L`activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative
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L`activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative
L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative Application à la contre-attaque au football Thèse présentée devant l’Université de Bretagne Occidentale pour obtenir le grade de : Docteur de l’Université Européenne de Bretagne Mention Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives par Cyril Bossard Équipe d’accueil 3883 : Laboratoire d’Informatique des Systèmes Complexes (LISyC/UBO-ENIB) Centre Européen de Réalité Virtuelle (CERV) Soutenue le 21 octobre 2008 devant la commission d’examen : Carole Bernard Bruno Thierry Gilles Jacques Sève Thon Arnaldi Morineau Kermarrec Tisseau Professeure, UFR STAPS, Nantes Professeur, LAPMA-UFR STAPS, Toulouse Professeur, INRIA, Rennes Maı̂tre de Conférences, UBS, Vannes Maı̂tre de Conférences, UBO, Brest Professeur, ENIB, Brest Rapporteure Rapporteur Examinateur Examinateur Encadrant Directeur L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative Application à la contre-attaque au football. Thèse de doctorat Cyril Bossard — Version définitive — L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative rest B e d ieurs n é g elle ’In u d t r i e l V tiona alité a é N R e de Écol éen p o r r e Eu t n e C app e e Ch ud e Cla né 25 ru 0 Plouza 05 89 89 8 28 F-29 33 (0)2 9 05 89 79 + 98 fr tel : (0)2 erv. rv.fr c 3 @ 3 t + c e fax : l : conta //www.c e : i r r p cou htt net : r e t n i lexes p m o es C m è t s es Sy d e atiqu m r o f n e d’I -ENIB r i o t O ra Lab o3883 UB EA 5 il Cyr 8 05 89 4 d r a Boss 33 (0)2 9 05 89 79 + 98 fr tel : (0)2 nib. e 3 @ 3 d + r fax : l : bossa e i r cour 4 Cyril Bossard L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative À Anne et Régis Cyril Bossard 5 L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative 6 Cyril Bossard Remerciements La conduite d’un travail doctoral est une aventure longue et laborieuse, i.e. une succession de situations plus ou moins dynamiques et collaboratives... Je tiens à témoigner ici que cette thèse n’aurait jamais aboutit si elle n’avait pas bénéficié de multiples collaborations. Mes remerciements vont donc en premier lieu à ceux qui ont apporté la contribution la plus concrète à ce travail, et avec qui j’ai eu grand plaisir à collaborer dans un esprit dynamique, constructif, passioné et toujours amical. Un grand merci à tous les participants qui ont bien voulu donner leur « comportement » à mon analyse, au risque de laisser deviner une partie de leur « esprit ». Je remercie Carole Sève et Bernard Thon, pour avoir accepté de rapporter ces travaux de thèse ainsi que pour la qualité de leurs critiques. Je remercie Bruno Arnaldi, pour avoir présidé mon jury. Merci d’avoir tout mis en œuvre pour le bon déroulement de la soutenance. Je remercie Thierry Morineau pour avoir accepté de participer au jury de ma soutenance de thèse et pour la qualité de ses questions et remarques. Je remercie Jacques Tisseau pour m’avoir accueilli au sein de son équipe de recherche, pour m’avoir toujours soutenu, et surtout pour son encadrement scientifique et les conditions de travail auxquelles il m’a permis d’accéder. Je remercie Gilles Kermarrec pour ses précieux conseils, sa disponibilité et pour son investissement dans mon encadrement depuis plusieurs années déjà. Merci pour tout Gilles. Je remercie la société Nexter qui a permis le financement de cette thèse. Cyril Bossard 7 Remerciements Je remercie « mes » collègues Romain Bénard et Pierre de Loor pour leur ouverture d’esprit et sans qui le projet CoPeFoot n’aurait jamais vu le jour. Je remercie les collègues du Centre Européen de Réalité Virtuelle, tout d’abord pour avoir eu la patience de répondre à mes innombrables questions, notamment d’ordre « informatique », pour les aides multiples dont j’ai bénéficié, mais surtout pour la sympathie et la bonne humeur qu’ils y font régner. Merci à Jérémy, Denis, Champion, Gobi, Gireg, Patoch, Becy, Cédric, les Mat(t)hieu, Fabrice, Nicole, Fred, etc. Enfin, je tiens à remercier mes parents, ma famille et mes amis de toujours, Pierro, Flo, Lolo, Ingo et les « pélicans » pour leur présence et leur soutien inconditionnel. Merci à toi surtout Cloo, pour avoir supporté et partagé mes humeurs, mes tracas et surtout mes absences parfois même lorsque j’étais là. 8 Cyril Bossard Table des matières Remerciements 7 Table des matières 9 Table des figures 15 Liste des tableaux 17 Introduction 21 1 Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs 29 1.1 1.2 Bases de connaissances et sports collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 1.1.1 Principes et méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 1.1.2 Les connaissances sollicitées en contexte de sports collectifs . . . . . . 32 1.1.3 L’adaptation à la pression temporelle des sports collectifs . . . . . . . 33 1.1.4 L’adaptation à la complexité des contextes en sports collectifs . . . . . 34 1.1.5 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Le fonctionnement mnémonique en sports collectifs . . . . . . . . . . . . . . . 36 1.2.1 Principes et méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 1.2.2 Les différences experts/novices aux tests de mémoire . . . . . . . . . . 38 Cyril Bossard 9 Table des matières 1.3 1.2.3 L’adaptation à la pression temporelle et le « traitement perceptif » . . 38 1.2.4 L’adaptation à la complexité des contextes en sports collectifs . . . . . 40 1.2.5 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 La compétence perceptive en sports collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 1.3.1 Principes et méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 1.3.2 Les différences experts-novices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 1.3.3 L’adaptation de l’activité perceptive à la pression temporelle . . . . . 46 1.3.4 L’adaptation de l’activité perceptive à la complexité du contexte . . . 46 1.3.5 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 2 Une approche contextualisée de la décision 2.1 2.2 2.3 2.4 10 53 Le modèle RPD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 2.1.1 Concepts et Méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 2.1.2 Une étude en situation de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 2.1.3 Modèle RPD et Sports Collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 La Conscience de la Situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 2.2.1 Concepts et Méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 2.2.2 Des études en situation de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 2.2.3 Conscience de la Situation et sports collectifs . . . . . . . . . . . . . . 68 La théorie des schémas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 2.3.1 Concepts et Méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 2.3.2 Une étude en situation de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 2.3.3 Le rôle des schémas en situation dynamique . . . . . . . . . . . . . . . 74 Les principaux apports de la NDM pour l’étude de l’activité individuelle . . . 75 2.4.1 Un cadre théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 2.4.2 Un cadre méthodologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 2.4.3 Des pistes de recherches novatrices pour les sports collectifs . . . . . . 77 Cyril Bossard Table des matières 3 Des approches pour l’analyse de l’activité collective 3.1 3.2 79 L’approche TNDM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 3.1.1 Objectifs, Concepts et Méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 3.1.2 Une étude typique des MMP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 3.1.3 Limites et Discussion de l’approche TNDM . . . . . . . . . . . . . . . 85 Une approche holistique de l’activité de l’équipe . . . . . . . . . . . . . . . . 89 3.2.1 Une extension de la cognition partagée à la cognition distribuée . . . . 91 3.2.2 L’approche écologique et l’approche des systèmes dynamiques pour l’étude des comportements collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 3.3 Cognition située et activité collective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 3.4 Prolongement et implications pour l’étude de l’activité décisionnelle dans les sports collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 3.4.1 Les MMP ou connaissances partagées dans les sports collectifs . . . . 99 3.4.2 Des formes typiques d’articulation des activités individuelles en sport duel ou collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100 L’activité décisionnelle en SiDyColl 103 4 Étude de l’activité décisionnelle individuelle 107 4.1 4.2 4.3 Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 4.1.1 Participants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 4.1.2 Contexte de l’étude 4.1.3 Recueil des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Analyse des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 4.2.1 La retranscription des données d’observation et d’autoconfrontation . 115 4.2.2 La sélection et le codage des unités significatives : les éléments du schéma117 4.2.3 Le découpage du déroulement de l’activité en situations vécues . . . . 119 4.2.4 Le regroupement des situations vécues et l’identification a posteriori des schémas typiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 4.2.5 Validité de l’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 Cyril Bossard 11 Table des matières 4.4 4.3.1 Les données verbales et comportementales retenues . . . . . . . . . . . 122 4.3.2 Les éléments constitutifs des schémas 4.3.3 Le découpage du cours d’action en situations vécues et l’identification des « schémas typiques » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 4.3.4 La modélisation de l’activité décisionnelle contextualisée . . . . . . . . 131 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 4.4.1 Décider vite et bien dans les activités humaines complexes et fluctuantes134 4.4.2 Des décisions tactiques contextualisées en sports collectifs ? . . . . . . 141 4.4.3 Bilan provisoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 5 Étude de l’activité collective 5.1 5.2 5.3 12 149 Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152 5.1.1 Préparation d’un protocole en vis-à-vis . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 5.1.2 Le codage des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 5.1.3 La description quantitative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157 5.1.4 L’identification des formes locales de coordination . . . . . . . . . . . 157 5.1.5 Le regroupement des formes locales de coordination et l’identification a posteriori des formes « typiques » de coordination . . . . . . . . . . 162 5.1.6 Validité de l’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 5.2.1 Les influences interindividuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 5.2.2 Les informations partagées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166 5.2.3 Les différentes relations entre les buts . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 5.2.4 Les formes « locales » de coordination des activités . . . . . . . . . . . 169 5.2.5 Les formes « typiques » de coordination ou d’articulation des activités 169 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 5.3.1 Les formes « locales » de coordination . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 5.3.2 Les formes « typiques » de coordination . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 5.3.3 Les conditions d’émergence des formes typiques de coordination . . . . 183 Cyril Bossard Table des matières 6 Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot 187 6.1 Des analogies simplifiées entre modèles informatiques et modèles de l’activité humaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190 6.2 La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192 6.2.1 Objectifs, Problématique et Hypothèses . . . . . . . . . . . . . . . . . 193 6.2.2 Méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194 6.2.3 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199 6.2.4 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203 Discussion générale 207 Bibliographie 215 A Étude de l’activité décisionnelle individuelle 235 A.1 Répartition des U.S avant triangulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235 A.2 Les modélisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236 A.2.1 La modélisation générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236 A.2.2 Les modélisations par équipe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237 A.2.3 Les modélisations par joueur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239 A.3 Les 16 schémas typiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 A.4 Documents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260 B Étude de l’activité collective 265 B.1 Les variantes aux formes typiques de coordination . . . . . . . . . . . . . . . 265 C Évaluation de CoPeFoot 267 Résumé Long 269 Résumé 275 Abstract 277 Cyril Bossard 13 Table des matières 14 Cyril Bossard Table des figures 2.1 Le modèle RPD (Klein, 1997) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 2.2 Niveau de Conscience de la Situation (Endsley et al., 2003) . . . . . . . . . . 62 2.3 Modèle de la Conscience de la Situation d’après Endsley (1995) . . . . . . . . 64 2.4 C.S et prise de décision (Endsley, 1995), traduit par Bailly (2004) . . . . . . . 67 3.1 Approche cognitiviste de l’activité collective d’après Cooke et al. (2007) . . . 88 3.2 Approche THEDA de l’activité collective d’après Cooke et al. (2007) . . . . . 90 3.3 Variétés des connaissances partagées d’après Cooke et al. (2007) . . . . . . . 92 3.4 Synthèse des points de vue sur l’activité collective . . . . . . . . . . . . . . . 98 4.1 Modélisation 3D de la situation d’étude favorisant les contre-attaques . . . . 113 4.2 Entretien d’autoconfrontation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 4.3 Distribution du nombre d’U.S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 4.4 Modélisation des schémas typiques activés pour 7 contre-attaques réussies . . 132 4.5 Modélisation des schémas typiques activés par Benoı̂t en contre-attaque . . . 133 5.1 Représentation des trois types d’influences interindividuelles . . . . . . . . . . 155 5.2 Modélisation locale des influences (Equipe rouge) - Situation 1. . . . . . . . . 164 5.3 Modélisation locale des influences (Equipe rouge) - Situation 2. . . . . . . . . 165 5.4 Modélisation locale des influences (Equipe rouge) - Situation 3. . . . . . . . . 165 5.5 Proportion d’informations partagées par les sujets . . . . . . . . . . . . . . . 166 Cyril Bossard 15 Table des figures 6.1 Raisonnement à partir du contexte dans CoPeFoot . . . . . . . . . . . . . . 191 6.2 Capture d’écran de la situation d’étude (milieu) . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 6.3 Point de vue du participant à l’expérimentation . . . . . . . . . . . . . . . . . 196 6.4 Manette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 6.5 Répartition des postes « joueur » pour l’expérimentation . . . . . . . . . . . . 197 6.6 Évolution des novices et des experts au cours des trois mesures . . . . . . . . 203 6.7 Schéma de la démarche de modélisation des agents virtuels . . . . . . . . . . 211 6.8 ExpeCoPeFoot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 A.1 Modélisation des schémas typiques activés pour l’ensemble des contre-attaques 236 A.2 Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe jaune . . . . . . . . . 237 A.3 Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe rouge . . . . . . . . 237 A.4 Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe verte . . . . . . . . . 238 A.5 Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe violette . . . . . . . 238 A.6 Modélisation des schémas typiques activés par Bastien . . . . . . . . . . . . . 239 A.7 Modélisation des schémas typiques activés par Benjamin . . . . . . . . . . . . 239 A.8 Modélisation des schémas typiques activés par Charles . . . . . . . . . . . . . 240 A.9 Modélisation des schémas typiques activés par Flavien . . . . . . . . . . . . . 240 A.10 Modélisation des schémas typiques activés par Gaétan . . . . . . . . . . . . . 240 A.11 Modélisation des schémas typiques activés par Gautier . . . . . . . . . . . . . 241 A.12 Modélisation des schémas typiques activés par Jordan . . . . . . . . . . . . . 241 A.13 Modélisation des schémas typiques activés par Kevin . . . . . . . . . . . . . . 241 A.14 Modélisation des schémas typiques activés par Michel . . . . . . . . . . . . . 242 A.15 Modélisation des schémas typiques activés par Paul . . . . . . . . . . . . . . . 242 A.16 Modélisation des schémas typiques activés par Thibault . . . . . . . . . . . . 242 A.17 Lettre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261 A.18 Formulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262 A.19 Formulaire (suite) 16 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263 Cyril Bossard Liste des tableaux 1.1 Méthodologies de recueil des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2 Les études liées au fonctionnement mnémonique des experts en sports collectifs 37 1.3 Les travaux liés à l’activité perceptive des experts en sports collectifs . . . . . 4.1 Caractéristiques générales des participants. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 4.2 Exemple de tableau à trois volets (Benoı̂t) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 4.3 Sélection des Unités Significatives (U.S) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 4.4 Regroupement des U.S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 4.5 Liste des informations significatives utilisées pour la décision tactique en situation de contre-attaque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 4.6 Liste des informations significatives utilisées pour la décision tactique en situation de contre-attaque (suite) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 4.7 Répartition des US en fonction des sujets et des catégories théoriques 4.8 Enchaı̂nement entre les différents schémas typiques pour l’ensemble des participants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 5.1 Illustration du protocole en vis-à-vis : articulation et synchronisation des situations vécues par les membres d’une équipe . . . . . . . . . . . . . . . . . 154 5.2 Illustration du codage des informations significatives (spécifiques, communes ou partagées) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 5.3 Illustration des modélisations locales du jeu des influences . . . . . . . . . . . 158 5.4 Illustration des informations partagées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160 Cyril Bossard 33 45 . . . . 128 17 Liste des tableaux 5.5 Illustration des relations entre les buts individuels . . . . . . . . . . . . . . . 161 5.6 Liste et nombre d’occurrence des informations partagées . . . . . . . . . . . . 168 5.7 Nombre d’occurrence des relations entre les buts . . . . . . . . . . . . . . . . 169 5.8 Illustration d’une forme locale de coordination (Equipe violette, CA3) . . . . 170 5.9 Synthèse forme typique de coordination 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 5.10 Synthèse forme typique de coordination 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172 5.11 Synthèse forme typique de coordination 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173 5.12 Synthèse forme typique de coordination 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174 5.13 Synthèse forme typique de coordination 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 6.1 Exemple de tableau de recueil des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198 6.2 Répartition des réponses des sujets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199 6.3 Test de conformité du χ2 pour l’ensemble des réponses . . . . . . . . . . . . . 200 6.4 Test de conformité du χ2 pour chaque mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200 6.5 Résultats test t pour échantillons indépendants pour les 3 mesures . . . . . . 201 6.6 Résultats test t pour échantillons appariés pour l’ensemble des participants . 202 6.7 Résultats test t pour échantillons appariés pour les novices 6.8 Résultats test t pour échantillons appariés pour les experts . . . . . . . . . . 202 . . . . . . . . . . 202 A.1 Répartition des US en fonction des sujets et des catégories théoriques (avant triangulation) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235 A.2 Schéma n°1 : Intercepter le ballon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244 A.3 Schéma n°2 : Observer, analyser, anticiper l’évolution de la situation . . . . . 245 A.4 Schéma n°3 : S’engager vite vers l’avant pour profiter de la récupération du ballon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246 A.5 Schéma n°4 : Aller vite vers l’avant avec le ballon tout en étant attentif au jeu 247 A.6 Schéma n°5 : Proposer son aide à un partenaire pour conserver le ballon . . . 248 A.7 Schéma n°6 : Créer de l’espace pour permettre à des partenaires de s’engager vers l’avant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249 A.8 Schéma n°7 : Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible . . . . . . . . . . . . . 250 18 Cyril Bossard Liste des tableaux A.9 Schéma n°8 : Choisir une solution de passe pour assurer la continuité du jeu . 251 A.10 Schéma n°9 : Attendre le soutien des partenaires . . . . . . . . . . . . . . . . 252 A.11 Schéma n°10 : Se déplacer par rapport au hors-jeu, à l’adversaire et rechercher la rupture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 A.12 Schéma n°11 : Éliminer en dribblant pour progresser vers la cible . . . . . . . 254 A.13 Schéma n°12 : Fixer-passer pour progresser vers la cible . . . . . . . . . . . . 255 A.14 Schéma n°13 : Se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256 A.15 Schéma n°14 : Passer pour mettre le partenaire en situation favorable de frappe257 A.16 Schéma n°15 : Suivre l’action du partenaire pour une reprise . . . . . . . . . . 258 A.17 Schéma n°16 : Chercher à tirer/frapper au but . . . . . . . . . . . . . . . . . 259 B.1 Synthèse forme typique de coordination 4b . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265 B.2 Synthèse forme typique de coordination 5b . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266 B.3 Synthèse forme typique de coordination 5c . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266 C.1 Répartition des réponses des sujets experts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267 C.2 Répartition des réponses des sujets novices Cyril Bossard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268 19 Liste des tableaux 20 Cyril Bossard Introduction L’objectif général de cette thèse est de contribuer à la compréhension de l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative. Ces travaux sont effectués au Centre Européen de Réalité Virtuelle (CERV) dans le cadre de recherches sur l’introduction de l’activité humaine dans des boucles de conception et d’usage de simulations participatives en réalité vituelle (équipe SARA1 ). Bien que le travail que nous présentons se situe dans le champ des Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS), la démarche de recherche a nécessité des articulations avec le champ des sciences de l’informatique. Dans cette perspective, nous avons développé, en collaboration avec un doctorant en sciences de l’informatique (Romain Bénard), un environnement virtuel simulant des situations de jeu au football : CoPeFoot (Collective Perception Football). Notre projet est double. D’une part, il vise à définir un corpus de connaissances qui permet de décrire et d’expliquer l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative. D’autre part, il cherche à fournir une aide à la conception d’un environnement virtuel fondé sur l’autonomie des agents virtuels. Modéliser la complexité Au sein du LISyC (Laboratoire d’Informatique des Systèmes Complexes), l’orientation scientifique du CERV est tournée vers la modélisation et la simulation de systèmes complexes par la réalité virtuelle. La complexité de ces systèmes provient essentiellement de la diversité des composants, de la diversité des structures, et de la diversité des interactions mises en jeu (Tisseau, 2001). Ce travail de modélisation devient particulièrement problématique quand il nécessite 1 Simulation, Apprentissage, Représentations, Actions Cyril Bossard 21 Introduction d’introduire l’activité humaine au cœur du dispositif de réalité virtuelle. Les modèles de l’humain présents dans la simulation doivent être capables de percevoir et d’adapter leurs comportements au cours de l’action. La simulation implique alors la notion d’autonomie (Tisseau, 2001). Cette autonomie des modèles est d’autant plus nécessaire quand l’homme est présent dans le système par l’intermédiaire de son avatar2 où il provoque des modifications imprévisibles. L’autonomie des modèles doit pouvoir contribuer à peupler les environnements virtuels d’une vie artificielle mais avec une impression de réalité. Autrement dit, chaque entité virtuelle doit être capable de faire des choix selon son histoire, son état, ses possibilités d’actions et ses perceptions de sorte qu’elle paraisse crédible aux yeux de l’utilisateur. Cependant, la crédibilité des environnements virtuels est mise à mal quand la tâche de modélisation de l’activité est laissée à la seule appréciation du concepteur informaticien (Tchounikine et al., 2004). Pour remédier à cet écueil, notre travail de thèse nourrit l’ambition de décrire et de modéliser la complexité de l’activité décisionnelle humaine en situation naturelle (réelle), afin de proposer une aide à la conception d’un environnement virtuel. Jusqu’à présent, les travaux sur les simulations participatives se focalisent sur la mise en place d’environnements virtuels pour l’apprentissage de procédures (Querrec, 2002; Buche, 2005). Generic Virtual Training (GVT), par exemple, est un environnement qui produit des situations d’apprentissage en contraignant l’activité individuelle afin de favoriser l’acquisition de procédures de maintenance de char (Gerbaud et al., 2008). Cet environnement permet, pour l’instant, de former des mécaniciens individuellement et dans un contexte standardisé. Or le travail de maintenance d’un char nécessite également de travailler en équipe et sous contraintes temporelles (en situation d’urgence et critique). Notre étude des situations dynamiques et collaboratives réelles s’accompagne donc d’un enjeu technologique important : contribuer à l’élargissement des environnements virtuels pour l’apprentissage humain en relevant le défi de leur évolution par la simulation crédible de situations dynamiques et collaboratives virtuelles. Plus particulièrement, nous défendons la thèse que le choix des modèles informatiques nécessite, en amont, une réflexion théorique qui tienne compte de l’activité humaine dans toute sa globalité (complexe, autonome, interactive, contextualisée). Le champ de l’ergonomie cognitive est particulièrement fécond en théories et modèles qui permettent justement d’appréhender la complexité humaine pour la décrire, l’expliquer, et in fine la modéliser. Cependant, si les modèles obtenus permettent d’envisager en conséquence des axes de formation, peu d’entre eux ont été mis à l’épreuve de la simulation en réalité virtuelle. Dans notre démarche, nous chercherons a posteriori à tester la résistance du modèle implémenté. Notre travail de recherche est appliqué à l’étude de l’activité décisionnelle de joueurs en sports collectifs. Le choix de ce type d’activité sportive comme terrain d’investigation 2 22 Avatar, du Sanskrit avatara désigne les multiples incarnations du dieu Vishnou dans la religion hindoue. Le terme a été ensuite repris dans le domaine des jeux et en informatique pour désigner la représentation apparente d’un utilisateur dans un monde virtuel (Burkhardt, 2007). Cyril Bossard Introduction est particulièrement intéressant car ce dernier constitue un « catalyseur » de la complexité humaine. L’activité qui y est déployée, et plus particulièrement l’activité décisionnelle, est singulièrement dynamique et collaborative. Une situation dynamique et collaborative (SiDyColl) est une situation où : a) le problème et les buts sont mal définis, décalés ou compétitifs ; b) l’environnement est dynamique, c’est-à-dire incertain et sous fortes contraintes temporelles ; c) les enjeux sont forts ; d) se constitue une boucle ininterrompue entre action et retour sur l’action ; f) les multiples acteurs sont en interaction ; g) l’influence des buts et des normes organisationnelles persiste (Cannon-Bowers et al., 1996; Lipshitz et al., 2001). Elle se caractérise ainsi par leur évolutivité, l’incertitude et la pression temporelle (Hoc, 2001; Tiberghien, 2002) qu’elle impose à un groupe de sujets qui interagissent en vue d’atteindre un objectif commun identifié (Gutwin et Greenberg, 2004). Le parallèle entre les situations sociales, professionnelles ou de formation répondant à ces critères et les situations de sports collectifs a déjà été réalisé (Fiore et Salas, 2006; Ward et Eccles, 2006). Les situations de sports collectifs sont des SiDyColl par excellence. Dans une équipe, les rôles sont évolutifs notamment dans les situations telles que les contre-attaques qui imposent à l’humain de prendre des décisions pertinentes sous fortes contraintes temporelles. L’incertitude de ces situations est renforcée car il s’agit de prendre des décisions avec/contre des partenaires et des adversaires. Les sports collectifs comme le football constituent ainsi un bon prototype des SiDyColl. Un phénomène complexe : la décision tactique en sports collectifs L’activité décisionnelle dans le cadre des sports collectifs est un objet d’étude d’actualité. Dans la littérature consacrée dans le champ des STAPS, les conduites décisionnelles des joueurs de sports collectifs sont souvent répertoriées soit sous la notion de « décision tactique » (Mouchet et Bouthier, 2006), soit sous la notion de décision stratégique (Garbarino et al., 2001). La notion de décision tactique met en avant le fait que le joueur décide en action, dans un contexte « fluctuant à évolution rapide » (Garbarino et al., 2001). En sports collectifs, la notion de décision tactique se différencie de la notion de décision stratégique, réalisée en dehors de l’action (préparation du match), ou lors de phases de jeu peu contraignantes temporellement (remise en jeu, phase arrêtée, coup-franc, etc.). La pertinence de cette distinction professionnelle ou empirique (le vocabulaire des entraı̂neurs) a été confirmée scientifiquement (Vom Hofe, 1991; Poplu et al., 2003). Cyril Bossard 23 Introduction Pour étudier la prise de décision, la majorité des études en psychologie du sport se sont focalisées sur les variables individuelles, cognitives et perceptives, de l’expertise (Tenenbaum et Bar-Eli, 1993). Les avancées de la recherche en sciences du sport sont nombreuses et variées mais la décision tactique reste un objet d’étude difficile à appréhender, notamment en sports collectifs car les joueurs sont confrontés à des contextes à la fois complexes et à forte pression temporelle. La décision tactique en sport collectif est non seulement une décision rapide, mais encore une décision sous influences : les joueurs reçoivent des informations (ou des leurres) de leurs partenaires et de leurs adversaires, et doivent prendre en compte leur propres capacités d’action (McMorris et MacGillivary, 1988), pour prendre des décisions dont l’efficacité se mesure instantanément (perte de balle, score...). La prise en compte des effets du contexte (Rulence-Pâques et al., 2005a) est nécessaire si l’on veut appréhender la complexité de la décision tactique en sport collectif. Parmi ces effets, l’influence des partenaires ne devrait pas être négligée : les décisions au sein d’une équipe ne peuvent se réduire à une juxtaposition de décisions individuelles. Une équipe experte n’est pas la somme de joueurs experts (Eccles et Tenenbaum, 2004). Or l’équipe a souvent été considérée en psychologie du sport comme une simple variable sociale environnementale intervenant sur l’activité individuelle. Nous proposons de la considérer plutôt comme une variable de premier ordre. L’activité décisionnelle nécessite la prise en compte du contexte que constitue l’équipe. Si la compréhension de la décision tactique des experts en sports collectifs a intéressé et intéresse de nombreux chercheurs, cet objectif reste également pertinent pour les praticiens (McPherson et Kernodle, 2003). En effet, pour préparer une équipe aux décisions stratégiques, le formateur ou l’entraı̂neur peut proposer un plan de jeu, « un référentiel commun » (Grehaigne et al., 2001) en fonction duquel les joueurs décident et agissent. Ainsi, les décisions sont pré-établies, les rôles et les actions définis à l’avance. Le jeu ainsi « programmé » peut être répété systématiquement à l’entraı̂nement pour augmenter la performance en match. Par contre, le développement des capacités des joueurs de sports collectifs à décider vite et bien en cours d’action (décision tactique) est plus problématique (Vickers et al., 2004). Problématique de recherche Si l’on souhaite considérer l’activité humaine dans sa complexité (i.e. point de vue épistémologique privilégié au laboratoire), la décision tactique en sports collectifs peut être abordée d’une part comme une articulation de variables perceptives et cognitives, d’autre part comme particulièrement dépendante des contraintes contextuelles (pression temporelle, multiplicité des informations, fluctuation ou évolution rapide de la situation). Parmi les contraintes contextuelles, la dimension collective de l’activité ne peut être négligée. Au contraire, si par hypothèse, la décision tactique en situation collective ne se réduit pas à la 24 Cyril Bossard Introduction juxtaposition ou à la succession de décisions individuelles (i.e. définition de l’activité collective, (Salas et al., 2006), les coordinations d’actions entre partenaires doivent pouvoir être choisies comme un objet d’étude privilégié. La prise en compte des aspects collectifs de l’activité décisionnelle est une question de recherche qui suscite actuellement un regain d’intérêt. La psychologie ergonomique, tout comme la psychologie du sport, s’est longtemps intéressée aux activités d’individus considérés de façon isolée. Cependant, dans de nombreuses situations comme dans les sports collectifs, la prise de décision est réalisée au sein d’une équipe et s’appuie sur des interactions entre plusieurs personnes. Pour comprendre l’implication de la dimension collective du contexte dans l’activité décisionnelle des joueurs en sports collectifs, la décision tactique doit être abordée à la fois comme une variable cognitive mais aussi sociale, c’est-à-dire co-construite dans la relation à autrui. Nous chercherons ainsi à décrire et expliquer comment s’articulent activité collective et activités individuelles afin de réaliser une performance optimale. Complémentairement, dans l’analyse de l’activité collective, ce qui est prioritaire pour expliquer l’enchaı̂nement des actions au sein d’une équipe fait particulièrement débat (Salembier et Zouinar, 2006). Les coordinations entre les membres de l’équipe peuvent s’expliquer soit par des éléments cognitifs identifiés chez les différents joueurs engagés dans une même action (notion de buts ou de connaissances partagées, (Cooke et al., 2007)), soit par des éléments contextuels perçus, considérés comme significatifs par ces joueurs (notion de contexte partagé, (Salembier et Zouinar, 2006)). Nous considérons l’équipe comme un système complexe (Arrow, 2000) dans lequel les coordinations d’actions émergent des interactions entre les membres (i.e. des influences). Nous souhaitons donc identifier des formes d’articulation typiques entre activité collective et activités individuelles, des régularités qui apparaı̂traient dans le jeu des influences entre partenaires. Pour expliquer ces formes typiques d’articulation, nous chercherons aussi à répondre à la question, centrale dans la littérature, relative à ce qui est partagé entre les membres d’une équipe. Nous souhaitons identifier les éléments partagés en cours d’action par les joueurs d’une même équipe qu’ils soient de l’ordre des connaissances ou des informations contextuelles. Ce travail de recherche s’appuie sur une démarche qui relève de la psychologie cognitive ergonomique. La production de connaissances sur la décision tactique en sports collectifs (objectif en STAPS) se prolongera, s’articulera avec un travail de conception d’aide à l’analyse ou à la formation par la simulation (objectif du CERV). Bien que nous ayons choisi de l’aborder et de la simuler dans le cadre des sports collectifs, l’ensemble de la démarche que nous soutenons a pour objectif d’être suffisamment générique pour s’appliquer à d’autres domaines. L’analyse empirique de l’activité humaine, la modélisation de cette activité, la Cyril Bossard 25 Introduction conception de l’environnement virtuel, la simulation et l’évaluation constituent les quatre grandes phases de notre démarche. Pour un approfondissement des questions relatives aux sciences informatiques, nous renvoyons le lecteur au manuscrit de thèse de Romain Bénard (Bénard, 2007). Planification Le mémoire de thèse présentant ces travaux est organisé en 6 chapitres. Dans un premier chapitre, nous effectuons une recension des travaux menés sur l’activité décisionnelle dans les sports collectifs. Nous montrerons plus particulièrement que l’évolution de ces recherches permet de mettre en avant leurs apports, leurs limites, mais aussi la nécessité de considérer la relation entre les variables perceptives, cognitives et le contexte pour mieux comprendre la décision tactique en sports collectifs. Dans un second chapitre, nous présentons un courant théorique qui permet d’aborder la décision tactique en la considérant comme une articulation de variables perceptives et cognitives, et comme un phénomène contextualisé : l’approche NDM (pour Naturalistic Decision Making, (Klein, 1993). L’analyse des objectifs de recherche, des méthodes, et des principaux résultats nous conduira à démontrer pourquoi cette approche ergonomique nous semble particulièrement heuristique pour appréhender les décisions tactiques des joueurs de football. Le chapitre 3 prolongera notre analyse de cette approche théorique dans la perspective d’étudier les influences entre les membres d’une équipe. Comme peu de travaux sont disponibles dans le champ des STAPS, nous nous appuierons sur l’étude de l’activité collective dans les situations de travail. Au terme de cette revue de la littérature, nous constaterons que l’activité collective nécessite souvent une étude préalable de l’activité individuelle ce qui nous conduira à formuler deux niveaux d’hypothèses relatives à l’activité individuelle et à l’activité collective dans les SiDyColl. Les chapitres 4 et 5 sont dédiés à l’étude de l’activité décisionnelle de joueurs de football en situation de contre-attaque. Au cours d’une situation d’étude privilégiée, nous nous intéresserons à une équipe de football composée de joueurs experts issus du centre de formation d’un club de football professionnel partageant des expériences communes. Nous nous centrerons sur l’analyse de l’activité décisionnelle d’équipes de trois joueurs, en utilisant une méthodologie combinant des entretiens d’auto-confrontation et des observations. Lors du quatrième chapitre, nous présentons cette analyse dans sa dimension individuelle. Le chapitre 5 présente l’articulation entre activité collective et activités individuelles. Le chapitre 6 présentera la conception et la validation d’un environnement virtuel : CoPeFoot (Bossard et Bénard, 2006). Ce chapitre explicite la collaboration avec Romain 26 Cyril Bossard Introduction Bénard. Nous présenterons un protocole expérimental original, inspiré du Test de Turing (Turing, 1950), ainsi que les résultats obtenus auprès de 24 novices et 24 experts de l’activité football. Nous terminerons par une discussion générale qui nous donnera l’occasion de dresser un bilan des travaux effectués et en conclusion de dégager quelques axes prospectifs pour de futures recherches. Cyril Bossard 27 Introduction 28 Cyril Bossard Chapitre 1 Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs Résumé – L’objectif de ce premier chapitre est de contribuer à la compréhension de la décision tactique dans les sports collectifs. Dans le cadre d’une revue de la littérature en psychologie du sport, nous nous focalisons sur les variables cognitives et perceptives mobilisées par les experts. Nous présentons les principaux modèles théoriques ainsi que les méthodes d’investigation utilisées pour l’étude de ces variables. Les travaux recensés peuvent expliquer la supériorité des experts à partir du contenu et de l’organisation de leur base de connaissances, de leur fonctionnement mnémonique ou de leurs habiletés perceptives. A travers l’évolution de ces recherches (leurs apports et leurs limites), ce chapitre montre la nécessité de considérer les relations entre les variables perceptives, cognitives et le contexte, pour mieux comprendre la décision tactique en sports collectifs. Cyril Bossard 29 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs Introduction L’objectif de ce chapitre est de contribuer à la compréhension de la décision tactique dans les sports collectifs. Pour étudier la prise de décision, la majorité des études en psychologie du sport se sont focalisées sur les variables individuelles, cognitives et perceptives, de l’expertise (Tenenbaum et Bar-Eli, 1993). Les avancées de la recherche sont nombreuses et variées (108 études recensées entre 1980 et 2000 par Starkes et al. (2001)), mais la décision tactique reste un objet d’étude difficile à appréhender, car les joueurs de sports collectifs sont souvent confrontés à des contextes à la fois complexes et à forte pression temporelle (McMorris et Graydon, 1997). La notion de décision tactique met en avant le fait que le joueur décide en action, dans un contexte « fluctuant à évolution rapide » (Garbarino et al., 2001). En sports collectifs, la notion de décision tactique se différencie de la notion de décision stratégique, réalisée en dehors de l’action (préparation du match), ou lors de phases de jeu peu contraignantes temporellement (remise en jeu, phase arrêtée, coup-franc, etc.). La pertinence de cette distinction professionnelle ou empirique (le vocabulaire des entraı̂neurs) a été confirmée scientifiquement (Vom Hofe, 1991; Poplu et al., 2003). La compréhension de la décision tactique en sports collectifs est un objectif pertinent pour les praticiens (McPherson et Kernodle, 2003). En effet, pour préparer une équipe aux décisions stratégiques, le formateur ou l’entraı̂neur peut proposer un plan de jeu, « un référentiel commun » (Grehaigne et al., 2001) en fonction duquel les joueurs décident et agissent. Ainsi, les décisions sont pré-établies, les rôles et les actions définis à l’avance. Le « jeu programmé » peut être répété systématiquement à l’entraı̂nement pour augmenter la performance en match. En revanche, la décision tactique, le « jeu en lecture », nécessite le développement de capacités à décider vite et bien, en cours d’action, et serait plus problématique (Vickers et al., 2004). La décision tactique en sports collectifs constitue un objet d’étude complexe, et l’identification des structures et des processus psychologiques mis en jeu constitue un indéniable enjeu scientifique. La décision peut être considérée, soit comme un processus de traitement de l’information, reposant sur la mobilisation de bases de connaissances pour mieux identifier et interpréter les indices pertinents dans l’environnement (Schmidt et Lee, 2005), soit comme un processus d’adaptation au contexte, reposant sur un couplage entre des contraintes contextuelles et des structures d’arrière-plan (Ross et al., 2006). L’étude de la décision tactique sera donc particulièrement dépendante du point de vue théorique adopté, c’est-à-dire de la place accordée au contexte dans l’étude et la compréhension de ce phénomène. De plus, dans le cadre des sports collectifs, les joueurs subissent l’influence des partenaires et des adversaires (McMorris et MacGillivary, 1988). Si on considère que le développement de l’expertise de l’équipe ne se réduit pas à la somme de l’expertise des joueurs (Tenenbaum et Bar-Eli, 1993), alors la dimension collective de la décision tactique devient déterminante. 30 Cyril Bossard Bases de connaissances et sports collectifs Comment les joueurs développent leurs capacités à répondre vite et bien, s’adaptent et se coordonnent dans un contexte de sport collectif ? Pour tenter de répondre à cette question, on recense en psychologie du sport une grande diversité d’objets de recherche et une grande hétérogénéité des variables étudiées. Cette revue de question souhaite montrer que l’évolution de ces recherches permet de mettre en avant leurs apports, leurs limites, mais aussi la nécessité de considérer les relations entre les variables perceptives, cognitives et le contexte pour mieux comprendre la décision tactique en sports collectifs. Ce chapitre nous donne l’occasion de reprendre les contributions classiques des approches cognitives de la prise de décision, en mettant en évidence l’effort de trois objets de recherche pour prendre en compte le contexte des sports collectifs. Ces travaux expliquent la supériorité des experts en sports collectifs à partir du contenu et de l’organisation de leur base de connaissances (French et McPherson, 1999), de leur fonctionnement mnémonique (Zoudji et al., 2002), ou de leurs capacités perceptives (Williams et al., 2004). Dans ces études « individu-centrées », les variables perceptives et cognitives restent centrales : le contexte est une variable manipulée, contrôlée pour mieux en mesurer les effets sur la décision du joueur. 1.1 Bases de connaissances et sports collectifs Historiquement, l’activité décisionnelle en sport a été étudiée au sein du paradigme cognitiviste. Dans cette perspective théorique, la prise de décision est considérée comme un processus individuel, symbolique et rationnel de traitement de l’information. Les informations sont prélevées dans l’environnement par l’individu et sont interprétées grâce à différents systèmes mnémoniques (Schmidt et Lee, 2005). Rappelons qu’en psychologie cognitive, il est habituel de distinguer la mémoire à long terme (MLT), lieu de stockage permanent d’informations, et la mémoire de travail (MT), espace transitoire de traitement des informations maintenues sous le focus attentionnel. Plus précisément, la mémoire à long terme déclarative contient des informations accessibles au langage, notamment des connaissances abstraites, des règles ou des concepts (mémoire sémantique). Une première approche de la prise de décision en psychologie du sport consiste à identifier ces bases de connaissances mobilisées pour catégoriser, analyser les situations et choisir une action à réaliser : Quel est l’effet de l’expertise sur le développement des connaissances des joueurs en sports collectifs ? 1.1.1 Principes et méthodes Les bases de connaissances renvoient aux informations accumulées par l’expérience, qui s’affinent et s’organisent au cours du développement des sportifs. Les experts développent une base de connaissances qui recouvre des connaissances déclaratives (savoir quoi faire) et Cyril Bossard 31 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs des connaissances procédurales (savoir comment faire), spécifiques à leur domaine (Ericsson, 1996). Par hypothèse, ces informations influencent la décision tactique en sports collectifs (McPherson, 1993). Dans ce cadre, trois questions principales sous-tendent le lien entre base de connaissances et décision : 1. Quelle est la nature des connaissances sollicitées pour prendre des décisions tactiques en sports collectifs ? 2. Comment utiliser ces connaissances pour améliorer l’adaptation à la pression temporelle en sports collectifs ? 3. Comment les connaissances des experts leur permettent-ils d’intégrer la grande quantité d’informations issues du contexte en sport collectif ? Pour identifier les connaissances déclaratives des sportifs, les études utilisent des questionnaires fermés (Vom Hofe, 1991; Christensen et Glencross, 1993) : connaissances réglementaires, vocabulaire technique, principes de jeu généraux, etc. Quand l’objectif est de déterminer les connaissances procédurales des sujets, c’est-à-dire les connaissances qui leur sont directement utiles pour décider, les études proposent soit des questionnaires, soit des protocoles de recueil de verbalisations en situation réelle (McPherson, 1993), soit des situations aménagées à des fins d’étude (McPherson et Vickers, 2004). Pour déterminer une corrélation entre connaissances procédurales et niveau de performance, des investigations à partir de questionnaires ont été utilisées en basket-ball (Del Villar et al., 2004) et en floorball (Contreras Jordan et al., 2005). Enfin, quand l’objectif est d’examiner comment les joueurs experts mobilisent ces connaissances pour établir un jugement sur le contexte, les chercheurs peuvent avoir recours à des méthodes expérimentales (Rulence-Pâques et al., 2005a,b). Le tableau 1.1 (p 33) regroupe les études menées au sein du paradigme des bases de connaissances en fonction des méthodologies employées dans les sports collectifs. Il apparaı̂t donc qu’à côté des études « classiques », décontextualisées (questionnaires), des protocoles permettent de prendre en compte la relation décision tactique et contexte. Les principaux résultats sont présentés en prenant appui sur des études qui nous semblent caractéristiques de cette évolution méthodologique. 1.1.2 Les connaissances sollicitées en contexte de sports collectifs McPherson (1993) a développé un protocole structuré à partir d’entretiens permettant de recueillir et d’analyser systématiquement les données verbales d’experts en situations sportives. Par hypothèse, les protocoles verbaux de rappel stimulé permettent d’obtenir des informations concernant les connaissances et les concepts activés en MLT durant l’exécution de la tâche. 32 Cyril Bossard Bases de connaissances et sports collectifs Sport collectif Méthodologies de recueil des données Auteurs et études Questionnaires Entretiens Base-ball Basket-ball Football Floorball Hockey sur gazon Volley-ball French et al. (1996) McPherson (1993) Nevett et French (1997) French et Thomas (1987) Yaaron et al. (1997) Del Villar et al. (2004) Vom Hofe (1991) Grehaigne et al. (2001) Contreras Jordan et al. (2005) Christensen et Glencross (1993) McPherson et Vickers (2004) ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ Observations ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ ✓ Tableau 1.1 – Méthodologies de recueil des données Le système de codage des verbalisations recueillies (organisé autour de 5 concepts : but, conditions, action, opération, et régulation), mis en évidence par McPherson (1993), a permis de catégoriser ces formes verbales typiques des connaissances des experts dans d’autres sports collectifs : le base-ball (French et al., 1996; Nevett et French, 1997), le basket-ball (French et Thomas, 1987; Yaaron et al., 1997), et le hockey sur gazon (Christensen et Glencross, 1993). D’une manière générale, les verbalisations recueillies attestent que les bases de connaissances des experts sont plus étendues, plus affinées et spécifiques en sports collectifs. Par comparaison avec les novices, les résultats montrent que les experts possèdent des structures de connaissances plus sophistiquées, c’est-à-dire un réseau plus étendu de concepts et un plus grand nombre de liens entre connaissances procédurales et déclaratives. Ces connaissances permettent de construire la représentation initiale du problème et de guider l’interprétation des informations rentrantes et la rétention d’informations pertinentes et nécessaires comme des solutions pour répondre à la situation. Ce processus de décision décrit un « premier niveau de traitement » des informations issues du contexte. 1.1.3 L’adaptation à la pression temporelle des sports collectifs McPherson et Vickers (2004) ont mis à l’épreuve l’hypothèse d’un « second niveau de traitement » des informations contextuelles grâce aux bases de connaissances. Les informations sur la situation courante et sur des évènements passés pourraient être utilisées pour planifier les futures actions à entreprendre et anticiper les futurs évènements de jeu. Les auteurs ont recueilli les verbalisations de 5 joueurs experts à différents moments d’une situation de réception de service et de passe au volley-ball. L’objectif de la tâche consistait à la fois à Cyril Bossard 33 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs réceptionner un service et à produire une passe précise. Le recueil des données verbales s’effectue à partir d’entretiens menés en deux temps : avant la tâche et pendant la tâche (entre les séries d’essais). Les questions servant de guide aux entretiens concernaient les stratégies visuelles (où regardes-tu ?), les pensées pendant un service (à quoi penses-tu ?), et les pensées entre une série de services (maintenant, à quoi penses-tu ?). Chaque moment d’entretien est complété par un questionnement permettant d’accéder « plus profondément » aux bases de décision tactique (Pourquoi ?) et d’assurer des réponses complètes (Rien d’autre ?). La performance des joueurs est mesurée en fonction de la zone d’arrivée de la balle (5 zones notées de 0 à 4, considérant qu’une zone proche du filet permet d’obtenir un score plus élevé). Dans un premier temps, la catégorisation théorique autour des 5 concepts proposée par McPherson (1993) est confirmée. Ensuite, les résultats montrent que les volleyeurs experts établissent des plans d’actions et envisagent des scénarios de jeu possibles avant de réaliser la tâche. Les plans d’actions sont ainsi constitués de règles typiques stockées en MLT et utilisées pour correspondre à certaines conditions courantes de la situation. Ils permettent de guider les stratégies visuelles, puis l’exécution motrice durant la situation en fonction du contexte (position du joueur ou de la balle). Les scénarios envisagés constituent des profils types de situations stockés en MLT prêts à être activés ou mis à jour quand le besoin surgit. Ainsi, ils permettent d’une part d’augmenter la rapidité de réponse, et d’autre part d’adapter la décision tactique en guidant la construction dynamique des concepts et leur modification durant la situation de jeu. Par exemple, un joueur de volley-ball expert peut accéder à un profil type de situation de service concernant son adversaire (basé sur des compétitions passées), utiliser ce profil en situation pour anticiper, être en attente d’une trajectoire probable et prendre rapidement une décision quant au retour à effectuer. 1.1.4 L’adaptation à la complexité des contextes en sports collectifs La complexité du contexte des sports collectifs repose, en partie, sur la grande quantité d’informations à traiter par le joueur. Pour comprendre comment les joueurs peuvent intégrer cette grande quantité d’informations contextuelles, Rulence-Pâques et al. (2005b) ont étudié la décision tactique de joueurs de football en fonction de différents scénarios de match. Par hypothèse, la décision tactique résulterait du degré d’organisation des connaissances au sein de « schémas de prise de décision ». Les auteurs ont mesuré l’effet de variables contextuelles telles que le statut numérique, le temps restant, le score et l’importance du match, pour décider d’une remise en jeu rapide en fin de match. La méthode utilisée consistait à présenter 36 scénarios présentés sur des cartes à des joueurs experts. Ces scénarios étaient établis par combinaison des quatre variables contextuelles citées ci-dessus (par exemple : notre équipe mène d’un but, il reste dix minutes à jouer, c’est un match de championnat, nous avons un 34 Cyril Bossard Bases de connaissances et sports collectifs joueur de plus que l’équipe adverse). Le sujet est ensuite invité à considérer chaque carte et à reporter son choix sur une échelle continue allant de « je suis complètement sûr que je déciderais d’une remise en jeu rapide » à « je suis complètement sûr que je ne déciderais pas d’une remise en jeu rapide ». Les résultats montrent que la décision tactique prend bien en compte la complexité du contexte. Le joueur prend notamment en compte le score et le statut numérique de l’équipe adverse. Ce sont ces deux facteurs qui influencent le plus la décision tactique : « jouer une remise en jeu rapide ». Les informations concernant l’importance du match et le temps restant à jouer sont des modérateurs importants du facteur « score ». En effet, plus le match est important et le temps restant à jouer est faible, plus le score a un effet sur la décision tactique. Les informations concernant le score et le statut numérique de l’équipe interagissent de manière plus complexe. Le statut numérique joue un rôle important seulement dans le cas d’un score nul. Ces résultats ont obtenu une validation empirique dans des situations de basket-ball et de handball (Rulence-Pâques et al., 2005a) et sur des joueurs de football de différentes classes d’âge (Rulence-Pâques et al., 2005b). 1.1.5 Discussion Les investigations menées au sein du courant des bases de connaissances permettent de déterminer la nature, le contenu et l’organisation des connaissances utilisées en situation de sports collectifs (McPherson, 1993). La décision tactique est aujourd’hui conçue comme un produit cognitif complexe qui requiert de multiples informations sur la situation en cours et des évènements passés (McPherson et Vickers, 2004). L’adaptation des joueurs de sports collectifs face à la pression temporelle et la complexité des contextes rencontrés est favorisée par l’exploitation de deux niveaux de traitement de l’information : niveau macro (schémas, plan d’actions et scénarios) et micro (règles liant condition-action-but). Les connaissances sont donc organisées de manière fonctionnelle pour traiter économiquement l’information contextuelle, et l’expert peut intégrer un grand nombre d’informations pour sélectionner une réponse appropriée (Rulence-Pâques et al., 2005b,a). D’un point de vue méthodologique, l’utilisation des protocoles verbaux permet d’ouvrir une « fenêtre » sur les processus cognitifs à l’œuvre dans la relation sujet-contexte. Dès lors, il ne faut pas perdre de vue que le chercheur accède uniquement à une partie des bases de connaissances mobilisées. En effet, de nombreuses connaissances procédurales sont utilisées de façon implicite par les experts et rendent leurs accès difficile au champ de la conscience. La technique de codage des verbalisations mise en place par McPherson (1993) a montré son intérêt dans de nombreuses situations sportives individuelles et collectives (pour une revue complète voir (French et McPherson, 1999, 2004)). La critique classique faite au modèle des bases de connaissances repose sur l’incompa- Cyril Bossard 35 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs tibilité entre le coût temporel du processus séquentiel mobilisé et la pression temporelle liée aux situations de décision tactique. Les défenseurs de cette approche répondent par la possibilité, avec la pratique, de procéduraliser et d’automatiser les règles spécifiques qui lient les différentes informations de la base de connaissances aux diverses situations (Grehaigne et al., 2001), ou par la possibilité d’organiser les connaissances sous forme de schémas typiques, de scénarios spécifiques à des situations de jeu (McPherson et Vickers, 2004). L’étude des modes d’activation des bases de connaissances est une autre voie de réponse à la problématique de la pression temporelle. L’objet de recherche privilégié devient alors l’étude du fonctionnement mnémonique. 1.2 Le fonctionnement mnémonique en sports collectifs La décision tactique en sports collectifs a également été étudiée à l’aune des travaux relatifs au fonctionnement mnémonique. Comment les études relatives au fonctionnement de la mémoire permettent-elles d’expliquer la décision tactique en sports collectifs ? Pour répondre à cette question, les chercheurs tentent de montrer les relations entre les modalités d’activation des bases de connaissances (structures spécifiques au domaine d’expertise) et les contraintes contextuelles imposées par les sports collectifs. 1.2.1 Principes et méthodes Les études sur les processus mnémoniques reposent principalement sur deux hypothèses. 1) Les performances des experts s’expliquent par une capacité mnémonique accrue, ils peuvent identifier, intégrer et récupérer une quantité d’informations plus importante que les novices. 2) Cette différence s’explique par la double nature des processus impliqués : les experts seraient capables d’activer leurs connaissances, soit directement et de manière implicite en MLT, soit indirectement et de manière explicite en passant par la mémoire de travail (MT). L’objectif des études sur le fonctionnement mnémonique est alors de décrire les processus que les experts sollicitent pour prendre des décisions face à des situations de jeu simulées (schémas, diapositives). Soit la décision tactique recourt à un processus de « bas niveau », automatique et basé sur l’extraction des caractéristiques physiques des situations de jeu. Soit la décision tactique sollicite un processus de « haut niveau » et dépend de l’analyse sémantique des relations entre les éléments de la situation de jeu (Gobet et Simon, 1996). Dans le premier cas, la décision dépend de la récupération d’informations en mémoire à partir d’indices perceptuels (une solution appropriée est directement associée avec la configuration de jeu reconnue). Dans le second cas, la décision dépend de la récupération d’informations 36 Cyril Bossard Le fonctionnement mnémonique en sports collectifs Sport collectif Base-ball Basket-ball Football Hockey sur gazon Handball Rugby Volley-ball Tests de mémoire explicites Tâche de Tâche de rappel reconnaissance Burroughs (1984) Fadde (2006) Allard et al. (1980) Allard et al. (1980) Allard (1982) Garland et Barry (1991) Allard et Burnett (1985) Didierjean et Marmèche (2005) Millslagle (1988) Starkes et al. (1994) Laurent et al. (2006) Garland et Barry (1991) McMorris et Beazeley (1997) Williams et al. (1993) Vom Hofe (1984) Williams et Davids (1995) Williams et Davids (1995) Williams et al. (2006) Williams et al. (1993) Starkes (1987) Starkes et Deakin (1984) Tenenbaum et al. (1994) Johnson et Raab (2003) Nakagawa (1982) Borgeaud et Abernethy (1987) Tests de mémoire implicites Ripoll et al. (2001) Poplu et al. (2003) Zoudji et Thon (2003) Tableau 1.2 – Les études liées au fonctionnement mnémonique des experts en sports collectifs en mémoire à partir d’indices conceptuels (la solution est contenue dans une catégorie sémantique). Pour évaluer cette « habileté mnémonique » dans le domaine des sports collectifs, les chercheurs ont mis en place des méthodes expérimentales permettant d’identifier des processus mnésiques spécifiquement utilisés en fonction des différentes mémoires permanentes (MLT sémantique et/ou procédurale) ou transitoire (MT) mobilisées et des variables contextuelles (pour une revue complète voir (Zoudji et al., 2002)). Deux types de tests sur le fonctionnement mnémonique sont utilisés par les chercheurs : les tests explicites et implicites. Ces tests se distinguent par un critère d’intentionnalité (Poplu et al., 2003). Dans le premier cas, le sujet est averti par l’expérimentateur que l’on évalue sa mémoire (tâches de rappel ou de reconnaissance) contrairement au second. Dans les tâches de rappel, la performance des sportifs est mesurée à travers la quantité, les relations, et la pertinence des informations rappelées. Dans les tâches de reconnaissance ainsi que les tests implicites, les chercheurs établissent des corrélations entre la pertinence et le temps de réponse. Le tableau 1.2 (p 37) distingue les différentes méthodes utilisées pour étudier le fonctionnement mnémonique dans les sports collectifs. Dans l’un ou l’autre des tests, les variables indépendantes généralement examinées renvoient à deux types de caractéristiques : individuelles (comparaison experts/novices) et contextuelles. Plus précisément, pour étudier la relation décision tactique-contexte, on retrouve la volonté d’étudier l’effet de la pression temporelle par le calcul du temps de réponse Cyril Bossard 37 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs ou en manipulant le temps de présentation des informations. La complexité du contexte des sports collectifs est, quant à elle, étudiée au travers de sa structuration. Trois types de questions concernant le fonctionnement mnémonique sont alors abordés : 1. Quel est l’effet de l’expertise ? 2. Quel est l’effet de la pression temporelle ? 3. Quel est l’effet de la complexité du contexte (étudié ici à travers sa structuration) ? 1.2.2 Les différences experts/novices aux tests de mémoire Pour tester l’effet de l’expertise, Garland et Barry (1991) par exemple, utilisent une tâche de rappel avec des diapositives présentant des situations de jeu au basket-ball à des joueurs de niveaux différents. La présentation des diapositives est répétée jusqu’à ce que le sujet les rappelle correctement. Les résultats aux tâches de rappel montrent ainsi que les experts ont besoin d’un faible nombre de présentations pour les rappeler correctement (Garland et Barry, 1991; Vom Hofe, 1991). Dans la même perspective, Vom Hofe (1991) soumet des joueurs de football experts à une tâche de résolution de problème tactique, présentée sur écran. Deux conditions sont analysées, en fonction des consignes données aux sujets : « identifier une bonne réponse le plus rapidement possible », ou « identifier un maximum de bonnes réponses en 20 secondes ». L’originalité de la recherche consiste à mettre en relation les résultats obtenus avec une batterie d’autres tests : un questionnaire basé sur les règles du jeu (connaissances déclaratives), un test de perception spatiale, un test de rotation mentale, un test de style cognitif, et un test d’intelligence. Les résultats, dans la première condition, sont bien expliqués par la compétence experte dans une tâche de rotation mentale, faisant appel à la rapidité d’encodage, de comparaison et de rotation de stimuli. Dans la seconde condition, le niveau d’intelligence générale et la qualité des connaissances déclaratives liées à l’activité constituent les meilleurs prédicteurs. 