LA CRETE PALATIALE AU MINOEN MOYEN

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LA CRETE PALATIALE AU MINOEN MOYEN
LA CRETE PALATIALE AU MINOEN MOYEN
1900 - 1100 av. J.-C.
La civilisation minoenne, qui coïncide parfaitement avec la période palatiale du
bronze moyen, n’est connue des spécialistes et du grand public que depuis un peu plus d’un
siècle. Sa découverte est désormais indissociable de la mise au jour du palais de Knossos, au
Nord de la Crète, découverte qui fit faire un bond spectaculaire à l’archéologie égéenne.
I. LES FOUILLES
1. Les précurseurs
Portrait d’Heinrich Schliemann (1822-1890), âgé de 55 ans, peint par Sydney Hodges
(Londres) en 1877 - Berlin, Museum für Vor-und-Frügeschichte
Dès la seconde moitié du XIXè siècle, certains chercheurs étaient persuadés que le
sol de la Crète renfermait des richesses archéologiques insoupçonnées. Heinrich Schliemann
(1822-1890), le grand précurseur visionnaire, avait ouvert la voie à la découverte du monde
créto-mycénien. Par son intuition, son acharnement, sa confiance aveugle dans les textes
homériques, il avait mis, sous les yeux sceptiques des savants en chambre du XIX è siècle,
successivement les vestiges d’Ithaque (1868), de Troie (1870), de Mycènes (1876) et de
Tirynthe. En 1886, devant le prix abusif du terrain, il avait dû renoncer à des fouilles sur le
site qu’il supposait être celui de Knossos. Un an avant sa mort, il écrivait : “Je voudrais
clôturer mes travaux par une grande œuvre : exhumer le palais préhistorique des rois de
Knossos, en Crète, que je crois avoir découvert il y a trois ans”. Il n’eut pas la joie de voir
son rêve se réaliser. C’est à un Anglais, Arthur Evans (1851-1941), que reviendra le
privilège de mettre au jour le palais de Minos.
L’archéologue anglais Sir Arthur Evans, qui fouilla le site de Knossos entre 1900 et 1905.
Ce fils de papetier, né à Nash Mills, dans le Hertfordshire, en 1851 bénéficie d’un
“contexte culturel” favorable. Son père, riche fabricant de papier, est en effet un amateur
d’archéologie qui a réalisé d’intéressants travaux sur la préhistoire de l’Angleterre et les
monnaies celto-britanniques. Après de bonnes études à Harrow, Oxford et Göttingen, Arthur
Evans, passionné de numismatique comme son père, voyage en Illyrie et en Bosnie en 1877.
Il s’intéresse également à l’ethnologie et devient correspondant du Manchester Guardian, ce
qui l’amène à se déplacer fréquemment à l’étranger. Une nouvelle passion pour les écritures
anciennes ne va pas tarder à naître, qu’il pourra satisfaire en devenant conservateur de
l’Ashmolean Museum d’Oxford. C’est à ce titre qu’il se rendra en Grèce, puis en Crète, pour
étudier des spécimens d’écriture et visiter les collections de Minos Kalokairinos en 1893.
Ce Crétois, au prénom plus que prédestiné, membre d’une famille de
commerçants, était interprète au consulat britannique de Candie - l’actuelle Héraklion. Les
succès de Schliemann à Troie et en Grèce l’avaient conduit à penser - avec quelques autres qu’Homère disait peut-être vrai au sujet de la Crète, île au passé glorieux, dont la Grèce
classique gardait le souvenir. Il se mit donc à étudier le poète sur le terrain, d’abord à Gortyne
où il déterra un fragment de la célèbre inscription en 1857, mais sans la déchiffrer. Puis il se
mit à fouiller à l’emplacement de Knossos - occupé à l’époque par le village de Makryteichos
(= long mur) -, à six kilomètres au Sud de Candie, de décembre 1878 à 1879. Une douzaine
de tranchées de 2 à 3 mètres lui révélèrent les murailles du palais, des magasins, des corridors.
