Babel
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isharmonies GRATUIT ANNÉE 5, NUMÉRO 37 Babel MARS 2012 “.הָ ֶרץ- ְ&נֵי ָל- עַ ל,ָ ם הֱ פִיצָם י ְהו ָה# ִמ$ ;הָ ֶרץ- ְ פַ ת ָל, ָ ם ָ לַל י ְהו ָה- ִי, ָ בֶל, ָ ֵן קָ ָרא ְ מ-”עַ ל La Bible, Genèse, chap. 11, 9 Édito Tous les humains ne parlent pas la même langue. Malédiction ou richesse ? N’en déplaise au récit biblique de la tour de Babel, on ne peut pas réduire la question à une simple affaire de difficultés de communication. Est-il si facile de se comprendre, même dans la même langue ? À l’inverse, comme tout linguiste vous le dira, chaque langue constitue une approche différente de « la réalité », cette fausse évidence résultant du processus complexe par lequel nous, milliards d’humains, construisons un ensemble de perceptions et de concepts que nous appelons le monde physique. Et nos milliers de langues sont les briques qui nous permettent de bâtir cet édifice. C’est plutôt cette Babel aux allures de corne d’abondance que nous vous proposons de savourer dans ce numéro. La BD de Blake vous rappelle à sa façon le récit biblique. De la rencontre avec les autres langues partent les aventures de l’étudiante de Miscellanées et les réflexions de Non-sens dans Ergo sum. Echoes of Science emprunte à Babel son questionnement sur l’origine du langage. Le lojban présenté dans Echoes of Science (2) est une utopie d’un autre genre : une langue construite cherchant à éviter toute ambiguïté de sens. La diversité des langues coïncide bien sûr avec des enjeux politiques et culturels, comme ceux de l’hindi et de l’ourdou en Inde et au Pakistan dans Sociologiquement vôtre. Enjeux esthétiques et culinaires, aussi : la traduction des œuvres musicales dans La onzième harmonie et une recette polyglotte dans L’Eau à la bouche. Diversité artistique enfin, comme l’illustrent les dessins de Sur la longue route de sable. La fiction n’est pas moins polyglotte ce mois-ci. Jugez plutôt : le quotidien mouvementé d’un espion polyglotte dans Histoires extraordinaires, les aventures en arabe du chat de Miscellanées (2), la mini-BD en grec ancien de Nouvelles bulles (2), les conseils érotiques d’un ordinateur en pseudo-code dans Et caetera. Enfin, nos deux En vers et contre tout vous proposent un poème francoanglais et un autre en corse. Pourquoi choisir quand on peut avoir toutes les langues ? Eunostos * « C'est pourquoi on la nomma Babel, parce que là le Seigneur confondit le langage de tous les hommes et de là l’Éternel les dispersa sur toute la face de la terre. » Miscellanées (1) 2 Sociologiquement vôtre 4 En vers et contre tout (1) 6 Nouvelles bulles (1) 7 La onzième harmonie 8 Histoires extraordinaires 10 L’eau à la bouche 12 Nouvelles bulles (2) 12 Miscellanées (2) 13 Et caetera 13 Echoes of science (1) 14 Sur la longue route... 15 Ergo sum 16 En vers et contre tout (2) 17 Echoes of science (2) 18 PAGE 2 A N N É E 5 , N U M É RO 3 7 Miscellanées (1) Le scandale chatoyant Je me souviens distinctement du jour où j’ai pris conscience qu’il existait plusieurs langues dans le monde. « Ma puce, ton père t’a trouvé ton manuel d’espagnol ! » J’ai galopé jusqu’au salon et pris le grand livre coloré, à couverture cartonnée, des mains de mon papa. Même dans les pires moments de ma scolarité, je n’ai jamais réussi à me fâcher complètement avec l’école : j’arrivais toujours à trouver un intérêt à ce qu’on m’y apprenait, mais je m’en servais pour tout autre chose que pour les exercices. Il m’arrivait souvent d’avoir terminé de lire dès avant les vacances de Noël des leçons de la fin du manuel qu’on ne verrait naturellement jamais en classe, ce qui ne voulait surtout pas dire que j’aurais lu (et encore moins appris) la bonne leçon pour chaque cours : j’étais plutôt du genre à avoir lu le chapitre d’après, ou relu celui d’avant, parce qu’ils m’intéressaient plus. Contrairement à ce que vous pourriez croire, je n’ai pas été une lectrice précoce, au contraire ; mais à ce moment-là de ma vie, je venais d’avoir le déclic, j’étais enfin à l’aise avec la lecture. Et je lisais tout. De retour dans ma chambre, je me suis affalée sur mon lit, manuel en main, et je l’ai ouvert. Il faut dire qu’il était très bien fait : tout en couleurs, abondamment illustré, il était découpé en courtes leçons mettant en scène le même groupe de personnages, et racontant visiblement une histoire. Je m’y suis aussitôt plongée. Quelques minutes plus tard, ma mère m’a vue resurgir dans le salon furieuse et lui flanquer dans les mains le manuel tout ouvert par-dessus son journal : « J’y comprends rien ! ‒ C’est normal, Barbara, tout est écrit en espagnol. Tu verras ça avec ton professeur. ‒ Mais je veux lire tout de suite ! » Mes pauvres parents ne regrettèrent sans doute jamais autant que ce soir-là de ne pas savoir l’espagnol. J’avais enfin appris à lire, je savais lire, je voulais lire, mais je ne comprenais pas. C’était scandaleux, honteux, inacceptable. Il aurait fallu, soit que tout le monde se mette instantanément au français, soit que je devienne instantanément capable de comprendre le sens de ces maudites pages. Depuis, je n’ai jamais cessé de me scandaliser, mais j’ai un peu appris la patience… Vint l’âge maudit, l’âge malingre, celui où tout le monde devient stupide : le collège. Au collège, à côté de l’espagnol, j’ai fait plusieurs découvertes, chacune chassant la précédente. La première, dont je ne me suis rendu compte que plus tard, a été l’argot local, un véritable panthéon où trônaient côte à côte les grands dieux Wesh, Thâmerh et Nikhtâras, que j’avais tendance à invoquer comme les autres à chaque phrase au grand désespoir de mes parents. La deuxième, pas bien originale non plus : l’anglais. Au début, j’ai bien aimé l’anglais. C’était facile, ou du moins ça en avait l’air. On le lisait partout, on l’entendait partout. Dans les films, on parlait anglais. Dans les séries télé, on parlait en anglais. La musique que mes amies et moi écoutions était aussi en anglais. Sur les affiches de films, sur les panneaux publicitaires, sur les emballages, on parlait anglais. Et sur Internet, où mes parents me laissaient m’aventurer par plages horaires rigoureusement contrôlées, on parlait anglais. Naturellement, mes amies et moi, on en a profité à fond. Dans des conditions pareilles, le vocabulaire, on n’a même pas besoin de l’apprendre, on l’attrape. Tout ça s’avalait en douceur petit à petit en même temps que le dernier groupe à la mode, la dernière série à la mode, la dernière vidéo Youtube à la mode, le dernier meme Internet à la mode, le dernier concept branchouille anglo-saxon à la mode, bref n’importe quoi permettant d’avoir l’air au taquet et de rester intégrée au groupe. Ce temps de funeste mémoire, où j’alignais les fuck, like et totally, ne prit fin que quelque part aux environs de la Seconde. Fut-ce à cause de l’idylle de deux semaines que je nouai cet hiver-là, pendant un séjour linguistique, avec un grand dadais londonien qui s’avéra être un parfait jackass ? Ou bien à ce documentaliste avisé qui, à la faveur d’un désherbage de fin de semestre au CDI, m’encouragea à repartir avec en poche un Shakespeare et un Tennyson ? Le fait est que soudain, tout ce mauvais anglais déversé à torrents par les radios, les télévisions, les publicités et les réseaux sociaux me parut insupportablement creux. Superman n’était plus que « Superhomme », Metal Gear Solid « Équipement métallique solide ». Le vocabulaire en peau de chagrin des tubes de l’été et des discours de Georges Bush me tapait sur le système. Le king était nu sous son cache-misère de hype et ça n’avait plus rien de sexy à mes yeux. Téméraire, je résolus d’élever le niveau en troquant mes yeah et mes dude contre des thee et des wherefore, qui n’eurent pas le succès escompté auprès de mon public ; vexée, je tins trois semaines drapée dans mon Shakespeare, jusqu’au moment où le grand William himself perdit ses charmes à mes yeux. Lorsque les yeux en question tombèrent par malheur sur une énième affiche vantant le Wall Street English dans une rame de métro, ce fut comme une épiphanie dans mes tripes : l’anglais, c’était fini. Il me fallait autre chose. Mais quelle langue commencer à la place ? Le japonais me tentait beaucoup (Miyazaki et les mangas étaient passés par là, Zelda et la J-pop aussi), mais j’appréhendais un peu l’obtention pas gagnée d’avance du consentement parental. Je tâtai le terrain, conquis le droit de m’inscrire à un cours d’été pen- D I S H A RM O N I ES dant les grandes vacances, le temps de trouver la voie. Un mois durant, j’avalai des listes de kanji avec le plus grand enthousiasme dans une salle occupée par une légion de fans de Naruto, six ou sept lolitasgoth dont ma nouvelle meilleure amie du monde et un charmant doctorant en histoire japonaise vieux comme mon papa et qui nous parlait invariablement de guerres mondiales et de tortures pendant la pause café. Ma nouvelle amie, Sen, se consola près de moi des malheurs amoureux qui lui avaient arraché l’homme de sa vie, un avocat sud-coréen rentré dans son pays ; je me consolai auprès d’elle de mon Londonien du semestre précédent ; blasées, revenues de tout, nous nous vêtions comme des veuves (le rouge à lèvres bleu en plus) et nous nous jurions