1.2.3 L’adaptation à la pression temporelle et le « traitement perceptif » Pour leur part, Zoudji et Thon (2003) ont examiné le fonctionnement mnémonique à différents niveaux d’expertise, en mesurant la performance des sujets dans une tâche de mémoire implicite (paradigme d’amorçage par répétition). Le protocole expérimental consiste à présenter deux fois des situations offensives de football à 12 novices et 24 experts (12 entraineurs, 12 joueurs). Le sujet devant décider quelle action appropriée devrait effectuer le joueur en possession du ballon pour chacune d’elles (garder, passer ou tirer). Dans la 38 Cyril Bossard Le fonctionnement mnémonique en sports collectifs seconde présentation, les configurations de jeu sont soit identiques soit différentes (inversion en miroir). Les variables analysées sont la pertinence, le temps, et la cohérence de la réponse entre les deux situations. Ils observent aussi une corrélation entre la vitesse, la pertinence des réponses et le niveau de pratique. Les décisions des experts sont toujours plus pertinentes que celles des novices. Si le temps de réponse est peu différencié lors de la première présentation, ce dernier baisse sensiblement lors de la seconde présentation (quand les situations de jeu sont identiques) pour les experts. Enfin, la cohérence de la réponse est plus forte chez les experts que chez les novices entre les deux situations. Cette cohérence est d’autant plus forte que la seconde présentation est identique à la première. Ces résultats suggèrent que les novices adoptent le même fonctionnement mnémonique lors de la présentation initiale et lors du test de mémoire implicite (même quand l’image a déjà été présentée). A l’inverse, les experts mémorisent les situations rencontrées et se basent sur cette mémorisation pour décider vite et bien lors de la seconde présentation. Les experts s’appuient donc davantage que les novices sur leurs traces mnésiques pour prendre des décisions. Cette étude montre ainsi que la supériorité des experts repose sur l’efficience des processus mnésiques. Les experts en sports collectifs reconnaissent ou rappellent plus rapidement et avec plus de pertinence les situations de jeu déjà rencontrées : « effet d’amorçage ». De plus, les auteurs suggèrent que l’effet d’amorçage est perceptif. Pour expliquer l’adaptation mnémonique à la pression temporelle, Poplu et al. (2003) ont mis à l’épreuve l’hypothèse d’un traitement sémantique des informations (faisant intervenir la mémoire déclarative) par opposition à un traitement strictement perceptif reposant sur les caractéristiques physiques du percept (et faisant prioritairement intervenir la mémoire procédurale). Dans le cadre du basketball, ils ont proposé une extension à la méthodologie utilisée par Zoudji et Thon (2003). Dans un premier temps, les auteurs ont reproduit la même expérience (choisir rapidement une action pertinente sur 3 possibles : passe, dribble, tir). Dans une seconde expérience, ils ont demandé aux sujets de planifier une séquence de 3 actions consécutives à partir de la situation présentée sur écran. Les variables analysées sont toujours la pertinence, le temps, et la cohérence de la réponse entre les deux présentations sur écran (structurée ou non). Les mesures prélevées entre la première et la seconde expérimentation sont ensuite comparées. Les résultats montrent que les sujets experts appliquent un raisonnement sémantique uniquement face à des situations « stratégiques », ou de résolution de problème complexe (par exemple, prévoir trois actions à partir d’une situation actuelle). Mais, quand on exige du sujet une décision tactique, comme choisir rapidement une action pertinente sur 3 possibilités (passe, dribble, tir), le sujet fait intervenir prioritairement un traitement perceptif. Les processus mis en jeu, face à une configuration identique de stimuli, semblent donc différents selon que l’on se situe dans le cadre d’une consigne de « décision tactique » (contexte Cyril Bossard 39 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs dynamique à forte pression temporelle), ou d’une consigne « d’analyse stratégique » (contexte statique à faible pression temporelle). Dès lors, pour Poplu et al. (2003), le traitement perceptif intervient dans les situations d’urgence (forte contrainte temporelle), alors que le traitement sémantique intervient dans la construction du jeu ou en situation de confort temporel. Cependant, cette efficacité est valable uniquement quand les situations présentées sont cohérentes par rapport à la pratique du sport collectif étudié (situations considérées comme crédibles ou structurées). Une question corollaire est alors de savoir si la structuration du contexte a une influence sur la nature du traitement mobilisé par les experts en sports collectifs. 1.2.4 L’adaptation à la complexité des contextes en sports collectifs L’adaptation du fonctionnement mnémonique à la complexité peut s’expliquer par la « structuration du contexte ». Les résultats aux tests implicites et explicites montrent la capacité des experts à s’adapter plus vite que les novices à différentes situations complexes à condition qu’elles soient « structurées ». Ripoll et al. (2001) ont utilisé une tâche de reconnaissance avec des basketteurs experts. L’expérience consiste à proposer dans un premier temps (4 secondes) des configurations schématiques de jeu, structurées ou non. Après 2 secondes, ces mêmes configurations sont représentées à l’identique ou après avoir subi une rotation de 90° (mais conservant les mêmes relations sémantiques). Des mesures sur le taux de réponses correctes et le temps de réponse (pression temporelle) sont prélevées. Les résultats de Ripoll et al. (2001) confirment également la supériorité des experts sur les novices aux tâches de reconnaissance de configurations schématiques de jeu. Les experts répondent plus rapidement dans toutes les conditions, sauf lorsque la présentation des deux situations est identique et structurée. Dans la condition de rotation à 90 degrés, le temps de réponse des deux groupes est altéré, même si les experts conservent toujours un temps d’avance. Pour l’ensemble des travaux menés face à des situations de sports collectifs, les experts font moins d’erreurs de rappel que les novices quand la situation présentée est structurée (Allard et al., 1980; Allard et Burnett, 1985; Garland et Barry, 1991; Williams et al., 1993). Dans l’étude de Ripoll et al. (2001), la situation de la seconde présentation subit une rotation à 90°. Ainsi, la situation présentée conserve la structure des relations entre les éléments mais les caractéristiques de surface changent. Si les experts sollicitent un traitement sémantique alors les effets de la rotation devraient être plus faibles chez les experts que chez les novices. Les résultats montrent au contraire que les experts appliquent prioritairement un traitement perceptif des situations proposées. 40 Cyril Bossard Le fonctionnement mnémonique en sports collectifs L’étude de Zoudji et Thon (2003) à partir d’un test de mémoire implicite aboutit à des conclusions similaires. Les experts n’obtiennent pas de meilleures performances dans la seconde présentation des situations inversées en miroir. L’effet d’amorçage est selon les auteurs, de nature perceptive. Ces résultats suggèrent que les experts mobilisent prioritairement la modalité perceptive pour répondre aux situations proposées. Cependant, dans l’étude de Zoudji et Thon (2003) les situations présentées aux sujets étaient des situations mettant en scène des joueurs proches du but. Ainsi, la contrainte temporelle de la tâche (temps de réponse) associée à la proximité du but dans la scène présentée, pousse les sujets à répondre rapidement. Ensuite, les configurations de jeu présentées (schémas ou images) font intervenir prioritairement l’habileté perceptive du sujet. La nature du matériel présenté influence la nature du processus sollicité. Que ce soit pour les tâches de rappel, de reconnaissance ou le test de mémoire implicite, les résultats attestent finalement que le traitement des situations dépend de la nature des contraintes proposées par l’environnement (Williams et al., 1993). La particularité du contexte des études présentées (Ripoll et al., 2001; Zoudji et Thon, 2003) oriente en quelque sorte la nature perceptive du processus. 1.2.5 Discussion L’ensemble de ces travaux corrobore donc l’idée que l’activité décisionnelle est fortement influencée par des contraintes contextuelles. Plus particulièrement, la pression temporelle et la structuration de l’environnement semblent être des facteurs déterminants du fonctionnement mnémoniques des experts. L’expertise dans la décision tactique vs décision stratégique peut être expliquée au travers de la mobilisation prioritaire de structures mnémoniques spécifiques, mémoire sémantique déclarative vs mémoire procédurale, en fonction des contraintes contextuelles. Ces études sur le fonctionnement mnémonique permettent donc de valider la distinction empirique entre décision stratégique et tactique en sports collectifs. Dans des situations de décision tactique, l’expertise s’explique par l’activation directe de la mémoire procédurale par le contexte. D’un point de vue méthodologique, les tests de rappel et de reconnaissance présentent une limite commune. En effet, reconnaı̂tre ou rappeler des informations initialement présentées lorsque le sujet sait qu’il s’agit d’une épreuve de mémorisation oriente ce dernier vers un effort de restitution impliquant la mémoire de travail. Des lors, ces tests orientent fortement la modalité d’accès aux contenus mnémoniques et donc, n’étudie qu’une partie du fonctionnement mnémonique. Les tests de mémoire implicite permettent de pallier cet écueil puisqu’ils introduisent une consigne non-intentionnelle. Cependant, même si l’évolution du matériel de présentation des situations semble se rapprocher des situations réelles de sports collectifs, les tests de mémoire implicite s’effectuent toujours à partir de situations statiques Cyril Bossard 41 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs (schémas ou diapositives). Inévitablement, les situations présentées adoptent un point de vue exocentré de la situation de sports collectifs. Enfin, si l’ensemble de ces tests permet de confirmer la supériorité des experts quant à leur habileté mnésique, ils ne renseignent pas précisément quelles sont les informations contextuelles utilisées par les sujets experts en situation. Or ces derniers ont développé des habiletés perceptives permettant de répondre aux exigences rencontrées en sports collectifs. L’expertise perceptive a également été l’objet de nombreuses recherches appliquées aux sports collectifs. 1.3 La compétence perceptive en sports collectifs Le champ d’investigation des habiletés perceptives est extrêmement bien fourni dans le domaine du sport. La particularité des experts consiste à orienter leur activité visuelle sur les informations importantes qui précèdent et déterminent la décision tactique (Williams et Ward, 2003). Nous nous demanderons ici, dans quelle mesure les habiletés perceptives des experts permettent-elles d’expliquer leur supériorité dans les situations de décision tactique en sports collectifs ? Pour répondre à cette question, les études sur les variables perceptives dans le domaine du sport examinent trois types de problèmes : • les différences experts-novices dans les situations de sports collectifs, • la nature des informations visuelles impliquées dans la décision tactique, • la manière dont ces informations sont extraites de l’environnement. 1.3.1 Principes et méthodes D’après Williams et al. (2004) (p 304), le principal modèle théorique qui sous-tend les études sur l’activité perceptive dans le domaine des sports collectifs est le modèle de l’attention visuelle. Dans cette perspective cognitiviste, les comportements de recherche visuelle sont déterminés conjointement par les caractéristiques du contexte et par l’expérience individuelle (ou la familiarité du sujet avec les situations rencontrées). Concrètement, le sujet perçoit une image ou une scène sportive qui est ensuite intégrée et comparée avec les connaissances en MLT. Une fois que le type de situation est identifié, elle permet de diriger rapidement l’attention et de générer un comportement de recherche visuelle efficace sur les zones pertinentes. Dans les études sur l’activité perceptive, les chercheurs effectuent généralement une analyse contrastante, dans laquelle un petit nombre d’experts est comparé aux non experts d’une discipline. Cette comparaison porte sur la nature du processus de prise d’informations visuelles dans des situations qui requièrent une décision tactique. Dans cette perspective, deux 42 Cyril Bossard La compétence perceptive en sports collectifs principales orientations méthodologiques peuvent être distinguées : les techniques d’occlusion et l’enregistrement des mouvements oculaires. Les techniques d’occlusion temporelle et spatiale permettent d’accéder aux types d’informations utilisés par l’expert pour faciliter la prise de décision (Williams et Ericsson, 2005). L’enregistrement des mouvements oculaires (ou de prospection visuelle) permet de déterminer comment les joueurs experts recherchent et sélectionnent les informations dans le dispositif de présentation ou la situation, et d’en déduire les règles de fonctionnement de la décision tactique (Henderson, 2003). Le tableau 1.3 (p 45) recense les travaux liés à l’activité perceptive des experts en sports collectifs qui utilisent ces deux types de méthodes. Une première méthode consiste à utiliser les techniques d’occlusion temporelle ou spatiale. Les travaux de Savelsbergh et al. (2002) et de Starkes et al. (1995), respectivement sur le pénalty au football et le service au volley-ball, sont caractéristiques des études qui utilisent les techniques d’occlusion temporelle. L’étude de Williams et al. (2006) quant à elle, constitue un bon exemple d’utilisation des techniques d’occlusion spatiale. L’occlusion temporelle consiste à filmer une tâche particulière (pénalty au football) du point de vue du joueur que l’on veut interroger (gardien). On découpe ensuite le film en différentes séquences ce qui permet de cacher temporairement une information (comme masquer la séquence du contact pied-ballon par exemple). Le film modifié est ensuite présenté aux participants qui doivent prédire le résultat de la séquence manquante (type de frappe et direction). Cette méthode donne des indications sur le moment où l’information est extraite par le sujet. Pour déterminer à la fois le temps et la nature de l’information extraite, la technique d’occlusion spatiale ou évènementielle est également utilisée. Ici, les chercheurs masquent une caractéristique spécifique sur l’image présentée au sujet (comme retirer 2 joueurs défenseurs de l’image). Par hypothèse, si on observe une baisse de la performance lors de la présentation modifiée en comparaison avec l’image initiale, la source d’information cachée est importante. Le temps d’occlusion d’une caractéristique peut également être manipulé pour savoir quelle source d’information est importante à différentes étapes de l’action. Ces techniques d’occlusion temporelle ont été utilisées en situation expérimentale (Savelsbergh et al., 2002) ou réelle (Starkes et al., 1995). Plus récemment, Williams et al. (2006) ont manipulé les caractéristiques de surface d’un film en remplaçant les joueurs par des points lumineux pour tester l’hypothèse que la décision tactique face à une configuration de jeu chez les experts au football dépend de la relation entre les informations. Les auteurs ont également retiré du film certains joueurs (deux attaquants et deux défenseurs) pour tester leur importance sur la décision tactique. Une seconde méthode consiste à recueillir des données sur les mouvements oculaires des experts pour déterminer les stratégies visuelles utilisées (pour une revue complète sur les études relatives aux mouvements oculaires, voir Williams et al. (1999); Williams (2002); Williams et al. (2004)). Cette perspective méthodologique apporte un éclairage sur l’orientation du regard des pratiquants, le nombre et la durée de leurs fixations oculaires Cyril Bossard 43 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs (Williams et al., 2004). La localisation de chaque point de fixation permet d’inférer la zone d’intérêt du sujet. Le nombre et la durée des fixations sont censés refléter l’importance relative (quantité d’informations traitées) ou la complexité de la zone fixée par le sujet. Ces différents indicateurs dévoilent la stratégie de recherche visuelle utilisée par le sujet pour extraire des informations dans son environnement. Ces investigations peuvent avoir lieu en situations expérimentales ou en situations sportives réelles. Dans les situations expérimentales, les auteurs ont souvent utilisé des films pour recréer la dynamique des situations de sports collectifs. Par exemple, Williams et al. (1994) et Williams et Davids (1998) ont présenté des séquences de jeu au football sur un grand écran puis ont demandé aux sujets (des défenseurs) de prédire la direction de la passe de l’adversaire. Les situations présentées aux sujets ont été différenciées : un contre un, trois contre trois et onze contre onze. D’autres études sur les stratégies visuelles présentent également des situations de jeu où le sujet doit prendre une décision appropriée (frapper, passer ou dribbler) face à un film (Helsen et Pauwels, 1993a; Helsen et Starkes, 1999). Les résultats des différentes études en sports collectifs permettent de caractériser l’activité perceptive des experts par comparaison avec celle des novices. Ces études fournissent également des indications pour expliquer comment les experts s’adaptent à la pression temporelle et la complexité des contextes en sports collectifs. 1.3.2 Les différences experts-novices Les principaux résultats de l’ensemble des études sur la perception en sports collectifs suggèrent que les experts ont développé une habileté perceptive spécifique à leur activité. Ces travaux mettent en évidence la compétence des experts à extraire des informations pertinentes plus tôt, plus vite et avec plus de précision que les novices (Williams et Ward, 2003). Les résultats obtenus avec l’une ou l’autre des méthodes d’investigation mettent en avant l’idée que les experts perçoivent directement les informations pertinentes, i.e. utiles pour décider. Les résultats obtenus à l’aide des techniques d’occlusion spatiale et temporelle montrent par exemple que les experts extraient des informations précises plus tôt et plus rapidement que les novices (Savelsbergh et al., 2002). Les résultats obtenus à partir de l’analyse des mouvements oculaires montrent que les experts utilisent des stratégies visuelles optimales (ou patterns de recherche visuelle), c’est-à-dire plus appropriés et plus efficaces que les novices en sports collectifs (Williams et Davids, 1998). Dès les premières études, Bard et Fleury (1976) ont montré que les experts faisaient moins de fixations de longue durée que les novices en situation de jeu au basket-ball. Les résultats montrent également une différence qualitative. Les fixations des experts sont dirigées vers les zones potentiellement plus riches en informations. Ces résultats ont été confirmés par des études plus récentes dans différents sports collectifs (Williams et al., 1994; Williams et Davids, 1998; Williams et al., 2004; Helsen 44 Cyril Bossard La compétence perceptive en sports collectifs Sport collectif Base Ball BasketBall Techniques d’occlusion Burroughs (1984) Glencross et Paull (1993) Paull et Fitzgerald (1993) Paull et Glencross (1997) Fadde (2006) Ripoll et al. (2001) McMorris et al. (1993) Football Williams et Burwitz (1993) Savelsbergh et al. (2002) Williams et al. (2006) Hockey sur gazon Handball Starkes (1987) Shank et Haywood (1987) Bard et Fleury (1981) Bard et al. (1987) Helsen et al. (1986a) Helsen et al. (1986b) Laurent et al. (2006) Helsen et Pauwels (1990, 1991, 1993a,b,c) Helsen et Starkes (1999) Williams et Davids (1995) Williams et al. (1993, 1994); Williams et Davids (1998) Lyle et Cook (1984) Derrider (1985) Bard (1982) Hockey sur glace Volley ball Méthodes Analyse des mouvements oculaires Bard et Fleury (1980, 1981) Kioumourtzoglou et al. (1998) Wright et al. (1990) Starkes et al. (1995) Bard et al. (1987) Ripoll (1988) McPherson et Vickers (2004) Tableau 1.3 – Les travaux liés à l’activité perceptive des experts en sports collectifs Cyril Bossard 45 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs et Starkes, 1999). 1.3.3 L’adaptation de l’activité perceptive à la pression temporelle Si les experts reconnaissent les indices associés à leur activité sportive plus tôt, plus vite et répondent avec plus de précision, c’est qu’ils ont développé une capacité d’anticipation importante (Williams et Ward, 2003). Le développement de cette habileté permet d’expliquer comment les joueurs s’adaptent à la pression temporelle exercée dans le contexte des sports collectifs. Les experts montrent, par exemple, des attentes plus précises sur les probabilités d’apparition d’un évènement en situation (Starkes et al., 1995) ou encore une anticipation plus accrue pour des informations visuelles spécifiques comme la posture de l’adversaire (Williams et al., 1994). Par exemple, Savelsbergh et al. (2002) ont montré que les gardiens de but au football prenaient moins d’informations que les novices pour de meilleures performances d’anticipation. Plus précisément, ils arrivaient à mieux prévoir la direction et le type de frappe à partir d’informations précoces. Les points de fixation oculaire avant la frappe concernaient le bassin, la position du pied et l’épaule côté opposé au pied frappeur. Cette focalisation sur des indices précis permet ainsi de fournir des informations significatives sur les intentions et les actions de l’adversaire. Ces résultats ont également été confirmés en situations réelles de service au volley-ball (Starkes et al., 1995). En effet, les chercheurs ont masqué des portions du service et demandé au réceptionneur de prédire la zone d’arrivée de la balle. Les résultats montrent également la capacité des volleyeurs experts à extraire une plus grande quantité d’informations à partir d’indices visuels précoces, et à prédire la zone de réception de la balle. Ces résultats donnent des indications sur le moment et la nature des informations prélevées par les experts dans des tâches « fermées » et spécifiques en sports collectifs (service, pénalty) qui nécessitent une décision tactique simple. Quand il s’agit d’anticiper la direction de la passe d’un adversaire, les défenseurs au football confirment également ces résultats (Williams et al., 1994). L’expert anticipe mieux la passe en extrayant des informations plus pertinentes de la posture du passeur grâce à des fixations en vision centrale, tout en utilisant la vision périphérique pour confirmer les informations au regard des mouvements des non-porteurs. 1.3.4 L’adaptation de l’activité perceptive à la complexité du contexte La compétence perceptive des experts s’explique également par leur capacité d’adaptation à la complexité du contexte. Les résultats montrent ainsi que l’habileté perceptive des 46 Cyril Bossard La compétence perceptive en sports collectifs joueurs de sports collectifs s’adapte, évolue en fonction des configurations de jeu qui leurs sont présentées. Une étude de Williams et al. (2006) montre que les experts sont capables de prendre des décisions tactiques plus rapides et plus précises que les novices au regard de configurations de jeu présentées sur vidéo où les joueurs sont remplacés par des points lumineux. Il semble donc que les positions des joueurs sur le terrain et plus particulièrement la relation entre ces positions soit suffisante pour prendre des décisions tactiques. Par contre, les auteurs observent une baisse de la performance des experts quand on retire les deux attaquants et les deux défenseurs associés de la configuration de jeu présentée. Les auteurs concluent que les positions et les déplacements de ces joueurs, ou les mouvements entre ces joueurs et leurs adversaires, sont des informations importantes pour la prise de décision tactique des joueurs experts au football. On retrouve ici l’effet « structuration » du contexte révélé par les études sur le fonctionnement mnémonique des experts en sports collectifs. La complexité du contexte est également un facteur important de l’activité perceptive. L’analyse des stratégies visuelles des experts en sports collectifs montre également une importante variation en fonction de la complexité du contexte d’étude. En situation duelle (1 contre 1), la décision est également plus rapide et plus précise, avec un plus grand nombre de fixations de courte durée, localisées de manière alternative sur les hanches et le ballon. Ensuite, en situations de 11 contre 11, les auteurs montrent que les joueurs se centrent davantage sur les positions et déplacements des attaquants adverses que sur le porteur de balle et le ballon, avec des fixations moins nombreuses et plus longues, par aller-retour entre des informations sur le ballon et les autres sources. En somme, les experts adoptent une stratégie de recherche plus large, avec des informations prises sur le ballon, sur leur propre position dans l’espace de jeu, sur les positions des partenaires et sur les déplacements des adversaires. Si les défenseurs experts au football ont des performances plus élevées que les novices dans la tâche d’anticipation en situation de 1 contre 1, les auteurs n’observent pas de différences significatives dans les deux autres conditions (3 contre 3 et 11 contre 11). Ensuite, les joueurs utilisent typiquement moins de fixations de longue durée en situation de 3 contre 3 qu’en situation de 11 contre 11. La durée des fixations oculaires chez les joueurs de football augmente donc à mesure que la tache présentée se complexifie. Les stratégies de prospection visuelle semblent donc gouvernées ou dépendantes des contraintes imposées par la tâche lors de l’expérimentation (Williams et al., 2004; Williams et Davids, 1998). Les résultats de Helsen et Pauwels (1993c) montrent également des différences significatives en fonction de la nature du problème à résoudre. Par exemple, les situations de frappe sont résolues plus rapidement, avec plus de précision et nécessitent moins de fixations de longue durée que les situations de passe et de dribble. Les auteurs concluent que les experts sont capables de prendre des décisions tactiques pertinentes et rapides, nécessitant une simple fixation ou des fixations plus courtes. Une autre étude (Helsen et Starkes, 1999) Cyril Bossard 47 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs montre également des différences dans l’utilisation des stratégies visuelles en fonction de la nature défensive ou offensive de la décision tactique à adopter. Ces dernières varient selon le rôle et les intentions du joueur. Par exemple, les attaquants utilisent des stratégies moins exhaustives que les défenseurs face à une situation de nature défensive. 1.3.5 Discussion Les paradigmes perceptifs sont très riches, et beaucoup de travaux leur sont consacrés. Les études ayant recours aux techniques d’occlusion temporelle et spatiale sont intéressantes pour identifier précisément les indices qui permettent de prendre des décisions dans une situation particulière. L’analyse des mouvements oculaires donne quant à elle des indications sur la manière dont ces informations sont prises en compte par les experts ; elle permet de fournir une image dynamique des stratégies de recherche visuelle à mesure que l’action se déroule (Williams et al., 2004). Une littérature importante montre ainsi que les experts dans les sports collectifs recherchent dans l’environnement les informations d’une manière plus systématique et plus efficiente que les novices (Williams et al., 1999; Williams, 2002). Les stratégies perceptives et les capacités d’anticipation des experts peuvent expliquer leur supériorité dans la vitesse et la pertinence des réponses lors des situations tactiques. L’ensemble des résultats présentés atteste l’idée que la supériorité des joueurs en sports collectifs ne s’explique pas tant par une quantité importante d’indices prélevés mais plutôt sur la pertinence de ces indices au regard de la situation présente. A ce titre, l’étude de Williams et al. (2006) montre bien que c’est la relation entre les informations qui est prépondérante pour prendre des décisions tactiques en sports collectifs. Les relations entretenues entre plusieurs informations (comme la position et le déplacement des partenaires) constituent ainsi des indices pertinents sur lesquelles l’attention des experts est portée. Les stratégies visuelles employées par les experts permettent d’expliquer, en partie, leur supériorité dans les situations de décision tactique. Les experts en sports collectifs mobilisent une attention sélective en analysant les sources d’informations pertinentes (et en éliminant les informations inutiles) en nombre restreint pour décider. L’activité perceptive des experts s’adapte à la complexité des situations en sports collectifs. Les travaux que nous avons mis en exergue montrent ainsi que les stratégies visuelles des experts en sports collectifs varient principalement en fonction de la tâche utilisée lors de l’expérimentation (Williams et Davids, 1998; Williams et al., 2006) ou de la décision tactique à adopter (Helsen et Pauwels, 1993a; Helsen et Starkes, 1999). Elles se différencient également en fonction du rôle attribué (attaquant ou défenseur) et de l’intention du sujet (Helsen et Starkes, 1999). L’activité perceptive ne serait ainsi pas uniquement dépendante des informations qui s’imposent au sujet dans un environnement prédéfini. Les contraintes 48 Cyril Bossard La compétence perceptive en sports collectifs propres au sujet (Williams et al., 2004) constituent en quelque sorte un aspect du contexte pris en compte dans la décision tactique. Les approches « écologiques » étudient justement l’activité perceptive à partir des contraintes d’actions du sujet au sein de l’environnement (Kelso, 1995). L’activité perceptive est ici considérée comme un phénomène qui émerge à partir de la convergence des contraintes de l’organisme (dimensions physique, physiologique, cognitive et émotionnelle) et de l’environnement. Les caractéristiques propres du sujet dans son ensemble agissent comme des pressions qui canalisent la manière dont l’activité perceptive du sujet s’organise. Des revues récentes insistent sur les retombées potentielles d’une telle perspective dans le contexte des sports collectifs (Araujo et al., 2004; Beek et al., 2004; Huys et al., 2004) et devraient apporter des réponses complémentaires à l’étude des habiletés perceptives pour expliquer la supériorité des experts en situations de décision tactique. Malgré la prolifération des résultats en faveur des différences experts-novices dans les comportements de recherche visuelle, des controverses subsistent (Williams et Davids, 1998). L’enregistrement des mouvements oculaires fournit une information uniquement sur l’orientation de la fovéa (le regard) alors que dans les sports collectifs, les situations requièrent l’intégration d’informations également issues de la zone para-fovéale et de la rétine périphérique (Williams et Davids, 1998). En sport collectif, l’expert utilise des stratégies visuelles également pour tromper ses adversaires (ex : feinte du regard). Il existe une différence fondamentale entre l’orientation du regard et l’information perçue, c’est-à-dire significative pour agir. A l’instar de McPherson (1993), nous pouvons donc nuancer l’importance des paradigmes perceptifs, en expliquant que les différences perceptives (comme les stratégies oculaires) ne constituent pas systématiquement une variable pertinente pour comprendre la décision tactique en sport collectif. Enfin, on peut également regretter que ces études s’effectuent principalement à partir d’images ou de films représentant un point de vue extérieur à l’action. L’usage de diapositives ou de films lors des expérimentations impose au sujet de se projeter à la place du joueur. On demande alors au sujet ce qu’il ferait dans la situation présente (Williams et Davids, 1995). Toutefois, le sujet n’est pas directement impliqué dans l’action. De plus, ces situations expérimentales réduisent (par définition) la complexité du contexte des sports collectifs. Le décalage entre ce qui est perçu, vécu en situation expérimentale et ce qui est perçu, vécu en situation naturelle conduit certains chercheurs à étudier comment des sujets peuvent s’adapter à la complexité des situations de sports collectifs. On observe aujourd’hui une volonté de prendre en compte le contexte réel de décision tactique du joueur, par exemple en confrontant lors d’un entretien les joueurs au film de leur activité réelle (Mouchet et Bouthier, 2006; Macquet, 2001). Ces études se préoccupent de mettre à jour conjointement le rôle de variables perceptives et cognitives. Cyril Bossard 49 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs Conclusion L’objectif de ce chapitre était de contribuer à une meilleure compréhension de la décision tactique en sports collectifs, à partir d’une présentation de l’évolution des recherches en psychologie du sport. Dans cette revue de questions, nous avons repris les contributions classiques des approches cognitives sur la décision tactique en sports collectifs en trois points. Plus particulièrement, nous les avons questionnées sous l’angle de la relation contexte-joueur en sports collectifs. La première réponse est apportée par l’étude des bases de connaissances. Les experts en sports collectifs disposent d’un nombre important de connaissances spécifiques liées à leur domaine. Une organisation rationnelle et hiérarchisée de ces connaissances en MLT permet d’assurer, en partie, la pertinence de l’activité décisionnelle quand la pression temporelle est faible. De façon complémentaire, les études sur le fonctionnement mnémonique permettent de préciser les modalités d’activation de ces bases de connaissances face aux contraintes contextuelles imposées par les sports collectifs. La notion de pré-activation directe (sans traitement de l’information en mémoire de travail) apporte ainsi une seconde réponse sur la capacité des joueurs à répondre rapidement aux situations sportives. Les études ont principalement mis en évidence la capacité des experts à activer des connaissances, soit de manière implicite en MLT, soit de manière explicite en passant par la mémoire de travail (MT). Cette double modalité d’activation serait dépendante de la structuration du contexte et des contraintes temporelles. Enfin, une dernière réponse est apportée par les études sur les habiletés perceptives des experts en sports collectifs. Les stratégies d’anticipation et de préparation des experts permettent d’expliquer la rapidité des décisions tactiques. Ces derniers perçoivent les indices pertinents dans leur environnement plus tôt, plus vite et de façon plus précise. Les études révèlent également des stratégies visuelles différenciées en fonction du contexte de l’expérimentation (i.e. le type de tâche utilisé). L’ensemble de ces travaux concourt à la modélisation de l’expertise au regard de variables (ici, perceptive, cognitive, ou mnémonique) identifiées, isolées et étudiées dans des conditions standardisées. Le contexte correspond la plupart du temps au contexte de l’expérimentation (schémas, diapositives, films), de sorte qu’il apparaı̂t d’une part banalisé ou manipulé à des fins d’études (Macquet et Fleurance, 2006) et d’autre part plus ou moins éloigné des situations réelles de sports collectifs. En conséquence, chaque type de recherche apporte une réponse singulière, mais partielle à l’objet d’étude choisi. L’activité du sujet est considérée de manière morcelée, au regard de la composante étudiée, et non dans sa globalité. D’un point de vue théorique, cette approche cognitiviste valorise la représentation d’un monde extérieur prédéfini et indépendant de l’individu agissant. Le modèle du système de traitement de l’information considère la décision comme une étape du processus, située entre l’extraction, l’intégration des informations et l’action. La décision adoptée est le résultat de traitements 50 Cyril Bossard La compétence perceptive en sports collectifs (à différents niveaux) effectués en référence aux bases de connaissances et en fonction d’habiletés mnémoniques ou perceptives. Assez récemment, certains auteurs (Sève et al., 2002; Mouchet et Bouthier, 2006; Macquet et Fleurance, 2006), réfutent l’utilisation prédominante ou exclusive du « modèle du traitement de l’information » pour analyser l’activité décisionnelle des sportifs de haut niveau. La complexité des sports collectifs conduit ces auteurs à mobiliser des modèles issus de l’ergonomie cognitive pour étudier le couplage entre ressources cognitives et contraintes contextuelles. L’ensemble des études recensées jusqu’à présent permet de caractériser l’activité décisionnelle au regard de l’adaptation individuelle au contexte des sports collectifs. Ces approches peuvent ainsi être qualifiées « d’individu-centrées ». Cependant, la complexité du contexte des sports collectifs nécessite également d’appréhender sa dimension collective. La prise en compte du caractère collectif de la décision, dans une perspective cognitive, est un objet d’étude qui suscite actuellement un regain d’intérêt en psychologie du sport (Eccles et Tenenbaum, 2004; Fiore et Salas, 2006; Ward et Eccles, 2006). En effet, les études se sont longtemps intéressées aux activités des individus considérés isolément. Or, dans de nombreuses situations dynamiques et collaboratives comme dans les sports collectifs, la décision est réalisée au sein d’un collectif et s’appuie sur des interactions entre plusieurs personnes. Comprendre l’implication de l’activité collective dans la décision tactique des joueurs de sports collectifs revient à comprendre comment les individus parviennent à coordonner ou articuler leurs activités face aux contraintes contextuelles, afin de réaliser une performance optimale. La question initiale mettait en avant la rapidité et la pertinence des choix des joueurs en sports collectifs même quand la situation conjugue complexité et pression temporelle. Cette revue de questions des travaux en psychologie du sport montre une grande diversité d’objets de recherche susceptibles de répondre à cette question. Plus particulièrement, nous avons mis en avant les réponses (partielles et complémentaires) qu’elles apportent à notre objet. Les présupposés théoriques, les méthodes utilisées et les résultats témoignent de l’intérêt et des limites d’une « approche cognitiviste » du problème posé par l’analyse de l’activité décisionnelle. La complexité de l’activité décisionnelle nécessite d’interroger les modèles qui prennent en compte le couplage entre ressources perceptives et cognitives, et contraintes contextuelles. Dans un second chapitre, nous mettons en perspective le cadre conceptuel de la « Naturalistic Decision Making » (Klein, 1997) habituellement exploité dans les situations de travail. Cette approche ergonomique cherche justement à appréhender l’activité décisionnelle dans toute sa complexité en situation naturelle. Cyril Bossard 51 Chapitre 1 – Les variables cognitives et perceptives de la décision tactique en sports collectifs 52 Cyril Bossard Chapitre 2 Une approche contextualisée de la décision Le cadre théorique de la Naturalistic Decision Making Résumé – Ce second chapitre présente le cadre conceptuel de la Naturalistic Decision Making (Klein, 1997) habituellement exploité dans l’analyse des situations de travail individuelles. Cette approche considère l’activité décisionnelle sous un rapport étroit entre le sujet et la situation. Ce changement de paradigme permet, selon nous, d’appréhender la complexité de l’activité décisionnelle sans renoncer à l’étudier dans son contexte naturel. Nous examinerons successivement les modèles et concepts qui ont été proposés : 1) Le modèle RPD (décision fondée sur la reconnaissance : « Recognition-Primed Decision ») proposé par Klein (1993, 1997) ; 2) Le modèle de la Conscience de la Situation (« Situation Awareness ») développé par Endsley (1995) ; 3) La théorie des schémas mobilisée par (Lipshitz et Shaul, 1997). L’analyse des objectifs, des méthodes et des principaux résultats nous conduit à démontrer pourquoi cette approche nous semble heuristique pour appréhender l’activité décisionnelle individuelle en sports collectifs. Cyril Bossard 53 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision Introduction Au cours du chapitre précédent, nous avons rappelé les variables cognitives et perceptives habituellement convoquées pour caractériser la décision tactique en sports collectifs. L’ensemble de ces travaux concourt à la modélisation de l’expertise au regard de variables (ici, perceptives, mnémoniques et cognitives) identifiées, isolées et étudiées dans des conditions standardisées. Les résultats montrent l’influence de ces variables sur la performance et/ou l’apprentissage. D’un point de vue méthodologique, les tâches expérimentales utilisées sont souvent éloignées des situations réelles de sports collectifs. Les principes théoriques qui guident ces études considèrent l’activité du sujet de manière morcelée, au regard de la composante étudiée (perceptive, ou cognitive, ou mnémonique), et non dans sa globalité. Nous considérons que ces travaux n’éclairent, chacun à leur tour et à leur mesure, qu’un aspect de la décision tactique en sports collectifs. La décision tactique en sports collectifs ne peut ni se réduire à la mobilisation d’habiletés perceptives, puis de connaissances, ni s’étudier à partir de l’analyse des caractéristiques objectives d’une tâche. Une importante évolution en sciences humaines conduit au contraire de nombreux chercheurs à appréhender l’activité humaine dans toute sa complexité, sans renoncer à l’étudier au sein du contexte social et culturel où elle se produit. La complexité des situations vécues en sports collectifs nécessite d’interroger les modèles qui prennent en compte le couplage entre ressources perceptives, cognitives et contraintes contextuelles. La psychologie cognitive ergonomique s’intéresse à « toutes les situations complexes qui sont vécues par l’opérateur humain dans la totalité de ses fonctions » (Hoc et Darses, 2004). Afin d’appréhender la décision tactique de joueurs experts en sports collectifs, nous mobilisons ce champ d’investigation pour trois raisons principales : (1) la psychologie cognitive ergonomique est centrée sur l’étude des activités humaines finalisées, ce qui la conduit à accorder une attention particulière à la compréhension de la performance ; (2) bon nombre de travaux portent sur l’activité des experts dans leur domaine de prédilection ; (3) la prise de décision en situation dynamique est un objet d’étude particulièrement développé dans cette approche disciplinaire. L’activité décisionnelle est par conséquent largement documentée dans de nombreuses situations professionnelles individuelles et/ou collectives. Plus particulièrement, l’activité décisionnelle en situation dynamique peut être considérée comme un objet de recherche central pour le courant de recherche ou paradigme « NDM ». Le courant NDM pour « Naturalistic Decision Making » est né aux États-Unis autour de Zsambok et Klein (1997) et s’est donné comme objectif d’améliorer les systèmes d’aide à la décision dans le domaine militaire mais aussi dans l’industrie nucléaire et le secteur de l’aviation civile. Il étudie la façon dont des experts, travaillant seuls ou en groupe dans des environnements dynamiques et incertains, identifient et évaluent des situations, prennent 54 Cyril Bossard Le modèle RPD des décisions et exécutent des actions dont les conséquences sont significatives pour eux et pour leur environnement (Lipshitz et al., 2001). Au cours de ce second chapitre, nous présenterons le courant NDM. Nous interrogerons les concepts et les modèles développés au sein de ce courant au regard de notre objet d’étude. L’analyse des objectifs de recherche, des méthodes et des principaux résultats, nous conduira à démontrer pourquoi cette approche nous semble particulièrement heuristique pour appréhender les décisions tactiques des joueurs de football. Ce chapitre est organisé en quatre points. Les trois premiers points concernent les études de la prise de décision individuelle en situation de travail. Nous examinerons successivement les modèles et concepts qui ont été proposés : 1) Le modèle RPD (décision fondée sur la reconnaissance : « Recognition-Primed Decision ») proposé par Klein (1993, 1997) ; 2) Le modèle de la Conscience de la Situation (« Situation Awareness ») développé par Endsley (1995) ; 3) La théorie des schémas mobilisée par (Lipshitz et Shaul, 1997). L’ensemble de ces modèles et concepts nous semblent particulièrement intéressants pour appréhender la décision tactique de joueurs experts en football. Le quatrième point examinera l’implication de l’approche NDM pour l’étude de l’activité décisionnelle individuelle en sports collectifs. 2.1 2.1.1 Le modèle RPD Concepts et Méthodes Le modèle RPD (Cf. Figure 2.1) constitue une alternative au paradigme cognitiviste, jusqu’à présent dominant en sciences cognitives, pour expliquer les décisions d’experts prises sous pression temporelle et imprégnées d’enjeux forts (Hoffman et Lintern, 2006). Klein et Brezovic (1986) réfute l’idée que les individus confrontés aux situations dynamiques fondent leurs choix sur la base d’un calcul rationnel ou d’une analyse exhaustive des utilités (théorie des jeux ou théorie formelle de la décision). Pour Ross et al. (2006), les experts font principalement appel à leur expérience pour prendre des décisions sous pression. Un expert confronté à une situation dynamique est capable de reconnaı̂tre la typicalité de la situation et d’y associer une réponse type. À ce titre, les auteurs parlent de « l’instanciation d’un prototype ». Ce prototype constitue un véritable « package cognitif nourri de significativité » (Ross et al., 2006)(p 406). En effet, ce « package » inclue des informations sur la situation courante type, c’est-à-dire sur les attentes qui en découlent, sur les buts appropriés, sur les cours d’action typiques et sur les indices pertinents associés. Quand l’expert reconnaı̂t une situation comme prototypique, l’ensemble de ces informations (le package) lui permet de faire face à la situation et surtout d’agir sans avoir recours à Cyril Bossard 55 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision une analyse exhaustive et élaborée de la situation. Le processus de reconnaissance de la situation étant lié à un cours d’action, il mène directement à l’action suivante sans nécessité de comparaison avec d’autres options possibles. Ainsi, l’expert est capable de se satisfaire et de mettre en œuvre ce qui fonctionne habituellement plus que de rechercher une solution optimale. Ce processus de reconnaissance est particulièrement intéressant pour expliquer la rapidité des décisions tactiques observées dans les sports collectifs. La première modalité ou stratégie du modèle proposé par Klein (1997) peut être qualifiée de réactive (Chalandon, 2003). L’auteur considère que la reconnaissance implicite de patterns significatifs pour l’action est une solution optimale au problème du couplage (ou synchronisation) activité-environnement. La situation s’impose ainsi à l’individu qui la « découvre » et dont l’expertise se traduit par une reconnaissance finalisée de cette situation. Ce « coup d’œil » de l’expert qui l’oriente en cours d’action, consiste en une correspondance implicite entre les informations contextuelles perçues et les structures fonctionnelles disponibles en mémoire. Klein (1997) est assez prudent sur la notion de représentation et insiste sur le rôle de la perception pour guider la cognition, se rapprochant ainsi de la notion d’affordance développée par Gibson (1979). Parfois la reconnaissance d’une situation type n’est pas suffisante (ex : la situation n’est pas claire ou incongrue). L’expert va relier les informations perçues, à différentes situations déjà vécues, ou construire, se représenter une nouvelle situation à partir de souvenirs stockés en MLT. Cette seconde modalité du modèle RDP rejoint les processus cognitifs et mnémoniques habituellement décrits par les approches cognitives. S’il présente un intérêt dans des situations à faible pression temporelle, ou dans des situations accidentelles (où la dynamique de l’activité va être interrompue), il paraı̂t peu approprié dans les situations de contre-attaque au football. Enfin, une troisième modalité présente un processus où l’expert peut évaluer le cours de l’action mais toujours sans comparaison entre les différentes options possibles. Cette évaluation repose sur une simulation mentale du cours d’action et de ses conséquences. Il peut également simuler mentalement les évènements au regard des propriétés de la situation pour adapter sa réponse (Kaempf et al., 1996). Ces deux dernières modalités montrent ainsi qu’en cas de « résistance du réel », le processus décisionnel devient alors plus explicite car il nécessite une évaluation (i.e. une compréhension) de la situation. Ce modèle devrait permettre d’appréhender la diversité des contextes rencontrés par des individus en sports collectifs. Dans le cadre du football par exemple, la pression temporelle exercée en contre-attaque contraindrait à mobiliser prioritairement la première modalité du modèle RPD. La reconnaissance de la situation suffirait alors à activer une action ou une séquence d’actions appropriées. En situation d’attaque placée ou lors d’arrêts de jeu, la pression temporelle est moindre. Des joueurs mobiliseraient plutôt la seconde ou troisième modalité. Notre objet d’étude étant l’analyse des décisions tactiques de joueurs experts en situation de fortes contraintes temporelles, la première modalité décrite par Klein (1997) 56 Cyril Bossard Le modèle RPD retiendra toute notre attention. Figure 2.1 – Le modèle RPD (Klein, 1997) Les trois modalités présentées sont fortement dépendantes du niveau d’expertise de l’acteur. Dans la première, l’expertise permet de reconnaı̂tre la « typicalité » de la situation pour y répondre rapidement. Dans la seconde, l’expertise permet de construire un modèle mental adéquat. Enfin, dans la dernière, l’expertise se définit comme l’habileté à simuler mentalement un cours d’action dans une situation et à anticiper ses conséquences. Le point commun des trois stratégies concerne la reconnaissance de typicalité. Cette reconnaissance s’effectue à partir de 4 types de variables : les attentes de résultats ou résultats (« expectancies »), les indices pertinents (« relevant cue »), les cours d’actions typiques (« typical action »), et les buts plausibles (« plausible goals »). Plus récemment, Lipshitz et al. (2001) ont proposé d’intégrer ces variables au sein d’une même structure fonctionnelle et ont repris le concept de schéma. Nous reviendrons plus loin (voir 2.3, p 70) sur l’intégration de la théorie des schémas à l’approche NDM. Pour résumer, le modèle RPD (Klein, 1997) repose sur trois hypothèses fondamentales : 1. Les experts génèrent et évaluent des options de façon séquentielle (Evaluation holistique du potentiel au cours de l’action) et non pas concurrente de sorte que la première option prise en considération est, d’emblée, une option plausible (Lipshitz et al., 2001). Cyril Bossard 57 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision 2. Les experts utilisent la reconnaissance de configurations spatio-temporelles au cours de l’action pour pallier l’incidence de la pression temporelle (Klein et Calderwood, 1991). Cette reconnaissance est basée à la fois sur l’expérience (situations antérieures semblables) et sur des affordances (suggestions automatiques d’actions). 3. Les experts choisissent une option sans comparer toutes les options possibles (notion de suffisance ou de satisfaction, (Klein et al., 1995)). Si une option doit être envisagée, l’évaluation repose sur une simulation mentale de ses conséquences. Du côté de l’ergonomie cognitive de tradition française, ce point peut être rapproché du modèle de la « suffisance cognitive » développé par Amalberti (2001) et prolongé aux situations sportives collectives par Macquet (2001). Bien qu’aujourd’hui, l’approche NDM utilise des méthodes d’investigations diverses et variées, Klein et Brezovic (1986) ont dès l’origine établi une méthode permettant d’investiguer spécifiquement les décisions des experts dans leur contexte naturel. La méthode d’analyse des décisions critiques (« critical decision method ») consiste en une technique de rétrospection par le rappel d’un cas précédemment vécu. Ici, le sujet expert est guidé par le chercheur dans le rappel d’événements critiques. Différents types de médias (vidéos, enregistrement audio, scénario sur papier) peuvent également participer au rappel. Cette méthode repose sur l’idée selon laquelle les experts d’un domaine retiennent en mémoire les détails de situations vécues. Cette « trace mnémonique » s’accentue encore pour les situations qui revêtent un caractère inhabituel, compétitif, complexe ou difficile, c’est-àdire qui impliquent des « décisions critiques » (Hoffman et Lintern, 2006) (p. 209). La CDM évite les questions génériques comme « dites moi ce que vous savez sur X » ou « pouvez vous me décrire cette procédure ? ». Elle cherche plutôt à fournir les informations singulières significatives du point de vue du sujet interrogé. Pour le chercheur, il s’agit donc d’accompagner l’expert à travers l’utilisation de questions spécifiques sur les décisions prises dans l’action (Que fais-tu ?) et sur les informations prises en considération (Que regardestu ?). L’avantage de cette méthode réside dans l’analyse fine des décisions prises sur le terrain. Elle permet d’obtenir de riches indications sur les cas étudiés, de retrouver la dynamique de l’activité telle qu’elle s’est déroulée dans le temps en fonction du scénario (évènements). Cette méthode donne ainsi accès à la succession des décisions (types de décisions, observations, actions, options, etc.) engagées par le sujet en contexte naturel. Elle met en avant les conditions responsables de la décision de l’expert à travers les indices perçus comme pertinents dans la situation, i.e. les informations contextuelles significatives. La méthode CDM est la méthode de recueil de données la plus couramment utilisée dans les études en situation de travail. Étant donnée sa focalisation sur la prise de décision, 58 Cyril Bossard Le modèle RPD l’intérêt de la CDM réside dans son utilisation pour la modélisation des décisions en situation naturelle. Plus particulièrement, cette méthode apparaı̂t d’une grande fiabilité pour extraire les connaissances spécifiques des experts et pour déterminer les modalités de prise de décision en situation naturelle ou simulée (Hoffman et Lintern, 2006). Des présentations détaillées de cette méthode et des résumés d’études illustrant son utilisation peuvent être trouvées dans Crandall et al. (2006) et Hoffman et al. (1998). Une illustration du protocole à deux volets permettant de traiter les données est également disponible (Hoffman et Lintern, 2006). 2.1.2 Une étude en situation de travail Initialement, le modèle RPD (Klein et Brezovic, 1986) a été développé pour modéliser les décisions des officiers sapeurs-pompiers au cours de la gestion d’incidents graves dans un centre de contrôle. L’objectif de cette étude était de proposer une investigation descriptive permettant de comprendre la gestion de l’incertitude et de la pression temporelle par ces officiers sur le terrain. L’hypothèse principale était que, sous pression temporelle, les officiers n’avaient pas la possibilité de générer un large ensemble d’options mais effectuaient une simple reconnaissance de situation compatible avec une option favorite. À partir d’entretiens menés auprès de 26 officiers sapeurs-pompiers (d’une expérience de 23,2 ans en moyenne), les auteurs ont analysé les décisions prises au cours de 32 interventions critiques par le recueil de données verbales et comportementales. La retranscription des données verbales et comportementales est organisée dans un tableau à deux volets. Concrètement, les événements suivant le décours temporel de la situation étudiée sont placés dans une colonne à gauche. Les données verbales et comportementales retenues sont disposées en vis-à-vis dans la colonne de droite. Dans cette étude, les auteurs effectuent une catégorisation empirique. Les catégories sont déterminées a posteriori en se laissant guider par les données. Comme dans la plupart des protocoles utilisant un codage empirique, un processus de triangulation entre plusieurs codeurs est utilisé et atteste de la fiabilité des catégories obtenues. L’analyse des données montre que 80% des décisions des officiers étaient basées sur un processus de reconnaissance de situations types. Les officiers ne comparaient pas plusieurs options mais exécutaient typiquement le premier cours d’action associé à la situation reconnue. Plus précisément, l’analyse du contenu a permis d’identifier pour chaque situation reconnue un « package cognitif » autour de 4 catégories types : les attentes de résultats (« expectancies »), les indices pertinents (« relevant cues »), les actions typiques (« typical action »), et les buts plausibles (« plausible goals »). Les officiers experts percevaient ainsi les situations comme des « cas typiques » auxquelles ils associaient certains types d’actions (ou séquence) appropriés, et habituellement utilisés avec succès. Le modèle RPD ainsi que la méthode d’analyse des décisions critiques (CDM) ont été Cyril Bossard 59 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision mis à l’épreuve de diverses situations dynamiques issues du domaine du travail (notamment militaire). Des études ont été menées par des équipes de recherche différentes avec des officiers de l’armée de terre (Pascual et Henderson, 1997), des conducteurs de tanks (Brezovic et al., 1987), des infirmières en soins intensifs néo-natals (Crandall et Calderwood, 1989), des joueurs d’échecs (Klein et al., 1995), des ingénieurs en conception (Klein et Brezovic, 1986) ou encore des directeurs d’installation de forage en mer (Flin et al., 1996). L’ensemble de ces travaux confirme les résultats obtenus par l’étude pionnière de Klein et Brezovic (1986). Dans 80-95% des cas, les décisions sont décrites en conformité avec le modèle RPD. Quand les sujets sont inexpérimentés, cette proportion est réduite à 50% des cas. L’ensemble de ces études et leurs résultats sont disponibles dans des revues de littérature plus exhaustives (voir (Klein, 1997; Ross et al., 2006). 2.1.3 Modèle RPD et Sports Collectifs Une étude dans le domaine des sports collectifs confirme la validité du modèle RPD pour expliquer la rapidité des décisions tactiques de joueurs experts. A partir d’une situation expérimentale, Johnson et Raab (2003) ont présenté des vidéos de séquence de jeu de Handball à un panel de joueurs de niveaux variés. Après une présentation du film de 10 secondes, les sujets devaient nommer le plus rapidement possible la première décision qui leur venait intuitivement à l’esprit en se mettant à la place du joueur porteur de balle. Dans un second temps, ils donnaient le maximum d’options qu’ils pouvaient imaginer face à cette même situation. Enfin, parmi l’ensemble des réponses données, les sujets étaient invités à évaluer la meilleure d’entre elles pour cette situation. Les résultats confirment que les experts au Handball prennent des décisions pertinentes dès le premier cours d’action considéré. De plus, quand les experts abandonnent leur première intuition en faveur d’une autre décision générée à la suite (seconde modalité du modèle RPD), la qualité du cours d’action subséquent était plus faible que le premier naturellement considéré. Ainsi, pour des experts en sports collectifs confrontés à des situations sous contraintes temporelles, la première décision est souvent la meilleure. Ces résultats suggèrent également que la première modalité décrite dans le modèle RPD est d’autant plus sollicitée que la pression temporelle est forte sur le sujet. Ces travaux confortent ainsi l’intérêt et la validité du modèle RPD pour l’analyse de l’activité décisionnelle d’experts en situations de sports collectifs. Il permet de décrire un processus d’adaptation au contexte des sports collectifs qui repose sur la reconnaissance de situations typiques. De ce point de vue, les études effectuées en référence au modèle RPD se différencient de celles classiquement recensées dans le domaine du sport (voir Chapitre 1, p 29). En effet, l’accent est ici porté sur l’activité décisionnelle, comprise comme englobante et complexe, « macro-cognitive », articulant des variables cognitives et perceptives (Ross et al., 2006). De plus, la décision n’est pas un processus cognitif « statique », il s’agit bien d’une activité dynamique dont on cherche à décrire l’évolution au gré des situations vécues. 60 Cyril Bossard La Conscience de la Situation Cependant, même s’il propose une explication du processus à l’œuvre dans le couplage sujet-situation, le modèle RPD insiste tout de même davantage sur le « package cognitif » activé par le sujet que sur la dynamique situationnelle. Rappelons qu’à partir de la reconnaissance de la situation, l’expert est en mesure d’activer un ensemble de 4 variables : buts, actions, attentes et indices pertinents. Dans les sports collectifs, les situations évoluent très rapidement et peuvent être très variables. La prise en compte de cette dynamique externe nous semble être minorée dans le modèle RPD. Une autre limite du modèle renvoie à la dynamique interne de l’activité. En effet, le modèle n’explique pas comment le package cognitif « s’actualise » au gré des situations vécues. Les joueurs en sports collectifs possèdent probablement la capacité de modifier on lineleurs structures cognitives en fonction des contraintes situationnelles de façon à optimiser la performance (Johnson, 2006). Le modèle RPD reste, selon nous, encore insuffisant pour décrire cette flexibilité de l’expert. Il permet de décrire ce qui se passe à un instant t de la situation (dimension synchronique) mais ne renseigne pas sur l’évolution du « package cognitif » au travers des situations successivement éprouvées (dimension diachronique). La méthode expérimentale utilisée par (Johnson et Raab, 2003) peut difficilement rendre compte de ces dynamiques internes et externes contrairement aux méthodes de type « CDM ». L’approche NDM propose d’autres modèles et concepts qui permettent d’étudier l’activité décisionnelle. D’une part, le modèle de la « Conscience de la Situation » (Endsley, 2006) constituera un prolongement intéressant car il insiste sur la prise en compte de la dynamique externe de l’activité : la conscience de la situation résulte du couplage entre le contexte et le package cognitif de l’individu (décrit par le modèle RPD). D’autre part, plusieurs auteurs (Flin et al., 1996; Randel et al., 1996; Piegorsch et al., 2006) ont mis en évidence que la reconnaissance d’une situation, peut résulter de l’activation de schémas et/ou de scripts. Nous étudierons donc dans quelle mesure le concept de schéma apporte une contribution à la compréhension de la dynamique interne des structures cognitives décrites par le modèle RPD. 2.2 La Conscience de la Situation Une extension du modèle RPD a été proposée pour mettre l’accent sur le processus de reconnaissance de la situation en cours : le modèle de la « Situation Awareness » (Conscience de la Situation1 ). Depuis une vingtaine d’années, la communauté américaine de la psychologie aéronautique présente le concept comme un élément clé des processus cognitifs en situation 1 Ce terme est souvent traduit en français par Conscience de la Situation mais en anglais, il se définit aussi par « l’état d’être informé, d’être au fait de... » Cyril Bossard 61 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision dynamique. D’après Chalandon (2003), un fort consensus se dégage dans la littérature sur les principales fonctions associées à la Conscience de la Situation (CS) : donner cohérence aux éléments contextuels externes, créer des attentes et orienter la perception, servir d’ancrage aux décisions et actions ultérieures, permettre l’anticipation des évolutions de la situation et des effets d’actions (Endsley, 1995). Le modèle de référence de Conscience de la Situation est celui proposé initialement par Endsley (1995). Plus précisément, Endsley (1995) définit la CS comme le produit de trois activités hiérarchiquement et temporellement organisées : « La perception d’éléments de l’environnement à l’intérieur d’un volume spatio-temporel, la compréhension de leur signification et la projection de leur statut dans un futur proche » (The perception of the elements in the environment within a volume of time and space, the comprehension of their meaning, and the projection of their status in the near future). La conscience de la situation est ainsi décrite comme l’état instantané des connaissances que l’expert a de son environnement en cours d’action. Cet état constitue le principal précurseur de la prise de décision. En d’autres termes, la conscience de la situation, c’est donner du sens à ce qu’il se passe et ce qu’il se passera autour de nous à un instant t. Pour Endsley (1995), ce processus se situe à un niveau symbolique ou sub-symbolique du traitement : ses composants sont conscients ou du moins accessibles à la conscience, c’est-àdire « conscientisables ». Figure 2.2 – Niveau de Conscience de la Situation (Endsley et al., 2003) Dans le modèle référence de la CS (Figure 2.2), le premier niveau constitue le socle fondé sur la perception des éléments pertinents de la situation. Au second niveau, ces éléments sont reliés entre eux pour permettre de comprendre la situation. Enfin, c’est sur la base de cette compréhension que des projections (i.e. anticipation) peuvent être effectuées sur l’évolution future de la situation (niveau 3). 62 Cyril Bossard La Conscience de la Situation Dans un premier temps, nous présenterons le modèle initial défini par Endsley (1995, 2000, 2006). Nous illustrerons cette perspective théorique, dans un second point, par une étude caractéristique de la CS. Enfin, le dernier point nous permettra de discuter de son intérêt pour l’étude de l’activité décisionnelle en sports collectifs. Comme l’explique Chalandon (2003), même si Endsley (1995) considère les trois niveaux comme fortement dépendants, le modèle renvoie à une approche essentiellement « linéaire ». Des divergences sensibles apparaissent dans la littérature sur la définition de la CS et sur les processus cognitifs impliqués. Parfois la CS est envisagée dans une perspective que nous qualifierons de « molle » car essentiellement centrée sur la perception immédiate de la situation, mais parfois le concept de CS embrasse de manière plus globale l’ensemble des processus cognitifs en situation dynamique. À travers une présentation du concept de CS et de son utilisation en situation dynamique, nous chercherons alors à nous positionner. 