Une production artisanale : la Brasserie de la Somme

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Une production artisanale : la Brasserie de la Somme
QUARANTE SIXIÈMES JOURNÉES DE L’APHG DE PICARDIE - DOULLENS
UNE PRODUCTION ARTISANALE : LA BRASSERIE DE LA SOMME
7 route de Berneuil à Domart en Ponthieu
Atelier du mercredi 17 avril 2012
Lorsque la visite d’une brasserie de bière permet de brasser intimement
l’histoire et la géographie :
l’histoire avec la renaissance d’un patrimoine artisanal et familial, la géographie
avec la création d’un produit qui puise son identité et ses saveurs dans le terroir
picard dans le respect des normes environnementales.
Le géographe Jean Pierre Renard a mis en évidence le dynamisme des espaces frontaliers entre le
nord de la France et la Belgique. Ce dynamisme s’explique par un différentiel économique et culturel. Les
Français franchissent la frontière non seulement pour leur travail mais ils prennent une habitude touristique de
commerce. Ainsi, ils sont attirés par les « supermarchés de la bière » qui se trouvent de « l’autre côté ». Or à
Domart en Ponthieu, si l’on fabrique de la bière, il n’est point question de supermarché…
I. LA « BRASSERIE DE LA SOMME » ENTRE DANS L’HISTOIRE DE LA BIÈRE
>> Un site, une histoire :
À Domart, dans le Ponthieu, au nord-ouest
d’Amiens et à 20 km de la Baie de Somme,
Monsieur François Marié a décidé avec son épouse
de redonner vie à la brasserie familiale.
La Brasserie se trouve au fin fond de la vallée de
la Domart, un petit affluent de la Somme. Elle est
installée dans de magnifiques bâtiments agricoles
datant du XVIIIème siècle.
Ce sont les propriétaires, « brasseurs, artisans » qui
assurent avec passion la visite.
>> Un écrin exceptionnel…
> Les murs de la brasserie surprennent par leur
appareillage. Une pierre blanche et friable alterne
avec des rangées de briques rouges qui solidifient
l’ensemble.
> La cour est rectangulaire et en son centre, une
allée de jeunes tilleuls palissés en espaliers mènent
à la demeure privée. Un tel ensemble témoigne d’un
passé agricole et artisanal actif et prospère.
> Ces bâtiments ont de tout temps abrité
d’immenses barriques comme en attestent les
caves voûtées. Mais les activités ont varié.
L’ancienne brasserie fut reconvertie en ferme pour
la polyculture avant de redevenir à nouveau une
brasserie.
Entrée de la « Brasserie de la Somme »
Accueil et boutique
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>> Une petite histoire de la bière…
. Les premières traces de cette boisson remontent aux Egyptiens. Un morceau de pain fermenté, de
l’eau et voilà un nouveau breuvage.
. Au Moyen Âge, dans les abbayes du nord de l’Europe, les moines relancent et perfectionnent la
bière. Ils imposent le houblon. Cette plante garantit une meilleure conservation et a un rôle de
purification.
Au XVIIIème siècle, dans les campagnes on boit de la « frênette », boisson fermentée et alcoolisée à
laquelle on prête des vertus antiseptiques. Elle devient un moyen de supporter l’insalubrité de l’eau. Le
cidre s’impose ensuite ainsi que les boissons à base de raisins.
> « La belle période de la bière »
Au XIXème siècle, les brasseurs ambulants viennent dans les fermes brasser la bière qui est stockée
dans des tonneaux. Pour des raisons sanitaires, le stockage est vite interdit. S’ouvrent alors les
premières grandes brasseries qui ont le « monopole » de sa fabrication. Leurs procédés industriels de
fermentation sont plus stables et contrôlables. C’est la belle période des brasseries, petites ou grandes.
À Domart en Ponthieu, on compte alors deux établissements, dans la Somme plus d’une centaine.
Dans le nord de la France et le Pas de Calais plus de 2000 brasseries sont déclarées.
