L`activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative

Transcription

L`activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative
L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative
Application à la contre-attaque au football
Thèse
présentée devant
l’Université de Bretagne Occidentale
pour obtenir le grade de :
Docteur de l’Université Européenne de Bretagne
Mention Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives
par
Cyril Bossard
Équipe d’accueil 3883 :
Laboratoire d’Informatique des Systèmes Complexes (LISyC/UBO-ENIB)
Centre Européen de Réalité Virtuelle (CERV)
Soutenue le 21 octobre 2008 devant la commission d’examen :
Carole
Bernard
Bruno
Thierry
Gilles
Jacques
Sève
Thon
Arnaldi
Morineau
Kermarrec
Tisseau
Professeure, UFR STAPS, Nantes
Professeur, LAPMA-UFR STAPS, Toulouse
Professeur, INRIA, Rennes
Maı̂tre de Conférences, UBS, Vannes
Maı̂tre de Conférences, UBO, Brest
Professeur, ENIB, Brest
Rapporteure
Rapporteur
Examinateur
Examinateur
Encadrant
Directeur
L’activité décisionnelle en situation dynamique
et collaborative
Application à la contre-attaque au football.
Thèse de doctorat
Cyril Bossard
— Version définitive —
L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative
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4
Cyril Bossard
L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative
À Anne et Régis
Cyril Bossard
5
L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative
6
Cyril Bossard
Remerciements
La conduite d’un travail doctoral est une aventure longue et laborieuse, i.e. une succession
de situations plus ou moins dynamiques et collaboratives... Je tiens à témoigner ici que cette
thèse n’aurait jamais aboutit si elle n’avait pas bénéficié de multiples collaborations. Mes
remerciements vont donc en premier lieu à ceux qui ont apporté la contribution la plus
concrète à ce travail, et avec qui j’ai eu grand plaisir à collaborer dans un esprit dynamique,
constructif, passioné et toujours amical.
Un grand merci à tous les participants qui ont bien voulu donner leur « comportement » à
mon analyse, au risque de laisser deviner une partie de leur « esprit ».
Je remercie Carole Sève et Bernard Thon, pour avoir accepté de rapporter ces travaux
de thèse ainsi que pour la qualité de leurs critiques.
Je remercie Bruno Arnaldi, pour avoir présidé mon jury. Merci d’avoir tout mis en œuvre
pour le bon déroulement de la soutenance.
Je remercie Thierry Morineau pour avoir accepté de participer au jury de ma soutenance
de thèse et pour la qualité de ses questions et remarques.
Je remercie Jacques Tisseau pour m’avoir accueilli au sein de son équipe de recherche,
pour m’avoir toujours soutenu, et surtout pour son encadrement scientifique et les conditions
de travail auxquelles il m’a permis d’accéder.
Je remercie Gilles Kermarrec pour ses précieux conseils, sa disponibilité et pour son
investissement dans mon encadrement depuis plusieurs années déjà. Merci pour tout Gilles.
Je remercie la société Nexter qui a permis le financement de cette thèse.
Cyril Bossard
7
Remerciements
Je remercie « mes » collègues Romain Bénard et Pierre de Loor pour leur ouverture
d’esprit et sans qui le projet CoPeFoot n’aurait jamais vu le jour.
Je remercie les collègues du Centre Européen de Réalité Virtuelle, tout d’abord pour
avoir eu la patience de répondre à mes innombrables questions, notamment d’ordre « informatique », pour les aides multiples dont j’ai bénéficié, mais surtout pour la sympathie et la
bonne humeur qu’ils y font régner. Merci à Jérémy, Denis, Champion, Gobi, Gireg, Patoch,
Becy, Cédric, les Mat(t)hieu, Fabrice, Nicole, Fred, etc.
Enfin, je tiens à remercier mes parents, ma famille et mes amis de toujours, Pierro, Flo,
Lolo, Ingo et les « pélicans » pour leur présence et leur soutien inconditionnel.
Merci à toi surtout Cloo, pour avoir supporté et partagé mes humeurs, mes tracas et
surtout mes absences parfois même lorsque j’étais là.
8
Cyril Bossard
Table des matières
Remerciements
7
Table des matières
9
Table des figures
15
Liste des tableaux
17
Introduction
21
1 Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports
collectifs
29
1.1
1.2
Bases de connaissances et sports collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
31
1.1.1
Principes et méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
31
1.1.2
Les connaissances sollicitées en contexte de sports collectifs . . . . . .
32
1.1.3
L’adaptation à la pression temporelle des sports collectifs . . . . . . .
33
1.1.4
L’adaptation à la complexité des contextes en sports collectifs . . . . .
34
1.1.5
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
35
Le fonctionnement mnémonique en sports collectifs . . . . . . . . . . . . . . .
36
1.2.1
Principes et méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
36
1.2.2
Les différences experts/novices aux tests de mémoire . . . . . . . . . .
38
Cyril Bossard
9
Table des matières
1.3
1.2.3
L’adaptation à la pression temporelle et le « traitement perceptif » . .
38
1.2.4
L’adaptation à la complexité des contextes en sports collectifs . . . . .
40
1.2.5
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
41
La compétence perceptive en sports collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . .
42
1.3.1
Principes et méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
42
1.3.2
Les différences experts-novices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
44
1.3.3
L’adaptation de l’activité perceptive à la pression temporelle . . . . .
46
1.3.4
L’adaptation de l’activité perceptive à la complexité du contexte . . .
46
1.3.5
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
48
2 Une approche contextualisée de la décision
2.1
2.2
2.3
2.4
10
53
Le modèle RPD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
55
2.1.1
Concepts et Méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
55
2.1.2
Une étude en situation de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
59
2.1.3
Modèle RPD et Sports Collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
60
La Conscience de la Situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
61
2.2.1
Concepts et Méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
63
2.2.2
Des études en situation de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
66
2.2.3
Conscience de la Situation et sports collectifs . . . . . . . . . . . . . .
68
La théorie des schémas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
70
2.3.1
Concepts et Méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
71
2.3.2
Une étude en situation de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
72
2.3.3
Le rôle des schémas en situation dynamique . . . . . . . . . . . . . . .
74
Les principaux apports de la NDM pour l’étude de l’activité individuelle . . .
75
2.4.1
Un cadre théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
75
2.4.2
Un cadre méthodologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
76
2.4.3
Des pistes de recherches novatrices pour les sports collectifs . . . . . .
77
Cyril Bossard
Table des matières
3 Des approches pour l’analyse de l’activité collective
3.1
3.2
79
L’approche TNDM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
81
3.1.1
Objectifs, Concepts et Méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
81
3.1.2
Une étude typique des MMP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
84
3.1.3
Limites et Discussion de l’approche TNDM . . . . . . . . . . . . . . .
85
Une approche holistique de l’activité de l’équipe
. . . . . . . . . . . . . . . .
89
3.2.1
Une extension de la cognition partagée à la cognition distribuée . . . .
91
3.2.2
L’approche écologique et l’approche des systèmes dynamiques pour
l’étude des comportements collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
93
3.3
Cognition située et activité collective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
95
3.4
Prolongement et implications pour l’étude de l’activité décisionnelle dans les
sports collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
99
3.4.1
Les MMP ou connaissances partagées dans les sports collectifs . . . .
99
3.4.2
Des formes typiques d’articulation des activités individuelles en sport
duel ou collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
L’activité décisionnelle en SiDyColl
103
4 Étude de l’activité décisionnelle individuelle
107
4.1
4.2
4.3
Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
4.1.1
Participants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
4.1.2
Contexte de l’étude
4.1.3
Recueil des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Analyse des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
4.2.1
La retranscription des données d’observation et d’autoconfrontation . 115
4.2.2
La sélection et le codage des unités significatives : les éléments du schéma117
4.2.3
Le découpage du déroulement de l’activité en situations vécues . . . . 119
4.2.4
Le regroupement des situations vécues et l’identification a posteriori
des schémas typiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
4.2.5
Validité de l’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Cyril Bossard
11
Table des matières
4.4
4.3.1
Les données verbales et comportementales retenues . . . . . . . . . . . 122
4.3.2
Les éléments constitutifs des schémas
4.3.3
Le découpage du cours d’action en situations vécues et l’identification
des « schémas typiques » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
4.3.4
La modélisation de l’activité décisionnelle contextualisée . . . . . . . . 131
. . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
4.4.1
Décider vite et bien dans les activités humaines complexes et fluctuantes134
4.4.2
Des décisions tactiques contextualisées en sports collectifs ? . . . . . . 141
4.4.3
Bilan provisoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
5 Étude de l’activité collective
5.1
5.2
5.3
12
149
Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
5.1.1
Préparation d’un protocole en vis-à-vis . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
5.1.2
Le codage des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
5.1.3
La description quantitative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
5.1.4
L’identification des formes locales de coordination . . . . . . . . . . . 157
5.1.5
Le regroupement des formes locales de coordination et l’identification
a posteriori des formes « typiques » de coordination . . . . . . . . . . 162
5.1.6
Validité de l’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
5.2.1
Les influences interindividuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
5.2.2
Les informations partagées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
5.2.3
Les différentes relations entre les buts . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
5.2.4
Les formes « locales » de coordination des activités . . . . . . . . . . . 169
5.2.5
Les formes « typiques » de coordination ou d’articulation des activités
169
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
5.3.1
Les formes « locales » de coordination . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
5.3.2
Les formes « typiques » de coordination . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
5.3.3
Les conditions d’émergence des formes typiques de coordination . . . . 183
Cyril Bossard
Table des matières
6 Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
187
6.1
Des analogies simplifiées entre modèles informatiques et modèles de l’activité
humaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190
6.2
La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation
participative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
6.2.1
Objectifs, Problématique et Hypothèses . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
6.2.2
Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
6.2.3
Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
6.2.4
Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
Discussion générale
207
Bibliographie
215
A Étude de l’activité décisionnelle individuelle
235
A.1 Répartition des U.S avant triangulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
A.2 Les modélisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
A.2.1 La modélisation générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
A.2.2 Les modélisations par équipe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237
A.2.3 Les modélisations par joueur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
A.3 Les 16 schémas typiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
A.4 Documents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
B Étude de l’activité collective
265
B.1 Les variantes aux formes typiques de coordination . . . . . . . . . . . . . . . 265
C Évaluation de CoPeFoot
267
Résumé Long
269
Résumé
275
Abstract
277
Cyril Bossard
13
Table des matières
14
Cyril Bossard
Table des figures
2.1
Le modèle RPD (Klein, 1997) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
57
2.2
Niveau de Conscience de la Situation (Endsley et al., 2003) . . . . . . . . . .
62
2.3
Modèle de la Conscience de la Situation d’après Endsley (1995) . . . . . . . .
64
2.4
C.S et prise de décision (Endsley, 1995), traduit par Bailly (2004) . . . . . . .
67
3.1
Approche cognitiviste de l’activité collective d’après Cooke et al. (2007) . . .
88
3.2
Approche THEDA de l’activité collective d’après Cooke et al. (2007) . . . . .
90
3.3
Variétés des connaissances partagées d’après Cooke et al. (2007)
. . . . . . .
92
3.4
Synthèse des points de vue sur l’activité collective
. . . . . . . . . . . . . . .
98
4.1
Modélisation 3D de la situation d’étude favorisant les contre-attaques . . . . 113
4.2
Entretien d’autoconfrontation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114
4.3
Distribution du nombre d’U.S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
4.4
Modélisation des schémas typiques activés pour 7 contre-attaques réussies . . 132
4.5
Modélisation des schémas typiques activés par Benoı̂t en contre-attaque . . . 133
5.1
Représentation des trois types d’influences interindividuelles . . . . . . . . . . 155
5.2
Modélisation locale des influences (Equipe rouge) - Situation 1. . . . . . . . . 164
5.3
Modélisation locale des influences (Equipe rouge) - Situation 2. . . . . . . . . 165
5.4
Modélisation locale des influences (Equipe rouge) - Situation 3. . . . . . . . . 165
5.5
Proportion d’informations partagées par les sujets . . . . . . . . . . . . . . . 166
Cyril Bossard
15
Table des figures
6.1
Raisonnement à partir du contexte dans CoPeFoot . . . . . . . . . . . . . . 191
6.2
Capture d’écran de la situation d’étude (milieu) . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
6.3
Point de vue du participant à l’expérimentation . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
6.4
Manette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
6.5
Répartition des postes « joueur » pour l’expérimentation . . . . . . . . . . . . 197
6.6
Évolution des novices et des experts au cours des trois mesures . . . . . . . . 203
6.7
Schéma de la démarche de modélisation des agents virtuels . . . . . . . . . . 211
6.8
ExpeCoPeFoot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
A.1 Modélisation des schémas typiques activés pour l’ensemble des contre-attaques 236
A.2 Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe jaune . . . . . . . . . 237
A.3 Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe rouge
. . . . . . . . 237
A.4 Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe verte . . . . . . . . . 238
A.5 Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe violette . . . . . . . 238
A.6 Modélisation des schémas typiques activés par Bastien . . . . . . . . . . . . . 239
A.7 Modélisation des schémas typiques activés par Benjamin . . . . . . . . . . . . 239
A.8 Modélisation des schémas typiques activés par Charles . . . . . . . . . . . . . 240
A.9 Modélisation des schémas typiques activés par Flavien . . . . . . . . . . . . . 240
A.10 Modélisation des schémas typiques activés par Gaétan . . . . . . . . . . . . . 240
A.11 Modélisation des schémas typiques activés par Gautier . . . . . . . . . . . . . 241
A.12 Modélisation des schémas typiques activés par Jordan . . . . . . . . . . . . . 241
A.13 Modélisation des schémas typiques activés par Kevin . . . . . . . . . . . . . . 241
A.14 Modélisation des schémas typiques activés par Michel . . . . . . . . . . . . . 242
A.15 Modélisation des schémas typiques activés par Paul . . . . . . . . . . . . . . . 242
A.16 Modélisation des schémas typiques activés par Thibault . . . . . . . . . . . . 242
A.17 Lettre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
A.18 Formulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262
A.19 Formulaire (suite)
16
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263
Cyril Bossard
Liste des tableaux
1.1
Méthodologies de recueil des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.2
Les études liées au fonctionnement mnémonique des experts en sports collectifs 37
1.3
Les travaux liés à l’activité perceptive des experts en sports collectifs . . . . .
4.1
Caractéristiques générales des participants. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
4.2
Exemple de tableau à trois volets (Benoı̂t) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
4.3
Sélection des Unités Significatives (U.S) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
4.4
Regroupement des U.S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
4.5
Liste des informations significatives utilisées pour la décision tactique en
situation de contre-attaque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
4.6
Liste des informations significatives utilisées pour la décision tactique en
situation de contre-attaque (suite) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
4.7
Répartition des US en fonction des sujets et des catégories théoriques
4.8
Enchaı̂nement entre les différents schémas typiques pour l’ensemble des participants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
5.1
Illustration du protocole en vis-à-vis : articulation et synchronisation des
situations vécues par les membres d’une équipe . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
5.2
Illustration du codage des informations significatives (spécifiques, communes
ou partagées) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
5.3
Illustration des modélisations locales du jeu des influences . . . . . . . . . . . 158
5.4
Illustration des informations partagées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
Cyril Bossard
33
45
. . . . 128
17
Liste des tableaux
5.5
Illustration des relations entre les buts individuels . . . . . . . . . . . . . . . 161
5.6
Liste et nombre d’occurrence des informations partagées . . . . . . . . . . . . 168
5.7
Nombre d’occurrence des relations entre les buts . . . . . . . . . . . . . . . . 169
5.8
Illustration d’une forme locale de coordination (Equipe violette, CA3) . . . . 170
5.9
Synthèse forme typique de coordination 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
5.10 Synthèse forme typique de coordination 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
5.11 Synthèse forme typique de coordination 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
5.12 Synthèse forme typique de coordination 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
5.13 Synthèse forme typique de coordination 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
6.1
Exemple de tableau de recueil des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
6.2
Répartition des réponses des sujets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
6.3
Test de conformité du χ2 pour l’ensemble des réponses . . . . . . . . . . . . . 200
6.4
Test de conformité du χ2 pour chaque mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
6.5
Résultats test t pour échantillons indépendants pour les 3 mesures . . . . . . 201
6.6
Résultats test t pour échantillons appariés pour l’ensemble des participants . 202
6.7
Résultats test t pour échantillons appariés pour les novices
6.8
Résultats test t pour échantillons appariés pour les experts . . . . . . . . . . 202
. . . . . . . . . . 202
A.1 Répartition des US en fonction des sujets et des catégories théoriques (avant
triangulation) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
A.2 Schéma n°1 : Intercepter le ballon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244
A.3 Schéma n°2 : Observer, analyser, anticiper l’évolution de la situation . . . . . 245
A.4 Schéma n°3 : S’engager vite vers l’avant pour profiter de la récupération du
ballon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
A.5 Schéma n°4 : Aller vite vers l’avant avec le ballon tout en étant attentif au jeu 247
A.6 Schéma n°5 : Proposer son aide à un partenaire pour conserver le ballon . . . 248
A.7 Schéma n°6 : Créer de l’espace pour permettre à des partenaires de s’engager
vers l’avant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249
A.8 Schéma n°7 : Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu
pour proposer une solution de progression vers la cible . . . . . . . . . . . . . 250
18
Cyril Bossard
Liste des tableaux
A.9 Schéma n°8 : Choisir une solution de passe pour assurer la continuité du jeu . 251
A.10 Schéma n°9 : Attendre le soutien des partenaires . . . . . . . . . . . . . . . . 252
A.11 Schéma n°10 : Se déplacer par rapport au hors-jeu, à l’adversaire et rechercher
la rupture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253
A.12 Schéma n°11 : Éliminer en dribblant pour progresser vers la cible . . . . . . . 254
A.13 Schéma n°12 : Fixer-passer pour progresser vers la cible . . . . . . . . . . . . 255
A.14 Schéma n°13 : Se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe
décisive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256
A.15 Schéma n°14 : Passer pour mettre le partenaire en situation favorable de frappe257
A.16 Schéma n°15 : Suivre l’action du partenaire pour une reprise . . . . . . . . . . 258
A.17 Schéma n°16 : Chercher à tirer/frapper au but . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
B.1 Synthèse forme typique de coordination 4b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
B.2 Synthèse forme typique de coordination 5b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
B.3 Synthèse forme typique de coordination 5c . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
C.1 Répartition des réponses des sujets experts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
C.2 Répartition des réponses des sujets novices
Cyril Bossard
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
19
Liste des tableaux
20
Cyril Bossard
Introduction
L’objectif général de cette thèse est de contribuer à la compréhension de l’activité
décisionnelle en situation dynamique et collaborative. Ces travaux sont effectués au Centre
Européen de Réalité Virtuelle (CERV) dans le cadre de recherches sur l’introduction de
l’activité humaine dans des boucles de conception et d’usage de simulations participatives
en réalité vituelle (équipe SARA1 ). Bien que le travail que nous présentons se situe dans le
champ des Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS), la démarche
de recherche a nécessité des articulations avec le champ des sciences de l’informatique. Dans
cette perspective, nous avons développé, en collaboration avec un doctorant en sciences de
l’informatique (Romain Bénard), un environnement virtuel simulant des situations de jeu
au football : CoPeFoot (Collective Perception Football).
Notre projet est double. D’une part, il vise à définir un corpus de connaissances qui
permet de décrire et d’expliquer l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative.
D’autre part, il cherche à fournir une aide à la conception d’un environnement virtuel fondé
sur l’autonomie des agents virtuels.
Modéliser la complexité
Au sein du LISyC (Laboratoire d’Informatique des Systèmes Complexes), l’orientation
scientifique du CERV est tournée vers la modélisation et la simulation de systèmes complexes
par la réalité virtuelle. La complexité de ces systèmes provient essentiellement de la diversité
des composants, de la diversité des structures, et de la diversité des interactions mises en jeu
(Tisseau, 2001).
Ce travail de modélisation devient particulièrement problématique quand il nécessite
1
Simulation, Apprentissage, Représentations, Actions
Cyril Bossard
21
Introduction
d’introduire l’activité humaine au cœur du dispositif de réalité virtuelle. Les modèles de
l’humain présents dans la simulation doivent être capables de percevoir et d’adapter leurs
comportements au cours de l’action. La simulation implique alors la notion d’autonomie
(Tisseau, 2001). Cette autonomie des modèles est d’autant plus nécessaire quand l’homme
est présent dans le système par l’intermédiaire de son avatar2 où il provoque des modifications
imprévisibles. L’autonomie des modèles doit pouvoir contribuer à peupler les environnements
virtuels d’une vie artificielle mais avec une impression de réalité. Autrement dit, chaque
entité virtuelle doit être capable de faire des choix selon son histoire, son état, ses possibilités
d’actions et ses perceptions de sorte qu’elle paraisse crédible aux yeux de l’utilisateur.
Cependant, la crédibilité des environnements virtuels est mise à mal quand la tâche
de modélisation de l’activité est laissée à la seule appréciation du concepteur informaticien
(Tchounikine et al., 2004). Pour remédier à cet écueil, notre travail de thèse nourrit l’ambition
de décrire et de modéliser la complexité de l’activité décisionnelle humaine en situation
naturelle (réelle), afin de proposer une aide à la conception d’un environnement virtuel.
Jusqu’à présent, les travaux sur les simulations participatives se focalisent sur la mise en
place d’environnements virtuels pour l’apprentissage de procédures (Querrec, 2002; Buche,
2005). Generic Virtual Training (GVT), par exemple, est un environnement qui produit des
situations d’apprentissage en contraignant l’activité individuelle afin de favoriser l’acquisition
de procédures de maintenance de char (Gerbaud et al., 2008). Cet environnement permet,
pour l’instant, de former des mécaniciens individuellement et dans un contexte standardisé.
Or le travail de maintenance d’un char nécessite également de travailler en équipe et sous
contraintes temporelles (en situation d’urgence et critique). Notre étude des situations
dynamiques et collaboratives réelles s’accompagne donc d’un enjeu technologique important :
contribuer à l’élargissement des environnements virtuels pour l’apprentissage humain en
relevant le défi de leur évolution par la simulation crédible de situations dynamiques et
collaboratives virtuelles. Plus particulièrement, nous défendons la thèse que le choix des
modèles informatiques nécessite, en amont, une réflexion théorique qui tienne compte de
l’activité humaine dans toute sa globalité (complexe, autonome, interactive, contextualisée).
Le champ de l’ergonomie cognitive est particulièrement fécond en théories et modèles qui
permettent justement d’appréhender la complexité humaine pour la décrire, l’expliquer, et in
fine la modéliser. Cependant, si les modèles obtenus permettent d’envisager en conséquence
des axes de formation, peu d’entre eux ont été mis à l’épreuve de la simulation en réalité
virtuelle. Dans notre démarche, nous chercherons a posteriori à tester la résistance du modèle
implémenté.
Notre travail de recherche est appliqué à l’étude de l’activité décisionnelle de joueurs
en sports collectifs. Le choix de ce type d’activité sportive comme terrain d’investigation
2
22
Avatar, du Sanskrit avatara désigne les multiples incarnations du dieu Vishnou dans la religion hindoue.
Le terme a été ensuite repris dans le domaine des jeux et en informatique pour désigner la représentation
apparente d’un utilisateur dans un monde virtuel (Burkhardt, 2007).
Cyril Bossard
Introduction
est particulièrement intéressant car ce dernier constitue un « catalyseur » de la complexité
humaine. L’activité qui y est déployée, et plus particulièrement l’activité décisionnelle, est
singulièrement dynamique et collaborative.
Une situation dynamique et collaborative (SiDyColl) est une situation où : a)
le problème et les buts sont mal définis, décalés ou compétitifs ; b) l’environnement est
dynamique, c’est-à-dire incertain et sous fortes contraintes temporelles ; c) les enjeux sont
forts ; d) se constitue une boucle ininterrompue entre action et retour sur l’action ; f) les
multiples acteurs sont en interaction ; g) l’influence des buts et des normes organisationnelles
persiste (Cannon-Bowers et al., 1996; Lipshitz et al., 2001). Elle se caractérise ainsi par
leur évolutivité, l’incertitude et la pression temporelle (Hoc, 2001; Tiberghien, 2002) qu’elle
impose à un groupe de sujets qui interagissent en vue d’atteindre un objectif commun identifié
(Gutwin et Greenberg, 2004).
Le parallèle entre les situations sociales, professionnelles ou de formation répondant à
ces critères et les situations de sports collectifs a déjà été réalisé (Fiore et Salas, 2006; Ward
et Eccles, 2006). Les situations de sports collectifs sont des SiDyColl par excellence. Dans une
équipe, les rôles sont évolutifs notamment dans les situations telles que les contre-attaques qui
imposent à l’humain de prendre des décisions pertinentes sous fortes contraintes temporelles.
L’incertitude de ces situations est renforcée car il s’agit de prendre des décisions avec/contre
des partenaires et des adversaires. Les sports collectifs comme le football constituent ainsi
un bon prototype des SiDyColl.
Un phénomène complexe : la décision tactique en
sports collectifs
L’activité décisionnelle dans le cadre des sports collectifs est un objet d’étude d’actualité.
Dans la littérature consacrée dans le champ des STAPS, les conduites décisionnelles des
joueurs de sports collectifs sont souvent répertoriées soit sous la notion de « décision
tactique » (Mouchet et Bouthier, 2006), soit sous la notion de décision stratégique (Garbarino
et al., 2001).
La notion de décision tactique met en avant le fait que le joueur décide en action, dans
un contexte « fluctuant à évolution rapide » (Garbarino et al., 2001). En sports collectifs, la
notion de décision tactique se différencie de la notion de décision stratégique, réalisée en
dehors de l’action (préparation du match), ou lors de phases de jeu peu contraignantes
temporellement (remise en jeu, phase arrêtée, coup-franc, etc.). La pertinence de cette
distinction professionnelle ou empirique (le vocabulaire des entraı̂neurs) a été confirmée
scientifiquement (Vom Hofe, 1991; Poplu et al., 2003).
Cyril Bossard
23
Introduction
Pour étudier la prise de décision, la majorité des études en psychologie du sport se sont
focalisées sur les variables individuelles, cognitives et perceptives, de l’expertise (Tenenbaum
et Bar-Eli, 1993). Les avancées de la recherche en sciences du sport sont nombreuses et variées
mais la décision tactique reste un objet d’étude difficile à appréhender, notamment en sports
collectifs car les joueurs sont confrontés à des contextes à la fois complexes et à forte pression
temporelle.
La décision tactique en sport collectif est non seulement une décision rapide, mais encore
une décision sous influences : les joueurs reçoivent des informations (ou des leurres) de leurs
partenaires et de leurs adversaires, et doivent prendre en compte leur propres capacités
d’action (McMorris et MacGillivary, 1988), pour prendre des décisions dont l’efficacité se
mesure instantanément (perte de balle, score...). La prise en compte des effets du contexte
(Rulence-Pâques et al., 2005a) est nécessaire si l’on veut appréhender la complexité de la
décision tactique en sport collectif. Parmi ces effets, l’influence des partenaires ne devrait pas
être négligée : les décisions au sein d’une équipe ne peuvent se réduire à une juxtaposition
de décisions individuelles. Une équipe experte n’est pas la somme de joueurs experts
(Eccles et Tenenbaum, 2004). Or l’équipe a souvent été considérée en psychologie du sport
comme une simple variable sociale environnementale intervenant sur l’activité individuelle.
Nous proposons de la considérer plutôt comme une variable de premier ordre. L’activité
décisionnelle nécessite la prise en compte du contexte que constitue l’équipe.
Si la compréhension de la décision tactique des experts en sports collectifs a intéressé et
intéresse de nombreux chercheurs, cet objectif reste également pertinent pour les praticiens
(McPherson et Kernodle, 2003). En effet, pour préparer une équipe aux décisions stratégiques,
le formateur ou l’entraı̂neur peut proposer un plan de jeu, « un référentiel commun » (Grehaigne et al., 2001) en fonction duquel les joueurs décident et agissent. Ainsi, les décisions
sont pré-établies, les rôles et les actions définis à l’avance. Le jeu ainsi « programmé » peut
être répété systématiquement à l’entraı̂nement pour augmenter la performance en match. Par
contre, le développement des capacités des joueurs de sports collectifs à décider vite et bien
en cours d’action (décision tactique) est plus problématique (Vickers et al., 2004).
Problématique de recherche
Si l’on souhaite considérer l’activité humaine dans sa complexité (i.e. point de vue
épistémologique privilégié au laboratoire), la décision tactique en sports collectifs peut être
abordée d’une part comme une articulation de variables perceptives et cognitives, d’autre
part comme particulièrement dépendante des contraintes contextuelles (pression temporelle,
multiplicité des informations, fluctuation ou évolution rapide de la situation). Parmi les
contraintes contextuelles, la dimension collective de l’activité ne peut être négligée. Au
contraire, si par hypothèse, la décision tactique en situation collective ne se réduit pas à la
24
Cyril Bossard
Introduction
juxtaposition ou à la succession de décisions individuelles (i.e. définition de l’activité collective, (Salas et al., 2006), les coordinations d’actions entre partenaires doivent pouvoir
être choisies comme un objet d’étude privilégié.
La prise en compte des aspects collectifs de l’activité décisionnelle est une question
de recherche qui suscite actuellement un regain d’intérêt. La psychologie ergonomique, tout
comme la psychologie du sport, s’est longtemps intéressée aux activités d’individus considérés
de façon isolée. Cependant, dans de nombreuses situations comme dans les sports collectifs,
la prise de décision est réalisée au sein d’une équipe et s’appuie sur des interactions entre
plusieurs personnes. Pour comprendre l’implication de la dimension collective du contexte
dans l’activité décisionnelle des joueurs en sports collectifs, la décision tactique doit être
abordée à la fois comme une variable cognitive mais aussi sociale, c’est-à-dire co-construite
dans la relation à autrui. Nous chercherons ainsi à décrire et expliquer comment s’articulent
activité collective et activités individuelles afin de réaliser une performance optimale.
Complémentairement, dans l’analyse de l’activité collective, ce qui est prioritaire pour
expliquer l’enchaı̂nement des actions au sein d’une équipe fait particulièrement débat (Salembier et Zouinar, 2006). Les coordinations entre les membres de l’équipe peuvent s’expliquer
soit par des éléments cognitifs identifiés chez les différents joueurs engagés dans une même
action (notion de buts ou de connaissances partagées, (Cooke et al., 2007)), soit par
des éléments contextuels perçus, considérés comme significatifs par ces joueurs (notion de
contexte partagé, (Salembier et Zouinar, 2006)).
Nous considérons l’équipe comme un système complexe (Arrow, 2000) dans lequel les
coordinations d’actions émergent des interactions entre les membres (i.e. des influences).
Nous souhaitons donc identifier des formes d’articulation typiques entre activité
collective et activités individuelles, des régularités qui apparaı̂traient dans le jeu
des influences entre partenaires. Pour expliquer ces formes typiques d’articulation,
nous chercherons aussi à répondre à la question, centrale dans la littérature, relative à ce qui
est partagé entre les membres d’une équipe. Nous souhaitons identifier les éléments partagés
en cours d’action par les joueurs d’une même équipe qu’ils soient de l’ordre des connaissances
ou des informations contextuelles.
Ce travail de recherche s’appuie sur une démarche qui relève de la psychologie cognitive
ergonomique. La production de connaissances sur la décision tactique en sports collectifs
(objectif en STAPS) se prolongera, s’articulera avec un travail de conception d’aide à l’analyse
ou à la formation par la simulation (objectif du CERV). Bien que nous ayons choisi de
l’aborder et de la simuler dans le cadre des sports collectifs, l’ensemble de la démarche que
nous soutenons a pour objectif d’être suffisamment générique pour s’appliquer à d’autres
domaines. L’analyse empirique de l’activité humaine, la modélisation de cette activité, la
Cyril Bossard
25
Introduction
conception de l’environnement virtuel, la simulation et l’évaluation constituent les quatre
grandes phases de notre démarche. Pour un approfondissement des questions relatives aux
sciences informatiques, nous renvoyons le lecteur au manuscrit de thèse de Romain Bénard
(Bénard, 2007).
Planification
Le mémoire de thèse présentant ces travaux est organisé en 6 chapitres.
Dans un premier chapitre, nous effectuons une recension des travaux menés sur l’activité
décisionnelle dans les sports collectifs. Nous montrerons plus particulièrement que l’évolution
de ces recherches permet de mettre en avant leurs apports, leurs limites, mais aussi la nécessité
de considérer la relation entre les variables perceptives, cognitives et le contexte pour mieux
comprendre la décision tactique en sports collectifs.
Dans un second chapitre, nous présentons un courant théorique qui permet d’aborder
la décision tactique en la considérant comme une articulation de variables perceptives et
cognitives, et comme un phénomène contextualisé : l’approche NDM (pour Naturalistic
Decision Making, (Klein, 1993). L’analyse des objectifs de recherche, des méthodes, et des
principaux résultats nous conduira à démontrer pourquoi cette approche ergonomique nous
semble particulièrement heuristique pour appréhender les décisions tactiques des joueurs de
football.
Le chapitre 3 prolongera notre analyse de cette approche théorique dans la perspective
d’étudier les influences entre les membres d’une équipe. Comme peu de travaux sont
disponibles dans le champ des STAPS, nous nous appuierons sur l’étude de l’activité collective
dans les situations de travail. Au terme de cette revue de la littérature, nous constaterons
que l’activité collective nécessite souvent une étude préalable de l’activité individuelle ce qui
nous conduira à formuler deux niveaux d’hypothèses relatives à l’activité individuelle et à
l’activité collective dans les SiDyColl.
Les chapitres 4 et 5 sont dédiés à l’étude de l’activité décisionnelle de joueurs de
football en situation de contre-attaque. Au cours d’une situation d’étude privilégiée, nous
nous intéresserons à une équipe de football composée de joueurs experts issus du centre de
formation d’un club de football professionnel partageant des expériences communes. Nous
nous centrerons sur l’analyse de l’activité décisionnelle d’équipes de trois joueurs, en utilisant
une méthodologie combinant des entretiens d’auto-confrontation et des observations. Lors du
quatrième chapitre, nous présentons cette analyse dans sa dimension individuelle. Le chapitre
5 présente l’articulation entre activité collective et activités individuelles.
Le chapitre 6 présentera la conception et la validation d’un environnement virtuel :
CoPeFoot (Bossard et Bénard, 2006). Ce chapitre explicite la collaboration avec Romain
26
Cyril Bossard
Introduction
Bénard. Nous présenterons un protocole expérimental original, inspiré du Test de Turing
(Turing, 1950), ainsi que les résultats obtenus auprès de 24 novices et 24 experts de l’activité
football.
Nous terminerons par une discussion générale qui nous donnera l’occasion de dresser un
bilan des travaux effectués et en conclusion de dégager quelques axes prospectifs pour de
futures recherches.
Cyril Bossard
27
Introduction
28
Cyril Bossard
Chapitre 1
Les variables cognitives et perceptives
de la décision tactique en sports
collectifs
Résumé – L’objectif de ce premier chapitre est de contribuer à la compréhension de
la décision tactique dans les sports collectifs. Dans le cadre d’une revue de la littérature en
psychologie du sport, nous nous focalisons sur les variables cognitives et perceptives mobilisées
par les experts. Nous présentons les principaux modèles théoriques ainsi que les méthodes
d’investigation utilisées pour l’étude de ces variables. Les travaux recensés peuvent expliquer la
supériorité des experts à partir du contenu et de l’organisation de leur base de connaissances,
de leur fonctionnement mnémonique ou de leurs habiletés perceptives. A travers l’évolution
de ces recherches (leurs apports et leurs limites), ce chapitre montre la nécessité de considérer
les relations entre les variables perceptives, cognitives et le contexte, pour mieux comprendre
la décision tactique en sports collectifs.
Cyril Bossard
29
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
Introduction
L’objectif de ce chapitre est de contribuer à la compréhension de la décision tactique
dans les sports collectifs. Pour étudier la prise de décision, la majorité des études en
psychologie du sport se sont focalisées sur les variables individuelles, cognitives et perceptives,
de l’expertise (Tenenbaum et Bar-Eli, 1993). Les avancées de la recherche sont nombreuses
et variées (108 études recensées entre 1980 et 2000 par Starkes et al. (2001)), mais la décision
tactique reste un objet d’étude difficile à appréhender, car les joueurs de sports collectifs
sont souvent confrontés à des contextes à la fois complexes et à forte pression temporelle
(McMorris et Graydon, 1997). La notion de décision tactique met en avant le fait que
le joueur décide en action, dans un contexte « fluctuant à évolution rapide » (Garbarino
et al., 2001). En sports collectifs, la notion de décision tactique se différencie de la notion de
décision stratégique, réalisée en dehors de l’action (préparation du match), ou lors de phases
de jeu peu contraignantes temporellement (remise en jeu, phase arrêtée, coup-franc, etc.). La
pertinence de cette distinction professionnelle ou empirique (le vocabulaire des entraı̂neurs)
a été confirmée scientifiquement (Vom Hofe, 1991; Poplu et al., 2003).
La compréhension de la décision tactique en sports collectifs est un objectif pertinent
pour les praticiens (McPherson et Kernodle, 2003). En effet, pour préparer une équipe aux
décisions stratégiques, le formateur ou l’entraı̂neur peut proposer un plan de jeu, « un
référentiel commun » (Grehaigne et al., 2001) en fonction duquel les joueurs décident et
agissent. Ainsi, les décisions sont pré-établies, les rôles et les actions définis à l’avance. Le
« jeu programmé » peut être répété systématiquement à l’entraı̂nement pour augmenter la
performance en match. En revanche, la décision tactique, le « jeu en lecture », nécessite
le développement de capacités à décider vite et bien, en cours d’action, et serait plus
problématique (Vickers et al., 2004).
La décision tactique en sports collectifs constitue un objet d’étude complexe, et l’identification des structures et des processus psychologiques mis en jeu constitue un indéniable
enjeu scientifique. La décision peut être considérée, soit comme un processus de traitement
de l’information, reposant sur la mobilisation de bases de connaissances pour mieux identifier
et interpréter les indices pertinents dans l’environnement (Schmidt et Lee, 2005), soit comme
un processus d’adaptation au contexte, reposant sur un couplage entre des contraintes contextuelles et des structures d’arrière-plan (Ross et al., 2006). L’étude de la décision tactique sera
donc particulièrement dépendante du point de vue théorique adopté, c’est-à-dire de la place
accordée au contexte dans l’étude et la compréhension de ce phénomène. De plus, dans le
cadre des sports collectifs, les joueurs subissent l’influence des partenaires et des adversaires
(McMorris et MacGillivary, 1988). Si on considère que le développement de l’expertise de
l’équipe ne se réduit pas à la somme de l’expertise des joueurs (Tenenbaum et Bar-Eli, 1993),
alors la dimension collective de la décision tactique devient déterminante.
30
Cyril Bossard
Bases de connaissances et sports collectifs
Comment les joueurs développent leurs capacités à répondre vite et bien, s’adaptent et
se coordonnent dans un contexte de sport collectif ? Pour tenter de répondre à cette question,
on recense en psychologie du sport une grande diversité d’objets de recherche et une grande
hétérogénéité des variables étudiées. Cette revue de question souhaite montrer que l’évolution
de ces recherches permet de mettre en avant leurs apports, leurs limites, mais aussi la nécessité
de considérer les relations entre les variables perceptives, cognitives et le contexte
pour mieux comprendre la décision tactique en sports collectifs.
Ce chapitre nous donne l’occasion de reprendre les contributions classiques des approches
cognitives de la prise de décision, en mettant en évidence l’effort de trois objets de
recherche pour prendre en compte le contexte des sports collectifs. Ces travaux expliquent la
supériorité des experts en sports collectifs à partir du contenu et de l’organisation de leur base
de connaissances (French et McPherson, 1999), de leur fonctionnement mnémonique
(Zoudji et al., 2002), ou de leurs capacités perceptives (Williams et al., 2004). Dans
ces études « individu-centrées », les variables perceptives et cognitives restent centrales :
le contexte est une variable manipulée, contrôlée pour mieux en mesurer les effets sur la
décision du joueur.
1.1
Bases de connaissances et sports collectifs
Historiquement, l’activité décisionnelle en sport a été étudiée au sein du paradigme cognitiviste. Dans cette perspective théorique, la prise de décision est considérée comme un processus individuel, symbolique et rationnel de traitement de l’information. Les informations sont
prélevées dans l’environnement par l’individu et sont interprétées grâce à différents systèmes
mnémoniques (Schmidt et Lee, 2005). Rappelons qu’en psychologie cognitive, il est habituel
de distinguer la mémoire à long terme (MLT), lieu de stockage permanent d’informations,
et la mémoire de travail (MT), espace transitoire de traitement des informations maintenues
sous le focus attentionnel. Plus précisément, la mémoire à long terme déclarative contient des
informations accessibles au langage, notamment des connaissances abstraites, des règles ou
des concepts (mémoire sémantique). Une première approche de la prise de décision en psychologie du sport consiste à identifier ces bases de connaissances mobilisées pour catégoriser,
analyser les situations et choisir une action à réaliser : Quel est l’effet de l’expertise sur
le développement des connaissances des joueurs en sports collectifs ?
1.1.1
Principes et méthodes
Les bases de connaissances renvoient aux informations accumulées par l’expérience, qui
s’affinent et s’organisent au cours du développement des sportifs. Les experts développent
une base de connaissances qui recouvre des connaissances déclaratives (savoir quoi faire) et
Cyril Bossard
31
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
des connaissances procédurales (savoir comment faire), spécifiques à leur domaine (Ericsson,
1996). Par hypothèse, ces informations influencent la décision tactique en sports collectifs
(McPherson, 1993). Dans ce cadre, trois questions principales sous-tendent le lien entre base
de connaissances et décision :
1. Quelle est la nature des connaissances sollicitées pour prendre des décisions tactiques
en sports collectifs ?
2. Comment utiliser ces connaissances pour améliorer l’adaptation à la pression temporelle
en sports collectifs ?
3. Comment les connaissances des experts leur permettent-ils d’intégrer la grande quantité
d’informations issues du contexte en sport collectif ?
Pour identifier les connaissances déclaratives des sportifs, les études utilisent des
questionnaires fermés (Vom Hofe, 1991; Christensen et Glencross, 1993) : connaissances
réglementaires, vocabulaire technique, principes de jeu généraux, etc. Quand l’objectif est
de déterminer les connaissances procédurales des sujets, c’est-à-dire les connaissances qui
leur sont directement utiles pour décider, les études proposent soit des questionnaires, soit
des protocoles de recueil de verbalisations en situation réelle (McPherson, 1993), soit des
situations aménagées à des fins d’étude (McPherson et Vickers, 2004). Pour déterminer une
corrélation entre connaissances procédurales et niveau de performance, des investigations à
partir de questionnaires ont été utilisées en basket-ball (Del Villar et al., 2004) et en floorball
(Contreras Jordan et al., 2005). Enfin, quand l’objectif est d’examiner comment les joueurs
experts mobilisent ces connaissances pour établir un jugement sur le contexte, les chercheurs
peuvent avoir recours à des méthodes expérimentales (Rulence-Pâques et al., 2005a,b). Le tableau 1.1 (p 33) regroupe les études menées au sein du paradigme des bases de connaissances
en fonction des méthodologies employées dans les sports collectifs.
Il apparaı̂t donc qu’à côté des études « classiques », décontextualisées (questionnaires),
des protocoles permettent de prendre en compte la relation décision tactique et contexte.
Les principaux résultats sont présentés en prenant appui sur des études qui nous semblent
caractéristiques de cette évolution méthodologique.
1.1.2
Les connaissances sollicitées en contexte de sports collectifs
McPherson (1993) a développé un protocole structuré à partir d’entretiens permettant
de recueillir et d’analyser systématiquement les données verbales d’experts en situations
sportives. Par hypothèse, les protocoles verbaux de rappel stimulé permettent d’obtenir des
informations concernant les connaissances et les concepts activés en MLT durant l’exécution
de la tâche.
32
Cyril Bossard
Bases de connaissances et sports collectifs
Sport
collectif
Méthodologies de recueil des données
Auteurs et études
Questionnaires Entretiens
Base-ball
Basket-ball
Football
Floorball
Hockey sur
gazon
Volley-ball
French et al. (1996)
McPherson (1993)
Nevett et French (1997)
French et Thomas (1987)
Yaaron et al. (1997)
Del Villar et al. (2004)
Vom Hofe (1991)
Grehaigne et al. (2001)
Contreras Jordan et al. (2005)
Christensen et Glencross (1993)
McPherson et Vickers (2004)
✓
✓
✓
✓
✓
✓
✓
✓
✓
✓
Observations
✓
✓
✓
✓
✓
✓
✓
✓
✓
✓
Tableau 1.1 – Méthodologies de recueil des données
Le système de codage des verbalisations recueillies (organisé autour de 5 concepts : but,
conditions, action, opération, et régulation), mis en évidence par McPherson (1993), a permis
de catégoriser ces formes verbales typiques des connaissances des experts dans d’autres sports
collectifs : le base-ball (French et al., 1996; Nevett et French, 1997), le basket-ball (French et
Thomas, 1987; Yaaron et al., 1997), et le hockey sur gazon (Christensen et Glencross, 1993).
D’une manière générale, les verbalisations recueillies attestent que les bases de connaissances des experts sont plus étendues, plus affinées et spécifiques en sports collectifs. Par
comparaison avec les novices, les résultats montrent que les experts possèdent des structures
de connaissances plus sophistiquées, c’est-à-dire un réseau plus étendu de concepts et un plus
grand nombre de liens entre connaissances procédurales et déclaratives. Ces connaissances
permettent de construire la représentation initiale du problème et de guider l’interprétation
des informations rentrantes et la rétention d’informations pertinentes et nécessaires comme
des solutions pour répondre à la situation. Ce processus de décision décrit un « premier niveau
de traitement » des informations issues du contexte.
1.1.3
L’adaptation à la pression temporelle des sports collectifs
McPherson et Vickers (2004) ont mis à l’épreuve l’hypothèse d’un « second niveau de
traitement » des informations contextuelles grâce aux bases de connaissances. Les informations sur la situation courante et sur des évènements passés pourraient être utilisées pour
planifier les futures actions à entreprendre et anticiper les futurs évènements de jeu. Les auteurs ont recueilli les verbalisations de 5 joueurs experts à différents moments d’une situation
de réception de service et de passe au volley-ball. L’objectif de la tâche consistait à la fois à
Cyril Bossard
33
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
réceptionner un service et à produire une passe précise. Le recueil des données verbales s’effectue à partir d’entretiens menés en deux temps : avant la tâche et pendant la tâche (entre
les séries d’essais). Les questions servant de guide aux entretiens concernaient les stratégies
visuelles (où regardes-tu ?), les pensées pendant un service (à quoi penses-tu ?), et les pensées
entre une série de services (maintenant, à quoi penses-tu ?). Chaque moment d’entretien est
complété par un questionnement permettant d’accéder « plus profondément » aux bases de
décision tactique (Pourquoi ?) et d’assurer des réponses complètes (Rien d’autre ?). La performance des joueurs est mesurée en fonction de la zone d’arrivée de la balle (5 zones notées
de 0 à 4, considérant qu’une zone proche du filet permet d’obtenir un score plus élevé).
Dans un premier temps, la catégorisation théorique autour des 5 concepts proposée par
McPherson (1993) est confirmée. Ensuite, les résultats montrent que les volleyeurs experts
établissent des plans d’actions et envisagent des scénarios de jeu possibles avant de réaliser
la tâche. Les plans d’actions sont ainsi constitués de règles typiques stockées en MLT et
utilisées pour correspondre à certaines conditions courantes de la situation. Ils permettent
de guider les stratégies visuelles, puis l’exécution motrice durant la situation en fonction du
contexte (position du joueur ou de la balle). Les scénarios envisagés constituent des profils
types de situations stockés en MLT prêts à être activés ou mis à jour quand le besoin surgit.
Ainsi, ils permettent d’une part d’augmenter la rapidité de réponse, et d’autre part d’adapter
la décision tactique en guidant la construction dynamique des concepts et leur modification
durant la situation de jeu. Par exemple, un joueur de volley-ball expert peut accéder à un profil
type de situation de service concernant son adversaire (basé sur des compétitions passées),
utiliser ce profil en situation pour anticiper, être en attente d’une trajectoire probable et
prendre rapidement une décision quant au retour à effectuer.
1.1.4
L’adaptation à la complexité des contextes en sports
collectifs
La complexité du contexte des sports collectifs repose, en partie, sur la grande quantité
d’informations à traiter par le joueur. Pour comprendre comment les joueurs peuvent intégrer
cette grande quantité d’informations contextuelles, Rulence-Pâques et al. (2005b) ont étudié
la décision tactique de joueurs de football en fonction de différents scénarios de match. Par
hypothèse, la décision tactique résulterait du degré d’organisation des connaissances au sein
de « schémas de prise de décision ». Les auteurs ont mesuré l’effet de variables contextuelles
telles que le statut numérique, le temps restant, le score et l’importance du match, pour
décider d’une remise en jeu rapide en fin de match. La méthode utilisée consistait à présenter
36 scénarios présentés sur des cartes à des joueurs experts. Ces scénarios étaient établis par
combinaison des quatre variables contextuelles citées ci-dessus (par exemple : notre équipe
mène d’un but, il reste dix minutes à jouer, c’est un match de championnat, nous avons un
34
Cyril Bossard
Bases de connaissances et sports collectifs
joueur de plus que l’équipe adverse). Le sujet est ensuite invité à considérer chaque carte
et à reporter son choix sur une échelle continue allant de « je suis complètement sûr que je
déciderais d’une remise en jeu rapide » à « je suis complètement sûr que je ne déciderais pas
d’une remise en jeu rapide ».
Les résultats montrent que la décision tactique prend bien en compte la complexité du
contexte. Le joueur prend notamment en compte le score et le statut numérique de l’équipe
adverse. Ce sont ces deux facteurs qui influencent le plus la décision tactique : « jouer une
remise en jeu rapide ». Les informations concernant l’importance du match et le temps restant
à jouer sont des modérateurs importants du facteur « score ». En effet, plus le match est
important et le temps restant à jouer est faible, plus le score a un effet sur la décision
tactique. Les informations concernant le score et le statut numérique de l’équipe interagissent
de manière plus complexe. Le statut numérique joue un rôle important seulement dans le cas
d’un score nul. Ces résultats ont obtenu une validation empirique dans des situations de
basket-ball et de handball (Rulence-Pâques et al., 2005a) et sur des joueurs de football de
différentes classes d’âge (Rulence-Pâques et al., 2005b).
1.1.5
Discussion
Les investigations menées au sein du courant des bases de connaissances permettent de
déterminer la nature, le contenu et l’organisation des connaissances utilisées en situation de
sports collectifs (McPherson, 1993). La décision tactique est aujourd’hui conçue comme un
produit cognitif complexe qui requiert de multiples informations sur la situation en cours
et des évènements passés (McPherson et Vickers, 2004). L’adaptation des joueurs de sports
collectifs face à la pression temporelle et la complexité des contextes rencontrés est favorisée
par l’exploitation de deux niveaux de traitement de l’information : niveau macro (schémas,
plan d’actions et scénarios) et micro (règles liant condition-action-but). Les connaissances
sont donc organisées de manière fonctionnelle pour traiter économiquement l’information
contextuelle, et l’expert peut intégrer un grand nombre d’informations pour sélectionner une
réponse appropriée (Rulence-Pâques et al., 2005b,a).
D’un point de vue méthodologique, l’utilisation des protocoles verbaux permet d’ouvrir
une « fenêtre » sur les processus cognitifs à l’œuvre dans la relation sujet-contexte. Dès lors,
il ne faut pas perdre de vue que le chercheur accède uniquement à une partie des bases de
connaissances mobilisées. En effet, de nombreuses connaissances procédurales sont utilisées
de façon implicite par les experts et rendent leurs accès difficile au champ de la conscience.
La technique de codage des verbalisations mise en place par McPherson (1993) a montré son
intérêt dans de nombreuses situations sportives individuelles et collectives (pour une revue
complète voir (French et McPherson, 1999, 2004)).
La critique classique faite au modèle des bases de connaissances repose sur l’incompa-
Cyril Bossard
35
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
tibilité entre le coût temporel du processus séquentiel mobilisé et la pression temporelle liée
aux situations de décision tactique. Les défenseurs de cette approche répondent par la possibilité, avec la pratique, de procéduraliser et d’automatiser les règles spécifiques qui lient les
différentes informations de la base de connaissances aux diverses situations (Grehaigne et al.,
2001), ou par la possibilité d’organiser les connaissances sous forme de schémas typiques, de
scénarios spécifiques à des situations de jeu (McPherson et Vickers, 2004).
L’étude des modes d’activation des bases de connaissances est une autre voie de réponse
à la problématique de la pression temporelle. L’objet de recherche privilégié devient alors
l’étude du fonctionnement mnémonique.
1.2
Le fonctionnement mnémonique en sports collectifs
La décision tactique en sports collectifs a également été étudiée à l’aune des travaux
relatifs au fonctionnement mnémonique. Comment les études relatives au fonctionnement de la mémoire permettent-elles d’expliquer la décision tactique en sports
collectifs ? Pour répondre à cette question, les chercheurs tentent de montrer les relations
entre les modalités d’activation des bases de connaissances (structures spécifiques au domaine
d’expertise) et les contraintes contextuelles imposées par les sports collectifs.
1.2.1
Principes et méthodes
Les études sur les processus mnémoniques reposent principalement sur deux hypothèses.
1) Les performances des experts s’expliquent par une capacité mnémonique accrue, ils peuvent
identifier, intégrer et récupérer une quantité d’informations plus importante que les novices. 2)
Cette différence s’explique par la double nature des processus impliqués : les experts seraient
capables d’activer leurs connaissances, soit directement et de manière implicite en MLT, soit
indirectement et de manière explicite en passant par la mémoire de travail (MT).
L’objectif des études sur le fonctionnement mnémonique est alors de décrire les processus
que les experts sollicitent pour prendre des décisions face à des situations de jeu simulées
(schémas, diapositives). Soit la décision tactique recourt à un processus de « bas niveau »,
automatique et basé sur l’extraction des caractéristiques physiques des situations de jeu.
Soit la décision tactique sollicite un processus de « haut niveau » et dépend de l’analyse
sémantique des relations entre les éléments de la situation de jeu (Gobet et Simon, 1996).
Dans le premier cas, la décision dépend de la récupération d’informations en mémoire à partir
d’indices perceptuels (une solution appropriée est directement associée avec la configuration
de jeu reconnue). Dans le second cas, la décision dépend de la récupération d’informations
36
Cyril Bossard
Le fonctionnement mnémonique en sports collectifs
Sport
collectif
Base-ball
Basket-ball
Football
Hockey
sur gazon
Handball
Rugby
Volley-ball
Tests de mémoire explicites
Tâche de
Tâche de
rappel
reconnaissance
Burroughs (1984)
Fadde (2006)
Allard et al. (1980)
Allard et al. (1980)
Allard (1982)
Garland et Barry (1991)
Allard et Burnett (1985)
Didierjean et Marmèche (2005)
Millslagle (1988)
Starkes et al. (1994)
Laurent et al. (2006)
Garland et Barry (1991)
McMorris et Beazeley (1997)
Williams et al. (1993)
Vom Hofe (1984)
Williams et Davids (1995)
Williams et Davids (1995)
Williams et al. (2006)
Williams et al. (1993)
Starkes (1987)
Starkes et Deakin (1984)
Tenenbaum et al. (1994)
Johnson et Raab (2003)
Nakagawa (1982)
Borgeaud et Abernethy (1987)
Tests de mémoire
implicites
Ripoll et al. (2001)
Poplu et al. (2003)
Zoudji et Thon (2003)
Tableau 1.2 – Les études liées au fonctionnement mnémonique des experts en sports collectifs
en mémoire à partir d’indices conceptuels (la solution est contenue dans une catégorie
sémantique).
Pour évaluer cette « habileté mnémonique » dans le domaine des sports collectifs, les
chercheurs ont mis en place des méthodes expérimentales permettant d’identifier des processus
mnésiques spécifiquement utilisés en fonction des différentes mémoires permanentes (MLT
sémantique et/ou procédurale) ou transitoire (MT) mobilisées et des variables contextuelles
(pour une revue complète voir (Zoudji et al., 2002)).
Deux types de tests sur le fonctionnement mnémonique sont utilisés par les chercheurs :
les tests explicites et implicites. Ces tests se distinguent par un critère d’intentionnalité (Poplu
et al., 2003). Dans le premier cas, le sujet est averti par l’expérimentateur que l’on évalue sa
mémoire (tâches de rappel ou de reconnaissance) contrairement au second. Dans les tâches
de rappel, la performance des sportifs est mesurée à travers la quantité, les relations, et
la pertinence des informations rappelées. Dans les tâches de reconnaissance ainsi que les
tests implicites, les chercheurs établissent des corrélations entre la pertinence et le temps
de réponse. Le tableau 1.2 (p 37) distingue les différentes méthodes utilisées pour étudier le
fonctionnement mnémonique dans les sports collectifs.
Dans l’un ou l’autre des tests, les variables indépendantes généralement examinées
renvoient à deux types de caractéristiques : individuelles (comparaison experts/novices)
et contextuelles. Plus précisément, pour étudier la relation décision tactique-contexte, on
retrouve la volonté d’étudier l’effet de la pression temporelle par le calcul du temps de réponse
Cyril Bossard
37
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
ou en manipulant le temps de présentation des informations. La complexité du contexte
des sports collectifs est, quant à elle, étudiée au travers de sa structuration. Trois types de
questions concernant le fonctionnement mnémonique sont alors abordés :
1. Quel est l’effet de l’expertise ?
2. Quel est l’effet de la pression temporelle ?
3. Quel est l’effet de la complexité du contexte (étudié ici à travers sa structuration) ?
1.2.2
Les différences experts/novices aux tests de mémoire
Pour tester l’effet de l’expertise, Garland et Barry (1991) par exemple, utilisent une tâche
de rappel avec des diapositives présentant des situations de jeu au basket-ball à des joueurs
de niveaux différents. La présentation des diapositives est répétée jusqu’à ce que le sujet les
rappelle correctement. Les résultats aux tâches de rappel montrent ainsi que les experts ont
besoin d’un faible nombre de présentations pour les rappeler correctement (Garland et Barry,
1991; Vom Hofe, 1991).
Dans la même perspective, Vom Hofe (1991) soumet des joueurs de football experts
à une tâche de résolution de problème tactique, présentée sur écran. Deux conditions sont
analysées, en fonction des consignes données aux sujets : « identifier une bonne réponse
le plus rapidement possible », ou « identifier un maximum de bonnes réponses en 20
secondes ». L’originalité de la recherche consiste à mettre en relation les résultats obtenus
avec une batterie d’autres tests : un questionnaire basé sur les règles du jeu (connaissances
déclaratives), un test de perception spatiale, un test de rotation mentale, un test de style
cognitif, et un test d’intelligence. Les résultats, dans la première condition, sont bien expliqués
par la compétence experte dans une tâche de rotation mentale, faisant appel à la rapidité
d’encodage, de comparaison et de rotation de stimuli. Dans la seconde condition, le niveau
d’intelligence générale et la qualité des connaissances déclaratives liées à l’activité constituent
les meilleurs prédicteurs.
1.2.3
L’adaptation à la pression temporelle et le « traitement
perceptif »
Pour leur part, Zoudji et Thon (2003) ont examiné le fonctionnement mnémonique à
différents niveaux d’expertise, en mesurant la performance des sujets dans une tâche de
mémoire implicite (paradigme d’amorçage par répétition). Le protocole expérimental consiste
à présenter deux fois des situations offensives de football à 12 novices et 24 experts (12
entraineurs, 12 joueurs). Le sujet devant décider quelle action appropriée devrait effectuer
le joueur en possession du ballon pour chacune d’elles (garder, passer ou tirer). Dans la
38
Cyril Bossard
Le fonctionnement mnémonique en sports collectifs
seconde présentation, les configurations de jeu sont soit identiques soit différentes (inversion
en miroir). Les variables analysées sont la pertinence, le temps, et la cohérence de la réponse
entre les deux situations.
Ils observent aussi une corrélation entre la vitesse, la pertinence des réponses et le niveau
de pratique. Les décisions des experts sont toujours plus pertinentes que celles des novices.
Si le temps de réponse est peu différencié lors de la première présentation, ce dernier baisse
sensiblement lors de la seconde présentation (quand les situations de jeu sont identiques)
pour les experts. Enfin, la cohérence de la réponse est plus forte chez les experts que chez
les novices entre les deux situations. Cette cohérence est d’autant plus forte que la seconde
présentation est identique à la première. Ces résultats suggèrent que les novices adoptent le
même fonctionnement mnémonique lors de la présentation initiale et lors du test de mémoire
implicite (même quand l’image a déjà été présentée). A l’inverse, les experts mémorisent
les situations rencontrées et se basent sur cette mémorisation pour décider vite et bien lors
de la seconde présentation. Les experts s’appuient donc davantage que les novices sur leurs
traces mnésiques pour prendre des décisions. Cette étude montre ainsi que la supériorité
des experts repose sur l’efficience des processus mnésiques. Les experts en sports collectifs
reconnaissent ou rappellent plus rapidement et avec plus de pertinence les situations de jeu
déjà rencontrées : « effet d’amorçage ». De plus, les auteurs suggèrent que l’effet d’amorçage
est perceptif.
Pour expliquer l’adaptation mnémonique à la pression temporelle, Poplu et al. (2003) ont
mis à l’épreuve l’hypothèse d’un traitement sémantique des informations (faisant intervenir
la mémoire déclarative) par opposition à un traitement strictement perceptif reposant sur
les caractéristiques physiques du percept (et faisant prioritairement intervenir la mémoire
procédurale). Dans le cadre du basketball, ils ont proposé une extension à la méthodologie
utilisée par Zoudji et Thon (2003). Dans un premier temps, les auteurs ont reproduit la même
expérience (choisir rapidement une action pertinente sur 3 possibles : passe, dribble, tir). Dans
une seconde expérience, ils ont demandé aux sujets de planifier une séquence de 3 actions
consécutives à partir de la situation présentée sur écran. Les variables analysées sont toujours
la pertinence, le temps, et la cohérence de la réponse entre les deux présentations sur écran
(structurée ou non). Les mesures prélevées entre la première et la seconde expérimentation
sont ensuite comparées.
Les résultats montrent que les sujets experts appliquent un raisonnement sémantique
uniquement face à des situations « stratégiques », ou de résolution de problème complexe
(par exemple, prévoir trois actions à partir d’une situation actuelle). Mais, quand on exige du
sujet une décision tactique, comme choisir rapidement une action pertinente sur 3 possibilités
(passe, dribble, tir), le sujet fait intervenir prioritairement un traitement perceptif.
Les processus mis en jeu, face à une configuration identique de stimuli, semblent donc
différents selon que l’on se situe dans le cadre d’une consigne de « décision tactique » (contexte
Cyril Bossard
39
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
dynamique à forte pression temporelle), ou d’une consigne « d’analyse stratégique » (contexte
statique à faible pression temporelle). Dès lors, pour Poplu et al. (2003), le traitement
perceptif intervient dans les situations d’urgence (forte contrainte temporelle), alors que
le traitement sémantique intervient dans la construction du jeu ou en situation de confort
temporel. Cependant, cette efficacité est valable uniquement quand les situations présentées
sont cohérentes par rapport à la pratique du sport collectif étudié (situations considérées
comme crédibles ou structurées). Une question corollaire est alors de savoir si la structuration
du contexte a une influence sur la nature du traitement mobilisé par les experts en sports
collectifs.
1.2.4
L’adaptation à la complexité des contextes en sports
collectifs
L’adaptation du fonctionnement mnémonique à la complexité peut s’expliquer par la
« structuration du contexte ». Les résultats aux tests implicites et explicites montrent la
capacité des experts à s’adapter plus vite que les novices à différentes situations complexes à
condition qu’elles soient « structurées ».