2.2.1 Concepts et Méthodes La proposition de Endsley (2006) peut être envisagée comme complémentaire du modèle RPD de Klein (1993). En outre, l’intérêt du modèle consiste à replacer le processus de prise de décision dans une approche générale du fonctionnement cognitif. L’une des avancées fondamentales du modèle de la Conscience de la Situation par rapport au modèle RPD consiste dans la proposition d’une articulation entre le fonctionnement cognitif présenté (processus) et le rôle des structures cognitives mobilisées (Mémoires). En effet, le modèle permet de replacer et de décrire le rôle joué par chaque structure cognitive dans l’élaboration de la CS (Figure 2.3). Nous proposons de décrire dès à présent cette articulation processus-structures. Tout d’abord, pour Endsley (2000), la conscience de la situation est liée aux buts poursuivis par la personne au cours de la situation. Deux types de processus sont alors envisagés pour les atteindre. L’auteur renvoie à la distinction classique (Richard, 1990) entre processus descendants (contrôle interne dirigé par les connaissances) et ascendants (contrôle externe dirigé par les données contextuelles). Dans le premier, les buts poursuivis par l’individu permettent d’activer les structures de connaissances à partir desquelles les éléments de la situation sont jugés pertinents. Dans le second, des données de l’environnement sont identifiées ce qui permet d’actualiser les structures de connaissance aux vues des objectifs visés ou bien de modifier ces dernières. L’alternance de ces deux types de processus permet le réajustement permanent des buts au cours de la situation dynamique par l’allocation de processus attentionnels différents. Le modèle de la CS considère le processus attentionnel selon deux niveaux : un traitement pré-attentif et l’attention en elle-même. Le traitement pré-attentif intervient en premier lieu sur les caractéristiques saillantes de l’environnement (modalité de traitement Cyril Bossard 63 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision Figure 2.3 – Modèle de la Conscience de la Situation d’après Endsley (1995) ascendant et en parallèle). Certaines propriétés comme la proximité spatiale, le mouvement, le déplacement d’objets ou d’autres personnes dans l’environnement (comme un partenaire au football) sont directement détectées : elles s’imposent au sujet (notion d’affordances, (Gibson, 1979). Ce traitement constitue le premier niveau (perceptif) dans le modèle de la Conscience de la Situation. L’attention proprement dite, consiste pour le sujet à focaliser sur des éléments de l’environnement directement en lien avec les buts et connaissances correspondant à la situation en cours. Autrement dit, l’expert développe des stratégies mettant en œuvre la MLT pour pallier les difficultés rencontrées : il se focalise sur des points pertinents de manière plus ou moins automatique. Dans le modèle de la Conscience de la Situation, la perception de l’information peut donc être dirigée par la mémoire de travail, en fonction du contenu de la mémoire à long terme. En effet, l’expérience répétée des acteurs dans un environnement dynamique développe des « attentes » d’informations spécifiques à ce dernier. Plus particulièrement, les experts d’un domaine sont en mesure de présupposer les caractéristiques, les localisations, et la nature des éléments de la situation. La perception est guidée par les structures de connaissances stockées au cours de l’expérience en mémoire à long terme. La perception est considérée ici comme une recherche active des indices pertinents que l’individu s’attend à percevoir. Les perceptions antérieures constituent donc un contexte permettant au sujet de connaı̂tre la probabilité d’occurrence de tel ou tel événement grâce aux expériences passées des contextes et d’événements semblables. Endsley (2000) se réfère à une conception de la Mémoire de Travail selon Cowan (1988). Dans cette perspective, la MT se définit comme les éléments activés consciemment 64 Cyril Bossard La Conscience de la Situation en MLT. Dès lors, la MT n’est pas à proprement parlé une structure, mais elle est envisagée comme le produit du continuum d’activation allant de la MLT jusqu’au focus attentionnel. De ce point de vue, les informations perçues peuvent être maintenues en mémoire à long terme de travail (MLTW) pour être associées aux connaissances du sujet en MLT. C’est cette association qui permet de se forger une image de la situation en cours (niveau 2). Enfin, les informations maintenues actives, sous le focus attentionnel, permettent de générer des projections futures et des décisions adéquates (niveau 3). Dans ce continuum d’activation (attention, perception, MT, MLT, décision), le rôle et le contenu de la Mémoire à Long Terme apparaı̂t central. Pour l’auteur, les catégories de connaissances stockées en mémoire à long terme permettent de contourner les limites attentionnelles, et les limites de la mémoire de travail. L’organisation en MLT d’informations associées par l’expérience constitue « un package » directement utilisable pour agir. Dans le point suivant, nous mettrons l’accent sur la théorie des schémas pour expliquer le rôle de l’organisation des informations en MLT dans la prise décision en situation dynamique (Figure 2.4). Pour mesurer la conscience de la situation, les chercheurs utilisent un large éventail de méthodes. Dans une revue de littérature consacrée aux techniques de mesure de la conscience de la situation, Salmon et al. (2006) comptabilisent ainsi 30 techniques différentes utilisées dans les 20 dernières années (p 229). Les auteurs regroupent l’ensemble de ces techniques en 7 grandes catégories : 1) les techniques d’analyse des conditions de la CS (questionnaires, entretiens libres et techniques d’analyse de la tâche) ; 2) les techniques « d’arrêt sur image » lors d’une simulation ; 3) les techniques en « temps réel » (questionnement durant l’exécution de la tâche) ; 4) les techniques a posteriori (principalement des questionnaires) ; 5) les techniques d’observation sur le terrain ; 6) les mesures de performance ; 7) les techniques d’identification de processus (les enregistrements oculaires et les techniques de pensée à voix haute). Chacune de ces techniques possède des avantages et des limites que les auteurs ont scrupuleusement détaillées. Nous renvoyons le lecteur à la publication de Salmon et al. (2006) pour un développement plus important de chaque technique. Notons également que la plupart des études sur la CS combinent deux ou plusieurs de ces différentes techniques. Enfin, nous pouvons également souligner l’originalité des protocoles de recherche utilisés par les chercheurs. Le concept de Conscience de la Situation étant apparu principalement dans le secteur aéronautique (Bellet et al., 2006), les travaux ont largement exploité les simulateurs de vol. Ces outils ont conduit les chercheurs à développer des techniques de recueil de données particulières. La technique la plus couramment utilisée est la méthode SAGAT (Endsley, 2006) pour Situation Awareness Global Assessment Technique (technique d’évaluation globale de la conscience de la situation). Cette technique consiste à arrêter la simulation à chaque point critique d’un scénario simulé et de questionner le sujet pour mesurer Cyril Bossard 65 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision avec précision sa conscience de la situation. Aujourd’hui cette méthode a été étendue à de nombreux domaines et différents auteurs lui accordent un haut degré de validité (Endsley, 2006; Jones et Kaber, 2004). Nous retrouvons ainsi de nombreuses études sur la conscience de la situation menées à partir de simulateurs dans le domaine de la conduite automobile (Walker et al., 2008; Bailly, 2004), de l’aviation civile (Chalandon, 2003), des centres de contrôle divers comme ceux des appels d’urgences (Blandford et William Wong, 2004) et du domaine militaire (Strater et al., 2001). 2.2.2 Des études en situation de travail Les études qui mobilisent le modèle de la CS, s’inscrivent dans une perspective assez traditionnelle de l’ergonomie cognitive. L’élaboration de la CS est considérée comme étant sous l’influence de facteurs liés aux caractéristiques de la tâche à réaliser et aux caractéristiques propres du sujet (structures disponibles en mémoire). La CS a plus particulièrement été mise à l’épreuve de situations dynamiques dans trois domaines d’expertise distincts : le pilotage d’avion, la gestion de missions par des officiers de l’armée de terre et la conduite automobile (pour une revue complète voir Endsley (2006)). Classiquement, ces études se sont attachées à déterminer les différences entre experts et novices quant à la construction d’une conscience de la situation face à des simulations (méthode SAGAT). De manière synthétique, les experts montrent, pour chaque domaine étudié, une capacité supérieure à regrouper différentes informations contextuelles. Ces derniers démontrent aussi une habileté à saisir rapidement la signification des informations perçues et à se projeter sur l’évolution de la situation. Cette habileté spécifique leur permettrait d’être « à la bonne place et au bon moment » sur le champ de bataille, à avoir des solutions prêtes à l’emploi dans le cockpit ou encore à éviter les routes hasardeuses en conduite automobile (Endsley, 2006). Pour l’ensemble de ces études, les résultats suggèrent ainsi que la conscience de la situation dépend principalement de l’expérience de l’opérateur et/ou de son rôle dans la situation. Les études en référence au modèle de la CS se sont surtout attachées soit à manipuler des facteurs externes pour identifier leurs influences sur la CS des individus, soit à identifier les différences entre experts et novices quant au niveau de CS dans une activité donnée (Endsley, 2006). Ce dernier point est illustré dans le travail mené par Randel et al. (1996). Dans une étude sur des opérateurs de la marine US, Randel et al. (1996) ont examiné la prise de décision et les différences de conscience de la situation entre experts et novices engagés dans une situation de travail simulée. 28 techniciens (9 experts, 13 intermédiaires et 6 novices) sont confrontés au même scénario de bataille navale. Placé face à un écran radar qui représente la zone de combat, l’opérateur doit déterminer l’identité exacte des différents 66 Cyril Bossard La Conscience de la Situation Figure 2.4 – C.S et prise de décision (Endsley, 1995), traduit par Bailly (2004) émetteurs de signaux (origine militaire ou commerciale). Il utilise un casque pour écouter les sons émis par les navires et reste en contact radio avec les autres opérateurs de la flotte et avec ses supérieurs. L’ordinateur peut fournir des aides à l’opérateur en suggérant une ou plusieurs possibilités d’identification pour un signal particulier. L’opérateur doit donc décider sur la base des informations fournies par l’environnement informatique, de ses connaissances de la situation et de son expérience, de donner les informations sur l’identité des signaux (navires hostiles, missiles, etc.) aux officiers supérieurs. L’écran et l’opérateur sont filmés, un logiciel permet d’extraire les interactions avec l’ordinateur, et les communications avec les officiers sont intégralement enregistrées. Les chercheurs utilisent trois types de mesure de la conscience de la situation. La première mesure consiste à demander au sujet de dessiner ce qui apparaı̂t à l’écran. Elle vise à solliciter la mémoire « visuelle » du sujet par la reconnaissance des relations entre les éléments (configurations spatiales). La seconde mesure est plus subjective, le chercheur interroge le sujet sur les informations contextuelles significatives autres que spatiales. Ces deux types de mesure sont effectués lors d’une pause au milieu du scénario et à la fin du scénario. La dernière mesure de la conscience de la situation est obtenue lors d’un entretien. À la suite de l’expérience, le chercheur mène un entretien sur la base de la méthode CDM ((Klein, 1993) ; voir 2.1.1, p 55) avec l’ensemble des sujets en suivant le décours temporel des scénarios. Selon les auteurs, l’entretien permet également de documenter la conscience de la Cyril Bossard 67 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision situation du sujet en obtenant des données sur les informations contextuelles (ce qu’il a vu et entendu) qui conduisent à choisir une action particulière pour chaque situation vécue. Durant cet entretien, le sujet renseigne également sur le niveau de pression temporelle ressentie pour chaque décision sur une échelle de 1 (très faible pression) à 4 (très forte pression). La « mesure visuelle » de la conscience de la situation montre que les experts sont meilleurs pour reconnaı̂tre les signaux émetteurs hostiles que les novices et les intermédiaires. La mesure subjective montre que les experts disposent de connaissances spécifiques sur la nature des émetteurs hostiles. Ils identifient de manière précise l’émetteur (i.e. les plateformes ennemies). Les verbalisations obtenues par l’entretien indiquent que les experts reconnaissent les situations et y associent une décision rapidement. Ils verbalisent les informations en plus grand nombre et prennent en compte plus de forces adverses. Ces derniers ressentent également moins de pression que les novices. L’ensemble de ces résultats suggèrent que les experts concentrent leur attention sur l’évaluation de la nature de la situation alors que les novices cherchent l’action pertinente à accomplir. Les auteurs expliquent également que les stratégies de reconnaissance de la situation sont conformes au modèle RPD (Klein, 1997) : 93% des décisions sont basées sur la reconnaissance de situation. Les experts ne font pas un gros effort pour décider face à la situation, la solution s’impose d’elle-même. L’analyse des verbalisations montre que les experts sont capables de fournir des descriptions très précises sur des éléments du contexte tels que la force ou la direction du vent. Les auteurs concluent que les experts ont développé un plus grand nombre de structures complexes en mémoire, ce qui leur permet d’avoir une conscience de la situation plus élaborée que les novices. L’ensemble des travaux menés à partir du modèle de la Conscience de la Situation concluent que l’expérience accumulée par les experts leur permet d’accéder plus rapidement aux éléments contextuels pertinents de la situation. De nombreux auteurs mettent en avant l’existence de structures spécifiques en mémoire à long terme facilitant la conscience de la situation : les scripts et les schémas (Cf. 2.3, p 70). 2.2.3 Conscience de la Situation et sports collectifs Si le concept de « Conscience de la Situation » trouve un écho favorable dans le champ de la psychologie cognitive ergonomique, le modèle défini par Endsley (1995) a aussi été la cible de nombreuses critiques. Dans la mesure où il n’existe pas à notre connaissance de travaux qui mobilisent le modèle de la CS pour étudier les situations sportives, nous abordons ici l’intérêt et les principales limites du modèle proposé par rapport à notre objet d’étude : l’activité décisionnelle en SiDyColl. 68 Cyril Bossard La Conscience de la Situation Dans un premier temps, nous pouvons regretter que les principaux auteurs abordent la CS comme un système de traitement de l’information. Cette démarche comporte le risque de considérer la CS comme une « boı̂te » supplémentaire dans la perspective classique du traitement de l’information, située entre l’attention et la prise de décision (Flach, 1995). Selon Chalandon (2003), cette approche de la CS peut être qualifiée de « contemplative ». La CS intervient de façon sérielle en amont de la prise de décision et n’intègre pas les possibilités d’actions. Ainsi les limites cognitives classiques qui s’imposent à l’élaboration de la CS sont les limites attentionnelles et les limites de la mémoire de travail, peu compatibles avec la rapidité des décisions prises en situation dynamique et collaborative comme c’est le cas des joueurs de football. Ensuite, le modèle de Endsley (1995) limite la conscience de la situation aux connaissances de l’individu sur l’état de l’environnement dynamique. Cette position théorique considère alors la CS à partir de l’évaluation normative des connaissances de l’individu. Ce point de vue apparaı̂t également restrictif dans le sens où il considère le contexte significatif comme externe à l’individu (Hoc, 2001). Or, nous pouvons considérer que la conscience de la situation renvoie à « tous les éléments qui sont significatifs du point de vue du sujet impliqué dans cette situation ». Dans le cadre des sports collectifs, la conscience de ce qui se passe autour du joueur varie selon le degré d’implication du joueur dans l’activité. Rappelons qu’au football, les joueurs doivent s’adapter à un contexte fluctuant, changeant, et évolutif. Certains événements peuvent être intelligibles ou significatifs d’un point de vue extérieur (pour l’observateur, l’entraineur, le partenaire), mais le joueur absorbé par sa propre activité peut momentanément être incapable de les percevoir, i.e. d’en avoir une certaine conscience. L’approche « classique » de la CS apparaı̂t bien paradoxale car si le sujet est placé au centre des préoccupations du chercheur, tout se passe comme si ce dernier évacuait l’autonomie de l’acteur en situation. Le concept de CS peut ainsi être revisité en imposant un changement de paradigme passant de la cognition centrée sur le sujet à l’étude du couplage dynamique entre l’individu et la situation. L’approche de la CS défendu par Flach (1995) définit la CS comme « la manifestation d’un couplage cognitif dynamique entre un acteur et une situation ». Refusant d’identifier la CS à un produit ou à une étape des processus cognitifs, la CS est identifiée comme une enveloppe qui structure la connaissance et le comportement permettant de répondre aux exigences de la situation (Flach, 1995). Cette approche est très différente de l’approche linéaire et prescriptive de Endsley (1995) car elle ne cherche pas à nier l’autonomie de l’individu mais à « l’éclairer » en explicitant les contraintes de l’environnement nécessaires à l’action efficace (Flach et Rasmussen, 2000). Les auteurs soulignent ici, que la CS permet à l’individu de « réduire la situation vécue aux possibilités d’agir ». La situation vécue exprime alors les informations contextuelles rencontrées ou anticipées par le sujet dans la réalisation de l’action au regard d’un but poursuivi. Cyril Bossard 69 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision Dans cette perspective, nous pouvons considérer que la situation telle qu’elle est vécue constitue la manifestation d’un couplage cognitif dynamique entre un acteur et une situation (Flach, 1995). Les situations vécues, racontées au travers des informations dont le sujet a conscience (CS) permettent de rendre compte, en partie, de l’évolution de l’activité du sujet face au contexte. La conscience de la situation (ou la situation vécue) met en avant la capacité du sujet à prendre en considération les caractéristiques changeantes de la situation, à absorber de façon dynamique les informations contextuelles. Parmi les multiples informations contextuelles, nous pouvons faire l’hypothèse (Flach et Rasmussen, 2000) que l’expert en sport collectif reconnaı̂t des invariants contextuels (configurations de jeu) auxquels il associe une réponse, une décision tactique. Ainsi, si le concept de CS retient notre attention, nous l’envisagerons, non pas dans le sens initial d’un état représentationnel de l’évolution d’un environnement externe, mais dans une acceptation plus ouverte : la CS doit pouvoir se concevoir comme un état du couplage sujet-situation. Malgré les nuances théoriques apportées au modèle de la Conscience de la Situation, nous considérons le concept de CS comme particulièrement intéressant pour l’analyse de l’activité décisionnelle en situation de contre-attaque au football. Finalement, pour nous, le concept de Conscience de la Situation « représente l’ensemble des éléments contextuels perçus et participant à la construction d’une signification pour le joueur à un moment donné et dans un contexte particulier ». L’activité du joueur peut alors être racontée, décrite à partir d’une succession de situations vécues qui traduisent l’évolution du contexte. Nous adoptons ainsi le point de vue défendu par Flach (1995), en donnant la priorité à l’interaction entre l’homme et l’environnement. En ce sens, le modèle de la CS (Flach, 1995) est complémentaire du modèle RPD uniquement centré sur la prise de décision. Si le modèle RPD met en avant l’activation d’un « package cognitif » pour décider vite et bien face à des situations dynamiques typiques, le concept de CS propose un lien entre l’individu et le contexte, en permettant de considérer son évolutivité par la succession des situations vécues (ou CS). Pour choisir la bonne action à réaliser, la principale condition nécessaire est alors la mise en correspondance entre certains invariants contextuels de la situation vécue et des invariants fonctionnels d’arrière-plan qui permettent d’agir : les schémas. 2.3 La théorie des schémas Le modèle RPD et le concept de Conscience de la Situation permettent d’envisager l’activité décisionnelle des experts comme un couplage sujet-situation. Dans cette perspective, l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative, ou décision tactique rapide, passe prioritairement par un processus de reconnaissance de la situation. La conscience de la situation désigne l’ensemble des éléments contextuels perçus et participant à la construction 70 Cyril Bossard La théorie des schémas dynamique d’une signification de la situation vécue. Cette posture théorique peut être complétée par la théorie des schémas. Cette dernière met en avant le rôle et l’adaptation des structures cognitives d’arrière-plan, c’est-à-dire l’activation et la reconstruction permanente de structures types (schémas) en fonction du contexte. 2.3.1 Concepts et Méthodes Bien que le courant de la NDM propose différents modèles pour expliquer les prises de décisions en situation dynamique et collaborative, tous s’accordent pour considérer le processus de reconnaissance de la situation comme central dans la prise de décision. Ce processus consiste à mettre en correspondance les patterns connus (configurations de jeu) avec des structures existantes en MLT. Ces dernières permettent d’interpréter, de donner du sens et de prévoir les événements à venir en situation dynamique. Ces structures sont regroupées sous le concept de schéma. Pour de nombreux auteurs se réclamant de l’approche NDM (Lipshitz et al., 2001; Ross et al., 2006; Endsley, 2006), l’activation de schémas permet aux experts de prendre des décisions rapides et pertinentes en situation dynamique. Reprenant l’idée princeps que les individus organisent et accumulent inconsciemment les informations d’expériences passées sous une forme abstraite (Bartlett, 1932; Minsky, 1975; Schank et Abelson, 1977; Rumelhart, 1984), les schémas sont considérés comme des ressources pour l’action, car ils orientent la perception et permettent de donner du sens à des groupes d’informations contextuelles (comme des configurations spatio-temporelles de jeu au football). Les schémas permettent à l’acteur de catégoriser de manière efficace les situations dans leur globalité (Frederico, 1995). L’individu est ensuite en mesure d’activer et de réutiliser ces schémas pour interpréter et répondre à de nouvelles situations (Rumelhart, 1984). Le modèle RPD et le modèle de la Conscience de la Situation leur attribuent ainsi une place importante. Pour Klein (1993), les schémas permettent de reconnaı̂tre la « typicalité » de la situation actuelle. Pour Endsley (2006), les schémas jouent aussi un rôle important dans l’élaboration de la CS. Les deux modèles font également référence aux « scripts » (Schank et Abelson, 1977). Les scripts sont des schémas appliqués aux activités sociales dans le sens où ils permettent de décrire des séquences appropriées à un événement dans un contexte particulier. De plus, pour Endsley (2006), les liens entre les schémas et les scripts facilitent la conscience de la situation. En effet, en cours d’action l’individu n’a pas à rechercher activement l’action à exécuter, car elle est automatiquement issue d’un enchaı̂nement de schémas au sein du script activé. Dans le cadre du football, les scripts pourraient décrire des séquences d’actions appropriées à une situation courante typique. En situation de contre-attaque, par exemple, un joueur de football expert serait en mesure d’activer automatiquement le schéma d’actions « se déplacer pour recevoir un centre » à la suite du schéma « passer le ballon dans la course d’un partenaire pour déborder ». Ces deux Cyril Bossard 71 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision schémas seraient associés au sein du même script « déséquilibrer la défense adverse en passant par le coté ». Si dans l’approche NDM les schémas sont évoqués de manière théorique par de nombreux auteurs (Lipshitz et al., 2001; Ross et al., 2006; Endsley, 2006), une seule étude à notre connaissance s’est employée à les identifier en situation naturelle (Piegorsch et al., 2006). En conséquence, peu de recommandations méthodologiques sont disponibles dans la littérature consacrée à l’approche NDM. Dans la présentation qui suit, nous serons particulièrement attentifs aux aspects méthodologiques. 2.3.2 Une étude en situation de travail L’étude récente de Piegorsch et al. (2006) est la première qui illustre la spécificité des schémas activés par des experts en situation dynamique dans la perspective de l’approche NDM. Les auteurs proposent une analyse de l’activité décisionnelle d’ergonomes experts lors d’interventions en milieu industriel dont l’objectif est de fournir des recommandations pour prévenir et contrôler les troubles musculo-squelettiques au travail. L’étude porte sur la comparaison de deux groupes d’ergonomes experts mais issus d’une formation différente (12 ingénieurs industriels et 9 psychothérapeutes). En utilisant la méthode d’analyse des incidents critiques (CDM, voir 2.1.1, p 55), les chercheurs ont recueillies des données verbales sur les situations d’intervention. Plus précisément, les entretiens sont menés à partir des évènements critiques. Le sujet est guidé par le chercheur dans le rappel de ces événements mais peut également intervenir à tout moment pour clarifier et commenter ce qui est significatif de son point de vue. Cette méthode donne ainsi accès à l’évolution du processus de décision du sujet en contexte naturel. Elle favorise la verbalisation des conditions responsables de la décision selon l’expert à travers les indices perçus comme pertinents dans la situation. Reprenant les principes de la théorisation ancrée, les données obtenues sont codées en utilisant une analyse qualitative inductive (Strauss et Corbin, 1998). L’analyse du contenu des discours permet de révéler des catégories conceptuelles qui sont figées à partir du moment où les données « saturent ». Ce point de saturation est défini comme le moment où dans l’étude, l’analyse des verbalisations ne permet plus la création de nouveaux concepts. Ce critère indique au chercheur que le recueil des données est complet (Piegorsch et al., 2006) (p 589). Dans cette étude, les auteurs évoquent la création d’un « codebook », une liste de codes associés aux catégories de données et définie a posteriori. Un concept (i.e. une catégorie empirique) doit être pertinent pour l’ensemble des sujets et l’ensemble des situations. Pour s’assurer de la fiabilité et de la validité des données sélectionnées et codées, le « codebook » est examiné par un chercheur extérieur à l’étude. L’analyse fait apparaı̂tre que les décisions sont prises à partir d’une articulation singulière 72 Cyril Bossard La théorie des schémas entre les contraintes de la situation et les ressources du sujet. Les résultats suggèrent que le schéma instancié surgit de l’interaction entre le praticien et les contraintes de la situation ce qui permet de guider le praticien dans ses décisions. Le schéma instancié est décrit comme un ensemble de variables contextuelles (issues de la situation) et internes (liées au trait de personnalité de l’ergonome) articulées entre-elles au cours du continuum de l’activité. Ces informations variées et reliées entre-elles renvoient à des éléments contextuels, des buts, des connaissances, et des attentes. Le regroupement des variables identifiées en contexte montre également que les ergonomes activent des schémas spécifiques similaires dans différentes situations qui présentent les mêmes caractéristiques (« situations stéréotypées »). Enfin, les résultats ne montrent pas de différences significatives entre les deux groupes d’ergonomes. Les auteurs concluent que l’homogénéité des décisions des ergonomes en situation dynamique s’explique davantage par leur expérience que par leur formation initiale. Les travaux de Piegorsch et al. (2006) démontrent ainsi l’intérêt du concept de schéma pour décrire l’activité décisionnelle d’experts au travers du couplage sujet-situation. L’articulation de variables issues de la situation vécue et des variables propres à l’expert permet de décrire un schéma spécifique. Ce schéma spécifique à la situation courante sert de filtre à l’expert pour prendre des décisions adaptées en situation dynamique. D’un point de vue méthodologique, l’approche par catégorisation empirique est très intéressante. Cette dernière permet de mettre à jour les structures types (les schémas) activées par des experts en situation naturelle. L’étude de Piegorsch et al. (2006) montre bien que ces structures types ne sont pas des structures « prescrites » par la formation des sujets (puisqu’ils sont ingénieur ou psychothérapeute) mais bien des structures qui évoluent et émergent dans l’interaction entre l’expert et la situation. Les schémas constituent donc des structures d’arrière-plan permettant de donner du sens aux composants d’un système complexe. Dans le domaine de la NDM, même si les chercheurs concluent généralement que l’activité décisionnelle en situation réelle est fortement orientée par des schémas (Lipshitz et al., 2001; Ross et al., 2006; Endsley, 2006), peu d’études se sont attachées à leur identification en situation naturelle. L’étude de Piegorsch et al. (2006) est ainsi la première étude à identifier les schémas activés par les experts en situation naturelle. Cette validation empirique constitue selon nous une évolution importante de l’approche NDM qu’il conviendrait de poursuivre. Aucune étude n’étant actuellement disponible dans le domaine des sports collectifs, cette voie nous semble intéressante pour décrire et comprendre l’activité décisionnelle dans les contextes fortement contraints (pression temporelle, complexité, évolutivité, fluctuation) des sports collectifs. Cyril Bossard 73 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision 2.3.3 Le rôle des schémas en situation dynamique Les scripts et les schémas ont rencontré un certain nombre d’oppositions quand ils étaient considérés comme des structures rigides d’informations ou de connaissances en MLT. D’autres auteurs ont montré depuis leur flexibilité : celle-ci tient de l’expérience du sujet (expertise) et du contexte dans lequel le schéma est activé (Piegorsch et al., 2006). Ainsi, dans le modèle de la Conscience de la Situation, la clef indispensable à l’utilisation d’un schéma, réside dans la capacité individuelle à reconnaı̂tre les éléments pertinents du contexte. Ces informations contextuelles significatives sont reliées aux caractéristiques du schéma participant ainsi à l’élaboration de la conscience de la situation. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que la situation vécue soit exactement la même que celle décrite par un schéma. En effet, quelques éléments contextuels typiques suffisent à instancier un schéma spécifique. Le schéma évoqué est celui qui correspond le mieux aux caractéristiques principales de la situation courante. L’avantage de cette évocation est que même si certaines informations ne sont pas disponibles dans la situation réelle, un schéma peut tout de même être activé sur la base de quelques informations contextuelles typiques. En somme, l’approche NDM considère que le processus de reconnaissance de la situation est facilité par l’évocation de schémas et de scripts (Lipshitz et al., 2001; Ross et al., 2006; Endsley, 2006). Les experts procèdent rarement par raisonnement. Les schémas sont directement activés en fonction de la situation rencontrée. Les informations contenues dans les schémas sont organisées de manière plus fonctionnelle que sémantique. C’est-à-dire qu’elles sont organisées par les contextes dans lesquels elles trouvent leur pertinence (Bastien, 1997) (p 38). Les schémas guident l’activité adaptative de l’expert et permettent des réponses plus rapides, plus adéquates et plus performantes. Dans cette perspective, Adams et al. (1995) montrent un rapport réciproque entre schéma et conscience de la situation. En effet les auteurs, en référence à une approche perceptionaction, proposent que la CS en tant que produit corresponde à l’état du schéma actuellement activé. Cette conscience de la situation est dynamique dans le sens où elle est mise à jour sans interruption. Elle est alimentée en continu par des informations contextuelles issues de la situation et les informations contenues dans le schéma (buts, connaissances, attentes, actions) (Mundutéguy et Darses, 2007). Cette perspective théorique montre bien l’évolution du concept de schéma. Ce dernier n’est plus aujourd’hui considéré uniquement comme un ensemble organisé de connaissances. Il doit être considéré comme une structure fonctionnelle et dynamique qui s’actualise dans le couplage sujet-situation. Dans le cadre du football par exemple, le schéma permet de décrire des classes de situations. Les experts d’un domaine disposeraient ainsi d’une variété de schémas. Dès lors, ils sont plus sensibles au contexte que les novices qui agissent souvent sur la base de connaissances logiques et de règles générales. 74 Cyril Bossard Les principaux apports de la NDM pour l’étude de l’activité individuelle 2.4 Les principaux apports de la NDM pour l’étude de l’activité individuelle Au cours des 20 dernières années, les modèles et concepts issus de l’approche de la décision naturelle ont acquis une certaine influence comme méthode d’explication de l’activité décisionnelle dans de nombreuses situations complexes. Ce courant de travaux a accumulé des observations dans la plupart des grandes situations à risques (pilotage, situations militaires, nucléaire, urgences médicales, etc.). Les auteurs montrent que la plupart des biais dénoncés dans les théories classiques de la décision humaine sont en fait sans réelle importance, ni pertinence en situation naturelle complexe et dynamique. L’activité décisionnelle est un processus continu, couplée à un environnement. Ce processus passe par des décisions partielles, plus ou moins pertinentes, mais qui dans le flot finissent en général par conduire à des résultats acceptables, compte tenu des marges des situations réelles. Dans bien des cas, la décision en contexte est pré-activée par des schémas. Ces structures d’arrière-plan guident la perception des éléments contextuels significatifs dans les situations vécues élaborant ainsi une conscience de la situation. Un processus de reconnaissance permet d’actualiser en continu le schéma et d’ajuster le comportement décisionnel à la pression temporelle et la complexité des situations dynamiques collaboratives. 2.4.1 Un cadre théorique L’approche NDM fournit un cadre théorique qui nous paraı̂t intéressant à exploiter pour étudier les décisions tactiques des joueurs en sports collectifs. De manière synthétique, celle-ci permet d’aborder l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative à partir des 3 principes suivant : 1. Contrairement au modèle du traitement de l’information (entrée-sortie), les modèles issus de l’approche NDM ne cherchent pas à prédire toutes les options possibles. Ces derniers cherchent à décrire l’activité décisionnelle des sujets experts en tant que processus finalisé (« process orientation »). Pour être valides, les modèles NDM doivent rendre compte des informations pertinentes de la situation pour l’expert (conscience de la situation), et exprimer la façon dont il les utilise pour décider au cours de l’action. 2. Pour l’approche NDM, les décisions sont prises à partir d’un processus de correspondance dans le couplage situation-action (« situation-action matching decision ») qui repose sur 3 aspects : (a) les options sont évaluées en une fois (évaluation holistique du potentiel au cours de l’action) ; (b) les options sont adoptées ou rejetées au regard de leur compatibilité avec la situation ; (c) Les experts utilisent la reconnaissance de configurations spatio-temporelles (mise en correspondance de patterns) au cours de Cyril Bossard 75 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision l’action pour pallier l’incidence de la pression temporelle. 3. Cette reconnaissance est basée à la fois sur l’expérience (situations antérieures semblables) et sur les informations issues du contexte. Les schémas sont des structures d’arrière-plans qui sont issues de l’expérience. Ils sont spécifiquement reliés à un domaine d’expertise et sensibles aux variations contextuelles (« context-bound informal modeling »). Comme nous l’avons vu, l’expérience permet de reconnaı̂tre et donc de mémoriser (de façon analogique et par forcément de façon logique) des structures profondes communes à plusieurs situations (notion de types chez Theureau (2004)). Ces structures d’arrière-plan seront pour nous des schémas typiques. Ces derniers constituent des blocs d’informations en mémoire à long terme qui une fois couplées au contexte permettent d’identifier une situation. L’explicitation de cette situation par l’acteur, ce qui est significatif pour lui, exprime la conscience de la situation (i.e. la situation vécue) à un moment donné du cours d’action. La conscience de la situation évolue, et l’activité peut être considérée comme une succession de situations vécues. 2.4.2 Un cadre méthodologique L’approche NDM préconise, d’un point de vue méthodologique, l’étude de l’activité décisionnelle des experts en situation naturelle. Ainsi, la compréhension de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative requiert des méthodes permettant de mettre en lumière les connaissances, les processus cognitifs et perceptifs en situation réelle. La plupart des recherches dans le domaine de la NDM utilisent des méthodes inspirées de l’anthropologie, de l’ethnographie, des sciences cognitives et de l’analyse du discours (Lipshitz et al., 2001). L’effort est porté en premier lieu sur la description du phénomène sans préjuger de ce qui est ou devrait être important à étudier. Ce type d’approche descriptive autorise le chercheur à examiner le phénomène dans son contexte naturel. Bien que les méthodes in situ dominent le champ de la NDM, d’autres méthodes comme la simulation peuvent être utilisées. Les observations menées sur le terrain sont cruciales dans les recherches NDM puisque les décisions sont encapsulées dans la situation et contribuent à sa construction. Les contraintes de l’environnement, les informations contextuelles perçues, le type de connaissance et d’habileté nécessaires pour répondre à cet environnement sont autant de variables à prendre en considération. Les méthodes utilisées pour obtenir les connaissances des experts incluent des entretiens directifs ou libres (Cohen et al., 1996; Klein et al., 1989), des analyses a posteriori d’incidents critiques (Lipshitz et Strauss, 1997), des protocoles de pensée à voix haute (Xiao et al., 1997) ou des entretiens d’autoconfrontation face à la vidéo (Omodei et al., 1997; Macquet et Fleurance, 2007). Certaines observations en temps réel impliquent des techniques 76 Cyril Bossard Les principaux apports de la NDM pour l’étude de l’activité individuelle ethnographiques (Dibello, 1997) telles que l’observation participante. Aujourd’hui, quelques études dans le domaine des sports collectifs investissent également les situations naturelles pour étudier l’activité décisionnelle des joueurs. Elles prennent pour hypothèse que seuls les éléments perçus comme significatifs pour le sujet affecteraient sa décision tactique. 2.4.3 Des pistes de recherches novatrices pour les sports collectifs Quelques travaux récents nous semblent proches ou compatibles avec l’approche NDM. Macquet (2001) a ainsi étudié les décisions des experts en Volley-ball en situation compétitive. L’auteur analyse les données comportementales et verbales obtenues à partir d’entretiens d’autoconfrontation. Dans le même ordre d’idée, Mouchet et Bouthier (2006) analysent la subjectivité des décisions tactiques au rugby en situation compétitive. L’originalité de cette recherche réside dans l’articulation de différents paradigmes scientifiques ainsi qu’un métissage intéressant de méthodes : analyse vidéo, entretien semi directif, et un bref rappel stimulé suivi d’un entretien d’explicitation. Dans les sports collectifs, les résultats de ces études contextualisées permettent de décrire une activité décisionnelle complexe, singulière et subjective. Macquet (2001) montre ainsi que les joueurs ne peuvent pas tout comprendre, ils se satisfont d’une compréhension suffisante pour décider et agir. L’activité décisionnelle fonctionne selon un mode planifié avec des adaptations en ligne, c’est-à-dire en action. L’activité décisionnelle du joueur et sa maı̂trise des situations sont fonction de la pression temporelle et de l’incertitude spatio-temporelle perçue. Mouchet et Bouthier (2006) observent également ce caractère flexible de la décision chez les experts au rugby. Les joueurs envisagent une possibilité englobante, ouverte, qui est ensuite spécifiée au regard d’indices significatifs qui s’imposent au sujet. L’auteur parle ainsi d’une « adaptation relative aux circonstances » (Mouchet et Bouthier, 2006). Ces travaux confortent l’idée selon laquelle, en sports collectifs, l’activité décisionnelle des experts repose sur l’activation de structures cognitives, les schémas, permettant à la fois d’associer une classe de situation et un choix typique (« en supériorité numérique, progresser vite ») et de spécifier ce choix en fonction d’éléments perceptifs spécifiques à chaque situation (« passe ou dribble en fonction de la distance à la cible »). De plus, ces résultats montrent une possible alternance entre une décision délibérée, en référence à une rationalité commune (plan de jeu ou culture commune) quand le temps le permet, et une décision émergente ou on line (Johnson, 2006) sous pression temporelle. Finalement, l’ensemble de ces travaux conforte l’intérêt d’étudier l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative en prenant en compte le couplage sujet-situation. Cyril Bossard 77 Chapitre 2 – Une approche contextualisée de la décision Les travaux issus de l’approche NDM à travers le modèle RPD, le concept de Conscience de la Situation et la théorie des schémas, proposent un cadre théorique et méthodologique intéressant pour étudier l’activité décisionnelle de l’expert dans son contexte naturel. Du point de vue individuel, nous défendrons ainsi l’idée que l’activité décisionnelle experte résulte de l’activation de schémas typiques par les éléments contextuels perçus et significatifs pour le joueur en situation de contre-attaque. L’approche NDM a également investi l’analyse de l’activité décisionnelle en équipe. Dans le chapitre suivant, nous présenterons le prolongement du cadre conceptuel de la « Naturalistic Decision Making » reformulé simplement par les auteurs : « Team Naturalistic Decision Making ». 78 Cyril Bossard Chapitre 3 Des approches pour l’analyse de l’activité collective L’approche TNDM, évolution, et intérêts pour la recherche dans les sports collectifs Résumé – Ce troisième chapitre présente un prolongement du cadre conceptuel de la « NDM » à l’équipe (« Team » NDM). L’approche TNDM considère que l’activité collective repose sur un processus de coordination des activités individuelles. Pour expliquer les coordinations entre les membres d’une même équipe, les auteurs ont longtemps étudié l’activité individuelle de chacun des membres du collectif. Àujourd’hui, ce point de vue tend à être abandonné au profit de perspectives qui abordent la relation entre l’individu et le contexte collectif. Ces perspectives récentes prennent pour unité d’analyse, soit le comportement global de l’équipe, soit l’articulation des activités individuelles. Ces propositions théoriques et méthodologiques constituent des ressources pour appréhender l’étude de l’activité collective en situations sportives. Après avoir discuté de leur pertinence face à l’exigence des situations sportives collectives, ce chapitre aboutit à nos principales hypothèses de recherche pour l’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative. Cyril Bossard 79 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective Introduction Les études recensées jusqu’à présent permet de caractériser l’activité décisionnelle comme une adaptation individuelle au contexte (Chapitres 1 et 2). Plus particulièrement, nous avons souligné la capacité des experts à répondre rapidement à la pression temporelle tout en s’adaptant à la complexité des contextes. Cependant, cette complexité contextuelle inhérente aux situations dynamiques et collaboratives tient également à sa dimension collective. La décision tactique en sports collectifs est non seulement une décision rapide, mais encore une décision sous influences : les joueurs reçoivent des informations (ou des leurres) de leurs partenaires et de leurs adversaires. Ce constat amène à considérer comme centrale la dimension collective de la décision tactique en sports collectifs. Cette dimension collective a surtout été abordée, dans le domaine du sport, à travers l’étude des groupes dans une approche psychosociale (pour une revue complète voir Buton et al. (2006)). Plus précisément, c’est la relation entre le niveau de cohésion et la performance de l’équipe qui constitue le « catalyseur de toutes les recherches » (Buton et al., 2006). La prise en compte du caractère collectif de la décision, dans une perspective ergonomique, est un objet d’étude qui suscite actuellement un regain d’intérêt en psychologie du sport (Eccles et Tenenbaum, 2004; Fiore et Salas, 2006; Ward et Eccles, 2006) même si à ce jour, peu de travaux empiriques sont disponibles (Rentsch et Davenport, 2006). Cette absence de travaux empiriques nous amène à prendre appui sur des études issues d’un domaine de recherche connexe, celui de la psychologie du travail. Dans l’analyse des situations de travail en équipe, l’activité collective est abordée à partir de l’étude du processus de coordination des activités individuelles (Bourbousson et al., 2008). Ainsi, dans la continuité du cadre théorique de la NDM, l’approche TNDM (Salas et al., 2006) appréhende ainsi la coordination des membres de l’équipe. Le point de vue adopté par cette approche conduit à étudier l’activité collective à partir de l’analyse des activités des individus. La présentation de cette approche TNDM nous conduira à montrer que ses propositions sont insuffisantes pour appréhender la dimension collective de la décision tactique. Nous interrogerons alors d’autre points de vue développés dans l’analyse de l’activité collective en situation de travail. Nous examinerons chacun d’eux en portant une attention particulière à la façon dont ils abordent la relation entre l’équipe et le contexte. Nous chercherons plus particulièrement à identifier comment ils ont étudié les coordinations d’actions au sein d’une équipe et comment ils les expliquent. Ce chapitre est organisé en cinq points. Dans un premier temps, nous présentons le cadre conceptuel de la « Team Naturalistic Decision Making » habituellement exploité pour analyser des équipes de travail en ergonomie cognitive (Cannon-Bowers et al., 1998). Dans un second point nous examinerons une approche 80 Cyril Bossard L’approche TNDM holistique de l’activité collective (Cooke et al., 2007). Dans un troisième temps, nous convoquerons un troisième point de vue sur l’activité collective à travers les propositions de l’approche de la cognition située (Jeffroy et al., 2006). Dans un quatrième point, nous proposerons les implications de ces trois points de vue pour l’étude des sports collectifs, illustrées par quelques études. Enfin, l’analyse de cette évolution récente de la recherche sur la décision dans les situations dynamiques collaboratives nous conduira dans un dernier point à la formulation de nos hypothèses de recherche concernant deux niveaux d’analyse : l’activité individuelle et l’activité collective dans les SiDyColl. 3.1 3.1.1 L’approche TNDM Objectifs, Concepts et Méthodes L’approche TNDM vise la compréhension de l’efficacité des équipes expertes (pour une revue récente, voir Salas et al. (2006)). L’équipe experte est définie comme un ensemble d’individus interdépendants. Chacun des membres de l’équipe est considéré comme un composant singulier qui se caractérise par un certain niveau d’expertise dans son domaine (connaissances, habiletés, expérience). Les membres de l’équipe s’adaptent, se coordonnent et coopèrent, ce qui leur permet d’assurer un fonctionnement collectif durable (viable) et de produire de manière répétitive des performances de haut niveau (Salas et al., 2006). Pour étudier les coordinations d’actions au sein d’une équipe experte, l’approche TNDM suggère d’analyser l’activité de chaque membre de l’équipe. Le point de vue défendu ici est que les ressources cognitives individuelles permettent de coordonner les actions des membres de l’équipe. La compréhension des coordinations s’effectue alors au travers des connaissances, des représentations, des modèles communs à chacun des individus. D’un point de vue théorique, l’approche TNDM considère que chaque individu construit sa propre représentation de la situation collective. Cette représentation est nourrie d’éléments concernant son propre fonctionnement mais aussi celui de l’équipe, de chaque partenaire et éventuellement d’un système technique médiateur (écrans de contrôle, etc.). L’hypothèse principale soutenue ici est que cette représentation fonctionnelle peut être suffisamment partagée par les membres de l’équipe pour conduire à des coordinations d’actions opportunes, efficaces et fluides. Cette notion de partage est au cœur des nombreux modèles et concepts avancés par la TNDM pour expliquer l’activité collective : modèle mental partagé, cognition partagée, conscience partagée de la situation, schémas partagés par les membres de l’équipe. Bien que ces concepts puissent être différenciés du point de vue de leurs origines théoriques, tous les auteurs les définissent comme des structures cognitives. Le contenu de ces structures (connaissances, informations, buts) varie également en fonction du concept mobilisé. Les Cyril Bossard 81 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective chercheurs du courant TNDM visent en général l’identification de la part de ce contenu commune aux membres d’une équipe. Le concept de « modèle mental partagé » (MMP), par exemple, a fait l’objet de nombreux développements dans la littérature sur l’activité collective. Il constitue une extension du concept de « modèle mental » de l’individu, à l’équipe. À l’origine, proposé par CannonBowers et al. (1996) pour décrire les structures cognitives individuelles, les modèles mentaux sont des structures de connaissances organisées qui permettent de décrire, d’expliquer, et de prédire des comportements. Les informations contenues dans le modèle mental donnent accès à un ensemble de connaissances (et/ou de croyances) ainsi qu’aux relations entre ces connaissances. En outre, comme le modèle mental d’un individu reflète sa perception et sa compréhension de la réalité, il varie sensiblement en termes de précision et de cohérence d’un individu à l’autre. Quand les membres d’une équipe organisent leurs connaissances liées à la tâche, aux différents équipements à disposition, aux rôles, aux buts, et aux habiletés de la même manière, ils partagent des modèles mentaux. Ces modèles mentaux partagés (MMP) permettent, par la suite, aux membres de l’équipe d’anticiper les actions des autres membres, de répondre à leurs besoins, et par conséquent de coordonner implicitement leurs comportements pour assurer l’efficacité de l’équipe. La littérature sur les modèles mentaux partagés (ou d’équipe) distingue classiquement deux types de modèles mentaux susceptibles de réguler les coordinations d’actions entre membres d’une équipe : les modèles mentaux sur la tâche à accomplir et les modèles mentaux sur le travail d’équipe (Cooke et al., 2004). D’une part, les MMP sur le travail d’équipe (« teamwork mental models ») permettent donc d’améliorer la compréhension du fonctionnement de l’équipe. Les membres d’une équipe disposent de connaissances générales sur leurs partenaires : leurs connaissances, leurs croyances, leurs habitudes, leurs préférences, leurs habiletés, leurs attitudes, leurs forces et faiblesses. Ils utilisent et mémorisent aussi des connaissances sur les interactions entre membres de l’équipe : les buts, les rôles et les responsabilités de chacun dans le fonctionnement de l’équipe. D’autre part, les membres d’une équipe doivent également assurer une bonne compréhension de la tâche qu’ils ont à accomplir (« taskwork mental model »). Le contenu de ce modèle mental décrit et organise les connaissances sur la manière d’accomplir la tâche collective. Le contenu partagé entre les membres de l’équipe renvoie aux procédures collectives à engager, aux stratégies liées à la tâche, aux problèmes pouvant survenir, et aux conditions environnementales. Les MMP mobilisent aussi des connaissances sur la technologie (ou l’équipement) avec laquelle ils interagissent. L’approche TNDM suggère que ces deux types de structures cognitives (modèles mentaux de l’équipe et de la tâche) jouent un rôle primordial dans la coordination des actions efficaces et régulières en situation dynamique collaborative. Les membres de l’équipe utilisent alors le contenu de ces modèles mentaux (i.e. les connaissances préexistantes) pour coordonner 82 Cyril Bossard L’approche TNDM leurs comportements en situation de travail collectif. L’efficacité de l’activité collective est susceptible d’être expliquée par le degré de similarité des modèles mentaux (de la tâche ou du fonctionnement de l’équipe) des différents membres d’une équipe. Plus particulièrement, c’est la similarité du contenu (les connaissances générales et/ou spécifiques) et de la structure (relations entre ces connaissances) des modèles mentaux qui constitue l’objet de recherche (Cannon-Bowers et al., 1998). La précision des modèles mentaux partagés influencerait également l’efficacité des équipes en situation collective. En effet, deux membres d’une équipe peuvent avoir une vision similaire de la tâche à accomplir mais plus ou moins précise dans la manière d’aboutir à l’objectif. Ceci peut conduire à des dissonances dans la coordination des actions de chacun d’eux. En conséquence, l’activité en situation collective est principalement étudiée du point de vue des activités cognitives individuelles. Le courant de la TNDM a accumulé un important volume de travaux sur la compréhension de l’efficacité des équipes expertes (Mathieu et al., 2000; Lim et Klein, 2006; Cooke et al., 2007). D’un point de vue méthodologique, les chercheurs ont principalement utilisé des protocoles de recueil de données des activités individuelles (pour une revue voir Cooke (1999); Cooke et al. (2004, 2007). En continuité avec les travaux sur les « bases de connaissances », des méthodes qualitatives d’analyse de contenus permettent d’extraire les connaissances d’un expert (ou d’une équipe experte) confronté à une tâche représentative de son domaine (simulation, situation réelle). On recueille des données verbales (parfois complétées par des données d’observation) par les différentes formes d’entretiens (libres, dirigés, semi-dirigés), les questionnaires, les méthodes de traçage de processus (recueil de verbalisations concomitantes ou consécutives), ou encore des méthodes dites « conceptuelles » (représentation des concepts d’un domaine et de leurs relations). Cette dernière reste la méthode la plus courante pour identifier la structure et le contenu d’un modèle mental. Elle consiste à présenter une liste de concepts (qui représentent des connaissances) à chaque membre d’une équipe puis à demander aux sujets de décrire les relations (i.e. les liens de parenté) entre ces concepts (Stout et al., 1999; Mathieu et al., 2000; Marks et al., 2002). De cette manière, le sujet restitue un réseau de relations entre différentes connaissances : un modèle mental. La comparaison des réseaux de chaque membre de l’équipe permet de restituer le modèle mental partagé au sein de l’équipe. Une analyse quantitative complète alors l’analyse qualitative. Il est possible de comptabiliser les relations entre deux connaissances pour l’ensemble des sujets afin de déterminer le poids (ici, numérique) de cette relation. La particularité de l’analyse en situation collective (versus analyse de l’activité en situation individuelle) est alors principalement une particularité méthodologique qui tient aux mesures et aux traitements statistiques des données individuelles recueillies pour mettre à jour la dimension partagée des modèles mentaux à partir d’une procédure essentiellement « additive » (Cooke et al., 2007). À l’aide de l’une ou l’autre de ces méthodes, les études issues de l’approche TNDM ont testé les effets des modèles mentaux partagés sur la performance des équipes Cyril Bossard 83 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective expertes. Dans un premier temps, les études ont surtout documenté les effets des modèles mentaux liés au fonctionnement de l’équipe (Smith-Jentsch et al., 2001; Levesque et al., 2001). Aujourd’hui, on constate une évolution des préoccupations avec la volonté d’étudier de concert les connaissances partagées en rapport avec le fonctionnement de l’équipe et en rapport avec la tâche de travail (Rentsch et Klimoski, 2001; Cooke et al., 2003; Lim et Klein, 2006). L’étude de Lim et Klein (2006) constitue un exemple typique d’étude des modèles mentaux partagés en situation collective. 3.1.2 Une étude typique des MMP Lim et Klein (2006) ont examiné la relation entre la similarité et la précision des modèles mentaux partagés et la performance d’équipes en situation naturelle. 71 équipes militaires (de 4 à 8 membres) des forces armées de Singapour ont participé à l’étude. Le recueil des données est effectué en deux temps. Dans un premier temps, après une formation identique de 10 semaines, les auteurs collectent des données concernant les modèles mentaux liés à la tâche et liés à l’équipe, chez 548 membres d’équipe et chez 3 sujets experts. Pour évaluer le modèle mental de chaque membre d’une équipe, on demande au sujet de juger le lien de parenté entre 14 concepts correspondant à la tâche et 14 concepts correspondant au fonctionnement de l’équipe. Le sujet estime ainsi le lien de parenté de 2×91 paires de concepts en utilisant une échelle de réponse allant de 1 (complètement indépendant) à 7 (fortement relié). Cette procédure est également utilisée avec les 3 sujets experts afin de définir avec précision les modèles mentaux « experts » de la tâche et de l’équipe. La précision des liens de parenté est déterminée à partir des moyennes obtenues par le classement des experts. Dans un second temps, trois semaines après la première collecte, les équipes participent à une évaluation où 24 officiers supérieurs évaluent la performance au combat de chaque équipe à partir de 6 tâches militaires. Pour établir les modèles mentaux de la tâche et de l’équipe pour chaque sujet, les auteurs utilisent une technique d’évaluation structurelle appelée Pathfinder (Schvaneveldt, 1990). Cette technique permet de représenter graphiquement le réseau de parenté entre les 14 concepts à partir des réponses du sujet. Un nœud représente un concept et l’arc représente la relation entre deux concepts. Pathfinder permet également d’avoir une représentation de la proximité entre deux concepts à partir du poids (numérique) de leur relation. Pour obtenir la similarité du modèle mental d’un membre de l’équipe, on calcule la proportion de liens communs avec les autres membres de l’équipe sur la totalité des liens existants. À partir des scores de similarité de chaque membre de l’équipe, on calcule la moyenne des similarités des modèles mentaux des membres de l’équipe. La même procédure est employée pour déterminer le score de similarité des modèles mentaux de la tâche et de l’équipe. Pour obtenir la précision des modèles mentaux partagés par les membres 84 Cyril Bossard L’approche TNDM de l’équipe, on compare la moyenne du modèle mental des trois experts avec la moyenne du modèle mental de chaque membre. Cette comparaison permet d’obtenir un indice de précision. En moyennant les indices des membres de l’équipe, on obtient le score de précision de l’équipe. Pour tester leurs hypothèses, les auteurs mènent une série d’analyses statistiques de corrélation et de régression hiérarchique. Les résultats montrent principalement que les équipes dont les membres structurent et organisent leurs connaissances de la même manière ont plus de facilité à coordonner leurs activités. La similarité des modèles mentaux relatifs à la tâche ou relatifs à l’équipe est bien prédictrice de la performance collective. Ainsi, quand les membres de l’équipe sont d’accord sur les priorités et les stratégies à adopter (modèle mental partagé au sein de l’équipe), l’équipe est plus performante durant la tâche. Les résultats suggèrent également que la précision du modèle mental a une influence sur la performance de l’équipe. Les équipes dont la moyenne des modèles mentaux était la plus proche de celle des modèles mentaux des experts avaient des performances plus élevées que les équipes dont la moyenne était plus éloignée. Les auteurs avancent que les équipes dont les modèles mentaux (équipe et tâche) étaient plus précis, utilisent des stratégies plus efficaces que les autres. Cette étude montre ainsi que les membres d’une équipe experte partagent des connaissances similaires et précises. Ces connaissances partagées permettent de coordonner les actions des membres de l’équipe durant la tâche collective. Les résultats obtenus par Lim et Klein (2006) sur la précision et la similarité des modèles mentaux confirment ceux obtenus antérieurement en situation de simulation de maintenance de char (Minionis et al., 1995), de combats aériens (Mathieu et al., 2000) ou encore de missions en hélicoptère (Marks et al., 2002). 3.1.3 Limites et Discussion de l’approche TNDM La perspective théorique TNDM permet de décrire une forme d’activité collective que nous qualifierons de « prescriptive » entre les membres de l’équipe. La coordination des membres de l’équipe s’explique principalement par une organisation commune et en amont des rôles et responsabilités de chacun des membres de l’équipe (modèle mental partagé du travail d’équipe et de la tâche). Cette structuration des connaissances sous forme de modèle mental permet de produire des attentes mutuelles entre les individus en situation. La coordination des activités individuelles est régulée sur la base de prédictions sur les comportements et besoins (attentes) du ou des partenaires, à partir du contenu (les connaissances) de ces modèles mentaux. L’approche TNDM prolonge ainsi à l’échelle du collectif l’approche des bases de connaissances individuelles. Les modèles mentaux constituent une base de connaissances partagées. Cette base de connaissance est répartie dans les Cyril Bossard 85 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective composants du collectif (chaque individu) de la même façon que les connaissances individuelles sont réparties dans différentes structures en Mémoire à Long Terme. En situation collective, les individus se réfèrent à un modèle mental construit collectivement et disponible. Ce modèle permet de donner rapidement du sens aux actions des autres membres de l’équipe. Bien que le courant de la TNDM soit abondamment exploité dans l’étude des situations de travail en équipe, cinq principales limites méthodologiques et théoriques peuvent être soulevées. D’un point de vue méthodologique, les mesures utilisées visent l’accès à cette part collective des bases de connaissances et peuvent être qualifiées « d’agrégatives » (Cooke et al., 2007). La plupart d’entre-elles agrègent les résultats sur les connaissances partagées entre les membres d’une équipe à partir d’un questionnement individuel. Cette orientation méthodologique (i.e. processus d’agrégation des cognitions individuelles) peut être remise en question sur deux points : les mesures utilisées et le protocole de recueil des données. La première limite que nous souhaitons mettre en exergue relève de la procédure d’agrégation des données. Cette dernière assume implicitement à travers les tests statistiques (nombre et moyenne des liens communs) que tous les membres de l’équipe disposent de structures et de connaissances semblables. En d’autres termes, l’équipe est ici considérée comme une composition d’éléments homogènes. Selon nous, cette notion d’homogénéité des activités individuelles dans les équipes doit être nuancée. Dans le cadre des sports collectifs, les membres de l’équipe occupent des rôles différents, ce qui implique des connaissances, des habiletés et des attitudes spécifiques. À l’instar de Mouchet et Bouthier (2006), nous considérons plutôt les individus, par nature, dans leur hétérogénéité bien qu’ils puissent se retrouver en partie dans une activité commune. Les éléments significatifs pour un joueur, à un moment donné dans la situation en cours, peuvent s’étudier à différents niveaux, et l’activité décisionnelle combine sans doute des éléments subjectifs à la fois personnels et partagés. En d’autres termes, l’hétérogénéité des membres d’une équipe n’exclut pas une certaine homogénéité au niveau de l’activité collective déployée (les coordinations d’actions). Ce que nous souhaitons souligner ici, c’est que la coordination des actions en situation collective peut recourir à une complémentarité dans les connaissances spécifiques mobilisées par chacun des membres d’une équipe. Les méthodes jusqu’à présent utilisées par la TNDM ne permettent pas de rendre compte de la complémentarité des connaissances mobilisées au cours de la situation. La compréhension des coordinations d’actions des membres d’une équipe nécessite d’interroger à la fois les caractères hétérogène et homogène des activités individuelles à travers, par exemple, les connaissances mobilisées. Finalement, cette dialectique hétérogénéité/homogénéité n’est-elle pas une contradiction essentielle à résoudre en situation collective ? 86 Cyril Bossard L’approche TNDM Une seconde limite renvoie aux statistiques associées aux représentations graphiques obtenues à l’aide de logiciels tels que « Pathfinder » (Lim et Klein, 2006). Ce type de procédure statistique ne permet pas d’évaluer le rapport de causes à effets perçu de manière implicite dans les modèles mentaux des sujets. Les liens entre les nœuds dans le réseau Pathfinder sont basés sur des estimations de parenté (i.e. de similarité) et non de causalité. Dès lors, ils ne permettent pas d’expliquer les conditions qui unissent les concepts. Or c’est bien la relation entre les informations mobilisées par les membres de l’équipe qui permet d’expliquer la compréhension partagée d’une situation entre les membres d’une équipe. Bien que la notion de modèle mental d’équipe ou partagé ait dominé la recherche sur l’activité collective, de nombreux auteurs reconnaissent aujourd’hui que les modèles mentaux de l’équipe sont plus complexes (Gorman et al., 2006). Les membres de l’équipe n’ont pas nécessairement des structures de connaissances isomorphes (identiques), mais possèdent certainement une part d’informations partagées et une autre part d’informations contextualisées et individualisées ou spécifiques (basées sur leurs rôles distinctifs) au sein des structures cognitives actives (Kozlowski et Ilgen, 2006). La troisième limite renvoie aux méthodes conceptuelles comme celles utilisées dans notre exemple typique (Lim et Klein, 2006) pour établir les modèles mentaux des membres d’équipe militaire. Ces méthodes sont limitées pour mettre à jour les connaissances effectivement mobilisées. La liste des concepts à relier est définie a priori par les chercheurs (ou par des experts du domaine) à l’aide de questionnaires par exemple. Il s’agit donc d’un point de vue externe prédéterminé et indépendant de l’équipe agissante. Nous réitérons ici, au niveau de l’équipe, les limites du point de vue épistémologique adopté par une approche cognitiviste individuelle (Chapitre 1, p 29). De notre point de vue, il n’existe pas de monde objectif, prédéfini et commun à des individus ou des équipes. Plusieurs auteurs ont déjà caractérisé cette première approche TNDM de l’activité collective comme fondamentalement « cognitiviste » (Theureau, 2006; Salembier et Zouinar, 2006; Cooke et al., 2007). La quatrième limite que nous avons identifiée est du même ordre d’idée. L’approche TNDM offre, selon nous, une vision statique des connaissances sur l’état du système, notamment parce que les protocoles utilisés interrogent les membres de l’équipe en dehors de l’action. Les modèles mentaux identifiés et les connaissances qui les composent sont obtenus en dehors de la situation même si les sujets sont questionnés dans leur contexte d’évolution (sur le terrain). Les connaissances extraites apparaissent alors générales, ce qui engendre un doute sur leur mobilisation effective en situation collective réelle. Nous avons déjà signalé que les situations dynamiques et collaboratives se caractérisent par une forte dynamique (qualifiée d’externe), c’est-à-dire qu’elles produisent des états d’environnement dynamiques auxquels les connaissances statiques et générales (modèles mentaux) ne peuvent répondre. Cyril Bossard 87 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective D’un point de vue individuel, l’approche NDM fait état de la reconstruction permanente des structures d’arrière-plan (schémas) face aux situations dynamiques et collaboratives (voir 2.3, p 70). On peut regretter que ce point de vue qui met en avant la construction de connaissances à partir de la complexité du contexte ne soit pas prolongé au niveau de l’activité collective. Enfin, le dernier écueil concerne la manière d’aborder l’objet d’étude. Cette approche semble perdre de vue l’essence de l’activité collective. Si l’on considère l’activité collective comme un phénomène émergent, c’est-à-dire comme le résultat des coordinations entre membres de l’équipe, les mesures additives apparaissent rapidement insatisfaisantes. Ces dernières minorent la part d’adaptation issue des interactions entre membres de l’équipe. La coordination des activités individuelles n’est pas étudiée pour elle-même, en tant que processus. Les études TNDM l’envisagent comme « le résultat » du partage des connaissances entre membres de l’équipe (Lim et Klein, 2006). La notion de coordination est assimilée à celle de performance. Par conséquent, ces études ne peuvent rendre compte d’éventuelles formes de coordinations différenciées ou typiques au sein d’une même équipe. Figure 3.1 – Approche cognitiviste de l’activité collective d’après Cooke et al. (2007) Sur la base de ce cadre théorique, largement développé en psychologie cognitive ergonomique et complété par des supports empiriques nombreux, nous concluons que l’approche TNDM (à travers le concept de modèle mental partagé) permet principalement de capturer la 88 Cyril Bossard Une approche holistique de l’activité de l’équipe structure des relations entre les connaissances générales de l’équipe (relatives à la tâche et au fonctionnement de l’équipe). Finalement, cet aspect de l’activité collective en situation de travail se rapproche de la dimension stratégique associée aux sports collectifs (voir Chapitre 1, p 29). Nous considérons cet aspect comme intéressant (dans sa dimension prédictive, plus que prescriptive) mais insuffisant pour éclairer le processus de coordination des actions mis en jeu lors des situations naturelles. Nous retiendrons de ces études que les modèles mentaux partagés peuvent constituer des structures d’arrière-plan qui influencent la coordination des membres d’une équipe en situation. Cependant, cette approche minore l’incertitude inhérente aux situations dynamiques collaboratives et à leur évolutivité. Elle ne peut rendre compte d’un ajustement de la base de connaissances partagées lors des situations dynamiques et collaboratives. Ces principales limites renvoient à une prise en compte restreinte du contexte et de la dynamique de réalisation de l’activité collective. Cette dernière s’explique principalement par la somme des activités individuelles sur fond de compréhension partagée de la situation (Gorman et al., 2006; Cooke et Gorman, 2006; Cooke et al., 2007). Finalement, l’approche TNDM est une approche « individu-centrée » qui s’intéresse à l’équipe. Le comportement collectif comme objet d’étude n’est qu’une conséquence ou la synthèse de l’activité des différents individus (3.1, p 88). Récemment, des chercheurs ont initié une évolution de cette perspective théorique (approche THEDA) les conduisant à changer de point de vue sur l’activité collective (Cooke et al., 2007). 