dossier d`accompagnement - Association des théâtres francophones
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dossier d`accompagnement - Association des théâtres francophones
© Sylvain Sabatié de Marcel Dubé DOSSIER D'ACCOMPAGNEMENT www.theatrefrancais.com www.catapulte.ca TABLE DES MATIÈRES Mot à l’intention des enseignants ! « Pourquoi Zone ? » mot d'Antoine Côté Legault, auteur du dossier d'accompagnement.............................p. 3 Pour une préparation rapide et efficace ! Vous manquez de temps ? Quelques pistes pour préparer rapidement vos élèves à la pièce Zone…..p. 4 Équipe de création................................................................................................................p. 5 Les deux compagnies productrices..................................................................................p. 6 Mot des directeurs artistiques « La Magie du théâtre », mot de Guy Mignault, directeur artistique du Théâtre français de Toronto……………..p. 7 Mot de Jean Stéphane Roy, metteur en scène de Zone et directeur artistique du Théâtre la Catapulte……….…….p. 8 L'AUTEUR – MARCEL DUBÉ Un Enfant de la crise......................................................................................................p. 9 L'Œuvre de Marcel Dubé.........................................................................................p. 10-11 LA PIÈCE – ZONE Résumé..........................................................................................................................p. 11 Les Personnages............................................................................................................p. 11 Zone dans l'histoire du théâtre d'ici Une pièce à la base de notre tradition théâtrale...........................................................p. 12 Les Thèmes La Jeunesse révoltée...............................................................................................p. 13 La Bande..................................................................................................................p. 13 La Religion catholique............................................................................................p. 14 Entre moralité et légalité.........................................................................................p. 14 LA FORME - LE MÉLODRAME........................................................................................p. 16 Les Caractéristiques du mélodrame.........................................................................p 16-17 Le Mélodrame dans Zone.......................................................................................p. 17-18 Le Cinéma, descendant contemporain du mélodrame................................................p. 18 PROPOSITIONS D'ACTIVITÉS À faire avant la représentation !...................................................................................p. 19 À faire après la représentation !.............................................................................p. 19-20 Bibliographie sélective......................................................................................................p. 21 -2- MOT À L'INTENTION DES ENSEIGNANTS « Pourquoi Zone ? » Zone de Marcel Dubé a près de 60 ans, Dubé l'a terminée à 23 ans à peine, il a d'ailleurs écrit plus d'une vingtaine d'autres pièces qu'on aurait tout aussi bien pu monter. Pourquoi Zone alors ? Pourquoi Zone aujourd'hui d'ailleurs ? En quoi s'agit-il d'une pièce importante du répertoire d'ici ? Avant toute chose, il faut préciser que la création de ce texte de Marcel Dubé constitue le troisième des cinq spectacles du Projet sur cinq ans*, mené conjointement par le Théâtre français de Toronto et le Théâtre la Catapulte. À l'occasion de ce projet, les deux compagnies travaillent en collaboration afin d'exposer les spectateurs à certains classiques de notre tradition théâtrale. Cette série de spectacles accessibles, destinés à visiter les grands centres et les régions éloignées (où on a malheureusement rarement accès au théâtre professionnel) a été amorcée par Les Médecins de Molière (saison 2009-2010) et Les Fridolinades de Gratien Gélinas (saison 2010-2011). Zone, comme ces deux œuvres, constitue une pièce accessible, extrêmement riche, encore très pertinente aujourd'hui et d'une importance déterminante dans l'histoire du théâtre d'ici. À sa création originale en 1953, Marcel Dubé et sa troupe, la Jeune Scène, remportent tous les honneurs au Festival Dramatique de l'Ouest du Québec, avant de remporter le grand prix national à Victoria. C'est dire tout l'impact que la pièce avait déjà à l'époque. Zone a connu depuis quelques reprises dans les théâtres professionnels, à la Nouvelle Compagnie Théâtrale (maintenant Théâtre Denise-Pelletier) notamment, en 1976-1977, mais il s'agit surtout d'une des pièces les plus jouées par les troupes scolaires. Cela va de soi puisque les étudiants de toutes les époques peuvent se reconnaître dans les jeunes personnages de la bande de Zone, qui ont d'ailleurs été créés par un auteur qui sortait à peine de l'adolescence. Tout comme moi, nombreux sont les jeunes et les moins jeunes qui ont lu cette pièce à l'occasion d'un cours de français du secondaire ou du Cégep. Au moment de relire Zone, je me souvenais avoir aimé ma première rencontre avec Dubé. Aujourd'hui, à la relecture, je suis frappé de toute la richesse que renferme cette pièce. Zone, c'est la révolte d'une bande de jeunes qui rêvent de refaire le monde, c'est la quête de libération du peuple canadien-français alors qu'il est encore soumis à un contexte social et politique écrasant, c'est aussi la quête de chacun d'entre nous pour trouver notre place dans le monde. Il me fait grand plaisir de vous présenter l'un des textes qui se trouve à la base de notre tradition théâtrale, un texte qui arrive à nous toucher par sa grande simplicité, sans pourtant être simpliste. Merci de l'intérêt que vous portez à ce dossier d'accompagnement, j'espère qu'il vous sera utile pour préparer vos étudiants à leur sortie au théâtre. Pour ce faire, vous êtes aussi invités à consulter le guide du bon spectateur, qui se trouve dans l'onglet « Enseignants », rubrique « Zone », de notre site internet (www.catapulte.ca). Antoine Côté Legault *Pour plus d'informations sur le projet sur cinq ans, vous pouvez consulter le site internet du Théâtre la Catapulte, onglet « La Catapulte », rubrique « Le projet sur 5 ans », au www.catapulte.ca -3- POUR UNE PRÉPARATION RAPIDE ET EFFICACE ! Vous manquez de temps ? Quelques pistes proposées pour préparer rapidement vos élèves à la pièce Zone. 1. Présentez brièvement la pièce Zone et les personnages qui la composent (p.11). 