Ripoll et al. (2001) ont utilisé une tâche de reconnaissance avec des basketteurs experts.
L’expérience consiste à proposer dans un premier temps (4 secondes) des configurations
schématiques de jeu, structurées ou non. Après 2 secondes, ces mêmes configurations sont
représentées à l’identique ou après avoir subi une rotation de 90° (mais conservant les mêmes
relations sémantiques). Des mesures sur le taux de réponses correctes et le temps de réponse
(pression temporelle) sont prélevées. Les résultats de Ripoll et al. (2001) confirment également
la supériorité des experts sur les novices aux tâches de reconnaissance de configurations
schématiques de jeu. Les experts répondent plus rapidement dans toutes les conditions, sauf
lorsque la présentation des deux situations est identique et structurée. Dans la condition de
rotation à 90 degrés, le temps de réponse des deux groupes est altéré, même si les experts
conservent toujours un temps d’avance.
Pour l’ensemble des travaux menés face à des situations de sports collectifs, les experts
font moins d’erreurs de rappel que les novices quand la situation présentée est structurée
(Allard et al., 1980; Allard et Burnett, 1985; Garland et Barry, 1991; Williams et al., 1993).
Dans l’étude de Ripoll et al. (2001), la situation de la seconde présentation subit une
rotation à 90°. Ainsi, la situation présentée conserve la structure des relations entre les
éléments mais les caractéristiques de surface changent. Si les experts sollicitent un traitement
sémantique alors les effets de la rotation devraient être plus faibles chez les experts que chez
les novices. Les résultats montrent au contraire que les experts appliquent prioritairement un
traitement perceptif des situations proposées.
40
Cyril Bossard
Le fonctionnement mnémonique en sports collectifs
L’étude de Zoudji et Thon (2003) à partir d’un test de mémoire implicite aboutit à
des conclusions similaires. Les experts n’obtiennent pas de meilleures performances dans
la seconde présentation des situations inversées en miroir. L’effet d’amorçage est selon les
auteurs, de nature perceptive.
Ces résultats suggèrent que les experts mobilisent prioritairement la modalité perceptive
pour répondre aux situations proposées. Cependant, dans l’étude de Zoudji et Thon (2003)
les situations présentées aux sujets étaient des situations mettant en scène des joueurs
proches du but. Ainsi, la contrainte temporelle de la tâche (temps de réponse) associée à la
proximité du but dans la scène présentée, pousse les sujets à répondre rapidement. Ensuite, les
configurations de jeu présentées (schémas ou images) font intervenir prioritairement l’habileté
perceptive du sujet. La nature du matériel présenté influence la nature du processus sollicité.
Que ce soit pour les tâches de rappel, de reconnaissance ou le test de mémoire implicite,
les résultats attestent finalement que le traitement des situations dépend de la nature des
contraintes proposées par l’environnement (Williams et al., 1993). La particularité du contexte
des études présentées (Ripoll et al., 2001; Zoudji et Thon, 2003) oriente en quelque sorte la
nature perceptive du processus.
1.2.5
Discussion
L’ensemble de ces travaux corrobore donc l’idée que l’activité décisionnelle est fortement
influencée par des contraintes contextuelles. Plus particulièrement, la pression temporelle et la
structuration de l’environnement semblent être des facteurs déterminants du fonctionnement
mnémoniques des experts. L’expertise dans la décision tactique vs décision stratégique peut
être expliquée au travers de la mobilisation prioritaire de structures mnémoniques spécifiques,
mémoire sémantique déclarative vs mémoire procédurale, en fonction des contraintes contextuelles. Ces études sur le fonctionnement mnémonique permettent donc de valider la distinction empirique entre décision stratégique et tactique en sports collectifs. Dans des situations
de décision tactique, l’expertise s’explique par l’activation directe de la mémoire procédurale
par le contexte.
D’un point de vue méthodologique, les tests de rappel et de reconnaissance présentent une
limite commune. En effet, reconnaı̂tre ou rappeler des informations initialement présentées
lorsque le sujet sait qu’il s’agit d’une épreuve de mémorisation oriente ce dernier vers
un effort de restitution impliquant la mémoire de travail. Des lors, ces tests orientent
fortement la modalité d’accès aux contenus mnémoniques et donc, n’étudie qu’une partie du
fonctionnement mnémonique. Les tests de mémoire implicite permettent de pallier cet écueil
puisqu’ils introduisent une consigne non-intentionnelle. Cependant, même si l’évolution du
matériel de présentation des situations semble se rapprocher des situations réelles de sports
collectifs, les tests de mémoire implicite s’effectuent toujours à partir de situations statiques
Cyril Bossard
41
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
(schémas ou diapositives). Inévitablement, les situations présentées adoptent un point de vue
exocentré de la situation de sports collectifs.
Enfin, si l’ensemble de ces tests permet de confirmer la supériorité des experts quant
à leur habileté mnésique, ils ne renseignent pas précisément quelles sont les informations
contextuelles utilisées par les sujets experts en situation. Or ces derniers ont développé des
habiletés perceptives permettant de répondre aux exigences rencontrées en sports collectifs.
L’expertise perceptive a également été l’objet de nombreuses recherches appliquées aux sports
collectifs.
1.3
La compétence perceptive en sports collectifs
Le champ d’investigation des habiletés perceptives est extrêmement bien fourni dans le
domaine du sport. La particularité des experts consiste à orienter leur activité visuelle sur
les informations importantes qui précèdent et déterminent la décision tactique (Williams et
Ward, 2003). Nous nous demanderons ici, dans quelle mesure les habiletés perceptives
des experts permettent-elles d’expliquer leur supériorité dans les situations de
décision tactique en sports collectifs ? Pour répondre à cette question, les études sur les
variables perceptives dans le domaine du sport examinent trois types de problèmes :
• les différences experts-novices dans les situations de sports collectifs,
• la nature des informations visuelles impliquées dans la décision tactique,
• la manière dont ces informations sont extraites de l’environnement.
1.3.1
Principes et méthodes
D’après Williams et al. (2004) (p 304), le principal modèle théorique qui sous-tend
les études sur l’activité perceptive dans le domaine des sports collectifs est le modèle de
l’attention visuelle. Dans cette perspective cognitiviste, les comportements de recherche
visuelle sont déterminés conjointement par les caractéristiques du contexte et par l’expérience
individuelle (ou la familiarité du sujet avec les situations rencontrées). Concrètement, le
sujet perçoit une image ou une scène sportive qui est ensuite intégrée et comparée avec les
connaissances en MLT. Une fois que le type de situation est identifié, elle permet de diriger
rapidement l’attention et de générer un comportement de recherche visuelle efficace sur les
zones pertinentes.
Dans les études sur l’activité perceptive, les chercheurs effectuent généralement une
analyse contrastante, dans laquelle un petit nombre d’experts est comparé aux non experts
d’une discipline. Cette comparaison porte sur la nature du processus de prise d’informations
visuelles dans des situations qui requièrent une décision tactique. Dans cette perspective, deux
42
Cyril Bossard
La compétence perceptive en sports collectifs
principales orientations méthodologiques peuvent être distinguées : les techniques d’occlusion
et l’enregistrement des mouvements oculaires. Les techniques d’occlusion temporelle et
spatiale permettent d’accéder aux types d’informations utilisés par l’expert pour faciliter
la prise de décision (Williams et Ericsson, 2005). L’enregistrement des mouvements oculaires
(ou de prospection visuelle) permet de déterminer comment les joueurs experts recherchent
et sélectionnent les informations dans le dispositif de présentation ou la situation, et d’en
déduire les règles de fonctionnement de la décision tactique (Henderson, 2003). Le tableau
1.3 (p 45) recense les travaux liés à l’activité perceptive des experts en sports collectifs qui
utilisent ces deux types de méthodes.
Une première méthode consiste à utiliser les techniques d’occlusion temporelle ou
spatiale. Les travaux de Savelsbergh et al. (2002) et de Starkes et al. (1995), respectivement
sur le pénalty au football et le service au volley-ball, sont caractéristiques des études qui
utilisent les techniques d’occlusion temporelle. L’étude de Williams et al. (2006) quant à
elle, constitue un bon exemple d’utilisation des techniques d’occlusion spatiale. L’occlusion
temporelle consiste à filmer une tâche particulière (pénalty au football) du point de vue
du joueur que l’on veut interroger (gardien). On découpe ensuite le film en différentes
séquences ce qui permet de cacher temporairement une information (comme masquer la
séquence du contact pied-ballon par exemple). Le film modifié est ensuite présenté aux
participants qui doivent prédire le résultat de la séquence manquante (type de frappe et
direction). Cette méthode donne des indications sur le moment où l’information est extraite
par le sujet. Pour déterminer à la fois le temps et la nature de l’information extraite, la
technique d’occlusion spatiale ou évènementielle est également utilisée. Ici, les chercheurs
masquent une caractéristique spécifique sur l’image présentée au sujet (comme retirer 2
joueurs défenseurs de l’image). Par hypothèse, si on observe une baisse de la performance
lors de la présentation modifiée en comparaison avec l’image initiale, la source d’information
cachée est importante. Le temps d’occlusion d’une caractéristique peut également être
manipulé pour savoir quelle source d’information est importante à différentes étapes de
l’action. Ces techniques d’occlusion temporelle ont été utilisées en situation expérimentale
(Savelsbergh et al., 2002) ou réelle (Starkes et al., 1995). Plus récemment, Williams et al.
(2006) ont manipulé les caractéristiques de surface d’un film en remplaçant les joueurs par
des points lumineux pour tester l’hypothèse que la décision tactique face à une configuration
de jeu chez les experts au football dépend de la relation entre les informations. Les auteurs
ont également retiré du film certains joueurs (deux attaquants et deux défenseurs) pour tester
leur importance sur la décision tactique.
Une seconde méthode consiste à recueillir des données sur les mouvements oculaires
des experts pour déterminer les stratégies visuelles utilisées (pour une revue complète
sur les études relatives aux mouvements oculaires, voir Williams et al. (1999); Williams
(2002); Williams et al. (2004)). Cette perspective méthodologique apporte un éclairage sur
l’orientation du regard des pratiquants, le nombre et la durée de leurs fixations oculaires
Cyril Bossard
43
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
(Williams et al., 2004). La localisation de chaque point de fixation permet d’inférer la zone
d’intérêt du sujet. Le nombre et la durée des fixations sont censés refléter l’importance relative
(quantité d’informations traitées) ou la complexité de la zone fixée par le sujet. Ces différents
indicateurs dévoilent la stratégie de recherche visuelle utilisée par le sujet pour extraire des
informations dans son environnement. Ces investigations peuvent avoir lieu en situations
expérimentales ou en situations sportives réelles. Dans les situations expérimentales, les
auteurs ont souvent utilisé des films pour recréer la dynamique des situations de sports
collectifs. Par exemple, Williams et al. (1994) et Williams et Davids (1998) ont présenté des
séquences de jeu au football sur un grand écran puis ont demandé aux sujets (des défenseurs)
de prédire la direction de la passe de l’adversaire. Les situations présentées aux sujets ont
été différenciées : un contre un, trois contre trois et onze contre onze. D’autres études sur les
stratégies visuelles présentent également des situations de jeu où le sujet doit prendre une
décision appropriée (frapper, passer ou dribbler) face à un film (Helsen et Pauwels, 1993a;
Helsen et Starkes, 1999).
Les résultats des différentes études en sports collectifs permettent de caractériser
l’activité perceptive des experts par comparaison avec celle des novices. Ces études fournissent
également des indications pour expliquer comment les experts s’adaptent à la pression
temporelle et la complexité des contextes en sports collectifs.
1.3.2
Les différences experts-novices
Les principaux résultats de l’ensemble des études sur la perception en sports collectifs
suggèrent que les experts ont développé une habileté perceptive spécifique à leur activité. Ces
travaux mettent en évidence la compétence des experts à extraire des informations pertinentes
plus tôt, plus vite et avec plus de précision que les novices (Williams et Ward, 2003).
Les résultats obtenus avec l’une ou l’autre des méthodes d’investigation mettent en
avant l’idée que les experts perçoivent directement les informations pertinentes, i.e. utiles
pour décider. Les résultats obtenus à l’aide des techniques d’occlusion spatiale et temporelle
montrent par exemple que les experts extraient des informations précises plus tôt et plus
rapidement que les novices (Savelsbergh et al., 2002). Les résultats obtenus à partir de
l’analyse des mouvements oculaires montrent que les experts utilisent des stratégies visuelles
optimales (ou patterns de recherche visuelle), c’est-à-dire plus appropriés et plus efficaces que
les novices en sports collectifs (Williams et Davids, 1998). Dès les premières études, Bard et
Fleury (1976) ont montré que les experts faisaient moins de fixations de longue durée que les
novices en situation de jeu au basket-ball. Les résultats montrent également une différence
qualitative. Les fixations des experts sont dirigées vers les zones potentiellement plus riches
en informations. Ces résultats ont été confirmés par des études plus récentes dans différents
sports collectifs (Williams et al., 1994; Williams et Davids, 1998; Williams et al., 2004; Helsen
44
Cyril Bossard
La compétence perceptive en sports collectifs
Sport
collectif
Base Ball
BasketBall
Techniques d’occlusion
Burroughs (1984)
Glencross et Paull (1993)
Paull et Fitzgerald (1993)
Paull et Glencross (1997)
Fadde (2006)
Ripoll et al. (2001)
McMorris et al. (1993)
Football
Williams et Burwitz (1993)
Savelsbergh et al. (2002)
Williams et al. (2006)
Hockey
sur gazon
Handball
Starkes (1987)
Shank et Haywood (1987)
Bard et Fleury (1981)
Bard et al. (1987)
Helsen et al. (1986a)
Helsen et al. (1986b)
Laurent et al. (2006)
Helsen et Pauwels (1990, 1991,
1993a,b,c)
Helsen et Starkes (1999)
Williams et Davids (1995)
Williams et al. (1993, 1994);
Williams et Davids (1998)
Lyle et Cook (1984)
Derrider (1985)
Bard (1982)
Hockey
sur glace
Volley ball
Méthodes
Analyse des mouvements oculaires
Bard et Fleury (1980, 1981)
Kioumourtzoglou et al. (1998)
Wright et al. (1990)
Starkes et al. (1995)
Bard et al. (1987)
Ripoll (1988)
McPherson et Vickers (2004)
Tableau 1.3 – Les travaux liés à l’activité perceptive des experts en sports collectifs
Cyril Bossard
45
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
et Starkes, 1999).
1.3.3
L’adaptation de l’activité perceptive à la pression temporelle
Si les experts reconnaissent les indices associés à leur activité sportive plus tôt, plus vite
et répondent avec plus de précision, c’est qu’ils ont développé une capacité d’anticipation
importante (Williams et Ward, 2003). Le développement de cette habileté permet d’expliquer
comment les joueurs s’adaptent à la pression temporelle exercée dans le contexte des sports
collectifs. Les experts montrent, par exemple, des attentes plus précises sur les probabilités
d’apparition d’un évènement en situation (Starkes et al., 1995) ou encore une anticipation plus
accrue pour des informations visuelles spécifiques comme la posture de l’adversaire (Williams
et al., 1994).
Par exemple, Savelsbergh et al. (2002) ont montré que les gardiens de but au football
prenaient moins d’informations que les novices pour de meilleures performances d’anticipation. Plus précisément, ils arrivaient à mieux prévoir la direction et le type de frappe à partir
d’informations précoces. Les points de fixation oculaire avant la frappe concernaient le bassin,
la position du pied et l’épaule côté opposé au pied frappeur. Cette focalisation sur des indices
précis permet ainsi de fournir des informations significatives sur les intentions et les actions
de l’adversaire.
Ces résultats ont également été confirmés en situations réelles de service au volley-ball
(Starkes et al., 1995). En effet, les chercheurs ont masqué des portions du service et demandé
au réceptionneur de prédire la zone d’arrivée de la balle. Les résultats montrent également
la capacité des volleyeurs experts à extraire une plus grande quantité d’informations à partir
d’indices visuels précoces, et à prédire la zone de réception de la balle. Ces résultats donnent
des indications sur le moment et la nature des informations prélevées par les experts dans
des tâches « fermées » et spécifiques en sports collectifs (service, pénalty) qui nécessitent une
décision tactique simple. Quand il s’agit d’anticiper la direction de la passe d’un adversaire,
les défenseurs au football confirment également ces résultats (Williams et al., 1994). L’expert
anticipe mieux la passe en extrayant des informations plus pertinentes de la posture du
passeur grâce à des fixations en vision centrale, tout en utilisant la vision périphérique pour
confirmer les informations au regard des mouvements des non-porteurs.
1.3.4
L’adaptation de l’activité perceptive à la complexité du
contexte
La compétence perceptive des experts s’explique également par leur capacité d’adaptation à la complexité du contexte. Les résultats montrent ainsi que l’habileté perceptive des
46
Cyril Bossard
La compétence perceptive en sports collectifs
joueurs de sports collectifs s’adapte, évolue en fonction des configurations de jeu qui leurs
sont présentées.
Une étude de Williams et al. (2006) montre que les experts sont capables de prendre des
décisions tactiques plus rapides et plus précises que les novices au regard de configurations
de jeu présentées sur vidéo où les joueurs sont remplacés par des points lumineux. Il semble
donc que les positions des joueurs sur le terrain et plus particulièrement la relation entre
ces positions soit suffisante pour prendre des décisions tactiques. Par contre, les auteurs
observent une baisse de la performance des experts quand on retire les deux attaquants et
les deux défenseurs associés de la configuration de jeu présentée. Les auteurs concluent que
les positions et les déplacements de ces joueurs, ou les mouvements entre ces joueurs et leurs
adversaires, sont des informations importantes pour la prise de décision tactique des joueurs
experts au football. On retrouve ici l’effet « structuration » du contexte révélé par les études
sur le fonctionnement mnémonique des experts en sports collectifs. La complexité du contexte
est également un facteur important de l’activité perceptive.
L’analyse des stratégies visuelles des experts en sports collectifs montre également une
importante variation en fonction de la complexité du contexte d’étude. En situation duelle
(1 contre 1), la décision est également plus rapide et plus précise, avec un plus grand nombre
de fixations de courte durée, localisées de manière alternative sur les hanches et le ballon.
Ensuite, en situations de 11 contre 11, les auteurs montrent que les joueurs se centrent
davantage sur les positions et déplacements des attaquants adverses que sur le porteur de
balle et le ballon, avec des fixations moins nombreuses et plus longues, par aller-retour entre
des informations sur le ballon et les autres sources. En somme, les experts adoptent une
stratégie de recherche plus large, avec des informations prises sur le ballon, sur leur propre
position dans l’espace de jeu, sur les positions des partenaires et sur les déplacements des
adversaires. Si les défenseurs experts au football ont des performances plus élevées que les
novices dans la tâche d’anticipation en situation de 1 contre 1, les auteurs n’observent pas de
différences significatives dans les deux autres conditions (3 contre 3 et 11 contre 11). Ensuite,
les joueurs utilisent typiquement moins de fixations de longue durée en situation de 3 contre
3 qu’en situation de 11 contre 11. La durée des fixations oculaires chez les joueurs de football
augmente donc à mesure que la tache présentée se complexifie. Les stratégies de prospection
visuelle semblent donc gouvernées ou dépendantes des contraintes imposées par la tâche lors
de l’expérimentation (Williams et al., 2004; Williams et Davids, 1998).
Les résultats de Helsen et Pauwels (1993c) montrent également des différences significatives en fonction de la nature du problème à résoudre. Par exemple, les situations de
frappe sont résolues plus rapidement, avec plus de précision et nécessitent moins de fixations de longue durée que les situations de passe et de dribble. Les auteurs concluent que les
experts sont capables de prendre des décisions tactiques pertinentes et rapides, nécessitant
une simple fixation ou des fixations plus courtes. Une autre étude (Helsen et Starkes, 1999)
Cyril Bossard
47
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
montre également des différences dans l’utilisation des stratégies visuelles en fonction de la
nature défensive ou offensive de la décision tactique à adopter. Ces dernières varient selon
le rôle et les intentions du joueur. Par exemple, les attaquants utilisent des stratégies moins
exhaustives que les défenseurs face à une situation de nature défensive.
1.3.5
Discussion
Les paradigmes perceptifs sont très riches, et beaucoup de travaux leur sont consacrés.
Les études ayant recours aux techniques d’occlusion temporelle et spatiale sont intéressantes
pour identifier précisément les indices qui permettent de prendre des décisions dans une
situation particulière. L’analyse des mouvements oculaires donne quant à elle des indications
sur la manière dont ces informations sont prises en compte par les experts ; elle permet de
fournir une image dynamique des stratégies de recherche visuelle à mesure que l’action se
déroule (Williams et al., 2004).
Une littérature importante montre ainsi que les experts dans les sports collectifs
recherchent dans l’environnement les informations d’une manière plus systématique et plus
efficiente que les novices (Williams et al., 1999; Williams, 2002). Les stratégies perceptives
et les capacités d’anticipation des experts peuvent expliquer leur supériorité dans la vitesse
et la pertinence des réponses lors des situations tactiques. L’ensemble des résultats présentés
atteste l’idée que la supériorité des joueurs en sports collectifs ne s’explique pas tant par
une quantité importante d’indices prélevés mais plutôt sur la pertinence de ces indices au
regard de la situation présente. A ce titre, l’étude de Williams et al. (2006) montre bien
que c’est la relation entre les informations qui est prépondérante pour prendre des décisions
tactiques en sports collectifs. Les relations entretenues entre plusieurs informations (comme
la position et le déplacement des partenaires) constituent ainsi des indices pertinents sur
lesquelles l’attention des experts est portée. Les stratégies visuelles employées par les experts
permettent d’expliquer, en partie, leur supériorité dans les situations de décision tactique.
Les experts en sports collectifs mobilisent une attention sélective en analysant les sources
d’informations pertinentes (et en éliminant les informations inutiles) en nombre restreint
pour décider.
L’activité perceptive des experts s’adapte à la complexité des situations en sports
collectifs. Les travaux que nous avons mis en exergue montrent ainsi que les stratégies visuelles
des experts en sports collectifs varient principalement en fonction de la tâche utilisée lors
de l’expérimentation (Williams et Davids, 1998; Williams et al., 2006) ou de la décision
tactique à adopter (Helsen et Pauwels, 1993a; Helsen et Starkes, 1999). Elles se différencient
également en fonction du rôle attribué (attaquant ou défenseur) et de l’intention du sujet
(Helsen et Starkes, 1999). L’activité perceptive ne serait ainsi pas uniquement dépendante
des informations qui s’imposent au sujet dans un environnement prédéfini. Les contraintes
48
Cyril Bossard
La compétence perceptive en sports collectifs
propres au sujet (Williams et al., 2004) constituent en quelque sorte un aspect du contexte
pris en compte dans la décision tactique.
Les approches « écologiques » étudient justement l’activité perceptive à partir des
contraintes d’actions du sujet au sein de l’environnement (Kelso, 1995). L’activité perceptive
est ici considérée comme un phénomène qui émerge à partir de la convergence des contraintes
de l’organisme (dimensions physique, physiologique, cognitive et émotionnelle) et de l’environnement. Les caractéristiques propres du sujet dans son ensemble agissent comme des
pressions qui canalisent la manière dont l’activité perceptive du sujet s’organise. Des revues
récentes insistent sur les retombées potentielles d’une telle perspective dans le contexte des
sports collectifs (Araujo et al., 2004; Beek et al., 2004; Huys et al., 2004) et devraient apporter
des réponses complémentaires à l’étude des habiletés perceptives pour expliquer la supériorité
des experts en situations de décision tactique.
Malgré la prolifération des résultats en faveur des différences experts-novices dans
les comportements de recherche visuelle, des controverses subsistent (Williams et Davids,
1998). L’enregistrement des mouvements oculaires fournit une information uniquement sur
l’orientation de la fovéa (le regard) alors que dans les sports collectifs, les situations
requièrent l’intégration d’informations également issues de la zone para-fovéale et de la rétine
périphérique (Williams et Davids, 1998). En sport collectif, l’expert utilise des stratégies
visuelles également pour tromper ses adversaires (ex : feinte du regard). Il existe une différence
fondamentale entre l’orientation du regard et l’information perçue, c’est-à-dire significative
pour agir. A l’instar de McPherson (1993), nous pouvons donc nuancer l’importance des
paradigmes perceptifs, en expliquant que les différences perceptives (comme les stratégies
oculaires) ne constituent pas systématiquement une variable pertinente pour comprendre la
décision tactique en sport collectif.
Enfin, on peut également regretter que ces études s’effectuent principalement à partir
d’images ou de films représentant un point de vue extérieur à l’action. L’usage de diapositives
ou de films lors des expérimentations impose au sujet de se projeter à la place du joueur.
On demande alors au sujet ce qu’il ferait dans la situation présente (Williams et Davids,
1995). Toutefois, le sujet n’est pas directement impliqué dans l’action. De plus, ces situations
expérimentales réduisent (par définition) la complexité du contexte des sports collectifs. Le
décalage entre ce qui est perçu, vécu en situation expérimentale et ce qui est perçu, vécu
en situation naturelle conduit certains chercheurs à étudier comment des sujets peuvent
s’adapter à la complexité des situations de sports collectifs. On observe aujourd’hui une
volonté de prendre en compte le contexte réel de décision tactique du joueur, par exemple en
confrontant lors d’un entretien les joueurs au film de leur activité réelle (Mouchet et Bouthier,
2006; Macquet, 2001). Ces études se préoccupent de mettre à jour conjointement le rôle de
variables perceptives et cognitives.
Cyril Bossard
49
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
Conclusion
L’objectif de ce chapitre était de contribuer à une meilleure compréhension de la décision
tactique en sports collectifs, à partir d’une présentation de l’évolution des recherches en
psychologie du sport. Dans cette revue de questions, nous avons repris les contributions
classiques des approches cognitives sur la décision tactique en sports collectifs en trois points.
Plus particulièrement, nous les avons questionnées sous l’angle de la relation contexte-joueur
en sports collectifs.
La première réponse est apportée par l’étude des bases de connaissances. Les experts en
sports collectifs disposent d’un nombre important de connaissances spécifiques liées à leur
domaine. Une organisation rationnelle et hiérarchisée de ces connaissances en MLT permet
d’assurer, en partie, la pertinence de l’activité décisionnelle quand la pression temporelle est
faible. De façon complémentaire, les études sur le fonctionnement mnémonique permettent
de préciser les modalités d’activation de ces bases de connaissances face aux contraintes
contextuelles imposées par les sports collectifs. La notion de pré-activation directe (sans
traitement de l’information en mémoire de travail) apporte ainsi une seconde réponse sur
la capacité des joueurs à répondre rapidement aux situations sportives. Les études ont
principalement mis en évidence la capacité des experts à activer des connaissances, soit de
manière implicite en MLT, soit de manière explicite en passant par la mémoire de travail
(MT). Cette double modalité d’activation serait dépendante de la structuration du contexte
et des contraintes temporelles. Enfin, une dernière réponse est apportée par les études sur
les habiletés perceptives des experts en sports collectifs. Les stratégies d’anticipation et
de préparation des experts permettent d’expliquer la rapidité des décisions tactiques. Ces
derniers perçoivent les indices pertinents dans leur environnement plus tôt, plus vite et
de façon plus précise. Les études révèlent également des stratégies visuelles différenciées en
fonction du contexte de l’expérimentation (i.e. le type de tâche utilisé).
L’ensemble de ces travaux concourt à la modélisation de l’expertise au regard de variables
(ici, perceptive, cognitive, ou mnémonique) identifiées, isolées et étudiées dans des conditions
standardisées. Le contexte correspond la plupart du temps au contexte de l’expérimentation
(schémas, diapositives, films), de sorte qu’il apparaı̂t d’une part banalisé ou manipulé à
des fins d’études (Macquet et Fleurance, 2006) et d’autre part plus ou moins éloigné des
situations réelles de sports collectifs. En conséquence, chaque type de recherche apporte une
réponse singulière, mais partielle à l’objet d’étude choisi. L’activité du sujet est considérée
de manière morcelée, au regard de la composante étudiée, et non dans sa globalité. D’un
point de vue théorique, cette approche cognitiviste valorise la représentation d’un monde
extérieur prédéfini et indépendant de l’individu agissant. Le modèle du système de traitement
de l’information considère la décision comme une étape du processus, située entre l’extraction,
l’intégration des informations et l’action. La décision adoptée est le résultat de traitements
50
Cyril Bossard
La compétence perceptive en sports collectifs
(à différents niveaux) effectués en référence aux bases de connaissances et en fonction
d’habiletés mnémoniques ou perceptives. Assez récemment, certains auteurs (Sève et al., 2002;
Mouchet et Bouthier, 2006; Macquet et Fleurance, 2006), réfutent l’utilisation prédominante
ou exclusive du « modèle du traitement de l’information » pour analyser l’activité décisionnelle
des sportifs de haut niveau. La complexité des sports collectifs conduit ces auteurs à mobiliser
des modèles issus de l’ergonomie cognitive pour étudier le couplage entre ressources cognitives
et contraintes contextuelles.
L’ensemble des études recensées jusqu’à présent permet de caractériser l’activité décisionnelle au regard de l’adaptation individuelle au contexte des sports collectifs. Ces
approches peuvent ainsi être qualifiées « d’individu-centrées ». Cependant, la complexité du
contexte des sports collectifs nécessite également d’appréhender sa dimension collective. La
prise en compte du caractère collectif de la décision, dans une perspective cognitive, est un
objet d’étude qui suscite actuellement un regain d’intérêt en psychologie du sport (Eccles et
Tenenbaum, 2004; Fiore et Salas, 2006; Ward et Eccles, 2006). En effet, les études se sont
longtemps intéressées aux activités des individus considérés isolément. Or, dans de nombreuses situations dynamiques et collaboratives comme dans les sports collectifs, la décision
est réalisée au sein d’un collectif et s’appuie sur des interactions entre plusieurs personnes.
Comprendre l’implication de l’activité collective dans la décision tactique des joueurs de
sports collectifs revient à comprendre comment les individus parviennent à coordonner ou
articuler leurs activités face aux contraintes contextuelles, afin de réaliser une performance
optimale.
La question initiale mettait en avant la rapidité et la pertinence des choix des joueurs en
sports collectifs même quand la situation conjugue complexité et pression temporelle. Cette
revue de questions des travaux en psychologie du sport montre une grande diversité d’objets
de recherche susceptibles de répondre à cette question. Plus particulièrement, nous avons
mis en avant les réponses (partielles et complémentaires) qu’elles apportent à notre objet.
Les présupposés théoriques, les méthodes utilisées et les résultats témoignent de l’intérêt
et des limites d’une « approche cognitiviste » du problème posé par l’analyse de l’activité
décisionnelle. La complexité de l’activité décisionnelle nécessite d’interroger les modèles qui
prennent en compte le couplage entre ressources perceptives et cognitives, et contraintes
contextuelles.
Dans un second chapitre, nous mettons en perspective le cadre conceptuel de la
« Naturalistic Decision Making » (Klein, 1997) habituellement exploité dans les situations de
travail. Cette approche ergonomique cherche justement à appréhender l’activité décisionnelle
dans toute sa complexité en situation naturelle.
Cyril Bossard
51
Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs
52
Cyril Bossard
Chapitre 2
Une approche contextualisée de la
décision
Le cadre théorique de la Naturalistic Decision Making
Résumé – Ce second chapitre présente le cadre conceptuel de la Naturalistic Decision
Making (Klein, 1997) habituellement exploité dans l’analyse des situations de travail individuelles. Cette approche considère l’activité décisionnelle sous un rapport étroit entre le sujet et
la situation. Ce changement de paradigme permet, selon nous, d’appréhender la complexité de
l’activité décisionnelle sans renoncer à l’étudier dans son contexte naturel. Nous examinerons
successivement les modèles et concepts qui ont été proposés : 1) Le modèle RPD (décision
fondée sur la reconnaissance : « Recognition-Primed Decision ») proposé par Klein (1993,
1997) ; 2) Le modèle de la Conscience de la Situation (« Situation Awareness ») développé
par Endsley (1995) ; 3) La théorie des schémas mobilisée par (Lipshitz et Shaul, 1997). L’analyse des objectifs, des méthodes et des principaux résultats nous conduit à démontrer pourquoi
cette approche nous semble heuristique pour appréhender l’activité décisionnelle individuelle
en sports collectifs.
Cyril Bossard
53
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
Introduction
Au cours du chapitre précédent, nous avons rappelé les variables cognitives et perceptives habituellement convoquées pour caractériser la décision tactique en sports collectifs.
L’ensemble de ces travaux concourt à la modélisation de l’expertise au regard de variables
(ici, perceptives, mnémoniques et cognitives) identifiées, isolées et étudiées dans des conditions standardisées. Les résultats montrent l’influence de ces variables sur la performance
et/ou l’apprentissage. D’un point de vue méthodologique, les tâches expérimentales utilisées
sont souvent éloignées des situations réelles de sports collectifs. Les principes théoriques qui
guident ces études considèrent l’activité du sujet de manière morcelée, au regard de la composante étudiée (perceptive, ou cognitive, ou mnémonique), et non dans sa globalité.
Nous considérons que ces travaux n’éclairent, chacun à leur tour et à leur mesure, qu’un
aspect de la décision tactique en sports collectifs. La décision tactique en sports collectifs ne
peut ni se réduire à la mobilisation d’habiletés perceptives, puis de connaissances, ni s’étudier
à partir de l’analyse des caractéristiques objectives d’une tâche. Une importante évolution
en sciences humaines conduit au contraire de nombreux chercheurs à appréhender l’activité
humaine dans toute sa complexité, sans renoncer à l’étudier au sein du contexte social et
culturel où elle se produit. La complexité des situations vécues en sports collectifs nécessite
d’interroger les modèles qui prennent en compte le couplage entre ressources perceptives,
cognitives et contraintes contextuelles.
La psychologie cognitive ergonomique s’intéresse à « toutes les situations complexes
qui sont vécues par l’opérateur humain dans la totalité de ses fonctions » (Hoc et Darses,
2004). Afin d’appréhender la décision tactique de joueurs experts en sports collectifs, nous
mobilisons ce champ d’investigation pour trois raisons principales : (1) la psychologie cognitive
ergonomique est centrée sur l’étude des activités humaines finalisées, ce qui la conduit à
accorder une attention particulière à la compréhension de la performance ; (2) bon nombre de
travaux portent sur l’activité des experts dans leur domaine de prédilection ; (3) la prise de
décision en situation dynamique est un objet d’étude particulièrement développé dans cette
approche disciplinaire. L’activité décisionnelle est par conséquent largement documentée dans
de nombreuses situations professionnelles individuelles et/ou collectives.
Plus particulièrement, l’activité décisionnelle en situation dynamique peut être
considérée comme un objet de recherche central pour le courant de recherche ou paradigme
« NDM ». Le courant NDM pour « Naturalistic Decision Making » est né aux États-Unis
autour de Zsambok et Klein (1997) et s’est donné comme objectif d’améliorer les systèmes
d’aide à la décision dans le domaine militaire mais aussi dans l’industrie nucléaire et le secteur
de l’aviation civile. Il étudie la façon dont des experts, travaillant seuls ou en groupe dans
des environnements dynamiques et incertains, identifient et évaluent des situations, prennent
54
Cyril Bossard
Le modèle RPD
des décisions et exécutent des actions dont les conséquences sont significatives pour eux et
pour leur environnement (Lipshitz et al., 2001).
Au cours de ce second chapitre, nous présenterons le courant NDM. Nous interrogerons les concepts et les modèles développés au sein de ce courant au regard de notre objet
d’étude. L’analyse des objectifs de recherche, des méthodes et des principaux résultats, nous
conduira à démontrer pourquoi cette approche nous semble particulièrement heuristique pour
appréhender les décisions tactiques des joueurs de football.
Ce chapitre est organisé en quatre points. Les trois premiers points concernent les études
de la prise de décision individuelle en situation de travail. Nous examinerons successivement
les modèles et concepts qui ont été proposés : 1) Le modèle RPD (décision fondée sur la
reconnaissance : « Recognition-Primed Decision ») proposé par Klein (1993, 1997) ; 2) Le
modèle de la Conscience de la Situation (« Situation Awareness ») développé par Endsley
(1995) ; 3) La théorie des schémas mobilisée par (Lipshitz et Shaul, 1997). L’ensemble de
ces modèles et concepts nous semblent particulièrement intéressants pour appréhender la
décision tactique de joueurs experts en football. Le quatrième point examinera l’implication
de l’approche NDM pour l’étude de l’activité décisionnelle individuelle en sports collectifs.
2.1
2.1.1
Le modèle RPD
Concepts et Méthodes
Le modèle RPD (Cf. Figure 2.1) constitue une alternative au paradigme cognitiviste,
jusqu’à présent dominant en sciences cognitives, pour expliquer les décisions d’experts prises
sous pression temporelle et imprégnées d’enjeux forts (Hoffman et Lintern, 2006). Klein
et Brezovic (1986) réfute l’idée que les individus confrontés aux situations dynamiques
fondent leurs choix sur la base d’un calcul rationnel ou d’une analyse exhaustive des
utilités (théorie des jeux ou théorie formelle de la décision). Pour Ross et al. (2006),
les experts font principalement appel à leur expérience pour prendre des décisions sous
pression. Un expert confronté à une situation dynamique est capable de reconnaı̂tre la
typicalité de la situation et d’y associer une réponse type. À ce titre, les auteurs parlent
de « l’instanciation d’un prototype ». Ce prototype constitue un véritable « package cognitif
nourri de significativité » (Ross et al., 2006)(p 406). En effet, ce « package » inclue des
informations sur la situation courante type, c’est-à-dire sur les attentes qui en découlent,
sur les buts appropriés, sur les cours d’action typiques et sur les indices pertinents associés.
Quand l’expert reconnaı̂t une situation comme prototypique, l’ensemble de ces informations
(le package) lui permet de faire face à la situation et surtout d’agir sans avoir recours à
Cyril Bossard
55
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
une analyse exhaustive et élaborée de la situation. Le processus de reconnaissance de la
situation étant lié à un cours d’action, il mène directement à l’action suivante sans nécessité
de comparaison avec d’autres options possibles. Ainsi, l’expert est capable de se satisfaire
et de mettre en œuvre ce qui fonctionne habituellement plus que de rechercher une solution
optimale.
Ce processus de reconnaissance est particulièrement intéressant pour expliquer la rapidité
des décisions tactiques observées dans les sports collectifs. La première modalité ou stratégie
du modèle proposé par Klein (1997) peut être qualifiée de réactive (Chalandon, 2003).
L’auteur considère que la reconnaissance implicite de patterns significatifs pour l’action est
une solution optimale au problème du couplage (ou synchronisation) activité-environnement.
La situation s’impose ainsi à l’individu qui la « découvre » et dont l’expertise se traduit par
une reconnaissance finalisée de cette situation. Ce « coup d’œil » de l’expert qui l’oriente en
cours d’action, consiste en une correspondance implicite entre les informations contextuelles
perçues et les structures fonctionnelles disponibles en mémoire. Klein (1997) est assez prudent
sur la notion de représentation et insiste sur le rôle de la perception pour guider la cognition,
se rapprochant ainsi de la notion d’affordance développée par Gibson (1979).
Parfois la reconnaissance d’une situation type n’est pas suffisante (ex : la situation n’est
pas claire ou incongrue). L’expert va relier les informations perçues, à différentes situations
déjà vécues, ou construire, se représenter une nouvelle situation à partir de souvenirs
stockés en MLT. Cette seconde modalité du modèle RDP rejoint les processus cognitifs et
mnémoniques habituellement décrits par les approches cognitives. S’il présente un intérêt
dans des situations à faible pression temporelle, ou dans des situations accidentelles (où la
dynamique de l’activité va être interrompue), il paraı̂t peu approprié dans les situations de
contre-attaque au football. Enfin, une troisième modalité présente un processus où l’expert
peut évaluer le cours de l’action mais toujours sans comparaison entre les différentes options
possibles. Cette évaluation repose sur une simulation mentale du cours d’action et de ses
conséquences. Il peut également simuler mentalement les évènements au regard des propriétés
de la situation pour adapter sa réponse (Kaempf et al., 1996). Ces deux dernières modalités
montrent ainsi qu’en cas de « résistance du réel », le processus décisionnel devient alors plus
explicite car il nécessite une évaluation (i.e. une compréhension) de la situation.
Ce modèle devrait permettre d’appréhender la diversité des contextes rencontrés par des
individus en sports collectifs. Dans le cadre du football par exemple, la pression temporelle
exercée en contre-attaque contraindrait à mobiliser prioritairement la première modalité du
modèle RPD. La reconnaissance de la situation suffirait alors à activer une action ou une
séquence d’actions appropriées. En situation d’attaque placée ou lors d’arrêts de jeu, la
pression temporelle est moindre. Des joueurs mobiliseraient plutôt la seconde ou troisième
modalité. Notre objet d’étude étant l’analyse des décisions tactiques de joueurs experts en
situation de fortes contraintes temporelles, la première modalité décrite par Klein (1997)
56
Cyril Bossard
Le modèle RPD
retiendra toute notre attention.
Figure 2.1 – Le modèle RPD (Klein, 1997)
Les trois modalités présentées sont fortement dépendantes du niveau d’expertise de l’acteur. Dans la première, l’expertise permet de reconnaı̂tre la « typicalité » de la situation pour
y répondre rapidement. Dans la seconde, l’expertise permet de construire un modèle mental
adéquat. Enfin, dans la dernière, l’expertise se définit comme l’habileté à simuler mentalement un cours d’action dans une situation et à anticiper ses conséquences. Le point commun
des trois stratégies concerne la reconnaissance de typicalité. Cette reconnaissance s’effectue
à partir de 4 types de variables : les attentes de résultats ou résultats (« expectancies »),
les indices pertinents (« relevant cue »), les cours d’actions typiques (« typical action »), et
les buts plausibles (« plausible goals »). Plus récemment, Lipshitz et al. (2001) ont proposé
d’intégrer ces variables au sein d’une même structure fonctionnelle et ont repris le concept de
schéma. Nous reviendrons plus loin (voir 2.3, p 70) sur l’intégration de la théorie des schémas
à l’approche NDM.
Pour résumer, le modèle RPD (Klein, 1997) repose sur trois hypothèses fondamentales :
1. Les experts génèrent et évaluent des options de façon séquentielle (Evaluation holistique
du potentiel au cours de l’action) et non pas concurrente de sorte que la première option
prise en considération est, d’emblée, une option plausible (Lipshitz et al., 2001).
Cyril Bossard
57
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
2. Les experts utilisent la reconnaissance de configurations spatio-temporelles au cours
de l’action pour pallier l’incidence de la pression temporelle (Klein et Calderwood,
1991). Cette reconnaissance est basée à la fois sur l’expérience (situations antérieures
semblables) et sur des affordances (suggestions automatiques d’actions).
3. Les experts choisissent une option sans comparer toutes les options possibles (notion
de suffisance ou de satisfaction, (Klein et al., 1995)). Si une option doit être envisagée,
l’évaluation repose sur une simulation mentale de ses conséquences. Du côté de l’ergonomie cognitive de tradition française, ce point peut être rapproché du modèle de
la « suffisance cognitive » développé par Amalberti (2001) et prolongé aux situations
sportives collectives par Macquet (2001).
Bien qu’aujourd’hui, l’approche NDM utilise des méthodes d’investigations diverses et
variées, Klein et Brezovic (1986) ont dès l’origine établi une méthode permettant d’investiguer
spécifiquement les décisions des experts dans leur contexte naturel. La méthode
d’analyse des décisions critiques (« critical decision method ») consiste en une technique
de rétrospection par le rappel d’un cas précédemment vécu. Ici, le sujet expert est guidé
par le chercheur dans le rappel d’événements critiques. Différents types de médias (vidéos,
enregistrement audio, scénario sur papier) peuvent également participer au rappel. Cette
méthode repose sur l’idée selon laquelle les experts d’un domaine retiennent en mémoire
les détails de situations vécues. Cette « trace mnémonique » s’accentue encore pour les
situations qui revêtent un caractère inhabituel, compétitif, complexe ou difficile, c’est-àdire qui impliquent des « décisions critiques » (Hoffman et Lintern, 2006) (p. 209). La
CDM évite les questions génériques comme « dites moi ce que vous savez sur X » ou
« pouvez vous me décrire cette procédure ? ». Elle cherche plutôt à fournir les informations
singulières significatives du point de vue du sujet interrogé. Pour le chercheur, il s’agit donc
d’accompagner l’expert à travers l’utilisation de questions spécifiques sur les décisions prises
dans l’action (Que fais-tu ?) et sur les informations prises en considération (Que regardestu ?). L’avantage de cette méthode réside dans l’analyse fine des décisions prises sur le terrain.
Elle permet d’obtenir de riches indications sur les cas étudiés, de retrouver la dynamique de
l’activité telle qu’elle s’est déroulée dans le temps en fonction du scénario (évènements). Cette
méthode donne ainsi accès à la succession des décisions (types de décisions, observations,
actions, options, etc.) engagées par le sujet en contexte naturel. Elle met en avant les
conditions responsables de la décision de l’expert à travers les indices perçus comme pertinents
dans la situation, i.e. les informations contextuelles significatives.
La méthode CDM est la méthode de recueil de données la plus couramment utilisée
dans les études en situation de travail. Étant donnée sa focalisation sur la prise de décision,
58
Cyril Bossard
Le modèle RPD
l’intérêt de la CDM réside dans son utilisation pour la modélisation des décisions en situation
naturelle. Plus particulièrement, cette méthode apparaı̂t d’une grande fiabilité pour extraire
les connaissances spécifiques des experts et pour déterminer les modalités de prise de décision
en situation naturelle ou simulée (Hoffman et Lintern, 2006). Des présentations détaillées de
cette méthode et des résumés d’études illustrant son utilisation peuvent être trouvées dans
Crandall et al. (2006) et Hoffman et al. (1998). Une illustration du protocole à deux volets
permettant de traiter les données est également disponible (Hoffman et Lintern, 2006).
2.1.2
Une étude en situation de travail
Initialement, le modèle RPD (Klein et Brezovic, 1986) a été développé pour modéliser
les décisions des officiers sapeurs-pompiers au cours de la gestion d’incidents graves dans un
centre de contrôle. L’objectif de cette étude était de proposer une investigation descriptive
permettant de comprendre la gestion de l’incertitude et de la pression temporelle par ces
officiers sur le terrain. L’hypothèse principale était que, sous pression temporelle, les officiers
n’avaient pas la possibilité de générer un large ensemble d’options mais effectuaient une simple
reconnaissance de situation compatible avec une option favorite.
À partir d’entretiens menés auprès de 26 officiers sapeurs-pompiers (d’une expérience de
23,2 ans en moyenne), les auteurs ont analysé les décisions prises au cours de 32 interventions
critiques par le recueil de données verbales et comportementales. La retranscription des
données verbales et comportementales est organisée dans un tableau à deux volets.
Concrètement, les événements suivant le décours temporel de la situation étudiée sont
placés dans une colonne à gauche. Les données verbales et comportementales retenues sont
disposées en vis-à-vis dans la colonne de droite. Dans cette étude, les auteurs effectuent une
catégorisation empirique. Les catégories sont déterminées a posteriori en se laissant guider
par les données. Comme dans la plupart des protocoles utilisant un codage empirique, un
processus de triangulation entre plusieurs codeurs est utilisé et atteste de la fiabilité des
catégories obtenues.
L’analyse des données montre que 80% des décisions des officiers étaient basées sur un
processus de reconnaissance de situations types. Les officiers ne comparaient pas plusieurs options mais exécutaient typiquement le premier cours d’action associé à la situation reconnue.
Plus précisément, l’analyse du contenu a permis d’identifier pour chaque situation reconnue
un « package cognitif » autour de 4 catégories types : les attentes de résultats (« expectancies »), les indices pertinents (« relevant cues »), les actions typiques (« typical
action »), et les buts plausibles (« plausible goals »). Les officiers experts percevaient ainsi
les situations comme des « cas typiques » auxquelles ils associaient certains types d’actions
(ou séquence) appropriés, et habituellement utilisés avec succès.
Le modèle RPD ainsi que la méthode d’analyse des décisions critiques (CDM) ont été
Cyril Bossard
59
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
mis à l’épreuve de diverses situations dynamiques issues du domaine du travail (notamment
militaire). Des études ont été menées par des équipes de recherche différentes avec des officiers
de l’armée de terre (Pascual et Henderson, 1997), des conducteurs de tanks (Brezovic et al.,
1987), des infirmières en soins intensifs néo-natals (Crandall et Calderwood, 1989), des joueurs
d’échecs (Klein et al., 1995), des ingénieurs en conception (Klein et Brezovic, 1986) ou encore
des directeurs d’installation de forage en mer (Flin et al., 1996). L’ensemble de ces travaux
confirme les résultats obtenus par l’étude pionnière de Klein et Brezovic (1986). Dans 80-95%
des cas, les décisions sont décrites en conformité avec le modèle RPD. Quand les sujets sont
inexpérimentés, cette proportion est réduite à 50% des cas. L’ensemble de ces études et leurs
résultats sont disponibles dans des revues de littérature plus exhaustives (voir (Klein, 1997;
Ross et al., 2006).
2.1.3
Modèle RPD et Sports Collectifs
Une étude dans le domaine des sports collectifs confirme la validité du modèle RPD
pour expliquer la rapidité des décisions tactiques de joueurs experts. A partir d’une situation
expérimentale, Johnson et Raab (2003) ont présenté des vidéos de séquence de jeu de Handball
à un panel de joueurs de niveaux variés. Après une présentation du film de 10 secondes,
les sujets devaient nommer le plus rapidement possible la première décision qui leur venait
intuitivement à l’esprit en se mettant à la place du joueur porteur de balle. Dans un second
temps, ils donnaient le maximum d’options qu’ils pouvaient imaginer face à cette même
situation. Enfin, parmi l’ensemble des réponses données, les sujets étaient invités à évaluer
la meilleure d’entre elles pour cette situation. Les résultats confirment que les experts au
Handball prennent des décisions pertinentes dès le premier cours d’action considéré. De plus,
quand les experts abandonnent leur première intuition en faveur d’une autre décision générée
à la suite (seconde modalité du modèle RPD), la qualité du cours d’action subséquent était
plus faible que le premier naturellement considéré. Ainsi, pour des experts en sports collectifs
confrontés à des situations sous contraintes temporelles, la première décision est souvent la
meilleure. Ces résultats suggèrent également que la première modalité décrite dans le modèle
RPD est d’autant plus sollicitée que la pression temporelle est forte sur le sujet.
Ces travaux confortent ainsi l’intérêt et la validité du modèle RPD pour l’analyse de
l’activité décisionnelle d’experts en situations de sports collectifs. Il permet de décrire un
processus d’adaptation au contexte des sports collectifs qui repose sur la reconnaissance de
situations typiques. De ce point de vue, les études effectuées en référence au modèle RPD se
différencient de celles classiquement recensées dans le domaine du sport (voir Chapitre 1, p
29). En effet, l’accent est ici porté sur l’activité décisionnelle, comprise comme englobante et
complexe, « macro-cognitive », articulant des variables cognitives et perceptives (Ross et al.,
2006). De plus, la décision n’est pas un processus cognitif « statique », il s’agit bien d’une
activité dynamique dont on cherche à décrire l’évolution au gré des situations vécues.
60
Cyril Bossard
La Conscience de la Situation
Cependant, même s’il propose une explication du processus à l’œuvre dans le couplage
sujet-situation, le modèle RPD insiste tout de même davantage sur le « package cognitif » activé par le sujet que sur la dynamique situationnelle. Rappelons qu’à partir de la reconnaissance de la situation, l’expert est en mesure d’activer un ensemble de 4 variables : buts,
actions, attentes et indices pertinents. Dans les sports collectifs, les situations évoluent très
rapidement et peuvent être très variables. La prise en compte de cette dynamique externe
nous semble être minorée dans le modèle RPD.
Une autre limite du modèle renvoie à la dynamique interne de l’activité. En effet, le
modèle n’explique pas comment le package cognitif « s’actualise » au gré des situations
vécues. Les joueurs en sports collectifs possèdent probablement la capacité de modifier on
lineleurs structures cognitives en fonction des contraintes situationnelles de façon à optimiser la performance (Johnson, 2006). Le modèle RPD reste, selon nous, encore insuffisant
pour décrire cette flexibilité de l’expert. Il permet de décrire ce qui se passe à un instant
t de la situation (dimension synchronique) mais ne renseigne pas sur l’évolution du « package cognitif » au travers des situations successivement éprouvées (dimension diachronique).
La méthode expérimentale utilisée par (Johnson et Raab, 2003) peut difficilement rendre
compte de ces dynamiques internes et externes contrairement aux méthodes de type « CDM ».
L’approche NDM propose d’autres modèles et concepts qui permettent d’étudier l’activité décisionnelle. D’une part, le modèle de la « Conscience de la Situation » (Endsley, 2006)
constituera un prolongement intéressant car il insiste sur la prise en compte de la dynamique
externe de l’activité : la conscience de la situation résulte du couplage entre le contexte et
le package cognitif de l’individu (décrit par le modèle RPD). D’autre part, plusieurs auteurs
(Flin et al., 1996; Randel et al., 1996; Piegorsch et al., 2006) ont mis en évidence que la
reconnaissance d’une situation, peut résulter de l’activation de schémas et/ou de scripts.
Nous étudierons donc dans quelle mesure le concept de schéma apporte une contribution à
la compréhension de la dynamique interne des structures cognitives décrites par le modèle
RPD.
2.2
La Conscience de la Situation
Une extension du modèle RPD a été proposée pour mettre l’accent sur le processus de
reconnaissance de la situation en cours : le modèle de la « Situation Awareness » (Conscience
de la Situation1 ). Depuis une vingtaine d’années, la communauté américaine de la psychologie
aéronautique présente le concept comme un élément clé des processus cognitifs en situation
1
Ce terme est souvent traduit en français par Conscience de la Situation mais en anglais, il se définit aussi
par « l’état d’être informé, d’être au fait de... »
Cyril Bossard
61
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
dynamique. D’après Chalandon (2003), un fort consensus se dégage dans la littérature sur les
principales fonctions associées à la Conscience de la Situation (CS) : donner cohérence aux
éléments contextuels externes, créer des attentes et orienter la perception, servir d’ancrage
aux décisions et actions ultérieures, permettre l’anticipation des évolutions de la situation et
des effets d’actions (Endsley, 1995). Le modèle de référence de Conscience de la Situation est
celui proposé initialement par Endsley (1995).
Plus précisément, Endsley (1995) définit la CS comme le produit de trois activités
hiérarchiquement et temporellement organisées : « La perception d’éléments de l’environnement à l’intérieur d’un volume spatio-temporel, la compréhension de leur signification et
la projection de leur statut dans un futur proche » (The perception of the elements in the
environment within a volume of time and space, the comprehension of their meaning, and the
projection of their status in the near future).
La conscience de la situation est ainsi décrite comme l’état instantané des connaissances
que l’expert a de son environnement en cours d’action. Cet état constitue le principal
précurseur de la prise de décision. En d’autres termes, la conscience de la situation, c’est
donner du sens à ce qu’il se passe et ce qu’il se passera autour de nous à un instant t.
Pour Endsley (1995), ce processus se situe à un niveau symbolique ou sub-symbolique du
traitement : ses composants sont conscients ou du moins accessibles à la conscience, c’est-àdire « conscientisables ».
Figure 2.2 – Niveau de Conscience de la Situation (Endsley et al., 2003)
Dans le modèle référence de la CS (Figure 2.2), le premier niveau constitue le socle fondé
sur la perception des éléments pertinents de la situation. Au second niveau, ces éléments sont
reliés entre eux pour permettre de comprendre la situation. Enfin, c’est sur la base de cette
compréhension que des projections (i.e. anticipation) peuvent être effectuées sur l’évolution
future de la situation (niveau 3).
62
Cyril Bossard
La Conscience de la Situation
Dans un premier temps, nous présenterons le modèle initial défini par Endsley (1995,
2000, 2006). Nous illustrerons cette perspective théorique, dans un second point, par une
étude caractéristique de la CS. Enfin, le dernier point nous permettra de discuter de son
intérêt pour l’étude de l’activité décisionnelle en sports collectifs.
Comme l’explique Chalandon (2003), même si Endsley (1995) considère les trois niveaux
comme fortement dépendants, le modèle renvoie à une approche essentiellement « linéaire ».
Des divergences sensibles apparaissent dans la littérature sur la définition de la CS et sur
les processus cognitifs impliqués. Parfois la CS est envisagée dans une perspective que
nous qualifierons de « molle » car essentiellement centrée sur la perception immédiate de
la situation, mais parfois le concept de CS embrasse de manière plus globale l’ensemble des
processus cognitifs en situation dynamique. À travers une présentation du concept de CS et
de son utilisation en situation dynamique, nous chercherons alors à nous positionner.
2.2.1
Concepts et Méthodes
La proposition de Endsley (2006) peut être envisagée comme complémentaire du modèle
RPD de Klein (1993). En outre, l’intérêt du modèle consiste à replacer le processus de prise
de décision dans une approche générale du fonctionnement cognitif. L’une des avancées fondamentales du modèle de la Conscience de la Situation par rapport au modèle RPD consiste
dans la proposition d’une articulation entre le fonctionnement cognitif présenté (processus)
et le rôle des structures cognitives mobilisées (Mémoires). En effet, le modèle permet de
replacer et de décrire le rôle joué par chaque structure cognitive dans l’élaboration de la CS
(Figure 2.3). Nous proposons de décrire dès à présent cette articulation processus-structures.
Tout d’abord, pour Endsley (2000), la conscience de la situation est liée aux buts
poursuivis par la personne au cours de la situation. Deux types de processus sont alors
envisagés pour les atteindre. L’auteur renvoie à la distinction classique (Richard, 1990)
entre processus descendants (contrôle interne dirigé par les connaissances) et ascendants
(contrôle externe dirigé par les données contextuelles). Dans le premier, les buts poursuivis par
l’individu permettent d’activer les structures de connaissances à partir desquelles les éléments
de la situation sont jugés pertinents. Dans le second, des données de l’environnement sont
identifiées ce qui permet d’actualiser les structures de connaissance aux vues des objectifs
visés ou bien de modifier ces dernières. L’alternance de ces deux types de processus permet
le réajustement permanent des buts au cours de la situation dynamique par l’allocation de
processus attentionnels différents.
Le modèle de la CS considère le processus attentionnel selon deux niveaux : un
traitement pré-attentif et l’attention en elle-même. Le traitement pré-attentif intervient en
premier lieu sur les caractéristiques saillantes de l’environnement (modalité de traitement
Cyril Bossard
63
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
Figure 2.3 – Modèle de la Conscience de la Situation d’après Endsley (1995)
ascendant et en parallèle). Certaines propriétés comme la proximité spatiale, le mouvement,
le déplacement d’objets ou d’autres personnes dans l’environnement (comme un partenaire au
football) sont directement détectées : elles s’imposent au sujet (notion d’affordances, (Gibson,
1979). Ce traitement constitue le premier niveau (perceptif) dans le modèle de la Conscience
de la Situation. L’attention proprement dite, consiste pour le sujet à focaliser sur des éléments
de l’environnement directement en lien avec les buts et connaissances correspondant à la
situation en cours. Autrement dit, l’expert développe des stratégies mettant en œuvre la MLT
pour pallier les difficultés rencontrées : il se focalise sur des points pertinents de manière plus
ou moins automatique.
Dans le modèle de la Conscience de la Situation, la perception de l’information peut
donc être dirigée par la mémoire de travail, en fonction du contenu de la mémoire à long terme.
En effet, l’expérience répétée des acteurs dans un environnement dynamique développe des
« attentes » d’informations spécifiques à ce dernier. Plus particulièrement, les experts d’un
domaine sont en mesure de présupposer les caractéristiques, les localisations, et la nature
des éléments de la situation. La perception est guidée par les structures de connaissances
stockées au cours de l’expérience en mémoire à long terme. La perception est considérée ici
comme une recherche active des indices pertinents que l’individu s’attend à percevoir. Les
perceptions antérieures constituent donc un contexte permettant au sujet de connaı̂tre la
probabilité d’occurrence de tel ou tel événement grâce aux expériences passées des contextes
et d’événements semblables.
Endsley (2000) se réfère à une conception de la Mémoire de Travail selon Cowan
(1988). Dans cette perspective, la MT se définit comme les éléments activés consciemment
64
Cyril Bossard
La Conscience de la Situation
en MLT. Dès lors, la MT n’est pas à proprement parlé une structure, mais elle est envisagée
comme le produit du continuum d’activation allant de la MLT jusqu’au focus attentionnel.
De ce point de vue, les informations perçues peuvent être maintenues en mémoire à long
terme de travail (MLTW) pour être associées aux connaissances du sujet en MLT. C’est cette
association qui permet de se forger une image de la situation en cours (niveau 2). Enfin,
les informations maintenues actives, sous le focus attentionnel, permettent de générer des
projections futures et des décisions adéquates (niveau 3).
Dans ce continuum d’activation (attention, perception, MT, MLT, décision), le rôle et
le contenu de la Mémoire à Long Terme apparaı̂t central. Pour l’auteur, les catégories
de connaissances stockées en mémoire à long terme permettent de contourner les limites
attentionnelles, et les limites de la mémoire de travail. L’organisation en MLT d’informations
associées par l’expérience constitue « un package » directement utilisable pour agir. Dans
le point suivant, nous mettrons l’accent sur la théorie des schémas pour expliquer le rôle
de l’organisation des informations en MLT dans la prise décision en situation dynamique
(Figure 2.4).
Pour mesurer la conscience de la situation, les chercheurs utilisent un large éventail de
méthodes. Dans une revue de littérature consacrée aux techniques de mesure de la conscience
de la situation, Salmon et al. (2006) comptabilisent ainsi 30 techniques différentes utilisées
dans les 20 dernières années (p 229). Les auteurs regroupent l’ensemble de ces techniques en
7 grandes catégories : 1) les techniques d’analyse des conditions de la CS (questionnaires, entretiens libres et techniques d’analyse de la tâche) ; 2) les techniques « d’arrêt sur image » lors
d’une simulation ; 3) les techniques en « temps réel » (questionnement durant l’exécution de
la tâche) ; 4) les techniques a posteriori (principalement des questionnaires) ; 5) les techniques
d’observation sur le terrain ; 6) les mesures de performance ; 7) les techniques d’identification de processus (les enregistrements oculaires et les techniques de pensée à voix haute).
Chacune de ces techniques possède des avantages et des limites que les auteurs ont scrupuleusement détaillées. Nous renvoyons le lecteur à la publication de Salmon et al. (2006) pour
un développement plus important de chaque technique. Notons également que la plupart des
études sur la CS combinent deux ou plusieurs de ces différentes techniques.
Enfin, nous pouvons également souligner l’originalité des protocoles de recherche utilisés
par les chercheurs. Le concept de Conscience de la Situation étant apparu principalement
dans le secteur aéronautique (Bellet et al., 2006), les travaux ont largement exploité les
simulateurs de vol. Ces outils ont conduit les chercheurs à développer des techniques de
recueil de données particulières. La technique la plus couramment utilisée est la méthode
SAGAT (Endsley, 2006) pour Situation Awareness Global Assessment Technique (technique
d’évaluation globale de la conscience de la situation). Cette technique consiste à arrêter la
simulation à chaque point critique d’un scénario simulé et de questionner le sujet pour mesurer
Cyril Bossard
65
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
avec précision sa conscience de la situation. Aujourd’hui cette méthode a été étendue à de
nombreux domaines et différents auteurs lui accordent un haut degré de validité (Endsley,
2006; Jones et Kaber, 2004). Nous retrouvons ainsi de nombreuses études sur la conscience
de la situation menées à partir de simulateurs dans le domaine de la conduite automobile
(Walker et al., 2008; Bailly, 2004), de l’aviation civile (Chalandon, 2003), des centres de
contrôle divers comme ceux des appels d’urgences (Blandford et William Wong, 2004) et du
domaine militaire (Strater et al., 2001).