3.2 Une approche l’équipe holistique de l’activité de Considérant les limites théoriques et méthodologiques de l’approche « cognitiviste » de l’activité collective (TNDM), une nouvelle approche a récemment été proposée pour l’étude des situations dynamiques et collaboratives : l’approche THEDA (pour « Team Holistic Ecology and Dynamic Activity », (Cooke et al., 2007)). L’approche THEDA vise à décrire et expliquer les coordinations entre les agents de manière globale ou « holistique ». On peut identifier les influences de trois paradigmes ou modèles théoriques à l’origine de ce changement de point de vue : la cognition distribuée (Hutchins, 1995), la psychologie écologique (Reed, 1996), et la théorie des systèmes dynamiques (Alligood et al., 1996). Ces trois perspectives théoriques considèrent en effet l’activité collective comme émergente par opposition à une approche agrégative. Les études se focalisent sur les interactions dynamiques entre membres de l’équipe plutôt que sur les structures de connaissances individuelles (ex : modèles mentaux). Ce sont les mécanismes du collectif par lesquels l’équipe dans son ensemble est structurée qui constituent l’objet d’étude. La figure 3.2 (p 90) schématise ce point de vue sur l’activité collective. Cyril Bossard 89 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective Figure 3.2 – Approche THEDA de l’activité collective d’après Cooke et al. (2007) Cette évolution des préoccupations peut être caractérisée par le passage d’une vision centrée sur les connaissances à une vision centrée sur les processus (Cooke et al., 2007). Comme l’expliquent Gorman et al. (2006), les règles et mesures agrégatives deviennent inappropriées pour l’analyse de l’activité collective où s’opère une distribution hétérogène des connaissances et des habiletés à travers les membres de l’équipe. L’activité collective nécessite aujourd’hui de considérer ce phénomène et son fonctionnement de manière unitaire et dynamique. Plus précisément, d’après Cooke et al. (2004), l’effort de recherche doit être porté conjointement sur un plan théorique et méthodologique. D’un point de vue théorique, l’étude holistique de l’activité décisionnelle pour les situations de travail en équipe doit : prendre en compte la dialectique homogénéité/hétérogénéité, intégrer le caractère dynamique et fugace de la construction des connaissances en situation par opposition à des connaissances statiques et générales, accéder aux types de connaissances effectivement mobilisées et les identifier, et enfin, souligner la dimension incarnée de la cognition en contexte collectif. Sur un plan méthodologique, ces orientations doivent s’accompagner : d’un développement des mesures holistiques plus qu’additives, de méthodes permettant l’identification des processus et des connaissances à l’œuvre en situation naturelle, d’une réflexion sur la validité des mesures utilisées (répétition des tâches collectives, critères de performance). L’ensemble de ces principes énoncés par les auteurs à l’origine de l’approche THEDA (Cooke et al., 2007) traduit, selon nous, un véritable changement de point de vue sur l’activité collective en situation dynamique et collaborative. Cette évolution théorique et méthodologique s’opère en deux mouvements. Le premier mouvement consiste à étendre le concept de cognition partagée à celui de cognition distribuée en référence aux travaux effectués 90 Cyril Bossard Une approche holistique de l’activité de l’équipe par Hutchins (1995). Le second mouvement met l’accent sur le processus de coordination des activités individuelles, considéré dorénavant de façon unitaire et dynamique à partir des principes de l’approche écologique (Reed, 1996) et des systèmes dynamiques (Alligood et al., 1996). 3.2.1 Une extension de la cognition partagée à la cognition distribuée Le courant de la cognition distribuée (Hutchins, 1995) s’intéresse à la construction continue des structures et des connaissances en situation collective. Il se démarque de l’approche cognitiviste en ce que l’objet d’étude ne se situe plus uniquement « dans la tête des sujets » mais dans les interactions entre les individus. Plus particulièrement, la cognition distribuée appréhende l’activité collective à partir du couplage entre les membres de l’équipe et le système socio-technique de l’environnement de travail (les « artefacts cognitifs »). D’inspiration éthnométhodologique, cette perspective théorique met l’accent sur le caractère culturel, social et distribué (entre acteurs et éléments de la situation) de l’activité cognitive. Dans cette perspective, la connaissance apparaı̂t co-déterminée par la distribution des informations dans l’environnement (les membres de l’équipe et l’ensemble du matériel technique utilisé). Cette co-détermination organise le collectif, i.e. les coordinations d’actions efficaces. Cette approche a permis d’engager une première évolution dans l’étude de l’activité collective. Les connaissances partagées sont considérées comme distribuées. Pour illustrer ce passage de la cognition partagée à la cognition distribuée, nous présentons une étude auprès de 36 équipes face à la simulation de missions de secours en hélicoptère de l’U.S Navy (Cooke et al., 2003). L’objectif de l’étude était de mesurer les connaissances partagées par les membres d’équipes hétérogènes (un rôle différent pour chacun des membres). Les auteurs reproduisent la méthodologie classique utilisée pour identifier les modèles mentaux de l’équipe relatifs à l’équipe et à la tâche (Lim et Klein, 2006). Les résultats montrent que les équipes les plus performantes sont celles où les membres de l’équipe ont des connaissances précises de la tâche concernant leur propre rôle et différentes des connaissances des autres membres. En situation, les chercheurs observent une distribution implicite des buts entre les membres d’équipes expertes. Ces dernières sont celles qui disposent de connaissances complémentaires. Pour les auteurs, ces résultats suggèrent que la notion de connaissances partagées renvoie également à une division des responsabilités en fonction des rôles, par opposition à une connaissance partagée en termes de similarité. Nous retiendrons que cette évolution de la recherche en psychologie ergonomique apporte trois principales idées en relation avec l’objet étudié : l’activité en situation collective. Tout d’abord, la connaissance en situation collective est co-construite par l’interaction entre les acteurs impliqués dans la situation. Les coordinations d’actions nécessitent Cyril Bossard 91 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective la prise en compte du contexte social et culturel, de l’histoire des interactions entre les individus, et du rôle organisateur de l’environnement dans le contexte du travail en équipe. Dans cette perspective, les acteurs impliqués dans l’activité collective constituent à la fois des sources d’influences et à la fois des éléments organisateurs du contexte. Dans un même mouvement, ils permettent d’organiser l’action à venir et transforment le fonctionnement du système cognitif entier (i.e. le collectif). Dans le cadre des sports collectifs, nous retiendrons donc plus particulièrement le rôle déterminant mais variable des membres de l’équipe dans la coordination des activités et des connaissances. Nous retiendrons également pour notre propre démarche le rôle structurant du contexte puisque les informations significatives y sont éparpillées. Ensuite, ce courant théorique permet d’étendre la notion de « connaissance partagée » à la notion de « connaissance distribuée » (Cooke et al., 2003). Dans l’approche classique TNDM, les connaissances partagées renvoient à des savoirs ou à des croyances identiques aux membres de l’équipe (Lim et Klein, 2006). Ici, la notion de partage peut également être définie comme une division d’un tout en plusieurs parts. Les parts n’étant pas nécessairement équitables ou identiques (ni même complémentaires) pour chaque individu concerné. Enfin, la connaissance est dépendante du contexte et indissociable de sa dimension sociale et culturelle, elle ne se détermine que pour et par une communauté de pratique. Dans cette perspective, une équipe sportive experte constitue une communauté de pratique « locale » et possède certainement des connaissances communes, fondées sur le partage d’expériences multiples et d’une histoire d’équipe. Comme l’expliquent Cooke et al. (2007), le partage peut prendre des formes diverses (Cf. figure 3.3, p 92) et les membres d’une équipe ont recours à une variété de connaissances partagées impliquées dans la coordination des activités en situation dynamique collaborative. Figure 3.3 – Variétés des connaissances partagées d’après Cooke et al. (2007) 92 Cyril Bossard Une approche holistique de l’activité de l’équipe 3.2.2 L’approche écologique et l’approche des systèmes dynamiques pour l’étude des comportements collectifs Le second mouvement intégré à la perspective THEDA emprunte des concepts issus de l’approche écologique (Reed, 1996) et de l’approche des systèmes dynamiques (Alligood et al., 1996). Cette seconde évolution est plus radicale car elle marque une véritable rupture dans le point de vue adopté pour étudier l’activité collective : c’est le comportement collectif lui-même qui constitue l’objet d’étude. La psychologie écologique suggère que la perception et l’action sont contextuellement co-déterminées (Reed, 1996). L’équipe peut alors être considérée comme un ensemble de systèmes perception-action qui se coordonnent directement à partir d’un stimulus global. De cette manière, l’équipe peut être considérée comme un organisme qui réagit, s’adapte aux contraintes de l’environnement à partir de la coordination des systèmes perception-action (les membres) qui le composent. Cette perspective théorique était déjà présente dans le courant NDM pour l’analyse de l’activité décisionnelle individuelle (Cf. 2.1.2, p 59). La théorie des systèmes dynamiques suggère quant à elle que le comportement d’une équipe est une propriété émergente de l’auto-organisation d’un système composé des comportements individuels (Alligood et al., 1996). Au contraire des théories cognitivistes de l’activité collective où la régression est utilisée pour prédire les comportements de l’équipe à un moment donné, cette perspective considère l’évolution dynamique d’un système que représente l’équipe. Elle permet d’envisager l’équipe comme une structure de coordination dynamique qui évolue continuellement afin de s’adapter, dans un rapport de circularité, au flux continu d’informations (complexité contextuelle). Ces évolutions théoriques se traduisent également par des avancées méthodologiques de l’approche THEDA pour étudier les coordinations entre membres de l’équipe en situation naturelle (Gorman et al., 2006; Cooke et al., 2007). Plus particulièrement, Cooke et al. (2004) ont proposé une approche méthodologique pour analyser l’activité collective à partir des données issues des communications entre les membres d’une équipe travaillant dans un centre de contrôle. Dans ce type de situation de travail, les individus étant physiquement séparés, les communications constituent les principales interactions entre les membres de l’équipe. Les auteurs considèrent ainsi que ces communications entre partenaires offrent un moyen d’accès privilégié à l’activité collective (i.e. la cognition d’équipe). De la même manière que les protocoles de « pensée à voix haute » sont utilisés pour accéder aux processus individuels (Ericsson et Lehmann, 1996), les communications inhérentes à la situation de travail permettent d’accéder à l’activité collective de manière holistique. De plus, le processus de coordination des activités n’est pas interrompu contrairement aux protocoles usant de la technique de pensée à voix haute. La communication constitue déjà dans un certain sens, une pensée à voix haute. L’analyse des communications des membres de l’équipe ouvre alors une Cyril Bossard 93 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective fenêtre sur l’activité collective. À mesure que les interactions évoluent, cette méthode permet de rendre compte des changements dynamiques de l’activité collective comme le résultat naturel des interactions entre les membres de l’équipe. Ce type de protocole permet d’obtenir des données volumineuses et contextuellement riches. Une étude nous semble particulièrement typique de l’évolution des travaux sur l’activité collective et peut être considérée comme typique de l’approche THEDA. Dans un centre de contrôle de véhicules aériens inhabités (drones), Cooke et al. (2004) ont enregistré les communications entre les membres de plusieurs équipes de travail face à une tâche représentative de leur domaine. À partir d’une analyse du contenu des communications entre les agents, les auteurs ont identifié pour chacun d’eux, le flux des communications (à qui est-elle adressée ? quand ?), la structure et le contenu des discours. Ces actes langagiers entre les membres de l’équipe ont ensuite été analysés qualitativement et quantitativement. À partir d’une synchronisation des séquences de discours de chacun des membres de l’équipe, l’analyse permet de déterminer la co-occurrence des événements du discours dans le déroulement temporel de la situation et les changements dans la structure du discours. Les résultats montrent que les équipes les plus performantes sont celles qui possèdent des structures de communication stables. De plus, ces équipes expertes démontrent une forte homogénéité à travers le temps sur le contenu (consistance de ce qu’ils disent) et le flux des communications (à qui ils le disent et quand). Cette étude montre ainsi que le flux et la consistance des structures de communication sont des prédicteurs de la performance en situation de travail en équipe. Finalement, ce second point de vue sur l’activité collective apporte des indications importantes à notre objet d’étude. Les trois courants présentés (cognition sociale distribuée, approche écologique et système dynamique) visent à décrire les propriétés du système (le groupe ou l’équipe) dans son ensemble. Dans ce point de vue, l’équipe est considérée à partir de ses propriétés intrinsèques. La place accordée au contexte est importante, elle permet d’expliquer les coordinations d’actions. Dans la cognition distribuée, c’est le contexte social, culturel et le rôle des membres du groupe qui permettent de structurer l’équipe. Dans l’approche écologique et celle des systèmes dynamiques, ce sont les éléments contextuels qui jouent un rôle perturbateur et provoquent les changements dans la configuration du groupe. Ces approches, parce qu’elles adoptent le point de vue de l’analyse collective, peuvent être qualifiées de « collectivistes » (Theureau, 2006). Elles minorent l’autonomie de l’activité individuelle des acteurs engagés dans la situation dynamique collaborative. Il faut noter cependant, une divergence importante dans la place accordée à la cognition entre les deux mouvements. Dans les travaux de Hutchins (1995), la cognition est répartie dans l’ensemble des éléments qui composent le système (y compris les dispositifs technologiques) alors que pour l’approche écologique et des systèmes dynamiques, la cognition est tout simplement ignorée. D’autres auteurs (Theureau, 2006; Salembier et Zouinar, 2006) ont déjà évoqué les 94 Cyril Bossard Cognition située et activité collective risques d’un « collectivisme radical » à se concentrer uniquement sur les propriétés globales d’un système. Cette position néglige nécessairement la part d’autonomie individuelle, et par conséquent ne peut rendre compte des relations entre l’activité individuelle et l’activité collective. Un troisième point de vue sur les situations de travail en équipe accorde justement une place importante à la notion d’autonomie et vise à étudier l’articulation entre activité individuelle et activité collective. 3.3 Cognition située et activité collective Dans cette perspective théorique, la compréhension de l’activité (qu’elle soit individuelle ou collective) ne peut être envisagée en dehors de sa réalisation en contexte. L’activité est tout autant sociale et individuelle qu’individuelle et sociale. Une partie des travaux de Suchman (1987, 1996) repris plus tard par Salembier et Zouinar (2004, 2006) s’attache à appréhender les modes d’articulation des activités individuelles dans les situations collectives. Ce troisième point de vue adopté par les recherches sur les situations de travail en équipe vise ainsi à considérer conjointement l’activité individuelle et l’activité collective (Bourbousson et al., 2008). Plus précisément, l’approche située vise à décrire la dynamique d’articulation entre l’activité individuelle et l’activité collective (Jeffroy et al., 2006). Pour ces auteurs, l’interaction entre les individus repose sur un accès mutuel aux ressources disponibles dans le contexte. La notion « d’intelligibilité mutuelle » est avancée pour désigner un processus de co-construction de significations entre les acteurs au sein du contexte. L’individu au sein du collectif recherche les disponibilités de ses partenaires pour les utiliser comme ressources (Suchman, 1996). Cette recherche repose ainsi sur différentes informations comme les communications verbales, les gestes et les indices comme la posture. Ces informations à propos des actions de ses partenaires sont partagées de façon incidente ou implicite (Salembier et Zouinar, 2006). Elles sont perçues au même moment par l’ensemble des membres d’une équipe parce qu’elles sont accessibles par tous. Dans les situations sportives, les joueurs rendent délibérément publique leur activité à leurs partenaires. Ils cherchent à les informer d’un élément pertinent pour eux (Heath et Luff, 1992). Ils peuvent aussi chercher à masquer des informations au partenaire ou à livrer des informations érronées (leurres) aux adversaires (Sève et al., 2002). Salembier et Zouinar (2006) ont ainsi développé une approche du partage d’informations contextuelles qui prend en compte cette réciprocité des activités individuelles. Cette approche s’appuie sur la notion de « manifesteté mutuelle ». Un fait mutuellement manifeste est un fait qui a la caractéristique d’être potentiellement perceptible ou inférable par plusieurs membres d’un collectif à un instant donné. La notion de manifesteté mutuelle exprime ainsi Cyril Bossard 95 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective l’idée que chaque individu agit pour rendre manifeste son activité aux autres. Cependant, la manifesteté mutuelle n’est pas exploitable en l’état dans l’analyse de l’activité. Comment savoir ce qui est pertinent (ou pas) pour tous les membres impliqués dans une situation dynamique et collaborative réelle ? Pour répondre à cette contrainte, les auteurs délimitent leur objet de recherche à la notion de « contexte partagé ». Ce dernier correspond à l’ensemble des informations mutuellement significatives pour l’ensemble des acteurs, à un instant t dans une situation donnée, compte tenu de leurs capacités perceptives et cognitives, des tâches qu’ils doivent réaliser, et de leur activité en cours (Salembier et Zouinar, 2006). Les informations contextuelles correspondent alors à l’ensemble des informations au cours de l’activité qui sont pertinentes ou peuvent l’être du point de vue des acteurs considérés. Cette définition du partage d’informations est différente de celle proposée par l’approche TNDM « classique ». Rappelons que dans cette perspective, partager des informations correspond à disposer de structures de connaissances communes (i.e. des modèles mentaux partagés). L’activité collective repose alors essentiellement sur les connaissances partagées entre les membres d’une équipe. Comme l’expliquent Salembier et Zouinar (2006), cette conception de l’activité collective pose un problème d’emboı̂tement à l’infini des connaissances auxquelles les capacités cognitives humaines ne peuvent répondre. Pour ces auteurs, le partage des informations en situation dynamique et collaborative doit être considéré, a priori, comme une hypothèse. Le courant de la cognition située considère plutôt que l’activité collective repose sur une adaptation au contexte dont certains éléments peuvent être partagés par les membres de l’équipe (i.e. significatifs du point de vue des acteurs). D’un point de vue méthodologique, l’analyse des données est particulièrement orientée vers l’évolution du contexte partagé et des éléments qui influencent ou/et contraignent cette évolution. Les auteurs proposent une démarche d’analyse et de modélisation du contexte partagé à partir d’observations en situation réelle et d’entretiens d’autoconfrontations. Ils préconisent également d’incorporer l’analyse des coordinations et du contexte partagé à celle plus large de l’activité. À partir d’une mise en correspondance des activités individuelles de chaque membre de l’équipe, il devient alors possible de repérer les informations qui sont significativement partagées ou non par ceux-ci. Cette mise en tension des activités individuelles permet d’accéder au contexte partagé de manière implicite par opposition à des entretiens dirigés ou des questionnaires orientés. Cette méthode garantit ainsi une validité écologique importante. D’un point de vue épistémologique, cette conception de l’activité collective rompt avec une vision déterministe de la cognition humaine. La notion de manifesteté mutuelle permet d’envisager les informations partagées en fonction des significations de la situation pour le sujet. Elle permet ainsi de dépasser le caractère prédéfini et objectif du contexte quand il est imposé par l’expérimentateur. 96 Cyril Bossard Cognition située et activité collective Nous retiendrons de ce point de vue sur l’activité collective le caractère mutuel ou réciproque des activités individuelles en situation collective à travers la notion de « manifesteté mutuelle ». En effet, dans les sports collectifs, le partenaire ne représente pas uniquement une information contextuelle supplémentaire. Ce dernier rend délibérément publique son activité aux autres. En ce sens, il tente d’exercer une influence sur l’activité de ses partenaires. Etudier l’activité collective consiste alors à décrire les ajustements, les interactions, les influences entre individus en fonction de l’évolution du contexte. La particularité d’une situation dynamique et collaborative réside bien dans sa dimension imprévisible et évolutive. Les informations qui sont partagées par les membres d’une équipe dépendent ainsi des circonstances « locales ». L’approche située de l’activité collective s’intéresse justement à la prise en compte des modifications de l’environnement pour envisager leur impact sur l’activité collective à travers les activités individuelles. En ce sens, elle fournit une source d’inspiration complémentaire des différentes approches que nous avons présentées jusqu’à présent. Finalement, par rapport aux deux autres points de vue présentés en amont, le courant de la cognition située propose une voie médiane entre le rôle des acteurs et la place accordée au contexte. L’autonomie individuelle est prise en considération à partir du couplage entre les structures cognitives et le contexte. Ici, au sein du contexte, les membres de l’équipe sont considérés comme des éléments particulièrement significatifs, particulièrement importants pour décider. L’objet de recherche devient alors les influences entre individus et leurs effets sur l’activité individuelle. L’étude du couplage devient l’étude du jeu des influences comme des éléments susceptibles d’expliquer l’articulation de l’activité des individus en contexte collaboratif. Les auteurs issus de l’approche THEDA ont déjà évoqué des pistes de réflexion pour intégrer les concepts de l’approche située (Cooke et al., 2004; Gorman et al., 2006; Cooke et al., 2007). Nous pensons également que ce cadre conceptuel gagnerait à adopter le point de vue défendu par l’approche située pour améliorer la compréhension de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative. Sans renier ces fondements théoriques, l’étude de l’activité collective consisterait alors à analyser l’articulation des activités individuelles. Au terme de cette présentation de l’évolution des points de vue adoptés pour l’analyse de l’activité collective en situation dynamique collaborative, nous pouvons présenter une synthèse des différentes approches théoriques mobilisées (Cf. Figure 3.4, p 98). Toutes les approches que nous avons présentées semblent partager l’idée que l’activité collective repose sur un processus de coordination des activités individuelles. Pour chacune d’elles, les coordinations d’actions au sein d’une équipe constituent un objet d’étude central. Dans le cadre de l’ergonomie cognitive, nous pouvons ainsi identifier (avec Bourbousson et al. (2008)) trois points de vue ou manières d’aborder l’activité collective. Cyril Bossard 97 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective Le premier point de vue appréhende la coordination des actions à partir de la description et de l’analyse des activités des individus en situation collective. Pour l’approche TNDM, P l’activité collective correspond à la somme des activités individuelles (AC = des AI). Le second point de vue opère un changement d’échelle dans l’analyse de l’activité collective. Il vise à décrire et expliquer de manière holistique les interactions entre les agents en considérant le collectif comme une unité d’analyse. Pour l’approche THEDA ou l’approche des sytèmes dynamiques, l’activité collective correspond ainsi au comportement du collectif en lui-même (AC = AC). Enfin, le troisième point de vue cherche à rendre compte de l’activité collective en analysant l’articulation des activités individuelles. Ce point de vue pourrait être qualifié « d’entre-deux ». Pour l’approche située, l’activité collective correspond à l’articulation entre activité individuelle et activité collective (AC = AC ↔ AI). Tout en mobilisant des concepts et des modèles théoriques distincts, ces trois points de vue participent chacun à leur mesure à une meilleure compréhension des activités collectives en situations de travail. Figure 3.4 – Synthèse des points de vue sur l’activité collective 98 Cyril Bossard Prolongement et implications pour l’étude de l’activité décisionnelle dans les sports collectifs 3.4 Prolongement et implications pour l’étude de l’activité décisionnelle dans les sports collectifs Les différentes études sur les situations de travail en équipe montrent une évolution des préoccupations guidée par la nécessité d’une compréhension fine de l’activité collective réellement mise en œuvre. Dans les sports collectifs, les actions effectuées par les joueurs de l’équipe doivent également être coordonnées pour être efficaces. En ce sens, la coordination des actions constitue un objet d’étude commun aux situations de travail et aux situations sportives collectives. Nous présenterons, dans cette dernière partie, les quelques études qui se sont précisément penchées sur cet objet. L’activité collective dans les sports d’équipe a été abordée à l’aune des trois grands points de vue que nous avons présentés pour les situations de travail. Notons cependant que cet objet est encore très récent dans le domaine sportif et qu’il repose sur peu d’études empiriques. Plus P précisément, le premier point de vue (TNDM ; AC = des AI) n’a pour l’instant fait l’objet que d’un questionnement théorique et méthodologique (Eccles et Tenenbaum, 2004; Fiore et Salas, 2006; Ward et Eccles, 2006). Les principales limites de son application aux sports collectifs ont été abordées dans ce manuscrit (voir 3.1.3, p 85). Nous présenterons une étude effectuée avec des joueurs de rugby qui fait référence à la notion de connaissances partagées et que l’on peut rapprocher de ce premier point de vue sur l’étude de l’activité collective (Mouchet et Bouthier, 2006). Bien que le second point de vue qualifié de « collectiviste » (AC = AC) ait été interrogé au regard des sports collectifs (McGarry et al., 2002), il n’a pas non plus été mobilisée à notre connaissance dans l’étude de joueurs de sports collectifs. Enfin, le troisième point de vue (AC = AC ↔ AI) est celui qui a été le plus exploité dans le domaine sportif à partir du cadre théorique et méthodologique du cours d’action (Saury et Testevuide, 2004; Poizat et al., 2006; Bourbousson et al., 2008). Nous en présentons les principaux résultats. 3.4.1 Les MMP ou connaissances partagées dans les sports collectifs Mouchet et Bouthier (2006) ont analysé la subjectivité des décisions tactiques des joueurs de rugby en situation compétitive. L’originalité de cette recherche réside dans la volonté d’étudier l’activité collective à travers l’étude de l’activité des différents joueurs d’une même équipe. Un métissage intéressant de méthodes est exploité : un entretien semidirectif et un bref rappel stimulé face à la vidéo suivi d’un entretien d’explicitation. Des entretiens semi-directifs ont permis de recueillir des données sur les conceptions du jeu des joueurs membres d’une même équipe, dévoilant ainsi les stratégies collectives, ou encore les connaissances sur le fonctionnement de l’équipe. Cette première étape a permis d’extraire Cyril Bossard 99 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective les connaissances générales des joueurs en dehors de l’action. À la suite, les entretiens d’explicitation face à la vidéo ont permis d’évaluer le vécu subjectif des différents joueurs en situation compétitive réelle. Cette seconde étape a donné l’occasion de mesurer l’impact des connaissances générales partagées sur l’activité individuelle réelle. Les résultats de cette étude contextualisée permettent de décrire une activité décisionnelle à la fois complexe, singulière, et subjective. La décision reposerait sur l’activation d’une structure d’arrière plan en partie commune. Les joueurs envisagent une possibilité d’action englobante, ouverte à partir de la mobilisation de savoirs partagés (ou référentiel commun). Cet arrière plan est constitué de connaissances relatives au projet de jeu, aux stratégies ainsi que des objectifs communs et des croyances collectives. Ensuite, c’est la combinaison, le couplage entre des indices significatifs construits en situation, et la mobilisation de cet arrière-plan (savoirs communs) qui contribuent à l’émergence des repères communs nécessaires à la coordination des décisions individuelles. Autrement dit, l’auteur montre que l’activité décisionnelle individuelle s’explique également par la mobilisation de savoirs partagés au sein de l’équipe. De plus, ces savoirs partagés sont en permanence reconstruits en situation. Ces travaux confortent l’idée selon laquelle, en sports collectifs, l’activité décisionnelle des experts reposerait sur des connaissances communes ou partagées qui sont dynamiques, co-construites en situation. À l’instar de Mouchet et Bouthier (2006) nous retiendrons ici qu’il n’y a pas de contradiction essentielle entre une élaboration préalable et conjointe de repères communs et leurs reconstructions fugaces, éphémères et circonstanciées en situation. 3.4.2 Des formes typiques d’articulation des activités individuelles en sport duel ou collectif Le paradigme de la cognition située propose d’étudier l’activité collective à partir de l’articulation entre l’activité collective et l’activité individuelle. Trois études témoignent de ce point de vue sur l’activité collective dans le domaine sportif. Saury et Testevuide (2004) ont analysé l’articulation dynamique d’activités individuelles au sein d’un équipage de voile. Poizat et al. (2006) ont étudié l’activité du pongiste visant à influencer les perceptions de son adversaire. Bourbousson et al. (2008) ont caractérisé les modes de coordination interpersonnelle d’une équipe de basket-ball. Ces études recueillent des données à partir d’observations de type ethnographique, d’enregistrement vidéo lors de situations compétitives et des données de verbalisation lors d’un entretien d’autoconfrontation a posteriori. L’analyse des données est effectuée ensuite à partir du cadre d’analyse sémiologique du cours d’action. Dans la première étude (Saury et Testevuide, 2004), les résultats montrent qu’il existe deux formes typiques d’articulation des activités individuelles dans un duo en voile. La première est caractérisée par des attentes convergentes des partenaires, et la seconde est 100 Cyril Bossard Prolongement et implications pour l’étude de l’activité décisionnelle dans les sports collectifs caractérisée par des moments de divergences entre les attentes respectives des partenaires. Ces deux formes de collaboration sont respectivement liées à des contextes, à des moments de « fonctionnement optimal » et à des moments de « dysfonctionnement ». Ces modes de coordinations n’étaient pas prédéfinis à l’avance en fonction des rôles et des actions de chacun des partenaires. La coordination des actions du duo émerge à partir d’informations contextuelles. La deuxième étude réalisée en tennis de table (Poizat et al., 2006) montre que les pongistes consacrent une part de leur activité, lors des matchs, à tenter d’influencer les jugements de l’adversaire. Cette recherche d’influence est « circonstancielle » c’est-à-dire qu’elle dépend du contexte, i.e. de la situation vécue. La recherche d’influence sur l’adversaire est particulièrement exacerbée à trois moments : quand la situation est perçue comme importante ; quand l’adversaire est en confiance ; quand le pongiste se sent en difficulté. Cette activité s’exprime principalement à travers des communications pouvant être des coups techniques et des comportements non directement liés au jeu (stratégies d’intimidation, exagération). La recherche d’influence s’actualise également en fonction de l’adversaire, de son vécu émotionnel et sa perception du rapport de force. La coordination des activités individuelles résulte ainsi d’un processus de co-construction entre les acteurs durant la situation compétitive. La troisième étude recensée nous semble particulièrement intéressante pour notre propre travail. L’analyse de l’activité en situation collective est effectuée à partir de l’étude de l’articulation de l’activité des partenaires d’une équipe de basket-ball. Bourbousson et al. (2008) ont examiné la manière dont les joueurs prennent mutuellement en compte leurs activités respectives. En accord avec le cadre méthodologique du cours d’action, les joueurs participent à un entretien d’autoconfrontation individuel. Le recueil des données s’effectue donc à partir des activités individuelles de l’ensemble des membres de l’équipe impliqués dans une situation collective (un match de basket-ball). L’analyse des données est scindée en deux moments. Dans un premier temps, les données sont analysées au regard de la méthode de découpage et de documentation « classique » du cours d’action. Cependant, afin d’analyser les données en prenant en compte les interactions entre les joueurs, la particularité de la démarche consiste à synchroniser les activités de chacun des membres dans le décours temporel de la situation. Dans un second temps de l’analyse, cet agencement des activités individuelles permet d’identifier, à partir du contenu des verbalisations, le ou les partenaires pris en compte à chaque instant du cours de l’activité (i.e. le contenu faisant référence à autrui). Les auteurs identifient ainsi le réseau de relations de l’équipe, c’est-à-dire les inter-influences entre tous les membres de l’équipe à chaque instant. Ensuite, pour chaque joueur, le nombre de partenaires évoqués est comptabilisé pour révéler « le degré de connectivité » allant de 0 à 4. Ce chiffre Cyril Bossard 101 Chapitre 3 – Des approches pour l’analyse de l’activité collective permet d’identifier les situations typiques correspondantes. Enfin, pour chaque joueur, le nombre d’interactions ou d’absence d’interaction avec chacun de ses partenaires est calculé. Les résultats montrent que l’activité collective de l’équipe de basket-ball repose principalement sur l’articulation de « coordinations dyadiques ». Ces coordinations peuvent être directes (interactions entre deux personnes qui se prennent en compte pour agir) ou indirectes (deux joueurs prennent en compte l’activité du troisième). Concernant les coordinations directes, l’étude révèle deux modes de coordination : soit l’influence des joueurs est mutuelle, soit l’influence des joueurs est unidirectionnelle. Sur la base de ces coordinations entre deux joueurs, les auteurs identifient de façon holistique 4 formes globales de coordination pour l’équipe : par juxtaposition d’une coordination locale avec une ou plusieurs activités individuelles, par imbrication en chaı̂ne, par juxtaposition de deux coordinations locales et par juxtaposition de cinq activités individuelles. Pour les auteurs, l’activité collective est caractérisée par des ajustements locaux (coordinations entre deux joueurs) qui se constituent dans et par l’action. Les coordinations d’actions sont particulièrement évolutives, elles se font et se défont en permanence au gré des circonstances locales. Ces résultats remettent ainsi en cause la prégnance d’un plan collectif partagé et préétabli qui permettrait de fédérer les activités individuelles. Cette étude offre des perspectives intéressantes pour étudier la dimension collective de la décision tactique dans les contextes complexes, dynamiques, et fluctuants des sports collectifs. Comme l’expliquent les auteurs, cette étude « reste essentiellement descriptive et peu explicative » (p 35) (Bourbousson et al., 2008). Deux pistes de travail sont évoquées pour affiner la compréhension de l’activité collective. La première renvoie au niveau de partage des interprétations faites par les joueurs en situation, c’est-à-dire les informations qui sont effectivement partagées au moment où émerge une forme de coordination collective particulière (qu’est-ce qui est partagé ? avec qui ? quand ?). La seconde piste de réflexion concerne l’identification des éléments contextuels déterminants pour orienter la forme de coordination adaptée pour l’équipe (les partenaires ?, les adversaires ?). 102 Cyril Bossard L’activité décisionnelle en SiDyColl A l’issue de ce développement théorique (Chapitre 1, Chapitre 2, Chapitre 3), nous souhaitons rappeler la particularité de notre travail de recherche. Nous revenons dans un premier temps sur les objectifs assignés à notre travail et la problématique qui nous anime. Enfin, nous aboutissons à la formulation de nos hypothèses de recherche relatives à l’analyse de l’activité décisonnelle dans une situation dynamique collaborative typique : la contre-attaque au football. Objectifs L’objectif général de cette thèse est de contribuer à la compréhension de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative. Il s’agit de comprendre un phénomène complexe que nous analyserons dans sa globalité, en tenant compte de son caractère évolutif. Réalisé dans une perspective ergonomique, ce travail implique un double objectif : 1) une description et une tentative d’explication du phénomène étudié ; 2) une proposition de transformation du réel (par l’aide à la conception d’un environnement virtuel). Dans un premier temps, notre travail de thèse vise la production de connaissances dans le champ des Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, et dans le champ de l’Ergonomie cognitive. L’analyse de l’activité collective permet d’étudier ce qui est significatif du point de vue des acteurs engagés dans la situation d’étude (Loiselet et Hoc, 2001). Le niveau d’analyse choisi est local, contextualisé, « tactique » pour reprendre une terminologie sportive. Il ne prétend pas rendre compte de l’ensemble des niveaux d’organisation de l’activité collective (par exemple : il ne décrit pas les processus de planification, mobilisés en amont et en aval de la situation étudiée, par exemple lors du débriefing par l’entraı̂neur, et que l’on pourrait qualifier de niveau stratégique). Plus modestement, notre objectif consiste à proposer une description symbolique acceptable Cyril Bossard 103 L’activité décisionnelle en SiDyColl (Varela, 1989) de la dynamique du couplage structurel des joueurs entre eux et avec le contexte. La description de l’activité des experts en sports collectifs participe à la production de connaissances sur une situation typique essentielle pour la performance : la contre-attaque (STAPS). Cette description abstraite de l’activité des individus doit également permettre d’expliquer et de produire des inférences sur les structures et les processus perceptifs et cognitifs mobilisés en situation dynamique collaborative (Ergonomie cognitive). Sur la base de cette analyse de l’activité collective en situation dynamique et collaborative, notre second objectif vise à proposer des pistes de réflexion pour la transformation du réel par l’aide à la conception d’un dispositif de formation (Lipshitz et al., 2001). L’originalité de cette démarche de type ergonomique est quelle est tournée vers la conception d’un environnement virtuel pour l’apprentissage humain. Notre travail se déroule alors selon une démarche en quatre étapes : analyse empirique de l’activité humaine, modélisation de l’activité humaine, conception d’un environnement virtuel, simulation et évaluation. Problématique L’examen de la littérature en psychologie du sport montre que l’activité décisionnelle en sports collectifs a surtout été abordée au regard de variables perceptives ou cognitives, étudiées de façon isolées et dans des conditions standardisées. Les études recensées en sports collectifs (voir Chapitre 1, p 29) se sont principalement centrées sur l’individu, relayant en second plan la dimension collective de l’activité. Or, si l’on souhaite considérer l’activité humaine dans sa complexité (i.e. point de vue épistémologique privilégié au laboratoire), la décision tactique en sports collectifs doit être abordée d’une part comme une articulation de variables, d’autre part comme particulièrement dépendante des contraintes contextuelles (pression temporelle, multiplicité des informations, fluctuation ou évolution rapide de la situation). Parmi les contraintes contextuelles, la dimension collective de l’activité ne peut être négligée. Au contraire, si par hypothèse la décision tactique en situation collective ne se réduit pas à la juxtaposition ou à la succession de décisions individuelles (i.e. définition de l’activité collective d’après Salas et al. (2006)), les coordinations entre individus (partenaires, adversaires) doivent pouvoir être choisies comme un objet d’étude privilégié. La diversité des approches théoriques, des méthodes, et des points de vue recensés (Chapitre 3), témoignent des problèmes posés par l’analyse de l’activité collective, qui constitue un objet d’étude encore récent en psychologie ou en ergonomie cognitive. L’activité collective (au travail, en sport) peut se décrire soit à partir de l’étude de l’activité individuelle (et des éléments identifiés comme communs entre chaque individu), soit à partir de l’étude de l’activité du groupe conçu comme un système (le comportement du système, les communications au sein du groupe), soit à partir de l’étude de l’articulation entre l’activité des 104 Cyril Bossard L’activité décisionnelle en SiDyColl individus et l’activité de l’équipe (interactions, influences entre les individus, et formes typiques de coordination). De plus, et quel que soit le point de vue adopté pour étudier l’activité collective, ce qui est prioritaire pour expliquer l’enchaı̂nement des actions au sein d’une équipe fait particulièrement débat. Les coordinations entre les membres de l’équipe peuvent s’expliquer soit par des éléments cognitifs identifiés chez les différents joueurs engagés dans une même action (notion de buts ou de connaissances partagées), soit par des éléments contextuels perçus, considérés comme significatifs par ces joueurs (notion de contexte partagé). Pour contribuer à apporter des réponses à ce problème complexe, nous avons progressivement adopté le cadre conceptuel de la « Naturalistic Decision Making » (NDM). Habituellement exploité dans les situations de travail individuelles et collectives, il s’intéresse au couplage entre les ressources du sujet (perceptives et cognitives) et les contraintes contextuelles. La décision est considérée comme un processus contextualisé, encapsulé dans la situation. La complexité de l’activité décisionnelle et plus particulièrement sa dimension collective, a déjà été abordée au travers de l’étude des coordinations d’actions entre les membres d’une équipe. Pour nous, comprendre l’implication des membres de l’équipe dans l’activité décisionnelle en sports collectifs revient à comprendre comment les joueurs collaborent et parviennent à articuler leurs activités face aux contraintes contextuelles, afin de réaliser une performance optimale. L’intérêt des chercheurs pour ce processus de coordination se retrouve dans la littérature récente portant sur l’analyse de l’activité collective en situation de travail (Lim et Klein, 2006; Salembier et Zouinar, 2006; Cooke et al., 2007). Par notre analyse de la littérature nous avons souhaité montrer l’intérêt de décrire l’articulation de l’activité des individus et de l’équipe, à partir du « jeu des influences » en cours d’action (AC = AC ↔ AI). Cette analyse de l’activité en situation dynamique collaborative nécessitera donc l’étude de l’activité individuelle, comme un préalable à l’étude de l’activité collective. Ce positionnement théorique nous conduira à étudier d’une part l’activité des individus, pour mettre à jour les schémas typiques activés en cours d’action (Chapitre 4, p 107), d’autre part l’articulation de l’activité de ces individus, pour identifier des formes typiques, des régularités qui apparaı̂traient dans le jeu des influences entre partenaires (Chapitre 5, p 149). Pour expliquer ces formes typiques d’articulation, nous chercherons aussi à répondre à la question, centrale dans la littérature, relative à ce qui est partagé entre les membres d’une équipe. Nous souhaitons identifier les éléments partagés en cours d’action par les joueurs d’une même équipe qu’ils soient de l’ordre des connaissances ou des informations contextuelles. Cyril Bossard 105 L’activité décisionnelle en SiDyColl Des hypothèses pour l’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative À l’aune du cadre théorique de la NDM, nous postulons dans un premier temps que l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative se caractérise par l’activation de schémas typiques au cours de l’action. Un schéma permet de donner du sens à la situation vécue et de prendre des décisions tactiques contextualisées. Les deux premières hypothèses que nous avons formulées peuvent s’appliquer à l’ensemble des activités humaines complexes en situation dynamique, notamment les situations de travail dites « critiques » (Lipshitz et al., 2001). D’une part, nous faisons l’hypothèse que l’activité décisionnelle peut être exprimée du point de vue du sujet à partir des informations qu’il considère significatives (Flach, 1995) ; ces éléments expriment à un moment et dans un lieu, « la conscience de la situation », i.e. la situation vécue par le sujet. L’activité du sujet en situation dynamique peut alors se décrire de façon diachronique à partir d’une succession de situations vécues lors du déroulement (au cours) de son expérience. D’autre part, ces différentes situations vécues par le sujet en situation dynamique collaborative sont la manifestation de différents schémas typiques activés par le contexte. Le concept de schéma désigne un réseau, une forme d’organisation des informations en MLT issues des expériences (Piegorsch et al., 2006). Ces informations peuvent être regroupées pour l’ensemble des sujets selon 5 catégories théoriques : action, résultat, information contextuelle et connaissance (indices pertinents) et but (Klein, 1997). Du point de vue de l’analyse collective, nous chercherons à identifier des formes typiques d’articulation des activités individuelles, à partir de la description du jeu des influences entre partenaires. Plus précisément, les influences entre deux partenaires pourront être mutuelles ou unidirectionnelles (Bourbousson et al., 2008). La seconde hypothèse relative à l’activité collective est plus explicative. Les formes typiques d’articulations des activités en situation dynamique collaborative s’expliquent par le partage d’informations entre partenaires. Cette seconde hypothèse générale se décline en deux hypothèses spécifiques. La singularité des activités individuelles met en doute un partage total des informations entre partenaires (Mouchet et Bouthier, 2006; Mundutéguy et Darses, 2007). Nous supposons alors que les formes typiques d’articulation s’expliquent également par le niveau de partage des informations au sein d’une équipe. Des travaux récents ont pointé le manque d’études sur le contenu de ce qui est partagé entre les membres d’un collectif (Salembier et Zouinar, 2006; Bourbousson et al., 2008). Nous postulons que la description du contenu des informations partagées entre les membres de l’équipe permet d’expliquer les conditions d’émergence des formes typiques de coordination. Répondre à la question du contenu de ce qui est partagé contribuera alors à discuter du rôle respectif des connaissances et du contexte dans les activités collectives. 106 Cyril Bossard Chapitre 4 Étude de l’activité décisionnelle individuelle Les schémas typiques et ses constituants Résumé – Ce chapitre présente une première étude de l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative. En référence au cadre théorique de la NDM, le modèle RPD (Klein, 1997), le concept de Consience de la Situation et le concept de schéma sont mis à l’épreuve d’une situation de contre-attaque au football. Des données comportementales sont enregistrées auprès de 12 joueurs de football de niveau national (catégorie 16 ans) et complétées par des données verbales recueillies lors d’un entretien d’autoconfrontation. L’analyse de l’activité décisionnelle permet de décrire l’activation et les enchaı̂nements préférentiels (scripts) de 16 schémas typiques chez des experts en situation de forte contrainte temporelle. Ces schémas constituent des structures d’arrière-plans types qui articulent des variables perceptives et cognitives et permettent la reconnaissance rapide d’une situation. Ce fonctionnement économique apparaı̂t nécessaire pour prendre des décisions tactiques dans un contexte dynamique (sous pression temporelle, fluctuant et incertain). Ces résultats éclairent en partie la complexité de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative, et nous invitent à interroger plus précisément le rôle des partenaires comme un élément privilégié du contexte. Cyril Bossard 107 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle Introduction Au cours de notre revue de question (Chapitre 1, p 29) nous avons rappelé les variables cognitives et perceptives habituellement convoquées pour caractériser la décision tactique en sports collectifs. Les résultats ont contribué à expliquer la supériorité de l’expert. Ces derniers disposent d’un nombre important de connaissances spécifiques liées à leur domaine. Une organisation rationnelle en réseau sémantique de ces connaissances en MLT permet d’assurer, en partie, la pertinence de la décision tactique quand la pression temporelle est faible. La double modalité de fonctionnement mnémonique des individus (activation indirecte délibérée vs activation directe automatique) apporte des réponses sur la capacité des joueurs experts à répondre rapidement en sports collectifs. La rapidité nécessaire à la décision tactique (i.e. au cours de l’action et sous pression temporelle pour notre objet d’étude) est aussi favorisée par une habileté perceptive accrue : les experts sont capables de prélever et de traiter les informations essentielles et pertinentes pour décider en sports collectifs. L’ensemble de ces travaux concourt à la modélisation de l’expertise au regard de variables (ici, perceptives et cognitives) identifiées, isolées et étudiées dans des conditions standardisées. Les résultats montrent l’influence de ces variables sur la performance et/ou l’apprentissage (stratégie anticipatoire, regroupement perceptif). D’un point de vue méthodologique, les tâches expérimentales utilisées sont souvent éloignées des situations réelles de sports collectifs. Les principes théoriques qui guident ces études considèrent l’activité du sujet de manière morcelée, au regard de la composante étudiée (perceptive, cognitive, ou mnémonique), et non dans sa globalité. Une importante évolution en sciences humaines conduit aujourd’hui de nombreux chercheurs à appréhender l’activité humaine en cherchant à conserver sa complexité. Plus particulièrement, l’approche NDM propose d’analyser l’activité décisionnelle en situation dynamique à travers l’étude du couplage sujet-situation. Cette approche considère la prise de décision comme un processus encapsulé dans la situation. Au cours du chapitre consacré à ce cadre théorique et méthodologique (Chapitre 2, p 53), nous avons relevé plusieurs modèles et concepts qui nous semblent particulièrement heuristiques pour appréhender notre objet d’étude : « le modèle RPD, le modèle Situation Awareness, et le concept de schéma ». Le projet de ce chapitre est de contribuer à la validation empirique de cette approche dans le cadre des sports collectifs, et par sa mise à l’épreuve face à l’exigence d’une des situations dynamiques et collaboratives typiques des sports collectifs : la contre-attaque en football. 108 Cyril Bossard Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle Objectifs L’objectif principal de cette première étude est de proposer une analyse de l’activité de joueurs experts en situation de contre-attaque au football. Rappelons que dans notre démarche de recherche, l’analyse et la modélisation de l’activité individuelle de l’expert constitue conjointement : 1) un préalable à l’analyse de l’activité collaborative et 2) un pré-requis nécessaire au développement d’un outil, d’un environnement virtuel simulant des situations de jeu au football. Pour notre part, l’analyse de l’activité part de ce qui est significatif du point de vue de l’acteur engagé dans la situation (Zsambok et Klein, 1997). Ainsi, le niveau d’analyse choisi est local, contextualisé, « tactique » pour reprendre la terminologie sportive. En outre, il ne prétend pas rendre compte de l’ensemble des niveaux d’organisation de l’activité (par exemple, il ne décrit pas les processus de contrôle moteur ou de pré-planification de l’activité : décision stratégique). Notre objectif consiste à proposer une description symbolique acceptable (Varela, 1989) de la dynamique du couplage structurel du joueur avec la situation. Plus particulièrement, nous souhaitons rendre compte à la fois de la dimension diachronique et synchronique des décisions tactiques engagées par les joueurs experts en situation de contreattaque. Problématique et Hypothèses Le positionnement théorique de la NDM nous conduit à étudier l’activité décisonnelle en prenant en compte sa complexité. La décision tactique en sports collectifs sera abordée de façon holistique comme le résultat d’une articulation de variables cognitives et perceptives. Plus précisément, l’étude du couplage entre le sujet et le contexte, devrait nous permettre d’identifier une succession de situations vécues (« situation awareness ») au cours de l’action par les joueurs. Par hypothèse, l’activité de chaque individu, les différentes situations vécues permettront d’identifier des structures cognitives d’arrière-plan types, i.e. des schémas typiques. Un schéma donne du sens à la situation vécue et permet de prendre des décisions tactiques contextualisées. En référence au cadre théorique de la NDM, quatre hypothèses peuvent être formulées. Les deux premières s’appliquent à l’ensemble des activités humaines complexes en situation dynamique, notamment les situations de travail dites « critiques » (Lipshitz et al., 2001). Les deux suivantes sont plus liées à l’analyse de l’activité décisionnelle en situations de contreattaque au football. Notre première hypothèse concerne l’activité décisionnelle en situation dynamique. Nous postulons que celle-ci peut être exprimée du point de vue du sujet à partir des informations qu’il considère significatives. La « conscience de la situation » désigne une enveloppe spatio- Cyril Bossard 109 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle temporelle qui permet d’analyser l’activité décisionnelle du sujet. L’ensemble des informations « enfermées » dans cette enveloppe renvoie à un état du couplage cognitif entre le sujet et la situation (Flach, 1995). Ces informations significatives expriment ainsi la situation telle quelle est vécue par le sujet. L’activité du sujet en situation dynamique peut alors se décrire de façon diachronique à partir d’une succession de situations vécues en cours d’action. Ces différentes situations vécues correspondraient à la manifestation de différents schémas activés par le contexte (Hypothèse 2). Le schéma représente l’ensemble des informations significatives enfermées dans la situation vécue et se décrit comme un package cognitif comportant des actions, des résultats, des informations contextuelles, des connaissances et des buts (Klein, 1997). En situation de contre-attaque au football, l’expertise des joueurs devrait entrainer une forte homogénéité des schémas activés (Hypothèse 3). Cette homogénéité s’exprime à travers des similitudes dans les situations vécues, dans les informations significatives prises en compte et dans les décisions tactiques adoptées. Dès lors, la récurrence et l’homogénéité des informations significatives relevées pour l’ensemble des sujets devraient permettre de proposer une description synchronique des « schémas typiques » activés lors de situations de contre-attaque en football par des sujets experts. De façon complémentaire, le déroulement ou la prise en compte de l’évolution dynamique du contexte devrait permettre une description diachronique des schémas typiques activés (Hypothèse 4). Nous entendons par description diachronique l’identification des « enchaı̂nements préférentiels » (scénarii typiques) chez des experts en situation de contre-attaque. Nous chercherons à valider nos hypothèses dans le cadre d’un protocole de recherche précis. Dans la partie suivante, nous présentons la méthode mobilisée pour l’étude de l’activité décisonnelle individuelle en situation dynamique collaborative. Dans un souci de concrétisation de nos propos, nous illustrerons la présentation de la méthode par des exemples précis de données et de résultats. 4.1 4.1.1 Méthode Participants L’étude a été menée en collaboration avec 12 joueurs de football volontaires, de niveau national pour leur catégorie (16 ans), appartenant au centre de formation du club de football Stade Brestois 29. Le groupe a été choisi sur indications du responsable du centre de formation : il est constitué pour moitié de joueurs à vocation offensive, et pour moitié de joueurs à vocation défensive (Cf. postes habituels dans Tableau 4.1). 110 Cyril Bossard Méthode Sujet Age Gautier Bastien Gaétan Charles Jordan Kevin Flavien Benoı̂t Michel Benjamin Thibault Paul 16 16 16 16 16 16 15 16 16 15 16 16 Nombre d’années de pratique du football 11 9 11 10 11 11 8 8 10 10 11 11 Nombre d’années dans le club 5 2 5 2 2 3 3 1 1 2 6 5 Nombre d’années dans la catégorie 2 2 2 2 2 2 2 2 2 1 2 2 Poste(s) habituel(s) DD MC MC DG DD MC Df-Of AC-MD MG Of-A MD DC DC DC Equipe rouge jaune violette verte D (défenseur), M (milieu), A (attaquant), Df (défensif), D (droit), G (gauche), C (centre), Of (offensif). Tableau 4.1 – Caractéristiques générales des participants. La moyenne d’âge des joueurs sélectionnés est de 15,8 ans (écart type : 0,38). La moyenne des années de pratique du football atteint les 10 ans respectant ainsi les préconisations de Ericsson (2005) pour des études sur l’expertise. Un contrat moral concernant leur anonymat a été passé dans le cadre de cette étude (Cf. Demande d’autorisation et Formulaire de consentement en annexe A, p 260). Afin de garantir cette relative confidentialité, les joueurs sont nommés à l’aide d’un pseudonyme : Gautier, Bastien, Gaétan, Charles, Jordan, Kevin, Flavien, Benoı̂t, Michel, Benjamin, Paul, Thibault. La composition des triplettes a été réalisée par l’entraı̂neur de l’équipe. Ce dernier les a organisées en cherchant à réunir des joueurs habitués à évoluer régulièrement ensemble (entraı̂nements et matchs). 4.1.2 Contexte de l’étude Notre étude a été réalisée dans le contexte d’un entraı̂nement hebdomadaire (le mardi) de fin de saison (juin) et à un horaire habituel pour les joueurs (17h-19h). Les joueurs de ce groupe d’entraı̂nement ne connaissaient pas encore leur avenir au sein de la structure. La décision de poursuivre ou non dans le club avait lieu le lendemain de l’entraı̂nement. L’entraı̂neur a rappelé cette information aux joueurs avant la séance afin que les joueurs s’impliquent sérieusement dans les situations proposées. Le choix d’un entraı̂nement de football comme contexte d’étude est intéressant pour modéliser l’activité décisionnelle dans la mesure où nous considérerons l’activité cognitive Cyril Bossard 111 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle comme : • Incarnée : en football, comme dans de nombreuses situations sportives, l’activité cognitive est indissociable de l’action, et l’objectif est de mobiliser des « compétences en actes » plus que des connaissances. • Partagée, significative culturellement, car le football véhicule un système complexe de règles (sportives) et de normes (équipe, club). • Imprégnée d’émotions : car agir dans un contexte de visibilité sociale, de compétition, et de production de performance induit une pression émotionnelle particulièrement forte chez l’adolescent. De plus cette pression émotionnelle peut également être affectée par la dynamique de groupe (affinités, rivalités, etc.). • Sociale et interactive car elle prend place dans un monde où existent d’autres acteurs. L’ensemble des joueurs participent à cette activité. L’activité n’est pas seulement individuelle, elle est aussi sociale, collective. Dans ce contexte d’entraı̂nement, nous avons étudié l’activité des sujets dans une situation favorisant l’émergence de contre-attaque (Figure 4.1). La situation d’étude que nous avons proposée doit être considérée comme une situation d’étude privilégiée (Grison et al., 2000). Cette situation possède l’avantage d’être reconduite à plusieurs reprises afin de consolider le recueil de données. Le choix de la situation d’étude favorisant les contre-attaques s’est construit en collaboration avec l’entraı̂neur. Elle a été testée 2 fois par un groupe et un entraı̂neur différent. Cette exploration a permis de questionner des pratiquants et des entraı̂neurs sur la crédibilité de la situation au regard des contre-attaques vécues lors de compétitions. Des allers-retours entre pratiquants, entraı̂neurs, et chercheurs ont permis d’affiner les consignes à donner aux participants, ou encore d’ajuster certaines caractéristiques de la situation (distance des plots, taille des zones, règles supplémentaires). Par exemple, nous avions imaginé uniquement une zone centrale comme point de départ des contre-attaques. Or les entraı̂neurs ont tous insisté sur le fait que les contre-attaques se déclenchent également à partir d’une récupération sur l’un ou l’autre des côtés. Dès lors, nous avons varié la zone de départ de la situation (droite, gauche et centre). Ensuite, les entraı̂neurs ont également insisté sur la nécessité de mettre en place des conditions qui permettent aux joueurs d’organiser la récupération du ballon puis de contre-attaquer. Ainsi, les joueurs impliqués dans la contre-attaque sont d’abord placés dans un rôle défensif. Au départ de la situation d’étude, c’est l’équipe adverse qui dispose du ballon. Finalement, les triplettes de joueurs ont toutes effectué 5 passages dans la situation d’étude. 112 Cyril Bossard Méthode À la suite de Rogalski (2003), il est possible de considérer ce contexte d’entraı̂nement et cette situation d’étude privilégiée comme un environnement fluctuant et incertain, donc dynamique (Hoc, 2001). Figure 4.1 – Modélisation 3D de la situation d’étude favorisant les contre-attaques 4.1.3 Recueil des données La procédure de recueil des données est inspirée des méthodes présentées dans le chapitre 2 (CDM). Deux types de données sont recueillis : des données d’observation relatives à l’activité des joueurs en situations de contre-attaque et des verbalisations provoquées lors d’un entretien d’autoconfrontation consécutif à la séance d’entraı̂nement. Les données d’observation sont recueillies grâce à l’enregistrement audiovisuel des comportements lors des 5 répétitions de la situation d’étude pour chaque triplette. Les situations sont filmées à l’aide d’une caméra vidéo numérique placée à hauteur d’homme dans le rond central. Nous optons pour un plan fixe, large, cadrant le 1/2 terrain où se déroule la situation d’étude privilégiée. Ce dispositif permet d’enregistrer en continu les actions de l’ensemble des joueurs s’affrontant au cours d’une situation de contre-attaque. Le positionnement et l’angle de vue se rapprochent de la vision des joueurs pour faciliter l’entretien d’autoconfrontation. Les données de verbalisation sont recueillies au cours d’entretiens d’autoconfrontation menés a posteriori. Cette forme d’entretien consiste à confronter un acteur aux traces audiovisuelles d’une période de son activité (Von Cranach et Harré, 1982; Theureau, 1992), présentées pour favoriser le rappel des informations effectivement mobilisées lors des situations choisies pour l’étude (Figure 4.2). Le chercheur tente de placer l’acteur dans une posture et un état mental favorables à l’explicitation de son activité grâce à des relances portant sur les Cyril Bossard 113 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle sensations (comment te sens-tu à ce moment ?), les perceptions (qu’est-ce que tu regardes ?), les focalisations (à quoi fais-tu attention ?), les préoccupations (qu’est-ce que tu cherches à faire ?), les émotions (qu’est-ce que tu ressens ?) et les pensées (qu’est-ce que tu penses ?). Figure 4.2 – Entretien d’autoconfrontation L’entretien d’autoconfrontation reprend certains principes de l’entretien d’explicitation développé par Vermersch (1994) mais s’en distingue par deux points essentiels : (a) le rappel de l’activité est facilité par des traces (des enregistrements audio-visuels bien souvent) et non par une « mise en évocation » (Vermersch, 1994) ; (b) les relances de l’interviewer accompagnent, et respectent la chronologie de l’activité ; elles insistent sur des descriptions spontanées de l’acteur pour les préciser, mais ne visent pas à déconstruire pas à pas un moment particulier de l’activité. Les entretiens d’autoconfrontation ont eu lieu à la suite de la séance d’entraı̂nement et le lendemain pour les 12 acteurs impliqués. Pour éviter d’éventuels biais, l’entraı̂neur a accepté de ne pas commenter les situations avec les joueurs avant les entretiens. Lors de ces entretiens, le chercheur et le joueur visionnent ensemble la cassette vidéo de la situation d’étude (Figure 4.2). Le joueur est invité à décrire et à commenter son activité au cours des séquences étudiées et choisies. Le joueur ou le chercheur peuvent arrêter le défilement de la bande et revenir en arrière. Les relances portent essentiellement sur les actions qui sont significatives (et par conséquent décrites et explicitées) par les joueurs au cours des situations et sur des événements à propos desquels le chercheur souhaite obtenir des informations complémentaires. Les entretiens sont intégralement enregistrés à l’aide d’un magnétophone. 