2. Présentez l'auteur de la pièce, Marcel Dubé, aux étudiants et faites une comparaison du milieu dans lequel il a vécu et du contexte social actuel. En quoi se ressemblent-ils ? En quoi s'opposent-ils ? (p. 9). 3. Si le temps vous le permet, choisissez quelques activités à faire avec vos étudiants parmi la liste proposée en fin de dossier. Certaines peuvent être faites avant, d'autres après avoir vu la pièce (p. 20-21). -4- ÉQUIPE DE CRÉATION Équipe de production TEXTE MISE EN SCÈNE DRAMATURG SCÉNOGRAPHIE ET ACCESSOIRES ÉCLAIRAGES COSTUMES ENVIRONNEMENT SONORE RÉGIE et ASSISTANCE À LA MISE EN SCÈNE DIRECTION DE PRODUCTION Marcel Dubé Jean Stéphane Roy Antoine Côté Legault Dominic Manca Guillaume Houët Nina Okens Jean-Michel Ouimet Alain Lauzon Lindsay Tremblay Distribution TARZAN CIBOULETTE PASSE-PARTOUT TIT-NOIR MOINEAU LE CHEF Nicolas Desfossés Frédérique Thérien Maxime Lavoie Jean-Simon Traversy Dave Jenniss Richard J. Léger Théâtre français de Toronto GUY MIGNAULT GHISLAIN CARON GENEVIÈVE TRILLING CHLOÉ COVES DENYSE DUFOUR THOMAS GALLEZOT DOMINIC MANCA JOSÉE DURANLEAU ROBERT GODIN GUNTA DREIFIELDS NINA OKENS Directeur artistique Directeur administratif et de financement Responsable du financement privé Adjointe à la direction, responsable du marketing et des communications Responsable des relations avec le public et des dons individuels Agent de développement du public Directeur de production Attachée de presse Animateur et télémarketeur Responsable des surtitres Responsable de l'atelier de costumes Théâtre la Catapulte JEAN STÉPHANE ROY SIBYLLE BERGER SANDRINE VRILLIARD LINDSAY TREMBLAY SYLVAIN SABATIÉ Directeur artistique Directrice administrative Agente de vente et de développement de public Agente de production et de tournée Agent de communication et de mise en marché Les biographies et les photos des artistes sont disponibles dans la rubrique « média » au www.catapulte.ca -5- LES DEUX COMPAGNIES PRODUCTRICES Le Théâtre français de Toronto En quarante-quatre ans d’existence, le Théâtre français de Toronto (TfT) est devenu un des plus importants théâtres de langue française hors Québec avec près de 240 productions à son actif. Aujourd’hui le TfT accueille chaque saison plus de 10 000 spectateurs venus de toute la région métropolitaine et du sud-ouest de l’Ontario et il compte près de mille abonnés. La saison du TfT comporte cinq spectacles grand public, deux spectacles pour adolescents et un spectacle pour enfants. Le TfT joue au Berkeley Street Theatre depuis 1990. Il offre à son public francophone et francophile un répertoire varié qui comprend créations, œuvres canadiennes, internationales et grands classiques. Ses productions partent régulièrement en tournée à travers l’Ontario et tout le Canada. Le TfT a été fondé en 1967 sous le nom de Théâtre du P’tit Bonheur, titre de sa première production. Dès 1970, sous la direction de John Van Burek, le TfT entreprend une fidèle association avec Michel Tremblay. Lors de son 20e anniversaire, la compagnie devient le Théâtre français de Toronto et en 1992-1993, sous la direction de Diana Leblanc, elle connaît une saison record avec huit mises en nomination aux prix Doras. À l’occasion de la 30 e saison du TfT, Guy Mignault prend la relève comme directeur artistique. Depuis, le TfT a relancé sa programmation pour enfants et créé un programme d’auteur en résidence. La première création musicale de Guy Mignault, C’était un p’tit Bonheur remporte un prix Dora en 1998. Le Théâtre la Catapulte Fondé par un groupe de jeunes artistes sous la direction de Patrick Leroux en 1992 à Ottawa, le Théâtre la Catapulte est aujourd'hui perçu comme une des forces artistiques les plus importantes du Grand Outaouais et du Canada français. Il s'est mérité de très nombreux prix locaux, provinciaux et nationaux au cours des dernières années. De 1998 à 2010, Joël Beddows en a assumé la direction artistique. Les occasions de recherche scénique et les laboratoires dramaturgiques n'ont cessé de se multiplier durant son mandat. Au printemps 1999, le Théâtre la Catapulte et trois autres compagnies ont ouvert les portes de leur salle de diffusion, La Nouvelle Scène, salle dont elle est toujours l’une des compagnies résidentes. En juillet 2010, Jean Stéphane Roy, metteur en scène, comédien et pédagogue (entre autres...), récipiendaire du Masque de la production Franco-canadienne en 2000, 2006 et 2007, a remplacé Joël Beddows à la direction artistique. -6- MOT DES DIRECTEURS ARTISTIQUES « La Magie du théâtre » mot de Guy Mignault, directeur artistique du Théâtre français de Toronto Il y a plus de 40 ans, j’étudiais au Conservatoire d’art dramatique de Montréal, où j’ai travaillé le personnage de Tarzan de Zone. Ce qui me plaisait le plus, c’était d’abord, l’urgence, la peur de se faire prendre par la police, le fait de jouer à être un délinquant (ce qui me permettait peut-être de ne pas en être un) et surtout, l’histoire d’amour, pas seulement celle entre Tarzan et Ciboulette mais aussi l’amitié (qui est une forme d’amour) de la bande. Un gang de jeunes qui font des choses ensemble. Pour se sentir vivants ensemble. Après avoir relu la pièce, je vois encore la même urgence. Vive le théâtre qui nous permet de vivre des émotions actuelles avec des histoires d’une autre époque. Quand le Théâtre la Catapulte et nous avons décidé de faire notre projet sur cinq ans pour proposer du théâtre de qualité en tournée en Ontario, nous n’avions pas choisi toutes les cinq pièces. Et je crois que nous avons bien joué : nous avons commencé par Les Médecins de Molière puis après, nous avons proposé Les Fridolinades (plus près de nous) et ensuite, Zone (plus près des jeunes)… mais toujours avec le grand public en tête. Pourquoi Zone ? À cause de la magie. Quand on fait du théâtre, on peut jouer toutes sortes de personnages. On peut jouer des tueurs sans jamais blesser quelqu’un. On peut jouer des médecins, sans jamais opérer qui que ce soit. On peut être cultivateur, sans jamais à avoir à sentir le fumier des vaches. Mais aussi, la magie, c’est à nous les comédiens de faire croire que nous sommes ceux que nous prétendons être. Et c’est aux spectateurs d’accepter de croire pour une heure et demie, les conventions et les histoires que nous racontons. Avec Zone, l’histoire d’amour commence mais nous verrons que les histoires ne finissent pas toujours bien. Marcel Dubé, dans ses premières pièces, Zone et Un Simple soldat, permet cette magie-là en peignant son époque avec des personnages plus grands que nature mais si humains qu’ils sont touchants. Tarzan et Joseph Latour ont ce côté frondeur (pour ne pas dire baveux) qui font qu’on se reconnaît en eux… sinon, qu’on voudrait être un peu comme eux. Ils ont une soif de liberté peu commune étant « poignés » dans un monde qui leur coupe les