2.2.2
Des études en situation de travail
Les études qui mobilisent le modèle de la CS, s’inscrivent dans une perspective assez traditionnelle de l’ergonomie cognitive. L’élaboration de la CS est considérée comme étant sous
l’influence de facteurs liés aux caractéristiques de la tâche à réaliser et aux caractéristiques
propres du sujet (structures disponibles en mémoire).
La CS a plus particulièrement été mise à l’épreuve de situations dynamiques dans trois
domaines d’expertise distincts : le pilotage d’avion, la gestion de missions par des officiers de
l’armée de terre et la conduite automobile (pour une revue complète voir Endsley (2006)).
Classiquement, ces études se sont attachées à déterminer les différences entre experts et
novices quant à la construction d’une conscience de la situation face à des simulations
(méthode SAGAT).
De manière synthétique, les experts montrent, pour chaque domaine étudié, une capacité
supérieure à regrouper différentes informations contextuelles. Ces derniers démontrent aussi
une habileté à saisir rapidement la signification des informations perçues et à se projeter
sur l’évolution de la situation. Cette habileté spécifique leur permettrait d’être « à la bonne
place et au bon moment » sur le champ de bataille, à avoir des solutions prêtes à l’emploi
dans le cockpit ou encore à éviter les routes hasardeuses en conduite automobile (Endsley,
2006). Pour l’ensemble de ces études, les résultats suggèrent ainsi que la conscience de la
situation dépend principalement de l’expérience de l’opérateur et/ou de son rôle
dans la situation.
Les études en référence au modèle de la CS se sont surtout attachées soit à manipuler des
facteurs externes pour identifier leurs influences sur la CS des individus, soit à identifier les
différences entre experts et novices quant au niveau de CS dans une activité donnée (Endsley,
2006). Ce dernier point est illustré dans le travail mené par Randel et al. (1996).
Dans une étude sur des opérateurs de la marine US, Randel et al. (1996) ont examiné
la prise de décision et les différences de conscience de la situation entre experts et novices
engagés dans une situation de travail simulée. 28 techniciens (9 experts, 13 intermédiaires et
6 novices) sont confrontés au même scénario de bataille navale. Placé face à un écran radar
qui représente la zone de combat, l’opérateur doit déterminer l’identité exacte des différents
66
Cyril Bossard
La Conscience de la Situation
Figure 2.4 – C.S et prise de décision (Endsley, 1995), traduit par Bailly (2004)
émetteurs de signaux (origine militaire ou commerciale). Il utilise un casque pour écouter
les sons émis par les navires et reste en contact radio avec les autres opérateurs de la flotte
et avec ses supérieurs. L’ordinateur peut fournir des aides à l’opérateur en suggérant une ou
plusieurs possibilités d’identification pour un signal particulier. L’opérateur doit donc décider
sur la base des informations fournies par l’environnement informatique, de ses connaissances
de la situation et de son expérience, de donner les informations sur l’identité des signaux
(navires hostiles, missiles, etc.) aux officiers supérieurs.
L’écran et l’opérateur sont filmés, un logiciel permet d’extraire les interactions avec
l’ordinateur, et les communications avec les officiers sont intégralement enregistrées. Les
chercheurs utilisent trois types de mesure de la conscience de la situation. La première
mesure consiste à demander au sujet de dessiner ce qui apparaı̂t à l’écran. Elle vise à
solliciter la mémoire « visuelle » du sujet par la reconnaissance des relations entre les éléments
(configurations spatiales). La seconde mesure est plus subjective, le chercheur interroge le
sujet sur les informations contextuelles significatives autres que spatiales. Ces deux types
de mesure sont effectués lors d’une pause au milieu du scénario et à la fin du scénario. La
dernière mesure de la conscience de la situation est obtenue lors d’un entretien. À la suite de
l’expérience, le chercheur mène un entretien sur la base de la méthode CDM ((Klein,
1993) ; voir 2.1.1, p 55) avec l’ensemble des sujets en suivant le décours temporel des
scénarios. Selon les auteurs, l’entretien permet également de documenter la conscience de la
Cyril Bossard
67
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
situation du sujet en obtenant des données sur les informations contextuelles (ce qu’il a vu et
entendu) qui conduisent à choisir une action particulière pour chaque situation vécue. Durant
cet entretien, le sujet renseigne également sur le niveau de pression temporelle ressentie pour
chaque décision sur une échelle de 1 (très faible pression) à 4 (très forte pression).
La « mesure visuelle » de la conscience de la situation montre que les experts sont
meilleurs pour reconnaı̂tre les signaux émetteurs hostiles que les novices et les intermédiaires.
La mesure subjective montre que les experts disposent de connaissances spécifiques sur la
nature des émetteurs hostiles. Ils identifient de manière précise l’émetteur (i.e. les plateformes
ennemies). Les verbalisations obtenues par l’entretien indiquent que les experts reconnaissent
les situations et y associent une décision rapidement. Ils verbalisent les informations en
plus grand nombre et prennent en compte plus de forces adverses. Ces derniers ressentent
également moins de pression que les novices.
L’ensemble de ces résultats suggèrent que les experts concentrent leur attention sur
l’évaluation de la nature de la situation alors que les novices cherchent l’action pertinente
à accomplir. Les auteurs expliquent également que les stratégies de reconnaissance de la
situation sont conformes au modèle RPD (Klein, 1997) : 93% des décisions sont basées sur
la reconnaissance de situation. Les experts ne font pas un gros effort pour décider face à
la situation, la solution s’impose d’elle-même. L’analyse des verbalisations montre que les
experts sont capables de fournir des descriptions très précises sur des éléments du contexte
tels que la force ou la direction du vent. Les auteurs concluent que les experts ont développé
un plus grand nombre de structures complexes en mémoire, ce qui leur permet d’avoir une
conscience de la situation plus élaborée que les novices.
L’ensemble des travaux menés à partir du modèle de la Conscience de la Situation
concluent que l’expérience accumulée par les experts leur permet d’accéder plus rapidement
aux éléments contextuels pertinents de la situation. De nombreux auteurs mettent en avant
l’existence de structures spécifiques en mémoire à long terme facilitant la conscience de la
situation : les scripts et les schémas (Cf. 2.3, p 70).
2.2.3
Conscience de la Situation et sports collectifs
Si le concept de « Conscience de la Situation » trouve un écho favorable dans le champ
de la psychologie cognitive ergonomique, le modèle défini par Endsley (1995) a aussi été
la cible de nombreuses critiques. Dans la mesure où il n’existe pas à notre connaissance de
travaux qui mobilisent le modèle de la CS pour étudier les situations sportives, nous abordons
ici l’intérêt et les principales limites du modèle proposé par rapport à notre objet d’étude :
l’activité décisionnelle en SiDyColl.
68
Cyril Bossard
La Conscience de la Situation
Dans un premier temps, nous pouvons regretter que les principaux auteurs abordent la
CS comme un système de traitement de l’information. Cette démarche comporte le risque
de considérer la CS comme une « boı̂te » supplémentaire dans la perspective classique du
traitement de l’information, située entre l’attention et la prise de décision (Flach, 1995).
Selon Chalandon (2003), cette approche de la CS peut être qualifiée de « contemplative ». La
CS intervient de façon sérielle en amont de la prise de décision et n’intègre pas les possibilités
d’actions. Ainsi les limites cognitives classiques qui s’imposent à l’élaboration de la CS sont
les limites attentionnelles et les limites de la mémoire de travail, peu compatibles avec la
rapidité des décisions prises en situation dynamique et collaborative comme c’est le cas des
joueurs de football.
Ensuite, le modèle de Endsley (1995) limite la conscience de la situation aux connaissances de l’individu sur l’état de l’environnement dynamique. Cette position théorique
considère alors la CS à partir de l’évaluation normative des connaissances de l’individu. Ce
point de vue apparaı̂t également restrictif dans le sens où il considère le contexte significatif
comme externe à l’individu (Hoc, 2001). Or, nous pouvons considérer que la conscience de
la situation renvoie à « tous les éléments qui sont significatifs du point de vue du sujet impliqué dans cette situation ». Dans le cadre des sports collectifs, la conscience de ce qui se
passe autour du joueur varie selon le degré d’implication du joueur dans l’activité. Rappelons
qu’au football, les joueurs doivent s’adapter à un contexte fluctuant, changeant, et évolutif.
Certains événements peuvent être intelligibles ou significatifs d’un point de vue extérieur
(pour l’observateur, l’entraineur, le partenaire), mais le joueur absorbé par sa propre activité
peut momentanément être incapable de les percevoir, i.e. d’en avoir une certaine conscience.
L’approche « classique » de la CS apparaı̂t bien paradoxale car si le sujet est placé au centre
des préoccupations du chercheur, tout se passe comme si ce dernier évacuait l’autonomie de
l’acteur en situation.
Le concept de CS peut ainsi être revisité en imposant un changement de paradigme
passant de la cognition centrée sur le sujet à l’étude du couplage dynamique
entre l’individu et la situation. L’approche de la CS défendu par Flach (1995) définit
la CS comme « la manifestation d’un couplage cognitif dynamique entre un acteur et une
situation ». Refusant d’identifier la CS à un produit ou à une étape des processus cognitifs,
la CS est identifiée comme une enveloppe qui structure la connaissance et le comportement
permettant de répondre aux exigences de la situation (Flach, 1995). Cette approche est très
différente de l’approche linéaire et prescriptive de Endsley (1995) car elle ne cherche pas à nier
l’autonomie de l’individu mais à « l’éclairer » en explicitant les contraintes de l’environnement
nécessaires à l’action efficace (Flach et Rasmussen, 2000). Les auteurs soulignent ici, que la
CS permet à l’individu de « réduire la situation vécue aux possibilités d’agir ». La
situation vécue exprime alors les informations contextuelles rencontrées ou anticipées par le
sujet dans la réalisation de l’action au regard d’un but poursuivi.
Cyril Bossard
69
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
Dans cette perspective, nous pouvons considérer que la situation telle qu’elle est vécue
constitue la manifestation d’un couplage cognitif dynamique entre un acteur et une situation
(Flach, 1995). Les situations vécues, racontées au travers des informations dont le sujet
a conscience (CS) permettent de rendre compte, en partie, de l’évolution de l’activité du
sujet face au contexte. La conscience de la situation (ou la situation vécue) met en avant la
capacité du sujet à prendre en considération les caractéristiques changeantes de la situation, à
absorber de façon dynamique les informations contextuelles. Parmi les multiples informations
contextuelles, nous pouvons faire l’hypothèse (Flach et Rasmussen, 2000) que l’expert en sport
collectif reconnaı̂t des invariants contextuels (configurations de jeu) auxquels il associe une
réponse, une décision tactique.
Ainsi, si le concept de CS retient notre attention, nous l’envisagerons, non pas dans le
sens initial d’un état représentationnel de l’évolution d’un environnement externe, mais dans
une acceptation plus ouverte : la CS doit pouvoir se concevoir comme un état du couplage
sujet-situation. Malgré les nuances théoriques apportées au modèle de la Conscience de
la Situation, nous considérons le concept de CS comme particulièrement intéressant pour
l’analyse de l’activité décisionnelle en situation de contre-attaque au football. Finalement,
pour nous, le concept de Conscience de la Situation « représente l’ensemble des éléments
contextuels perçus et participant à la construction d’une signification pour le
joueur à un moment donné et dans un contexte particulier ». L’activité du joueur
peut alors être racontée, décrite à partir d’une succession de situations vécues qui
traduisent l’évolution du contexte.
Nous adoptons ainsi le point de vue défendu par Flach (1995), en donnant la priorité
à l’interaction entre l’homme et l’environnement. En ce sens, le modèle de la CS (Flach,
1995) est complémentaire du modèle RPD uniquement centré sur la prise de décision. Si le
modèle RPD met en avant l’activation d’un « package cognitif » pour décider vite et bien face
à des situations dynamiques typiques, le concept de CS propose un lien entre l’individu et
le contexte, en permettant de considérer son évolutivité par la succession des situations
vécues (ou CS). Pour choisir la bonne action à réaliser, la principale condition nécessaire
est alors la mise en correspondance entre certains invariants contextuels de la situation vécue
et des invariants fonctionnels d’arrière-plan qui permettent d’agir : les schémas.
2.3
La théorie des schémas
Le modèle RPD et le concept de Conscience de la Situation permettent d’envisager
l’activité décisionnelle des experts comme un couplage sujet-situation. Dans cette perspective,
l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative, ou décision tactique rapide,
passe prioritairement par un processus de reconnaissance de la situation. La conscience de la
situation désigne l’ensemble des éléments contextuels perçus et participant à la construction
70
Cyril Bossard
La théorie des schémas
dynamique d’une signification de la situation vécue. Cette posture théorique peut être
complétée par la théorie des schémas. Cette dernière met en avant le rôle et l’adaptation
des structures cognitives d’arrière-plan, c’est-à-dire l’activation et la reconstruction
permanente de structures types (schémas) en fonction du contexte.
2.3.1
Concepts et Méthodes
Bien que le courant de la NDM propose différents modèles pour expliquer les prises
de décisions en situation dynamique et collaborative, tous s’accordent pour considérer le
processus de reconnaissance de la situation comme central dans la prise de décision. Ce
processus consiste à mettre en correspondance les patterns connus (configurations de jeu)
avec des structures existantes en MLT. Ces dernières permettent d’interpréter, de donner
du sens et de prévoir les événements à venir en situation dynamique. Ces structures sont
regroupées sous le concept de schéma. Pour de nombreux auteurs se réclamant de l’approche
NDM (Lipshitz et al., 2001; Ross et al., 2006; Endsley, 2006), l’activation de schémas permet
aux experts de prendre des décisions rapides et pertinentes en situation dynamique.
Reprenant l’idée princeps que les individus organisent et accumulent inconsciemment les
informations d’expériences passées sous une forme abstraite (Bartlett, 1932; Minsky, 1975;
Schank et Abelson, 1977; Rumelhart, 1984), les schémas sont considérés comme des ressources
pour l’action, car ils orientent la perception et permettent de donner du sens à des groupes
d’informations contextuelles (comme des configurations spatio-temporelles de jeu au football).
Les schémas permettent à l’acteur de catégoriser de manière efficace les situations dans leur
globalité (Frederico, 1995). L’individu est ensuite en mesure d’activer et de réutiliser ces
schémas pour interpréter et répondre à de nouvelles situations (Rumelhart, 1984).
Le modèle RPD et le modèle de la Conscience de la Situation leur attribuent ainsi une
place importante. Pour Klein (1993), les schémas permettent de reconnaı̂tre la « typicalité » de
la situation actuelle. Pour Endsley (2006), les schémas jouent aussi un rôle important dans
l’élaboration de la CS. Les deux modèles font également référence aux « scripts » (Schank
et Abelson, 1977). Les scripts sont des schémas appliqués aux activités sociales dans le
sens où ils permettent de décrire des séquences appropriées à un événement dans
un contexte particulier. De plus, pour Endsley (2006), les liens entre les schémas et les
scripts facilitent la conscience de la situation. En effet, en cours d’action l’individu n’a
pas à rechercher activement l’action à exécuter, car elle est automatiquement issue d’un
enchaı̂nement de schémas au sein du script activé. Dans le cadre du football, les scripts
pourraient décrire des séquences d’actions appropriées à une situation courante typique.
En situation de contre-attaque, par exemple, un joueur de football expert serait en mesure
d’activer automatiquement le schéma d’actions « se déplacer pour recevoir un centre » à la
suite du schéma « passer le ballon dans la course d’un partenaire pour déborder ». Ces deux
Cyril Bossard
71
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
schémas seraient associés au sein du même script « déséquilibrer la défense adverse en passant
par le coté ».
Si dans l’approche NDM les schémas sont évoqués de manière théorique par de nombreux
auteurs (Lipshitz et al., 2001; Ross et al., 2006; Endsley, 2006), une seule étude à notre
connaissance s’est employée à les identifier en situation naturelle (Piegorsch et al., 2006). En
conséquence, peu de recommandations méthodologiques sont disponibles dans la littérature
consacrée à l’approche NDM. Dans la présentation qui suit, nous serons particulièrement
attentifs aux aspects méthodologiques.
2.3.2
Une étude en situation de travail
L’étude récente de Piegorsch et al. (2006) est la première qui illustre la spécificité des
schémas activés par des experts en situation dynamique dans la perspective de l’approche
NDM. Les auteurs proposent une analyse de l’activité décisionnelle d’ergonomes experts
lors d’interventions en milieu industriel dont l’objectif est de fournir des recommandations
pour prévenir et contrôler les troubles musculo-squelettiques au travail. L’étude porte sur la
comparaison de deux groupes d’ergonomes experts mais issus d’une formation différente (12
ingénieurs industriels et 9 psychothérapeutes).
En utilisant la méthode d’analyse des incidents critiques (CDM, voir 2.1.1, p 55),
les chercheurs ont recueillies des données verbales sur les situations d’intervention. Plus
précisément, les entretiens sont menés à partir des évènements critiques. Le sujet est guidé
par le chercheur dans le rappel de ces événements mais peut également intervenir à tout
moment pour clarifier et commenter ce qui est significatif de son point de vue. Cette méthode
donne ainsi accès à l’évolution du processus de décision du sujet en contexte naturel. Elle
favorise la verbalisation des conditions responsables de la décision selon l’expert à travers les
indices perçus comme pertinents dans la situation.
Reprenant les principes de la théorisation ancrée, les données obtenues sont codées en
utilisant une analyse qualitative inductive (Strauss et Corbin, 1998). L’analyse du contenu des
discours permet de révéler des catégories conceptuelles qui sont figées à partir du moment
où les données « saturent ». Ce point de saturation est défini comme le moment où dans
l’étude, l’analyse des verbalisations ne permet plus la création de nouveaux concepts. Ce
critère indique au chercheur que le recueil des données est complet (Piegorsch et al., 2006)
(p 589). Dans cette étude, les auteurs évoquent la création d’un « codebook », une liste de
codes associés aux catégories de données et définie a posteriori. Un concept (i.e. une catégorie
empirique) doit être pertinent pour l’ensemble des sujets et l’ensemble des situations. Pour
s’assurer de la fiabilité et de la validité des données sélectionnées et codées, le « codebook » est
examiné par un chercheur extérieur à l’étude.
L’analyse fait apparaı̂tre que les décisions sont prises à partir d’une articulation singulière
72
Cyril Bossard
La théorie des schémas
entre les contraintes de la situation et les ressources du sujet. Les résultats suggèrent que le
schéma instancié surgit de l’interaction entre le praticien et les contraintes de la situation ce
qui permet de guider le praticien dans ses décisions. Le schéma instancié est décrit comme
un ensemble de variables contextuelles (issues de la situation) et internes (liées au trait de
personnalité de l’ergonome) articulées entre-elles au cours du continuum de l’activité. Ces
informations variées et reliées entre-elles renvoient à des éléments contextuels, des buts, des
connaissances, et des attentes. Le regroupement des variables identifiées en contexte montre
également que les ergonomes activent des schémas spécifiques similaires dans différentes
situations qui présentent les mêmes caractéristiques (« situations stéréotypées »). Enfin, les
résultats ne montrent pas de différences significatives entre les deux groupes d’ergonomes.
Les auteurs concluent que l’homogénéité des décisions des ergonomes en situation dynamique
s’explique davantage par leur expérience que par leur formation initiale.
Les travaux de Piegorsch et al. (2006) démontrent ainsi l’intérêt du concept de schéma
pour décrire l’activité décisionnelle d’experts au travers du couplage sujet-situation. L’articulation de variables issues de la situation vécue et des variables propres à l’expert permet
de décrire un schéma spécifique. Ce schéma spécifique à la situation courante sert de filtre
à l’expert pour prendre des décisions adaptées en situation dynamique. D’un point de vue
méthodologique, l’approche par catégorisation empirique est très intéressante. Cette dernière
permet de mettre à jour les structures types (les schémas) activées par des experts en situation naturelle. L’étude de Piegorsch et al. (2006) montre bien que ces structures types ne
sont pas des structures « prescrites » par la formation des sujets (puisqu’ils sont ingénieur ou
psychothérapeute) mais bien des structures qui évoluent et émergent dans l’interaction entre
l’expert et la situation. Les schémas constituent donc des structures d’arrière-plan permettant
de donner du sens aux composants d’un système complexe.
Dans le domaine de la NDM, même si les chercheurs concluent généralement que l’activité
décisionnelle en situation réelle est fortement orientée par des schémas (Lipshitz et al., 2001;
Ross et al., 2006; Endsley, 2006), peu d’études se sont attachées à leur identification en
situation naturelle. L’étude de Piegorsch et al. (2006) est ainsi la première étude à identifier
les schémas activés par les experts en situation naturelle. Cette validation empirique constitue
selon nous une évolution importante de l’approche NDM qu’il conviendrait de poursuivre.
Aucune étude n’étant actuellement disponible dans le domaine des sports collectifs, cette
voie nous semble intéressante pour décrire et comprendre l’activité décisionnelle dans les
contextes fortement contraints (pression temporelle, complexité, évolutivité, fluctuation) des
sports collectifs.
Cyril Bossard
73
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
2.3.3
Le rôle des schémas en situation dynamique
Les scripts et les schémas ont rencontré un certain nombre d’oppositions quand ils étaient
considérés comme des structures rigides d’informations ou de connaissances en MLT. D’autres
auteurs ont montré depuis leur flexibilité : celle-ci tient de l’expérience du sujet (expertise)
et du contexte dans lequel le schéma est activé (Piegorsch et al., 2006).
Ainsi, dans le modèle de la Conscience de la Situation, la clef indispensable à l’utilisation
d’un schéma, réside dans la capacité individuelle à reconnaı̂tre les éléments pertinents du
contexte. Ces informations contextuelles significatives sont reliées aux caractéristiques du
schéma participant ainsi à l’élaboration de la conscience de la situation. Par ailleurs, il n’est
pas nécessaire que la situation vécue soit exactement la même que celle décrite par un schéma.
En effet, quelques éléments contextuels typiques suffisent à instancier un schéma spécifique.
Le schéma évoqué est celui qui correspond le mieux aux caractéristiques principales de la
situation courante. L’avantage de cette évocation est que même si certaines informations ne
sont pas disponibles dans la situation réelle, un schéma peut tout de même être activé sur la
base de quelques informations contextuelles typiques.
En somme, l’approche NDM considère que le processus de reconnaissance de la situation
est facilité par l’évocation de schémas et de scripts (Lipshitz et al., 2001; Ross et al.,
2006; Endsley, 2006). Les experts procèdent rarement par raisonnement. Les schémas sont
directement activés en fonction de la situation rencontrée. Les informations contenues dans
les schémas sont organisées de manière plus fonctionnelle que sémantique. C’est-à-dire qu’elles
sont organisées par les contextes dans lesquels elles trouvent leur pertinence (Bastien, 1997)
(p 38). Les schémas guident l’activité adaptative de l’expert et permettent des réponses plus
rapides, plus adéquates et plus performantes.
Dans cette perspective, Adams et al. (1995) montrent un rapport réciproque entre schéma
et conscience de la situation. En effet les auteurs, en référence à une approche perceptionaction, proposent que la CS en tant que produit corresponde à l’état du schéma
actuellement activé. Cette conscience de la situation est dynamique dans le sens où elle est
mise à jour sans interruption. Elle est alimentée en continu par des informations contextuelles
issues de la situation et les informations contenues dans le schéma (buts, connaissances,
attentes, actions) (Mundutéguy et Darses, 2007).
Cette perspective théorique montre bien l’évolution du concept de schéma. Ce dernier
n’est plus aujourd’hui considéré uniquement comme un ensemble organisé de connaissances.
Il doit être considéré comme une structure fonctionnelle et dynamique qui s’actualise dans
le couplage sujet-situation. Dans le cadre du football par exemple, le schéma permet de
décrire des classes de situations. Les experts d’un domaine disposeraient ainsi d’une variété
de schémas. Dès lors, ils sont plus sensibles au contexte que les novices qui agissent souvent
sur la base de connaissances logiques et de règles générales.
74
Cyril Bossard
Les principaux apports de la NDM pour l’étude de l’activité individuelle
2.4
Les principaux apports de la NDM pour l’étude
de l’activité individuelle
Au cours des 20 dernières années, les modèles et concepts issus de l’approche de la
décision naturelle ont acquis une certaine influence comme méthode d’explication de l’activité
décisionnelle dans de nombreuses situations complexes. Ce courant de travaux a accumulé des
observations dans la plupart des grandes situations à risques (pilotage, situations militaires,
nucléaire, urgences médicales, etc.). Les auteurs montrent que la plupart des biais dénoncés
dans les théories classiques de la décision humaine sont en fait sans réelle importance, ni
pertinence en situation naturelle complexe et dynamique. L’activité décisionnelle est un
processus continu, couplée à un environnement. Ce processus passe par des décisions partielles,
plus ou moins pertinentes, mais qui dans le flot finissent en général par conduire à des résultats
acceptables, compte tenu des marges des situations réelles. Dans bien des cas, la décision en
contexte est pré-activée par des schémas. Ces structures d’arrière-plan guident la perception
des éléments contextuels significatifs dans les situations vécues élaborant ainsi une conscience
de la situation. Un processus de reconnaissance permet d’actualiser en continu le schéma et
d’ajuster le comportement décisionnel à la pression temporelle et la complexité des situations
dynamiques collaboratives.
2.4.1
Un cadre théorique
L’approche NDM fournit un cadre théorique qui nous paraı̂t intéressant à exploiter pour
étudier les décisions tactiques des joueurs en sports collectifs. De manière synthétique, celle-ci
permet d’aborder l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative à partir des 3
principes suivant :
1. Contrairement au modèle du traitement de l’information (entrée-sortie), les modèles
issus de l’approche NDM ne cherchent pas à prédire toutes les options possibles. Ces
derniers cherchent à décrire l’activité décisionnelle des sujets experts en tant que processus finalisé (« process orientation »). Pour être valides, les modèles NDM doivent
rendre compte des informations pertinentes de la situation pour l’expert (conscience de
la situation), et exprimer la façon dont il les utilise pour décider au cours de l’action.
2. Pour l’approche NDM, les décisions sont prises à partir d’un processus de correspondance dans le couplage situation-action (« situation-action matching decision ») qui
repose sur 3 aspects : (a) les options sont évaluées en une fois (évaluation holistique
du potentiel au cours de l’action) ; (b) les options sont adoptées ou rejetées au regard
de leur compatibilité avec la situation ; (c) Les experts utilisent la reconnaissance de
configurations spatio-temporelles (mise en correspondance de patterns) au cours de
Cyril Bossard
75
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
l’action pour pallier l’incidence de la pression temporelle.
3. Cette reconnaissance est basée à la fois sur l’expérience (situations antérieures semblables) et sur les informations issues du contexte. Les schémas sont des structures
d’arrière-plans qui sont issues de l’expérience. Ils sont spécifiquement reliés à un domaine d’expertise et sensibles aux variations contextuelles (« context-bound informal
modeling »). Comme nous l’avons vu, l’expérience permet de reconnaı̂tre et donc de
mémoriser (de façon analogique et par forcément de façon logique) des structures profondes communes à plusieurs situations (notion de types chez Theureau (2004)). Ces
structures d’arrière-plan seront pour nous des schémas typiques. Ces derniers constituent des blocs d’informations en mémoire à long terme qui une fois couplées au contexte
permettent d’identifier une situation. L’explicitation de cette situation par l’acteur, ce
qui est significatif pour lui, exprime la conscience de la situation (i.e. la situation vécue)
à un moment donné du cours d’action. La conscience de la situation évolue, et l’activité
peut être considérée comme une succession de situations vécues.
2.4.2
Un cadre méthodologique
L’approche NDM préconise, d’un point de vue méthodologique, l’étude de l’activité décisionnelle des experts en situation naturelle. Ainsi, la compréhension de l’activité
décisionnelle en situation dynamique collaborative requiert des méthodes permettant de
mettre en lumière les connaissances, les processus cognitifs et perceptifs en situation réelle.
La plupart des recherches dans le domaine de la NDM utilisent des méthodes inspirées de
l’anthropologie, de l’ethnographie, des sciences cognitives et de l’analyse du discours (Lipshitz
et al., 2001). L’effort est porté en premier lieu sur la description du phénomène sans préjuger
de ce qui est ou devrait être important à étudier. Ce type d’approche descriptive autorise
le chercheur à examiner le phénomène dans son contexte naturel. Bien que les méthodes in
situ dominent le champ de la NDM, d’autres méthodes comme la simulation peuvent être
utilisées.
Les observations menées sur le terrain sont cruciales dans les recherches NDM puisque les
décisions sont encapsulées dans la situation et contribuent à sa construction. Les contraintes
de l’environnement, les informations contextuelles perçues, le type de connaissance et d’habileté nécessaires pour répondre à cet environnement sont autant de variables à prendre en
considération. Les méthodes utilisées pour obtenir les connaissances des experts incluent des
entretiens directifs ou libres (Cohen et al., 1996; Klein et al., 1989), des analyses a posteriori d’incidents critiques (Lipshitz et Strauss, 1997), des protocoles de pensée à voix haute
(Xiao et al., 1997) ou des entretiens d’autoconfrontation face à la vidéo (Omodei et al., 1997;
Macquet et Fleurance, 2007). Certaines observations en temps réel impliquent des techniques
76
Cyril Bossard
Les principaux apports de la NDM pour l’étude de l’activité individuelle
ethnographiques (Dibello, 1997) telles que l’observation participante.
Aujourd’hui, quelques études dans le domaine des sports collectifs investissent également
les situations naturelles pour étudier l’activité décisionnelle des joueurs. Elles prennent pour
hypothèse que seuls les éléments perçus comme significatifs pour le sujet affecteraient sa
décision tactique.
2.4.3
Des pistes de recherches novatrices pour les sports collectifs
Quelques travaux récents nous semblent proches ou compatibles avec l’approche NDM.
Macquet (2001) a ainsi étudié les décisions des experts en Volley-ball en situation compétitive.
L’auteur analyse les données comportementales et verbales obtenues à partir d’entretiens
d’autoconfrontation. Dans le même ordre d’idée, Mouchet et Bouthier (2006) analysent la
subjectivité des décisions tactiques au rugby en situation compétitive. L’originalité de cette
recherche réside dans l’articulation de différents paradigmes scientifiques ainsi qu’un métissage
intéressant de méthodes : analyse vidéo, entretien semi directif, et un bref rappel stimulé suivi
d’un entretien d’explicitation.
Dans les sports collectifs, les résultats de ces études contextualisées permettent de décrire
une activité décisionnelle complexe, singulière et subjective. Macquet (2001) montre ainsi que
les joueurs ne peuvent pas tout comprendre, ils se satisfont d’une compréhension suffisante
pour décider et agir. L’activité décisionnelle fonctionne selon un mode planifié avec des
adaptations en ligne, c’est-à-dire en action. L’activité décisionnelle du joueur et sa maı̂trise
des situations sont fonction de la pression temporelle et de l’incertitude spatio-temporelle
perçue. Mouchet et Bouthier (2006) observent également ce caractère flexible de la décision
chez les experts au rugby. Les joueurs envisagent une possibilité englobante, ouverte, qui est
ensuite spécifiée au regard d’indices significatifs qui s’imposent au sujet. L’auteur parle ainsi
d’une « adaptation relative aux circonstances » (Mouchet et Bouthier, 2006).
Ces travaux confortent l’idée selon laquelle, en sports collectifs, l’activité décisionnelle
des experts repose sur l’activation de structures cognitives, les schémas, permettant à la fois
d’associer une classe de situation et un choix typique (« en supériorité numérique, progresser
vite ») et de spécifier ce choix en fonction d’éléments perceptifs spécifiques à chaque situation
(« passe ou dribble en fonction de la distance à la cible »). De plus, ces résultats montrent
une possible alternance entre une décision délibérée, en référence à une rationalité commune
(plan de jeu ou culture commune) quand le temps le permet, et une décision émergente ou
on line (Johnson, 2006) sous pression temporelle.
Finalement, l’ensemble de ces travaux conforte l’intérêt d’étudier l’activité décisionnelle
en situation dynamique et collaborative en prenant en compte le couplage sujet-situation.
Cyril Bossard
77
Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision
Les travaux issus de l’approche NDM à travers le modèle RPD, le concept de Conscience
de la Situation et la théorie des schémas, proposent un cadre théorique et méthodologique
intéressant pour étudier l’activité décisionnelle de l’expert dans son contexte naturel. Du
point de vue individuel, nous défendrons ainsi l’idée que l’activité décisionnelle experte résulte
de l’activation de schémas typiques par les éléments contextuels perçus et significatifs pour
le joueur en situation de contre-attaque.
L’approche NDM a également investi l’analyse de l’activité décisionnelle en équipe. Dans
le chapitre suivant, nous présenterons le prolongement du cadre conceptuel de la « Naturalistic
Decision Making » reformulé simplement par les auteurs : « Team Naturalistic Decision
Making ».
78
Cyril Bossard
Chapitre 3
Des approches pour l’analyse de
l’activité collective
L’approche TNDM, évolution, et intérêts pour la recherche dans
les sports collectifs
Résumé – Ce troisième chapitre présente un prolongement du cadre conceptuel de la
« NDM » à l’équipe (« Team » NDM). L’approche TNDM considère que l’activité collective
repose sur un processus de coordination des activités individuelles. Pour expliquer les coordinations entre les membres d’une même équipe, les auteurs ont longtemps étudié l’activité
individuelle de chacun des membres du collectif. Àujourd’hui, ce point de vue tend à être
abandonné au profit de perspectives qui abordent la relation entre l’individu et le contexte
collectif. Ces perspectives récentes prennent pour unité d’analyse, soit le comportement global de l’équipe, soit l’articulation des activités individuelles. Ces propositions théoriques et
méthodologiques constituent des ressources pour appréhender l’étude de l’activité collective
en situations sportives. Après avoir discuté de leur pertinence face à l’exigence des situations sportives collectives, ce chapitre aboutit à nos principales hypothèses de recherche pour
l’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative.
Cyril Bossard
79
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
Introduction
Les études recensées jusqu’à présent permet de caractériser l’activité décisionnelle comme
une adaptation individuelle au contexte (Chapitres 1 et 2). Plus particulièrement, nous avons
souligné la capacité des experts à répondre rapidement à la pression temporelle tout en
s’adaptant à la complexité des contextes. Cependant, cette complexité contextuelle inhérente
aux situations dynamiques et collaboratives tient également à sa dimension collective.
La décision tactique en sports collectifs est non seulement une décision rapide, mais
encore une décision sous influences : les joueurs reçoivent des informations (ou des leurres)
de leurs partenaires et de leurs adversaires. Ce constat amène à considérer comme centrale la
dimension collective de la décision tactique en sports collectifs. Cette dimension collective a
surtout été abordée, dans le domaine du sport, à travers l’étude des groupes dans une approche
psychosociale (pour une revue complète voir Buton et al. (2006)). Plus précisément, c’est la
relation entre le niveau de cohésion et la performance de l’équipe qui constitue le « catalyseur
de toutes les recherches » (Buton et al., 2006).
La prise en compte du caractère collectif de la décision, dans une perspective ergonomique, est un objet d’étude qui suscite actuellement un regain d’intérêt en psychologie du
sport (Eccles et Tenenbaum, 2004; Fiore et Salas, 2006; Ward et Eccles, 2006) même si à ce
jour, peu de travaux empiriques sont disponibles (Rentsch et Davenport, 2006). Cette absence
de travaux empiriques nous amène à prendre appui sur des études issues d’un domaine de
recherche connexe, celui de la psychologie du travail.
Dans l’analyse des situations de travail en équipe, l’activité collective est abordée à partir
de l’étude du processus de coordination des activités individuelles (Bourbousson et al., 2008).
Ainsi, dans la continuité du cadre théorique de la NDM, l’approche TNDM (Salas et al., 2006)
appréhende ainsi la coordination des membres de l’équipe. Le point de vue adopté par cette
approche conduit à étudier l’activité collective à partir de l’analyse des activités des individus.
La présentation de cette approche TNDM nous conduira à montrer que ses propositions
sont insuffisantes pour appréhender la dimension collective de la décision tactique. Nous
interrogerons alors d’autre points de vue développés dans l’analyse de l’activité collective en
situation de travail. Nous examinerons chacun d’eux en portant une attention particulière
à la façon dont ils abordent la relation entre l’équipe et le contexte. Nous chercherons plus
particulièrement à identifier comment ils ont étudié les coordinations d’actions au sein d’une
équipe et comment ils les expliquent. Ce chapitre est organisé en cinq points.
Dans un premier temps, nous présentons le cadre conceptuel de la « Team Naturalistic
Decision Making » habituellement exploité pour analyser des équipes de travail en ergonomie
cognitive (Cannon-Bowers et al., 1998). Dans un second point nous examinerons une approche
80
Cyril Bossard
L’approche TNDM
holistique de l’activité collective (Cooke et al., 2007). Dans un troisième temps, nous
convoquerons un troisième point de vue sur l’activité collective à travers les propositions
de l’approche de la cognition située (Jeffroy et al., 2006). Dans un quatrième point, nous
proposerons les implications de ces trois points de vue pour l’étude des sports collectifs,
illustrées par quelques études. Enfin, l’analyse de cette évolution récente de la recherche sur
la décision dans les situations dynamiques collaboratives nous conduira dans un dernier point
à la formulation de nos hypothèses de recherche concernant deux niveaux d’analyse : l’activité
individuelle et l’activité collective dans les SiDyColl.
3.1
3.1.1
L’approche TNDM
Objectifs, Concepts et Méthodes
L’approche TNDM vise la compréhension de l’efficacité des équipes expertes (pour
une revue récente, voir Salas et al. (2006)). L’équipe experte est définie comme un ensemble d’individus interdépendants. Chacun des membres de l’équipe est considéré comme
un composant singulier qui se caractérise par un certain niveau d’expertise dans son domaine
(connaissances, habiletés, expérience). Les membres de l’équipe s’adaptent, se coordonnent
et coopèrent, ce qui leur permet d’assurer un fonctionnement collectif durable (viable) et de
produire de manière répétitive des performances de haut niveau (Salas et al., 2006).
Pour étudier les coordinations d’actions au sein d’une équipe experte, l’approche TNDM
suggère d’analyser l’activité de chaque membre de l’équipe. Le point de vue défendu
ici est que les ressources cognitives individuelles permettent de coordonner les actions des
membres de l’équipe. La compréhension des coordinations s’effectue alors au travers des
connaissances, des représentations, des modèles communs à chacun des individus.
D’un point de vue théorique, l’approche TNDM considère que chaque individu construit
sa propre représentation de la situation collective. Cette représentation est nourrie d’éléments
concernant son propre fonctionnement mais aussi celui de l’équipe, de chaque partenaire et
éventuellement d’un système technique médiateur (écrans de contrôle, etc.). L’hypothèse
principale soutenue ici est que cette représentation fonctionnelle peut être suffisamment
partagée par les membres de l’équipe pour conduire à des coordinations d’actions opportunes,
efficaces et fluides. Cette notion de partage est au cœur des nombreux modèles et concepts
avancés par la TNDM pour expliquer l’activité collective : modèle mental partagé, cognition
partagée, conscience partagée de la situation, schémas partagés par les membres de l’équipe.
Bien que ces concepts puissent être différenciés du point de vue de leurs origines théoriques,
tous les auteurs les définissent comme des structures cognitives. Le contenu de ces structures
(connaissances, informations, buts) varie également en fonction du concept mobilisé. Les
Cyril Bossard
81
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
chercheurs du courant TNDM visent en général l’identification de la part de ce contenu
commune aux membres d’une équipe.
Le concept de « modèle mental partagé » (MMP), par exemple, a fait l’objet de nombreux
développements dans la littérature sur l’activité collective. Il constitue une extension du
concept de « modèle mental » de l’individu, à l’équipe. À l’origine, proposé par CannonBowers et al. (1996) pour décrire les structures cognitives individuelles, les modèles mentaux
sont des structures de connaissances organisées qui permettent de décrire, d’expliquer, et
de prédire des comportements. Les informations contenues dans le modèle mental donnent
accès à un ensemble de connaissances (et/ou de croyances) ainsi qu’aux relations entre ces
connaissances. En outre, comme le modèle mental d’un individu reflète sa perception et sa
compréhension de la réalité, il varie sensiblement en termes de précision et de cohérence d’un
individu à l’autre.
Quand les membres d’une équipe organisent leurs connaissances liées à la tâche, aux
différents équipements à disposition, aux rôles, aux buts, et aux habiletés de la même manière,
ils partagent des modèles mentaux. Ces modèles mentaux partagés (MMP) permettent, par la
suite, aux membres de l’équipe d’anticiper les actions des autres membres, de répondre à leurs
besoins, et par conséquent de coordonner implicitement leurs comportements pour assurer
l’efficacité de l’équipe. La littérature sur les modèles mentaux partagés (ou d’équipe) distingue
classiquement deux types de modèles mentaux susceptibles de réguler les coordinations
d’actions entre membres d’une équipe : les modèles mentaux sur la tâche à accomplir et
les modèles mentaux sur le travail d’équipe (Cooke et al., 2004).
D’une part, les MMP sur le travail d’équipe (« teamwork mental models ») permettent
donc d’améliorer la compréhension du fonctionnement de l’équipe. Les membres d’une
équipe disposent de connaissances générales sur leurs partenaires : leurs connaissances, leurs
croyances, leurs habitudes, leurs préférences, leurs habiletés, leurs attitudes, leurs forces
et faiblesses. Ils utilisent et mémorisent aussi des connaissances sur les interactions entre
membres de l’équipe : les buts, les rôles et les responsabilités de chacun dans le fonctionnement
de l’équipe. D’autre part, les membres d’une équipe doivent également assurer une bonne
compréhension de la tâche qu’ils ont à accomplir (« taskwork mental model »). Le
contenu de ce modèle mental décrit et organise les connaissances sur la manière d’accomplir
la tâche collective. Le contenu partagé entre les membres de l’équipe renvoie aux procédures
collectives à engager, aux stratégies liées à la tâche, aux problèmes pouvant survenir, et aux
conditions environnementales. Les MMP mobilisent aussi des connaissances sur la technologie
(ou l’équipement) avec laquelle ils interagissent.
L’approche TNDM suggère que ces deux types de structures cognitives (modèles mentaux
de l’équipe et de la tâche) jouent un rôle primordial dans la coordination des actions efficaces
et régulières en situation dynamique collaborative. Les membres de l’équipe utilisent alors
le contenu de ces modèles mentaux (i.e. les connaissances préexistantes) pour coordonner
82
Cyril Bossard
L’approche TNDM
leurs comportements en situation de travail collectif. L’efficacité de l’activité collective est
susceptible d’être expliquée par le degré de similarité des modèles mentaux (de la tâche ou du
fonctionnement de l’équipe) des différents membres d’une équipe. Plus particulièrement, c’est
la similarité du contenu (les connaissances générales et/ou spécifiques) et de la structure
(relations entre ces connaissances) des modèles mentaux qui constitue l’objet de recherche
(Cannon-Bowers et al., 1998). La précision des modèles mentaux partagés influencerait
également l’efficacité des équipes en situation collective. En effet, deux membres d’une équipe
peuvent avoir une vision similaire de la tâche à accomplir mais plus ou moins précise dans la
manière d’aboutir à l’objectif. Ceci peut conduire à des dissonances dans la coordination des
actions de chacun d’eux.
En conséquence, l’activité en situation collective est principalement étudiée
du point de vue des activités cognitives individuelles. Le courant de la TNDM a
accumulé un important volume de travaux sur la compréhension de l’efficacité des équipes
expertes (Mathieu et al., 2000; Lim et Klein, 2006; Cooke et al., 2007). D’un point de vue
méthodologique, les chercheurs ont principalement utilisé des protocoles de recueil de données
des activités individuelles (pour une revue voir Cooke (1999); Cooke et al. (2004, 2007). En
continuité avec les travaux sur les « bases de connaissances », des méthodes qualitatives
d’analyse de contenus permettent d’extraire les connaissances d’un expert (ou d’une équipe
experte) confronté à une tâche représentative de son domaine (simulation, situation réelle).
On recueille des données verbales (parfois complétées par des données d’observation) par les
différentes formes d’entretiens (libres, dirigés, semi-dirigés), les questionnaires, les méthodes
de traçage de processus (recueil de verbalisations concomitantes ou consécutives), ou encore
des méthodes dites « conceptuelles » (représentation des concepts d’un domaine et de leurs
relations). Cette dernière reste la méthode la plus courante pour identifier la structure et le
contenu d’un modèle mental. Elle consiste à présenter une liste de concepts (qui représentent
des connaissances) à chaque membre d’une équipe puis à demander aux sujets de décrire les
relations (i.e. les liens de parenté) entre ces concepts (Stout et al., 1999; Mathieu et al., 2000;
Marks et al., 2002). De cette manière, le sujet restitue un réseau de relations entre différentes
connaissances : un modèle mental. La comparaison des réseaux de chaque membre de l’équipe
permet de restituer le modèle mental partagé au sein de l’équipe. Une analyse quantitative
complète alors l’analyse qualitative. Il est possible de comptabiliser les relations entre deux
connaissances pour l’ensemble des sujets afin de déterminer le poids (ici, numérique) de cette
relation. La particularité de l’analyse en situation collective (versus analyse de l’activité en
situation individuelle) est alors principalement une particularité méthodologique qui tient
aux mesures et aux traitements statistiques des données individuelles recueillies pour mettre
à jour la dimension partagée des modèles mentaux à partir d’une procédure essentiellement
« additive » (Cooke et al., 2007).
À l’aide de l’une ou l’autre de ces méthodes, les études issues de l’approche TNDM
ont testé les effets des modèles mentaux partagés sur la performance des équipes
Cyril Bossard
83
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
expertes. Dans un premier temps, les études ont surtout documenté les effets des modèles
mentaux liés au fonctionnement de l’équipe (Smith-Jentsch et al., 2001; Levesque et al.,
2001). Aujourd’hui, on constate une évolution des préoccupations avec la volonté d’étudier
de concert les connaissances partagées en rapport avec le fonctionnement de l’équipe et en
rapport avec la tâche de travail (Rentsch et Klimoski, 2001; Cooke et al., 2003; Lim et Klein,
2006). L’étude de Lim et Klein (2006) constitue un exemple typique d’étude des modèles
mentaux partagés en situation collective.
3.1.2
Une étude typique des MMP
Lim et Klein (2006) ont examiné la relation entre la similarité et la précision des
modèles mentaux partagés et la performance d’équipes en situation naturelle. 71 équipes
militaires (de 4 à 8 membres) des forces armées de Singapour ont participé à l’étude. Le
recueil des données est effectué en deux temps.
Dans un premier temps, après une formation identique de 10 semaines, les auteurs
collectent des données concernant les modèles mentaux liés à la tâche et liés à l’équipe,
chez 548 membres d’équipe et chez 3 sujets experts. Pour évaluer le modèle mental de chaque
membre d’une équipe, on demande au sujet de juger le lien de parenté entre 14 concepts
correspondant à la tâche et 14 concepts correspondant au fonctionnement de l’équipe. Le
sujet estime ainsi le lien de parenté de 2×91 paires de concepts en utilisant une échelle de
réponse allant de 1 (complètement indépendant) à 7 (fortement relié). Cette procédure est
également utilisée avec les 3 sujets experts afin de définir avec précision les modèles mentaux
« experts » de la tâche et de l’équipe. La précision des liens de parenté est déterminée à
partir des moyennes obtenues par le classement des experts. Dans un second temps, trois
semaines après la première collecte, les équipes participent à une évaluation où 24 officiers
supérieurs évaluent la performance au combat de chaque équipe à partir de 6 tâches militaires.
Pour établir les modèles mentaux de la tâche et de l’équipe pour chaque sujet, les auteurs
utilisent une technique d’évaluation structurelle appelée Pathfinder (Schvaneveldt, 1990).
Cette technique permet de représenter graphiquement le réseau de parenté entre les
14 concepts à partir des réponses du sujet. Un nœud représente un concept et l’arc représente
la relation entre deux concepts. Pathfinder permet également d’avoir une représentation de
la proximité entre deux concepts à partir du poids (numérique) de leur relation.
Pour obtenir la similarité du modèle mental d’un membre de l’équipe, on calcule la
proportion de liens communs avec les autres membres de l’équipe sur la totalité des liens
existants. À partir des scores de similarité de chaque membre de l’équipe, on calcule la
moyenne des similarités des modèles mentaux des membres de l’équipe. La même procédure
est employée pour déterminer le score de similarité des modèles mentaux de la tâche et
de l’équipe. Pour obtenir la précision des modèles mentaux partagés par les membres
84
Cyril Bossard
L’approche TNDM
de l’équipe, on compare la moyenne du modèle mental des trois experts avec la moyenne
du modèle mental de chaque membre. Cette comparaison permet d’obtenir un indice de
précision. En moyennant les indices des membres de l’équipe, on obtient le score de précision
de l’équipe. Pour tester leurs hypothèses, les auteurs mènent une série d’analyses statistiques
de corrélation et de régression hiérarchique.
Les résultats montrent principalement que les équipes dont les membres structurent et
organisent leurs connaissances de la même manière ont plus de facilité à coordonner leurs
activités. La similarité des modèles mentaux relatifs à la tâche ou relatifs à l’équipe est bien
prédictrice de la performance collective. Ainsi, quand les membres de l’équipe sont d’accord
sur les priorités et les stratégies à adopter (modèle mental partagé au sein de l’équipe), l’équipe
est plus performante durant la tâche. Les résultats suggèrent également que la précision du
modèle mental a une influence sur la performance de l’équipe. Les équipes dont la moyenne
des modèles mentaux était la plus proche de celle des modèles mentaux des experts avaient des
performances plus élevées que les équipes dont la moyenne était plus éloignée. Les auteurs
avancent que les équipes dont les modèles mentaux (équipe et tâche) étaient plus précis,
utilisent des stratégies plus efficaces que les autres. Cette étude montre ainsi que les membres
d’une équipe experte partagent des connaissances similaires et précises. Ces connaissances
partagées permettent de coordonner les actions des membres de l’équipe durant la tâche
collective.
Les résultats obtenus par Lim et Klein (2006) sur la précision et la similarité des modèles
mentaux confirment ceux obtenus antérieurement en situation de simulation de maintenance
de char (Minionis et al., 1995), de combats aériens (Mathieu et al., 2000) ou encore de
missions en hélicoptère (Marks et al., 2002).
3.1.3
Limites et Discussion de l’approche TNDM
La perspective théorique TNDM permet de décrire une forme d’activité collective que
nous qualifierons de « prescriptive » entre les membres de l’équipe.
La coordination des membres de l’équipe s’explique principalement par une organisation
commune et en amont des rôles et responsabilités de chacun des membres de l’équipe (modèle
mental partagé du travail d’équipe et de la tâche). Cette structuration des connaissances
sous forme de modèle mental permet de produire des attentes mutuelles entre les individus
en situation. La coordination des activités individuelles est régulée sur la base de prédictions
sur les comportements et besoins (attentes) du ou des partenaires, à partir du contenu (les
connaissances) de ces modèles mentaux. L’approche TNDM prolonge ainsi à l’échelle du
collectif l’approche des bases de connaissances individuelles. Les modèles mentaux constituent une base de connaissances partagées. Cette base de connaissance est répartie dans les
Cyril Bossard
85
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
composants du collectif (chaque individu) de la même façon que les connaissances individuelles sont réparties dans différentes structures en Mémoire à Long Terme. En situation
collective, les individus se réfèrent à un modèle mental construit collectivement et disponible.
Ce modèle permet de donner rapidement du sens aux actions des autres membres de l’équipe.
Bien que le courant de la TNDM soit abondamment exploité dans l’étude des situations
de travail en équipe, cinq principales limites méthodologiques et théoriques peuvent
être soulevées.
D’un point de vue méthodologique, les mesures utilisées visent l’accès à cette part
collective des bases de connaissances et peuvent être qualifiées « d’agrégatives » (Cooke
et al., 2007). La plupart d’entre-elles agrègent les résultats sur les connaissances partagées
entre les membres d’une équipe à partir d’un questionnement individuel. Cette orientation
méthodologique (i.e. processus d’agrégation des cognitions individuelles) peut être remise en
question sur deux points : les mesures utilisées et le protocole de recueil des données.
La première limite que nous souhaitons mettre en exergue relève de la procédure
d’agrégation des données. Cette dernière assume implicitement à travers les tests statistiques
(nombre et moyenne des liens communs) que tous les membres de l’équipe disposent de
structures et de connaissances semblables. En d’autres termes, l’équipe est ici considérée
comme une composition d’éléments homogènes. Selon nous, cette notion d’homogénéité des
activités individuelles dans les équipes doit être nuancée. Dans le cadre des sports collectifs,
les membres de l’équipe occupent des rôles différents, ce qui implique des connaissances,
des habiletés et des attitudes spécifiques. À l’instar de Mouchet et Bouthier (2006), nous
considérons plutôt les individus, par nature, dans leur hétérogénéité bien qu’ils puissent
se retrouver en partie dans une activité commune. Les éléments significatifs pour un joueur,
à un moment donné dans la situation en cours, peuvent s’étudier à différents niveaux, et
l’activité décisionnelle combine sans doute des éléments subjectifs à la fois personnels et
partagés. En d’autres termes, l’hétérogénéité des membres d’une équipe n’exclut pas une
certaine homogénéité au niveau de l’activité collective déployée (les coordinations d’actions).
Ce que nous souhaitons souligner ici, c’est que la coordination des actions en situation
collective peut recourir à une complémentarité dans les connaissances spécifiques mobilisées
par chacun des membres d’une équipe. Les méthodes jusqu’à présent utilisées par la TNDM
ne permettent pas de rendre compte de la complémentarité des connaissances mobilisées
au cours de la situation. La compréhension des coordinations d’actions des membres d’une
équipe nécessite d’interroger à la fois les caractères hétérogène et homogène des activités individuelles à travers, par exemple, les connaissances mobilisées. Finalement, cette dialectique
hétérogénéité/homogénéité n’est-elle pas une contradiction essentielle à résoudre en situation
collective ?
86
Cyril Bossard
L’approche TNDM
Une seconde limite renvoie aux statistiques associées aux représentations graphiques
obtenues à l’aide de logiciels tels que « Pathfinder » (Lim et Klein, 2006). Ce type de procédure
statistique ne permet pas d’évaluer le rapport de causes à effets perçu de manière implicite
dans les modèles mentaux des sujets. Les liens entre les nœuds dans le réseau Pathfinder
sont basés sur des estimations de parenté (i.e. de similarité) et non de causalité. Dès lors,
ils ne permettent pas d’expliquer les conditions qui unissent les concepts. Or c’est bien la
relation entre les informations mobilisées par les membres de l’équipe qui permet d’expliquer
la compréhension partagée d’une situation entre les membres d’une équipe.
Bien que la notion de modèle mental d’équipe ou partagé ait dominé la recherche sur
l’activité collective, de nombreux auteurs reconnaissent aujourd’hui que les modèles mentaux
de l’équipe sont plus complexes (Gorman et al., 2006). Les membres de l’équipe n’ont pas
nécessairement des structures de connaissances isomorphes (identiques), mais possèdent certainement une part d’informations partagées et une autre part d’informations contextualisées
et individualisées ou spécifiques (basées sur leurs rôles distinctifs) au sein des structures cognitives actives (Kozlowski et Ilgen, 2006).
La troisième limite renvoie aux méthodes conceptuelles comme celles utilisées dans
notre exemple typique (Lim et Klein, 2006) pour établir les modèles mentaux des membres
d’équipe militaire. Ces méthodes sont limitées pour mettre à jour les connaissances effectivement mobilisées. La liste des concepts à relier est définie a priori par les chercheurs (ou par
des experts du domaine) à l’aide de questionnaires par exemple. Il s’agit donc d’un point
de vue externe prédéterminé et indépendant de l’équipe agissante. Nous réitérons ici, au
niveau de l’équipe, les limites du point de vue épistémologique adopté par une approche
cognitiviste individuelle (Chapitre 1, p 29). De notre point de vue, il n’existe pas de monde
objectif, prédéfini et commun à des individus ou des équipes. Plusieurs auteurs ont déjà
caractérisé cette première approche TNDM de l’activité collective comme fondamentalement
« cognitiviste » (Theureau, 2006; Salembier et Zouinar, 2006; Cooke et al., 2007).
La quatrième limite que nous avons identifiée est du même ordre d’idée. L’approche
TNDM offre, selon nous, une vision statique des connaissances sur l’état du système, notamment parce que les protocoles utilisés interrogent les membres de l’équipe en dehors de
l’action. Les modèles mentaux identifiés et les connaissances qui les composent sont obtenus
en dehors de la situation même si les sujets sont questionnés dans leur contexte d’évolution
(sur le terrain). Les connaissances extraites apparaissent alors générales, ce qui engendre
un doute sur leur mobilisation effective en situation collective réelle. Nous avons déjà signalé
que les situations dynamiques et collaboratives se caractérisent par une forte dynamique
(qualifiée d’externe), c’est-à-dire qu’elles produisent des états d’environnement dynamiques
auxquels les connaissances statiques et générales (modèles mentaux) ne peuvent répondre.
Cyril Bossard
87
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
D’un point de vue individuel, l’approche NDM fait état de la reconstruction permanente
des structures d’arrière-plan (schémas) face aux situations dynamiques et collaboratives
(voir 2.3, p 70). On peut regretter que ce point de vue qui met en avant la construction
de connaissances à partir de la complexité du contexte ne soit pas prolongé au niveau de
l’activité collective.
Enfin, le dernier écueil concerne la manière d’aborder l’objet d’étude. Cette approche
semble perdre de vue l’essence de l’activité collective. Si l’on considère l’activité collective
comme un phénomène émergent, c’est-à-dire comme le résultat des coordinations entre
membres de l’équipe, les mesures additives apparaissent rapidement insatisfaisantes. Ces
dernières minorent la part d’adaptation issue des interactions entre membres de l’équipe. La
coordination des activités individuelles n’est pas étudiée pour elle-même, en tant que processus. Les études TNDM l’envisagent comme « le résultat » du partage des connaissances entre
membres de l’équipe (Lim et Klein, 2006). La notion de coordination est assimilée à celle de
performance. Par conséquent, ces études ne peuvent rendre compte d’éventuelles formes de
coordinations différenciées ou typiques au sein d’une même équipe.
Figure 3.1 – Approche cognitiviste de l’activité collective d’après Cooke et al. (2007)
Sur la base de ce cadre théorique, largement développé en psychologie cognitive ergonomique et complété par des supports empiriques nombreux, nous concluons que l’approche
TNDM (à travers le concept de modèle mental partagé) permet principalement de capturer la
88
Cyril Bossard
Une approche holistique de l’activité de l’équipe
structure des relations entre les connaissances générales de l’équipe (relatives à la tâche et au
fonctionnement de l’équipe). Finalement, cet aspect de l’activité collective en situation de travail se rapproche de la dimension stratégique associée aux sports collectifs (voir Chapitre
1, p 29). Nous considérons cet aspect comme intéressant (dans sa dimension prédictive, plus
que prescriptive) mais insuffisant pour éclairer le processus de coordination des actions mis en
jeu lors des situations naturelles. Nous retiendrons de ces études que les modèles mentaux partagés peuvent constituer des structures d’arrière-plan qui influencent la coordination des
membres d’une équipe en situation. Cependant, cette approche minore l’incertitude inhérente
aux situations dynamiques collaboratives et à leur évolutivité. Elle ne peut rendre compte
d’un ajustement de la base de connaissances partagées lors des situations dynamiques et collaboratives. Ces principales limites renvoient à une prise en compte restreinte du contexte
et de la dynamique de réalisation de l’activité collective. Cette dernière s’explique principalement par la somme des activités individuelles sur fond de compréhension partagée de la
situation (Gorman et al., 2006; Cooke et Gorman, 2006; Cooke et al., 2007).
Finalement, l’approche TNDM est une approche « individu-centrée » qui s’intéresse
à l’équipe. Le comportement collectif comme objet d’étude n’est qu’une conséquence ou la
synthèse de l’activité des différents individus (3.1, p 88). Récemment, des chercheurs ont initié
une évolution de cette perspective théorique (approche THEDA) les conduisant à changer de
point de vue sur l’activité collective (Cooke et al., 2007).
3.2
Une approche
l’équipe
holistique
de
l’activité
de
Considérant les limites théoriques et méthodologiques de l’approche « cognitiviste » de
l’activité collective (TNDM), une nouvelle approche a récemment été proposée pour l’étude
des situations dynamiques et collaboratives : l’approche THEDA (pour « Team Holistic
Ecology and Dynamic Activity », (Cooke et al., 2007)).
L’approche THEDA vise à décrire et expliquer les coordinations entre les agents de
manière globale ou « holistique ». On peut identifier les influences de trois paradigmes ou
modèles théoriques à l’origine de ce changement de point de vue : la cognition distribuée
(Hutchins, 1995), la psychologie écologique (Reed, 1996), et la théorie des systèmes dynamiques (Alligood et al., 1996). Ces trois perspectives théoriques considèrent en effet l’activité
collective comme émergente par opposition à une approche agrégative. Les études se focalisent
sur les interactions dynamiques entre membres de l’équipe plutôt que sur les structures de
connaissances individuelles (ex : modèles mentaux). Ce sont les mécanismes du collectif par
lesquels l’équipe dans son ensemble est structurée qui constituent l’objet d’étude. La figure
3.2 (p 90) schématise ce point de vue sur l’activité collective.
Cyril Bossard
89
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
Figure 3.2 – Approche THEDA de l’activité collective d’après Cooke et al. (2007)
Cette évolution des préoccupations peut être caractérisée par le passage d’une vision
centrée sur les connaissances à une vision centrée sur les processus (Cooke et al., 2007).
Comme l’expliquent Gorman et al. (2006), les règles et mesures agrégatives deviennent
inappropriées pour l’analyse de l’activité collective où s’opère une distribution hétérogène
des connaissances et des habiletés à travers les membres de l’équipe. L’activité collective
nécessite aujourd’hui de considérer ce phénomène et son fonctionnement de manière unitaire
et dynamique. Plus précisément, d’après Cooke et al. (2004), l’effort de recherche doit être
porté conjointement sur un plan théorique et méthodologique. D’un point de vue théorique,
l’étude holistique de l’activité décisionnelle pour les situations de travail en équipe doit :
prendre en compte la dialectique homogénéité/hétérogénéité, intégrer le caractère dynamique
et fugace de la construction des connaissances en situation par opposition à des connaissances
statiques et générales, accéder aux types de connaissances effectivement mobilisées et les
identifier, et enfin, souligner la dimension incarnée de la cognition en contexte collectif. Sur
un plan méthodologique, ces orientations doivent s’accompagner : d’un développement des
mesures holistiques plus qu’additives, de méthodes permettant l’identification des processus et
des connaissances à l’œuvre en situation naturelle, d’une réflexion sur la validité des mesures
utilisées (répétition des tâches collectives, critères de performance).
L’ensemble de ces principes énoncés par les auteurs à l’origine de l’approche THEDA
(Cooke et al., 2007) traduit, selon nous, un véritable changement de point de vue sur
l’activité collective en situation dynamique et collaborative. Cette évolution théorique et
méthodologique s’opère en deux mouvements. Le premier mouvement consiste à étendre le
concept de cognition partagée à celui de cognition distribuée en référence aux travaux effectués
90
Cyril Bossard
Une approche holistique de l’activité de l’équipe
par Hutchins (1995). Le second mouvement met l’accent sur le processus de coordination des
activités individuelles, considéré dorénavant de façon unitaire et dynamique à partir des
principes de l’approche écologique (Reed, 1996) et des systèmes dynamiques (Alligood et al.,
1996).
