Constats - Analyses - Débats - Parlement de la Fédération Wallonie
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Constats - Analyses - Débats Cet ouvrage présente les rapports de synthèse de chacun des ateliers et les réflexions des quatre groupes politiques à l’origine de cette initiative parlementaire. Les éditions du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles Les états généraux des médias d’information au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles Du 16 décembre 2010 au 29 janvier 2014, pour la toute première fois, des « états généraux des médias d’information » se sont tenus à l’initiative du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Trois grands ateliers, « acteurs, marchés et stratégies », « statut et formation des journalistes » et « liberté d’expression », ont fait l’objet de recommandations d’animateurs-experts. Les états généraux des médias d’information au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles Constats - Analyses - Débats Les états généraux des médias d’information au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles Constats - Analyses - Débats 3 Sommaire Editorial de M. le Président Jean-Charles Luperto, au nom du Bureau du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles Chapitre 1 9 Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 13 1. Biographie des animateurs 15 2. Rapport synthétique des auditions (par M. Valentin Malfait et Mme Anne Roekens) 16 2.1. Introduction et lignes de force16 2.2. Le point de vue des éditeurs de presse quotidienne et périodique18 2.3. Le point de vue des opérateurs audiovisuels 26 2.4. Le point de vue des éditeurs et diffuseurs de presse numérique 37 2.5. Le point de vue des journalistes 44 2.6. Le point de vue des syndicats 49 2.7. Le point de vue des consommateurs 53 2.8. Le point de vue des diffuseurs de presse 55 2.9. Le point de vue des sociétés de gestion des droits 57 2.10. Le point de vue des annonceurs 62 2.11. Le point de vue du Centre d’Information sur les Médias 66 2.12. Le point de vue des régulateurs 68 2.13. Le point de vue des experts 75 3. Recommandations des experts – animateurs (par Mme Nadine Toussaint Desmoulins, M. Benoît Grevisse et Me Carine Doutrelepont) 3.1. Le rapport sur l’état des lieux 3.2. Les auditions 3.3. Les points de vue des auditionnés 3.4. Les recommandations des experts 3.5. Conclusion 79 79 79 80 84 97 4 Chapitre 2 Atelier 2 : « Statut et formation des journalistes » 99 1. Biographie des animateurs 101 2. Rapport synthétique des auditions (par Mme Anne Roekens) 102 2.1. Le statut et les conditions de travail des journalistes 2.2. La formation des journalistes 3. Recommandations des experts – animateurs (par M. Jean-Jacques Jespers, M. Marc Sinnaeve et Mme Laurence Mundschau) 3.1. Introduction 3.2. Recommandations Chapitre 3 102 137 160 160 168 Atelier 3 : « Liberté d’expression » 211 1. Biographie des animateurs 213 2. Rapport synthétique des auditions (par Mme Anne Roekens) et Recommandations des experts – animateurs (par M. Jacques Englebert, Mme Françoise Tulkens et Mme Séverine Dusollier) 214 Précisions méthodologiques 2.1. De la protection constitutionnelle des seuls écrits imprimés et de la notion de délit de presse 2.2. De la distinction entre la presse « classique » et le « journalisme citoyen » 2.3. De la sanction des « devoirs et responsabilités » de celui qui s’exprime 2.4. Des limites de la liberté d’expression 2.5. Des droits de réponse et/ou de rectification 2.6. Du secret des sources 2.7. Des archives de la presse et du droit à l’oubli 2.8. De la déontologie et de l’autorégulation 2.9. De l’équilibre entre liberté d’expression et protection de la vie privée 2.10. Des rapports entre presse et justice 2.11. De l’équilibre entre droit d’auteur et liberté d’expression 214 214 225 231 239 248 255 260 266 273 275 282 5 Chapitre 4 Recommandations transversales présentées par Carine Doutrelepont, Marc Isgour, Pierre-François Docquir et Jean-François Raskin 289 Biographie des experts 291 1. Introduction 293 2. Création d’un observatoire des médias 297 3. Soutien à la transition numérique des éditeurs de presse 300 4. Statuts des journalistes et des rédactions 302 5. Formation continue 307 6. TVA 309 7. Soutien par les pouvoirs publics à la création et au développement de kiosques numériques 309 8. Financement par les pouvoirs publics d’abonnements gratuits pour les écoles (enseignement secondaire et supérieur) 310 9. Aide à la création journalistique 311 10. Les diffuseurs de presse : amélioration du statut et reconnaissance professionnelle 312 11. Tarif préférentiel postal 313 12. Modification de la loi sur le tax-shelter 313 13. Création de synergies entre télévisions locales et la RTBF 314 14. Droit d’auteur 314 15. L’éducation aux médias 317 16. Sur l’uniformisation des règles pour les différents médias 319 17. Liberté d’expression et vie privée 320 18. Sur l’uniformisation des règles vis-à-vis des auteurs 321 6 19. Sur l’interdiction de toute mesure préventive de restriction à la liberté d’expression 321 20. Sur la responsabilité en cascade 325 21. Vers une clarification du cadre juridique de la sanction des devoirs et responsabilités de celui qui s’exprime 326 22. Extension de la répression du négationnisme 329 23. Uniformisation du régime juridique des droits de réponse et/ou de rectification 329 24. Secret des sources 333 25. Archives de presse et droit à l’oubli 334 26. Droits intellectuels et liberté d’expression 335 27. Déontologie et autorégulation 336 28. Rapports entre presse et justice 337 Chapitre 5 Point de vue des groupes politiques 341 1. Contribution du Groupe PS par M. Jean-François Istasse 343 2. Contribution du Groupe MR par MM. Pierre-Yves Jeholet et Richard Miller 346 3. Contribution du Groupe Ecolo par Mme Isabelle Meerhaeghe 348 4. Contribution du Groupe cdH par Mmes Julie de Groote et Savine Moucheron 351 Annexes 355 Annexe 1 357 Annexe 2 364 9 Editorial de M. le Président Jean-Charles Luperto, au nom du Bureau du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles L’ ouvrage que vous tenez entre les mains est le reflet d’une longue réflexion sur ces questions importantes pour la démocratie que sont le pluralisme des opinions et des idées, la liberté de la presse ou l’avenir du secteur des médias d’information. Nous arrivons au terme des travaux des Etats généraux des médias d’information, qui ont été lancés à l’initiative du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est en effet lors de la séance plénière du 16 février 2009 qu’a été adoptée la résolution parlementaire initiant ce long chantier de réflexion, résolution déposée par MM. Marcel Cheron, Léon Walry, Mmes Françoise Bertieaux, Anne-Marie Corbisier-Hagon, MM. Yves Reinkin, Alain Onkelinx, Richard Miller et Jean-Paul Procureur. Un rapport préliminaire documenté et exhaustif de MM. les Professeurs Frédéric Antoine et François Heinderyckx fut établi et présenté le 17 mars 2011 en séance plénière. Il ouvrit pratiquement les travaux de ces Etats généraux. Cet ouvrage, qui constitue une première en Belgique francophone, a permis de mettre à plat et de manière chiffrée l’état financier et social de l’ensemble 10 du secteur. Il constituait un instantané de la situation socioéconomique des médias d’information. Ce rapport a permis à l’ensemble des acteurs et participants de mesurer plus et mieux l’importance économique de ce secteur, de ses perspectives de développement, des défis humains et technologiques qu’il devra rencontrer à l’avenir et des questions qui se poseront à brefs ou moyens termes en matière d’investissements humains, financiers, etc. La question de la concurrence entre médias, les risques ou nécessités de concentrations ou regroupements entre entités de presse, l’avenir de la diffusion du numérique et celle du papier, voilà autant de thèmes abordés. Pendant plus de trois ans, nous avons ausculté le milieu, entendu une série de personnalités belges et étrangères qui sont venues apporter leurs expertises et points de vue. Malgré d’opportunes divergences de vue, les débats furent parmi les plus constructifs accueillis au sein de notre Assemblée. Dès le départ, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a voulu assurer l’indépendance totale des participants quant au contenu des travaux. Les résultats de ceux-ci leur appartiennent. Il reviendra ensuite au politique d’examiner les conclusions et de formuler des propositions qui permettront d’avancer dans la résolution des problèmes posés. Nous avons entendu les réactions diverses du secteur. Elles sont variées, à l’image des actrices et des acteurs qui le composent. Nous avons, de bonne foi, tenté de répondre à leurs préoccupations. Vous les trouverez ici, dans cet ouvrage, sans filtre ni coupure. Elles sont insérées telles qu’elles ont été présentées par tous, objectivement et sans a priori. Nous n’avons pas voulu éditer un livre de spécialistes pour les spécialistes, cantonné aux seuls acteurs du secteur médiatique, mais qu’il soit accessible à tous ceux qui s’intéressent à l’avenir du monde des médias d’information. Il s’adresse au public afin qu’il comprenne les enjeux que nous avons évoqués lors de nos travaux, les solutions que d’aucuns proposent. La traduction de ces débats en compte-rendu compréhensible ne fut pas tâche aisée, et nous remercions tout particulièrement les auteurs des rapports de 11 synthèse, Anne Roekens et Valentin Malfait qui, dans un laps de temps très court, l’ont rendu possible. Au nom du Bureau de notre Parlement, je voudrais remercier l’ensemble des participants aux travaux, les experts-animateurs, les parlementaires membres du comité de pilotage et les chevilles ouvrières qui ont permis la réalisation de ce projet ambitieux. Je voudrais également remercier ceux qui ont participé à l’élaboration pratique de cet ouvrage en nous apportant leur talent à titre gracieux. Cet ouvrage a pour ambition de vous livrer les clés pour résoudre un certain nombre de problèmes. Certains pourront sans doute être résolus au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et certains autres à d’autres niveaux de pouvoirs. Nous sommes en tout cas fiers du travail accompli et d’avoir mené cette entreprise jusqu’à son terme. Jean-Charles Luperto Chapitre 1 Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 15 1. Biographie des animateurs Mme Nadine Toussaint Desmoulins soutient en 1970 une thèse en science économique consacrée à “la consommation de presse, radio, et télévision en France (1950/1965)”, après des études parallèles à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (section service public) et d’économie à l’Université de Paris. Ceci la conduit vers une carrière universitaire en tant que Maître assistant, puis Maître de conférences en économie et enfin en tant que Professeur en science de l’information à l’Université Paris 2, plus particulièrement à l’Institut Français de Presse où elle dispense plusieurs enseignements qui portent sur l’économie des médias et mène des recherches consacrées à ce thème. M. Benoît Grevisse, docteur en communication, est professeur à l’Université Catholique de Louvain (UCL) où il dirige l’École de Journalisme. Il est également responsable de l’unité RECI et membre de l’Observatoire du Récit Médiatique. Ses activités de recherche sont essentiellement structurées dans deux champs : les identités professionnelles et les pratiques journalistiques, la déontologie et l’éthique journalistique (autorégulation). Il enseigne également la déontologie et l’éthique du journalisme à l’Université de Neuchâtel (Académie du journalisme et des médias) et collabore à la Maîtrise universitaire interdisciplinaire en Sciences de la communication et des médias de l’Université de Genève (Suisse). Il intervient régulièrement en entreprise de presse dans le cadre d’audits et conseils, comme en formation continuée de journalistes. Me Carine Doutrelepont est avocate au Barreau de Bruxelles, ainsi qu’au Barreau de Paris, membre fondateur de l’association « Doutrelepont et associés » et docteur en droit de l’Université Libre de Bruxelles. Elle enseigne le droit des médias, la propriété intellectuelle et le droit européen à la Faculté de droit ainsi qu’à l’Institut d’Etudes européennes. Son expertise concerne le droit des médias, national et international. A ce titre, elle intervient dans différentes négociations stratégiques dans le secteur de la câblodistribution, des télécommunications et des technologies de l’information. Elle pratique également la propriété intellectuelle et, en particulier, le droit d’auteur, le droit des marques et des brevets devant les instances nationales et européennes ou encore arbitrales. Attachée à la défense des libertés publiques, elle mène des actions en droit de la presse, ainsi qu’en matière de lutte contre les discriminations. Enfin, Me Carine Doutrelepont est experte auprès de la Commission européenne. 16 Chapitre 1 2. Rapport synthétique des auditions (par M. Valentin Malfait et Mme Anne Roekens) 2.1. Introduction et lignes de force Le paysage médiatique belge francophone présente plusieurs spécificités : la taille réduite du marché (4,4 millions de personnes), la complexité institutionnelle (entre niveaux de pouvoir régional, communautaire, fédéral et européen) et la perméabilité linguistique et culturelle entre la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et la France (qui renforce la concurrence à la fois entre éditeurs et entre annonceurs). Ces caractéristiques fragilisent particulièrement les médias belges francophones, face aux évolutions récentes du secteur médiatique qu’il faut aujourd’hui envisager d’un point de vue international. Convergence, concurrence et dérégulation des médias Les innovations numériques et la mondialisation des marchés ont un effet déstructurant sur les médias puisque ces phénomènes technologiques et économiques amènent à la convergence et à la dérégulation des médias. - - Désormais, les médias utilisent le même langage (textes, images, sons et vidéos, …) et les mêmes supports (numériques). À une segmentation des médias, qui s’adressaient à des publics distincts et qui étaient consommés de manière différente et parfois complémentaire, a donc succédé un système de concurrence entre médias qui, au fur et à mesure de leur apparition, rétrécissent le marché les uns des autres et se disputent les marchés émergents. Accentuée par un processus de concentration et d’internationalisation, la concurrence entre médias s’exerce notamment sur deux fronts : 1°) le partage du temps de loisir des lecteurs-consommateurs ; 2°) le fractionnement de l’espace publicitaire et donc des ressources y afférentes. La concurrence est d’autant plus rude que l’avènement du numérique permet, vu la réduction des étapes à franchir pour diffuser de l’information, l’émergence et la multiplication des acteurs. Dans le flux continu de contenus (désormais disjoints des supports matériels), les marques font encore office, pour le consommateur, de filtres et de repères : le public continue à accorder une grande confiance aux médias « traditionnels » (comme la presse quotidienne), même si leurs Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » - 17 contenus ont migré sur support numérique. La convergence des médias entraîne également la confrontation directe entre des médias qui étaient autrefois soumis à un mode de régulation tout à fait différent (en l’occurrence, la presse écrite qui est traditionnellement soumise à très peu de contraintes alors que le secteur audiovisuel est historiquement très réglementé). Le croisement, sur le Net ou dans le système de la télévision connectée, de contenus soumis à une régulation et de contenus échappant à tout contrôle lance des défis considérables pour la régulation des médias. Dans la FWB, le phénomène de dérégulation des médias est d’autant plus marqué que RTL s’est délocalisée au Luxembourg et s’est donc soustraite à la réglementation de la FWB. Une chaîne de valeurs reconfigurée En principe, une rémunération équitable doit être perçue par les différents intervenants de la chaîne de valeurs de production de l’information (des journalistes au public, en passant par les producteurs et éditeurs, les radiodiffuseurs ou les services VOD, les distributeurs ou les plates-formes Internet, les agences de télécommunications et les fournisseurs d’appareils de réception et de reproduction). Actuellement, la répartition des énormes gains générés par l’information s’avère inégalitaire puisque les revenus de la distribution dépassent ceux de la création et de la diffusion des contenus. La disparition actuelle d’acteurs médians, comme les producteurs et les radiodiffuseurs, accentue encore le rôle prépondérant des acteurs restants : en l’occurrence, les intermédiaires que sont les câblodistributeurs (comme