Le gaz carbonique et l`oxygène lors de l`élaboration du champagne

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Le gaz carbonique et l`oxygène lors de l`élaboration du champagne
Le gaz carbonique et l’oxygène
lors de l’élaboration du champagne
par Michel Valade, Denis Bunner, Isabelle Tribaut-Sohier, Dominique Tusseau, Dominique Moncomble
Pôle Technique et Environnement du Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne.
- l’opération d’injection est répétée jusqu’à stabilisation des valeurs
mesurées ;
- température : 23° C ;
- humidité du gaz vecteur : 0 % HR.
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Résumé : Les méthodes non invasives par laser et par chimiluminescence sont venues compléter les techniques déjà disponibles
pour la mesure des gaz dissous dans les vins effervescents et celle
des transferts de ces gaz au travers des différents systèmes de
bouchage.
Grâce à ces procédés il est à présent possible de quantifier les flux
de ces gaz, dioxyde de carbone et oxygène, et de comprendre leur
influence sur les caractéristiques chimiques et sensorielles des
champagnes.
Introduction
Les autres intervenants de cette matinée traiteront du rôle du gaz
carbonique sur l’effervescence et la mousse, et sur les perceptions
sensorielles d’un champagne par la dégustation.
Avant cela, il nous a paru utile de revenir plus en amont sur
l’influence des gaz, gaz carbonique et l’oxygène, sur le champagne
depuis sa mise en bouteilles jusqu’à son arrivée dans le verre.
Longtemps, ces sujets ont été très peu traités. La raison première
tient à la difficulté à mesurer ces gaz, en particulier l’oxygène.
Les techniques ont largement progressé ces dernières années,
notamment avec l’apparition de méthodes non invasives par laser
et par chimiluminescence.
Conditions chromatographiques :
> four : isotherme à 50° C,
> colonnes: Porapak Q,
> détection : par ionisation de flamme après méthanisation.
La fidélité de la méthode est de 0,05 cm3/24 heures.
Étalonnage du chromatographe avec des gaz étalons à concentration
connue en dioxyde de carbone.
1. Les méthodes de mesure des gaz
1.1.Les mesures des pertes de dioxyde de carbone et
d’entrées d’oxygène via les systèmes de bouchage
1.1.2. Mesures des entrées d’oxygène
Ces analyses sont réalisées au Laboratoire National d’Essai (LNE) à
Paris. Elles permettent de mesurer en dynamique la quantité
d’oxygène (O2) entrant ou de dioxyde de carbone (CO2) sortant de
la bouteille au travers du bouchage en place sur la bouteille (obturateur et capsule, bouchon liège et muselet).
Conditions de mesure :
> découpe du goulot fermé par le bouchage à étudier,
> collage du goulot sur une embase métallique connectée à l’appareil
par deux tubulures permettant d’assurer le balayage intérieur par
un gaz vecteur (azote),
1.1.1. Mesures des pertes de dioxyde de carbone
La mesure de la perméabilité globale au dioxyde de carbone du
bouchage sous pression est réalisée selon le principe de détection
conforme à la norme ISO 15105-2, Annexe B (méthode par balayage
avec une détection chromato¬graphique et détection par ionisation
de flamme).
Conditions de mesure :
> mesure sur la bouteille bouchée et contenant le liquide carbonaté
sous pression ;
> introduction du haut de la bouteille dans une coiffe métallique
étanche balayée par un gaz vecteur (hélium) ;
> mesure de la quantité de dioxyde de carbone sortant du bouchage
et entraînée par le gaz vecteur :
- le gaz traverse une boucle d’échantillonnage de volume constant,
- une vanne automatisée permet l’injection de volume dans le circuit
d’un chromatographe en phase gazeuse,
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> mesure de la quantité d'oxygène migrant à travers le bouchage
et entraînée par le gaz vecteur (azote). La détection est de type
coulométrique,
> température : 23° C,
> humidité intérieure : environ 85 % HR,
> humidité extérieure : 50 % HR,
> appareil de mesure : Oxtran 2/20 ou Oxtran 100.