Il fit une ample récolte de pithoï, ces magnifiques jarres minoennes - étudiées alors par le
Français Haussoulier -, et de divers objets qui constituèrent la collection Kalokairinos et
l’embryon du musée Zakkirakis. Il offrit généreusement des pithoï au prince Constantin de
Grèce et aux musées de Londres, Paris et Rome.
Ces premières trouvailles de Minos Kalokairinos ne passèrent pas inaperçues et
suscitèrent des émules. Des Grecs tout d’abord : en 1883 se constituait en Crète l’Association
des Amis de l’Education, dirigée par le docteur Hazzidakis, qui obtenait des Turcs
l’autorisation de fouiller. Les découvertes s’enchaînèrent alors rapidement durant les années
1884 à 1887 :
- 1884-1885 : caverne de l’Ida
- 1885-1886 : caverne de Patsos
- 1886 : caverne de Psykhro
- 1887 : environs de Phaistos.
Un climat favorable à la résurrection de la civilisation minoenne - si mal connue à
cette époque - se développe. En 1886, Schliemann et Dörpfeld situent Knossos à son véritable
emplacement sans pouvoir le vérifier. En 1891, c’est au tour du Français Joubin d’émettre des
hypothèses semblables, sans que les membres de l’Ecole Française d’Athènes puissent
davantage les vérifier par des fouilles.
2. Les fouilles d’Evans
Il faut donc souligner le contexte favorable qui accueille Arthur Evans à son
arrivée en territoire hellénique en 1893. Son objectif est de retrouver le palais de Knossos
mais, ne pouvant acquérir à cette époque le terrain déjà convoité par Schliemann, il
commence par faire des recherches sur le système d’écriture crétois. Parallèlement aux
recherches d’Evans, Taramelli découvre, en 1894, les superbes vases de Kamarès, affirmant
ainsi l’originalité de la civilisation crétoise. Des incidents politiques vont curieusement
accélérer le processus de découverte. En effet, une émeute ayant détruit, le 25 août 1898, les
collections de Minos Kalokairinos, les savants et lettrés, alarmés, soulignent la nécessité de
procéder à des fouilles d’urgence pour sauvegarder le patrimoine insulaire. 1899 voit
l’indépendance de la Crète : les Turcs quittent l’île, laissant le champ libre aux archéologues.
Grâce aux crédits du Cretan Exploration Found, Arthur Evans put enfin acheter le
terrain qui lui manquait pour commencer les fouilles sur le site présumé du palais de Knossos.
Il avait d’ailleurs commencé un achat progressif et secret à partir de 1895. Il donne son
premier coup de pioche le 23 mars 1900, secondé par l’archéologue D. Mackensie et par
l’architecte D.T. Fyfe. Il pouvait aussi compter sur l’aide du directeur de l’Ecole anglaise
d’Athènes, Hogarth, et du Grec Hazzidakis, futur Ephore général des Antiquités. Les trois
premières campagnes furent menées avec ardeur et enthousiasme. Elles allaient dégager une
partie importante du palais minoen, dont la totalité, avec ses annexes, sera mise au jour en
1930.
Arthur Evans n’était venu que pour quelques mois en Crète, mais il ne quittera
l’île qu’en 1935, à l’âge de 84 ans. Ses campagnes de fouilles successives allaient dégager
progressivement l’ensemble des constructions de Knossos puis, de 1905 à 1908, le petit
palais, la nécropole de Zafer Papoura et Isopata et, enfin, le port de Komos sur le golfe de la
Messara, au Sud. Parallèlement, à partir de 1900, les Italiens dégagent Phaistos et Haghia
Triada, et les Français Malia en 1921.