Belgacom, Tecteo ou Telenet) ou les agrégateurs (comme Google) capturent l’essentiel de la valeur auprès du public et rechignent à faire remonter l’argent en amont de la chaîne. Aux yeux de plusieurs observateurs, la question des rapports avec les distributeurs numériques revêt une importance cruciale puisque ces derniers fixent les prix de vente des contenus et prélèvent des marges importantes. Dans un contexte de forte concurrence et de course à la compétitivité sur le marché des devices mobiles, les distributeurs risquent de jouer un rôle de plus en plus prépondérant, d’autant que certains d’entre eux tendent à s’intégrer verticalement afin de réaliser des bénéfices supplémentaires (des opérateurs télécoms et des câblodistributeurs se mettent ainsi à fournir leurs propres contenus). Le journalisme, un métier soumis à rude épreuve Les newsrooms se reconfigurent également en fonction de l’avènement des 18 Chapitre 1 supports numériques : les responsables web et les rédactions numériques sont plus nombreux et mieux reconnus. Les journalistes doivent désormais être polyvalents et destiner leurs articles à une diffusion multi-platesformes. Si la gestion de l’espace (nombre de signes, de colonnes, …) est moins contraignante qu’avant, la gestion du temps est devenue beaucoup plus complexe : aux délais clairement fixés par l’impression d’un journal ou la diffusion d’une émission radio ou télévisée, a succédé un flux continu d’informations qui impose aux rédactions d’adopter un rythme de travail ininterrompu et de concilier rapidité et vérification des sources. Les médias numériques amènent également les journalistes à écrire différemment, à prendre en considération les réactions des internautes et à se repositionner vis-à-vis de nouvelles qui sont parfois annoncées par des non-journalistes : il s’agit alors d’ajouter une plus-value à ce contenu « brut » en l’authentifiant et en le remettant en perspective. Dans ce contexte, les conditions de travail difficiles (surtout pour les jeunes, les pigistes, les photographes et les faux-indépendants), la chronophagie du métier et les salaires insuffisants apparaissent comme les trois plus grandes causes d’insatisfaction des journalistes vis-à-vis de leur profession (à laquelle une grande majorité reste pourtant fortement attachée). Le métier de journaliste traverse, par ailleurs, une crise identitaire dans la mesure où les mutations technologiques permettent la concurrence de non-professionnels et accentuent la tendance à la marchandisation de l’information. Dans ce contexte, de nombreux professionnels se mettent à douter du rôle et du sens de leur métier. 2.2. Le point de vue des éditeurs de presse quotidienne et périodique - - - Le marché de la presse quotidienne belge francophone payante est animé par trois groupes de presse distincts : Rossel, IPM et Les Éditions de l’Avenir (dont le principal actionnaire est la société Corelio). Rossel, IPM et Corelio sont les trois actionnaires de la société Audiopresse qui détient 34% du capital de RTL-TVI. Les éditeurs de la presse quotidienne francophone et germanophone sont, par ailleurs, regroupés au sein de l’association des « Journaux Francophones Belges » (JFB) qui, depuis 1999, est chargée de défendre les intérêts des éditeurs auprès des différents niveaux de pouvoir. The Ppress est une des deux associations professionnelles de la presse périodique (avec l’UPP, Union des Éditeurs de Presse Périodique) Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 19 et regroupe des médias B2B (Business to Business) et B2C (Business to Consumer). Elle comporte cinq départements : B2B Press (presse professionnelle), Custo (presse relationnelle), Free Press (presse gratuite), OPABelgium (presse digitale) et Febelmag (presse magazine grand public). 2.2.1. État des lieux des médias en Belgique francophone A. D’un point de vue global, on assiste aujourd’hui à un phénomène de convergence des médias qui, sur les plates-formes numériques, utilisent désormais le même langage (textes, images, sons et vidéos…). À une segmentation des médias qui s’adressaient à des publics distincts et qui étaient consommés de manière différente et parfois complémentaire, a succédé un système de concurrence entre médias qui, au fur et à mesure de leur apparition, rétrécit le marché les uns des autres et se dispute les marchés émergents. Accentuée par un processus de concentration et d’internationalisation, la concurrence entre médias s’exerce notamment sur deux fronts : 1°) le partage du temps des lecteurs-consommateurs ; 2°) le fractionnement de l’espace publicitaire et donc des ressources y afférentes. De part et d’autre, la concurrence tourne au détriment de la presse écrite payante et en faveur des médias audiovisuels et numériques : - - Les médias audiovisuels offrent l’impression de gratuité au public et une audience considérable aux annonceurs ; Si la mise au point de la photocopie a ouvert la voie à une piraterie qui a eu des effets immédiats sur les ventes de la presse payante, la révolution numérique a accéléré le phénomène et a permis l’avènement d’une piraterie à grande échelle via les agrégateurs qui, sans produire de contenu, tirent largement profit de la diffusion de ceux-ci. Du point de vue international, plusieurs publications et recherches prédisent la disparition de la presse papier à court ou à moyen terme1. La question de l’information médiatique est d’autant plus complexe que Quentin Gemoets signale le cas isolé de la Flandre où la stabilité de la diffusion de la presse quotidienne s’explique sans nul doute par la spécificité culturelle flamande. 1 20 Chapitre 1 les médias qui ont comme objectif premier de diffuser de l’information entrent en concurrence directe avec des médias qui ont des visées à la fois informationnelles et autres (loisirs, culture, entertainment…). Au niveau des contenus eux-mêmes, les informations internationales tendent actuellement à se standardiser. La concurrence entre les médias belges se joue par conséquent sur le terrain de l’information de proximité, que celle-ci soit communautaire ou nationale. B. Le paysage médiatique belge francophone présente plusieurs spécificités : 1°) la taille réduite du marché ; 2°) la complexité institutionnelle ; 3°) la diversité des titres et le pluralisme qu’elle permet ; 4°) la perméabilité linguistique et culturelle entre la FWB et la France qui marque l’offre médiatique belge francophone dans son ensemble. En ce qui concerne la presse écrite, cette perméabilité a des implications au niveau de la consommation des mêmes titres (en particulier, périodiques) ou de titres adaptés du modèle français et au niveau d’un overflow de la publicité depuis la France ; 5°) l’aide à la presse qui ne concerne que la presse quotidienne et certains titres de presse périodique. C. Au-delà du phénomène de convergence des médias, la presse quotidienne et la presse périodique conservent des caractéristiques qui leur sont propres. - L’« ADN » de la presse quotidienne est ainsi composé d’un mode d’expression qui privilégie le texte et l’image fixe, d’un rythme journalier et d’un projet éditorial quasi exclusivement tourné vers l’information citoyenne2 . En outre, la presse quotidienne veut jouer un rôle industriel afin de pourvoir des emplois directs et indirects au niveau local et préserver le plus possible ses équipes rédactionnelles, même si la faiblesse du marché réduit inévitablement la taille des rédactions. La presse quotidienne régionale offre une quantité considérable de sujets d’actualité grâce à ses nombreux 2 Quentin Gemoets a illustré la valeur de la presse écrite et a effectué un relevé pour comparer en termes quantitatifs les contenus de la presse quotidienne à ceux des autres médias : sur une journée, les JFB traitent 815 sujets différents (contre 81 traités par la RTBF et 32, par RTL en radio et télévision). Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » - 21 correspondants et tisse des liens étroits avec le milieu associatif. La presse périodique rassemble une grande diversité de magazines (grand public, presse professionnelle, presse en ligne, presse gratuite), touche un large public (9 Belges sur 10 lisent un magazine), dispose de ses propres journalistes professionnels et diffuse un contenu informationnel spécifique. 2.2.2. Évolutions de la diffusion de la presse écrite En termes économiques, les diagnostics sont contrastés en ce qui concerne la diffusion papier et la diffusion électronique des journaux et magazines. A. Diffusion papier (payante) Selon François le Hodey, en 20 ans, le nombre de quotidiens vendus par jour est passé de 624.333 à 418.862 et a donc subi une chute de 33%. Selon Quentin Gemoets, au vu des dernières décennies, la presse écrite perd 10% de sa diffusion. La diffusion régressive de la presse quotidienne et périodique ne peut être compensée financièrement ni par une hausse des recettes de vente, ni par une baisse des coûts. En effet, selon Bernard Marchant et Patrick De Borchgrave, la hausse du prix de vente des journaux et magazines reste limitée. Les coûts de production ont déjà été considérablement réduits grâce à l’automatisation des procédés et continuent pourtant de croître (vu le développement de nouvelles technologies et la hausse du coût de l’énergie, du papier, des coûts moyens et des salaires). Si le papier n’est pas lui-même menacé de disparition, son avenir dans la presse est incertain. D’après Quentin Gemoets, un des problèmes majeurs est de savoir si, à terme, il sera encore possible d’acheminer le journal papier dans certaines régions du pays, vu les coûts de transport et de distribution qui risquent d’évoluer à la hausse. B. Diffusion électronique (mi-gratuite, mi-payante) La presse écrite a consenti d’importants investissements afin de négocier le « tournant numérique » et s’est positionnée en tête des sites d’information les plus visités (d’après les chiffres de F. le Hodey, le nombre de visiteurs uniques des sites de la presse quotidienne est passé en 10 ans de 0 à 450.000 par jour). Ainsi, les marques d’information restent intéressantes et attractives : d’après les sondages (notamment auprès des jeunes), la presse quotidienne est reconnue comme la source 22 Chapitre 1 d’information la plus fiable. Les éditeurs de presse estiment qu’une nouvelle tension est apparue depuis que la RTBF élargit sa présence sur Internet et concurrence, comme d’autres sites d’information gratuits, les sites d’information partiellement payants. 2.2.3. L’importance cruciale des revenus publicitaires Le marché belge francophone des médias fonctionne sur un modèle publicitaire, dans la mesure où la publicité constitue la plus importante ressource financière des médias (D’après Margaret Boribon, 51% des ressources nettes). Or, face à cette question des revenus publicitaires, les médias ne sont pas logés à la même enseigne. Leurs situations varient : A. en fonction de la présence ou non d’une régulation (effective pour l’audiovisuel et l’affichage; absente du côté de la presse, des multimédias et du database marketing) ; B. en fonction de leur capacité d’attraction publicitaire. Si la télévision et la radio atteignent respectivement un reach (part du marché publicitaire touchée) intéressant de 81% et de 79%, la presse quotidienne ne dispose que d’un reach de 50%. Aux yeux des éditeurs de presse, la RTBF cumule les atouts et les privilèges, puisqu’elle bénéficie de subsides publics, d’une infrastructure câblée et d’investissements publicitaires importants. Patrick de Borchgrave souligne, par ailleurs, l’aspect pernicieux des obligations d’insérer une mention légale au sein de certaines publicités (par exemple, pour les voitures) ; ces obligations touchent exclusivement les médias papier et accentuent encore la préférence des annonceurs pour le média télévisuel. La télévision a fait fondre les revenus publicitaires des médias papier et attire plus de revenus publicitaires que les secteurs entiers de la presse écrite quotidienne et périodique. D’après Margaret Boribon, les ressources de l’audiovisuel (privé et public) sont de 475 millions d’euros, tandis que la presse quotidienne dispose de 200 millions d’euros. À elle seule, la RTBF a un chiffre d’affaires supérieur au chiffre global de la presse écrite, tous titres confondus. D’après François le Hodey, la RTBF a un chiffre d’affaires de 299 millions d’euros alors que la presse quotidienne a, dans son ensemble, un chiffre d’affaire de 287 millions d’euros. Selon les éditeurs de presse, le marché publicitaire belge francophone est dérégulé : Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 23 A. par la distorsion de concurrence en faveur de la télévision, vu l’attractivité des audiences cumulées (cette pression sur le marché a d’ailleurs entraîné une chute des prix des espaces publicitaires) ; B. par le fait que la plupart des opérateurs publicitaires sont flamands et organisent des plans médias à l’échelle nationale (en dépit des différences importantes entre médias flamands et francophones, ne fût-ce qu’au niveau du tirage). 2.2.4. Propositions des éditeurs de presse Alors que la segmentation du paysage médiatique permettait la coexistence de marchés régulés et non-régulés, la convergence des médias rend la régulation du secteur médiatique indispensable. Sans régulation, il y aura nécessairement concentration des capitaux et donc réduction du nombre de fournisseurs de contenus, impact sur les rédactions et l’emploi et mise en danger du pluralisme. En ce qui concerne la presse écrite quotidienne belge francophone, malgré les phénomènes de concentration qui ont bel et bien eu lieu durant ces dernières décennies, il reste encore six (groupes de) titres différents3 qu’il s’agit de défendre contre le danger réel de logiques centripètes. Pour la presse écrite, les enjeux résident dans la consolidation de l’audience et dans la valorisation des contenus journalistiques. Vu le rôle central dévolu à la presse dans tout système démocratique, les médias d’information doivent rester des médias de masse, c’est-à-dire qu’ils doivent atteindre au moins 30% du public. L’amélioration des contenus offerts ne suffirait pas à résoudre les problèmes structurels (puisque l’enjeu principal se situe au niveau de la publicité), mais une meilleure régulation permettrait d’augmenter la qualité de l’information en renforçant les équipes éditoriales. Concrètement, les éditeurs de presse préconisent la mise en œuvre d’une régulation en vue d’assurer un rééquilibrage des ressources entre secteurs privé et public. Il ne s’agirait pas d’augmenter les moyens mais de les affecter de manière plus appropriée. Il ne s’agirait pas de subsidier stricto sensu la presse écrite mais de lui procurer des aides ponctuelles et dynamiques. S’impose la nécessité d’accompagner la mutation du marché qui se caractérise par une convergence des médias et par une complémentarité des audiences 3 L’Avenir, La Dernière Heure-Les Sports, L’Echo, La Libre Belgique, Le Soir, Sud Presse. 24 Chapitre 1 (dans la mesure où une majorité de ceux qui consultent les sites d’information lisent également le journal papier). Aux yeux de Quentin Gemoets, les tablettes constituent un support particulièrement intéressant pour la presse écrite puisqu’elles permettent non seulement de consulter les sites d’information (comme le font les mobiles) mais surtout de les lire véritablement. Ce type de support cumule les atouts pour la publication de la presse quotidienne : en plus d’une possible multi-édition journalière, un temps de lecture comparable à celui du support papier permet de diffuser des articles pertinents et cohérents, de conférer dès lors un certain leadership à l’auteur-journaliste, de rendre payants ces contenus d’information dont la plus-value est reconnue par les lecteurs et de monétiser les espaces publicitaires désormais rentables. Ce modèle permet, en outre, à la presse écrite d’envisager le système de bouquet numérique (comme pour la télévision) ou de vente à l’article (comme pour la musique). 2.2.5. Pistes concrètes proposées par les éditeurs A. Soutien structurel à la presse - - - - - augmenter l’aide à la presse (qui avait été accordée en compensation de l’autorisation obtenue par les opérateurs télévisés publics de diffuser de la publicité) ; mener une réflexion sur les missions de service public et limiter le périmètre d’activité de la RTBF ; mettre en œuvre les mesures d’évaluation préalables demandées par la Commission européenne pour tout nouveau développement numérique de la RTBF, afin que celui-ci n’ait pas d’impact négatif sur les activités des autres médias. En l’occurrence, il s’agit d’éviter que la chaîne publique n’offre gratuitement des contenus comparables à ceux que la presse écrite vise à rendre payants4 ; garantir un volume d’achat d’espaces de communication par des institutions publiques dans la presse quotidienne et périodique (le format écrit est d’ailleurs particulièrement approprié pour transmettre des communications d’intérêt général) ; procéder à des allégements fiscaux pour les entreprises de presse, via notamment l’exonération partielle du précompte professionnel pour les journalistes professionnels. À titre d’exemple, en conséquence d’une telle étude préalable menée en Grande-Bretagne, il a été décidé que la BBC ne pouvait diffuser d’informations locales sur son site internet. 