La fidélité de la méthode est de 0,001 cm3/24 heures.
Remarques :
> à noter que ces mesures sont réalisées à pression atmosphérique
(Ie système de bouchage n’est pas mis sous pression),
> ces mesures, généralement réalisées dans l’air (21 % d’oxygène),
peuvent l’être également après saturation de l'atmosphère à l’oxygène,
par adaptation sur le goulot collé d'une coiffe dans laquelle circule
un flux d’oxygène pur.
à 20° C pour s’opposer à la pression interne de la bouteille et transférer l’échantillon de la bouteille vers les sondes.
Avant la mesure, les bouteilles sont conditionnées à 20° C et placées
sur une table agitante pendant 15 à 20 minutes afin d’équilibrer les
concentrations des gaz entre le liquide et l’espace de tête de la bouteille.
La mesure peut être réalisée sur des bouteilles bouchées avec une
capsule couronne ou avec un bouchon liège. Dans ce dernier cas,
un pré-trou est réalisé dans le bouchon à l’aide d’une perceuse munie
d’un foret de 3 mm. La limite de détection de l’O2 dissous est de l’ordre
du µg/L.
1.3. Les méthodes non invasives
1.3.1. La mesure de la pression par laser
1.2. La mesure des gaz dissous dans le vin
Les mesures d’oxygène dissous sont effectuées à l’aide d’un échantillonneur de la société Orbisphère, relié à un Moca 3660 muni de deux
sondes à membrane, l’une de type polarographique pour le dosage
de l’oxygène, l’autre à conductimétrie thermique pour le dosage du
dioxyde de carbone.
Cet appareil destiné initialement à l’industrie brassicole a été modifié
pour pouvoir résister à une contre-pression d’azote supérieure à 8 bars
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Très récemment notre laboratoire vient de faire l’acquisition d’un
aphromètre laser permettant de réaliser une mesure non invasive
de la pression totale dans la bouteille (exprimée en bars absolus
ou 103hPa) et de la concentration de dioxyde de carbone.
Cet appareil (le L-sensor-CO2) effectue la mesure en utilisant
l’absorption de la lumière infrarouge par la molécule du dioxyde
de carbone au niveau de l’espace de tête de la bouteille.
Il ne nécessite pas d’étalonnage préalable et donne une valeur
dans les conditions de température où se trouve la bouteille
au moment de la mesure. Cet appareil donne une excellente
corrélation avec la méthode de référence (aphromètre).
Figure 1 : Comparaison de la mesure de la surpression entre l‘aphromètre de labo et l'appareil de mesure rapide par laser
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L’appareil Orbisphère et le détail des sondes de mesures
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La mesure de l’oxygène en bouteille par chimiluminescence
1.3.2. La mesure de l’oxygène par chimiluminescence
1.3.2.1. Les entrées d’oxygène par le bouchage de tirage
Grâce à une série de bouteilles blanches, équipées de capteurs,
remplies d’eau, dégazées et mises en pression, il est possible
d’observer les cinétiques d’accumulation d’oxygène au sein
de la bouteille, pour différentes capsules munies de joints
de perméabilités différentes.
Les mesures mettent en évidence que les cinétiques d’entrées
d’oxygène suivent les lois de la diffusion. Elles se décomposent en
une première phase (Figure 2) où les entrées d’oxygène sont assez
importantes (phase logarithmique de 15 à 25 jours selon la capsule)
et une seconde phase avec des entrées d’oxygène plus faibles
(phase linéaire).
Sur une durée plus longue de 500 jours, elles montrent, qu’après
la phase logarithmique (non visible sur une échelle de 500 jours),
les entrées d’oxygène restent linéaires dans le temps (Figure 3).
