Le psychodrame chez l`enfant
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Le psychodrame chez l`enfant
LE PSYCHODRAME CHEZ L’ENFANT Rédigé par Andrée Codebecq, psychologue Paul St-Onge, orthopédagogue Le 20 février 2007 LE PSYCHODRAME CHEZ L’ENFANT « Sur toutes les plages du monde sans fin les enfants jouent ». Rabindranah Tagore « Il arrive que le psychodrame soit cette plage entre le solide et le liquide, entre la mère et le monde, entre la pulsion et la pensée ». Didier Anzieu BUT DE CE TEXTE Ce texte a pour but de mieux cerner ce qu’est le psychodrame en faisant ressortir quelques points saillants. Il vise également à susciter un intérêt pour ce mode d’intervention psychothérapeutique, centré sur l’improvisation dramatique. ORIGINE DU PSYCHODRAME Tous les auteurs qui ont pratiqué le psychodrame et écrivent à ce sujet accordent à JeanLouis Moreno (1889-1974) la paternité de cette approche, bien que la plupart d’entre eux s’en soient grandement dissociés par la suite à la fois par l’esprit et par la lettre. Moreno lui-même aimait à raconter que c’est à l’âge de quatre ans qu’il avait inventé le psychodrame en faisant jouer les rôles d’anges à ses amis et en prenant lui-même le rôle de Dieu (ce qui, prosaïquement, lui causa une cassure du bras suite à une chute du haut d’un empilage de chaises). Moreno fut élevé à Vienne où il fit des études de médecine et de philosophie. Vers 1925 il s’expatria aux États-Unis. C’est par le biais du théâtre que Moreno se mit d’abord à développer ses idées. En réaction au théâtre conventionnel (où les rôles sont distribués d’avance), il inaugure le « théâtre impromptu » où son ambition est de réaliser un théâtre à 100 % de spontanéité. Sans doute est-il en ce sens le lointain inspirateur de la L. N. I… Dans cette forme d’expression qu’est le théâtre de la spontanéité, l’auteur devient en quelque sorte le créateur de son propre personnage. Peu à peu, Moreno passe de cette forme de théâtre créatif propre à dégager le moi des moules culturels au théâtre thérapeutique (cas de Barbara) où il se donne pour mission d’aider les sujets à se délivrer des conflits intérieurs par l’art dramatique : l’acteur extériorisant son propre drame et se libérant des personnages intériorisés en les projetant à l’extérieur; tout cela dans un climat de sécurité garanti par la fiction. 2 Mais Moreno, à cause de son tempérament actif et interventionniste, est enclin à utiliser le psychodrame en tant que méthode pédagogique de rééducation plutôt que comme approche psychothérapeutique. Grâce au « role playing » il cherche à reprendre, à corriger et à éduquer. En tant que metteur en scène il ne joue pas, mais explique, commente, conclut, tire des leçons. En cela, il s’éloigne des tenants de la cure psychanalytique où il n’y a rien à apprendre, mais où il est plutôt question de « dénouer ». Alors que dans l’analyse tout conduit le sujet à découvrir peu à peu ses défenses et à les user dans le long travail de perlaboration, Moreno ne lui en laisse pas le temps, car il cherche à persuader d’abord et avant tout. Le psychodrame, dans la perspective de Moreno, vise davantage la délivrance des affects et le changement des attitudes envers autrui que les remaniements économiques et topiques de l’appareil psychique. Soulignons toutefois que Moreno, par sa théorie des rôles, a mis l’accent sur l’habileté au jeu de rôle qui s’avère essentielle à la formation de la personnalité ainsi qu’à l’efficacité de son pouvoir de communication. On lui doit aussi bon nombre d’autres innovations, dont celle de la sociométrie (qui est l’étude des interactions entre les membres d’un groupe). Terminons à son sujet en nous référant à Didier Anzieu qui avoue avoir retenu en psychodrame plusieurs aspects de sa conception première : Les sujets sont invités à la libre imagination de scénarios, à la prise de rôles, à l’improvisation dramatique la plus spontanée et la plus personnelle possible; par leurs incitations verbales avant le jeu et par leur propre implication verbale contrôlée dans le jeu, les psychodramatistes contribuent à l’« échauffement » des sujets, à la libération de leur spontanéité, au déclenchement de la catharsis; les psychodramatistes intègrent au déroulement de la séance, et particulièrement à celui du jeu, une gamme variée d’interventions : tantôt ils fonctionnent comme auxiliaires des besoins du Moi du sujet, ou comme alliés de ses pulsions refoulées; tantôt ils contrarient ses exigences narcissiques, ses croyances infantiles et le soumettent à la double épreuve de la réalité et du refus de ses désirs par l’autre. DU PSYCHODRAME MORÉNIEN AU PSYCHODRAME ANALYTIQUE Moreno travaillait avec des adultes seulement. C’est en France que le psychodrame d’enfant a été d’emblée expérimenté et développé (à partir des années 1946-47), et ce, par des psychanalystes. 