4 Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 25 B. Régulation des ressources publicitaires - - - - - limiter l’espace publicitaire du côté des opérateurs publics (non en termes de valeur mais en termes de minutes) ; défendre à la RTBF de développer toute pratique commerciale sur les supports numériques (à l’instar de la plupart des États européens qui interdisent la publicité sur les sites web et mobiles des radiodiffuseurs publics) ; limiter les publicités diffusées par la RTBF au marché national (Les marchés local et régional constitueraient des « bouffées d’oxygène » tant pour la presse écrite que pour les télévisions locales) ; privilégier, comme à la VRT, le système du sponsoring comme alternative à la publicité ; inviter les annonceurs institutionnels et parastataux à diriger leurs investissements publicitaires vers la presse écrite, comme cela est le cas en Flandre et dans de nombreux pays limitrophes. C. Valorisation des contenus journalistiques - - - - - diffuser, comme en Flandre, de la publicité pour la presse écrite à la radio et à la télévision (hors quota publicitaire) ; protéger et valoriser la propriété intellectuelle (protection du contenu, droits de reprographie, de copie privée et de prêt public, rémunération des réutilisations, défense contre le piratage) ; soutenir financièrement la formation continuée des journalistes en collaboration avec les éditeurs, ainsi que la formation des commerciaux, des équipes de pré-presse ; promouvoir davantage l’utilisation de la presse à l’école comme outil pédagogique et développer des actions de grande ampleur pour encourager les jeunes à lire la presse écrite ; soutenir la distribution des journaux (via l’installation de kiosques dans les lieux publics, l’aide au portage, la valorisation du statut de libraire. Du côté de la presse périodique, on souhaite l’extension des tarifs et services postaux, dont profite la presse quotidienne, à la presse périodique). D. Soutien à la transition numérique - accorder des aides financières pour accompagner le passage au numérique ; 26 Chapitre 1 - - - - - - prévoir une rétrocession des bénéfices des distributeurs vers les fournisseurs de contenu ; appuyer le projet de convention AJP-JFB sur le nouveau statut social et fiscal de « journaliste-auteur » ; étendre à la presse écrite le principe de présomption de cession des droits d’auteur (déjà utilisé par la télévision), quitte à reconnaître une rémunération équitable. Dans le cas d’une œuvre collective5, les médias audiovisuels peuvent réutiliser ce contenu sans obtenir de nouvelle autorisation des auteurs de cette œuvre, ce qui n’est pas le cas des médias papier qui ont encore l’obligation légale de conclure un contrat pour chaque nouvelle utilisation. Aux yeux de Marjorie Dedryvere et Margaret Boribon, cette obligation est un frein au développement numérique de la presse écrite et un facteur de distorsion de concurrence par rapport au média télévisuel ; aligner la TVA appliquée aux médias numériques sur le taux de TVA appliqué à la presse papier et le taux de TVA de toute la presse papier périodique à celui de la presse papier quotidienne (0%) ; participer au financement de kiosques numériques comme GoPress et soutenir, de manière générale, le développement des e-boutiques qui permettraient de faire l’économie des commissions perçues par les diffuseurs de contenus numériques (qui s’élèvent souvent à 30% du prix de vente du contenu lui-même) ; soutenir le raccordement des ménages belges au haut-débit et l’équipement de ceux-ci en tablettes numériques. 2.3. Le point de vue des opérateurs audiovisuels 2.3.1. Des acteurs performants focalisés sur les contenus d’information A. RTL est un groupe privé luxembourgeois à capitaux allemands, avec des sociétés filiales notamment en Belgique et en France qui est associé à des 5 Frédéric Young (SCAM) affirme que les matières audiovisuelles ne sont pas des « œuvres collectives » mais des « œuvres de collaboration » auxquelles le principe de présomption de cession des droits peut s’appliquer. Ce dernier s’est initialement basé sur la nécessité de compléter la chaîne des droits afin de permettre l’exploitation d’œuvres (souvent cinématographiques) qui représentent des investissements considérables. La présomption de cession n’est pas gênante dans le cas des médias audiovisuels puisque l’essentiel des revenus afférents au droit d’auteur passe par la gestion collective (via la SACD ou la SCAM). Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 27 groupes de presse6. Les principaux actionnaires de RTL Belgium sont le groupe CLT-UFA qui détient RTL Group (à hauteur de 66%), et la société Audiopresse (à hauteur de 34%) formée par les principaux éditeurs de presse quotidienne belges francophones. Initialement, l’activité de RTL en Belgique était publicitaire et s’est ensuite tournée vers l’édition de contenus. Aujourd’hui, RTL Belgique conserve ces deux activités commerciales : IP est la marque de sa régie publicitaire et développe son activité au-delà des médias de RTL ; en ce qui concerne l’édition de contenus, RTL Belgique chapeaute trois médias distincts : la radio (Bel RTL et Radio Contact), la télévision (RTL) et Internet (New media). Comparativement à d’autres médias privés qui se focalisent généralement sur le divertissement, RTL Belgique s’est d’emblée investie dans la production de contenus d’information. Cela s’explique en partie par le fait que RTL s’est construite face au monopole historique de l’opérateur public et lui a ravi le leadership en termes d’audience. Aujourd’hui encore, l’information occupe une place centrale dans la programmation de la chaîne luxembourgeoise : les émissions d’information représentent 14% du temps d’antenne total. RTL est devenue leader de l’information télévisée et coleader de l’information en radio. Le reach du JT de RTL-TVi est de 32,2% ; cumulé avec les informations en radio et sur Internet, il atteint 39,9%. Alors que le divertissement est essentiellement sous-traité par RTL, la production d’information est internalisée, ce qui explique que 31% de la force de travail de la chaîne (soit 165 ETP) sont affectés à la production d’information (via les JT et les magazines). RTL Belgique constitue donc une des principales sources d’information du pays et joue dès lors un rôle important (quasipublic, selon RTL), d’autant plus que la chaîne couvre des événements d’intérêt général et investit le débat politique à un rythme hebdomadaire. Par ailleurs, le JT revêt un intérêt économique et stratégique puisque ce pilier d’audience pousse toute la programmation de la soirée, constitue un puissant vecteur d’image en ancrant la chaîne dans une communauté et sert de produit d’appel vers d’autres formats comme les vidéos à la demande ou les contenus sur Internet. B. La RTBF est l’opérateur audiovisuel public et est liée à la FWB par un contrat de gestion qui fixe ses droits (une dotation annuelle) et ses devoirs 6 La délocalisation de RTL au Luxembourg a été justifiée, selon l’opérateur privé, par des préoccupations de sécurité juridique, a été reconnue comme légale et a pour conséquence de soustraire la chaîne luxembourgeoise à la régulation du CSA belge. 28 Chapitre 1 (notamment, l’obligation de s’adresser au plus grand nombre). Conformément aux missions de service public qui lui sont assignées, la RTBF consacre des moyens considérables à la production de contenus d’information : pour ce faire, elle emploie au total 325 ETP et contribue, par ailleurs, à la formation des futurs journalistes. Grâce à cette force de travail, l’opérateur public produit annuellement 670 heures de contenus d’information télévisés et 2.650 heures d’information en radio. Sur Internet, la RTBF publie 33.000 articles d’information par an (en 2010). En termes d’audience, le reach des programmes télévisés d’information, dans leur ensemble, est de 46,8% (ce qui signifie qu’environ deux millions de Belges francophones de plus de quatre ans regardent chaque semaine au moins un quart d’heure d’un de ces programmes) ; la pénétration de la radio est de 32,3% (ce qui signifie que 1 279 000 citoyens francophones de plus de 12 ans écoutent un bulletin d’information au moins dix minutes par semaine). Si l’on ne dispose pas de chiffres d’audience précis pour la consultation d’articles mis en ligne, on estime que les pages d’information de la RTBF accueillent pour l’instant 55.000 visiteurs par jour. La conception d’information de service public dans le chef de la RTBF s’exprime au travers de différents choix posés par la chaîne à contre-courant de logiques purement économiques : alors que les économies d’échelle amènent à se passer de journalistes professionnels ou de rédaction physique, la RTBF tient à conserver une rédaction stable qui poursuit son travail de production propre, d’investigation et d’analyse et à maintenir l’implantation de rédactions dans les régions (via les bureaux locaux d’information et les unités de programmes présents sur les sites régionaux). La décentralisation répond à une nécessité sociétale et culturelle d’ancrage dans la communauté pour en être un porte-parole crédible. S’ajoute à ces choix un faisceau déontologique qui définit la télévision de service public et qui conjugue un système de stricte indépendance par rapport à l’autorité et des règles explicites quant au métier de journaliste, au traitement de l’information, au rapport avec le monde politique, à la place de chaque formation politique démocratique sur les antennes de la RTBF. C. Les 12 télévisions locales (TVL) sont des ASBL qui ont été autorisées en Communauté française dès 1976 et qui ont ensuite été reconnues comme des entreprises culturelles chargées de missions de service public. À ce titre, elles reçoivent une dotation de la FWB (complétée par des recettes publicitaires, un financement régional de soutien à l’emploi et par une contribution des câblodistributeurs, qui est en cours de révision). Depuis 1997, elles offrent Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 29 une couverture totale des régions wallonne et bruxelloise. Vu leurs histoires distinctes, les télévisions locales sont marquées par une grande diversité7. Au-delà de leur diversité, les télévisions locales ont comme point commun de faire de l’information leur mission centrale et d’accorder une attention particulière à la politique communale et régionale. Les JT représentent 20% du temps d’antenne global et 700 heures de production par an (sur un total de 3.507 heures de production propre). Ensemble, les télévisions locales emploient 132 journalistes ETP. Le reach des TVL s’élève aujourd’hui à 52% de l’audience potentielle, même si l’audimétrie classique apparaît comme peu adaptée à la situation particulière des TVL. Ainsi, les chiffres du CIM qui diagnostiquent un effondrement de l’audience des TVL (qui perdraient 50% de leur public) sont très exagérés par rapport à une effective érosion de l’audience depuis 2004-2005. L’ atout majeur des TVL réside dans la décentralisation des moyens de production qui permet une rapidité de réaction, une couverture exhaustive des actualités dans la FWB et un accès plus aisé des acteurs locaux et des citoyens au média audiovisuel. L’information locale de service public passe non seulement par ce travail de proximité, mais aussi par une mission d’éducation permanente : il s’agit d’informer les gens de ce qui se fait dans leur environnement immédiat et donc de les inviter à devenir des citoyens actifs et responsables. En outre, les télévisions locales ont l’avantage de pouvoir donner un point de vue particulier sur un point d’actualité et de créer de l’emploi au niveau local. 2.3.2. Multiples répercussions du numérique sur les médias audiovisuels Les innovations numériques et la mondialisation des marchés ont un effet déstructurant sur les médias audiovisuels puisque ces phénomènes technologiques et économiques amènent à la convergence et à la dérégulation des médias. À l’heure actuelle, la radio est confrontée à une détérioration de son image auprès des jeunes et à un déclin de sa consommation, tandis que la télévision reste aujourd’hui un objet de consommation fort et stable et jouit, grâce à différents progrès technologiques, d’une image assez moderne. 7 À titre d’exemple, Canal Zoom s’adresse à 43.000 habitants de la région gembloutoise, alors que Télé Bruxelles vise un public d’un million de personnes et revendique d’être reconnue comme une télévision régionale. 30 Chapitre 1 La situation des médias audiovisuels va connaître d’importantes (r)évolutions dans un futur proche. - - - - Si la technologie numérique a permis d’accroître encore la distribution de la télévision, les différentes innovations ouvrent également la voie à l’évasion des auditeurs et téléspectateurs des chaînes classiques linéaires vers d’autres médias (comme Internet, la VOD ou des chaînes thématiques), d’autant plus que le public de la radio et de la télévision tend à vieillir, tandis que les jeunes générations se tournent massivement vers les nouveaux médias. Le nomadisme, c’est-à-dire, l’essor du mobile, entraîne un rapport plus compulsif à l’information (qui doit pouvoir être consommée à tout moment et partout) et impose aux médias audiovisuels de modifier et d’accélérer ses processus de fabrication de l’information et de développer des applications mobiles. La personnalisation bouleverse la télévision et la radio qui, en tant que médias linéaires, fixaient jusqu’il y a peu leurs propres horaires et n’étaient pas consommées « à la demande ». La « télévision connectée » va plus fondamentalement encore ébranler le modèle audiovisuel. Ce système (qui consiste en un poste branché à la fois sur un signal de diffusion et un signal Internet) ne s’inscrit dans aucun cadre régulatoire puisqu’il capte les services non régulés du web. Il pose donc des problèmes notamment en termes de respect des droits d’auteur et de neutralité technologique (puisque le rôle et le prix des plates-formes ne sont pas encore définis). Par ailleurs, l’audience qui était jusqu’alors la propriété de la chaîne, pourra être demain utilisée par tous via Internet. La participation citoyenne à la production de l’information entraîne une multiplication des contenus et des volumes et amène surtout les médias audiovisuels à se repositionner vis-à-vis de l’actualité et vis-à-vis de leurs publics. L’information n’est aujourd’hui plus uniquement annoncée par des journalistes professionnels mais elle est partagée par des citoyens lambda via des réseaux numériques. Du côté de la RTBF, on redéfinit le rôle des médias comme celui de la confirmation, de la certification et de l’explication. Il ne s’agit plus d’annoncer la nouvelle, mais de l’authentifier et de la mettre en perspective. Concrètement, ce nouveau positionnement de la RTBF passe notamment par la présentation dans le JT de sujets moins nombreux mais plus longs, par l’usage plus fréquent et plus dynamique de l’infographie, par la diffusion d’émissions spéciales Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » - - - 31 ou de documentaires en rapport avec l’actualité immédiate, par l’aménagement de plages intégrées d’information et d’analyse en radio, par un travail d’éditorialisation via le web. Le numérique amène une réorientation des flux de revenus publicitaires, puisqu’il confronte les médias belges à la concurrence internationale. Ainsi, des sites d’information étrangers, comme lemonde.fr, utilisent le décrochage publicitaire pour s’adresser au public belge ; Google récolte, à lui seul, environ 100 millions d’euros sur le marché publicitaire belge, selon Didier Lefèvre. D’après JeanPaul Philippot, les moteurs de recherche captent 45% de la publicité en ligne au niveau européen. Si l’on tient compte de cette estimation qui ne figure habituellement pas dans les statistiques belges, la part des moteurs de recherche amoindrit encore la part infime qui revient aujourd’hui à la RTBF (qui passe alors de 3,6% à 0,4%-0,6% de l’ensemble des revenus du net)8. Cela représente une modification fondamentale de la part de marché de la chaîne publique au regard des autres médias puisque, par comparaison, la part de marché publicitaire de la RTBF représente actuellement 29% du total des investissements en télévision (contre 71% pour les télévisions privées) et 35% en radio (contre 65% pour les radios privées). Du point de vue industriel, les technologies qui se développent à une vitesse de plus en plus rapide obligent les médias à suivre toutes ces innovations, à mobiliser plus de capitaux et à amortir ces investissements beaucoup plus vite qu’avant. La numérisation du processus d’information constitue une menace sur les contenus dans la mesure où elle accroît le risque de piratage et où elle permet une multiplication des points de consommation du même contenu (ce qui entraîne une perte de valeur des contenus internationaux au fur et à mesure de leur diffusion). 