> Victime du progrès…
Cet essor connaît un coup d’arrêt avec Louis Pasteur. En entamant ses recherches sur la putréfaction de
la matière, il identifie des centaines de levures. En fonction de la température, elles fermentent et se
reproduisent.
À la même époque, l’industriel Karlsberg met au point une « fermentation basse température » qui
permet la production de bières industrielles de qualité supérieure à celles produites de façon artisanale
par les micro brasseries.
La Première Guerre mondiale freine la production. La « guerre totale » exige la réquisition du cuivre qui
constitue 90 % des matériaux des brasseurs.
À partir des années 1920, l’activité brassicole renaît et s’organise autour de grands groupes qui
monopolisent la commercialisation.
> Le renouveau des brasseries
En faisant un bond dans le temps…À partir des années 1980, aux Etats-Unis et au Canada, s’ouvrent
des micro brasseries. On assiste à un renouveau de la bière. Ce mouvement touche la Grande Bretagne
dix ans plus tard et à partir des années 2000, la France est à son tour concernée. Des petites brasseries
lancent de nouveaux produits : des bières parfumées grâce à de nouveaux assemblages de céréales.
Une nouvelle offre pour relancer la consommation. La Brasserie de Domart renaît alors de son passé.
> Le renouveau de la Brasserie de Domart en Ponthieu
L’actuel propriétaire n’est pas tombé dans un fût de bière par hasard. Il est issu d’une famille
d’agriculteurs qui au XVIIIème siècle était une famille de brasseurs. C’est en effectuant des travaux dans
le grenier, qu’il a découvert les livres de compte de l’ancienne brasserie et « l’amour de la bière aidant »
il a sauvegardé cet héritage familial.
>> Le travail d’historien de M. Marié
> Les sources les plus anciennes : des livres de comptes, des factures, des plans dressés par Pierre
Leroy en 1920-1921, quelques cartes postales montrant le système hydraulique et les ouvriers posant
devant les bâtisses.
L’activité brassicole aurait commencé en 1730. À cette date, l’activité ne dépasse pas le canton mais
semble volumineuse. On boit beaucoup dans les campagnes ! Sur une lettre, le curé se plaint de ne pas
avoir reçu toutes «ses pièces de bière ». D’après les archives, les bâtiments seraient datés de 1820. En
1847, une facture mentionne l’achat de briques pour la construction de la maison, des bâtiments
d’élevage et de la brasserie. La ferme est exploitée par un métayer placé par des hommes d’affaires de
Paris ou de Normandie qui investissent dans le foncier : Ils achètent des fermes pour les redresser et les
embellir.
En1880, la production de la bière s’arrête. Les bâtisses sont transformées. On passe à la polyculture et à
l’élevage.
Au XXème siècle, l’activité agricole reprend mais la pénurie de main d’oeuvre locale débauchée par les
industries textiles « Saint Frères » pousse le grand père à recruter lui-même en Espagne des travailleurs
«immigrés ». Ainsi, la Picardie est-elle « terre de migrations » et de « brassage » de populations.
Dans les années 1970, au nom de la mécanisation agricole on casse les murs « historiques » pour
rentrer les tracteurs. Trente ans plus tard, ces mêmes murs remontés par F. Marié abritent désormais
les secrets de fabrication de bières aux noms enchanteurs.
2
II. LE PROCESS DE FABRICATION :
DES SECRETS DU PASSÉ AUX NORMES ENVIRONNEMENTALES
>> Pour faire une bière, il faut du houblon, de l’eau, de l’orge et un savoir faire…
> Une adaptation aux normes environnementales et agroalimentaires…
Monsieur Marié a eu à cœur de restaurer le patrimoine historique de la famille mais a su
également s’adapter aux exigences agronomiques actuelles. D’agriculteur, puis d’historien de son
patrimoine il est devenu biologiste et chimiste par sa maîtrise du procédé de fabrication de la bière.
Il a suivi une formation à l’Institut agricole de Lille avec des cours de biochimie et de brassage.