Ces mesures sont parfaitement cohérentes avec les mesures de
flux gazeux réalisées par le LNE (1).
Ces cinétiques nous fournissent une information supplémentaire
qui est l’hétérogénéité entre bouteilles (symbolisée par un segment
de trait encadrant la valeur moyenne). Cette hétérogénéité entre
bouteilles est particulièrement visible pour certaines capsules,
elle semble s’accroître avec le temps.
Le principe est basé sur une technique optique. Le système est
composé d’une sonde émettrice/réceptrice qui émet un flux lumineux
dirigé sur un capteur (appelé pastille ou dot) collé à l’intérieur du
flacon en verre blanc, avant son remplissage.
Ce capteur est constitué d’un polymère fluorescent, c’est-à-dire
qu’il possède la propriété d’absorber l’énergie lumineuse envoyée
par la sonde et la restitue plus ou moins longtemps sous forme de
lumière fluorescente. La mesure est basée sur le fait que le temps
de restitution de la lumière fluorescente est inversement proportionnel à la concentration en oxygène présent à proximité du capteur.
La limite de détection de ces dispositifs est comprise entre 1 µg/L
et 15 µg/L. Le procédé décrit dans un article récent (1) permet
d’effectuer ce type de mesure dans les conditions de la vinification
champenoise, c’est-à-dire sur des bouteilles d’eau, avec 8 bars de
pression à 20° C.
Dans ces conditions, il est possible de mesurer les entrées d’oxygène
lors du bouchage de tirage en fonction de la capsule utilisée.
De la même façon, on peut observer le comportement vis-à-vis de
l’oxygène de différents bouchages d’expédition.
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Aphromètre Laser
Figure 2 : Cinétiques des entrées d'oxygène pour 3 capsules différentes, sur les 50 premiers jours
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rapide (2,2 mg/L/an), ce qui peut avoir un impact significatif pour
des durées de conservation longue avec ce type de bouchon ;
> après 200 à 250 jours, on observe avec tous les bouchons liège
des consommations d’oxygène vraisemblablement dues à la réaction de l’oxygène avec les polyphénols relargués dans l’eau par le
bouchon. L’eau est d’ailleurs colorée sur ces échantillons.
Ces différentes techniques ont été utilisées, depuis une quinzaine
d’années pour les plus anciennes, pour comprendre les échanges
gazeux du tirage jusqu’au bouchage final.
1.3.2.2. Les entrées d’oxygène du bouchage d’expédition
Ces choses sont un peu plus compliquées avec un bouchon rentrant
comme en témoignent les cinétiques observées avec un bouchon
traditionnel (manche aggloméré avec deux rondelles), un bouchon
à base de micro-granulés de liège et un bouchon expérimental,
entièrement synthétique.
Ces cinétiques sont présentées sur la Figure n° 4. Elles permettent
de faire les commentaires suivants :
> un bouchon rentrant, quel qu’il soit, relargue dans le liquide une
fois qu’il reprend sa forme, une quantité d’oxygène qui représente
2 à 3 mg/L. Elle est légèrement inférieure pour un bouchon à base
de micro-granulés de liège et encore plus faible pour le bouchon
synthétique testé ;
> après cette phase de désorption, le passage d’oxygène au travers
du bouchon liège ou du bouchon à base de micro-granulés de
liège se ralentit et devient extrêmement faible. Pour le bouchon
synthétique testé, la vitesse d’entrée d’oxygène est au contraire
2. Les gaz du tirage au dégorgement
2.1. Le tirage
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La mixtion de tirage est un mélange de vin, de sucre (24 g/L)
apporté sous forme d’une liqueur, de levures préalablement cultivées
sous forme d’un levain et d’un adjuvant de remuage. Cet adjuvant
est généralement de la bentonite ou un mélange bentonite-alginate,
Figure 4 : Suivi des entrées d'oxygène après bouchage avec différents types de bouchons d'expédition
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Figure 3 : Suivi des entrées d'oxygène cumulées en bouteilles pour différentes capsules
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Pressions (Bars)
dont le rôle est de faciliter le remuage ultérieur du vin.