2.3.3. La viabilité économique d’opérateurs publics et privés comme condition du pluralisme Pour qu’il y ait pluralisme, il est nécessaire de garantir le bon fonctionnement et la viabilité d’opérateurs à la fois publics et privés, comme le défend le 8 En 2010, le marché publicitaire de la RTBF sur Internet s’est élevé à 2,2 millions d’euros bruts. Selon Jean-Paul Philippot, si cette somme, en soi assez négligeable, était retirée à la chaîne publique, elle ne reviendrait pas mécaniquement vers les éditeurs de la presse quotidienne mais se diluerait dans l’ensemble des offres Internet. 32 Chapitre 1 rapport d’Ivo Belet9. À l’unanimité, les représentants des différentes chaînes plaident pour le maintien des opérateurs existants et reconnaissent la valeur de l’information locale comme garante d’une diversité d’information (même si RTL déplore une dispersion des moyens inhérente à la mise en place de 19 établissements publics audiovisuels en FWB). Or, la situation économique des opérateurs audiovisuels belges francophones est non seulement ébranlée par les innovations technologiques du secteur médiatique, mais aussi par les spécificités de leur marché. En Belgique, la production médiatique est orientée vers un marché de consommation, c’està-dire qu’elle est destinée au seul public belge, contrairement au Luxembourg qui s’est lancé dans une industrie d’exportation. Alors que s’accroît le poids des acteurs globaux et internationaux via les plates-formes numériques, les médias belges francophones sont de plus en plus fragiles, au vu de l’exiguïté de leur territoire et du rayonnement limité de la langue française. Dans la mesure où la production de l’information se fait à coûts fixes, un média d’information doit, pour être rentable économiquement en Belgique, être (co-)leader sur le marché et éditer ses contenus sur différentes plates-formes afin d’augmenter son taux de pénétration dans la société. Les télévisions publiques font face à d’importants problèmes financiers et voient leurs subsides plafonner tant pour la RTBF que pour les télévisions locales. Selon Jean-Paul Philippot, la RTBF est même une des radiotélévisions publiques les moins bien dotées en Europe10 : sa dotation est inférieure de 42% à celle de la VRT et n’a pas été augmentée depuis 1990 (si l’on fait abstraction de l’inflation), alors que le budget de la FWB n’a cessé de croître11. Jusqu’en 2000, la publicité a constitué un important relais de croissance pour 9 Le rapport Belet relatif à l’avenir des médias à l’ère du numérique a été, en novembre 2010, approuvé à une très large majorité par le Parlement européen. Il manifeste l’engagement de l’Union européenne en faveur du modèle dual, c’est-à-dire du maintien d’un service public fort à côté des opérateurs privés. 10 François le Hodey (IPM) et Richard Miller (MR) nuancent ces propos. Le premier soutient que la RTBF se situe dans la moyenne européenne tandis que le second fait remarquer que l’investissement public à la RTBF ne se résume pas à la dotation de la FWB, puisque la chaîne publique bénéficie de quelques rentrées d’argent public complémentaires (dotations pour Arte, TV5, subsides liés au Plan Magellan, ou les aides de la Région wallonne). Didier Lefèvre (RTL) ajoute que la débudgétisation de l’aide publique en faveur de la RTBF s’avère bien moins efficace qu’une dotation augmentée et cohérente. 11 Ce qui explique que la part de la dotation de la RTBF a diminué de 26% relativement au budget global de la FWB. Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 33 les télévisions belges francophones privées, puis publiques : ainsi, de 1990 à 2000, la croissance du budget de la RTBF est due uniquement à la publicité. Au cours des dix dernières années, les revenus publicitaires ont stagné : la croissance annuelle nominale moyenne de la publicité pour l’ensemble des grands médias a été de 1,3% par an. L’audiovisuel a relativement bien résisté à la pression du marché publicitaire ; les opérateurs télévisuels sont même souvent perçus comme des privilégiés puisque leurs revenus publicitaires sont restés ces dernières années en légère augmentation. Pourtant, sur le long terme, ils devront faire face à des défis structurels consécutifs : - - - à la montée en puissance de marques dont les distributeurs font euxmêmes la publicité ; à un processus de financiarisation qui, au détriment des logiques de marketing, recherche les rendements à court terme en faisant pression sur les prix ; à la monétisation de nouveaux points de contact avec les consommateurs, comme les écrans de télévision placés dans les magasins. Dans ce contexte économique difficile, les médias audiovisuels sont obligés de faire preuve de réalisme économique. Ils tentent ainsi d’augmenter leur productivité (RTL et la RTBF ont choisi, chacune de leur côté, de fusionner leurs propres équipes rédactionnelles de radio et de télévision pour favoriser la concertation, mais aussi pour mutualiser les coûts) et cherchent à diversifier leurs rentrées financières (par exemple, via la participation financière des distributeurs ou le branding qui consiste à associer une marque-média à différents produits)12. Dans ce domaine, les TVL sont pénalisées par leur manque de visibilité et d’image commune puisque la presse et les diffuseurs ne publient pas leurs programmes et qu’elles sont (très) mal classées dans l’ordre des chaînes offertes par les décodeurs numériques. 2.3.4. Propositions concrètes des opérateurs audiovisuels Les opérateurs audiovisuels formulent différentes propositions afin de leur permettre d’exister, de survivre économiquement et d’assurer, le cas échéant, les missions de service public qui sont confiées à certains d’entre eux. La plupart de ces propositions varient logiquement en fonction du secteur dont elles émanent. 12 À ce propos, il importe de rappeler qu’une étude sur le financement de la RTBF réalisée par le consultant Deloitte en juin 2011 à la demande du Gouvernement de la FWB a démontré l’impossibilité de supprimer ou de diminuer le financement publicitaire de la RTBF sans un refinancement public compensatoire plus que proportionnel à la perte de revenus publicitaires de la RTBF. 34 Chapitre 1 Les télévisions publiques et privées s’accordent sur la nécessité de : AUGMENTER LES SUBSIDES ALLOUES AUX TELEVISIONS PUBLIQUES - Il s’agit de reconnaître le rôle des différentes télévisions de service public, au niveau communautaire, local ou même régional (dans le cas de Télé Bruxelles) et de traduire cette reconnaissance par un financement adéquat. Une augmentation des subsides permettrait d’éviter ce que d’aucuns appellent les « dérives commerciales » auxquelles la RTBF est acculée (et qui, selon RTL, donnent lieu à une destruction de valeurs sur le marché) et de garantir aux télévisions publiques une autonomie financière qui elle-même fonde l’indépendance éditoriale. Concrètement, les TVL demandent 1°) de faire passer la redevance décrétale (due par les câblodistributeurs aux télévisions locales) de 2,33€ à 5€ par abonné (somme qui, selon des calculs réalisés en Flandre, correspond aux besoins), 2°) de mettre en place une compensation pour Télé Bruxelles qui est privée de cet apport, 3°) de profiter d’un plus grand soutien des pouvoirs publics via de nouveaux subsides ou des achats de programmes ou de publicités. SOUTENIR LA TRANSITION NUMERIQUE - - en apportant un soutien financier à la transition numérique afin de permettre l’existence d’opérateurs privés assez solides pour produire leurs propres contenus, sans pour autant prendre une quelconque initiative sur le choix et l’orientation des contenus (la responsabilité des programmes revient à la seule entreprise) ; en permettant, dans une logique de neutralité technologique, la migration des contenus des opérateurs publics sur de nouveaux supports. Pour la RTBF, la politique de neutralité technologique qui consiste à investir tous les supports est non seulement une condition de viabilité économique mais également un enjeu de service public puisque l’audience de la radio et de la télévision tend à vieillir (l’âge moyen des téléspectateurs de la RTBF est déjà de 51 ans) par rapport à l’âge moyen des internautes qui visitent le site de la RTBF (qui n’est que de 37 ans). Se priver d’un des médias revient ni plus ni moins à se couper d’une partie de la population et donc à faillir à une des missions du service public. Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 35 RTL préconise de : DEPASSER L’AFFRONTEMENT ENTRE LA RTBF ET RTL, c’est-à-dire de - - sortir de la comparaison incessante entre RTL et la RTBF. Pour Didier Lefèvre, il y a là une stérilisation des débats puisque les chaînes ne sont en soi pas comparables vu la différence de leur statut et de leurs missions et puisqu’il serait souhaitable de faire primer l’intérêt général sur l’affrontement systématique ; oser imaginer, comme le formule Didier Lefèvre, une disjonction entre statut d’opérateur d’État et missions de service public : on pourrait envisager, dans ce sens, de négocier et de confier des missions publiques circonscrites à des opérateurs privés. Le contexte européen fournit des exemples où la dichotomie privé-public a été dépassée : TF1 est une chaîne publique qui a été privatisée, le Luxembourg ne dispose pas d’une chaîne publique, la chaîne danoise TV2 est un opérateur public qui a une mission d’entreprise commerciale financée par la publicité. METTRE EN PLACE UN CADRE ECONOMIQUE ET JURIDIQUE SAIN - - Du point de vue de Didier Lefèvre, l’action publique vis-à-vis des médias doit être lisible et transparente : avant de prendre des mesures, les pouvoirs publics devraient mesurer les effets directs et indirects de celles-ci afin d’éviter de déstructurer le marché ou de déséquilibrer la concurrence. À titre d’exemple, l’augmentation des espaces publicitaires à la RTBF a provoqué une baisse des prix sur le marché et a même mis la télévision publique en concurrence directe avec les télévisions locales. De manière générale, si des entreprises publiques mènent des activités commerciales, le législateur et le régulateur doivent faire preuve d’équité à l’égard de tous les acteurs. Didier Lefèvre déplore ainsi les choix qui ont présidé à la répartition des fréquences analogiques qui aurait privilégié les radios publiques au détriment des radios privées. Les télévisions publiques préconisent, pour leur part, de : DEGAGER DE NOUVEAUX RELAIS DE CROISSANCE - en ouvrant le débat sur le modèle gratuit et/ou payant. Au-delà 36 Chapitre 1 - de la traditionnelle gratuité des contenus radio et télévisés et de l’obligation pour le service public de rendre son information accessible à tous, Jean-Paul Philippot n’exclut pas qu’il faille changer les mentalités et envisager la monétisation de certains contenus numériques ; en accroissant la visibilité des télévisions locales par la diffusion des programmes dans la presse écrite et par la négociation d’un meilleur classement dans le ranking proposé par les décodeurs numériques. FAVORISER LA MISE EN ŒUVRE DE PARTENARIATS et permettre aux opérateurs audiovisuels de faciliter l’acquisition de nouvelles technologies, de partager les investissements ou même les contenus. - - - Les télévisions locales veulent concrètement rationaliser leurs moyens, en touchant le moins possible à l’emploi et en excluant la suppression pure et simple d’une des TVL qui ne serait pas une solution rentable. L’idée serait de mettre en œuvre une coopération technique entre les télévisions locales, de créer un deuxième canal commun qui permettrait de diffuser des programmes produits en commun, de mettre en œuvre des synergies entre certaines TVL (à l’instar de l’initiative du GIE qui rassemble six télévisions wallonnes). Les TVL demandent que le pouvoir public les laisse expérimenter de nouvelles voies de développement. La RTBF est déjà dans une dynamique de partenariats avec différents acteurs européens13 et voudrait intensifier les collaborations avec les TVL à la fois du point de vue du partage des infrastructures comme à Charleroi et du point de vue d’une collaboration éditoriale (actuellement, les échanges de contenus avec les TVL ne sont que de 30 par an). Les TVL marquent leur accord tout en demandant qu’il s’agisse d’un vrai partenariat d’égal à égal et que l’on rende effectif le comité de concertation créé à cet effet par la présence d’un observateur de la FWB. Enfin, la RTBF serait ouverte à la mise en place d’un système d’échanges de contenus avec la presse écrite, à l’instar de la VRT qui est en pourparlers avec les éditeurs flamands qui achètent euxmêmes des contenus à VTM14. La RTBF est ainsi liée à différents acteurs européens comme l’UER, les radios francophones publiques, Euranet et le réseau de radio européen et TV5. 14 Pour leur part, les éditeurs de la presse écrite craignent qu’une intensification des échanges ne constitue un danger d’uniformisation des contenus qui seraient dès lors plus difficiles à monétiser. 13 Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 37 2.4. Le point de vue des éditeurs et diffuseurs de presse numérique L’Online Publishers Association (OPA) regroupe des médias diversifiés (télévision, presse quotidienne, presse périodique B2B et B2C) qui ont pour point commun d’avoir transposé leurs contenus sur support numérique. Au total, l’OPA compte une cinquantaine de sites d’information ou de divertissement, rédigés en français ou en néerlandais. Elle fait elle-même partie de l’association The PPress. Sur les 1120 journalistes impliqués dans la rédaction de ces sites, 971 sont des journalistes mixtes, c’est-à-dire qu’ils rédigent des contenus destinés à des supports classiques et numériques. Les objectifs de l’OPA sont de créer et de partager des connaissances sur les sites à contenu de qualité et de faire la promotion de ces nouveaux médias à l’attention des pouvoirs publics et des annonceurs. Pressbanking est un diffuseur de contenus qui, depuis 1994, met à disposition de ses clients une revue de presse (francophone et germanophone) dans une logique de B2B. Il se veut être un outil professionnel et perfectionné qui revêt un intérêt stratégique pour les entreprises et les pouvoirs publics. La création de Pressbanking s’inscrit dans une vague d’innovations qui, dès la fin des années 1980, tendent à créer des bases de données rassemblant les articles de différents journaux, à offrir de la sorte des revues de presse numériques et, par la suite, à mettre en ligne ces données. Dans le secteur de la presse numérique, la Belgique a pris manifestement une longueur d’avance et se trouve dans le peloton de tête européen (pour rappel, Google n’apparaît qu’en 1998). Dès sa création, Pressbanking a choisi de prendre en compte immédiatement le droit d’auteur : concrètement, il s’agit de vendre les produits de presse en même temps que les licences d’utilisation (droits secondaires). Aujourd’hui, c’est la société Copiepresse qui prend en charge la perception et la rétrocession de ces droits secondaires aux auteurs (via les éditeurs). En principe, un contenu ne peut pas paraître s’il n’y a pas d’accord sur les droits entre l’auteur et le fournisseur des contenus (éditeur). Sinon, ce dernier peut être exclu du système. En 2008, Pressbanking a participé à la création de la Press Database and Licensing Network (PDLN) qui a d’ailleurs adopté le principe de Pressbanking en ce qui concerne la gestion des droits d’auteur. Celle-ci centralise différentes bases de données de presse européennes et offre aux clients une seule interface pour consulter ces différentes sources d’information. Rue89 est un pureplayer d’information créé en France en mai 2007 par 38 Chapitre 1 quatre journalistes qui, issus des rangs de Libération, avaient, en tant que correspondants à l’étranger, écrit leur propre blog. De cette expérience, les fondateurs de Rue89 avaient retenu à la fois la force de l’interactivité (le lecteur n’est plus une abstraction mais un interlocuteur) et la nécessité de renouer un lien de confiance entre journalistes et lecteurs. Rue89 été fondé sur deux choix : le premier a été de se passer d’investisseurs (pour innover librement) ; le second, de mettre en place un site gratuit et participatif, c’est-à-dire écrit à la fois par des journalistes, des experts et des citoyens. Le choix de la gratuité répond au désir d’être ouvert et de circuler via les réseaux sociaux. Le système de « recommandation » d’articles génère un important trafic sur le site, trafic qui, dans le même temps, accroît la valeur de Rue8915. La place réservée à la participation citoyenne est justifiée par le fait qu’ « Internet donne de facto la parole à tous ». Cette place est toutefois circonscrite par la conscience que « tout le monde n’est pas journaliste ». Concrètement, tout contenu proposé par un citoyen est validé par un journaliste professionnel (qui vérifie notamment la mention des sources d’information) avant d’être publié sur le site. Le site rémunère tous ses contributeurs qui sont des journalistes professionnels. En outre, dans un objectif de transparence, Rue89 a pris le parti de présenter systématiquement l’auteur des articles publiés. En 4 ans, Rue89 a conquis une véritable audience (2 millions de visiteurs uniques tous les mois), a créé une communauté autour de son site, diffuse ses contenus sur d’autres supports (smartphone, tablettes et mensuel papier), emploie 26 personnes à temps plein, en plus de centaines de contributeurs ponctuels. Selon Pierre Haski, le succès de certains pureplayers en France s’explique à la fois par l’exploitation que ceux-ci font d’Internet en tant que média spécifique (et non comme simple duplicata des médias existants) et par la faiblesse de la presse écrite française (sous-capitalisée et tardivement implantée sur le net)16. 