114 Cyril Bossard Analyse des données Tous les entretiens sont réalisés par le même chercheur qui a déjà réalisé de tels entretiens au cours de précédentes études. Le partage d’une culture sportive commune entre le chercheur et les joueurs facilite la compréhension des propos des joueurs et évitent les relances conduisant à un registre explicatif. Le fait que le chercheur ne soit pas impliqué dans l’entraı̂nement et la sélection des athlètes favorise la sincérité des propos des athlètes. Ce type d’entretien repose sur un véritable contrat de collaboration entre les joueurs, leur entraı̂neur et le chercheur. 4.2 Analyse des données Chaque film vidéo a été visionné de façon à répertorier les actions des protagonistes engagés dans la situation d’étude privilégiée. Nous cherchons à rendre compte le plus précisément possible des actions des joueurs d’une façon neutre, c’est-à-dire sans inférence relative à leurs intentions. Le vocabulaire employé pour décrire les actions des joueurs reprend pour partie les conventions du langage technique utilisé par les entraı̂neurs et les joueurs de football. Les communications verbales des joueurs et du chercheur au cours des entretiens ont été intégralement retranscrites. L’analyse des données reprend des procédures présentées dans le chapitre 2. Compte tenu que nous nous situons dans la continuité des travaux de Piegorsch et al. (2006), nous opterons pour une catégorisation théorique pour coder les unités significatives en respectant 5 étapes1 : 1. la retranscription des données, 2. la sélection et l’identification des unités significatives, 3. le découpage du déroulement de l’activité en situations vécues, 4. le regroupement des situations vécues pour identifier des schémas typiques, 5. la validité de l’analyse. 4.2.1 La retranscription des données d’observation et d’autoconfrontation L’ensemble des données recueillies a été préparé en vue des analyses de contenu successives. Plus précisément, le thème général « activité décisionnelle » sert de guide pour sélectionner les portions de discours et les comportements. Pour chaque sujet, des protocoles 1 L’intégralité de l’analyse des données de l’activité individuelle est disponible à l’adresse internet suivante : http ://www.enib.fr/∼bossard/ Cyril Bossard 115 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle Volet 1 Situations d’étude Volet 2 Contexte objectif Comportements observés 3ème passage Triplette violette Au pressing, récupère la balle, se retourne, lève la tête, longue passe pour Benoı̂t dans l’axe, continue sa course sur le côté droit, repique dans l’axe, récupère le ballon, rentre dans la surface, pique le ballon avec extérieur du pied droit, marque un but Volet 3 Situations vécues Verbalisations Je récupère la balle, je lève la tête et je regarde directement où sont mes partenaires, je regarde les 2, je conduis la balle et je la donne à Benoı̂t comme il a libéré de l’espace en embarquant le défenseur avec lui, je lui mets la balle en profondeur. Là, après je vais au deuxième poteau, parce que j’ai vu Flavien revenir dans ma zone au centre, j’attends que Benoı̂t me fasse la passe mais le défenseur qui revient la touche du bout du pied, je la récupère quand même, je me mets dans la position de frapper, le défenseur me tacle, je l’évite et je mets une pichenette par-dessus le gardien. Là j’ai vu que le gardien s’avance vers moi et se couche, du coup je pique la balle et ça rentre Tableau 4.2 – Exemple de tableau à trois volets (Benoı̂t) à trois volets ont été réalisés en respectant le décours temporel de la situation d’étude (Cf. Tableau 4.2, p 116). La première colonne référence la situation étudiée afin de faciliter l’analyse pour le chercheur. Dans une deuxième colonne, le contexte objectif est décrit par le chercheur au travers des changements de rôles du joueur et d’une description des événements. Elle présente une description comportementale de l’activité du joueur à l’aide d’un verbe d’action éventuellement suivi d’un complément (regarde vers un partenaire, court, s’arrête) et en évitant toute interprétation. Dans une troisième colonne, les verbalisations obtenues lors des autoconfrontations sont retranscrites. Cet aspect de la méthode se rapproche de la méthodologie d’analyse de la NDM (Lipshitz et al., 2001) et de celle de l’analyse sémiologique du cours d’action (Theureau, 2004), actuellement utilisée dans de nombreuses recherches dans le domaine de l’enseignement (Guérin et al., 2005) et de l’entraı̂nement sportif (Sève et al., 2002). 116 Cyril Bossard Analyse des données 4.2.2 La sélection et le codage des unités significatives : les éléments du schéma A partir d’une présentation du protocole à trois volets, cette étape consiste en une catégorisation théorique de données recueillies. Dans un premier temps nous sélectionnons les données qui se rapportent à notre objet d’étude : l’activité décisionnelle. Nous utilisons ensuite pour coder les unités significatives sélectionnées un système de catégories donné (Bardin, 1998), des catégories définies a priori à partir de notre cadre théorique (Chapitre 2, p 53). 4.2.2.1 Sélection des unités significatives Il s’agit ici de découper les données brutes en unités significatives, c’est à dire certains comportements, mots ou passages de l’entretien qui décrivent l’activité effective du joueur en situation. Dans cette étude, on utilise une analyse thématique (Bardin, 1998), c’est-àdire que les unités significatives se dégagent du texte en fonction de l’objet d’étude (activité décisionnelle) qui guide la lecture. Nous utilisons successivement deux critères pour sélectionner les unités significatives au cours de l’analyse de contenu : • la verbalisation est compatible avec le comportement décrit en vis-à-vis dans le volet 1; • la verbalisation désigne l’activité en relation directe avec la situation, c’est-à-dire qu’elle renseigne sur ce que le sujet fait, perçoit, ressent, ou pense effectivement dans la situation. 4.2.2.2 Codage des unités significatives Dans un second temps, l’analyse du contenu se poursuit en référence aux hypothèses théoriques. On utilise un système de codage en référence à l’approche théorique de la NDM (Ross et al., 2006). Par hypothèse, la perception du contexte par un sujet à un moment donné s’effectue au travers d’un schéma. Son discours, relatif à ses buts successifs, ses connaissances, ses actions et à divers éléments du contexte perçu, doit permettre d’identifier par inférence les structures cognitives actives, les schémas mobilisés, au cours de la situation étudiée. Ici, à chaque unité significative on attribue un code (en lettre majuscule) qui renvoie aux différents constituants du schéma : des buts (B), des actions (A), des connaissances (C), des éléments contextuels perçus comme significatifs par le sujet (I), et des résultats ou attentes de résultats (R) (Cf. Tableau 4.3, p 118). La transcription des données selon les trois volets permet la confrontation entre le Cyril Bossard 117 3ème passage Triplette violette Volet 2 Contexte objectif Comportements observés Volet 3 Situations vécues Verbalisations Sélection des U.S Au pressing, récupère la balle, se retourne, lève la tête, longue passe pour Benoı̂t dans l’axe, continue sa course sur le côté droit, repique dans l’axe, récupère le ballon, rentre dans la surface, pique le ballon avec extérieur du pied droit, marque un but Je récupère la balle, je lève la tête et je regarde directement où sont mes partenaires, je regarde les 2, je conduis la balle et je la donne à Benoı̂t comme il a libéré de l’espace en embarquant le défenseur avec lui, je lui mets la balle en profondeur. Là, après je vais au deuxième poteau, parce que j’ai vu Flavien revenir dans ma zone au centre, j’attends que Benoı̂t me fasse la passe mais le défenseur qui revient la touche du bout du pied, je la récupère quand même, je me mets dans la position de frapper, le défenseur me tacle, je l’évite et je mets une pichenette par-dessus le gardien. Là j’ai vu que le gardien s’avance vers moi et se couche, du coup je pique la balle et ça rentre Je récupère la balle (A), je lève la tête (A) je regarde directement où sont mes 2 partenaires (A), je conduis la balle (A) je la donne à Benoı̂t (A) il a libéré de l’espace en embarquant le défenseur avec lui (I), je lui mets la balle en profondeur (A). je vais au deuxième poteau (A), j’ai vu Flavien revenir dans ma zone au centre (I), j’attends que Benoı̂t me fasse la passe (R) le défenseur qui revient la touche du bout du pied (I), je la récupère (R), je me mets dans la position de frapper (A), le défenseur me tacle (I), je l’évite (A) je mets une pichenette par-dessus le gardien (S), j’ai vu que le gardien s’avance vers moi (I) et se couche (I), je pique la balle (S) ça rentre (R). (B) But, (A) Action, (C) Connaissance, (I) Information contextuelle, (R) Résultat ou attente, (S) Spécification. Cyril Bossard Tableau 4.3 – Sélection des Unités Significatives (U.S) Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 118 Volet 1 Situations d’étude Analyse des données contexte objectif, les données comportementales et les données verbales, ce qui favorise la vérification de la validité écologique des unités significatives sélectionnées. 4.2.3 Le découpage du déroulement de l’activité en situations vécues Le concept de « Situation Awareness » (Flach, 1995) constitue un cadre d’analyse complémentaire. La conscience de la situation renvoie à la situation telle qu’elle est vécue par l’acteur au travers des verbalisations rapportées et des comportements produits. D’un point de vue théorique, la CS comprend à la fois l’état de perception immédiate de la situation et la construction de cet état. Ici, nous découpons le flux de l’activité du sujet pour identifier et distinguer les situations telles qu’elles ont été vécues. Nous utilisons un critère de fond (les unités significatives) et un critère de forme (les mots de liaison) pour découper le déroulement de l’activité en situations vécues successivement (Tableau 4.4, p 120). 4.2.3.1 Un critère de fond : les unités significatives Par hypothèse, les différentes situations vécues par le sujet sont la manifestation d’un couplage entre le contexte et les différents schémas activés. Chaque situation vécue constitue en quelque sorte une « enveloppe » pour analyser l’évolution de l’activité des sujets. La dynamique de l’activité se traduit par un processus d’ouverture et de fermeture de cette enveloppe, ce qui nous permet de déceler un état initial et un état final à travers les verbalisations et comportements du sujet. Par hypothèse, la préoccupation du sujet (le but recherché) ou la première action entreprise constitue un indice de l’ouverture de la situation, et le résultat ou l’attente de résultat pouvant indiquer sa clôture. Le codage initial des unités significatives est donc essentiel pour effectuer le découpage de l’activité. Le déroulement temporel de la situation sert de fil conducteur pour examiner l’activité du sujet et identifier les ruptures, les changements de buts et les résultats délimitant chaque situation vécue (CS). Les événements contextuels objectifs (récupération du ballon) et les comportements du joueur (tire au but) sont également des indicateurs précieux. 4.2.3.2 Un critère de forme : les mots de liaison Parfois, le sujet ne verbalise pas le but recherché ou le résultat attendu, ou le comportement produit ne permet pas d’inférer l’état initial et final. Dès lors, un critère de forme complète l’analyse sémantique pour permettre le découpage des situations vécues par le chercheur. Au cœur du discours, certains mots (là, maintenant, après...) sont la manifestation de ruptures dans le déroulement de l’action, et peuvent constituer des indices pour le passage à une nouvelle situation. Cyril Bossard 119 3ème passage Triplette violette Volet 2 Contexte objectif Comportements observés Au pressing, récupère la balle, se retourne, lève la tête, longue passe pour Benoı̂t dans l’axe, continue sa course sur le côté droit, repique dans l’axe, récupère le ballon, rentre dans la surface, pique le ballon avec extérieur du pied droit, marque un but Volet 3 Situations vécues Verbalisations Je récupère la balle, je lève la tête et je regarde directement où sont mes partenaires, je regarde les 2, je conduis la balle et je la donne à Benoı̂t comme il a libéré de l’espace en embarquant le défenseur avec lui, je lui mets la balle en profondeur. Là, après je vais au deuxième poteau, parce que j’ai vu Flavien revenir dans ma zone au centre, j’attends que Benoı̂t me fasse la passe mais le défenseur qui revient la touche du bout du pied, je la récupère quand même, je me mets dans la position de frapper, le défenseur me tacle, je l’évite et je mets une pichenette par-dessus le gardien. Là j’ai vu que le gardien s’avance vers moi et se couche, du coup je pique la balle et ça rentre Découpage des situations Je récupère la balle (A), je lève la tête (A) je regarde directement où sont mes 2 partenaires (A), je conduis la balle (A) je la donne à Benoı̂t (A) il a libéré de l’espace en embarquant le défenseur avec lui (I), je lui mets la balle en profondeur (A) je vais au deuxième poteau (A), j’ai vu Flavien revenir dans ma zone au centre (I), j’attends que Benoı̂t me fasse la passe (R) le défenseur qui revient la touche du bout du pied (I), je la récupère (R) Cyril Bossard je me mets dans la position de frapper (A), le défenseur me tacle (I), je l’évite (A) je mets une pichenette par-dessus le gardien (S). j’ai vu que le gardien s’avance vers moi (I) et se couche (I), je pique la balle (S) ça rentre (R). (B) But, (A) Action, (C) Connaissance, (I) Information contextuelle, (R) Résultat ou attente, (S) Spécification. Tableau 4.4 – Regroupement des U.S Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 120 Volet 1 Situations d’étude Analyse des données Les ruptures successives (identifiées à partir du fond et de la forme du discours) dans le déroulement temporel de l’activité du sujet permettent consécutivement de découper l’activité du sujet en situations vécues. Par hypothèse, la situation vécue par le joueur renvoie au contexte perçu par lui comme significatif au travers d’un schéma activé. En regroupant par similitudes l’ensemble des situations vécues, l’analyse devrait permettre d’identifier les schémas typiques activés par les experts en situation de contre-attaque. 4.2.4 Le regroupement des situations vécues et l’identification a posteriori des schémas typiques Quand les membres d’un groupe partage des expériences communes, ils construisent des schémas similaires, ce qui leur permet de répondre de façon similaire dans les situations (Piegorsch et al., 2006). Ceci est plus particulièrement le cas quand les sujets sont experts dans leur domaine (Svenson, 1999). Dans l’étape précédente d’analyse des données, nous avons utilisé une catégorisation thématique des unités significatives à partir de concepts théoriques existants (les constituants du schéma). Ici nous utilisons une autre forme de catégorisation, utilisée dans l’analyse d’activités sportives (Macquet, 2001; Macquet et Fleurance, 2007) ou de situations de travail en milieu hospitalier (Strauss et Corbin, 1998) et qui consiste à opérer une catégorisation empirique. Nous procédons ici, à des regroupements par associations d’unités d’analyse (ici les différentes situations vécues par nos sujets). Par approximations successives, nous procédons au regroupement de différentes situations vécues de la même façon par différents sujets. Parfois, l’identification d’un moment précis de la contre-attaque (début ou fin de la situation d’étude privilégiée) peut nous aider à regrouper plusieurs situations vécues par différents joueurs. Le titre conceptuel n’est défini qu’en fin d’analyse (Bardin, 1998). Selon notre hypothèse, un schéma typique est obtenu puis nommé après le regroupement des situations vécues. Il s’agit bien de « faire émerger la théorie à partir de données » (Dumas, 2000). 4.2.5 Validité de l’analyse À l’instant où toutes les données de nouveaux sujets peuvent être assimilées, associées aux données précédentes, sans nécessiter la création d’une nouvelle catégorie au sein du modèle (phénomène de saturation d’après Piegorsch et al. (2006)), alors nous considérons que le modèle élaboré traduit bien la diversité du phénomène, la diversité des schémas typiques activés en situation de contre-attaque. Trois autres principes sont appliqués pour conférer à l’analyse une bonne validité. Selon le principe d’exclusivité mutuelle, les unités d’analyses (situations vécues) ne peuvent appartenir qu’à une seule catégorie à la fois. Toutes les Cyril Bossard 121 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle unités d’analyse doivent également pouvoir être classées dans une même catégorie (principe d’exhaustivité). Enfin, le regroupement proposé doit être univoque (principe de fidélité). Ce regroupement empirique est validé par d’autres chercheurs à partir d’une procédure de « triangulation ». La validité de l’analyse des données et la catégorisation proposée repose sur une procédure de « triangulation » entre trois chercheurs (l’auteur, Kermarrec, G. et Cormier, J.). Le premier étudie l’activité décisionnelle des experts en sports collectifs (football), le deuxième étudie l’activité significative des apprenants en situation scolaire (EPS), et le troisième étudie l’activité décisionnelle des experts en hockey sur glace. Les catégories sont proposées par le premier chercheur, les deux autres effectuent individuellement une relecture attentive. En cas de désaccord, les trois chercheurs tentent de construire une proposition commune. Cette méthodologie nous semble particulièrement adaptée à l’étude des schémas activés en situation de contre-attaque par les joueurs experts au football. En effet, si les recherches dans le courant de la NDM concluent généralement que la décision experte est guidée par l’évocation de schémas, une seule étude à notre connaissance, a tenté d’obtenir une validation empirique de leur activation en situation naturelle (Piegorsch et al., 2006) et aucune n’est disponible dans le domaine des activités sportives. 4.3 Résultats Pour cette étude, nous avons pris en compte 5 situations de contre-attaque par triplette. À partir des 12 entretiens d’auto-confrontation menés avec chacun des sujets, nous obtenons des comportements et des verbalisations sur 60 contre-attaques réalisées dans une situation d’étude privilégiée en football. Les résultats obtenus sont présentés en respectant les étapes de la méthode d’analyse des données précédemment décrite : la sélection et le codage des unités significatives, le découpage du déroulement de l’activité en situations vécues, le regroupement des situations vécues par similitudes, et l’identification des schémas typiques. 4.3.1 Les données verbales et comportementales retenues L’ensemble des données recueillies a été préparé en vue des analyses de contenu successives (voir 4.2.2, p 117). Plus précisément, nous travaillons à partir des données sélectionnées en relation avec le thème général « activité décisionnelle ». Certaines propositions peuvent être recodées : « on presse sur les deux joueurs adverses », « on va vite là » désignent des actions réalisées en groupe pour atteindre l’objectif de la situation. Nous considérons que le sujet décrit son activité en assimilant « je » et « on ». 122 Cyril Bossard Résultats Ce recodage doit être limité à une description précise, associée à une occurrence particulière (« là, on/je presse le joueur adverse »). A partir de ce travail d’identification et de codage des US, nous conservons une liste chronologique de comportements et de verbalisations. Ces unités constituent une description acceptable de l’activité décisionnelle du sujet en situation de contre-attaque. Ce travail étant effectué pour les 12 sujets, nous obtenons une liste de 1 290 unités significatives. 4.3.2 Les éléments constitutifs des schémas Nous avons identifié dans les protocoles verbaux et comportementaux toutes les informations significatives du point de vue des sujets pour prendre des décisions tactiques. L’analyse des données par catégorisation théorique fait apparaı̂tre que ces unités se répartissent en fonction des 5 concepts théoriques attendus : action (A), but (B), connaissances (C), informations contextuelles (I), et résultats ou attentes de résultats (R) ; et un nouveau : spécifications (S). Au sein de certaines de ces catégories, des sous-catégories sont également identifiées. Ces différents éléments permettent de classer l’ensemble des 1290 unités significatives sélectionnées. Dans les paragraphes suivants, nous analysons en détail ces différentes catégories, ces éléments constitutifs des schémas. La catégorie But comprend 159 unités significatives. Ces unités expriment le but recherché par le sujet en situation : « Je veux aller vite devant pour frapper » ; « mon idée c’est de l’éliminer » ; « je pense que à foncer sur le défenseur pour le provoquer, pour le fixer dans l’axe » ; « je pense juste à être en soutien » ; « mon idée c’est de partir sur le côté droit ». Toutes les unités de cette catégorie traduisent la préoccupation principale du sujet, c’est-à-dire « ce qu’il cherche à accomplir à un instant t de la situation ». La catégorie Connaissances réunit 132 unités significatives. La quantité importante de données nous conduit à proposer des regroupements en fonction de 2 sous thèmes. Ainsi, les unités renvoient soit à des connaissances déclaratives soit à des connaissances procédurales. Les connaissances déclaratives sont des connaissances générales et permettent d’expliquer les choix. Dans notre étude, elles concernent principalement les adversaires (« je sais qu’il va vite le défenseur, qu’il court plus vite que moi »), les partenaires (« techniquement il est meilleur, Paul voit mieux le jeu que moi »), la situation de contre-attaque (« il faut aller vite »), la conception du jeu au football (« c’est plus joli si Gaétan finit l’action », « c’est plus collectif »),ou encore les règles du jeu (« je peux pas aller loin, sinon je suis hors-jeu »). Les connaissances procédurales renvoient à des règles d’actions individuelles et collectives. Les unités comme « je suis trop statique, je n’ai pas d’élan pour bien la taper » ou « j’attends Cyril Bossard 123 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle une distance qui permet de donner la balle sans que le défenseur la prenne » concernent la dimension individuelle. Les unités qui renvoient à la dimension collective correspondent souvent à des règles d’actions qui régissent le déplacement des joueurs : « si il choisit le côté droit, je vais à gauche et l’inverse » ; « soit il me suit et il laisse l’axe libre derrière lui, soit il va sur le porteur est c’est moi qui est libre ». La catégorie Actions réunit 378 unités significatives. Ces unités renvoient aux habiletés motrices et perceptivo-cognitives mobilisées par le sujet en situation. Certaines d’entre-elles sont verbalisées directement par le sujet tandis que d’autres sont codées au regard des comportements observés (Cf. partie précédente). Ces unités traduisent « ce que fait le sujet en situation » : « je me relève, je lève la tête, je donne la balle à Gaétan à l’intérieur » ; « je fais un crochet, je regarde où sont les autres, je temporise, je lui donne, je fais un appel à droite » ; « je lui propose une solution en soutien, je l’appelle avec la voix pour lui dire que je suis derrière ». La catégorie Résultats ou attentes de résultats regroupe 153 unités significatives. Ces unités traduisent le plus souvent le résultat de l’action entreprise ou du but recherché : « je la récupère » ; « ils perdent la balle » ; « il frappe au but » ; « je rate mon centre » ; « je me retrouve seul ». Certaines d’entre-elles traduisent également des attentes relatives à l’action en cours : « je me dis qu’il va me la mettre » ; « j’attends une passe du porteur » ; « je pense qu’il va me la mettre sans essayer de dribbler ». La catégorie Informations contextuelles comprend 451 unités significatives. Ces unités renvoient à toutes les informations perçues par le sujet en situation. Ici, la quantité d’unités significatives permet de constituer par similitudes des sous-catégories. Ces dernières révèlent des informations de natures différentes. Ainsi, certaines informations contextuelles renvoient spécifiquement aux partenaires (« je vois que Paul prend la balle » ; « Jordan se décale vers la gauche » ; « il me la remet »), d’autres aux adversaires (« je vois que le gardien s’avance » ; « je sens que un défenseur me suit » ; « je vois le défenseur entre les 2 »), et enfin au sujet lui-même (« je suis démarqué » ; « je suis bien placé » ; « je suis seul » ; « je sens la fatigue »). Enfin, une dernière catégorie permet de regrouper 17 unités significatives dans une catégorie que nous nommons Spécifications. Nous avions précisé que le codage des unités significatives restait ouvert à de nouvelles propositions. Ainsi, certaines unités ne pouvaient être classées dans les catégories initiales. Après analyse, leur regroupement nous a semblé possible au sein d’une même catégorie « S » (Spécification). Ces US mettent en avant le caractère adaptable du schéma. En effet, les joueurs adaptent les schémas activés au cours de l’action, en fonction de circonstances contextuelles particulières. Les unités les plus typiques 124 Cyril Bossard Résultats concernent les changements de direction : « du coup je pars en dédoublement dans le dos de mon partenaire » ; « je change de direction pour aller vers la droite » ; « je repars de l’autre côté ». Les joueurs peuvent aussi verbaliser une autre possibilité d’action de leurs partenaires qui participe de la même préoccupation : « il aurait pu fixer et me la mettre après, temporiser un peu fixer et la donner » ; « c’est aussi possible d’aller directement sur le défenseur au lieu de la mettre comme j’étais derrière » ; « il aurait pu mettre dans l’intervalle plus vite ». Ces unités montrent que pour un même but, au sein d’un même schéma sont associées plusieurs actions potentielles. Les spécifications sont aussi des actions mais elles sont « secondaires » au sein des schémas. Dans l’extrait suivant : « je vais à fond dans l’espace libre (A), il arrive (I), je change de direction plus à droite (S) », la spécification précise et montre l’adaptation locale de l’action. Finalement, nous obtenons une liste d’unités significatives dont le classement nous paraı̂t univoque. Ce classement est confirmé par deux autres chercheurs. Les tableaux 4.5 (p 126) et 4.6 (p 127) rappellent les 6 catégories identifiées et fournissent quelques exemples d’U.S. Nous comptabilisons le nombre d’unités significatives en fonction de leur appartenance aux catégories théoriques pour l’ensemble des sujets. La répartition quantitative de l’ensemble des unités significatives sélectionnées puis codées est présenté dans le tableau 4.7 (p 128). Cette répartition des U.S par sujet et par catégorie théorique est validé lors d’une procédure de triangulation entre trois chercheurs. Cette dernière est d’une grande utilité. Elle a permis de réduire le nombre des unités significatives sélectionnées de 1372 à 1290 US. Ensuite, elle a grandement participé au respect des principes d’exhaustivité et de fidélité de chaque catégorie théorique. Par exemple, la catégorie But est passée de 170 à 159 US, et les Informations Contextuelles de 529 à 451 US. Enfin, la triangulation a également permis de raffiner la catégorisation théorique, c’est-à-dire de dissocier certaines catégories (ou thèmes) en sous-thèmes. La catégorie « Informations contextuelles », par exemple, a été divisé en trois sous-catégories distinctes renvoyant aux informations sur les partenaires, sur les adversaires et sur soi-même. En annexe A (p 235), la répartition des US par sujet et par catégorie avant la triangulation est présentée sous forme de tableau. Les résultats rapportés sur la figure 4.3 (p 128) montrent que les informations significatives identifiées par chaque sujet et classées dans les 6 catégories varient de manière relativement importante. Ils montrent la prédominance des informations significatives se rapportant au contexte et aux actions. Les deux étapes suivantes de notre analyse de contenu consiste à découper le déroulement des différentes contre-attaques en situations vécues successivement par les joueurs, puis à regrouper les situations pour obtenir les schémas typiques. Par hypothèse, chaque situation résulte du couplage entre le contexte et un schéma activé en MLT. Cyril Bossard 125 Actions (A) Exemples « Je veux aller vite devant pour frapper » « mon idée c’est de l’éliminer » « je pense qu’à foncer sur le défenseur pour le provoquer, pour le fixer dans l’axe » « je pense juste à être en soutien » « mon idée c’est de partir sur le côté droit » « je me relève, je lève la tête, je donne la balle à Gaétan à l’intérieur » « je fais un crochet, je regarde où sont les autres, je temporise, je lui donne, je fais un appel à droite » « je lui propose une solution en soutien, je l’appelle avec la voix pour lui dire que je suis derrière » Connaissances (C) : Cyril Bossard - déclaratives « je sais qu’il va vite le défenseur, qu’il court plus vite que moi » « techniquement il est meilleur, Paul voit mieux le jeu que moi » « c’est plus joli si Gaétan fini l’action » « c’est plus collectif » « je peux pas aller loin, sinon je suis hors-jeu » « c’est à moi d’écarter et à lui de rentrer dans l’axe » - procédurales « je suis trop statique, je n’ai pas d’élan pour bien la taper » « j’attends une distance qui permet de donner la balle sans que le défenseur la prenne » « si il choisit le côté droit, je vais à gauche et l’inverse » « soit il me suit et il laisse l’axe libre derrière lui, soit il va sur le porteur et c’est moi qui suis libre » Tableau 4.5 – Liste des informations significatives utilisées pour la décision tactique en situation de contre-attaque Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 126 Catégories et sous-catégories : Les éléments du schéma Buts (B) Cyril Bossard Catégories et sous-catégories : Les éléments du schéma Informations contextuelles (I) : Exemples - sur le(s) partenaire(s) « je vois que Paul prend la balle » « Jordan se décale vers la gauche » « il me la remet » « je vois que le gardien s’avance » - sur soi « je « je « je « je - sur le(s) adversaire(s) « je vois que le gardien s’avance » « je sens que un défenseur me suit » suis démarqué » suis bien placé » suis seul » sens la fatigue » « je la récupère » « ils perdent la balle » « il frappe au but » « je rate mon centre » « je me retrouve seul » « je me dis qu’il va me la mettre » « j’attends une passe du porteur » « je pense qu’il va me la mettre sans essayer de dribbler » Spécifications (S) « du coup je pars en dédoublement dans le dos de mon partenaire » « je change de direction pour aller vers la droite » « je repars de l’autre côté » « il aurait pu fixer et me la mettre après, temporiser un peu, fixer et la donner » « aller directement sur le défenseur au lieu de la mettre comme j’étais derrière » « il aurait pu mettre dans l’intervalle plus vite » Tableau 4.6 – Liste des informations significatives utilisées pour la décision tactique en situation de contre-attaque (suite) Résultats 127 Attentes ou Résultats (R) Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle Sujets Buts Gautier Bastien Gaétan Charles Jordan Kevin Flavien Benoı̂t Michel Benjamin Thibault Paul Total % 8 11 15 12 15 18 14 17 8 14 19 8 159 12,3 Connaissances 22 9 14 7 10 7 14 19 6 4 18 2 132 10,2 Informations contextuelles 62 36 67 32 40 35 20 57 27 29 23 23 451 34,9 Actions 43 36 36 31 34 28 29 29 28 29 30 25 378 29,3 Spécifications 1 2 2 3 1 3 1 0 2 0 2 0 17 1,3 Attentes ou Résultats 21 18 11 10 6 10 12 22 9 16 11 7 153 11,9 Total 157 112 145 95 106 101 90 144 80 92 103 65 1290 100 Tableau 4.7 – Répartition des US en fonction des sujets et des catégories théoriques Figure 4.3 – Distribution du nombre d’U.S 128 Cyril Bossard Résultats 4.3.3 Le découpage du cours d’action en situations vécues et l’identification des « schémas typiques » En découpant le déroulement de l’activité de chaque joueur lors des 60 contre-attaques, nous avons identifié 180 situations vécues pour l’ensemble des 12 sujets. Dans un second temps, par catégorisation empirique, nous avons regroupé en fonction de leurs similitudes ces différentes situations vécues en 16 catégories empiriques. On peut alors considérer que ce regroupement permet d’identifier 16 « schémas typiques » utilisés par des joueurs de football experts en situation de contre-attaque : 1. « Intercepter le ballon » 2. « Observer, analyser, anticiper l’évolution de la situation » 3. « S’engager vite vers l’avant pour profiter de la récupération du ballon » 4. « Aller vite vers l’avant avec le ballon tout en étant attentif au jeu » 5. « Proposer son aide à un partenaire pour conserver le ballon » 6. « Créer de l’espace pour permettre à des partenaires de s’engager vers l’avant » 7. « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible » 8. « Choisir une solution de passe pour assurer la continuité du jeu » 9. « Attendre le soutien des partenaires » 10. « Se déplacer par rapport au hors-jeu, à l’adversaire et rechercher la rupture » 11. « Eliminer en dribblant pour progresser vers la cible » 12. « Fixer-passer pour progresser vers la cible » 13. « Se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive » 14. « Passer pour mettre le partenaire en situation favorable de frappe » 15. « Suivre l’action du partenaire pour une reprise » 16. « Chercher à tirer/frapper au but » Les informations significatives types qui composent ces schémas sont présentées de manière détaillée en annexe (Cf. Annexe A, p 243 à 259). Afin de préciser le contenu et les conditions d’apparition de ces schémas, nous détaillons 3 exemples de schéma typique. Le schéma n°1 : « Intercepter le ballon » correspond au départ de la situation de contre-attaque pour les deux joueurs positionnés dans le rectangle en pointillé (Cf. Figure 4.1, p 113). Ici, le joueur cherche à contrer l’adversaire, à l’empêcher de progresser (Kevin CAJ 3 : « l’empêcher de faire une passe entre nous deux »). Les informations contextuelles Cyril Bossard 129 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle qui sont prises en compte concernent le partenaire proche (Gaétan CAR 5 : « je suis avec Bastien, Bastien attaque le porteur ») et l’action des adversaires (Gautier CAR 4 : « il la passe à son partenaire, le mec il est statique »). Les actions qui permettent d’atteindre le but sont diverses : « presser, anticiper, bloquer, marquer, prendre le ballon ». La décision de récupérer le ballon est influencée conjointement par l’activité du partenaire proche et des adversaires directes. Ce schéma a été activé à 17 reprises. Le schéma n°7 : « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible » est évoqué à 20 reprises. Les buts formulés concernent les déplacements que le joueur cherche à effectuer (Michel CAVi 4 : « je me dis qu’il faut aller sur le côté gauche »). Les informations contextuelles relevées permettent de caractériser un contexte favorable à la continuité de la contre-attaque. Les informations sur soi se rapportent à sa position par rapport aux partenaires dans l’espace de jeu (Bastien CAR 5 : « je suis complètement à gauche, je suis disponible sur le côté si jamais Gaétan a besoin »). Les informations sur les partenaires concernent leurs statuts (Porteur du Ballon ou Non Porteur du Ballon), leurs positions et leurs déplacements (Paul CAVe 2 : « c’est Thibault qui récupère le ballon, je vois que l’autre attaquant part vers la droite »). Les informations sur les adversaires renvoient également à leur position et déplacements (Bastien CAR 4 : « le défenseur reste dans l’axe »). Cet ensemble d’informations amène le joueur à considérer la situation comme favorable. Les actions engagées renvoient aux déplacements dans l’espace et à la surveillance du Porteur de Balle (Jordan CAJ 3 : « je m’écarte vers la droite, par devant, je regarde ce qui se passe tout en courant, je regarde ses jambes et le ballon »). Au sein du schéma, des circonstances contextuelles particulières amènent le sujet à adapter son activité tout en restant préoccupé par le même but. Ainsi, des spécifications sont envisagées au cours du déplacement si l’espace vient à être occupé (Charles CAJ 2 : « du coup, je pars en dédoublement dans le dos de mon partenaire, je change de direction »). Le résultat attendu concerne la passe du partenaire (Benjamin CAVe 4 : « je pensais qu’il allait me mettre une transversale »), mais le résultat effectif peut être différent (Paul CAVe 2 : « Thibault décide de continuer seul dans l’axe et de frapper au but sans nous attendre »). Le schéma n°16 : « Chercher à tirer/frapper au but » est évoqué 16 fois. L’intention du joueur est ici d’atteindre l’objectif de la situation d’étude, celui de marquer un but (Charles CAJ 1 : « je pense à aller frapper au but »). Les informations contextuelles prises en considération permettent de reconnaı̂tre la situation comme favorable à la frappe. Elles concernent principalement la position proche de la cible (Jordan CAJ 2 : « je suis près des 18m »), les partenaires (Paul CAVe 4 : « mes partenaires sont marqués ») et le gardien de but (Kevin CAJ 5 : « le gardien est décalé de son but »). Les actions entreprises concernent la frappe de balle (Kevin CAJ 5 : « je me mets sur mon pied droit, je frappe au but »). Les spécifications renvoient aux types de frappes adoptées face au gardien (Michel CAVi 3 : 130 Cyril Bossard Résultats « finalement, je mets une pichenette par-dessus le gardien, au dernier moment je pique la balle »). Le résultat attendu renvoie à la réussite du tir (Michel CAVi 3 : « ça rentre »). Le schéma fait également apparaı̂tre des connaissances procédurales sur la frappe de balle (Gaetan CAR 5 : « je suis trop statique, j’ai pas d’élan pour bien la taper »). 4.3.4 La modélisation de l’activité décisionnelle contextualisée Les schémas typiques identifiés chez les joueurs peuvent être organisés afin de rendre compte de la dynamique de l’activité décisionnelle en situation de contre-attaque. En effet, nous observons que certains schémas sont souvent associés, l’un après l’autre, alors que d’autres ne sont jamais enchaı̂nés. Nous avons donc cherché à modéliser l’enchaı̂nement des schémas pour chaque sujet et pour chaque contre-attaque, afin de mettre à jour les « scénarii privilégiés » par les joueurs. Dans un tableau à double entrée (Tableau 4.8), nous avons indiqué dans un premier temps, les relations existantes entre les schémas typiques et le poids de cette relation pour les 5 contre-attaques étudiées : par exemple pour 2 schémas qui ont été enchaı̂nés 8 fois (quels que soient les sujets), le poids est 8. Cette relation peut être établie par sujet, par triplette, pour l’ensemble des participants, pour l’ensemble des contre-attaques, et pour les contre-attaques efficaces. Nous avons ensuite utilisé un logiciel de représentation graphique hiérarchique et orientée (Graph Visualization Software version 2.16.12 ) permettant de rendre compte des relations entre les schémas. Ainsi, les schémas sont représentés par des nœuds et la relation entre deux schémas par un arc. Le poids donné à la relation entre deux schémas est représenté par la distance (longueur de l’arc) entre deux schémas. Le logiciel restitue ensuite un graphe dont l’agencement tient compte de l’ensemble de ces paramètres. Cette approche de la représentation graphique est proche de la plupart des programmes de graphes hiérarchiques, basée sur les travaux de Sugiyama et al. (1981). Nous renvoyons le lecteur à Gansner et al. (1993) pour une explication plus poussée des algorithmes sous-jacents à la modélisation. Cette procédure de modélisation a été répétée pour l’ensemble des contre-attaques et des participants (modélisation générale), puis pour les 7 contre-attaques réussies (Cf. Figure 4.4), par triplette (modélisation par équipe), et enfin pour chacun des 12 sujets (modélisation individuelle ; Cf. Figure 4.5). La totalité de ces modélisations est présentée en annexe A (p 236 à 242). 2 http ://rpmfind.net/linux/RPM/fedora/devel/ppc64/graphviz-doc-2.16.1-0.6.fc10.ppc64.html Cyril Bossard 131 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle Schémas typiques 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 1 2 3 4 5 6 7 8 6 2 11 2 2 1 1 9 12 4 1 2 1 1 5 1 1 9 1 10 12 1 2 2 1 1 1 4 2 2 13 1 6 2 15 1 2 1 4 4 5 3 2 1 2 2 1 1 14 16 1 1 2 1 1 1 1 11 2 3 3 1 1 3 1 1 2 1 1 7 1 2 Tableau 4.8 – Enchaı̂nement entre les différents schémas typiques pour l’ensemble des participants Figure 4.4 – Modélisation des schémas typiques activés pour 7 contre-attaques réussies 132 Cyril Bossard Résultats 4.3.4.1 Un exemple : Benoı̂t La modélisation suivante présente un exemple de représentation graphique des différents schémas typiques activés par un sujet (Benoı̂t) en situation de contre-attaque (Figure 4.5). Figure 4.5 – Modélisation des schémas typiques activés par Benoı̂t en contreattaque L’analyse des graphes permet de revenir sur les éléments responsables de l’articulation des schémas au cours de l’action. Dans notre exemple, les éléments qui font basculer Benoı̂t du schéma n°1 « Intercepter le ballon » au schéma n°7 « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible », renvoient au contexte de la situation (en gras dans l’extrait). Extrait : « (...) Flavien récupère la balle (I), il s’est tout de suite dirigé vers la gauche vers le but (I), moi je me suis directement décalé vers la droite (A), pour offrir une solution sur la droite, et pour écarter le jeu au maximum (B) (...) ». (Sujet Benoı̂t CAVi 1) De la même manière, la bascule du schéma n°7 au schéma n°13 « Se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive », s’effectue encore en fonction du contexte (en gras dans l’extrait). Extrait : « (...) je vois qu’il décale sur la gauche sur Kevin (I) je pense à comment me placer pour offrir une bonne solution pour marquer le but (B), pour qu’il me la passe dans de bonnes conditions (B) (...) j’étais déjà parti vers le centre, vers la surface de réparation (R) pour être direct face au gardien (B) (...) ». (Sujet Benoı̂t CAVi 1). Cyril Bossard 133 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle Nous observons ce phénomène pour la plupart des schémas activés en situation de contreattaque par les joueurs experts. L’agencement des nœuds et des arcs dans la représentation graphique des contre-attaques réussies (rapides, fluides et qui aboutissent à une frappe cadrée) est particulièrement intéressant (Cf. Figure 4.4, p 132). En effet, le logiciel Graphviz permet de visualiser 2 « scénarii » particuliers selon le déroulement temporel de la contre-attaque (axe X) et l’évolution du statut du joueur au cours de la contre-attaque (axe Y). Ainsi, les schémas sont disposés de gauche à droite et suivent 4 « phases » de la contre-attaque : Transition (passer de la défense à l’attaque) : départ de la situation d’étude (schémas 1 et 2), assurer la continuité (schémas de 3 à 9), rechercher la rupture (schémas de 10 à 14) et finition (atteindre la cible) (schémas 15 et 16). Sur l’axe Y, on retrouve une disposition des schémas en fonction du rôle du joueur : porteur de balle (PB) ou non porteur de balle (NPB). Ainsi les schémas 1, 4, 8, 9, 12, 14, et 16 représentent le joueur en possession de la balle. Les schémas 2, 3, 6, 7, 10, 13, et 15 représentent le joueur qui évolue sans ballon. 4.4 Discussion L’objectif principal de cette étude était de proposer une analyse de l’activité décisionnelle de joueurs experts en situation de contre-attaque au football. Plus particulièrement, le projet de cette première étude était de contribuer à la validation empirique de l’approche NDM dans le cadre des sports collectifs, et de sa mise à l’épreuve face à l’exigence d’une situation dynamique et typique des sports collectifs : la contre-attaque. Dans un premier temps, nous montrons en quoi nos résultats confortent l’approche NDM pour l’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative. Dans un second temps, nous questionnons les contributions de notre première étude au regard de la description et de la compréhension des sports collectifs. 4.4.1 Décider vite et bien dans les activités humaines complexes et fluctuantes Dans ce premier point, nous discutons nos résultats au regard des deux premières hypothèses générales formulées. Nous postulions que l’activité décisionnelle s’exprime du point de vue du sujet à partir des informations qu’il considère significatives (Flach, 1995). Nous supposions alors que l’activité du sujet en situation dynamique pouvait se décrire de façon diachronique à partir d’une succession de situations vécues en cours d’action (Hypothèse générale 1). Nous faisions ensuite l’hypothèse que les différentes situations vécues par le sujet étaient la manifestation de différents schémas activés par le contexte (Hypothèse générale 2). Les informations significatives pouvaient alors être regroupées pour l’ensemble des sujets selon 5 catégories théoriques : action, résultat, information contextuelle, connaissance et but 134 Cyril Bossard Discussion (Klein, 1997). 4.4.1.1 La « conscience de la situation » : un couplage cognitif dynamique entre le sujet et la situation Nous avons pris comme présupposé que le sujet puisse exprimer, de son propre point de vue (et au sein d’un protocole de recherche), l’activité décisionnelle à partir des informations qu’il considère significatives et qu’il utilise en cours d’action. Nous postulions dans un premier temps que ces éléments expriment à un moment et dans un lieu, la situation telle quelle est vécue par le joueur, i.e. la « conscience de la situation » (Flach, 1995). Nos résultats suggèrent effectivement que la situation telle qu’elle est vécue constitue bien la manifestation d’un couplage cognitif dynamique entre un acteur et une situation (Flach, 1995). Les situations vécues recueillies montrent la capacité du sujet à prendre en considération les caractéristiques changeantes de la situation (i.e. les informations contextuelles). Le concept de Conscience de la Situation (au sens de Flach (1995)) permet de rendre compte de l’évolution dynamique de la situation et de la prise en compte par le sujet de ces évolutions pour adapter son activité décisionnelle. Les changements dans l’environnement sont rapidement identifiés et intégrés de manière continue par les sujets pendant l’action. Ils changent très rapidement la focalisation de leur attention vers des informations contextuelles qui sont pertinentes ou significatives pour l’activité dans laquelle ils sont engagés. En conséquence, les situations vécues se succèdent très rapidement (3 ou 4 situations vécues en 15-20 secondes). Cette vitesse de fluctuation du contexte pour le sujet nécessite un processus de reconnaissance de situation très rapide. Les situations vécues, racontées au travers des informations dont le sujet a conscience (CS) permettent de rendre compte de l’évolution de l’activité du sujet à partir de l’articulation entre des connaissances (locales ou générales), des informations contextuelles, des actions potentielles, des attentes, des spécifications et un but. Ces éléments permettent de repérer l’ouverture et la fermeture des « situations vécues successivement ». Notons que l’identification de cette ouverture-fermeture des situations vécues peut être difficile quand le but ou le résultat ne sont pas verbalisés. Le contexte objectif est alors une aide précieuse. 4.4.1.2 Le schéma : une construction par l’articulation fine de données contextuelles et de données d’arrière-plan L’analyse du contenu des différentes situations vécues dévoile que les décisions surviennent (émergent) à partir d’une articulation d’informations significatives, et non pas à partir de l’analyse, de l’interprétation de l’une ou l’autre d’entre-elles. Autrement dit, c’est la combinaison de ces informations, qui permet d’expliquer la rapidité des décisions en situation dynamique. Conformément à notre seconde hypothèse, les informations significatives Cyril Bossard 135 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle retenues sont regroupées pour l’ensemble des sujets selon 6 catégories théoriques types : but, informations contextuelles, action, spécification, résultat, et connaissances. Ces données prélevées par les sujets en situation dynamique sont prioritairement des informations contextuelles (34,9 %). Nous observons également une certaine régularité dans les sources d’informations mobilisées à différents moments. Ces dernières concernent principalement et de manière récurrente l’activité d’autrui (ici, les partenaires et les adversaires), ainsi que sa propre activité dans un volume spatio-temporel particulier. Ces informations ne sont jamais perçues de manière isolée et/ou statique, comme par exemple la simple position locale des autres protagonistes. Au contraire, la décision est souvent une reconnaissance d’une configuration du contexte (Klein, 1997). Par exemple, Benoı̂t ne dit pas « Flavien est à gauche du terrain et mon autre partenaire est au centre », mais il dit : « Flavien récupère la balle, il s’est tout de suite dirigé vers la gauche vers le but, je vois que celui qui est en appui se décale vers la gauche » (CAVi 1). La reconnaissance de configurations spatio-temporelles en tant que telle ne suffit pas à prendre des décisions rapides et pertinentes en situation dynamique. Les configurations d’informations contextuelles sont également mises en rapport avec des données d’arrièreplan (données attendues types) pour reconnaitre la situation actuelle. Ces données d’arrièreplan concentrent des informations significatives qui renvoient à des connaissances générales (procédurales ou déclaratives), des informations contextuelles et à des attentes sur l’évolution de la situation conformément au « package cognitif » décrit par Ross et al. (2006). Les connaissances « locales » sont re-construites à partir d’informations contextuelles et des circonstances de la situation, c’est-à-dire à partir des interactions. Cette reconstruction peut amener à une spécification du schéma activé. Plus précisément, les résultats suggèrent que le sens que le sujet donne au contexte est issu de l’articulation entre des connaissances et des informations contextuelles relatives aux comportements des différents protagonistes et aux résultats de leurs interactions : Extrait : « (...) Jordan il va fixer le défenseur dans l’axe (I) moi je demande la balle à droite (A), comme le défenseur ne m’a pas suivi (I), je me retrouve seul (R), Comme je vais à droite (A), le défenseur n’a pas suivi (I), du coup il va directement sur Jordan (I), le défenseur il ne sait pas quoi faire entre nous deux car il y a deux solutions (C) et Jordan choisit d’aller tout droit au but (I) (...) ». (Sujet Kevin, CAJ 2) Quel est le sens de la situation vécue ici pour Kevin ? La configuration à deux contre un, avec une certaine distance entre les deux partenaires (Jordan dans l’axe, moi à droite), et l’adversaire (qui se déplace vers Jordan) est combinée avec une certaine dynamique temporelle (fixer, demander, suivre, se retrouver, aller). De plus, cette configuration dynamique est 136 Cyril Bossard Discussion articulée avec la connaissance que « quand il y a deux solutions, le défenseur ne sait pas quoi faire », dont la formulation est ici « locale ». Cette articulation de données conduit Kevin a percevoir, ressentir, considérer que la situation vécue est favorable pour la rupture, le déséquilibre de l’adversaire. La décision d’aller à droite peut être considérée comme une émergence, un couplage dynamique entre un schéma et un contexte en vue de créer ou de maintenir ce déséquilibre potentiel. L’organisation des informations contenues dans le schéma est bien plus fonctionnelle que sémantique ce qui conforte l’intérêt des schémas pour décrire l’aspect dynamique de l’activité décisionnelle par rapport à une description classique des bases de connaissances. Même si dans cette première étude, c’est l’activité individuelle, et le rôle des schémas qui nous préoccupe, cette situation suggère également toute l’importance de l’articulation de l’activité de deux individus partenaires dans la décision (l’importance du partenaire est ici uniquement rendue du point de vue d’un joueur : Kevin). Le chapitre 5 nous permettra, en confrontant les points de vue des joueurs partenaires, d’étudier plus particulièrement cette articulation, i.e. ces influences entre partenaires. L’arrière-plan qui permet au contexte de faire sens peut aussi concerner des connaissances « générales », des repères liés à l’expérience personnelle de l’individu. L’extrait d’une situation vécue par Gaétan illustre cet aspect : Extrait : « (...) Bastien récupère le ballon (I), mon idée c’est de suivre l’action derrière (B), ils sont à 2 contre 1 (I), ils sont meilleurs devant le but que moi (C), je suis un vrai défenseur moi (C), je fais pas un gros effort (A). Gautier redonne la balle à Bastien (I), je suis juste derrière en soutien (I), il perd la balle de suite (R). (...) ». (Sujet Gaétan, CAR 1) Dans cette situation vécue, Gaétan identifie bien une configuration à deux contre un qui évolue par des interactions entre les deux autres partenaires (ici, des passes). Cette dynamique situationnelle associée à des connaissances « générales » sur soi (ici, le rôle habituellement occupé : « je suis un vrai défenseur moi ») et ses partenaires (« ils sont meilleurs devant le but que moi ») conduit Gaétan à considérer que la situation vécue ne le concerne pas directement même s’il participe en suivant l’action. Cette situation illustre bien le lien entre les informations contextuelles, les connaissances générales et la décision adoptée. Si parfois les connaissances (générales ou locales) du sujet semblent orienter la décision, à d’autres occasions, c’est plutôt le contexte qui devient prioritaire dans la co-définition du sens de la situation : Extrait : « (...) je pars tout de suite dans l’autre direction (A), je vois que le défenseur colle Gautier (I), il laisse un grand espace derrière lui (I), je me dis tout de suite qu’il faut aller là-bas (B), il n’y a personne (I), l’autre défenseur reste dans l’axe (I) (...) ». Cyril Bossard 137 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle (Sujet Gaétan, CAR 3) Lorsqu’un schéma est activé, il peut également être particularisé par le sujet au regard du contexte. Ces effets de contexte engendrent ou nécessitent alors une adaptation on line(reconstruction dynamique) des schémas (Johnson, 2006). Cette spécification permet à l’expert de prendre des décisions rapides et pertinentes face au caractère évolutif et dynamique des situations rencontrées. Extrait : « (...) je me mets dans la position de frapper (A), le défenseur me tacle (I), je l’évite (A) je mets une pichenette par-dessus le gardien (S), j’ai vu que le gardien s’avance vers moi (I) et se couche (I), je pique la balle (S) ça rentre (R)(...) ». (Sujet Michel, CAVi 3) Enfin, les schémas activés ne produisent pas toujours une « réponse immédiate » au contexte, sous forme d’une action manifeste. Ceux-ci peuvent aussi constituer une structure d’attentes pour s’adapter à l’évolution de la situation, aux futures possibilités qui devraient être offertes. C’est le cas lors de la décision de se déplacer dans l’espace de jeu pour le joueur sans ballon : Extrait : « (...) je suis devant (I), je me dis que si c’est Jordan qui récupère la balle quel appel je vais faire ? (B) si Jordan récupère la balle, je vais aller plus vers la gauche, pour libérer l’espace pour Charles qui va passer dans mon dos, parce que le défenseur va me suivre, si c’est Charles qui récupère c’est l’inverse (Co. Locales). En fonction de l’endroit où la balle est récupérée je pense à libérer l’espace pour un partenaire (Co. Générales), je ne pense pas à avoir la balle (B). J’attends (A), c’est Jordan qui récupère le ballon (I), je libère l’espace en allant vers la droite (A) (...) ». (Sujet Kevin, CAJ 2) Cet extrait de la situation vécue par Kevin montre bien que des connaissances générales, spécifiées localement, sous forme ici d’une alternative, constituent une structure d’attente (but et sous-buts), pour agir en fonction du contexte. Les schémas constituent ainsi des structures d’attentes qui peuvent s’activer en fonction de l’évolution de la situation et du niveau d’incertitude ressenti. Par exemple, une information explicitement formulée par le sujet (Bastien CA4) évoque une règle selon laquelle « si il choisit le côté droit, je vais à gauche et l’inverse ». Ici, le partenaire évoqué va s’élancer sur la gauche. Pour le sujet (Bastien), les informations formulées dans la situation vécue suivante montrent que cette attente a été validée : « je vois qu’il prend gauche, je fais un appel à droite ». À l’inverse, même si certaines informations formulées dévoilent clairement les attentes du sujet : (Jordan CA5) « la franchement je pense 138 Cyril Bossard Discussion qu’il peut me la mettre en retrait, j’attends la balle, un défenseur sur Charles, un défenseur devant Kevin, moi je suis tout seul » ; celles-ci peuvent être invalidées : « il choisit de frapper au but direct ». La lecture attentive des différentes situations vécues a permis d’identifier des redondances, des similitudes entre elles. Même si toutes les informations significatives ne font pas explicitement référence à des attentes, on en déduit que la plupart des situations vécues sont connues et répertoriées par les experts. À ces situations correspondent des évolutions attendues. Ces évolutions sont décrites dans des schémas qui caractérisent la situation et orientent l’action en conséquence (Lipshitz et al., 2001). 4.4.1.3 Activation des schémas par les connaissances vs par le contexte L’analyse qualitative des situations vécues par le sujet fait apparaı̂tre que la capacité a donné du sens au contexte, en action, repose sur un ensemble d’informations significatives pour le sujet. En fonction des situations évoquées, certaines informations semblent prioritaires : les connaissances locales ou générales, les informations contextuelles, ou les attentes sur l’évolution de la situation. Par hypothèse, ces éléments prioritaires sont associés en mémoire à d’autres informations au sein d’un schéma. Le rôle prioritaire accordé à telle ou telle information peut être interprété comme la manifestation de deux sources d’instanciation du schéma : une activation par les connaissances ou une activation par le contexte. La répartition des informations significatives en fonction des catégories théoriques milite en faveur d’une activation par le contexte. En effet, nos résultats montrent que les informations contextuelles représentent 34,9% de l’ensemble des unités significatives sélectionnées alors que les connaissances n’en représentent que 10,2%. La répartition des autres unités significatives est la suivante : buts (12,3%), actions (29,3%), spécifications (1,3%) et attentes ou résultats (11,9%).Ces résultats peuvent être discutés au regard des modalités de décision définies par le modèle RPD (Klein, 1997), des conditions de la situation d’étude proposée aux sujets et de notre méthodologie. Dans un premier temps, les résultats obtenus suggèrent une prédominance de la première modalité du modèle de la décision basée sur la reconnaissance (Klein, 1997). Plus particulièrement, comme nous l’avions évoqué lors du chapitre 1, les décisions adoptées par les experts sous fortes contraintes temporelles mobilisent principalement la première modalité. La reconnaissance implicite de configurations spatio-temporelles dynamiques suffit à prendre une décision en situation dynamique. Le coup d’œil de l’expert lui permet de s’orienter directement vers une action appropriée. Cette première modalité est « réactive » (Chalandon, 2003) dans le sens où la correspondance entre des informations contextuelles et un schéma est particulièrement implicite. Nos résultats montrent que pour chaque situation vécue, les experts prennent uniquement une décision correspondant à une action ou une séquence d’actions. Comme l’explique Klein (1997), cette reconnaissance implicite de patterns significatifs Cyril Bossard 139 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle pour l’action est une solution optimale au problème du couplage entre l’activité du sujet et l’environnement dans les situations dynamiques. Cette évaluation « holistique du cours de l’action » (Lipshitz et al., 2001) est aussi concordante avec les résultats d’études en situation de travail (Klein et al., 1989) ou en sports collectifs (Johnson et Raab, 2003) quand les sujets sont soumis à une forte pression temporelle. L’activité décisionnelle des experts en situation dynamique semble également se baser sur la seconde modalité du modèle RPD (Klein, 1997). Nous observons ainsi une plus grande verbalisation de connaissances et d’attentes dans les situations vécues où la pression temporelle ressentie est plus faible (ici, quand les joueurs ne possèdent pas le ballon ou quand ils sont passifs). Complémentairement, et dans le prolongement de la discussion relative aux conditions d’activation des schémas (par le contexte ou les connaissances), les situations ne sont pas toutes vécues de la même manière par les sujets selon leur caractère routinier ou atypique (Mundutéguy et Darses, 2007). Les situations vécues de façon routinière (ici, pour des attaquants) rendent difficile la verbalisation de connaissances ou d’attentes. À l’inverse, les situations vécues comme atypiques (peu claires, inconnues ou difficiles pour des défenseurs) engagent un traitement descendant, favorisant la verbalisation d’un plus grand nombre de connaissances et d’un plus faible nombre d’informations contextuelles. Enfin, la troisième modalité du modèle RPD (Klein, 1997) n’apparait pas au regard des résultats de notre protocole de recherche. Nos résultats éclairent plus particulièrement le rôle de la perception dans l’activité décisionnelle d’experts en situation dynamique. Les informations contextuelles perçues par l’expert pour chaque situation vécue peuvent être rapprochées de la notion d’affordance (Gibson, 1979). Comme l’explique Morineau (2005) l’affordance est reliée au déroulement de l’action. L’activité décisionnelle de l’individu en situation dynamique peut s’expliquer par la simple relation fonctionnelle entre ses propres caractéristiques, son besoin adaptatif à un moment donné et les propriétés de l’environnement immédiat. Dans ce sens, les informations contextuelles significatives pour le sujet en situation dynamique constituent des invariants qui contraignent sa propre activité. Les informations contextuelles suggérent alors directement une action ou des séquences d’actions à l’expert engagé dans la situation dynamique. Dans notre cas, la proximité d’un partenaire ou d’un adversaire contraint le champ des possibles pour l’expert dans la décision à adopter. Le fort pourcentage cumulé (64,2%) des catégories informations contextuelles et actions peut ainsi s’expliquer à l’aune du concept d’affordance. Ces résultats peuvent aussi s’expliquer au regard des conditions de la situation d’étude que nous avons proposée aux sujets. En effet, la situation d’étude choisie est une situation qui impose de fortes contraintes temporelles au sujet. Cette pression temporelle influence le processus sollicité en référence aux résultats de travaux en situations expérimentales 140 Cyril Bossard Discussion (Zoudji et Thon, 2003; Poplu et al., 2003). La décision en situation dynamique s’explique également par la mobilisation d’un traitement perceptif faisant intervenir prioritairement la mémoire procédurale. Enfin, la méthodologie utilisée ne permet pas d’apprécier la part de planification dans la décision tactique en situation dynamique. En effet, les entretiens d’autoconfrontation menés avec les sujets permettent de faire revivre la situation mais ne sont pas orientés vers un questionnement en amont de l’action. D’autres études complémentaires montrent qu’un entretien semi-dirigé avant l’action permet de renseigner la dimension planificatrice de la décision tactique en sports collectifs (McPherson et Vickers, 2004; Mouchet et Bouthier, 2006). Ces études insistent d’ailleurs sur l’alternance des processus descendant et ascendant qui permet le réajustement constant des schémas au cours de l’activité en situation dynamique. Pour notre part, l’identification des schémas activés constitue une description symbolique acceptable de la dynamique du couplage structurel du sujet avec la situation (Varela, 1989). Parfois cette dynamique révèle la prédominance des connaissances sur les informations contextuelles, mais le plus souvent, c’est l’inverse qui se produit. Ces premiers résultats montrent que les données recueillies auprès des joueurs de football experts en situation de contre-attaque supportent le modèle RPD (Klein, 1997). Les résultats obtenus sont en concordance avec les principales avancées de l’approche NDM. Une situation vécue constitue bien la manifestation consciente d’un schéma activé. L’ensemble des informations significatives encapsulées à cet instant constitue une forme d’organisation contextualisée, un schéma. Les joueurs reconnaissent la situation et opèrent une mise en correspondance entre la configuration spatio-temporelle dynamique perçue et les schémas dont ils disposent (Klein et Calderwood, 1991). La décision tactique est directement adoptée sans comparaison avec d’autres options possibles (Lipshitz et al., 2001). La reconnaissance d’une situation type correspond à l’activation d’un véritable « package cognitif » (Ross et al., 2006) représenté pour nous, par le concept de schéma. Les informations significatives recueillies auprès des joueurs de football experts sont composées de données relatives à la situation en cours (perçues) et de données puisées dans les schémas activés (données attendues « types ») par le joueur. 4.4.2 Des décisions tactiques contextualisées en sports collectifs ? L’analyse des éléments significatifs dans la situation vécue a conforté l’intérêt de l’approche NDM, et de trois modèles complémentaires (CS, RPD, Schémas) pour décrire et expliquer la décision dans un contexte complexe et à évolution rapide, la contre-attaque Cyril Bossard 141 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle en football. Au regard de ce contexte singulier, quelles connaissances notre étude apporte à l’analyse de la décision tactique en sports collectifs ? Dans la contre-attaque en football, quels sont les éléments significatifs pris en compte par des joueurs experts ? L’analyse des différentes situations vécues montre que les sujets prennent des décisions tactiques sur la base d’une articulation d’informations significatives. Nous avons identifié la combinaison de ces informations significatives à un instant t de la situation d’étude pour mettre à jour les schémas activés par chaque joueur. La question est maintenant de savoir si l’on observe des régularités sur les informations significatives qui composent les schémas activés par l’ensemble des sujets en situation de contre-attaque (Hypothèse 3). Nous supposions également que des régularités s’observent dans les enchaı̂nements des schémas typiques identifiés, conduisant à révéler des « scénarii préférentiels ou typiques » en situation de contre-attaque au football (Hypothèse 4). 