Lors du tirage, cette mixtion réalisée en cuve avec agitateur ou par
des pompes doseuses est mise en bouteilles qui sont immédiatement
bouchées par un opercule en polyéthylène (le bidule) et une capsule
couronne en aluminium sertie sur la bague.
L’oxygène présent dans le vin en bouteilles, à l’issue de cette opération
d’embouteillage, peut avoir quatre origines :
> l’oxygène du vin lui-même, suite aux traitements et transferts
qui précèdent son arrivée dans la cuve de mixtion,
> l’oxygène incorporé par l’agitation dans la cuve de mixtion,
notamment en fond de cuve,
> l’oxygène apporté par l’opération de mise en bouteilles elle-même
(circuit, cloche, bec de la tireuse, air de la bouteille, etc.).
> l’oxygène présent dans l’espace de tête compris entre le vin et la
capsule emprisonné lors du bouchage. Le calcul montre que si cet
espace de tête (2,5 cl) est entièrement composé d’air, l’apport au vin
est de plus de 9 mg/L après équilibrage des phases !
De ce fait, la teneur en oxygène des vins embouteillés peut-être
extrêmement variable en fonction de ces différents paramètres.
Un autre facteur peut influer la teneur en oxygène du vin mis en
bouteille, sa teneur en CO2 résiduel. Ce gaz carbonique va contribuer
à chasser l’oxygène du vin et de l’espace de tête lors de la mise en
bouteille, gênant aussi l’ajustement du niveau de vin avant capsulage.
Cette teneur en CO2 est souvent faible, mais nous avons pu mesurer
récemment des teneurs supérieures à 2 g de CO2/L, parfois près de
4 g/L lors du tirage.
On sait depuis longtemps que cette présence de gaz carbonique peut
être très préjudiciable à la prise de mousse, car la teneur en gaz
carbonique limite la croissance levurienne, comme on peut l’observer
sur les Figures 5 et 6.
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: Prise de mousse - Évolution de la pression en fonction de la concentration initiale du vin en gaz carbonique
Figure 6 : Prise de mousse - Évolution de la population levurienne vivante en fonction de la concentration initiale du vin en gaz carbonique
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Les capsules du marché sont à présent caractérisées par cette valeur
d’échanges gazeux, comme évoqué précédemment (Figure 3).
Ces échanges gazeux ont une influence sur la pression mais surtout
sur les caractéristiques sensorielles du champagne.
C’est l’aspect le plus connu de la prise de mousse : consommation
du sucre et de l’oxygène, avec production de gaz carbonique et
d’alcool (environ 1,3 % vol.).
2.2. Le stockage sur lattes
Cette bouteille va ensuite séjourner plusieurs mois, plusieurs
années, plusieurs dizaines d’années parfois en cave, en position
couchée dite sur lattes.
Pendant très longtemps, on a considéré que la bouteille ainsi fermée
était étanche au liquide certes, mais aussi aux gaz. En fait, de
micro-échanges gazeux se produisent entre l’intérieur et l’extérieur
de la bouteille. Les pressions partielles d’oxygène et de gaz carbonique
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tendent en permanence à s’équilibrer avec celles de l’atmosphère
du local de stockage. De très faibles quantités d’oxygène entrent
dans la bouteille pendant que de petites quantités de gaz carbonique
s’en échappent.
La vitesse de ces échanges, donc les volumes de gaz effluents,
dépend de la nature du joint de la capsule, de la régularité des
fournitures (positionnement du bidule, épaisseur du joint de la capsule,
géométrie du col de la bouteille) et de la qualité du sertissage.