2.4.1. Conséquences de la révolution numérique dans l’écosystème des médias d’information A. Reconfiguration du métier de journaliste L’OPA rappelle que les newsrooms tendent à se reconfigurer en fonction de À l’heure actuelle, 50% des articles de Rue89 circulent via des recommandations par mail, Facebook ou Twitter. Facebook amène autant de lecteurs à Rue89 que Google. 16 Selon Daniel Van Wylick (Rossel), une autre explication du succès de pureplayers en France tient également à la starification de certains journalistes, ce qui apparaît comme moins probable en Belgique. D’après François le Hodey, la création d’un pureplayer payant en Belgique francophone, tel que Mediapart, occasionnerait des investissements énormes et rédhibitoires. 15 Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 39 l’avènement des supports numériques : les responsables web et les rédactions numériques sont plus nombreux et mieux reconnus. Les journalistes doivent désormais être polyvalents et destiner leurs articles à une diffusion multi plates-formes. Si la gestion de l’espace (nombre de signes, de colonnes, …) est moins contraignante qu’avant, la gestion du temps est devenue beaucoup plus complexe : aux délais clairement fixés par l’impression d’un journal ou la diffusion d’une émission, a succédé un flux continu d’informations qui impose aux rédactions d’adopter un rythme de travail ininterrompu et de concilier rapidité et vérification des sources. Les médias numériques amènent également les journalistes à écrire différemment et à prendre en considération les réactions des internautes. B. L’avenir du papier à l’ère du numérique : une coexistence possible ? Convergence et concurrence des médias d’information multi-supports La presse papier devra inévitablement se reconfigurer face à l’essor des médias numériques qui tendent à être reconnus comme des vecteurs d’information comme les autres. Pour Rue89, « Internet n’est pas qu’un tuyau en plus mais un média à part entière ». L’expérience du site montre d’ailleurs que les pureplayers sont reconnus en France comme médias d’information tant par les autorités que par le public. D’une part, suite aux États Généraux de la Presse écrite en France (2008-2009), ils sont soumis aux mêmes obligations que la presse écrite (législation au niveau des droits d’auteur, procès pour diffamation, …) et disposent d’un syndicat spécifique17. D’autre part, au niveau des lecteurs, les attentes du public sont désormais les mêmes vis-à-vis de la presse écrite généraliste que vis-à-vis des pureplayers. Pour une différenciation des contenus papier et numériques S’il y a bel et bien convergence des médias, Philippe Nothomb et Pierre Haski ne croient pas pour autant à la disparition pure et simple du papier mais entrevoient le maintien de ce dernier dans certains cas particuliers, comme la presse régionale ou la presse magazine. Pierre Haski fait d’ailleurs remarquer qu’aujourd’hui déjà, la presse quotidienne se consomme comme un magazine : seulement 10% des lecteurs de Libération achètent ce journal quotidiennement. 17 Il s’agit du SPIIL : Syndicat de la Presse Indépendante d’Information en Ligne. 40 Chapitre 1 Pressbanking qui numérise des articles de presse écrite se trouve nécessairement à la jonction de ces deux supports et a pour objectif de maintenir un équilibre entre contenus papier et contenus numériques. À l’heure actuelle, il reproduit les contenus de la presse écrite. À terme, des rédactions électroniques généreront des contenus spécifiques. Il s’agira de différencier les contenus en fonction des supports afin de maintenir l’indépendance de la presse écrite et la pluralité des médias, d’éviter la cannibalisation des médias papier par les médias numériques. Pour Pierre Haski, il s’agit dès aujourd’hui de ne pas se contenter de copier-coller les contenus papier sur les supports numériques mais de s’inscrire dans une logique de complémentarité et de tirer pleinement profit des spécificités de médias connectés (notamment, l’interactivité avec les lecteurs). C. L’avènement du mobile Stéphanie Radochitzki (OPA) présente une enquête prospective sur le développement des médias numériques d’ici 2015. En plus d’un trafic Internet de plus en plus intense, d’une dématérialisation des services, de la multiplication de réseaux sociaux, du cloud-sourcing (stockage de données dans un lieu non-déterminé), la principale tendance réside dans la montée en puissance du mobile. En 2014, l’accès à Internet via le mobile dépassera l’accès via les ordinateurs fixes ou portables. En 2015, le nombre de devices mobiles dépassera celui des ordinateurs personnels. Le développement des applications mobiles (comme les applications santé ou les tickets de transport), du m-commerce (commerce via les mobiles), des revenus liés aux mobiles (qui seront multipliés par 3,5 entre 2010 et 2015) sont autant indicateurs probants de l’avènement du mobile. La tablette, support d’avenir pour les médias d’information Le mobile se décline aujourd’hui en deux devices principaux : le smartphone et la tablette. Si le premier répond à la nécessité de consulter des données « partout tout le temps », la seconde se consomme davantage dans un contexte de loisir. À l’instar de certains éditeurs de presse (comme Quentin Gemoets), les éditeurs et diffuseurs numériques font le pari que la tablette, qui est aujourd’hui encore un produit élitiste, deviendra demain un outil (de travail et de loisir) à usage quotidien et, par conséquent, un intéressant support pour les médias d’information. Pressbanking et Rue89 sont d’ailleurs tous deux en train d’investir les Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 41 tablettes. En partenariat avec Mediargus (homologue flamand) et grâce à des investissements très importants des éditeurs de presse flamands et francophones, Pressbanking lance actuellement un kiosque numérique appelé GoPress et passe ainsi d’un modèle B2B à un modèle B2C : ce kiosque offre l’opportunité, à partir d’une tablette, de parcourir, d’acheter et même d’archiver les nombreux titres partenaires de cette initiative. Le rôle incontournable et coûteux des intermédiaires numériques Le coût de développement très élevé de GoPress s’explique essentiellement par le souci des éditeurs de rendre ce kiosque applicable sur les différentes plates-formes existantes. C’est que la question des rapports avec les distributeurs numériques revêt une importance cruciale puisque ces intermédiaires (tels Apple) fixent les prix de vente des contenus et prélèvent des marges (jusqu’à 30% du prix). Dans un contexte de forte concurrence et de course à la compétitivité sur le marché des devices mobiles, les distributeurs risquent de jouer un rôle de plus en plus prépondérant. Un des défis majeurs des éditeurs de contenus numériques consiste dès lors à négocier ces rapports de force (sans doute, au niveau européen) afin de sortir de la soumission aux distributeurs, d’établir le rapport le plus direct possible entre journaliste et lecteur et donc de pérenniser la diffusion d’informations de qualité au plus grand nombre. D. Vers la recherche de nouveaux modèles économiques Le développement des médias numériques impose de rechercher de nouveaux modèles économiques, au vu de la convergence des différents supports et de l’internationalisation de la concurrence. Un modèle gratuit et/ou payant ? Puisque l’objectif des éditeurs et diffuseurs numériques belges est actuellement de maintenir l’équilibre entre les contenus papier et les contenus numériques, la fixation des prix de vente revêt une importance cruciale. À titre d’exemple, Pressbanking qui est passé d’un modèle B2B (nécessairement payant) à un modèle B2C (où les prix doivent être plus attractifs) laisse aux éditeurs le soin de fixer les prix. Ceux-ci sont, en tout cas, inférieurs au prix du papier et s’élèvent généralement aux ¾ de ce dernier. Pour sa part, Rue89 a adossé à son site gratuit des contenus payants (sur tablette et sur support papier). 42 Chapitre 1 De manière générale, de nouveaux médias ne deviennent payants que progressivement. Dans un premier temps, il s’agit d’adopter un modèle gratuit afin de faire apparaître le nouveau support dans le paysage médiatique et de capter l’attention des consommateurs. Une fois le produit installé et connu, il est ensuite envisageable de passer à un modèle payant et d’intégrer de la publicité dans ce média désormais attractif. Sur le long terme, l’objectif est d’établir une égalité de prix entre supports papier et numériques. L’OPA évoque, pour sa part, la possibilité de mettre en place des abonnements non plus mono plates-formes mais pluri platesformes (qui permettraient de monétiser à la fois les contenus papier et les contenus numériques par la fixation d’un seul et même montant). L’OPA identifie les facteurs qui permettent la monétisation des contenus numériques d’information. Selon elle, un consommateur sera disposé à payer des contenus numériques si leur production répond aux conditions de - - - - - rapidité ; accessibilité ; qualité (en vertu du professionnalisme reconnu des rédacteurs de contenus)18 ; notoriété des marques médias, qui jouent, selon l’expression de Philippe Nothomb, le rôle de « phares dans l’océan électronique »19 ; intégration dans des réseaux sociaux (via des revues de presse de Facebook, Twitter ou via les recommandations par mail ou réseaux sociaux). Des recettes publicitaires Internet sous-exploitées et irremplaçables? Au sujet de la publicité, il est interpellant de constater que les publicitaires ne font pas confiance à la publicité sur Internet, et ce contrairement aux consommateurs : selon l’étude European Interactive Advertising Association, 4% des investissements publicitaires sont orientés vers Internet, alors que les consommateurs passent presque autant de temps devant Internet que devant la télévision. En Belgique, plus d’un tiers des 18 Dans cette optique, Pressbanking est en train de participer à la négociation pour l’acquisition du statut de journaliste professionnel auteur pour les rédacteurs numériques. 19 L’OPA rappelle d’ailleurs que la confiance des internautes va en premier lieu aux sites d’information de la presse écrite. Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 43 investissements publicitaires sur Internet sont par ailleurs orientés vers des moteurs de recherche (Google touche 89,1% des surfeurs belges) et donc détournés vers des marchés internationaux. Certes, les recettes publicitaires apparaissent donc comme une manne qui est appelée à s’accroître (au vu également de la désinhibition des internautes vis-à-vis du e-commerce et de la disjonction qui s’opère entre articles lus et produits achetés sur la même page web). Cependant, il s’avère dangereux, voire malsain, de ne dépendre que d’une seule source de financement, qui plus est, est conjoncturelle. En ce qui concerne Rue89 qui réinvente sans cesse son modèle économique, les recettes publicitaires et l’e-commerce représentent 55-60% du chiffre d’affaire20 et se trouvent complétées par d’autres sources de financement qui sont : - - - - la sous-traitance de services techniques et de formations aux nouvelles technologiques ; la vente des contenus sur tablette et du mensuel papier (qui reprend le best of des articles publiés en ligne) ; les aides de l’État (suite aux États Généraux de la Presse Écrite) ; le soutien financier du public (qui couvre seulement 2% des revenus de Rue89 mais qui joue un rôle essentiel dans la création d’une communauté autour du site). 2.4.2. Perspectives d’avenir et propositions Dans la continuité des constats qui viennent d’être posés, l’OPA et Pressbanking formulent différentes propositions pour assurer l’avenir des médias d’information en Belgique francophone. Ils préconisent : - - de soutenir l’innovation technologique et la politique d’investissement ; d’éviter tout facteur additionnel de distorsion de la concurrence. Concrètement, Pressbanking insiste sur la neutralité d’Internet qui doit Sous quatre formes différentes : les bannières classiques gérées par une régie, les publicités de partenaires, les espaces loués par des annonceurs (pour lesquels Rue89 perçoit une commission pour toute transaction) et des publicités intégrées en lien avec le contenu des articles par des logiciels comme Google adsense et Ligatus (pour lesquels Rue89 perçoit une commission pour chaque clic). 20 44 Chapitre 1 - - - - - offrir à tous l’accès aux mêmes marchés et sur la nécessité de protéger par exemple ses propres revues de presse vis-à-vis des plates-formes qui diffusent des contenus sur lesquels elles n’ont pas les droits ; d’assurer une égalité de traitement entre les différents canaux d’information et donc de réduire la TVA sur la vente des contenus numériques ; de réguler les monopoles au niveau de la distribution (Google, Microsoft, Apple) en soutenant le développement de kiosques alternatifs ; de protéger le patrimoine intellectuel de l’information et donc les droits d’auteur (face à la fraude planétaire mise en œuvre par des sites comme Google News) ; de mettre en œuvre un ambitieux programme d’éducation aux médias dans les écoles ; de généraliser l’accès à Internet, en baissant les coûts de connexion (qui sont en Belgique les plus élevés d’Europe), en permettant de surfer sur des sites de qualité au travail, en formant les personnes âgées à un média qui, au vu de la dématérialisation des services, pourrait leur être très utile. 2.5. Le point de vue des journalistes L’Association des Journalistes Professionnels (AJP) est une union professionnelle, pluraliste et indépendante qui représente les journalistes belges francophones de tous les secteurs médias, quels que soient les supports utilisés et les statuts occupés. Elle est chapeautée par une coupole nationale, l’AGJPB (Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique) et est en cours de fusion avec l’AJPP (Association des Journalistes de la Presse Périodique). Actuellement, en sont membres 1.684 journalistes professionnels, 165 stagiaires, 176 étudiants (de Bac III et de Master) et 66 journalistes honoraires ; ce qui représente 79% des journalistes actifs. Historiquement, la proportion des affiliés est plus forte en presse quotidienne (84%) que dans les médias audiovisuels (70%) où l’on compte plus de syndiqués. L’AJP développe des activités variées et entre dès lors en contact avec de nombreux acteurs du secteur médiatique : - elle fait de la défense individuelle et collective des journalistes sa priorité et touche tantôt les seuls affiliés, tantôt l’ensemble de la profession (par exemple, quand elle négocie des conventions Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » - - - - 45 sectorielles avec les éditeurs de la presse quotidienne). Dans ce cadre, elle se positionne, selon les cas, en concurrence ou en complémentarité avec les syndicats ; elle assure plusieurs missions légales dans le cadre de la pension spéciale des journalistes, l’envoi et le renouvellement des cartes de presse et l’admission des stagiaires ; elle représente la profession au sein de différentes instances (CSEM, CSA, CDJ) et participe aux débats publics et politiques relatifs aux aides à la presse, au secret des sources ou à la reconnaissance des sociétés de rédacteurs (avec lesquelles elle noue une étroite et logique collaboration). Par ailleurs, l’union professionnelle a créé la SAJ (Société des Auteurs Journalistes) et l’AJP s’est jointe, via la SAJ, au combat mené par Copiepresse contre Google News ; elle développe des projets éducatifs (comme « Journalistes en classe »), en synergie avec les JFB ; L’AJP mène des études et des recherches sur la profession journalistique et publie une revue et des monographies à ce sujet. 