4.4.2.1 Une activité décisionnelle experte basée sur 16 schémas typiques Au terme de notre analyse des données, les résultats de notre première étude montrent que les décisions tactiques de joueurs experts au football en situation de contre-attaque reposent sur la reconnaissance de situations à l’aide de 16 schémas typiques. Les similitudes dans les informations significatives constituant l’enveloppe de la situation vécue nous ont permis de les regrouper. Pour chaque groupe de situations vécues, nous avons ensuite déceler les régularités dans les informations significatives. Nous avons ainsi mis à jour la typicalité des informations pour des situations vécues de manière similaire. Ce résultat valide notre troisième hypothèse : une situation vécue de la même manière par différents sujets relève d’un même « schéma typique ». Ces régularités observées constituent bien des points communs entre les joueurs experts, révélant ainsi la compétence caractéristique de l’expertise de joueurs de football en contreattaque. Ces régularités concernent le couplage cognitif dynamique entre un joueur et une situation. Les relations qui unissent le joueur à une situation apparaissent récurrentes pour l’ensemble des joueurs experts. Les situations vécues par les joueurs présentent bien des caractéristiques communes concernant principalement les buts poursuivis, les actions et les informations contextuelles perçues, et dans une moindre mesure les attentes et les connaissances. Les experts, face à une situation vécue de la même manière, aboutissent à une même décision tactique, i.e. à l’activation d’un même schéma que nous qualifions de « typique ». Ce n’est pas seulement une information qui est typique d’une situation mais bien une articulation d’informations significatives combinant des variables perceptives et cognitives. Nous repérons tout de même, des informations significatives qui sont singulières à l’activité d’un sujet. Cette singularité s’exprime par exemple dans les connaissances des 142 Cyril Bossard Discussion joueurs. C’est le cas des connaissances sur les qualités et les défauts des autres joueurs partenaires ou adversaires. L’extrait suivant illustre l’influence de la connaissance des qualités de l’adversaire sur la décision tactique adoptée : Extrait : « (...)je temporise un peu (A) le défenseur va trop vite pour moi (I), il revient à ma hauteur (I), je vois bien que je peux pas l’effacer (I), techniquement il est meilleur (C), je donne en retrait à Paul (A) il est seul (I), et il voit mieux le jeu que moi (C), il frappe (R) (...) ». (Sujet Thibault, CAVe 5) C’est également le cas des connaissances qui renvoient aux conceptions ou aux goûts du sujet pour le jeu : Extrait : « (...)je vois le gardien qui sort vite des buts vers moi (I), il veut anticiper en fait (C), je le fixe (A), il se couche au sol (I), moi je suis debout (I), je sais que Gaétan est seul dans l’axe (C), je lui mets en retrait, tranquille (A), il y a plus de gardien (I), il est par terre (I), j’aurai pu mettre une pichenette sur le gardien (S) mais bon, c’est plus joli si Gaétan finit l’action (C), c’est plus collectif (C). (...) ». (Sujet Gautier, CAR 3) Des circonstances particulières exprimées par des informations contextuelles significatives peuvent également influencer la décision tactique en situation. Ces informations soudaines nécessitent ou provoquent une reconstruction dynamique du schéma typique : Extrait : « (...)il me fait une passe haute (I), je contrôle de la poitrine (A), je vois que le défenseur arrive vite sur moi (I), donc au dernier moment je joue en retrait sur l’autre attaquant (S), il arrive trop vite (I), je suis en angle fermé (I), je fais la passe à Jordan (A) il a plus de chance de marquer que moi (I), Jordan il a oublié de s’avancer (R)(...) ». (Sujet Charles, CAJ 3) Dans cet extrait d’une situation vécue, Charles active dans un premier temps le schéma typique n°16 « frapper au but » mais l’arrivée soudaine d’un adversaire le contraint à adapter son activité, à activer un autre schéma. D’autres extraits soulignent la flexibilité ou la reconstruction permanente des schémas au cours de l’action. Mouchet et Bouthier (2006) observent également ce caractère flexible de la décision chez les experts au rugby. Les joueurs envisagent une possibilité englobante, ouverte, qui est ensuite spécifiée au regard d’indices significatifs qui s’imposent au sujet. L’auteur parle ainsi d’une « adaptation relative aux circonstances ». Cyril Bossard 143 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle Nos résultats confortent l’idée selon laquelle, en sports collectifs, l’activité décisionnelle des experts reposerait sur l’activation de structures cognitives types, des schémas, permettant à la fois d’associer une situation et un choix typique (« en supériorité numérique, progresser vite ») et de spécifier ce choix en fonction d’éléments perceptifs spécifiques à chaque situation (« passe ou dribble en fonction de la distance à la cible »). Cet aspect nous paraı̂t important car les résultats sont en grande partie convergents avec des travaux antérieurs effectués avec d’autres cadres scientifiques et d’autres méthodologies (Macquet, 2001; Mouchet et Bouthier, 2006). Les résultats de ces études contextualisées permettent de décrire une activité décisionnelle complexe, singulière et subjective. Macquet (2001) montre ainsi que les joueurs ne peuvent pas tout comprendre, ils se satisfont d’une compréhension suffisante pour décider et agir. L’activité décisionnelle fonctionne selon un mode planifié avec des adaptations en ligne, c’est-à-dire en action. L’activité décisionnelle du joueur et sa maı̂trise des situations sont fonction de la pression temporelle et de l’incertitude spatio-temporelle perçues. De plus, en référence au modèle de la suffisance cognitive (Amalberti, 2001), ces résultats montrent une possible alternance entre une décision délibérée, en référence à une rationalité commune (plan de jeu ou culture commune) quand le temps le permet, et une décision émergente ou on line (Johnson, 2006) sous pression temporelle. Dans une perspective ergonomique, l’entraı̂nement tactique ne peut alors se réduire à une répétition des 16 schémas préétablis. S’entraı̂ner à la spécification est une nécessité. En relation avec la troisième hypothèse formulée, nous avons donc pu mettre en évidence que l’expertise des joueurs entraine bien une forte homogénéité des schémas activés en situation de contre-attaque. Cette récurrence et cette homogénéité des informations significatives pour l’ensemble des sujets a permis d’identifier 16 « schémas typiques » activés en situation de contre-attaque. Ces données caractérisent la dimension synchronique des décisions tactiques d’experts en situation de contre-attaque au football. La question est désormais de savoir si l’on peut caractériser la dynamique d’engendrement de ces schémas typiques (Hypothèse 4). Enfin, nous souhaitons également souligner l’originalité des connaissances produites sur l’activité sportive et dans notre cas, sur les situations de contre-attaque au football. Cette originalité tient surtout à la prise en compte du point de vue du sujet en situation et non du point de vue de l’entraineur contrairement à la plupart des typologies d’actions habituellement proposées (Mombaerts, 1999). La modélisation que nous proposons met ainsi en relief l’activité décisionnelle effectivement déployée par le sujet. Ce point de vue à la première personne permet, selon nous, de mieux rendre compte de l’aspect dynamique des configurations par opposition aux protocoles qui proposent et évaluent la reconnaissance de configurations « objectives » présentées sur un écran. A la suite de ces études, des propositions ont été faites pour la formation des joueurs de 144 Cyril Bossard Discussion football à l’aide de configurations de jeu présentées sur papier, sur diapositives ou sur vidéo. Ces configurations sont régulièrement présentées à partir d’un point de vue aérien et plat, elles sont sélectionnées par le formateur (point de vue extérieur), et ne nécessitent pas la mise en action des joueurs. Ce type de formation peut paraı̂tre rapidement décontextualisé pour le joueur. Aujourd’hui, les dispositifs de réalité virtuelle permettent d’immerger un apprenant dans un environnement dynamique tout en gardant le point de vue à la première personne. Le joueur peut également agir sur la situation simulée et ainsi construire des compétences (dans notre cas décisionnelles) en actes (Rogalski, 2003). Cependant pour être crédibles, les environnements virtuels doivent proposer des simulations où les agents possèdent une certaine autonomie. Dans cette perspective, les connaissances produites dans notre étude, à partir du point de vue intrinsèque du joueur, peuvent servir à documenter le modèle des agents virtuels autonomes. Notre projet de recherche nourrit cette ambition, nous y reviendrons dans le chapitre 6 (p 187). 4.4.2.2 Une activité décisionnelle encapsulée dans la dynamique situationnelle Les résultats obtenus à l’aide du logiciel de représentation graphique Graphviz permettent de restituer le déroulement de la contre-attaque telle qu’elle est vécue par les joueurs de football. Les modélisations obtenues permettent une description diachronique de l’activité décisionnelle, c’est-à-dire une description des « enchaı̂nements préférentiels de schémas typiques » (scénarii typiques) pour des joueurs experts en situation de contre-attaque au football. Nous avions observé dans la partie résultats que les éléments responsables de la bascule d’un schéma à l’autre au cours de l’action étaient issus du contexte. Ce constat valide notre quatrième hypothèse. L’analyse des graphes permet de revenir sur l’enchaı̂nement des différentes situations vécues (et des schémas associés) par les experts. Les informations issues du contexte expliquent l’enchaı̂nement dynamique des schémas activés par les joueurs experts au cours de la situation de contre-attaque, i.e. l’enchaı̂nement dynamique des décisions tactiques adoptées. L’enchaı̂nement des schémas apparaı̂t ainsi être dépendant de deux dimensions en situation de contre-attaque. Dans une première dimension, ces schémas typiques semblent ainsi distribués de façon implicite en fonction du rôle du joueur (porteur de ballon ou non porteur) dans la situation. Dans une seconde dimension, les schémas typiques sont activés et dépendants d’une phase de jeu. La performance de l’équipe, à travers l’enchaı̂nement des décisions, semble ainsi pour partie dépendante d’une construction, d’une articulation particulière de l’activité décisionnelle de chacun des membres de l’équipe en fonction de leur rôle et de la dynamique situationnelle. L’analyse de l’articulation des activités individuelles Cyril Bossard 145 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle que nous présenterons dans un cinquième chapitre devrait apporter des éléments de réponse complémentaires à ces hypothèses. Cependant, les schémas typiques, associés au sein de scénarii typiques, présentent la dynamique situationnelle de façon simpliste. Pour rendre compte de la complexité de l’activité décisionnelle, il faut admettre des superpositions, des enchevêtrements dans la dynamique situationnelle. Même si les verbalisations rendent compte à un moment et pour un contexte d’une situation vécue, il est probable que plusieurs schémas puissent être activés en même temps. Il apparaı̂t également possible qu’un schéma se superpose à un autre déjà activé. Les circonstances locales peuvent constituer des contraintes momentanées dans la situation qui, une fois dissipées, réengagent le joueur dans le schéma précédemment écarté. 4.4.3 Bilan provisoire Finalement, l’approche NDM fournit un cadre d’analyse qui permet une description symbolique acceptable de la dynamique du couplage structurel du joueur avec la situation (Varela, 1989). L’intérêt de l’analyse de l’activité décisionnelle selon l’approche NDM est surtout d’apporter des précisions sur : • La nature des informations significatives pour prendre des décisions tactiques en situation de contre-attaque au football. Dans cette perspective, notons que l’entretien d’autoconfrontation nous a permis d’obtenir une granularité fine dans la description des informations significatives pour les joueurs experts au football. • L’articulation de données d’arrière-plan ou schémas (buts, attentes, connaissances générales et locales, actions, spécifications) et d’informations contextuelles mobilisées pour prendre des décisions tactiques rapides et pertinentes in situ. • La reconnaissance de configurations spatio-temporelles dynamiques, par une activité consciente combinant souvent plusieurs informations contextuelles perçues. • Les informations significatives qui constituent des régularités dans l’activité décisionnelle de joueurs experts. Nous considérons que la finesse et la quantité des informations regroupées au sein de schémas typiques constituent des manifestations de l’expertise du joueur en situation de contre-attaque au football. Nous avons pu ainsi éclairer en partie la dynamique du couplage entre l’acteur et la situation, en documentant les catégories théoriques définies par le modèle RPD (Klein, 1997). L’apport original de cette étude consiste à notre avis, dans le fait d’avoir pu documenter ces données à propos de situations réelles de contre-attaque, et ceci en valorisant le point de vue 146 Cyril Bossard Discussion de l’acteur principal qui est le joueur. Nous estimons éclairer en partie la complexité de la décision tactique en football qui constitue un enjeu important dans la pratique de haut niveau. Les résultats de notre analyse de l’activité décisionnelle individuelle montrent que la décision tactique des experts en contre-attaque au football est fortement contextualisée. Les décisions sont prises sous forte pression temporelle, ce qui impose au sujet de répondre rapidement aux situations, tout en s’adaptant à la complexité des contextes. Plus particulièrement, notre étude montre l’importance des informations contextuelles significatives qui portent sur les autres joueurs et notamment les partenaires. Ces premiers résultats laissent présager que la décision tactique n’est pas une décision individuelle, isolée, mais bien une décision à plusieurs, ou encore sous influence(s). Cette complexité nécessite à présent d’aborder la problématique de l’articulation des activités individuelles. Dans le chapitre 5, nous proposons une étude des articulations entre les activités individuelles de partenaires, pour mettre à jour le jeu des influences entre joueurs d’une même équipe lors de situations dynamiques et collaboratives. Cyril Bossard 147 Chapitre 4 – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 148 Cyril Bossard Chapitre 5 Étude de l’activité collective Formes typiques de coordination, influences interindividuelles et informations partagées dans des situations de contre-attaque en football Résumé – Ce chapitre présente une seconde étude de l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative. Cette étude s’est attachée à analyser l’articulation entre les activités individuelles et l’activité de l’équipe. Nous nous sommes intéressés successivement au jeu des influences entre partenaires, aux informations partagées, et à la relation entre les buts de trois membres d’une même équipe au cours de situations de contre-attaque. Des données comportementales sont enregistrées auprès de 12 joueurs de football répartis en quatre équipes et complétées par des données verbales recueillies lors d’un entretien d’autoconfrontation individuel. L’analyse de l’articulation des activités individuelles au sein de l’équipe permet de caractériser 5 formes typiques de coordination des activités. Notre étude montre ainsi comment les membres de l’équipe se coordonnent et s’adaptent collectivement de façon économique en situation de fortes contraintes temporelles. Les régularités observées au sein d’une même équipe ou à travers des équipes différentes peuvent être associées au niveau de partage des informations contextuelles. Le contenu de ce qui est partagé prioritairement au même instant pour les membres de l’équipe explique également les différentes formes de coordination. Cyril Bossard 149 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective Introduction Le chapitre 4 constituait un préalable à l’analyse de la dimension collective de l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative. Les résultats ont mis en exergue l’importance de l’activité d’autrui, exprimé d’un point de vue individuel comme des éléments contextuels particulièrement significatifs. Ces premiers résultats nous incitent à poursuivre les investigations sur l’influence des partenaires dans l’activité décisionnelle pour éclairer un peu plus la complexité de notre objet d’étude. Dans ce cinquième chapitre, nous présentons une seconde étude relative à l’analyse de l’activité collective en situation dynamique et collaborative. Rappelons que lors du chapitre 3, nous avons présenté l’évolution des points de vue adoptés pour l’analyse de l’activité collective en situation dynamique collaborative (Cf. Synthèse 3.4, p 98). Malgré des divergences théoriques et méthodologiques, chacune de ces propositions considère comme essentiel le processus de coordination des activités au sein d’une équipe. Le premier point de vue (approche TNDM) appréhende la coordination des actions à partir de la description et P de l’analyse des activités des individus en situation collective (AC = des AI). Le second point de vue (THEDA ou l’approche des systèmes dynamiques) vise à décrire et à expliquer de manière holistique les interactions entre les agents en considérant le collectif comme une unité d’analyse (AC = AC). Enfin, le troisième point de vue (l’approche située) cherche à rendre compte de l’articulation entre activité individuelle et activité collective en analysant les influences entre les individus (AC = AC ↔ AI). L’analyse de ces différentes approches théoriques et méthodologiques, nous a conduits à adopter le troisième point de vue pour décrire l’articulation de l’activité des individus et de l’équipe dans une situation dynamique et collaborative typique des sports collectifs : la contre-attaque en football. Objectifs L’objectif principal de notre travail de recherche est de décrire et d’expliquer la coordination d’actions de plusieurs joueurs au sein d’une situation dynamique collaborative. Pour cela nous avons choisi d’effectuer une analyse de l’articulation entre activité collective et activités individuelles pour des joueurs experts, en situation de contre-attaque au football. Cette analyse doit déboucher sur : 1. l’identification des influences interindividuelles au sein de l’équipe, 2. la description des formes « typiques » de coordination des activités individuelles au cours d’une contre-attaque, 150 Cyril Bossard Chapitre 5 – Étude de l’activité collective 3. la définition de conditions favorables à l’émergence de ces formes typiques de coordination en interrogeant « ce qui est partagé » entre les joueurs (connaissances vs contexte). Rappelons que dans notre démarche de recherche, l’analyse et la modélisation de la dimension collective des décisions tactiques de l’expert constitue une étape supplémentaire (et complémentaire de l’analyse individuelle) dans la perspective du développement d’un outil, d’un environnement virtuel simulant des situations de jeu au football. Problématique et hypothèses Si la dimension collective de l’activité décisionnelle a déjà été abordée au travers de l’étude des coordinations d’actions entre les membres d’une équipe, peu d’études se sont attachées à décrire et à expliquer comment les joueurs collaborent et parviennent effectivement à articuler leurs activités en situation dynamique et collaborative. De plus, la problématique de l’activité collective est une question de recherche d’actualité. Les débats semblent aujourd’hui se cristalliser autour d’une question relative à la notion de partage. L’enchaı̂nement des actions au sein d’une équipe s’explique, dans la littérature, soit en référence à des éléments cognitifs communs chez les différents joueurs engagés dans une même action (notion de buts ou connaissances partagées), soit en référence à des éléments contextuels significatifs pour ces joueurs (notion de contexte partagé). Du point de vue de l’analyse collective, nous chercherons donc à identifier des formes typiques de coordination, des régularités qui apparaı̂traient dans le jeu des influences entre partenaires. Pour expliquer ces formes typiques de coordination, nous chercherons aussi à répondre à la question, centrale dans la littérature, relative à ce qui est partagé entre les membres d’une équipe. Nous souhaitons identifier les éléments partagés en cours d’action par les joueurs d’une même équipe qu’ils soient de l’ordre des connaissances ou des informations contextuelles. Dans cette perspective nous avons formulé plusieurs hypothèses que nous rappelons ici. Les formes typiques de coordination des activités individuelles apparaissent à partir de la description du jeu des influences entre partenaires, des informations partagées et des relations entre les buts des différents membres de l’équipe. Pour établir le jeu des influences à chaque instant du cours d’action, nous supposons que les influences entre deux partenaires seront mutuelles ou unidirectionnelles (Bourbousson et al., 2008). Nous supposons également que chaque forme de coordination se caractérise par des informations partagées typiques et des relations types entre les buts de chacun des membres. Dans le cadre particulier des situations de contre-attaque au football, si les formes typiques de coordinations reposent sur un partage d’informations entre joueurs d’une même équipe, nous pouvons formuler deux autres hypothèses complémentaires. Cyril Bossard 151 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective D’une part, la description du contenu précis des informations partagées entre les membres de l’équipe permettra d’expliquer les conditions d’émergence des formes typiques de coordination. Nous contribuerons ainsi à combler le manque de données sur le contenu précis de ce qui est partagé entre les membres d’un collectif pointé dans des travaux récents (Salembier et Zouinar, 2006; Bourbousson et al., 2008). Nous supposons plus particulièrement que le type d’informations partagées en situation de contre-attaque concerne les adversaires. D’autre part, nous supposons que les formes typiques de coordination se différencient en fonction du niveau de partage des informations entre partenaires. D’autres travaux ont en effet mis en doute un partage total des informations entre partenaires (Mundutéguy et Darses, 2007). Cette hypothèse se justifie également par la singularité des activités individuelles (Chapitre 4). Nous postulons dans ce cadre que l’efficacité d’une coordination typique en situation de contre-attaque au football s’explique par un niveau élevé d’informations partagés. La partie suivante présente la méthode mobilisée pour l’étude de l’activité collective en situation dynamique collaborative. Comme pour l’analyse de l’activité individuelle, nous illustrerons la présentation de la méthode par des exemples concrets de données et de résultats. 5.1 Méthode L’étude de l’activité décisionnelle individuelle constituait un préalable à l’analyse de l’articulation entre activités individuelles et activité collective. La méthode reprend ici les principales étapes décrites et mises en œuvre lors de l’étude de l’activité décisionnelle individuelle. La présentation des participants, le contexte d’étude, et le recueil des données sont identiques à ceux effectués pour l’étude de l’activité décisionnelle individuelle (voir 4.1, p 110). L’analyse des données reprend également pour partie les étapes de l’analyse présentée lors du chapitre précédent : a) la retranscription des données, b) la sélection et l’identification des unités significatives, c) le découpage du déroulement de l’activité en situations vécues. Puis, nous préparons les données pour l’analyse individuelle-collective en constituant un protocole en vis-à-vis en deux volets : le contexte objectif (comportements) et les situations vécues par les membres de l’équipe (Joueur 1, Joueur 2, Joueur 3). La suite de l’analyse respecte 4 étapes1 : 1. Le codage des données (influences interindividuelles, informations significatives, buts), 2. L’identification de formes locales de coordination entre joueurs d’une même équipe, 3. L’identification des formes typiques de coordination pour l’ensemble des participants, 1 L’intégralité de l’analyse des données de l’activité collective est disponible à l’adresse internet suivante : http ://www.enib.fr/∼bossard/ 152 Cyril Bossard Méthode 4. La validité de l’analyse. 5.1.1 Préparation d’un protocole en vis-à-vis Pour chaque équipe, des protocoles à deux volets ont été réalisés en respectant le décours temporel de la situation d’étude (Cf. Tableau 5.1, p 154). Les situations vécues par chacun des membres de l’équipe sont ainsi articulées et synchronisées selon la chronologie de la situation d’étude dans un tableau à 5 colonnes. Dans un premier volet, nous numérotons la situation étudiée (les contre-attaques) afin de faciliter l’analyse pour le chercheur. Par exemple, la première contre-attaque de l’équipe violette est référencée CAVi 1. Dans ce premier volet, nous intégrons également le contexte objectif décrit par le chercheur au travers des changements de rôles du joueur et d’une description des événements. Une description comportementale de chaque joueur en évitant toute interprétation est disponible. Dans le second volet nous reprenons les situations vécues successivement par les 3 joueurs d’une même équipe que nous disposons en trois colonnes correspondant aux trois activités individuelles. Ces différentes situations vécues sont ensuite synchronisées sur la base du déroulement temporel de la contre-attaque, du contexte objectif et des indications données par les verbalisations de chacun des joueurs. Cette synchronisation permet d’agencer les situations vécues par l’un et par l’autre de façon à restituer la dynamique de la contre-attaque telle quelle s’est déroulée selon le point de vue des trois joueurs considérés. 5.1.2 Le codage des données À partir de la constitution du protocole de mise en vis-à-vis, l’analyse du contenu des verbalisations des trois joueurs se poursuit à travers le codage des données. Ce dernier repose sur une analyse fine de l’articulation des activités des membres de l’équipe et permet de définir, pas à pas, les différentes formes locales de coordination des activités individuelles. Nous utilisons un triple codage qui repose sur l’identification des influences entre les membres de l’équipe, sur les informations partagées par les membres, et enfin, sur les relations entre les buts poursuivis par chacun d’eux. Chaque type de codage suit une procédure particulière que nous allons à présent détailler. 5.1.2.1 Le codage des influences Dans un premier temps, nous réalisons une lecture attentive des tableaux, et nous repérons de façon systématique les verbalisations d’un sujet qui font référence à un partenaire (élément qui est significatif de son point de vue). Nous représentons cette influence par une Cyril Bossard 153 Situation d’étude 3ème passage Triplette violette Contexte objectif Comportements observés Joueur 1 Michel Michel et Benoı̂t au pressing, Flavien en appui, regarde le jeu Michel récupère le ballon, lève la tête, avance dans l’axe. Benoı̂t accélère vers la gauche, Flavien se déplace vers la droite Je récupère la balle (A), je lève la tête (A), je regarde directement où sont mes 2 partenaires (A), je conduis la balle (A), je la donne à benoı̂t (A), il a libéré de l’espace en embarquant le défenseur avec lui (I), je lui mets la balle en profondeur (A) Joueur 2 Benoı̂t Joueur 3 Flavien On presse sur les deux joueurs adverses (A), il y a une confusion entre eux (I) et ils perdent la balle (R) Les autres jouent (I), j’attends (A), je m’occupe du gars qui me marque (B) il faut que j’écarte sur un côté (C), je sais déjà que je dois m’écarter sur un des deux côtés (C) je regarde le jeu (A), ils (adversaires) perdent le ballon (R) Cyril Bossard Michel va la chercher tout de suite (I), je le regarde faire (A) et directement je cours vers l’avant et vers la gauche (A), lui il va vers la droite (I), je me décale au maximum à gauche tout en restant près du but (A), pour recevoir la balle, et pour qu’il me voit aussi (B), il me voit justement (I) et il opte pour une passe dans la profondeur (I) pour que l’action aille quand même vite (I) Je regarde le placement du défenseur (A), il est entre Flavien qui est en appui et moi (I), pour ne pas être hors jeu sur l’appel, je me décale sur la gauche (A) pour que Michel me voie, et que je reçoive la balle dans de bonnes conditions (B). Je reçois la balle (R), elle est un peu fuyante (R) J’écarte directement sur le côté (A), pour laisser de la place à Benoı̂t (B) ça lui laisse de la place pour aller au but (R) Benoı̂t reçoit le ballon (I) je le rejoins dans l’axe (A), je demande la balle en retrait (A), il la met à Michel (R) Tableau 5.1 – Illustration du protocole en vis-à-vis : articulation et synchronisation des situations vécues par les membres d’une équipe Chapitre 5 – Étude de l’activité collective 154 Volet 2 Situations vécues Volet 1 Méthode flèche bleue de l’élément significatif (exemple : action d’un partenaire) vers le joueur qui évoque cet élément (influence). La flèche désigne (code) le processus d’influence subi par un joueur. L’influence peut aller de A vers B mais aussi réciproquement de B vers A (codage flèche ou double flèche). Ainsi, l’interaction entre deux joueurs peut être caractérisée par une absence d’influence, une influence mutuelle, ou une influence unidirectionnelle. Ces distinctions quant au codage des influences interindividuelles se retrouvent chez Bourbousson et al. (2008). La figure 5.1 illustre ces trois types d’influences. Figure 5.1 – Représentation des trois types d’influences interindividuelles 5.1.2.2 Le codage des informations significatives Le codage des informations significatives est effectué en référence aux travaux de Mundutéguy et Darses (2007). En situation d’interaction, 3 catégories permettent de distinguer les informations formulées par les différents acteurs impliqués : les informations spécifiques à un sujet, les informations partiellement partagées (évoquées par une partie des sujets) et les informations communes (évoquées par l’ensemble des sujets). Pour coder les unités significatives qui sont communes aux trois joueurs, nous appliquons une police de caractère en gras. Pour les unités significatives partiellement partagées (entre deux joueurs), nous appliquons une police de caractère en italique. Les unités significatives spécifiques à l’activité d’un joueur sont laissées dans la police de caractère initiale dans le tableau (Cf. 5.2, p 156). 5.1.2.3 Le codage des buts Nous souhaitons identifier les relations entre les buts individuels des différents membres d’une même équipe. Cependant, les buts ne sont pas toujours déclarés par les joueurs au cours des entretiens d’autoconfrontation. Pour identifier de manière empirique les relations entre les buts des joueurs, nous prenons principalement appui sur le codage effectué lors de l’analyse de l’activité individuelle. Bien que l’identification des relations entre les buts individuels soit basée sur une démarche de catégorisation empirique, nous explicitons ici la procédure utilisée. Dans un premier temps, nous avons reporté les buts tels qu’ils ont été formulés par le sujet (unités significatives codées (B)). Ensuite, nous avons inféré le but recherché localement par le(s) joueur(s) à partir des verbalisations, des comportements Cyril Bossard 155 Contexte objectif Comportements observés Situation d’étude 3ème passage Triplette violette Joueur 1 Michel Michel et Benoı̂t au pressing, Flavien en appui, regarde le jeu Michel récupère le ballon, lève la tête, avance dans l’axe. Benoı̂t accélère vers la gauche, Flavien se déplace vers la droite Je récupère la balle (A), je lève la tête (A) je regarde directement où sont mes 2 partenaires (A), je conduis la balle (A), je la donne à Benoı̂t (A), il a libéré de l’espace en embarquant le défenseur avec lui (I), je lui mets la balle en profondeur (A) Joueur 2 Benoı̂t Joueur 3 Flavien On presse sur les deux joueurs adverses (A), il y a une confusion entre eux (I) et ils perdent la balle (R) Les autres jouent (I), j’attends (A), je m’occupe du gars qui me marque (B) il faut que j’écarte sur un côté (C), je sais déjà que je dois m’écarter sur un des deux côtés (C) je regarde le jeu (A), ils (adversaires) perdent le ballon (R) Cyril Bossard Michel va la chercher tout de suite (I), je le regarde faire (A) et directement je cours vers l’avant et vers la gauche (A), lui il va vers la droite (I), je me décale au maximum à gauche tout en restant près du but (A), pour recevoir la balle, et pour qu’il me voit aussi (B), il me voit justement (I) et il opte pour une passe dans la profondeur (I) pour que l’action aille quand même vite (I) Je regarde le placement du défenseur (A), il est entre Flavien qui est en appui et moi (I), pour ne pas être hors jeu sur l’appel, je me décale sur la gauche (A) pour que Michel me voie, et que je reçoive la balle dans de bonnes conditions (B). Je reçois la balle (R), elle est un peu fuyante (R) J’écarte directement sur le côté (A), pour laisser de la place à Benoı̂t (B) ça lui laisse de la place pour aller au but (R) Benoı̂t reçoit le ballon (I), je le rejoins dans l’axe (A), je demande la balle en retrait (A), il la met à Michel (R) Tableau 5.2 – Illustration du codage des informations significatives (spécifiques, communes ou partagées) Chapitre 5 – Étude de l’activité collective 156 Volet 2 Situations vécues Volet 1 Méthode et du contexte. Enfin, dans un troisième temps, les buts « typiques », à un moment donné du cours d’action, sont reportés pour les trois joueurs à l’aide des résultats obtenus lors de l’analyse individuelle (i.e. les schémas typiques des joueurs ; Chapitre 4, p 129). Cette préparation des données concernant les buts des joueurs devrait permettre de faciliter l’identification des relations entre les buts individuels. 5.1.3 La description quantitative A la suite du codage des données, afin d’obtenir des données descriptives quantitatives, nous avons comptabilisé, pour l’ensemble des contre-attaques, le nombre d’influences unidirectionnelles, d’influences mutuelles et d’absence d’influence entre deux joueurs. Nous comptabilisons également le nombre d’informations significatives partagées ou non par les membres de l’équipe en référence à nos catégories théoriques (communes, partiellement partagées, spécifiques). Nous comptabilisons ainsi les informations qui sont communes aux trois joueurs, celles qui sont partagées par deux joueurs et enfin celles qui sont spécifiques à l’activité d’un joueur pour l’ensemble des contre-attaques d’une même équipe. 5.1.4 L’identification des formes locales de coordination La troisième étape d’analyse des données consiste à identifier les formes locales de coordination entre les membres de l’équipe à partir du jeu des influences, des informations partagées et de l’articulation des buts individuels. 5.1.4.1 Le jeu des influences Cette étape consiste à identifier le jeu des influences entre tous les joueurs de l’équipe à chaque instant de la contre-attaque (Goffman, 1974). Le jeu des influences correspond alors au regroupement de l’ensemble des influences dyadiques (entre deux joueurs) à un moment donné de la situation de contre-attaque. Cette étape permet de caractériser les types d’influences qui unissent tous les joueurs à chaque instant de la séquence de contre-attaque étudiée. En outre, elle permet de restituer pas à pas et localement la dynamique d’articulation des situations vécues successivement par les trois joueurs au cours d’une contre-attaque au football. Nous obtenons une succession de « modélisations locales » ajoutée dans un troisième volet du tableau proposant une présentation en vis-à-vis de l’activité des 3 joueurs (Cf. Tableau 5.3, p 158). Cyril Bossard 157 3ème passage Triplette violette Contexte objectif Comportements observés Joueur 1 Michel Michel et Benoı̂t au pressing, Flavien en appui, regarde le jeu Michel récupère le ballon, lève la tête, avance dans l’axe. Benoı̂t accélère vers la gauche, Flavien se déplace vers la droite Je récupère la balle (A), je lève la tête (A) je regarde directement où sont mes 2 partenaires (A), je conduis la balle (A) je la donne à benoı̂t (A) il a libéré de l’espace en embarquant le défenseur avec lui (I), je lui mets la balle en profondeur (A) Joueur 2 Benoı̂t Joueur 3 Flavien on presse sur les deux joueurs adverses (A), il y a une confusion entre eux (I) et ils perdent la balle (R) les autres jouent (I), j’attends (A), je m’occupe du gars qui me marque (B) il faut que j’écarte sur un coté (C), je sais déjà que je dois m’écarter sur un des deux cotés (C) je regarde le jeu (A), ils (adversaires) perdent le ballon (R) Cyril Bossard Michel va la chercher tout de suite (I), je le regarde faire (A) et directement je cours vers l’avant et vers la gauche (A), lui il va vers la droite (I), je me décale au maximum à gauche tout en restant près du but (A), pour recevoir la balle, et pour qu’il me voit aussi (B), il me voit justement (I) et il opte pour une passe dans la profondeur (I) pour que l’action aille quand même vite (I) je regarde le placement du défenseur (A), il est entre Flavien qui est en appui et moi (I), pour ne pas être hors jeu sur l’appel, je me décale sur la gauche (A) pour que Michel me voie, et que je reçoive la balle dans de bonnes conditions (B). Je reçois la balle (R) elle est un peu fuyante (R) j’écarte directement sur le coté (A), pour laisser de la place à Benoı̂t (B) ça lui laisse de la place pour aller au but (R) Benoı̂t reçoit le ballon (I), je le rejoins dans l’axe (A), je demande la balle en retrait (A), il la met à Michel (R) Tableau 5.3 – Illustration des modélisations locales du jeu des influences Jeu des influences Chapitre 5 – Étude de l’activité collective 158 Situation d’étude Volet 3 Modélisation locale Volet 2 Situations vécues Volet 1 Méthode Cette étape nous permet bien de caractériser la façon dont s’articule, à un même instant, l’activité des 3 joueurs de l’équipe. 5.1.4.2 Les informations partagées Pour expliquer, étudier les conditions d’émergence de ces formes locales de coordinations entre les joueurs, nous identifions quelles sont les informations partagées par les membres de l’équipe. Nous disposons d’un codage des informations significatives partagées à deux (italique) ou trois (gras) joueurs. Nous rapportons ces indications dans une quatrième volet ajouté au tableau de mise en vis-à-vis (Cf. Tableau 5.4, p 160). Ainsi, les informations significatives partiellement partagées par deux joueurs ou communes aux trois joueurs sont disposées en vis-à-vis de la modélisation locale du jeu des influences correspondante. 5.1.4.3 L’articulation des buts individuels Afin de poursuivre l’analyse des conditions d’émergence des formes locales de coordinations entre les joueurs, nous avons également cherché à caractériser la relation entre leurs buts respectifs. Nous disposons de données relatives aux buts des joueurs provenant de l’analyse de l’activité individuelle. Nous utilisons à nouveau une analyse de contenu empirique où les relations entre les buts apparaissent progressivement, au cours de l’analyse. Au terme de cette étape d’identification de l’articulation des buts entre les membres d’une même équipe, nous reportons le type de relation entre les buts individuels dans un cinquième et dernier volet du tableau avec les modélisations locales du jeu des influences et les informations partagées correspondantes (Cf. Tableau 5.5, p 161). À l’issue de cette troisième étape de l’analyse des données, nous disposons d’un tableau qui regroupe à chaque moment de la contre-attaque, une modélisation locale du jeu des influences, des informations partagées entre les membres de l’équipe et des types de relation entre les buts des joueurs. Des données chiffrées permettent également de caractériser le niveau de partage des informations entre joueurs pour chaque forme locale d’articulation. L’ensemble de ces indications permet de caractériser les formes locales de coordinations des activités des membres d’une équipe, à chaque instant de la contre-attaque considérée. L’étape suivante consiste à regrouper ces coordinations locales afin de mettre à jour des formes « typiques » de coordination pour l’ensemble des participants à l’étude, considérés comme des experts en football. Cyril Bossard 159 Contexte objectif Comportements observés Joueur 1 Michel Michel et Benoı̂t au pressing, Flavien en appui, regarde le jeu Michel récupère le ballon, lève la tête, avance dans l’axe. Benoı̂t accélère vers la gauche, Flavien se déplace vers la droite Je récupère la balle (A), je lève la tête (A), je regarde directement où sont mes 2 partenaires (A), je conduis la balle (A), je la donne à benoı̂t (A) il a libéré de l’espace en embarquant le défenseur avec lui (I), je lui mets la balle en profondeur (A) Joueur 2 Benoı̂t Joueur 3 Flavien On presse sur les deux joueurs adverses (A), il y a une confusion entre eux (I) et ils perdent la balle (R) Les autres jouent (I), j’attends (A), je m’occupe du gars qui me marque (B) il faut que j’écarte sur un côté (C), je sais déjà que je dois m’écarter sur un des deux côtés (C), je regarde le jeu (A), ils (adversaires) perdent le ballon (R) Cyril Bossard Michel va la chercher tout de suite (I), je le regarde faire (A) et directement je cours vers l’avant et vers la gauche (A), lui il va vers la droite (I), je me décale au maximum à gauche tout en restant près du but (A), pour recevoir la balle, et pour qu’il me voit aussi (B), il me voit justement (I) et il opte pour une passe dans la profondeur (I) pour que l’action aille quand même vite (I) Je regarde le placement du défenseur (A), il est entre Flavien qui est en appui et moi (I), pour ne pas être hors jeu sur l’appel, je me décale sur la gauche (A) pour que Michel me voie, et que je reçoive la balle dans de bonnes conditions (B). Je reçois la balle (R), elle est un peu fuyante (R) J’écarte directement sur le côté (A), pour laisser de la place à Benoı̂t (B) ça lui laisse de la place pour aller au but (R) Benoı̂t reçoit le ballon (I), je le rejoins dans l’axe (A), je demande la balle en retrait (A), il la met à Michel (R) Tableau 5.4 – Illustration des informations partagées Volet 3 Modélisation locale Volet 4 Modélisation locale Jeu des influences Informations partagées • Spécifiques (8) • Partagées à 2 (0) • Communes (0) • Spécifiques (18) • Partagées à 2 (3) : Entre Benoı̂t et Flavien : « les adversaires perdent la balle » ; Entre Benoı̂t et Michel : « Michel récupère la balle » et « ils se voient tous les deux » • Communes (1) : Michel passe à Benoı̂t Chapitre 5 – Étude de l’activité collective 160 Volet 2 Situations vécues Volet 1 Cyril Bossard Volet 2 Situations vécues Volet 1 Contexte objectif Comportements observés Joueur 1 Michel Michel et Benoı̂t au pressing, Flavien en appui, regarde le jeu Michel récupère le ballon, lève la tête, avance dans l’axe. Benoı̂t accélère vers la gauche, Flavien se déplace vers la droite Je récupère la balle (A),(...) je lui mets la balle en profondeur (A) Joueur 2 Benoı̂t Joueur 3 Flavien On presse sur (...) ils perdent la balle (R) Les autres jouent (I), j’attends (A), je m’occupe du gars qui me marque (B) (...) ils perdent le ballon (R) Michel va la chercher tout de suite (I), (...) je me décale au maximum à gauche tout en restant près du but (A), pour recevoir la balle, et pour qu’il me voit aussi (B) (...) J’écarte directement sur le côté (A), pour laisser de la place à Benoı̂t (B) ça lui laisse de la place pour aller au but (R) Je regarde (...), je me décale sur la gauche (A) pour que Michel me voie, et que je reçoive la balle dans de bonnes conditions (B) (...) elle est un peu fuyante (R) Benoı̂t reçoit le ballon (I), je le rejoins dans l’axe (A), je demande la balle en retrait (A), il la met à Michel (R) Volet 3 Jeu des influences Volet 4 Informations partagées Volet 5 Buts Modélisation locale Catégorisation des informations partagées Relations entre les buts individuels • Spécifiques (8) • Partagées à 2 (0) • Communes (0) • Spécifiques (18) • Partagées à 2 (3) : Entre B et F : « les adversaires perdent la balle » ; Entre B et M : « Michel récupère la balle » et « ils se voient tous les deux » • Commune (1) : Michel passe à Benoı̂t Convergents et spécifiques 161 Méthode Tableau 5.5 – Illustration des relations entre les buts individuels Convergents et partagés à 2 (Michel et Benoı̂t) Chapitre 5 – Étude de l’activité collective 5.1.5 Le regroupement des formes locales de coordination et l’identification a posteriori des formes « typiques » de coordination Cette quatrième étape de l’analyse des données consiste à regrouper de manière empirique les différentes formes locales de coordination. Les principes d’une catégorisation empirique ont été explicités dans le chapitre précédent (Cf. Chapitre 4, Le regroupement des situations vécues, p 235). Nous reprenons ici, brièvement les principales caractéristiques pour mieux préciser notre démarche. A partir des principes de la « théorie ancrée » (Strauss et Corbin, 1998), nous procédons à des regroupements par associations d’unités d’analyse (ici les différentes formes locales de coordination). Par approximations successives à partir des similitudes, nous procédons au regroupement des différentes formes locales de coordination pour l’ensemble des équipes. L’objectif est de rendre compte de la récurrence de certaines formes d’articulation des activités individuelles. Comme pour l’identification de schémas typiques, l’essentiel reste que la forme typique de coordination collective obtenue soit nommée après le regroupement. Le titre conceptuel n’est défini qu’en fin d’analyse (Bardin, 1998). Il s’agit bien de « faire émerger la théorie à partir des données » (Dumas, 2000). Dans notre étude, les critères successifs qui ont orienté le processus de catégorisation sont restitués a posteriori. Dans un ordre prioritaire, ces critères étaient les suivant : 1) la modélisation du jeu des influences, 2) les informations partagées, 3) les relations entre les buts individuels. 5.1.6 Validité de l’analyse La validité de l’analyse des données proposée repose sur une procédure de « triangulation » entre trois chercheurs (l’auteur, Kermarrec, G. et Cormier, J.). Le regroupement des formes locales de coordination et l’identification des formes typiques sont proposés par le premier chercheur, les deux autres effectuent individuellement une relecture attentive. En cas de désaccord, les trois chercheurs tentent de construire une proposition commune. 5.2 Résultats Pour cette étude, nous avons pris en compte les 5 situations de contre-attaque de chacune des 4 équipes. À partir des 12 entretiens d’auto-confrontation menés avec chacun des sujets, nous obtenons des comportements et des verbalisations sur 20 contre-attaques réalisées dans une situation d’étude privilégiée en football. 162 Cyril Bossard Résultats L’analyse qualitative des données individuelles avait permis de sélectionner 1 286 unités significatives (US). Nous avons reporté l’ensemble de ces données par équipe dans les tableaux à deux volets. La répartition des US par équipe est la suivante : rouges (414 US), verts (260 US), violets (314 US), et jaunes (298 US). Nos résultats sont présentés en respectant les cinq temps de la méthode d’analyse des données précédemment décrite : 1. les influences interindividuelles, 2. les informations partagées (niveau de partage et contenu des informations partagées), 3. la relation entre les buts, 4. les formes locales de coordination, 5. les formes typiques de coordination. 5.2.1 Les influences interindividuelles L’analyse des données permet de caractériser, d’identifier 216 situations d’influence entre deux joueurs au fur et à mesure des contre-attaques pour l’ensemble des 4 équipes. Les résultats pointent un faible nombre d’occurrences des situations où on identifie une absence d’influence entre deux joueurs (41), ce qui représente 18,9% de l’ensemble des influences entre deux joueurs. L’influence unidirectionnelle d’un joueur sur un autre représente la plus grande part des influences entre deux joueurs (46,7%). Enfin, les influences mutuelles représentent 34,2% des influences interindividuelles. L’analyse des données (les influences entre deux joueurs) permet ensuite de caractériser le jeu des influences entre les 3 membres de l’équipe à différents instants de la contre-attaque. Le jeu des influences pour une équipe correspond alors au regroupement de l’ensemble des influences dyadiques à un moment donné de la situation de contre-attaque. L’analyse qualitative transversale des contenus répartis au sein des deux volets pour les 20 contre-attaques sélectionnées permet d’identifier 72 formes « locales » d’influence au sein des équipes de 3 joueurs. Au sein de ces formes locales, nous pouvons souligner le rôle important du joueur porteur de balle (PB) dans le jeu des influences entre les membres de l’équipe. L’extrait suivant (CAR 2) illustre l’identification de 3 formes locales, trois jeux d’influences lors d’une même séquence de contre-attaque. - Première situation [Gautier] : « (...) on est très proche tous les deux (I), il avance un peu (I), je reste à côté (A), il me la donne (R) (...) ». [Bastien] : « (...) direct à la récup je la mets à gauche à Gauthier (A), je vois qu’il m’a suivi (I), on est proche tous les deux (I), je lui donne (A) (...) » Cyril Bossard 163 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective [Gaétan] : « (...) Bastien donne à Gautier (I) (...) » Ici, on observe bien une influence mutuelle entre Gautier et Bastien correspondant à une coordination d’actions (passe) entre les 2 joueurs. Leurs activités respectives ne sont pas influencées par le troisième membre de l’équipe, ils ne le prennent pas en compte. Gaétan reste cependant sous l’influence de chacun d’eux (Figure 5.2). Figure 5.2 – Modélisation locale des influences (Equipe rouge) Situation 1. - Deuxième situation [Gautier] : « (...)les 2 défenseurs viennent sur nous (I), Bastien il fait le tour des 2 (I), je l’ai vu partir (I), je vois le trou entre les 2 (I), je lui donne la balle (A), il fait l’appel (I), je sais qu’il veut la balle entre les 2 (C) (...) » [Bastien] : « (...) les deux défenseurs sont juste devant nous (I), il avance un peu (I), je me décale à droite (A), le défenseur met la pression sur Gauthier et le deuxième est juste à côté (I), je décide de passer derrière les deux défenseurs (A) pour lui proposer une solution dans l’intervalle des deux (B), je fais un appel (A), il me voit passer entre les deux devant lui (C), il me donne la balle (R) (...) » [Gaétan] : « (...) je recule encore plus vers la gauche (A) pour écarter le jeu (B), je suis seul (I), les deux autres font pas attention à moi (I), ils jouent ensemble sans se préoccuper de moi (I), je suis l’action de loin (A), je suis pas si loin mais pas dans le truc (I), je pense juste à être en soutien si il y a besoin (B) (...) » Dans la continuité de la situation précédente, Gautier et Bastien s’influencent mutuellement pour franchir l’obstacle que représentent les deux défenseurs. Leur activité collaborative est entièrement tournée vers ce but local. Gaétan n’intervient toujours pas dans cette activité, il « subit » l’interaction entre ses partenaires. Ce dernier par ailleurs est bien conscient de son absence d’influence sur le jeu de ses partenaires. Il reste cependant sous l’influence unidirectionnelle de chacun d’eux (Figure 5.3). - Troisième situation - 164 Cyril Bossard Résultats Figure 5.3 – Modélisation locale des influences (Equipe rouge) Situation 2. [Gautier] : « (...) il part seul au but (I), il y en a un derrière lui qui le colle (I), je pars vers la droite (A), je reste à son niveau (A), il est lancé (I), je le regarde (A), il élimine le gardien (I) il pousse trop loin la balle (I), il la perd (R) (...) » [Bastien] : « (...) je me retrouve tout seul devant (I) je file au but (A), le défenseur qui me suit de près je l’ai même pas senti venir dans mon dos (R), même pas senti qu’il met la pression (R), je fais un crochet (A) il anticipe bien (I), je l’ai pas vu arriver, et il me la prend (R) (...) ». [Gaétan] : « (...) Bastien perd la balle (R), c’est fini (R) (...) ». Dans cette troisième situation, l’analyse du contenu des trois extraits présentés en vis à vis dans les tableaux d’analyse révèle l’influence unidirectionnelle de Bastien (ici, Porteur du Ballon) sur ces 2 partenaires sans que ces derniers ne soient pris en compte. L’organisation collective dépend exclusivement de l’activité d’un des membres de l’équipe (Bastien) (Figure 5.4). Figure 5.4 – Modélisation locale des influences (Equipe rouge) Situation 3. Nos résultats montrent que le jeu des influences permet d’obtenir une description symbolique de l’activité collective à partir d’une mise en évidence de la coordination des activités individuelles. Pour poursuivre notre analyse des formes locales de coordination, nous Cyril Bossard 165 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective avons ensuite relevé les informations significatives partagées par les membres de l’équipe à chacun des moments caractérisés par une forme locale d’articulation. 5.2.2 5.2.2.1 Les informations partagées Le niveau de partage des informations L’analyse des protocoles à trois volets confirme que l’ensemble des informations verbalisées (N = 941) par les sujets peuvent être classées selon les trois catégories théoriques définies a priori en référence aux travaux de Mundutéguy et Darses (2007) : les informations spécifiques à l’activité d’un joueur (n = 736), les informations partiellement partagées par 2 joueurs au sein de l’équipe (n = 126), et les informations communes aux trois joueurs de l’équipe (n = 78). Nous avons ensuite comptabilisé le nombre d’informations significatives partagées ou non par les membres de l’équipe en référence à cette catégorisation. Les résultats permettent de caractériser le niveau de partage des informations significatives. La figure suivante présente la distribution moyenne de ces trois classes pour l’ensemble des équipes et pour les 20 situations de contre-attaque sélectionnées. Figure 5.5 – Proportion d’informations partagées par les sujets La grande majorité des informations sont significatives pour un seul des participants au sein des trios (n = 736 ; 78,21 %). Seules 8,28 % (n = 78) des informations verbalisées sont communes aux trois joueurs ; 13,39 % (n = 126) sont partagées par deux joueurs. Les activités individuelles se caractérisent par un couplage sujet/situation au travers d’un ensemble d’informations significatives. Nos résultats pointent que certaines de ces informations (21,67 % ; n = 204) sont partagées par deux ou l’ensemble des membres d’une même équipe au cours des contre-attaques. La question est désormais de savoir quelles sont précisément ces 166 Cyril Bossard Résultats informations significatives partagées et par qui le sont-elles ? 5.2.2.2 Le contenu et la nature des informations partagées Pour apporter des éléments de réponse à cette dernière question, nous avons reporté précisément l’ensemble des unités significatives partiellement partagées ou communes dans un tableau et comptabilisé leurs nombres d’occurrences. Les résultats mettent en évidence 39 informations partagées par au moins deux membres de l’équipe pour l’ensemble des équipes et des contre-attaques. Dans notre étude, toutes ces informations désignent des éléments contextuels. Le tableau 5.6 (p 168) consigne précisément ces 39 informations et leur nombre d’occurrences. Pour chaque forme de coordination locale, nous avons ainsi identifié la ou les informations partagées par deux ou l’ensemble des membres de l’équipe. Une liste de 39 informations partagées permet de décrire le contenu de ces informations pour l’ensemble des formes de coordinations locales. La suite de l’analyse consiste à proposer un regroupement de ces informations partagées. Deux grandes catégories émergent des données. Les informations partagées par les membres d’une équipe renvoient soit aux comportements des partenaires (182 occurences), soit aux comportements des adversaires (23 occurrences). Concernant les comportements des partenaires, 72 informations renvoient à leurs déplacements ou leurs placements, 76 informations à leurs actions sur le ballon, et 33 informations aux passes. Par la suite, les catégories obtenues devraient apporter des indications complémentaires sur le « type » d’informations partagées en fonction des différentes formes typiques d’articulation identifiées. 5.2.3 Les différentes relations entre les buts L’analyse des données à un moment donné du cours d’action est ici destinée à caractériser la relation entre les buts des joueurs (individuels), d’une part selon un rapport dialectique de convergence-divergence, d’autre part selon un rapport dialectique partagé-spécifique. Par recoupement progressif, nous voyons apparaı̂tre 3 catégories empiriques de relation entre les buts individuels : 1) des buts divergents et spécifiques ; 2) des buts convergents entre les 3 joueurs, mais spécifiques pour chacun d’entre eux (en fonction de leur rôle spécifique à ce moment du cours d’action) ; 3) des buts convergents au sein de l’équipe et partagés par deux membres de l’équipe. À partir des 72 formes locales de coordination, nous avons étudié 72 relations entre les Cyril Bossard 167 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective Informations significatives partagées « le partenaire se déplace (avance, va) vers le but, vers l’axe, à droite, à gauche » « X passe à Y » « un partenaire récupère, intercepte la balle, anticipe » « un partenaire frappe au but » « appel de balle d’un partenaire » « le partenaire est bien ou mal placé, seul, au centre, au deuxième poteau » « le partenaire dribble » « la passe est ratée » « le partenaire va au deuxième poteau » « le partenaire vient vers l’autre partenaire, en soutien » « le partenaire fixe le défenseur » « la frappe est croisée, piquée » « le partenaire pousse la balle » « un partenaire marque un but » « la frappe est contrée, molle, ratée » « le partenaire attend la balle » « les partenaires se voient » « le partenaire lève la tête » « le partenaire est proche » « le partenaire est trop statique » « perte de balle » « le partenaire s’arrache » « le partenaire s’arrête » « X veut donner à Y » « le partenaire est ralenti par un adversaire » « le partenaire reconnaı̂t l’appel » « le partenaire se retourne » « le partenaire est embêté » « le partenaire appel de la voix » « le partenaire contrôle de la poitrine » « l’adversaire suit, colle un partenaire, s’avance, sont devant » « les défenseurs reviennent vite, pressent » « l’adversaire touche la balle, contre » « les adversaires se font une passe » « le gardien sort de ses buts » « pas de gardien » « pas de pression » « les adversaires perdent la balle » Total Nombre d’occurrence 44 32 24 11 10 6 6 5 4 5 4 3 3 2 2 2 2 2 2 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 9 6 2 2 1 1 1 1 204 Tableau 5.6 – Liste et nombre d’occurrence des informations partagées 168 Cyril Bossard Résultats buts individuels des joueurs membres d’une même équipe (Cf. Tableau 5.7). Les résultats pointent le très faible nombre (3) de formes locales de coordination où les buts des 3 joueurs sont divergents et spécifiques. Les 69 autres formes de coordination révèlent que les buts sont convergents entre les 3 membres de l’équipe. Pour 45 formes de coordination, les buts individuels sont spécifiques au rôle de chaque joueur. Pour 24 d’entre-elles, les buts sont partagés pour deux membres de l’équipe qui partagent donc le même rôle (NPB). Buts divergents et spécifiques 3 Buts convergents Partagés par 2 spécifiques membres 24 45 Total 72 Tableau 5.7 – Nombre d’occurrence des relations entre les buts Ces trois catégories obtenues devraient nous permettre d’interroger les « conditions d’apparition » des différentes formes typiques d’articulation identifiées. 5.2.4 Les formes « locales » de coordination des activités L’ensemble des résultats nous conduit à proposer des modélisations de formes locales de coordination (Cf. Tableau 5.8, p 170). Finalement, nous identifions 72 formes locales de coordination caractérisées par le jeu des influences entre partenaires, par les informations partagées, par le niveau de partage, et par l’articulation particulière des buts de chacun d’eux. La question est maintenant de savoir si l’on peut regrouper ces formes locales de coordinations pour identifier des formes « typiques » de coordinations en situation de contreattaque. 5.2.5 Les formes « typiques » de coordination ou d’articulation des activités En analysant l’articulation des activités individuelles lors de 20 contre-attaques, nous avons identifié 72 formes locales de coordination pour l’ensemble des 4 équipes. Une lecture attentive des tableaux présentant l’ensemble de ces formes locales de coordination permet d’identifier des redondances, des récurrences, des similitudes dans le jeu des influences, dans les informations partagées et dans les relations entre les buts individuels. Par catégorisation empirique, nous avons donc regroupé progressivement ces différentes formes locales de coordination. Trois critères ont été utilisés pour repérer ces similitudes : Cyril Bossard 169 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective Forme locale de coordination des activités Influences Informations significatives Buts individuels interindividuelles partagées Niveau de partage • Spécifiques : 18 • Partagées à 2 : 3 • Communes : 1 Relation entre les buts • Convergents et spécifiques Informations significatives • Commune : Michel passe à Benoı̂t dans la profondeur • Entre Benoı̂t et Flavien : « les adversaires perdent la balle » • Entre Benoı̂t et Michel : « Michel récupère la balle » et « ils se voient tous les deux » Buts typiques • Michel : « Choisir une solution de passe pour assurer la continuité du jeu » • Benoı̂t : « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible » • Flavien : « Créer de l’espace pour permettre à des partenaires de s’engager vers l’avant » Tableau 5.8 – Illustration d’une forme locale de coordination (Equipe violette, CA3) 170 Cyril Bossard Résultats la modélisation du jeu des influences, les informations significatives partagées, et la relation entre les buts individuels. Nous avons regroupé ainsi les 72 formes locales en 5 catégories empiriques. On peut alors considéré que ce regroupement permet de caractériser 5 « formes typiques de coordination des activités » d’une équipe de football experte en situation de contre-attaque. 5.2.5.1 Forme 1 : La coordination par l’influence unidirectionnelle de deux joueurs sur un partenaire. La première forme de coordination collective correspond à une activité collective qui repose sur l’activité de deux membres qui influencent simultanément et de manière unidirectionnelle l’activité du troisième partenaire (Cf. Tableau 5.9). Au cours des 20 contre-attaques étudiées, cette forme typique de coordination est apparue 9 fois (soit 12,5 % de l’ensemble des formes de coordination). Aucune information n’est partagée par les membres de l’équipe. Les buts sont partagés pour les deux joueurs qui influencent l’activité du troisième. Forme 1 : La coordination par l’influence unidirectionnelle de deux joueurs sur un partenaire Influences Informations significatives Buts individuels interindividuelles partagées Niveau de partage • Spécifiques : 0%, • Partagées à 2 : 0%, • Communes : 100% Relation entre les buts • Convergents et partagés à 2 (A et B) Informations typiques • aucune information partagée Buts typiques • A et B : « intercepter le ballon » (18 occurrences) • C : « observer, analyser, anticiper l’évolution de la situation » (9) Tableau 5.9 – Synthèse forme typique de coordination 1 Les buts typiques des joueurs renvoient aux buts assignés par l’expérimentateur pour le départ de la situation d’étude. Pour les joueurs placés à la récupération, il s’agit bien « d’intercepter le ballon ». Pour le joueur placé en position offensive, la situation de contreattaque est déclenchée à partir du moment où les partenaires récupèrent le ballon. En attendant, l’activité de ce dernier est orientée par « l’observation, l’analyse, l’anticipation de l’évolution de la situation ». La relation entre les buts est de type convergente, partagée Cyril Bossard 171 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective pour deux d’entre eux et spécifique pour le troisième. Nous discuterons de la validité de cette forme de coordination dans la partie discussion. 5.2.5.2 Forme 2 : La coordination par l’influence unidirectionnelle d’un joueur sur deux partenaires La seconde forme typique de coordination correspond à une activité collective qui repose sur l’activité d’un joueur (PB) qui influence de manière unidirectionnelle l’activité de ses deux partenaires (Cf. Tableau 5.10). Cette forme de coordination collective typique apparaı̂t 17 fois. Forme 2 : La coordination par l’influence unidirectionnelle d’un joueur sur deux partenaires Influences Informations significatives Buts individuels interindividuelles partagées Niveau de partage • Spécifiques : 79,8%, • Partagées à 2 : 8,2%, • Communes : 12% Relation entre les buts • Convergents et partagés à 2 (B et C) (3) • Convergents et spécifiques (11) • Divergents et spécifiques (3) Informations typiques • actions du partenaire PB (27 occurrences) • déplacements et placements du PB (9) Buts typiques • A : « Rechercher à tirer/frapper au but » (12) • B et C : « se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive » (10) ou « suivre l’action du partenaire pour une reprise » (8) Tableau 5.10 – Synthèse forme typique de coordination 2 Les informations partagées par les membres de l’équipe concernent exclusivement le PB. Plus précisément, le contenu des informations partagées renvoie aux actions et aux placements et déplacements de ce dernier. Le niveau de partage (à 2 et 3 joueurs) des informations est de 20,2% entre les membres de l’équipe. Les relations entre les buts sont majoritairement de type convergent et spécifique à chacun des membres. C’est tout de même la seule forme de coordination où les buts individuels peuvent être divergents (à 3 reprises). L’activité du joueur porteur de balle est guidée par la 172 Cyril Bossard Résultats recherche de frappe de but ou d’une passe permettant de mettre un partenaire en situation favorable de frappe. Les deux autres partenaires cherchent, quand à eux, à « se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive » ou « suivre l’action du partenaire pour une reprise ». Cette forme de coordination apparaı̂t essentiellement dans les situations de finition de la contre-attaque (passe décisive ou frappe). 5.2.5.3 Forme 3 : La coordination mutuelle totale La troisième forme typique de coordination correspond à une activité collective qui repose sur l’influence mutuelle de toutes les activités individuelles des membres de l’équipe (Cf. Tableau 5.11). Cette forme typique de coordination est la moins fréquente (apparaı̂t à 5 reprises). Forme 3 : La coordination mutuelle totale Influences Informations significatives Buts individuels interindividuelles partagées Niveau de partage • Spécifiques : 72,3%, • Partagées à 2 : 16,8%, • Communes : 10,8% Relation entre les buts • Convergents et partagés à 2 (2) • Convergents et spécifiques (3) Informations typiques • actions des partenaires (6) • déplacements et placements des partenaires (11) • passe entre partenaires (4) Buts typiques • A : « passer pour mettre le partenaire en situation favorable de frappe » (12) • B et C : « se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive » (10) Tableau 5.11 – Synthèse forme typique de coordination 3 Ici, les informations partagées renvoient aux actions et déplacements de tous les partenaires et à des interactions précises entre partenaires (passes). Le niveau de partage des informations est le plus important de toutes les formes de coordination (27, 6 %). Les relations entre les buts sont de type convergent. Ils sont parfois spécifiques (3) et parfois partagés entre deux joueurs (2). L’activité des joueurs est guidée par deux types de but : « passer pour mettre le partenaire en situation favorable de frappe » et « se placer ou Cyril Bossard 173 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive ». Cette forme concerne donc des situations ou des actions décisives, dites de déséquilibre du rapport de force. 