de ne jamais retomber amoureuses, tout en déchargeant indifféremment nos fantasmes sur Hauru du Château ambulant ou sur lady Eboshi de Mononoke Hime, selon les jours. Mais toute chose a une fin, et celle de cette joyeuse vie de nonnes geek (comme on nous appelait) prit pour moi la forme d’un sms hâtif envoyé par Sen quelques heures avant le dernier cours, fin août : elle plaquait tout pour partir s’installer en Corée avec son bellâtre apparemment retrouvé, sans prendre le temps de me dire au revoir. Ni les coups de fil ni les courriels ne me la rendirent : elle aurait tout aussi bien pu s’être évanouie. PAGE 3 je tombai amoureuse de l’Amérique latine, et plus particulièrement d’un jeune musicien aux insondables yeux noirs. En plus d’être un joueur de marinbula et de bongo et un chanteur fort doué, Alejo est un passionné de l’histoire de l’île, attaché en outre à reconstituer celle de ses propres origines, puisqu’il compte parmi ses ancêtres des esclaves mandingues venus de l’actuel Sénégal. Je bénéficiai, pour ma part, de l’irrésistible exotisme conférés par mon accent français et par le doux nom de Normandie. Bref, nous sommes en couple depuis plus d’un an… et actuellement dans un avion en route pour Dakar. À ma gauche, Alejo lit le livre qu’il m’a offert pour mon anniversaire il y a quelques semaines et que j’ai dévoré : une version de l’épopée de Soundiata, héros de l’empire mandingue, qui couvrait au XIIIe siècle une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest, dont le Mali et le Sénégal. Depuis que je l’ai terminé, j’ai une furieuse envie de me mettre au mandinka. Eunostos Une nouvelle fois, je fus incapable de dissocier la langue des souvenirs que je lui associais. Le japonais garda longtemps pour moi le son de la voix de Sen, et les branches des kanji me paraissaient toujours recéler une absence. Découragée, j’abandonnai le japonais pour m’en retourner à mon bon vieil espagnol. À la rentrée, un vieil ami me parla de l’option arabe. Je l’y suivis, un peu bovinement, après avoir grommelé trois mots à mes géniteurs sur l’intérêt de la chose pour l’étude socio-historique de l’Espagne médiévale. Et ce fut le coup de foudre. L’alphabet arabe était le plus beau que j’eus jamais appris, et encore plus amusant que les deux ans passés à griffonner du grec ancien en 4e-3e. Les lettres arabes me donnaient envie de les peindre partout par grandes courbes élégantes, de les dessiner dans les airs à la pointe d’une rapière damasquinée, ou de les danser sur un air envoûtant comme les « Nuits d’Arabie » de l’Aladdin de Disney (on a les références qu’on peut à l’âge qu’on peut). Je m’inscrivis à un atelier de calligraphie, et me mis à dévorer des livres d’histoire qui m’aidèrent à acquérir une image du Proche-Orient un brin moins stéréotypée. Je découvris Omar Khayyam, écoutai Abed Azrié, puis lus les vraies Mille et une nuits. L’espagnol et l’arabe me tinrent pendant tout le lycée, au point que je les poursuivis en Licence d’histoire. C’est à ce moment que, par une série de hasards en librairie et en bibliothèque, je tombai sur les récits de voyage d’Ibn Battûta, puis sur ceux de Marco Polo, puis sur plusieurs vies de pirates (réels, sinon ç’eût été moins drôle), puis sur le journal de navigation de Christophe Colomb. Après ce détour, voilà que j’étais revenue à l’espagnol, cette fois aux Amériques. L’envie de voyager me gagnait de plus en plus. À la fin de ma L1, je partis en séjour d’études à Cuba, moitié pour l’espagnol, moitié pour les Caraïbes. Là, Marinbula. Photo Dr Clave, Wikimedia Commons, 2009. PAGE 4 A N N É E 5 , N U M É RO 3 7 Sociologiquement vôtre Diversité linguistique en Asie du sud : l’exemple de l’ourdou et ses rapports avec le hindi ، ا ا اور ں ں "!ی، ں#$% *) اردو *) ('ل लपट जाता हूँ माँ से और मौसी मु कुराती है / म उद ू म ग़ज़ल कहता हूँ ह द! मु कुराती है lipaṭ jātā hūn mān se aur mausī muskurātī hai /main urdū men ǧazal kahtā hūn hindī muskurātī hai J’embrasse ma mère et ma tante sourit / Je déclame un poème en ourdou, le hindi sourit. Munavvar Rana, poète indien contemporain De nos jours, l’ourdou et le hindi sont respectivement les langues officielles du Pakistan et de l’Inde. Ce sont deux langues qui ont une histoire commune et ont toujours entretenu des relations complexes. Pour bien cerner leurs rapports, un bref retour vers le passé s’impose. L’ourdou et le hindi sont deux langues proches, faisant partie du groupe indien des langues indoeuropéennes. Elles ont toutes les deux connu un développement important au XIXe siècle, alors que le persan, ancienne langue de la littérature et de l’administration, supplanté par l’anglais comme langue de pouvoir, perdait peu à peu de son prestige. Ces deux langues, dont la grammaire est très proche, se différencient surtout par leur vocabulaire, fruit de la riche histoire de l’Inde. À côté d’un stock de vocabulaire commun aux deux langues, le hindi, traditionnellement pratiqué majoritairement par la communauté hindoue, a emprunté un grand nombre de mots au sanskrit, qui a longtemps fait office de langue savante et d’administration de l’Inde ancienne et qui est également la langue des textes sacrés hindous. Le hindi s’écrit dans une écriture appelée devanagari (deuxième ligne de la citation en exergue). L’ourdou, associé à la communauté musulmane, a pour sa part largement puisé dans le vocabulaire du persan, langue indo-européenne enrichie de nombreux mots arabes parlée en Iran, qui a été la langue de l’administration musulmane de l’Inde notamment sous la dynastie moghole (du XVIe au milieu du XIXe siècle) et qui a longtemps été pratiqué par les élites culturelles, quelle que soit leur religion. L’ourdou s’écrit au moyen d’un alphabet arabe modifié. Ces emprunts au sanskrit et au persan, associés à des néologismes inspirés par ces deux langues, continuent aujourd’hui encore à enrichir respectivement le hindi et l’ourdou. Au moment de la lutte pour l’Indépendance, le choix d’une langue officielle a fait l’objet de vifs débats. Malgré la grande variété de langues parlées en Inde, il s’est centré sur le choix entre ourdou et hindi. L’ourdou avait alors encore une place éminente, associée au rôle traditionnel, quoiqu’en net déclin, d’élites musulmanes dans les champs politiques et culturels, et à l’importante tradition poétique dans cette langue, remontant au XVIe siècle. Les Britanniques lui avaient reconnu à la fin du XIXe siècle un statut officiel dans de nombreuses régions du nord de l’Inde, avant de le remplacer partiellement par le hindi. Mais le hindi était la langue maternelle de la majorité des Indiens du nord, et en cette période de développement des tensions communautaires, le symbole des revendications de la majorité hindoue. L’on soutenait le hindi, l’ourdou, le bilinguisme, voire, comme Gandhi, une langue mixte, proche de celle parlée couramment par la plupart des Indiens du nord et faisant fi des subtilités linguistiques et des divisions communautaires. Car c’est bien la particularité de cette rivalité : le hindi parlé et l’ourdou parlé sont intercompréhensibles. Autant les langues littéraires diffèrent considérablement, autant à quelques nuances de vocabulaire et de prononciation près, les deux langues, à un niveau de langage courant, sont extrêmement proches. À titre d’exemple, voici ci-contre un extrait d’une des premières leçons de deux méthodes de langue de la collection Teach Yourself. On s’aperçoit que la transcription est quasiment identique. À l’exception de la formule de salutation ourdoue, les deux extraits pour- Méthode de hindi : - हलो राज, $या हाल है ? […] - सब ठ,क है । और आप कैसे ह ? -halo rāj, kyā hāl hai ? - sab ṭhīk hai . Aur āp kaise hain ? - Hello Raj, Comment ça va ? - Tout va bien. Et vous, comment allez-vous ? Méthode d’ourdou : ؟ ل- *% ، .- / 01 ا0 *12 م4 ا . 5*67 . […] *)؟5*67 اور آپ -assalāmu ’alaikum aslam sahib, kyā hāl hai ? - sab ṭhīk hai. Aur āp ṭhīk hain ? -Bonjour M. Aslam, comment ça va ? -Tout va bien. Et vous, est-ce que vous allez bien ? raient figurer aussi bien dans une méthode d’ourdou que de hindi. À l’image du terme hāl, « état, situation », mot d’origine arabe arrivé en Inde par l’intermédiaire du persan et présent dans les deux extraits, le hindi parlé n’hésite pas à employer lui aussi des mots venant du persan. La dégradation des relations entre les communautés qui a abouti au bain de sang de la Partition a brutalement mis fin aux débats. Les deux nouveaux pays, tout en laissant à l’anglais un statut officiel, ont adopté la langue associée à leur religion majoritaire : le hindi pour l’Inde, l’ourdou pour le Pakistan. Ces choix ont vite présenté un certain nombre de difficultés. Au Pakistan, l’ourdou était la langue des réfugiés venant d’Inde, mais il n’était pas du tout implanté dans les régions attribuées à cet État, et malgré la reconnaissance de langues régionales, la politique volontariste en faveur de l’ourdou a été l’une des causes de la scission en 1971 entre Pakistan occidental et Pakistan oriental (aujourd’hui Bengladesh), très attaché à sa langue, le bengali. Le hindi n’a aujourd’hui aucun statut officiel au Pakistan. D I S H A RM O N I ES Un panneau de direction de New Delhi, présentant une transcription en caractères ourdous fautive. La