Arthur Evans à Knossos
Si tout le monde archéologique reconnaît désormais les qualités de chercheur et de
fouilleur d’Evans, son souci de publier tous ses travaux, il faut bien admettre que, dans
l’enthousiasme de ses trouvailles, il a commis certaines erreurs. Rapide en tout et mieux armé
que Schliemann, Evans s’empresse de faire œuvre fondatrice en proposant, dès le début, avant
même d’être sûr d’en détenir les preuves, une chronologie de la Crète préhistorique qui puisse
servir de base et de modèle pour le monde égéen dans son ensemble : Minoen ancien (avant
les palais 3000-2000 av. J.-C.), Minoen moyen (premiers palais, 2000-1600 av. J.-C.) et
Minoen récent (seconds palais, 1600-1050 av. J.-C.) - chaque période étant elle-même divisée
en trois phases -, tel est le schéma ternaire qui structure l’âge du bronze en Crète et sur le
continent helladique. Il élargit sa vision et propose aussi très vite une image globale de la
civilisation crétoise, qu’il baptise minoenne pour la distinguer de la civilisation mycénienne
avec laquelle elle possède, à ses yeux, de moins en moins de points communs - les palais
minoens, en particulier, ne sont pas fortifiés. Cette construction est visiblement marquée par
la hâte et l’approximation, ce que Evans ne songe même pas à dissimuler. Elle est pourtant
reçue comme une bible que l’on commence seulement à remettre en question.
L’œuvre de Sir Arthur Evans est à double registre, matérielle et accessible à tous à
Knossos et au Musée Archéologique d’Héraklion, écrite et réservée aux spécialistes.
La manifestation la plus connue en est évidemment la restauration du palais de
Knossos, avec ses colonnes rouges, son dédale de couloirs, ses escaliers, ses pithoï... Certains
se sont insurgés contre les reconstitutions de l’archéologue dont le buste accueille les visiteurs
à l’entrée du site : emploi du ciment à la place du bois, peintures discutables, restitution des
fresques du musée à partir de faibles fragments... Certes, toute reconstitution a ses défauts,
mais Knossos a l’avantage sur Malia ou Phaistos, par exemple, de présenter des élévations qui
donnent une idée de ce que pouvait être le palais. Quant au ciment employé abusivement, il
résistera plus longtemps que le bois aux intempéries. Mieux encore, la visite des autres sites
palatiaux célèbres de la Crète s’en trouve facilitée. Dans cet esprit, on peut rapprocher
Knossos de Pierrefonds ou du Haut Koenigsbourg qui sont, malgré leurs défauts, des
illustrations vivantes du Moyen Age, mieux que Coucy ou Chinon.
Le second volet de l’œuvre d’Evans réside dans ses abondants travaux écrits.
La somme de ses fouilles à Knossos est exposée dans un ouvrage en quatre
volumes publiés entre 1921 et 1936, The Palace of Minos.
Dans le domaine de l’écriture, qui le passionnait tout particulièrement, on doit à
Evans des découvertes primordiales. Il a classé les inscriptions relevées sur les tablettes,
sceaux, bijoux crétois... en trois catégories : écritures hiéroglyphiques ou pictographiques (du
IIIè millénaire à 1600 av. J.-C. environ), linéaire A (1600-1400 av. J.-C.) et linéaire B (14001300 av. J.-C.). Cette division demeure admise avec quelques aménagements - par exemple,
le linéaire A apparaît à Phaistos vers 2000 av. J.-C. Les conclusions d’Evans sont consignées
dans les Scripta Minoa, dont le premier volume est édité dès 1909. Il n’aura pas le temps de
publier les 2800 tablettes trouvées à Knossos. Il faudra attendre 1952 pour que Sir John Myres
publie les Scripta Minoa II, ce qui facilitera le déchiffrement du linéaire B par Ventris et
Chadwick en 1953.
Si le “mythe Evans” commence singulièrement à se lézarder, les ajustements
apportés par les découvertes récentes n’enlèvent rien au mérite de cet archéologue dont les
travaux ont donné le coup d’envoi à une floraison de chantiers dont la série se poursuit encore
aujourd’hui. Le produit de ses fouilles a permis la création du Musée Archéologique
d’Héraklion, unique au monde par la richesse et l’unité de ses collections. Les abondantes
publications d’Arthur Evans ont au moins le mérite de poser le problème des origines, du
rayonnement et de la disparition de la civilisation minoenne.
II. KNOSSOS, LE MODELE DES PALAIS MINOENS
1. La fonction des palais minoens
C’est Sir Arthur Evans qui a qualifié de palais les vestiges archéologiques mis au
jour à Knossos, et depuis lors, c’est le terme qui est couramment utilisé.
Quelle était donc la fonction du palais minoen ?
