le port du voile dans l`enseignement
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le port du voile dans l`enseignement
LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEMENT Etude juridique A.VAN DE WEYER Cellule juridique de la CSC Enseignement Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 1 sur 33 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEMENT Etude juridique 1. COUTUMES ET REFERENCES RELIGIEUSES ................................................................ 3 1.1. Les textes sacrés de l’Islam ............................................................................................. 3 a. Le Coran ......................................................................................................................... 3 b. La Sunna ou les « hadiths » ............................................................................................ 4 1.2. Le foulard islamique ........................................................................................................ 6 1.3. Boycott de certaines activités scolaires ........................................................................... 6 2. REFERENCES JURIDIQUES ............................................................................................... 7 2.1. Déclaration universelle des Droits de l'Homme .............................................................. 7 2.2. Déclaration islamique universelle des Droits de l’Homme ............................................. 7 2.5. Constitution belge.......................................................................................................... 10 2.6. Pacte scolaire ................................................................................................................. 11 2.7. Décret « Missions » ....................................................................................................... 11 2.8. Décret de la Communauté française du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l'enseignement de la Communauté ....................................................................................... 12 2.9. Décret de la Communauté française du 17 décembre 1993 organisant la neutralité inhérente à l'enseignement officiel subventionné et portant diverses mesures en matière d'enseignement ..................................................................................................................... 13 3. JURISPRUDENCE .............................................................................................................. 14 3.1. Jurisprudence européenne ............................................................................................. 14 3.2. Jurisprudence belge ....................................................................................................... 18 Jugements et arrêts rendus ................................................................................................ 18 L’attitude ambiguë du Conseil d’Etat............................................................................... 24 Quelques affaires connexes .............................................................................................. 25 CONCLUSION ........................................................................................................................ 28 ANNEXE 1 : Cours de natation ........................................................................................... 30 ANNEXE 2 : Interview d’une mère d’élèves voilées .......................................................... 33 Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 2 sur 33 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEMENT Il a été demandé à la Cellule juridique de la CSC Enseignement d’étudier les aspects juridiques de la délicate question du port du voile dans l’enseignement et de son éventuelle interdiction par une disposition légale future. Enseignant durant de nombreuses années dans un établissement directement concerné, j’ai recueilli depuis longtemps, pour des raisons professionnelles d’abord, par intérêt personnel pour le sujet ensuite, beaucoup de documents à ce propos, entre autres la très complète réponse du juriste Bernard Carlier à une question du Ministre Pierre Hazette 1 . Le présent dossier est une synthèse des textes légaux et jurisprudentiels ainsi rassemblés en tentant d’éviter toute considération personnelle idéologique, morale ou sociétale. 2 1. COUTUMES ET REFERENCES RELIGIEUSES Le voile est une coutume vestimentaire proche-orientale vieille de 3.000 ans au moins. Cette pratique est donc antérieure de plusieurs millénaires à la fondation de l'Islam, au VII eme siècle. La première mention du port obligatoire du voile, obligation visant notamment les prostituées sacrées, remonte aux lois assyriennes attribuées au roi Téglath-Phalasar ler, vers 1000 av. J.C. Dans le Nouveau Testament, l'apôtre Paul le prescrit pour la prière: « Toute femme qui prie ou prophétise la tête non voilée fait affront à son chef .» De nos jours, les femmes portent encore une mantille aux audiences pontificales. 1.1. Les textes sacrés de l’Islam a. Le Coran Dans le Coran, livre sacré de l'Islam par excellence, les textes liés au port du voile sont rares et peu précis. C’est d’autant plus paradoxal que, pour de nombreux aspects de la vie quotidienne, les détails y abondent. Faut- il en déduire, comme certains, qu’à l’époque du Prophète le problème du port du voile ne se posait pas ? Les seuls extraits généralement cités comme références sont les suivants : Dans la sourate 24 « An-Nur » (La lumière), les versets 30 et 31 prescrivent aux musulmanes de « rabattre leur voile sur leur poitrine » : « Verset 30. Dis aux croyants de baisser leurs regards et de garder leur chasteté. C’est plus pur pour eux. Allah est, certes, Parfaitement Connaisseur de ce qu’ils font. » « Verset 31. Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît et qu’elles rabattent leur voile sur leurs poitrines; et qu'elles ne montrent leurs atours qu'à leurs maris, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs maris, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs maris, ou à leurs frères ou aux fils de leurs 1 B. CARLIER, «Manifestations extérieures d’appartenance relig ieuse, philosophique ou p olitique en milieu scolaire : Est-il interdit d’interdire ? », 2003. 2 Les textes cités ne comportent au départ pas de parties en caractères gras ; celles qui y ont été ainsi soulignées l’ont été uniquement pour mettre certains extraits en évidence et permettre à ceu x qui le désirent un survol rapide de ces passages. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 3 sur 33 frères, ou aux fils de leurs sœurs, ou aux femmes musulmanes, ou aux esclaves qu'elles possèdent, ou aux domestiques mâles impuissants, ou aux garçons impubères qui ignorent tout des parties cachées des femmes et qu’elles ne frappent pas avec leurs pieds de façon que l’on sache ce qu'elles cachent de leurs parures. » Dans la sourate 33 « Al-Ahzab » (Les coalisés), aussi appelée « sourate du hidjab », le verset 53 ne concerne que les femmes du Prophète. « Quand vous demandez à ses épouses quelque chose, adressez-vous à elles derrière un rideau (hidjab). C'est plus décent pour vos cœurs et pour les leurs. [...]» et le verset 59 évoque le port du voile par les femmes du Prophète et toutes les croyantes. « 0 Prophète ! Dis à tes épouses et à tes filles et aux femmes des croyants de ramener leurs voiles sur elles. Ce sera pour elles le moyen le plus commode de se faire connaître et de ne pas être offensées. . b. La Sunna ou les « hadiths » La Sunna ou les hadiths sont une autre source importante d’inspiration pour les musulmans. C’est un immense corpus littéraire qui s'est cristallisé vers le IXème siècle après une longue période d'élaboration. Il est né de la nécessité historique de compléter le Coran ou de l'interpréter dans le cas où il serait silencieux ou incomplet. Il reprend les communications orales du prophète Mohamed et par extension l'ensemble des traditions relatives aux actes et aux paroles du Prophète et de ses compagnons, considérés comme des principes de gouvernance personnelle et collective pour les musulmans, que l'on désigne généralement sous le nom de "tradition du Prophète". La « Sunna » (traduction : « cheminement » ou « pratique ») concerne la pratique ordinaire du Prophète, incluant ses paroles, ses actions, ses approbations tacites ou ses désapprobations. Les savants du Hadith ajoutent ses traits personnels (incluant ses caractéristiques physiques) à cette définition. Ces « hadiths » ne sont donc qu’une tradition orale retranscrite, parfois plusieurs siècles après les événements ou les paroles qu’ils reprennent. Ils sont fort nombreux. A titre d’exemple, l’imam Al-Boukhâri né en 810, qui voyagea pendant 16 ans dans les territoires islamiques pour rassembler les propos du Prophète, rassembla près de 600 000 hadîths contenus dans 97 livres dont l’ensemble est considéré comme le deuxième livre saint de l’Islam après le Coran. Il est donc assez difficile de répertorier ceux qui traiteraient de la question du voile. En voici quelques-uns recueillis sur les sites musulmans d’échanges d’avis et conseils religieux. « Une femme était en conflit avec Aïcha, la femme du prophète, et la femme dit à Aïcha : "Si tu as raison alors je me mettrai nue et je ferais le tour de la Kaaba". Le temps a passé et la femme qui était en conflit avec Aïcha s'est convertie à l'islam, et le temps à donner raison à Aïcha par rapport au conflit qui les opposait, et la femme va voir le prophète Muhammad et lui dit "Ya Muhammad", j'étais en conflit avec ta femme et j'ai juré que si j'avais tort je me mettrai nue et je ferais le tour de la Kaaba, et maintenant je suis convertie, je mets le voile ; Comment puis je faire ? Alors le prophète lui dit : " Sors un cheveu de ton voile, ce sera la même chose que de marcher nue » Autre propos d’Aïcha rapporté par Al Boukhâri : « Qu'Allah fasse miséricorde aux premières femmes émigrées; dès que le verset "qu'elles rabattent leur voile sur leurs poitrines" fut révélé, elles découpèrent le drap qu'elles portaient (au-dessus de leurs vêtements) et l'utilisèrent pour se couvrir la tête (ainsi que leur cou et leur poitrine). » Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 4 sur 33 De même, Aïcha raconte que sa sœur Asma entra chez le Prophète Mohamed avec des vêtements transparents. Le Prophète se détourna d'elle et dit: « Ô Asma, quand la fille devient pubère, il ne convient pas de voir d'elle une autre partie que celles-ci (et il lui indiqua le visage et les mains). » Par contre, toujours en ce qui concerne Aïcha Umm al-Mu’minin (femme du Prophète), elle aurait eu une réaction violente quand elle vit une de ses servantes-esclaves (amah) sortir de la maison avec un voile. Elle la frappa en lui disant : « Pour qui te prends-tu ? Tu n’es qu’une servante ! » puisque le voile était un signe de dignité des Dames (et notamment des femmes du Prophète). 