ailes. Pourquoi Zone ? Parce qu’au fond et en bout de ligne, ce sont les sentiments qui comptent. Et qu’un drame c’est bon surtout quand on sent qu’il se passe près de chez nous ! Pensez-y : c’est de la magie… laissons-nous prendre dans la ZONE ! Guy Mignault Directeur artistique du Théâtre français de Toronto -7- Mot de Jean Stéphane Roy metteur en scène de Zone et directeur artistique du Théâtre la Catapulte J’avais lu Zone au secondaire comme presque tous les francophones de ce pays. J’en avais gardé un souvenir vague et ennuyant. Ma mémoire d’adolescent me rappelait l’effort que ça prend pour lire du théâtre. Aujourd’hui, avec des milliers de pièces lues dans ma vie, je redécouvre Zone avec émerveillement. Je suis charmé par le jeune homme de 20 ans qui a pris la peine de sortir son crayon et osé mettre sur papier ce qui était une révolution : une pièce dramatique écrite expressément pour nous, les nègres blancs d’Amérique Ŕ les Canadiens français. La pièce fut longtemps traitée comme s’il s’agissait d’un gang de rue. Les protagonistes de Zone ne sont pas des délinquants, ils sont des hors-la-loi ! Une bande de Robin des Bois qui prennent aux mieux nantis afin d’aider les pauvres. La pièce ne parle pas de violence mais d’espoirs déchus. Pour nous faire comprendre à quel point ses personnages ont de bonnes intentions, Marcel Dubé a transposé, à travers cette bande d’amis, l’histoire du Christ et de ses apôtres. En faisant de Tarzan la figure allégorique d’un Christ canadien-français, l’auteur nous aide à comprendre la fragilité des minorités et des pièges qui nous entourent. Cette pièce possède le langage universel des laissés-pour-compte de ce monde. Cette pièce fut écrite en 1953 dans une période de grande noirceur politique et économique. Avec le recul du français à travers le pays, y compris le Québec, avec le gouvernement Harper qui place des unilingues anglophones dans des postes majeurs du système parlementaire, avec Air Canada et Poste Canada qui ne respectent pas la loi sur les langues officielles, avec la crise économique qui ne cesse de se manifester… peut-on dire que la situation a réellement évolué ? Marcel Dubé a littéralement créé une œuvre qui a touché et qui touche encore notre inconscient collectif. Zone fut un cri, il est aujourd’hui l’écho qui nous rappelle que nous avons notre place plus que jamais sur notre continent et que notre différence fait notre force. Jean Stéphane Roy Directeur artistique du Théâtre la Catapulte et metteur en scène de Zone -8- L'AUTEUR - MARCEL DUBÉ Un Enfant de la crise Marcel Dubé est né à Montréal en janvier 1930. Cet enfant de la crise économique de 1929, qui a aussi traversé la période de la Grande Noirceur (1945-1959) durant sa jeunesse et le début de l'âge adulte, a été élevé dans un quartier ouvrier de Montréal qu'on surnommait à l'époque le « Faubourg à mélasse ». Des navires qui fréquentaient le port de Montréal tout près, ramenaient dans leur cale un résidu noir et visqueux de l'exploitation du sucre. Les grandes cuves de la compagnie Imperial Molasse étaient donc remplies de cette substance, la mélasse et, durant les chaudes journées d'été, on dit que l'odeur de ce produit flottait partout dans le quartier. Si cette image peut prendre aujourd'hui un côté poétique, elle nous rappelle aussi une réalité beaucoup plus tragique, qui planait au dessus des gens peu fortunés du quartier. Durant la Grande Dépression, les dix ans de difficultés économiques qui ont suivi la crise de 1929, les ouvriers du quartier n'avaient souvent pas mieux à se mettre sous la dent qu'un peu de pain recouvert de gras et trempé dans la mélasse. C'est dans cette lourde atmosphère que Marcel Dubé a vécu son enfance. Fils d'un père comptable et d'une mère très scolarisée pour l'époque (elle a complété sa 10 e année), Marcel Dubé a été encouragé par ses deux parents à cultiver un goût de l'étude. Durant sa jeunesse, il excelle autant à l'école que dans les sports. À 15 ans à peine, il est le gardien de but de l'équipe de hockey du Collège Sainte-Marie, alors que ses coéquipiers sont tous dans la vingtaine. C'est à cette école, menée par des Jésuites, qu'il suivra son cours classique. Ces derniers sont reconnus pour être portés sur l'éducation par le théâtre. Plusieurs importants hommes de théâtre du Québec ont étudié à cette école : Pierre Dagenais (l'un des premiers metteur en scène québécois d'importance, fondateur de la compagnie L'Équipe), Jean-Louis Roux et Jean Gascon (co-fondateurs du Théâtre du Nouveau Monde, l'un des plus vieux théâtre de Montréal encore existant)... C'est durant les quelques huit ans de son cours classique que Marcel Dubé développera un goût pour la littérature, pour l'écriture et pour le théâtre. Dirigé par les Jésuites, le Collège Sainte-Marie se situe tout près de la salle du Gesù, leur ancienne salle, où plusieurs importantes compagnies de théâtre se produisent à l'époque et où Marcel Dubé travaillera comme portier durant la fin de son adolescence. Grâce à son emploi, il peut assister gratuitement à toutes les pièces présentées, dont Tit-Coq de Gratien Gélinas en 1948, qu'il dit avoir vu huit fois. Selon Marcel Dubé, c'est cette pièce qui l'a convaincu de s'investir pleinement dans la carrière d'auteur de théâtre. L'Œuvre de Marcel Dubé Marcel Dubé n'écrit que deux pièces de théâtre avant Zone (1953), une courte pièce intitulée Le Bal triste (1950) et De l'autre côté du mur (1952). Avec cette dernière, il obtient le prix de la meilleure pièce canadienne au Festival régional d'art dramatique. Malgré cette reconnaissance, c'est véritablement Zone qui représente un point tournant dans la vie et la carrière de Marcel Dubé. Cette pièce lui mérite tous les honneurs du Festival Dramatique de l'Ouest du Québec et même le grand prix du Festival national à Victoria en ColombieBritannique. Ce triomphe absolu de sa pièce et de sa troupe, la Jeune Scène, le convainc de quitter l'Université de Montréal, où il étudie en lettres dans le but de devenir enseignant, et de -9- se consacrer complètement à sa carrière d'écrivain. La naissance de Radio-Canada lui permet de gagner sa vie uniquement à l'aide de sa plume. Parallèlement à sa carrière d'auteur de théâtre, il produit pour Radio-Canada un nombre impressionnant de radio-théâtres et de télé-théâtres durant les années 1950 et 1960. Encore aujourd'hui, bien qu'il ait écrit plus d'une vingtaine de textes de théâtre, en plus des nombreuses séries télé et radio, on se souvient surtout de deux de ses premières pièces, Zone et Un Simple soldat (1957). Après Un Simple soldat, l'auteur délaisse les personnages du peuple canadiens-français pour se pencher sur les bourgeois. Ce tournant dans son œuvre rend ses pièces beaucoup moins rassembleuses