Il est vrai que nous connaissons peu de choses sur le mode de gouvernement en
Crète minoenne. Un roi, un roi-prêtre, une reine-prêtresse ou un collège de prêtres étaient
peut-être chargés d’administrer l’Etat. En l’absence de documents écrits - le linéaire A n’est
toujours pas déchiffré -, il est impossible de l’affirmer avec certitude.
La mythologie fait de la Crète le royaume de Minos, avec Knossos comme
capitale. En fait, il semble que Minos ait été un titre dynastique - comme Pharaon en Egypte
ou César à Rome -, plutôt que le nom d’un roi. Au début du IIè millénaire, le Minos ne régnait
que sur une partie de l’île. D’autres rois, roitelets ou princes menaient à Phaistos, à Malia, à
Kato Zakros, à Gournia peut-être, et à Tylissos, une vie indépendante. Peu à peu cependant, le
Minos de Knossos imposa son hégémonie. D’Amnissos, un port situé à quelque quatre
kilomètres de son palais, il envoyait ses vaisseaux sillonner la mer Egée, commercer avec
l’Asie, avec l’Egypte. On ne peut affirmer que les Cyclades et le continent grec reconnurent
sa suzeraineté, mais la légende de Thésée et du Minotaure semble conserver le souvenir d’une
Attique tributaire de Knossos et contrainte de lui livrer la fleur de sa jeunesse. Hérodote et
Thucydide parlent avec une certaine emphase de la thalassocratie crétoise. Ils disent en
substance que la flotte de Minos dominait le bassin égéen; les Cyclades furent colonisées; ce
fut une période de grande prospérité. Le fait que l’on connaisse des localités du nom de
Minos, non seulement en Crète, mais à Paros, Amorgos, Siphnos, Délos, en Laconie et en
Mégaride, à Corfou, en Sicile, atteste le prestige de Knossos et l’étendue de son empire.
Quelle qu’en ait pu être la forme politique, l’empire de Minos exista. Au Minoen moyen,
l’influence culturelle de la Crète fut considérable. Les découvertes de Phylacopi, à Mélos, et,
surtout, d’Akrotiri, à Santorin, en témoignent. Et le palais de Knossos était le centre rayonnant
de ce vaste empire.
En étudiant les vestiges archéologiques, il ressort que le palais minoen avait deux
fonctions essentielles : l’une économique, l’autre religieuse.
La fonction économique est évidente avec les très nombreux magasins et ateliers
qui existent dans tous les palais mis au jour. La seconde est attestée par un grand nombre
d’objets de culte éparpillés dans beaucoup de salles et par la présence de fresques à caractère
religieux.
Ce qui frappe aussi, c’est que la religion et l’économie étaient liées, comme l’a
fait observer le professeur Nikolaos Platon. Ce lien est mis en évidence par la place des
magasins et ateliers, situés juste à côté des sanctuaires. Dans tous les palais, les magasins se
trouvent dans l’aile occidentale que l’on admet généralement comme l’aile sacrée.
Le lien entre la religion et l’économie suppose qu’il s’agissait d’un système
théocratique, c’est-à-dire que l’administration et l’économie étaient contrôlées par les prêtres.
L’Orient, l’Egypte, la Mésopotamie connaissaient des systèmes semblables. Les
ressemblances entre les temples de Mésopotamie et le palais minoen sont frappantes. Comme
le temple mésopotamien, le palais crétois a des ateliers et des magasins attenants. En
Mésopotamie, les repas religieux se prenaient dans les temples. Chez les Minoens, on peut
affirmer que les repas cultuels se prenaient dans le palais, près du sanctuaire. On a retrouvé
des ustensiles de cuisine dans le sanctuaire sud du palais de Malia. Evans a découvert une
cuisine derrière la pièce du palais de Knossos qu’il a baptisée la “Salle du Trône”. Nikolaos
Platon a reconnu une salle de banquet dans la partie du palais de Kato Zakros où se trouve le
sanctuaire. Les sanctuaires minoens ont des banquettes, ce qui peut impliquer qu’on y
célébrait des repas cultuels. Outre ces similitudes particulières, il existe une ressemblance
d’ensemble entre le palais minoen et le temple mésopotamien. Tous deux étaient des centres
de redistribution. Tous deux jouaient un rôle fondamental dans l’organisation de la société.