La teneur en oxygène dissous du vin, avant prise de mousse, peut
donc varier considérablement d’une bouteille à l’autre au sein d’un
même tirage, d’autant que l’homogénéisation dans la bouteille
après tirage n’est pas toujours suffisante pour équilibrer les teneurs
en oxygène entre le vin et l’espace de tête. La teneur en oxygène
dissous dans le vin peut ainsi varier de 2 à 7 mg/L, soit environ 4
à 14 mg/L avec l’apport d’O2 contenu dans l’espace de tête.
Lors de la prise de mousse, cet oxygène est entièrement consommé
par les levures. Cette consommation s’effectue en deux temps
(Figures 7), très rapidement pour l’oxygène dissous dans le vin puis
ensuite plus lentement, au fur et à mesure de la diffusion dans le
vin de l’oxygène provenant de la bulle.
À l’issue de la prise de mousse, toutes les bouteilles renferment une
teneur en oxygène très proche de 0 et leur concentration en gaz
carbonique est voisine de 12 g/L, soit 8 bars à 20° C.
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Figure 7 : Évolution de la teneur en oxygène de la phase liquide et gazeuse au cours de la prise de mousse à 20 °C
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Figure 8 : Pertes de pression en fonction de la capsule après 7 ans sur lattes
2.2.1. Les pertes de pression
Sur la Figure 8 sont représentées les valeurs moyennes de pression,
après 7 ans sur lattes, de bouteilles tirées à partir de la même mixtion,
mais avec des capsules différentes.
Les capsules sont caractérisées par leurs valeurs de pertes en CO2
respectivement 0,10 – 0,25 – 0,38 et 0,56 cm3/24 heures.
Après 7 ans de bouchage, l’écart est de plus de 2 bars entre la capsule la moins perméable et celle la plus perméable de la série.
Par le calcul, en considérant qu’une fuite de 1 cm3/24 heures représente environ 0,9 g de CO2/L/an, soit une perte de pression d’environ 0,6 bar à 20° C par an, on retrouve logiquement ces écarts.
2.2.2. Évolution sensorielle des vins
Les entrées d’oxygène, mesurées par chimiluminescence sur des
bouteilles de 75 cl, représentent un apport au vin de l’ordre de
0,15 mg/L/an pour les capsules les plus “fermées” (0,1 cm3 de
CO2/24 heures) à 1,8 mg/L/an d’O2 pour les plus “ouvertes”
(0,7 cm3 de CO2/24 heures) du marché.
En cumulé sur plusieurs années, les vins peuvent ainsi recevoir des
quantités faibles d’oxygène : 1,5 mg/L en 10 ans pour les capsules
les moins perméables mais jusqu’à 18 mg/L pour les capsules très
perméables.
De nombreuses expérimentations ont été réalisées depuis 20 ans
sur ce sujet. Elles montrent qu’effectivement le profil sensoriel des
vins, au cours de leur séjour sur lattes, est majoritairement influencé
par ces entrées d’oxygène (2).
En effet dans cette position sur lattes, bouteille couchée, l’oxygène
qui rentre est consommé par le vin et non par les levures car celles-ci
ne peuvent avoir accès à l’oxygène. Sa diffusion est trop lente pour
parvenir jusqu’à elles, il est consommé avant par le vin.
Nous n’avons pas de preuve mesurable de cette affirmation mais
une preuve indirecte : si les levures consommaient l’oxygène, il n’y
aurait pas d’effet capsule perceptible par la dégustation. Les choses
sont différentes quand la bouteille est mise sur pointe, dans ce cas
l’oxygène rentrant est directement en contact avec les levures.
Les résultats en dégustation sont en fait très spectaculaires au bout
de 3 à 5 ans, et surtout au-delà (Figure 9). Les vins ont des profils
radicalement différents, avec des notes réduites, soufrées pour les
capsules les plus fermées et à l’inverse des notes très oxydées
(fruits cuits, noix, gelée de coing) avec des capsules très ouvertes.
Certains vins paraissent même passés, usés, avec ce type de capsules ouvertes après seulement une dizaine d’années.