3 Au début les psychothérapeutes tentaient de conformer leur pratique à celle de Moreno. Peu à peu des modifications furent introduites : → Le meneur de jeu est intégré à l’action au même titre que les ego auxiliaires, « nul ne pouvant rester extérieur au drame », selon Kestemberg. → La règle du « faire semblant » ou du « comme si ». PARALLÈLE ENTRE LA PSYCHANALYSE ET LE PSYCHODRAME Selon Daniel Widlöcher (c. f. Le psychodrame chez l’enfant) : Anzieu a parfaitement résumé la théorie du psychodrame analytique : « Envisager le jeu dramatique d’une part et la situation de groupe d’autre part, comme une structure spécifique, irréductible au champ de la parole, qui constitue la relation analyste-patient dans la psychanalyse individuelle. Considérer cette structure spécifique quelles qu’en soient les variantes… comme proprement psychodramatique et due au génie propre de Moreno et conserver par conséquent le mot de psychodrame; faire se développer à l’intérieur de cette structure les relations inter-individuelles, intra-groupe, selon l’esprit analytique et non selon la pédagogie de l’improvisation dramatique » PRINCIPES DU PSYCHODRAME ANALYTIQUE Selon Anzieu ils se résument à trois impératifs : Être-Éprouver-Connaître : Créer une situation qui permette au patient d’être; dans cette situation lui permettre de vivre des expériences qui l’amènent à éprouver (des sensations-affects-fantasmes, des identifications-projections, des désirs articulés à des mécanismes de défense); enclencher en lui un travail psychique de symbolisation afin de connaître le sens et la portée de ce qu’il éprouve. Être, éprouver, connaître sont, selon Masud Khan (1969), les trois niveaux sur lesquels opère le travail du psychanalyste dans la cure classique individuelle. Ces trois mêmes niveaux valent pour le psychodrame, mais le cadre et la situation sont différents, le travail psychique qui s’ensuit chez le psychodramatisant et le travail psychanalytique qu’opèrent les psychodramatistes en reçoivent des caractères particuliers ainsi que certaines limites. Ce qui diffère de la psychanalyse c’est que, dans le psychodrame, la résistance est bousculée par les interventions des psychodramatistes. Le psychodrame pousse l’individu à la prise de rôles, qui lui permet tantôt de découvrir dans l’action dramatique improvisée des choses sur lui-même, tantôt d’essayer des choses nouvelles envers les autres. Enfin, le psychodrame met en évidence au moins autant l’affect que la représentation et permet, plus aisément que la psychanalyse, la catharsis des émotions. 4 RÈGLES DU PSYCHODRAME La psychanalyse est régie par deux règles : la non-omission et l’abstinence. Voici celles du psychodrame : 1. Règle de l’unité : la séance ne se limite pas au seul jeu imaginaire. Elle commence à la salle d’attente et se termine à la sortie. En outre, les interprétations peuvent être données aussi bien au cours du jeu qu’après le jeu. 2. Règle des associations libres : le sujet a la liberté complète d’inventer une histoire, de choisir des rôles pour lui et pour les psychodramatistes et de jouer comme il l’entend. 3. Règle de la neutralité bienveillante et d’abstinence particularisée au psychodrame en règle de faire semblant (c’est-à-dire qu’il s’agit d’actions non réelles mais simulées, la spécificité du psychodrame consistant en la conjonction du simulacre corporel et de la verbalisation). 