3 Enfin, autre déclaration du Prophète : « Il y aura dans ma communauté des femmes habillées, mais nues, sur leur tête il y a comme des bosses de chameaux, maudissez-les car elles sont maudites » et il ajoute : « Elles n’entreront pas au Paradis et ne sentiront pas son odeur, bien qu’on puisse sentir son odeur de telle et telle distance. » c. L’interprétation des textes Alors que, pour beaucoup de gestes et de situations de la vie courante, le Coran donne une profusion de détails, la rareté et l’imprécision des références au port du voile expliquent que le caractère obligatoire de celui-ci soit controversé. En 1989 déjà, le Centre islamique et culturel de Bruxelles a fait parvenir aux professeurs de religion islamique une « déclaration du Centre Islamique relative au voile » qui tranche très clairement la querelle liée au port du foulard de la femme musulmane. La lettre, signée par l'imam-directeur, prend nettement parti pour le port de « l'habit islamique ». dans les écoles sans qu'aucune concession ne soit possible et rappelle que « les textes coraniques et les paroles prophétiques prescrivent à la femme musulmane de s'habiller décemment à savoir couvrir son corps du haut de la tête aux chevilles. » L'imam directeur ajoute : « Si un commandement divin ou un précepte prophétique se trouve en conflit avec la loi humaine, il appartient au croyant et à la croyante de se conformer aux commandements divins, sinon il est qualifié de désobéissant. »4 Il s’agit de l’affirmation officielle de la prééminence de la loi coranique sur les lois nationales (voir également à ce sujet la « Déclaration islamique universelle des droits de l'homme » de 1981 dans le paragraphe sur les références juridiques). Par contre, l'islamologue genevois Tariq Ramadan, un des leaders de la mouvance des Frères musulmans en Europe pourtant souvent considéré comme un polémiste maniant un double discours lorsqu'il s'agit d'évoquer la place de la religion dans des sociétés laïques, estime que « le voile, jamais, ne peut ni ne doit être l'objet d'une contrainte. » Salma Bennani, épouse du roi du Maroc, « commandeur des croyants », ne porte pas le voile, pas plus que la reine Rania de Jordanie. 3 Cité par KHALIL SAMIR, professeur d’islamologie et de la pensée arabe à l’Un iversité Saint -Joseph de Beyrouth et au Pontifio Istituto Orientale de Ro me, in « La peur du voile intégral », La libre Belgique, 23 février 2010. 4 « Rappel à l’ordre au x musulmanes : l’habit islamique est obligatoire », Le Soir, 23 novembre 1989. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 5 sur 33 1.2. Le foulard islamique 5 Il y a voile et voile : Le hidjab. Variante la plus répandue dans le monde musulman en net essor, en Occident. Il dissimule les cheveux, les oreilles et le cou, ne laissant apparaître que l'ovale du visage. La jilbab. Longue robe ample ne laissant apparaître que le visage, cousine de la djellaba, portée traditionnellement en Afrique du Nord et dans la péninsule arabique. Le tchador. Tenue traditionnelle des musulmanes pratiquantes, en Iran. Une grande pièce de tissu posée sur la tête, laissant apparaître l'ovale du visage, tenue fermée à l'aide des mains. Il n'est pas obligatoire, en Iran où le port du hidjab est imposé. Le niqab. Voile noir intégral complété par une étoffe ne laissant apparaître qu'une fente, au niveau des yeux. Il s'est répandu sous l'influence de l'Islam wahhabite, issu d'Arabie saoudite, en milieu urbain et dans les cercles aisés, en Occident. Certaines femmes le portent avec des lunettes de soleil et des gants, voire un masque. La burqa. Tenue traditionnelle dans les tribus pachtounes, en Afghanistan: long vêtement bleu, marron ou noir recouvrant complètement la tête et le corps, une meurtrière grillagée dissimulant les yeux. Les talibans l'avaient rendu obligatoire, en Afghanistan. 1.3. Boycott de certaines activités scolaires Les instructions des autorités du culte islamique ne se limitent pas uniquement à la question du port du voile. A titre documentaire, on trouvera en annexe 1 un exemple concret concernant des activités parmi les plus contestées : les cours de natation et d’éducation physique. 5 source : Le Soir, 23 septembre 2009. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 6 sur 33 2. REFERENCES JURIDIQUES 2.1. Déclaration universelle des Droits de l'Homme Article 18 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. » 2.2. Déclaration islamique universelle des Droits de l’Homme En réaction au texte précédent, la Déclaration islamique universelle des Droits de l'Homme a été rédigée à l’initiative du Conseil islamique pour l’Europe, organisme ayant son siège à Londres. La Déclaration a été proclamée le 19 septembre 1981, à Paris, par Salem Azzam, secrétaire général du Conseil islamique, lors d'une réunion organisée au siège de l’Organisation des Nations unies pour l’Education, la Science et la Culture (Unesco). Elle fut adoptée officiellement au Caire le 5 août 1990 par l'Organisation de la conférence islamique et ratifiée par 57 états musulmans. Cette Déclaration n’a donc, malgré son titre, pas le même caractère « universel » que la précédente. L’importance qui lui est donnée dans les milieux musulmans et dans des cénacles prestigieux comme l’Unesco m’ont cependant incité à l’insérer dans les références juridiques intéressantes à relever. Elle contient beaucoup d’articles semblables à ceux de sa presque homonyme ; je n’ai dès lors repris ici que ceux qui s’en éloignent significativement. Elle pose entre autres l’importante question de la hiérarchie des sources de droit et d’abord celle de la prééminence de la loi coranique sur les lois nationales. Pour la bonne compréhension des extraits qui suivent, « le terme "Loi" signifie la shariah, c'est-à-dire la totalité des ordonnances tirées du Coran et de la Sunnah et toute autre Loi déduite de ces deux sources par des méthodes jugées valables en jurisprudence islamique. »6 Introduction « Les droits de l'Homme, dans l'Islam, sont fortement enracinés dans la conviction que Dieu, et Dieu seul, est l'Auteur de la Loi et la Source de tous les droits de l'Homme. Etant donnée leur origine divine, aucun dirigeant ni gouvernement, aucune assemblée ni autorité ne peut restreindre, abroger ni violer en aucune manière les droits de l'homme conférés par Dieu. De même, nul ne peut transiger avec eux. » Préambule « Considérant qu'Allah (Dieu) a donné à l'humanité, par ses révélations dans le Saint Coran et la Sunnah de son saint Prophète Mahomet, un cadre juridique et moral durable permettant d'établir et de réglementer les institutions et les rapports humains; Considérant que les droits de l'homme ordonnés par la Loi divine ont pour objet de conférer la dignité et l'honneur à l'humanité et sont destinés à éliminer l'oppression et l'injustice; Considérant qu'en vertu de leur source et de leur sanction divines, ces droits ne peuvent être restreints, abrogés ni enfreints par les autorités, assemblées ou autres institutions, pas plus qu'ils ne peuvent être abdiqués ni aliénés; 6 cf. « Notes d'exp lication » contenues dans la Déclarat ion. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 7 sur 33 En conséquence, nous, musulmans : [...] e) qui croyons dans l'invitation de toute l'humanité à partager le message de l'Islam; f) qui croyons qu'aux termes de notre alliance ancestrale avec Dieu, nos devoirs et obligations ont priorité sur nos droits, et que chacun de nous a le devoir sacré de diffuser les enseignements de l'Islam par la parole, les actes et tous les moyens pacifiques, et de les mettre en application non seulement dans sa propre existence mais également dans la société qui l'entoure; g) qui croyons dans notre obligation d'établir un ordre islamique : [...] 5) où les gouvernants et les gouvernés soient soumis de la même manière à la Loi et égaux devant elle; 6) où il ne soit obéi qu'à des ordres conformes à la Loi; 7) où tout pouvoir terrestre soit considéré comme un dépôt sacré, à exercer dans les limites prescrites par la Loi, d'une manière approuvée par celle-ci et en tenant compte des priorités qu'elle fixe. » Article 4 - Droit à la justice « a) Toute personne a le droit d'être traitée conformément à la Loi, et seulement conformément à la Loi. [...] e) Tout musulman a le droit et le devoir de refuser d'obéir à tout ordre contraire à la Loi, quelle que soit l'origine de cet ordre. » Article 12 - Droit à la liberté de croyance, de pensée et de parole « c) Tout musulman a le droit et le devoir de se protéger et de combattre (dans les limites fixées par la Loi) contre l'oppression même si cela le conduit à contester la plus haute autorité de l'Etat. » 2.3. Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Rome, 4/11/1950) Lors des procédures en justice relatives aux problèmes posés par le port du voile, l’article 9 de cette Convention a été fréquemment cité, tant par les défenseurs du foulard islamique (qui prennent argument de la liberté religieuse évoquée dans le premier paragraphe) que par les partisans de son interdiction (qui font référence aux restrictions prévues dans le deuxième paragraphe). Nous verrons plus loin que les cours et tribunaux européens et belges suivent généralement ces derniers. Article 8 : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Article 9 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 8 sur 33 société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui .» Article 10 : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » Article 14 : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre,'' situation .» 2.4. Convention de New York sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (01/03/1980) Article 5 : « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour : a) Modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l'homme et de la femme en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou de la supériorité de l'un ou de l'autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ; [...] » Article 16 : « Les États parties prennent toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et des rapports familiaux et, en particulier, assurent, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme : a) Le même droit de contracter mariage ; b) Le même droit de choisir librement son conjoint et de ne contracter mariage que de son libre et plein consentement ; [...] » On trouve des dispositions similaires dans d'autres textes de droit international comme le Pacte international relatif aux Droits civils et politiques. La question fondamentale est de savoir où se termine la liberté religieuse et où commence le droit d’y apporter des restrictions pour des raisons d’intérêt général. « La proclamation de ces droits et libertés revêt une « intensité variable » selon le droit ou la liberté dont il est question. Ainsi, il faut constater que le droit à la vie, l'interdiction de la torture ou de l'esclavage revêtent un caractère presque absolu. En revanche, en ce qui concerne d'autres libertés, la règle peut faire l'objet de restrictions. Il ne s'agit donc plus d'une liberté absolue, intangible et inébranlable. Son exercice devra alors souffrir des accommodements de sorte que soit assuré le respect d'autres principes d'importance égale ou Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 9 sur 33 majeure. C'est le cas précisément de la liberté religieuse. Cela veut dire que l'on ne peut pas, au nom de la liberté de religion, prétendre agir au mépris des lois qui, dans ure société démocratique, tendent à la préservation de la sécurité, de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. En d'autres termes, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales admet que des restrictions soient apportées à la liberté de religion, liberté individuelle, afin de préserver des impératifs d'intérêt général. »7 2.5. Constitution belge Plusieurs articles de la Constitution concernent, de près ou de loin, la liberté religieuse, celle de l’enseignement, le principe de neutralité dans l’enseignement et la distinction entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux. Article 11 : « La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination. A cette fin, la loi et le décret garantissent notamment les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques. » Article 19 : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés » Article 20 : « Nul ne peut être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d'un culte, ni d'en observer les jours de repos » Article 21 : « L’État n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s'il y a lieu. » Article 22bis : « Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle. » Article 24 : « § 1er. L'enseignement est libre; toute mesure préventive est interdite; la répression des délits n'est réglée que par la toi ou le décret. La communauté assure le libre choix des parents. La communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves. Les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu'à la fin de l'obligation scolaire, le choix entre l'enseignement d'une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle [...] § 3. Chacun a droit à l'enseignement dans le respect des libertés et droits fondamentaux. L'accès à l'enseignement est gratuit jusqu'à la fin de l'obligation scolaire. Tous les élèves soumis à l'obligation scolaire ont droit, à charge de la communauté à une éducation morale ou religieuse. 