3.2.1
Une extension de la cognition partagée à la cognition
distribuée
Le courant de la cognition distribuée (Hutchins, 1995) s’intéresse à la construction
continue des structures et des connaissances en situation collective. Il se démarque de
l’approche cognitiviste en ce que l’objet d’étude ne se situe plus uniquement « dans la
tête des sujets » mais dans les interactions entre les individus. Plus particulièrement, la
cognition distribuée appréhende l’activité collective à partir du couplage entre les membres
de l’équipe et le système socio-technique de l’environnement de travail (les « artefacts
cognitifs »). D’inspiration éthnométhodologique, cette perspective théorique met l’accent sur
le caractère culturel, social et distribué (entre acteurs et éléments de la situation) de l’activité
cognitive. Dans cette perspective, la connaissance apparaı̂t co-déterminée par la distribution
des informations dans l’environnement (les membres de l’équipe et l’ensemble du matériel
technique utilisé). Cette co-détermination organise le collectif, i.e. les coordinations d’actions
efficaces. Cette approche a permis d’engager une première évolution dans l’étude de l’activité
collective. Les connaissances partagées sont considérées comme distribuées.
Pour illustrer ce passage de la cognition partagée à la cognition distribuée, nous
présentons une étude auprès de 36 équipes face à la simulation de missions de secours en
hélicoptère de l’U.S Navy (Cooke et al., 2003). L’objectif de l’étude était de mesurer les
connaissances partagées par les membres d’équipes hétérogènes (un rôle différent pour chacun
des membres). Les auteurs reproduisent la méthodologie classique utilisée pour identifier les
modèles mentaux de l’équipe relatifs à l’équipe et à la tâche (Lim et Klein, 2006). Les résultats
montrent que les équipes les plus performantes sont celles où les membres de l’équipe ont
des connaissances précises de la tâche concernant leur propre rôle et différentes des
connaissances des autres membres. En situation, les chercheurs observent une distribution
implicite des buts entre les membres d’équipes expertes. Ces dernières sont celles qui
disposent de connaissances complémentaires. Pour les auteurs, ces résultats suggèrent que
la notion de connaissances partagées renvoie également à une division des responsabilités en
fonction des rôles, par opposition à une connaissance partagée en termes de similarité.
Nous retiendrons que cette évolution de la recherche en psychologie ergonomique apporte
trois principales idées en relation avec l’objet étudié : l’activité en situation collective.
Tout d’abord, la connaissance en situation collective est co-construite par l’interaction entre les acteurs impliqués dans la situation. Les coordinations d’actions nécessitent
Cyril Bossard
91
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
la prise en compte du contexte social et culturel, de l’histoire des interactions entre les individus, et du rôle organisateur de l’environnement dans le contexte du travail en équipe.
Dans cette perspective, les acteurs impliqués dans l’activité collective constituent à la fois
des sources d’influences et à la fois des éléments organisateurs du contexte. Dans un même
mouvement, ils permettent d’organiser l’action à venir et transforment le fonctionnement du
système cognitif entier (i.e. le collectif). Dans le cadre des sports collectifs, nous retiendrons
donc plus particulièrement le rôle déterminant mais variable des membres de l’équipe dans
la coordination des activités et des connaissances. Nous retiendrons également pour notre
propre démarche le rôle structurant du contexte puisque les informations significatives y sont
éparpillées.
Ensuite, ce courant théorique permet d’étendre la notion de « connaissance partagée » à
la notion de « connaissance distribuée » (Cooke et al., 2003). Dans l’approche classique
TNDM, les connaissances partagées renvoient à des savoirs ou à des croyances identiques aux
membres de l’équipe (Lim et Klein, 2006). Ici, la notion de partage peut également être
définie comme une division d’un tout en plusieurs parts. Les parts n’étant pas nécessairement
équitables ou identiques (ni même complémentaires) pour chaque individu concerné.
Enfin, la connaissance est dépendante du contexte et indissociable de sa
dimension sociale et culturelle, elle ne se détermine que pour et par une communauté
de pratique. Dans cette perspective, une équipe sportive experte constitue une communauté
de pratique « locale » et possède certainement des connaissances communes, fondées sur le
partage d’expériences multiples et d’une histoire d’équipe. Comme l’expliquent Cooke et al.
(2007), le partage peut prendre des formes diverses (Cf. figure 3.3, p 92) et les membres d’une
équipe ont recours à une variété de connaissances partagées impliquées dans la coordination
des activités en situation dynamique collaborative.
Figure 3.3 – Variétés des connaissances partagées d’après Cooke et al. (2007)
92
Cyril Bossard
Une approche holistique de l’activité de l’équipe
3.2.2
L’approche écologique et l’approche des systèmes dynamiques pour l’étude des comportements collectifs
Le second mouvement intégré à la perspective THEDA emprunte des concepts issus
de l’approche écologique (Reed, 1996) et de l’approche des systèmes dynamiques (Alligood
et al., 1996). Cette seconde évolution est plus radicale car elle marque une véritable rupture
dans le point de vue adopté pour étudier l’activité collective : c’est le comportement collectif
lui-même qui constitue l’objet d’étude.
La psychologie écologique suggère que la perception et l’action sont contextuellement
co-déterminées (Reed, 1996). L’équipe peut alors être considérée comme un ensemble de
systèmes perception-action qui se coordonnent directement à partir d’un stimulus global.
De cette manière, l’équipe peut être considérée comme un organisme qui réagit, s’adapte aux
contraintes de l’environnement à partir de la coordination des systèmes perception-action (les
membres) qui le composent. Cette perspective théorique était déjà présente dans le courant
NDM pour l’analyse de l’activité décisionnelle individuelle (Cf. 2.1.2, p 59).
La théorie des systèmes dynamiques suggère quant à elle que le comportement d’une
équipe est une propriété émergente de l’auto-organisation d’un système composé des
comportements individuels (Alligood et al., 1996). Au contraire des théories cognitivistes de
l’activité collective où la régression est utilisée pour prédire les comportements de l’équipe
à un moment donné, cette perspective considère l’évolution dynamique d’un système que
représente l’équipe. Elle permet d’envisager l’équipe comme une structure de coordination
dynamique qui évolue continuellement afin de s’adapter, dans un rapport de circularité, au
flux continu d’informations (complexité contextuelle).
Ces évolutions théoriques se traduisent également par des avancées méthodologiques de
l’approche THEDA pour étudier les coordinations entre membres de l’équipe en situation
naturelle (Gorman et al., 2006; Cooke et al., 2007). Plus particulièrement, Cooke et al.
(2004) ont proposé une approche méthodologique pour analyser l’activité collective à partir
des données issues des communications entre les membres d’une équipe travaillant dans un
centre de contrôle. Dans ce type de situation de travail, les individus étant physiquement
séparés, les communications constituent les principales interactions entre les membres
de l’équipe. Les auteurs considèrent ainsi que ces communications entre partenaires offrent
un moyen d’accès privilégié à l’activité collective (i.e. la cognition d’équipe). De la même
manière que les protocoles de « pensée à voix haute » sont utilisés pour accéder aux processus
individuels (Ericsson et Lehmann, 1996), les communications inhérentes à la situation de
travail permettent d’accéder à l’activité collective de manière holistique. De plus, le processus
de coordination des activités n’est pas interrompu contrairement aux protocoles usant de la
technique de pensée à voix haute. La communication constitue déjà dans un certain sens, une
pensée à voix haute. L’analyse des communications des membres de l’équipe ouvre alors une
Cyril Bossard
93
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
fenêtre sur l’activité collective. À mesure que les interactions évoluent, cette méthode permet
de rendre compte des changements dynamiques de l’activité collective comme le résultat
naturel des interactions entre les membres de l’équipe. Ce type de protocole permet d’obtenir
des données volumineuses et contextuellement riches.
Une étude nous semble particulièrement typique de l’évolution des travaux sur l’activité
collective et peut être considérée comme typique de l’approche THEDA. Dans un centre
de contrôle de véhicules aériens inhabités (drones), Cooke et al. (2004) ont enregistré
les communications entre les membres de plusieurs équipes de travail face à une tâche
représentative de leur domaine. À partir d’une analyse du contenu des communications
entre les agents, les auteurs ont identifié pour chacun d’eux, le flux des communications (à
qui est-elle adressée ? quand ?), la structure et le contenu des discours. Ces actes langagiers
entre les membres de l’équipe ont ensuite été analysés qualitativement et quantitativement. À
partir d’une synchronisation des séquences de discours de chacun des membres de
l’équipe, l’analyse permet de déterminer la co-occurrence des événements du discours dans
le déroulement temporel de la situation et les changements dans la structure du discours.
Les résultats montrent que les équipes les plus performantes sont celles qui possèdent des
structures de communication stables. De plus, ces équipes expertes démontrent une
forte homogénéité à travers le temps sur le contenu (consistance de ce qu’ils disent) et le flux
des communications (à qui ils le disent et quand). Cette étude montre ainsi que le flux et
la consistance des structures de communication sont des prédicteurs de la performance en
situation de travail en équipe.
Finalement, ce second point de vue sur l’activité collective apporte des indications
importantes à notre objet d’étude. Les trois courants présentés (cognition sociale distribuée,
approche écologique et système dynamique) visent à décrire les propriétés du système (le
groupe ou l’équipe) dans son ensemble. Dans ce point de vue, l’équipe est considérée à
partir de ses propriétés intrinsèques. La place accordée au contexte est importante, elle
permet d’expliquer les coordinations d’actions. Dans la cognition distribuée, c’est le contexte
social, culturel et le rôle des membres du groupe qui permettent de structurer l’équipe. Dans
l’approche écologique et celle des systèmes dynamiques, ce sont les éléments contextuels qui
jouent un rôle perturbateur et provoquent les changements dans la configuration du groupe.
Ces approches, parce qu’elles adoptent le point de vue de l’analyse collective, peuvent
être qualifiées de « collectivistes » (Theureau, 2006). Elles minorent l’autonomie de l’activité
individuelle des acteurs engagés dans la situation dynamique collaborative. Il faut noter
cependant, une divergence importante dans la place accordée à la cognition entre les deux
mouvements. Dans les travaux de Hutchins (1995), la cognition est répartie dans l’ensemble
des éléments qui composent le système (y compris les dispositifs technologiques) alors que
pour l’approche écologique et des systèmes dynamiques, la cognition est tout simplement
ignorée. D’autres auteurs (Theureau, 2006; Salembier et Zouinar, 2006) ont déjà évoqué les
94
Cyril Bossard
Cognition située et activité collective
risques d’un « collectivisme radical » à se concentrer uniquement sur les propriétés globales
d’un système. Cette position néglige nécessairement la part d’autonomie individuelle, et
par conséquent ne peut rendre compte des relations entre l’activité individuelle et l’activité
collective.
Un troisième point de vue sur les situations de travail en équipe accorde justement une
place importante à la notion d’autonomie et vise à étudier l’articulation entre activité
individuelle et activité collective.
3.3
Cognition située et activité collective
Dans cette perspective théorique, la compréhension de l’activité (qu’elle soit individuelle
ou collective) ne peut être envisagée en dehors de sa réalisation en contexte. L’activité est tout
autant sociale et individuelle qu’individuelle et sociale. Une partie des travaux de Suchman
(1987, 1996) repris plus tard par Salembier et Zouinar (2004, 2006) s’attache à appréhender
les modes d’articulation des activités individuelles dans les situations collectives.
Ce troisième point de vue adopté par les recherches sur les situations de travail en
équipe vise ainsi à considérer conjointement l’activité individuelle et l’activité collective
(Bourbousson et al., 2008). Plus précisément, l’approche située vise à décrire la dynamique
d’articulation entre l’activité individuelle et l’activité collective (Jeffroy et al., 2006). Pour ces
auteurs, l’interaction entre les individus repose sur un accès mutuel aux ressources disponibles
dans le contexte. La notion « d’intelligibilité mutuelle » est avancée pour désigner un
processus de co-construction de significations entre les acteurs au sein du contexte. L’individu
au sein du collectif recherche les disponibilités de ses partenaires pour les utiliser comme
ressources (Suchman, 1996). Cette recherche repose ainsi sur différentes informations comme
les communications verbales, les gestes et les indices comme la posture. Ces informations à
propos des actions de ses partenaires sont partagées de façon incidente ou implicite (Salembier
et Zouinar, 2006). Elles sont perçues au même moment par l’ensemble des membres d’une
équipe parce qu’elles sont accessibles par tous. Dans les situations sportives, les joueurs
rendent délibérément publique leur activité à leurs partenaires. Ils cherchent à les informer
d’un élément pertinent pour eux (Heath et Luff, 1992). Ils peuvent aussi chercher à masquer
des informations au partenaire ou à livrer des informations érronées (leurres) aux adversaires
(Sève et al., 2002).
Salembier et Zouinar (2006) ont ainsi développé une approche du partage d’informations
contextuelles qui prend en compte cette réciprocité des activités individuelles. Cette approche
s’appuie sur la notion de « manifesteté mutuelle ». Un fait mutuellement manifeste est
un fait qui a la caractéristique d’être potentiellement perceptible ou inférable par plusieurs
membres d’un collectif à un instant donné. La notion de manifesteté mutuelle exprime ainsi
Cyril Bossard
95
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
l’idée que chaque individu agit pour rendre manifeste son activité aux autres. Cependant,
la manifesteté mutuelle n’est pas exploitable en l’état dans l’analyse de l’activité. Comment
savoir ce qui est pertinent (ou pas) pour tous les membres impliqués dans une situation
dynamique et collaborative réelle ?
Pour répondre à cette contrainte, les auteurs délimitent leur objet de recherche à la
notion de « contexte partagé ». Ce dernier correspond à l’ensemble des informations mutuellement significatives pour l’ensemble des acteurs, à un instant t dans une situation donnée,
compte tenu de leurs capacités perceptives et cognitives, des tâches qu’ils doivent réaliser,
et de leur activité en cours (Salembier et Zouinar, 2006). Les informations contextuelles correspondent alors à l’ensemble des informations au cours de l’activité qui sont pertinentes ou
peuvent l’être du point de vue des acteurs considérés.
Cette définition du partage d’informations est différente de celle proposée par l’approche
TNDM « classique ». Rappelons que dans cette perspective, partager des informations
correspond à disposer de structures de connaissances communes (i.e. des modèles mentaux
partagés). L’activité collective repose alors essentiellement sur les connaissances partagées
entre les membres d’une équipe. Comme l’expliquent Salembier et Zouinar (2006), cette
conception de l’activité collective pose un problème d’emboı̂tement à l’infini des connaissances
auxquelles les capacités cognitives humaines ne peuvent répondre. Pour ces auteurs, le partage
des informations en situation dynamique et collaborative doit être considéré, a priori, comme
une hypothèse. Le courant de la cognition située considère plutôt que l’activité collective
repose sur une adaptation au contexte dont certains éléments peuvent être partagés
par les membres de l’équipe (i.e. significatifs du point de vue des acteurs).
D’un point de vue méthodologique, l’analyse des données est particulièrement orientée
vers l’évolution du contexte partagé et des éléments qui influencent ou/et contraignent cette
évolution. Les auteurs proposent une démarche d’analyse et de modélisation du contexte
partagé à partir d’observations en situation réelle et d’entretiens d’autoconfrontations. Ils préconisent également d’incorporer l’analyse des coordinations et du contexte
partagé à celle plus large de l’activité. À partir d’une mise en correspondance des activités individuelles de chaque membre de l’équipe, il devient alors possible de repérer
les informations qui sont significativement partagées ou non par ceux-ci. Cette mise en tension des activités individuelles permet d’accéder au contexte partagé de manière implicite
par opposition à des entretiens dirigés ou des questionnaires orientés. Cette méthode garantit
ainsi une validité écologique importante.
D’un point de vue épistémologique, cette conception de l’activité collective rompt avec
une vision déterministe de la cognition humaine. La notion de manifesteté mutuelle permet
d’envisager les informations partagées en fonction des significations de la situation pour le
sujet. Elle permet ainsi de dépasser le caractère prédéfini et objectif du contexte quand il est
imposé par l’expérimentateur.
96
Cyril Bossard
Cognition située et activité collective
Nous retiendrons de ce point de vue sur l’activité collective le caractère mutuel ou
réciproque des activités individuelles en situation collective à travers la notion de « manifesteté mutuelle ». En effet, dans les sports collectifs, le partenaire ne représente pas
uniquement une information contextuelle supplémentaire. Ce dernier rend délibérément publique son activité aux autres. En ce sens, il tente d’exercer une influence sur l’activité
de ses partenaires. Etudier l’activité collective consiste alors à décrire les ajustements, les interactions, les influences entre individus en fonction de l’évolution
du contexte. La particularité d’une situation dynamique et collaborative réside bien dans
sa dimension imprévisible et évolutive. Les informations qui sont partagées par les membres
d’une équipe dépendent ainsi des circonstances « locales ». L’approche située de l’activité
collective s’intéresse justement à la prise en compte des modifications de l’environnement
pour envisager leur impact sur l’activité collective à travers les activités individuelles. En ce
sens, elle fournit une source d’inspiration complémentaire des différentes approches que nous
avons présentées jusqu’à présent.
Finalement, par rapport aux deux autres points de vue présentés en amont, le courant
de la cognition située propose une voie médiane entre le rôle des acteurs et la place accordée
au contexte. L’autonomie individuelle est prise en considération à partir du couplage entre
les structures cognitives et le contexte. Ici, au sein du contexte, les membres de l’équipe sont
considérés comme des éléments particulièrement significatifs, particulièrement importants
pour décider. L’objet de recherche devient alors les influences entre individus et leurs effets
sur l’activité individuelle. L’étude du couplage devient l’étude du jeu des influences comme
des éléments susceptibles d’expliquer l’articulation de l’activité des individus en contexte
collaboratif. Les auteurs issus de l’approche THEDA ont déjà évoqué des pistes de réflexion
pour intégrer les concepts de l’approche située (Cooke et al., 2004; Gorman et al., 2006;
Cooke et al., 2007). Nous pensons également que ce cadre conceptuel gagnerait à adopter
le point de vue défendu par l’approche située pour améliorer la compréhension de l’activité
décisionnelle en situation dynamique collaborative. Sans renier ces fondements théoriques,
l’étude de l’activité collective consisterait alors à analyser l’articulation des activités individuelles.
Au terme de cette présentation de l’évolution des points de vue adoptés pour l’analyse
de l’activité collective en situation dynamique collaborative, nous pouvons présenter une
synthèse des différentes approches théoriques mobilisées (Cf. Figure 3.4, p 98). Toutes
les approches que nous avons présentées semblent partager l’idée que l’activité collective
repose sur un processus de coordination des activités individuelles. Pour chacune d’elles, les
coordinations d’actions au sein d’une équipe constituent un objet d’étude central. Dans le
cadre de l’ergonomie cognitive, nous pouvons ainsi identifier (avec Bourbousson et al. (2008))
trois points de vue ou manières d’aborder l’activité collective.
Cyril Bossard
97
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
Le premier point de vue appréhende la coordination des actions à partir de la description
et de l’analyse des activités des individus en situation collective. Pour l’approche TNDM,
P
l’activité collective correspond à la somme des activités individuelles (AC =
des AI).
Le second point de vue opère un changement d’échelle dans l’analyse de l’activité
collective. Il vise à décrire et expliquer de manière holistique les interactions entre les agents
en considérant le collectif comme une unité d’analyse. Pour l’approche THEDA ou l’approche
des sytèmes dynamiques, l’activité collective correspond ainsi au comportement du collectif
en lui-même (AC = AC).
Enfin, le troisième point de vue cherche à rendre compte de l’activité collective en
analysant l’articulation des activités individuelles. Ce point de vue pourrait être qualifié
« d’entre-deux ». Pour l’approche située, l’activité collective correspond à l’articulation entre
activité individuelle et activité collective (AC = AC ↔ AI).
Tout en mobilisant des concepts et des modèles théoriques distincts, ces trois points de
vue participent chacun à leur mesure à une meilleure compréhension des activités collectives
en situations de travail.
Figure 3.4 – Synthèse des points de vue sur l’activité collective
98
Cyril Bossard
Prolongement et implications pour l’étude de l’activité décisionnelle dans les sports collectifs
3.4
Prolongement et implications pour l’étude de
l’activité décisionnelle dans les sports collectifs
Les différentes études sur les situations de travail en équipe montrent une évolution
des préoccupations guidée par la nécessité d’une compréhension fine de l’activité collective
réellement mise en œuvre. Dans les sports collectifs, les actions effectuées par les joueurs de
l’équipe doivent également être coordonnées pour être efficaces. En ce sens, la coordination
des actions constitue un objet d’étude commun aux situations de travail et aux situations
sportives collectives. Nous présenterons, dans cette dernière partie, les quelques études qui se
sont précisément penchées sur cet objet.
L’activité collective dans les sports d’équipe a été abordée à l’aune des trois grands points
de vue que nous avons présentés pour les situations de travail. Notons cependant que cet objet
est encore très récent dans le domaine sportif et qu’il repose sur peu d’études empiriques. Plus
P
précisément, le premier point de vue (TNDM ; AC =
des AI) n’a pour l’instant fait l’objet
que d’un questionnement théorique et méthodologique (Eccles et Tenenbaum, 2004; Fiore
et Salas, 2006; Ward et Eccles, 2006). Les principales limites de son application aux sports
collectifs ont été abordées dans ce manuscrit (voir 3.1.3, p 85). Nous présenterons une étude
effectuée avec des joueurs de rugby qui fait référence à la notion de connaissances partagées
et que l’on peut rapprocher de ce premier point de vue sur l’étude de l’activité collective
(Mouchet et Bouthier, 2006). Bien que le second point de vue qualifié de « collectiviste » (AC
= AC) ait été interrogé au regard des sports collectifs (McGarry et al., 2002), il n’a pas non
plus été mobilisée à notre connaissance dans l’étude de joueurs de sports collectifs. Enfin,
le troisième point de vue (AC = AC ↔ AI) est celui qui a été le plus exploité dans le
domaine sportif à partir du cadre théorique et méthodologique du cours d’action (Saury
et Testevuide, 2004; Poizat et al., 2006; Bourbousson et al., 2008). Nous en présentons les
principaux résultats.
3.4.1
Les MMP ou connaissances partagées dans les sports
collectifs
Mouchet et Bouthier (2006) ont analysé la subjectivité des décisions tactiques des joueurs
de rugby en situation compétitive. L’originalité de cette recherche réside dans la volonté
d’étudier l’activité collective à travers l’étude de l’activité des différents joueurs d’une
même équipe. Un métissage intéressant de méthodes est exploité : un entretien semidirectif et un bref rappel stimulé face à la vidéo suivi d’un entretien d’explicitation. Des
entretiens semi-directifs ont permis de recueillir des données sur les conceptions du jeu des
joueurs membres d’une même équipe, dévoilant ainsi les stratégies collectives, ou encore les
connaissances sur le fonctionnement de l’équipe. Cette première étape a permis d’extraire
Cyril Bossard
99
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
les connaissances générales des joueurs en dehors de l’action. À la suite, les entretiens
d’explicitation face à la vidéo ont permis d’évaluer le vécu subjectif des différents joueurs
en situation compétitive réelle. Cette seconde étape a donné l’occasion de mesurer l’impact
des connaissances générales partagées sur l’activité individuelle réelle.
Les résultats de cette étude contextualisée permettent de décrire une activité
décisionnelle à la fois complexe, singulière, et subjective. La décision reposerait sur l’activation d’une structure d’arrière plan en partie commune. Les joueurs envisagent une possibilité
d’action englobante, ouverte à partir de la mobilisation de savoirs partagés (ou référentiel
commun). Cet arrière plan est constitué de connaissances relatives au projet de jeu, aux
stratégies ainsi que des objectifs communs et des croyances collectives. Ensuite, c’est la combinaison, le couplage entre des indices significatifs construits en situation, et la mobilisation
de cet arrière-plan (savoirs communs) qui contribuent à l’émergence des repères communs
nécessaires à la coordination des décisions individuelles. Autrement dit, l’auteur montre
que l’activité décisionnelle individuelle s’explique également par la mobilisation de savoirs
partagés au sein de l’équipe. De plus, ces savoirs partagés sont en permanence reconstruits
en situation.
Ces travaux confortent l’idée selon laquelle, en sports collectifs, l’activité décisionnelle
des experts reposerait sur des connaissances communes ou partagées qui sont dynamiques,
co-construites en situation. À l’instar de Mouchet et Bouthier (2006) nous retiendrons ici
qu’il n’y a pas de contradiction essentielle entre une élaboration préalable et conjointe de
repères communs et leurs reconstructions fugaces, éphémères et circonstanciées en situation.
3.4.2
Des formes typiques d’articulation des activités individuelles en sport duel ou collectif
Le paradigme de la cognition située propose d’étudier l’activité collective à partir de
l’articulation entre l’activité collective et l’activité individuelle. Trois études témoignent de
ce point de vue sur l’activité collective dans le domaine sportif. Saury et Testevuide (2004)
ont analysé l’articulation dynamique d’activités individuelles au sein d’un équipage de voile.
Poizat et al. (2006) ont étudié l’activité du pongiste visant à influencer les perceptions
de son adversaire. Bourbousson et al. (2008) ont caractérisé les modes de coordination
interpersonnelle d’une équipe de basket-ball. Ces études recueillent des données à partir
d’observations de type ethnographique, d’enregistrement vidéo lors de situations compétitives
et des données de verbalisation lors d’un entretien d’autoconfrontation a posteriori. L’analyse
des données est effectuée ensuite à partir du cadre d’analyse sémiologique du cours d’action.
Dans la première étude (Saury et Testevuide, 2004), les résultats montrent qu’il existe
deux formes typiques d’articulation des activités individuelles dans un duo en voile. La
première est caractérisée par des attentes convergentes des partenaires, et la seconde est
100
Cyril Bossard
Prolongement et implications pour l’étude de l’activité décisionnelle dans les sports collectifs
caractérisée par des moments de divergences entre les attentes respectives des partenaires.
Ces deux formes de collaboration sont respectivement liées à des contextes, à des moments de « fonctionnement optimal » et à des moments de « dysfonctionnement ». Ces modes
de coordinations n’étaient pas prédéfinis à l’avance en fonction des rôles et des actions de
chacun des partenaires. La coordination des actions du duo émerge à partir d’informations
contextuelles.
La deuxième étude réalisée en tennis de table (Poizat et al., 2006) montre que les pongistes consacrent une part de leur activité, lors des matchs, à tenter d’influencer les jugements
de l’adversaire. Cette recherche d’influence est « circonstancielle » c’est-à-dire qu’elle dépend
du contexte, i.e. de la situation vécue. La recherche d’influence sur l’adversaire est particulièrement exacerbée à trois moments : quand la situation est perçue comme importante ;
quand l’adversaire est en confiance ; quand le pongiste se sent en difficulté. Cette activité
s’exprime principalement à travers des communications pouvant être des coups techniques et
des comportements non directement liés au jeu (stratégies d’intimidation, exagération). La
recherche d’influence s’actualise également en fonction de l’adversaire, de son vécu émotionnel
et sa perception du rapport de force. La coordination des activités individuelles résulte ainsi
d’un processus de co-construction entre les acteurs durant la situation compétitive.
La troisième étude recensée nous semble particulièrement intéressante pour notre propre
travail. L’analyse de l’activité en situation collective est effectuée à partir de l’étude de
l’articulation de l’activité des partenaires d’une équipe de basket-ball. Bourbousson et al.
(2008) ont examiné la manière dont les joueurs prennent mutuellement en compte leurs
activités respectives.
En accord avec le cadre méthodologique du cours d’action, les joueurs participent à un
entretien d’autoconfrontation individuel. Le recueil des données s’effectue donc à partir des
activités individuelles de l’ensemble des membres de l’équipe impliqués dans une situation
collective (un match de basket-ball). L’analyse des données est scindée en deux moments.
Dans un premier temps, les données sont analysées au regard de la méthode de découpage et
de documentation « classique » du cours d’action. Cependant, afin d’analyser les données
en prenant en compte les interactions entre les joueurs, la particularité de la démarche
consiste à synchroniser les activités de chacun des membres dans le décours temporel de
la situation. Dans un second temps de l’analyse, cet agencement des activités individuelles
permet d’identifier, à partir du contenu des verbalisations, le ou les partenaires pris en compte
à chaque instant du cours de l’activité (i.e. le contenu faisant référence à autrui). Les auteurs
identifient ainsi le réseau de relations de l’équipe, c’est-à-dire les inter-influences entre tous les
membres de l’équipe à chaque instant. Ensuite, pour chaque joueur, le nombre de partenaires
évoqués est comptabilisé pour révéler « le degré de connectivité » allant de 0 à 4. Ce chiffre
Cyril Bossard
101
Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective
permet d’identifier les situations typiques correspondantes. Enfin, pour chaque joueur, le
nombre d’interactions ou d’absence d’interaction avec chacun de ses partenaires est calculé.
Les résultats montrent que l’activité collective de l’équipe de basket-ball repose principalement sur l’articulation de « coordinations dyadiques ». Ces coordinations peuvent
être directes (interactions entre deux personnes qui se prennent en compte pour agir) ou
indirectes (deux joueurs prennent en compte l’activité du troisième). Concernant les coordinations directes, l’étude révèle deux modes de coordination : soit l’influence des joueurs est
mutuelle, soit l’influence des joueurs est unidirectionnelle. Sur la base de ces coordinations
entre deux joueurs, les auteurs identifient de façon holistique 4 formes globales de coordination pour l’équipe : par juxtaposition d’une coordination locale avec une ou plusieurs activités
individuelles, par imbrication en chaı̂ne, par juxtaposition de deux coordinations locales et
par juxtaposition de cinq activités individuelles.
Pour les auteurs, l’activité collective est caractérisée par des ajustements locaux (coordinations entre deux joueurs) qui se constituent dans et par l’action. Les coordinations
d’actions sont particulièrement évolutives, elles se font et se défont en permanence au gré des
circonstances locales. Ces résultats remettent ainsi en cause la prégnance d’un plan collectif
partagé et préétabli qui permettrait de fédérer les activités individuelles.
Cette étude offre des perspectives intéressantes pour étudier la dimension collective
de la décision tactique dans les contextes complexes, dynamiques, et fluctuants des sports
collectifs. Comme l’expliquent les auteurs, cette étude « reste essentiellement descriptive et
peu explicative » (p 35) (Bourbousson et al., 2008). Deux pistes de travail sont évoquées
pour affiner la compréhension de l’activité collective. La première renvoie au niveau de
partage des interprétations faites par les joueurs en situation, c’est-à-dire les informations
qui sont effectivement partagées au moment où émerge une forme de coordination collective
particulière (qu’est-ce qui est partagé ? avec qui ? quand ?). La seconde piste de réflexion
concerne l’identification des éléments contextuels déterminants pour orienter la forme de
coordination adaptée pour l’équipe (les partenaires ?, les adversaires ?).
102
Cyril Bossard
L’activité décisionnelle en SiDyColl
A l’issue de ce développement théorique (Chapitre 1, Chapitre 2, Chapitre 3), nous
souhaitons rappeler la particularité de notre travail de recherche. Nous revenons dans un
premier temps sur les objectifs assignés à notre travail et la problématique qui nous anime.
Enfin, nous aboutissons à la formulation de nos hypothèses de recherche relatives à l’analyse de
l’activité décisonnelle dans une situation dynamique collaborative typique : la contre-attaque
au football.
Objectifs
L’objectif général de cette thèse est de contribuer à la compréhension de l’activité
décisionnelle en situation dynamique collaborative. Il s’agit de comprendre un phénomène
complexe que nous analyserons dans sa globalité, en tenant compte de son caractère évolutif.
Réalisé dans une perspective ergonomique, ce travail implique un double objectif : 1) une
description et une tentative d’explication du phénomène étudié ; 2) une proposition de
transformation du réel (par l’aide à la conception d’un environnement virtuel).
Dans un premier temps, notre travail de thèse vise la production de connaissances
dans le champ des Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives,
et dans le champ de l’Ergonomie cognitive. L’analyse de l’activité collective permet
d’étudier ce qui est significatif du point de vue des acteurs engagés dans la situation d’étude
(Loiselet et Hoc, 2001). Le niveau d’analyse choisi est local, contextualisé, « tactique » pour
reprendre une terminologie sportive. Il ne prétend pas rendre compte de l’ensemble des
niveaux d’organisation de l’activité collective (par exemple : il ne décrit pas les processus
de planification, mobilisés en amont et en aval de la situation étudiée, par exemple lors
du débriefing par l’entraı̂neur, et que l’on pourrait qualifier de niveau stratégique). Plus
modestement, notre objectif consiste à proposer une description symbolique acceptable
Cyril Bossard
103
L’activité décisionnelle en SiDyColl
(Varela, 1989) de la dynamique du couplage structurel des joueurs entre eux et avec le
contexte. La description de l’activité des experts en sports collectifs participe à la production
de connaissances sur une situation typique essentielle pour la performance : la contre-attaque
(STAPS). Cette description abstraite de l’activité des individus doit également permettre
d’expliquer et de produire des inférences sur les structures et les processus perceptifs et
cognitifs mobilisés en situation dynamique collaborative (Ergonomie cognitive).
Sur la base de cette analyse de l’activité collective en situation dynamique et collaborative, notre second objectif vise à proposer des pistes de réflexion pour la transformation
du réel par l’aide à la conception d’un dispositif de formation (Lipshitz et al., 2001). L’originalité de cette démarche de type ergonomique est quelle est tournée vers la conception
d’un environnement virtuel pour l’apprentissage humain. Notre travail se déroule alors selon
une démarche en quatre étapes : analyse empirique de l’activité humaine, modélisation de
l’activité humaine, conception d’un environnement virtuel, simulation et évaluation.
Problématique
L’examen de la littérature en psychologie du sport montre que l’activité décisionnelle
en sports collectifs a surtout été abordée au regard de variables perceptives ou cognitives,
étudiées de façon isolées et dans des conditions standardisées. Les études recensées en sports
collectifs (voir Chapitre 1, p 29) se sont principalement centrées sur l’individu, relayant en
second plan la dimension collective de l’activité.
Or, si l’on souhaite considérer l’activité humaine dans sa complexité (i.e. point de vue
épistémologique privilégié au laboratoire), la décision tactique en sports collectifs doit être
abordée d’une part comme une articulation de variables, d’autre part comme particulièrement
dépendante des contraintes contextuelles (pression temporelle, multiplicité des informations,
fluctuation ou évolution rapide de la situation). Parmi les contraintes contextuelles, la
dimension collective de l’activité ne peut être négligée. Au contraire, si par hypothèse la
décision tactique en situation collective ne se réduit pas à la juxtaposition ou à la succession
de décisions individuelles (i.e. définition de l’activité collective d’après Salas et al. (2006)),
les coordinations entre individus (partenaires, adversaires) doivent pouvoir être choisies
comme un objet d’étude privilégié.
La diversité des approches théoriques, des méthodes, et des points de vue recensés (Chapitre 3), témoignent des problèmes posés par l’analyse de l’activité collective, qui constitue
un objet d’étude encore récent en psychologie ou en ergonomie cognitive. L’activité collective
(au travail, en sport) peut se décrire soit à partir de l’étude de l’activité individuelle (et
des éléments identifiés comme communs entre chaque individu), soit à partir de l’étude de
l’activité du groupe conçu comme un système (le comportement du système, les communications au sein du groupe), soit à partir de l’étude de l’articulation entre l’activité des
104
Cyril Bossard
L’activité décisionnelle en SiDyColl
individus et l’activité de l’équipe (interactions, influences entre les individus, et formes
typiques de coordination). De plus, et quel que soit le point de vue adopté pour étudier
l’activité collective, ce qui est prioritaire pour expliquer l’enchaı̂nement des actions au sein
d’une équipe fait particulièrement débat. Les coordinations entre les membres de l’équipe
peuvent s’expliquer soit par des éléments cognitifs identifiés chez les différents joueurs engagés dans une même action (notion de buts ou de connaissances partagées), soit par
des éléments contextuels perçus, considérés comme significatifs par ces joueurs (notion de
contexte partagé).
Pour contribuer à apporter des réponses à ce problème complexe, nous avons progressivement adopté le cadre conceptuel de la « Naturalistic Decision Making » (NDM). Habituellement exploité dans les situations de travail individuelles et collectives, il s’intéresse au
couplage entre les ressources du sujet (perceptives et cognitives) et les contraintes
contextuelles. La décision est considérée comme un processus contextualisé, encapsulé dans
la situation. La complexité de l’activité décisionnelle et plus particulièrement sa dimension
collective, a déjà été abordée au travers de l’étude des coordinations d’actions entre les
membres d’une équipe. Pour nous, comprendre l’implication des membres de l’équipe
dans l’activité décisionnelle en sports collectifs revient à comprendre comment les joueurs
collaborent et parviennent à articuler leurs activités face aux contraintes contextuelles, afin
de réaliser une performance optimale.
L’intérêt des chercheurs pour ce processus de coordination se retrouve dans la littérature
récente portant sur l’analyse de l’activité collective en situation de travail (Lim et Klein, 2006;
Salembier et Zouinar, 2006; Cooke et al., 2007). Par notre analyse de la littérature nous avons
souhaité montrer l’intérêt de décrire l’articulation de l’activité des individus et de l’équipe, à
partir du « jeu des influences » en cours d’action (AC = AC ↔ AI).
Cette analyse de l’activité en situation dynamique collaborative nécessitera donc l’étude
de l’activité individuelle, comme un préalable à l’étude de l’activité collective. Ce
positionnement théorique nous conduira à étudier d’une part l’activité des
individus, pour mettre à jour les schémas typiques activés en cours d’action
(Chapitre 4, p 107), d’autre part l’articulation de l’activité de ces individus,
pour identifier des formes typiques, des régularités qui apparaı̂traient dans le
jeu des influences entre partenaires (Chapitre 5, p 149). Pour expliquer ces formes
typiques d’articulation, nous chercherons aussi à répondre à la question, centrale dans la
littérature, relative à ce qui est partagé entre les membres d’une équipe. Nous souhaitons
identifier les éléments partagés en cours d’action par les joueurs d’une même équipe qu’ils
soient de l’ordre des connaissances ou des informations contextuelles.
Cyril Bossard
105
L’activité décisionnelle en SiDyColl
Des hypothèses pour l’analyse de l’activité décisionnelle en
situation dynamique collaborative
À l’aune du cadre théorique de la NDM, nous postulons dans un premier temps que
l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative se caractérise par l’activation de
schémas typiques au cours de l’action. Un schéma permet de donner du sens à la situation
vécue et de prendre des décisions tactiques contextualisées. Les deux premières hypothèses
que nous avons formulées peuvent s’appliquer à l’ensemble des activités humaines complexes
en situation dynamique, notamment les situations de travail dites « critiques » (Lipshitz et al.,
2001).
D’une part, nous faisons l’hypothèse que l’activité décisionnelle peut être exprimée du
point de vue du sujet à partir des informations qu’il considère significatives (Flach, 1995) ;
ces éléments expriment à un moment et dans un lieu, « la conscience de la situation », i.e. la
situation vécue par le sujet. L’activité du sujet en situation dynamique peut alors se décrire
de façon diachronique à partir d’une succession de situations vécues lors du déroulement
(au cours) de son expérience. D’autre part, ces différentes situations vécues par le sujet
en situation dynamique collaborative sont la manifestation de différents schémas typiques
activés par le contexte. Le concept de schéma désigne un réseau, une forme d’organisation
des informations en MLT issues des expériences (Piegorsch et al., 2006). Ces informations
peuvent être regroupées pour l’ensemble des sujets selon 5 catégories théoriques : action,
résultat, information contextuelle et connaissance (indices pertinents) et but (Klein, 1997).
Du point de vue de l’analyse collective, nous chercherons à identifier des formes typiques
d’articulation des activités individuelles, à partir de la description du jeu des influences entre
partenaires. Plus précisément, les influences entre deux partenaires pourront être mutuelles
ou unidirectionnelles (Bourbousson et al., 2008). La seconde hypothèse relative à l’activité
collective est plus explicative. Les formes typiques d’articulations des activités en situation
dynamique collaborative s’expliquent par le partage d’informations entre partenaires. Cette
seconde hypothèse générale se décline en deux hypothèses spécifiques.
La singularité des activités individuelles met en doute un partage total des informations
entre partenaires (Mouchet et Bouthier, 2006; Mundutéguy et Darses, 2007). Nous supposons
alors que les formes typiques d’articulation s’expliquent également par le niveau de partage
des informations au sein d’une équipe. Des travaux récents ont pointé le manque d’études
sur le contenu de ce qui est partagé entre les membres d’un collectif (Salembier et
Zouinar, 2006; Bourbousson et al., 2008). Nous postulons que la description du contenu
des informations partagées entre les membres de l’équipe permet d’expliquer les conditions
d’émergence des formes typiques de coordination. Répondre à la question du contenu de ce
qui est partagé contribuera alors à discuter du rôle respectif des connaissances et du contexte
dans les activités collectives.
106
Cyril Bossard
Chapitre 4
Étude de l’activité décisionnelle
individuelle
Les schémas typiques et ses constituants
Résumé – Ce chapitre présente une première étude de l’activité décisionnelle en
situation dynamique et collaborative. En référence au cadre théorique de la NDM, le modèle
RPD (Klein, 1997), le concept de Consience de la Situation et le concept de schéma sont
mis à l’épreuve d’une situation de contre-attaque au football. Des données comportementales
sont enregistrées auprès de 12 joueurs de football de niveau national (catégorie 16 ans)
et complétées par des données verbales recueillies lors d’un entretien d’autoconfrontation.
L’analyse de l’activité décisionnelle permet de décrire l’activation et les enchaı̂nements
préférentiels (scripts) de 16 schémas typiques chez des experts en situation de forte contrainte
temporelle. Ces schémas constituent des structures d’arrière-plans types qui articulent des
variables perceptives et cognitives et permettent la reconnaissance rapide d’une situation. Ce
fonctionnement économique apparaı̂t nécessaire pour prendre des décisions tactiques dans un
contexte dynamique (sous pression temporelle, fluctuant et incertain). Ces résultats éclairent
en partie la complexité de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative, et nous
invitent à interroger plus précisément le rôle des partenaires comme un élément privilégié du
contexte.
Cyril Bossard
107
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
Introduction
Au cours de notre revue de question (Chapitre 1, p 29) nous avons rappelé les variables
cognitives et perceptives habituellement convoquées pour caractériser la décision tactique en
sports collectifs. Les résultats ont contribué à expliquer la supériorité de l’expert. Ces derniers
disposent d’un nombre important de connaissances spécifiques liées à leur domaine. Une
organisation rationnelle en réseau sémantique de ces connaissances en MLT permet d’assurer,
en partie, la pertinence de la décision tactique quand la pression temporelle est faible. La
double modalité de fonctionnement mnémonique des individus (activation indirecte délibérée
vs activation directe automatique) apporte des réponses sur la capacité des joueurs experts
à répondre rapidement en sports collectifs. La rapidité nécessaire à la décision tactique (i.e.
au cours de l’action et sous pression temporelle pour notre objet d’étude) est aussi favorisée
par une habileté perceptive accrue : les experts sont capables de prélever et de traiter les
informations essentielles et pertinentes pour décider en sports collectifs.
L’ensemble de ces travaux concourt à la modélisation de l’expertise au regard de variables
(ici, perceptives et cognitives) identifiées, isolées et étudiées dans des conditions standardisées.
Les résultats montrent l’influence de ces variables sur la performance et/ou l’apprentissage
(stratégie anticipatoire, regroupement perceptif). D’un point de vue méthodologique, les
tâches expérimentales utilisées sont souvent éloignées des situations réelles de sports collectifs.
Les principes théoriques qui guident ces études considèrent l’activité du sujet de manière
morcelée, au regard de la composante étudiée (perceptive, cognitive, ou mnémonique), et non
dans sa globalité.
Une importante évolution en sciences humaines conduit aujourd’hui de nombreux chercheurs à appréhender l’activité humaine en cherchant à conserver sa complexité. Plus particulièrement, l’approche NDM propose d’analyser l’activité décisionnelle en situation dynamique à travers l’étude du couplage sujet-situation. Cette approche considère la prise de
décision comme un processus encapsulé dans la situation. Au cours du chapitre consacré à ce
cadre théorique et méthodologique (Chapitre 2, p 53), nous avons relevé plusieurs modèles
et concepts qui nous semblent particulièrement heuristiques pour appréhender notre objet
d’étude : « le modèle RPD, le modèle Situation Awareness, et le concept de schéma ».
Le projet de ce chapitre est de contribuer à la validation empirique de cette approche
dans le cadre des sports collectifs, et par sa mise à l’épreuve face à l’exigence d’une des
situations dynamiques et collaboratives typiques des sports collectifs : la contre-attaque en
football.
108
Cyril Bossard
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
Objectifs
L’objectif principal de cette première étude est de proposer une analyse de l’activité
de joueurs experts en situation de contre-attaque au football. Rappelons que dans notre
démarche de recherche, l’analyse et la modélisation de l’activité individuelle de l’expert
constitue conjointement : 1) un préalable à l’analyse de l’activité collaborative et 2) un
pré-requis nécessaire au développement d’un outil, d’un environnement virtuel simulant des
situations de jeu au football.
Pour notre part, l’analyse de l’activité part de ce qui est significatif du point de vue
de l’acteur engagé dans la situation (Zsambok et Klein, 1997). Ainsi, le niveau d’analyse
choisi est local, contextualisé, « tactique » pour reprendre la terminologie sportive. En outre,
il ne prétend pas rendre compte de l’ensemble des niveaux d’organisation de l’activité
(par exemple, il ne décrit pas les processus de contrôle moteur ou de pré-planification de
l’activité : décision stratégique). Notre objectif consiste à proposer une description symbolique
acceptable (Varela, 1989) de la dynamique du couplage structurel du joueur avec la situation.
Plus particulièrement, nous souhaitons rendre compte à la fois de la dimension diachronique et
synchronique des décisions tactiques engagées par les joueurs experts en situation de contreattaque.
Problématique et Hypothèses
Le positionnement théorique de la NDM nous conduit à étudier l’activité décisonnelle en
prenant en compte sa complexité. La décision tactique en sports collectifs sera abordée de
façon holistique comme le résultat d’une articulation de variables cognitives et perceptives.
Plus précisément, l’étude du couplage entre le sujet et le contexte, devrait nous permettre
d’identifier une succession de situations vécues (« situation awareness ») au cours de l’action
par les joueurs. Par hypothèse, l’activité de chaque individu, les différentes situations vécues
permettront d’identifier des structures cognitives d’arrière-plan types, i.e. des schémas
typiques. Un schéma donne du sens à la situation vécue et permet de prendre des décisions
tactiques contextualisées.
En référence au cadre théorique de la NDM, quatre hypothèses peuvent être formulées.
Les deux premières s’appliquent à l’ensemble des activités humaines complexes en situation
dynamique, notamment les situations de travail dites « critiques » (Lipshitz et al., 2001). Les
deux suivantes sont plus liées à l’analyse de l’activité décisionnelle en situations de contreattaque au football.
Notre première hypothèse concerne l’activité décisionnelle en situation dynamique. Nous
postulons que celle-ci peut être exprimée du point de vue du sujet à partir des informations
qu’il considère significatives. La « conscience de la situation » désigne une enveloppe spatio-
Cyril Bossard
109
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
temporelle qui permet d’analyser l’activité décisionnelle du sujet. L’ensemble des informations
« enfermées » dans cette enveloppe renvoie à un état du couplage cognitif entre le sujet et
la situation (Flach, 1995). Ces informations significatives expriment ainsi la situation telle
quelle est vécue par le sujet. L’activité du sujet en situation dynamique peut alors se décrire
de façon diachronique à partir d’une succession de situations vécues en cours d’action.
Ces différentes situations vécues correspondraient à la manifestation de différents
schémas activés par le contexte (Hypothèse 2). Le schéma représente l’ensemble des informations significatives enfermées dans la situation vécue et se décrit comme un package cognitif
comportant des actions, des résultats, des informations contextuelles, des connaissances et des buts (Klein, 1997).
En situation de contre-attaque au football, l’expertise des joueurs devrait entrainer
une forte homogénéité des schémas activés (Hypothèse 3). Cette homogénéité s’exprime à
travers des similitudes dans les situations vécues, dans les informations significatives prises
en compte et dans les décisions tactiques adoptées. Dès lors, la récurrence et l’homogénéité
des informations significatives relevées pour l’ensemble des sujets devraient permettre de
proposer une description synchronique des « schémas typiques » activés lors de situations
de contre-attaque en football par des sujets experts.
De façon complémentaire, le déroulement ou la prise en compte de l’évolution dynamique du contexte devrait permettre une description diachronique des schémas typiques activés (Hypothèse 4). Nous entendons par description diachronique l’identification des « enchaı̂nements préférentiels » (scénarii typiques) chez des experts en situation de
contre-attaque.
Nous chercherons à valider nos hypothèses dans le cadre d’un protocole de recherche
précis. Dans la partie suivante, nous présentons la méthode mobilisée pour l’étude de
l’activité décisonnelle individuelle en situation dynamique collaborative. Dans un souci de
concrétisation de nos propos, nous illustrerons la présentation de la méthode par des exemples
précis de données et de résultats.
4.1
4.1.1
Méthode
Participants
L’étude a été menée en collaboration avec 12 joueurs de football volontaires, de niveau
national pour leur catégorie (16 ans), appartenant au centre de formation du club de football
Stade Brestois 29. Le groupe a été choisi sur indications du responsable du centre de
formation : il est constitué pour moitié de joueurs à vocation offensive, et pour moitié de
joueurs à vocation défensive (Cf. postes habituels dans Tableau 4.1).
110
Cyril Bossard
Méthode
Sujet
Age
Gautier
Bastien
Gaétan
Charles
Jordan
Kevin
Flavien
Benoı̂t
Michel
Benjamin
Thibault
Paul
16
16
16
16
16
16
15
16
16
15
16
16
Nombre
d’années
de pratique
du football
11
9
11
10
11
11
8
8
10
10
11
11
Nombre
d’années
dans le
club
5
2
5
2
2
3
3
1
1
2
6
5
Nombre
d’années
dans la
catégorie
2
2
2
2
2
2
2
2
2
1
2
2
Poste(s)
habituel(s)
DD
MC
MC
DG
DD
MC Df-Of
AC-MD
MG Of-A
MD
DC
DC
DC
Equipe
rouge
jaune
violette
verte
D (défenseur), M (milieu), A (attaquant), Df (défensif), D (droit), G (gauche), C (centre), Of (offensif).
Tableau 4.1 – Caractéristiques générales des participants.
La moyenne d’âge des joueurs sélectionnés est de 15,8 ans (écart type : 0,38). La moyenne
des années de pratique du football atteint les 10 ans respectant ainsi les préconisations de
Ericsson (2005) pour des études sur l’expertise. Un contrat moral concernant leur anonymat
a été passé dans le cadre de cette étude (Cf. Demande d’autorisation et Formulaire de
consentement en annexe A, p 260). Afin de garantir cette relative confidentialité, les joueurs
sont nommés à l’aide d’un pseudonyme : Gautier, Bastien, Gaétan, Charles, Jordan, Kevin,
Flavien, Benoı̂t, Michel, Benjamin, Paul, Thibault.
La composition des triplettes a été réalisée par l’entraı̂neur de l’équipe. Ce dernier les
a organisées en cherchant à réunir des joueurs habitués à évoluer régulièrement ensemble
(entraı̂nements et matchs).
4.1.2
Contexte de l’étude
Notre étude a été réalisée dans le contexte d’un entraı̂nement hebdomadaire (le mardi)
de fin de saison (juin) et à un horaire habituel pour les joueurs (17h-19h). Les joueurs de
ce groupe d’entraı̂nement ne connaissaient pas encore leur avenir au sein de la structure.
La décision de poursuivre ou non dans le club avait lieu le lendemain de l’entraı̂nement.
L’entraı̂neur a rappelé cette information aux joueurs avant la séance afin que les joueurs
s’impliquent sérieusement dans les situations proposées.
Le choix d’un entraı̂nement de football comme contexte d’étude est intéressant pour
modéliser l’activité décisionnelle dans la mesure où nous considérerons l’activité cognitive
Cyril Bossard
111
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
comme :
• Incarnée : en football, comme dans de nombreuses situations sportives, l’activité cognitive est indissociable de l’action, et l’objectif est de mobiliser des « compétences en
actes » plus que des connaissances.
• Partagée, significative culturellement, car le football véhicule un système complexe de
règles (sportives) et de normes (équipe, club).
• Imprégnée d’émotions : car agir dans un contexte de visibilité sociale, de compétition,
et de production de performance induit une pression émotionnelle particulièrement
forte chez l’adolescent. De plus cette pression émotionnelle peut également être affectée par la dynamique de groupe (affinités, rivalités, etc.).
• Sociale et interactive car elle prend place dans un monde où existent d’autres acteurs.
L’ensemble des joueurs participent à cette activité. L’activité n’est pas seulement
individuelle, elle est aussi sociale, collective.
Dans ce contexte d’entraı̂nement, nous avons étudié l’activité des sujets dans une
situation favorisant l’émergence de contre-attaque (Figure 4.1). La situation d’étude que
nous avons proposée doit être considérée comme une situation d’étude privilégiée (Grison
et al., 2000). Cette situation possède l’avantage d’être reconduite à plusieurs reprises afin de
consolider le recueil de données.
Le choix de la situation d’étude favorisant les contre-attaques s’est construit en collaboration avec l’entraı̂neur. Elle a été testée 2 fois par un groupe et un entraı̂neur différent.
Cette exploration a permis de questionner des pratiquants et des entraı̂neurs sur la crédibilité
de la situation au regard des contre-attaques vécues lors de compétitions. Des allers-retours
entre pratiquants, entraı̂neurs, et chercheurs ont permis d’affiner les consignes à donner aux
participants, ou encore d’ajuster certaines caractéristiques de la situation (distance des plots,
taille des zones, règles supplémentaires). Par exemple, nous avions imaginé uniquement une
zone centrale comme point de départ des contre-attaques. Or les entraı̂neurs ont tous insisté
sur le fait que les contre-attaques se déclenchent également à partir d’une récupération sur
l’un ou l’autre des côtés. Dès lors, nous avons varié la zone de départ de la situation (droite,
gauche et centre). Ensuite, les entraı̂neurs ont également insisté sur la nécessité de mettre en
place des conditions qui permettent aux joueurs d’organiser la récupération du ballon puis
de contre-attaquer. Ainsi, les joueurs impliqués dans la contre-attaque sont d’abord placés
dans un rôle défensif. Au départ de la situation d’étude, c’est l’équipe adverse qui dispose du
ballon. Finalement, les triplettes de joueurs ont toutes effectué 5 passages dans la situation
d’étude.
112
Cyril Bossard
Méthode
À la suite de Rogalski (2003), il est possible de considérer ce contexte d’entraı̂nement
et cette situation d’étude privilégiée comme un environnement fluctuant et incertain, donc
dynamique (Hoc, 2001).
Figure 4.1 – Modélisation 3D de la situation d’étude favorisant les contre-attaques
4.1.3
Recueil des données
La procédure de recueil des données est inspirée des méthodes présentées dans le chapitre
2 (CDM). Deux types de données sont recueillis : des données d’observation relatives à
l’activité des joueurs en situations de contre-attaque et des verbalisations provoquées lors
d’un entretien d’autoconfrontation consécutif à la séance d’entraı̂nement.
Les données d’observation sont recueillies grâce à l’enregistrement audiovisuel des
comportements lors des 5 répétitions de la situation d’étude pour chaque triplette. Les
situations sont filmées à l’aide d’une caméra vidéo numérique placée à hauteur d’homme
dans le rond central. Nous optons pour un plan fixe, large, cadrant le 1/2 terrain où se
déroule la situation d’étude privilégiée. Ce dispositif permet d’enregistrer en continu les
actions de l’ensemble des joueurs s’affrontant au cours d’une situation de contre-attaque.
Le positionnement et l’angle de vue se rapprochent de la vision des joueurs pour faciliter
l’entretien d’autoconfrontation.
Les données de verbalisation sont recueillies au cours d’entretiens d’autoconfrontation
menés a posteriori. Cette forme d’entretien consiste à confronter un acteur aux traces
audiovisuelles d’une période de son activité (Von Cranach et Harré, 1982; Theureau, 1992),
présentées pour favoriser le rappel des informations effectivement mobilisées lors des situations
choisies pour l’étude (Figure 4.2). Le chercheur tente de placer l’acteur dans une posture et
un état mental favorables à l’explicitation de son activité grâce à des relances portant sur les
Cyril Bossard
113
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
sensations (comment te sens-tu à ce moment ?), les perceptions (qu’est-ce que tu regardes ?),
les focalisations (à quoi fais-tu attention ?), les préoccupations (qu’est-ce que tu cherches à
faire ?), les émotions (qu’est-ce que tu ressens ?) et les pensées (qu’est-ce que tu penses ?).
Figure 4.2 – Entretien d’autoconfrontation
L’entretien d’autoconfrontation reprend certains principes de l’entretien d’explicitation
développé par Vermersch (1994) mais s’en distingue par deux points essentiels : (a) le rappel de
l’activité est facilité par des traces (des enregistrements audio-visuels bien souvent) et non par
une « mise en évocation » (Vermersch, 1994) ; (b) les relances de l’interviewer accompagnent,
et respectent la chronologie de l’activité ; elles insistent sur des descriptions spontanées de
l’acteur pour les préciser, mais ne visent pas à déconstruire pas à pas un moment particulier
de l’activité.
Les entretiens d’autoconfrontation ont eu lieu à la suite de la séance d’entraı̂nement
et le lendemain pour les 12 acteurs impliqués. Pour éviter d’éventuels biais, l’entraı̂neur a
accepté de ne pas commenter les situations avec les joueurs avant les entretiens. Lors de
ces entretiens, le chercheur et le joueur visionnent ensemble la cassette vidéo de la situation
d’étude (Figure 4.2). Le joueur est invité à décrire et à commenter son activité au cours des
séquences étudiées et choisies. Le joueur ou le chercheur peuvent arrêter le défilement de
la bande et revenir en arrière. Les relances portent essentiellement sur les actions qui sont
significatives (et par conséquent décrites et explicitées) par les joueurs au cours des situations
et sur des événements à propos desquels le chercheur souhaite obtenir des informations
complémentaires. Les entretiens sont intégralement enregistrés à l’aide d’un magnétophone.
114
Cyril Bossard
Analyse des données
Tous les entretiens sont réalisés par le même chercheur qui a déjà réalisé de tels
entretiens au cours de précédentes études. Le partage d’une culture sportive commune entre
le chercheur et les joueurs facilite la compréhension des propos des joueurs et évitent les
relances conduisant à un registre explicatif. Le fait que le chercheur ne soit pas impliqué dans
l’entraı̂nement et la sélection des athlètes favorise la sincérité des propos des athlètes. Ce type
d’entretien repose sur un véritable contrat de collaboration entre les joueurs, leur entraı̂neur
et le chercheur.
4.2
Analyse des données
Chaque film vidéo a été visionné de façon à répertorier les actions des protagonistes
engagés dans la situation d’étude privilégiée. Nous cherchons à rendre compte le plus
précisément possible des actions des joueurs d’une façon neutre, c’est-à-dire sans inférence
relative à leurs intentions. Le vocabulaire employé pour décrire les actions des joueurs reprend
pour partie les conventions du langage technique utilisé par les entraı̂neurs et les joueurs de
football. Les communications verbales des joueurs et du chercheur au cours des entretiens ont
été intégralement retranscrites.
L’analyse des données reprend des procédures présentées dans le chapitre 2. Compte
tenu que nous nous situons dans la continuité des travaux de Piegorsch et al. (2006), nous
opterons pour une catégorisation théorique pour coder les unités significatives en respectant
5 étapes1 :
1. la retranscription des données,
2. la sélection et l’identification des unités significatives,
3. le découpage du déroulement de l’activité en situations vécues,
4. le regroupement des situations vécues pour identifier des schémas typiques,
5. la validité de l’analyse.
4.2.1
La retranscription des données d’observation et d’autoconfrontation
L’ensemble des données recueillies a été préparé en vue des analyses de contenu
successives. Plus précisément, le thème général « activité décisionnelle » sert de guide pour
sélectionner les portions de discours et les comportements. Pour chaque sujet, des protocoles
1
L’intégralité de l’analyse des données de l’activité individuelle est disponible à l’adresse internet suivante :
http ://www.enib.fr/∼bossard/
Cyril Bossard
115
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
Volet 1
Situations
d’étude
Volet 2
Contexte objectif
Comportements observés
3ème passage
Triplette
violette
Au pressing, récupère la
balle, se retourne, lève la
tête, longue passe pour
Benoı̂t dans l’axe, continue
sa course sur le côté droit,
repique dans l’axe, récupère
le ballon, rentre dans la
surface, pique le ballon avec
extérieur du pied droit,
marque un but
Volet 3
Situations vécues
Verbalisations
Je récupère la balle, je lève la tête
et je regarde directement où sont
mes partenaires, je regarde les 2, je
conduis la balle et je la donne à
Benoı̂t comme il a libéré de l’espace
en embarquant le défenseur avec
lui, je lui mets la balle en
profondeur. Là, après je vais au
deuxième poteau, parce que j’ai vu
Flavien revenir dans ma zone au
centre, j’attends que Benoı̂t me
fasse la passe mais le défenseur qui
revient la touche du bout du pied,
je la récupère quand même, je me
mets dans la position de frapper, le
défenseur me tacle, je l’évite et je
mets une pichenette par-dessus le
gardien. Là j’ai vu que le gardien
s’avance vers moi et se couche, du
coup je pique la balle et ça rentre
Tableau 4.2 – Exemple de tableau à trois volets (Benoı̂t)
à trois volets ont été réalisés en respectant le décours temporel de la situation d’étude (Cf.
Tableau 4.2, p 116).
La première colonne référence la situation étudiée afin de faciliter l’analyse pour le
chercheur. Dans une deuxième colonne, le contexte objectif est décrit par le chercheur
au travers des changements de rôles du joueur et d’une description des événements. Elle
présente une description comportementale de l’activité du joueur à l’aide d’un verbe d’action
éventuellement suivi d’un complément (regarde vers un partenaire, court, s’arrête) et en
évitant toute interprétation. Dans une troisième colonne, les verbalisations obtenues lors
des autoconfrontations sont retranscrites. Cet aspect de la méthode se rapproche de la
méthodologie d’analyse de la NDM (Lipshitz et al., 2001) et de celle de l’analyse sémiologique
du cours d’action (Theureau, 2004), actuellement utilisée dans de nombreuses recherches dans
le domaine de l’enseignement (Guérin et al., 2005) et de l’entraı̂nement sportif (Sève et al.,
2002).
116
Cyril Bossard
Analyse des données
4.2.2
La sélection et le codage des unités significatives : les
éléments du schéma
A partir d’une présentation du protocole à trois volets, cette étape consiste en une
catégorisation théorique de données recueillies. Dans un premier temps nous sélectionnons les
données qui se rapportent à notre objet d’étude : l’activité décisionnelle. Nous utilisons ensuite
pour coder les unités significatives sélectionnées un système de catégories donné (Bardin,
1998), des catégories définies a priori à partir de notre cadre théorique (Chapitre 2, p 53).
4.2.2.1
Sélection des unités significatives
Il s’agit ici de découper les données brutes en unités significatives, c’est à dire certains
comportements, mots ou passages de l’entretien qui décrivent l’activité effective du joueur
en situation. Dans cette étude, on utilise une analyse thématique (Bardin, 1998), c’est-àdire que les unités significatives se dégagent du texte en fonction de l’objet d’étude (activité
décisionnelle) qui guide la lecture.
Nous utilisons successivement deux critères pour sélectionner les unités significatives au
cours de l’analyse de contenu :
• la verbalisation est compatible avec le comportement décrit en vis-à-vis dans le volet
1;
• la verbalisation désigne l’activité en relation directe avec la situation, c’est-à-dire
qu’elle renseigne sur ce que le sujet fait, perçoit, ressent, ou pense effectivement
dans la situation.
4.2.2.2
Codage des unités significatives
Dans un second temps, l’analyse du contenu se poursuit en référence aux hypothèses
théoriques. On utilise un système de codage en référence à l’approche théorique de la NDM
(Ross et al., 2006). Par hypothèse, la perception du contexte par un sujet à un moment donné
s’effectue au travers d’un schéma. Son discours, relatif à ses buts successifs, ses connaissances,
ses actions et à divers éléments du contexte perçu, doit permettre d’identifier par inférence
les structures cognitives actives, les schémas mobilisés, au cours de la situation étudiée.