troisième ligne est du gurmukhi, lu par les Pendjabis. En Inde, il reste, après la Partition, une importante minorité musulmane (13,4% de la population en 2001). Cette communauté bénéficie de garanties constitutionnelles protégeant notamment les cultures et langues minoritaires. Elle est également protégée par le caractère «séculier» de l’État Indien. Dans les premières années de l’Indépendance, c’est cependant une communauté qui a été totalement désorganisée par le départ vers le Pakistan d’une grande partie de ses élites, et plus largement, des franges les plus aisées de la population musulmane. Et l’ourdou, sa langue traditionnelle, la seule que savaient lire et écrire beaucoup de musulmans, était désormais la langue officielle d’un pays avec lequel l’Inde allait entretenir des relations conflictuelles allant à plusieurs reprises jusqu’au conflit armé. Le hindi officiel, lui, répandu par la radio, puis la télévision nationale, se sanskritise de plus en plus, comme pour bien se différencier de son rival. De façon significative, on parle alors à propos de cette langue officielle finalement assez artificielle, débarrassée de ce tout ce qui est senti comme une influence étrangère, de śhuddh hindī, c’est-àdire de « hindi pur ». Le terme n’est pas plus neutre en hindi qu’en français. L’ourdou a suivi au Pakistan un mouvement parallèle, ce qui a pu faire dire, dans une formulation imagée bien trouvée, que hindi et ourdou sont « deux vraies jumelles qui ont décidé de s’habiller le plus différemment possible » (C. Shackle, R. Snell). Quelle est donc aujourd’hui la situation de l’ourdou en Inde ? D’après le recensement de 2001, 51 536 111 Indiens déclarent l’ourdou comme langue maternelle. L’Inde, à côté des langues officiel- PAGE 5 les nationales que sont le hindi et l’anglais, laisse aux États qui la composent une grande autonomie sur le plan linguistique. Les enfants apprennent, en théorie, trois langues : leur langue maternelle ou celle de leur État, l’anglais, et le hindi (si ce n’est pas aussi la langue de leur État) ou une langue régionale. Or, pendant longtemps, un seul État reconnaissait l’ourdou comme une de ses langues officielles. Étrangement, il s’agissait du Cachemire, seul État indien à majorité musulmane, revendiqué par le Pakistan, mais dont la population n’est pas du tout ourdouphone. Depuis, il a acquis un statut officiel en Uttar Pradesh, Bihar, Andhra Pradesh, Jharkhand, Uttarakhand, et dans la capitale, New Delhi. Cependant ce statut, partagé avec d’autres langues, est resté largement théorique, et la volonté politique de soutenir cette langue a souvent fait défaut. Les écoles dispensant un enseignement primaire en ourdou n’étant pas assez nombreuses, c’est sur les madrasas, écoles essentiellement religieuses, que repose la tâche d’apprendre à lire et à écrire aux enfants de langue ourdoue. Le niveau est très faible, y compris dans les écoles financées par l’Etat, et le taux de réussite aux examens des élèves éduqués en ourdou, extrêmement bas. L’édition ne se porte pas bien non plus. Les tirages dépassent rarement le millier d’exemplaires, les rééditions sont rares. Le choix de livres en ourdou en librairie ou en bibliothèque est limité. Et la presse ne se porte guère mieux, cédant souvent à la tentation communaliste, et se limitant aux domaines de la littérature, de la religion, de la presse people et des magazines féminins, sans grand hebdomadaire généraliste. Du roman de Vikram Seth A Suitable Boy au film d’Ismail Merchant In Custody (adapté d’un roman d’Anita Desai), le thème du déclin de la langue ourdoue en Inde revient dans de nombreuses œuvres. In Custody, écrit en 1984 et adapté au cinéma en 1994, décrit ainsi la déchéance d’un poète ourdouphone et la lutte d’un professeur passionné d’ourdou, mais contraint d’enseigner le hindi, pour faire connaître son œuvre. C.M. Naim, écrivain de langue ourdoue, dresse, dans un témoignage émouvant publié en 1994, peu après de violents affrontements inter-communautaires, un triste tableau de la situation de sa langue. Écrire en ourdou, conclutil, est devenu un acte politique. Il cite deux vers déclamés par un jeune poète qui avaient malgré leur faiblesse fait naître des applaudissements nourris parmi les auditeurs, tous ourdouphones : « Tous m’aiment, mais nul ne m’appartient / Je suis dans ce pays comme la langue ourdoue. » Ces vers sont révélateurs d’un autre paradoxe de la situation de l’ourdou en Inde : sa valeur comme langue poétique est reconnue par tous. C’est, de l’avis général, une langue raffinée, douce à l’oreille, perçue comme intrinsèquement poétique. Elle évoque la cour des nawabs de Lucknow, les courtisanes cultivées, la poésie amoureuse précieuse d’autrefois. C’est dans ce sens que Gulzar, poète et parolier indien contemporain, de religion sikhe, mais composant fréquemment en ourdou, peut écrire : ز= ں% ? ط ح% BC D … ط ح% اردو رE وه वह यार है जो ख़श ु बू क2 तरह / िजसक2 ज़ुबां उद ू क2 तरह… vah yār hai jo khuśbū kī tarah / jiskī zubān urdū kī tarah J’ai une amie semblable à un parfum / Dont la langue sonne comme de l’ourdou… Certains vers des poètes d’antan, popularisés par le cinéma, mis en musique et chantés par des chanteurs appréciés par une large audience, sont bien connus par un public qui dépasse largement la communauté musulmane. Leur transcription en devanagari lue par la majorité hindiphone, semblable à celle que j’ai réalisée pour les besoins de cet article, est une pratique courante. Mais cette admiration, teintée de nostalgie, n’est pas sans danger : l’ourdou est vu par beaucoup d’Indiens comme une langue d’autrefois, reflet d’une civilisation défunte. Langue d’une minorité religieuse, mais aussi langue porteuse d’un héritage culturel partagé plus largement à travers l’Inde, et commun au Pakistan, l’ourdou est donc en Inde dans une situation complexe, encensé comme langue poétique, mais aussi fragilisé par sa proximité avec la langue majoritaire et menacé, à l’instar de nombreuses autres langues minoritaires en Inde, par l’hégémonie du hindi. Son ave- PAGE 6 A N N É E 5 , N U M É RO 3 7 nir en Inde, indissociable de celui de la communauté musulmane indienne, dépendra tant des volontés gouvernementales que des initiatives de ses locuteurs pour la faire vivre. A.M Note sur la transcription. Voyelles. Les voyelles longues sont indiquées par un trait sur la lettre. La nasalisation est marquée par un n en exposant. Sources. Shackle, C., & Snell, R. (1990). Hindi and Urdu since 1800: a common reader, Heritage Publishers. Khalidi, O. (10 octobre 2010). « A Report on Urdu literacy in India », Language in India, 10, 2010. Naim, C.M. (1993). « Urdu e d u c a ti o n i n I n d ia , so m e observations ». (Article écrit pour un numéro spécial de Mainstream jamais publié.) Consonnes. Les consonnes pointées sont des rétroflexes, à prononcer en tapant le bout de la langue sur le palais. Les aspirées sont indiquées par un h en exposant, ǧ est une fricative vélaire sonore et kh une fricative vélaire sourde. En vers et contre tout (1) Love’s leaves Éros et Psyché This is how the night ends: Voilà comment, enfin, se termine la nuit : With a moan, and a whisper – Par un gémissement, et un dernier soupir – In the sweet pangs that pleasure lends, Dans les douces douleurs empruntées au plaisir, That come and go and minds shatter. Qui reviennent, s’en vont, et tourmentent l’esprit. A soft and warm wind breathes away Un doux et tiède vent enlève sur son aile The fears of a dark waning night Les multiples terreurs d’une nuit qui s’enfuit And in the dawn hides the pains of day, Ou les douleurs d’un jour que tient l’aube en ses plis, Taking them swiftly in its flight Et emporte le tout à l’autre bout du ciel. Now they sever – each alone – Les voilà séparés – chacun de son côté – As greenery’s shady halls to gold turned, Comme une verte allée prenant les tons du miel, When Time’s breeze ebbs – is gone, Quand la brise du Temps dépose derrière elle Laying blood leaves on grass that was burnt. Quelques feuilles de sang sur une herbe brûlée. This is how cold days start, Voilà comment débute un de ces jours de froid, When from one stem two twigs depart. Quand deux rameaux d’un tronc quittent leurs entrelacs. A Sword in the Darkness D I S H A RM O N I ES PAGE 7 Nouvelles bulles (1) PAGE 8 A N N É E 5 , N U M É RO 3 7 La onzième harmonie Traduttore, traditore Jusque récemment, la traduction d’opéras était monnaie courante. En fouillant sur les étagères de vinyles de vos parents ou grandsparents, peut-être trouverez-vous ces compilations d’airs d’opéras, terriblement désuètes, où de grands chanteurs français comme Tony Poncet ou Liliane Berton chantaient « Comme la plume au vent » (traduction de « La donna e mobile » de Rigoletto de Verdi) ou « Rien ne peut changer mon âme » (« Una voce poco fa », Il barbiere di Siviglia, Rossini). Hier outil obligatoire de transmission de l’art lyrique dans tous les pays, la traduction à l’opéra est perçue aujourd’hui comme une véritable hérésie. Qu’on ne s’y trompe, il ne s’agit vraiment pas d’un excès de snobisme d’un petit cercle fermé d’amateurs : la traduction détruit simplement la musique d’un compositeur. Comment en effet exceller dans l’art du legato italien lorsqu’on