que ses précédentes ont pu l'être en raison de leur langue, de leurs personnages et de leurs sujets accessibles à tous. Pris d'une grave maladie au cours des années 1970, Marcel Dubé est hospitalisé à plusieurs reprises et il ne sera rétablit qu'en 1977. Il continue tout de même à écrire durant cette période. Malgré cet épisode difficile, l'auteur est toujours vivant aujourd'hui, comme son œuvre qui l'est plus que jamais. Après avoir écrit de nombreuses pièces de théâtre, il se consacre plus récemment à des projets d'écriture de toutes sortes, portrait de son amie comédienne Andrée Lachapelle (Andrée Lachapelle entre ciel et terre, 1995), livre commenté des œuvres du peintre Jean-Paul Lemieux (Jean-Paul Lemieux et le livre, 1988), premier roman à l'âge de 70 ans (Yoko ou le retour à Melbourne, 2000)... Parmi ses nombreux prix et distinctions, on peut noter le prix Athanase-David (1973), la médaille de l'Académie canadienne-française (1987), le prix du Gouverneur Général pour les arts de la scène (2005) pour l'ensemble de sa carrière et de son œuvre Il a aussi été fait Officier de l'Ordre du Québec et du Canada (2001). - 10 - LA PIÈCE - ZONE Résumé Zone raconte l’histoire d’une bande de cinq jeunes de 16 à 20 ans, issus d’un quartier pauvre de Montréal, qui ont tous vécu une vie familiale difficile : parents alcooliques, violence, abandon… Dirigés par leur chef Tarzan, ils prennent leur destin en main et s’adonnent à la contrebande de cigarettes dans l’espoir de gagner suffisamment d’argent pour surmonter leur misère. Tous les cinq sont guidés par ce rêve, jusqu’à ce qu’un jour Tarzan soit surpris par un douanier au moment de sauter illégalement la frontière américaine. Pris par la peur et la panique, il perd ses moyens et tue le douanier… Suite à cela, les cinq contrebandiers devront faire face à un policier prêt à tout pour savoir la vérité. Les Personnages Les personnages de la pièce Zone sont séparés en deux groupes opposés. D’un côté, il y a la bande de jeunes révoltés qui refusent de se plier à l’autorité et aux règles du monde des adultes. De l’autre, il y a Le Chef, un policier qui a pour métier de faire respecter les lois. Dans la relation qui unit ces deux groupes, il y a donc une opposition marquée entre le rêve des jeunes et le monde concret du policier, entre cette jeunesse révoltée et cet adulte plus posé. À la défense des jeunes, on peut tout de même affirmer qu’ils proviennent tous de milieux pauvres et qu’ils ont tous vécu des vies familiales difficiles. TARZAN Le chef de la bande et le plus âgé d’entre tous. Peu éduqué, battu par son oncle, qui l’élevait. Il est celui qui inspire à tous les autres le rêve de sortir de leur situation de pauvreté et de misère. Ne sachant pas lire, étant plus impulsif que réfléchi, il a cruellement besoin des membres de sa bande pour atteindre ce rêve. C’est le rassembleur, celui qui inspire, qui est prêt à tout abandonner pour son idéal. Il abandonnera même son amour pour Ciboulette de peur de compromettre son rêve de libérer la bande de la misère. Selon l’interprétation religieuse, Tarzan est le Christ, le prophète annonciateur d’un temps nouveau qui meurt en martyr pour que les autres puissent vivre mieux. CIBOULETTE La plus jeune de la bande (16 ans), la seule femme aussi. Secrètement amoureuse de Tarzan, mais refusant de le laisser paraître de peur de le détourner de son rêve. Elle dit d’elle-même qu’elle n’est ni belle ni raffinée, un peu comme la plante à laquelle son nom fait référence. Elle joue franc jeu avec tout le monde, ne cache rien, sauf son amour pour Tarzan. Elle entretient une certaine réticence face à Passe-Partout, qui lui fait des avances, qui désobéit au chef et qui refuse de se plier aux règles de la bande. PASSE-PARTOUT Le traître, l'envieux, le seul véritablement malhonnête de la bande, puisqu’il ne sait se contenter de ce qu'il obtient grâce à la contrebande de cigarettes. Celui qui est prêt à toutes les manigances et les crocheries pour obtenir un peu plus d'argent, de pouvoir, de respect. Le seul à défier l'autorité de Tarzan, dont il voudrait bien prendre le rôle de chef. Au delà du fait qu'il vole, qu'il compromet la bande parce qu'il manque de vigilance, qu'il tente de contraindre Ciboulette de « l'aimer », c’est sans doute celui qui a vécu la vie la plus difficile d’entre tous. - 11 - En interrogatoire, il affirme que son père boit sa paye et qu’il doit donc faire vivre sa mère luimême. Selon une interprétation religieuse de la pièce, Passe-Partout incarne symboliquement Judas, le traître, qui reniera d’ailleurs ses fautes à la toute fin de la pièce. TIT-NOIR Certainement le plus éduqué, le plus vif d’esprit et le plus philosophe de la bande, il tient les comptes et est en quelque sorte le cerveau de l’organisation. Il s’occupe affectueusement de Moineau, comme d’un jeune frère. Extrêmement fidèle à Tarzan, ne remettant aucune de ses décisions en question, il est un peu son bras droit. Peut-être est-ce seulement une ruse, mais il affirme durant son interrogatoire avoir voulu devenir prêtre. MOINEAU Le plus enfantin d’entre tous, sans doute en raison d’une déficience intellectuelle, bien que ce ne soit pas dit explicitement dans la pièce. Il est du moins, très attaché au monde de l’enfance. Il dévore des « comics à dix cennes » et joue de l’harmonica. Avec l’argent de la contrebande, il rêve de s’acheter un harmonica de meilleure qualité et de devenir musicien. C’est l’homme à tout faire de la bande, qui fait tous les petits travaux efficacement, sans poser de questions. Il est très instable émotivement, mais reste toujours très fidèle à Tarzan. LE CHEF C’est le personnage dont on connaît le moins d’informations personnelles. Inspecteur de police de métier, il représente à la fois une figure d’autorité et une figure paternelle pour cette bande de jeunes. Ce personnage et la façon dont il se comporte sont certainement inspirés des films policiers des années 1950, qu’on surnommait aussi films noirs. Malgré certains épisodes de violence Ŕ physique et psychologique Ŕ on sent une véritable empathie de sa part face à ces jeunes qui ont tout risqué pour s’en sortir. Toutefois, comme ils enfreignent la loi, il sévit, tel que son rôle le prescrit. Zone dans l'histoire du théâtre d'ici Une pièce à la base de notre tradition théâtrale En fait, non seulement Zone (1953) est-elle une œuvre importante, mais elle se trouve à la base même de notre tradition théâtrale locale. Cette pièce de Marcel Dubé et Tit-Coq de Gratien Gélinas (1948) constituent les premiers textes théâtraux proprement canadiensfrançais. À l'époque où ils sont écrits, l'influence culturelle de la France reste dominante sur les artistes d'ici, au théâtre certes, où on joue principalement