2.5.1. Radiographie de la profession21 En tant qu’union professionnelle, l’AJP est en mesure de dresser un état des lieux du corps de journalistes par des données chiffrées d’autant plus intéressantes qu’elles sont représentatives d’une large majorité des professionnels actifs (journalistes agréés et stagiaires). Il apparaît ainsi que la presse quotidienne dans son ensemble est le plus gros employeur de journalistes, suivie par la RTBF (la première en emploie 541 personnes; la seconde, 46022) et que la proportion de journalistes indépendants dans la Fédération WallonieBruxelles avoisine les 25%. Au-delà de ces chiffres, l’AJP décèle plusieurs situations problématiques : A. Si les journalistes salariés sont relativement épargnés par les plans de restructuration et voient par conséquent leur nombre se maintenir ces dernières années, ces constats sont à nuancer par les mesures de départ anticipé qui touchent la catégorie des plus de 50 ans et par la diminution La totalité des chiffres présentés par l’AJP sont repris dans le powerpoint accessible sur l’espace «pro» du site des EGMI. 22 La différence de ces chiffres avec ceux qui ont été donnés par les éditeurs et les chaînes de télévision est imputable au fait qu’on parle ici de personnes et non d’équivalents temps plein. 21 46 Chapitre 1 des forces rédactionnelles. Cette diminution est imputable, d’une part, à la disparition ou à la diminution des effectifs des autres catégories professionnelles qui accroît les tâches confiées aux journalistes et, d’autre part, à l’apparition de nouveaux supports et de nouvelles technologies qui augmente, elle aussi, la charge de travail des journalistes et soumet ces derniers à des contraintes de temps de plus en plus fortes. B. La profession journalistique subit des pressions particulières aux stades de l’entrée et de la sortie : il y a dix diplômés pour une seule place et les journalistes de plus de 55 ans ne représentent que 10% de la profession. Aux difficultés liées à l’accès à un emploi stable, se greffe ainsi une perte significative de l’expertise des aînés. C. Même si les salaires varient considérablement en fonction des médias et des supports, les barèmes des journalistes sont globalement très bas : les journalistes universitaires sont en moyenne moins bien payés que les enseignants. La situation est particulièrement préoccupante pour les pigistes (qui touchent des rémunérations souvent indécentes et qui sont parfois confrontés à des ruptures de collaboration sans indemnité), pour les faux-indépendants (qui attendent parfois très longtemps la régularisation de leur situation), pour les photographes (qui sont confrontés à une concurrence déloyale de la part de banques d’images ou d’amateurs, à une pression à la baisse sur leurs tarifs de commande et à un non-respect de leurs droits d’auteur23), pour les étudiants-stagiaires ou les nouveaux candidats (dont le travail n’est pas toujours rémunéré) et pour les journalistes des télévisions locales (qui nourrissent des craintes vis-à-vis de la pérennité des TVL). D. Le métier de journaliste est très peu féminisé (puisqu’il ne compte que 30% de femmes contre 70% d’hommes) : la forte majorité de diplômées (70%) est déjà moins significative au moment de l’entrée en fonction (57% de femmes). En outre, malgré la fixation de barèmes, les revenus des hommes et des femmes sont marqués par un important écart 23 Ce non-respect passe notamment par le remplacement d’une signature par la mention « Droits réservés » qui permet de ne payer les droits que si le photographe les réclame. Alain Dewez (Presse Photographique et Filmée de Belgique) ajoute qu’à leur engagement, de jeunes photographes sont dans l’obligation de signer une déclaration dans laquelle ils renoncent à leurs droits patrimoniaux. Face au non-respect généralisé des droits d’auteur des photographes, différentes actions sont possibles : des recours en justice ou des « « œuvres de pédagogie » qui rappellent aux éditeurs de mentionner le nom du photographe sous chaque image. Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 47 salarial (6% pour les universitaires et 8% pour les non-universitaires). Le métier de journaliste traverse, par ailleurs, une crise identitaire dans la mesure où les mutations technologiques permettent la concurrence de non-professionnels et accentuent la tendance à la marchandisation de l’information. Dans ce contexte, de nombreux professionnels se mettent à douter du rôle et du sens de leur métier. 2.5.2. Propositions et pistes d’action formulées par l’AJP Aux yeux de l’AJP, le rôle du politique est de soutenir non seulement les médias mais aussi le journalisme et de contribuer, en collaboration avec d’autres acteurs, à rééquilibrer les logiques économique et éditoriale dans le secteur. Concrètement, l’AJP propose aux acteurs du secteur et/ou au pouvoir politique de : REVALORISER LE TRAVAIL DES JOURNALISTES - - - - - augmenter les minima conventionnels pour les pigistes appliqués à la presse quotidienne ; établir des tarifs barémiques conventionnels pour les pigistes avec d’autres médias ; sécuriser la fiscalité sur les droits d’auteur (qui ne pourraient plus représenter la totalité de la rémunération, ce qui a des répercussions néfastes pour le journaliste au niveau du fisc et de la sécurité sociale). En Flandre, par exemple, la proportion des droits d’auteur est fixée à 30% des honoraires des pigistes ; limiter la durée des stages étudiants à un mois (pour éviter l’exploitation du travail gratuit) ; affirmer le principe que toute pige commandée et/ou publiée doit être rémunérée. REGULARISER LE STATUT DES JOURNALISTES - - - - ouvrir une réflexion sur le statut des pigistes (à assimiler aux salariés comme en France ou à intégrer à un statut d’artiste élargi) ; faire respecter les conventions de collaboration entre pigistes et éditeurs ; régulariser la situation des faux-indépendants ; recourir à de vrais indépendants en préservant les droits que leur 48 Chapitre 1 - confère leur statut ; clarifier les synergies entre les TVL et la RTBF afin de préciser les perspectives d’emploi au niveau local. DEFENDRE LES DROITS D’AUTEUR - - - - - - supprimer le principe de présomption de cession des droits dans le secteur audiovisuel, dans la mesure où ce principe conduit à l’absence de rémunération pour les auteurs ; élargir les droits de propriété intellectuelle aux membres d’une rédaction qui ne produisent pas de contenu mais permettent aux autres de le faire ; soutenir la convention collective sectorielle de la presse quotidienne (qui formalise le statut de journaliste-auteur) ; agir contre le piratage des œuvres journalistiques ; faire respecter les tarifs proposés pour l’achat de photographies de presse par la SOFAM et l’AJP ; imposer la mention du nom du photographe sous chaque image. RENFORCER LES STRUCTURES QUI VALORISENT LA QUALITE REDACTIONNELLE24 - - - - renforcer le rôle des sociétés de journalistes qui sont aujourd’hui reconnues (et obligatoires dans les médias audiovisuels) et qui doivent être consultées lors de la nomination d’un rédacteur en chef, de la modification de la ligne éditoriale et dans le cadre l’organisation des rédactions. L’AJP propose de passer d’un modèle de consultation à celui de co-décision afin d’assurer aux rédactions une plus grande indépendance d’action ; orienter les soutiens publics vers le « Conseil de Déontologie Journalistique » et le « Fonds pour le journalisme » (qui finance des enquêtes journalistiques originales) ; pérenniser et augmenter le financement du « Fonds pour le Journalisme » (soit par décret - dotation annuelle - ou par convention pluriannuelle, soit par le biais des aides à la presse) ; poursuivre la réflexion sur une éventuelle labellisation de sites Le Conseil de Déontologie Journalistique (CDJ) a, par ailleurs, déposé un mémorandum qui proclame que « le respect de la déontologie est un atout sur le marché de l’information » et que les médias « traditionnels » doivent se démarquer qualitativement de l’offre globale, afin de rester attractifs. 24 Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 49 d’information, qui impliquerait la création d’une charte éthique à laquelle les éditeurs de contenus adhéreraient volontairement. CONDITIONNER LES AIDES A LA PRESSE A DES CLAUSES SOCIALES ET QUALITATIVES25 - - - conformément à la déclaration de politique communautaire, réformer les aides à la presse quotidienne (qui s’élèvent à 7,14 millions d’euros en 2011), en les augmentant mais surtout en rendant effectifs les mécanismes de contrôle de qualité prévus en 2004. Puisque la finalité des aides est de valoriser le rôle sociétal de la presse, l’AJP propose de lier davantage l’octroi des aides à l’emploi salarié effectif des journalistes professionnels (en faisant passer cette portion de l’aide de 40% à 60%). Il conviendrait également d’organiser un contrôle indépendant (par exemple, via l’AJP26) et de mettre au point des sanctions qui seraient proportionnelles aux éventuels manquements. lier les nouvelles aides éventuelles à des critères qualitatifs stricts sur l’emploi journalistique, le statut des indépendants et la déontologie. organiser l’aide accordée à certains titres de presse périodique selon les mêmes critères27. 2.6. Le point de vue des syndicats Le point de vue des syndicats vis-à-vis du secteur des médias d’information s’inscrit à la fois dans une perspective professionnelle (qui concerne la défense des travailleurs du secteur) et dans une perspective interprofessionnelle (qui définit les attentes des travailleurs-citoyens quant au rôle des médias dans une société démocratique). Margaret Boribon rejette cette proposition et rappelle que les aides à la presse écrite ont initialement répondu à un objectif économique puisqu’elles ont été accordées en compensation de l’autorisation obtenue par les opérateurs télévisuels d’intégrer de la publicité dans leurs programmes. Par ailleurs, les autres médias qui perçoivent de l’argent public ne sont pas soumis à de telles conditions ni au contrôle de l’octroi des aides par l’association des journalistes. 26 Selon l’AJP, « ce sont les bénéficiaires des aides (les éditeurs) qui attestent du respect des critères. Outre que ce système est malsain et non démocratique, il ne permet pas d’atteindre les objectifs de la législation ». 27 Les critères d’attribution de l’aide à la presse périodique (en fait, à quelques titres) ne sont pas clairs et n’ont pas fait l’objet d’un décret. De 2005 à 2010, sept organes de presse magazine ont bénéficié de cette subvention : Le Journal du Mardi, L’Européenne, L’Appel, Enjeux internationaux, Imagine demain le monde, La Revue Nouvelle et Politique. 25 50 Chapitre 1 2.6.1. Approche professionnelle Le secteur des médias est complexe et diversifié (puisqu’il embrasse les secteurs privé et public, concerne la diffusion de supports distincts, touche différentes professions, qu’il s’agisse d’ouvriers, de journalistes ou d’employés). En outre, il connaît actuellement de profondes mutations. Aujourd’hui, de nombreuses entreprises de presse sont en crise et font dans ce contexte le choix de diversifier leurs activités en se tournant, de manière dommageable selon les syndicats, vers le secteur marchand28. Le modèle économique basé sur la publicité a été présumé capable de proposer le tout gratuit. Cependant, les ressources publicitaires ne sont pas extensibles et les activités horsmédias ne suffiront sans doute pas à rétablir l’équilibre financier. En outre, une presse gratuite est apparue et a accentué le phénomène de concurrence. L’explosion d’Internet a profondément transformé les métiers du secteur et amène à une convergence des métiers. Même d’un point de vue syndical, il est difficile d’avoir une vision coordonnée du secteur, puisque plusieurs centrales et associations professionnelles sont impliquées dans celui-ci. Plusieurs constats peuvent néanmoins être posés et témoignent de la diversité des situations professionnelles dans le secteur des médias. - - - - Le taux de syndicalisation est beaucoup plus faible dans la presse écrite que dans d’autres secteurs. À la RTBF, comme dans toute entreprise publique, il n’y a pas de loi qui prévoit l’organisation d’élections sociales : on y nomme des représentants syndicaux en fonction du nombre d’affiliés. Pas moins de cinq commissions paritaires négocient et concluent des conventions collectives pour les travailleurs du secteur de la presse. Issues du monde industriel, handicapées par leur lourdeur administrative, elles ne constituent pas l’outil idéal pour organiser la négociation sociale dans le secteur de la presse. Les emplois liés aux médias numériques ne sont pas encore encadrés par une concertation spécifique. En plus des problématiques liées au statut du personnel et des conditions de 28 Aux yeux des éditeurs de la presse écrite, ce phénomène est inévitable et vital pour le secteur de la presse qui, en proie à d’importantes difficultés budgétaires, est obligé de rechercher de nouvelles pistes pour dégager de la marge et pour maintenir le financement de l’activité journalistique et la production d’information de qualité. Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 51 travail, le secteur des médias soulève d’autres enjeux comme la question de la participation à la RTBF en tant qu’entreprise publique (financements, (dé) politisation, rôle du service au public, mission d’éducation permanente) et la problématique de l’outsourcing (qui touche les entreprises d’imprimerie). Le cas particulier des journalistes En conséquence des difficultés économiques des médias, le journalisme est lui-même une profession en crise, en Belgique comme ailleurs. - - - - Face aux ressources publicitaires qui régressent, la diminution des frais de personnel constitue un des moyens pour équilibrer les budgets. Alors que le nombre de journalistes a diminué et que la production des contenus s’est maintenue, la charge de travail par personne a augmenté et a entraîné une dégradation des conditions de travail. Le statut des journalistes a fait l’objet d’une forte précarisation : en plus des craintes des salariés devant la réduction des effectifs, les statuts moins bien rémunérés ont été multipliés comme ceux des (faux-)indépendants, des pigistes, des stagiaires (qui fournissent une main-d’œuvre gratuite pendant des périodes de plus en plus longues). La diminution du temps de préparation des sujets et l’uniformisation de l’information qu’elle entraîne ont provoqué un phénomène logique de frustration, de démotivation, de nervosité, voire de burn-out… Une des principales difficultés pour les journalistes réside dans l’accès à la profession. Le marché du travail impose très souvent aux diplômés d’emprunter les passages obligés du stage et du travail de pigiste, avant de devenir indépendant, puis éventuellement salarié. La CSC-CNE prône « une revalorisation du statut, des conditions de travail et de la mission [des journalistes] avec le minimum d’indépendance et de marge de manœuvre nécessaire au service d’une information citoyenne ». Les syndicats généralistes veulent développer leur activité en complémentarité avec l’Association des Journalistes Professionnels (AJP), le but étant de défendre les intérêts des journalistes, et non les intérêts de la CGSLB, FGTB, CSC ou AJP. - En tant qu’organisation professionnelle spécifique, l’AJP négocie des conventions et des barèmes sectoriels (même si elle ne dispose pas officiellement de cette prérogative, elle exerce une pression suffisante 52 - Chapitre 1 pour garantir le respect des conventions ainsi acquises). Les négociations menées par l’AJP ont l’avantage de suivre au plus près les problèmes de la profession, au-delà de la diversité des statuts. Elles ont notamment permis de transformer une partie du salaire en droits d’auteur, ce qui diminue le coût social et fiscal pour l’employeur tout en maintenant ou augmentant le pouvoir d’achat des journalistes. Les organisations syndicales concentrées sur les questions salariales permettent de solidariser les revendications de l’ensemble du personnel salarié d’une entreprise. Elles ont par contre le désavantage d’être coupées des indépendants, des pigistes et des stagiaires. Au-delà des différences de statut, les revendications fondamentales des syndicats et des travailleurs sont la lutte contre le travail gratuit et le travail au noir, ainsi que l’égalité des rémunérations pour des journalistes (salariés ou indépendants) qui fournissent le même travail. Aux yeux des syndicats, la défense professionnelle des journalistes constitue un laboratoire pour la négociation sociale, dans la mesure où cette activité permet d’appréhender des problématiques particulières, comme la multiplicité des statuts et des formes de travail, la dilution de l’autorité patronale, la problématique de la propriété intellectuelle qui concerne tous les emplois qui tirent profit de la créativité des salariés. 