doit prononcer des « r » à la française, qui viennent du fond de la gorge et cassent complètement la ligne mélodique ? Comment donner la rondeur nécessaire à ces airs dans une traduction française qui fait la part belle aux voyelles nasales telles que le « on », le « in », le « an » ? Car, de l’italien à l’anglais, en passant par le français, l’allemand ou le klingon1, la musique d’un opéra est intimement liée à la langue utilisée. Écoutez les opéras italiens de Mozart (Cosi fan tutte par exemple) et comparez-les avec ses opéras allemands (Die Zauberflöte – La flûte enchantée – par exemple), et vous sentirez vraiment la différence entre une langue latine construite sur les voyelles et une langue qui, au contraire, se sublime par le claquement de certaines consonnes ou le sifflement d’autres ! Heureusement pour les mélomanes d’aujourd’hui, la notion de fidélité aux œuvres n’est plus étrangère au monde musical et, dans tous les opéras du monde, les œuvres sont présentées dans leur version originale. Les adaptations « officielles » Cependant, vous serez peut-être surpris de voir des opéras présen- tés dans deux langues différentes. Par exemple, on donne régulièrement Orfeo e Euridice de Glück2 mais Orphée et Eurydice est parfois joué dans certaines salles. De même pour plusieurs opéras de Gaetano Donizetti : Lucia di Lamermoor côtoie Lucie de Lamermoor et La fille du régiment se donne tout aussi bien que La figlia del regimento. Serait-ce un relent de chauvinisme suranné ? Dans ces cas particuliers, pas du tout ! En effet, les traductions proposées le furent par les compositeurs eux-mêmes. Ces derniers, au fait de la musicalité de chaque langue, ont même réécrit les œuvres afin de les adapter à la langue choisie. Ce n’est donc pas la même œuvre que l’on va entendre lorsqu’on assiste à Lucie ou Lucia di Lamermoor. Si la musique est en grande partie gardée, la distribution des rôles, ainsi que l’orchestration, les indications de nuances, de tempo, peuvent changer. Par exemple, dans les deux opéras de Gluck cités plus haut, le rôle d’Orphée est tantôt distribué à un contre-ténor (dans la version italienne), tantôt à un haute-contre dans la version française. Le premier a une voix brillante, puissante, très à l’aise dans l’aigu, convenant parfaitement à la luminosité naturelle de l’italien ; la seconde, qui correspond à une voix un peu plus aiguë que la tessiture de ténor, est plus mate, plus pastel, sorte d’écrin pour cette langue plus « fragile » et moins chantante qu’est le français. Entre Lucia di Lamermoor et Lucie de Lamermoor, opéras qu’il serait impossible de résumer en quelques lignes, les différences sont aussi flagrantes. Certains morceaux ont été remplacés dans la version française pour rendre le rôle plus léger, plus français en quelque sorte. Un des personnages de l’histoire italienne, Alisa, confidente de Lucia, est même évincé dans la traduction ! La soprano française Natalie Dessay, interprète de référence de ces deux rôles, avoue à ce sujet avoir été mise en difficulté dans certains passages de Lucia di Lamermoor, rôle qu’elle juge beaucoup plus lourd que celui de Lucie. Les sous-titres, outils de la dramaturgie ? Mais tous les compositeurs n’ont pas proposé de traduction française de leurs opéras, loin de là ! La solution pour réussir à suivre l’intrigue d’une œuvre en version originale, si on n’a pas eu le temps de l’apprendre par cœur avant la représentation, est de suivre les sous-titres (s’ils sont placés sur le fauteuil devant vous) ou surtitres (si, comme dans tous les théâtres parisiens, ils sont placés au-dessus de la scène). Sans vouloir être un ayatollah du respect des œuvres, les sous-titres peuvent parfois trahir l’œuvre originale. Détournant le regard de la scène, ils peuvent empêcher d’être au cœur de l’action, casser les effets de surprise (lorsqu’on lit le soustitre avant que la parole soit effectivement prononcée par le chanteur), voire créer des effets comiques involontaires. C’est pourquoi certains metteurs en scène, acceptant pleinement la devise « Traduttore, traditore », se sont mis à utiliser les surtitres comme éléments faisant partie intégrante de la dramaturgie. Michael Haneke, double palme d’or à Cannes, a par exemple décidé dans son Don Giovanni transposé dans un immeuble à la Défense, de réécrire tous les surtitres pour les actualiser (« paysanne » est par exemple remplacé par « femme de ménage ») ; Michael Meyer, metteur en scène de Broadway, utilise le même procédé dans sa mise en scène de Rigoletto qui se joue actuellement au Metropolitan Opera La soprano française Natalie Dessay s'est d'abord fait remarquer dans le rôle français de Lucie de Lamermoor, avant d'aborder celui de Lucia. D I S H A RM O N I ES (« Vittoria » se traduisant ainsi par « Jackpot ! »). Du côté des musicals Si tout le monde s’accorde maintenant pour présenter les opéras dans leur version originale, pourquoi n’en est-il pas de même pour les comédies musicales3 ? En effet, si l’on prend l’exemple de Paris, deux opinions s’affrontent : celle du théâtre du Châtelet qui présente toutes ses comédies musicales en version originale, et celle du théâtre Mogador, qui les traduit systématiquement. Même du côté des compositeurs de comédies musicales, les avis divergent : si Stephen Sondheim (le compositeur de Sweeney Todd) trouve nécessaire que toutes ses œuvres soient traduites, le compositeur Oscar Hammerstein II (The Sound of Music) trouve l’idée d’un musical en français complètement absurde ! Prenons l’exemple de Chicago, comédie musicale de John Kander rendue célèbre par son adaptation cinématographique avec Catherine Zeta-Jones, Renée Zelleweger et Richard Gere. Il existe une adaptation en français (faite par Laurent Ruquier) qui, bien qu’elle soit plutôt bien écrite, fait perdre tout son sel à de grands moments de l’œuvre. Prenons comme exemple la chanson introductive, « All that jazz ». L’adaptation française présente un double problème. Regardons pour cela le premier couplet ainsi que sa traduction française. Come on babe Why don’t we paint the town? And all that Jazz I’m gonna rouge my knees And roll my stockings down And all that jazz Start the car I know a whoopee spot Where the gin is cold But the piano’s hot It’s just a noisy hall Where there’s a nightly brawl And all that jazz Mon bébé, on va se payer une fête Où il y a du jazz! Visant mes collants noirs, toi tu enfiles tes gaines On va au jazz! On démarre vers un bar sensuel Où le gin est froid, le piano démentiel On se soulera jusqu’à ce qu’on monte au septième ciel C’est ça le jazz! PAGE 9 On voit qu’en français on perd tout le sens de l’expression « all that jazz » (qu’on pourrait traduire par « et tout le tintouin ») ! Mais un problème, plus grave à mon avis, tient à la musicalité même de la langue. En effet, le « a » de jazz donne lieu, dans la version anglaise, à un déploiement gouailleur de syllabes et de notes : la chanteuse chante plutôt « djè-ia-è-i-a-i-a-è-azzz », résumant ainsi en un seul mot toutes les couleurs de la voix de Velma, la séductrice criminelle de l’œuvre. En français, malheureusement, un « a » reste un « a », et les fins de phrase restent désespérément plates ! Certaines œuvres supportent cependant bien la traduction, à certaines conditions de réécriture. On peut citer par exemple Les Misérables (originellement d’Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg). Grâce au producteur américain Cameron Mackintosh, cette comédie musicale française, à la musique superbe mais à l’orchestration immonde (à base de synthétiseur), est devenue un vrai musical dans la plus pure tradition de Broadway. En entendant les deux versions côte à côte, il est vraiment difficile de préférer la version française... Dans la même veine, certaines œuvres ont très bien subi le passage de l’anglais au français. Ainsi en est-il de Man in la Mancha, qui a connu, avec Jacques Brel, mais aussi avec le baryton José Van Dam, deux interprètes francophones de grande envergure. La réussite de ces deux adaptations montre que cette comédie musicale sur Don Quichotte possède une écriture suffisamment universelle pour être adaptée dans de nombreuses langues, et de plusieurs manières différentes (sous forme de comédie musicale avec Brel, sous les traits d’un opéra avec Van Dam) ! Plus récemment, on peut citer l’excellente adaptation de Cabaret en 2011 au théâtre Marigny. Mais, quitte à se répéter, le Cabaret français n’est pas tout à fait la même œuvre que l’américain. Le meneur de revue y est peut-être encore plus ambigu, l’héroïne plus fragile : c’est peut-être pour cela que l’adaptation a si bien fonctionné. Trahison ou traduction, la réponse est donc en réalité la création : on crée une nouvelle œuvre lorsqu’on décide de traduire une œuvre musicale. Nous l’avons montré pour l’opéra, pour la comédie musicale, mais la chanson pourrait encore étayer ce propos : rien à voir en effet entre « Comme d’habitude » de Claude François et « My way » de Paul Anka ; aucun rapport entre « La mer » de Charles Trénet et « Somewhere beyond the sea » de Jack Lawrence... Niko 1. ’U’, premier opéra en Klingon, sur un livret de Kees Ligtelijn et Marc Okrand et une musique de Floris Schönfeld (2010). 