7 B.CA RLIER, «Manifestations extérieures d’appartenance religieuse, philosophique ou politique en milieu scolaire : Est-il interdit d’interdire ? », 2003. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 10 sur 33 § 4. Tous les élèves ou étudiants, parents, membres du personnel et établissements d'enseignement sont égaux devant la loi ou le décret. La loi et le décret prennent en compte les différences objectives, notamment les caractéristiques propres à chaque pouvoir organisateur, qui justifient un traitement approprié. § 5. L'organisation, la reconnaissance ou le subventionnement de l'enseignement par la communauté sont réglés par la toi ou le décret ». Article 121 : «§ ler. Les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l’État; les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget. » En application de la Constitution, l'enseignement organisé par la Communauté française est donc soumis au respect de trois principes majeurs : la liberté, l'égalité et la neutralité. 2.6. Pacte scolaire Article 41 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement, dite du « Pacte scolaire » : « Toute activité et propagande politique ainsi que toute activité commerciale sont interdites dans les établissements d'enseignement organisés par les personnes publiques et dans les établissements d'enseignement libre subventionnés. » 2.7. Décret « Missions » Article 6 du décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’Enseignement fondamental et de l’Enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre (dit décret « Missions »): « La Communauté française, pour l'enseignement qu'elle organise, et tout pouvoir organisateur, pour l'enseignement subventionné, poursuivent simultanément et sans hiérarchie les objectifs suivants : 1° promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves; [...] 4° assurer à tous les élèves des chances égales d'émancipation sociale. Article 8 : « Pour atteindre les objectifs généraux visés à l'article 6, les savoirs et les savoirfaire, qu'ils soient construits par les élèves eux-mêmes ou qu'ils soient transmis, sont placés dans la perspective de l'acquisition de compétences. Celles-ci s'acquièrent tant dans les cours que dans les autres activités éducatives et, de manière générale, dans l'organisation de la vie quotidienne à l'école. A cet effet, la Communauté française pour l'enseignement qu'elle organise, et tout pouvoir organisateur, pour l'enseignement subventionné, veillent à ce que chaque établissement: [...] 5° fasse respecter par chaque élève l'obligation de participer à toutes les activités liées à la certification organisée par l'établissement, et d'accomplir les tâches qui en découlent; [...] 8° suscite le goût de la culture et de la créativité et favorise la participation à ces activités culturelles et sportives par une collaboration avec les acteurs concernés; 9° éduque au respect de la personnalité et des convictions de chacun, au devoir de proscrire la violence tant morale que physique et met en place des pratiques démocratiques de citoyenneté responsable au sein de l'école; 10° participe à la vie de son quartier ou de son village et, partant, de sa commune, et s'y intègre de manière harmonieuse notamment en ouvrant ses portes au débat démocratique. » Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 11 sur 33 2.8. Décret de la Communauté française du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l'enseignement de la Communauté Article ler : « Dans les établissements d'enseignement organisés par la Communauté, les faits sont exposés et commentés, que ce soit oralement ou par écrit, avec la plus grande objectivité possible, la vérité est recherchée avec une constante honnêteté intellectuelle, la diversité des idées est acceptée, l'esprit de tolérance est développé et chacun est préparé à son rôle de citoyen responsable dans une société pluraliste. » Article 2 : « L'école de la Communauté éduque les élèves qui lui sont confiés au respect des libertés et des droits fondamentaux tels que définis par la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l'homme et les Conventions internationales relatives aux droits de l'homme et de l'enfant qui s'imposent à la Communauté. Elle ne priv ilégie aucune doctrine relative à ces valeurs. Elle ne s'interdit l'étude le d'aucun champ du savoir. Elle a pour devoir de transmettre à l'élève les connaissances et les méthodes qui lui permettent d'exercer librement ses choix. Elle respecte la liberté de conscience des élèves. » Article 3 : « Les élèves y sont entraînés graduellement à la recherche personnelle; ils sont motivés à développer leurs connaissances raisonnées et objectives et à, exercer leur esprit critique. L'école de la Communauté garantit à l'élève ou à l'étudiant, eu égard à son degré de maturité, le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question d'intérêt scolaire ou relative aux droits de l'homme. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par tout moyen du choix de l'élève et de l'étudiant, à la seule condition que soient sauvegardés les droits de l'homme, la réputation d'autrui, la sécurité nationale, l'ordre public, la santé et la moralité publiques, et que soit respecté le règlement intérieur de l'établissement. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions et la liberté d'association et de réunion sont soumises aux mêmes conditions. » Article 4 : « Sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 2, le personnel de l'enseignement forme les élèves à reconnaître la pluralité des valeurs qui constituent l'humanisme contemporain. En ce sens, il fournit aux élèves les éléments d'information qui contribuent au développement libre et graduel de leur personnalité et qui leur permettent de comprendre les options différentes ou divergentes qui constituent l'opinion. Il traite les justifications politiques, philosophiques et doctrinales des faits, en exposant la diversité des motivations. Il traite les questions qui touchent la vie intérieure, les croyances, les convictions politiques ou philosophiques, les options religieuses de l'homme, en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d'aucun des élèves. Devant les élèves, il s'abstient de toute attitude et de tout propos partisans dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux, qui sont d'actualité et divisent l'opinion publique; de même, il refuse de témoigner en faveur d'un système philosophique ou politique, quel qu'il soit et, en dehors des cours visés à l'article 5, il s'abstient de même de témoigner en faveur d'un système religieux. De la même manière, il veille à ce que sous son autorité ne se développe ni le prosélytisme religieux ou philosophique, ni le militantisme politique organisés par ou pour les élèves. » Article 5 : « Les titulaires des cours de religions reconnues et de morale inspirée par ces religions, ainsi que les titulaires des cours de morale inspirée par l'esprit de libre examen, s'abstiennent de dénigrer les positions exprimées dans les cours parallèles. Les cours visés à l'alinéa précédent, là où ils sont légalement organisés, le sont sur un pied d'égalité. Ils sont offerts au libre choix des parents ou des étudiants. Leur fréquentation est obligatoire. » Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 12 sur 33 2.9. Décret de la Communauté française du 17 décembre 1993 organisant la neutralité inhérente à l'enseignement officiel subventionné et portant diverses mesures en matière d'enseignement Ce décret, initialement antérieur au précédent, lui est fort semblable et a été actualisé le 2 juin 2006. Il s’applique à l'enseignement subventionné organisé par la Commission communautaire française, les provinces, les communes, les associations de communes et toute personne de droit public. Pour éviter tout double emploi avec le décret relatif à l’enseignement de la Communauté, son article 1er prévoit qu’il « cesse de s'appliquer aux pouvoirs organisateurs d'enseignement visés aux alinéas précédents qui adhèrent aux principes du décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l'enseignement de la Communauté française. » L’article 4 dispose : « L'école officielle subventionnée garantit à l'élève ou à l'étudiant le droit d'exercer son esprit critique et, eu égard à son degré de maturité, le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question d'intérêt scolaire ou relative aux droits de l'homme. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par tout moyen du choix de l'élève et de l'étudiant à condition que soient sauvegardés les droits de l'homme, la réputation d'autrui, la sécurité nationale, l'ordre public, la santé et la moralité publiques. Le règlement d'ordre intérieur de chaque établissement peut prévoir les modalités selon lesquelles les droits et libertés précités sont exercés. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions et d'en débattre, ainsi que la liberté d'association et de réunion sont soumises aux mêmes conditions. Aucune vérité n'est imposée aux élèves, ceux-ci étant encouragés à rechercher et à construire librement la leur. » Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 13 sur 33 3. JURISPRUDENCE 3.1. Jurisprudence européenne La Cour européenne des Droits de l'Homme et la Commission européenne des Droits de l'Homme sont chargées de veiller au respect de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales. Elles ont rendu depuis quelques années un certain nombre d’arrêts concernant le port du voile et la liberté religieuse dont voici quelques exemples significatifs. Commission européenne des Droits de l'Homme : photo de carte d’étudiante avec voile (KARADUMAN c. Turquie 03/05/1993) Une ressortissante turque se plaint d'une atteinte à son droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, contraire à l'article 9 de la Conventio n européenne des Droits de l’Homme (CEDH), dans la mesure où l'université où elle avait fait ses études exigeait qu'elle produise une photographie d'identité à tête nue à apposer sur son diplôme. Elle estime cette exigence contraire à ses convictions religieuses et considère que l'institution universitaire devait accepter une photographie sur laquelle elle se présentait, la tête recouverte d'un foulard islamique. La Commission rappelle que « l'article 9 de la Convention protège expressément "le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites" d'une religion ou d'une croyance», mais précise, à cet égard, que dans le cadre d'autres requêtes elle a déjà décidé que « l'article 9 de la Convention ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d'une manière dictée par cette conviction. Notamment, le terme "pratiques", au sens de l'article 9. 