Pour résumer, on peut définir les palais minoens comme des centres religieux et
économiques. Leur rôle était à la fois administratif et économique avec, comme force
d’unification, la religion.
2. Le palais de Knossos
Le palais de Knossos était donc à la fois la résidence et le siège du roi, du Minos,
des dignitaires et des prêtres. C’était aussi le centre administratif et économique et le
sanctuaire où se célébraient les rites religieux que présidait le roi.
Il est bâti sur une colline, à côté du fleuve Kairatos.
Le site couvre plus de deux hectares, 22 000 m². De prime abord, son plan est fort
complexe. Il a la forme d’un immense quadrilatère irrégulier où, sur deux ou trois étages,
s’enchevêtrent à l’infini les salles, les chambres, les magasins, les couloirs, les passages, les
escaliers, les cours, les puits de lumière, les terrasses. Cette extrême complexité évoque
invariablement le labyrinthe mythique et son architecte légendaire, Dédale.
C’est de l’intérieur que la splendeur du palais devait apparaître dans tout son éclat.
Les constructions s’ordonnaient autour d’une vaste cour centrale de 30 mètres environ sur 50
(10). Les appartements, disposés sur plusieurs étages, se trouvent à l’Est de la cour. C’est dans
ce quartier du palais que logeaient le roi, la reine, les enfants royaux et leur domesticité. En
face, sur le côté ouest de la cour, s’ouvraient les salles d’apparat et les locaux dans lesquels le
roi exerçait publiquement ses fonctions civiles et religieuses. La salle du trône (21),
reconstruite vers 1450 av. J.-C., est ornée de fresques assez froides mais très décoratives, dans
le style guindé de l’époque. On y voit, parmi les lys, de grands griffons couchants. Le lys
était, semble-t-il, la plante royale par excellence. Le trône de pierre, imitant le travail du bois,
est parfaitement conservé. Des bancs courent autour des parois.
La salle du trône du palais de Knossos
Dans cette partie du palais se trouvaient également les entrepôts de l’intendance
royale. Une partie du quartier ouest était occupée par des magasins donnant sur un long
corridor (15). De grandes jarres en terre cuite - des pithoï - y sont encore alignées. Elles
contenaient les produits de la terre - grain, vin, huile. Elles étaient disposées dans des fosses
que l’on fermait au moyen de dalles de pierre. Ces fosses recelaient non seulement les vivres,
mais aussi les réserves de bronze, d’ivoire, de bois précieux, les vases de métal, les bijoux, les
étoffes, en un mot, le trésor royal. Dans ces dépôts, la propriété du roi et celle de l’Etat étaient
confondues.
Une infinité de locaux servaient à l’administration. On a retrouvé, notamment,
deux dépôts d’archives où étaient contenues, dans des coffres de gypse ou de bois, des
centaines de tablettes inscrites en écriture linéaire A. Bien qu’on ne puisse encore les lire, on
possède des éléments d’appréciation et de comparaison suffisants pour pouvoir affirmer que
ces textes sont de même nature que ceux du XVè siècle, écrits en linéaire B, que l’on a
déchiffrés. Il s’agit vraisemblablement d’inventaires, de pièces comptables, de listes de
corvées et de redevances, de rôles de conscription. Beaucoup de ces pièces sont authentifiées
par le sceau royal ou par celui d’un grand dignitaire.
Dans ses appartements, situés dans l’aile est du palais, la famille royale jouissait
d’un confort remarquable. On y accédait par un escalier spacieux (32), bien éclairé, soutenu
par des colonnes de bois peintes qu’Arthur Evans a reconstituées en ciment. Leur forme est
caractéristique: elles sont couronnées d’un large chapiteau, et plus étroites à la base qu’au
sommet.
