Un air de tour infernale à Roubaix R

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Un air de tour infernale à Roubaix R
RETOUR
D’EXPÉRIENCE
Un air de tour infernale à Roubaix
L’expression a plus d’une fois été banalisée depuis ce film culte de 1974
dans lequel Steve McQueen sauve des dizaines d’occupants bloqués dans une tour en feu !
Et pourtant, ce 14 mai 2012 à Roubaix, c’est ce que décrivent les appels aux pompiers,
à mesure que les minutes passent
L
1er étage est éteint, mais d’autres
se sont déclarés sur le trajet des
flammes, à différents niveaux.
15 h 25 : trois lances en manœuvre, dont une sur échelle. Les colonnes sèches, vandalisées, sont
inutilisables.
Alors que l’on signale des feux
jusqu’au 18e, tous les établissements de tuyaux se font à bras,
dans l’un des deux escaliers, l’autre étant dédié à la descente des oc-
La tour Mermoz
s’est enflammée
depuis le
1er étage jusqu’au
18e, formant
une gigantesque
torche
cupants, que l’on estime à une
soixantaine.
Le feu de façade est rapidement retombé, faute de combustible en
quantité. Il s’est toutefois propagé
aux chambres ouvrant aux 4e, 9e,
12e et 18e étages.
Les occupants, dont les appartements n’ouvrent pas sur la façade
sinistrée, sont confinés. Les autres
ont souvent évacué d’eux-mêmes.
Un point de regroupement des vic-
© SDIS 59
undi 14 mai 2012. L’évolution fulgurante de l’intervention apparaît à l’écoute des
appels. Si le premier, à 14 h 42, fait
état de fumée sur un balcon au
1er étage, un autre, 12 minutes après,
signale « un immeuble en feu » que
l’on voit au loin… Heureusement,
entre temps, les pompiers sont arrivés.
Un feu s’élève effectivement d’un
balcon, au 1er étage de la tour et
une première lance en vient rapidement à bout. L’habillage de façade, en aluminium, a commencé
à brûler et sa constitution en panneaux « sandwich » entraîne une
production de gouttes enflammées
et de la fumée noire. C’est moins
de 5 minutes après que les éléments s’enflamment par bonds,
d’étage en étage, jusqu’à, en
quelques minutes, former une gigantesque torche dépassant le sommet de l’édifice ! La noirceur et la
densité du panache, heureusement
poussé par le vent hors de la façade, indique une combustion de
produits de synthèse.
14 h 56, « Forte propagation à
l’ensemble de la façade, je demande trois fourgons supplémentaires et une unité d’alimentation.
Une lance en manœuvre, une 2e en
cours d’établissement, poursuivons
les reconnaissances, des personnes
handicapées peuvent se trouver
dans les locaux. »
En effet, à plusieurs reprises, des
occupants se manifestent avec leur
portable auprès des pompiers, du
Samu, de la police, pour se localiser. Des consignes de confinement
leur sont données, suivant le cas, à
moins qu’elles ne soient rejointes
et évacuées.
À 15 h 05, le feu d’appartement du
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© FACE AU RISQUE / RENÉ DOSNE
times (PRV) est instauré dans le
hall d’une des tours voisines.
Animé par des médecins du Samu
et des pompiers qui ont anticipé les
moyens d’un plan rouge sans qu’il
ne soit déclenché, il accueillera
37 personnes, dont certaines légèrement intoxiquées.
15 h 42 : « Violent feu d’appartement avec propagation au bardage
sur toute la façade. Risque de propagation par explosion des baies.
Pas de victimes recensées. »
Évacuation de la tour
et des établissements voisins
Les fumées de l’incendie entraînent la fermeture et l’évacuation
momentanée d’une cinquantaine
de boutiques du centre commercial
proche et l’évacuation d’un établissement scolaire, à quelques
centaines de mètres.
Vers 16 h 30, une victime en arrêt
cardio-ventilatoire est découverte
dans son appartement, au 18e. Elle
ne pourra être réanimée.
La décision est prise d’évacuer la
tour vers 17 h 30 et trois fourgons
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FACE AU RISQUE N° 486 - OCTOBRE 2012
supplémentaires sont demandés
pour l’occasion. Chaque appartement doit être visité, des dizaines
de portes forcées.
Peu avant 18 h, le bilan est d’une
victime décédée, sept urgences re-
latives et une vingtaine d’impliqués. Une cellule psychologique
avec sept psychologues est sur
place.
Le feu éteint, ce sont les services
municipaux de Roubaix, Tour-
TOUR, MAIS PAS IGH
La tour Mermoz est l’une des quatre hautes tours implantées près
d’un centre commercial de Roubaix. Trois d’entre elles, dont cette
dernière, appartiennent au même bailleur social, Métropole Habitat.