4. Règle de la confidentialité. LA SÉANCE DE PSYCHODRAME Les préliminaires : l’enfant doit savoir pourquoi il vient. Il doit aussi être informé de la règle de confidentialité. Le jeu : la même liberté que dans le choix du thème et des personnages s’applique. L’enfant n’est nullement obligé de jouer conformément à son histoire (ce qui serait au détriment de sa spontanéité). Les psychodramatistes doivent s’efforcer de rester fidèles au caractère qu’on leur a assigné et, d’autre part, de jouer le plus sobrement possible. ÉLÉMENTS DE LA DYNAMIQUE DES SÉANCES a) Enchaînement des rôles L’enfant peut revenir avec insistance sur le même thème ou répéter la même structure de relations interpersonnelles (perlaboration). Les auteurs G. et P. Lemoine ont exploré la place de la répétition comme instrument thérapeutique Si les sujets reprennent néanmoins leurs expériences manquées, c’est pour maîtriser rétroactivement leur échec. (…) Souvent l’intensité du jeu dépasse celle de la scène originelle : parce qu’on se trouve en terrain imaginaire, les inhibitions qui entravaient alors une libre expression disparaissent, tout est présent et de nouveau dramatisé, donc ré-éprouvé et même vécu différemment. Parfois aussi le geste contredit le propos : quand une caresse devient un geste de colère, c’est le corps qu’il faut croire. 5 b) Le renversement des rôles permet d’explorer une situation du point de vue d’autrui. Il doit venir en son temps et ne pas être imposé. Phénomène du double : l’enfant attribue à un des psychodramatistes un des rôles qui est le sien dans la vie réelle. Le psychodramatiste devient le double symbolique de l’enfant. Il constitue un encouragement, par son rôle anaclitique. Parfois l’autre fonction du double est l’équivalent du bouc émissaire. La fonction cathartique propre au drame éclate là à l’état pur. L’espace et la durée psychodramatique En psychanalyse c’est la durée qui est privilégiée. En psychodrame, c’est l’espace. Donc l’espace doit être le plus neutre possible afin de servir d’écran de projection. L’espace psychodramatique est souvent proche de « l’aire transitionnelle » de Winnicott (marquée par la médiation que la mère établit entre les besoins corporels et psychiques de l’enfant d’une part et le milieu physique et social d’autre part). Citons de nouveau Anzieu : L’activité psychodramatiste consiste, entre autres, à reconstituer l’aire transitionnelle : en faisant entrer le psychodramatisant dans le jeu et en entrant dans son jeu, les psychodramatistes favorisent chez lui les processus de désidentification, de réidentification, de renarcissisation, à restaurer ses capacités de symbolisation et de créativité, à lui rendre confiance en la vie et en lui-même. (…) Les travaux de Piaget (1945) ont montré que l’acquisition de la fonction symbolique par l’enfant passe par trois étapes : l’imitation d’autrui; l’imitation volontaire de ses propres mouvements, gestes, émissions sonores spontanées et, enfin et surtout, l’imitation en miroir par l’enfant des imitations que les personnes de son entourage font de ses mouvements, gestes et émissions sonores. Il s’agit là d’une activité de simulacre : une des spécificités du psychodrame est de permettre aux enfants et adolescents (aux adultes également) de réexpérimenter cette activité de simulacre là où elle a été défaillante , insuffisante ou perturbée. Les phénomènes transitionnels et l’activité de simulacre sont produits au psychodrame, par le rôle et par les personnages auxiliaires. En effet, le rôle est à la fois créé par le psychodramatisant et trouvé par lui, car il a été placé là d’avance par les psychodramatistes en fonction de leurs attentes, de leurs consignes, voire même de leurs suggestions (…) qui visent à ce que l’enfant ait l’impression d’inventer par lui-même le rôle vers lequel ils l’ont en fait progressivement orienté. LES MODES D’INTERVENTION DE L’ÉQUIPE PSYCHODRAMATIQUE L’équipe psychodramatiste est constituée du thérapeute principal et de thérapeute(s) auxiliaire(s) qui fait(font) office d’ego(s) auxiliaire(s). Les interventions des psychodramatistes ont pour but d’amener le sujet à explorer sa problématique existentielle et de l’aider dans ses tentatives de changements d’attitudes et de comportements dans une optique de fonctionnement personnel et social plus souple et plus harmonieux. Les expressions à la fois verbale et corporelle sont toutes les deux favorisées pour ce faire. le psychodramatiste principal a pour