Ici, à chaque unité significative on attribue un code (en lettre majuscule) qui renvoie aux
différents constituants du schéma : des buts (B), des actions (A), des connaissances (C), des
éléments contextuels perçus comme significatifs par le sujet (I), et des résultats ou attentes
de résultats (R) (Cf. Tableau 4.3, p 118).
La transcription des données selon les trois volets permet la confrontation entre le
Cyril Bossard
117
3ème passage
Triplette violette
Volet 2
Contexte objectif
Comportements observés
Volet 3
Situations vécues
Verbalisations
Sélection des U.S
Au pressing, récupère la
balle, se retourne, lève la tête,
longue passe pour Benoı̂t
dans l’axe, continue sa course
sur le côté droit, repique
dans l’axe, récupère le ballon,
rentre dans la surface, pique
le ballon avec extérieur du
pied droit, marque un but
Je récupère la balle, je lève la tête
et je regarde directement où sont
mes partenaires, je regarde les 2, je
conduis la balle et je la donne à
Benoı̂t comme il a libéré de l’espace
en embarquant le défenseur avec
lui, je lui mets la balle en
profondeur. Là, après je vais au
deuxième poteau, parce que j’ai vu
Flavien revenir dans ma zone au
centre, j’attends que Benoı̂t me
fasse la passe mais le défenseur qui
revient la touche du bout du pied,
je la récupère quand même, je me
mets dans la position de frapper, le
défenseur me tacle, je l’évite et je
mets une pichenette par-dessus le
gardien. Là j’ai vu que le gardien
s’avance vers moi et se couche, du
coup je pique la balle et ça rentre
Je récupère la balle (A), je lève la
tête (A) je regarde directement où
sont mes 2 partenaires (A), je
conduis la balle (A) je la donne à
Benoı̂t (A) il a libéré de l’espace en
embarquant le défenseur avec lui
(I), je lui mets la balle en
profondeur (A). je vais au
deuxième poteau (A), j’ai vu
Flavien revenir dans ma zone au
centre (I), j’attends que Benoı̂t me
fasse la passe (R) le défenseur qui
revient la touche du bout du pied
(I), je la récupère (R), je me mets
dans la position de frapper (A), le
défenseur me tacle (I), je l’évite
(A) je mets une pichenette
par-dessus le gardien (S), j’ai vu
que le gardien s’avance vers moi (I)
et se couche (I), je pique la balle
(S) ça rentre (R).
(B) But, (A) Action, (C) Connaissance, (I) Information contextuelle, (R) Résultat ou attente, (S) Spécification.
Cyril Bossard
Tableau 4.3 – Sélection des Unités Significatives (U.S)
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
118
Volet 1
Situations d’étude
Analyse des données
contexte objectif, les données comportementales et les données verbales, ce qui favorise la
vérification de la validité écologique des unités significatives sélectionnées.
4.2.3
Le découpage du déroulement de l’activité en situations
vécues
Le concept de « Situation Awareness » (Flach, 1995) constitue un cadre d’analyse
complémentaire. La conscience de la situation renvoie à la situation telle qu’elle est vécue par
l’acteur au travers des verbalisations rapportées et des comportements produits. D’un point
de vue théorique, la CS comprend à la fois l’état de perception immédiate de la situation et
la construction de cet état. Ici, nous découpons le flux de l’activité du sujet pour identifier et
distinguer les situations telles qu’elles ont été vécues. Nous utilisons un critère de fond (les
unités significatives) et un critère de forme (les mots de liaison) pour découper le déroulement
de l’activité en situations vécues successivement (Tableau 4.4, p 120).
4.2.3.1
Un critère de fond : les unités significatives
Par hypothèse, les différentes situations vécues par le sujet sont la manifestation d’un
couplage entre le contexte et les différents schémas activés. Chaque situation vécue constitue
en quelque sorte une « enveloppe » pour analyser l’évolution de l’activité des sujets. La
dynamique de l’activité se traduit par un processus d’ouverture et de fermeture de cette
enveloppe, ce qui nous permet de déceler un état initial et un état final à travers les
verbalisations et comportements du sujet. Par hypothèse, la préoccupation du sujet (le but
recherché) ou la première action entreprise constitue un indice de l’ouverture de la situation,
et le résultat ou l’attente de résultat pouvant indiquer sa clôture. Le codage initial des unités
significatives est donc essentiel pour effectuer le découpage de l’activité.
Le déroulement temporel de la situation sert de fil conducteur pour examiner l’activité
du sujet et identifier les ruptures, les changements de buts et les résultats délimitant chaque
situation vécue (CS). Les événements contextuels objectifs (récupération du ballon) et les
comportements du joueur (tire au but) sont également des indicateurs précieux.
4.2.3.2
Un critère de forme : les mots de liaison
Parfois, le sujet ne verbalise pas le but recherché ou le résultat attendu, ou le comportement produit ne permet pas d’inférer l’état initial et final. Dès lors, un critère de forme
complète l’analyse sémantique pour permettre le découpage des situations vécues par le chercheur. Au cœur du discours, certains mots (là, maintenant, après...) sont la manifestation de
ruptures dans le déroulement de l’action, et peuvent constituer des indices pour le passage à
une nouvelle situation.
Cyril Bossard
119
3ème passage
Triplette violette
Volet 2
Contexte objectif
Comportements observés
Au pressing, récupère la
balle, se retourne, lève la tête,
longue passe pour Benoı̂t
dans l’axe, continue sa course
sur le côté droit, repique
dans l’axe, récupère le ballon,
rentre dans la surface, pique
le ballon avec extérieur du
pied droit, marque un but
Volet 3
Situations vécues
Verbalisations
Je récupère la balle, je lève la
tête et je regarde directement où
sont mes partenaires, je regarde les
2, je conduis la balle et je la donne
à Benoı̂t comme il a libéré de
l’espace en embarquant le
défenseur avec lui, je lui mets la
balle en profondeur. Là, après je
vais au deuxième poteau, parce que
j’ai vu Flavien revenir dans ma
zone au centre, j’attends que
Benoı̂t me fasse la passe mais le
défenseur qui revient la touche du
bout du pied, je la récupère
quand même, je me mets dans la
position de frapper, le défenseur
me tacle, je l’évite et je mets une
pichenette par-dessus le gardien.
Là j’ai vu que le gardien s’avance
vers moi et se couche, du coup je
pique la balle et ça rentre
Découpage des situations
Je récupère la balle (A), je lève
la tête (A) je regarde directement
où sont mes 2 partenaires (A), je
conduis la balle (A) je la donne à
Benoı̂t (A) il a libéré de l’espace en
embarquant le défenseur avec lui
(I), je lui mets la balle en
profondeur (A)
je vais au deuxième poteau
(A), j’ai vu Flavien revenir dans
ma zone au centre (I), j’attends
que Benoı̂t me fasse la passe (R) le
défenseur qui revient la touche du
bout du pied (I), je la récupère
(R)
Cyril Bossard
je me mets dans la position de
frapper (A), le défenseur me tacle
(I), je l’évite (A) je mets une
pichenette par-dessus le gardien
(S). j’ai vu que le gardien s’avance
vers moi (I) et se couche (I), je
pique la balle (S) ça rentre (R).
(B) But, (A) Action, (C) Connaissance, (I) Information contextuelle, (R) Résultat ou attente, (S) Spécification.
Tableau 4.4 – Regroupement des U.S
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
120
Volet 1
Situations d’étude
Analyse des données
Les ruptures successives (identifiées à partir du fond et de la forme du discours) dans le
déroulement temporel de l’activité du sujet permettent consécutivement de découper l’activité
du sujet en situations vécues. Par hypothèse, la situation vécue par le joueur renvoie au
contexte perçu par lui comme significatif au travers d’un schéma activé. En regroupant
par similitudes l’ensemble des situations vécues, l’analyse devrait permettre d’identifier les
schémas typiques activés par les experts en situation de contre-attaque.
4.2.4
Le regroupement des situations vécues et l’identification
a posteriori des schémas typiques
Quand les membres d’un groupe partage des expériences communes, ils construisent des
schémas similaires, ce qui leur permet de répondre de façon similaire dans les situations
(Piegorsch et al., 2006). Ceci est plus particulièrement le cas quand les sujets sont experts
dans leur domaine (Svenson, 1999).
Dans l’étape précédente d’analyse des données, nous avons utilisé une catégorisation
thématique des unités significatives à partir de concepts théoriques existants (les constituants
du schéma). Ici nous utilisons une autre forme de catégorisation, utilisée dans l’analyse
d’activités sportives (Macquet, 2001; Macquet et Fleurance, 2007) ou de situations de travail
en milieu hospitalier (Strauss et Corbin, 1998) et qui consiste à opérer une catégorisation
empirique. Nous procédons ici, à des regroupements par associations d’unités d’analyse (ici les
différentes situations vécues par nos sujets). Par approximations successives, nous procédons
au regroupement de différentes situations vécues de la même façon par différents sujets.
Parfois, l’identification d’un moment précis de la contre-attaque (début ou fin de la situation
d’étude privilégiée) peut nous aider à regrouper plusieurs situations vécues par différents
joueurs.
Le titre conceptuel n’est défini qu’en fin d’analyse (Bardin, 1998). Selon notre hypothèse,
un schéma typique est obtenu puis nommé après le regroupement des situations vécues. Il
s’agit bien de « faire émerger la théorie à partir de données » (Dumas, 2000).
4.2.5
Validité de l’analyse
À l’instant où toutes les données de nouveaux sujets peuvent être assimilées, associées aux
données précédentes, sans nécessiter la création d’une nouvelle catégorie au sein du modèle
(phénomène de saturation d’après Piegorsch et al. (2006)), alors nous considérons que le
modèle élaboré traduit bien la diversité du phénomène, la diversité des schémas typiques
activés en situation de contre-attaque. Trois autres principes sont appliqués pour conférer à
l’analyse une bonne validité. Selon le principe d’exclusivité mutuelle, les unités d’analyses
(situations vécues) ne peuvent appartenir qu’à une seule catégorie à la fois. Toutes les
Cyril Bossard
121
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
unités d’analyse doivent également pouvoir être classées dans une même catégorie (principe
d’exhaustivité). Enfin, le regroupement proposé doit être univoque (principe de fidélité).
Ce regroupement empirique est validé par d’autres chercheurs à partir d’une procédure de
« triangulation ».
La validité de l’analyse des données et la catégorisation proposée repose sur une procédure
de « triangulation » entre trois chercheurs (l’auteur, Kermarrec, G. et Cormier, J.). Le premier
étudie l’activité décisionnelle des experts en sports collectifs (football), le deuxième étudie
l’activité significative des apprenants en situation scolaire (EPS), et le troisième étudie
l’activité décisionnelle des experts en hockey sur glace. Les catégories sont proposées par
le premier chercheur, les deux autres effectuent individuellement une relecture attentive. En
cas de désaccord, les trois chercheurs tentent de construire une proposition commune.
Cette méthodologie nous semble particulièrement adaptée à l’étude des schémas activés
en situation de contre-attaque par les joueurs experts au football. En effet, si les recherches
dans le courant de la NDM concluent généralement que la décision experte est guidée par
l’évocation de schémas, une seule étude à notre connaissance, a tenté d’obtenir une validation
empirique de leur activation en situation naturelle (Piegorsch et al., 2006) et aucune n’est
disponible dans le domaine des activités sportives.
4.3
Résultats
Pour cette étude, nous avons pris en compte 5 situations de contre-attaque par triplette.
À partir des 12 entretiens d’auto-confrontation menés avec chacun des sujets, nous obtenons
des comportements et des verbalisations sur 60 contre-attaques réalisées dans une situation
d’étude privilégiée en football.
Les résultats obtenus sont présentés en respectant les étapes de la méthode d’analyse des
données précédemment décrite : la sélection et le codage des unités significatives, le découpage
du déroulement de l’activité en situations vécues, le regroupement des situations vécues par
similitudes, et l’identification des schémas typiques.
4.3.1
Les données verbales et comportementales retenues
L’ensemble des données recueillies a été préparé en vue des analyses de contenu
successives (voir 4.2.2, p 117). Plus précisément, nous travaillons à partir des données
sélectionnées en relation avec le thème général « activité décisionnelle ».
Certaines propositions peuvent être recodées : « on presse sur les deux joueurs adverses »,
« on va vite là » désignent des actions réalisées en groupe pour atteindre l’objectif de la
situation. Nous considérons que le sujet décrit son activité en assimilant « je » et « on ».
122
Cyril Bossard
Résultats
Ce recodage doit être limité à une description précise, associée à une occurrence particulière
(« là, on/je presse le joueur adverse »).
A partir de ce travail d’identification et de codage des US, nous conservons une liste
chronologique de comportements et de verbalisations. Ces unités constituent une description
acceptable de l’activité décisionnelle du sujet en situation de contre-attaque. Ce travail étant
effectué pour les 12 sujets, nous obtenons une liste de 1 290 unités significatives.
4.3.2
Les éléments constitutifs des schémas
Nous avons identifié dans les protocoles verbaux et comportementaux toutes les informations significatives du point de vue des sujets pour prendre des décisions tactiques. L’analyse
des données par catégorisation théorique fait apparaı̂tre que ces unités se répartissent en
fonction des 5 concepts théoriques attendus : action (A), but (B), connaissances
(C), informations contextuelles (I), et résultats ou attentes de résultats (R) ; et
un nouveau : spécifications (S). Au sein de certaines de ces catégories, des sous-catégories
sont également identifiées. Ces différents éléments permettent de classer l’ensemble des 1290
unités significatives sélectionnées. Dans les paragraphes suivants, nous analysons en détail
ces différentes catégories, ces éléments constitutifs des schémas.
La catégorie But comprend 159 unités significatives. Ces unités expriment le but recherché par le sujet en situation : « Je veux aller vite devant pour frapper » ; « mon idée
c’est de l’éliminer » ; « je pense que à foncer sur le défenseur pour le provoquer, pour le
fixer dans l’axe » ; « je pense juste à être en soutien » ; « mon idée c’est de partir sur le côté
droit ». Toutes les unités de cette catégorie traduisent la préoccupation principale du sujet,
c’est-à-dire « ce qu’il cherche à accomplir à un instant t de la situation ».
La catégorie Connaissances réunit 132 unités significatives. La quantité importante de
données nous conduit à proposer des regroupements en fonction de 2 sous thèmes. Ainsi, les
unités renvoient soit à des connaissances déclaratives soit à des connaissances procédurales.
Les connaissances déclaratives sont des connaissances générales et permettent d’expliquer
les choix. Dans notre étude, elles concernent principalement les adversaires (« je sais qu’il va
vite le défenseur, qu’il court plus vite que moi »), les partenaires (« techniquement il est
meilleur, Paul voit mieux le jeu que moi »), la situation de contre-attaque (« il faut aller
vite »), la conception du jeu au football (« c’est plus joli si Gaétan finit l’action », « c’est plus
collectif »),ou encore les règles du jeu (« je peux pas aller loin, sinon je suis hors-jeu »).
Les connaissances procédurales renvoient à des règles d’actions individuelles et collectives.
Les unités comme « je suis trop statique, je n’ai pas d’élan pour bien la taper » ou « j’attends
Cyril Bossard
123
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
une distance qui permet de donner la balle sans que le défenseur la prenne » concernent
la dimension individuelle. Les unités qui renvoient à la dimension collective correspondent
souvent à des règles d’actions qui régissent le déplacement des joueurs : « si il choisit le côté
droit, je vais à gauche et l’inverse » ; « soit il me suit et il laisse l’axe libre derrière lui, soit il
va sur le porteur est c’est moi qui est libre ».
La catégorie Actions réunit 378 unités significatives. Ces unités renvoient aux habiletés
motrices et perceptivo-cognitives mobilisées par le sujet en situation. Certaines d’entre-elles
sont verbalisées directement par le sujet tandis que d’autres sont codées au regard des comportements observés (Cf. partie précédente). Ces unités traduisent « ce que fait le sujet en
situation » : « je me relève, je lève la tête, je donne la balle à Gaétan à l’intérieur » ; « je fais un
crochet, je regarde où sont les autres, je temporise, je lui donne, je fais un appel à droite » ; « je
lui propose une solution en soutien, je l’appelle avec la voix pour lui dire que je suis derrière ».
La catégorie Résultats ou attentes de résultats regroupe 153 unités significatives. Ces
unités traduisent le plus souvent le résultat de l’action entreprise ou du but recherché : « je
la récupère » ; « ils perdent la balle » ; « il frappe au but » ; « je rate mon centre » ; « je me
retrouve seul ». Certaines d’entre-elles traduisent également des attentes relatives à l’action
en cours : « je me dis qu’il va me la mettre » ; « j’attends une passe du porteur » ; « je pense
qu’il va me la mettre sans essayer de dribbler ».
La catégorie Informations contextuelles comprend 451 unités significatives. Ces
unités renvoient à toutes les informations perçues par le sujet en situation. Ici, la quantité
d’unités significatives permet de constituer par similitudes des sous-catégories. Ces dernières
révèlent des informations de natures différentes. Ainsi, certaines informations contextuelles
renvoient spécifiquement aux partenaires (« je vois que Paul prend la balle » ; « Jordan se
décale vers la gauche » ; « il me la remet »), d’autres aux adversaires (« je vois que le gardien
s’avance » ; « je sens que un défenseur me suit » ; « je vois le défenseur entre les 2 »), et enfin
au sujet lui-même (« je suis démarqué » ; « je suis bien placé » ; « je suis seul » ; « je sens la
fatigue »).
Enfin, une dernière catégorie permet de regrouper 17 unités significatives dans une
catégorie que nous nommons Spécifications. Nous avions précisé que le codage des unités
significatives restait ouvert à de nouvelles propositions. Ainsi, certaines unités ne pouvaient
être classées dans les catégories initiales. Après analyse, leur regroupement nous a semblé
possible au sein d’une même catégorie « S » (Spécification). Ces US mettent en avant le
caractère adaptable du schéma. En effet, les joueurs adaptent les schémas activés au cours de
l’action, en fonction de circonstances contextuelles particulières. Les unités les plus typiques
124
Cyril Bossard
Résultats
concernent les changements de direction : « du coup je pars en dédoublement dans le dos de
mon partenaire » ; « je change de direction pour aller vers la droite » ; « je repars de l’autre
côté ». Les joueurs peuvent aussi verbaliser une autre possibilité d’action de leurs partenaires
qui participe de la même préoccupation : « il aurait pu fixer et me la mettre après, temporiser
un peu fixer et la donner » ; « c’est aussi possible d’aller directement sur le défenseur au lieu
de la mettre comme j’étais derrière » ; « il aurait pu mettre dans l’intervalle plus vite ». Ces
unités montrent que pour un même but, au sein d’un même schéma sont associées plusieurs
actions potentielles. Les spécifications sont aussi des actions mais elles sont « secondaires » au
sein des schémas. Dans l’extrait suivant : « je vais à fond dans l’espace libre (A), il arrive
(I), je change de direction plus à droite (S) », la spécification précise et montre l’adaptation
locale de l’action.
Finalement, nous obtenons une liste d’unités significatives dont le classement nous paraı̂t
univoque. Ce classement est confirmé par deux autres chercheurs. Les tableaux 4.5 (p 126)
et 4.6 (p 127) rappellent les 6 catégories identifiées et fournissent quelques exemples d’U.S.
Nous comptabilisons le nombre d’unités significatives en fonction de leur appartenance
aux catégories théoriques pour l’ensemble des sujets. La répartition quantitative de l’ensemble
des unités significatives sélectionnées puis codées est présenté dans le tableau 4.7 (p 128).
Cette répartition des U.S par sujet et par catégorie théorique est validé lors d’une
procédure de triangulation entre trois chercheurs. Cette dernière est d’une grande utilité.
Elle a permis de réduire le nombre des unités significatives sélectionnées de 1372 à 1290 US.
Ensuite, elle a grandement participé au respect des principes d’exhaustivité et de fidélité de
chaque catégorie théorique. Par exemple, la catégorie But est passée de 170 à 159 US, et les
Informations Contextuelles de 529 à 451 US. Enfin, la triangulation a également permis de
raffiner la catégorisation théorique, c’est-à-dire de dissocier certaines catégories (ou thèmes)
en sous-thèmes. La catégorie « Informations contextuelles », par exemple, a été divisé en trois
sous-catégories distinctes renvoyant aux informations sur les partenaires, sur les adversaires
et sur soi-même. En annexe A (p 235), la répartition des US par sujet et par catégorie avant
la triangulation est présentée sous forme de tableau.
Les résultats rapportés sur la figure 4.3 (p 128) montrent que les informations significatives identifiées par chaque sujet et classées dans les 6 catégories varient de manière relativement importante. Ils montrent la prédominance des informations significatives se rapportant
au contexte et aux actions.
Les deux étapes suivantes de notre analyse de contenu consiste à découper le déroulement
des différentes contre-attaques en situations vécues successivement par les joueurs, puis à
regrouper les situations pour obtenir les schémas typiques. Par hypothèse, chaque situation
résulte du couplage entre le contexte et un schéma activé en MLT.
Cyril Bossard
125
Actions (A)
Exemples
« Je veux aller vite devant pour frapper »
« mon idée c’est de l’éliminer »
« je pense qu’à foncer sur le défenseur pour le provoquer, pour le fixer dans l’axe »
« je pense juste à être en soutien »
« mon idée c’est de partir sur le côté droit »
« je me relève, je lève la tête, je donne la balle à Gaétan à l’intérieur »
« je fais un crochet, je regarde où sont les autres, je temporise, je lui donne, je fais un
appel à droite »
« je lui propose une solution en soutien, je l’appelle avec la voix pour lui dire que je suis
derrière »
Connaissances (C) :
Cyril Bossard
- déclaratives
« je sais qu’il va vite le défenseur, qu’il court plus vite que moi »
« techniquement il est meilleur, Paul voit mieux le jeu que moi »
« c’est plus joli si Gaétan fini l’action »
« c’est plus collectif »
« je peux pas aller loin, sinon je suis hors-jeu »
« c’est à moi d’écarter et à lui de rentrer dans l’axe »
- procédurales
« je suis trop statique, je n’ai pas d’élan pour bien la taper »
« j’attends une distance qui permet de donner la balle sans que le défenseur la prenne »
« si il choisit le côté droit, je vais à gauche et l’inverse »
« soit il me suit et il laisse l’axe libre derrière lui, soit il va sur le porteur et c’est moi qui
suis libre »
Tableau 4.5 – Liste des informations significatives utilisées pour la décision tactique en situation de contre-attaque
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
126
Catégories et sous-catégories :
Les éléments du schéma
Buts (B)
Cyril Bossard
Catégories et sous-catégories :
Les éléments du schéma
Informations
contextuelles (I) :
Exemples
- sur le(s) partenaire(s)
« je vois que Paul prend la balle »
« Jordan se décale vers la gauche »
« il me la remet »
« je vois que le gardien s’avance »
- sur soi
« je
« je
« je
« je
- sur le(s) adversaire(s)
« je vois que le gardien s’avance »
« je sens que un défenseur me suit »
suis démarqué »
suis bien placé »
suis seul »
sens la fatigue »
« je la récupère »
« ils perdent la balle »
« il frappe au but »
« je rate mon centre »
« je me retrouve seul »
« je me dis qu’il va me la mettre »
« j’attends une passe du porteur »
« je pense qu’il va me la mettre sans essayer de dribbler »
Spécifications (S)
« du coup je pars en dédoublement dans le dos de mon partenaire »
« je change de direction pour aller vers la droite »
« je repars de l’autre côté »
« il aurait pu fixer et me la mettre après, temporiser un peu, fixer et la donner »
« aller directement sur le défenseur au lieu de la mettre comme j’étais derrière »
« il aurait pu mettre dans l’intervalle plus vite »
Tableau 4.6 – Liste des informations significatives utilisées pour la décision tactique en situation de contre-attaque (suite)
Résultats
127
Attentes ou Résultats (R)
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
Sujets
Buts
Gautier
Bastien
Gaétan
Charles
Jordan
Kevin
Flavien
Benoı̂t
Michel
Benjamin
Thibault
Paul
Total
%
8
11
15
12
15
18
14
17
8
14
19
8
159
12,3
Connaissances
22
9
14
7
10
7
14
19
6
4
18
2
132
10,2
Informations
contextuelles
62
36
67
32
40
35
20
57
27
29
23
23
451
34,9
Actions
43
36
36
31
34
28
29
29
28
29
30
25
378
29,3
Spécifications
1
2
2
3
1
3
1
0
2
0
2
0
17
1,3
Attentes
ou
Résultats
21
18
11
10
6
10
12
22
9
16
11
7
153
11,9
Total
157
112
145
95
106
101
90
144
80
92
103
65
1290
100
Tableau 4.7 – Répartition des US en fonction des sujets et des catégories théoriques
Figure 4.3 – Distribution du nombre d’U.S
128
Cyril Bossard
Résultats
4.3.3
Le découpage du cours d’action en situations vécues et
l’identification des « schémas typiques »
En découpant le déroulement de l’activité de chaque joueur lors des 60 contre-attaques,
nous avons identifié 180 situations vécues pour l’ensemble des 12 sujets. Dans un second
temps, par catégorisation empirique, nous avons regroupé en fonction de leurs similitudes ces
différentes situations vécues en 16 catégories empiriques. On peut alors considérer que ce
regroupement permet d’identifier 16 « schémas typiques » utilisés par des joueurs de
football experts en situation de contre-attaque :
1. « Intercepter le ballon »
2. « Observer, analyser, anticiper l’évolution de la situation »
3. « S’engager vite vers l’avant pour profiter de la récupération du ballon »
4. « Aller vite vers l’avant avec le ballon tout en étant attentif au jeu »
5. « Proposer son aide à un partenaire pour conserver le ballon »
6. « Créer de l’espace pour permettre à des partenaires de s’engager vers l’avant »
7. « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une
solution de progression vers la cible »
8. « Choisir une solution de passe pour assurer la continuité du jeu »
9. « Attendre le soutien des partenaires »
10. « Se déplacer par rapport au hors-jeu, à l’adversaire et rechercher la rupture »
11. « Eliminer en dribblant pour progresser vers la cible »
12. « Fixer-passer pour progresser vers la cible »
13. « Se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive »
14. « Passer pour mettre le partenaire en situation favorable de frappe »
15. « Suivre l’action du partenaire pour une reprise »
16. « Chercher à tirer/frapper au but »
Les informations significatives types qui composent ces schémas sont présentées de
manière détaillée en annexe (Cf. Annexe A, p 243 à 259). Afin de préciser le contenu et les
conditions d’apparition de ces schémas, nous détaillons 3 exemples de schéma typique.
Le schéma n°1 : « Intercepter le ballon » correspond au départ de la situation de
contre-attaque pour les deux joueurs positionnés dans le rectangle en pointillé (Cf. Figure
4.1, p 113). Ici, le joueur cherche à contrer l’adversaire, à l’empêcher de progresser (Kevin
CAJ 3 : « l’empêcher de faire une passe entre nous deux »). Les informations contextuelles
Cyril Bossard
129
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
qui sont prises en compte concernent le partenaire proche (Gaétan CAR 5 : « je suis avec
Bastien, Bastien attaque le porteur ») et l’action des adversaires (Gautier CAR 4 : « il la
passe à son partenaire, le mec il est statique »). Les actions qui permettent d’atteindre le
but sont diverses : « presser, anticiper, bloquer, marquer, prendre le ballon ». La décision
de récupérer le ballon est influencée conjointement par l’activité du partenaire proche et des
adversaires directes. Ce schéma a été activé à 17 reprises.
Le schéma n°7 : « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour
proposer une solution de progression vers la cible » est évoqué à 20 reprises. Les buts formulés
concernent les déplacements que le joueur cherche à effectuer (Michel CAVi 4 : « je me dis
qu’il faut aller sur le côté gauche »). Les informations contextuelles relevées permettent de
caractériser un contexte favorable à la continuité de la contre-attaque. Les informations sur
soi se rapportent à sa position par rapport aux partenaires dans l’espace de jeu (Bastien
CAR 5 : « je suis complètement à gauche, je suis disponible sur le côté si jamais Gaétan a
besoin »). Les informations sur les partenaires concernent leurs statuts (Porteur du Ballon ou
Non Porteur du Ballon), leurs positions et leurs déplacements (Paul CAVe 2 : « c’est Thibault
qui récupère le ballon, je vois que l’autre attaquant part vers la droite »). Les informations
sur les adversaires renvoient également à leur position et déplacements (Bastien CAR 4 : « le
défenseur reste dans l’axe »). Cet ensemble d’informations amène le joueur à considérer la
situation comme favorable. Les actions engagées renvoient aux déplacements dans l’espace
et à la surveillance du Porteur de Balle (Jordan CAJ 3 : « je m’écarte vers la droite, par
devant, je regarde ce qui se passe tout en courant, je regarde ses jambes et le ballon »). Au
sein du schéma, des circonstances contextuelles particulières amènent le sujet à adapter son
activité tout en restant préoccupé par le même but. Ainsi, des spécifications sont envisagées
au cours du déplacement si l’espace vient à être occupé (Charles CAJ 2 : « du coup, je pars en
dédoublement dans le dos de mon partenaire, je change de direction »). Le résultat attendu
concerne la passe du partenaire (Benjamin CAVe 4 : « je pensais qu’il allait me mettre une
transversale »), mais le résultat effectif peut être différent (Paul CAVe 2 : « Thibault décide
de continuer seul dans l’axe et de frapper au but sans nous attendre »).
Le schéma n°16 : « Chercher à tirer/frapper au but » est évoqué 16 fois. L’intention
du joueur est ici d’atteindre l’objectif de la situation d’étude, celui de marquer un but
(Charles CAJ 1 : « je pense à aller frapper au but »). Les informations contextuelles prises
en considération permettent de reconnaı̂tre la situation comme favorable à la frappe. Elles
concernent principalement la position proche de la cible (Jordan CAJ 2 : « je suis près des
18m »), les partenaires (Paul CAVe 4 : « mes partenaires sont marqués ») et le gardien de
but (Kevin CAJ 5 : « le gardien est décalé de son but »). Les actions entreprises concernent
la frappe de balle (Kevin CAJ 5 : « je me mets sur mon pied droit, je frappe au but »).
Les spécifications renvoient aux types de frappes adoptées face au gardien (Michel CAVi 3 :
130
Cyril Bossard
Résultats
« finalement, je mets une pichenette par-dessus le gardien, au dernier moment je pique la
balle »). Le résultat attendu renvoie à la réussite du tir (Michel CAVi 3 : « ça rentre »).
Le schéma fait également apparaı̂tre des connaissances procédurales sur la frappe de balle
(Gaetan CAR 5 : « je suis trop statique, j’ai pas d’élan pour bien la taper »).
4.3.4
La modélisation de l’activité décisionnelle contextualisée
Les schémas typiques identifiés chez les joueurs peuvent être organisés afin de rendre
compte de la dynamique de l’activité décisionnelle en situation de contre-attaque. En effet,
nous observons que certains schémas sont souvent associés, l’un après l’autre, alors que
d’autres ne sont jamais enchaı̂nés. Nous avons donc cherché à modéliser l’enchaı̂nement des
schémas pour chaque sujet et pour chaque contre-attaque, afin de mettre à jour les « scénarii
privilégiés » par les joueurs.
Dans un tableau à double entrée (Tableau 4.8), nous avons indiqué dans un premier
temps, les relations existantes entre les schémas typiques et le poids de cette relation pour
les 5 contre-attaques étudiées : par exemple pour 2 schémas qui ont été enchaı̂nés 8 fois
(quels que soient les sujets), le poids est 8. Cette relation peut être établie par sujet, par
triplette, pour l’ensemble des participants, pour l’ensemble des contre-attaques, et pour les
contre-attaques efficaces.
Nous avons ensuite utilisé un logiciel de représentation graphique hiérarchique et orientée
(Graph Visualization Software version 2.16.12 ) permettant de rendre compte des relations
entre les schémas. Ainsi, les schémas sont représentés par des nœuds et la relation entre
deux schémas par un arc. Le poids donné à la relation entre deux schémas est représenté par
la distance (longueur de l’arc) entre deux schémas. Le logiciel restitue ensuite un graphe
dont l’agencement tient compte de l’ensemble de ces paramètres. Cette approche de la
représentation graphique est proche de la plupart des programmes de graphes hiérarchiques,
basée sur les travaux de Sugiyama et al. (1981). Nous renvoyons le lecteur à Gansner et al.
(1993) pour une explication plus poussée des algorithmes sous-jacents à la modélisation.
Cette procédure de modélisation a été répétée pour l’ensemble des contre-attaques et
des participants (modélisation générale), puis pour les 7 contre-attaques réussies (Cf. Figure
4.4), par triplette (modélisation par équipe), et enfin pour chacun des 12 sujets (modélisation
individuelle ; Cf. Figure 4.5). La totalité de ces modélisations est présentée en annexe A (p
236 à 242).
2
http ://rpmfind.net/linux/RPM/fedora/devel/ppc64/graphviz-doc-2.16.1-0.6.fc10.ppc64.html
Cyril Bossard
131
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
Schémas
typiques
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
1
2
3
4
5
6
7
8
6
2
11
2
2
1
1
9
12
4
1
2
1
1
5
1
1
9
1
10
12
1
2
2
1
1
1
4
2
2
13
1
6
2
15
1
2
1
4
4
5
3
2
1
2
2
1
1
14
16
1
1
2
1
1
1
1
11
2
3
3
1
1
3
1
1
2
1
1
7
1
2
Tableau 4.8 – Enchaı̂nement entre les différents schémas typiques pour l’ensemble des participants
Figure 4.4 – Modélisation des schémas typiques activés pour 7 contre-attaques
réussies
132
Cyril Bossard
Résultats
4.3.4.1
Un exemple : Benoı̂t
La modélisation suivante présente un exemple de représentation graphique des différents
schémas typiques activés par un sujet (Benoı̂t) en situation de contre-attaque (Figure 4.5).
Figure 4.5 – Modélisation des schémas typiques activés par Benoı̂t en contreattaque
L’analyse des graphes permet de revenir sur les éléments responsables de l’articulation
des schémas au cours de l’action. Dans notre exemple, les éléments qui font basculer Benoı̂t du
schéma n°1 « Intercepter le ballon » au schéma n°7 « Se déplacer par rapport à ses partenaires
dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible », renvoient au
contexte de la situation (en gras dans l’extrait).
Extrait : « (...) Flavien récupère la balle (I), il s’est tout de suite dirigé vers la
gauche vers le but (I), moi je me suis directement décalé vers la droite (A), pour offrir
une solution sur la droite, et pour écarter le jeu au maximum (B) (...) ».
(Sujet Benoı̂t CAVi 1)
De la même manière, la bascule du schéma n°7 au schéma n°13 « Se placer ou se déplacer
pour recevoir un centre ou une passe décisive », s’effectue encore en fonction du contexte (en
gras dans l’extrait).
Extrait : « (...) je vois qu’il décale sur la gauche sur Kevin (I) je pense à comment
me placer pour offrir une bonne solution pour marquer le but (B), pour qu’il me la passe dans
de bonnes conditions (B) (...) j’étais déjà parti vers le centre, vers la surface de réparation
(R) pour être direct face au gardien (B) (...) ».
(Sujet Benoı̂t CAVi 1).
Cyril Bossard
133
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
Nous observons ce phénomène pour la plupart des schémas activés en situation de contreattaque par les joueurs experts. L’agencement des nœuds et des arcs dans la représentation
graphique des contre-attaques réussies (rapides, fluides et qui aboutissent à une frappe cadrée)
est particulièrement intéressant (Cf. Figure 4.4, p 132). En effet, le logiciel Graphviz permet
de visualiser 2 « scénarii » particuliers selon le déroulement temporel de la contre-attaque
(axe X) et l’évolution du statut du joueur au cours de la contre-attaque (axe Y). Ainsi,
les schémas sont disposés de gauche à droite et suivent 4 « phases » de la contre-attaque :
Transition (passer de la défense à l’attaque) : départ de la situation d’étude (schémas 1 et
2), assurer la continuité (schémas de 3 à 9), rechercher la rupture (schémas de 10 à 14) et
finition (atteindre la cible) (schémas 15 et 16). Sur l’axe Y, on retrouve une disposition des
schémas en fonction du rôle du joueur : porteur de balle (PB) ou non porteur de balle (NPB).
Ainsi les schémas 1, 4, 8, 9, 12, 14, et 16 représentent le joueur en possession de la balle. Les
schémas 2, 3, 6, 7, 10, 13, et 15 représentent le joueur qui évolue sans ballon.
4.4
Discussion
L’objectif principal de cette étude était de proposer une analyse de l’activité décisionnelle de joueurs experts en situation de contre-attaque au football. Plus particulièrement, le
projet de cette première étude était de contribuer à la validation empirique de l’approche
NDM dans le cadre des sports collectifs, et de sa mise à l’épreuve face à l’exigence d’une
situation dynamique et typique des sports collectifs : la contre-attaque.
Dans un premier temps, nous montrons en quoi nos résultats confortent l’approche NDM
pour l’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative. Dans un
second temps, nous questionnons les contributions de notre première étude au regard de la
description et de la compréhension des sports collectifs.
4.4.1
Décider vite et bien dans les activités humaines complexes et fluctuantes
Dans ce premier point, nous discutons nos résultats au regard des deux premières
hypothèses générales formulées. Nous postulions que l’activité décisionnelle s’exprime du
point de vue du sujet à partir des informations qu’il considère significatives (Flach, 1995).
Nous supposions alors que l’activité du sujet en situation dynamique pouvait se décrire de
façon diachronique à partir d’une succession de situations vécues en cours d’action (Hypothèse
générale 1). Nous faisions ensuite l’hypothèse que les différentes situations vécues par le sujet
étaient la manifestation de différents schémas activés par le contexte (Hypothèse générale
2). Les informations significatives pouvaient alors être regroupées pour l’ensemble des sujets
selon 5 catégories théoriques : action, résultat, information contextuelle, connaissance et but
134
Cyril Bossard
Discussion
(Klein, 1997).
4.4.1.1
La « conscience de la situation » : un couplage cognitif dynamique
entre le sujet et la situation
Nous avons pris comme présupposé que le sujet puisse exprimer, de son propre point de
vue (et au sein d’un protocole de recherche), l’activité décisionnelle à partir des informations
qu’il considère significatives et qu’il utilise en cours d’action. Nous postulions dans un premier
temps que ces éléments expriment à un moment et dans un lieu, la situation telle quelle est
vécue par le joueur, i.e. la « conscience de la situation » (Flach, 1995).
Nos résultats suggèrent effectivement que la situation telle qu’elle est vécue constitue
bien la manifestation d’un couplage cognitif dynamique entre un acteur et une situation
(Flach, 1995). Les situations vécues recueillies montrent la capacité du sujet à prendre en
considération les caractéristiques changeantes de la situation (i.e. les informations contextuelles). Le concept de Conscience de la Situation (au sens de Flach (1995)) permet de rendre
compte de l’évolution dynamique de la situation et de la prise en compte par le sujet de
ces évolutions pour adapter son activité décisionnelle. Les changements dans l’environnement
sont rapidement identifiés et intégrés de manière continue par les sujets pendant l’action.
Ils changent très rapidement la focalisation de leur attention vers des informations contextuelles qui sont pertinentes ou significatives pour l’activité dans laquelle ils sont engagés. En
conséquence, les situations vécues se succèdent très rapidement (3 ou 4 situations vécues en
15-20 secondes). Cette vitesse de fluctuation du contexte pour le sujet nécessite un processus
de reconnaissance de situation très rapide.
Les situations vécues, racontées au travers des informations dont le sujet a conscience
(CS) permettent de rendre compte de l’évolution de l’activité du sujet à partir de l’articulation
entre des connaissances (locales ou générales), des informations contextuelles, des actions
potentielles, des attentes, des spécifications et un but. Ces éléments permettent de repérer
l’ouverture et la fermeture des « situations vécues successivement ». Notons que
l’identification de cette ouverture-fermeture des situations vécues peut être difficile quand le
but ou le résultat ne sont pas verbalisés. Le contexte objectif est alors une aide précieuse.
4.4.1.2
Le schéma : une construction par l’articulation fine de données
contextuelles et de données d’arrière-plan
L’analyse du contenu des différentes situations vécues dévoile que les décisions surviennent (émergent) à partir d’une articulation d’informations significatives, et non pas à
partir de l’analyse, de l’interprétation de l’une ou l’autre d’entre-elles. Autrement dit, c’est
la combinaison de ces informations, qui permet d’expliquer la rapidité des décisions en situation dynamique. Conformément à notre seconde hypothèse, les informations significatives
Cyril Bossard
135
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
retenues sont regroupées pour l’ensemble des sujets selon 6 catégories théoriques types : but,
informations contextuelles, action, spécification, résultat, et connaissances.
Ces données prélevées par les sujets en situation dynamique sont prioritairement des
informations contextuelles (34,9 %). Nous observons également une certaine régularité dans
les sources d’informations mobilisées à différents moments. Ces dernières concernent principalement et de manière récurrente l’activité d’autrui (ici, les partenaires et les adversaires),
ainsi que sa propre activité dans un volume spatio-temporel particulier. Ces informations ne
sont jamais perçues de manière isolée et/ou statique, comme par exemple la simple position
locale des autres protagonistes. Au contraire, la décision est souvent une reconnaissance d’une
configuration du contexte (Klein, 1997). Par exemple, Benoı̂t ne dit pas « Flavien est à gauche
du terrain et mon autre partenaire est au centre », mais il dit : « Flavien récupère la balle, il
s’est tout de suite dirigé vers la gauche vers le but, je vois que celui qui est en appui se décale
vers la gauche » (CAVi 1).
La reconnaissance de configurations spatio-temporelles en tant que telle ne suffit pas
à prendre des décisions rapides et pertinentes en situation dynamique. Les configurations
d’informations contextuelles sont également mises en rapport avec des données d’arrièreplan (données attendues types) pour reconnaitre la situation actuelle. Ces données d’arrièreplan concentrent des informations significatives qui renvoient à des connaissances générales
(procédurales ou déclaratives), des informations contextuelles et à des attentes sur l’évolution
de la situation conformément au « package cognitif » décrit par Ross et al. (2006).
Les connaissances « locales » sont re-construites à partir d’informations contextuelles
et des circonstances de la situation, c’est-à-dire à partir des interactions. Cette reconstruction
peut amener à une spécification du schéma activé. Plus précisément, les résultats suggèrent
que le sens que le sujet donne au contexte est issu de l’articulation entre des connaissances
et des informations contextuelles relatives aux comportements des différents protagonistes et
aux résultats de leurs interactions :
Extrait : « (...) Jordan il va fixer le défenseur dans l’axe (I) moi je demande la balle
à droite (A), comme le défenseur ne m’a pas suivi (I), je me retrouve seul (R), Comme je
vais à droite (A), le défenseur n’a pas suivi (I), du coup il va directement sur Jordan (I), le
défenseur il ne sait pas quoi faire entre nous deux car il y a deux solutions (C)
et Jordan choisit d’aller tout droit au but (I) (...) ».
(Sujet Kevin, CAJ 2)
Quel est le sens de la situation vécue ici pour Kevin ? La configuration à deux contre
un, avec une certaine distance entre les deux partenaires (Jordan dans l’axe, moi à droite), et
l’adversaire (qui se déplace vers Jordan) est combinée avec une certaine dynamique temporelle
(fixer, demander, suivre, se retrouver, aller). De plus, cette configuration dynamique est
136
Cyril Bossard
Discussion
articulée avec la connaissance que « quand il y a deux solutions, le défenseur ne sait pas
quoi faire », dont la formulation est ici « locale ». Cette articulation de données conduit
Kevin a percevoir, ressentir, considérer que la situation vécue est favorable pour la rupture,
le déséquilibre de l’adversaire. La décision d’aller à droite peut être considérée comme une
émergence, un couplage dynamique entre un schéma et un contexte en vue de créer ou de
maintenir ce déséquilibre potentiel. L’organisation des informations contenues dans le schéma
est bien plus fonctionnelle que sémantique ce qui conforte l’intérêt des schémas pour décrire
l’aspect dynamique de l’activité décisionnelle par rapport à une description classique des
bases de connaissances.
Même si dans cette première étude, c’est l’activité individuelle, et le rôle des schémas qui
nous préoccupe, cette situation suggère également toute l’importance de l’articulation de
l’activité de deux individus partenaires dans la décision (l’importance du partenaire
est ici uniquement rendue du point de vue d’un joueur : Kevin). Le chapitre 5 nous permettra,
en confrontant les points de vue des joueurs partenaires, d’étudier plus particulièrement cette
articulation, i.e. ces influences entre partenaires.
L’arrière-plan qui permet au contexte de faire sens peut aussi concerner des connaissances « générales », des repères liés à l’expérience personnelle de l’individu. L’extrait
d’une situation vécue par Gaétan illustre cet aspect :
Extrait : « (...) Bastien récupère le ballon (I), mon idée c’est de suivre l’action derrière
(B), ils sont à 2 contre 1 (I), ils sont meilleurs devant le but que moi (C), je suis un
vrai défenseur moi (C), je fais pas un gros effort (A). Gautier redonne la balle à Bastien
(I), je suis juste derrière en soutien (I), il perd la balle de suite (R). (...) ».
(Sujet Gaétan, CAR 1)
Dans cette situation vécue, Gaétan identifie bien une configuration à deux contre un qui
évolue par des interactions entre les deux autres partenaires (ici, des passes). Cette dynamique
situationnelle associée à des connaissances « générales » sur soi (ici, le rôle habituellement
occupé : « je suis un vrai défenseur moi ») et ses partenaires (« ils sont meilleurs devant
le but que moi ») conduit Gaétan à considérer que la situation vécue ne le concerne pas
directement même s’il participe en suivant l’action. Cette situation illustre bien le lien entre
les informations contextuelles, les connaissances générales et la décision adoptée.
Si parfois les connaissances (générales ou locales) du sujet semblent orienter la décision,
à d’autres occasions, c’est plutôt le contexte qui devient prioritaire dans la co-définition du
sens de la situation :
Extrait : « (...) je pars tout de suite dans l’autre direction (A), je vois que le défenseur
colle Gautier (I), il laisse un grand espace derrière lui (I), je me dis tout de suite qu’il faut
aller là-bas (B), il n’y a personne (I), l’autre défenseur reste dans l’axe (I) (...) ».
Cyril Bossard
137
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
(Sujet Gaétan, CAR 3)
Lorsqu’un schéma est activé, il peut également être particularisé par le sujet au regard
du contexte. Ces effets de contexte engendrent ou nécessitent alors une adaptation on
line(reconstruction dynamique) des schémas (Johnson, 2006). Cette spécification permet à
l’expert de prendre des décisions rapides et pertinentes face au caractère évolutif et dynamique
des situations rencontrées.
Extrait : « (...) je me mets dans la position de frapper (A), le défenseur me tacle (I), je
l’évite (A) je mets une pichenette par-dessus le gardien (S), j’ai vu que le gardien s’avance
vers moi (I) et se couche (I), je pique la balle (S) ça rentre (R)(...) ».
(Sujet Michel, CAVi 3)
Enfin, les schémas activés ne produisent pas toujours une « réponse immédiate » au
contexte, sous forme d’une action manifeste. Ceux-ci peuvent aussi constituer une structure
d’attentes pour s’adapter à l’évolution de la situation, aux futures possibilités qui
devraient être offertes. C’est le cas lors de la décision de se déplacer dans l’espace de jeu pour
le joueur sans ballon :
Extrait : « (...) je suis devant (I), je me dis que si c’est Jordan qui récupère la balle quel
appel je vais faire ? (B) si Jordan récupère la balle, je vais aller plus vers la gauche,
pour libérer l’espace pour Charles qui va passer dans mon dos, parce que le
défenseur va me suivre, si c’est Charles qui récupère c’est l’inverse (Co. Locales).
En fonction de l’endroit où la balle est récupérée je pense à libérer l’espace pour
un partenaire (Co. Générales), je ne pense pas à avoir la balle (B). J’attends (A), c’est
Jordan qui récupère le ballon (I), je libère l’espace en allant vers la droite (A) (...) ».
(Sujet Kevin, CAJ 2)
Cet extrait de la situation vécue par Kevin montre bien que des connaissances générales,
spécifiées localement, sous forme ici d’une alternative, constituent une structure d’attente
(but et sous-buts), pour agir en fonction du contexte. Les schémas constituent ainsi des
structures d’attentes qui peuvent s’activer en fonction de l’évolution de la situation et du
niveau d’incertitude ressenti.
Par exemple, une information explicitement formulée par le sujet (Bastien CA4) évoque
une règle selon laquelle « si il choisit le côté droit, je vais à gauche et l’inverse ». Ici,
le partenaire évoqué va s’élancer sur la gauche. Pour le sujet (Bastien), les informations
formulées dans la situation vécue suivante montrent que cette attente a été validée : « je vois
qu’il prend gauche, je fais un appel à droite ». À l’inverse, même si certaines informations
formulées dévoilent clairement les attentes du sujet : (Jordan CA5) « la franchement je pense
138
Cyril Bossard
Discussion
qu’il peut me la mettre en retrait, j’attends la balle, un défenseur sur Charles, un défenseur
devant Kevin, moi je suis tout seul » ; celles-ci peuvent être invalidées : « il choisit de frapper
au but direct ».
La lecture attentive des différentes situations vécues a permis d’identifier des redondances, des similitudes entre elles. Même si toutes les informations significatives ne font pas
explicitement référence à des attentes, on en déduit que la plupart des situations vécues sont
connues et répertoriées par les experts. À ces situations correspondent des évolutions attendues. Ces évolutions sont décrites dans des schémas qui caractérisent la situation et orientent
l’action en conséquence (Lipshitz et al., 2001).
4.4.1.3
Activation des schémas par les connaissances vs par le contexte
L’analyse qualitative des situations vécues par le sujet fait apparaı̂tre que la capacité
a donné du sens au contexte, en action, repose sur un ensemble d’informations significatives pour le sujet. En fonction des situations évoquées, certaines informations semblent
prioritaires : les connaissances locales ou générales, les informations contextuelles, ou les attentes sur l’évolution de la situation. Par hypothèse, ces éléments prioritaires sont associés
en mémoire à d’autres informations au sein d’un schéma. Le rôle prioritaire accordé à telle
ou telle information peut être interprété comme la manifestation de deux sources d’instanciation du schéma : une activation par les connaissances ou une activation par le contexte.
La répartition des informations significatives en fonction des catégories théoriques milite en
faveur d’une activation par le contexte. En effet, nos résultats montrent que les informations
contextuelles représentent 34,9% de l’ensemble des unités significatives sélectionnées alors que
les connaissances n’en représentent que 10,2%. La répartition des autres unités significatives
est la suivante : buts (12,3%), actions (29,3%), spécifications (1,3%) et attentes ou résultats
(11,9%).Ces résultats peuvent être discutés au regard des modalités de décision définies par
le modèle RPD (Klein, 1997), des conditions de la situation d’étude proposée aux sujets et
de notre méthodologie.
Dans un premier temps, les résultats obtenus suggèrent une prédominance de la
première modalité du modèle de la décision basée sur la reconnaissance (Klein, 1997). Plus
particulièrement, comme nous l’avions évoqué lors du chapitre 1, les décisions adoptées par les
experts sous fortes contraintes temporelles mobilisent principalement la première modalité.
La reconnaissance implicite de configurations spatio-temporelles dynamiques suffit à prendre
une décision en situation dynamique. Le coup d’œil de l’expert lui permet de s’orienter directement vers une action appropriée. Cette première modalité est « réactive » (Chalandon,
2003) dans le sens où la correspondance entre des informations contextuelles et un schéma
est particulièrement implicite. Nos résultats montrent que pour chaque situation vécue, les
experts prennent uniquement une décision correspondant à une action ou une séquence d’actions. Comme l’explique Klein (1997), cette reconnaissance implicite de patterns significatifs
Cyril Bossard
139
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
pour l’action est une solution optimale au problème du couplage entre l’activité du sujet et
l’environnement dans les situations dynamiques. Cette évaluation « holistique du cours de
l’action » (Lipshitz et al., 2001) est aussi concordante avec les résultats d’études en situation
de travail (Klein et al., 1989) ou en sports collectifs (Johnson et Raab, 2003) quand les sujets
sont soumis à une forte pression temporelle.
L’activité décisionnelle des experts en situation dynamique semble également se baser
sur la seconde modalité du modèle RPD (Klein, 1997). Nous observons ainsi une plus
grande verbalisation de connaissances et d’attentes dans les situations vécues où la pression
temporelle ressentie est plus faible (ici, quand les joueurs ne possèdent pas le ballon ou quand
ils sont passifs). Complémentairement, et dans le prolongement de la discussion relative aux
conditions d’activation des schémas (par le contexte ou les connaissances), les situations ne
sont pas toutes vécues de la même manière par les sujets selon leur caractère routinier ou
atypique (Mundutéguy et Darses, 2007). Les situations vécues de façon routinière (ici, pour
des attaquants) rendent difficile la verbalisation de connaissances ou d’attentes. À l’inverse,
les situations vécues comme atypiques (peu claires, inconnues ou difficiles pour des défenseurs)
engagent un traitement descendant, favorisant la verbalisation d’un plus grand nombre de
connaissances et d’un plus faible nombre d’informations contextuelles.
Enfin, la troisième modalité du modèle RPD (Klein, 1997) n’apparait pas au regard
des résultats de notre protocole de recherche.
Nos résultats éclairent plus particulièrement le rôle de la perception dans l’activité
décisionnelle d’experts en situation dynamique. Les informations contextuelles perçues par
l’expert pour chaque situation vécue peuvent être rapprochées de la notion d’affordance
(Gibson, 1979). Comme l’explique Morineau (2005) l’affordance est reliée au déroulement de
l’action. L’activité décisionnelle de l’individu en situation dynamique peut s’expliquer par
la simple relation fonctionnelle entre ses propres caractéristiques, son besoin adaptatif à un
moment donné et les propriétés de l’environnement immédiat. Dans ce sens, les informations
contextuelles significatives pour le sujet en situation dynamique constituent des invariants qui
contraignent sa propre activité. Les informations contextuelles suggérent alors directement
une action ou des séquences d’actions à l’expert engagé dans la situation dynamique. Dans
notre cas, la proximité d’un partenaire ou d’un adversaire contraint le champ des possibles
pour l’expert dans la décision à adopter. Le fort pourcentage cumulé (64,2%) des catégories
informations contextuelles et actions peut ainsi s’expliquer à l’aune du concept d’affordance.
Ces résultats peuvent aussi s’expliquer au regard des conditions de la situation
d’étude que nous avons proposée aux sujets. En effet, la situation d’étude choisie est une
situation qui impose de fortes contraintes temporelles au sujet. Cette pression temporelle influence le processus sollicité en référence aux résultats de travaux en situations expérimentales
140
Cyril Bossard
Discussion
(Zoudji et Thon, 2003; Poplu et al., 2003). La décision en situation dynamique s’explique
également par la mobilisation d’un traitement perceptif faisant intervenir prioritairement la
mémoire procédurale.
Enfin, la méthodologie utilisée ne permet pas d’apprécier la part de planification
dans la décision tactique en situation dynamique. En effet, les entretiens d’autoconfrontation
menés avec les sujets permettent de faire revivre la situation mais ne sont pas orientés vers
un questionnement en amont de l’action. D’autres études complémentaires montrent qu’un
entretien semi-dirigé avant l’action permet de renseigner la dimension planificatrice de la
décision tactique en sports collectifs (McPherson et Vickers, 2004; Mouchet et Bouthier,
2006). Ces études insistent d’ailleurs sur l’alternance des processus descendant et ascendant qui permet le réajustement constant des schémas au cours de l’activité en situation
dynamique. Pour notre part, l’identification des schémas activés constitue une description
symbolique acceptable de la dynamique du couplage structurel du sujet avec la situation
(Varela, 1989). Parfois cette dynamique révèle la prédominance des connaissances sur les
informations contextuelles, mais le plus souvent, c’est l’inverse qui se produit.
Ces premiers résultats montrent que les données recueillies auprès des joueurs de
football experts en situation de contre-attaque supportent le modèle RPD (Klein, 1997).
Les résultats obtenus sont en concordance avec les principales avancées de l’approche NDM.
Une situation vécue constitue bien la manifestation consciente d’un schéma activé. L’ensemble
des informations significatives encapsulées à cet instant constitue une forme d’organisation
contextualisée, un schéma. Les joueurs reconnaissent la situation et opèrent une mise en
correspondance entre la configuration spatio-temporelle dynamique perçue et les schémas dont
ils disposent (Klein et Calderwood, 1991). La décision tactique est directement adoptée sans
comparaison avec d’autres options possibles (Lipshitz et al., 2001). La reconnaissance d’une
situation type correspond à l’activation d’un véritable « package cognitif » (Ross et al., 2006)
représenté pour nous, par le concept de schéma. Les informations significatives recueillies
auprès des joueurs de football experts sont composées de données relatives à la situation en
cours (perçues) et de données puisées dans les schémas activés (données attendues « types »)
par le joueur.
4.4.2
Des décisions tactiques contextualisées en sports collectifs ?
L’analyse des éléments significatifs dans la situation vécue a conforté l’intérêt de
l’approche NDM, et de trois modèles complémentaires (CS, RPD, Schémas) pour décrire
et expliquer la décision dans un contexte complexe et à évolution rapide, la contre-attaque
Cyril Bossard
141
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
en football. Au regard de ce contexte singulier, quelles connaissances notre étude apporte à
l’analyse de la décision tactique en sports collectifs ? Dans la contre-attaque en football, quels
sont les éléments significatifs pris en compte par des joueurs experts ?
L’analyse des différentes situations vécues montre que les sujets prennent des décisions
tactiques sur la base d’une articulation d’informations significatives. Nous avons identifié
la combinaison de ces informations significatives à un instant t de la situation d’étude
pour mettre à jour les schémas activés par chaque joueur. La question est maintenant de
savoir si l’on observe des régularités sur les informations significatives qui composent les
schémas activés par l’ensemble des sujets en situation de contre-attaque (Hypothèse 3). Nous
supposions également que des régularités s’observent dans les enchaı̂nements des schémas
typiques identifiés, conduisant à révéler des « scénarii préférentiels ou typiques » en situation
de contre-attaque au football (Hypothèse 4).
4.4.2.1
Une activité décisionnelle experte basée sur 16 schémas typiques
Au terme de notre analyse des données, les résultats de notre première étude montrent
que les décisions tactiques de joueurs experts au football en situation de contre-attaque
reposent sur la reconnaissance de situations à l’aide de 16 schémas typiques.
Les similitudes dans les informations significatives constituant l’enveloppe de la situation
vécue nous ont permis de les regrouper. Pour chaque groupe de situations vécues, nous avons
ensuite déceler les régularités dans les informations significatives. Nous avons ainsi mis à jour
la typicalité des informations pour des situations vécues de manière similaire. Ce résultat
valide notre troisième hypothèse : une situation vécue de la même manière par différents
sujets relève d’un même « schéma typique ».
Ces régularités observées constituent bien des points communs entre les joueurs experts,
révélant ainsi la compétence caractéristique de l’expertise de joueurs de football en contreattaque. Ces régularités concernent le couplage cognitif dynamique entre un joueur et une
situation. Les relations qui unissent le joueur à une situation apparaissent récurrentes
pour l’ensemble des joueurs experts. Les situations vécues par les joueurs présentent bien
des caractéristiques communes concernant principalement les buts poursuivis, les actions
et les informations contextuelles perçues, et dans une moindre mesure les attentes et les
connaissances. Les experts, face à une situation vécue de la même manière, aboutissent à
une même décision tactique, i.e. à l’activation d’un même schéma que nous qualifions de
« typique ». Ce n’est pas seulement une information qui est typique d’une situation mais
bien une articulation d’informations significatives combinant des variables perceptives et
cognitives.
Nous repérons tout de même, des informations significatives qui sont singulières à
l’activité d’un sujet. Cette singularité s’exprime par exemple dans les connaissances des
142
Cyril Bossard
Discussion
joueurs. C’est le cas des connaissances sur les qualités et les défauts des autres joueurs
partenaires ou adversaires. L’extrait suivant illustre l’influence de la connaissance des qualités
de l’adversaire sur la décision tactique adoptée :
Extrait : « (...)je temporise un peu (A) le défenseur va trop vite pour moi (I), il revient
à ma hauteur (I), je vois bien que je peux pas l’effacer (I), techniquement il est meilleur
(C), je donne en retrait à Paul (A) il est seul (I), et il voit mieux le jeu que moi (C), il
frappe (R) (...) ».
(Sujet Thibault, CAVe 5)
C’est également le cas des connaissances qui renvoient aux conceptions ou aux goûts du
sujet pour le jeu :
Extrait : « (...)je vois le gardien qui sort vite des buts vers moi (I), il veut anticiper en
fait (C), je le fixe (A), il se couche au sol (I), moi je suis debout (I), je sais que Gaétan est
seul dans l’axe (C), je lui mets en retrait, tranquille (A), il y a plus de gardien (I), il est par
terre (I), j’aurai pu mettre une pichenette sur le gardien (S) mais bon, c’est plus joli si
Gaétan finit l’action (C), c’est plus collectif (C). (...) ».
(Sujet Gautier, CAR 3)
Des circonstances particulières exprimées par des informations contextuelles significatives
peuvent également influencer la décision tactique en situation. Ces informations soudaines
nécessitent ou provoquent une reconstruction dynamique du schéma typique :
Extrait : « (...)il me fait une passe haute (I), je contrôle de la poitrine (A), je vois que
le défenseur arrive vite sur moi (I), donc au dernier moment je joue en retrait
sur l’autre attaquant (S), il arrive trop vite (I), je suis en angle fermé (I), je fais
la passe à Jordan (A) il a plus de chance de marquer que moi (I), Jordan il a oublié de
s’avancer (R)(...) ».
(Sujet Charles, CAJ 3)
Dans cet extrait d’une situation vécue, Charles active dans un premier temps le schéma
typique n°16 « frapper au but » mais l’arrivée soudaine d’un adversaire le contraint à adapter
son activité, à activer un autre schéma. D’autres extraits soulignent la flexibilité ou la
reconstruction permanente des schémas au cours de l’action. Mouchet et Bouthier (2006)
observent également ce caractère flexible de la décision chez les experts au rugby. Les joueurs
envisagent une possibilité englobante, ouverte, qui est ensuite spécifiée au regard d’indices
significatifs qui s’imposent au sujet. L’auteur parle ainsi d’une « adaptation relative aux
circonstances ».
Cyril Bossard
143
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
Nos résultats confortent l’idée selon laquelle, en sports collectifs, l’activité décisionnelle
des experts reposerait sur l’activation de structures cognitives types, des schémas, permettant
à la fois d’associer une situation et un choix typique (« en supériorité numérique, progresser
vite ») et de spécifier ce choix en fonction d’éléments perceptifs spécifiques à chaque situation
(« passe ou dribble en fonction de la distance à la cible »).
Cet aspect nous paraı̂t important car les résultats sont en grande partie convergents avec
des travaux antérieurs effectués avec d’autres cadres scientifiques et d’autres méthodologies
(Macquet, 2001; Mouchet et Bouthier, 2006). Les résultats de ces études contextualisées
permettent de décrire une activité décisionnelle complexe, singulière et subjective. Macquet
(2001) montre ainsi que les joueurs ne peuvent pas tout comprendre, ils se satisfont d’une
compréhension suffisante pour décider et agir. L’activité décisionnelle fonctionne selon un
mode planifié avec des adaptations en ligne, c’est-à-dire en action. L’activité décisionnelle du
joueur et sa maı̂trise des situations sont fonction de la pression temporelle et de l’incertitude
spatio-temporelle perçues.