2. Cf. Disharmonies no34, « Aux Enfers ». 3. Par « comédie musicale » , on parle des musicals américains et des quelques œuvres françaises qui possèdent une trame dramatique (comme Les Misérables) et qui ne sont pas un simple alignement de singles. P A G E 10 A N N É E 5 , N U M É RO 3 7 Histoires extraordinaires Hiéroglyphes énigmatiques : une lettre inhabituelle « Heu... Christophe ? » appela Paul. Christophe était assis à son bureau, oscillant comme un arbitre de Roland-Garros, attrapant à droite à gauche des notes surmontées de post-it marqués de « urgent » à « apocalyptiquement urgent », et griffonnant parfois quelques mots sur un brouillon de passage. « Oui ? » répondit Christophe sans s’arrêter d’écrire. « Heu... On se demandait si tu voulais... » commença Paul. « Regarde-moi ça ! » l’interrompit Christophe, en lui montrant une des notes. « Ces imbéciles des services secrets chinois pensaient rendre leurs messages indéchiffrables en utilisant un dialecte d’il y a à peine trois siècles ! Ils croient que nous n’apprenons rien à l’école ou quoi ? — Trois siècles ? — Et ces demeurés de terroristes corses ! renchérit-il en désignant un autre papier codé. Je suis désolé, si tu veux empoisonner ton pays avec un plan aussi idiot que de trafiquer le colorant rouge de la cire qui enveloppe tes fromages, aie au moins la décence de le coder avec plus de cinq patois distincts ! » Encore une fois, Paul comprit pourquoi Christophe était à la tête de la section linguistique du département décryptage. Les Renseignements Généraux lui devaient assurément une grande partie de leurs récents succès. « Sacré Christophe ! Y a que toi pour déchiffrer des trucs comme ça ! En même temps, avec une mémoire photographique... — Je n’ai pas une mémoire photographique, corrigeat-il. C’est juste que je me souviens parfaitement de n’importe quel moment de ma vie, comme si j’y étais de nouveau. » Paul leva les yeux au ciel, mais Christophe ne le remarqua pas. « Après il a quand même fallu que je dévore tous ces dictionnaires... — Bref. On se demandait, avec le reste de la section, si tu voulais venir déjeuner ? » Christophe fixa Paul d’un air éteint. Il avait toujours de lourds cernes et une pâleur particulière, mais durant ces moments d’absence occasionnels, il avait l’air encore plus malade que d’ordinaire. Christophe secoua la tête. « Pardon. Tu disais ? » — Le déjeuner. Tu veux venir ? — Oh. Merci... mais je passe. J’ai trop de boulot. Et comme tu l’as dit il y a 73 secondes, il n’y a que moi qui puisse déchiffrer ces trucs-là... » Il avait enfin terminé. Enfin, jusqu’à la prochaine pile. Christophe s’affala sur sa chaise et soupira. Il n’osait regarder sa montre. Le fait que tous ses collègues étaient rentrés dormir suffisait à lui faire comprendre qu’il avait encore une fois trop veillé. Mais comment dormir, en sachant que le prochain code à déchiffrer serait peut-être enfin celui qui lui donnerait du fil à retordre ? Il s’était engagé dans cette voie moins par désir de sauver des vies que par amour des codes secrets. Mais pour Christophe, plus les jours passaient, plus ses connaissances s’agrandissaient et moins les codes étaient difficiles. « Demain, peut-être... » pensat-il en posant ses bras sur son bureau, puis sa tête dans ses bras. Juste une petite sieste... De toute façon, même s’il dormait, il y aurait toujours quelqu’un pour venir chercher ses traductions et lui déposer une nouvelle pile de messages frais pêchés par le service d’écoute. « Demain, peut-être... » repensa-t-il en sombrant dans le sommeil. Il se réveilla l’esprit embrumé de rêves étranges et familiers. Son cou était douloureux et ses bras pleins de fourmis. Il se leva, et profita d’un passage aux toilettes pour faire craquer ses articulations. En revenant à son bureau, il aperçut la nouvelle pile de messages à déchiffrer. « Allons-y » soupira-t-il. Les quatre premiers ne lui prirent pas plus d’une demi-heure, mais le cinquième lui fit faire une pause. Christophe n’avait jamais vu un code comme cela. Le message mélangeait au moins une douzaine d’alphabets, mais avec son expérience de reconnaissance des motifs, Christophe savait qu’il ne s’agissait pas d’une farce des collègues. Ce patchwork de symboles avait une logique. Christophe sourit. Il sentait que celui-là lui prendrait du temps. Pressé de s’attaquer à ce nouveau défi, il décrypta la dizaine de messages restants en moins d’une heure. Puis il se servit une tasse de café noir, et reprit le message mystérieux. La complexité de ce code dépassait ses rêves les plus fous. Il lui fallut trois heures pour identifier tous les caractères et symboles du message, avec un peu d’aide des encyclopédies de linguistique qu’il n’avait pas encore eu le temps de lire en entier. Les caractères coréens le ramenèrent au voyage en avion pour Séoul qu’il avait partagé avec sa classe de quatrième ; les onze heures de vol avaient été amplement suffisantes pour lire méthodiquement le dictionnaire et le manuel de grammaire coréens. Christophe pouvait encore sentir le parfum de sa voisine de siège, comme s’il y était... Mais aussitôt après il apercevait des mots en grec ancien sur le message et ses souvenirs l’emmenaient aux cours de langues anciennes de son ancien lycée. Il alterna ainsi entre le présent et des passés plus ou moins lointains, entre le français, l’anglais, l’espagnol, l’allemand, l’arabe, le chinois, le coréen, le latin, le grec, le russe, le japonais, le hindi, le sanskrit, l’hébreu, le morse, le copte, le klingon, les hiéroglyphes égyptiens, l’araméen, et cent de leurs variantes... Chaque fois qu’il pensait avoir achevé une étape du décryptage, il en découvrait deux nouvelles. Au deuxième jour, il comprit que ce message n’était pas venu du service d’écoute. Aucun espion n’utiliserait un cryptage aussi complexe. Coder le message avait dû prendre au moins une semaine ! Et qui plus est, Christophe avait l’intuition que ce message lui était destiné personnellement... D I S H A RM O N I ES Après quatre jours acharnés, Christophe en vit le bout. Remplacer un tiers des symboles par leur équivalent phonétique, un tiers par leur place numérotée dans l’ordre canonique de leur alphabet, et le dernier tiers par leur traduction en espéranto avait permis à Christophe d’obtenir une longue suite de lettres latines entrecoupées de nombres, ce qui signifiait qu’il ne restait plus qu’une permutation à effectuer pour obtenir le message caché. Christophe regarda autour de lui, pour s’assurer qu’il ne serait pas interrompu. Mais c’était le milieu de la nuit, pas un collègue n’était en vue. Les rares fois où ils étaient venus lui apporter du travail, son cerveau et ses souvenirs linguistiques étaient en telle activité qu’il avait traduit leurs cryptages enfantins en quelques secondes. Tremblant, Christophe effectua la dernière permutation. Le contenu du message le laissa sans voix. « Cher Christophe, laisse-moi me présenter. Je suis toi. Du futur. Pour te le prouver, je sais que tu as autrefois dérobé cent francs dans le portefeuille de grand-père et que tu viens de passer quatre jours, huit heures et dixsept minutes à déchiffrer mon message. Je sais que ça t’a plu, car je m’en souviens. Tu ne l’as pas pleinement réalisé – même si ce marathon dans tes souvenirs a dû t’y aider – mais tu n’as pas une mémoire photographique. Tu as le pouvoir de voyager dans ton propre temps. Si par exemple tu essayes de te souvenir du 16 février 1994 à 16h35... » Christophe se retrouva dans son corps de huit ans. C’était l’heure du goûter, et il avait un papier et des feutres devant lui. Le papier contenait le message « ...tu verras ce message, que j’ai écrit à 16h34 en partant d’un plus lointain futur. Convaincu ? » écrit d’une écriture ferme d’adulte. Christophe, paniqué, froissa le papier de ses mains d’enfant et le jeta dans la corbeille. C’était réel. C’était fou. Il voulait revenir à son époque... Il y revint. Il était en avril 2013, sur son bureau, à lire ce message impossible. Il continua. « Tu peux maintenant comprendre comment ce message est arrivé ici. Je suis en 2065, et je viens de passer deux semaines à composer ce code magnifique . Je vais maintenant me plonger dans ta conscience endormie d’il y a – pour toi – quatre jours et douze heures. Je « me » réveillerai, et j’écrirai ce message codé sur la première feuille venue, puis je la glisserai dans la pile de nouveaux messages à décrypter. Pourquoi ? Parce que je me souviens avoir lu ce message, et que la boucle temporelle doit être bouclée. Mais si tu veux une meilleure raison, remonte au jour de ta naissance. » Le message s’arrêtait là. Christophe leva les yeux de la feuille. Dingue... Puis il essaya de se souvenir de sa naissance. Une lumière aveuglante. Une insupportable première bouffée d’air. Un cri de douleur, une première parole, un premier son. Et une conscience toute blanche, libre de tout potentiel. Christophe avait appris tant de langues dans le passé, dans le futur, mais c’était ici qu’il se sentait omnilingue. Christophe se retrouva de nouveau en 2013. Tout était P A G E 11 clair maintenant. La langue universelle, nous l’avons tous à notre naissance. C’est en escaladant la tour qu’est notre vie que nous la perdons, en la remplaçant par une ou deux