tâche spécifique d’accueillir le sujet et d’animer les séances. À la première séance, il se renseigne auprès du sujet 6 sur les raisons qui ont motivé la consultation puis il fournit à ce dernier des explications sur la technique qui va être employée. Il est aussi responsable de la période d’échauffement de l’imagination. Par ses questions et suggestions il aide le sujet à initier un thème et à entrer dans le jeu. : - où se passe l’histoire où commence l’histoire et comment se termine-t-elle qui joue qui/quoi quel est le caractère, l‘âge, le sexe, des personnages pourquoi font-ils ceci ou cela que pensent-ils de tel ou tel événement comment réagissent-ils à telle situation auraient-ils pu agir autrement L’essentiel pour le psychodramatiste principal est de permettre chez le sujet l’expression sans contrainte de son imaginaire. Finalement, mentionnons qu’il est également responsable de l’énonciation des règles (règle du « comme si », de la confidentialité du point de vue des psychodramatistes, du recours à l’imaginaire), de l’opportunité d’application des différentes techniques auxquelles se prête le jeu psychodramatique : inversion des rôles, recours au double, etc., et de l’incitation du sujet, en fin de séance, à commenter le jeu. Le psychodramatiste auxiliaire, quant à lui, est au service de la réalisation dramatique des projections du monde fantasmatique du sujet. Dans son rôle d’ego auxiliaire, il assume donc les rôles que le sujet lui attribue. Ces rôles sont de trois ordres : celui d’une personne réelle de l’entourage du sujet, celui d’un personnage fictif imaginé par le sujet et celui d’une partie de la personnalité propre du sujet. Il doit donc s’identifier au sujet le plus complètement possible. Le critère en est l’acceptation de son jeu par le sujet. Il s’avère toutefois impossible (et non souhaitable) qu’il y entre complètement, n’étant pas un robot ou une simple marionnette, sa « contre spontanéité » fournissant d’ailleurs au sujet la nécessaire épreuve de la réalité; une autre de ses tâches étant de faire intervenir graduellement les impératifs de la vie réelle afin de permettre une différenciation entre le monde imaginaire et la réalité. LES TRANSFORMATIONS DE LA TECHNIQUE QUI FONT L’ORIGINALITÉ DU PSYCHODRAME La frustration La frustration survient en psychodrame quand le psychodramatiste, à un moment opportun, refuse d’assumer la fonction que l’enfant lui propose dans le jeu, ceci quand cette fonction permettrait à l’enfant de se décharger d’un engagement personnel dans la situation. Le psychodramatiste représente alors la réalité face aux désirs de l’enfant. S’il refuse de « jouer le jeu » c’est qu’il veut contrer la « répétition du même »dans un but de remaniement de l’appareil psychique. 7 Une autre cause de frustration peut être aussi le jeu rigoureux et sobre du psychodramatiste face au sujet qui s’attendrait à plus de d’emphase. Les résistances et les mécanismes de défense (visant à juguler l’angoisse) Certaines formes de résistance sont particulières au psychodrame : « Le jeu dans le jeu » c’est-à-dire le jeu au second degré visant à se prémunir d’exprimer symboliquement la situation proprement conflictuelle. À l’inverse : la visite chez le « psy » qui constitue un redoublement dans le jeu de la réalité actuelle qui empêche l’efficience symbolique du jeu de se développer. Le « passage à l’acte » (qui est un manquement à la règle fondamentale) qui doit être rapidement interprété si le sens est clair; ou sinon dont le sens doit être recherché par le sujet (à qui bien entendu est laissé le temps de la perlaboration). Enfin, la résistance inverse au passage à l’acte qui est le tabou du contact physique qui ramène les échanges au plan strictement verbal. Le transfert qui est vu par les psychanalystes, contrairement à Moreno, comme capital Il consiste en la répétition en thérapie des conflits non résolus afin de trouver une solution meilleure. Le transfert revêt certaines caractéristiques en psychodrame : → de temporel il devient plus spatial (il concerne simultanément plusieurs psychodramatistes); → de même il est aussi plus dilué, car réparti sur plusieurs psychothérapeutes; il peut même s’avérer plus clivé, s’adressant à tel psychodramatiste