Construite en 1966, d’une surface au sol de 800 m2, elle comprend
98 appartements répartis sur 18 étages et un étage technique en
terrasse. Le plancher bas du 18e étant à 48,26 m, elle échappe à la
réglementation des immeubles de grande hauteur (IGH) pour les
habitations (50 m), et constitue un immeuble de 4e famille.
Deux escaliers imbriqués type « Chambord » (hélice), deux
ascenseurs et un monte-charge desservent les étages. Un couloir en
forme de « H » permet d’accéder à six appartements par niveau.
Le bâtiment a été isolé par l’extérieur, au cours d’une de ses
réhabilitations, par une multicouche de laine minérale sur bâti bois,
supportant des tuiles de terre cuite.
En 2005, les trois tours appartenant à Métropole Habitat bénéficient
d’un « lifting » de façade, arrondissant ses façades d’extrémité par des
éléments courbes d’aluminium (panneaux sandwich) gommant un peu
la rigueur de ses formes.
Les tours, en ligne, sont accessibles à partir de deux voies de
circulation parallèles.
La présence d’une pelouse au pied de la façade sinistrée empêche
d’exploiter au mieux les moyens aériens.
PROPAGATION RAPIDE
coing, Wattrelos qui prennent en
charge le relogement des occupants, que l’on évalue à 250. De
brefs retours, accompagnés de sauveteurs, permettent de reprendre
papiers administratifs, médicaments, etc.
L’immeuble est déclaré inhabitable. Ses circulations, ses escaliers,
portent l’odeur et les traces des fumées. Une décontamination est à
réaliser. Il doit être totalement déménagé.
La façade décorative propage
le feu aux balcons encombrés
Nous ne sommes pas dans la configuration d’un feu de façade tel que
nous les connaissons habituellement et qui mettent essentiellement
en cause les matériaux constituant
l’isolation par l’extérieur. Ici, il
s’agit d’éléments à la fonction essentiellement décorative, constitués de lames incurvées de près
d’un mètre de haut, d’une vingtaine
de long, espacées d’un mètre cinquante environ, réparties jusqu’en
haut, protégeant un peu les balcons
faits de garde-fous d’aluminium.
La façade initiale présentant une
succession de renfoncements. Ces
Aussi violent
que bref dans
sa phase de
progression,
ce feu aurait
pu être une
catastrophe
s’il était
survenu de nuit.
La liste des gros feux de façades commence à s’allonger ! Les
immeubles « écologiques », le plaquage bois, l’emploi de nouveaux
matériaux isolants, telle la paille, ne va pas inverser la tendance. Les
pompiers devront adapter leur stratégie…
S’ils savent que cette haute flamme, spectaculaire, est le plus souvent
brève, compte tenu de la faible charge calorifique en façade, ils savent
aussi qu’elle peut être suffisante, selon la présence de balcons, de leur
configuration et de leur encombrement, pour entraîner une multitude de
départs de feux d’appartements beaucoup plus préoccupants.
Le feu de façade du quai de Jemmapes (Face au Risque n° 403, mai
2004) est l’un des premiers à Paris, avec sa façade embrasée sur
13 étages.
Un immeuble de 4e famille à La Courneuve, à la suite d’un feu
d’encombrants stockés à son pied, avait vu son isolation de polystyrène
brûler jusqu’au 12e étage et entraîner la destruction de cinq
appartements. Il faut rappeler qu’à l’isolation par l’extérieur s’ajoutent
souvent en corollaire huisseries et stores en PVC.
D’autres feux de façade ont été relatés, mais cette fois à la montagne
où l’aspect esthétique s’impose (Face au Risque n° 451, mars 2009).
Le dernier dont nous nous sommes fait l’écho est le feu mortel du
foyer Adoma de Dijon (Face au Risque n° 471, mars 2011).
Quelques jours après le feu de Roubaix, un feu d’appartement au
rez-de-chaussée d’une résidence de personnes âgées, dans le Val-deMarne, s’est propagé par les balcons dotés de garde-corps en
polycarbonate jusqu’au 6e étage, entraînant des destructions
significatives et de nombreux intoxiqués.
éléments, bien qu’ouverts, créent
des effets de cheminée expliquant
partiellement la rapidité de propagation.
Une lance sur échelle se met rapidement en œuvre alors qu’à l’intérieur, la colonne sèche
étant hors d’usage, le tirage des tuyaux dans les escaliers se fait à bras, jusqu’au sommet !
Les panneaux sont des plaques
« sandwich » de 10 mm d’épaisseur environ constituées de deux
feuilles de métal rigidifiées par une
âme de plastique alvéolaire. La
masse combustible de ces panneaux minces est peu importante.
