts et roses sont si beaux ! Ils ont bien de la chance d’avoir tant d’oxygène et d’azote dans leur atmosphère. Quand je pense que nos aurores sont justes désespérément bleues… — Oh, regardez ! Il y a des villes sur Terre qui s’éteignent ! — Si je me souviens bien des cartes, là-bas, ça doit être un pays appelé Canada, ou bien États-Unis », précisa Sylal en les rejoignant. « Les pauvres, leur système de distribution d’énergie est encore très archaïque, il n’a pas dû supporter les surcharges de courants… J’espère qu’ils ne vont pas paniquer. — En tout cas, vue d’ici, cette tempête magnétique est bien jolie.» Et se tournant vers ses filles agglutinées au hublot : « Vous savez ce qu’on devrait faire ? Enregistrer un hologramme souvenir et l’envoyer à votre grand-mère. » Et d’ajouter d’un air espiègle à l’intention de Sylal : « Elle n’aura juste pas à savoir dans quelles conditions il aura été pris… » Ys’tenn Une transcription vidéo de l’hologramme souvenir enregistré le 7 septembre 2015 peut être consultée ici : http://tinyurl.com/didi57rom P A G E 22 Jeux TEMPÊTES ASIATIQUES IL A MAUVAIS ŒIL BELLE POUR L’ÉCRIVAIN AU COIN FERMÉE AU COIN-COIN DÉFERLANTES DÉVASTATRICES IL CROIT EN DIEUX …Ô DÉSESPOIRS MATIN ANGLAIS POUR QUI SONNE-T-IL? ANCIEN DO TRANSITION BRITANNIQUE MAINTINS FERMEMENT 2 FAIT VENDRE À CHERBOURG APPARUE BRUSQUEMENT FÉRIÉ EMPESTAS ENVOYÉ DE PAPA 5 JUDICIAIRES VAGUES HUMAINES TEMPÊTES SUR L’ATLANTIQUE AU PAYS DES MERVEILLES AUDACIEUX MÈRES DES SIRÈNES LÉGER BROUILLARD PREMIÈRE PAGE PREMIÈRE CLASSE FIS DEMEURER INDIFFÉRENT AVANT MI FAIRE BRILLER ATTRAPÉ EST EN ANGLAIS MONSTRE BIBLIQUE VÉNÉRER ROMAN POLICIER MIXTE PARTIE DE RIGOLADE PÉRIODE GÉOLOGIQUE LAME À L’ÂME 6 CUL-TERREUX DIEUX NORDIQUES SE GAUSSE 4 ENGLOUTIS FEU DE SAINT-… FIN DE FABLE OBJET D’ÉTUDES DE BIOLOGISTE PLOMBAS COURSES NAUTIQUES CRÉATURE DEMEURER TITRE DE GENTLEMAN IRLANDE CITÉ ANTIQUE MONTAGNES RUSSES OBJET GÉOLOGIQUE SE MET DANS LES ROUES JURON DE BREST MOUARF TOMBAS EST MÉCONTENT 3 RECONNAISSANCE OPTIQUE DE CARACTÈRES PARTIE POSTÉRIEURE 1 ELLE EN FAIT BAVER ÎLE FRANÇAISE VICTIMES DE RÉVOLUTION ABRÉGÉ D’ANATOMIE ILS SE GRAVISSENT EN SOCIÉTÉ ILLUSION TROMPEUSE Mot à trouver : « Ses coups nous font en général plus de bien que de mal » HÉROS TROYEN 1 2 3 4 5 6 BLAKE isharmonies Crédits : Illustrations : Blake Ys’tenn Tsum Rédacteur en chef : Le mois prochain, le thème sera : Miniatures Le mois suivant, le thème sera : La nuit du chasseur Fantômas Rédaction : Am42one Florimont Brandolph Mademoiselle Blake Tatou Eunostos Tibo Fantômas Ys ‘tenn Maquette : Les contributions sont bienvenues, envoyez vos articles avant le dimanche 1er novembre à l’adresse : [email protected]. Faites-nous peur ! Tibo Remerciements : Au Mathador pour sa divine surprise, et à L. Airaines pour son inspiration! À la Russie romantique qui nous a donné Pouchkine. Écrivez-nous ! [email protected] Want more ? Rendez-vous sur : http://www.cof-ulm.fr/ disharmonies et retrouvez les anciens numéros ! Consultez aussi notre page Facebook et Diaspora. Pour rester au courant de toute l’actualité de Disharmonies, inscrivez-vous à notre liste de diffusion en envoyant un mail à [email protected].