Son épouse qui s’était lancée dans la production de plantes vivaces ornementales en culture
biologique, a reconverti l’exploitation. Pour des raisons liées au foncier, elle a abandonné la
polyculture pour se consacrer et se spécialiser dans la production du houblon.
> Orge et houblon … une opportunité picarde
> La culture du houblon nécessite un sol humide. M. Marié insiste sur le fait que grâce à l’humidité,
la plante a un cycle végétatif assez autonome pour lui éviter les apports chimiques.
- Le houblon est une plante vivace, grimpante sur rame. La récolte est effectuée une fois par an, à
la main à l’aide d’un petit banc spécialement conçu.
> La Brasserie de la Somme n’est donc pas là par hasard et elle a la chance de s’approvisionner
sur trois types d’espaces géographiques aux qualités bien définies : les grandes houblonnières de
la vallée de la Somme, les houblonnières de Doullens et la cueillette du houblon sauvage dans des
endroits bien précis mais… confidentiels.
> Le problème de l’eau : une préoccupation environnementale et gustative…
> L’eau est une des composantes les plus importantes de la fabrication de la bière.
Dans la fabrication artisanale, entre trois et six litres d’eau sont nécessaires pour obtenir un litre de
boisson. Il faut beaucoup d’eau pour éliminer les bactéries et refroidir la bière.
- M. Marié attache une attention particulière à la qualité de l’eau : plus qu’une attention, une
préoccupation ! Les intrants phytosanitaires utilisés dans l’agriculture intensive comme les
insecticides et les désherbants interdisent de pomper directement dans les nappes. Il faut donc
s’approvisionner au robinet et surveiller la qualité. Il utilise une eau d’un PH légèrement acide qu’il
ne modifie pas et, qu’il estime justement propice aux saveurs recherchées. Ce n’est pas le cas des
grands groupes qui corrigent le goût de leur eau.
- M. Marié souhaiterait évidemment que les usages de l’eau soient plus respectueux des critères
biologiques…
> À la recherche de céréales de proximité
- Une partie de l’orge est cultivée à Domart en Ponthieu. Les achats de houblons, de malt et de
céréales pourraient être effectués en Belgique, pays frontalier et plus que spécialisé dans ces
matières premières. Mais l’approvisionnement est réalisé, par choix, en France et dans un rayon
kilométrique plus limité. Les houblons sont achetés à la « Coopérative des Houblons du Nord » des
Flandres françaises. Les brasseurs se regroupent pour maintenir l’activité de cette dernière même
si les prix sont plus élevés.
3
> Un savoir faire : entre secrets et contraintes …
> Ateliers de la brasserie
C’est dans l’aile droite de la ferme, aux murs
restaurés que prend place toute l’installation de la
brasserie.
La fabrication de la bière se déroule en quatre
grandes étapes effectuées par M. Marié lui-même.
Aile droite abritant les ateliers de brassage
Cuve pour la malterie
Recettes et secrets….
APPORT EN EAU
MALTAGE
SACCARIFICATION
HOUBLONNAGE
FERMENTATION
GARDE
1. Après une torréfaction, la première étape
commence par le maltage. Cette opération
consiste à transformer le malt pour en obtenir de
l’alcool. Le maltage se décompose en quatre
étapes, le trempage, la germination qui produit
des enzymes puis le touraillage qui consiste à
chauffer le malt, à lui donner « le coup de feu ».
Cette opération donne à la bière sa couleur
blonde ou
brune. Ici interviennent les
assemblages propres au brasseur.
2. La deuxième étape : la saccharification
transforme les sucres, les amidons.
3. Le houblonnage : Là, le savoir faire et le
livre de recettes de la famille font la différence.
Tout n’est pas écrit. Notre brasseur garde secret
ses assemblages. On y incorpore le houblon et
surtout les épices ou parfums. À ce stade, la
lupuline qui se dégage du houblon procure toute
l’acidité à la boisson.
Mais le cahier des charges que s’impose notre
brasseur picard est très strict : ni adjuvants, ni
colorants afin de garder les saveurs des matières
naturelles.