Escalier conduisant aux appartements royaux du palais de Knossos
Les murs qui entouraient les vérandas de l’escalier étaient couverts de peintures
murales. On peut voir une copie de l’une d’entre elles sur le mur est. Elle est formée d’une
frise de spirales sur laquelle sont peints des boucliers en forme de huit, tachetés comme des
peaux de bœufs. On connaît différentes espèces de ces boucliers, grâce à des petits objets que
l’on a retrouvés, qui représentaient des boucliers en ivoire ou dans d’autres matières, et grâce
aussi aux descriptions d’Homère dans l’Iliade, qui parle de boucliers “à sept peaux”, des
peaux qui étaient vraisemblablement superposées et cousues ensemble.
De l’escalier, on peut voir et apprécier le système du puits de lumière qui éclaire
tous les étages depuis le haut. Les puits de lumière étaient fréquemment utilisés dans les
appartements et les quartiers d’habitation de tous les palais minoens. Ils donnent un éclairage
indirect et permettent l’aération de tous les étages, en les isolant de la chaleur en été et en les
protégeant du froid en hiver.
Knossos - Le Mégaron de la reine
En haut de l’escalier, un couloir donne accès au Mégaron du roi (36), précédé de
la salle des doubles haches (35). L’appartement royal communique par un couloir avec le
Mégaron de la reine (37). On a enlevé certaines parties du sol pour permettre de voir les
dallages antérieurs, construits à diverses époques, avec des techniques différentes. Le plus
profond est formé de pierres irrégulières, celui du milieu de dalles en mosaïque, et celui du
dessus de dalles de gypse soigneusement assemblées. La fresque du mur est, qui représente
des dauphins, des poissons et des oursins, est de la première époque. Elle a été recouverte
ultérieurement par une autre, formée d’une bande avec des spirales. Sur le montant de la baie
est, une fresque représente une jeune fille aux cheveux emportés par le vent. Elle est vêtue
d’un boléro à manches courtes orné de broderies de couleur. L’original se trouve au Musée
Archéologique d’Héraklion.
A l’Ouest du Mégaron de la reine se trouve le bain de la reine (38). La baignoire
est formée de nombreux fragments qui ont été recollés. Comme toutes celles de cette époque,
elle est petite, en forme de baignoire-sabot. Etonnamment modernes, les installations
sanitaires du palais étaient reliées à un réseau de canalisations souterraines. Toutes les eaux
des puits de lumière et des salles de bains étaient réunies dans un collecteur central qui se
déversait dans la rivière Kairatos.
Dans le prolongement des appartements royaux, au Nord, se trouve le secteur des
ateliers. Le roi entretenait dans son palais une multitude d’artisans. C’est eux qui décoraient
de fresques les salles, qui sculptaient, façonnaient, fondaient, ciselaient les vases, les sceaux,
les statuettes, les poteries, les tables de jeu, les bijoux, tous les objets raffinés que commandait
le souverain. Le couloir du jeu d’échecs (47) tient son nom d’un jeu royal qui a été retrouvé
là. L’échiquier était fait d’ivoire, de cristal de roche, d’or, de lapis-lazuli et de faïence. Les
pions étaient des cônes d’ivoire. Ce jeu est exposé au Musée Archéologique d’Héraklion
(salle IV, vitrine 57).
On a identifié deux ateliers dans ce secteur. Dans l’atelier du lapidaire (42), on
travaillait le basalte, une pierre verte ou rougeâtre, avec des cristaux jaunâtres, que l’on
importait de la région du Taygète, dans le Péloponnèse. Certaines pierres sont demeurées à
moitié travaillées, déjà sciées ou polies, restées à l’endroit où elles se trouvaient le jour de la
destruction. On a également retrouvé l’atelier du potier (43).
Les cérémonies religieuses, comportant peut-être des sacrifices de taureaux, se
déroulaient dans la cour centrale. Deux bases d’autel sont visibles près du mur extérieur, à
l’Ouest du palais. Trois fosses profondes - connues sous le nom de “koulourès” - étaient
probablement des puits à offrandes.
Au Nord de la cour centrale, un corridor pentu, à ciel ouvert (50), mène à
l’extérieur du palais. L’entrée D est défendue par un bastion restauré (49) qui abrite une copie
en relief de la fresque du taureau (Musée Archéologique d’Héraklion). Elle représente une
chasse au taureau sauvage. L’animal pantelant, épuisé par la chasse, s’élance pourtant en
avant. A côté de lui, un olivier est figuré en faible relief. Sur les quatre entrées principales que
comptait le palais, l’entrée D était la seule à posséder un système de défense. Grâce à la Pax
Minoïca, les fortifications étaient inconnues dans l’architecture minoenne.