des textes étrangers, mais aussi en chanson par exemple. Ainsi, en plus des acteurs, tous les chansonniers québécois emploient une diction et un parler franchouillard jusqu'aux années 1950. C'est à cette époque qu'on peut entendre pour la première fois Félix Leclerc afficher ses origines sans pudeur dans ses chansons, tant dans sa langue que dans les thèmes dont il traite. Ironiquement, ce poète et chansonnier ne sera reconnu au Québec qu'une fois l'avoir été en France par un important impressario de l'époque. Il faut toutefois attendre les années 1960 pour que plusieurs importants auteurscompositeurs-interprètes suivent les traces de Leclerc, Gilles Vigneault, Jean-Pierre Ferland, Claude Léveillé, qui composa d'ailleurs la musique pour l'une des productions de la pièce Zone. Il ne faut pourtant pas croire que le combat contre l'influence culturelle de la France - 12 - était déjà gagné à cette époque. Même Robert Charlebois, chanteur populaire qu'on reconnaît aujourd'hui comme un fier utilisateur d'une langue vulgaire et relâchée, employait durant les années 1960, au début de sa carrière, une langue et un accent français. Avant la fin des années 1940 et le début des années 1950, période durant laquelle sont présentées Tit-Coq de Gratien Gélinas et Zone de Marcel Dubé sur les scènes d'ici, de nombreux acteurs canadiens-français jouent des pièces presque exclusivement improvisées dans leur langue naturelle, celle du peuple. Ces pièces, dites burlesques, allient rire et divertissement, dans une forme faite d'un collage de sketches humoristiques, de numéros de chant, de danse et même de cirque. Ces spectacles, qui changent complètement d'un soir à l'autre selon l'inspiration des interprètes et les réactions du public, sont véritablement les seules œuvres théâtrales de la première moitié du XXe siècle à refléter la réalité canadiennefrançaise avant Tit-Coq et Zone. Malheureusement, en raison de leur caractère improvisé, très peu de traces ne nous restent de celles-ci. Cela est d'autant vrai qu'ils sont snobés de plusieurs, qui ne trouvent aucune noblesse dans ces spectacles voués au divertissement, dans lesquels les interprètes n'hésitent pas à utiliser un humour gras pour s'attirer la faveur du public. On se souviendra tout de même du nombre impressionnant de spectateurs qui assistaient à ces spectacles improvisés et du nom de plusieurs interprètes réputés : La Poune, Olivier Guimond (père et fils), Juliette et Arthur Pétrie. Durant la saison 2010-2011, le Théâtre français de Toronto et le Théâtre la Catapulte ont repris conjointement Les Fridolinades de Gratien Gélinas, comédien et auteur de cette tradition burlesque. À chaque fin d'année, à la manière du Bye Bye de Radio-Canada, ce dernier avait l'habitude de produire des spectacles à sketchs inspirés des événements qui ont marqué l'année. Le personnage principal incarné par Gélinas portait le nom de Fridolin, d'où Les Fridolinades. Suite à cet hommage du Théâtre français de Toronto et du Théâtre la Catapulte à cette tradition de pièces à sketchs, souvent improvisées par les acteurs, il va de soi de proposer l'un des premiers textes de théâtre canadien-français. Les Fridolinades (19381946) précèdent d'à peine quelques années la création de Zone. À l'époque, Zone (1953) et Un simple soldat (1957), une autre des premières pièces de Marcel Dubé, offrent au peuple canadien-français un reflet authentique de sa réalité, cela, en utilisant ses mots de tous les jours. Ces œuvres forment aussi une sorte d'appel à la libération du peuple canadien-français, un peuple soumis à l'emprise de la religion catholique, soumis aux valeurs traditionnalistes (si ce n'est pas rétrograde) de Maurice Duplessie, un peuple pauvre qu'on définissait aussi souvent comme « né pour un petit pain ». Sans véritablement le savoir, par cet appel à la libération de son peuple, Marcel Dubé annoncait la Révolution tranquille. Mettre pour la première fois sur une scène des personnages canadiens-français, c'était une véritable révolution, qui a permis au peuple canadien-français de prendre conscience de sa situation et d'avoir envie de se battre pour changer les choses. Tit-Coq, le soldat bâtard de la pièce de Gélinas, Joseph Latour, le soldat canadien-français brisé par la guerre d'Un simple soldat et les jeunes, pauvres et quasi-orphelins de Zone, ont certainement été un ingrédient essentiel à ce qu'une révolution plus grande puisse éclater durant les années 1960 et 1970. - 13 - LES THÈMES La Jeunesse révoltée On le sait, l'adolescence est une période fondamentale pour la formation de notre personnalité où éclatent les conflits de génération. Dans l'extrait suivant, André Durant explique très bien le rapport entre la pièce et l'adolescence. « Zone montre le caractère crucial de l’adolescence, ‘état de passage où l’illicite est roi’, période marquée par la volonté de rupture avec les parents, par le désir d’un autre monde, et, en même temps, par le nécessaire passage à l’état adulte, par l’acceptation du monde tel qu’il est. Marcel Dubé a magnifié en ses personnages leur attachement à ce paradis du rêve où l’enfance cherche à se perpétuer. Puis il a montré que les paradis sont des illusions, que se réfugier dans cet espoir ne peut conduire qu’à un ‘réveil’ pénible, à l’échec sinon au drame. La pièce consacre donc l’impossibilité du rêve, la victoire définitive et fatale du réel sur le rêve. Mais ce passage au réel se fait par l’amour qui, au-delà de sa simple découverte qui a lieu dans la pièce, aurait été, le couple se formant, la famille se profilant, l’acceptation de responsabilités. Au moment de la reprise de sa pièce en 2003, ne s’étonnant pas de sa constante actualité de sa pièce, Marcel Dubé déclara : ‘La jeunesse, qu’on le veuille ou non, est marginale tant qu’elle n’est pas devenue adulte. Marginale, non dans un sens pessimiste, mais dans le sens où elle a des droits sans avoir d’obligations ni de responsabilités. Cela dit, je crois qu’il est encore plus difficile d’être jeune aujourd’hui.’ » André Durand présente Marcel Dubé, sur www.comptoirlitteraire.com La Bande Refusant le monde des adultes, les jeunes de la bande de Tarzan se recréent une nouvelle famille qui fonctionne selon ses propres règles. Peu importe ce qu'en diront leurs parents, peu importe les lois que la société dicte, accéder à la liberté constitue un idéal pour lequel ils sont prêts à tout sacrifier. La bande, c'est le symbole même du refus des jeunes de se plier aux règles du monde des adultes, le symbole même de la révolte que tous les jeunes doivent vivre avant d'être capable de passer à l'âge adulte. Tarzan, Ciboulette, Passe-Partout, Tit-Noir et Moineau ont des parents violents, alcooliques, absents et refusent de reproduire ce modèle parental. En se rassemblant et en s'entraidant, ils espèrent pouvoir couper avec leurs racines et accéder à une meilleure situation. Comme les adolescents de toutes les époques, ils ont aussi besoin de tester les limites de la moralité et de la légalité avant de les accepter. Pour les gens de milieux défavorisés, la bande peut devenir la seule véritable famille. « La pièce de Dubé décrivant ainsi un phénomène social grandissant ; la révolte d’une jeunesse en crise. Cette révolte se traduit aujourd’hui de façon radicale avec l’apparition des gangs de rue où le groupe devient la seule famille d’une jeunesse désœuvrée. » Hugo Thérien, « Zone » de Marcel Dubé, l'importance de la « gang » chez les adolescents - 14 - La Religion catholique Durant les années 1940 et 1950, et même plus tard, les jeunes comme Marcel Dubé sont éduqués par les frères et les sœurs de l'Église Catholique. Ceux-ci enseignent donc le français, les mathématiques et les autres matières obligatoires, mais ils forment aussi l'esprit selon la morale catholique. Pour ce faire, les enseignants emploient un livre appelé Le petit catéchisme, qui fonctionne selon une logique de question-réponse. Par cette structure, on limite grandement le développement de la pensée individuelle. De nos jours, lire Le petit catéchisme est particulièrement surprenant, même presque choquant. 1 « Qu'est-ce que le catéchisme ? Le catéchisme est le livre dans lequel nous apprenons tout ce qui nous est nécessaire pour aller au ciel. 2 Pourquoi l'Église catholique nous commande-t-elle d'étudier le catéchisme ? Parce qu'elle doit nous aider à aller au ciel.[...] » Le petit catéchisme, édition de 1952, p. 6 Sans doute en raison de l'éducation de Marcel Dubé, sa pièce est imprégnée de symboles religieux. Dans sa description du décor de la pièce, Dubé insère l'un des plus importants symboles catholiques, la croix : « des cordes à linge vides traversent la scène, accrochées à un poteau croche planté derrière la palissade et dont le travers du haut, donne l'impression d'une pauvre croix toute maigre, sans larron ni Christ dessus. » À la toute fin de la pièce, c'est Tarzan, tué alors qu'il essaie de se sauver des policiers en passant par le toit des hangars, qui remplira le rôle du Christ. Il annonce en effet un monde meilleur avant d'être tué, malgré la noblesse de l'idéal de liberté qu'il défend. La bande qui accompagne Tarzan est en quelque sorte le groupe d'apôtres qu'il a su rassembler et Passe-Partout est - comme Judas - celui qui vendra son chef. Sinon, Le Chef - comme Ponce Pilate - est celui qui doit juger Tarzan et ses apôtres. Finalement, au moment où vous assisterez à la pièce, il est fort probable que vous remarquiez des références aux sept péchés capitaux ou aux dix commandements, dans la façon dont les jeunes envisagent le monde. Entre moralité et légalité L'une des plus grandes qualités de la pièce Zone est qu'elle ne nous met pas face à des oppositions tranchées. Tout sujet abordé par la pièce devient matière à débat. Bien que les jeunes de la bande de Tarzan soient hors-la-loi, il semble tout à fait moral d'emprunter des moyens illégaux pour sortir de leur misère, puisqu'ils n'en ont pas d'autres. Sont-ils vraiment des bandits alors ou est-ce que leur misère et leur pauvreté justifie de détourner les lois ? Estce que Passe-Partout est profondément malhonnête et méchant ou n'a-t-il pas seulement vécu une vie si dure qu'il a dû apprendre à voler et à mentir pour survivre ? Le Chef a-t-il vraiment envie de condamner ces jeunes gens dépourvus ou ne les comprend-il pas, eux qui au fond essayent seulement de s’en sortir ? N'est-ce pas injuste que Tarzan meure alors qu'il défendait une noble cause ? - 15 - LA FORME – LE MÉLODRAME Le mélodrame est un genre théâtral né en France au début des années 1800, qui se définit comme une « tragédie populaire », pour reprendre les mots de Charles Nodier. Contrairement aux tragédies de Racine ou de Corneille, qui donnaient aux aristocrates du XVII e siècle une vision noble et héroïque d'eux-mêmes, le mélodrame est d'abord conçu pour les gens du peuple, pour ceux « qui ne savent pas lire », défend Pixerécourt, auteur considéré le père du mélodrame. Ces pièces de théâtre accessibles, guidées par un désir de provoquer l'émotion et les larmes du spectateur, attirent de grandes foules, dans lesquelles se retrouvent des gens de toutes les classes sociales. Au XXe siècle, les techniques du mélodrame sont reprises par plusieurs formes d’art populaires comme le cinéma et la télévision. Très rapidement, les gens d'ici apprécient grandement les mélodrames de toutes sortes, il suffit de penser au film à succès La Petite Aurore l'enfant-martyr (1952), adaptation d'une pièce de théâtre qui connut pas moins de 5000 représentations entre 1921 et 1950. On peut aussi penser à la série télévisée Les Belles histoires des pays d'en haut et son célèbre personnage de Séraphin (1956-1970). Outre cela, les héritiers contemporains du mélodrame seraient certainement les séries dramatiques à la télé (Trauma, La Promesse, Destinées...), les comédies dramatiques et les comédies romantiques du cinéma (Titanic, Le Journal de Bridget Jones, Cyrano de Bergerac...). Les romans-savons (ou soap-opera) de la télévision comme Les Feux de l'amour et les romans harlequins reposent sur une même quête de l'émotion et des larmes. Ces héritiers contemporains du mélodrame se caractérisent tous par une intrigue déchirante, des rebondissements inattendus, un amour impossible ou romantique. Pensons par exemple à la version cinématographique de Titanic, dans laquelle deux amants vivent un amour impossible en raison de leurs différences de classe sociale. Le film se clos justement sur une scène déchirante qui amène même les moins sensibles d'entre nous à verser une larme : au comble de l'épuisement, le beau Jack (Léonardo Dicaprio) se laisse couler et se noie dans les eaux glacées de l'Atlantique sous les yeux horifiés de sa chère Rose (Kate Whinslet) qui elle, survivra et en gardera le souvenir jusqu’à la fin de ses jours. Les Caractéristiques du mélodrame En plus de la définition générale que nous en avons donnée, on peut relever plusieurs caractéristiques propres à la forme mélodramatique. De nos jours, les techniques du mélodrame nous sont très familières puisque le cinéma et les séries télévisées populaires les emploient couramment. La musique Elle prend toujours une place très importante dans le mélodrame, selon la fonction d'amplifier l'émotion. Dans les scènes particulièrement tragiques, la musique est souvent utilisée comme un moyen de nous tirer une larme. De nos jours, on est habitué à ce genre de trame sonore, qu’on retrouve dans les films populaires et les séries télévisées. Le film