De plus, en référence au modèle de la suffisance cognitive (Amalberti, 2001), ces résultats
montrent une possible alternance entre une décision délibérée, en référence à une rationalité
commune (plan de jeu ou culture commune) quand le temps le permet, et une décision
émergente ou on line (Johnson, 2006) sous pression temporelle. Dans une perspective
ergonomique, l’entraı̂nement tactique ne peut alors se réduire à une répétition des 16 schémas
préétablis. S’entraı̂ner à la spécification est une nécessité.
En relation avec la troisième hypothèse formulée, nous avons donc pu mettre en
évidence que l’expertise des joueurs entraine bien une forte homogénéité des schémas activés
en situation de contre-attaque. Cette récurrence et cette homogénéité des informations
significatives pour l’ensemble des sujets a permis d’identifier 16 « schémas typiques » activés
en situation de contre-attaque. Ces données caractérisent la dimension synchronique des
décisions tactiques d’experts en situation de contre-attaque au football. La question est
désormais de savoir si l’on peut caractériser la dynamique d’engendrement de ces schémas
typiques (Hypothèse 4).
Enfin, nous souhaitons également souligner l’originalité des connaissances produites sur
l’activité sportive et dans notre cas, sur les situations de contre-attaque au football. Cette
originalité tient surtout à la prise en compte du point de vue du sujet en situation et
non du point de vue de l’entraineur contrairement à la plupart des typologies d’actions
habituellement proposées (Mombaerts, 1999). La modélisation que nous proposons met ainsi
en relief l’activité décisionnelle effectivement déployée par le sujet. Ce point de vue à la
première personne permet, selon nous, de mieux rendre compte de l’aspect dynamique des
configurations par opposition aux protocoles qui proposent et évaluent la reconnaissance de
configurations « objectives » présentées sur un écran.
A la suite de ces études, des propositions ont été faites pour la formation des joueurs de
144
Cyril Bossard
Discussion
football à l’aide de configurations de jeu présentées sur papier, sur diapositives ou sur vidéo.
Ces configurations sont régulièrement présentées à partir d’un point de vue aérien et plat,
elles sont sélectionnées par le formateur (point de vue extérieur), et ne nécessitent pas la mise
en action des joueurs. Ce type de formation peut paraı̂tre rapidement décontextualisé pour
le joueur.
Aujourd’hui, les dispositifs de réalité virtuelle permettent d’immerger un apprenant
dans un environnement dynamique tout en gardant le point de vue à la première personne.
Le joueur peut également agir sur la situation simulée et ainsi construire des compétences
(dans notre cas décisionnelles) en actes (Rogalski, 2003). Cependant pour être crédibles, les
environnements virtuels doivent proposer des simulations où les agents possèdent une certaine
autonomie. Dans cette perspective, les connaissances produites dans notre étude, à partir du
point de vue intrinsèque du joueur, peuvent servir à documenter le modèle des agents virtuels
autonomes. Notre projet de recherche nourrit cette ambition, nous y reviendrons dans le
chapitre 6 (p 187).
4.4.2.2
Une activité décisionnelle encapsulée dans la dynamique situationnelle
Les résultats obtenus à l’aide du logiciel de représentation graphique Graphviz permettent de restituer le déroulement de la contre-attaque telle qu’elle est vécue par les joueurs
de football. Les modélisations obtenues permettent une description diachronique de l’activité décisionnelle, c’est-à-dire une description des « enchaı̂nements préférentiels de schémas
typiques » (scénarii typiques) pour des joueurs experts en situation de contre-attaque au
football.
Nous avions observé dans la partie résultats que les éléments responsables de la bascule
d’un schéma à l’autre au cours de l’action étaient issus du contexte. Ce constat valide
notre quatrième hypothèse. L’analyse des graphes permet de revenir sur l’enchaı̂nement des
différentes situations vécues (et des schémas associés) par les experts. Les informations issues
du contexte expliquent l’enchaı̂nement dynamique des schémas activés par les joueurs experts
au cours de la situation de contre-attaque, i.e. l’enchaı̂nement dynamique des décisions
tactiques adoptées.
L’enchaı̂nement des schémas apparaı̂t ainsi être dépendant de deux dimensions en
situation de contre-attaque. Dans une première dimension, ces schémas typiques semblent
ainsi distribués de façon implicite en fonction du rôle du joueur (porteur de ballon ou non
porteur) dans la situation. Dans une seconde dimension, les schémas typiques sont activés
et dépendants d’une phase de jeu. La performance de l’équipe, à travers l’enchaı̂nement
des décisions, semble ainsi pour partie dépendante d’une construction, d’une articulation
particulière de l’activité décisionnelle de chacun des membres de l’équipe en fonction de leur
rôle et de la dynamique situationnelle. L’analyse de l’articulation des activités individuelles
Cyril Bossard
145
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
que nous présenterons dans un cinquième chapitre devrait apporter des éléments de réponse
complémentaires à ces hypothèses.
Cependant, les schémas typiques, associés au sein de scénarii typiques, présentent la
dynamique situationnelle de façon simpliste. Pour rendre compte de la complexité de l’activité
décisionnelle, il faut admettre des superpositions, des enchevêtrements dans la dynamique
situationnelle. Même si les verbalisations rendent compte à un moment et pour un contexte
d’une situation vécue, il est probable que plusieurs schémas puissent être activés en même
temps. Il apparaı̂t également possible qu’un schéma se superpose à un autre déjà activé. Les
circonstances locales peuvent constituer des contraintes momentanées dans la situation qui,
une fois dissipées, réengagent le joueur dans le schéma précédemment écarté.
4.4.3
Bilan provisoire
Finalement, l’approche NDM fournit un cadre d’analyse qui permet une description
symbolique acceptable de la dynamique du couplage structurel du joueur avec la situation
(Varela, 1989). L’intérêt de l’analyse de l’activité décisionnelle selon l’approche NDM est
surtout d’apporter des précisions sur :
• La nature des informations significatives pour prendre des décisions tactiques en situation de contre-attaque au football. Dans cette perspective, notons que l’entretien
d’autoconfrontation nous a permis d’obtenir une granularité fine dans la description
des informations significatives pour les joueurs experts au football.
• L’articulation de données d’arrière-plan ou schémas (buts, attentes, connaissances
générales et locales, actions, spécifications) et d’informations contextuelles mobilisées
pour prendre des décisions tactiques rapides et pertinentes in situ.
• La reconnaissance de configurations spatio-temporelles dynamiques, par une activité
consciente combinant souvent plusieurs informations contextuelles perçues.
• Les informations significatives qui constituent des régularités dans l’activité
décisionnelle de joueurs experts. Nous considérons que la finesse et la quantité des
informations regroupées au sein de schémas typiques constituent des manifestations
de l’expertise du joueur en situation de contre-attaque au football.
Nous avons pu ainsi éclairer en partie la dynamique du couplage entre l’acteur et la
situation, en documentant les catégories théoriques définies par le modèle RPD (Klein, 1997).
L’apport original de cette étude consiste à notre avis, dans le fait d’avoir pu documenter ces
données à propos de situations réelles de contre-attaque, et ceci en valorisant le point de vue
146
Cyril Bossard
Discussion
de l’acteur principal qui est le joueur. Nous estimons éclairer en partie la complexité de la
décision tactique en football qui constitue un enjeu important dans la pratique de haut niveau.
Les résultats de notre analyse de l’activité décisionnelle individuelle montrent que la décision
tactique des experts en contre-attaque au football est fortement contextualisée. Les décisions
sont prises sous forte pression temporelle, ce qui impose au sujet de répondre rapidement
aux situations, tout en s’adaptant à la complexité des contextes. Plus particulièrement, notre
étude montre l’importance des informations contextuelles significatives qui portent sur
les autres joueurs et notamment les partenaires. Ces premiers résultats laissent présager
que la décision tactique n’est pas une décision individuelle, isolée, mais bien une décision à
plusieurs, ou encore sous influence(s). Cette complexité nécessite à présent d’aborder la
problématique de l’articulation des activités individuelles.
Dans le chapitre 5, nous proposons une étude des articulations entre les activités
individuelles de partenaires, pour mettre à jour le jeu des influences entre joueurs d’une
même équipe lors de situations dynamiques et collaboratives.
Cyril Bossard
147
Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
148
Cyril Bossard
Chapitre 5
Étude de l’activité collective
Formes typiques de coordination, influences interindividuelles et
informations partagées dans des situations de contre-attaque en
football
Résumé – Ce chapitre présente une seconde étude de l’activité décisionnelle en situation
dynamique et collaborative. Cette étude s’est attachée à analyser l’articulation entre les
activités individuelles et l’activité de l’équipe. Nous nous sommes intéressés successivement
au jeu des influences entre partenaires, aux informations partagées, et à la relation entre
les buts de trois membres d’une même équipe au cours de situations de contre-attaque.
Des données comportementales sont enregistrées auprès de 12 joueurs de football répartis
en quatre équipes et complétées par des données verbales recueillies lors d’un entretien
d’autoconfrontation individuel. L’analyse de l’articulation des activités individuelles au sein
de l’équipe permet de caractériser 5 formes typiques de coordination des activités. Notre étude
montre ainsi comment les membres de l’équipe se coordonnent et s’adaptent collectivement de
façon économique en situation de fortes contraintes temporelles. Les régularités observées au
sein d’une même équipe ou à travers des équipes différentes peuvent être associées au niveau
de partage des informations contextuelles. Le contenu de ce qui est partagé prioritairement
au même instant pour les membres de l’équipe explique également les différentes formes de
coordination.
Cyril Bossard
149
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
Introduction
Le chapitre 4 constituait un préalable à l’analyse de la dimension collective de l’activité
décisionnelle en situation dynamique et collaborative. Les résultats ont mis en exergue
l’importance de l’activité d’autrui, exprimé d’un point de vue individuel comme des éléments
contextuels particulièrement significatifs. Ces premiers résultats nous incitent à poursuivre
les investigations sur l’influence des partenaires dans l’activité décisionnelle pour éclairer un
peu plus la complexité de notre objet d’étude.
Dans ce cinquième chapitre, nous présentons une seconde étude relative à l’analyse
de l’activité collective en situation dynamique et collaborative. Rappelons que lors du
chapitre 3, nous avons présenté l’évolution des points de vue adoptés pour l’analyse de
l’activité collective en situation dynamique collaborative (Cf. Synthèse 3.4, p 98). Malgré
des divergences théoriques et méthodologiques, chacune de ces propositions considère comme
essentiel le processus de coordination des activités au sein d’une équipe. Le premier point de
vue (approche TNDM) appréhende la coordination des actions à partir de la description et
P
de l’analyse des activités des individus en situation collective (AC =
des AI). Le second
point de vue (THEDA ou l’approche des systèmes dynamiques) vise à décrire et à expliquer
de manière holistique les interactions entre les agents en considérant le collectif comme une
unité d’analyse (AC = AC). Enfin, le troisième point de vue (l’approche située) cherche à
rendre compte de l’articulation entre activité individuelle et activité collective en analysant
les influences entre les individus (AC = AC ↔ AI).
L’analyse de ces différentes approches théoriques et méthodologiques, nous a conduits
à adopter le troisième point de vue pour décrire l’articulation de l’activité des individus et
de l’équipe dans une situation dynamique et collaborative typique des sports collectifs : la
contre-attaque en football.
Objectifs
L’objectif principal de notre travail de recherche est de décrire et d’expliquer la coordination d’actions de plusieurs joueurs au sein d’une situation dynamique collaborative. Pour
cela nous avons choisi d’effectuer une analyse de l’articulation entre activité collective et activités individuelles pour des joueurs experts, en situation de contre-attaque au football. Cette
analyse doit déboucher sur :
1. l’identification des influences interindividuelles au sein de l’équipe,
2. la description des formes « typiques » de coordination des activités individuelles au
cours d’une contre-attaque,
150
Cyril Bossard
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
3. la définition de conditions favorables à l’émergence de ces formes typiques de coordination en interrogeant « ce qui est partagé » entre les joueurs (connaissances vs contexte).
Rappelons que dans notre démarche de recherche, l’analyse et la modélisation de la
dimension collective des décisions tactiques de l’expert constitue une étape supplémentaire
(et complémentaire de l’analyse individuelle) dans la perspective du développement d’un
outil, d’un environnement virtuel simulant des situations de jeu au football.
Problématique et hypothèses
Si la dimension collective de l’activité décisionnelle a déjà été abordée au travers de
l’étude des coordinations d’actions entre les membres d’une équipe, peu d’études
se sont attachées à décrire et à expliquer comment les joueurs collaborent et parviennent
effectivement à articuler leurs activités en situation dynamique et collaborative. De plus,
la problématique de l’activité collective est une question de recherche d’actualité. Les débats
semblent aujourd’hui se cristalliser autour d’une question relative à la notion de partage.
L’enchaı̂nement des actions au sein d’une équipe s’explique, dans la littérature, soit en
référence à des éléments cognitifs communs chez les différents joueurs engagés dans une
même action (notion de buts ou connaissances partagées), soit en référence à des éléments
contextuels significatifs pour ces joueurs (notion de contexte partagé).
Du point de vue de l’analyse collective, nous chercherons donc à identifier des
formes typiques de coordination, des régularités qui apparaı̂traient dans le jeu
des influences entre partenaires. Pour expliquer ces formes typiques de coordination,
nous chercherons aussi à répondre à la question, centrale dans la littérature, relative à ce
qui est partagé entre les membres d’une équipe. Nous souhaitons identifier les éléments
partagés en cours d’action par les joueurs d’une même équipe qu’ils soient de l’ordre des
connaissances ou des informations contextuelles. Dans cette perspective nous avons formulé
plusieurs hypothèses que nous rappelons ici.
Les formes typiques de coordination des activités individuelles apparaissent à partir de la
description du jeu des influences entre partenaires, des informations partagées et des relations
entre les buts des différents membres de l’équipe. Pour établir le jeu des influences à chaque
instant du cours d’action, nous supposons que les influences entre deux partenaires seront
mutuelles ou unidirectionnelles (Bourbousson et al., 2008). Nous supposons également que
chaque forme de coordination se caractérise par des informations partagées typiques et des
relations types entre les buts de chacun des membres.
Dans le cadre particulier des situations de contre-attaque au football, si les formes
typiques de coordinations reposent sur un partage d’informations entre joueurs d’une même
équipe, nous pouvons formuler deux autres hypothèses complémentaires.
Cyril Bossard
151
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
D’une part, la description du contenu précis des informations partagées entre les
membres de l’équipe permettra d’expliquer les conditions d’émergence des formes typiques
de coordination. Nous contribuerons ainsi à combler le manque de données sur le contenu
précis de ce qui est partagé entre les membres d’un collectif pointé dans des travaux récents
(Salembier et Zouinar, 2006; Bourbousson et al., 2008). Nous supposons plus particulièrement
que le type d’informations partagées en situation de contre-attaque concerne les adversaires.
D’autre part, nous supposons que les formes typiques de coordination se différencient en
fonction du niveau de partage des informations entre partenaires. D’autres travaux ont en
effet mis en doute un partage total des informations entre partenaires (Mundutéguy et Darses,
2007). Cette hypothèse se justifie également par la singularité des activités individuelles
(Chapitre 4). Nous postulons dans ce cadre que l’efficacité d’une coordination typique en
situation de contre-attaque au football s’explique par un niveau élevé d’informations partagés.
La partie suivante présente la méthode mobilisée pour l’étude de l’activité collective
en situation dynamique collaborative. Comme pour l’analyse de l’activité individuelle, nous
illustrerons la présentation de la méthode par des exemples concrets de données et de résultats.
5.1
Méthode
L’étude de l’activité décisionnelle individuelle constituait un préalable à l’analyse de
l’articulation entre activités individuelles et activité collective. La méthode reprend ici les
principales étapes décrites et mises en œuvre lors de l’étude de l’activité décisionnelle
individuelle. La présentation des participants, le contexte d’étude, et le recueil des données
sont identiques à ceux effectués pour l’étude de l’activité décisionnelle individuelle (voir 4.1,
p 110).
L’analyse des données reprend également pour partie les étapes de l’analyse présentée
lors du chapitre précédent : a) la retranscription des données, b) la sélection et l’identification
des unités significatives, c) le découpage du déroulement de l’activité en situations vécues.
Puis, nous préparons les données pour l’analyse individuelle-collective en constituant un
protocole en vis-à-vis en deux volets : le contexte objectif (comportements) et les situations
vécues par les membres de l’équipe (Joueur 1, Joueur 2, Joueur 3).
La suite de l’analyse respecte 4 étapes1 :
1. Le codage des données (influences interindividuelles, informations significatives, buts),
2. L’identification de formes locales de coordination entre joueurs d’une même équipe,
3. L’identification des formes typiques de coordination pour l’ensemble des participants,
1
L’intégralité de l’analyse des données de l’activité collective est disponible à l’adresse internet suivante :
http ://www.enib.fr/∼bossard/
152
Cyril Bossard
Méthode
4. La validité de l’analyse.
5.1.1
Préparation d’un protocole en vis-à-vis
Pour chaque équipe, des protocoles à deux volets ont été réalisés en respectant le décours
temporel de la situation d’étude (Cf. Tableau 5.1, p 154). Les situations vécues par chacun des
membres de l’équipe sont ainsi articulées et synchronisées selon la chronologie de la situation
d’étude dans un tableau à 5 colonnes.
Dans un premier volet, nous numérotons la situation étudiée (les contre-attaques) afin
de faciliter l’analyse pour le chercheur. Par exemple, la première contre-attaque de l’équipe
violette est référencée CAVi 1. Dans ce premier volet, nous intégrons également le contexte
objectif décrit par le chercheur au travers des changements de rôles du joueur et d’une
description des événements. Une description comportementale de chaque joueur en évitant
toute interprétation est disponible. Dans le second volet nous reprenons les situations vécues
successivement par les 3 joueurs d’une même équipe que nous disposons en trois colonnes
correspondant aux trois activités individuelles. Ces différentes situations vécues sont ensuite
synchronisées sur la base du déroulement temporel de la contre-attaque, du contexte objectif
et des indications données par les verbalisations de chacun des joueurs. Cette synchronisation
permet d’agencer les situations vécues par l’un et par l’autre de façon à restituer la dynamique
de la contre-attaque telle quelle s’est déroulée selon le point de vue des trois joueurs considérés.
5.1.2
Le codage des données
À partir de la constitution du protocole de mise en vis-à-vis, l’analyse du contenu des
verbalisations des trois joueurs se poursuit à travers le codage des données. Ce dernier repose
sur une analyse fine de l’articulation des activités des membres de l’équipe et permet de
définir, pas à pas, les différentes formes locales de coordination des activités individuelles.
Nous utilisons un triple codage qui repose sur l’identification des influences entre
les membres de l’équipe, sur les informations partagées par les membres, et enfin, sur les
relations entre les buts poursuivis par chacun d’eux. Chaque type de codage suit une
procédure particulière que nous allons à présent détailler.
5.1.2.1
Le codage des influences
Dans un premier temps, nous réalisons une lecture attentive des tableaux, et nous
repérons de façon systématique les verbalisations d’un sujet qui font référence à un partenaire
(élément qui est significatif de son point de vue). Nous représentons cette influence par une
Cyril Bossard
153
Situation
d’étude
3ème passage
Triplette
violette
Contexte objectif
Comportements
observés
Joueur 1
Michel
Michel et Benoı̂t au
pressing, Flavien en
appui, regarde le jeu
Michel récupère le
ballon, lève la tête,
avance dans l’axe.
Benoı̂t accélère vers
la gauche, Flavien se
déplace vers la droite
Je récupère la balle (A), je lève
la tête (A), je regarde
directement où sont mes 2
partenaires (A), je conduis la
balle (A), je la donne à benoı̂t
(A), il a libéré de l’espace en
embarquant le défenseur avec
lui (I), je lui mets la balle en
profondeur (A)
Joueur 2
Benoı̂t
Joueur 3
Flavien
On presse sur les deux joueurs
adverses (A), il y a une
confusion entre eux (I) et ils
perdent la balle (R)
Les autres jouent (I), j’attends
(A), je m’occupe du gars qui
me marque (B) il faut que
j’écarte sur un côté (C), je sais
déjà que je dois m’écarter sur
un des deux côtés (C) je
regarde le jeu (A), ils
(adversaires) perdent le ballon
(R)
Cyril Bossard
Michel va la chercher tout de
suite (I), je le regarde faire (A)
et directement je cours vers
l’avant et vers la gauche (A),
lui il va vers la droite (I), je me
décale au maximum à gauche
tout en restant près du but
(A), pour recevoir la balle, et
pour qu’il me voit aussi (B), il
me voit justement (I) et il opte
pour une passe dans la
profondeur (I) pour que
l’action aille quand même vite
(I)
Je regarde le placement du
défenseur (A), il est entre
Flavien qui est en appui et moi
(I), pour ne pas être hors jeu
sur l’appel, je me décale sur la
gauche (A) pour que Michel me
voie, et que je reçoive la balle
dans de bonnes conditions (B).
Je reçois la balle (R), elle est
un peu fuyante (R)
J’écarte directement sur le côté
(A), pour laisser de la place à
Benoı̂t (B) ça lui laisse de la
place pour aller au but (R)
Benoı̂t reçoit le ballon (I) je le
rejoins dans l’axe (A), je
demande la balle en retrait
(A), il la met à Michel (R)
Tableau 5.1 – Illustration du protocole en vis-à-vis : articulation et synchronisation des situations vécues par les membres d’une équipe
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
154
Volet 2
Situations vécues
Volet 1
Méthode
flèche bleue de l’élément significatif (exemple : action d’un partenaire) vers le joueur qui
évoque cet élément (influence). La flèche désigne (code) le processus d’influence subi par un
joueur. L’influence peut aller de A vers B mais aussi réciproquement de B vers A (codage
flèche ou double flèche).
Ainsi, l’interaction entre deux joueurs peut être caractérisée par une absence d’influence,
une influence mutuelle, ou une influence unidirectionnelle. Ces distinctions quant au codage
des influences interindividuelles se retrouvent chez Bourbousson et al. (2008). La figure 5.1
illustre ces trois types d’influences.
Figure 5.1 – Représentation des trois types d’influences interindividuelles
5.1.2.2
Le codage des informations significatives
Le codage des informations significatives est effectué en référence aux travaux de Mundutéguy et Darses (2007). En situation d’interaction, 3 catégories permettent de distinguer
les informations formulées par les différents acteurs impliqués : les informations spécifiques à
un sujet, les informations partiellement partagées (évoquées par une partie des sujets) et les
informations communes (évoquées par l’ensemble des sujets).
Pour coder les unités significatives qui sont communes aux trois joueurs, nous
appliquons une police de caractère en gras. Pour les unités significatives partiellement
partagées (entre deux joueurs), nous appliquons une police de caractère en italique. Les unités
significatives spécifiques à l’activité d’un joueur sont laissées dans la police de caractère initiale
dans le tableau (Cf. 5.2, p 156).
5.1.2.3
Le codage des buts
Nous souhaitons identifier les relations entre les buts individuels des différents
membres d’une même équipe. Cependant, les buts ne sont pas toujours déclarés par les
joueurs au cours des entretiens d’autoconfrontation. Pour identifier de manière empirique les
relations entre les buts des joueurs, nous prenons principalement appui sur le codage effectué
lors de l’analyse de l’activité individuelle. Bien que l’identification des relations entre les buts
individuels soit basée sur une démarche de catégorisation empirique, nous explicitons ici la
procédure utilisée. Dans un premier temps, nous avons reporté les buts tels qu’ils ont été
formulés par le sujet (unités significatives codées (B)). Ensuite, nous avons inféré le but
recherché localement par le(s) joueur(s) à partir des verbalisations, des comportements
Cyril Bossard
155
Contexte objectif
Comportements
observés
Situation
d’étude
3ème passage
Triplette
violette
Joueur 1
Michel
Michel et Benoı̂t au
pressing, Flavien en
appui, regarde le jeu
Michel récupère le
ballon, lève la tête,
avance dans l’axe.
Benoı̂t accélère vers
la gauche, Flavien se
déplace vers la droite
Je récupère la balle (A), je lève
la tête (A) je regarde
directement où sont mes 2
partenaires (A), je conduis la
balle (A), je la donne à
Benoı̂t (A), il a libéré de
l’espace en embarquant le
défenseur avec lui (I), je lui
mets la balle en profondeur
(A)
Joueur 2
Benoı̂t
Joueur 3
Flavien
On presse sur les deux joueurs
adverses (A), il y a une
confusion entre eux (I) et ils
perdent la balle (R)
Les autres jouent (I), j’attends
(A), je m’occupe du gars qui
me marque (B) il faut que
j’écarte sur un côté (C), je sais
déjà que je dois m’écarter sur
un des deux côtés (C) je
regarde le jeu (A), ils
(adversaires) perdent le ballon
(R)
Cyril Bossard
Michel va la chercher tout de
suite (I), je le regarde faire (A)
et directement je cours vers
l’avant et vers la gauche (A),
lui il va vers la droite (I), je me
décale au maximum à gauche
tout en restant près du but
(A), pour recevoir la balle, et
pour qu’il me voit aussi (B), il
me voit justement (I) et il
opte pour une passe dans
la profondeur (I) pour que
l’action aille quand même vite
(I)
Je regarde le placement du
défenseur (A), il est entre
Flavien qui est en appui et moi
(I), pour ne pas être hors jeu
sur l’appel, je me décale sur la
gauche (A) pour que Michel me
voie, et que je reçoive la balle
dans de bonnes conditions (B).
Je reçois la balle (R), elle
est un peu fuyante (R)
J’écarte directement sur le côté
(A), pour laisser de la place à
Benoı̂t (B) ça lui laisse de la
place pour aller au but (R)
Benoı̂t reçoit le ballon (I),
je le rejoins dans l’axe (A), je
demande la balle en retrait
(A), il la met à Michel (R)
Tableau 5.2 – Illustration du codage des informations significatives (spécifiques, communes ou partagées)
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
156
Volet 2
Situations vécues
Volet 1
Méthode
et du contexte. Enfin, dans un troisième temps, les buts « typiques », à un moment
donné du cours d’action, sont reportés pour les trois joueurs à l’aide des résultats obtenus
lors de l’analyse individuelle (i.e. les schémas typiques des joueurs ; Chapitre 4, p 129).
Cette préparation des données concernant les buts des joueurs devrait permettre de faciliter
l’identification des relations entre les buts individuels.
5.1.3
La description quantitative
A la suite du codage des données, afin d’obtenir des données descriptives quantitatives,
nous avons comptabilisé, pour l’ensemble des contre-attaques, le nombre d’influences unidirectionnelles, d’influences mutuelles et d’absence d’influence entre deux joueurs.
Nous comptabilisons également le nombre d’informations significatives partagées
ou non par les membres de l’équipe en référence à nos catégories théoriques (communes,
partiellement partagées, spécifiques). Nous comptabilisons ainsi les informations qui sont
communes aux trois joueurs, celles qui sont partagées par deux joueurs et enfin celles qui
sont spécifiques à l’activité d’un joueur pour l’ensemble des contre-attaques d’une même
équipe.
5.1.4
L’identification des formes locales de coordination
La troisième étape d’analyse des données consiste à identifier les formes locales de
coordination entre les membres de l’équipe à partir du jeu des influences, des informations
partagées et de l’articulation des buts individuels.
5.1.4.1
Le jeu des influences
Cette étape consiste à identifier le jeu des influences entre tous les joueurs
de l’équipe à chaque instant de la contre-attaque (Goffman, 1974). Le jeu des influences
correspond alors au regroupement de l’ensemble des influences dyadiques (entre deux joueurs)
à un moment donné de la situation de contre-attaque.
Cette étape permet de caractériser les types d’influences qui unissent tous les joueurs à
chaque instant de la séquence de contre-attaque étudiée. En outre, elle permet de restituer
pas à pas et localement la dynamique d’articulation des situations vécues successivement par
les trois joueurs au cours d’une contre-attaque au football.
Nous obtenons une succession de « modélisations locales » ajoutée dans un troisième volet
du tableau proposant une présentation en vis-à-vis de l’activité des 3 joueurs (Cf. Tableau
5.3, p 158).
Cyril Bossard
157
3ème
passage
Triplette
violette
Contexte objectif
Comportements
observés
Joueur 1
Michel
Michel et Benoı̂t
au pressing,
Flavien en appui,
regarde le jeu
Michel récupère
le ballon, lève la
tête, avance dans
l’axe. Benoı̂t
accélère vers la
gauche, Flavien
se déplace vers la
droite
Je récupère la balle (A), je
lève la tête (A) je regarde
directement où sont mes 2
partenaires (A), je conduis
la balle (A) je la donne à
benoı̂t (A) il a libéré de
l’espace en embarquant le
défenseur avec lui (I), je lui
mets la balle en profondeur
(A)
Joueur 2
Benoı̂t
Joueur 3
Flavien
on presse sur les deux
joueurs adverses (A), il y a
une confusion entre eux (I)
et ils perdent la balle (R)
les autres jouent (I),
j’attends (A), je m’occupe
du gars qui me marque (B)
il faut que j’écarte sur un
coté (C), je sais déjà que je
dois m’écarter sur un des
deux cotés (C) je regarde le
jeu (A), ils (adversaires)
perdent le ballon (R)
Cyril Bossard
Michel va la chercher tout
de suite (I), je le regarde
faire (A) et directement je
cours vers l’avant et vers la
gauche (A), lui il va vers la
droite (I), je me décale au
maximum à gauche tout en
restant près du but (A),
pour recevoir la balle, et
pour qu’il me voit aussi
(B), il me voit justement (I)
et il opte pour une passe
dans la profondeur (I) pour
que l’action aille quand
même vite (I)
je regarde le placement du
défenseur (A), il est entre
Flavien qui est en appui et
moi (I), pour ne pas être
hors jeu sur l’appel, je me
décale sur la gauche (A)
pour que Michel me voie, et
que je reçoive la balle dans
de bonnes conditions (B).
Je reçois la balle (R) elle
est un peu fuyante (R)
j’écarte directement sur le
coté (A), pour laisser de la
place à Benoı̂t (B) ça lui
laisse de la place pour aller
au but (R)
Benoı̂t reçoit le ballon (I),
je le rejoins dans l’axe (A),
je demande la balle en
retrait (A), il la met à
Michel (R)
Tableau 5.3 – Illustration des modélisations locales du jeu des influences
Jeu des
influences
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
158
Situation
d’étude
Volet 3
Modélisation
locale
Volet 2
Situations vécues
Volet 1
Méthode
Cette étape nous permet bien de caractériser la façon dont s’articule, à un même instant,
l’activité des 3 joueurs de l’équipe.
5.1.4.2
Les informations partagées
Pour expliquer, étudier les conditions d’émergence de ces formes locales de coordinations
entre les joueurs, nous identifions quelles sont les informations partagées par les
membres de l’équipe.
Nous disposons d’un codage des informations significatives partagées à deux (italique)
ou trois (gras) joueurs. Nous rapportons ces indications dans une quatrième volet ajouté au
tableau de mise en vis-à-vis (Cf. Tableau 5.4, p 160). Ainsi, les informations significatives
partiellement partagées par deux joueurs ou communes aux trois joueurs sont disposées en
vis-à-vis de la modélisation locale du jeu des influences correspondante.
5.1.4.3
L’articulation des buts individuels
Afin de poursuivre l’analyse des conditions d’émergence des formes locales de coordinations entre les joueurs, nous avons également cherché à caractériser la relation entre leurs
buts respectifs.
Nous disposons de données relatives aux buts des joueurs provenant de l’analyse de
l’activité individuelle. Nous utilisons à nouveau une analyse de contenu empirique où les
relations entre les buts apparaissent progressivement, au cours de l’analyse.
Au terme de cette étape d’identification de l’articulation des buts entre les membres
d’une même équipe, nous reportons le type de relation entre les buts individuels dans un
cinquième et dernier volet du tableau avec les modélisations locales du jeu des influences et
les informations partagées correspondantes (Cf. Tableau 5.5, p 161).
À l’issue de cette troisième étape de l’analyse des données, nous disposons d’un tableau
qui regroupe à chaque moment de la contre-attaque, une modélisation locale du jeu des
influences, des informations partagées entre les membres de l’équipe et des types de relation
entre les buts des joueurs. Des données chiffrées permettent également de caractériser le
niveau de partage des informations entre joueurs pour chaque forme locale d’articulation.
L’ensemble de ces indications permet de caractériser les formes locales de coordinations
des activités des membres d’une équipe, à chaque instant de la contre-attaque considérée.
L’étape suivante consiste à regrouper ces coordinations locales afin de mettre à jour des
formes « typiques » de coordination pour l’ensemble des participants à l’étude, considérés
comme des experts en football.
Cyril Bossard
159
Contexte objectif
Comportements
observés
Joueur 1
Michel
Michel et Benoı̂t
au pressing,
Flavien en appui,
regarde le jeu
Michel récupère
le ballon, lève la
tête, avance dans
l’axe. Benoı̂t
accélère vers la
gauche, Flavien
se déplace vers la
droite
Je récupère la balle (A), je
lève la tête (A), je regarde
directement où sont mes 2
partenaires (A), je conduis
la balle (A), je la donne à
benoı̂t (A) il a libéré de
l’espace en embarquant le
défenseur avec lui (I), je lui
mets la balle en profondeur
(A)
Joueur 2
Benoı̂t
Joueur 3
Flavien
On presse sur les deux
joueurs adverses (A), il y a
une confusion entre eux (I)
et ils perdent la balle (R)
Les autres jouent (I),
j’attends (A), je m’occupe
du gars qui me marque (B)
il faut que j’écarte sur un
côté (C), je sais déjà que je
dois m’écarter sur un des
deux côtés (C), je regarde
le jeu (A), ils (adversaires)
perdent le ballon (R)
Cyril Bossard
Michel va la chercher tout
de suite (I), je le regarde
faire (A) et directement je
cours vers l’avant et vers la
gauche (A), lui il va vers la
droite (I), je me décale au
maximum à gauche tout en
restant près du but (A),
pour recevoir la balle, et
pour qu’il me voit aussi
(B), il me voit justement (I)
et il opte pour une passe
dans la profondeur (I)
pour que l’action aille
quand même vite (I)
Je regarde le placement du
défenseur (A), il est entre
Flavien qui est en appui et
moi (I), pour ne pas être
hors jeu sur l’appel, je me
décale sur la gauche (A)
pour que Michel me voie, et
que je reçoive la balle dans
de bonnes conditions (B).
Je reçois la balle (R), elle
est un peu fuyante (R)
J’écarte directement sur le
côté (A), pour laisser de la
place à Benoı̂t (B) ça lui
laisse de la place pour aller
au but (R)
Benoı̂t reçoit le ballon
(I), je le rejoins dans l’axe
(A), je demande la balle en
retrait (A), il la met à
Michel (R)
Tableau 5.4 – Illustration des informations partagées
Volet 3
Modélisation
locale
Volet 4
Modélisation locale
Jeu des
influences
Informations partagées
• Spécifiques (8)
• Partagées à 2 (0)
• Communes (0)
• Spécifiques (18)
• Partagées à 2 (3) : Entre
Benoı̂t et Flavien : « les
adversaires perdent la
balle » ; Entre Benoı̂t
et Michel : « Michel
récupère la balle » et « ils
se voient tous les deux »
• Communes (1) : Michel passe à Benoı̂t
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
160
Volet 2
Situations vécues
Volet 1
Cyril Bossard
Volet 2
Situations vécues
Volet 1
Contexte objectif
Comportements
observés
Joueur 1
Michel
Michel et Benoı̂t
au pressing,
Flavien en appui,
regarde le jeu
Michel récupère
le ballon, lève la
tête, avance dans
l’axe. Benoı̂t
accélère vers la
gauche, Flavien
se déplace vers la
droite
Je récupère la balle
(A),(...) je lui mets
la balle en
profondeur (A)
Joueur 2
Benoı̂t
Joueur 3
Flavien
On presse sur (...) ils
perdent la balle (R)
Les autres jouent (I),
j’attends (A), je
m’occupe du gars
qui me marque
(B) (...) ils perdent
le ballon (R)
Michel va la chercher
tout de suite (I), (...)
je me décale au
maximum à gauche
tout en restant près
du but (A), pour
recevoir la balle,
et pour qu’il me
voit aussi (B) (...)
J’écarte directement
sur le côté (A), pour
laisser de la place
à Benoı̂t (B) ça lui
laisse de la place
pour aller au but (R)
Je regarde (...), je
me décale sur la
gauche (A) pour
que Michel me
voie, et que je
reçoive la balle
dans de bonnes
conditions (B) (...)
elle est un peu
fuyante (R)
Benoı̂t reçoit le
ballon (I), je le
rejoins dans l’axe
(A), je demande la
balle en retrait (A),
il la met à Michel
(R)
Volet 3
Jeu des
influences
Volet 4
Informations partagées
Volet 5
Buts
Modélisation
locale
Catégorisation des
informations partagées
Relations entre
les buts
individuels
• Spécifiques (8)
• Partagées à 2 (0)
• Communes (0)
• Spécifiques (18)
• Partagées à 2 (3) :
Entre B et F : « les
adversaires perdent la
balle » ; Entre B et
M : « Michel récupère
la balle » et « ils se
voient tous les deux »
• Commune (1) : Michel passe à Benoı̂t
Convergents et
spécifiques
161
Méthode
Tableau 5.5 – Illustration des relations entre les buts individuels
Convergents et
partagés à 2
(Michel et
Benoı̂t)
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
5.1.5
Le regroupement des formes locales de coordination et
l’identification a posteriori des formes « typiques » de
coordination
Cette quatrième étape de l’analyse des données consiste à regrouper de manière empirique
les différentes formes locales de coordination. Les principes d’une catégorisation empirique
ont été explicités dans le chapitre précédent (Cf. Chapitre 4, Le regroupement des situations
vécues, p 235). Nous reprenons ici, brièvement les principales caractéristiques pour mieux
préciser notre démarche.
A partir des principes de la « théorie ancrée » (Strauss et Corbin, 1998), nous procédons
à des regroupements par associations d’unités d’analyse (ici les différentes formes locales
de coordination). Par approximations successives à partir des similitudes, nous procédons
au regroupement des différentes formes locales de coordination pour l’ensemble des équipes.
L’objectif est de rendre compte de la récurrence de certaines formes d’articulation des activités
individuelles. Comme pour l’identification de schémas typiques, l’essentiel reste que la forme
typique de coordination collective obtenue soit nommée après le regroupement. Le titre
conceptuel n’est défini qu’en fin d’analyse (Bardin, 1998). Il s’agit bien de « faire émerger la
théorie à partir des données » (Dumas, 2000).
Dans notre étude, les critères successifs qui ont orienté le processus de catégorisation
sont restitués a posteriori. Dans un ordre prioritaire, ces critères étaient les suivant : 1) la
modélisation du jeu des influences, 2) les informations partagées, 3) les relations entre les
buts individuels.
5.1.6
Validité de l’analyse
La validité de l’analyse des données proposée repose sur une procédure de « triangulation » entre trois chercheurs (l’auteur, Kermarrec, G. et Cormier, J.). Le regroupement des
formes locales de coordination et l’identification des formes typiques sont proposés par le
premier chercheur, les deux autres effectuent individuellement une relecture attentive. En cas
de désaccord, les trois chercheurs tentent de construire une proposition commune.
5.2
Résultats
Pour cette étude, nous avons pris en compte les 5 situations de contre-attaque de chacune
des 4 équipes. À partir des 12 entretiens d’auto-confrontation menés avec chacun des sujets,
nous obtenons des comportements et des verbalisations sur 20 contre-attaques réalisées dans
une situation d’étude privilégiée en football.
162
Cyril Bossard
Résultats
L’analyse qualitative des données individuelles avait permis de sélectionner 1 286 unités
significatives (US). Nous avons reporté l’ensemble de ces données par équipe dans les tableaux
à deux volets. La répartition des US par équipe est la suivante : rouges (414 US), verts (260
US), violets (314 US), et jaunes (298 US).
Nos résultats sont présentés en respectant les cinq temps de la méthode d’analyse des
données précédemment décrite :
1. les influences interindividuelles,
2. les informations partagées (niveau de partage et contenu des informations partagées),
3. la relation entre les buts,
4. les formes locales de coordination,
5. les formes typiques de coordination.
5.2.1
Les influences interindividuelles
L’analyse des données permet de caractériser, d’identifier 216 situations d’influence entre
deux joueurs au fur et à mesure des contre-attaques pour l’ensemble des 4 équipes. Les
résultats pointent un faible nombre d’occurrences des situations où on identifie une absence
d’influence entre deux joueurs (41), ce qui représente 18,9% de l’ensemble des influences entre
deux joueurs. L’influence unidirectionnelle d’un joueur sur un autre représente la plus grande
part des influences entre deux joueurs (46,7%). Enfin, les influences mutuelles représentent
34,2% des influences interindividuelles.
L’analyse des données (les influences entre deux joueurs) permet ensuite de caractériser
le jeu des influences entre les 3 membres de l’équipe à différents instants de la contre-attaque.
Le jeu des influences pour une équipe correspond alors au regroupement de l’ensemble des
influences dyadiques à un moment donné de la situation de contre-attaque. L’analyse qualitative transversale des contenus répartis au sein des deux volets pour les 20 contre-attaques
sélectionnées permet d’identifier 72 formes « locales » d’influence au sein des équipes
de 3 joueurs. Au sein de ces formes locales, nous pouvons souligner le rôle important
du joueur porteur de balle (PB) dans le jeu des influences entre les membres de l’équipe.
L’extrait suivant (CAR 2) illustre l’identification de 3 formes locales, trois jeux d’influences
lors d’une même séquence de contre-attaque.
- Première situation [Gautier] : « (...) on est très proche tous les deux (I), il avance un peu (I), je reste à
côté (A), il me la donne (R) (...) ».
[Bastien] : « (...) direct à la récup je la mets à gauche à Gauthier (A), je vois qu’il m’a
suivi (I), on est proche tous les deux (I), je lui donne (A) (...) »
Cyril Bossard
163
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
[Gaétan] : « (...) Bastien donne à Gautier (I) (...) »
Ici, on observe bien une influence mutuelle entre Gautier et Bastien correspondant à
une coordination d’actions (passe) entre les 2 joueurs. Leurs activités respectives ne sont pas
influencées par le troisième membre de l’équipe, ils ne le prennent pas en compte. Gaétan
reste cependant sous l’influence de chacun d’eux (Figure 5.2).
Figure 5.2 – Modélisation locale des influences (Equipe rouge) Situation 1.
- Deuxième situation [Gautier] : « (...)les 2 défenseurs viennent sur nous (I), Bastien il fait le tour des 2
(I), je l’ai vu partir (I), je vois le trou entre les 2 (I), je lui donne la balle (A), il fait l’appel
(I), je sais qu’il veut la balle entre les 2 (C) (...) »
[Bastien] : « (...) les deux défenseurs sont juste devant nous (I), il avance un peu (I), je
me décale à droite (A), le défenseur met la pression sur Gauthier et le deuxième est juste à
côté (I), je décide de passer derrière les deux défenseurs (A) pour lui proposer une solution
dans l’intervalle des deux (B), je fais un appel (A), il me voit passer entre les deux devant
lui (C), il me donne la balle (R) (...) »
[Gaétan] : « (...) je recule encore plus vers la gauche (A) pour écarter le jeu (B), je suis
seul (I), les deux autres font pas attention à moi (I), ils jouent ensemble sans se préoccuper
de moi (I), je suis l’action de loin (A), je suis pas si loin mais pas dans le truc (I), je pense
juste à être en soutien si il y a besoin (B) (...) »
Dans la continuité de la situation précédente, Gautier et Bastien s’influencent mutuellement pour franchir l’obstacle que représentent les deux défenseurs. Leur activité collaborative
est entièrement tournée vers ce but local. Gaétan n’intervient toujours pas dans cette activité, il « subit » l’interaction entre ses partenaires. Ce dernier par ailleurs est bien conscient
de son absence d’influence sur le jeu de ses partenaires. Il reste cependant sous l’influence
unidirectionnelle de chacun d’eux (Figure 5.3).
- Troisième situation -
164
Cyril Bossard
Résultats
Figure 5.3 – Modélisation locale des influences (Equipe rouge) Situation 2.
[Gautier] : « (...) il part seul au but (I), il y en a un derrière lui qui le colle (I), je pars
vers la droite (A), je reste à son niveau (A), il est lancé (I), je le regarde (A), il élimine le
gardien (I) il pousse trop loin la balle (I), il la perd (R) (...) »
[Bastien] : « (...) je me retrouve tout seul devant (I) je file au but (A), le défenseur qui
me suit de près je l’ai même pas senti venir dans mon dos (R), même pas senti qu’il met
la pression (R), je fais un crochet (A) il anticipe bien (I), je l’ai pas vu arriver, et il me la
prend (R) (...) ».
[Gaétan] : « (...) Bastien perd la balle (R), c’est fini (R) (...) ».
Dans cette troisième situation, l’analyse du contenu des trois extraits présentés en vis à
vis dans les tableaux d’analyse révèle l’influence unidirectionnelle de Bastien (ici, Porteur du
Ballon) sur ces 2 partenaires sans que ces derniers ne soient pris en compte. L’organisation
collective dépend exclusivement de l’activité d’un des membres de l’équipe (Bastien) (Figure
5.4).
Figure 5.4 – Modélisation locale des influences (Equipe rouge) Situation 3.
Nos résultats montrent que le jeu des influences permet d’obtenir une description
symbolique de l’activité collective à partir d’une mise en évidence de la coordination des
activités individuelles. Pour poursuivre notre analyse des formes locales de coordination, nous
Cyril Bossard
165
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
avons ensuite relevé les informations significatives partagées par les membres de l’équipe à
chacun des moments caractérisés par une forme locale d’articulation.
5.2.2
5.2.2.1
Les informations partagées
Le niveau de partage des informations
L’analyse des protocoles à trois volets confirme que l’ensemble des informations verbalisées (N = 941) par les sujets peuvent être classées selon les trois catégories théoriques
définies a priori en référence aux travaux de Mundutéguy et Darses (2007) : les informations
spécifiques à l’activité d’un joueur (n = 736), les informations partiellement partagées par
2 joueurs au sein de l’équipe (n = 126), et les informations communes aux trois joueurs de
l’équipe (n = 78).
Nous avons ensuite comptabilisé le nombre d’informations significatives partagées ou
non par les membres de l’équipe en référence à cette catégorisation. Les résultats permettent
de caractériser le niveau de partage des informations significatives. La figure suivante
présente la distribution moyenne de ces trois classes pour l’ensemble des équipes et pour les
20 situations de contre-attaque sélectionnées.
Figure 5.5 – Proportion d’informations partagées par les sujets
La grande majorité des informations sont significatives pour un seul des participants au
sein des trios (n = 736 ; 78,21 %). Seules 8,28 % (n = 78) des informations verbalisées sont
communes aux trois joueurs ; 13,39 % (n = 126) sont partagées par deux joueurs. Les activités
individuelles se caractérisent par un couplage sujet/situation au travers d’un ensemble
d’informations significatives. Nos résultats pointent que certaines de ces informations (21,67
% ; n = 204) sont partagées par deux ou l’ensemble des membres d’une même équipe au
cours des contre-attaques. La question est désormais de savoir quelles sont précisément ces
166
Cyril Bossard
Résultats
informations significatives partagées et par qui le sont-elles ?
5.2.2.2
Le contenu et la nature des informations partagées
Pour apporter des éléments de réponse à cette dernière question, nous avons reporté
précisément l’ensemble des unités significatives partiellement partagées ou communes dans
un tableau et comptabilisé leurs nombres d’occurrences. Les résultats mettent en évidence
39 informations partagées par au moins deux membres de l’équipe pour l’ensemble des
équipes et des contre-attaques. Dans notre étude, toutes ces informations désignent des
éléments contextuels.
Le tableau 5.6 (p 168) consigne précisément ces 39 informations et leur nombre d’occurrences.
Pour chaque forme de coordination locale, nous avons ainsi identifié la ou les informations
partagées par deux ou l’ensemble des membres de l’équipe. Une liste de 39 informations
partagées permet de décrire le contenu de ces informations pour l’ensemble des formes de
coordinations locales.
La suite de l’analyse consiste à proposer un regroupement de ces informations partagées.
Deux grandes catégories émergent des données. Les informations partagées par les membres
d’une équipe renvoient soit aux comportements des partenaires (182 occurences), soit aux
comportements des adversaires (23 occurrences). Concernant les comportements des partenaires, 72 informations renvoient à leurs déplacements ou leurs placements, 76 informations
à leurs actions sur le ballon, et 33 informations aux passes.
Par la suite, les catégories obtenues devraient apporter des indications complémentaires
sur le « type » d’informations partagées en fonction des différentes formes typiques d’articulation identifiées.
5.2.3
Les différentes relations entre les buts
L’analyse des données à un moment donné du cours d’action est ici destinée à caractériser
la relation entre les buts des joueurs (individuels), d’une part selon un rapport dialectique de
convergence-divergence, d’autre part selon un rapport dialectique partagé-spécifique.
Par recoupement progressif, nous voyons apparaı̂tre 3 catégories empiriques de relation
entre les buts individuels : 1) des buts divergents et spécifiques ; 2) des buts convergents entre
les 3 joueurs, mais spécifiques pour chacun d’entre eux (en fonction de leur rôle spécifique à
ce moment du cours d’action) ; 3) des buts convergents au sein de l’équipe et partagés par
deux membres de l’équipe.
À partir des 72 formes locales de coordination, nous avons étudié 72 relations entre les
Cyril Bossard
167
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
Informations significatives partagées
« le partenaire se déplace (avance, va) vers le but, vers l’axe, à droite, à
gauche »
« X passe à Y »
« un partenaire récupère, intercepte la balle, anticipe »
« un partenaire frappe au but »
« appel de balle d’un partenaire »
« le partenaire est bien ou mal placé, seul, au centre, au deuxième
poteau »
« le partenaire dribble »
« la passe est ratée »
« le partenaire va au deuxième poteau »
« le partenaire vient vers l’autre partenaire, en soutien »
« le partenaire fixe le défenseur »
« la frappe est croisée, piquée »
« le partenaire pousse la balle »
« un partenaire marque un but »
« la frappe est contrée, molle, ratée »
« le partenaire attend la balle »
« les partenaires se voient »
« le partenaire lève la tête »
« le partenaire est proche »
« le partenaire est trop statique »
« perte de balle »
« le partenaire s’arrache »
« le partenaire s’arrête »
« X veut donner à Y »
« le partenaire est ralenti par un adversaire »
« le partenaire reconnaı̂t l’appel »
« le partenaire se retourne »
« le partenaire est embêté »
« le partenaire appel de la voix »
« le partenaire contrôle de la poitrine »
« l’adversaire suit, colle un partenaire, s’avance, sont devant »
« les défenseurs reviennent vite, pressent »
« l’adversaire touche la balle, contre »
« les adversaires se font une passe »
« le gardien sort de ses buts »
« pas de gardien »
« pas de pression »
« les adversaires perdent la balle »
Total
Nombre
d’occurrence
44
32
24
11
10
6
6
5
4
5
4
3
3
2
2
2
2
2
2
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
9
6
2
2
1
1
1
1
204
Tableau 5.6 – Liste et nombre d’occurrence des informations partagées
168
Cyril Bossard
Résultats
buts individuels des joueurs membres d’une même équipe (Cf. Tableau 5.7). Les résultats
pointent le très faible nombre (3) de formes locales de coordination où les buts des 3 joueurs
sont divergents et spécifiques. Les 69 autres formes de coordination révèlent que les buts
sont convergents entre les 3 membres de l’équipe. Pour 45 formes de coordination, les buts
individuels sont spécifiques au rôle de chaque joueur. Pour 24 d’entre-elles, les buts sont
partagés pour deux membres de l’équipe qui partagent donc le même rôle (NPB).
Buts divergents
et spécifiques
3
Buts convergents
Partagés par 2 spécifiques
membres
24
45
Total
72
Tableau 5.7 – Nombre d’occurrence des relations entre les buts
Ces trois catégories obtenues devraient nous permettre d’interroger les « conditions
d’apparition » des différentes formes typiques d’articulation identifiées.
5.2.4
Les formes « locales » de coordination des activités
L’ensemble des résultats nous conduit à proposer des modélisations de formes locales
de coordination (Cf. Tableau 5.8, p 170). Finalement, nous identifions 72 formes locales de
coordination caractérisées par le jeu des influences entre partenaires, par les informations
partagées, par le niveau de partage, et par l’articulation particulière des buts de chacun
d’eux.
La question est maintenant de savoir si l’on peut regrouper ces formes locales de
coordinations pour identifier des formes « typiques » de coordinations en situation de contreattaque.
5.2.5
Les formes « typiques » de coordination ou d’articulation des activités
En analysant l’articulation des activités individuelles lors de 20 contre-attaques, nous
avons identifié 72 formes locales de coordination pour l’ensemble des 4 équipes. Une lecture
attentive des tableaux présentant l’ensemble de ces formes locales de coordination permet
d’identifier des redondances, des récurrences, des similitudes dans le jeu des influences, dans
les informations partagées et dans les relations entre les buts individuels.
Par catégorisation empirique, nous avons donc regroupé progressivement ces différentes
formes locales de coordination. Trois critères ont été utilisés pour repérer ces similitudes :
Cyril Bossard
169
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
Forme locale de coordination des activités
Influences
Informations significatives
Buts individuels
interindividuelles
partagées
Niveau de partage
• Spécifiques : 18
• Partagées à 2 : 3
• Communes : 1
Relation entre les buts
• Convergents et spécifiques
Informations
significatives
• Commune : Michel passe à
Benoı̂t dans la profondeur
• Entre Benoı̂t et Flavien :
« les adversaires perdent la
balle »
• Entre Benoı̂t et Michel :
« Michel
récupère
la
balle » et « ils se voient
tous les deux »
Buts typiques
• Michel : « Choisir une solution
de passe pour assurer la continuité du jeu »
• Benoı̂t : « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une
solution de progression vers la
cible »
• Flavien : « Créer de l’espace pour permettre à des
partenaires de s’engager vers
l’avant »
Tableau 5.8 – Illustration d’une forme locale de coordination (Equipe violette, CA3)
170
Cyril Bossard
Résultats
la modélisation du jeu des influences, les informations significatives partagées, et la relation
entre les buts individuels. Nous avons regroupé ainsi les 72 formes locales en 5 catégories
empiriques. On peut alors considéré que ce regroupement permet de caractériser 5 « formes
typiques de coordination des activités » d’une équipe de football experte en situation de
contre-attaque.
5.2.5.1
Forme 1 : La coordination par l’influence unidirectionnelle de deux
joueurs sur un partenaire.
La première forme de coordination collective correspond à une activité collective qui
repose sur l’activité de deux membres qui influencent simultanément et de manière unidirectionnelle l’activité du troisième partenaire (Cf. Tableau 5.9). Au cours des 20 contre-attaques
étudiées, cette forme typique de coordination est apparue 9 fois (soit 12,5 % de l’ensemble
des formes de coordination). Aucune information n’est partagée par les membres de l’équipe.
Les buts sont partagés pour les deux joueurs qui influencent l’activité du troisième.
Forme 1 : La coordination par l’influence unidirectionnelle de deux joueurs
sur un partenaire
Influences
Informations significatives
Buts individuels
interindividuelles
partagées
Niveau de partage
• Spécifiques : 0%,
• Partagées à 2 : 0%,
• Communes : 100%
Relation entre les buts
• Convergents et partagés à 2 (A
et B)
Informations typiques
• aucune information partagée
Buts typiques
• A et B : « intercepter le ballon » (18 occurrences)
• C : « observer, analyser, anticiper l’évolution de la situation » (9)
Tableau 5.9 – Synthèse forme typique de coordination 1
Les buts typiques des joueurs renvoient aux buts assignés par l’expérimentateur pour
le départ de la situation d’étude. Pour les joueurs placés à la récupération, il s’agit bien
« d’intercepter le ballon ». Pour le joueur placé en position offensive, la situation de contreattaque est déclenchée à partir du moment où les partenaires récupèrent le ballon. En
attendant, l’activité de ce dernier est orientée par « l’observation, l’analyse, l’anticipation
de l’évolution de la situation ». La relation entre les buts est de type convergente, partagée
Cyril Bossard
171
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
pour deux d’entre eux et spécifique pour le troisième. Nous discuterons de la validité de cette
forme de coordination dans la partie discussion.
5.2.5.2
Forme 2 : La coordination par l’influence unidirectionnelle d’un
joueur sur deux partenaires
La seconde forme typique de coordination correspond à une activité collective qui repose
sur l’activité d’un joueur (PB) qui influence de manière unidirectionnelle l’activité de ses
deux partenaires (Cf. Tableau 5.10). Cette forme de coordination collective typique apparaı̂t
17 fois.
Forme 2 : La coordination par l’influence unidirectionnelle d’un joueur sur
deux partenaires
Influences
Informations significatives
Buts individuels
interindividuelles
partagées
Niveau de partage
• Spécifiques : 79,8%,
• Partagées à 2 : 8,2%,
• Communes : 12%
Relation entre les buts
• Convergents et partagés à 2 (B
et C) (3)
• Convergents et spécifiques (11)
• Divergents et spécifiques (3)
Informations typiques
• actions du partenaire PB
(27 occurrences)
• déplacements et placements
du PB (9)
Buts typiques
• A : « Rechercher à tirer/frapper au but » (12)
• B et C : « se placer ou
se déplacer pour recevoir
un centre ou une passe
décisive » (10) ou « suivre
l’action du partenaire pour
une reprise » (8)
Tableau 5.10 – Synthèse forme typique de coordination 2
Les informations partagées par les membres de l’équipe concernent exclusivement le PB.
Plus précisément, le contenu des informations partagées renvoie aux actions et aux placements
et déplacements de ce dernier. Le niveau de partage (à 2 et 3 joueurs) des informations est
de 20,2% entre les membres de l’équipe.
Les relations entre les buts sont majoritairement de type convergent et spécifique à
chacun des membres. C’est tout de même la seule forme de coordination où les buts individuels
peuvent être divergents (à 3 reprises). L’activité du joueur porteur de balle est guidée par la
172
Cyril Bossard
Résultats
recherche de frappe de but ou d’une passe permettant de mettre un partenaire en situation
favorable de frappe. Les deux autres partenaires cherchent, quand à eux, à « se placer ou se
déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive » ou « suivre l’action du partenaire
pour une reprise ».
Cette forme de coordination apparaı̂t essentiellement dans les situations de finition
de la contre-attaque (passe décisive ou frappe).
5.2.5.3
Forme 3 : La coordination mutuelle totale
La troisième forme typique de coordination correspond à une activité collective qui repose
sur l’influence mutuelle de toutes les activités individuelles des membres de l’équipe (Cf.
Tableau 5.11). Cette forme typique de coordination est la moins fréquente (apparaı̂t à 5
reprises).
Forme 3 : La coordination mutuelle totale
Influences
Informations significatives
Buts individuels
interindividuelles
partagées
Niveau de partage
• Spécifiques : 72,3%,
• Partagées à 2 : 16,8%,
• Communes : 10,8%
Relation entre les buts
• Convergents et partagés à 2 (2)
• Convergents et spécifiques (3)
Informations typiques
• actions des partenaires (6)
• déplacements et placements
des partenaires (11)
• passe entre partenaires (4)
Buts typiques
• A : « passer pour mettre le partenaire en situation favorable
de frappe » (12)
• B et C : « se placer ou
se déplacer pour recevoir
un centre ou une passe
décisive » (10)
Tableau 5.11 – Synthèse forme typique de coordination 3
Ici, les informations partagées renvoient aux actions et déplacements de tous les partenaires et à des interactions précises entre partenaires (passes). Le niveau de partage des
informations est le plus important de toutes les formes de coordination (27, 6 %).
Les relations entre les buts sont de type convergent. Ils sont parfois spécifiques (3) et
parfois partagés entre deux joueurs (2). L’activité des joueurs est guidée par deux types de
but : « passer pour mettre le partenaire en situation favorable de frappe » et « se placer ou
Cyril Bossard
173
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive ». Cette forme concerne donc des
situations ou des actions décisives, dites de déséquilibre du rapport de force.
5.2.5.4
Forme 4 : La coordination mutuelle restreinte
La quatrième forme typique de coordination correspond à une activité collective qui
repose sur l’influence mutuelle de l’activité d’un joueur (PB) avec l’activité de ses deux
partenaires (Cf. Tableau 5.12). La coordination mutuelle d’un joueur avec deux partenaires
a été observée 17 fois.
Forme 4 : La coordination mutuelle réduite (ou à 2)
Influences
Informations significatives
Buts individuels
interindividuelles
partagées
Niveau de partage
• Spécifiques : 79,3%,
• Partagées à 2 : 12,2%,
• Communes : 8,4%
Relation entre les buts
• Convergents et partagés à 2 (2)
• Convergents et spécifiques (15)
Informations typiques
• actions du partenaire PB
(25)
• déplacements et placements
du partenaire PB (26)
• interaction avec partenaire
PB (10)
Buts typiques
• A : « Aller vite vers l’avant
avec le ballon tout en étant
attentif au jeu » (7)
• B et C : « S’engager vite
vers l’avant pour profiter de
la récupération du ballon » (4)
ou « Se déplacer par rapport
à ses partenaires dans l’espace
de jeu pour proposer une solution de progression vers la
cible » (12) ou « Créer de l’espace pour permettre à des
partenaires de s’engager vers
l’avant » (4)
Tableau 5.12 – Synthèse forme typique de coordination 4
Les informations partagées renvoient aux actions et déplacements des partenaires et à
des interactions précises avec le joueur PB. Le niveau de partage des informations est de
20,6%.
La relation entre les buts est principalement convergente et spécifique (15) à chacun
des membres. Le but typique du joueur PB est « Aller vite vers l’avant avec le ballon tout
174
Cyril Bossard
Résultats
en étant attentif au jeu ». L’activité des deux autres joueurs, est guidée par trois types de
but : « S’engager vite vers l’avant pour profiter de la récupération du ballon », « Se déplacer
par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression
vers la cible », et « Créer de l’espace pour permettre à des partenaires de s’engager vers
l’avant ». Cette forme concerne essentiellement la progression rapide vers la cible qui en
contre-attaque au football reposerait donc essentiellement sur l’articulation de l’activité du
PB avec deux partenaires potentiels.
Nous observons une variante à cette forme de coordination. En effet, même si la
coordination collective repose sur l’activité du joueur PB, à 11 reprises un des joueurs NPB
influence l’autre joueur NPB (Forme 4b : la coordination mutuelle d’un joueur avec deux
partenaires dont l’un influence l’autre modélisée par la flèche en pointillés ; Cf. Annexe B.1,
p 265).
5.2.5.5
Forme 5 : la coordination par influence mutuelle réduite (à 2
joueurs)
Enfin, la cinquième forme typique de coordination est la plus fréquente (24 occurrences).
Ici, l’activité collective repose principalement sur l’influence mutuelle entre deux joueurs et
sur l’influence unidirectionnelle de cette interaction sur l’activité du troisième partenaire (Cf.
Tableau 5.13).
Les informations sont principalement partagées entre les deux joueurs en interaction
(18,7%). Ces informations concernent majoritairement les actions, les déplacements, et
les passes entre les deux partenaires concernés par l’interaction. C’est la seule forme de
coordination où les actions et déplacements des adversaires sont partagés par les membres de
l’équipe.
La relation entre les buts est de type convergent. Les buts sont parfois partagés (9) entre
deux partenaires mais la plupart du temps, ils sont spécifiques à l’activité des joueurs. Les
buts typiquement recherchés par le joueur en possession du ballon concernent les passes :
« choisir une solution de passe pour assurer la continuité du jeu » et « Fixer-passer pour
progresser vers la cible ». L’activité des partenaires sans le ballon est orientée par des buts de
placement ou de déplacement dans l’espace de jeu : « Se déplacer par rapport à ses partenaires
dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible » et « Se placer
ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive » (9). Pour le joueur PB, il s’agit
d’un choix privilégié avec un partenaire NPB (influence mutuelle avec B) mais le second
NPB (C) maintient ou propose une alternative de choix en s’adaptant à l’interaction entre
A et B. Cette forme représente une situation d’alternative conserver-progresser ou
continuité-rupture.