plutôt qu’à tel autre. Cette dilution peut constituer parfois un avantage, dans la mesure où elle diminue la formation d’une névrose de transfert. Une solution à cette dilution du transfert a été proposée par Lebovici, Diatkine et Kestemberg : il s’agit d’accorder la prévalence au rôle de psychodramatiste principal qui seul dirige les séances et ne joue pas, les thérapeutes auxiliaires se confinant aux fonctions instrumentales. Cette méthode s’avère toutefois peu économique bien qu’elle permette de traiter les cas graves. Le contre-transfert Trois niveaux sont à considérer ici : 1. Les réactions inconscientes du psychothérapeute (par exemple d’opposition au transfert trop difficile à supporter); elles proviennent des problèmes non résolus de ce dernier. 8 2. Les attitudes et les réponses du thérapeute à la situation de thérapie. Les émotions ressenties visent à l’éclairer sur le sujet (à condition qu’il y ait réflexion autoanalytique). 3. Les réactions personnelles des psychodramatistes les uns envers les autres, qu’on appelle l’intertransfert. Pour René Kaës (1976) l’analyse intertransférentielle s’avère nécessaire quand l’intertransfert handicape le travail thérapeutique (ex. : problèmes d’idéalisation du groupe thérapeutique ou encore de rivalité). Certaines problématiques intertransférentielles sont propres au psychodrame. Par exemple, l’animation se fait souvent par un couple hétérosexué, que les enfants vivent la plupart du temps comme un couple réel. Il peut y avoir danger que le surinvestissement au partenaire se fasse au détriment de la cure des enfants. Un autre écueil consiste dans le renforcement et la mise en commun du Moi idéal de chacun des psychodramatistes faisant l’économie d’une analyse intertransférentielle. Ces exemples soulignent l’importance de prendre part à un groupe de supervision permettant la perlaboration des dimensions narcissique, séductrice ou défensive de leur relation. Concluons ici qu’il s’avère primordial que les psychodramatistes s’apportent une aide mutuelle pour arriver à symboliser ce qu’ils ressentent. L’interprétation Soulignons le risque d’interprétation après la séance. Si, par exemple, on interprète à l’enfant le sens de sa conduite dans le jeu, il peut le vivre comme une critique, ce qui pourrait constituer un frein à sa spontanéité. Toutefois l’interprétation est incontournable, le but de l’intervention étant la réorganisation de l’économie psychique du sujet (ou à tout le moins un réaménagement de la structure déjà existante). L’interprétation permet en effet la prise de conscience des pulsions, affects et mécanismes de défense perturbateurs et leur rattachement à l’histoire du sujet. La véritable interprétation se fait dans le jeu et, selon Anzieu, sous deux formes possibles : Sous la forme parlée, soit en aparté, soit en l’intégrant au dialogue (entre les personnages) en cours dans le jeu. Sous la forme agie ou active, par l’adoption dans le jeu d’une attitude différente de celle désirée par le sujet et maintenue jusqu’à ce que ce dernier modifie la sienne. Il demeure très important de ne pas négliger en même temps la compréhension bienveillante pour ne pas traumatiser le sujet. L’utilisation du reflet en miroir par exemple ne doit pas devenir caricature. 9 LES RESSORTS DU PSYCHODRAME 1. L’efficacité symbolique Soulignons d’abord les trois registres sollicités par le psychodrame : l’imaginaire; le symbolique; le réel (ou l’épreuve de la réalité, fournie par la présence des ego auxiliaires, par la capacité d’assumer des rôles et par celle d’adhérer à la règle du « comme si »). Le thème, en tant qu’expression des fantasmes du sujet, le situe dans le registre de l’imaginaire. On peut présumer qu’il y a risque, en demeurant dans ce registre, de privilégier l’entière réalisation des fantasmes. C’est pourquoi Moreno a imaginé l’intervention des ego auxiliaires pour contourner la satisfaction narcissique et mégalomaniaque d’un jeu où l’imaginaire se plierait entièrement au désirs du sujet. Le dialogue (d’actions, de silences et de mots) entre le sujet et les ego auxiliaires assume la fonction symbolique assignée à la parole en psychothérapie individuelle. Donnons comme exemple, en psychodrame, d’une fantaisie imaginaire dénuée de signification symbolique : la reproduction terme à terme d’un récit lu ou vu au cinéma. Pour Anzieu l’efficacité symbolique du jeu en psychodrame est de la même nature que celle provenant des dessins libres ou des jeux spontanés en psychothérapie conventionnelle. 