Plus au Nord, on peut voir les fondations de l’octroi (51), avec ses huit piliers.
A cette entrée D aboutissait la route royale (55) qui reliait Knossos aux ports de
Katsamba et d’Amnissos. C’est la route la plus ancienne d’Europe, puisqu’elle date de
l’époque du premier palais. Le dallage subsiste en assez bon état, ainsi que les rigoles qui se
trouvent de chaque côté et recueillent les eaux de pluie. Cette route longeait le théâtre (54) qui
pouvait accueillir environ 500 spectateurs. Il comportait deux volées de gradins et une exèdre,
constituant probablement la loge royale. Une sorte d’orchestra rectangulaire était ménagée au
milieu. Ce théâtre avait probablement un caractère sacré. Un bassin lustral se trouvait non loin
de là (53).
Au-delà du théâtre, la route royale menait au petit palais à travers les maisons de
la ville. La plupart de ces maisons étaient des habitations de riches et de nobles minoens.
Ainsi, tout, dans ce palais de Knossos, respire la paix, le luxe, la beauté, la joie de
vivre. L’un des traits remarquables de la civilisation minoenne, c’est son caractère pacifique.
A partir du moment où les princes locaux reconnurent la suzeraineté de Knossos, l’état de
guerre endémique cessa. Certes, il y avait bien une armée crétoise mais le Minos ne faisait pas
figure de héros. Ce n’était pas un guerrier désireux de laisser à la postérité le souvenir de ses
victoires. A cet égard, la civilisation mycénienne offre un tableau bien différent. Son roi est
un chef de guerre. Le palais est à l’étroit dans une forteresse cyclopéenne. On comprend sans
peine que les Achéens aient pu conquérir la Crète dès l’instant où ils furent capables de
traverser la mer Egée.
III. LE SITE DE PHAISTOS
Phaistos est l’une des cités les plus anciennes de la Crète et occupe la deuxième
place en importance parmi les grands palais minoens, après Knossos. Comme Knossos, elle se
trouvait dans une plaine fertile, la plaine de la Messara. A l’époque de son apogée, ses
possessions allaient du cap Lithinon à Psychion (Mélissa), et englobaient les îles Paximadia
(Lithoai Nissi). Ville principale de la Messara, Phaistos avait deux ports sur la mer de Libye,
Matala et Comos.
Comme Knossos, le palais de Phaistos était le centre d’activités religieuses,
économiques et administratives.
Le site de Phaistos fut exploré par les archéologues italiens. La mission italienne a
commencé à fouiller en 1900, sous la conduite de Federico Halbherr; les investigations ont été
poursuivies par L. Pernier et D. Levi.
L’importance de Phaistos ne réside pas seulement dans sa grandeur - le site couvre
environ 9000 m² -, mais aussi parce que nous sommes en présence d’une séquence
stratigraphique très nette, montrant deux palais successifs. Nous savons qu’il y a eu deux
périodes palatiales : l’époque paléopalatiale, de 1900 à 1700 av. J.-C., et l’époque
néopalatiale, de 1700 à 1450 av. J.-C. Les anciens palais furent détruits par des tremblements
de terre et reconstruits par les Crétois, mais à une plus grande échelle. C’est à Phaistos que
l’on voit le mieux les deux palais successifs.
1. L’ancien palais
Vue générale du site de Phaistos
Lorsque l’on visite le site en commençant par la partie ouest, on pénètre dans le
palais par la cour occidentale, joliment dallée (1). Celle-ci faisait partie de l’ancien palais,
ainsi que le théâtre dont les huit gradins de 22 mètres de long, bien conservés, servaient de
sièges aux spectateurs (10). On peut donc en conclure que les spectacles avaient lieu dans la
cour, où le public se tenait. Un sanctuaire (3) faisait face à la cour occidentale, ce qui peut
témoigner du fait que le culte et les représentations étaient étroitement liés. Les magasins de
l’ancien palais se trouvent au-dessous du niveau des nouveaux magasins (8). Il est donc clair
que l’ancien palais avait les mêmes fonctions économiques que le second.