Deux variantes sont rapportées à cette forme typique de coordination (représentées par
Cyril Bossard
175
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
Forme 5 : La coordination par influence mutuelle entre deux joueurs et
l’influence unidirectionnelle des deux joueurs sur le troisième
Influences
Informations significatives
Buts individuels
interindividuelles
partagées
Niveau de partage
• Spécifiques : 74,6%,
• Partagées à 2 : 18,7%,
• Communes : 6,7%
•
•
•
•
Informations typiques
Actions du partenaire (19)
Déplacements et placements du partenaire PB
(26)
Passe avec partenaire PB
(19)
Actions des adversaires (16)
Relation entre les buts
• Convergents et partagés à 2 (8)
• Convergents et spécifiques (16)
Buts typiques
• A : « Choisir une solution de
passe pour assurer la continuité du jeu » (7) ou « Fixerpasser pour progresser vers la
cible » (6)
• B et C : « Se placer ou
se déplacer pour recevoir
un centre ou une passe
décisive » (9) ou « Se déplacer
par rapport à ses partenaires
dans l’espace de jeu pour
proposer une solution de
progression vers la cible » (8)
Tableau 5.13 – Synthèse forme typique de coordination 5
176
Cyril Bossard
Discussion
les flèches en pointillés). La première caractérise l’influence unidirectionnelle de l’un des 2
joueurs en interaction sur le troisième (Forme 5b : la coordination mutuelle entre deux
partenaires et l’influence unidirectionnelle de l’un sur le troisième partenaire ; Cf. Annexe
B.1, p 266). La seconde caractérise l’absence d’influence avec le troisième membre de l’équipe
(Forme 5c : la coordination mutuelle restreinte à deux partenaires ; Cf. Annexe B.1, p 266).
Ici, le troisième joueur n’est pas concerné par la coordination collective, il est « en dehors » ou
« isolé » de la coordination.
Pour ces deux variantes, le niveau de partage entre les deux partenaires qui s’influencent
mutuellement est particulièrement élevé (5b : 19,5% et 5c : 37, 9%).
5.3
Discussion
L’objectif principal de notre travail de recherche était de décrire et d’expliquer la
coordination d’actions de plusieurs joueurs au sein d’une situation dynamique collaborative.
Pour cela nous avons proposé une analyse de l’activité collective à partir de l’étude des
coordinations entre des joueurs experts en situation de contre-attaque au football.
Trois principales hypothèses étaient formulées. Dans un premier temps, nous postulions
que la description du jeu des influences entre partenaires permettrait d’identifier des formes
locales de coordination, et dans un second temps des formes typiques de coordination
des activités individuelles. Ensuite, nous émettions l’hypothèse que ces formes typiques de
coordination des activités en situation de contre-attaque pourraient s’expliquer par le partage
d’informations (connaissances vs informations contextuelles) entre partenaires.
Les résultats de notre étude sont discutés selon 3 axes relatifs : 1) aux formes locales
de coordination ; 2) aux formes typiques de coordination ; 3) aux conditions d’émergence des
formes typiques de coordination des activités individuelles.
5.3.1
Les formes « locales » de coordination
Nos résultats ont montré que la coordination des actions au sein d’un collectif repose sur
des influences interindividuelles entre partenaires au cours d’une contre-attaque. Observer
ces influences interindividuelles permet de décrire dans le contexte spécifique d’une contreattaque, le jeu des influences entre tous les joueurs d’une même équipe à un même instant.
L’analyse du jeu des influences montre que l’activité des membres de l’équipe relève de formes
locales d’articulation singulières.
Ces résultats sur les formes locales de coordination peuvent être questionnés au regard
des types d’influences entre deux partenaires, du nombre de joueurs concernés par le jeu des
Cyril Bossard
177
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
influences, du fonctionnement à l’économie dans l’articulation des activités individuelles, et
de leur enchaı̂nement dans le déroulement de la contre-attaque.
Dans notre étude, les joueurs prennent souvent en compte leurs partenaires pour agir.
Les influences mutuelles et unidirectionnelles représentent 81% des relations dyadiques contre
seulement 18,9% de relations entre deux joueurs où on observe une absence d’influence. Dans
l’étude de Bourbousson et al. (2008), les joueurs prenaient rarement en compte plus d’un
partenaire pour agir. Les résultats pointaient la faible proportion d’influences mutuelles entre
les membres d’une équipe (13%). Nos résultats montrent une proportion plus élevée avec
34,2% d’influences mutuelles entre deux joueurs sur l’ensemble des contre-attaques.
Ces résultats questionnent la nécessité d’accroı̂tre les relations entre les membres d’un
collectif pour en augmenter l’efficacité collective. De nombreuses approches théoriques ont
insisté sur la mutualité des interactions entre les membres d’un collectif comme principe
d’efficacité (Heath et Luff, 1992; Salembier et Zouinar, 2006). Les résultats de Bourbousson
et al. (2008) pointaient que la mutualité des relations entre partenaires était peu fréquente
et que cette mutualité ne constituait pas une condition nécessaire à la construction d’une
activité collective coordonnée en sports collectifs. Pour Bourbousson et al. (2008), l’efficacité
d’une équipe en sports collectifs tient plus dans la qualité de micro-coordinations (deux à
deux) que dans leur capacité à prendre en compte l’ensemble des partenaires (p 34). Les
auteurs concluent que les situations de basket-ball ne sont pas favorables à une ouverture
relationnelle.
Nos résultats permettent de nuancer ces conclusions sur deux points.
Dans un premier temps, nous notons également que les joueurs ne prennent pas
systématiquement en compte l’ensemble de leurs partenaires. Cependant, dans notre étude,
sur les 72 formes locales de coordination, nous observons 47 formes locales qui révèlent au
moins une influence mutuelle entre deux partenaires. Les formes locales de coordinations
entre trois joueurs peuvent être basées sur des influences mutuelles, sur des influences
unidirectionnelles ou sur une combinaison de ces deux types d’influences.
Ces différences dans les résultats obtenus peuvent être expliquées au regard du contexte
de notre étude. La situation d’étude que nous avons proposée semble plus favorable à
l’ouverture relationnelle. Le positionnement des joueurs dans l’espace et leur nombre limité
(trois) permet une plus grande visibilité mutuelle des partenaires (Heath et Luff, 1992).
L’extrait de Benoı̂t témoigne par exemple d’une volonté de se rendre visible à son partenaire :
« je me décale au maximum à gauche tout en restant près du but (A), pour recevoir la balle,
et pour qu’il me voit aussi » (CAVi 3).
Dans la même idée, même si les adversaires perturbent l’activité de l’équipe (les
coordinations), ils sont rapidement et facilement localisés du fait de leur infériorité numérique
momentanée. L’extrait de Benoı̂t, dans la continuité du premier, illustre cet aspect : « je
178
Cyril Bossard
Discussion
regarde le placement du défenseur (A), il est entre Flavien qui est en appui et moi (I), pour
ne pas être hors jeu sur l’appel, je me décale sur la gauche (A) pour que Michel me voie, et
que je reçoive la balle dans de bonnes conditions (B) ». La pression temporelle exercée sur
le collectif en situation de contre-attaque semble ainsi exigée une attention soutenue sur ses
partenaires pour permettre une mutualité des influences plus importante.
Une analyse des résultats fondée sur l’approche « NDM » conduit à interpréter ces
résultats comme l’expression d’un fonctionnement perceptif et cognitif à l’économie.
Selon nous, l’expertise d’une équipe dépendrait plutôt de la capacité des membres de l’équipe à
prendre en compte certains de leurs partenaires (ce qui peut conduire à limiter leur nombre) en
fonction du contexte de sorte que les types d’influences sont relatifs à la situation. L’ouverture
relationnelle dépendrait ainsi plus des éléments contextuels significatifs pour les membres
d’une même équipe à un même instant que des plans ou des stratégies de cette même équipe.
Extrait :
[Gautier] : « (...) je vois l’autre défenseur qui vient sur moi,(I) il a lâché Gaétan,
je le vois (I), je l’élimine avec un petit crochet (A), je vois le gardien qui sort vite des
buts vers moi (I), il veut anticiper en fait (C), je le fixe (A), il se couche au sol (I),
moi je suis debout (I), je sais que Gaétan est seul dans l’axe (C), je lui mets en retrait,
tranquille (A), il y a plus de gardien (I), il est par terre (I), j’aurais pu mettre une
pichenette sur le gardien (S) mais bon, c’est plus joli si Gaétan fini l’action (C), c’est plus
collectif (C). »
[Gaétan] : « (...) il élimine le défenseur avec un crochet (I), je continue et j’accélère
même dans l’axe (A), je suis presque dans la surface (I), le gardien sort vite de sa
cage (I), j’ai suivi (A), je pense vraiment qu’il va frapper au but (R), je suis (A) comme on
sait jamais si la balle revient (C), je suis là (R), Gautier me la met en retrait (I), j’ouvre mon
pied (A), j’ai plus qu’à la mettre (I), le but est vide (I), j’ai pas trop la pression
(I) ».
[Bastien] : Aucune verbalisation ; Comportements observés : Bastien ne participe pas à
l’action, il reste derrière ses partenaires.
Dans l’extrait précédent, les éléments contextuels significatifs (relatifs aux adversaires)
conduisent Gaétan et Gautier à se coordonner sans se préoccuper de leur troisième partenaire (Bastien n’est pas pris en compte). L’activité collective repose ainsi sur la coordination
mutuelle et exclusive de deux membres, et suffit à l’efficacité de l’équipe.
Dans un second temps, l’évolution des formes locales de coordination des activités
individuelles apportent des réponses complémentaires à cette discussion. Du fait du jeu
des influences entre partenaires, l’équipe apparaı̂t bien comme une entité dynamique qui
s’organise et se réorganise en permanence au gré des évolutions de la situation et des activités
Cyril Bossard
179
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
individuelles autonomes qui la constituent. Au sein des trios, les jeux d’influences évoluent
de façon dynamique dans le décours temporel de la contre-attaque. La coordination pouvait
reposer, par exemple, sur l’activité d’un membre (influence mutuelle d’un joueur avec ses
deux partenaires) puis basculer sur l’activité des trois membres (influence mutuelle totale).
Comme Bourbousson et al. (2008), nous observons au sein de l’équipe la constitution fugace,
locale et éphémère d’articulation des activités qui apparaissent et disparaissent.
Dans le même ordre d’idée, on observe que l’activité individuelle de certains membres
de l’équipe les amène à se déconnecter totalement du reste de l’équipe.
[Kevin] : « je la mets à Jordan dans la profondeur (A), je veux la mettre juste entre les
deux (défenseur et Jordan) pour qu’il soit tout seul (B), je veux lui mettre tout de suite (B)
mais le défenseur vient très vite (I), je lève la balle un peu (S) pour pas que le défenseur me
contre avec sa jambe (S) ».
[Jordan] : « il (Kevin) me la met (I), je la contrôle (A) je l’emmène devant moi dans
ma course (A), je sais qu’il (Charles) est à gauche devant en appui (C), je le vois pas mais
je sais ce qu’il fait (C), il est devant (I), je prends l’espace libre devant moi (A), j’avance
vers la droite (A) (...) ».
« je vois qu’il (Charles) est bien démarqué au deuxième poteau (I), le défenseur est entre
nous deux (I), il est beaucoup mieux placé que moi (I), et comme il faut aller vite (C), je
lui fais une passe à mi-hauteur (A), il la contrôle de la poitrine (I), il me la remet (I), le
défenseur a décroché sur lui (I), le défenseur est venu le presser (I) le gardien était plus
orienté de son côté (I), c’était plus facile pour moi d’aller frapper au but (I) (...) ».
[Charles] : « (...) je me dirige vers le côté gauche au niveau de la surface de réparation
(A), il (Jordan) me fait une passe haute (I), je contrôle de la poitrine (A), je vois que le
défenseur arrive vite sur moi (I), donc au dernier moment je joue en retrait sur Jordan (S),
il arrive trop vite (I), je suis en angle fermé (I), je fais la passe à Jordan (A) il a plus de
chance de marquer que moi (I) (...) ».
Dans cet extrait, Kevin participe à l’activité de l’équipe au départ de la situation
puis n’est plus pris en compte par ses partenaires. Cet extrait témoigne de la connexion
momentanée de Kevin à l’activité de l’équipe et de sa déconnexion. L’enchaı̂nement des formes
locales de coordination peut alors être envisagé selon un mode de connexion-déconnexion de
joueur(s). Nous avions déjà souligné la capacité de l’expert, pendant l’action, à prendre
rapidement en considération et de façon continue les caractéristiques changeantes de la
situation (notion de conscience de la situation ; Flach (1995)). Dans cette perspective, nous
avions conclu que l’expert se focalisait sur les informations contextuelles pertinentes ou
significatives pour sa propre activité ce qui l’amenait à vivre successivement différentes
situations. L’analyse de l’articulation des activités individuelles montre que la conscience
de la situation recouvre aussi l’activité de l’équipe. Les situations successivement vécues
180
Cyril Bossard
Discussion
intègrent le point de vue du sujet sur l’activité collective. La situation telle qu’elle est vécue
ne constitue pas seulement la manifestation d’un couplage cognitif dynamique entre un acteur
et une situation (Flach, 1995). La situation telle qu’elle est vécue constitue la manifestation
d’un couplage dynamique entre un acteur avec les autres acteurs et la situation.
Pour Bourbousson et al. (2008), les rôles prédéfinis et assignés avant le match par
l’entraineur participent à ce renouvellement et contraignent la nature de l’activité collective.
Cependant, comme les auteurs le précisent, les rôles ne prescrivent pas totalement les formes
de coordination mais en délimitent les contours (p 34). Dans notre étude, les formes de
coordination ne sont pas prescrites a priori. Aucunes consignes avant ou entre les passages
n’ont été données par l’entraı̂neur sur le rôle des joueurs en situation de contre-attaque. Les
formes de coordination émergent ainsi par l’ajustement local et contextualisé des joueurs.
Toutefois, nous repérons que le porteur du ballon joue un rôle primordial pour l’évolution de
l’articulation des activités des joueurs. Son identification, par les partenaires, constitue un
point d’ancrage autour duquel l’activité des partenaires s’organise et se distribue. L’extrait
suivant montre l’identification du porteur de balle à partir du point de vue des deux autres
partenaires et l’orientation de leurs activités en fonction de celui-ci.
[Benoı̂t] : (...) Michel se lance tout de suite dans l’axe vers le but (I), j’attends
plus une passe dans les pieds (B), je suis en appui (I), je vois qu’il garde sa balle et qu’il
lève pas la tête (I), je me décale (A), il peut toujours me passer la balle (C) la distance
est trop courte entre lui et moi (C), j’ai vu que Flavien était déjà sur la gauche (I), Michel
continue (I), on propose deux solutions à Michel (C), il prend la solution Flavien (I)
il est plus dans le sens du terrain (I), je suis trop éloigné (I) (...)
[Flavien] : (...) c’est Michel qui récupère le ballon (I), je le regarde (A), c’est à
moi d’écarter (C) à lui de rentrer dans l’axe (C), il récupère (I) je me dis tout de
suite je m’écarte sur la gauche (B), il voit que je fais un appel (I), il me la donne (R) (...)
Cependant, pour nuancer quelque peu ces propos, nous devons prendre en considération
que les joueurs ont partagés un grand nombre d’expériences ensemble, en situations d’entraı̂nement et de matchs. Nous devons admettre qu’ils ont pu construire des connaissances
sur leurs activités respectives. Si ces connaissances ne sont pas verbalisées dans notre situation, on peut tout de même penser que les modes de coordination sont guidés par des
connaissances d’arrière-plan relatives au potentiel des partenaires. Au sein du modèle RPD,
ces connaissances génèrent des attentes sur l’évolution de la situation. Plus précisément,
dans l’analyse de l’activité individuelle, nous avons montré que les schémas constituaient des
structures d’attentes permettant d’anticiper l’activité du partenaire (Cf. 4.4, p 134).
Si chaque contre-attaque génère des formes locales d’articulation singulières, nous avons
identifié des régularités, des récurrences qui nous ont conduit à mettre en évidence la typicalité des articulations des activités individuelles-collectives dans des situations dynamiques
Cyril Bossard
181
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
collaboratives elles-mêmes considérées comme typiques, les contre-attaques en football.
5.3.2
Les formes « typiques » de coordination
Au terme de notre analyse des données, les résultats de cette étude montrent que l’activité
collective repose sur 5 formes typiques de coordination entre les joueurs en situation de contreattaque. Notons que la contre-attaque est une phase de jeu particulièrement importante pour
l’efficacité d’une équipe dans le football moderne (Mombaerts, 1999).
Notre étude à permis d’identifier des régularités concernent le jeu des influences entre
partenaires, les informations partagées et les relations entre les buts individuels. Les formes
typiques apparaissent affectées par le tempo ou les moments de la contre-attaque et attestent
du fonctionnement à l’économie de l’équipe. Contrairement à Bourbousson et al. (2008),
les joueurs de football ne semblent pas uniquement préoccuper à assurer la qualité de leur
interaction avec un seul partenaire. Nos résultats suggèrent plutôt qu’en situation de contreattaque, les joueurs élargissent ou réduisent l’ouverture relationnelle envers les
partenaires en fonction de la situation qui s’offre à eux.
Le jeu des influences entre partenaires dépend des moments de la situation de
contre-attaque. Quand la situation exige une attention particulière de tous pour créer la
rupture ou le déséquilibre de la défense adversaire, la mutualité des relations entre partenaires
semble prioritaire. La forme typique de coordination n°3 que nous avons nommé « coordination mutuelle totale » illustre cet aspect. Ici, l’activité collective repose sur l’influence mutuelle
de toutes les activités des membres de l’équipe. Les informations partagées par les membres
de l’équipe sont plus nombreuses et concernent une articulation de données contextuelles (actions, déplacements, placements, passes entre partenaires). Les buts recherchés par les joueurs
correspondent à la phase de rupture que nous avions identifiée dans notre première étude.
Même si les buts des membres de l’équipe ne sont pas les mêmes, ils convergent tous vers la
recherche du déséquilibre de l’équipe adverse.
Nous l’avons rappelé, la mutualité des relations entre tous les partenaires n’est pas
une condition d’efficacité de l’activité collective. Quand la situation exige de se projeter
rapidement vers l’avant tout en assurant la continuité du jeu, la mutualité des relations entre
partenaires est uniquement en rapport avec le porteur du ballon (forme 4). Les informations
partagées entre les membres de l’équipe attestent d’une surveillance d’éléments contextuels
particulièrement orientée vers le porteur du ballon (ses actions, ses déplacements, ses
interactions).
Les formes typiques de coordination montrent également que la mutualité des relations
peut être inexistante. En situation de finition, les influences mutuelles ne sont pas nécessaires
et l’efficacité peut reposer sur l’activité d’un seul joueur qui recherche à frapper au but
182
Cyril Bossard
Discussion
par exemple (forme 2). Les informations sont alors partagées par les deux partenaires
« observateurs » qui « subissent » en quelque sorte l’activité du porteur de balle.
Cette distribution de formes typiques de coordination au cours du déroulement de la
contre-attaque atteste selon nous d’un fonctionnement « à l’économie » de l’équipe experte
en football. Les joueurs ne recherchent pas une compréhension de la totalité de la situation.
Les joueurs réduisent leur conscience de la situation au strict nécessaire, c’est-à-dire aux
éléments contextuels qui suffisent à coordonner leurs activités de manière locale. L’émergence
des formes typiques de coordination aux différents moments de la contre-attaque dépend, selon
nous, de leur fonction d’utilité dans un contexte spatio-temporel donné. La distance au but,
la densité d’adversaires sont, par exemple, des éléments contextuels qui contraignent dans
un même mouvement l’activité individuelle et l’activité collective. L’analyse des conditions
d’émergence des formes typiques de coordination abonde également dans ce sens.
5.3.3
Les conditions d’émergence des formes typiques de coordination
Pour de nombreux auteurs, la notion de partage est au au cœur du débat sur l’analyse de
l’activité collective (Lim et Klein, 2006; Salembier et Zouinar, 2006; Cooke et al., 2007). Les
coordinations entre les membres d’une équipe s’expliquent soit par des éléments cognitifs
identifiés chez les différents joueurs engagés dans une même action (notion de buts ou
connaissances partagées), soit par des éléments contextuels perçus, considérés comme
significatifs par ces joueurs (notion de contexte partagé). Nous reprenons ici des questions
laissées en suspend par Bourbousson et al. (2008) et qui concernent le niveau de partage
des informations au sein d’un collectif et le contenu de ce qui est partagé (connaissances ou
informations contextuelles).
Comme l’expliquent Salembier et Zouinar (2006), la notion de partage doit, au préalable,
être considérée comme une hypothèse. Pour tester cette hypothèse, nous avons comptabilisé
les informations significatives formulées par les sujets dans une même situation en référence
aux travaux de Mundutéguy et Darses (2007). Nos résultats ont présenté la distribution
moyenne des trois catégories pour l’ensemble des situations de contre-attaque.
En situation dynamique collaborative, nos résultats montrent que les membres de l’équipe
font preuve d’une grande variabilité interindividuelle au regard des informations qui font sens
pour eux. Nos résultats corroborent les travaux de Mouchet (2006) sur les joueurs experts au
rugby quand à la subjectivité des décisions tactiques adoptées, mais également les travaux
de Mundutéguy et Darses (2007) sur les prédictions d’actions de conducteurs automobiles en
situation d’interaction. Les informations spécifiques dans l’étude de Mundutéguy et Darses
(2007) représentaient 71,2% de l’ensemble des informations contre 78,2% dans notre étude.
Les informations partiellement partagées représentaient 22,6% pour 13,4% dans notre étude.
Cyril Bossard
183
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
Les informations communes représentaient 6,16% pour 8,3% dans notre cas.
La stabilité de ces pourcentages d’informations partagées ou communes obtenues dans
nos deux études et dans deux contextes très différents conduit à penser qu’il existerait un
noyau commun d’informations significatives nécessaire mais suffisant pour assurer
une bonne coordination des actions entre les membres d’une même équipe.
Le niveau de partage peut être analysé au regard de chacune des formes typiques
de coordination. Quand l’activité collective repose sur une coordination mutuelle totale
(forme 3), les informations communes aux trois joueurs représentent 27,2% de l’ensemble
des informations significatives. De façon similaire, quand l’activité collective repose sur une
coordination mutuelle à deux (forme 5c), les informations partagées à deux atteignent 38%.
Ces résultats conduisent à penser qu’il existe une correspondance entre le nombre de joueurs
en interaction (notion de mutualité des relations) et le niveau de partage des informations.
Un niveau de partage élevé des informations entre partenaires serait une condition favorable
à la mutualité des interactions.
La volonté d’expliquer l’activité décisionnelle en SiDyColl à partir d’un partage de
connaissances est mise à mal par l’évolutivité des contextes en sports collectifs. Nos résultats
montrent que les informations effectivement partagées par les membres d’une même équipe
en situation de contre-attaque sont essentiellement constituées d’éléments contextuels. Ces
éléments contextuels peuvent être différenciés en fonction des formes typiques de coordination.
Les joueurs experts se basent sur la combinaison de quelques éléments contextuels prioritaires
et suffisants pour se coordonner. À l’instar de Mundutéguy et Darses (2007), nous pouvons
considérer que les joueurs agissent plutôt sur la base d’un environnement cognitif partagé
(Salembier et Zouinar, 2006) qui influence les interactions entre les membres de l’équipe.
Par exemple, dans la coordination mutuelle réduite à deux partenaires et son influence
unidirectionnelle sur le troisième (Forme 5), les informations concernant les adversaires
(actions) sont significatives et prioritaires au même instant pour les membres de l’équipe.
Cette signification partagée du contexte amènent les membres de l’équipe à restreindre
l’activité collective à une coordination privilégiée entre deux partenaires sous la surveillance
attentive du troisième. Sur la base d’éléments contextuels partagés (concernant ici les
adversaires), les joueurs ajustent ainsi leurs activités pour se coordonner. Nos résultats
témoignent ainsi de la prédominance des mêmes éléments du contexte chez les différents
membres d’une même équipe sous fortes contraintes temporelles. Notre étude fournit ainsi
des éléments de réponse au débat concernant la nature des informations partagées en situation
dynamique et collaborative.
Les résultats de notre étude peuvent s’étendre à d’autres situations dynamiques et
collaboratives notamment celles qui nécessitent la coordination de décisions d’action dans
un environnement incertain, évolutif et à risques. Plus largement, ils peuvent éclairer les
processus mis en œuvre dans toutes les situations d’activité collective pour lesquelles les
184
Cyril Bossard
Discussion
acteurs sont confrontés à des interactions de courtes durées.
Notre étude vise à contribuer à la conception d’outils favorisant la collaboration entre
les membres d’une équipe pour apprendre à se coordonner. Dans le chapitre suivant, nous
expliciterons la démarche de conception d’un environnement virtuel simulant des situations de
jeu au football. Nous montrerons comment l’étude de l’activité réelle en situation dynamique
et collaborative peut contribuer à la conception d’un outil de formation à l’aide d’un dispositif
de réalité virtuelle.
Cyril Bossard
185
Chapitre 5 – Étude de l’activité collective
186
Cyril Bossard
Chapitre 6
Conception et Evaluation d’un
Environnement Virtuel : CoPeFoot
Résumé – L’objectif de ce chapitre est de présenter notre contribution à la démarche
de conception et d’évaluation de l’environnement virtuel CoPeFoot. Plus précisément, nous
cherchons à montrer en quoi et comment des connaissances (modèles) relatives à l’analyse
de l’activité humaine peuvent s’articuler aux modèles informatiques qui sous-tendent l’usage
de la réalité virtuelle pour la mise en place d’environnements virtuels crédibles. Dans cette
perspective, nous présentons une étude exploratoire in virtuo destinée à évaluer la crédibilité
comportementale de CoPeFoot inspirée du test de Turing (1950). Nous proposons d’évaluer
« l’effet leurre » de l’environnement en mesurant la performance des participants à faire une
distinction entre un joueur dirigé par un humain et un joueur virtuel autonome. Cet effet
est étudié en comparant deux groupes de sujets (expert et novice) et lors de trois mesures
successives. Les résultats montrent un effet leurre plus marqué pour les sujets novices par
rapport aux experts, et une amélioration des performances pour les deux groupes dans le
temps. Nous discutons ces résultats au regard de la méthode mise en œuvre pour évaluer la
crédibilité de l’environnement virtuel.
Cyril Bossard
187
Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
Introduction
L’objectif de ce chapitre est de présenter notre contribution à la conception et l’évaluation
d’un environnement virtuel : CoPeFoot. Ce travail pluridisciplinaire est effectué au CERV,
par deux doctorants issus d’équipes et de champs scientifiques différents. Plus précisément,
il s’agit de montrer en quoi et comment des connaissances (modèles) issues de l’analyse
de l’activité humaine (psychologie cognitive, psychologie du sport, ergonomie cognitive)
peuvent contribuer aux choix des modèles informatiques nécessaires pour le développement
d’Environnements Virtuels pour l’Apprentissage Humain (EVAH). Une telle démarche de
conception a déjà été mise en œuvre par d’autres équipes de recherche pluridisciplinaires
(Salembier et Pavard, 2003) dans le cadre de conception d’aides à la gestion de situation
d’urgences dans des centres de contrôle (SAMU, trafic aérien).
Plus largement, notre démarche s’inscrit dans une tendance actuelle qui vise à concevoir
les formations (professionnelles, éducatives, sportives) en prenant conjointement en compte
le caractère complexe et évolutif du travail et de la formation. Une telle démarche a déjà été
mise en oeuvre à l’aide des modèles et méthodes issus de l’ergonomie cognitive. Un ensemble
conséquent de travaux témoigne de ce rapprochement entre les sciences de la formation ou
de l’éducation et la psychologie cognitive ergonomique (pour une revue voir Leblanc et al.
(2008)). Ces collaborations rejoignent également des préoccupations en didactique professionnelle qui ont évolué d’une centration sur les savoirs à une centration sur l’activité (Barbier
et Durand, 2003). Cette mutation conduit à opérer une distinction entre les savoirs prescrits
et les savoirs effectivement mobilisés en situation de travail et conduisent les chercheurs à
développer et mettre en place des programmes d’analyse de l’activité réelle. C’est dans cette
filiation que nous inscrivons notre travail de collaboration avec des chercheurs en sciences de
l’informatique pour la conception d’environnements virtuels de formation.
Si les connaissances issues de l’analyse de l’activité réelle commencent aujourd’hui à être
exploitées dans le cadre de propositions de situations de formation (Ria et al., 2006), et leurs
mobilisations pour les situations de simulation exploitant les techniques de la réalité virtuelle
constituent une voie nouvelle. Au CERV, les environnements virtuels développés au sein
de l’équipe ARéVi (Buche, 2005; Herviou, 2006) utilisent conjointement la réalité virtuelle
(RV) et des systèmes multi-agents (SMA). Les SMA permettent à la fois d’enrichir les mondes
virtuels en leur ajoutant des entités autonomes dotées d’un comportement propre, et donnent
la possibilité d’interagir avec eux au moyen d’interfaces mettant en œuvre les techniques liées
à la RV. Ces environnements virtuels peuvent être conçu dans un objectif de formation ou
d’apprentissage (modification de l’activité du sujet). À terme, la démarche de conception
d’un EVAH devrait être finalisée par l’évaluation des différentes formes d’apprentissage ou
encore, du transfert d’apprentissage du virtuel au réel. Jusqu’à présent, l’équipe SARA est
188
Cyril Bossard
Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
intervenue uniquement à la fin de ce processus de conception de ces EVAH.
Il nous semble que la participation de chercheur en sciences humaines dès les premières
étapes du développement d’un EV puisse améliorer le réalisme ou la crédibilité de l’environnement, et finalement les apprentissages attendus. Or, la crédibilité des environnements
virtuels peut être mise à mal quand la tâche de modélisation de l’activité est laissée à la seule
appréciation du concepteur informaticien (Tchounikine et al., 2004). C’est précisément pour
remédier à cet écueil que nous présentons ici, un exemple de collaboration pour la conception
et l’évaluation d’EVAH : le projet CoPeFoot.
CoPeFoot (Collective Perception Football) est un Environnement Virtuel destiné à la
formation de joueurs de football. L’objectif de formation s’oriente vers la reconnaissance et
l’adaptation à des situations collectives de jeu de football. Nous nous éloignons volontairement des aspects techniques (Bideau et al., 2004) de l’activité sportive pour nous focaliser
uniquement sur la dimension décisionnelle de l’activité des joueurs. Nous avons précédemment
argumenté le fait que le football, et plus particulièrement la contre-attaque constitue un bon
exemplaire de situation dynamique et collaborative.
Ce projet nous amène à considérer le problème de la crédibilité des EV. La crédibilité
peut se définir comme le degré de confiance ou de véracité des attitudes et comportements
que l’utilisateur accorde aux agents dans l’environnement virtuel (Burkhardt, 2007).
Dans un premier temps, la mise en place d’un environnement virtuel dans lequel un
humain est immergé et collabore avec des agents autonomes et/ou pilotés par d’autres
humains (notion d’avatar) pour atteindre un objectif commun nécessite une modélisation
acceptable qui tienne compte de la complexité de l’activité collaborative. À la différence des
entreprises de simulation dite « anthropomorphiques » (Burkhardt, 2007), l’objectif n’est
pas de reproduire exactement le fonctionnement humain, ni de prédire de façon précise les
comportements. Plus modestement, nous cherchons à concevoir des agents virtuels capables
de restituer cette complexité pour simuler des situations de façon crédible pour l’utilisateur.
D’un point de vue scientifique, la simulation est aussi un moyen de tester la résistance du
modèle issu de l’analyse de l’activité.
Le travail de collaboration pour la conception d’EVAH que nous avons mené avec Bénard
(2007) est, à l’origine, scindé puisque chacun des protagonistes effectuent son propre travail
de recherche et de modélisation dans son propre champ scientifique. Ainsi, les contraintes
respectives inhérentes au processus de modélisation proviennent de sources différentes.
L’approche en sciences de l’informatique est abordée sous l’angle des SMA, du raisonnement
à partir de cas (RaPC) et de la notion de contexte. L’approche que nous avons proposée prend
appui en ergonomie cognitive sur le paradigme de la NDM, et met en exergue l’importance du
contexte et de l’expérience vécue par le sujet (schémas typiques) en situation dynamique. Ces
préoccupations ont orienté nos échanges sur les situations dynamiques collaboratives et nous
Cyril Bossard
189
Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
ont amené à proposer des analogies simplifiées entre les deux formes de modélisation pour
la simulation d’agents virtuels de football crédibles. Nous illustrerons ce principe d’analogie
dans un premier point de ce chapitre à travers les notions de contexte et d’expérience.
Dans les programmes de recherche qui développent des environnements virtuels, la
crédibilité des situations produites par la simulation est rarement évaluée. Quand une
évaluation est proposée, d’une part les tests sont effectués une fois l’environnement virtuel
finalisé, et non au cours du processus de développement de l’EV ; d’autre part, elle repose sur
une analyse comparative de l’activité déployée face à l’environnement et en situation réelle
(Darcy et al., 2003). L’évaluation du transfert de compétences du virtuel vers le réel peut
également être considérée comme un indicateur pour tester l’efficacité de l’environnement
virtuel (Sanchez-Vives et Slater, 2005; Bossard et al., 2008).
Cependant, ces évaluations menées a posteriori ne participent pas à la démarche de
conception de l’environnement et ne permettent pas d’ajuster la modélisation informatique.
Dans cette perspective, nous avons mis en place une étude exploratoire destinée à évaluer
la crédibilité comportementale de l’environnement virtuel CoPeFoot en cours de conception.
Nous avons également mené une réflexion théorique sur les conditions permettant de favoriser
le transfert de compétences dans le cadre des environnements virtuels (Bossard et al., 2008).
Ce chapitre présente dans un second point une étude exploratoire destinée à évaluer la
crédibilité comportementale de l’environnement virtuel.
6.1
Des analogies simplifiées entre modèles informatiques et modèles de l’activité humaine
L’intérêt d’un modèle est essentiellement celui d’un instrument de visibilité, d’intelligibilité et de familiarisation avec le domaine considéré (Pavard et Salembier, 2003). Il permet
de décrire, de façon simplifiée mais acceptable, l’activité de joueurs et agents confrontés à
une situation complexe. Les nombreux allers-retours entre les deux formes de modélisation
permettent de repérer les points de convergence et de divergence. Bien entendu, les modèles
proposés en science de l’informatique ne peuvent se substituer, ni se superposer aux modèles
issus de l’analyse de l’activité humaine. Par exemple, en I.A, des agents peuvent être qualifiées de « situés » quand ils font référence à leurs perceptions pour décider. En sciences
humaines, le qualificatif « situé » fait d’une part référence à un paradigme à part entière,
celui de « l’action ou de la cognition située », et d’autre part il nécessite la prise en compte
de facteurs émotifs, culturels et sociaux. Ces décalages conceptuels nous ont conduit à opérer
ce que nous avons appelé des analogies simplifiées, notamment avec les concepts de contexte
et d’expérience (ou de schéma).
D’un point de vue informatique, l’objectif de recherche de l’équipe ARéVi s’articule
190
Cyril Bossard
Des analogies simplifiées entre modèles informatiques et modèles de l’activité humaine
autour de la simulation participative, Nous reprenons, ici, la définition donnée par Tisseau
(2001) et approfondie par De Loor (2006). Simuler, c’est faire paraı̂tre comme réel ce qui ne
l’est pas. Une simulation permet alors de prévoir un réel possible à l’aide d’un modèle. La
simulation participative donne un statut particulier à l’homme en l’intégrant dans la boucle, il
peut interagir avec elle pendant son déroulement. Ce principe implique plusieurs contraintes.
D’un côté, la modélisation peut prendre un caractère prédictif, ce qui implique de modéliser
toutes les règles de fonctionnement de l’expert pour prévoir le comportement de l’humain dans
la simulation (Buche (2005) pour le suivi de procédure). D’un autre côté, la modélisation ne
cherche pas systématiquement à prédire le comportement, mais concourt à l’émergence de
comportements crédibles, acceptables par une co-construction interactive entre agents virtuels
autonomes et humains (De Loor et al., 2008). C’est cette seconde perspective que nous avons
privilégiée dans notre démarche de conception d’environnement virtuel.
La modélisation de l’activité des agents nécessite d’« expliciter l’implicite ». C’est-à-dire
de rendre explicites les mécanismes de la décision. Dans l’environnement CoPeFoot, les joueurs
virtuels sont des entités autonomes qui réagissent selon une boucle dynamique de perceptiondécision-action. La perception correspond à l’élaboration du contexte et la décision renvoie
au raisonnement à partir de ce contexte. L’architecture d’un agent est décrite sur la figure
6.1. Le lecteur intéressé pourra approfondir ce sujet en se référant à Bénard et al. (2006a);
Bénard (2007).
AReVi: Simulation d’agents situés
Paramétrisation
utilisateur
Perceptions physiques
objet perçus
et
distances
Sélection
d’actions
Raisonnement à partir
de contexte
Perceptions
contextuelles
Contexte
Définition du
contexte
Domaine
(Football)
Figure 6.1 – Raisonnement à partir du contexte dans CoPeFoot
Le processus de modélisation a abouti à concevoir la décision des agents virtuels à partir
de deux modèles utilisés en science informatique : le concept de contexte et le raisonnement
à partir de cas (Bénard, 2007).
En intelligence artificielle, le contexte est une notion récurrente. Dans un entretien
récent, (Brézillon, 2006) dénombre au moins 150 définitions. Nous retiendrons que le contexte
correspond à l’ensemble des conditions qui permettent de décrire une situation de façon précise
Cyril Bossard
191
Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
et compréhensible (Pomerol et Brézillon, 2001).
Cette définition du contexte en intelligence artificielle nous conduit à repérer une analogie
(si on accepte de le simplifier) avec le concept de Conscience de la Situation (Flach, 1995). La
conscience de la situation met en avant la capacité de l’individu à prendre en considération
les caractéristiques du contexte pertinentes pour l’acteur, i.e. les informations contextuelles
significatives. Certes, le contexte tel qu’il est défini en intelligence artificielle, ne prend pas
nécessairement en compte le point de vue du sujet, mais nous considérons que la CS peut se
définir, se rapporter à un contexte perçu. Nous avons alors dégagé une acceptation commune
et viable pour nos domaines respectifs (Bossard et al., 2006; Bénard et al., 2006b) : dans
notre travail, le contexte des agents virtuels correspond à un ensemble d’éléments significatifs
perçus. Cette perception du contexte par l’agent est mise en correspondance, à chaque instant,
avec des cas similaires stockés dans la base de cas de l’agent.
Le raisonnement à partir de cas (Aamodt et Plaza, 1994) est fondé sur l’hypothèse qu’un
problème peut être efficacement résolu en faisant appel à l’expérience passée. Ce modèle
prend appui sur le concept de cadres (Minsky, 1975). Pour résoudre un problème, il faut
rechercher dans la base des cas déjà résolus, l’épisode le plus proche de la situation actuelle.
L’expérience du sujet, en sciences humaines, correspond à ce qui est mémorisé au cours de son
histoire. Il conserve ainsi des traces des différentes situations vécues. Ces traces lui permettent
de réagir plus rapidement en situation. Nous pouvons rapprocher le RaPC avec le modèle
RPD de Klein (1997). À partir d’une mise en correspondance entre le contexte actuel et
les expériences passées, l’agent virtuel/l’acteur est ainsi en mesure de répondre rapidement
à la situation. La théorie des schémas qui nous a permis de proposer une modélisation
descriptive de l’activité décisionnelle de joueurs de football est également cohérente avec
le RaPC. Nous avons déjà souligné que la théorie des schémas fait référence au concept de
cadre (Minsky, 1975) (Cf. Chapitre 2, p 70). Ainsi, dans notre travail, les cas nécessaires au
modèle informatique correspondent à des schémas extraits de l’analyse de l’activité humaine.
Dans la proposition de Bénard (2007), chaque cas représente un couplage dynamique
entre un contexte, un objectif et une action (ou une séquence d’actions), c’est-à-dire pour
nous un schéma typique (Cf. Chapitre 4, p 129).
À l’issue de ce cadrage conceptuel, où nous avons eu recours à des analogies simplifiées,
nous avons proposé une première évaluation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot.
6.2
La validation de la crédibilité comportementale
de CoPeFoot par la simulation participative
La réalité virtuelle fournit un cadre méthodologique adapté pour modéliser et
expérimenter la complexité. En effet, la simulation en réalité virtuelle autorise une véritable
192
Cyril Bossard
La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative
interaction avec l’environnement informatique. Elle permet d’observer le phénomène comme
si on disposait d’un microscope virtuel déplaçable et orientable à volonté, et capable de
mises au point variées (Tisseau, 2001). L’utilisateur peut donc tester la résistance du modèle
implémenté (réactivité et adaptabilité). Il devient un « spectateur-acteur-créateur » puisqu’il peut ainsi se focaliser sur l’observation d’un comportement particulier, interrompre le
phénomène en cours, ou encore relancer la simulation là où il l’avait arrêtée. Ce nouveau
type d’expérimentation est appelé expérimentation in virtuo. Les simulations liées à l’usage
de la réalité virtuelle permettent aux utilisateurs d’évoluer entre eux et/ou avec des agents
virtuels. Ils sont « en situation » et « en action ». En impliquant l’humain dans la simulation,
la conception participative d’EV intègre les utilisateurs comme des acteurs humains plutôt
que comme des facteurs humains. Cependant, à notre connaissance aucune étude n’a cherché
à évaluer la crédibilité des environnements virtuels dans un cadre participatif.
Dans cette perspective, nous avons mis en place une étude exploratoire in virtuo visant
à évaluer la crédibilité comportementale de CoPeFoot, inspirée du célèbre test de Turing
(1950). En 1950, Alan Turing a proposé un protocole expérimental original qui inspira les
débuts et le développement de l’Intelligence Artificielle (IA) comme une discipline à part
entière. Dans cette expérience originelle, le chercheur place un sujet seul dans une salle avec
deux ordinateurs. Chaque ordinateur représente un agent interactif, mais l’un d’entre eux
est contrôlé par un humain alors que l’autre est contrôlé par un programme informatique.
L’expérience consiste pour le sujet à dialoguer avec les deux ordinateurs. En interrogeant
chacun d’eux, le sujet, sur la base de ses connaissances, doit être en mesure de différencier l’un
et l’autre. Si le sujet ne peut déterminer une distinction, Turing considère que l’intelligence
humaine a été correctement modélisée par le programme informatique (Korukonda, 2003).
6.2.1
Objectifs, Problématique et Hypothèses
L’étude que nous présentons a pour objectif d’évaluer la crédibilité comportementale de
CoPeFoot, en interrogeant les humains immergés dans le simulateur sur la distinction entre
des avatars contrôlés par des humains et des joueurs virtuels autonomes guidés par le modèle
informatique. Cette étude est inspirée du test de Turing (1950). Cependant, ce qui nous
intéresse ici, n’est pas de savoir si la machine peut penser, mais plus modestement de savoir
si elle peut tromper un être humain. Ce test de crédibilité correspond à la troisième étape
dans notre méthodologie de conception d’un environnement virtuel. Il participe à l’évaluation
d’une première version de CoPeFoot.
L’hypothèse générale est que la crédibilité de l’environnement est d’autant plus forte que
les sujets ne peuvent faire la distinction entre un joueur dirigé par un humain et un joueur
virtuel autonome. Nous attendons que l’environnement virtuel leurre les sujets.
Dans un premier temps, nous souhaitons vérifier que les réponses données par les sujets
Cyril Bossard
193
Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
face à la simulation ne sont pas dues au hasard pour l’ensemble des mesures effectuées
puis pour chacune d’entre elles. En effet, pour que les participants s’immergent dans
l’environnement, il faut qu’ils soient « pris au jeu », mais il faut aussi qu’ils perçoivent les
réponses comme accessibles, sensées.
Ensuite, l’effet « leurre » sera étudié pour deux groupes de sujets (expert et novice).
L’expertise des joueurs de football (leurs connaissances de l’activité) devrait leur permettre
d’avoir des performances plus élevées que les novices dans la distinction entre un agent humain
et un agent virtuel. Nous nous attendons donc à un effet leurre plus marqué pour les novices
que pour les experts.
Enfin, nous examinerons l’effet « leurre » dans le temps pour l’ensemble des sujets et pour
nos deux groupes. Cet effet devrait s’estomper entre la première et la dernière mesure pour
l’ensemble des sujets. Les participants devraient apprendre à reconnaı̂tre les agents virtuels
et les avatars.
6.2.2
Méthode
6.2.2.1
Participants
Deux groupes de sujets, tous volontaires et avertis qu’ils participaient à une recherche
expérimentale, ont participé à l’expérience. Le premier groupe était composé de 24 joueurs
de football (moyenne d’âge = 21,1 ; écart type (σ) = 1,6) tous membres d’un club de football
et étudiants spécialistes de l’activité football en 2ème ou 3ème année à l’UFR Sport et EP de
Brest. Les joueurs étaient considérés comme experts par leur pratique régulière du football
(3 entraı̂nements par semaine, et un match le week-end) dans un club et à l’université
depuis 13,25 ans en moyenne. Le deuxième groupe était composé de 24 novices (moyenne
d’âge µ = 21,6 ; σ = 2,9) issus de l’École Nationale d’Ingénieur de Brest (ENIB) et qui ne
pratiquaient pas de sports collectifs régulièrement. Un questionnaire initial (annexe) a permis
de déterminer la familiarité de l’ensemble des sujets avec l’utilisation de manettes et face à
des simulations (de type jeu vidéo).
6.2.2.2
La situation d’étude
Le simulateur CoPeFoot
L’étude s’est déroulée dans les locaux du CERV. La situation simulée est une reproduction de la situation d’étude favorisant les contre-attaques que nous avons mobilisée pour
l’analyse de l’activité de joueurs en situation réelle (Cf. Figure 6.2, p 195).
Dans la simulation, les participants appartiennent à l’équipe bleue ou à l’équipe rouge.
L’équipe rouge est l’équipe qui attaque sur le grand but et défend sur le petit but. Le
194
Cyril Bossard
La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative
participant qui est intégré à l’équipe rouge joue avec un partenaire humain et un partenaire
virtuel et, contre 2 adversaires virtuels et un adversaire humain. L’objectif de la situation
pour l’équipe rouge est de marquer le plus rapidement possible dans la grande cible. L’objectif
pour l’équipe bleue est de marquer dans la petite cible.
Le simulateur CoPeFoot propose au participant de s’immerger à partir du point de
vue subjectif de son avatar (Cf. Figure 6.3) ; ses possibilités d’actions sont contraintes par
l’utilisation d’une manette (Cf. Figure 6.4).
Procédure
Le protocole expérimental réalisé avec le simulateur CoPeFoot comprend 2 phases : une
phase d’entraı̂nement et le passage dans la situation d’étude (Cf. Figure 6.2).
La phase d’entraı̂nement (5-10 min) permet aux sujets de se familiariser avec le
simulateur CoPeFoot et les commandes (i.e. les manettes ; Cf. Figure 6.4). Elle consiste en
une pratique libre en trois contre trois dans l’environnement où les sujets peuvent tester les
différentes actions possibles associées aux commandes, puis découvrir la situation d’étude.
Ensuite, les participants sont invités à réaliser six passages (2 départs balle à gauche,
2 départs balle au centre, 2 départs balle à droite) dans la situation d’étude avec deux
partenaires (dont 1 virtuel et 1 réel) et contre 3 adversaires (dont 2 virtuels et 1 réel).
Figure 6.2 – Capture d’écran de la situation d’étude (milieu)
L’évaluation de la crédibilité repose sur la possibilité pour le participant de distinguer,
après deux passages dans la situation d’étude, les avatars contrôlés par des humains ou
les agents virtuels autonomes. Nous effectuons donc trois mesures (pour 6 passages avec
une mesure tous les deux passages). Entre la phase d’entraı̂nement et la phase de test, et
Cyril Bossard
195
Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
Figure 6.3 – Point de vue du participant à l’expérimentation
entre chaque passage dans la situation, on effectue une redistribution totale et aléatoire des
individus dans la simulation (changement de joueur et d’équipe).
Matériel
Pour effectuer notre test, chaque sujet dispose d’un écran relié à une tour et d’une
manette (Logitech Precision Game Pad) permettant d’interagir avec l’environnement. Le
sujet contrôle son avatar avec une manette dont les possibilités d’actions sont limitées (Cf.
Figure 6.4).
Les joueurs humains qui jouent dans la même équipe sont séparés les uns des autres. Nous
disposons de trois pièces et de 8 ordinateurs, la figure N présente la structure utilisée pour
réaliser ces tests. Les ordinateurs sont disposés dans trois salles (A, B, C) et sont numérotés
de 1 à 8. Parmi les huit ordinateurs, deux sont consacrés aux serveurs qui permettent de
lancer les simulations (poste 3 et 7). Le simulateur CoPeFoot est distribué sur le réseau ;
nous avons réparti les sujets sur les ordinateurs présents dans les différentes salles afin de
simuler deux situations en parallèle. Ainsi, les postes 2, 5 et 8 sont connectés à la même
simulation. Les postes 1, 4 et 6 sont connectés à une autre simulation.
196
Cyril Bossard
La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative
Figure 6.4 – Manette
Figure 6.5 – Répartition des postes « joueur » pour l’expérimentation
Cyril Bossard
197
Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
6.2.2.3
Recueil des données
L’évaluation de la crédibilité comportementale repose sur l’identification des joueurs
humains impliqués dans la simulation. À l’issue de chaque situation (après deux passages), la
simulation est mise en pause et nous demandons à chacun des sujets de remplir un tableau.
Ce dernier répertorie l’ensemble des joueurs des deux équipes à l’aide de leurs numéros dans
la simulation. Les sujets répondent à la question suivante : qui sont les deux joueurs humains ?
Les consignes données par l’expérimentateur aux sujets sont simples : « Faites une croix dans
la case correspondant aux deux autres joueurs humains de la simulation si et seulement si
vous en êtes persuadé. En cas de doute, vous n’écrivez rien ». Le tableau 6.1 est le tableau
de recueil des données utilisé pour l’expérimentation.
6 passages dans
la situation
Mesure 1
Mesure 2
Mesure 3
Equipe rouge
joueur 1 joueur 2 joueur 3
Equipe bleue
joueur 1 joueur 2 joueur 3
Tableau 6.1 – Exemple de tableau de recueil des données
Notons qu’avant le premier passage et la première mesure, nous n’indiquons pas aux
sujets que le but de l’expérience consiste à trouver les deux joueurs contrôlés par deux
humains.
Le tableau de recueil des données nous permet d’évaluer pour chaque sujet le nombre de
réponses correctes, le nombre de réponses erronées, et le nombre d’absence de réponse pour
chaque situation simulée. À l’issue de chacune des trois situations, les réponses du sujet sont
codées selon une échelle d’intervalles de 1 à 6 :
1. Deux bonnes réponses,
2. Une bonne réponse et une « je ne sais pas »,
3. Une bonne réponse et une mauvaise réponse,
4. Deux « je ne sais pas »,
5. Une mauvaise réponse et une « je ne sais pas »,
6. Deux mauvaises réponses.
6.2.2.4
Traitement des données
Les analyses statistiques ont été menées avec le logiciel Statistica.
Dans un premier temps, nous avons mené un test de conformité de Chi-carré (χ2 ) sur
l’ensemble des réponses des participants (N = 48 sujets × 3 mesures = 144). Le test de
198
Cyril Bossard
La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative
conformité du χ2 permet de comparer la fréquence des réponses observées à une fréquence
de réponse théorique. Dans notre cas, les fréquences théoriques pour chacun des 6 niveaux
de performance de notre échelle correspondent à 24 (144 mesures / 6 possibilités de réponse
= 24).
Nous effectuons le même test, séparément pour chacune des trois mesures. Dans ce cas,
les fréquences théoriques sont de 8 pour chacune des 6 possibilités de réponse (48 sujets / 6
possibilités de réponse = 8).
Dans un second temps, l’effet de l’expertise sur la performance (ou de leurre) des
participants est examinée en comparant les deux groupes de sujets, d’une part pour l’ensemble
des 3 mesures, d’autre part et pour chaque mesure, à l’aide d’un test t de Student pour
échantillons indépendants. Le test t de Student permet de comparer deux groupes de
données indépendants et de déterminer s’il existe une différence statistique ou non entre
ces deux groupes. Le test t de Student est un test paramétrique qui permet de vérifier les
hypothèses relatives aux différences entre les moyennes (µ) de distributions de populations.
Les échantillons indépendants sont des échantillons constitués des résultats de deux groupes
différents, comme c’est le cas, dans notre expérience, pour les groupes Novices et Experts.
Dans un troisième temps, le maintien de l’effet leurre est examiné en comparant les
réponses lors des 3 mesures successives pour chaque groupe (Expert et Novice) à partir
d’un test t de Student pour échantillons pairés. Les échantillons pairés sont des échantillons
constitués de résultats du même groupe de sujets, obtenus avant et après l’intervention d’une
variable indépendante.
6.2.3
Résultats
Le tableau 6.2 propose une répartition des réponses des deux groupes pour les 3 mesures
réalisées à l’aide de notre échelle de performance de 1 à 6.
Mesures
Mesures 1
Mesures 2
Mesures 3
Total
Sujets
E
N
E
N
E
N
E
N
1
4
0
11
4
14
4
29
8
2
4
3
2
8
4
4
10
15
Réponses
3
4
7
8
4
14
4
3
6
2
5
1
12
1
16
12
22
17
5
0
1
2
2
0
2
2
5
6
1
2
2
2
0
1
3
5
Tableau 6.2 – Répartition des réponses des sujets
Cyril Bossard
199
Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
La répartition exacte des réponses par sujet est disponible en annexe C (p 267 et p 268).
6.2.3.1
Le test de conformité du χ2
L’analyse des résultats aux tests de conformité du χ2 à la distribution uniforme (24, 24,
24, 24, 24, 24, 24) pour l’ensemble des réponses (N = 144) montrent qu’il y a une différence
réelle entre les fréquences théoriques et les fréquences observées pour les 6 possibilités de
réponse (ou niveau de performance). L’hypothèse nulle d’une distribution aléatoire (due au
hasard) des réponses est rejetée : χ2 (1,5) = 39 ; p < .001 (Cf. Tableau 6.3).
1- Deux bonnes réponses
2- Une bonne réponse et une « je ne sais
pas »
3- Une bonne réponse et une mauvaise
réponse
4- « Je ne sais pas »
5- Une mauvaise réponse et une « je ne
sais pas »
6- Deux mauvaises réponses
Somme
Fréquence
observée
37
25
Fréquence
théorique
24
24
O-T
(O-T)**2/T
13
1
7,04
0,04
38
24
14
8,16
29
7
24
24
5
-17
1,04
12,04
8
144
24
144
-16
0
10,66
39,0
Tableau 6.3 – Test de conformité du χ2 pour l’ensemble des réponses
L’analyse des résultats aux tests de conformité du χ2 pour les réponses à chaque mesure
montre qu’il y a une différence réelle entre les réponses observées et les possibilités de réponse
théoriques, et ceci pour les 3 mesures successives effectuées (p < .05). Pour l’ensemble des
sujets, au fur et à mesure des passages dans la simulation, le choix d’une réponse parmi les
6 possibilités n’est pas dû au hasard (Cf. Tableau 6.4).
χ2
d.d.l
p
Mesure 1
Mesure 2
Mesure 3
37,00
5
.000
12,25
5
.031
37,75
5
.000
Tableau 6.4 – Test de conformité du χ2 pour chaque mesure
6.2.3.2
Effet leurre et expertise
L’analyse statistique à partir du test t de Student pour échantillons indépendants montre
une différence significative entre les moyennes du groupe Experts (µ = 2,40) et du groupe
200
Cyril Bossard
La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative
Novices (µ = 3,15) pour l’ensemble des mesures (t (1,142) = -3,23 ; p < .005). Les experts
montrent une capacité plus importante à distinguer les agents virtuels autonomes et les
avatars contrôlés par des humains.
Cette différence experts-novices évolue au cours des mesures successives. Les
moyennes des experts sont significativement inférieures à celles des novices pour
la première mesure (après 2 passages) (t (1,46) = -2,50 ; p < .05) et la troisième
mesure (après 6 passages) (t (1,46) = -3,46 ; p < .005).
Mesures
Mesures 1
Mesures 2
Mesures 3
Sujets
Moyenne
Valeur t
d.d.l
p
N actifs
σ
F
P
E
N
E
N
E
N
2,95
3,79
2,54
2,83
1,70
2,83
-2,50
46
.015
0,30
46
.536
1,36
0,46
-3,46
46
.001
1,26
1,02
1,74
1,49
0,95
1,27
1,54
-0,62
24
24
24
24
24
24
1,78
0,17
Tableau 6.5 – Résultats test t pour échantillons indépendants pour les 3 mesures
Le test t de Student pour échantillons indépendants nous permet de conclure que les
experts reconnaissent mieux que les novices les agents virtuels autonomes et les avatars
contrôlés par des humains sauf lors de notre deuxième mesure.
Si l’on considère les moyennes obtenues à notre échelle, nous constatons que les sujets
sont plutôt capables de distinguer les agents virtuels autonomes et les avatars contrôlés par
les humains, sauf les novices lors de la première mesure (performance moyenne = 3,79 sur 6).
Les autres moyennes sont inférieures à 3 (Experts, mesure 1, µ = 2,95 sur 6 ; mesure 2, µ =
2,54, mesure 3, µ = 1,70 ; Novices, mesure 2, µ = 2,83 ; mesure 3, µ = 2,83), avec une forte
diminution des erreurs pour les experts après le dernier passage.
L’ensemble des résultats aux tests statistiques t pour échantillons indépendants montrent
ainsi que l’environnement virtuel CoPeFoot permet uniquement de « berner » les novices.
Cet « effet leurre » fonctionne seulement pour les novices et uniquement lors de la première
mesure. Cependant, à la troisième mesure, nous observons que les novices ne sont pas capables
d’améliorer leur performance (µ N = 2,83). Ces résultats témoignent de la capacité de
CoPeFoot à leurrer les novices.
6.2.3.3
L’effet leurre dans le temps
Pour l’ensemble des participants, le test t de Student pour échantillons appariés
montre que les sujets progressent dans la distinction entre agents virtuels autonomes et
avatars contrôlés par des humains au cours des trois mesures. Une différence significative
Cyril Bossard
201
Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
existe entre la première mesure et la troisième mesure (t (1,47) = 4,81 ; p < .001) pour
l’ensemble des sujets.
Paire Mesures
1
1
2
1
2
3
2
3
3
Moyenne
3,375
2,687
3,375
2,270
2,687
2,270
σ
1,213
1,613
1,213
1,250
1,613
1,250
N
48
Différence
0,687
Différence σ
1,925
t
2,473
d.d.l
47
p
.017
48
1,104
1,587
4,818
47
.000
48
0,416
1,698
1,699
47
.09
ns
Tableau 6.6 – Résultats test t pour échantillons appariés pour l’ensemble des participants
Pour les novices, le test t de Student pour échantillons appariés indique qu’ils
progressent de la 1ère à la 2ème mesure (t (1,23) = 2,88 ; p < .01), et de la 1ère à la 3ème
mesure (t (1,23) = 3,21 ; p < .01). Cependant, ils ne progressent pas de la 2ème à la 3ème
mesure (t (1,23) = 0 ; ns).
Paire Mesures
1
1
2
1
2
3
2
3
3
Moyenne
3,791
2,833
3,791
2,833
2,833
2,833
σ
1,020
1,493
1,020
1,274
1,493
1,274
N
24
Différence
0,958
Différence σ
1,627
t
2,883
d.d.l
23
p
.008
24
0,958
1,458
3,217
23
.003
24
0,000
1,615
0,000
23
1
ns
Tableau 6.7 – Résultats test t pour échantillons appariés pour les novices
Pour les experts, le test t de Student pour échantillons appariés révèle qu’ils ne
progressent pas de manière significative de la première mesure à la deuxième mesure (t (1,23)
= 0,93 ; ns) mais s’améliorent lors de la troisième (t (1,23) = 3,54 ; p < .001).
Paire Mesures
1
1
2
1
2
3
2
3
3
Moyenne
2,958
2,541
2,958
1,708
2,541
1,708
σ
1,267
1,744
1,267
0,954
1,744
0,954
N
24
Différence
0,416
Différence σ
2,185
t
0,934
d.d.l
23
24
1,250
1,725
3,548
23
p
.359
ns
.001
24
0,833
1,711
2,386
23
.025
Tableau 6.8 – Résultats test t pour échantillons appariés pour les experts
202
Cyril Bossard
La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative
L’analyse statistique à partir du test t de Student pour échantillons appariés montre donc
une évolution différente en fonction des 2 groupes (Cf. Figure 6.6, p 203). Toutefois, l’effet
« leurre » de l’environnement CoPeFoot s’estompe pour les deux groupes de sujets entre la
première mesure et la dernière.
Figure 6.6 – Évolution des novices et des experts au cours des trois mesures
6.2.4
Discussion
Notre étude exploratoire avait pour objectif d’évaluer la crédibilité comportementale
de l’environnement virtuel CoPeFoot. Nous avons interrogé les humains immergés dans le
simulateur sur la possibilité de distinguer des avatars contrôlés par d’autres humains et des
joueurs virtuels autonomes guidés par le modèle informatique. Les résultats montrent que
cette capacité de distinction est plus importante pour les experts que pour les novices. De
plus, ils montrent une amélioration des performances au cours des trois mesures successives
pour l’ensemble des sujets.
Produire des données qui permettent d’étudier la crédibilité comportementale d’un
environnement virtuel pose des questions méthodologiques difficiles, notamment du point
de vue des mesures utilisées et des conditions de l’expérimentation. À cet égard, notre étude
peut être discutée sur 3 points : la mesure de l’effet leurre, les limites de l’environnement
virtuel et les limites de la procédure d’évaluation utilisée.
Cyril Bossard
203
Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
6.2.4.1
La mesure de l’effet leurre de l’environnement
Nous avons tout d’abord montré, à l’aide du test de conformité du χ2 , que les réponses de
l’ensemble des sujets n’étaient pas dues au hasard (en considérant une distribution uniforme)
pour l’ensemble des mesures et pour chacune d’entre-elles. Ensuite, conformément à nos
hypothèses de départ, nous montrons que l’expertise des joueurs de football leur permet
d’avoir des performances plus élevées que les novices dans la distinction entre un agent
humain et un agent virtuel. L’effet leurre de l’environnement CoPeFoot est plus marqué
pour les novices. Ces résultats ne sont pas surprenants. L’environnement CoPeFoot n’a, à ce
jour pas été enrichi par les données issues de l’analyse de l’activité réelle de joueurs experts de
football. Les agents virtuels se comportent ainsi comme des novices de l’activité. Les experts
sont ainsi capables, dès les deux premiers passages, de reconnaı̂tre au moins un avatar contrôlé
par un autre expert (µ = 2, 95). De plus, ils améliorent leur performance au cours des mesures
successives. On peut considérer que la différence entre ces experts et les novices est liée au
transfert de compétences liées au domaine. La question du transfert dans le cadre de la
conception et la validation d’EV a souvent été traitée sous l’angle du transfert du virtuel vers
le réel (Bossard et al., 2008). Notre proposition est originale dans la mesure où le transfert
du réel vers le virtuel (les compétences des footballeurs experts) est considéré ici comme un
indicateur de crédibilité de l’EV.
Les novices quant à eux, ne sont pas capables de faire cette distinction aux deux premiers
passages mais le peuvent lors des passages suivants. Plus précisément, les novices ne savent
pas faire la distinction entre un comportement de novice humain et un comportement d’agent
virtuel (µ = 3,79). Cependant, les résultats montrent que l’effet « leurre » de l’environnement
ne se maintient pas dans le temps. Dès la seconde mesure, les novices sont capables de
reconnaı̂tre au moins un avatar contrôlé par un autre novice (µ = 2,83). Cette performance
n’évolue pas lors de la troisième mesure.