Titanic ne serait certainement pas aussi émouvant si ce n'était de la fameuse chanson My hearth will go on de Céline Dion. Lorsque vous écoutez la télé, portez attention à la présence de la musique dans les séries dramatiques. Un roman-savon comme Les Feux de l'amour ou même - 16 - une série dramatique comme Trauma y ont souvent recours, à un point tel qu'il est parfois difficile d'entendre les dialogues en dessous de cette avalanche de musique. La présence constante de la musique semble dans certains cas avoir pour objectif d’enterrer des dialogues pauvres ou mal écrits. Ainsi, même si une scène n’est pas si émouvante, elle peut nous toucher uniquement en raison de son enrobage musical. Le traître (ou le méchant) En repensant à différents exemples de mélodrames, nous pouvons aisément trouver dans la majorité d’entre eux un personnage qu’on aime détester, puisqu’il fait souffrir le héros ou l’héroïne de l’histoire. Pensons simplement à Séraphin Poudrier, qui fait souffrir la chère Donalda, puisqu’il est plus attaché à l’argent qu’à sa femme. De la même façon, il semble que le public des années 1950 prenait davantage plaisir à détester la marâtre d’Aurore, qu’à aimer Aurore elle-même. De nos jours, plusieurs films, séries dramatiques et romans-savon ont eux aussi leur « bitch » ou leur « chien sale » Ŕ pour reprendre nos mots de tous les jours Ŕ qu’on se plaît à détester. Un personnage de victime Selon la logique mélodramatique, le héros ou l’héroïne des pièces de théâtre, des films et des séries télé sont victimes des manigances ou de la méchanceté du traître. C’est le cas de Rose, dans Titanic, qui doit se soumettre à la volonté de celui à qui elle est promise. C’est pareil pour le personnage de Donalda dans Les Belles histoires des pays d’en haut, qui souffre de son union avec Séraphin. Ces personnages de victimes nous inspirent une pitié et une émotion des plus sincères. Une émotion par laquelle on se laisse emporter avec le plus grand des plaisirs. Les situations déchirantes Tout bon mélodrame comporte une histoire d'amour impossible ou tout autre type de situation déchirante qui nous inspire la tristesse, la pitié ou la peur. Un personnage peut donc révéler dans une scène particulièrement triste qu'il est orphelin et même faire face à un ennemi terrifiant comme le fait Harry Potter. Dans un cas comme dans l'autre, cela « viendra nous chercher » en tant que spectateur. C'est justement ce qui nous attire lorsque l'on va au cinéma ou au théâtre. Et on est même prêt à accepter sans difficulté que l'histoire soit « tirée par les cheveux », tant et aussi longtemps qu'il se passe quelque chose. Le Mélodrame dans Zone L'histoire et les personnages de la pièce de Dubé répondent directement à la logique mélodramatique. Au moment de voir la pièce, vous pourrez constater vous-même à quels moments la musique est employée et en quoi elle permet d'amplifier l'émotion. Dans le cas des autres caractéristiques, on les retrouve directement dans le texte de la pièce. Le traître est très certainement incarné par le personnage de Passe-Partout et la victime par celui de Ciboulette. Passe-Partout fait très certainement souffrir Ciboulette par des avances répétées et des commentaires méchants à l'égard de Tarzan, particulièrement durant les derniers moments de la pièce, quand celui-ci risque d'être condamné à mort. Passe-Partout est aussi celui qui est le moins vigilant lorsqu'il fait de la contrebande, contrairement à ce qu'exige le chef, et celui qui trahit Tarzan et la bande durant les interrogatoires de peur d'être - 17 - emprisonné et par souci de profiter de la situation pour remplacer Tarzan dans le rôle de chef. Zone comporte aussi de nombreuses situations déchirantes. Passe-Partout fait preuve d'une grande cruauté à l'égard des autres. À l'égard de Moineau, parce qu'il est moins intelligent et ne se défend pas lorsqu'il est frappé, de Ciboulette, parce qu'elle est une amante potentielle et qu'elle aime Tarzan, finalement à l'égard de Tarzan parce qu'il veut obtenir son rôle. Ciboulette et Tarzan refusent de vivre leur amour de peur de compromettre leur rêve de s'en sortir grâce à la contrebande. Pareil au Christ, Tarzan meurt alors qu'il défendait une cause noble et qu'il a su rassembler et inspirer les autres membres de la bande. C'est sans doute là le plus gros du déchirant et du tragique de la pièce. Le personnage de Tarzan est d'ailleurs empreint d'une grande empathie à l'égard des autres. Qui aurait accepté d'aider quelqu'un d'aussi malhonnête que Passe-Partout sinon quelqu'un de profondément bon ? De la même façon, comme le Christ qui tisse des liens avec tous les êtres mis en marge de la société, il donne sa chance à tous les membres de la bande, dont Moineau, qui n'a pas l'intelligence ni la vivacité d'esprit des jeunes de son âge. Le Cinéma, descendant contemporain du mélodrame On l'a compris aisément, le cinéma d'aujourd'hui emploie plusieurs techniques mélodramatiques (flot de musique pour augmenter l'émotion, histoires d'amour impossible, intrigues déchirantes pleines de rebondissements inattendus...), d'une façon inverse, la pièce Zone renferme elle-même des références cinématographiques. Rappelons à ce titre que durant le début des années 1950, quand la pièce a été écrite, la télévision n'était pas encore répandue. De nos jours, les adolescents peuvent trouver des modèles à la télé ou chez les chanteurs populaires, mais dans les années 1950, les modèles proposés aux jeunes adultes étaient à peu près exclusivement ceux du cinéma. Les super-héros du grand écran et des bandes dessinées comme Tarzan ou le « surhomme », les héros de films policiers auxquels Tarzan fait référence lors de son interrogatoire, les amoureux au cœur pur des films romantiques sont autant de modèles qui ont forgé l'imaginaire des jeunes adultes de l'époque de Zone. On retrouve d'ailleurs dans la pièce une référence directe à ces héros de cinéma dans le nom des personnages, qui constituent tous des noms inventés : Tarzan, Ciboulette, Passe-Partout, Tit-Noir, Moineau. Ciboulette semble incarner par moment l'image classique de cinéma de la jeune femme emportée par l'émotion embrassant tendrement son amoureux sur son de violon. D'ailleurs, dans la pièce Zone, Le Chef est décrit comme portant un long imperméable bleu foncé et un chapeau gris, une référence aux policiers des films noirs des années 1950. - 18 - PROPOSITIONS D'ACTIVITÉS À faire avant la représentation ! 1. Après avoir lu le résumé de la pièce (p. 11) et la description des personnages (p. 11-12), comment imaginez-vous le décor et les personnages ? Que portent-ils, où se situe l'action et à quelle époque se déroule-t-elle ? Quels éléments nous permettent de reconnaître cette époque ? Écrivez une courte description ou faites une esquisse de décor ou de costume. Par la suite, comparez avec vos collègues. 