1, ne désigne pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction (cf. N° 7050/75 Arrowsmith c/ Royaume-Uni, et No 10358/83, déc. du 15.12.83). » Pour savoir si cette disposition a été méconnue en l'espèce, il faut rechercher si la disposition litigieuse constituait une ingérence dans l'exercice de la liberté de religion. La Commission est d'avis « qu'en choisissant de faire ses études supérieures dans une université laïque, un étudiant se soumet à cette réglementation universitaire. Celle-ci peut soumettre la liberté des étudiants de manifester leur religion à des limitations de lieu et de forme destinées à assurer la mixité des étudiants de croyances diverses. Notamment, dans les pays où la grande majorité de la population adhère à une religion précise, la manifestation des rites et des symboles de cette religion, sans restriction de lieu et de forme, peut constituer une pression sur les étudiants qui ne pratiquent pas ladite religion ou sur ceux adhérant à une autre religion. Les universités laïques, lorsqu'elles établissent les règles disciplinaires concernant la tenue vestimentaire des étudiants, peuvent veiller à ce que certains courants fondamentalistes religieux ne troublent pas l'ordre public dans l'enseignement supérieur et ne portent pas atteinte aux croyances d'autrui. » La Commission prend également en considération les observations de la Cour constitutionnelle turque qui estime que le port de foulard islamique dans les universités turques peut constituer un défi à l'égard de ceux qui ne le portent pas. Elle considère également que « le statut d'étudiant dans une université laïque implique, par nature, la Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 14 sur 33 soumission à certaines règles de conduite établies afin d'assurer le respect des droits et libertés d'autrui. Le règlement d'une université laïque peut prévoir également que le diplôme qu'on fournit aux étudiants ne reflète en aucune manière l'identité d'un mouvement s'inspirant d'une religion et auquel peuvent participer ces étudiants. » Ainsi, la Commission est d'avis « qu'un diplôme universitaire a pour but d'attester des capacités professionnelles d'un étudiant[..]; la photo apposée sur un diplôme a pour fonction d'assurer l'identification de l'intéressé et ne peut être utilisée par celui-ci afin de manifester ses convictions religieuses. » Dans ces conditions, la Commission estime que « compte tenu des exigences du système de l'université laïque, le fait de réglementer la tenue vestimentaire des étudiants ainsi que celui de leur refuser les services de l'administration, tels la délivrance d'un diplôme, aussi longtemps qu'ils ne se conforment pas à ce règlement, ne constitue pas en tant que tel une ingérence dans la liberté de religion et de conscience. » En conséquence, la Commission européenne admet la validité de la disposition du règlement intérieur d'une université concernant la tenue vestimentaire des étudiants qui subordonne la délivrance d'un diplôme à la remise d'une photographie d'identité conforme au prescrit de ce même règlement. En Belgique, en 2002, une jeune Visétoise d origine turque qui insistait pour porter le voile sur la photo de sa nouvelle carte d'identité a obtenu gain de cause du Tribunal civil de Liège, siégeant en référé. La commune de Visé prenait argument d’une circulaire ministérielle de 1981 précisant « qu’il est souhaitable mais non requis que les cheveux et les oreilles soient également dégagés.» L'ordonnance rendue à Liège ne contredit pas la circulaire ministérielle : « l'important est que le visage reste reconnaissable. Se priver, le temps d'une photo, de cette coiffe peut au contraire compliquer l'identification de la personne. »8 Cour européenne des droits de l'homme : port du voile par une enseignante (DAHLAB c. Suisse 15/02/2001) Une enseignante estimait que l'interdiction qui lui est faite de porter le foulard dans le cadre de son activité d'enseignement violait son droit de manifester librement sa religion, tel que garanti à l'article 9 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Selon le gouvernement suisse, les buts poursuivis sont indéniablement légitimes et figurent parmi ceux énoncés au second paragraphe de ce même article 9. L'interdictio n du port du foulard islamique par l’enseignante est motivée par le principe de la neutralité confessionnelle de l'école et, dans une perspective plus large, de la paix religieuse. La Cour analyse l'ingérence dans le droit à la liberté religieuse de l’enseignante: « la mesure poursuivait des buts légitimes au sens de l'article 9.2 : la protection des droits et libertés d'autrui, la sécurité publique et la protection de l'ordre. » Argument auquel les enseignants seront particulièrement sensibles : la Cour admet « qu'il est bien difficile d'apprécier l'impact qu'un signe extérieur fort tel que le port du foulard peut avoir sur la liberté de conscience et de religion d'enfants en bas âge. En effet, la requérante a enseigné dans une classe d'enfants entre quatre et huit ans et donc d'élèves se trouvant dans un âge où ils se posent beaucoup de questions tout en étant plus facilement influençables que d'autres élèves se trouvant dans un âge plus avancé. Comment, dès lors, pourrait-on dans 8 « Arifé portera le voile sur sa carte d’identité », Le Soir, 10/ 07/ 2002 Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 15 sur 33 ces circonstances dénier de prime abord tout effet prosélytique que peut avoir le port du foulard dès lors qu'il semble être imposé aux femmes par une prescription coranique qui, comme le constate le Tribunal fédéral, est difficilement conciliable avec le principe d'égalité des sexes. Aussi, semble-t-il difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d'autrui et surtout d'égalité et de non-discrimination que dans une démocratie tout enseignant doit transmettre à ses élèves. » En conclusion, la Cour est d'avis que la mesure litigieuse est justifiée dans son principe et proportionnée à l'objectif visé de protection des droits et libertés d'autrui, de l'ordre et de la sécurité publique et que l'interdiction faite à la requérante de porte r le foulard dans le cadre de son activité d'enseignement constituait une mesure « nécessaire dans une société démocratique. » Cour européenne des droits de l'homme : répression du prosélytisme abusif (KOKKINAKIS c. Grèce 25/05/1993) Dans cet arrêt, la Cour européenne reconnaît la légalité au regard de l'article 9 de la Convention européenne des Droits de l'Homme d'une disposition prévoyant la répression pénale du prosélytisme abusif. En effet, estime la Cour, l'article 9.2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme consacre le principe selon lequel « dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d'une même population, il peut se révéler nécessaire d'assortir cette liberté de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun. » Commission européenne des droits de l'homme : refus d’inscription aux examens pour port du voile. (ŞAHIN c. Turquie, arrêt de la Cour du 29 juin 2004 et arrêt de la Grande Chambre 9 du 18 mai 2005) La requérante, Leyla Şahin, est une ressortissante turque. Elle vit à Vienne depuis 1999, l’année où elle quitta la Turquie pour poursuivre ses études à la faculté de médecine de l’université de cette ville. Issue d’une famille traditionnelle pratiquant la religion musulmane, elle porte le foulard islamique afin de respecter un précepte religieux. A l’époque des faits, elle était étudiante en cinquième année à la faculté de médecine de l’université d’Istanbul. Le 23 février 1998, le Rectorat de celle-ci émit une circulaire disposant que les étudiants barbus et les étudiantes portant le foulard islamique ne pouvaient être admis ni aux cours, ni aux stages, ni aux travaux dirigés. En mars 1998, la requérante se vit refuser l’accès aux épreuves écrites dans l’une de ses matières au motif qu’elle portait le foulard islamique. Par la suite, on lui refusa pour le même motif son inscription ou son admission à plusieurs cours, de même que l’accès aux épreuves écrites dans une matière. La requérante se disait également victime d’une atteinte injustifiée à son droit à l’éducation et invoquait une violation de l’article 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme combiné avec l’article 9, considérant que l’interdiction du foulard islamique oblige les étudiantes à choisir entre l’éducation et la religion et opère une discrimination entre croyants et non-croyants. Elle invoquait enfin les articles 8 et 10. 9 Les arrêts de Grande Chambre sont définitifs (article 44 de la Convention). Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 16 sur 33 La Cour européenne constate que, pour la Cour constitutionnelle turque, la liberté vestimentaire dans les établissements de l’enseignement supérieur n’est pas absolue. Celle-ci a par ailleurs estimé que le fait d’autoriser les étudiantes à « se couvrir le cou et les cheveux avec un voile ou un foulard pour des raisons de conviction religieuse » dans les universités est contraire à la Constitution. Par ailleurs, depuis de longues années déjà, le Conseil d’Etat turc considérait que le port du foulard islamique par les étudiantes n’était pas compatible avec les principes fondamentaux de la République. De plus, le port du foulard islamique à l’Université d’Istanbul était réglementé au moins depuis 1994, soit bien avant que la requérante ne s’y inscrive. Dans ces cond itions, la Cour estime que l’ingérence litigieuse avait une base légale en droit turc et que Melle Şahin pouvait prévoir, dès son entrée à l’Université, que le port du foulard islamique était réglementé et, à partir de la circulaire de 1998, qu’elle risquait de se voir refuser l’accès aux cours et aux épreuves si elle persistait à porter le foulard. Par ailleurs, le système constitutionnel turc met également l’accent sur la protection des droits des femmes 10 . L’égalité entre les sexes, reconnue par la Cour européenne comme l’un des principes essentiels sous-jacents à la Convention et un objectif des Etats membres du Conseil de l’Europe a également été considérée par la Cour constitutionnelle turque comme un principe implicitement contenu dans les valeurs inspirant la Constitution. A l’instar des juges constitutionnels turcs, la Cour estime que lorsque l’on aborde la question du foulard islamique dans le contexte turc, on ne saurait faire abstraction de l’impact que peut avoir le port de ce symbole, présenté ou pe rçu comme une obligation religieuse contraignante, sur ceux qui ne l’arbore nt pas. Entrent en jeu notamment, comme elle l’a déjà souligné, la protection des « droits et libertés d’autrui » et le « maintien de l’ordre public » dans un pays où la majorité de la population, manifestant un attachement profond aux droits des femmes et à un mode de vie laïque, adhère à la religion musulmane. Une limitation du port du foulard peut donc passer pour répondre à un « besoin social impérieux » tendant à atteindre ces deux buts légitimes, d’autant plus que ce symbole religieux avait acquis au cours des dernières années en Turquie une portée politique. En conclusion, la Cour : - dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention ; - dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation des articles 8, 10 et 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. 