Ocampos - FF - Florent Torchut

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Ocampos - FF - Florent Torchut
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Portrait
OCAMPOS
TAILLÉDANS
LEROCHER
Un apprentissage
compliqué
SON ARRIVÉE N’A (PRESQUE) PAS FAIT DE BRUIT. La faute au Paris-SG et
ses transferts hors normes. Fin août, le président Russe Dmitry Rybolovlev
claque pourtant 11 M$, l’équivalent du budget du Mans, pour se payer un
milieu offensif d’à peine dix-huit ans, auteur d’une seule saison en Ligue 2
argentine. Le record du transfert le plus cher de la division est pulvérisé.
Et les attentes autour de l’Argentin sont (logiquement) énormes. Pour sa
deuxième apparition sous le maillot monégasque, Ocampos humilie
Valenciennes en Coupe de la Ligue et plante un but d’anthologie : contrôle
parfait, crochet extérieur et frappe dans la lucarne opposée. La légende
est en marche. Ou pas… La suite de la saison ne ressemble à rien.
Quelques entrées en jeu, une passe décisive, quelques gestes techniques.
Rien de plus. À la mi-novembre, l’entraîneur italien de l’ASM, Claudio
Ranieri, décide, devant les critiques qui s’abattent, de prendre la parole
pour défendre son joueur. « Lors des premiers mois de son intégration, il
était excité et très content de jouer, mais aujourd’hui il faut qu’il apprenne
tout doucement à trouver ses repères dans le jeu français. » Tor-Kristian
Karlsen, directeur exécutif de Monaco et grand artisan de la venue de
l’Argentin, sort également de son silence. « C’est un investissement pour
le futur, il a besoin de se développer prudemment. Son transfert entre
dans notre stratégie, à savoir bâtir une équipe forte pour le futur, dans
les deux, trois à quatre ans. » Le 18 janvier dernier, Ocampos, qui étudie
le français plusieurs fois par semaine avec un professeur particulier à
domicile, finit par s’offrir son premier but en Championnat sur la pelouse
d’Istres. Les vrais débuts de l’Argentin ? Peut-être à l’entendre. « Cela n’a
pas été toujours facile, j’ai parfois eu du mal, mais il fallait passer par ces
moments compliqués pour apprendre, dit-il sur le site officiel du club. Je
vais continuer de travailler pour progresser et montrer mon vrai niveau
ces prochains mois. » Et justifier le prix du transfert… ■ O. B.
SÉBASTIEN BOUÉ/L’ÉQUIPE
APRÈS UNE ENTAME DE CARRIÈRE
SUPERSONIQUE, le jeune prodige argentin
de Monaco tarde à confirmer tous
les espoirs placés en lui au pays.
COMME ÉBLOUIS PAR
UN FLASH D’APPAREIL
PHOTO, les supporters
de River se demandent
encore s’ils ont rêvé ou si
FLORENT TORCHUT,
le véloce Lucas Ocampos
à Buenos Aires
existe bien. Appelé dans
le groupe pro par le
nouvel entraîneur Matias Almeyda il y a tout
juste un an et demi pour préparer une saison
qui s’annonçait sulfureuse, après la descente
du club le plus titré d’Argentine (33 titres de
champion) en L2, le prodige monégasque est
passé à la vitesse de la lumière sur les terrains
du Nacional B. Seul joueur de l’effectif à avoir
participé à l’ensemble des rencontres du club
la saison dernière, l’international des moins de
20 ans a tout juste eu le temps d’accomplir son
rêve: «Jouer avec River en Première Division.»
Un match contre Belgrano de Cordoba, le 5 août,
et puis s’en va, direction le Rocher. Lucas
Ocampos, dix-huit ans, est un jeune homme
pressé. «Il a été touché par la baguette magique,
tout s’est passé très vite pour lui», raconte son
grand frère Julian, depuis la ville de Quilmes,
dans la banlieue de Buenos Aires, là où tout a
commencé pour le numéro 15 de Monaco.
YOUTUBE, PANENKA ET COURSES AU
dirigé en moins de 15 ans. Je l’ai engueulé une
SUPERMARCHÉ. «Quand je l’ai récupéré, il jouait fois après une panenka. Lors d’un match où
latéral droit, raconte Marcelo Firpo, l’entraîneur
nous gagnions 4 à 0, il en a tenté une autre, qu’il
des moins de 13 ans. C’était le plus grand de sa
a ratée. Je l’ai immédiatement sorti!» Comme
catégorie. Je lui ai dit: “Tu vas jouer attaquant.”
son modèle «CR7», il lui arrive aussi de se faire
Ça l’a fait rire au début. À partir de là, il a
remarquer pour ses élans individualistes.
commencé à jouer comme 9 et demi et à
«Il s’énervait souvent contre lui-même quand
marquer une série de buts. Il avait déjà une
il ratait un geste, ou contre ses coéquipiers
sacrée habilité, il aimait dribbler, déborder.»
quand ils ne lui donnaient pas la balle, poursuit
À l’instar de Cristiano Ronaldo, son idole.
l’éducateur. Il était à moitié rebelle.