4. La fermentation : certainement l’opération
la plus délicate. On y ajoute la levure. Les cuves
doivent être strictement désinfectées et la
température surveillée pour une « fermentation
haute ». Les bières obtenues sont dites
« spéciales et artisanales » : elles sont non filtrées
et non pasteurisées. Ce procédé développe les
arômes particuliers qui finissent de s’épanouir en
bouteille.
>> Le process de fabrication dure environ 1 mois
et demi pour une quantité de 3000 litres. En cas
de problèmes, c’est tout de travail qui est à
refaire…un mois et demi plus tard…
>> L’embouteillage se fait sur place, à la main
dans des bouteilles en verre marron afin
d’atténuer les effets de la lumière et de permettre
sa conservation sur plus de 2 ans….tout ceci est à
boire bien sûr avec modération.
EMBOUTEILLAGE
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III. LA BRASSERIE DE LA SOMME :
UN EXEMPLE DE DÉVELOPPEMENT DURABLE EN PICARDIE
>> Une production qui s’inscrit dans le développement durable et dans de
nouveaux partenariats…
Le développement durable
1. Une production BIO. :
Du champ de houblon à la mise en bouteille en passant par l’approvisionnement en eau et en
céréales, tout s’opère dans le cadre d’une agriculture et d’une production agroalimentaire
respectueuses de l’environnement et du consommateur.
Au bout de la chaîne de fabrication, l’embouteillage semi-automatique poursuit ce même
objectif. Les étiquettes ne sont plus conçues à plusieurs kilomètres de là. Elles sont dorénavant
imprimées sur place, sur un support végétal à base de soja.
2. Le choix de techniques économes et de la proximité :
Pour créer des « bières à façon », c’est à dire des bières aux parfums particuliers destinées à
la clientèle d’un restaurant ou d’une boutique par exemple, M. Marié effectue des « brassins
d’essai » dans sa « nano brasserie ». Cela lui permet de brasser de faibles quantités, ne
dépassant pas 50 litres pour obtenir des échantillons. En cas d’échec, les quantités perdues sont
ainsi minimisées.
Les centres d’approvisionnement n’excèdent pas la région Nord-Pas-de-Calais. Les livraisons
des petites bouteilles s’effectuent principalement en Picardie. Elles sont écoulées grâce à un
réseau de distribution, de connaissances, d’épiceries et de restaurateurs.
3. Des retombées économiques et sociales :
L’engouement de la clientèle picarde pour les bières artisanales permet de consolider
l’entreprise, de pérenniser les emplois de quatre salariés et de créer un poste supplémentaire.
Un produit qui valorise le terroir picard … « Made in Picardie »
François Marié relit le livre secret des recettes de ses grands parents mais il s’est révélé en
créant de nouvelles saveurs aux noms bien significatifs, qui valorisent les produits locaux : « La
bière à la Salicorne » ainsi que celle à « l’argousier » rendent hommage à la baie de Somme.
L’histoire n’est pas oubliée : une bière au sirop d’érable du Canada est créée pour la ville d’Albert
en commémoration de la Première Guerre mondiale.
De nouveaux moyens et de nouveaux acteurs…
> La communication et la commercialisation sont aussi importantes que la production. Elles
incombent à Marie-Laure Marié qui se charge se faire connaître ses produits. La « Brasserie de la
Somme » organise des visites et des dégustations, des soirées à thèmes où les visiteurs peuvent
se restaurer avec un « sac pique-nique fermier » contenant des « Produits de la Ferme ».
Récemment, la brasserie a obtenu les Labels de « Bienvenue à la Ferme », de « Terroirs de
Picardie ».
> Pour continuer à s’équiper en matériels, l’entreprise a obtenu l’aide d’ OSEO Innovation.
>> En février 2012, c’est à Domart en Ponthieu que se sont réunis cinq brasseurs de la
Picardie. Ainsi, les brasseries de l’Oise, de l’Aisne et de la Somme ont gommé les
frontières départementales de notre région.
Nous remercions chaleureusement les brasseurs de la « Brasserie de la Somme » pour
leur accueil.
L.V
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