10 L’art icle 10 de la Constitution turque prévoit que : « Tous les individus sont égaux devant la loi sans aucune discrimination fondée sur la langue, la race, la couleur, le sexe, l’opinion politique, la croyance philosophique, la religion, l’appartenance à un courant religieux ou d’autres motifs similaires. Les femmes et les hommes ont des droits égaux. L’Etat est tenu d’assurer la mise en pratique de cette égalité. » Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 17 sur 33 3.2. Jurisprudence belge Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses actions en justice ont été menées par de jeunes musulmanes (ou leurs parents) en réaction à divers règlements intérieurs interdisant le port du voile islamique (et plus généralement celui de couvre-chefs ou de signes religieux). La plupart des arrêts et jugements rendus sont représentatifs des thèses en présence et de la manière dont la Justice aborde le problème. Jugements et arrêts rendus Institut technique Edmond Machtens à Molenbeek Tribunal de pre miè re instance de Bruxelles (01/12/1989) Port du foulard en principe autorisé, mais avec des restrictions A l'automne 1989, une cinquantaine de jeunes filles manifestent le souhait de porter le foulard islamique à l'intérieur des salles de classe de l'Institut Edmond Machtens alors que le règlement de l'école interdit le port de couvre-chefs : « les jeunes gens et les jeunes filles retireront chapeaux, foulards, bonnets et casquettes à l'entrée des zones scolaires. » Une action judiciaire en référé devant le tribunal de première instance de Bruxelles est introduite par quelques parents contre la commune de Molenbeek et la Communauté française. Dans son ordonnance, le juge estime que le port du foulard doit, en principe, être autorisé, mais dans le respect d'un certain nombre de règles. Notamment, le port du foulard peut être interdit dans les couloirs et la cour de récréation afin de permettre une identification rapide en vue du maintien de l'ordre, ainsi qu'au cours d'éducation physique et dans le cadre de toute activité sportive pour des raisons de santé et de sécurité. Les parents font appel car les jeunes filles continuent à exiger de porter le foulard en toutes circonstances en présence d'hommes, ce qui amena la direction de l'école à prendre une série de mesures disciplinaires allant jusqu'à l'exclusion définitive de quatorze jeunes filles. Mais ils ne poursuivent finalement pas leur action. Une procédure est également introduite devant le Conseil d'Etat, mais, suite au désistement du requérant, aucun arrêt n'a été prononcé par la juridiction administrative. Le rapport de l'auditeur a cependant émis un avis dans lequel il estime que « l'exclusion de la requérante étant fondé sur son refus, formellement exprimé, de participer au cours de gymnastique, de se rendre au bassin de natation et de suivre les instructions du règlement d'atelier et, compte tenu, des limites assignées à la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses, l'autorité administrative était restée dans celles de son pouvoir d'appréciation en érigeant les faits incriminés en manquements disciplinaires. Elle était en effet fondée à considérer qu'ils perturbaient le déroulement des activités d'enseignement (ainsi d'ailleurs qu'elle l'affirme) ou compromettaient la sécurité des élèves. » Athénée royal de Visé Tribunal de pre miè re instance et Cour d’Appel de Liège (26/09/1994 et 23/02/1995) Règlement d'ordre intérieur interdisant de porter le foulard islamique Le règlement d'ordre intérieur contesté par les parents d’une étudiante comporte, entre autres, les dispositions suivantes : « Le suivi d'éducation nous conduit aussi à exiger des élèves une tenue vestimentaire correcte et adaptée à leur activité : tenue de sport pour l'éducation physique, tenue de ville pour les cours généraux, tenue de protection dans les laboratoires et Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 18 sur 33 les ateliers. Dès l'entrée sur le campus de l'école, les élèves doivent enlever leur couvre-chef [...] Il est interdit de se présenter à l'école en portant des insignes, des bijoux ou des vêtements qui expriment une opinion ou une appartenance politique, philosophique ou religieuse. » Les parents s'adressent en urgence tribunal de première instance de Liège pour exiger que leur fille soit autorisée à fréquenter l’Athénée royal couverte du foulard islamique en invoquant les libertés de religion et d'opinion, le caractère obligatoire du port du foulard islamique et le droit à l'enseignement. Par ordonnance du 26 septembre 1994, le tribunal de première instance de Liège, siégeant en référé, refuse de faire droit à la demande des parents de la jeune fille compte tenu du fait que l'urgence de cette demande n'avait pas été démontrée et qu'il apparaît que le refus de la jeune fille d'enlever son voile résulte d'un souhait personnel ou parental, et non d'une obligation religieuse. Par ailleurs, les demandeurs ayant admis qu'il existait dans les environs de chez eux des écoles tolérant le port du voile, le tribunal estime qu'il est erroné de soutenir que le règlement intérieur de l'Athénée de Visé prive leur fille du droit à l'enseignement puisqu'il leur suffisait soit de choisir un autre établissement, soit de respecter la règle. Les parents de la jeune fille interjettent appel de cette décision et, dans son arrêt du 23 février 1995, la Cour d'Appel de Liège refuse de faire droit à la demande des parents de voir leur fille réintégrer l'école tout en étant autorisée à porter le foulard islamique. Les motivations de cet arrêt sont éclairantes : « Il est certain qu'il n'appartient pas au pouvoir judiciaire ou aux autorités étatiques de définir le contenu d'une religion ou d'interpréter les commandements ou recommandations qu'elle impose à ses adeptes [...] La liberté de pensée, de conscience et de religion s'exerce dans le for intérieur de l'individu et ne s'extériorise point [...] A cet aspect interne du droit reconnu par l'article 9 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, l'on oppose un aspect externe impliquant la liberté de manifester sa religion, individuellement ou collectivement mais avec des restrictions possibles lorsque les pratiques sont de nature à provoquer le désordre [...] Les droits et libertés, qu'ils soient reconnus par des normes internationales ou constitutionnelles, ne sont jamais illimités et absolus. » La Cour fait référence à l'affaire Karaduman (voir plus haut : jurisprudence européenne) où l’on relève que « le port du foulard islamique pouvait constituer un défi à l'égard de ceux qui ne le portent pas. » Elle indique que « lorsqu'il interdit tout insigne, bijoux ou vêtement manifestant une opinion philosophique, le règlement traite sans discrimination l'ensemble des élèves et vise à éviter le militantisme affiché qui peut constituer un défi à l'opinion plus discrète des autres ainsi qu'à l'autorité qui a la charge du bon ordre de l'établissement et doit veiller à la paisible coexistence des différentes opinions [...] L'excès est principalement visé en ce qu'il contient de provocation, de refus des autres, de négation de la mission de l'école qui est aussi de préparer les élèves à la vie sociale active où ils devront s'intégrer dans le respect des habitudes du plus grand nombre [...] Le règlement incriminé n'apparaît pas manifestement illégal ou contraire aux règles et principes garantissant aux étudiants les droits fondamentaux tenant à la liberté de conscience et de culte. Dans son pouvoir de réglementation de l'enseignement, l’Etat doit ménager un juste équilibre entre la sauvegarde de l'intérêt général de la communauté et le respect des droits fondamentaux de l'homme. » En conséquence, « le risque de déstabilisation d'un établissement de plus de mille étudiants dans lequel la réglementation ces signes extérieurs est apparue nécessaire pour assurer le bon ordre doit en tout état de cause, au stade du référé, être préféré à l'intérêt particulier d'une seule étudiante qui dispose de solutions de rechange pour autant qu'elle accepte un minimum de gêne. » La demande des parents est donc rejetée. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 19 sur 33 Ecole Ouvrière Supérieure (Haute Ecole Libre de Bruxelles « Ilya Prigogine ») Tribunal de pre miè re instance de Bruxelles, siégeant en référé (11/12/1997) Règlement d'ordre intérieur interdisant le port du foulard islamique pendant les stages Six jeunes filles, aspirantes assistantes sociales sont inscrites dans le dernier cycle de l'Ecole ouvrière supérieure (EOS) d’Anderlecht. Un an auparavant, l’EOS décide d'interdire le port du foulard hors de l'établissement, pendant la durée des stages. L'année étant déjà bien engagée, les jeunes filles se sont vu appliquer un « régime transitoire»: leur situation ne changerait pas jusqu’en juin 1997. En octobre 2007, après s’être acquittées du minerval et après avoir suivi les cours du premier trimestre, la direction leur annonce qu'elles ne seront réellement inscrites qu'après signature du règlement d'ordre intérieur. Celui-ci précise, cette fois officiellement, l'interdiction du foulard dans les lieux de stage. Les étudiantes refusent de signer les documents d'inscription. En conséquence, conformément au prescrit notamment de l'article 28 du Décret de la Communauté française du 5 août 1995 relatif à l'organisation de l'enseignement, elles ne sont pas inscrites comme étudiantes, de sorte qu'elles ne peuvent évidemment pas suivre les cours. Le juge rappelle la séparation relative et l'indépendance mutuelle instaurées par la Constitution belge entre l'Église et l'Etat en Belgique. A ce titre, l'Etat ne tolère auc une immixtion de l'Église dans les affaires publiques, tout comme il ne se mêle généralement pas non plus des affaires de l'Église. En réponse à l'argument avancé par les demanderesses selon lequel le port du foulard constituerait une obligation de la femme musulmane basée sur les textes coraniques et les paroles prophétiques, le tribunal fait observer que « dans notre Etat de droit qui n'est pas théocratique mais d'inspiration pluraliste, ces textes coraniques et paroles prophétiques, pas plus que la Bible, l’Evangile ou autres textes religieux, ne constituent une règle de droit à laquelle les organes de l’Etat seraient soumis. » Le Tribunal reprend les conclusions dégagées dans l'arrêt de la Cour d'appel de Liège et dans la décision Karaduman de la Commission européenne des Droits de l'Homme cités plus haut, entre autres en rappelant que : « l'interdiction du port d'insignes manifestant une opinion politique, religieuse ou philosophique n'était pas manifestement contraire à la liberté de conscience et de culte garantie aux étudiants, lorsque ceci est appliqué sans discrimination et repose sur des considérations objectives (Liège, 23 février 1995). » Il ajoute : « Que si les demanderesses estiment que leurs convictions personnelles sont prioritaires par rapport à la fonction d'assistant social ou encore considèrent que l'affichage des unes n'est pas incompatible avec la mission de l'autre, ceci ne regarde qu'elles, mais force est de constater que cela est en contradiction avec les conceptions de la défenderesse, qui n'a aucune raison de se laisser imposer un point de vue qui n'est pas le sien et qui n'est d'ailleurs pas partagé par la grande majorité de la population estudiantine, toutes confessions et convictions philosophiques confondues; Que les demanderesses savent depuis le début de leurs études que la défenderesse place la conscience professionnelle avant les convictions personnelles, et elles ont toujours été libres, soit d'accepter ce point de vue, soit de rechercher une autre école susceptible de les accepter. Qu'une dérogation spéciale éventuelle au profit des demanderesses serait discriminatoire à l'égard de ces autres étudiantes, sans compter ceux et celles qui ont accepté de retirer leur croix catholique, leur étoile de David etc... » La demande des étudiantes est donc rejetée. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 20 sur 33 Ecole provinciale de comme rce d’Hasselt Cour d’appel d’Anvers (14/06/1995) Inte rdiction du port du foulard islamique Cet arrêt, assez semblable aux précédents, présente la particularité d’avoir été rendu en Flandre. La Cour d’Appel d'Anvers explique quand les écoles publiques peuvent interdire le port du voile islamique à leurs élèves. Elle estime que les élèves ont, en principe, le droit de porter un voile mais que ce droit n'est pas absolu. Une école publique peut le limiter pour des raisons de bonne organisation de l'enseignement. Le prosélytisme peut être une raison pour justifier cette limitation. Dans le cas, soumis à la Cour, les jeunes filles plaignantes auraient fait pression sur d'autres pour qu'elles portent le voile. Cette raison a justifié, pour la Cour, la limitation de ce droit. 11 Athénée de Gilly et Athénée Vauban de Charleroi ... Conseil d’Etat (arrêts 148566 et 148567, 02/09/2005) Recours contre un règlement inté rieur interdisant le voile En 2005 et 2006, plusieurs établissements de la Communauté française de la région de Charleroi ont modifié dans leur règlement intérieur en y introduisant l’interdiction du port de couvre-chefs. Ces modifications ont été soumises à la Ministre de l’Enseignement et acceptées par celle-ci. Diverses actions judiciaires ont été entreprises contre ces décisions aboutissant chaque fois à un rejet des demandes. Ainsi, à l’Athénée Vauban de Charleroi, le conseil de participation approuve, le 26 mai 2005, sur proposition du préfet de l’établissement, certaines modifications au règlement d’ordre intérieur précisant notamment que “ le port du couvre-chef, tout signe ostensible d’appartenance politique ou religieuse est interdit dans l’enceinte de l’établissement.” Le texte du règlement alors en vigueur disposait comme suit : “ le port du "couvre-chef" est interdit à l’intérieur des bâtiments.” Ce nouveau règlement d’ordre intérieur est soumis à la directrice générale de l’enseignement obligatoire le 26 juillet 2005 L'Athénée royal de Gilly adopte les dispositions suivantes du règlement d'ordre intérieur et les notifie à l'administration générale de l'enseignement obligatoire en date du 25 juin 2005 à savoir : « Un comportement, des vêtements, gestes, insignes dessins ou propos à caractère agressif, raciste, ou discriminatoire sont en contradiction avec l'esprit de notre école et sont, par conséquent, interdits » et « Le port de tout couvre-chef est interdit dans l'enceinte de l'établissement ainsi que sur les lieux de stage et lors des activités organisées dans le cadre scolaire à l'extérieur de l'école. » La Ministre approuve ces deux règlements en justifiant sa décision : « Considérant que la procédure d'élaboration du règlement d'ordre intérieur a été respectée; qu'en effet, le conseil de participation de l'établissement réuni le 21 juin 2005 a rendu un avis positif sur les modifications engendrées par le nouveau règlement d'ordre intérieur. Considérant que les règles édictées dans ce règlement d'ordre intérieur sont, dans leur ensemble, similaires à celles prévues par les autres établissements de la Communauté française. Considérant, plus particulièrement, que le règlement d'ordre intérieur prévoit l'interdiction du port de tout couvre-chef; qu'il prévoit également que les convictions philosophiques, politiques ou religieuses ne peuvent se manifester de façon outrancière et agressive. 11 « Le droit au voile à l’école n’est pas absolu », Le Soir, 16/06/2005 Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 21 sur 33 Considérant que, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, l'autorité estime qu'il convient de faire confiance à l'équipe éducative pour autant que la légalité soit respectée. Considérant que dans le cas d'espèce, l'équipe éducative a considéré qu'il était nécessaire d'opérer une telle interdiction afin d'assurer le bon déroulement de l'enseignement dans l'intérêt des élèves et de celui de l'établissement. Considérant qu'une telle interdiction est une restriction admissible à la liberté de manifester sa religion eu égard aux principes de neutralité et d'égalité; que cette interdiction a été considérée à juste titre par l'équipe éducative comme proportionnelle au but poursuivi, à savoir le bon déroulement des cours dans l'intérêt des élèves. Considérant que l'interdiction de toute manifestation de convictions philosophiques, politiques ou religieuses prévue par ce règlement d'ordre intérieur est limitée à ce qui est outrancier et agressif, et ce dans le respect du principe de proportionnalité. Considérant pour le surplus que ces deux mesures concernent sans discrimination l'ensemble des élèves quelles que soient leurs convictions philosophiques, politiques ou religieuses. » Dans les deux établissements, des parents d’élèves déposent une requête en suspension au Conseil d’Etat le 29 août 2005. Celui-ci rend, le 2 septembre 2005, deux arrêts semblables (n° 148566 et 148567). Il constate que les élèves ont pu s’inscrire dans un autre établissement et qu’elles ne subissent donc pas de préjudice grave justifiant la suspension. Ainsi, en ce qui concerne l’Athénée de Gilly : « Considérant qu’en l’espèce, au titre du risque de préjudice grave difficilement réparable que causerait l’application immédiate de l’acte attaqué, H. T. fait valoir qu’en raison de l’entrée en vigueur du nouveau R.O.I. à l’athénée royal de Gilly, il a procédé à une préinscription à l’athénée de Marchiennes où le problème du voile ne se pose pas.” ; qu’il ajoute ce qui suit : “cependant cet établissement scolaire se trouve à plus de 10 kilomètres du domicile familial”; que, selon lui, “ce changement posera un certain nombre de difficultés pour la fille du requérant et pour le requérant lui-même” ; qu’il expose que ces difficultés sont un surcoût financier et une fatigue accrue; qu’il prétend également que “moralement, cette exclusion de l’école est difficile à vivre tant pour son enfant que pour lui-même”, notamment, en ce qui concerne sa fille, en raison de la rupture des liens d’amitiés qu’elle avait tissés dans son école; [...] Considérant qu’il ressort de cet exposé que les requérantes ne courent aucun risque de rupture de leur parcours scolaire et que le changement d’établissement est exclusivement dû à la décision de leurs parents respectifs qui ont préféré, pour des raisons qui leur sont personnelles et que le Conseil d’Etat n’a pas à apprécier, ne pas marquer leur adhésion au nouveau règlement d’ordre intérieur de l’athénée royal de Gilly et donc ne pas inscrire leurs enfants dans cette école; que le préjudice allégué n'est pas la conséquence directe des actes critiqués; [...] Considérant qu'une des conditions requises par l'article 17, § 2, alinéa 1 ,des lois coordonnées pour que le Conseil d'Etat puisse ordonner la suspension de l'exécution de l'acte attaqué fait défaut; que la demande de suspension ne peut être accueillie. » er En mai 2003, à l’Athénée de Bruxelles II et en mai 2006 à l'Athénée royal de Marchienne-auPont, des modifications semblables au règlement intérieur ont entraîné des manifestations nécessitant l’intervention des forces de l’ordre, mais les décisions ont été maintenues. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 22 sur 33 Athénée Vauban de Charle roi Conseil d’Etat (arrêt 196260, 22/09/2009) Exclusion pour refus d’enlever le voile Les parents de l’Athénée Vauban de Charleroi à l’origine de la requête en suspension cidessus poursuivent la procédure auprès du Conseil d’Etat. Celui-ci rejette la requête parce qu’elle a été introduite, dans chaque cas, par un seul des deux parents. Il ajoute que cette erreur ne peut plus être corrigée car les jeunes filles sont devenues majeures entre-temps. « Considérant qu’au moment de l’introduction de la requête, S. K., B. Y., A. et H. C. étaient toutes mineures et qu’elles étaient représentées, les premières par leurs pères seulement, et les deux dernières par leur mère seulement; qu’il résulte de la réponse fournie par les parties requérantes aux questions posées à ce sujet par le Conseil d’État que ces jeunes filles sont de nationalité belge, de sorte que la loi qui gouverne leur capacité juridique est la loi belge, qu’à leur estime, un seul de leurs pères et mère pouvait valablement les représenter à l’égard de tiers de bonne foi, et que le choix opéré était guidé par le souci d’avoir à éviter de payer deux fois la taxe; Considérant qu’aux termes de l’article 373, alinéa 1 er , du Code civil, “lorsqu’ils vivent ensemble, les père et mère exercent conjointement leur autorité sur l’enfant” et qu’aux termes de l’article 376, alinéa 1er , du même Code, en ce cas ils “le représentent ensemble”; qu’il n’est pas soutenu que les requérants originaires se seraient trouvés dans les situations prévues par les articles 373, alinéa 3, ou 374 de ce Code; que si la direction d’un établissement scolaire et les autorités administratives peuvent le cas échéant constituer des “tiers de bonne foi” au sens de l’article 373, alinéa 2, il n’en est pas de même des juridictions auxquelles se pose la question si une action ou un recours sont régulièrement exercés devant elles; que cette disposition n’est pas applicable en l’espèce, pas plus que l’article 376, alinéa 2, d’une part pour la même raison, et d’autre part parce que le recours dont le Conseil d’État est saisi ne vise pas l’administration des biens des mineures mais une décision importante concernant leur éducation et leur formation; Considérant qu’il s’ensuit que la requête est irrecevable; Considérant que le vice qui affecte la requête originaire ne peut être réparé par la décision des jeunes filles devenues majeures de reprendre l’instance, [...] La requête est rejetée. » Ecole communale de Dison Conseil d’Etat (arrêt 196625, 02/10/2009) Exclusion pour refus d’enlever le voile Le règlement d’ordre intérieur des écoles communales de Dison, adopté par le Conseil communal en date du 28 mai 2009 précise que : « «Le port de tout couvre-chef est interdit à l’intérieur de l’école pour les élèves, sauf sur production d’un certificat médical circonstancié et à l’exception des cours de récréation. » Il est communiqué aux parents en juin 2009. A la rentrée de septembre 2009, deux jeunes élèves se présentent à l’école portant un voile. Les enseignants rappellent le règlement au père des enfants qui refuse que ses filles s’y conforment et reprend ses filles. Dans les jours suivants, la même situation se reproduit à plusieurs reprises, malgré des échanges de courriers et des entretiens avec le père. Le 14 septembre, le corps enseignant émet à l’unanimité un avis d’exclusion définitive : « Considérant que l’article 11, § 2 du règlement d’ordre intérieur des écoles communales de Dison porte: «En cas de non-respect du présent règlement, ou du règlement spécifique Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 23 sur 33 à l’établissement fréquenté, l’élève fautif s’expose à une sanction disciplinaire proportionnée à la gravité des faits commis: 1Le rappel à l’ordre [...] ; 2L’exclusion provisoire de l’établissement ou d’un cours (..) ; 3L’écartement provisoire [...] pendant la durée de la procédure d’exclusion définitive. 