2. Les effets cathartiques Généralement l’extériorisation d’une émotion exerce un certain soulagement. Mais il s’agit souvent d’un phénomène transitoire. La catharsis psychodramatique est toutefois différente. Dans le jeu théâtral, l’expression des émotions propres au rôle permet éventuellement au sujet de revivre des situations passées et d’en retrouver le contexte émotionnel; mais surtout elle lui offre l’occasion de découvrir des tendances affectives latentes dont le développement n’avait pas été possible pour différentes raisons (comme l’absence d’occasions propices, leur nature conflictuelle ou encore l’interférence de certains mécanismes de défense). Par exemple, l’enfant inhibé que les exigences du rôle amènent à se comporter autrement découvre ainsi une nouvelle manière d’être. On peut donc dire avec Moreno que le psychodrame réalise un « nouveau monde » où, d’une certaine manière, tout peut être vécu. 3. L’exercice des rôles Lorsqu’il joue son propre rôle, le sujet en psychodrame est confronté à une série inépuisable d’attitudes possibles. Lorsqu’il joue un rôle qui lui est étranger, il a alors l’occasion d’occuper une place inhabituelle et d’éprouver en ce lieu une meilleure compréhension de la relativité des rôles et des situations. Par exemple, un enfant qui joue le rôle de son père ne découvrira pas nécessairement mieux qui est réellement ce dernier, mais il pourra ressentir comment il n’est pas facile d’être à la place de ce père et quelles distorsions il a à imprimer à ce rôle pour pouvoir en définitive l’assumer. 10 4. La co-improvisation L’enfant n’est pas seul à improviser son propre rôle; les autres participants y contribuent aussi. Toute improvisation, dans un groupe, est l’œuvre d’un ensemble; il s’agit donc de co-improvisation. LES EFFETS THÉRAPEUTIQUES INDIVIDUELS DU PSYCHODRAME Les prises de conscience Selon Daniel Widlöcher, auteur du volume Le psychodrame chez l’enfant : L’enfant, à travers l’improvisation dramatique, fait de manière plus ou moins implicite un certain nombre de découvertes. Il apprend que certains rôles sont chargés pour lui d’une telle signification que les tenir suscite des difficultés particulières. Il peut s’agir (…) de rôles parentaux, de rôles fictifs, plus ou moins chargés de valeur symbolique, portant sur des images parentales. Il peut s’agir aussi de dimensions de son propre personnage qu’il répugne à assumer. (…) La prise de conscience de la dimension imaginaire des rôles joués, est donc doublement intéressante : elle permet à l’enfant de découvrir les rôles qui lui sont difficiles à assumer, elle lui permet en outre de prendre conscience des rôles imaginaires en face desquels il se situe et des raisons pour lesquelles il projette ces rôles imaginaires dans son univers réel. L’analyse du thème s’avère aussi utile. L’interprétation du sens symbolique de la situation est, dans certains cas, possible et souhaitable. Elle est possible quand elle s’avère quasi flagrante et que son explication sera facilement comprise. Elle est souhaitable quand les sentiments mobilisés sont si intenses que de la passer sous silence risquerait d’entraîner la gêne et l’inhibition. Notons que l’interprétation n’a pas besoin d’être longue et complexe. Souvent une simple accentuation donnée à la formulation au sein de la co-improvisation suffit à préciser le sens symbolique qui se dessine dans l’action. Ajoutons que souvent la prise de rôles en soi suffit pour permettre à l’enfant la prise de conscience de ses attitudes envers les autres. On voit ainsi, toujours selon Widlöcher, la double portée des prises de conscience en cours du psychodrame; elles aident l’enfant à se dégager des implications imaginaires par lui prêtées tant à son propre rôle qu’à ceux des autres : elles l’aident en outre à saisir la portée symbolique, c’est-à-dire mythique, des situations dans lesquelles il se trouve placé. C’est à travers ce double mouvement qu’émerge tout