langues spécifiques tellement moins riches. Mais Christophe, lui, pouvait monter et redescendre la tour de sa vie à loisir. « C’est à moi de leur montrer », conclut-il. Le matin suivant, Paul trouva sur le bureau de Christophe une lettre de démission avec un post-it qui disait : « J’ai une religion universelle à fonder, ça risque d’être un boulot à plein temps ». Le 16 février 1994, à 16h36, Hélène apportait un chausson aux pommes à son fils Christophe, quand elle le vit froisser un papier, effrayé. « Pourquoi tu viens de jeter ce papier ? » demanda-t-elle. Christophe cligna des yeux pendant une dizaine de secondes. « Chais pas... » répondit-il avec son adorable voix d’enfant. Quelque temps en 2065, le Guide Omniscient de l’Union de la Langue Universelle, autrefois connu sous le nom de Christophe, revint dans ses appartements. Il venait de délivrer son discours quotidien aux neuf milliards d’âmes que formaient ses fidèles. Le discours habituel, de paix, de découverte de l’autre via la Langue Universelle commune à tous, et d’amour de la pomme. Le Guide avait toujours aimé les pommes. Ses fidèles employés lui ouvrirent la voie silencieusement, tout en se demandant à quelle sainte activité il allait se livrer. Méditation ? Prière pour les quelques pauvres âmes qui n’avaient pas encore adopté la Langue Universelle ? Le Guide verrouilla son bureau derrière lui, et s’assit à sa table de travail. Cela faisait deux semaines qu’il s’amusait à composer le code à renvoyer cinquante-deux ans en arrière, et il n’avait aucune hâte de terminer. Le vieil homme gloussa à l’idée des cheveux que son prédécesseur s’arracherait / s’était arrachés sur ses cryptages inter-langues et son utilisation surprise de l’espéranto. Par exemple, il avait retrouvé dans une vieille encyclopédie un hiéroglyphe pratiquement inconnu ressemblant fort à une esperluette. Il prit son temps pour s’entraîner à le dessiner d’une écriture qui ne serait pas familière au Christophe de 2013. Il rit de nouveau, puis ferma la boucle. Brandolph P A G E 12 A N N É E 5 , N U M É RO 3 7 L’eau à la bouche Sabayon polyglotte, ou le festin de Babel (Babels gaestebud en danois) Pour 4 personnes : 3 bananes mûres (ndizi en kiswahili) 75g de raisins secs (stafida en grec) 2 cuillers à soupe de rhum (en créole de la Réunion, gildiv, lamtav, mantoz ou encore ku d’sek) 3 jaunes d’œufs (yemas en portugais) 30g de sucre de canne (azúcar en espagnol) 1 pincée de poudre de cannelle (kurundu en cinghalais) 3 gousses de cardamome (ēlam en malayalam) 15cl de crème liquide (śmietanka en polonais) 30g de pistaches concassées (Antep fıstığı en turc) 1) Mettre les raisins secs (uve sultanine en italien) dans une coupelle avec le rhum (toaka en malgache) et une cuillerée à soupe d’eau chaude. Laisser gonfler une demi-heure. 2) Dans un grand bol, en métal de préférence, battre vivement les jaunes d’œufs (ou rossi, « rouges d’œufs », dans certains dialectes italiens) avec le sucre (sik en créole haïtien), jusqu’à les faire blanchir : c’est la base du sabayon (gogol-mogol en russe). Ajouter la crème (Sahne en allemand), la cannelle (ilavangam en tamoul) et les gousses de cardamome (ilāyachī en hindi). 3) Mettre le bol au bain-marie (yusen en japonais). Continuer de fouetter avec entrain afin que le mélange épaississe et monte bien (il doit au moins doubler de volume). Retirer les gousses de cardamome, réserver. Allumer le gril du four (sütő en hongrois). 4) Éplucher les bananes (saging en tagalog), les couper en rondelles fines, les disposer en rosace au fond de quatre grandes coupelles en céramique. Égoutter les raisins secs, les répartir sur les bananes, verser le sabayon (de l’italien zabajone) par-dessus. Faire gratiner 5 à 10 minutes au four, jusqu’à ce que la surface soit dorée. Saupoudrer de pistaches (peste en farsi) concassées. À déguster chaud, mais sans se brûler la langue (lango en espéranto) ! Am42one Nouvelles bulles (2) Les aventures à Aiaié Ulysse : Ô étonnant compagnon, Elpénor... Quand j’ai dit que la ruse consiste à « saisir l’instant propice »… J’ai bien dit « l’instant propice » (kairos). Pas « le petit cochon » (khoiros). Elpénor : Mais, ô Ulysse aux mille syllabes, qu’ai-je fait de mal ? J’ai saisi les deux pour le dîner ! Eunostos D I S H A RM O N I ES P A G E 13 Miscellanées (2) ﻣﺎﻣ ﺎ ا ٔﺳﻮد ْ .ﰷن ﻗﻂّ ﺣﻜﲓ ُﻠﻴﻮان ﻣ ﻮ ﺪ ﰲ اﳌﻄﺒﺢ ﺔ ﺣﻜﲓ إﱃ#ذﻫﺒﺖ زو .ﻰ ﻣﻊ ﺻﺪﻳﻘﳤﺎ0اﳌﻘﻬ .ﱪﻳﻞ# @ى اﳌBٔ ﻧﻈﺮ إﻟﯩﺎﻟﻨﺎﻓﺬة و ر. ﺎﻩ ﻧﻮر ﻏﺮﻳﺐ8ﲾ<ٔة إﺳﱰﻋﻰ إﻧ :ّﺔIﻠﻐﺔ ا ٔرﻣKL @ اﳌM ﺻﺎﺑﻪ ْﻣ ّﺲ ﻣﻦ اﳉﻨﻮن ﺣﱴ ﻗﺎلBٔ ﻧ ّﻪBٔ ّﻇﻦ ﺎر# .ً`ﺲ ﻃﻌﺎﻣ ًﺎ ﺳﻠc ﻟ.ﻠﺤﻢ ﺧﻄﲑK ﻗﻂّ ﺣﻜﲓ! ﻫﺬا اX ﲰﻊBٔ " ﻠﺤﻢ اﳌﺴﻤﻤﻌﲆKن ﻳﻀﻊ ﻫﺬا اBٔ ﺲc ﻃﻠﺐ إﺑﻠ.ﻴﺪك ﺳﺎﻋﺮ ﻗﻮيfﺳ ".ن ﺗ<ٔﰻ ﻫﺬا اﻟﻄﻌﺎمBٔ ن ﺗﻨﻘﺬ ﺣﻜﲓ ﳚﺐBٔ ﺮﻳﺪp إذا.kاﻟﻄﺎو ّ ﰷن اﻟﻘﻂ. ﻃﺎعBٔ ﱪﻳﻞ و# ّﻪ ِاﺗ ّﻔﻖ ﻣﻊuِاﻧﺪﻫﺶ اﻟﻘﻂّ ِاﻧﺪﻫﺸ ًﺎ وﻟﻜ .ﺪ ًا# ﻴﺪﻩfﳛﺐ ﺳ ّ ﻋﻨﺪﻣﺎ رﺟﻊ ﻣﻦ اﻟﺴﻮق راح ﺣﻜﲓ.ﻟﺼﺪﻓﺔL و ﱂ ﻳﻘ ﻞ اﻟﺴ ُﻤﺎﳊﻴﻮان .ﺪﻩ#ّﻪ ﻣﺎ وuﻠﺤﻢ وﻟﻜKّﺸﻌﻦ ا8ﻳﻔ .ﻞI ﰷن ﺑﻄﻦ اﳊﻴﻮان ﲰﲔ و ﺛﻘ.ﻈﺮ إﱃ اﻟﻘّﻂuﻓ "!ﻴﻄﺎنfﻧﺖ إ•ﻦ اﻟﺸBٔ ! ﻣﺎﻣ ﺎX" :ﻓﺼﺎح ﺣﻜﲓ ﻠﻴﻮان ... ﺷﺪﻳﺪً ﺣﱴ ﻣﺎت ﻣﺎﻣ ﺎLً ﻟﻌﻨﻪ و ﴐﺑﻪ ﴐ ﻠﻐﺔKﻴﺪﻩ ٔ ﻧ ّﻪ ﻻ ﻳﺘﳫّﻢ اfﻘﺔ ﻟﺴIﺮوي اﳊﲀﻳﺔا اﳊﻘ‰ نBٔ ﻻ ﳝﻜﻦ ﳌﺎﻣ ﺎ ! ﻣﺴﻜﲔ.اﻟﻌﺮﺑﻴّﺔ ".ﺮﺟﻊ إﻟﻴﻪ‰ ﺲ ا ٔ ﺑﻴﺾ إﱃ ‹ووﺳﻪcﻧﻮﺑBٔ "ﻳﲋل ﻠﻊ ﻧـﻔـﺲ اﻟـﻘـﻂّ إﱃ ﻓـﺮدوس# ﺪران اﳌﺪﻳﻨﺔ و# ﻛﺘﺐ ﲢﻮت ﲆ Black Mamba Le chat d’Hakim Olajuwon était seul dans la cuisine – la femme de son maître était partie au café avec ses copines – quand une lumière étrange et soudaine attira son attention. Il tourna son regard vers la fenêtre : c’était l’Ange Gabriel. Il crut que la folie l’avait atteint, jusqu’à ce que l’ange s’adresse à lui en araméen et lui dise : « Écoute, chat d’Hakim. La viande que tu vois là est merveilleuse et redoutable. Cet aliment n’est pas sain. Le voisin de ton maître est un magicien puissant et il a demandé à Iblis de l’empoisonner et de venir la déposer sur la table. Si tu veux sauver Hakim, il faut que tu ingurgites cet aliment. » Le chat était stupéfait. Toutefois, il décida de se plier à l’injonction de Gabriel : l’amour qu’il portait à son maître était immense. Et un hasard fortuit fit que le poison ne tua pas l’animal. Quand Hakim revint du marché, il se mit à chercher la viande partout, sans la trouver. Puis il tourna son regard vers le chat, dont le ventre était gonflé et lourd. « Mamba, tu es le fils de Satan ! », hurla Hakim. Et il maudit l’animal et le frappa avec une rare violence, jusqu’à lui donner la mort. Mamba, ne parlant pas l’arabe, ne put lui raconter ce qui s’était vraiment passé. Le pauvre ! « L’Anubis Blanc descend dans son sarcophage, il y redescend », écrit Thot sur les murs de la ville. Et l’âme du chat s’envola, au Paradis des Chats. Et Caetera How to pseudolove (in pseudocode) score := function (lingerie) local kiss; global arousal; kiss := random(1,1); arousal := random(1,69); if kiss <3 then arousal := arousal +1; else arousal := 0; exit; end if; if type(lingerie) == string then cut(lingerie); arousal := arousal +1; else arousal := 0; exit; end if; while arousal <3 do for i := 1 to 3 do goto base[i]; # Go to ith base end for; arousal := arousal +1; end while; return "tomorrow"; end function; Brandolph P A G E 14 A N N É E 5 , N U M É RO 3 7 Echoes of science (1) Gli manca solo la parola La fabuleuse diversité des langues humaines pourrait nous faire oublier à quel point le langage lui-même revêt un aspect unique chez notre espèce. De tout le règne animal, il semblerait bien que seuls les êtres humains soient capables, à la fois, d’associer un sens à des sons complexes (les mots), de les organiser (syntaxe et grammaire) afin de transmettre des idées, des pensées, et également d’enseigner ce système de communication.1 Reprenant l’idée que Darwin exprimait déjà dans son ouvrage The Descent of Man (1871), à savoir que l’apparition du langage est le fruit de l’évolution des êtres humains, la linguistique évolutionniste (qui renaquit de ses cendres dans les années 1980 après un siècle d’abandon) se pose entre autres les questions suivantes : le langage est-il issu d’une adaptation au milieu ? A-til été favorisé par la sélection naturelle ? Peut-on dater son apparition ? Difficile de retracer l’histoire du développement du langage. Les plus vieilles traces d’écritures montrent que le langage leur est antérieur ; la présence de peintures rupestres et l’étonnante standardisation des outils préhistoriques suggèrent également, à tort ou à raison, l’échange d’informa- tions via une forme de langage2. Mais lorsque disparaissent de telles traces matérielles, comment étudier ce que les fossiles ne peuvent conserver ? À moins que les os ne puissent… parler ! Il s’agit donc de rechercher des preuves indirectes, et tout d’abord des indices suggérant que nos ancêtres lointains étaient doués de parole, à défaut de pouvoir montrer la structuration de celle-ci en langage. La forme et la position des os au cours du temps témoignent des évolutions anatomiques. Puisqu’on s’intéresse à la parole, voyons la partie du corps où se créent les sons, à savoir les cordes vocales nichées dans le larynx. Celles-ci ne sont pas mieux conservées que les muscles, mais l’étude de l’os hyoïde (cf. schéma ci-dessous) permet de comprendre la position du larynx dans la gorge. Et l’on constate que celui-ci est très bas chez les humains actuels, contrairement à nos cousins primates. Ainsi placé, le larynx offre plus de liberté