5.2.5.4 Forme 4 : La coordination mutuelle restreinte La quatrième forme typique de coordination correspond à une activité collective qui repose sur l’influence mutuelle de l’activité d’un joueur (PB) avec l’activité de ses deux partenaires (Cf. Tableau 5.12). La coordination mutuelle d’un joueur avec deux partenaires a été observée 17 fois. Forme 4 : La coordination mutuelle réduite (ou à 2) Influences Informations significatives Buts individuels interindividuelles partagées Niveau de partage • Spécifiques : 79,3%, • Partagées à 2 : 12,2%, • Communes : 8,4% Relation entre les buts • Convergents et partagés à 2 (2) • Convergents et spécifiques (15) Informations typiques • actions du partenaire PB (25) • déplacements et placements du partenaire PB (26) • interaction avec partenaire PB (10) Buts typiques • A : « Aller vite vers l’avant avec le ballon tout en étant attentif au jeu » (7) • B et C : « S’engager vite vers l’avant pour profiter de la récupération du ballon » (4) ou « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible » (12) ou « Créer de l’espace pour permettre à des partenaires de s’engager vers l’avant » (4) Tableau 5.12 – Synthèse forme typique de coordination 4 Les informations partagées renvoient aux actions et déplacements des partenaires et à des interactions précises avec le joueur PB. Le niveau de partage des informations est de 20,6%. La relation entre les buts est principalement convergente et spécifique (15) à chacun des membres. Le but typique du joueur PB est « Aller vite vers l’avant avec le ballon tout 174 Cyril Bossard Résultats en étant attentif au jeu ». L’activité des deux autres joueurs, est guidée par trois types de but : « S’engager vite vers l’avant pour profiter de la récupération du ballon », « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible », et « Créer de l’espace pour permettre à des partenaires de s’engager vers l’avant ». Cette forme concerne essentiellement la progression rapide vers la cible qui en contre-attaque au football reposerait donc essentiellement sur l’articulation de l’activité du PB avec deux partenaires potentiels. Nous observons une variante à cette forme de coordination. En effet, même si la coordination collective repose sur l’activité du joueur PB, à 11 reprises un des joueurs NPB influence l’autre joueur NPB (Forme 4b : la coordination mutuelle d’un joueur avec deux partenaires dont l’un influence l’autre modélisée par la flèche en pointillés ; Cf. Annexe B.1, p 265). 5.2.5.5 Forme 5 : la coordination par influence mutuelle réduite (à 2 joueurs) Enfin, la cinquième forme typique de coordination est la plus fréquente (24 occurrences). Ici, l’activité collective repose principalement sur l’influence mutuelle entre deux joueurs et sur l’influence unidirectionnelle de cette interaction sur l’activité du troisième partenaire (Cf. Tableau 5.13). Les informations sont principalement partagées entre les deux joueurs en interaction (18,7%). Ces informations concernent majoritairement les actions, les déplacements, et les passes entre les deux partenaires concernés par l’interaction. C’est la seule forme de coordination où les actions et déplacements des adversaires sont partagés par les membres de l’équipe. La relation entre les buts est de type convergent. Les buts sont parfois partagés (9) entre deux partenaires mais la plupart du temps, ils sont spécifiques à l’activité des joueurs. Les buts typiquement recherchés par le joueur en possession du ballon concernent les passes : « choisir une solution de passe pour assurer la continuité du jeu » et « Fixer-passer pour progresser vers la cible ». L’activité des partenaires sans le ballon est orientée par des buts de placement ou de déplacement dans l’espace de jeu : « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible » et « Se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive » (9). Pour le joueur PB, il s’agit d’un choix privilégié avec un partenaire NPB (influence mutuelle avec B) mais le second NPB (C) maintient ou propose une alternative de choix en s’adaptant à l’interaction entre A et B. Cette forme représente une situation d’alternative conserver-progresser ou continuité-rupture. Deux variantes sont rapportées à cette forme typique de coordination (représentées par Cyril Bossard 175 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective Forme 5 : La coordination par influence mutuelle entre deux joueurs et l’influence unidirectionnelle des deux joueurs sur le troisième Influences Informations significatives Buts individuels interindividuelles partagées Niveau de partage • Spécifiques : 74,6%, • Partagées à 2 : 18,7%, • Communes : 6,7% • • • • Informations typiques Actions du partenaire (19) Déplacements et placements du partenaire PB (26) Passe avec partenaire PB (19) Actions des adversaires (16) Relation entre les buts • Convergents et partagés à 2 (8) • Convergents et spécifiques (16) Buts typiques • A : « Choisir une solution de passe pour assurer la continuité du jeu » (7) ou « Fixerpasser pour progresser vers la cible » (6) • B et C : « Se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive » (9) ou « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible » (8) Tableau 5.13 – Synthèse forme typique de coordination 5 176 Cyril Bossard Discussion les flèches en pointillés). La première caractérise l’influence unidirectionnelle de l’un des 2 joueurs en interaction sur le troisième (Forme 5b : la coordination mutuelle entre deux partenaires et l’influence unidirectionnelle de l’un sur le troisième partenaire ; Cf. Annexe B.1, p 266). La seconde caractérise l’absence d’influence avec le troisième membre de l’équipe (Forme 5c : la coordination mutuelle restreinte à deux partenaires ; Cf. Annexe B.1, p 266). Ici, le troisième joueur n’est pas concerné par la coordination collective, il est « en dehors » ou « isolé » de la coordination. Pour ces deux variantes, le niveau de partage entre les deux partenaires qui s’influencent mutuellement est particulièrement élevé (5b : 19,5% et 5c : 37, 9%). 5.3 Discussion L’objectif principal de notre travail de recherche était de décrire et d’expliquer la coordination d’actions de plusieurs joueurs au sein d’une situation dynamique collaborative. Pour cela nous avons proposé une analyse de l’activité collective à partir de l’étude des coordinations entre des joueurs experts en situation de contre-attaque au football. Trois principales hypothèses étaient formulées. Dans un premier temps, nous postulions que la description du jeu des influences entre partenaires permettrait d’identifier des formes locales de coordination, et dans un second temps des formes typiques de coordination des activités individuelles. Ensuite, nous émettions l’hypothèse que ces formes typiques de coordination des activités en situation de contre-attaque pourraient s’expliquer par le partage d’informations (connaissances vs informations contextuelles) entre partenaires. Les résultats de notre étude sont discutés selon 3 axes relatifs : 1) aux formes locales de coordination ; 2) aux formes typiques de coordination ; 3) aux conditions d’émergence des formes typiques de coordination des activités individuelles. 5.3.1 Les formes « locales » de coordination Nos résultats ont montré que la coordination des actions au sein d’un collectif repose sur des influences interindividuelles entre partenaires au cours d’une contre-attaque. Observer ces influences interindividuelles permet de décrire dans le contexte spécifique d’une contreattaque, le jeu des influences entre tous les joueurs d’une même équipe à un même instant. L’analyse du jeu des influences montre que l’activité des membres de l’équipe relève de formes locales d’articulation singulières. Ces résultats sur les formes locales de coordination peuvent être questionnés au regard des types d’influences entre deux partenaires, du nombre de joueurs concernés par le jeu des Cyril Bossard 177 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective influences, du fonctionnement à l’économie dans l’articulation des activités individuelles, et de leur enchaı̂nement dans le déroulement de la contre-attaque. Dans notre étude, les joueurs prennent souvent en compte leurs partenaires pour agir. Les influences mutuelles et unidirectionnelles représentent 81% des relations dyadiques contre seulement 18,9% de relations entre deux joueurs où on observe une absence d’influence. Dans l’étude de Bourbousson et al. (2008), les joueurs prenaient rarement en compte plus d’un partenaire pour agir. Les résultats pointaient la faible proportion d’influences mutuelles entre les membres d’une équipe (13%). Nos résultats montrent une proportion plus élevée avec 34,2% d’influences mutuelles entre deux joueurs sur l’ensemble des contre-attaques. Ces résultats questionnent la nécessité d’accroı̂tre les relations entre les membres d’un collectif pour en augmenter l’efficacité collective. De nombreuses approches théoriques ont insisté sur la mutualité des interactions entre les membres d’un collectif comme principe d’efficacité (Heath et Luff, 1992; Salembier et Zouinar, 2006). Les résultats de Bourbousson et al. (2008) pointaient que la mutualité des relations entre partenaires était peu fréquente et que cette mutualité ne constituait pas une condition nécessaire à la construction d’une activité collective coordonnée en sports collectifs. Pour Bourbousson et al. (2008), l’efficacité d’une équipe en sports collectifs tient plus dans la qualité de micro-coordinations (deux à deux) que dans leur capacité à prendre en compte l’ensemble des partenaires (p 34). Les auteurs concluent que les situations de basket-ball ne sont pas favorables à une ouverture relationnelle. Nos résultats permettent de nuancer ces conclusions sur deux points. Dans un premier temps, nous notons également que les joueurs ne prennent pas systématiquement en compte l’ensemble de leurs partenaires. Cependant, dans notre étude, sur les 72 formes locales de coordination, nous observons 47 formes locales qui révèlent au moins une influence mutuelle entre deux partenaires. Les formes locales de coordinations entre trois joueurs peuvent être basées sur des influences mutuelles, sur des influences unidirectionnelles ou sur une combinaison de ces deux types d’influences. Ces différences dans les résultats obtenus peuvent être expliquées au regard du contexte de notre étude. La situation d’étude que nous avons proposée semble plus favorable à l’ouverture relationnelle. Le positionnement des joueurs dans l’espace et leur nombre limité (trois) permet une plus grande visibilité mutuelle des partenaires (Heath et Luff, 1992). L’extrait de Benoı̂t témoigne par exemple d’une volonté de se rendre visible à son partenaire : « je me décale au maximum à gauche tout en restant près du but (A), pour recevoir la balle, et pour qu’il me voit aussi » (CAVi 3). Dans la même idée, même si les adversaires perturbent l’activité de l’équipe (les coordinations), ils sont rapidement et facilement localisés du fait de leur infériorité numérique momentanée. L’extrait de Benoı̂t, dans la continuité du premier, illustre cet aspect : « je 178 Cyril Bossard Discussion regarde le placement du défenseur (A), il est entre Flavien qui est en appui et moi (I), pour ne pas être hors jeu sur l’appel, je me décale sur la gauche (A) pour que Michel me voie, et que je reçoive la balle dans de bonnes conditions (B) ». La pression temporelle exercée sur le collectif en situation de contre-attaque semble ainsi exigée une attention soutenue sur ses partenaires pour permettre une mutualité des influences plus importante. Une analyse des résultats fondée sur l’approche « NDM » conduit à interpréter ces résultats comme l’expression d’un fonctionnement perceptif et cognitif à l’économie. Selon nous, l’expertise d’une équipe dépendrait plutôt de la capacité des membres de l’équipe à prendre en compte certains de leurs partenaires (ce qui peut conduire à limiter leur nombre) en fonction du contexte de sorte que les types d’influences sont relatifs à la situation. L’ouverture relationnelle dépendrait ainsi plus des éléments contextuels significatifs pour les membres d’une même équipe à un même instant que des plans ou des stratégies de cette même équipe. Extrait : [Gautier] : « (...) je vois l’autre défenseur qui vient sur moi,(I) il a lâché Gaétan, je le vois (I), je l’élimine avec un petit crochet (A), je vois le gardien qui sort vite des buts vers moi (I), il veut anticiper en fait (C), je le fixe (A), il se couche au sol (I), moi je suis debout (I), je sais que Gaétan est seul dans l’axe (C), je lui mets en retrait, tranquille (A), il y a plus de gardien (I), il est par terre (I), j’aurais pu mettre une pichenette sur le gardien (S) mais bon, c’est plus joli si Gaétan fini l’action (C), c’est plus collectif (C). » [Gaétan] : « (...) il élimine le défenseur avec un crochet (I), je continue et j’accélère même dans l’axe (A), je suis presque dans la surface (I), le gardien sort vite de sa cage (I), j’ai suivi (A), je pense vraiment qu’il va frapper au but (R), je suis (A) comme on sait jamais si la balle revient (C), je suis là (R), Gautier me la met en retrait (I), j’ouvre mon pied (A), j’ai plus qu’à la mettre (I), le but est vide (I), j’ai pas trop la pression (I) ». [Bastien] : Aucune verbalisation ; Comportements observés : Bastien ne participe pas à l’action, il reste derrière ses partenaires. Dans l’extrait précédent, les éléments contextuels significatifs (relatifs aux adversaires) conduisent Gaétan et Gautier à se coordonner sans se préoccuper de leur troisième partenaire (Bastien n’est pas pris en compte). L’activité collective repose ainsi sur la coordination mutuelle et exclusive de deux membres, et suffit à l’efficacité de l’équipe. Dans un second temps, l’évolution des formes locales de coordination des activités individuelles apportent des réponses complémentaires à cette discussion. Du fait du jeu des influences entre partenaires, l’équipe apparaı̂t bien comme une entité dynamique qui s’organise et se réorganise en permanence au gré des évolutions de la situation et des activités Cyril Bossard 179 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective individuelles autonomes qui la constituent. Au sein des trios, les jeux d’influences évoluent de façon dynamique dans le décours temporel de la contre-attaque. La coordination pouvait reposer, par exemple, sur l’activité d’un membre (influence mutuelle d’un joueur avec ses deux partenaires) puis basculer sur l’activité des trois membres (influence mutuelle totale). Comme Bourbousson et al. (2008), nous observons au sein de l’équipe la constitution fugace, locale et éphémère d’articulation des activités qui apparaissent et disparaissent. Dans le même ordre d’idée, on observe que l’activité individuelle de certains membres de l’équipe les amène à se déconnecter totalement du reste de l’équipe. [Kevin] : « je la mets à Jordan dans la profondeur (A), je veux la mettre juste entre les deux (défenseur et Jordan) pour qu’il soit tout seul (B), je veux lui mettre tout de suite (B) mais le défenseur vient très vite (I), je lève la balle un peu (S) pour pas que le défenseur me contre avec sa jambe (S) ». [Jordan] : « il (Kevin) me la met (I), je la contrôle (A) je l’emmène devant moi dans ma course (A), je sais qu’il (Charles) est à gauche devant en appui (C), je le vois pas mais je sais ce qu’il fait (C), il est devant (I), je prends l’espace libre devant moi (A), j’avance vers la droite (A) (...) ». « je vois qu’il (Charles) est bien démarqué au deuxième poteau (I), le défenseur est entre nous deux (I), il est beaucoup mieux placé que moi (I), et comme il faut aller vite (C), je lui fais une passe à mi-hauteur (A), il la contrôle de la poitrine (I), il me la remet (I), le défenseur a décroché sur lui (I), le défenseur est venu le presser (I) le gardien était plus orienté de son côté (I), c’était plus facile pour moi d’aller frapper au but (I) (...) ». [Charles] : « (...) je me dirige vers le côté gauche au niveau de la surface de réparation (A), il (Jordan) me fait une passe haute (I), je contrôle de la poitrine (A), je vois que le défenseur arrive vite sur moi (I), donc au dernier moment je joue en retrait sur Jordan (S), il arrive trop vite (I), je suis en angle fermé (I), je fais la passe à Jordan (A) il a plus de chance de marquer que moi (I) (...) ». Dans cet extrait, Kevin participe à l’activité de l’équipe au départ de la situation puis n’est plus pris en compte par ses partenaires. Cet extrait témoigne de la connexion momentanée de Kevin à l’activité de l’équipe et de sa déconnexion. L’enchaı̂nement des formes locales de coordination peut alors être envisagé selon un mode de connexion-déconnexion de joueur(s). Nous avions déjà souligné la capacité de l’expert, pendant l’action, à prendre rapidement en considération et de façon continue les caractéristiques changeantes de la situation (notion de conscience de la situation ; Flach (1995)). Dans cette perspective, nous avions conclu que l’expert se focalisait sur les informations contextuelles pertinentes ou significatives pour sa propre activité ce qui l’amenait à vivre successivement différentes situations. L’analyse de l’articulation des activités individuelles montre que la conscience de la situation recouvre aussi l’activité de l’équipe. Les situations successivement vécues 180 Cyril Bossard Discussion intègrent le point de vue du sujet sur l’activité collective. La situation telle qu’elle est vécue ne constitue pas seulement la manifestation d’un couplage cognitif dynamique entre un acteur et une situation (Flach, 1995). La situation telle qu’elle est vécue constitue la manifestation d’un couplage dynamique entre un acteur avec les autres acteurs et la situation. Pour Bourbousson et al. (2008), les rôles prédéfinis et assignés avant le match par l’entraineur participent à ce renouvellement et contraignent la nature de l’activité collective. Cependant, comme les auteurs le précisent, les rôles ne prescrivent pas totalement les formes de coordination mais en délimitent les contours (p 34). Dans notre étude, les formes de coordination ne sont pas prescrites a priori. Aucunes consignes avant ou entre les passages n’ont été données par l’entraı̂neur sur le rôle des joueurs en situation de contre-attaque. Les formes de coordination émergent ainsi par l’ajustement local et contextualisé des joueurs. Toutefois, nous repérons que le porteur du ballon joue un rôle primordial pour l’évolution de l’articulation des activités des joueurs. Son identification, par les partenaires, constitue un point d’ancrage autour duquel l’activité des partenaires s’organise et se distribue. L’extrait suivant montre l’identification du porteur de balle à partir du point de vue des deux autres partenaires et l’orientation de leurs activités en fonction de celui-ci. [Benoı̂t] : (...) Michel se lance tout de suite dans l’axe vers le but (I), j’attends plus une passe dans les pieds (B), je suis en appui (I), je vois qu’il garde sa balle et qu’il lève pas la tête (I), je me décale (A), il peut toujours me passer la balle (C) la distance est trop courte entre lui et moi (C), j’ai vu que Flavien était déjà sur la gauche (I), Michel continue (I), on propose deux solutions à Michel (C), il prend la solution Flavien (I) il est plus dans le sens du terrain (I), je suis trop éloigné (I) (...) [Flavien] : (...) c’est Michel qui récupère le ballon (I), je le regarde (A), c’est à moi d’écarter (C) à lui de rentrer dans l’axe (C), il récupère (I) je me dis tout de suite je m’écarte sur la gauche (B), il voit que je fais un appel (I), il me la donne (R) (...) Cependant, pour nuancer quelque peu ces propos, nous devons prendre en considération que les joueurs ont partagés un grand nombre d’expériences ensemble, en situations d’entraı̂nement et de matchs. Nous devons admettre qu’ils ont pu construire des connaissances sur leurs activités respectives. Si ces connaissances ne sont pas verbalisées dans notre situation, on peut tout de même penser que les modes de coordination sont guidés par des connaissances d’arrière-plan relatives au potentiel des partenaires. Au sein du modèle RPD, ces connaissances génèrent des attentes sur l’évolution de la situation. Plus précisément, dans l’analyse de l’activité individuelle, nous avons montré que les schémas constituaient des structures d’attentes permettant d’anticiper l’activité du partenaire (Cf. 4.4, p 134). Si chaque contre-attaque génère des formes locales d’articulation singulières, nous avons identifié des régularités, des récurrences qui nous ont conduit à mettre en évidence la typicalité des articulations des activités individuelles-collectives dans des situations dynamiques Cyril Bossard 181 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective collaboratives elles-mêmes considérées comme typiques, les contre-attaques en football. 5.3.2 Les formes « typiques » de coordination Au terme de notre analyse des données, les résultats de cette étude montrent que l’activité collective repose sur 5 formes typiques de coordination entre les joueurs en situation de contreattaque. Notons que la contre-attaque est une phase de jeu particulièrement importante pour l’efficacité d’une équipe dans le football moderne (Mombaerts, 1999). Notre étude à permis d’identifier des régularités concernent le jeu des influences entre partenaires, les informations partagées et les relations entre les buts individuels. Les formes typiques apparaissent affectées par le tempo ou les moments de la contre-attaque et attestent du fonctionnement à l’économie de l’équipe. Contrairement à Bourbousson et al. (2008), les joueurs de football ne semblent pas uniquement préoccuper à assurer la qualité de leur interaction avec un seul partenaire. Nos résultats suggèrent plutôt qu’en situation de contreattaque, les joueurs élargissent ou réduisent l’ouverture relationnelle envers les partenaires en fonction de la situation qui s’offre à eux. Le jeu des influences entre partenaires dépend des moments de la situation de contre-attaque. Quand la situation exige une attention particulière de tous pour créer la rupture ou le déséquilibre de la défense adversaire, la mutualité des relations entre partenaires semble prioritaire. La forme typique de coordination n°3 que nous avons nommé « coordination mutuelle totale » illustre cet aspect. Ici, l’activité collective repose sur l’influence mutuelle de toutes les activités des membres de l’équipe. Les informations partagées par les membres de l’équipe sont plus nombreuses et concernent une articulation de données contextuelles (actions, déplacements, placements, passes entre partenaires). Les buts recherchés par les joueurs correspondent à la phase de rupture que nous avions identifiée dans notre première étude. Même si les buts des membres de l’équipe ne sont pas les mêmes, ils convergent tous vers la recherche du déséquilibre de l’équipe adverse. Nous l’avons rappelé, la mutualité des relations entre tous les partenaires n’est pas une condition d’efficacité de l’activité collective. Quand la situation exige de se projeter rapidement vers l’avant tout en assurant la continuité du jeu, la mutualité des relations entre partenaires est uniquement en rapport avec le porteur du ballon (forme 4). Les informations partagées entre les membres de l’équipe attestent d’une surveillance d’éléments contextuels particulièrement orientée vers le porteur du ballon (ses actions, ses déplacements, ses interactions). Les formes typiques de coordination montrent également que la mutualité des relations peut être inexistante. En situation de finition, les influences mutuelles ne sont pas nécessaires et l’efficacité peut reposer sur l’activité d’un seul joueur qui recherche à frapper au but 182 Cyril Bossard Discussion par exemple (forme 2). Les informations sont alors partagées par les deux partenaires « observateurs » qui « subissent » en quelque sorte l’activité du porteur de balle. Cette distribution de formes typiques de coordination au cours du déroulement de la contre-attaque atteste selon nous d’un fonctionnement « à l’économie » de l’équipe experte en football. Les joueurs ne recherchent pas une compréhension de la totalité de la situation. Les joueurs réduisent leur conscience de la situation au strict nécessaire, c’est-à-dire aux éléments contextuels qui suffisent à coordonner leurs activités de manière locale. L’émergence des formes typiques de coordination aux différents moments de la contre-attaque dépend, selon nous, de leur fonction d’utilité dans un contexte spatio-temporel donné. La distance au but, la densité d’adversaires sont, par exemple, des éléments contextuels qui contraignent dans un même mouvement l’activité individuelle et l’activité collective. L’analyse des conditions d’émergence des formes typiques de coordination abonde également dans ce sens. 5.3.3 Les conditions d’émergence des formes typiques de coordination Pour de nombreux auteurs, la notion de partage est au au cœur du débat sur l’analyse de l’activité collective (Lim et Klein, 2006; Salembier et Zouinar, 2006; Cooke et al., 2007). Les coordinations entre les membres d’une équipe s’expliquent soit par des éléments cognitifs identifiés chez les différents joueurs engagés dans une même action (notion de buts ou connaissances partagées), soit par des éléments contextuels perçus, considérés comme significatifs par ces joueurs (notion de contexte partagé). Nous reprenons ici des questions laissées en suspend par Bourbousson et al. (2008) et qui concernent le niveau de partage des informations au sein d’un collectif et le contenu de ce qui est partagé (connaissances ou informations contextuelles). Comme l’expliquent Salembier et Zouinar (2006), la notion de partage doit, au préalable, être considérée comme une hypothèse. Pour tester cette hypothèse, nous avons comptabilisé les informations significatives formulées par les sujets dans une même situation en référence aux travaux de Mundutéguy et Darses (2007). Nos résultats ont présenté la distribution moyenne des trois catégories pour l’ensemble des situations de contre-attaque. En situation dynamique collaborative, nos résultats montrent que les membres de l’équipe font preuve d’une grande variabilité interindividuelle au regard des informations qui font sens pour eux. Nos résultats corroborent les travaux de Mouchet (2006) sur les joueurs experts au rugby quand à la subjectivité des décisions tactiques adoptées, mais également les travaux de Mundutéguy et Darses (2007) sur les prédictions d’actions de conducteurs automobiles en situation d’interaction. Les informations spécifiques dans l’étude de Mundutéguy et Darses (2007) représentaient 71,2% de l’ensemble des informations contre 78,2% dans notre étude. Les informations partiellement partagées représentaient 22,6% pour 13,4% dans notre étude. Cyril Bossard 183 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective Les informations communes représentaient 6,16% pour 8,3% dans notre cas. La stabilité de ces pourcentages d’informations partagées ou communes obtenues dans nos deux études et dans deux contextes très différents conduit à penser qu’il existerait un noyau commun d’informations significatives nécessaire mais suffisant pour assurer une bonne coordination des actions entre les membres d’une même équipe. Le niveau de partage peut être analysé au regard de chacune des formes typiques de coordination. Quand l’activité collective repose sur une coordination mutuelle totale (forme 3), les informations communes aux trois joueurs représentent 27,2% de l’ensemble des informations significatives. De façon similaire, quand l’activité collective repose sur une coordination mutuelle à deux (forme 5c), les informations partagées à deux atteignent 38%. Ces résultats conduisent à penser qu’il existe une correspondance entre le nombre de joueurs en interaction (notion de mutualité des relations) et le niveau de partage des informations. Un niveau de partage élevé des informations entre partenaires serait une condition favorable à la mutualité des interactions. La volonté d’expliquer l’activité décisionnelle en SiDyColl à partir d’un partage de connaissances est mise à mal par l’évolutivité des contextes en sports collectifs. Nos résultats montrent que les informations effectivement partagées par les membres d’une même équipe en situation de contre-attaque sont essentiellement constituées d’éléments contextuels. Ces éléments contextuels peuvent être différenciés en fonction des formes typiques de coordination. Les joueurs experts se basent sur la combinaison de quelques éléments contextuels prioritaires et suffisants pour se coordonner. À l’instar de Mundutéguy et Darses (2007), nous pouvons considérer que les joueurs agissent plutôt sur la base d’un environnement cognitif partagé (Salembier et Zouinar, 2006) qui influence les interactions entre les membres de l’équipe. Par exemple, dans la coordination mutuelle réduite à deux partenaires et son influence unidirectionnelle sur le troisième (Forme 5), les informations concernant les adversaires (actions) sont significatives et prioritaires au même instant pour les membres de l’équipe. Cette signification partagée du contexte amènent les membres de l’équipe à restreindre l’activité collective à une coordination privilégiée entre deux partenaires sous la surveillance attentive du troisième. Sur la base d’éléments contextuels partagés (concernant ici les adversaires), les joueurs ajustent ainsi leurs activités pour se coordonner. Nos résultats témoignent ainsi de la prédominance des mêmes éléments du contexte chez les différents membres d’une même équipe sous fortes contraintes temporelles. Notre étude fournit ainsi des éléments de réponse au débat concernant la nature des informations partagées en situation dynamique et collaborative. Les résultats de notre étude peuvent s’étendre à d’autres situations dynamiques et collaboratives notamment celles qui nécessitent la coordination de décisions d’action dans un environnement incertain, évolutif et à risques. Plus largement, ils peuvent éclairer les processus mis en œuvre dans toutes les situations d’activité collective pour lesquelles les 184 Cyril Bossard Discussion acteurs sont confrontés à des interactions de courtes durées. Notre étude vise à contribuer à la conception d’outils favorisant la collaboration entre les membres d’une équipe pour apprendre à se coordonner. Dans le chapitre suivant, nous expliciterons la démarche de conception d’un environnement virtuel simulant des situations de jeu au football. Nous montrerons comment l’étude de l’activité réelle en situation dynamique et collaborative peut contribuer à la conception d’un outil de formation à l’aide d’un dispositif de réalité virtuelle. Cyril Bossard 185 Chapitre 5 – Étude de l’activité collective 186 Cyril Bossard Chapitre 6 Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot Résumé – L’objectif de ce chapitre est de présenter notre contribution à la démarche de conception et d’évaluation de l’environnement virtuel CoPeFoot. Plus précisément, nous cherchons à montrer en quoi et comment des connaissances (modèles) relatives à l’analyse de l’activité humaine peuvent s’articuler aux modèles informatiques qui sous-tendent l’usage de la réalité virtuelle pour la mise en place d’environnements virtuels crédibles. Dans cette perspective, nous présentons une étude exploratoire in virtuo destinée à évaluer la crédibilité comportementale de CoPeFoot inspirée du test de Turing (1950). Nous proposons d’évaluer « l’effet leurre » de l’environnement en mesurant la performance des participants à faire une distinction entre un joueur dirigé par un humain et un joueur virtuel autonome. Cet effet est étudié en comparant deux groupes de sujets (expert et novice) et lors de trois mesures successives. Les résultats montrent un effet leurre plus marqué pour les sujets novices par rapport aux experts, et une amélioration des performances pour les deux groupes dans le temps. Nous discutons ces résultats au regard de la méthode mise en œuvre pour évaluer la crédibilité de l’environnement virtuel. Cyril Bossard 187 Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot Introduction L’objectif de ce chapitre est de présenter notre contribution à la conception et l’évaluation d’un environnement virtuel : CoPeFoot. Ce travail pluridisciplinaire est effectué au CERV, par deux doctorants issus d’équipes et de champs scientifiques différents. Plus précisément, il s’agit de montrer en quoi et comment des connaissances (modèles) issues de l’analyse de l’activité humaine (psychologie cognitive, psychologie du sport, ergonomie cognitive) peuvent contribuer aux choix des modèles informatiques nécessaires pour le développement d’Environnements Virtuels pour l’Apprentissage Humain (EVAH). Une telle démarche de conception a déjà été mise en œuvre par d’autres équipes de recherche pluridisciplinaires (Salembier et Pavard, 2003) dans le cadre de conception d’aides à la gestion de situation d’urgences dans des centres de contrôle (SAMU, trafic aérien). Plus largement, notre démarche s’inscrit dans une tendance actuelle qui vise à concevoir les formations (professionnelles, éducatives, sportives) en prenant conjointement en compte le caractère complexe et évolutif du travail et de la formation. Une telle démarche a déjà été mise en oeuvre à l’aide des modèles et méthodes issus de l’ergonomie cognitive. Un ensemble conséquent de travaux témoigne de ce rapprochement entre les sciences de la formation ou de l’éducation et la psychologie cognitive ergonomique (pour une revue voir Leblanc et al. (2008)). Ces collaborations rejoignent également des préoccupations en didactique professionnelle qui ont évolué d’une centration sur les savoirs à une centration sur l’activité (Barbier et Durand, 2003). Cette mutation conduit à opérer une distinction entre les savoirs prescrits et les savoirs effectivement mobilisés en situation de travail et conduisent les chercheurs à développer et mettre en place des programmes d’analyse de l’activité réelle. C’est dans cette filiation que nous inscrivons notre travail de collaboration avec des chercheurs en sciences de l’informatique pour la conception d’environnements virtuels de formation. Si les connaissances issues de l’analyse de l’activité réelle commencent aujourd’hui à être exploitées dans le cadre de propositions de situations de formation (Ria et al., 2006), et leurs mobilisations pour les situations de simulation exploitant les techniques de la réalité virtuelle constituent une voie nouvelle. Au CERV, les environnements virtuels développés au sein de l’équipe ARéVi (Buche, 2005; Herviou, 2006) utilisent conjointement la réalité virtuelle (RV) et des systèmes multi-agents (SMA). Les SMA permettent à la fois d’enrichir les mondes virtuels en leur ajoutant des entités autonomes dotées d’un comportement propre, et donnent la possibilité d’interagir avec eux au moyen d’interfaces mettant en œuvre les techniques liées à la RV. Ces environnements virtuels peuvent être conçu dans un objectif de formation ou d’apprentissage (modification de l’activité du sujet). À terme, la démarche de conception d’un EVAH devrait être finalisée par l’évaluation des différentes formes d’apprentissage ou encore, du transfert d’apprentissage du virtuel au réel. Jusqu’à présent, l’équipe SARA est 188 Cyril Bossard Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot intervenue uniquement à la fin de ce processus de conception de ces EVAH. Il nous semble que la participation de chercheur en sciences humaines dès les premières étapes du développement d’un EV puisse améliorer le réalisme ou la crédibilité de l’environnement, et finalement les apprentissages attendus. Or, la crédibilité des environnements virtuels peut être mise à mal quand la tâche de modélisation de l’activité est laissée à la seule appréciation du concepteur informaticien (Tchounikine et al., 2004). C’est précisément pour remédier à cet écueil que nous présentons ici, un exemple de collaboration pour la conception et l’évaluation d’EVAH : le projet CoPeFoot. CoPeFoot (Collective Perception Football) est un Environnement Virtuel destiné à la formation de joueurs de football. L’objectif de formation s’oriente vers la reconnaissance et l’adaptation à des situations collectives de jeu de football. Nous nous éloignons volontairement des aspects techniques (Bideau et al., 2004) de l’activité sportive pour nous focaliser uniquement sur la dimension décisionnelle de l’activité des joueurs. Nous avons précédemment argumenté le fait que le football, et plus particulièrement la contre-attaque constitue un bon exemplaire de situation dynamique et collaborative. Ce projet nous amène à considérer le problème de la crédibilité des EV. La crédibilité peut se définir comme le degré de confiance ou de véracité des attitudes et comportements que l’utilisateur accorde aux agents dans l’environnement virtuel (Burkhardt, 2007). Dans un premier temps, la mise en place d’un environnement virtuel dans lequel un humain est immergé et collabore avec des agents autonomes et/ou pilotés par d’autres humains (notion d’avatar) pour atteindre un objectif commun nécessite une modélisation acceptable qui tienne compte de la complexité de l’activité collaborative. À la différence des entreprises de simulation dite « anthropomorphiques » (Burkhardt, 2007), l’objectif n’est pas de reproduire exactement le fonctionnement humain, ni de prédire de façon précise les comportements. Plus modestement, nous cherchons à concevoir des agents virtuels capables de restituer cette complexité pour simuler des situations de façon crédible pour l’utilisateur. D’un point de vue scientifique, la simulation est aussi un moyen de tester la résistance du modèle issu de l’analyse de l’activité. Le travail de collaboration pour la conception d’EVAH que nous avons mené avec Bénard (2007) est, à l’origine, scindé puisque chacun des protagonistes effectuent son propre travail de recherche et de modélisation dans son propre champ scientifique. Ainsi, les contraintes respectives inhérentes au processus de modélisation proviennent de sources différentes. L’approche en sciences de l’informatique est abordée sous l’angle des SMA, du raisonnement à partir de cas (RaPC) et de la notion de contexte. L’approche que nous avons proposée prend appui en ergonomie cognitive sur le paradigme de la NDM, et met en exergue l’importance du contexte et de l’expérience vécue par le sujet (schémas typiques) en situation dynamique. Ces préoccupations ont orienté nos échanges sur les situations dynamiques collaboratives et nous Cyril Bossard 189 Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot ont amené à proposer des analogies simplifiées entre les deux formes de modélisation pour la simulation d’agents virtuels de football crédibles. Nous illustrerons ce principe d’analogie dans un premier point de ce chapitre à travers les notions de contexte et d’expérience. Dans les programmes de recherche qui développent des environnements virtuels, la crédibilité des situations produites par la simulation est rarement évaluée. Quand une évaluation est proposée, d’une part les tests sont effectués une fois l’environnement virtuel finalisé, et non au cours du processus de développement de l’EV ; d’autre part, elle repose sur une analyse comparative de l’activité déployée face à l’environnement et en situation réelle (Darcy et al., 2003). L’évaluation du transfert de compétences du virtuel vers le réel peut également être considérée comme un indicateur pour tester l’efficacité de l’environnement virtuel (Sanchez-Vives et Slater, 2005; Bossard et al., 2008). Cependant, ces évaluations menées a posteriori ne participent pas à la démarche de conception de l’environnement et ne permettent pas d’ajuster la modélisation informatique. Dans cette perspective, nous avons mis en place une étude exploratoire destinée à évaluer la crédibilité comportementale de l’environnement virtuel CoPeFoot en cours de conception. Nous avons également mené une réflexion théorique sur les conditions permettant de favoriser le transfert de compétences dans le cadre des environnements virtuels (Bossard et al., 2008). Ce chapitre présente dans un second point une étude exploratoire destinée à évaluer la crédibilité comportementale de l’environnement virtuel. 6.1 Des analogies simplifiées entre modèles informatiques et modèles de l’activité humaine L’intérêt d’un modèle est essentiellement celui d’un instrument de visibilité, d’intelligibilité et de familiarisation avec le domaine considéré (Pavard et Salembier, 2003). Il permet de décrire, de façon simplifiée mais acceptable, l’activité de joueurs et agents confrontés à une situation complexe. Les nombreux allers-retours entre les deux formes de modélisation permettent de repérer les points de convergence et de divergence. Bien entendu, les modèles proposés en science de l’informatique ne peuvent se substituer, ni se superposer aux modèles issus de l’analyse de l’activité humaine. Par exemple, en I.A, des agents peuvent être qualifiées de « situés » quand ils font référence à leurs perceptions pour décider. En sciences humaines, le qualificatif « situé » fait d’une part référence à un paradigme à part entière, celui de « l’action ou de la cognition située », et d’autre part il nécessite la prise en compte de facteurs émotifs, culturels et sociaux. Ces décalages conceptuels nous ont conduit à opérer ce que nous avons appelé des analogies simplifiées, notamment avec les concepts de contexte et d’expérience (ou de schéma). D’un point de vue informatique, l’objectif de recherche de l’équipe ARéVi s’articule 190 Cyril Bossard Des analogies simplifiées entre modèles informatiques et modèles de l’activité humaine autour de la simulation participative, Nous reprenons, ici, la définition donnée par Tisseau (2001) et approfondie par De Loor (2006). Simuler, c’est faire paraı̂tre comme réel ce qui ne l’est pas. Une simulation permet alors de prévoir un réel possible à l’aide d’un modèle. La simulation participative donne un statut particulier à l’homme en l’intégrant dans la boucle, il peut interagir avec elle pendant son déroulement. Ce principe implique plusieurs contraintes. D’un côté, la modélisation peut prendre un caractère prédictif, ce qui implique de modéliser toutes les règles de fonctionnement de l’expert pour prévoir le comportement de l’humain dans la simulation (Buche (2005) pour le suivi de procédure). D’un autre côté, la modélisation ne cherche pas systématiquement à prédire le comportement, mais concourt à l’émergence de comportements crédibles, acceptables par une co-construction interactive entre agents virtuels autonomes et humains (De Loor et al., 2008). C’est cette seconde perspective que nous avons privilégiée dans notre démarche de conception d’environnement virtuel. La modélisation de l’activité des agents nécessite d’« expliciter l’implicite ». C’est-à-dire de rendre explicites les mécanismes de la décision. Dans l’environnement CoPeFoot, les joueurs virtuels sont des entités autonomes qui réagissent selon une boucle dynamique de perceptiondécision-action. La perception correspond à l’élaboration du contexte et la décision renvoie au raisonnement à partir de ce contexte. L’architecture d’un agent est décrite sur la figure 6.1. Le lecteur intéressé pourra approfondir ce sujet en se référant à Bénard et al. (2006a); Bénard (2007). AReVi: Simulation d’agents situés Paramétrisation utilisateur Perceptions physiques objet perçus et distances Sélection d’actions Raisonnement à partir de contexte Perceptions contextuelles Contexte Définition du contexte Domaine (Football) Figure 6.1 – Raisonnement à partir du contexte dans CoPeFoot Le processus de modélisation a abouti à concevoir la décision des agents virtuels à partir de deux modèles utilisés en science informatique : le concept de contexte et le raisonnement à partir de cas (Bénard, 2007). En intelligence artificielle, le contexte est une notion récurrente. Dans un entretien récent, (Brézillon, 2006) dénombre au moins 150 définitions. Nous retiendrons que le contexte correspond à l’ensemble des conditions qui permettent de décrire une situation de façon précise Cyril Bossard 191 Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot et compréhensible (Pomerol et Brézillon, 2001). Cette définition du contexte en intelligence artificielle nous conduit à repérer une analogie (si on accepte de le simplifier) avec le concept de Conscience de la Situation (Flach, 1995). La conscience de la situation met en avant la capacité de l’individu à prendre en considération les caractéristiques du contexte pertinentes pour l’acteur, i.e. les informations contextuelles significatives. Certes, le contexte tel qu’il est défini en intelligence artificielle, ne prend pas nécessairement en compte le point de vue du sujet, mais nous considérons que la CS peut se définir, se rapporter à un contexte perçu. Nous avons alors dégagé une acceptation commune et viable pour nos domaines respectifs (Bossard et al., 2006; Bénard et al., 2006b) : dans notre travail, le contexte des agents virtuels correspond à un ensemble d’éléments significatifs perçus. Cette perception du contexte par l’agent est mise en correspondance, à chaque instant, avec des cas similaires stockés dans la base de cas de l’agent. Le raisonnement à partir de cas (Aamodt et Plaza, 1994) est fondé sur l’hypothèse qu’un problème peut être efficacement résolu en faisant appel à l’expérience passée. Ce modèle prend appui sur le concept de cadres (Minsky, 1975). Pour résoudre un problème, il faut rechercher dans la base des cas déjà résolus, l’épisode le plus proche de la situation actuelle. L’expérience du sujet, en sciences humaines, correspond à ce qui est mémorisé au cours de son histoire. Il conserve ainsi des traces des différentes situations vécues. Ces traces lui permettent de réagir plus rapidement en situation. Nous pouvons rapprocher le RaPC avec le modèle RPD de Klein (1997). À partir d’une mise en correspondance entre le contexte actuel et les expériences passées, l’agent virtuel/l’acteur est ainsi en mesure de répondre rapidement à la situation. La théorie des schémas qui nous a permis de proposer une modélisation descriptive de l’activité décisionnelle de joueurs de football est également cohérente avec le RaPC. Nous avons déjà souligné que la théorie des schémas fait référence au concept de cadre (Minsky, 1975) (Cf. Chapitre 2, p 70). Ainsi, dans notre travail, les cas nécessaires au modèle informatique correspondent à des schémas extraits de l’analyse de l’activité humaine. Dans la proposition de Bénard (2007), chaque cas représente un couplage dynamique entre un contexte, un objectif et une action (ou une séquence d’actions), c’est-à-dire pour nous un schéma typique (Cf. Chapitre 4, p 129). À l’issue de ce cadrage conceptuel, où nous avons eu recours à des analogies simplifiées, nous avons proposé une première évaluation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot. 6.2 La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative La réalité virtuelle fournit un cadre méthodologique adapté pour modéliser et expérimenter la complexité. En effet, la simulation en réalité virtuelle autorise une véritable 192 Cyril Bossard La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative interaction avec l’environnement informatique. Elle permet d’observer le phénomène comme si on disposait d’un microscope virtuel déplaçable et orientable à volonté, et capable de mises au point variées (Tisseau, 2001). L’utilisateur peut donc tester la résistance du modèle implémenté (réactivité et adaptabilité). Il devient un « spectateur-acteur-créateur » puisqu’il peut ainsi se focaliser sur l’observation d’un comportement particulier, interrompre le phénomène en cours, ou encore relancer la simulation là où il l’avait arrêtée. Ce nouveau type d’expérimentation est appelé expérimentation in virtuo. Les simulations liées à l’usage de la réalité virtuelle permettent aux utilisateurs d’évoluer entre eux et/ou avec des agents virtuels. Ils sont « en situation » et « en action ». En impliquant l’humain dans la simulation, la conception participative d’EV intègre les utilisateurs comme des acteurs humains plutôt que comme des facteurs humains. Cependant, à notre connaissance aucune étude n’a cherché à évaluer la crédibilité des environnements virtuels dans un cadre participatif. Dans cette perspective, nous avons mis en place une étude exploratoire in virtuo visant à évaluer la crédibilité comportementale de CoPeFoot, inspirée du célèbre test de Turing (1950). En 1950, Alan Turing a proposé un protocole expérimental original qui inspira les débuts et le développement de l’Intelligence Artificielle (IA) comme une discipline à part entière. Dans cette expérience originelle, le chercheur place un sujet seul dans une salle avec deux ordinateurs. Chaque ordinateur représente un agent interactif, mais l’un d’entre eux est contrôlé par un humain alors que l’autre est contrôlé par un programme informatique. L’expérience consiste pour le sujet à dialoguer avec les deux ordinateurs. En interrogeant chacun d’eux, le sujet, sur la base de ses connaissances, doit être en mesure de différencier l’un et l’autre. Si le sujet ne peut déterminer une distinction, Turing considère que l’intelligence humaine a été correctement modélisée par le programme informatique (Korukonda, 2003). 6.2.1 Objectifs, Problématique et Hypothèses L’étude que nous présentons a pour objectif d’évaluer la crédibilité comportementale de CoPeFoot, en interrogeant les humains immergés dans le simulateur sur la distinction entre des avatars contrôlés par des humains et des joueurs virtuels autonomes guidés par le modèle informatique. Cette étude est inspirée du test de Turing (1950). Cependant, ce qui nous intéresse ici, n’est pas de savoir si la machine peut penser, mais plus modestement de savoir si elle peut tromper un être humain. Ce test de crédibilité correspond à la troisième étape dans notre méthodologie de conception d’un environnement virtuel. Il participe à l’évaluation d’une première version de CoPeFoot. L’hypothèse générale est que la crédibilité de l’environnement est d’autant plus forte que les sujets ne peuvent faire la distinction entre un joueur dirigé par un humain et un joueur virtuel autonome. Nous attendons que l’environnement virtuel leurre les sujets. Dans un premier temps, nous souhaitons vérifier que les réponses données par les sujets Cyril Bossard 193 Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot face à la simulation ne sont pas dues au hasard pour l’ensemble des mesures effectuées puis pour chacune d’entre elles. En effet, pour que les participants s’immergent dans l’environnement, il faut qu’ils soient « pris au jeu », mais il faut aussi qu’ils perçoivent les réponses comme accessibles, sensées. Ensuite, l’effet « leurre » sera étudié pour deux groupes de sujets (expert et novice). L’expertise des joueurs de football (leurs connaissances de l’activité) devrait leur permettre d’avoir des performances plus élevées que les novices dans la distinction entre un agent humain et un agent virtuel. Nous nous attendons donc à un effet leurre plus marqué pour les novices que pour les experts. Enfin, nous examinerons l’effet « leurre » dans le temps pour l’ensemble des sujets et pour nos deux groupes. Cet effet devrait s’estomper entre la première et la dernière mesure pour l’ensemble des sujets. Les participants devraient apprendre à reconnaı̂tre les agents virtuels et les avatars. 6.2.2 Méthode 6.2.2.1 Participants Deux groupes de sujets, tous volontaires et avertis qu’ils participaient à une recherche expérimentale, ont participé à l’expérience. Le premier groupe était composé de 24 joueurs de football (moyenne d’âge = 21,1 ; écart type (σ) = 1,6) tous membres d’un club de football et étudiants spécialistes de l’activité football en 2ème ou 3ème année à l’UFR Sport et EP de Brest. Les joueurs étaient considérés comme experts par leur pratique régulière du football (3 entraı̂nements par semaine, et un match le week-end) dans un club et à l’université depuis 13,25 ans en moyenne. Le deuxième groupe était composé de 24 novices (moyenne d’âge µ = 21,6 ; σ = 2,9) issus de l’École Nationale d’Ingénieur de Brest (ENIB) et qui ne pratiquaient pas de sports collectifs régulièrement. Un questionnaire initial (annexe) a permis de déterminer la familiarité de l’ensemble des sujets avec l’utilisation de manettes et face à des simulations (de type jeu vidéo). 6.2.2.2 La situation d’étude Le simulateur CoPeFoot L’étude s’est déroulée dans les locaux du CERV. La situation simulée est une reproduction de la situation d’étude favorisant les contre-attaques que nous avons mobilisée pour l’analyse de l’activité de joueurs en situation réelle (Cf. Figure 6.2, p 195). Dans la simulation, les participants appartiennent à l’équipe bleue ou à l’équipe rouge. L’équipe rouge est l’équipe qui attaque sur le grand but et défend sur le petit but. Le 194 Cyril Bossard La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative participant qui est intégré à l’équipe rouge joue avec un partenaire humain et un partenaire virtuel et, contre 2 adversaires virtuels et un adversaire humain. L’objectif de la situation pour l’équipe rouge est de marquer le plus rapidement possible dans la grande cible. L’objectif pour l’équipe bleue est de marquer dans la petite cible. Le simulateur CoPeFoot propose au participant de s’immerger à partir du point de vue subjectif de son avatar (Cf. Figure 6.3) ; ses possibilités d’actions sont contraintes par l’utilisation d’une manette (Cf. Figure 6.4). Procédure Le protocole expérimental réalisé avec le simulateur CoPeFoot comprend 2 phases : une phase d’entraı̂nement et le passage dans la situation d’étude (Cf. Figure 6.2). La phase d’entraı̂nement (5-10 min) permet aux sujets de se familiariser avec le simulateur CoPeFoot et les commandes (i.e. les manettes ; Cf. Figure 6.4). Elle consiste en une pratique libre en trois contre trois dans l’environnement où les sujets peuvent tester les différentes actions possibles associées aux commandes, puis découvrir la situation d’étude. Ensuite, les participants sont invités à réaliser six passages (2 départs balle à gauche, 2 départs balle au centre, 2 départs balle à droite) dans la situation d’étude avec deux partenaires (dont 1 virtuel et 1 réel) et contre 3 adversaires (dont 2 virtuels et 1 réel). Figure 6.2 – Capture d’écran de la situation d’étude (milieu) L’évaluation de la crédibilité repose sur la possibilité pour le participant de distinguer, après deux passages dans la situation d’étude, les avatars contrôlés par des humains ou les agents virtuels autonomes. Nous effectuons donc trois mesures (pour 6 passages avec une mesure tous les deux passages). Entre la phase d’entraı̂nement et la phase de test, et Cyril Bossard 195 Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot Figure 6.3 – Point de vue du participant à l’expérimentation entre chaque passage dans la situation, on effectue une redistribution totale et aléatoire des individus dans la simulation (changement de joueur et d’équipe). Matériel Pour effectuer notre test, chaque sujet dispose d’un écran relié à une tour et d’une manette (Logitech Precision Game Pad) permettant d’interagir avec l’environnement. Le sujet contrôle son avatar avec une manette dont les possibilités d’actions sont limitées (Cf. Figure 6.4). Les joueurs humains qui jouent dans la même équipe sont séparés les uns des autres. Nous disposons de trois pièces et de 8 ordinateurs, la figure N présente la structure utilisée pour réaliser ces tests. Les ordinateurs sont disposés dans trois salles (A, B, C) et sont numérotés de 1 à 8. Parmi les huit ordinateurs, deux sont consacrés aux serveurs qui permettent de lancer les simulations (poste 3 et 7). Le simulateur CoPeFoot est distribué sur le réseau ; nous avons réparti les sujets sur les ordinateurs présents dans les différentes salles afin de simuler deux situations en parallèle. Ainsi, les postes 2, 5 et 8 sont connectés à la même simulation. Les postes 1, 4 et 6 sont connectés à une autre simulation. 196 Cyril Bossard La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative Figure 6.4 – Manette Figure 6.5 – Répartition des postes « joueur » pour l’expérimentation Cyril Bossard 197 Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot 6.2.2.3 Recueil des données L’évaluation de la crédibilité comportementale repose sur l’identification des joueurs humains impliqués dans la simulation. À l’issue de chaque situation (après deux passages), la simulation est mise en pause et nous demandons à chacun des sujets de remplir un tableau. Ce dernier répertorie l’ensemble des joueurs des deux équipes à l’aide de leurs numéros dans la simulation. Les sujets répondent à la question suivante : qui sont les deux joueurs humains ? Les consignes données par l’expérimentateur aux sujets sont simples : « Faites une croix dans la case correspondant aux deux autres joueurs humains de la simulation si et seulement si vous en êtes persuadé. En cas de doute, vous n’écrivez rien ». Le tableau 6.1 est le tableau de recueil des données utilisé pour l’expérimentation. 6 passages dans la situation Mesure 1 Mesure 2 Mesure 3 Equipe rouge joueur 1 joueur 2 joueur 3 Equipe bleue joueur 1 joueur 2 joueur 3 Tableau 6.1 – Exemple de tableau de recueil des données Notons qu’avant le premier passage et la première mesure, nous n’indiquons pas aux sujets que le but de l’expérience consiste à trouver les deux joueurs contrôlés par deux humains. Le tableau de recueil des données nous permet d’évaluer pour chaque sujet le nombre de réponses correctes, le nombre de réponses erronées, et le nombre d’absence de réponse pour chaque situation simulée. À l’issue de chacune des trois situations, les réponses du sujet sont codées selon une échelle d’intervalles de 1 à 6 : 1. Deux bonnes réponses, 2. Une bonne réponse et une « je ne sais pas », 3. Une bonne réponse et une mauvaise réponse, 4. Deux « je ne sais pas », 5. Une mauvaise réponse et une « je ne sais pas », 6. Deux mauvaises réponses. 6.2.2.4 Traitement des données Les analyses statistiques ont été menées avec le logiciel Statistica. Dans un premier temps, nous avons mené un test de conformité de Chi-carré (χ2 ) sur l’ensemble des réponses des participants (N = 48 sujets × 3 mesures = 144). Le test de 198 Cyril Bossard La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative conformité du χ2 permet de comparer la fréquence des réponses observées à une fréquence de réponse théorique. Dans notre cas, les fréquences théoriques pour chacun des 6 niveaux de performance de notre échelle correspondent à 24 (144 mesures / 6 possibilités de réponse = 24). Nous effectuons le même test, séparément pour chacune des trois mesures. Dans ce cas, les fréquences théoriques sont de 8 pour chacune des 6 possibilités de réponse (48 sujets / 6 possibilités de réponse = 8). Dans un second temps, l’effet de l’expertise sur la performance (ou de leurre) des participants est examinée en comparant les deux groupes de sujets, d’une part pour l’ensemble des 3 mesures, d’autre part et pour chaque mesure, à l’aide d’un test t de Student pour échantillons indépendants. Le test t de Student permet de comparer deux groupes de données indépendants et de déterminer s’il existe une différence statistique ou non entre ces deux groupes. Le test t de Student est un test paramétrique qui permet de vérifier les hypothèses relatives aux différences entre les moyennes (µ) de distributions de populations. Les échantillons indépendants sont des échantillons constitués des résultats de deux groupes différents, comme c’est le cas, dans notre expérience, pour les groupes Novices et Experts. Dans un troisième temps, le maintien de l’effet leurre est examiné en comparant les réponses lors des 3 mesures successives pour chaque groupe (Expert et Novice) à partir d’un test t de Student pour échantillons pairés. Les échantillons pairés sont des échantillons constitués de résultats du même groupe de sujets, obtenus avant et après l’intervention d’une variable indépendante. 6.2.3 Résultats Le tableau 6.2 propose une répartition des réponses des deux groupes pour les 3 mesures réalisées à l’aide de notre échelle de performance de 1 à 6. Mesures Mesures 1 Mesures 2 Mesures 3 Total Sujets E N E N E N E N 1 4 0 11 4 14 4 29 8 2 4 3 2 8 4 4 10 15 Réponses 3 4 7 8 4 14 4 3 6 2 5 1 12 1 16 12 22 17 5 0 1 2 2 0 2 2 5 6 1 2 2 2 0 1 3 5 Tableau 6.2 – Répartition des réponses des sujets Cyril Bossard 199 Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot La répartition exacte des réponses par sujet est disponible en annexe C (p 267 et p 268). 6.2.3.1 Le test de conformité du χ2 L’analyse des résultats aux tests de conformité du χ2 à la distribution uniforme (24, 24, 24, 24, 24, 24, 24) pour l’ensemble des réponses (N = 144) montrent qu’il y a une différence réelle entre les fréquences théoriques et les fréquences observées pour les 6 possibilités de réponse (ou niveau de performance). L’hypothèse nulle d’une distribution aléatoire (due au hasard) des réponses est rejetée : χ2 (1,5) = 39 ; p < .001 (Cf. Tableau 6.3). 1- Deux bonnes réponses 2- Une bonne réponse et une « je ne sais pas » 3- Une bonne réponse et une mauvaise réponse 4- « Je ne sais pas » 5- Une mauvaise réponse et une « je ne sais pas » 6- Deux mauvaises réponses Somme Fréquence observée 37 25 Fréquence théorique 24 24 O-T (O-T)**2/T 13 1 7,04 0,04 38 24 14 8,16 29 7 24 24 5 -17 1,04 12,04 8 144 24 144 -16 0 10,66 39,0 Tableau 6.3 – Test de conformité du χ2 pour l’ensemble des réponses L’analyse des résultats aux tests de conformité du χ2 pour les réponses à chaque mesure montre qu’il y a une différence réelle entre les réponses observées et les possibilités de réponse théoriques, et ceci pour les 3 mesures successives effectuées (p < .05). Pour l’ensemble des sujets, au fur et à mesure des passages dans la simulation, le choix d’une réponse parmi les 6 possibilités n’est pas dû au hasard (Cf. Tableau 6.4). χ2 d.d.l p Mesure 1 Mesure 2 Mesure 3 37,00 5 .000 12,25 5 .031 37,75 5 .000 Tableau 6.4 – Test de conformité du χ2 pour chaque mesure 6.2.3.2 Effet leurre et expertise L’analyse statistique à partir du test t de Student pour échantillons indépendants montre une différence significative entre les moyennes du groupe Experts (µ = 2,40) et du groupe 200 Cyril Bossard La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative Novices (µ = 3,15) pour l’ensemble des mesures (t (1,142) = -3,23 ; p < .005). Les experts montrent une capacité plus importante à distinguer les agents virtuels autonomes et les avatars contrôlés par des humains. Cette différence experts-novices évolue au cours des mesures successives. Les moyennes des experts sont significativement inférieures à celles des novices pour la première mesure (après 2 passages) (t (1,46) = -2,50 ; p < .05) et la troisième mesure (après 6 passages) (t (1,46) = -3,46 ; p < .005). Mesures Mesures 1 Mesures 2 Mesures 3 Sujets Moyenne Valeur t d.d.l p N actifs σ F P E N E N E N 2,95 3,79 2,54 2,83 1,70 2,83 -2,50 46 .015 0,30 46 .536 1,36 0,46 -3,46 46 .001 1,26 1,02 1,74 1,49 0,95 1,27 1,54 -0,62 24 24 24 24 24 24 1,78 0,17 Tableau 6.5 – Résultats test t pour échantillons indépendants pour les 3 mesures Le test t de Student pour échantillons indépendants nous permet de conclure que les experts reconnaissent mieux que les novices les agents virtuels autonomes et les avatars contrôlés par des humains sauf lors de notre deuxième mesure. Si l’on considère les moyennes obtenues à notre échelle, nous constatons que les sujets sont plutôt capables de distinguer les agents virtuels autonomes et les avatars contrôlés par les humains, sauf les novices lors de la première mesure (performance moyenne = 3,79 sur 6). Les autres moyennes sont inférieures à 3 (Experts, mesure 1, µ = 2,95 sur 6 ; mesure 2, µ = 2,54, mesure 3, µ = 1,70 ; Novices, mesure 2, µ = 2,83 ; mesure 3, µ = 2,83), avec une forte diminution des erreurs pour les experts après le dernier passage. L’ensemble des résultats aux tests statistiques t pour échantillons indépendants montrent ainsi que l’environnement virtuel CoPeFoot permet uniquement de « berner » les novices. Cet « effet leurre » fonctionne seulement pour les novices et uniquement lors de la première mesure. Cependant, à la troisième mesure, nous observons que les novices ne sont pas capables d’améliorer leur performance (µ N = 2,83). Ces résultats témoignent de la capacité de CoPeFoot à leurrer les novices. 6.2.3.3 L’effet leurre dans le temps Pour l’ensemble des participants, le test t de Student pour échantillons appariés montre que les sujets progressent dans la distinction entre agents virtuels autonomes et avatars contrôlés par des humains au cours des trois mesures. Une différence significative Cyril Bossard 201 Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot existe entre la première mesure et la troisième mesure (t (1,47) = 4,81 ; p < .001) pour l’ensemble des sujets. Paire Mesures 1 1 2 1 2 3 2 3 3 Moyenne 3,375 2,687 3,375 2,270 2,687 2,270 σ 1,213 1,613 1,213 1,250 1,613 1,250 N 48 Différence 0,687 Différence σ 1,925 t 2,473 d.d.l 47 p .017 48 1,104 1,587 4,818 47 .000 48 0,416 1,698 1,699 47 .09 ns Tableau 6.6 – Résultats test t pour échantillons appariés pour l’ensemble des participants Pour les novices, le test t de Student pour échantillons appariés indique qu’ils progressent de la 1ère à la 2ème mesure (t (1,23) = 2,88 ; p < .01), et de la 1ère à la 3ème mesure (t (1,23) = 3,21 ; p < .01). Cependant, ils ne progressent pas de la 2ème à la 3ème mesure (t (1,23) = 0 ; ns). Paire Mesures 1 1 2 1 2 3 2 3 3 Moyenne 3,791 2,833 3,791 2,833 2,833 2,833 σ 1,020 1,493 1,020 1,274 1,493 1,274 N 24 Différence 0,958 Différence σ 1,627 t 2,883 d.d.l 23 p .008 24 0,958 1,458 3,217 23 .003 24 0,000 1,615 0,000 23 1 ns Tableau 6.7 – Résultats test t pour échantillons appariés pour les novices Pour les experts, le test t de Student pour échantillons appariés révèle qu’ils ne progressent pas de manière significative de la première mesure à la deuxième mesure (t (1,23) = 0,93 ; ns) mais s’améliorent lors de la troisième (t (1,23) = 3,54 ; p < .001). Paire Mesures 1 1 2 1 2 3 2 3 3 Moyenne 2,958 2,541 2,958 1,708 2,541 1,708 σ 1,267 1,744 1,267 0,954 1,744 0,954 N 24 Différence 0,416 Différence σ 2,185 t 0,934 d.d.l 23 24 1,250 1,725 3,548 23 p .359 ns .001 24 0,833 1,711 2,386 23 .025 Tableau 6.8 – Résultats test t pour échantillons appariés pour les experts 202 Cyril Bossard La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative L’analyse statistique à partir du test t de Student pour échantillons appariés montre donc une évolution différente en fonction des 2 groupes (Cf. Figure 6.6, p 203). Toutefois, l’effet « leurre » de l’environnement CoPeFoot s’estompe pour les deux groupes de sujets entre la première mesure et la dernière. Figure 6.6 – Évolution des novices et des experts au cours des trois mesures 6.2.4 Discussion Notre étude exploratoire avait pour objectif d’évaluer la crédibilité comportementale de l’environnement virtuel CoPeFoot. Nous avons interrogé les humains immergés dans le simulateur sur la possibilité de distinguer des avatars contrôlés par d’autres humains et des joueurs virtuels autonomes guidés par le modèle informatique. Les résultats montrent que cette capacité de distinction est plus importante pour les experts que pour les novices. De plus, ils montrent une amélioration des performances au cours des trois mesures successives pour l’ensemble des sujets. Produire des données qui permettent d’étudier la crédibilité comportementale d’un environnement virtuel pose des questions méthodologiques difficiles, notamment du point de vue des mesures utilisées et des conditions de l’expérimentation. À cet égard, notre étude peut être discutée sur 3 points : la mesure de l’effet leurre, les limites de l’environnement virtuel et les limites de la procédure d’évaluation utilisée. Cyril Bossard 203 Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot 6.2.4.1 La mesure de l’effet leurre de l’environnement Nous avons tout d’abord montré, à l’aide du test de conformité du χ2 , que les réponses de l’ensemble des sujets n’étaient pas dues au hasard (en considérant une distribution uniforme) pour l’ensemble des mesures et pour chacune d’entre-elles. Ensuite, conformément à nos hypothèses de départ, nous montrons que l’expertise des joueurs de football leur permet d’avoir des performances plus élevées que les novices dans la distinction entre un agent humain et un agent virtuel. L’effet leurre de l’environnement CoPeFoot est plus marqué pour les novices. Ces résultats ne sont pas surprenants. L’environnement CoPeFoot n’a, à ce jour pas été enrichi par les données issues de l’analyse de l’activité réelle de joueurs experts de football. Les agents virtuels se comportent ainsi comme des novices de l’activité. Les experts sont ainsi capables, dès les deux premiers passages, de reconnaı̂tre au moins un avatar contrôlé par un autre expert (µ = 2, 95). De plus, ils améliorent leur performance au cours des mesures successives. On peut considérer que la différence entre ces experts et les novices est liée au transfert de compétences liées au domaine. La question du transfert dans le cadre de la conception et la validation d’EV a souvent été traitée sous l’angle du transfert du virtuel vers le réel (Bossard et al., 2008). Notre proposition est originale dans la mesure où le transfert du réel vers le virtuel (les compétences des footballeurs experts) est considéré ici comme un indicateur de crédibilité de l’EV. Les novices quant à eux, ne sont pas capables de faire cette distinction aux deux premiers passages mais le peuvent lors des passages suivants. Plus précisément, les novices ne savent pas faire la distinction entre un comportement de novice humain et un comportement d’agent virtuel (µ = 3,79). Cependant, les résultats montrent que l’effet « leurre » de l’environnement ne se maintient pas dans le temps. Dès la seconde mesure, les novices sont capables de reconnaı̂tre au moins un avatar contrôlé par un autre novice (µ = 2,83). Cette performance n’évolue pas lors de la troisième mesure. À la lumière de ces résultats, nous serions tentés de conclure à la faible crédibilité de l’environnement CoPeFoot, la crédibilité de l’environnement étant mesurée à partir de sa capacité à berner les sujets. Cependant, notre étude ne nous permet pas d’apporter une réponse définitive à cette question. Nos résultats peuvent être interprétés d’une autre manière. Par exemple, la moyenne des experts (sur notre échelle de performance de 1 à 6) lors de la première mesure est proche de 3, ce qui correspond à la reconnaissance d’un agent virtuel autonome mais également à une mauvaise réponse. On peut aussi interpréter que chaque mauvaise réponse du sujet témoigne de la capacité de l’environnement à le berner. Nos résultats montrent alors que l’environnement leurre fréquemment les sujets. Plus précisément, CoPeFoot est capable de berner les experts concernant au moins un agent lors des deux premières mesures (µ 1 = 2,95 et µ 2 = 2,54) et lors des deux dernières pour les novices (µ 2 et 3 = 2,83). D’autres investigations nous semblent donc nécessaires pour établir des certitudes quand à la crédibilité de l’environnement. 