naturellement le sens de la réalité. Ce n’est pas en montrant à l’enfant ce qu’est son « vrai » père ou sa « vraie » mère, ni en l’aidant à jouer de manière « réaliste » les scènes de son existence « réelle » qu’on lui permettra d’en pénétrer le sens. 11 La restructuration de la personnalité Wildlöcher signale ici la notion de « mécanisme de dégagement du Moi », concept introduit par Daniel Lagache, qui s’oppose aux opérations défensives. Les exemples qu’il cite sont la remémoration s’opposant à la répétition, le détachement de l’objet imaginaire et la familiarisation avec les situations phobiques qui remplacent l’attente anxieuse de la situation traumatique et fantasmatique. Concluons à la suite de Wildlöcher que le psychodrame se montre d’abord et avant tout efficace au niveau des relations interpersonnelles, la dilution du transfert diminuant nettement la portée thérapeutique de ce phénomène fondamental dans le traitement psychodynamique classique. LES QUALITÉS DU PSYCHODRAMATISTE Il doit être capable d’assumer n’importe quel rôle, avec le maximum de spontanéité. Le but n’est pas de bien jouer une scène improvisée, mais d’affronter n’importe quelle scène improvisée dans n’importe quel rôle. Chaque psychodramatiste doit accepter au départ tous les autres psychodramatistes auxquels il va s’associer pour jouer ensemble. Il doit tolérer que sa conduite dans le psychodrame puisse être analysée par le groupe des psychodramatistes. Il ne doit pas puiser dans le jeu des gratifications narcissiques excessives; le jeu spontané qu’il pratique doit être au service de l’action thérapeutique et non au service de son contre-transfert. Il doit s’interroger sur ce qu’il attend inconsciemment de cette forme d’activité thérapeutique. Pour aider l’enfant à prendre conscience des motifs qui déterminent ses attitudes, le thérapeute, bien que spontané, ne doit pas devenir le reflet de ce que s’imagine l’enfant. Il doit jouer d’une manière vivante, tout en se prêtant au monde imaginaire du sujet. Telle est la règle d’or du psychodrame, règle qui implique qu’il reste toujours à distance du rôle qu’il assume. C’est en ce sens, comme le reconnaît Moreno, que le psychodramatiste est différent du comédien. Il est toutefois important de souligner que de ne pas jouer le jeu de l’enfant sur le plan du transfert n’encourage aucunement d’adopter des attitudes correctives ou de faire des modifications majeures ou plus ou moins arbitraires. Pour atténuer les effets du contre-transfert le psychodramatiste doit se prêter à une réflexion auto analytique. Enfin, le psychodramatiste doit être disposé à envisager l’analyse intertransférentielle afin d’éviter que l’enfant n’en fasse les frais. 12 CONCLUSION Ce texte se voulait une sorte de survol des points saillants de cette modalité particulière de la psychothérapie fondée sur le jeu dramatique qu’est le psychodrame. Soulignons les perspectives adoptées dans cette présentation : L’optique psychanalytique correspondant aux auteurs cités et aussi à notre type de pratique a été privilégiée. D’autres cadres théoriques existent sûrement et il pourrait être éventuellement intéressant de les investiguer. Le psychodrame avec l’enfant a été considéré au premier chef plutôt que le psychodrame avec l’adulte, notre pratique psychothérapeutique étant réservée à ce type de clientèle. Finalement, la dimension groupale a été peu considérée bien que, pour plusieurs auteurs, elle constitue un élément indissociable de la pratique psychodramatique. La raison en est que, jusqu’à présent, notre expérience clinique s’est étayée sur l’intervention individuelle bien qu’elle tende de plus en plus à s’actualiser à partir des petits groupes d’enfants. BIBLIOGRAPHIE ANZIEU, Didier. Le psychodrame analytique chez l’enfant et l’adolescent, 5e édition, P.U.F bibliothèque de psychanalyse, 2004. BASQUIN, Michel et coll. Le psychodrame : une approche psychanalytique, Dumond, coll. Inconscient et Culture, 1972. LEMAIRE, Gennie et Paul. Le psychodrame, éditions universitaires, 1987. ANCELIN-SCHÜTZENHERGER, universitaires, 1970. Anne. Précis de psychodrame, éditions WIDLÖCHER, Daniel. Le psychodrame chez l’enfant, P.U.F, 1961 13
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