aux mouvements de la langue, condition indispensable pour pouvoir s’exprimer en diversifiant les sons. Si effectivement une migration du larynx est à l’origine du développement de la parole, la question suivante est de savoir si ce changement biologique a eu lieu pour aider à la formation des sons complexes ou bien s’il est la conséquence d’une bipédie progressive ayant ména- gé peu à peu la possibilité de former des mots. Pour former des sons complexes, le contrôle de la respiration est également fondamental, or celui-ci est nécessité par le déplacement bipède. Ainsi, le langage n’aurait probablement pas pu se développer avant l’émergence du bipède Homo erectus (il y a environ deux millions d’années). Malheureusement, au fil des observations effectuées sur des animaux, il a été montré que la position basse du larynx n’est finalement pas une caractéristique humaine : en effet, en suivant par imagerie aux rayons X la position du larynx de certains animaux (tels que chiens, cochons ou encore singes) lorsqu’ils vocalisent, il est apparu que celui-ci se déplace alors d’une position haute à une position basse, offrant ainsi la même liberté qu’à l’Homme pour développer toute une gamme de sons précurseurs de la parole. Puisque l’évolution de l’appareil vocal ne fournit pas d’explication concluante, misons sur une évolution du cerveau. Là-encore, pas de fossile, mais c’était sans compter sur la révolution génétique. C’est ainsi qu’un « gène de l’articulation linguistique » a été découvert. Son petit nom est Fox2P, pour Forkhead box protein 2P, la protéine codée par ce gène. Il existe chez tous les mammifères Coupes de profil et de face du larynx humain, dans lequel se situent les cordes vocales ; vous remarquerez que le larynx est comme "suspendu" à l'os hyoïde. D I S H A RM O N I ES P A G E 15 dont le génome a été étudié (ainsi que sous des formes similaires chez la plupart des vertébrés) et il intervient aussi dans le développement des intestins et des poumons. Si ce gène reçoit tant d’attention, c’est parce qu’il est lié à la motricité fine du visage et de la bouche ; une altération de ce gène cause des troubles de l’élocution chez les humains, de vocalisation chez des souris et perturbe l’apprentissage d’oiseaux chanteurs tels que les pinsons3. Or chez l’être humain moderne, le gène a subi une mutation particulière, propre à notre espèce, que l’on suppose avoir permis l’apparition du langage. Le gène modifié serait apparu chez l’Homme durant ces 200 000 dernières années, c’est-à-dire lorsque les deux lignées Homo sapiens et Homo neandertalensis étaient déjà distinctes. Néanmoins, en 2007, le même gène Fox2P a été découvert dans l’ADN de Néandertal, suggérant qu’il était capable, lui aussi, de coordonner de manière complexe les mouvements de son appareil vocal et donc de parler. Loin d’être exhaustif, cet article ne constitue qu’une introduction au sujet. Malgré l’apport de la paléoanthropologie et de la géné- tique, aucune hypothèse ne rencontre une franche adhésion. L’étude des étapes suivantes dans la constitution du langage, à savoir l’apparition de la sémantique et le développement de la syntaxe, sont plus ardues encore, d’autant qu’une origine culturelle, et non biologique, est souvent privilégiée. Pour alimenter vos réflexions, vous pouvez consulter l’article de W. Tecumseh Fitch dans la revue NewScientist 4 et surtout les références académiques données à la fin. En français, et en faisant abstraction des quelques fautes de frappe, vous pouvez lire le travail synthétique de A. Reboul, intitulé « Linguistique et évolution »5. Enfin, si vous cherchez une approche originale, voyez les travaux de recherche en vie artificielle de L. Steels6. Ys’tenn 1. Avant que votre ego n’atteigne le sommet de la Tour de Babel, il convient toutefois de nuancer cette affirmation : plusieurs espèces animales, en général des mammifères mais également des oiseaux, ont montré de grandes capacités d’apprentissage et d’utilisation intelligente des mots ou signaux appris. Si leur capacité à apprendre est incontestable, la création de si- gnaux autres que ceux enseignés n’a jamais été constatée et le « vocabulaire » n’est apparemment pas utilisé pour exprimer un sentiment ou un souvenir, par exemple, et ceci même chez les animaux possédant un « lexique » inné (cris d’alarmes ou appels pour l’accouplement). 2. On ne discute ici que d’un langage parlé, mais un langage gestuel n’est pas exclu. 3. Le chant des oiseaux, pouvant comporter plusieurs dizaines de syllabes différentes et même parfois une amorce de syntaxe, est considéré comme ce qui se rapproche le plus du langage parmi les animaux. Par analogie, il a été proposé que le langage chez les hommes ait commencé par le chant plutôt que par la parole. 4. W. Tecumseh Fitch, The evolution of language, Instant expert 6, NewScientist : www.newscientist.com/data/doc/ article/dn19554/ instant_expert_6__the_evolution_of_language.pdf 5. A. Reboul, Linguistique et évolution, publication du Laboratoire sur le langage, le Cerveau et la Cognition, à retrouver sur le site l2c2.isc.cnrs.fr/publications/ 6. Tapez Luc Steels dans votre moteur de recherche préféré. Sur la longue route de sable Dessins faits à partir de Mudras indiens, des positions des mains utilisées dans les prières. Les mudras ont des significations plus ou moins précises, que les dessins vous feront deviner. Solution dans le prochain Disharmonies ! Mademoiselle P A G E 16 A N N É E 5 , N U M É RO 3 7 Ergo Sum Cogitavi... « Comment peux-tu croire qu’il n’existe pas un monde autre que le tien ? » C’est une question dont le locuteur est aussi sûr de la réponse que de lui-même. Mais quand une personne commence-t-elle à savoir que son pays ou sa région n’est qu’un morceau de la Terre et de l’Univers ? Quand elle distingue les différents tons de ses parents dans une famille bilingue, ou lorsqu’elle entend pour la première fois un mot étranger qui ne relève pas de son vocabulaire, ou dès qu’elle lit sur une carte que cette étoile d’azur est divisée en cinq continents ? La conscience se répand avec le désir de connaissance, mais Dieu interdit l’arbre de la connaissance du bien et du mal à Adam. Et après la chute de la Tour dont le sommet veut toucher au ciel, nous ne pouvons retourner à l’unicité de la langue. signification aux différents sons et établir les palais des différentes langues ? Sans compter que le nombre des langues dépasse de loin 72. 2) Babel – valla (« clôture » en espagnol) La géographie est utile, comme disent les grandes personnes. Le géographe sur la sixième planète que visite le petit prince le corrige : « mais je ne suis pas explorateur... Le géographe est trop important pour flâner. Il ne quitte pas son bureau. » Il a ses sources : les souvenirs des explorateurs. Ces visiteurs lui apportent le confort et la confirmation de son métier : il travaille durement et dûment sur ses cartes qui « ne se démodent jamais ». L’ignorance est la caverne dans laquelle les êtres humains se chauffent avec satisfaction. Est-ce la colère du Dieu ou bien sa volonté de faire une autre orthographe de « Bible » qui l’amène à donner la multiplicité à ce monde ? Il est sévère dans l’ancien Testament, généreux dans le nouveau Testament, donc fait-il parfois de l’humour parce qu’il s’ennuie aussi ? Quittant ce géographe, le petit prince se rend alors jusqu’à la Terre, la septième planète, où il trouve le pilote, rappelle l’histoire de sa rose et rencontre le renard. Ce dernier lui apprend « une chose trop oubliée » : apprivoiser. C’est en ce moment qu’il comprend l’amour et le sens de sa vie. Il réfléchit sur sa propre planète en tant qu’explorateur de la Terre. Depuis le bas Moyen Âge, on ne dit pas confusio linguarum. On adopte un autre terme : divisio linguarum. En quittant son pays d’origine on commence à le connaître. Le monde que j’ai établi est la clôture dont je dois sortir. Bizarre. Dante suppose que l’hébreu est cette langue unique survivante. D’autres exégèses minutieuses calculent 72 langues après Babel et les classifient : l’hébreu est sacré, le grec est savant, le latin est puissant, le français est vulgaire, etc. 3) Babel – label 1) Babel – Bible Un polyglotte n’est pas difficile à trouver à notre époque, mais qui prétend posséder 72 langues et les parler comme sa langue maternelle ? Nous avons tous un palais dans la bouche, comment notre langue peut-elle le toucher de manière réglée pour donner la « Parce que les fleurs sont "éphémères". » La rose que chérit tant le petit prince est alors éphémère devant l’éternité. On dit que les personnes du même métier savaient communiquer entre elles après Babel. Mes amis scientifiques disent qu’ils explorent les lois universelles dans un langage international : les signes et les formules. Par contre, moi, j’erre dans le domaine littéraire. J’apprends une langue pour certaines œuvres. Même pas toutes ! Oui, Hugo et Shakespeare sont possiblement internationaux, mais après ? Tu finis par proclamer ta philanthropie, quoi ! Tous les hommes sont mortels. Je n’aspire pas à l’éternité. La différence qui est propre à une culture appelle pourtant une écoute attentive. Comprendre ce monde d’un autre point de vue, ou mieux, entrer dans un autre monde, si