2.6.2. Approche interprofessionnelle Les doléances des syndicats vis-à-vis du rôle des médias dans une société démocratique sont diversifiées, mais se focalisent sur la mise en cause de la marchandisation de l’information, c’est-à-dire sur la soumission de celle-ci à des logiques marchandes plutôt qu’à des logiques citoyennes. - Ainsi, en ce qui concerne la presse écrite, la CGSLB constate que les difficultés économiques du secteur ont fragilisé les remparts entre le rédactionnel et le commercial29. La CSC préconise également de « remettre le facteur publicitaire à sa juste place ». Il revient aux sociétés de rédacteurs de défendre l’imperméabilité éditoriale face aux sources de financement du journal et de rendre cette imperméabilité visible pour les lecteurs. Le rapport de force entre l’éditeur et le rédacteur en chef varie selon le degré 29 Les éditeurs de presse estiment que ce sont justement les médias traditionnels qui garantissent un degré suffisant d’indépendance et de respect de la déontologie journalistique, en opposition aux grands groupes industriels qui se mettent à fabriquer du contenu informationnel, en d’autres termes, à instrumentaliser l’information. Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » - - 53 de mobilisation des rédactions et la solidarité des travailleurs. La CSC rappelle, en outre, l’importance de la mission confiée au service public d’éducation permanente qui vise à « élever le niveau de culture populaire pour permettre une augmentation globale de la citoyenneté ». Aux yeux de Philippe Samek, cette mission ne peut être remplie que par des médias non seulement indépendants (qui dénoncent scandales et dysfonctionnements), mais aussi engagés (qui avancent des éléments d’explication). Jadis relayé par une presse d’opinion aujourd’hui disparue, cet engagement se trouve désormais exprimé dans certains sites d’information ou dans la presse syndicale elle-même et participe pleinement au débat démocratique. Pour sa part, la FGTB exprime son insatisfaction quant à la couverture médiatique des thématiques sociales. Jugées trop complexes ou trop peu attractives, les actualités sociales ne sont aujourd’hui qu’insuffisamment traitées par les médias écrits ou audiovisuels. La FGTB fait, d’ailleurs, remarquer que son propre journal « Syndicat », tiré à 75.000 exemplaires, est de plus en plus lu. Ce regain d’intérêt a amené le journal syndical à doubler son équipe de journalistes professionnels et à élargir les thématiques abordées. Pour conserver l’expression d’un pluralisme dans une société démocratique, il faut soutenir la presse d’information encore plus qu’actuellement. Concrètement, la CGSLB propose: - - - la création d’une presse écrite de service public qui serait financée par la publicité et une dotation de la Fédération Wallonie-Bruxelles ; le passage simultané de tous les sites d’information belges au modèle payant afin d’amoindrir la distorsion de concurrence entre eux ; le partage des contenus, et en particulier la mise à disposition des contenus de la télévision de service public à destination des médias écrits et électroniques. 2.7. Le point de vue des consommateurs Le CRIOC (Centre de Recherche et d’Information des Organisations de Consommateurs) est une fondation d’utilité publique qui, en apportant une aide technique aux organisations de consommateurs, vise à contribuer au développement d’une consommation plus durable d’un point de vue économique, social et environnemental. Concrètement, le CRIOC réalise des études auprès de publics (souvent fragilisés), diffuse des informations 54 Chapitre 1 aux journalistes, aux entreprises et aux particuliers et représente les consommateurs dans divers groupes de travail et commissions. 2.7.1. Une matière capitale et transversale : la publicité Aux yeux du CRIOC, une des priorités réside dans le contrôle et la régulation de l’activité publicitaire : en effet, la publicité est omniprésente dans notre société, génère des revenus de plus en plus importants et constitue un enjeu transversal puisqu’elle a un impact sur l’éducation, le surendettement, les assuétudes et la santé. Cet enjeu apparaît d’autant plus important pour le CRIOC que ce sont les milieux défavorisés et les jeunes qui sont les plus touchés par la publicité. Le CRIOC pointe du doigt plusieurs phénomènes qui induisent auprès du consommateur une certaine confusion entre information indépendante et intérêts commerciaux : le classement des sites par les moteurs de recherche qui décident eux-mêmes de cette hiérarchisation selon des critères économiques, les fausses loteries sur Internet, les sites qui prétendent apporter une information objective alors qu’ils sont financés par des firmes privées, les publi-reportages qui, en mêlant contenu rédactionnel et publicité commerciale, discréditent la presse d’information. 2.7.2. Propositions A. Le CRIOC appelle de ses vœux la création d’un Conseil fédéral de la publicité qui serait un organe scientifique indépendant et un lieu d’étude et de contrôle de la publicité : l’idée n’est pas d’interdire la publicité, mais de la réguler efficacement et également de lui rechercher des financements alternatifs. En ce qui concerne le contrôle de la publicité, l’action du Jury d’Ethique Publicitaire est considérée comme insatisfaisante par le CRIOC car : - - - - Le JEP n’est pas indépendant puisqu’il relève du Conseil de la Publicité. Il met en œuvre une auto-régulation et est donc soumis au bon vouloir des annonceurs. Il n’agit que sur la base de plaintes et manque par conséquent de proactivité. Il n’a pas de pouvoir contraignant sur les contrevenants. B. Par ailleurs, l’obtention d’aides publiques devrait être soumise, selon le CRIOC, au respect des règles déontologiques. Ainsi, la presse Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 55 quotidienne, qui reçoit des aides directes de la FWB, développe des pratiques commerciales qui vont à l’encontre des campagnes financées par la même Fédération. Selon le CRIOC, le minimum serait de ne pas contrevenir à des campagnes publiques de prévention et d’intérêt général (par exemple, au sujet de la consommation d’alcool). Les difficultés économiques ne doivent pas inciter la presse quotidienne à devenir un instrument de communication pour les marques. C. Le CRIOC souhaite que soit créé un espace dédié aux droits du consommateur, dans une logique de mission de service public et que soient mises en œuvre des initiatives de grande ampleur en ce qui concerne l’éducation permanente à la consommation des médias et notamment d’Internet. En effet, la fracture numérique primaire (27% des ménages belges n’ont toujours pas accès à Internet) se double d’une fracture secondaire qui affecte les personnes qui disposent d’Internet mais qui ne savent pas s’en servir. Les lieux d’éducation devraient être l’école, mais aussi les médias eux-mêmes. Comme les actions fictives du CRIOC l’ont montré (il s’agit de fausses campagnes publicitaires qui ont sensibilisé des jeunes à diverses arnaques), il est essentiel d’investir les nouveaux médias comme les réseaux sociaux pour concevoir des campagnes d’information efficaces. 2.8. Le point de vue des diffuseurs de presse Les diffuseurs de presse sont les commerçants qui vendent des quotidiens et des magazines dans un point de vente ou qui les distribuent à domicile. Ils jouent un rôle capital pour la vitalité du secteur de la presse écrite, puisqu’ils vendent en moyenne 130.000 quotidiens par jour. Les éditeurs de presse ont d’ailleurs eux-mêmes souligné la nécessité d’améliorer la distribution des journaux par la promotion du métier de libraire et par la création de nouveaux lieux de rentabilité. Via le memorandum de Prodipresse, les diffuseurs de presse indépendants dégagent plusieurs pistes concrètes pour améliorer la vente de journaux et magazines : RECONNAISSANCE ET VALORISATION DES DIFFUSEURS DE PRESSE EN TANT QUE PROFESSIONNELS DU SECTEUR 56 Chapitre 1 Les diffuseurs de presse indépendants souhaitent : - - la mise en place d’une formation professionnelle des diffuseurs de presse, en collaboration avec l’UCM et l’IFAPME en Wallonie et son homologue à Bruxelles, et d’une formation continuée des professionnels actifs ; la distinction des points de vente en fonction de la place qu’ils accordent à la vente des journaux. SOUTIEN DIRECT A LA DIFFUSION DE LA PRESSE Les diffuseurs de presse indépendants préconisent : - - - - un soutien à la lecture de la presse quotidienne via un abonnement gratuit qui serait offert l’année des 18 ans et une année entre 60 et 65 ans ; une aide au portage à domicile, accompagnée d’une souplesse de livraison et d’une suppression de frais de port comme pour la livraison de quotidiens ; la création d’une commission d’ouverture qui permettrait une concertation entre éditeurs et diffuseurs pour réguler l’offre et la demande du marché de la presse écrite et permettre la viabilité des différents points de vente ; la mise en place d’un système de facturation sur le vendu, qui encouragerait le lancement de nouveau titres, puisqu’il n’impliquerait pas de charge financière pour le diffuseur. RENFORCEMENT DU RESEAU DES DIFFUSEURS INDEPENDANTS Les diffuseurs de presse indépendants souhaitent : - - - - être reconnus et soutenus par l’État fédéral en tant que vendeurs exclusifs des produits du tabac, tout en garantissant le respect de la législation en vigueur. se voir confier les Points Poste pour renforcer leur réseau de proximité avec les clients. profiter de la fixation du prix unique du livre, accompagnée de la suppression de la tabelle. l’introduction d’une aide à la modernisation et à l’informatisation des points de vente, une aide à l’accès au paiement électronique et Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 57 une sécurisation des points de vente via un système comparable à LIPOL mis en œuvre à Liège. Ces mesures permettraient d’augmenter l’attractivité des points de vente ainsi que la qualité des services offerts et favoriseraient par conséquent la vente des journaux et magazines. Enfin, le réseau des diffuseurs de presse appelle de ses vœux la création d’un observatoire qui rassemblerait tous les intervenants du secteur des médias. 2.9. Le point de vue des sociétés de gestion des droits Rassemblées au sein de la « Maison des Auteurs », la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD), la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) et la Société d’Auteurs dans le Domaine des Arts visuels (SOFAM) ont, en Belgique, un chiffre d’affaire de 20 millions (en 2010) et représentent environ 10.000 auteurs de documentaires, de reportages, de fictions et d’écrits en tous genres. En tant que sociétés de gestion de droits, la SACD, la SCAM et la SOFAM travaillent au quotidien en faveur de la création, des créateurs et de leur liberté d’expression. Dans le secteur médiatique, la SACD et la SCAM sont liées contractuellement avec tous les opérateurs et distributeurs télévisuels30 et sont respectivement compétentes pour la fiction et les documentaires, tandis que la SOFAM défend notamment les droits de photographes de presse. Copiepresse a été créée en 2000 par les JFB afin de percevoir les droits de reprographie des éditeurs dans le cadre de la gestion collective organisée par Reprobel (société faîtière de gestion en matière de reprographie ou de photocopie d’œuvres). Depuis 2007, Copiepresse est la société de gestion des droits de propriété intellectuelle des éditeurs de presse quotidienne francophone et germanophone belge, pour toute reproduction ou communication au public, sur tout support et hors licence légale31. Le chiffre 30 « En Belgique, à l’instar de tous les Etats membres de l’Union européenne, le droit de retransmission par câble est géré obligatoirement de façon collective par les sociétés de gestion ». Colin, C., Synthèse des premiers résultats de l’étude de faisabilité de systèmes de licence pour les échanges d’œuvres sur Internet, Etude SACD SCAM, 17 février 2011, p. 7 (http://www.sacd.be/IMG/pdf/Synthese_des_premiers_ resultats__etude_SACD_SCAM.pdf?PHPSESSID=78951a9fcc5f783e9ea9acd360f138cf , consulté le 6 juillet 2011). 31 Dans les faits, il s’agit essentiellement des rémunérations pour la constitution de revues de presse au sein de diverses institutions. Les licences légales sont les exceptions aux droits exclusifs (les droits d’exploitation, de reproduction et de communication au public qui en principe reviennent exclusivement à l’auteur). En Belgique, il existe quatre licences légales : la reprographie, le prêt public, la copie privée et les exceptions numériques pour l’enseignement et la recherche scientifique. Voir www.reprobel.be 58 Chapitre 1 d’affaire de Copiepresse dépasse le million d’euros (un peu moins de la moitié provient de la reprographie et le reste, de la vente des droits numériques) et est intégralement reversé aux éditeurs. La Société des Auteurs Journalistes (SAJ) gère les droits d’auteurs des journalistes en Belgique. Créée en 1995, sous l’impulsion des associations professionnelles francophones et néerlandophones, la SAJ constitue, en Europe, un cas unique de société de gestion spécifiquement créée pour défendre les droits des journalistes. Elle connaît une croissance continue de son nombre d’affiliés (qui est actuellement de 3.000 membres) et est implantée dans toutes les rédactions du pays (même si sa présence est beaucoup plus significative dans la presse écrite). Conformément à la loi sur le droit d’auteur, les journalistes doivent percevoir une partie des revenus issus de l’exploitation de leurs œuvres. Pour ce faire, ils peuvent gérer eux-mêmes leurs droits ou les confier à une société de gestion des droits (SGD), mais le recours à la gestion collective est obligatoire pour percevoir les droits sur la reprographie et la copie privée. En ce qui concerne les utilisations secondaires (ultérieures à la première diffusion) des œuvres de journalistes, la SAJ négocie des contrats-cadres qui permettent, sous certaines conditions légales et financières, aux éditeurs de réutiliser, en toute légalité, les œuvres de leur personnel. L’efficacité de cette modalité d’action est grevée par la difficulté de négocier avec certains acteurs (comme la Sonuma ou le projet GoPress) ou par des règlements internes aux médias (comme celui de la RTBF qui confère à l’opérateur des droits sur la réutilisation de certains contenus sans rémunération supplémentaire pour les journalistes). 2.9.1. Une chaîne de valeurs déséquilibrée En principe, une rémunération équitable doit être perçue par les différents intervenants de la chaîne de valeurs de production de l’information (des journalistes au public, en passant par les producteurs et éditeurs, les radiodiffuseurs ou les services VOD, les distributeurs ou les plates-formes Internet, les agences de télécommunications, et les fournisseurs d’appareils de réception et de reproduction). Actuellement, la répartition des énormes gains générés par l’information s’avère inégalitaire puisque les revenus de la distribution dépassent ceux de la création et de la diffusion des contenus. La disparition actuelle d’acteurs médians, comme les producteurs et les radiodiffuseurs, accentue encore le rôle prépondérant des acteurs restants : en l’occurrence, les intermédiaires que sont les câblodistributeurs (comme Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 59 Belgacom, Tecteo ou Telenet) ou les agrégateurs (comme Google) capturent l’essentiel de la valeur auprès du public et rechignent à faire remonter l’argent en amont de la chaîne. Pour Frédéric Young (SACD-SCAM), la gestion collective des droits constitue, avec le salaire, l’outil le plus performant pour la remontée des recettes vers les auteurs, vers les producteurs indépendants et vers les éditeurs. Ces acteurs trouvent dans les sociétés de gestion un lieu où percevoir des revenus et où trouver une assistance juridique. Du point de vue de la SAJ et de la SACD-SCAM, une menace particulière plane sur les intérêts des auteurs et sur le respect de leurs droits moraux et patrimoniaux. Le rôle des auteurs (dont les blogueurs font pleinement partie) dans la production d’information est logiquement primordial : ils sont les véritables créateurs d’œuvres originales, financent eux-mêmes l’innovation technologique, multiplient leurs activités sur différents supports (sans toucher nécessairement de contrepartie). La qualité des médias passe par une reconnaissance et une valorisation du statut d’auteur puisqu’elle requiert du temps de recherche et d’écriture, une liberté de pensée et de création et une pluralité des centres de création, de production, de diffusion et de distribution. Or, la situation actuelle entraîne - - de courantes violations des droits moraux (en termes de paternité, par exemple quand la mention « DR » (Droits Réservés) remplace la signature d’un photographe et en termes d’intégrité, quand on modifie ou raccourcit un article sans consulter son auteur) ; et une précarisation de nombreux auteurs qui pâtissent de la stagnation des revenus de la pige, qui souffrent de la concurrence des contenus gratuits ou à bas prix et qui ne touchent pas toujours leurs droits patrimoniaux. 