À la lumière de ces résultats, nous serions tentés de conclure à la faible crédibilité de
l’environnement CoPeFoot, la crédibilité de l’environnement étant mesurée à partir de sa
capacité à berner les sujets. Cependant, notre étude ne nous permet pas d’apporter une
réponse définitive à cette question. Nos résultats peuvent être interprétés d’une autre manière.
Par exemple, la moyenne des experts (sur notre échelle de performance de 1 à 6) lors de la
première mesure est proche de 3, ce qui correspond à la reconnaissance d’un agent virtuel
autonome mais également à une mauvaise réponse. On peut aussi interpréter que chaque
mauvaise réponse du sujet témoigne de la capacité de l’environnement à le berner. Nos
résultats montrent alors que l’environnement leurre fréquemment les sujets. Plus précisément,
CoPeFoot est capable de berner les experts concernant au moins un agent lors des deux
premières mesures (µ 1 = 2,95 et µ 2 = 2,54) et lors des deux dernières pour les novices
(µ 2 et 3 = 2,83). D’autres investigations nous semblent donc nécessaires pour établir des
certitudes quand à la crédibilité de l’environnement.
204
Cyril Bossard
La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative
6.2.4.2
Les limites de l’environnement
La situation expérimentale que nous avons construite présente cependant des limites.
D’une part, elle entrave/contraint les possibilités d’actions des joueurs dans l’environnement.
Si l’utilisation des manettes n’est pas un problème majeur à résoudre (les sujets sont familiers
du dispositif), il n’en reste pas moins que les actions associés aux commandes sont des actions
simples (passer, courir, se déplacer, tirer, appeler la balle). Ces actions ne couvrent pas
l’ensemble du répertoire d’actions d’un expert et n’autorisent pas non plus une combinaison
sophistiquée de gestes techniques. Dès lors, en limitant le champ des possibles pour le joueur
(comme pour l’agent), on limite en quelque sorte les possibilités de choix.
De façon complémentaire, la répétition de la situation permet de construire des connaissances sur les actions et les possibilités offertes par l’environnement. Ainsi, si les comportements des experts dans la situation évoluent du fait d’une appropriation renforcée, les
comportements des agents virtuels quant à eux n’évoluent pas. La répétition de la situation
permet donc de reconnaı̂tre plus facilement les agents virtuels dans la simulation. L’évolution
des comportements des agents (par apprentissage) est prévue dans le simulateur. Comme
nous l’avons expliqué, nous opérons des analogies simplifiées entre la modélisation informatique et la modélisation psychologique. L’intérêt de ces analogies est qu’elles nous permettent
d’envisager un enrichissement du modèle à partir des données issues de l’analyse de l’activité réelle. Pour CoPeFoot, l’architecture informatique pourrait être renseignée, raffinée à
partir des schémas typiques identifiés chez les joueurs de football experts en situation de
contre-attaque.
Notons également la tendance des sujets à se détourner de la tâche quand ils savent que
la question posée est celle de l’identification des agents. En effet, lors de la première mesure,
les sujets ne connaissent pas l’objet de l’expérimentation. Cependant, dès la seconde mesure,
l’objet de l’expérimentation est dévoilé. Dès lors, nous observons un détournement de la tâche
par les sujets qui cherchent à découvrir qui sont les partenaires et les adversaires. La situation
d’étude (contre-attaque) est pour ainsi dire relayée en second plan.
6.2.4.3
La validité du test
Notre étude se distingue du Test de Turing originel (Turing, 1950) à plusieurs égards.
Le test de Turing est un test basé sur la conversation et sollicite en conséquence une
communication verbale explicite entre le programme informatique et le sujet. Dans notre cas,
la communication est non-verbale et se base ainsi sur les comportements des joueurs dans la
simulation. Finalement, la seule possibilité de communiquer avec ses partenaires est liée aux
comportements des avatars. La communication, comme nous l’avons montré dans le chapitre
5, passe par des jeux d’influence entre partenaires. Dès lors, il n’apparaı̂t pas surprenant que
les experts développent des jeux d’influence mutuelle, des modes de coordination typiques
Cyril Bossard
205
Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot
plus importants que les novices, ce qui leurs permet de se reconnaı̂tre entre eux (Eccles et
Tenenbaum, 2004). Pour les novices, cette communication est plus difficile et leur capacité à
discriminer les comportements des agents est à double sens.
Enfin, la réussite au test de Turing est mesurée sur une échelle temporelle considérant
qu’une conversation de cinq minutes sans distinction entre le programme informatique et
l’humain permet de valider le test. Dans notre test, les situations sont des situations de
contre-attaques, elles sont fugaces, évolutives, et imposent une reconnaissance rapide entre
agents et avatars. On peut se demander si la crédibilité résisterait à un temps de simulation
plus long.
Au terme de cette étude exploratoire, nous pouvons tirer des enseignements importants
pour la conception de l’environnement virtuel. Ces premiers résultats attestent d’une certaine
crédibilité comportementale de CoPeFoot. Plus particulièrement, ils témoignent de la capacité
des agents virtuels autonomes à produire des comportements de joueurs crédibles pour des
novices. Ces résultats nous paraissent encourageants et nous incitent à poursuivre plus avant
notre travail de collaboration. Nous envisageons ainsi, à court terme, de reproduire cette étude
avec une version 2 de CoPeFoot. L’étude consisterait à comparer les performances de sujets
au regard d’un CoPeFoot enrichi de données liées à l’analyse de l’activité individuelle et/ou
collective réelle. D’autres perspectives sont également envisageables, nous les détaillerons
dans une dernière partie consacrée à la discussion générale.
206
Cyril Bossard
Discussion générale
L’émergence des technologies de la réalité virtuelle ouvre aujourd’hui un champ de
simulations qui demain seront suffisamment pertinentes pour être utilisées dans le cadre de
la formation. Cependant, pour qu’elles servent de support à l’apprentissage, ces simulations
nécessitent de prendre en compte les mécanismes cognitifs mis en jeu par des êtres humains
impliqués dans les situations que l’on souhaite simuler. Les travaux que nous avons menés en
collaboration avec des chercheurs en sciences de l’informatique suivent cette ligne de conduite.
Au terme de ce travail de recherche, nous souhaitons revenir sur les différentes phases de
notre démarche : analyse de l’activité, modélisation de cette activité, simulation et évaluation,
et conception d’un environnement virtuel de formation. Nous trouverons ainsi l’occasion de
rappeler les options théoriques sur lesquelles nous avons fondé nos hypothèses, les principes
méthodologiques qui ont orienté la mise en œuvre de la recherche ainsi que les principaux
résultats obtenus. Nous discuterons également des apports et des limites de nos propositions
afin d’envisager quelques axes prospectifs. Ce dernier chapitre s’organise en trois points :
l’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative, la démarche
ergonomique de conception de l’environnement virtuel CoPeFoot, et les perspectives offertes
par l’environnement virtuel.
L’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative
L’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative a constitué
le centre d’intérêt principal de ce travail de recherche. Plus précisément, en partant d’une
revue des travaux effectués dans le domaine de la psychologie du sport, nous avons mis en
exergue la nécessité d’appréhender cet objet de recherche, d’une part comme une articulation
Cyril Bossard
207
Discussion générale
de variables perceptives et cognitives, d’autre part comme un processus particulièrement
dépendant des contraintes contextuelles. Parmi ces effets de contexte, nous avons mis l’accent
sur la dimension collective de l’activité à travers l’étude des coordinations et des influences
entre individus.
Dans ce travail de recherche, en exploitant le cadre conceptuel proposé par la NDM
et les apports de la littérature scientifique sur l’activité collective, nous avons cherché à
mieux appréhender l’articulation entre l’activité collective et l’activité des individus.
Nous postulions que la décision tactique devait être abordée à la fois comme une variable
cognitive mais également sociale, c’est-à-dire construite dans la relation à autrui. Comprendre
la collaboration des membres de l’équipe dans l’activité décisionnelle en sports collectifs a
consisté à comprendre comment les joueurs s’influencent et parviennent à articuler leurs
activités. Cette option de recherche, ce point de vue sur l’activité collective, nous ont conduit
à étudier d’une part l’activité des individus, pour mettre à jour les schémas typiques activés
en cours d’action, d’autre part l’articulation de l’activité de ces individus, pour identifier des
formes typiques, des régularités qui apparaissent dans le jeu des influences entre partenaires.
Dans cette perspective, l’analyse de l’activité individuelle s’est imposée comme un préalable
à l’étude de l’activité collective. Nous en rappelons les principaux résultats.
À partir de l’approche NDM, nous avons analysé le couplage entre le sujet et le contexte
pour identifier la succession des situations vécues (conscience de la situation) en cours
d’action par les joueurs. L’analyse des différentes situations vécues a permis de révéler des
structures cognitives d’arrière-plan : 16 schémas typiques activés en situation de contreattaque au football. Conformément au processus invoqué dans la littérature de la « décision
intuitive » liée à un domaine d’expertise, la décision tactique en situation de contre-attaque
au football est une décision immédiate (ou réactive), essentiellement déclenchée dans notre
cas par un stimulus contextuel (visuel). Selon Klein (1997), il s’agit d’une décision basée
sur la reconnaissance d’un pattern (configuration de jeu). Cette reconnaissance est favorisée
par la dynamique de la situation courante, le schéma activé créant une attente pour un
schéma habituellement enchaı̂né dans le cours d’action. Ces enchaı̂nements nous ont permis
de restituer les scripts (ou scénarii) préférentiels des joueurs experts dont nous avons proposé
une représentation graphique utile pour le chercheur en sports collectifs, ou pour l’entraı̂neur
qui reconnaı̂tra les différentes phases de la situation étudiée (la contre-attaque au football).
Dans un second temps, nous avons identifié les formes typiques d’articulation, les
régularités qui apparaissent dans le jeu des influences entre partenaires. L’analyse des données
a permis de révéler 5 formes typiques de coordination entre les joueurs en situation de contreattaque. Chacune de ces formes a été caractérisée par un jeu d’influences entre partenaires,
par un certain niveau de partage des informations, et par une relation singulière entre les
buts de chaque membre de l’équipe. Pour expliquer ces formes typiques d’articulation, nous
avons cherché aussi à répondre à la question, centrale dans la littérature, relative à ce qui
208
Cyril Bossard
Discussion générale
est partagé entre les membres d’une équipe. Les résultats ont pointé la prédominance des
informations issues du contexte pour expliquer la coordination des membres de l’équipe.
D’un point de vue méthodologique, nous avons opté pour un entretien d’autoconfrontation face aux comportements réels du sujet lors d’une situation d’étude privilégiée. Nous supposions que les verbalisations provoquées puissent rendre compte de l’activité décisionnelle
du sujet en situation. Bien sûr, même si le chercheur pousse le sujet à affiner, préciser la
description de son activité, nous ne pouvons affirmer avec certitude que le protocole ait permis l’explicitation de l’ensemble des informations significatives implicitement mobilisées en
situation. Quand on souhaite étudier l’activité des sujets en situation à l’aide de verbalisations, un décalage est toujours à craindre entre le discours et les actes. Nous avons ainsi
systématiquement mis en relation les comportements observés et les verbalisations recueillies.
L’analyse de contenu s’est poursuivie par un travail de catégorisation. Pour l’analyse de l’activité décisionnelle individuelle, nous avons choisie une catégorisation théorique à partir de
concepts et modèles déjà éprouvés. À l’inverse, le peu de travaux empiriques disponibles sur
l’activité collective nous a conduit à avoir recours à une catégorisation empirique.
La démarche ergonomique de conception de l’environnement virtuel CoPeFoot
La recherche dans le domaine de la RV est souvent focalisée sur des aspects techniques
et pourrait viser la reproduction de la réalité le plus parfaitement possible. En s’appuyant sur
l’analyse de l’activité des joueurs, notre démarche de conception se démarque des approches
prescriptives de conception des formations pour une approche basée sur la significativité de
l’EV pour les usagers. Pour concevoir un EV significatif, crédible, utilisable et utile pour la
formation, nous avons proposé une démarche de conception qui prend en compte l’utilisateur à
deux niveaux : 1) le modèle de l’agent virtuel peut être renseigné à partir des données issues de
l’analyse de l’activité réelle des joueurs et 2) l’évaluation de la crédibilité de l’environnement
par les joueurs fait partie intégrante de la démarche de conception.
Dans ce second point, nous discutons des difficultés rencontrées et des limites d’une telle
démarche de conception.
L’enrichissement du modèle
Comme nous l’avons expliqué lors du Chapitre 6, nous avons opéré des analogies simplifiées entre les modèles en science de informatique et les modèles en psychologie ergonomique. L’intérêt de ces analogies est qu’elles nous permettent d’envisager un enrichissement
du modèle à partir des données issues de l’analyse de l’activité réelle. Pour CoPeFoot, l’archi-
Cyril Bossard
209
Discussion générale
tecture informatique pourrait être renseignée, raffinée à partir des schémas typiques identifiés
chez les joueurs de football experts en situation de contre-attaque. Ce travail n’a pour l’instant pas été réalisé pour des raisons de chronologie et de contraintes liées à nos travaux
respectifs.
A l’issue de notre travail de collaboration, nous pouvons tout de même mettre en avant
trois principes ou critères qui président au choix des modèles qu’ils soient informatique ou
psychologique. Le premier critère renvoie à la pertinence des modèles par rapport à l’objet
d’étude choisi. La fécondité du modèle du point de vue disciplinaire respectif constitue un
second critère. Enfin, la non-contradiction des modèles issus des deux disciplines permet
d’opérer des analogies simplifiées. Ce dernier critère est difficile à respecter et peut être
illustré à partir d’une des principales limites de notre modélisation.
Pour illustrer la difficulté du principe de non-contradiction des modèles, la principale
limite de notre approche est la centration sur l’aspect individuel de l’activité. Comme nous
l’avons démontré, l’activité déployée au sein de situations dynamiques et collaboratives
engendre également une dimension collective. Notre étude a permis de mettre à jour des
formes typiques d’articulation des activités individuelles. Cependant, l’intégration de ces
modes d’articulation au modèle informatique apparaı̂t actuellement difficile. Nous avons
mis en avant la prédominance des informations contextuelles conduisant les joueurs à
se coordonner sur la base d’un contexte partagé. Mettre en place un contexte partagé
entre des agents virtuels autonomes est relativement aisé (Brézillon et Mendes de Araujo,
2005; Salembier et Zouinar, 2000) mais cela peut conduire à un répertoire d’actions des
agents déconnecté de la réalité et à agiter le « spectre d’un collectivisme méthodologique
radical » (Pavard et Salembier, 2003). Dans le cadre d’une simulation participative, si
tous les agents virtuels réagissent au même instant de la même manière, la crédibilité de
l’environnement est mise à mal. Ce type de modélisation négligerait alors la part d’autonomie
de chaque agent. Nous maintenons donc l’idée d’aboutir à une collaboration entre agents
(qu’ils soient humains ou virtuels) sans modélisation au préalable d’un contexte partagé.
Finalement, le processus de modélisation de l’environnement virtuel pourrait se poursuivre par deux étapes supplémentaires : l’enrichissement du modèle et l’évaluation de l’EV
« renseigné ».
L’évaluation de l’EV
L’intérêt du dispositif d’évaluation que nous avons proposé (Cf. Chapitre 6, p 192)
est de pouvoir mettre les sujets (joueurs) en action dans un environnement virtuel. Un tel
environnement doit donc présenter des caractéristiques qui permettent aux sujets animant
les avatars de s’impliquer pleinement dans la situation. Cette implication n’est possible que si
les sujets accordent de la crédibilité à la situation qui est présentée. L’environnement virtuel
210
Cyril Bossard
Discussion générale
Figure 6.7 – Schéma de la démarche de modélisation des agents virtuels
doit être suffisamment crédible pour que les décisions soient en concordance avec ce qu’elles
seraient dans la réalité. Or nous avons vu que les actions des joueurs dans CoPeFoot sont
limitées. Comment se font alors les choix d’actions ? On peut supposer qu’en situation de
simulation, le choix d’action est celui qui se rapproche le plus de l’action réelle que l’on
aurait choisie. Les joueurs opèrent alors un transfert de compétences du réel vers le virtuel.
D’autres investigations nous semblent encore nécessaires pour effectivement évaluer l’efficacité
de CoPeFoot. Nous pensons plus particulièrement que l’étude du transfert du virtuel vers le
réel est un objectif réalisable.
Perspectives pour CoPeFoot
Une des principales perspectives concernant CoPeFoot consiste à passer d’un environnement simulant des situations dynamiques et collaboratives crédibles et immersives à un
environnement virtuel destiné à l’apprentissage humain. Cette étape n’est pas encore été
réalisée mais nous l’avons tout de même envisagée dès le début de notre travail. Á partir
de l’environnement virtuel CoPeFoot, nous avons développé un logiciel de recueil de traces :
EXPECoPeFoot. Ce logiciel devrait fournir dans un futur proche d’une part, une aide à
l’apprentissage et d’autre part, une aide méthodologique pour la recherche.
Une des difficultés des simulations participatives est de faire évoluer les comportements
des agents virtuels autonomes pour qu’ils s’adaptent à l’utilisateur humain. Dans notre travail,
Cyril Bossard
211
Discussion générale
cela consiste à enrichir et affiner la base de cas de l’agent virtuel. Nous avons envisagé
cet apprentissage de nouveaux cas en deux voies distinctes correspondant à deux types
d’apprentissage classiquement évoqués en psychologie cognitive : implicite et explicite.
L’apprentissage implicite est une possibilité offerte à partir de l’observation du comportement de l’avatar par les agents virtuels. L’utilisateur, en collaborant avec les entités va en
quelque sorte structurer l’environnement avec ses actions. Par la répétition des situations,
les agents virtuels vont renseigner leur base en observant les comportements et le contexte
de l’utilisateur. Pour éviter une « explosion » de la base de cas de l’agent, trois critères permettent à l’agent de mémoriser un cas. Dans un premier temps, le contexte de l’utilisateur
doit être différent des contextes déjà répertoriés. Le second critère concerne le but de l’utilisateur. Pour intégrer la base de cas, ce dernier doit être différent de ceux déjà recensés. Enfin,
l’action ou la séquence d’action mise en œuvre par l’utilisateur doit être nouvelle pour être
enregistrée.
Ensuite, nous avons envisagé que l’utilisateur puisse renseigner de manière explicite la
base de cas des agents virtuels. L’utilisateur humain peut ainsi donner du poids (en cliquant)
aux éléments contextuels perçus et significatifs de son propre point de vue et ce, à n’importe
quel moment de la situation. L’expert sera ainsi en mesure de fournir aux agents virtuels les
affordances (les informations pertinentes et directement utiles pour agir) de l’environnement
qui lui permettent de prendre des décisions. Cet apprentissage explicite est rendu possible
par l’utilisation du gestionnaire d’expérimentations qui permet de restituer une situation à
l’identique et qui, pour chaque pas de simulation permet de montrer les perceptions qui ont été
prise en compte à cet instant de la simulation. Dès lors, on peut envisager un apprentissage
explicite pour les agents virtuels en leur indiquant qu’en fonction d’un cas, c’est telle ou
telle information du contexte qu’il faut prioritairement prendre en considération. Ces deux
formes d’apprentissage font actuellement l’objet de nombreuses investigations en psychologie
cognitive et en psychologie du sport (Raab, 2003). La réalité virtuelle offre également la
possibilité d’expérimenter ces deux voies de manière originale.
Les voies d’apprentissage des agents virtuels permettent en retour d’envisager des voies
d’apprentissage pour des utilisateurs novices. Le contexte exprimé sous sa forme explicite
nous permet de mettre en évidence les perceptions qui sont utilisées par l’expert au cours
de son activité. Il est alors possible de montrer (par effet de surbrillance par exemple) à
un utilisateur apprenant quelles perceptions sont prioritaires ou encore celles qu’il aurait dû
prendre en compte. Les aides éventuelles apportées grâce aux techniques de réalité augmentée
ont fait l’objet d’une réflexion en amont (Bossard et al., 2006).
La seconde perspective à long terme est de vérifier la généricité de notre approche en
l’appliquant à d’autres domaines d’activité. Comme nous l’avons mentionné plus tôt il nous
faudra alors faire appel à des spécialistes du domaine pour définir les contextes et les perceptions pertinentes pour cette nouvelle application. La même démarche de conception peut
212
Cyril Bossard
Discussion générale
donc être reprise : analyse de l’activité réelle pour enrichir le contexte, puis expérimentations
avec des spécialistes du domaine. L’objectif serait alors de montrer la pertinence de notre
approche, à l’égard d’autres activités collaboratives pour la conception d’environnements
virtuels. Dans cette perspective, notre analyse de l’activité collective pourrait contribuer à
l’évolution de l’environnement virtuel GVT (Generic Virtual Training) destiné à la formation
de mécaniciens pour la maintenance de char (Gerbaud et al., 2008). Pour l’instant, cet environnement propose une formation individuelle. Nous pouvons alors envisager le développement et
la modélisation d’agents virtuels « collaborateurs » pour une formation au travail en équipe.
Le logiciel de recueil de traces EXPECoPeFoot (Cf. Figure 6.8, p 214) constitue
également un nouvel outil d’investigation de l’activité humaine face à des environnements
virtuels. Les méthodes d’étude de l’activité décisionnelle dans le domaine sportif essuient
aujourd’hui de nombreuses critiques. Pour établir les différences individuelles et contextuelles
dans l’activité décisionnelle, les recherches s’appuient sur des protocoles expérimentaux
qui reproduisent de manière insuffisante la dynamique des situations réelles (schémas,
diapositives, films). Aujourd’hui, l’immersion dans des situations simulées « in virtuo », grâce
à l’usage de la réalité virtuelle, permet de franchir ces limites méthodologiques. Dans cette
perspective le logiciel d’expérimentation est une voie originale pour aider à l’analyse de
l’activité.
En utilisant les techniques de la réalité augmentée, ce logiciel d’expérimentation permet
de recueillir des données qualitatives sur les éléments contextuels perçus et significatifs pour
l’utilisateur. Après avoir participé à une situation simulée en RV, l’utilisateur est confronté
au film (grâce au magnétoscope virtuel) de sa prestation en RV. Il peut alors interagir avec ce
film et nous renseigner sur les éléments contextuels pris en compte à un instant t. C’est-à-dire
qu’il peut cliquer sur les partenaires ou adversaires et préciser la dimension prise en compte :
vitesse, distance partenaire/adversaire/ballon/cible, joueur marqué ou démarqué (Cf. Figure
6.8). Ces traces de l’activité sont enregistrées de manière automatique et pourrait faciliter
l’analyse par le chercheur.
Les perspectives offertes par les dispositifs de Réalité Virtuelle sont nombreuses et
variées. Nous entretenons ainsi l’espoir de la mise à disposition de CoPeFoot dans un futur
proche pour la formation des joueurs à la décision tactique afin de remplacer les méthodes
dites de « tableaux noirs » actuellement utilisées.
Pour terminer, nous souhaitons souligner l’intérêt que nous avons porté à ce projet. Ce
travail nous a donné l’occasion de confronter des connaissances théoriques appartenant à des
champs scientifiques différents. Si les échanges entre les chercheurs peuvent paraı̂tre dans un
premier temps difficiles, ils s’avèrent au bout du compte d’une extrême richesse. Accepter de
quitter son domaine familier pour s’immiscer en tant que novice dans celui d’un autre est
une expérience passionnante. En ce qui nous concerne, chacune des phases de ce projet que
Cyril Bossard
213
Discussion générale
Figure 6.8 – ExpeCoPeFoot
nous avons développé a constitué une aventure emprunte d’incertitudes et de risques. Que
se soit dans la définition de l’objet, dans le choix d’une démarche de modélisation ou d’un
protocole expérimental, les travaux effectués trouvent leur origine dans des discussions parfois
passionnées ou passionnantes, parfois anodines et informelles, entre des personnes issues de
disciplines différentes, animées d’une même volonté d’aller de l’avant.
214
Cyril Bossard
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Cyril Bossard
Annexe A
Étude de l’activité décisionnelle
individuelle
A.1
Répartition des U.S avant triangulation
Sujets
Buts
Gautier
Bastien
Gaétan
Charles
Jordan
Kevin
Flavien
Benoı̂t
Michel
Benjamin
Thibault
Paul
Total
%
7
11
19
12
15
18
14
21
10
15
19
9
170
12,4
Connaissances
22
9
14
7
11
6
17
16
7
4
18
2
133
9,7
Informations
contextuelles
69
44
73
38
43
52
23
68
30
34
28
27
529
38,6
Actions
45
39
37
29
36
34
32
34
35
28
31
26
406
29,7
Spécifications
3
1
2
5
1
5
1
0
3
2
2
0
25
1,8
Attentes
ou
Résultats
13
17
11
5
2
5
9
13
7
9
9
9
109
7,9
Total
159
121
156
96
108
120
96
152
92
92
107
73
1372
100
Tableau A.1 – Répartition des US en fonction des sujets et des catégories théoriques (avant
triangulation)
Cyril Bossard
235
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
A.2
A.2.1
Les modélisations
La modélisation générale
Figure A.1 – Modélisation des schémas typiques activés pour l’ensemble des
contre-attaques
236
Cyril Bossard
Les modélisations
A.2.2
Les modélisations par équipe
Figure A.2 – Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe jaune
Figure A.3 – Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe rouge
Cyril Bossard
237
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
Figure A.4 – Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe verte
Figure A.5 – Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe violette
238
Cyril Bossard
Les modélisations
A.2.3
Les modélisations par joueur
Figure A.6 – Modélisation des schémas typiques activés par Bastien
Figure A.7 – Modélisation des schémas typiques activés par Benjamin
Cyril Bossard
239
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
Figure A.8 – Modélisation des schémas typiques activés par Charles
Figure A.9 – Modélisation des schémas typiques activés par Flavien
Figure A.10 – Modélisation des schémas typiques activés par Gaétan
240
Cyril Bossard
Les modélisations
Figure A.11 – Modélisation des schémas typiques activés par Gautier
Figure A.12 – Modélisation des schémas typiques activés par Jordan
Figure A.13 – Modélisation des schémas typiques activés par Kevin
Cyril Bossard
241
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
Figure A.14 – Modélisation des schémas typiques activés par Michel
Figure A.15 – Modélisation des schémas typiques activés par Paul
Figure A.16 – Modélisation des schémas typiques activés par Thibault
242
Cyril Bossard
Les 16 schémas typiques
A.3
Les 16 schémas typiques
Cyril Bossard
243
Contrer
l’adversaire,
empêcher
l’adversaire
de faire une
passe
Connaissances
Chacun sa
zone pour
presser et
cadrer
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Être avec un
partenaire
pour
récupérer
Les
adversaires
sont génés
Actions
Presser,
anticiper,
bloquer,
marquer,
prendre le
ballon
Tableau A.2 – Schéma n°1 : Intercepter le ballon
Spécifications
Résultats
Les
adversaires
perdent la
balle, je ou le
partenaire
récupère la
balle
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
244
Buts
Cyril Bossard
Cyril Bossard
Buts
Être attentif
à la
récupération
du ballon
Connaissances
Je sais que je
dois prendre
un espace
libre
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Être en
appui devant
Les
partenaires
sont à la
récupération
Le défenseur
est au
marquage
Actions
Spécifications
Attendre,
regarder, être
attentif
Résultats
Le(s)
partenaire(s)
récupère(nt)
le ballon, les
adversaires
perdent la
balle
Tableau A.3 – Schéma n°2 : Observer, analyser, anticiper l’évolution de la situation
Les 16 schémas typiques
245
Aller vite
vers l’avant,
dans un
espace libre,
demander la
balle
Connaissances
Donner une
solution au
PB
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Le partenaire
récupère le
ballon et
progresse
Actions
Spécifications
Regarder,
faire un
appel,
prendre une
direction vers
le but
Tableau A.4 – Schéma n°3 : S’engager vite vers l’avant pour profiter de la récupération du ballon
Résultats
Recevoir le
ballon, se
mettre dans
le sens du
but
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
246
Buts
Cyril Bossard
Cyril Bossard
Buts
Connaissances
Aller vite
devant, avoir
de l’espace
Connaı̂tre le
placement de
ses
partenaires
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Se situer
dans l’espace
de jeu, ne pas
être attaqué
Recevoir la
balle, voir les
déplacements
de ses
partenaires
Voir le
placement
des
adversaires
Actions
Spécifications
Prendre la
balle,
s’avancer,
regarder les
partenaires,
lever la tête
Résultats
Laisser de la
place aux
partenaires
Tableau A.5 – Schéma n°4 : Aller vite vers l’avant avec le ballon tout en étant attentif au jeu
Les 16 schémas typiques
247
Soutenir
(être en
soutien,
proposer une
solution en
soutien)
Connaissances
Le partenaire
peut
uniquement
remiser en
arrière
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Être derrière,
être en
soutien
Le(s)
partenaire(s)
récupère(nt)
la balle, les
partenaires
jouent collectivement (X
donne à Y
qui le
redonne), le
partenaire
temporise, les
partenaires
sont génés
par les
adversaires
Actions
Spécifications
Cyril Bossard
Se rendre
disponible
pour le
partenaire
(revenir en
arrière,
reculer,
s’arrêter, je
montre que
je suis là, je
vais vers lui,
je me décale,
se mettre à
sa gauche /sa
droite,
rejoindre le
partenaire)
demander la
balle (voix ou
appel de
balle, dire
que je suis
derrière)
Tableau A.6 – Schéma n°5 : Proposer son aide à un partenaire pour conserver le ballon
Résultats
Le partenaire
donne la
balle ou rate
sa passe
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
248
Buts
Cyril Bossard
Buts
Connaissances
Attirer le
défenseur
avec soi,
laisser de
l’espace aux
partenaires
Prendre un
espace libre
pour
permettre au
partenaire de
choisir une
solution
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Être seul
Le partenaire
récupère le
ballon
Voir l’action
des
défenseurs
Actions
Prendre une
direction, un
espace
Spécifications
Résultats
Laisser de la
place aux
partenaires,
créer des
solutions
pour le PB
Tableau A.7 – Schéma n°6 : Créer de l’espace pour permettre à des partenaires de s’engager vers l’avant
Les 16 schémas typiques
249
Se déplacer
dans l’espace
en fonction
de ses
partenaires
pour recevoir
une passe
Connaissances
Le partenaire
a des
solutions
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Le partenaire
récupère la
Se situer par
balle,
Voir le
rapport aux
progresse sur
placement
partenaires
le terrain,
des
dans l’espace
l’autre
adversaires
de jeu
partenaire se
déplace
Actions
Aller vite
dans un
espace,
regarder le
PB
Spécifications
Résultats
Changer de
direction
Le partenaire
frappe au
but, le
partenaire
me la passe,
s’attendre à
recevoir le
ballon
Tableau A.8 – Schéma n°7 : Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
250
Buts
Cyril Bossard
Cyril Bossard
Buts
Passer à un
partenaire
Connaissances
Le partenaire
est plus
rapide
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Être proche
du ballon
Voir le
placement de
ses
partenaires
Les
défenseurs
arrivent vite,
ils mettent la
pression
Actions
Récupérer le
ballon,
avancer,
regarder ses
partenaires,
passer
Spécifications
Résultats
Lever la balle
L’adversaire
récupère la
balle ou
passe réussie
Tableau A.9 – Schéma n°8 : Choisir une solution de passe pour assurer la continuité du jeu
Les 16 schémas typiques
251
Connaissances
Attendre la
soutien des
partenaires
Savoir que les
partenaires
arrivent
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Actions
Voir ses
partenaires
éloignés de
l’action
Récupérer,
dribbler,
conserver,
temporiser
Les
défenseurs
reviennent
vite
Tableau A.10 – Schéma n°9 : Attendre le soutien des partenaires
Spécifications
Résultats
Perdre la
supériorité
numérique ou
passer
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
252
Buts
Cyril Bossard
Cyril Bossard
Buts
Écarter (se
décaler, faire
attention) à
l’adversaire/au HJ
pour recevoir
une passe
Connaissances
Connaı̂tre la
règle du HJ,
savoir ce que
le PB veut
faire
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Être
démarqué,
être en bonne
position
Le PB
progresse ou
non (rate, se
fait prendre
le ballon)
Situer
l’adversaire
dans l’espace
(proche loin,
coté),
l’adversaire
presse le PB
ou non
Actions
Regarder le
placement/déplacement de
l’adversaire
(faire
attention au
HJ),
progresser
(s’avancer),
s’écarter de
l’adversaire
Spécifications
Résultats
Recevoir ou
s’attendre à
recevoir la
balle
Tableau A.11 – Schéma n°10 : Se déplacer par rapport au hors-jeu, à l’adversaire et rechercher la rupture
Les 16 schémas typiques
253
Connaissances
Effacer
l’adversaire
(éliminer)
Savoir que
l’adversaire
est proche,
qu’il arrive
vite
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Le ou les
adversaires
arrivent vite
Les
(s’avance vers
partenaires
moi, il est
Être sous
sont devant,
proche), les
pression, seul
ne pas avoir
adversaires
de solutions
ne suivent
pas leur
marquage
Actions
Spécifications
Récupérer la
balle, faire
une feinte,
dribbler, faire
un crochet
Tableau A.12 – Schéma n°11 : Éliminer en dribblant pour progresser vers la cible
Résultats
Eliminer
(feinter)
l’adversaire
ou non (se
faire prendre
la balle)
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
254
Buts
Cyril Bossard
Cyril Bossard
Connaissances
Aller vite
(vers l’avant)
et sur
l’adversaire
(foncer),
attendre
pour fixer,
fixer (attirer)
le defenseur,
provoquer
Envisager les
solutions,
attendre une
distance qui
permet de
donner la
balle sans
que le
defenseur la
prenne,
savoir où
sont placés
les
partenaires
(a droite ou
gauche,
devant)
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Avoir le
ballon
Le ou les
partenaires
font un
appel, voir le
3c1
L’adversaire
arrive vite
Actions
Spécifications
Lever la tête,
provoquer
(aller vite sur
un
adversaire,
chercher à
l’attirer),
attendre que
l’adversaire
se jette, fixer,
passer vite
(donner,
mettre)
Tableau A.13 – Schéma n°12 : Fixer-passer pour progresser vers la cible
Résultats
Passer dans
le bon timing
255
Les 16 schémas typiques
Buts
Se placer ou
déplacer pour
receptionner
un centre ou
une passe
(s’attendre à,
penser à
préparer,
aller, faire, se
mettre) au
point de
penalty, au
deuxieme
poteau, pour
etre en
retrait
Connaissances
Suivre
l’action du
partenaire,
garder la
dynamique
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Être seul,
démarqué,
proche ou
devant le but
(1er ou
second
poteau)
Le partenaire
récupère,
fixe-passe,
élimine,
passe, un des
partenaires
se place (au
premier
poteau, au
deuxième, à
droite, à
gauche)
Le ou les
adversaires
marquent les
partenaires,
l’adversaire
suit ou non,
le gardien
sort vite du
but
Actions
Aller,
s’avancer (au
point de
penalty, au
centre, dans
l’axe, à
droite, dans
la surface)
devant le but
Spécifications
Résultats
Ajuster son
placement
Le centre est
réussi ou
raté, le
partenaire
frappe au but
Tableau A.14 – Schéma n°13 : Se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
256
Buts
Cyril Bossard
Cyril Bossard
Connaissances
Mettre,
passer la
balle au
partenaire
devant le but
Savoir que le
partenaire
est meilleur
(techniquement, il voit
mieux le jeu),
connaı̂tre les
possibilités
(passe,
dribble),
savoir
comment le
partenaire
veut recevoir
la balle, une
passe
appuyée à
ras de terre,
il peut mieux
la contrôler,
et être dans
le sens du
jeu, si je
peux centrer
ou non
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Être coincé
Voir les
partenaires
démarqués
devant le
but, seuls, le
partenaire
continue sa
course (fait
un appel
direct), il est
seul,
L’adversaire
arrive vite,
met de la
pression
Actions
Passer à un
partenaire
(donner, faire
ressortir,
remettre,
mettre en
une, dans la
profondeur,
devant lui,
dans sa
course,
appuyée à
ras de terre),
contrôler la
balle,
regarder dans
l’axe du
terrain,
passer la
balle, prendre
la balle du
coup du pied
Spécifications
Résultats
Fort devant
le partenaire
un peu
enroulée, en
retrait
S’attendre à
voir le
partenaire
marquer un
but, la passe
est réussie ou
ratée
(contrée), se
faire
rattraper par
les défenseurs
Tableau A.15 – Schéma n°14 : Passer pour mettre le partenaire en situation favorable de frappe
257
Les 16 schémas typiques
Buts
Connaissances
Être à l’affut
pour
reprendre la
balle
La balle peut
toujours me
revenir
dessus, si il
ne marque
pas ou le
gardien
relâche ou
poteau, il
(gardien)
peut la
relâcher
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Être à côté
du
partenaire,
être un
spectateur
actif de
l’action
Le partenaire
dribble, est
face au
gardien, fixe
l’adversaire,
frappe au but
Les
défenseurs
reviennent
Actions
Spécifications
S’approcher
de la cible,
continuer son
action vers le
but, regarder
le jeu, suivre
le partenaire
Tableau A.16 – Schéma n°15 : Suivre l’action du partenaire pour une reprise
Résultats
Le partenaire
frappe au
but, le
partenaire
donne la
balle, ou
perte de balle
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
258
Buts
Cyril Bossard
Cyril Bossard
Buts
Frapper, se
mettre sur
son bon pied
Connaissances
Être en
mouvement,
avoir de
l’élan pour
bien frapper
Informations contextuelles
par / soi
par / part
par / adv
Être proche
du but, de la
surface,
recevoir le
ballon, se
retrouver
seul, ne pas
être attaquer,
être en bonne
position, sans
pression
Les
partenaires
sont
marqués, voir
le positionnement des
partenaires
(premier ou
deuxième
poteau)
Voir la
position du
gardien dans
ses buts, voir
l’anticipation
du gardien, le
but est vide
Actions
Spécifications
Résultats
Frapper au
but, se
mettre en
position de
frapper,
frapper
directement,
en une
touche,
ouvrir son
pied
Croiser la
frappe,
piquer
par-dessus le
gardien,
frapper en
une
Marquer un
beau but, la
balle rentre
ou non, la
frappe est
molle
Tableau A.17 – Schéma n°16 : Chercher à tirer/frapper au but
Les 16 schémas typiques
259
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
A.4
260
Documents
Cyril Bossard
Documents
Figure A.17 – Lettre
Cyril Bossard
261
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
Figure A.18 – Formulaire
262
Cyril Bossard
Documents
Figure A.19 – Formulaire (suite)
Cyril Bossard
263
Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle
264
Cyril Bossard
Annexe B
Étude de l’activité collective
B.1
Les variantes aux formes typiques de coordination
Forme 4b : La coordination mutuelle d’un joueur avec deux partenaires
dont l’un influence l’autre
Influences
Informations significatives
Buts individuels
interindividuelles
partagées
Niveau de partage
• Spécifiques : 79,1%,
• Partagées à 2 : 14,3%,
• Communes : 6,6%
Relation entre les buts
• Convergents et partagés à 2 (0)
• Convergents et spécifiques (6)
Informations typiques
• actions du partenaire PB
• déplacements et placements
du partenaire PB
• interaction avec partenaire
PB
Buts typiques
• A : « Aller vite vers l’avant
avec le ballon tout en étant
attentif au jeu » (7)
• B et C : « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une
solution de progression vers la
cible »
Tableau B.1 – Synthèse forme typique de coordination 4b
Cyril Bossard
265
Annexe B – Étude de l’activité collective
Forme 5b : La coordination mutuelle entre deux partenaires et l’influence
unidirectionnelle de l’un sur le troisième partenaire
Influences
Informations significatives
Buts individuels
interindividuelles
partagées
Niveau de partage
• Spécifiques : 80,5%,
• Partagées à 2 : 19,5%,
• Communes : 0%
Relation entre les buts
• Convergents et partagés à 2 (0)
• Convergents et spécifiques (3)
Informations typiques
• Déplacements et placements du partenaire PB
• Passe avec partenaire PB
Buts typiques
• A : « Choisir une solution de
passe pour assurer la continuité du jeu »
• B et C : « Se placer ou
se déplacer pour recevoir
un centre ou une passe
décisive » ou « Se déplacer par
rapport à ses partenaires dans
l’espace de jeu pour proposer
une solution de progression
vers la cible »
Tableau B.2 – Synthèse forme typique de coordination 5b
Forme 5c : La coordination mutuelle restreinte à deux partenaires
Influences
Informations significatives
Buts individuels
interindividuelles
partagées
Niveau de partage
• Spécifiques : 62,1%,
• Partagées à 2 : 37,9%,
• Communes : 0%
Informations typiques
• Déplacements et placements du partenaire PB
• Passe avec partenaire PB
• Actions des adversaires
Relation entre les buts
• Convergents et partagés à 2 (2)
• Convergents et spécifiques (3)
Pas de buts typiques
Tableau B.3 – Synthèse forme typique de coordination 5c
266
Cyril Bossard
Annexe C
Évaluation de CoPeFoot
Sujets
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
Réponses (codées sur l’échelle de 1 à 6)
Mesure 1
Mesure 2
Mesure 3
3
4
1
1
4
2
4
4
4
3
2
3
2
4
2
1
3
6
4
3
3
3
1
4
6
1
3
1
2
6
1
1
4
1
4
3
5
1
2
1
1
5
3
1
4
1
3
1
1
1
3
3
2
1
1
1
2
1
3
1
4
1
2
1
1
3
1
3
2
1
1
1
Tableau C.1 – Répartition des réponses des sujets experts
Cyril Bossard
267
Annexe C – Évaluation de CoPeFoot
Sujets
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
45
46
47
48
Réponses (codées sur l’échelle de 1 à 6)
Mesure 1
Mesure 2
Mesure 3
4
2
3
2
3
1
3
3
3
3
2
3
4
1
3
4
1
1
4
3
3
4
1
1
2
5
3
6
5
4
4
3
2
4
2
2
6
6
3
4
4
5
3
3
6
2
2
1
3
2
3
4
2
2
4
6
3
5
1
3
4
4
2
4
2
3
4
2
3
4
3
5
Tableau C.2 – Répartition des réponses des sujets novices
268
Cyril Bossard
Résumé Long
L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative
Application à la contre-attaque au football
L’objectif général de cette thèse est de contribuer à la compréhension de l’activité
décisionnelle en situation dynamique collaborative. Ces travaux sont effectués au Centre
Européen de Réalité Virtuelle (CERV) dans le cadre de recherches sur l’introduction de
l’activité humaine dans des boucles de conception et d’usage de simulations participatives
en réalité vituelle. Il s’agit de comprendre un phénomène complexe que nous analyserons
dans sa globalité, en tenant compte de son caractère évolutif. Réalisé dans une perspective
ergonomique, ce travail implique un double objectif : 1) une description et une tentative
d’explication du phénomène étudié ; 2) une proposition de transformation du réel (par l’aide
à la conception d’un environnement virtuel).
Dans un premier temps, notre travail de thèse vise la production de connaissances dans
le champ des Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, et dans
le champ de l’Ergonomie cognitive. L’analyse de l’activité collective permet d’étudier
ce qui est significatif du point de vue des acteurs engagés dans la situation d’étude. Le
niveau d’analyse choisi est local, contextualisé, « tactique » pour reprendre une terminologie
sportive. Il ne prétend pas rendre compte de l’ensemble des niveaux d’organisation de l’activité
collective (par exemple : il ne décrit pas les processus de planification, mobilisés en amont et
en aval de la situation étudiée, par exemple lors du débriefing par l’entraı̂neur, et que l’on
pourrait qualifier de niveau stratégique). Plus modestement, notre objectif consiste à proposer
une description symbolique acceptable (Varela, 1989) de la dynamique du couplage structurel
des joueurs entre eux et avec le contexte. La description de l’activité des experts en sports
collectifs participe à la production de connaissances sur une situation typique essentielle pour
la performance : la contre-attaque. Cette description abstraite de l’activité des individus
doit également permettre d’expliquer et de produire des inférences sur les structures et les
processus perceptifs et cognitifs mobilisés en situation dynamique collaborative.
Sur la base de cette analyse de l’activité collective en situation dynamique et collaborative, notre second objectif vise à proposer des pistes de réflexion pour la transformation
du réel par l’aide à la conception d’un dispositif de formation (Lipshitz et al., 2001). L’originalité de cette démarche de type ergonomique est quelle est tournée vers la conception
d’un environnement virtuel simulant des situations de jeu au football : CoPeFoot (Collective
Cyril Bossard
269
Résumé Long
Perception Football). Notre travail se déroule alors selon une démarche en quatre étapes :
analyse empirique de l’activité humaine, modélisation de l’activité humaine, conception d’un
environnement virtuel, simulation et évaluation.
Chapitre 1 : Les variables perceptives et cognitives
de la décision tactique en sports collectifs
Ce premier chapitre apporte une contribution à la compréhension de la décision tactique
dans les sports collectifs. Dans le cadre d’une revue de la littérature en psychologie du sport,
nous nous focalisons sur les variables cognitives et perceptives mobilisées par les experts.
Nous présentons les principaux modèles théoriques ainsi que les méthodes d’investigation
utilisées pour l’étude de ces variables. Les travaux recensés peuvent expliquer la supériorité
des experts à partir du contenu et de l’organisation de leur base de connaissances, de leur
fonctionnement mnémonique ou de leurs habiletés perceptives. En outre, cet examen de la
littérature en psychologie du sport montre que l’activité décisionnelle en sports collectifs a
surtout été abordée au regard de variables identifiées, isolées puis étudiées dans des conditions
standardisées. Les études recensées se sont exclusivement centrées sur l’individu, relayant en
second plan la dimension collective de l’activité. Or l’activité décisionnelle en sports collectifs
est dépendante d’une part de la pression temporelle et des fluctuations contextuelles, et
d’autre part de multiples interactions entre partenaires. À travers l’évolution de ces recherches
(leurs apports et leurs limites), ce chapitre montre la nécessité de considérer les relations
entre les variables perceptives, cognitives et le contexte, pour mieux comprendre la décision
tactique en sports collectifs. Nous mettons alors en avant la nécessité d’appréhender l’activité
décisionnelle dans toute sa complexité, sans renoncer à l’étudier dans son contexte social et
culturel.
Chapitre 2 : Une approche contextualisée de la
décision
Le cadre conceptuel de la Naturalistic Decision Making (Klein, 1997) habituellement exploité dans l’analyse des situations de travail individuelles, s’intéresse au couplage
entre ressources cognitives et contraintes contextuelles. Cette approche considère l’activité
décisionnelle sous un rapport étroit entre le sujet et la situation. Ce changement de paradigme permet, selon nous, d’appréhender la complexité de l’activité décisionnelle sans renoncer à l’étudier dans son contexte naturel. Nous examinons successivement les modèles et
concepts qui ont été proposés : 1) Le modèle RPD (décision fondée sur la reconnaissance :
« Recognition-Primed Decision ») proposé par Klein (1993) ; 2) Le modèle de la Conscience
270
Cyril Bossard
Résumé Long
de la Situation (« Situation Awareness ») développé par Endsley (1995) ; 3) La théorie des
schémas mobilisée par (Lipshitz et Shaul, 1997). L’analyse des objectifs, des méthodes et
des principaux résultats nous conduit à démontrer pourquoi cette approche nous semble
heuristique pour appréhender l’activité décisionnelle individuelle en sports collectifs. Afin de
contribuer à sa validation empirique dans le cadre des sports collectifs, nous mettons cette approche à l’épreuve d’une situation dynamique typique des sports collectifs : la contre-attaque
en football (Chapitre 4).
Chapitre 3 : Des approches pour l’analyse de l’activité collective
Ce troisième chapitre présente un prolongement du cadre conceptuel de la « NDM » à
l’équipe (« Team » NDM). L’approche TNDM considère que l’activité collective repose sur un
processus de coordination des activités individuelles. Pour expliquer les coordinations entre
les membres d’une même équipe, les auteurs ont longtemps étudié l’activité individuelle de
chacun des membres du collectif. Aujourd’hui, ce point de vue tend à être abandonné au
profit de perspectives qui abordent la relation entre l’individu et le contexte collectif. Ces
perspectives récentes prennent pour unité d’analyse, soit le comportement global de l’équipe,
soit l’articulation des activités individuelles. Ces propositions théoriques et méthodologiques
constituent des ressources pour appréhender l’étude de l’activité collective en situations
sportives. Après avoir discuté de leur pertinence face à l’exigence des situations sportives
collectives, ce chapitre aboutit à nos principales hypothèses de recherche pour l’analyse de
l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative.
A l’issue de ce développement théorique, nous postulons que l’analyse de l’activité en
situation dynamique collaborative nécessite l’étude de l’activité individuelle, comme un
préalable à l’étude de l’activité collective. Ce positionnement théorique nous conduit
à étudier d’une part l’activité des individus, pour mettre à jour les schémas
typiques activés en cours d’action (Chapitre 4), d’autre part l’articulation de
l’activité de ces individus, pour identifier des formes typiques, des régularités
qui apparaı̂traient dans le jeu des influences entre partenaires (Chapitre 5). Pour
expliquer ces formes typiques d’articulation, nous cherchons aussi à répondre à une
question, centrale dans la littérature, relative à ce qui est partagé entre les membres d’une
équipe. Nous souhaitons identifier les éléments partagés en cours d’action par les joueurs d’une
même équipe qu’ils soient de l’ordre des connaissances ou des informations contextuelles.
Cyril Bossard
271
Résumé Long
Chapitre 4 : Étude de l’activité décisionnelle individuelle
En référence au cadre théorique de la NDM, le modèle RPD (Klein, 1997), le concept
de Consience de la Situation et le concept de schéma sont mis à l’épreuve d’une situation
de contre-attaque au football. Des données comportementales sont enregistrées auprès de 12
joueurs de football de niveau national (catégorie 16 ans) et complétées par des données verbales recueillies lors d’un entretien d’autoconfrontation. L’analyse de l’activité décisionnelle
permet de décrire l’activation et les enchaı̂nements préférentiels (scénarii ou scripts) de 16
schémas typiques chez des experts en situation de forte contrainte temporelle. Ces schémas
constituent des structures d’arrière-plans types qui articulent des variables perceptives et cognitives et permettent la reconnaissance rapide d’une situation. Ce fonctionnement économique
apparaı̂t nécessaire pour prendre des décisions tactiques dans un contexte dynamique (sous
pression temporelle, fluctuant et incertain). Ces résultats éclairent en partie la complexité
de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative, et nous invitent à interroger
plus précisément le rôle des partenaires comme un élément privilégié du contexte.
Chapitre 5 : Étude de l’activité collective
Ce chapitre présente l’étude de l’activité collective en situation dynamique et collaborative. Cette étude s’est attachée à analyser l’articulation entre les activités individuelles et
l’activité de l’équipe. Nous nous sommes intéressés successivement au jeu des influences entre
partenaires, aux informations partagées, et à la relation entre les buts de trois membres d’une
même équipe au cours de situations de contre-attaque. Des données comportementales sont
enregistrées auprès de 12 joueurs de football répartis en quatre équipes et complétées par des
données verbales recueillies lors d’un entretien d’autoconfrontation individuel. L’analyse de
l’articulation des activités individuelles au sein de l’équipe permet de caractériser 5 formes
typiques de coordination des activités. Notre étude montre ainsi comment les membres de
l’équipe se coordonnent et s’adaptent collectivement de façon économique en situation de
fortes contraintes temporelles. Les régularités observées au sein d’une même équipe ou à
travers des équipes différentes peuvent être associées au niveau de partage des informations
contextuelles. Le contenu de ce qui est partagé prioritairement au même instant pour les
membres de l’équipe explique également les différentes formes de coordination.
272
Cyril Bossard
Résumé Long
Chapitre 6 : Conception et Evaluation d’un environnement virtuel : CoPeFoot
Dans une dernier chapitre, nous présentons notre contribution à la démarche de conception et d’évaluation de l’environnement virtuel CoPeFoot. Plus précisément, nous cherchons
à montrer en quoi et comment des connaissances (modèles) relatives à l’analyse de l’activité
humaine peuvent s’articuler aux modèles informatiques qui sous-tendent l’usage de la réalité
virtuelle pour la mise en place d’environnements virtuels crédibles. Dans cette perspective,
nous présentons une étude exploratoire in virtuo destinée à évaluer la crédibilité comportementale de CoPeFoot inspirée du test de Turing (1950). Nous proposons d’évaluer « l’effet
leurre » de l’environnement en mesurant la performance des participants à faire une distinction entre un joueur dirigé par un humain et un joueur virtuel autonome. Cet effet est étudié
en comparant deux groupes de sujets (expert et novice) et lors de trois mesures successives.
Les résultats montrent un effet leurre plus marqué pour les sujets novices par rapport aux
experts, et une amélioration des performances pour les deux groupes dans le temps. Nous
discutons ces résultats au regard de la méthode mise en œuvre pour évaluer la crédibilité de
l’environnement virtuel.
En conclusion, cette thèse conforte l’intérêt d’une approche contextualisée et constructiviste pour expliquer l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative et sa
modélisation à des fins de simulation en réalité virtuelle. La modélisation obtenue par l’analyse de l’activité décisionnelle auprès des experts devrait permettre dans un futur proche
d’enrichir le modèle informatique des joueurs virtuels. En outre, ce projet ouvre certains
axes prospectifs concernant le transfert d’apprentissage du virtuel au réel que des recherches
futures devront tester. Il nous permet également de considérer le potentiel applicatif de CoPeFoot à la fois comme un outil pour la recherche et comme un outil au service de la formation.
Mots clefs : activité décisionnelle, situation dynamique collaborative, football, réalité
virtuelle.
Cyril Bossard
273
Résumé Long
274
Cyril Bossard
Résumé
L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative
Application à la contre-attaque au football
Notre travail de recherche s’inscrit dans le cadre des études menées au Centre Européen de
Réalité Virtuelle sur les simulations participatives. Dans cette perspective, nous développons
en collaboration avec des chercheurs en informatique un environnement virtuel simulant des
situations de jeu au football : CoPeFoot (Collective Perception Football). L’objectif du travail
de thèse est double : 1) Définir un cadre de référence qui permette d’orienter et de structurer
la réflexion sur l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative ; 2) Aider à la
conception d’un environnement virtuel fondé sur l’autonomie des agents. Ce projet s’inscrit
dans une démarche empruntée à la psychologie cognitive ergonomique et se déroule en quatre
phases : analyse empirique de l’activité, modélisation, simulation et évaluation.
L’examen de la littérature en psychologie du sport montre que l’activité décisionnelle en sports
collectifs a surtout été abordée au regard de variables identifiées, isolées puis étudiées dans des
conditions standardisées. Les études recensées se sont exclusivement centrées sur l’individu,
relayant en second plan la dimension collective de l’activité. Or l’activité décisionnelle en
sports collectifs est dépendante d’une part de la pression temporelle et des fluctuations
contextuelles, et d’autre part de multiples interactions entre partenaires.
Nous mettons alors en avant la nécessité d’appréhender l’activité décisionnelle dans toute
sa complexité, sans renoncer à l’étudier dans son contexte social et culturel. Le cadre
conceptuel de la « Naturalistic Decision Making » (NDM), habituellement exploité dans
les situations de travail, s’intéresse justement au couplage entre ressources cognitives et
contraintes contextuelles. Afin de contribuer à sa validation empirique dans le cadre des sports
collectifs, nous mettons cette approche à l’épreuve d’une situation dynamique collaborative
typique des sports collectifs : la contre-attaque en football.
Notre première étude s’attache à identifier le contenu et les conditions d’activation des
structures d’arrière-plans types (i.e. des schémas) par des joueurs experts en football. Au
cours d’une situation d’étude privilégiée, des données d’enregistrement ont été recueillies
et complétées par des verbalisations provoquées. L’analyse du contenu permet d’identifier au
niveau de l’activité individuelle des récurrences dans les significations produites par les experts
face au contexte. Sur un plan collectif, l’analyse révèle l’émergence de 5 formes typiques
Cyril Bossard
275
Résumé
de coordination des activités. Les principaux résultats mettent en avant plusieurs aspects
concernant l’activité décisionnelle des experts : la reconnaissance par les experts de situations
types, la flexibilité des schémas pour prendre des décisions, l’évolution des coordinations
d’actions entre partenaires sur la base d’un contexte partagé.
La modélisation obtenue par l’analyse de l’activité décisionnelle auprès des experts permet
d’enrichir le modèle informatique des joueurs virtuels. Pour évaluer la crédibilité comportementale de ces agents, nous présentons une expérimentation in virtuo inspirée du test de
Turing auprès de 48 sujets. Les résultats suggèrent que les sujets novices immergés dans
l’environnement virtuel ne distinguent pas les différences comportementales entre un agent
virtuel autonome et un avatar (agent guidé par un individu). Cette étude nous permet de
considérer le potentiel applicatif de CoPeFoot à la fois comme un outil pour la recherche et
comme un outil au service de la formation.
En conclusion, cette thèse conforte l’intérêt d’une approche contextualisée et constructiviste
pour expliquer l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative et sa modélisation
à des fins de simulation en réalité virtuelle. En outre, ce projet ouvre certains axes prospectifs
concernant le transfert d’apprentissage du virtuel au réel que des recherches futures devront
tester.
Mots clefs : activité décisionnelle, situation dynamique collaborative, football, réalité
virtuelle.
276
Cyril Bossard
Abstract
Decision-making activity in dynamic and collaborative situation
Application to counter-attack in football
Our research is conducted within the context of studies of participatory simulations at
the European Center of Virtual Reality. Within this perspective, we developed virtual
environment for simulating play in football, in collaboration with computer scientists. The
virtual environment is called CoPeFoot (Collective Perception Football). The aim of this
thesis is twofold : 1) to define a frame of reference for orienting and structuring reflection
upon decision-making processes in dynamic and collaborative situations, and 2) to assist
in designing a virtual environment reliant on autonomous agents. This project is part of
an approach borrowed from ergonomics and cognitive psychology, and can be broken down
into the following four stages : empirical analysis of the process, modeling, simulation, and
evaluation.
An analysis of the literature in sports psychology showed that decision-making processes in
team sports have been addressed mostly in terms of identifiable variables which have been
isolated and then studied under controlled conditions. The previous studies are exclusively
individual-centered, often considering the group element of the process as an afterthought.
On the one hand, the decision-making processes in team sports depend on time pressures
and contextual variations, and on the other, on the numerous interactions between the
players. We therefore highlight the need to address decision-making in all its complexity,
without neglecting the study of this concept in its social and cultural contexts. Indeed,
the conceptual framework of Naturalistic Decision Making (NDM), usually applied to the
workplace, addresses the connection between cognitive resources and contextual constraints.
In order to contribute to the empirical validation of this approach within the context of team
sports, we put it to the test with a dynamic collaborative situation typical of team sports :
a counter-attack in football.
Our first study deals with identifying the content and conditions of activation of a given
background structure (i.e. schemata) by expert football players. During a specially designed
study, recorded data was gathered and, to supplement this information, subjects were
encouraged to comment on the virtual environment. A content analysis conducted in context
identified recurrent meanings produced by the experts. At group level, the analysis reveals the
emergence of different forms of coordination of specific processes. The main results highlight
Cyril Bossard
277
Abstract
a number of aspects concerning experts’ decision-making processes : experts’ recognition
of typical situations, the flexibility of schemata in decision-making, the evolution of the
coordination of actions between players on the basis of shared context.
Modeling obtained from the analysis of experts’ decision-making processes enabled us to
enrich the virtual players’ digital model. In order to evaluate the behavioral credibility of
these agents, we conducted an in virtuo experiment inspired by the Turing test, carried out
on 48 subjects. Results suggest that beginner subjects immersed in the virtual environments
do not recognize the behavioral differences between autonomous virtual agents and avatars
(agents controlled by humans). This study enables us to consider the potential applications
of CoPeFoot both as a research tool and as a tool for assisting in training methods.
In conclusion, this thesis supports the need for a contextualized and constructivist approach
in explaining decision-making processes in dynamic and collaborative situations, and also
models this approach for simulation purposes in virtual reality. Amongst other things, this
project opens up a number of prospective avenues concerning the transfer of learning from
virtual reality to real life, which should be tested by future research.
Key words : decision-making, dynamic and collaborative situation, football, virtual reality.
278
Cyril Bossard
— Résumé —
Notre travail de recherche s’inscrit dans le cadre des études menées au Centre Européen de Réalité Virtuelle sur les
simulations participatives. Dans cette perspective, nous développons en collaboration avec des chercheurs en informatique
un environnement virtuel simulant des situations de jeu au football : CoPeFoot (Collective Perception Football).
L’objectif du travail de thèse est double : 1) Définir un cadre de référence qui permette d’orienter et de structurer la
réflexion sur l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative ; 2) Aider à la conception d’un environnement
virtuel fondé sur l’autonomie des agents. Ce projet s’inscrit dans une démarche empruntée à la psychologie cognitive
ergonomique et se déroule en quatre phases : analyse empirique de l’activité, modélisation, simulation et évaluation.
L’examen de la littérature en psychologie du sport montre que l’activité décisionnelle en sports collectifs a surtout été
abordée au regard de variables identifiées, isolées puis étudiées dans des conditions standardisées. Les études recensées
se sont exclusivement centrées sur l’individu, relayant en second plan la dimension collective de l’activité. Or l’activité
décisionnelle en sports collectifs est dépendante d’une part de la pression temporelle et des fluctuations contextuelles,
et d’autre part de multiples interactions entre partenaires.
Nous mettons alors en avant la nécessité d’appréhender l’activité décisionnelle dans toute sa complexité, sans renoncer
à l’étudier dans son contexte social et culturel. Le cadre conceptuel de la « Naturalistic Decision Making » (NDM),
habituellement exploité dans les situations de travail, s’intéresse justement au couplage entre ressources cognitives et
contraintes contextuelles. Afin de contribuer à sa validation empirique dans le cadre des sports collectifs, nous mettons
cette approche à l’épreuve d’une situation dynamique collaborative typique des sports collectifs : la contre-attaque en
football.
Notre première étude s’attache à identifier le contenu et les conditions d’activation des structures d’arrière-plans types
(i.e. des schémas) par des joueurs experts en football. Au cours d’une situation d’étude privilégiée, des données
d’enregistrement ont été recueillies et complétées par des verbalisations provoquées. L’analyse du contenu permet
d’identifier au niveau de l’activité individuelle des récurrences dans les significations produites par les experts face
au contexte. Sur un plan collectif, l’analyse révèle l’émergence de 5 formes typiques de coordination des activités. Les
principaux résultats mettent en avant plusieurs aspects concernant l’activité décisionnelle des experts : la reconnaissance
par les experts de situations types, la flexibilité des schémas pour prendre des décisions, l’évolution des coordinations
d’actions entre partenaires sur la base d’un contexte partagé.
La modélisation obtenue par l’analyse de l’activité décisionnelle auprès des experts permet d’enrichir le modèle
informatique des joueurs virtuels. Pour évaluer la crédibilité comportementale de ces agents, nous présentons une
expérimentation in virtuo inspirée du test de Turing auprès de 48 sujets. Les résultats suggèrent que les sujets novices
immergés dans l’environnement virtuel ne distinguent pas les différences comportementales entre un agent virtuel
autonome et un avatar (agent guidé par un individu). Cette étude nous permet de considérer le potentiel applicatif
de CoPeFoot à la fois comme un outil pour la recherche et comme un outil au service de la formation.
En conclusion, cette thèse conforte l’intérêt d’une approche contextualisée et constructiviste pour expliquer l’activité
décisionnelle en situation dynamique collaborative et sa modélisation à des fins de simulation en réalité virtuelle.
En outre, ce projet ouvre certains axes prospectifs concernant le transfert d’apprentissage du virtuel au réel que des
recherches futures devront tester.
Mots clefs : activité décisionnelle, situation dynamique collaborative, football, réalité virtuelle.