4L’exclusion définitive». Considérant que la gravité de l’infraction au règlement d’ordre intérieur découle en l’espèce du caractère répété de celle-ci; Considérant que Monsieur M. D. a clairement fait savoir qu’il ne permettrait jamais à sa fille de se conformer à l’interdiction du port de couvre-chef; Considérant que les sanctions autres que l’exclusion définitive ne sont donc pas de nature à assurer le respect du règlement ; Le corps enseignant émet à l’unanimité l’avis que l’exclusion définitive est la seule solution envisageable au problème posé. » Le Conseil d’Etat, une fois de plus, ne se prononce pas sur le fond. Il rejette la requête de la manière suivante : « Considérant, d’une part, qu’en s’abstenant d’introduire, dans le délai légal, un recours contre le règlement d’ordre intérieur dont ils reconnaissent eux-mêmes qu’ils en ont connaissance depuis le mois de juin 2009, les demandeurs ont créé eux-mêmes et délibérément le risque de préjudice grave difficilement réparable qu’ils invoquent; Considérant, d’autre part, [...]qu’en affirmant que “pour avoir un intérêt à la procédure d’annulation à venir et a fortiori, au présent recours en extrême urgence, la fillette ne peut évidemment s’inscrire dans une autre école”, [...] les demandeurs ont délibérément choisi de placer leur enfant dans la situation qu’ils dénoncent pour sauvegarder, non pas l’intérêt de son éducation, mais l’intérêt d’un recours au Conseil d’Etat; Considérant que le risque d’un tel préjudice grave difficilement réparable ne peut être admis; Considérant que l’une des conditions requises par l’article 17, § 2, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État pour que soit accueillie une demande de suspension fait défaut, la demande de suspension est rejetée. » A titre documentaire, on trouvera en annexe 2 une interview de la maman de ces élèves justifiant sa notion de l’éducation des enfants et donnant les raisons pour lesquelles elle porte, elle, le voile intégral. L’attitude ambiguë du Conseil d’Etat Si les tribunaux donnent généralement raison aux établissements scolaires justifiant l’interdiction du port du voile par l’application de leur règlement d’ordre intérieur, le Conseil d’Etat, lorsque est appelé à se prononcer sur le fond, donne la désagréable impression de « botter en touche » en utilisant toute une série de moyens afin d’éviter de prendre position. Ainsi, dans les arrêts détaillés ci-dessus, soit il rejette les requêtes en considérant qu’il n’y a pas de préjudice puisque les étudiantes peuvent s’inscrire ailleurs (Gilly, Vauban à Charleroi en référé, Dison) soit il se retranche derrière le fait qu’un seul des deux parents a introduit la requête et ensuite que, le temps ayant passé, les jeunes filles sont devenues majeures (Vauban à Charleroi), ce qui a entraîné le commentaire suivant dans la presse : « Cette fois encore, comme lors de procès précédents sur le port de signes religieux à l'école, la haute juridiction s’est abstenue d’aborder le fond de l'affaire. Les conseillers se sont limités à constater que les plaignants ne subissaient pas, à leurs yeux, un préjudice grave. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 24 sur 33 "Avant de rendre son arrêt dans cette affaire, le président nous a clairement fait comprendre que le jour où la question de fond – le fait de savoir si une école est habilitée à prendre des règlements interdisant les signes religieux ou philosophiques – serait abordée, c'est l'assemblée générale du Conseil d'Etat, toutes chambres réunies, qui serait appelé à statuer " précise Serge Marey, l'avocat de la commune de Dison. C'est le premier président de la haute juridiction qui a pris la décision de suivre cette procédure exceptionnelle, étant donné l'enjeu. Il s'agit notamment de s'assurer de la cohérence des décisions judiciaires, entre chambres francophones et flamandes. Bref, le dispositif est prêt pour répondre un jour à la question de fond : dans l'état actuel du droit (faute d'une loi ou d'un décret interdisant les signes religieux dans les établissements scolaires), les directions d'écoles sont-elles habilitées à limiter le droit constitutionnel des élèves à manifester leurs convictions ? »12 Quelques affaires connexes a. Enseignantes voilées 1. En juillet 2009, dans son arrêt n°195044, le Conseil d'Etat a annulé le licenciement par deux écoles primaires d’une enseignante de religion islamique du réseau néerlandophone (à Etterbeek et Ixelles) parce qu'elle portait son foulard à l'extérieur des classes. Elles ont agi abusivement car « Il ne ressort pas du dossier que le port du foulard en dehors du local de classe aurait une influence négative sur la manière dont l'enseignante exerce son travail », indique le Conseil d'Etat. 2. Une enseignante dispensant des cours de mathématiques dans trois écoles communales de Charleroi est déboutée, le 15 décembre 2009, par le tribunal des référés d’une procédure entamée suite à la décision de la Ville lui interdisant le port du foulard en classe. Depuis 2007, elle travaille dans l'enseignement secondaire inférieur, la tête recouverte d’un foulard ; elle a d'ailleurs prêté serment ainsi vêtue, sans qu'il n'y ait de réactions. Au mois de septembre 2009, l'enseignante voit son horaire réparti entre trois établissements. Deux directeurs s’opposent au port du voile. Le 19 octobre, l'échevine de l'enseignement, suivie par le collège, lui rappelle le principe de neutralité et lui interdit l'accès à l'école, tant qu'elle maintient son comportement. Elle introduit un recours devant le tribunal des référés, qui estime cette demande infondée en rappelant le principe de neutralité valable dans l'enseignement officiel : «Aucun texte n'interdit le port du voile », affirme la présidente dans son ordonnance. « Mais il est admis que le port du foulard est un symbole religieux relatif à la confession musulmane. Le foulard n'est pas un signe discret. Il a un impact, certes difficile à apprécier, dans le cadre scolaire. » Le tribunal, note en outre que l'enseignante à choisi de travailler dans l'enseigne ment officiel et a donc admis de limiter sa liberté religieuse en vertu du principe de neutralité . Le laxisme de son ancien directeur, qui lui a permis ce port du voile durant plus de deux ans, n'y change rien. Enfin, il n'est nullement reproché l’adhésion de la demanderesse à la religion musulmane, qu'elle peut pratiquer dans sa sphère privée. Ses compétences ne sont pas non plus remises en cause. La décision prise par les autorités communales ne peut donc être considérée comme une discrimination ou toute forme d'atteinte à la liberté religieuse. .. 13 12 13 source : Le So ir, 08/ 10/ 2009 « Pas de voile en classe pour la prof », La libre Belgique, 16/ 12/ 2009 Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 25 sur 33 b. Avocate voilée Le 29 septembre 2009, le Conseil de l'Ordre du barreau de Bruxelles a rejeté la requête d'une jeune juriste souhaitant prêter serment et plaider voilée. En 2007, il s’était déjà opposé au port de la kippa juive par un avocat. Le Code judiciaire est très clair sur la question de l’habillement des avocats qu’il décrit de manière très détaillée. De plus, l’article 759 du Code judiciaire précise : « Celui qui assiste aux audiences se tient découvert... » Il s’agit d’uniformiser la tenue des avocats pour leur donner une apparence de neutralité. Ils doivent éviter tout signe ostentatoire affichant une quelconque religiosité pour garantir le principe d’indépendance et d’égalité entre avocats. c. Port du voile sur le lieu de travail La Cour du travail de Bruxelles a rendu, le 15 janvier 2008, un arrêt concernant un licenciement pour motif grave justifié par deux raisons : insubordination et port du voile islamique. Une vendeuse travaille pendant 8 ans dans une grande librairie. Elle prend ensuite plusieurs congés successifs dont le dernier pour maladie. Après 6 ans et demi d’absence, le médecinconseil l’oblige à reprendre le travail. Son contrat de travail prévoit, après une absence de ce genre, un préavis d’au moins 10 jours avant de rentrer en fonction. Elle exige de réintégrer immédiatement son emploi et prévient son employeur de ce que, dorénavant, elle portera le voile islamique au travail. Malgré le refus de son employeur, elle se présente à son travail sans respecter ce délai et portant le foulard. La société la licencie pour motif grave pour les deux raisons précitées. La Cour rejette l’appel de la vendeuse, reconnaissant la validité des deux motifs évoqués par l’employeur en précisant, à propos du second : « L'insubordination résultant du retour anticipé au travail est ici aggravée par la circonstance que l'appelante s'est présentée dans une tenue vestimentaire qu'elle savait ne pas convenir au travail qu'elle avait à exécuter. En effet, il ressort une fois encore du contenu de la lettre de notification des motifs graves et il n'est pas contesté par l'appelante que Madame E.F. avait exprimé par téléphone sa volonté de porter un voile religieux sur son lieu de travail dès son retour et que l'employeur lui avait indiqué qu'il lui était impossible d'accéder à ce souhait. Par ailleurs, Madame E.F. a elle-même admis, dans sa lettre du 2 décembre 2004 que le port du voile ne convenait pas dans un poste impliquant un contact direct avec les clients. Or le travail pour lequel Madame E.F. a été engagée, qu'elle a accompli effectivement durant 7 ans et demi et qu'elle était censée reprendre à son retour après la longue période de suspension, était celui de vendeuse. La société n'avait aucune obligation de fournir à l'appelante un autre travail. L'appelante invoque son droit à la liberté d'avoir ou d'adopter une religion de son choix et de manifester sa religion ou ses convictions (article 19 de la Constitution belge et article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales). La liberté de religion n'est pas ici en cause : la société intimée n'a pas reproché à l'appelante son appartenance à la religion islamique mais uniquement de s'être présentée au travail en affichant un signe religieux ostentatoire, au mépris des recommandations s'appliquant à tous les membres du personnel - suivant lesquelles les travailleurs en contact avec la clientèle doivent, non seulement, porter une tenue vestimentaire faisant référence à l'appartenance à la marque commerciale de la société, mais, en outre, s'abstenir d'arborer des signes ou tenues ayant pour conséquence de porter atteinte à l'image de marque « Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 26 sur 33 ouverte, disponible, sobre, familiale, et neutre » de la société. La liberté de manifester sa religion n'est pas absolue; des restrictions sont possibles lorsque les pratiques religieuses sont de nature à provoquer le désordre. L'usage interne à une société commerciale, interdisant au personnel en contact avec la clientèle le port de certaines tenues vestimentaires ne cadrant pas avec une neutralité, et plus précisément le port du voile religieux, repose sur des considérations objectives