La capsule est donc devenue un choix essentiel pour maîtriser
l’évolution d’un champagne au cours de son vieillissement sur lattes
et garantir la régularité entre les bouteilles d’un même lot, à condition
bien sûr de maîtriser la régularité du sertissage.
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Figure 9 : Profils sensoriels d’un même champagne
à différents stades de vieillissement sur lattes,
en fonction de la capsule utilisée
2.3. Le bouchage liège au tirage
Un petit aparté sur les tirages avec un bouchon liège au lieu d’une
capsule, comme cela se faisait avant 1960 et qui semble revenir en
vogue.
Nous étions surpris il y a encore quelques mois que les vins bouchés
liège au tirage vieillissent moins vite qu’avec certaines capsules.
En fait, le comportement d’un bouchon n’a rien à voir avec celui
d’une capsule. Les bouchons laissent plus passer le gaz carbonique
que la plupart des capsules (en moyenne 0,8 cm3 par 24 heures)
mais ont un comportement différent vis-à-vis de l’oxygène.
Ils relarguent dans le vin, nous l’avons vu précédemment (Figure 4),
environ 3 mg/L d’oxygène puis ensuite ne laissent entrer que de très
faibles quantités d’oxygène.
Pour ceux qui seraient sceptiques sur cette désorption, nous avons
bouché une bouteille avec un bouchon liège, puis coupé ce bouchon
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2.4. Le dégorgement-dosage
Dernière opération qui contribue à modifier le contenu gazeux
d’un champagne, l’étape de dégorgement et de dosage.
Lors du dégorgement, les bouteilles sont ouvertes pour évacuer
le dépôt rassemblé dans le col. La bouteille reste ouverte quelques
secondes à plusieurs dizaines de secondes pour les chaînes avec
un long convoyeur.
La perte en CO2 est significative mais pas très importante, elle
équivaut, en moyenne, à un demi-kilo de pression. Elle a donc peu
d’impact sur le produit, du moins quand sa pression est encore
suffisante avant dégorgement.
L’effet de l’oxygène est aussi à cette étape plus influant sur la qualité
du champagne.
Nous avons montré que selon le temps d’ouverture entre remise
à niveau et bouchage, selon le principe de remise à niveau, selon
le dégazage propre à chaque bouteille, les teneurs mini et maxi
en O2 mesuré, sont extrêmement variables en bouteilles (3).
2.5. Le bouchage d’expédition
Dernière étape le bouchage puis la conservation du champagne
sous liège jusqu’au consommateur.
Le bouchage liège à un comportement très différent de celui d’une
capsule. Comme évoqué précédemment, au cours des cinquante
jours suivant le bouchage, le bouchon liège traditionnel (aggloméré
avec 2 rondelles) relargue 3 mg/L d’oxygène, plutôt 2 mg/L pour les
bouchons à base de farine de liège.
Cette teneur est assez constante pour un lot de bouchons donné,
elle n’amène donc pas d’hétérogénéité entre bouteilles, mais elle
s’additionne à l’oxygène entré lors du dégorgement. De ce fait, l’apport
d’une dizaine de mg/L de SO2 se justifie, même après jetting.
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Elles fluctuent entre 0,7 et 5 mg/L à l’équilibre des phases, ce qui en
fait représente de 1,2 à 8,5 mg/L disponibles pour le vin avec l’apport
de l’espace de tête.
Par l’intermédiaire de la liqueur, on ajoute généralement 15 à 25
mg/L de SO2 pour limiter ce choc oxydatif. Mais l’effet escompté
est différent d’une bouteille à l’autre car, pour une même dose de SO2,
le vin peut recevoir une dose d’oxygène qui varie de 1 à 7. Le dégorgement est de ce point de vue une source majeure d’hétérogénéité
entre bouteilles d’un même lot.