«Il répétait ses gestes à l’infini, jusqu’à parvenir
Mais il n’hésitait jamais à courir pour aller aider
à les imiter, rigole Federico Loray, l’un
un partenaire.» Le ballon l’accompagne en
de ses meilleurs amis, qui évolue avec
permanence dans les rues de Güemes,
la réserve du club de Quilmes.
le quartier populaire dans lequel
C’était une obsession chez lui.
il vit alors. «Quand ma mère
Il passait son temps dans un
l’envoyait faire les courses au
cybercafé à l’angle de sa rue
supermarché, il partait et
à regarder des vidéos de
revenait avec un ballon», se
Cristiano Ronaldo sur
souvient Julian. «Ilse
Internet. Ensuite, il allait
levait tous les matins à
dans la rue pour tenter de
6 heures pour aller s’entraîner,
Marcelo Gallardo
reproduire ce qu’il avait vu.»
il déjeunait, avant de retourner
L’Argentin est sensible à
à l’école jusqu’à 17 heures et
l’esthétique. Quitte à faire des
il allait de nouveau jouer au fond
excès de zèle en plein match.
du jardin jusqu’au soir. Quand ma
«C’est lui qui tirait les penalties,
mère lui demandait s’il n’était pas fatigué,
se remémore Nestor Frediani, qui l’a
il répondait toujours “non”», poursuit
le cadet des Ocampos. «Il ne manquait jamais
un entraînement, il vivait pour le foot et restait
souvent après les entraînements pour travailler
certains gestes», raconte encore Nestor
Frediani.
«VOTRE FILS, IL EST BRÉSILIEN?» À l’âge
où d’autres commencent à faire la «fiesta»,
lui n’accorde des danses qu’à son ballon.
«En 2009, lorsqu’il y a eu l’épidémie de grippe A
ici, la présaison a été suspendue, raconte
Julian Ocampos. Lucas s’est entraîné tout seul
pendant deux mois. Lors du premier match face
à Lanus, à chaque fois qu’il prenait le ballon,
les adversaires avaient l’impression qu’il était
impossible à arrêter. Sur une action, il a passé
en revue la moitié de l’équipe adverse avant de
dribbler le gardien pour marquer dans le but
vide.» Oscar Garré, le sélectionneur des moins
de 15 ans, se tourne alors vers la mère de Lucas
et lui demande, incrédule: «Votre fils, il est
brésilien?» Après avoir disputé le Championnat
sud-américain 2009 des moins de 15 ans
en Bolivie, lors duquel il inscrit un doublé face
à la Colombie (2-2), il réalise une performance
qui va changer sa vie, sous une pluie battante.
«Lors du dernier match de Championnat de sa
Il faut lui
laisser le temps
de s’adapter,
de progresser,
MARDI 29 JANVIER 2013 _ FRANCE FOOTBALL
MARDI 29 JANVIER 2013 _ FRANCE FOOTBALL
catégorie, raconte le frérot, Quilmes devait jouer
contre River, un club dont il a toujours été fan.
Il leur fallait une victoire pour être sacrés
champions. J’étais avec mon père dans les
tribunes. Sur un centre flottant dans la surface,
alors que River menait d’un but, Lucas a fait
un retourné acrobatique au second poteau: sa
frappe croisée a terminé dans la lucarne opposée
et a foutu en l’air leur saison. Lucas n’a pas osé
célébrer son but…» Malgré ce coup de poignard,
les recruteurs millonarios s’empressent de le
faire signer. Une bénédiction pour ce gamin, dont
la famille, originaire de la province de Misiones,
dans le Nord, n’a jamais roulé sur l’or. «Lorsqu’il
a été transféré à River, on est tous partis à
Camboriu, au Brésil, avec mes parents, mes
frères, ma sœur et mes oncles et tantes de
Misiones. C’était la première fois qu’on partait
en vacances tous ensemble», raconte Julian
Ocampos. Quelques mois plus tard, Matias
Almeyda le lance dans le grand bain. Il est
titulaire pour l’ouverture du Championnat de
Nacional B. Face à Independiente de Rivadavia
(3-0), il marque son premier but oFciel en
professionnels, après avoir brillé pendant la
tournée d’été. «Il a grillé les étapes très vite, il est
encore très jeune. Il aurait pu rester une année
supplémentaire à River pour mûrir, mais il a les
qualités pour réussir à Monaco, estime Marcelo
Gallardo, qui a suivi le même chemin en 1999.
Il faut lui laisser le temps de s’adapter, de
progresser. Lorsqu’un club met autant d’argent
sur un joueur, il espère forcément que cet
investissement porte ses fruits rapidement,
mais très souvent les clubs ne te donnent pas
le temps.»
DÉJÀ SURVEILLÉ PAR LA SÉLÉCTION. Son frère
Julian ne se fait pas trop de souci quant à son
adaptation dans un Championnat plus exigeant.
«Lucas est habitué à jouer avec des plus grands.
On s’amusait souvent à prendre le ballon et à
essayer de dribbler chacun son tour, seul contre
tous, avec lui et mon autre frère.» Il tarde à
confirmer son potentiel (voir encadré)? Gallardo
balaie les doutes. «C’est le joueur moderne
parfait : pour son physique, sa technique, sa
vitesse. Un grand avenir l’attend en Europe
car c’est la plus grande promesse du football
argentin de sa génération.»
Alejandro Sabella, le sélectionneur de
l’Albiceleste, a déjà un œil sur lui. «C’est un
joueur polyvalent, puissant, diFcile à arrêter
quand il se met à dribbler. Il a explosé comme
attaquant, mais à River il jouait plutôt comme
ailier des deux côtés. J’aime ce genre de joueur,
car il offre plusieurs options à l’entraîneur.
Il est encore jeune, on suivra son évolution.»
En attendant, Julian aimerait ramener
prochainement toute la famille dans le sud de
la France. Histoire d’accompagner au plus près
son décollage du Rocher tant attendu. ■
BIO
EXPRESS
18 ans. Né le : 11 juillet
1994, à Quilmes
(Argentine). 1,87 m ;
82 kg. Milieu offensif.
PARCOURS : River Plate
(ARG, 2011-août 2012)
et Monaco (depuis
août 2012). PALMARÈS :
Championnat
d’Argentine de L2 2012.