propres à l'image de marque de l'entreprise commerciale. Un tel usage, qui s'applique à l'ensemble des travailleurs ou d'une catégorie de travailleurs, n'est pas discriminatoire. » d. Port du voile par des mandataires publics Citons, simplement pour rappel, les fortes contestations qui suivirent deux événements politiques récents. Tout d’abord, la prestation de serment en juin 2009 au Parlement bruxellois de Mahinur Özdemir (CDH), une jeune femme d’origine turque âgée de 26 ans affichant ses convictions religieuses en portant le voile et dont le père (Hasan Özdemir) a été un des administrateurs de l’ « Association culturelle turque à Schaerbeek », section schaerbeekoise des Loups Gris turcs. Doyenne et présidente à ce titre de la nouvelle assemblée, Antoinette Spaak (MR) ainsi que le président sortant, Eric Tomas (PS), ont indiqué que rien ne dit dans le règlement qu'elle ne peut porter le voile. "J'ai mes convictions, mais, s'il le faut, je prendrai les mesures que m'accorde mon statut de présidente désignée pour protéger mon assesseur, Mahinur Ozdemir, contre ceux qui voudraient l'empêcher de siéger sous prétexte qu'elle est voilée. Cela dit, il me semble que le parlement doit se pencher sur la question ", dit Mme Spaak. Ajoutons que le Comité de Vigilance Citoyen a déposé plainte, auprès du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, contre la députée bruxelloise CDH pour des propos négationnistes au sujet du génocide arménien14 . Fit également du bruit la récente nomination par le parti Ecolo au conseil d'administration du Centre pour l'égalité des chances et de lutte contre le racisme d’une musulmane voilée, Fatima Zibouh, chercheuse à l’Université de Liège, spécialiste en matière d’ethnicité et de migrations et qui, au cours de ses études à l'ULB, a évolué dans le sillage de Tariq Ramadan, l'un des leaders de la mouvance des Frères musulmans en Europe. 15 Signalons qu’au niveau fédéral une proposition de loi «visant à appliquer la séparation de l’Etat et des organisations et communautés religieuses et philosophiques non confessionnelles» a été déposée au Sénat le 6 novembre 2007 par Philippe Mahoux et Olga Zrihen (PS) , Christine Defraigne (MR), Josy Dubié (Ecolo), Paul Wille et Jean-Jacques De Gucht (VLD). Cce texte prévoit dans son article 2 que : « Sauf les exceptions prévues par la loi, en cas de conflit entre la loi et une prescription religieuse, cette dernière ne peut faire obstacle à la pleine jouissance et au plein exercice des droits civils et politiques. Elle ne peut davantage dispenser du respect de ces droits. » et dans son article 5 que : « Les agents des pouvoirs publics s'abstiennent, dans l'exercice de leurs fonctions, d'une quelconque manifestation extérieure de toute forme d'expression philosophique, religieuse, communautaire ou partisane. » 14 15 Le Soir, 22 ju in 2009. Le Vi f-L’Express, 10/02/ 2010. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 27 sur 33 CONCLUSION On constate que les cours et tribunaux tant au niveau européen que national: - ne se prononcent pas sur la question de savoir si le port du voile est, pour les musulmanes, une obligation religieuse ou une simple coutume ; - suivent une jurisprudence constante en considérant que les prescriptions légales (et essentiellement la Convention européenne des Droits de l’Homme) ne sont pas enfreintes lorsqu’un établissement scolaire ou universitaire prend un règlement intérieur interdisant le port de couvre-chefs ou de signes religieux. En Belgique, l’attitude du Conseil d’Etat est plus ambiguë : il rejette les recours des jeunes filles (ou de leurs parents), mais en évitant soigneusement de se prononcer sur la question de fond : une école peut-elle prendre des règlements interdisant les signes religieux ou philosophiques ? Si une loi et/ou un décret devaient prochainement être envisagés à ce sujet, il sera contraint de sortir de sa réserve, mais il serait présomptueux d’avancer un pronostic sur sa position future. Ne faut-il pas se poser la question de l’opportunité de cette éventuelle réglementation ? L’attitude actuelle qui consiste à laisser chaque établissement décider de prendre ou non un règlement en la matière a des avantages : elle permet de réagir aux situations locales en laissant la décision aux personnes du terrain et elle évite de mécontenter une communauté dont le poids électoral est de moins en moins négligeable. A contrario, elle laisse toute la responsabilité de la décision aux directions des établissements, a vec un risque évident de manque d’uniformité, elle risque de renforcer le repli communautaire et elle ne donne aucun signal fort à la mouvance intégriste qui, si elle est encore minoritaire au sein de la communauté musulmane, n’en est pas moins fort active et considèrerait fort probablement une attitude tolérante en ce qui concerne le port du voile comme une victoire l’encourageant à poursuivre avec vigueur d’autres combats similaires. A ce sujet, l’attitude d’un organisme comme le Centre d’Action laïque e st intéressante à relever. En 2004, il prenait position sur l’extériorisation des signes d’appartenance religieuse et philosophique dans les services publics et les établissements scolaires en défendant la doctrine de l’autonomie des écoles, laissant le soin à chaque établissement scolaire d’arrêter les règles en vigueur, en fonction des réalités du terrain. Insistant sur « la liberté de conscience » des élèves, il ne préconisait d’interdiction que dans les écoles qui seraient confrontées à des manifestations « abusives » ou « prosélytiques » de confession religieuse. Le 16 septembre 2009, il a modifié en profondeur sa position : « Les temps ont changé. Il y a quinze ans, quand on parlait de racisme, on visait les relations discriminatoires entre les personnes. Aujourd’hui, le blasphème, la caricature et la simple critique religieuse sont assimilés par beaucoup à un comportement discriminatoire de type raciste. .Au niveau scolaire, la pression des communautarismes de toutes obédiences est devenue tellement forte qu’elle est aujourd’hui ingérable, tant pour les pouvoirs organisateurs que pour le corps enseignant, en l’absence d’un cadre légal auquel se référer clairement ; force est de constater qu’il n’est plus possible de se contenter d’un avis laissant aux établissements le dernier mot quant aux limites exigées en matière d’impartialité. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 28 sur 33 Si des juges dénient aux éducateurs, aux directions et aux pouvoirs organisateurs la responsabilité d’apprécier les limites en cette matière, comme c’est le cas aujourd’hui, il faut que cette limite soit fixée par la loi ou par des décrets. Tant il est vrai qu’aucune liberté ne peut s’exercer sans limite. Des limites ont d’ailleurs été légitimement fixées aux tenues vestimentaires et apparences provocantes de certains élèves, malgré que celles-ci soient des manifestations de leur personnalité naissante et de leur liberté d’expression. »16 En conséquence, le Centre d’Action laïque donne son plein et entier soutien à la proposition de loi déposée par les sénateurs Mahoux, Defraigne et consorts « visant à appliquer la séparation de l’Etat et des organisations et communautés religieuses et philosophiques non confessionnelles » et décrite plus haut. Les positions évoluent, le problème grandit, les débats deviennent passionnés. Une attitude claire des pouvoirs publics paraît désormais indispensable.... 16 « Extériorisation des signes d’appartenance. La position du Centre d’Action laïque », C.A.L., Libres ensemble, 2009. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 29 sur 33 ANNEXE 1 : Cours de natation Dans un établissement du centre de Bruxelles, des parents demandent que leurs filles soient dispensées des cours de natation et d’éducation physique car elles sont musulmanes. Les parents consultent la grande Mosquée de Bruxelles qui leur adressent la réponse suivante. Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 30 sur 33 Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 31 sur 33 L’établissement rappelle le caractère obligatoire des cours en question et fait référence aux documents signés par les parents à l’inscription. Dans les jours qui suivent, l’élève concernée ainsi qu’un certain nombre de ses condisciples remettent toutes un certificat médical les exemptant des cours de natation et d’éducation physique jusqu’à la fin de l’année scolaire.... Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 32 sur 33 ANNEXE 2 : Interview d’une mère d’élèves voilées « Dans le salon des Esperate Housewises » (Le Vif - L’Express, 12 février 2010) Fatima, 5 enfants, est vêtue d'un pantalon, d'une tunique et d'un voile violet. Elle a toujours vécu dans la région verviétoise. Itinéraire d'une femme qui se dit libre: « J'avais un père très, très protecteur et j'étais l'aînée de la famille. Il avait vu tellement de filles mal tourner qu'à l'âge de 13 ans il m'a retirée de l'école et inscrite à l'enseignement à distance de la Communauté française. Je lui en suis reconnaissante. Je n'ai jamais été triste de ne pas avoir été à l'école, même si j'aurais voulu devenir institutrice. D'ailleurs, je n'exclus pas de reprendre un jour des études. Mais, pour le moment, je fais la classe à mes enfants et à ceux de mes amies et, ensuite, viendra, le temps des petits-enfants. Mon mari est gradué en électronique et il subvient à mes besoins. Il est très bricoleur. Il fait tout dans la maison. C'est lui aussi qui a affronté l'école, lorsqu'il s'est obstiné à l’y conduire couverte d'un foulard, en dépit d'un règlement communal l'interdisant dans le réseau primaire de Dison. Il n'a pas eu gain de cause devant la justice verviétoise. » La fillette finit sa sixième en privé. Ensuite, elle ira dans une des rares écoles secondaires de Verviers qui acceptent encore le foulard. Un vélo d'appartement trône dans le salon de Fatima. La jeune femme ne sort pratiquement plus. « Je suis très respectueuse des lois. Ce serait une humiliation d'être interpellée par la police. » Les livres, Internet et le réseau de sociabilité féminin (y compris des professionnelles non musulmanes: assistante sociale, policière, institutrice ... ) suppléent au manque de contacts extérieurs. La saga de l'interdiction de le burqa dans la zone de police Vesdre, en 2008, lui a donné accès à une forme de citoyenneté. « Nous avons essayé d'entrer en dialogue avec les autorités communales. Elles nous ont menées en bateau, en nous faisant croire qu'un compromis était possible. J'ai été très choquée que le bourgmestre ait tenté de faire passer des messages via les mosquées. Les imams n'ont aucun pouvoir sur nous. Les textes religieux sont là. J'obéis à un ordre divin, fruit d'un long cheminement, et j'y trouve mon bien-être, mon bonheur. Qu'on ne me parle pas d'Islam radical, il n'y a qu'un seul Islam. Notre religion interdit la rencontre entre les hommes et les femmes en dehors de la famille, mais je peux parler aux hommes. Avec les gestes, le cœur, les yeux qui plissent quand on sourit la communication existe. En cas de nécessité, je ne refuserais pas de me laisser soigner par un médecin et si je dois absolument discuter avec mon avocat en l'absence de mon mari, je lui demande la permission par téléphone et je le fais. Mais si je sortais dévoilée, je me sentirais nue. Les gens ne comprennent pas. Pourtant, même avec ce que je vois à la télé, je ne juge personne. Qu'on ne me juge pas non plus! » Février 2010 LE PORT DU VOILE DANS L’ENSEIGNEM ENT Page 33 sur 33