Elle alimente toutefois un feu spectaculaire pendant une dizaine de
minutes, avant de retomber faute
de combustible. Mais elle a eu, au
passage, la puissance nécessaire à
l’allumage des balcons, des huisseries, des stores en PVC et a pu
entrer dans les chambres qui ouvrent là à chaque étage.
Les balcons à claire-voie sont, pour
certains, bien garnis en charge calorifique…
© SDIS 59
Importants dégâts
dans les appartements
Le complexe isolant de façade est
constitué de tuiles de terre cuite sur
bâti métal et bois, avec remplissage
de laine minérale. Il a remarquablement tenu et n’a pas été attaqué
par le feu.
L’origine du feu est soumise à enquête. Il semble toutefois que le
geste criminel soit écarté. L’appartement est occupé par un handicapé se déplaçant en fauteuil. Il
est accompagné d’autres personnes
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Les panneaux
de la façade
ont alimenté
le feu qui
s’est ensuite
rapidement
propagé
aux balcons,
chargés en objets
combustibles, puis
aux chambres
MOYENS DE SECOURS
RÉGLEMENTAIRES
La tour Mermoz est classée « 4e famille »
(plancher bas du dernier niveau habité compris
entre 28 et 50 m.). Un second escalier y a été
ajouté. Il est équipé d’une colonne sèche. Une
détection est installée dans les parties communes,
asservissant le désenfumage mécanique. Il existe
des déclencheurs manuels d’alarme. Des « tirezlâchez » permettent, au 18e étage, d’ouvrir
l’exutoire translucide de chaque escalier.
Un CMSI (centralisateur de mise en sécurité
incendie) et l’ECS (équipement de contrôle et
signalisation du SSI) sont installés chez le gardien.
L’établissement est répertorié par les pompiers et
déclenche l’envoi de trois engins-pompes, une
échelle, un VSAV (véhicule de secours aux victimes)
et un chef de groupe. Le centre de secours est à
moins de 3 km. La première bouche d’incendie à
30 m environ.
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au moment du feu. Ils avaient fait
un barbecue le midi sur le balcon… et bidons de peinture, solvants, etc. étaient stockés là. L’occupant était aussi gros fumeur.
À l’arrivée des secours, pas d’affolement, pas de risques de défenestration. Une bonne moitié des
occupants n’a pas vue sur le feu et
la fumée n’affecte pas les escaliers.
Depuis l’appartement du 1er étage
où ils combattent avec succès le
feu de chambre et de balcon initial,
les pompiers ne voient pas immédiatement la progression brutale
verticale. C’est le premier officier
de garde arrivant sur les lieux
quelques minutes après le premier
détachement qui le voit et demande
les moyens nécessaires.
Le nombre d’occupants est toujours
la grande inconnue dans les feux
d’habitation. Heureusement, l’incendie survient de jour et moins
d’un quart des occupants est présent.
Dès lors que des départs de feux
sont susceptibles d’éclater à chaque
étage, que l’enfumage des escaliers
se produit lorsque le compartimentage est rompu au passage des
tuyaux, il est nécessaire d’engager
une reconnaissance systématique
de tous les appartements supérieurs
à l’étage du feu. Et ici, le feu initial est au plus bas !
L’importance des dégâts aux différents étages est liée à plusieurs
facteurs :
• chaque balcon ouvre sur une
chambre de dimension assez réduite ;
• le lit n’est pas loin de la fenêtre ;
• le bloc volet roulant/coffrage bois
alimente un foyer à la hauteur où
les flammes entrent préférentiellement après avoir brisé les baies ;
• dans certains appartements, occupés par des handicapés, les
portes ont été démontées. Dans ces
appartements, les dégâts du feu et
des fumées s’étendent plus loin.
Colonne sèche vandalisée
Une ventilation opérationnelle a
été mise en œuvre durant l’évacuation, mais stoppée ensuite, car
elle semble réactiver des foyers ici
ou là.
Deux escaliers étaient disponibles.
Un bon choix tactique a été effectué en affectant l’un au passage des
tuyaux, afin de laisser l’autre plus
praticable pour les évacuations. Il
faut imaginer un escalier relativement étroit parcouru de deux lignes
de 70 mm se chevauchant dans les
virages…
La dégradation malveillante de la
colonne sèche est courante dans
certains secteurs sensibles. C’est
réellement une mauvaise surprise
lorsqu’on apprend que des foyers
se déclarent au 18e étage ! Le tirage des tuyaux à bras, dans les escaliers, est long, épuisant et retarde
l’attaque.
Mais les vannes de bronze se revendent un bon prix… Le bailleur
devra veiller à leur intégrité.
Dans un premier temps, Métropole
Habitat a relogé le maximum d’occupants, aidé par d’autres bailleurs.
Une aide leur a été apportée par la
fourniture de meubles et d’équipement électroménager.
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René Dosne