204 Cyril Bossard La validation de la crédibilité comportementale de CoPeFoot par la simulation participative 6.2.4.2 Les limites de l’environnement La situation expérimentale que nous avons construite présente cependant des limites. D’une part, elle entrave/contraint les possibilités d’actions des joueurs dans l’environnement. Si l’utilisation des manettes n’est pas un problème majeur à résoudre (les sujets sont familiers du dispositif), il n’en reste pas moins que les actions associés aux commandes sont des actions simples (passer, courir, se déplacer, tirer, appeler la balle). Ces actions ne couvrent pas l’ensemble du répertoire d’actions d’un expert et n’autorisent pas non plus une combinaison sophistiquée de gestes techniques. Dès lors, en limitant le champ des possibles pour le joueur (comme pour l’agent), on limite en quelque sorte les possibilités de choix. De façon complémentaire, la répétition de la situation permet de construire des connaissances sur les actions et les possibilités offertes par l’environnement. Ainsi, si les comportements des experts dans la situation évoluent du fait d’une appropriation renforcée, les comportements des agents virtuels quant à eux n’évoluent pas. La répétition de la situation permet donc de reconnaı̂tre plus facilement les agents virtuels dans la simulation. L’évolution des comportements des agents (par apprentissage) est prévue dans le simulateur. Comme nous l’avons expliqué, nous opérons des analogies simplifiées entre la modélisation informatique et la modélisation psychologique. L’intérêt de ces analogies est qu’elles nous permettent d’envisager un enrichissement du modèle à partir des données issues de l’analyse de l’activité réelle. Pour CoPeFoot, l’architecture informatique pourrait être renseignée, raffinée à partir des schémas typiques identifiés chez les joueurs de football experts en situation de contre-attaque. Notons également la tendance des sujets à se détourner de la tâche quand ils savent que la question posée est celle de l’identification des agents. En effet, lors de la première mesure, les sujets ne connaissent pas l’objet de l’expérimentation. Cependant, dès la seconde mesure, l’objet de l’expérimentation est dévoilé. Dès lors, nous observons un détournement de la tâche par les sujets qui cherchent à découvrir qui sont les partenaires et les adversaires. La situation d’étude (contre-attaque) est pour ainsi dire relayée en second plan. 6.2.4.3 La validité du test Notre étude se distingue du Test de Turing originel (Turing, 1950) à plusieurs égards. Le test de Turing est un test basé sur la conversation et sollicite en conséquence une communication verbale explicite entre le programme informatique et le sujet. Dans notre cas, la communication est non-verbale et se base ainsi sur les comportements des joueurs dans la simulation. Finalement, la seule possibilité de communiquer avec ses partenaires est liée aux comportements des avatars. La communication, comme nous l’avons montré dans le chapitre 5, passe par des jeux d’influence entre partenaires. Dès lors, il n’apparaı̂t pas surprenant que les experts développent des jeux d’influence mutuelle, des modes de coordination typiques Cyril Bossard 205 Chapitre 6 – Conception et Evaluation d’un Environnement Virtuel : CoPeFoot plus importants que les novices, ce qui leurs permet de se reconnaı̂tre entre eux (Eccles et Tenenbaum, 2004). Pour les novices, cette communication est plus difficile et leur capacité à discriminer les comportements des agents est à double sens. Enfin, la réussite au test de Turing est mesurée sur une échelle temporelle considérant qu’une conversation de cinq minutes sans distinction entre le programme informatique et l’humain permet de valider le test. Dans notre test, les situations sont des situations de contre-attaques, elles sont fugaces, évolutives, et imposent une reconnaissance rapide entre agents et avatars. On peut se demander si la crédibilité résisterait à un temps de simulation plus long. Au terme de cette étude exploratoire, nous pouvons tirer des enseignements importants pour la conception de l’environnement virtuel. Ces premiers résultats attestent d’une certaine crédibilité comportementale de CoPeFoot. Plus particulièrement, ils témoignent de la capacité des agents virtuels autonomes à produire des comportements de joueurs crédibles pour des novices. Ces résultats nous paraissent encourageants et nous incitent à poursuivre plus avant notre travail de collaboration. Nous envisageons ainsi, à court terme, de reproduire cette étude avec une version 2 de CoPeFoot. L’étude consisterait à comparer les performances de sujets au regard d’un CoPeFoot enrichi de données liées à l’analyse de l’activité individuelle et/ou collective réelle. D’autres perspectives sont également envisageables, nous les détaillerons dans une dernière partie consacrée à la discussion générale. 206 Cyril Bossard Discussion générale L’émergence des technologies de la réalité virtuelle ouvre aujourd’hui un champ de simulations qui demain seront suffisamment pertinentes pour être utilisées dans le cadre de la formation. Cependant, pour qu’elles servent de support à l’apprentissage, ces simulations nécessitent de prendre en compte les mécanismes cognitifs mis en jeu par des êtres humains impliqués dans les situations que l’on souhaite simuler. Les travaux que nous avons menés en collaboration avec des chercheurs en sciences de l’informatique suivent cette ligne de conduite. Au terme de ce travail de recherche, nous souhaitons revenir sur les différentes phases de notre démarche : analyse de l’activité, modélisation de cette activité, simulation et évaluation, et conception d’un environnement virtuel de formation. Nous trouverons ainsi l’occasion de rappeler les options théoriques sur lesquelles nous avons fondé nos hypothèses, les principes méthodologiques qui ont orienté la mise en œuvre de la recherche ainsi que les principaux résultats obtenus. Nous discuterons également des apports et des limites de nos propositions afin d’envisager quelques axes prospectifs. Ce dernier chapitre s’organise en trois points : l’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative, la démarche ergonomique de conception de l’environnement virtuel CoPeFoot, et les perspectives offertes par l’environnement virtuel. L’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative L’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative a constitué le centre d’intérêt principal de ce travail de recherche. Plus précisément, en partant d’une revue des travaux effectués dans le domaine de la psychologie du sport, nous avons mis en exergue la nécessité d’appréhender cet objet de recherche, d’une part comme une articulation Cyril Bossard 207 Discussion générale de variables perceptives et cognitives, d’autre part comme un processus particulièrement dépendant des contraintes contextuelles. Parmi ces effets de contexte, nous avons mis l’accent sur la dimension collective de l’activité à travers l’étude des coordinations et des influences entre individus. Dans ce travail de recherche, en exploitant le cadre conceptuel proposé par la NDM et les apports de la littérature scientifique sur l’activité collective, nous avons cherché à mieux appréhender l’articulation entre l’activité collective et l’activité des individus. Nous postulions que la décision tactique devait être abordée à la fois comme une variable cognitive mais également sociale, c’est-à-dire construite dans la relation à autrui. Comprendre la collaboration des membres de l’équipe dans l’activité décisionnelle en sports collectifs a consisté à comprendre comment les joueurs s’influencent et parviennent à articuler leurs activités. Cette option de recherche, ce point de vue sur l’activité collective, nous ont conduit à étudier d’une part l’activité des individus, pour mettre à jour les schémas typiques activés en cours d’action, d’autre part l’articulation de l’activité de ces individus, pour identifier des formes typiques, des régularités qui apparaissent dans le jeu des influences entre partenaires. Dans cette perspective, l’analyse de l’activité individuelle s’est imposée comme un préalable à l’étude de l’activité collective. Nous en rappelons les principaux résultats. À partir de l’approche NDM, nous avons analysé le couplage entre le sujet et le contexte pour identifier la succession des situations vécues (conscience de la situation) en cours d’action par les joueurs. L’analyse des différentes situations vécues a permis de révéler des structures cognitives d’arrière-plan : 16 schémas typiques activés en situation de contreattaque au football. Conformément au processus invoqué dans la littérature de la « décision intuitive » liée à un domaine d’expertise, la décision tactique en situation de contre-attaque au football est une décision immédiate (ou réactive), essentiellement déclenchée dans notre cas par un stimulus contextuel (visuel). Selon Klein (1997), il s’agit d’une décision basée sur la reconnaissance d’un pattern (configuration de jeu). Cette reconnaissance est favorisée par la dynamique de la situation courante, le schéma activé créant une attente pour un schéma habituellement enchaı̂né dans le cours d’action. Ces enchaı̂nements nous ont permis de restituer les scripts (ou scénarii) préférentiels des joueurs experts dont nous avons proposé une représentation graphique utile pour le chercheur en sports collectifs, ou pour l’entraı̂neur qui reconnaı̂tra les différentes phases de la situation étudiée (la contre-attaque au football). Dans un second temps, nous avons identifié les formes typiques d’articulation, les régularités qui apparaissent dans le jeu des influences entre partenaires. L’analyse des données a permis de révéler 5 formes typiques de coordination entre les joueurs en situation de contreattaque. Chacune de ces formes a été caractérisée par un jeu d’influences entre partenaires, par un certain niveau de partage des informations, et par une relation singulière entre les buts de chaque membre de l’équipe. Pour expliquer ces formes typiques d’articulation, nous avons cherché aussi à répondre à la question, centrale dans la littérature, relative à ce qui 208 Cyril Bossard Discussion générale est partagé entre les membres d’une équipe. Les résultats ont pointé la prédominance des informations issues du contexte pour expliquer la coordination des membres de l’équipe. D’un point de vue méthodologique, nous avons opté pour un entretien d’autoconfrontation face aux comportements réels du sujet lors d’une situation d’étude privilégiée. Nous supposions que les verbalisations provoquées puissent rendre compte de l’activité décisionnelle du sujet en situation. Bien sûr, même si le chercheur pousse le sujet à affiner, préciser la description de son activité, nous ne pouvons affirmer avec certitude que le protocole ait permis l’explicitation de l’ensemble des informations significatives implicitement mobilisées en situation. Quand on souhaite étudier l’activité des sujets en situation à l’aide de verbalisations, un décalage est toujours à craindre entre le discours et les actes. Nous avons ainsi systématiquement mis en relation les comportements observés et les verbalisations recueillies. L’analyse de contenu s’est poursuivie par un travail de catégorisation. Pour l’analyse de l’activité décisionnelle individuelle, nous avons choisie une catégorisation théorique à partir de concepts et modèles déjà éprouvés. À l’inverse, le peu de travaux empiriques disponibles sur l’activité collective nous a conduit à avoir recours à une catégorisation empirique. La démarche ergonomique de conception de l’environnement virtuel CoPeFoot La recherche dans le domaine de la RV est souvent focalisée sur des aspects techniques et pourrait viser la reproduction de la réalité le plus parfaitement possible. En s’appuyant sur l’analyse de l’activité des joueurs, notre démarche de conception se démarque des approches prescriptives de conception des formations pour une approche basée sur la significativité de l’EV pour les usagers. Pour concevoir un EV significatif, crédible, utilisable et utile pour la formation, nous avons proposé une démarche de conception qui prend en compte l’utilisateur à deux niveaux : 1) le modèle de l’agent virtuel peut être renseigné à partir des données issues de l’analyse de l’activité réelle des joueurs et 2) l’évaluation de la crédibilité de l’environnement par les joueurs fait partie intégrante de la démarche de conception. Dans ce second point, nous discutons des difficultés rencontrées et des limites d’une telle démarche de conception. L’enrichissement du modèle Comme nous l’avons expliqué lors du Chapitre 6, nous avons opéré des analogies simplifiées entre les modèles en science de informatique et les modèles en psychologie ergonomique. L’intérêt de ces analogies est qu’elles nous permettent d’envisager un enrichissement du modèle à partir des données issues de l’analyse de l’activité réelle. Pour CoPeFoot, l’archi- Cyril Bossard 209 Discussion générale tecture informatique pourrait être renseignée, raffinée à partir des schémas typiques identifiés chez les joueurs de football experts en situation de contre-attaque. Ce travail n’a pour l’instant pas été réalisé pour des raisons de chronologie et de contraintes liées à nos travaux respectifs. A l’issue de notre travail de collaboration, nous pouvons tout de même mettre en avant trois principes ou critères qui président au choix des modèles qu’ils soient informatique ou psychologique. Le premier critère renvoie à la pertinence des modèles par rapport à l’objet d’étude choisi. La fécondité du modèle du point de vue disciplinaire respectif constitue un second critère. Enfin, la non-contradiction des modèles issus des deux disciplines permet d’opérer des analogies simplifiées. Ce dernier critère est difficile à respecter et peut être illustré à partir d’une des principales limites de notre modélisation. Pour illustrer la difficulté du principe de non-contradiction des modèles, la principale limite de notre approche est la centration sur l’aspect individuel de l’activité. Comme nous l’avons démontré, l’activité déployée au sein de situations dynamiques et collaboratives engendre également une dimension collective. Notre étude a permis de mettre à jour des formes typiques d’articulation des activités individuelles. Cependant, l’intégration de ces modes d’articulation au modèle informatique apparaı̂t actuellement difficile. Nous avons mis en avant la prédominance des informations contextuelles conduisant les joueurs à se coordonner sur la base d’un contexte partagé. Mettre en place un contexte partagé entre des agents virtuels autonomes est relativement aisé (Brézillon et Mendes de Araujo, 2005; Salembier et Zouinar, 2000) mais cela peut conduire à un répertoire d’actions des agents déconnecté de la réalité et à agiter le « spectre d’un collectivisme méthodologique radical » (Pavard et Salembier, 2003). Dans le cadre d’une simulation participative, si tous les agents virtuels réagissent au même instant de la même manière, la crédibilité de l’environnement est mise à mal. Ce type de modélisation négligerait alors la part d’autonomie de chaque agent. Nous maintenons donc l’idée d’aboutir à une collaboration entre agents (qu’ils soient humains ou virtuels) sans modélisation au préalable d’un contexte partagé. Finalement, le processus de modélisation de l’environnement virtuel pourrait se poursuivre par deux étapes supplémentaires : l’enrichissement du modèle et l’évaluation de l’EV « renseigné ». L’évaluation de l’EV L’intérêt du dispositif d’évaluation que nous avons proposé (Cf. Chapitre 6, p 192) est de pouvoir mettre les sujets (joueurs) en action dans un environnement virtuel. Un tel environnement doit donc présenter des caractéristiques qui permettent aux sujets animant les avatars de s’impliquer pleinement dans la situation. Cette implication n’est possible que si les sujets accordent de la crédibilité à la situation qui est présentée. L’environnement virtuel 210 Cyril Bossard Discussion générale Figure 6.7 – Schéma de la démarche de modélisation des agents virtuels doit être suffisamment crédible pour que les décisions soient en concordance avec ce qu’elles seraient dans la réalité. Or nous avons vu que les actions des joueurs dans CoPeFoot sont limitées. Comment se font alors les choix d’actions ? On peut supposer qu’en situation de simulation, le choix d’action est celui qui se rapproche le plus de l’action réelle que l’on aurait choisie. Les joueurs opèrent alors un transfert de compétences du réel vers le virtuel. D’autres investigations nous semblent encore nécessaires pour effectivement évaluer l’efficacité de CoPeFoot. Nous pensons plus particulièrement que l’étude du transfert du virtuel vers le réel est un objectif réalisable. Perspectives pour CoPeFoot Une des principales perspectives concernant CoPeFoot consiste à passer d’un environnement simulant des situations dynamiques et collaboratives crédibles et immersives à un environnement virtuel destiné à l’apprentissage humain. Cette étape n’est pas encore été réalisée mais nous l’avons tout de même envisagée dès le début de notre travail. Á partir de l’environnement virtuel CoPeFoot, nous avons développé un logiciel de recueil de traces : EXPECoPeFoot. Ce logiciel devrait fournir dans un futur proche d’une part, une aide à l’apprentissage et d’autre part, une aide méthodologique pour la recherche. Une des difficultés des simulations participatives est de faire évoluer les comportements des agents virtuels autonomes pour qu’ils s’adaptent à l’utilisateur humain. Dans notre travail, Cyril Bossard 211 Discussion générale cela consiste à enrichir et affiner la base de cas de l’agent virtuel. Nous avons envisagé cet apprentissage de nouveaux cas en deux voies distinctes correspondant à deux types d’apprentissage classiquement évoqués en psychologie cognitive : implicite et explicite. L’apprentissage implicite est une possibilité offerte à partir de l’observation du comportement de l’avatar par les agents virtuels. L’utilisateur, en collaborant avec les entités va en quelque sorte structurer l’environnement avec ses actions. Par la répétition des situations, les agents virtuels vont renseigner leur base en observant les comportements et le contexte de l’utilisateur. Pour éviter une « explosion » de la base de cas de l’agent, trois critères permettent à l’agent de mémoriser un cas. Dans un premier temps, le contexte de l’utilisateur doit être différent des contextes déjà répertoriés. Le second critère concerne le but de l’utilisateur. Pour intégrer la base de cas, ce dernier doit être différent de ceux déjà recensés. Enfin, l’action ou la séquence d’action mise en œuvre par l’utilisateur doit être nouvelle pour être enregistrée. Ensuite, nous avons envisagé que l’utilisateur puisse renseigner de manière explicite la base de cas des agents virtuels. L’utilisateur humain peut ainsi donner du poids (en cliquant) aux éléments contextuels perçus et significatifs de son propre point de vue et ce, à n’importe quel moment de la situation. L’expert sera ainsi en mesure de fournir aux agents virtuels les affordances (les informations pertinentes et directement utiles pour agir) de l’environnement qui lui permettent de prendre des décisions. Cet apprentissage explicite est rendu possible par l’utilisation du gestionnaire d’expérimentations qui permet de restituer une situation à l’identique et qui, pour chaque pas de simulation permet de montrer les perceptions qui ont été prise en compte à cet instant de la simulation. Dès lors, on peut envisager un apprentissage explicite pour les agents virtuels en leur indiquant qu’en fonction d’un cas, c’est telle ou telle information du contexte qu’il faut prioritairement prendre en considération. Ces deux formes d’apprentissage font actuellement l’objet de nombreuses investigations en psychologie cognitive et en psychologie du sport (Raab, 2003). La réalité virtuelle offre également la possibilité d’expérimenter ces deux voies de manière originale. Les voies d’apprentissage des agents virtuels permettent en retour d’envisager des voies d’apprentissage pour des utilisateurs novices. Le contexte exprimé sous sa forme explicite nous permet de mettre en évidence les perceptions qui sont utilisées par l’expert au cours de son activité. Il est alors possible de montrer (par effet de surbrillance par exemple) à un utilisateur apprenant quelles perceptions sont prioritaires ou encore celles qu’il aurait dû prendre en compte. Les aides éventuelles apportées grâce aux techniques de réalité augmentée ont fait l’objet d’une réflexion en amont (Bossard et al., 2006). La seconde perspective à long terme est de vérifier la généricité de notre approche en l’appliquant à d’autres domaines d’activité. Comme nous l’avons mentionné plus tôt il nous faudra alors faire appel à des spécialistes du domaine pour définir les contextes et les perceptions pertinentes pour cette nouvelle application. La même démarche de conception peut 212 Cyril Bossard Discussion générale donc être reprise : analyse de l’activité réelle pour enrichir le contexte, puis expérimentations avec des spécialistes du domaine. L’objectif serait alors de montrer la pertinence de notre approche, à l’égard d’autres activités collaboratives pour la conception d’environnements virtuels. Dans cette perspective, notre analyse de l’activité collective pourrait contribuer à l’évolution de l’environnement virtuel GVT (Generic Virtual Training) destiné à la formation de mécaniciens pour la maintenance de char (Gerbaud et al., 2008). Pour l’instant, cet environnement propose une formation individuelle. Nous pouvons alors envisager le développement et la modélisation d’agents virtuels « collaborateurs » pour une formation au travail en équipe. Le logiciel de recueil de traces EXPECoPeFoot (Cf. Figure 6.8, p 214) constitue également un nouvel outil d’investigation de l’activité humaine face à des environnements virtuels. Les méthodes d’étude de l’activité décisionnelle dans le domaine sportif essuient aujourd’hui de nombreuses critiques. Pour établir les différences individuelles et contextuelles dans l’activité décisionnelle, les recherches s’appuient sur des protocoles expérimentaux qui reproduisent de manière insuffisante la dynamique des situations réelles (schémas, diapositives, films). Aujourd’hui, l’immersion dans des situations simulées « in virtuo », grâce à l’usage de la réalité virtuelle, permet de franchir ces limites méthodologiques. Dans cette perspective le logiciel d’expérimentation est une voie originale pour aider à l’analyse de l’activité. En utilisant les techniques de la réalité augmentée, ce logiciel d’expérimentation permet de recueillir des données qualitatives sur les éléments contextuels perçus et significatifs pour l’utilisateur. Après avoir participé à une situation simulée en RV, l’utilisateur est confronté au film (grâce au magnétoscope virtuel) de sa prestation en RV. Il peut alors interagir avec ce film et nous renseigner sur les éléments contextuels pris en compte à un instant t. C’est-à-dire qu’il peut cliquer sur les partenaires ou adversaires et préciser la dimension prise en compte : vitesse, distance partenaire/adversaire/ballon/cible, joueur marqué ou démarqué (Cf. Figure 6.8). Ces traces de l’activité sont enregistrées de manière automatique et pourrait faciliter l’analyse par le chercheur. Les perspectives offertes par les dispositifs de Réalité Virtuelle sont nombreuses et variées. Nous entretenons ainsi l’espoir de la mise à disposition de CoPeFoot dans un futur proche pour la formation des joueurs à la décision tactique afin de remplacer les méthodes dites de « tableaux noirs » actuellement utilisées. Pour terminer, nous souhaitons souligner l’intérêt que nous avons porté à ce projet. Ce travail nous a donné l’occasion de confronter des connaissances théoriques appartenant à des champs scientifiques différents. Si les échanges entre les chercheurs peuvent paraı̂tre dans un premier temps difficiles, ils s’avèrent au bout du compte d’une extrême richesse. Accepter de quitter son domaine familier pour s’immiscer en tant que novice dans celui d’un autre est une expérience passionnante. En ce qui nous concerne, chacune des phases de ce projet que Cyril Bossard 213 Discussion générale Figure 6.8 – ExpeCoPeFoot nous avons développé a constitué une aventure emprunte d’incertitudes et de risques. Que se soit dans la définition de l’objet, dans le choix d’une démarche de modélisation ou d’un protocole expérimental, les travaux effectués trouvent leur origine dans des discussions parfois passionnées ou passionnantes, parfois anodines et informelles, entre des personnes issues de disciplines différentes, animées d’une même volonté d’aller de l’avant. 214 Cyril Bossard Bibliographie Aamodt, A. et Plaza, E. (1994). Case-based reasoning : Foundational issues, methodological variations, and system approaches. AI Commun., 7(1):39–59. Adams, M. J., Tenney, Y. J. et Pew, R. (1995). Situation awareness and cognitive management of complex systems. Human Factors, 37(1):85–104. Allard, F. (1982). Cognition, expert performance and sport. In Salmela, J. H., Partington, J. T. et Orlick, T., éditeurs : New paths of sport rearing and excellence, pages 22–26. Coaching Association of Canada, Ottawa. Allard, F. et Burnett, N. (1985). Skill in sport. Canadian Journal of Psychology, 39:294– 312. 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Les modélisations par équipe Figure A.2 – Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe jaune Figure A.3 – Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe rouge Cyril Bossard 237 Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle Figure A.4 – Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe verte Figure A.5 – Modélisation des schémas typiques activés pour l’équipe violette 238 Cyril Bossard Les modélisations A.2.3 Les modélisations par joueur Figure A.6 – Modélisation des schémas typiques activés par Bastien Figure A.7 – Modélisation des schémas typiques activés par Benjamin Cyril Bossard 239 Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle Figure A.8 – Modélisation des schémas typiques activés par Charles Figure A.9 – Modélisation des schémas typiques activés par Flavien Figure A.10 – Modélisation des schémas typiques activés par Gaétan 240 Cyril Bossard Les modélisations Figure A.11 – Modélisation des schémas typiques activés par Gautier Figure A.12 – Modélisation des schémas typiques activés par Jordan Figure A.13 – Modélisation des schémas typiques activés par Kevin Cyril Bossard 241 Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle Figure A.14 – Modélisation des schémas typiques activés par Michel Figure A.15 – Modélisation des schémas typiques activés par Paul Figure A.16 – Modélisation des schémas typiques activés par Thibault 242 Cyril Bossard Les 16 schémas typiques A.3 Les 16 schémas typiques Cyril Bossard 243 Contrer l’adversaire, empêcher l’adversaire de faire une passe Connaissances Chacun sa zone pour presser et cadrer Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Être avec un partenaire pour récupérer Les adversaires sont génés Actions Presser, anticiper, bloquer, marquer, prendre le ballon Tableau A.2 – Schéma n°1 : Intercepter le ballon Spécifications Résultats Les adversaires perdent la balle, je ou le partenaire récupère la balle Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 244 Buts Cyril Bossard Cyril Bossard Buts Être attentif à la récupération du ballon Connaissances Je sais que je dois prendre un espace libre Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Être en appui devant Les partenaires sont à la récupération Le défenseur est au marquage Actions Spécifications Attendre, regarder, être attentif Résultats Le(s) partenaire(s) récupère(nt) le ballon, les adversaires perdent la balle Tableau A.3 – Schéma n°2 : Observer, analyser, anticiper l’évolution de la situation Les 16 schémas typiques 245 Aller vite vers l’avant, dans un espace libre, demander la balle Connaissances Donner une solution au PB Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Le partenaire récupère le ballon et progresse Actions Spécifications Regarder, faire un appel, prendre une direction vers le but Tableau A.4 – Schéma n°3 : S’engager vite vers l’avant pour profiter de la récupération du ballon Résultats Recevoir le ballon, se mettre dans le sens du but Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 246 Buts Cyril Bossard Cyril Bossard Buts Connaissances Aller vite devant, avoir de l’espace Connaı̂tre le placement de ses partenaires Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Se situer dans l’espace de jeu, ne pas être attaqué Recevoir la balle, voir les déplacements de ses partenaires Voir le placement des adversaires Actions Spécifications Prendre la balle, s’avancer, regarder les partenaires, lever la tête Résultats Laisser de la place aux partenaires Tableau A.5 – Schéma n°4 : Aller vite vers l’avant avec le ballon tout en étant attentif au jeu Les 16 schémas typiques 247 Soutenir (être en soutien, proposer une solution en soutien) Connaissances Le partenaire peut uniquement remiser en arrière Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Être derrière, être en soutien Le(s) partenaire(s) récupère(nt) la balle, les partenaires jouent collectivement (X donne à Y qui le redonne), le partenaire temporise, les partenaires sont génés par les adversaires Actions Spécifications Cyril Bossard Se rendre disponible pour le partenaire (revenir en arrière, reculer, s’arrêter, je montre que je suis là, je vais vers lui, je me décale, se mettre à sa gauche /sa droite, rejoindre le partenaire) demander la balle (voix ou appel de balle, dire que je suis derrière) Tableau A.6 – Schéma n°5 : Proposer son aide à un partenaire pour conserver le ballon Résultats Le partenaire donne la balle ou rate sa passe Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 248 Buts Cyril Bossard Buts Connaissances Attirer le défenseur avec soi, laisser de l’espace aux partenaires Prendre un espace libre pour permettre au partenaire de choisir une solution Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Être seul Le partenaire récupère le ballon Voir l’action des défenseurs Actions Prendre une direction, un espace Spécifications Résultats Laisser de la place aux partenaires, créer des solutions pour le PB Tableau A.7 – Schéma n°6 : Créer de l’espace pour permettre à des partenaires de s’engager vers l’avant Les 16 schémas typiques 249 Se déplacer dans l’espace en fonction de ses partenaires pour recevoir une passe Connaissances Le partenaire a des solutions Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Le partenaire récupère la Se situer par balle, Voir le rapport aux progresse sur placement partenaires le terrain, des dans l’espace l’autre adversaires de jeu partenaire se déplace Actions Aller vite dans un espace, regarder le PB Spécifications Résultats Changer de direction Le partenaire frappe au but, le partenaire me la passe, s’attendre à recevoir le ballon Tableau A.8 – Schéma n°7 : Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 250 Buts Cyril Bossard Cyril Bossard Buts Passer à un partenaire Connaissances Le partenaire est plus rapide Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Être proche du ballon Voir le placement de ses partenaires Les défenseurs arrivent vite, ils mettent la pression Actions Récupérer le ballon, avancer, regarder ses partenaires, passer Spécifications Résultats Lever la balle L’adversaire récupère la balle ou passe réussie Tableau A.9 – Schéma n°8 : Choisir une solution de passe pour assurer la continuité du jeu Les 16 schémas typiques 251 Connaissances Attendre la soutien des partenaires Savoir que les partenaires arrivent Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Actions Voir ses partenaires éloignés de l’action Récupérer, dribbler, conserver, temporiser Les défenseurs reviennent vite Tableau A.10 – Schéma n°9 : Attendre le soutien des partenaires Spécifications Résultats Perdre la supériorité numérique ou passer Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 252 Buts Cyril Bossard Cyril Bossard Buts Écarter (se décaler, faire attention) à l’adversaire/au HJ pour recevoir une passe Connaissances Connaı̂tre la règle du HJ, savoir ce que le PB veut faire Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Être démarqué, être en bonne position Le PB progresse ou non (rate, se fait prendre le ballon) Situer l’adversaire dans l’espace (proche loin, coté), l’adversaire presse le PB ou non Actions Regarder le placement/déplacement de l’adversaire (faire attention au HJ), progresser (s’avancer), s’écarter de l’adversaire Spécifications Résultats Recevoir ou s’attendre à recevoir la balle Tableau A.11 – Schéma n°10 : Se déplacer par rapport au hors-jeu, à l’adversaire et rechercher la rupture Les 16 schémas typiques 253 Connaissances Effacer l’adversaire (éliminer) Savoir que l’adversaire est proche, qu’il arrive vite Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Le ou les adversaires arrivent vite Les (s’avance vers partenaires moi, il est Être sous sont devant, proche), les pression, seul ne pas avoir adversaires de solutions ne suivent pas leur marquage Actions Spécifications Récupérer la balle, faire une feinte, dribbler, faire un crochet Tableau A.12 – Schéma n°11 : Éliminer en dribblant pour progresser vers la cible Résultats Eliminer (feinter) l’adversaire ou non (se faire prendre la balle) Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 254 Buts Cyril Bossard Cyril Bossard Connaissances Aller vite (vers l’avant) et sur l’adversaire (foncer), attendre pour fixer, fixer (attirer) le defenseur, provoquer Envisager les solutions, attendre une distance qui permet de donner la balle sans que le defenseur la prenne, savoir où sont placés les partenaires (a droite ou gauche, devant) Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Avoir le ballon Le ou les partenaires font un appel, voir le 3c1 L’adversaire arrive vite Actions Spécifications Lever la tête, provoquer (aller vite sur un adversaire, chercher à l’attirer), attendre que l’adversaire se jette, fixer, passer vite (donner, mettre) Tableau A.13 – Schéma n°12 : Fixer-passer pour progresser vers la cible Résultats Passer dans le bon timing 255 Les 16 schémas typiques Buts Se placer ou déplacer pour receptionner un centre ou une passe (s’attendre à, penser à préparer, aller, faire, se mettre) au point de penalty, au deuxieme poteau, pour etre en retrait Connaissances Suivre l’action du partenaire, garder la dynamique Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Être seul, démarqué, proche ou devant le but (1er ou second poteau) Le partenaire récupère, fixe-passe, élimine, passe, un des partenaires se place (au premier poteau, au deuxième, à droite, à gauche) Le ou les adversaires marquent les partenaires, l’adversaire suit ou non, le gardien sort vite du but Actions Aller, s’avancer (au point de penalty, au centre, dans l’axe, à droite, dans la surface) devant le but Spécifications Résultats Ajuster son placement Le centre est réussi ou raté, le partenaire frappe au but Tableau A.14 – Schéma n°13 : Se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 256 Buts Cyril Bossard Cyril Bossard Connaissances Mettre, passer la balle au partenaire devant le but Savoir que le partenaire est meilleur (techniquement, il voit mieux le jeu), connaı̂tre les possibilités (passe, dribble), savoir comment le partenaire veut recevoir la balle, une passe appuyée à ras de terre, il peut mieux la contrôler, et être dans le sens du jeu, si je peux centrer ou non Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Être coincé Voir les partenaires démarqués devant le but, seuls, le partenaire continue sa course (fait un appel direct), il est seul, L’adversaire arrive vite, met de la pression Actions Passer à un partenaire (donner, faire ressortir, remettre, mettre en une, dans la profondeur, devant lui, dans sa course, appuyée à ras de terre), contrôler la balle, regarder dans l’axe du terrain, passer la balle, prendre la balle du coup du pied Spécifications Résultats Fort devant le partenaire un peu enroulée, en retrait S’attendre à voir le partenaire marquer un but, la passe est réussie ou ratée (contrée), se faire rattraper par les défenseurs Tableau A.15 – Schéma n°14 : Passer pour mettre le partenaire en situation favorable de frappe 257 Les 16 schémas typiques Buts Connaissances Être à l’affut pour reprendre la balle La balle peut toujours me revenir dessus, si il ne marque pas ou le gardien relâche ou poteau, il (gardien) peut la relâcher Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Être à côté du partenaire, être un spectateur actif de l’action Le partenaire dribble, est face au gardien, fixe l’adversaire, frappe au but Les défenseurs reviennent Actions Spécifications S’approcher de la cible, continuer son action vers le but, regarder le jeu, suivre le partenaire Tableau A.16 – Schéma n°15 : Suivre l’action du partenaire pour une reprise Résultats Le partenaire frappe au but, le partenaire donne la balle, ou perte de balle Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 258 Buts Cyril Bossard Cyril Bossard Buts Frapper, se mettre sur son bon pied Connaissances Être en mouvement, avoir de l’élan pour bien frapper Informations contextuelles par / soi par / part par / adv Être proche du but, de la surface, recevoir le ballon, se retrouver seul, ne pas être attaquer, être en bonne position, sans pression Les partenaires sont marqués, voir le positionnement des partenaires (premier ou deuxième poteau) Voir la position du gardien dans ses buts, voir l’anticipation du gardien, le but est vide Actions Spécifications Résultats Frapper au but, se mettre en position de frapper, frapper directement, en une touche, ouvrir son pied Croiser la frappe, piquer par-dessus le gardien, frapper en une Marquer un beau but, la balle rentre ou non, la frappe est molle Tableau A.17 – Schéma n°16 : Chercher à tirer/frapper au but Les 16 schémas typiques 259 Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle A.4 260 Documents Cyril Bossard Documents Figure A.17 – Lettre Cyril Bossard 261 Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle Figure A.18 – Formulaire 262 Cyril Bossard Documents Figure A.19 – Formulaire (suite) Cyril Bossard 263 Annexe A – Étude de l’activité décisionnelle individuelle 264 Cyril Bossard Annexe B Étude de l’activité collective B.1 Les variantes aux formes typiques de coordination Forme 4b : La coordination mutuelle d’un joueur avec deux partenaires dont l’un influence l’autre Influences Informations significatives Buts individuels interindividuelles partagées Niveau de partage • Spécifiques : 79,1%, • Partagées à 2 : 14,3%, • Communes : 6,6% Relation entre les buts • Convergents et partagés à 2 (0) • Convergents et spécifiques (6) Informations typiques • actions du partenaire PB • déplacements et placements du partenaire PB • interaction avec partenaire PB Buts typiques • A : « Aller vite vers l’avant avec le ballon tout en étant attentif au jeu » (7) • B et C : « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible » Tableau B.1 – Synthèse forme typique de coordination 4b Cyril Bossard 265 Annexe B – Étude de l’activité collective Forme 5b : La coordination mutuelle entre deux partenaires et l’influence unidirectionnelle de l’un sur le troisième partenaire Influences Informations significatives Buts individuels interindividuelles partagées Niveau de partage • Spécifiques : 80,5%, • Partagées à 2 : 19,5%, • Communes : 0% Relation entre les buts • Convergents et partagés à 2 (0) • Convergents et spécifiques (3) Informations typiques • Déplacements et placements du partenaire PB • Passe avec partenaire PB Buts typiques • A : « Choisir une solution de passe pour assurer la continuité du jeu » • B et C : « Se placer ou se déplacer pour recevoir un centre ou une passe décisive » ou « Se déplacer par rapport à ses partenaires dans l’espace de jeu pour proposer une solution de progression vers la cible » Tableau B.2 – Synthèse forme typique de coordination 5b Forme 5c : La coordination mutuelle restreinte à deux partenaires Influences Informations significatives Buts individuels interindividuelles partagées Niveau de partage • Spécifiques : 62,1%, • Partagées à 2 : 37,9%, • Communes : 0% Informations typiques • Déplacements et placements du partenaire PB • Passe avec partenaire PB • Actions des adversaires Relation entre les buts • Convergents et partagés à 2 (2) • Convergents et spécifiques (3) Pas de buts typiques Tableau B.3 – Synthèse forme typique de coordination 5c 266 Cyril Bossard Annexe C Évaluation de CoPeFoot Sujets 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 Réponses (codées sur l’échelle de 1 à 6) Mesure 1 Mesure 2 Mesure 3 3 4 1 1 4 2 4 4 4 3 2 3 2 4 2 1 3 6 4 3 3 3 1 4 6 1 3 1 2 6 1 1 4 1 4 3 5 1 2 1 1 5 3 1 4 1 3 1 1 1 3 3 2 1 1 1 2 1 3 1 4 1 2 1 1 3 1 3 2 1 1 1 Tableau C.1 – Répartition des réponses des sujets experts Cyril Bossard 267 Annexe C – Évaluation de CoPeFoot Sujets 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 Réponses (codées sur l’échelle de 1 à 6) Mesure 1 Mesure 2 Mesure 3 4 2 3 2 3 1 3 3 3 3 2 3 4 1 3 4 1 1 4 3 3 4 1 1 2 5 3 6 5 4 4 3 2 4 2 2 6 6 3 4 4 5 3 3 6 2 2 1 3 2 3 4 2 2 4 6 3 5 1 3 4 4 2 4 2 3 4 2 3 4 3 5 Tableau C.2 – Répartition des réponses des sujets novices 268 Cyril Bossard Résumé Long L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative Application à la contre-attaque au football L’objectif général de cette thèse est de contribuer à la compréhension de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative. Ces travaux sont effectués au Centre Européen de Réalité Virtuelle (CERV) dans le cadre de recherches sur l’introduction de l’activité humaine dans des boucles de conception et d’usage de simulations participatives en réalité vituelle. Il s’agit de comprendre un phénomène complexe que nous analyserons dans sa globalité, en tenant compte de son caractère évolutif. Réalisé dans une perspective ergonomique, ce travail implique un double objectif : 1) une description et une tentative d’explication du phénomène étudié ; 2) une proposition de transformation du réel (par l’aide à la conception d’un environnement virtuel). Dans un premier temps, notre travail de thèse vise la production de connaissances dans le champ des Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, et dans le champ de l’Ergonomie cognitive. L’analyse de l’activité collective permet d’étudier ce qui est significatif du point de vue des acteurs engagés dans la situation d’étude. Le niveau d’analyse choisi est local, contextualisé, « tactique » pour reprendre une terminologie sportive. Il ne prétend pas rendre compte de l’ensemble des niveaux d’organisation de l’activité collective (par exemple : il ne décrit pas les processus de planification, mobilisés en amont et en aval de la situation étudiée, par exemple lors du débriefing par l’entraı̂neur, et que l’on pourrait qualifier de niveau stratégique). Plus modestement, notre objectif consiste à proposer une description symbolique acceptable (Varela, 1989) de la dynamique du couplage structurel des joueurs entre eux et avec le contexte. La description de l’activité des experts en sports collectifs participe à la production de connaissances sur une situation typique essentielle pour la performance : la contre-attaque. Cette description abstraite de l’activité des individus doit également permettre d’expliquer et de produire des inférences sur les structures et les processus perceptifs et cognitifs mobilisés en situation dynamique collaborative. Sur la base de cette analyse de l’activité collective en situation dynamique et collaborative, notre second objectif vise à proposer des pistes de réflexion pour la transformation du réel par l’aide à la conception d’un dispositif de formation (Lipshitz et al., 2001). L’originalité de cette démarche de type ergonomique est quelle est tournée vers la conception d’un environnement virtuel simulant des situations de jeu au football : CoPeFoot (Collective Cyril Bossard 269 Résumé Long Perception Football). Notre travail se déroule alors selon une démarche en quatre étapes : analyse empirique de l’activité humaine, modélisation de l’activité humaine, conception d’un environnement virtuel, simulation et évaluation. Chapitre 1 : Les variables perceptives et cognitives de la décision tactique en sports collectifs Ce premier chapitre apporte une contribution à la compréhension de la décision tactique dans les sports collectifs. Dans le cadre d’une revue de la littérature en psychologie du sport, nous nous focalisons sur les variables cognitives et perceptives mobilisées par les experts. Nous présentons les principaux modèles théoriques ainsi que les méthodes d’investigation utilisées pour l’étude de ces variables. Les travaux recensés peuvent expliquer la supériorité des experts à partir du contenu et de l’organisation de leur base de connaissances, de leur fonctionnement mnémonique ou de leurs habiletés perceptives. En outre, cet examen de la littérature en psychologie du sport montre que l’activité décisionnelle en sports collectifs a surtout été abordée au regard de variables identifiées, isolées puis étudiées dans des conditions standardisées. Les études recensées se sont exclusivement centrées sur l’individu, relayant en second plan la dimension collective de l’activité. Or l’activité décisionnelle en sports collectifs est dépendante d’une part de la pression temporelle et des fluctuations contextuelles, et d’autre part de multiples interactions entre partenaires. À travers l’évolution de ces recherches (leurs apports et leurs limites), ce chapitre montre la nécessité de considérer les relations entre les variables perceptives, cognitives et le contexte, pour mieux comprendre la décision tactique en sports collectifs. Nous mettons alors en avant la nécessité d’appréhender l’activité décisionnelle dans toute sa complexité, sans renoncer à l’étudier dans son contexte social et culturel. Chapitre 2 : Une approche contextualisée de la décision Le cadre conceptuel de la Naturalistic Decision Making (Klein, 1997) habituellement exploité dans l’analyse des situations de travail individuelles, s’intéresse au couplage entre ressources cognitives et contraintes contextuelles. Cette approche considère l’activité décisionnelle sous un rapport étroit entre le sujet et la situation. Ce changement de paradigme permet, selon nous, d’appréhender la complexité de l’activité décisionnelle sans renoncer à l’étudier dans son contexte naturel. Nous examinons successivement les modèles et concepts qui ont été proposés : 1) Le modèle RPD (décision fondée sur la reconnaissance : « Recognition-Primed Decision ») proposé par Klein (1993) ; 2) Le modèle de la Conscience 270 Cyril Bossard Résumé Long de la Situation (« Situation Awareness ») développé par Endsley (1995) ; 3) La théorie des schémas mobilisée par (Lipshitz et Shaul, 1997). L’analyse des objectifs, des méthodes et des principaux résultats nous conduit à démontrer pourquoi cette approche nous semble heuristique pour appréhender l’activité décisionnelle individuelle en sports collectifs. Afin de contribuer à sa validation empirique dans le cadre des sports collectifs, nous mettons cette approche à l’épreuve d’une situation dynamique typique des sports collectifs : la contre-attaque en football (Chapitre 4). Chapitre 3 : Des approches pour l’analyse de l’activité collective Ce troisième chapitre présente un prolongement du cadre conceptuel de la « NDM » à l’équipe (« Team » NDM). L’approche TNDM considère que l’activité collective repose sur un processus de coordination des activités individuelles. Pour expliquer les coordinations entre les membres d’une même équipe, les auteurs ont longtemps étudié l’activité individuelle de chacun des membres du collectif. Aujourd’hui, ce point de vue tend à être abandonné au profit de perspectives qui abordent la relation entre l’individu et le contexte collectif. Ces perspectives récentes prennent pour unité d’analyse, soit le comportement global de l’équipe, soit l’articulation des activités individuelles. Ces propositions théoriques et méthodologiques constituent des ressources pour appréhender l’étude de l’activité collective en situations sportives. Après avoir discuté de leur pertinence face à l’exigence des situations sportives collectives, ce chapitre aboutit à nos principales hypothèses de recherche pour l’analyse de l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative. A l’issue de ce développement théorique, nous postulons que l’analyse de l’activité en situation dynamique collaborative nécessite l’étude de l’activité individuelle, comme un préalable à l’étude de l’activité collective. Ce positionnement théorique nous conduit à étudier d’une part l’activité des individus, pour mettre à jour les schémas typiques activés en cours d’action (Chapitre 4), d’autre part l’articulation de l’activité de ces individus, pour identifier des formes typiques, des régularités qui apparaı̂traient dans le jeu des influences entre partenaires (Chapitre 5). Pour expliquer ces formes typiques d’articulation, nous cherchons aussi à répondre à une question, centrale dans la littérature, relative à ce qui est partagé entre les membres d’une équipe. Nous souhaitons identifier les éléments partagés en cours d’action par les joueurs d’une même équipe qu’ils soient de l’ordre des connaissances ou des informations contextuelles. Cyril Bossard 271 Résumé Long Chapitre 4 : Étude de l’activité décisionnelle individuelle En référence au cadre théorique de la NDM, le modèle RPD (Klein, 1997), le concept de Consience de la Situation et le concept de schéma sont mis à l’épreuve d’une situation de contre-attaque au football. Des données comportementales sont enregistrées auprès de 12 joueurs de football de niveau national (catégorie 16 ans) et complétées par des données verbales recueillies lors d’un entretien d’autoconfrontation. L’analyse de l’activité décisionnelle permet de décrire l’activation et les enchaı̂nements préférentiels (scénarii ou scripts) de 16 schémas typiques chez des experts en situation de forte contrainte temporelle. Ces schémas constituent des structures d’arrière-plans types qui articulent des variables perceptives et cognitives et permettent la reconnaissance rapide d’une situation. Ce fonctionnement économique apparaı̂t nécessaire pour prendre des décisions tactiques dans un contexte dynamique (sous pression temporelle, fluctuant et incertain). Ces résultats éclairent en partie la complexité de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative, et nous invitent à interroger plus précisément le rôle des partenaires comme un élément privilégié du contexte. Chapitre 5 : Étude de l’activité collective Ce chapitre présente l’étude de l’activité collective en situation dynamique et collaborative. Cette étude s’est attachée à analyser l’articulation entre les activités individuelles et l’activité de l’équipe. Nous nous sommes intéressés successivement au jeu des influences entre partenaires, aux informations partagées, et à la relation entre les buts de trois membres d’une même équipe au cours de situations de contre-attaque. Des données comportementales sont enregistrées auprès de 12 joueurs de football répartis en quatre équipes et complétées par des données verbales recueillies lors d’un entretien d’autoconfrontation individuel. L’analyse de l’articulation des activités individuelles au sein de l’équipe permet de caractériser 5 formes typiques de coordination des activités. Notre étude montre ainsi comment les membres de l’équipe se coordonnent et s’adaptent collectivement de façon économique en situation de fortes contraintes temporelles. Les régularités observées au sein d’une même équipe ou à travers des équipes différentes peuvent être associées au niveau de partage des informations contextuelles. Le contenu de ce qui est partagé prioritairement au même instant pour les membres de l’équipe explique également les différentes formes de coordination. 272 Cyril Bossard Résumé Long Chapitre 6 : Conception et Evaluation d’un environnement virtuel : CoPeFoot Dans une dernier chapitre, nous présentons notre contribution à la démarche de conception et d’évaluation de l’environnement virtuel CoPeFoot. Plus précisément, nous cherchons à montrer en quoi et comment des connaissances (modèles) relatives à l’analyse de l’activité humaine peuvent s’articuler aux modèles informatiques qui sous-tendent l’usage de la réalité virtuelle pour la mise en place d’environnements virtuels crédibles. Dans cette perspective, nous présentons une étude exploratoire in virtuo destinée à évaluer la crédibilité comportementale de CoPeFoot inspirée du test de Turing (1950). Nous proposons d’évaluer « l’effet leurre » de l’environnement en mesurant la performance des participants à faire une distinction entre un joueur dirigé par un humain et un joueur virtuel autonome. Cet effet est étudié en comparant deux groupes de sujets (expert et novice) et lors de trois mesures successives. Les résultats montrent un effet leurre plus marqué pour les sujets novices par rapport aux experts, et une amélioration des performances pour les deux groupes dans le temps. Nous discutons ces résultats au regard de la méthode mise en œuvre pour évaluer la crédibilité de l’environnement virtuel. En conclusion, cette thèse conforte l’intérêt d’une approche contextualisée et constructiviste pour expliquer l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative et sa modélisation à des fins de simulation en réalité virtuelle. La modélisation obtenue par l’analyse de l’activité décisionnelle auprès des experts devrait permettre dans un futur proche d’enrichir le modèle informatique des joueurs virtuels. En outre, ce projet ouvre certains axes prospectifs concernant le transfert d’apprentissage du virtuel au réel que des recherches futures devront tester. Il nous permet également de considérer le potentiel applicatif de CoPeFoot à la fois comme un outil pour la recherche et comme un outil au service de la formation. Mots clefs : activité décisionnelle, situation dynamique collaborative, football, réalité virtuelle. Cyril Bossard 273 Résumé Long 274 Cyril Bossard Résumé L’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative Application à la contre-attaque au football Notre travail de recherche s’inscrit dans le cadre des études menées au Centre Européen de Réalité Virtuelle sur les simulations participatives. Dans cette perspective, nous développons en collaboration avec des chercheurs en informatique un environnement virtuel simulant des situations de jeu au football : CoPeFoot (Collective Perception Football). L’objectif du travail de thèse est double : 1) Définir un cadre de référence qui permette d’orienter et de structurer la réflexion sur l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative ; 2) Aider à la conception d’un environnement virtuel fondé sur l’autonomie des agents. Ce projet s’inscrit dans une démarche empruntée à la psychologie cognitive ergonomique et se déroule en quatre phases : analyse empirique de l’activité, modélisation, simulation et évaluation. L’examen de la littérature en psychologie du sport montre que l’activité décisionnelle en sports collectifs a surtout été abordée au regard de variables identifiées, isolées puis étudiées dans des conditions standardisées. Les études recensées se sont exclusivement centrées sur l’individu, relayant en second plan la dimension collective de l’activité. Or l’activité décisionnelle en sports collectifs est dépendante d’une part de la pression temporelle et des fluctuations contextuelles, et d’autre part de multiples interactions entre partenaires. Nous mettons alors en avant la nécessité d’appréhender l’activité décisionnelle dans toute sa complexité, sans renoncer à l’étudier dans son contexte social et culturel. Le cadre conceptuel de la « Naturalistic Decision Making » (NDM), habituellement exploité dans les situations de travail, s’intéresse justement au couplage entre ressources cognitives et contraintes contextuelles. Afin de contribuer à sa validation empirique dans le cadre des sports collectifs, nous mettons cette approche à l’épreuve d’une situation dynamique collaborative typique des sports collectifs : la contre-attaque en football. Notre première étude s’attache à identifier le contenu et les conditions d’activation des structures d’arrière-plans types (i.e. des schémas) par des joueurs experts en football. Au cours d’une situation d’étude privilégiée, des données d’enregistrement ont été recueillies et complétées par des verbalisations provoquées. L’analyse du contenu permet d’identifier au niveau de l’activité individuelle des récurrences dans les significations produites par les experts face au contexte. Sur un plan collectif, l’analyse révèle l’émergence de 5 formes typiques Cyril Bossard 275 Résumé de coordination des activités. Les principaux résultats mettent en avant plusieurs aspects concernant l’activité décisionnelle des experts : la reconnaissance par les experts de situations types, la flexibilité des schémas pour prendre des décisions, l’évolution des coordinations d’actions entre partenaires sur la base d’un contexte partagé. La modélisation obtenue par l’analyse de l’activité décisionnelle auprès des experts permet d’enrichir le modèle informatique des joueurs virtuels. Pour évaluer la crédibilité comportementale de ces agents, nous présentons une expérimentation in virtuo inspirée du test de Turing auprès de 48 sujets. Les résultats suggèrent que les sujets novices immergés dans l’environnement virtuel ne distinguent pas les différences comportementales entre un agent virtuel autonome et un avatar (agent guidé par un individu). Cette étude nous permet de considérer le potentiel applicatif de CoPeFoot à la fois comme un outil pour la recherche et comme un outil au service de la formation. En conclusion, cette thèse conforte l’intérêt d’une approche contextualisée et constructiviste pour expliquer l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative et sa modélisation à des fins de simulation en réalité virtuelle. En outre, ce projet ouvre certains axes prospectifs concernant le transfert d’apprentissage du virtuel au réel que des recherches futures devront tester. Mots clefs : activité décisionnelle, situation dynamique collaborative, football, réalité virtuelle. 276 Cyril Bossard Abstract Decision-making activity in dynamic and collaborative situation Application to counter-attack in football Our research is conducted within the context of studies of participatory simulations at the European Center of Virtual Reality. Within this perspective, we developed virtual environment for simulating play in football, in collaboration with computer scientists. The virtual environment is called CoPeFoot (Collective Perception Football). The aim of this thesis is twofold : 1) to define a frame of reference for orienting and structuring reflection upon decision-making processes in dynamic and collaborative situations, and 2) to assist in designing a virtual environment reliant on autonomous agents. This project is part of an approach borrowed from ergonomics and cognitive psychology, and can be broken down into the following four stages : empirical analysis of the process, modeling, simulation, and evaluation. An analysis of the literature in sports psychology showed that decision-making processes in team sports have been addressed mostly in terms of identifiable variables which have been isolated and then studied under controlled conditions. The previous studies are exclusively individual-centered, often considering the group element of the process as an afterthought. On the one hand, the decision-making processes in team sports depend on time pressures and contextual variations, and on the other, on the numerous interactions between the players. We therefore highlight the need to address decision-making in all its complexity, without neglecting the study of this concept in its social and cultural contexts. Indeed, the conceptual framework of Naturalistic Decision Making (NDM), usually applied to the workplace, addresses the connection between cognitive resources and contextual constraints. In order to contribute to the empirical validation of this approach within the context of team sports, we put it to the test with a dynamic collaborative situation typical of team sports : a counter-attack in football. Our first study deals with identifying the content and conditions of activation of a given background structure (i.e. schemata) by expert football players. During a specially designed study, recorded data was gathered and, to supplement this information, subjects were encouraged to comment on the virtual environment. A content analysis conducted in context identified recurrent meanings produced by the experts. At group level, the analysis reveals the emergence of different forms of coordination of specific processes. The main results highlight Cyril Bossard 277 Abstract a number of aspects concerning experts’ decision-making processes : experts’ recognition of typical situations, the flexibility of schemata in decision-making, the evolution of the coordination of actions between players on the basis of shared context. Modeling obtained from the analysis of experts’ decision-making processes enabled us to enrich the virtual players’ digital model. In order to evaluate the behavioral credibility of these agents, we conducted an in virtuo experiment inspired by the Turing test, carried out on 48 subjects. Results suggest that beginner subjects immersed in the virtual environments do not recognize the behavioral differences between autonomous virtual agents and avatars (agents controlled by humans). This study enables us to consider the potential applications of CoPeFoot both as a research tool and as a tool for assisting in training methods. In conclusion, this thesis supports the need for a contextualized and constructivist approach in explaining decision-making processes in dynamic and collaborative situations, and also models this approach for simulation purposes in virtual reality. Amongst other things, this project opens up a number of prospective avenues concerning the transfer of learning from virtual reality to real life, which should be tested by future research. Key words : decision-making, dynamic and collaborative situation, football, virtual reality. 278 Cyril Bossard — Résumé — Notre travail de recherche s’inscrit dans le cadre des études menées au Centre Européen de Réalité Virtuelle sur les simulations participatives. Dans cette perspective, nous développons en collaboration avec des chercheurs en informatique un environnement virtuel simulant des situations de jeu au football : CoPeFoot (Collective Perception Football). L’objectif du travail de thèse est double : 1) Définir un cadre de référence qui permette d’orienter et de structurer la réflexion sur l’activité décisionnelle en situation dynamique et collaborative ; 2) Aider à la conception d’un environnement virtuel fondé sur l’autonomie des agents. Ce projet s’inscrit dans une démarche empruntée à la psychologie cognitive ergonomique et se déroule en quatre phases : analyse empirique de l’activité, modélisation, simulation et évaluation. L’examen de la littérature en psychologie du sport montre que l’activité décisionnelle en sports collectifs a surtout été abordée au regard de variables identifiées, isolées puis étudiées dans des conditions standardisées. Les études recensées se sont exclusivement centrées sur l’individu, relayant en second plan la dimension collective de l’activité. Or l’activité décisionnelle en sports collectifs est dépendante d’une part de la pression temporelle et des fluctuations contextuelles, et d’autre part de multiples interactions entre partenaires. Nous mettons alors en avant la nécessité d’appréhender l’activité décisionnelle dans toute sa complexité, sans renoncer à l’étudier dans son contexte social et culturel. Le cadre conceptuel de la « Naturalistic Decision Making » (NDM), habituellement exploité dans les situations de travail, s’intéresse justement au couplage entre ressources cognitives et contraintes contextuelles. Afin de contribuer à sa validation empirique dans le cadre des sports collectifs, nous mettons cette approche à l’épreuve d’une situation dynamique collaborative typique des sports collectifs : la contre-attaque en football. Notre première étude s’attache à identifier le contenu et les conditions d’activation des structures d’arrière-plans types (i.e. des schémas) par des joueurs experts en football. Au cours d’une situation d’étude privilégiée, des données d’enregistrement ont été recueillies et complétées par des verbalisations provoquées. L’analyse du contenu permet d’identifier au niveau de l’activité individuelle des récurrences dans les significations produites par les experts face au contexte. Sur un plan collectif, l’analyse révèle l’émergence de 5 formes typiques de coordination des activités. Les principaux résultats mettent en avant plusieurs aspects concernant l’activité décisionnelle des experts : la reconnaissance par les experts de situations types, la flexibilité des schémas pour prendre des décisions, l’évolution des coordinations d’actions entre partenaires sur la base d’un contexte partagé. La modélisation obtenue par l’analyse de l’activité décisionnelle auprès des experts permet d’enrichir le modèle informatique des joueurs virtuels. Pour évaluer la crédibilité comportementale de ces agents, nous présentons une expérimentation in virtuo inspirée du test de Turing auprès de 48 sujets. Les résultats suggèrent que les sujets novices immergés dans l’environnement virtuel ne distinguent pas les différences comportementales entre un agent virtuel autonome et un avatar (agent guidé par un individu). Cette étude nous permet de considérer le potentiel applicatif de CoPeFoot à la fois comme un outil pour la recherche et comme un outil au service de la formation. En conclusion, cette thèse conforte l’intérêt d’une approche contextualisée et constructiviste pour expliquer l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative et sa modélisation à des fins de simulation en réalité virtuelle. En outre, ce projet ouvre certains axes prospectifs concernant le transfert d’apprentissage du virtuel au réel que des recherches futures devront tester. Mots clefs : activité décisionnelle, situation dynamique collaborative, football, réalité virtuelle.