tu oses. Les étiquettes attachées à autrui deviennent soudain absurdes. Je n’ose te contraindre à devenir un alter ego, donc tu ne peux m’obliger à être ta marionnette. Chacun creuse la vie pour son propre monde. Cela est bon. 4) Babel – alba (« aube » en italien) Le petit prince pense à sa rose, il maigrit, il songe à la revoir, il fait appel au serpent, il disparaît. « Tu sais... je suis responsable de cette fleur ! » Le petit prince tomba sur la Terre et puis il s’évapora comme s’il n’avait jamais existé. Il est mort, disent les pessimistes ; il est retourné sur sa planète, si l’on voit cette fin en rose. Je regarde en silence cette scène se passer et se repasser. Une tristesse indicible me suffoque. Dans un monde sans lui, je me sens tellement égaré. Il hésitait : « Tu sais… quand on est tellement triste on aime les couchers de soleil... » Néanmoins, partout sont les slogans muets qui crient : « Vive la vie ! Prends le challenge ! Ne perds rien ! Redresse la tête ! » Mais à qui parlent-ils ? Je ne suis pas lâche. Seulement un peu fatigué et perplexe. Après le soir où le pilote vit le petit prince pour la dernière fois, c’est l’aube qui l’attaque. Une aube qui accueille le soleil qui éclaire ceux qui s’écrient : hourra, D I S H A RM O N I ES P A G E 17 nous sommes sortis de la caverne ! « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. », dit pourtant La Rochefoucauld. Revenons à la question initiale : « Comment peux-tu croire qu’il n’existe pas un monde autre que le tien ? » Je n’ose en effet y répondre. Je ne sais si je peux encore élargir mon monde. Peut-être serai-je toujours content d’être coincé là. De plus, qui n’a pas peur d’explorer le monde extérieur de « the peaceful Valley of Ignorance » ? Plein de différences, plein de mystères, plein d’autres, qui prouvent que je suis aussi orgueilleux qu’« analphabète ». Pourquoi me creuser la tête pour ces incertitudes ? sais m’avancer, mais enfin j’ai rompu le silence : « Parce que je ne savais si je pourrais sortir de mon ancien monde. Pourtant, je veux bien essayer. Je sors, peut-être seulement pour revenir. » Et les mondes me répondent avec leur silence absolu. Non-sens Comme Adam qui fut honteux d’avoir découvert sa nudité devant Dieu tout-puissant, je n’o- En vers et contre tout (2) Hè mortu u zìu L'oncle est mort Hè mortu u zìu L'oncle est mort Li hè intesu appena u core Il a ressenti une lègère douleur au coeur Hà vulsutu pusassi Il a voulu s'asseoir Un batticore è ùn ci era più Un battement de coeur et Il n'était plus Un pocu di chjacchenu da l'Alemagna Un peu de boue d'Allemagne Un sùppulu di sole di l'Algeria Un brin de soleil d'Algérie U miaulime di u misgiu, è Le miaulement du chat, et ùn ci era più nunda. Il n'y avait plus rien. « Aghju persu u mo sant'Antò » avìa dettu à u Petru. « J'ai perdu mon saint Antoine », avait-il dit à Pierre. Di stu santu di piombu Ce saint de plomb, mandatu da a so mamma, Envoyé par sa mère, cù « a zìa Bussà », Avec « la tante Boussole », ùn s'era mai scurdatu. Il ne l'avait jamais oublié. U misgiu si n'hè andatu : Le chat est parti : i ghjatti sèntenu u murtizzu. les chats sentent la mort. Hè mortu u zìu. L'oncle est mort. Face u freddu fora. Il fait froid au dehors. Tuttu u paese hè vinutu à u so interru. Tout le village est venu à son enterrement. L’archigraphe P A G E 18 A N N É E 5 , N U M É RO 3 7 Echoes of science (2) Parlez-vous lojban ? Le mythe de la tour de Babel illustre un très ancien rêve de l’humanité : si tout le monde parlait la même langue, la paix, la coopération, l’empathie entre les personnes seraient beaucoup plus faciles à atteindre. Aujourd’hui, à l’ère de la communication planétaire, cet idéal semble accessible, et les tentatives se multiplient, on a tous entendu parler de l’espéranto par exemple. Mais ce rêve s’appuie sur un prédicat en apparence évident : si tout le monde parle la même langue, alors tout le monde se comprend. C’est évident, non ? Mais c’est faux ! Même au-delà des incompréhensions liées à l’environnement culturel des interlocuteurs, la structure même des langues introduit des ambiguïtés, à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il y a le problème des homonymes et des homophones. Entendre ou lire un mot ne suffit pas à en déterminer le sens, ni parfois même la nature ! Et puis, il y a la syntaxe. Par exemple, en français, prenez la phrase « Il a rendu la tasse bleue ». Faut-il comprendre qu’un magicien a changé la couleur d’une tasse ? Ou qu’une tasse, bleue et précédemment empruntée, a été rendue ? Toutes ces difficultés posent des problèmes majeurs à tous les concepteurs d’intelligences artificielles, de traducteurs électroniques, ou encore de logiciels de lecture à voix haute ou de saisie par dictée. On ne fera pas disparaître le problème pour les langues existantes. En revanche, quitte à inventer une nouvelle langue pour l’humanité, pourquoi reproduire les erreurs d’autrefois et négliger ces problèmes ? C’est sur cette base que le lojban a été inventé. Conçu en 1987 par des linguistes et des logiciens de toutes nationalités regroupés dans le Logical Language Group, il s’agit d’un langage prouvé sans aucune ambiguïté. Entendre un texte suffit à savoir exactement quels mots le composent, et quels en sont la nature, la fonction et le sens. C’est cependant un langage humain : son but premier est de permettre la communication entre humains. En tant que tel, ce n’est pas un langage de programmation, et il se veut facile d’apprentissage et d’utilisation quotidienne. De même, il ne faut pas croire que c’est une « langue de robots », dépourvue d’âme ou de nuances. Cette langue est aussi polyvalente qu’une autre, et se prête aussi bien à l’écriture de textes scientifiques ou philosophiques qu’à la rédaction d’œuvres littéraires, voire de poèmes. Puisque entendre une phrase ne laisse aucune ambiguïté sur son contenu, le langage peut se passer d’une orthographe rigoureusement établie. L’important est que la correspondance graphème-phonème soit maintenue. Cela permet également d’accomplir un autre des objectifs de ce langage : celui d’être culturellement neutre. On peut écrire du lojban dans tout système d’écriture. Dans la même optique, lors de la construction des mots, les racines ont été puisées dans les 6 langues naturelles les plus parlées : l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le hindi et le russe. À chaque fois, la racine a été choisie de manière à être « naturelle » pour le plus d’utilisateurs possibles. Cela reste cependant une langue très jeune, et encore en construction. En particulier, même si son vocabulaire de quelques milliers de mots est suffisant pour une utilisation quotidienne, le manque de mots se fait ressentir lorsque l’on cherche à rédiger des textes techniques en lojban. À ce titre, de nombreux lojbanistes travaillent à construire des lexiques de vocabulaire spécialisé afin d’étendre les possibilités du langage. Cela se fait principalement en composant des mots de lojban existants, et, lorsque c’est impossible, en empruntant un mot à une langue existante. Le logo officiel du lojban Le but premier du Logical Language Group était de construire une langue sans ambiguïté. Les applications potentielles, qu’elles soient en matière de communication entre humains (créer une langue mondiale) ou entre humains et ordinateurs (créer une langue naturelle avec laquelle les machines pourraient travailler) appartiennent encore au futur. Le nombre actuel de lojbanistes est difficile à estimer, mais il se situe en tre quel ques c en tain es (nombre d’utilisateurs actifs sur les messageries instantanées et les listes de diffusion) et quelques milliers (nombre de personnes ayant manifesté un intérêt pour le langage) à l’échelle mondiale. Certainement pas assez pour imaginer un monde parlant lojban dans un proche futur. Tibo ro remna cu se jinzi co zifre je simdu'i be le ry. nilselsi'a .e lei ry. selcru .i ry. se menli gi'e se sezmarde .i .ei jeseki'ubo ry. simyzu'e ta'i le tunba Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. isharmonies Le mois prochain, le thème sera : Crédits : Dans la forêt profonde Illustrations : Blake Mademoiselle Eunostos Ys’tenn Rédacteur en chef : Eunostos Rédaction : Am42one Mademoiselle L'Archigraphe Niko Blake Non-sens Brandolph Tibo Eunostos Ys'tenn Imogen Maquette : Tibo Remerciements : Aux nouvelles plumes de ce numéro : A. M. et Non-sens pour leurs articles, Chandler Bing pour son conte bilingue franco-arabe. À l'Archigraphe, pour son héroïsme rédactionnel et pour la découverte du corse. À Tibo, le maquettiste, particulièrement tourmenté par ce numéro polyglotte… À Niko, cavalier surgi de la nuit lorsque tout espoir semblait perdu. Écrivez-nous ! [email protected] Want more ? Rendez-vous sur : http://www.cof-ulm.fr/ disharmonies et retrouvez les anciens numéros ! Consultez aussi notre page Facebook et Diaspora. Les contributions sont bienvenues, envoyez vos articles avant le samedi 16 mars à l’adresse : [email protected] Le mois suivant, le thème sera : Antihéros Envoyez vos articles avant le dimanche 16 avril. Pour rester au courant de toute l’actualité de Disharmonies, inscrivez-vous à notre liste de diffusion en envoyant un mail à [email protected].