Dans la mesure où cet oxygène provient exclusivement de l’air qui
entre dans l’espace de tête au cours des opérations de dégorgement,
il peut être aisément éliminé par le jetting (4) effectué juste avant
bouchage et qui permet de ramener la teneur en oxygène à une
valeur inférieure à 1 mg/L, évitant ainsi l’hétérogénéité entre bouteilles.
L’apport de SO2 peut alors être revu à la baisse.
au ras de la bague et mis une capsule. Dans ce cas, il y a en fait plus
d’oxygène dans le vin car l’oxygène contenu dans le liège ne peut
plus s’échapper par le haut (Figure 10), il se retrouve intégralement
dans le vin. Revenons au tirage, les 3 mg/L d’oxygène apportés
par le bouchon au tirage sont dans ce cas sans effet sur le vin,
car consommés par les levures lors de la prise de mousse. Ensuite
les échanges sont très faibles, d’où une évolution plus lente du vin.
Les choses sont en réalité un peu plus compliquées par le fait que le
liège est un matériau hétérogène et qui n’est pas neutre, il relargue
aussi dans le vin des composés aromatiques qui contribuent
aux arômes du vin. Ces mêmes composés participent également
aux réactions d’oxydoréduction, qui ont lieu dans le vin au cours
du vieillissement.
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Figure 10 : Suivi des entrées d'oxygène après bouchage (bouchon et bouchon coupé + capsule)
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Figure 11 : Pertes en CO2/cm3/24 heures du bouchage liège
Les apports d’oxygène via le bouchon sont ensuite extrêmement
faibles expliquant la bonne conservation des vieux champagnes
dosés et bouchés liège, même si l’apport aromatique dû au liège,
nuit à la régularité entre bouteilles.
Paradoxalement, le bouchon qui laisse peu pénétrer d’oxygène laisse
plus sortir de gaz carbonique qu’une capsule. La fuite est de l’ordre
de 0,8 cm3/24 heures, elle est supérieure à celles des capsules les plus
perméables du marché.
Cette fuite représente environ 0,5 bar/an, les mesures montrent qu’elle
est constante au moins pendant deux ans (Figure 11).
Des mesures en cours avec l’Aphromètre Laser sont en cours pour
estimer le comportement du bouchon sur le plus long terme.
Références bibliographiques
(1) D. Bunner, A. Landrieux, M. Valade, 2010.
Pôle Technique et Environnement du CIVC.
La mesure de l’oxygène dans les bouteilles par chimiluminescence.
Le Vigneron Champenois, 1, p. 85-102.
(2) M. Valade, I. Tribaut-Sohier, D. Bunner, C. Pierlot, D. Moncomble,
D. Tusseau et le laboratoire d’analyses du Pôle Technique et
Environnement du CIVC.
Les apports d’oxygène en vinification et leurs impacts sur les vins.
Le cas particulier du champagne.
1ère partie - Article technique RFŒ n° 221, p. 1-6
2ème partie - Article technique RFŒ n° 222, p. 17-28
Conclusion
Les micro-échanges gazeux qui se produisent au cours de l’élaboration
du champagne conditionnent largement sa qualité et sans maîtrise,
peuvent contribuer à l’hétérogénéité des bouteilles d’un même lot.
Ces aspects sont un peu la face cachée des champagnes, nos collègues
vont nous faire découvrir sa face publique avec l’effervescence et la
mousse.
(3) D. Bunner, I. Tribaut-Sohier, M. Valade, J.-M. Rouchaussé,
D. Tusseau, D. Moncomble, 2008. Pôle Technique et Environnement
du CIVC.
Oxygène et homogénéité des vins au dégorgement.
Le Vigneron Champenois, 4, p. 40-63
(4) D. Bunner, I. Tribaut-Sohier, M. Valade, J.-M. Rouchaussé,
D. Tusseau, D. Moncomble, 2008. Pôle Technique et Environnement
du CIVC.
Inertage au dégorgement.
Le Vigneron Champenois, 6, p. 36-54
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