2. Le nouveau palais
Sur les ruines de l’ancien palais, détruit aux environs de 1700 av. J.-C., on
construisit un nouveau palais en suivant fondamentalement le même plan, mais à un niveau
plus élevé à cause des vestiges sous-jacents.
Une nouvelle entrée monumentale avec un grand escalier (4) est érigée devant la
cour occidentale. Large de 14 mètres, cet escalier est une incroyable réussite de l’architecture
minoenne. Il présente des marches légèrement incurvées - comme celles du Parthénon -, pour
que les eaux de pluie n’y stagnent pas. Il mène aux Propylées (17). Un couloir (9) donne
directement accès à la cour centrale (2).
La cour centrale a à peu près les mêmes dimensions que celle de Malia ou de
Knossos. W. Graham pense qu’elle était utilisée pour des représentations spéciales. Il en
conclut que les spectacles de tauromachie, si souvent reproduits sur les fresques de Knossos,
avaient lieu dans les cours centrales des palais. Les règles strictes de ces spectacles en
dictaient la forme et les dimensions. Tous les archéologues n’acceptent pas cette théorie, mais
elle présente un certain attrait. Il est du moins certain que des cérémonies, quelles que soient
leur nature, se déroulaient dans la cour centrale. A l’Est et à l’Ouest de la cour, des piliers et
des colonnes suggèrent la présence de portiques.
L’aile ouest du palais est divisée en deux par un corridor (9). Au Sud de ce
corridor se trouve le sanctuaire central, aux pièces communicantes équipées de banquettes
(14, 15, 16). Des bains lustraux, où l’on descend par de petites marches, se trouvent à
proximité de ces pièces. On y a trouvé un certain nombre d’objets de culte.
Au Nord de la cour centrale se trouve l’entrée des appartements royaux. De cette
entrée part un corridor à ciel ouvert qui mène à la cour nord (7). Un autre couloir aboutit à la
cour est, au centre de laquelle un four en fer à cheval était probablement destiné à la
métallurgie. Les pièces qui bordaient cette cour étaient vraisemblablement des ateliers.
De la cour nord, un corridor mène aux appartements royaux. C’est à l’Ouest, à un
niveau inférieur, que se trouve le Mégaron de la reine (6), avec un puits de lumière. Des
plaques d’albâtre, jointes avec du ciment rouge, recouvraient le sol; il y avait aussi des
banquettes et des orthostates en albâtre. Un escalier conduit à l’étage où se situe le Mégaron
du roi (6), avec ses ouvertures à plusieurs baies. Le sol était revêtu de plaques d’albâtre et les
murs étaient ornés de fresques.
La majeure partie du palais a été détruite, surtout la section sud-est qui a subi les
dommages de l’érosion. Le palais était un ensemble complexe, avec des unités indépendantes
telles que la cour ouest, la cour centrale, les ailes est, ouest et nord. Sans doute ces unités
avaient-elles un lien, mais elles avaient des fonctions distinctes. De plus, le palais possédait
des magasins, des ateliers; en d’autres termes, c’était un centre artisanal et commercial. Enfin
c’était un centre religieux : nous avons vu que de nombreuses parties du palais étaient
construites particulièrement pour les manifestations cultuelles.
Le lien entre la religion et l’économie est évident dans tous les palais et dans tous
les aspects de la vie minoenne. Ce que l’on peut comprendre étant donné que la mentalité de
l’Antiquité était bien différente de la nôtre. Ces peuples dépendaient surtout de l’agriculture
pour vivre, bien qu’ils pratiquassent le commerce à grande échelle. Dans les sociétés où
l’agriculture est la base de l’économie, la religion joue en général un rôle important. Il faut
que les dieux soient cléments afin d’assurer une bonne récolte, et le chef de la communauté,
qu’il soit roi ou prêtre, doit servir de médiateur entre le peuple et les dieux. C’est pourquoi il
est plus juste de considérer les palais comme des centres de culte et d’économie que comme
de simples résidences royales.