2. Lisez le mot du metteur en scène Jean Stéphane Roy. Êtes-vous d'accord avec ce qu'il dit, est-ce que ses propos vous choquent ? Après cette lecture, est-ce que la pièce Zone vous semble pertinente encore aujourd'hui bien qu'elle ait été écrite en 1953, il y a près de 60 ans ? 3. Familiarisez-vous avec l'auteur, Marcel Dubé (p. 9), et avec les personnages de la pièce Zone (p. 11-12). Selon vous, est-ce que l'auteur ressemble à ses personnages ou se distingue-til d'eux ? Est-ce que cela est volontaire ou inconscient ? Expliquez en quelques phrases. 4. La pièce Zone a été grandement inspirée par le cinéma des années 1940 et 1950. Au delà du fait que Tarzan dit lui-même « ça s'est passé comme dans un film », en quoi est-ce que son récit vous rappelle le cinéma ? Est-ce qu'il vous rappelle certains de vos films préférés, certaines scènes, certaines atmosphères, certains personnages ? « TARZAN - Je me suis préparé pendant trois jours. J'y ai pensé sans arrêt et ce soir, j'ai tenté ma chance et j'ai réussi. Y ont dû découvrir ma disparition une demi-heure trop tard. Ça s'est passé comme dans un film. Quand le gardien est venu me porter à souper j'ai fait semblant de dormir et comme y allait sortir, j'ai bondi sur lui comme un tigre. Je l'ai étouffé avec ma ceinture et je l'ai assommé à coups de souliers. Ensuite, j'y ai volé son trousseau de clefs. Le reste est une histoire de course épouvantable le long d'un corridor qui finit plus, de portes qu'on ouvre en essayant de tomber sur la bonne clef et de rayons de lumière qui cherchent à nous découvrir dans l'ombre et sur les murs. Le reste, c'est de la chance et de l'audace... Et maintenant, je suis là, Ciboulette. » À faire après la représentation ! 5. Maintenant que vous avez vu la pièce, quelles sont les différences entre la façon dont vous aviez imaginé le décor et les personnages et ce que proposait la mise en scène ? Y a-t-il des points communs entre les deux ? Comparez votre réponse avec les autres élèves de la classe. 6. À quels personnages pouvez-vous associer le rôle du traître et de la victime dans la pièce Zone ? Expliquez. Pour définir le personnage du traître et de la victime, qu'on voit fréquemment dans les films, les séries télévisées et les pièces de théâtre, référez-vous aux caractéristiques du mélodrame en page 16 et 17. 7. Marcel Dubé a vécu à une époque où l'Église catholique avait une place de premier plan dans la société canadienne-française. Il a aussi reçu une éducation qui était grandement - 19 - orientée par la morale catholique. Relisez les sept péchés capitaux, tels que présentés dans Le Petit catéchisme de 1952, année précédant la création de la pièce Zone. Quand voit-on les personnages se laisser aller à des péchés ? Quand voit-on les personnages en contrôle ? « L'orgueil est le péché capital qui consiste à nous estimer d'une façon désordonnée et à mépriser les autres. L'avarice est le péché capital qui consiste à nous attacher avec excès aux biens de la terre et surtout à l'argent. L'impureté est le péché capital qui consiste à rechercher des plaisirs sexuels en dehors de la loi de Dieu. L'envie est le péché capital qui consiste à nous attrister du bien du prochain et à nous réjouir du mal qui lui arrive. La colère est le péché capital qui consiste à nous fâcher d'une manière désordonnée contre les personnes ou les choses qui nous déplaisent. La gourmandise est le péché capital qui consiste à manger ou à boire avec excès. La paresse est le péché capital qui consiste dans l'amour désordonné du repos. » Le petit catéchisme, 1952, p. 141-144. Pistes de réponse Le personnage de Passe-Partout se laisse aller à l'ensemble des péchés capitaux, à l'exception de la gourmandise. Lorsque Tarzan est emprisonné, il se trouve tout à coup une capacité de vantardise, comme quoi quand le chat n'est pas là, les souris dansent. Passe-Partout est aussi un personnage toujours en quête d'un peu plus d'argent, raison pour laquelle il vole, en plus de faire de la contrebande. Il fait des avances à Ciboulette, une marque de son impureté. Il se réjouit des malheurs de Tarzan, une preuve qu'il est envieux. Paresseux, il refuse de travailler comme les autres membres de la bande. Finalement, la colère est la seule alliée qui lui reste lorsqu'il se sent dépourvu. 8. Marcel Dubé s'est grandement inspiré du cinéma des années 1940 et 1950 pour écrire sa pièce. Du moins, on retrouve des références à Tarzan, aux films policiers à travers le personnage de l'inspecteur, aux films romantiques à travers la relation de Tarzan et Ciboulette. Avez-vous pu trouver des ressemblances entre la forme de vos films de cinéma préférés et la pièce Zone, que ce soit chez les personnages, dans leurs costumes, dans la façon dont la musique et les éclairages étaient utilisés ? Matière à débat. 9. Après avoir vu la pièce, croyez-vous que la bande a raison de faire de la contrebande de cigarettes pour sortir de sa pauvreté ? Si oui, pourquoi ? Si non, quelles seraient les autres moyens qu'ils pourraient employer pour améliorer leur situation économique difficile ? - 20 - BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE S.A., Le petit catéchisme, Ottawa, 1952, 276 pages. DUBÉ, Marcel, La Tragédie est un acte de foi, Ottawa, Leméac, coll. « documents », 1973, 120 pages. DUBÉ, Marcel, Textes et documents, Ottawa, Leméac, coll. « théâtre canadien », 1968, 80 pages. DUBÉ, Marcel, Zone, Ottawa, Leméac, coll. « théâtre canadien », 187 pages. DURANT, André, « André Durant présente Marcel Dubé », Québec, texte de 32 pages accessible sur le site www.comptoirlitteraire.com. GODIN, Jean-Cléo, « Les avatars du réalisme québécois », Jeu : revue de théâtre, n° 85, (4) 1997, p. 65-72. GODIN, Jean-Cléo, « Marcel Dubé et les bourgeois », Jeu : revue de théâtre, n° 106, (1) 2003, p. 77-82. HÉBERT, Chantal, Le burlesque au Québec, un divertissement populaire, Ville LaSalle (Québec), Hurtubise HMH, 1981, 302 pages. LAROCHE, Maximilien, Marcel Dubé, Montréal, Fides, coll. « écrivains canadiens d'aujourd'hui », 1970, 191 pages. LAROCHE, Maximilien, « Zone et Marcel Dubé », dans Marcel Dubé, Zone, Ottawa, Leméac, coll. « théâtre canadien », p. 7-22. RIVARD, Jacques, L'Universalité du théâtre de Marcel Dubé, mémoire de maîtrise, Montréal, Département de langue et de littérature française, Université McGill, octobre 1992, 109 pages. THÉRIEN, Hugo, « Zone » de Marcel Dubé, l'importance de la « gang » chez les adolescents, 2009, tiré du site http://hugotherien.wordpress.com/2009/12/01/zone-de-marcel-dube/. THOMASSEAU, Jean-Marie, Le Mélodrame, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1984, 127 pages. - 21 -