2.9.2. Un cas exemplaire : le litige entre Google News et Copiepresse, la SAJ et Assucopie Aux yeux des sociétés de gestion de droits, Google constitue, dans la chaîne de valeurs, un intermédiaire qui tire profit de la reproduction, communication (sous forme de compilation ou non) de contenus produits par d’autres acteurs. La SCAM a réussi à conclure des accords (dont les clauses restent confidentielles) avec Google qui a reconnu être redevable de droits d’auteurs et qui, en conséquence, a versé d’importants montants à la société de gestion. De leur côté, les éditeurs de presse se sont immédiatement inquiétés du danger que représente à leurs yeux Google (en particulier, sa modalité Google 60 Chapitre 1 cache et son portail Google News) qui hiérarchise les contenus et sources d’information et qui vise surtout à monétiser les contenus des autres par l’ajout d’espaces publicitaires. Après avoir essuyé un refus de négociation de la part de Google, Copiepresse a intenté un procès contre le moteur de recherche et a été rejointe, dans ce combat, par la SAJ et par Assucopie (société des droits des auteurs scientifiques), mais pas par les opérateurs audiovisuels qui, dans un premier temps, ont préféré rester en position d’observateurs. À deux reprises (en première instance en février 2007 et en appel en mai 2011), Google a été reconnu coupable de violer les droits des auteurs et des éditeurs. Sans autorisation préalable32 et sans rémunération, Google News diffuse et modifie des contenus et viole les droits pécuniaires et moraux des auteurs (en « omettant » de mentionner le nom des journalistes, en modifiant des photographies, en ne publiant que des extraits d’articles). Il s’impose, par ailleurs, comme intermédiaire, se substitue aux éditeurs et les prive d’un rapport direct avec le public : seuls 10% des internautes qui surfent sur Google News visitent ensuite le site des éditeurs. En outre, Google cache représente une concurrence déloyale, puisqu’il permet l’accès gratuit à des copies d’articles que les éditeurs intègrent dans des archives payantes. Par conséquent, Google est condamné à retirer les contenus dont la partie adverse détient les droits, sous peine d’une astreinte de 25.000 euros par jour de retard. Cette victoire juridique soulève des enjeux financiers considérables pour les éditeurs et auteurs belges, mais a également un retentissement mondial en termes de défense des droits de propriété intellectuelle contre la piraterie sur Internet. 2.9.3. Propositions des sociétés de gestion de droit Si les revendications des sociétés de gestion des droits des éditeurs et des auteurs se rejoignent en certains points, il est logique que des accents soient différemment placés en fonction des acteurs représentés. Copiepresse, les SAJ, SACD, SCAM et SOFAM plaident pour la mise en œuvre de mesures garantissant l’exercice effectif des droits des auteurs et des éditeurs. Il s’agit en l’occurrence de - appliquer le statut fiscal et social du journaliste-auteur (prévu par 32 Qui fonde le principe de l’opt-in (contrairement au principe de l’opt-out qui, invoqué par Google, consiste à exiger du plaignant qu’il prenne les mesures nécessaires pour ne pas être impliqué dans une agrégation qui ne lui convient pas). Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » - - - 61 la convention sectorielle de la presse quotidienne) qui implique notamment l’inclusion de droits d’auteur dans la rémunération et qui est à l’avantage tant des journalistes que des éditeurs. Toutefois, selon Frédéric Young et Axel Beelen qui rejoignent ainsi la demande de l’AJP, il faudrait adapter la loi du 16 juillet 2008 introduisant une fiscalité avantageuse sur les droits d’auteur : cette mesure est intéressante pour les free lance mais dangereuse pour les salariés (puisqu’elle a des inconvénients au niveau du fisc et de la sécurité sociale)33. amener les institutions publiques à montrer le bon exemple en termes de respect des droits exclusifs (en rétribuant notamment Copiepresse pour ses revues de presse) et à soutenir les combats des sociétés de gestion contre les agrégateurs. mettre en œuvre les arrêtés royaux qui permettent l’application de la loi du 22 mai 200534. Les longs délais d’application causent des pertes substantielles pour les ayants-droit. modifier la législation afin de rendre les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) responsables en matière de respect des droits d’auteur. Les sociétés de gestion des droits d’auteur insistent, par ailleurs, sur la défense des intérêts de créateurs. Concrètement, elles proposent de - - - - - - réformer la législation sur le statut social des artistes (et sortir ainsi d’une logique de financement du chômage) ; focaliser les aides publiques sur l’innovation et la création afin de permettre aux auteurs, photographes et journalistes d’éviter la précarité ; rappeler expressément, dans la loi sur les droits d’auteur, l’incessibilité de l’ensemble des licences obligatoires et légales (pour les supports papier et numériques) ; affirmer la nécessité absolue de mentionner le nom de l’auteur journaliste en dessous de son œuvre (afin d’éviter l’apparition d’œuvres orphelines) ; poursuivre le débat sur la numérisation des archives de journaux (à la KBR) ; défendre le système de gestion collective qui permet aux auteurs Voir Franquet, V., L’exception culturelle au statut social des travailleurs indépendants : évolution ou dérive ?, Waterloo, Kluwer, 2010. 34 Cette loi amène notamment à considérer l’impression papier comme une forme de reprographie. 33 62 Chapitre 1 - - et journalistes de participer à la valorisation de leurs œuvres sur Internet ; maintenir et préciser le critère du respect des droits d’auteur dans les conditions d’octroi d’aide à la presse (dans cette perspective, la SAJ se propose comme interlocuteur) ; permettre à la SAJ de siéger au collège d’avis du CSA. Un désaccord divise les sociétés de gestion au sujet de la présomption de cession des droits d’auteur qui est à l’heure actuelle en vigueur pour les médias audiovisuels mais pas pour la presse écrite. Alors que les éditeurs réclament l’application de cette mesure dans la presse écrite (afin d’établir une équité entre médias), la SAJ plaide pour sa suppression dans le secteur audiovisuel (au nom de la même équité entre opérateurs). La SACD-SCAM s’oppose à la généralisation du principe de présomption de cession dans le champ médiatique : cette mesure constitue un mécanisme de concentration des droits aux mains d’un seul opérateur alors que la pluralité des acteurs de la chaîne de production de l’information impose de faire coexister des droits qui reviennent à chacun d’eux et que les auteurs doivent continuer à disposer d’une rémunération inaliénable. Comme les producteurs, radiodiffuseurs et éditeurs de bases de données disposent de droits qui leur sont propres, Frédéric Young propose de créer un droit voisin spécialement destiné aux éditeurs qui n’auront dès lors plus de raison de revendiquer une forme de droit d’auteur. 2.10. Le point de vue des annonceurs L’Union Belge des Annonceurs rassemble 180 entreprises de tous secteurs et de toutes tailles (à la fois B2C et B2B) et représente plus de 80% des 3,5 milliards d’euros d’investissements publicitaires réalisés en Belgique en 2010. Créé en 1967, le Conseil de la Publicité (CP) a pour objectif de promouvoir une publicité légale, éthique et responsable. Cette ASBL représente les différents acteurs du secteur publicitaire en Belgique, à savoir les annonceurs (représentés notamment par l’UBA), les médias et les agences de communication. Les entreprises et associations affiliées au Conseil de la Publicité sont responsables de la création et/ou de la diffusion d’environ 95% de la publicité commerciale en Belgique. En Belgique et dans d’autres pays européens, l’activité publicitaire apparaît comme un moteur de croissance économique puisqu’une corrélation semble lier directement les investissements média et le PIB. Selon le CP, la publicité Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 63 jouerait effectivement un rôle économique dans la mesure où elle - - - représenterait près de 4% des investissements réalisés en Belgique ; créerait 9.000 emplois directs et 18.000 emplois indirects ; contribuerait au développement de nouveaux produits et services35. Toujours d’après le CP, la publicité aurait également un rôle social puisqu’elle - - - participerait à la transparence du marché en fournissant au consommateur des informations sur les nouveaux produits et services. soutiendrait et susciterait la créativité, dans le cadre de campagnes de qualité ; servirait de vecteur efficace pour les messages d’intérêt général. Les rapports entre publicité et médias sont étroits : les recettes publicitaires constituent les principaux revenus des médias privés et garantissent dès lors le pluralisme et l’indépendance de la presse. L’UBA soutient les médias forts, innovants et créatifs et y voit un intérêt à la fois pour les annonceurs et les médias eux-mêmes : plus les médias sont de qualité, plus ils attirent de l’audience, plus ils sont attractifs pour les annonceurs qui leur donnent dès lors les moyens de fonctionner de manière optimale. L’UBA préconise, dans ce sens, un dialogue continu entre autorités, annonceurs et médias. Ces derniers doivent tenir compte des annonceurs et de leurs intérêts en évitant, par exemple, de nuire à une publicité par la proximité d’un article critique vis-à-vis de la marque concernée. Aux médias traditionnels, la publicité a permis, estime le CP, l’ajout de nouveaux canaux de communication, tels que les réseaux sociaux et les forums de discussion. 2.10.1. État des lieux des investissements médias des annonceurs (à partir des chiffres bruts) Entre 2001 et 2010, les investissements médias bruts ont doublé de volume et sont passés de 1.751.917.329 € à 3.466.434.461€. Les principaux 35 D’aucuns ont une vision plus négative de l’impact économique de la publicité. Dans cette perspective, la publicité est considérée comme un facteur d’inflation, de surconsommation et d’endettement. Puisqu’elle s’oriente essentiellement vers les médias à large audience, la publicité serait, en outre, responsable d’une dérégulation du marché des médias. 64 Chapitre 1 investissements médias en Belgique sont réalisés non seulement par les grandes firmes non-food, comme Procter&Gamble et Unilever, mais également par des acteurs des médias eux-mêmes, comme Belgacom Group, Vlaamse Media Maatschappij, De Persgroep, Corelio… En ce qui concerne les parts de marché des différents médias, c’est la télévision qui conserve une place majoritaire (de 2001 à 2010, sa part de marché dépasse invariablement les 40%). Si la part de marché de la presse quotidienne est relativement stable ces dix dernières années, celle de la presse périodique et de l’affichage a sensiblement baissé. Si l’on prend en considération la taille des budgets publicitaires investis dans les différents médias, le premier quintile, qui représente un cinquième des investissements réalisés par les 12 plus grands annonceurs, oriente majoritairement ses plans médias vers la télévision. Pour sa part, le dernier quintile, qui compte 7.439 petits annonceurs, correspond à des investissements qui, pour un tiers, sont orientés vers la presse quotidienne. Interpellée à ce sujet, Nathalie Hublet estime, par ailleurs, qu’une éventuelle limitation de la publicité sur les télévisions belges amènerait les annonceurs à se tourner vers d’autres supports, mais aussi vers d’autres pays. 2.10.2. Autorégulation de l’activité publicitaire Afin d’assurer la diffusion d’une publicité légale, éthique, honnête et identifiable, le Conseil de la Publicité a créé en 1974 le Jury d’Éthique Publicitaire (JEP) qui est l’organe d’autorégulation de la publicité en Belgique. C’est sur la base de plaintes de consommateurs ou de demandes d’avis du secteur publicitaire que le JEP remplit sa mission de contrôle : il s’agit de vérifier la conformité des contenus publicitaires dans les médias de masse aux dispositions légales et éthiques. Le JEP est reconnu par les pouvoirs publics et encadré au niveau européen (EASA). Le Conseil de la Publicité qui siège au sein du Conseil de la Consommation peut faire valoir l’expertise du JEP au sein de cet organe. D’après le Conseil de la Publicité (CP), le contrôle préalable de la publicité aurait certes l’avantage d’être plus rapide et donc plus efficace. Actuellement, s’il est possible d’arrêter des campagnes publicitaires à la télévision ou à la radio, cela n’est pas vrai pour l’interdiction des publi-reportages qui ne paraissent qu’une seule fois ou pour la mise en place d’une véritable protection préventive des (jeunes) consommateurs. Néanmoins, le contrôle préalable obligatoire serait, selon le CP, considéré par les annonceurs Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 65 comme une mesure de censure, alors que l’autorégulation s’inscrit dans le cadre d’une démarche volontaire et d’une logique de sensibilisation et de responsabilisation des agences médias et des annonceurs. Par ailleurs, le fonctionnement du JEP offre d’importants gages de crédibilité et d’efficacité : rapidité des procédures, composition paritaire du JEP, instance d’appel, respect massif des décisions ou avis du JEP, mesure particulière en cas de récidive. Pour le JEP, l’apparition des médias numériques constitue un défi important : il est particulièrement difficile de contrôler et de sanctionner les publicités qui sont intégrées sous diverses formes (banner, spot, pop up…) sur le net. Depuis que le JEP a été chargé du contrôle des publicités sur Internet (en 2008), il a agi au cas par cas pour s’assurer du respect des décisions prises par le Jury. Par exemple, les publicités présentées sur les sites d’information peuvent être modifiées ou supprimées en contactant la régie publicitaire des médias concernés. Le Conseil de la Publicité souhaiterait bénéficier d’une reconnaissance plus forte et plus large de la part des pouvoirs publics. Deux pistes concrètes peuvent être envisagées : - - Les pouvoirs publics pourraient reconnaître systématiquement le JEP comme étant l’organe de contrôle des contenus publicitaires. Ils pourraient contribuer à accroître la visibilité, et donc l’efficacité, du JEP. 2.10.3. Développement d’une expertise en médias et communication L’UBA se veut un lieu de réflexion et de concertation pour les annonceurs. Outre le fait d’organiser des formations et des événements qui permettent de tisser un networking, l’UBA a pour objectif premier d’offrir aux annonceurs des outils performants pour mettre en œuvre des plans médias efficaces et durables. Dans cette perspective, elle vise à construire une expertise au sujet du fonctionnement des médias qui tend aujourd’hui à se complexifier et à contribuer à la construction d’un environnement média efficace et performant. - Conformément au phénomène de convergence des médias, les annonceurs et les media planners doivent désormais avoir une vision 66 Chapitre 1 - - globale des différents supports publicitaires. Alors que les budgets publicitaires tendent à diminuer, la multiplicité des contenus et des supports impose de trouver des solutions nouvelles et créatives. Ils doivent également connaître et respecter les aspects légaux de la publicité et les différents codes d’autodiscipline. L’UBA accorde, d’ailleurs, un crédit important au processus d’autorégulation des annonceurs, tel qu’il est mis en place par le Jury d’Éthique Publicitaire. Les annonceurs doivent interpréter et comprendre les tendances des consommateurs vis-à-vis des différents médias qui, par leurs usages complémentaires, imposent de mettre en œuvre des campagnes transmédia (ou cross-media)36. Il s’agit également de tenir compte de l’impact du développement des TIC sur la mobilité des contenus via différents supports et sur la consommation partagée de contenus via les réseaux sociaux. Pour sa part, le Conseil de la Publicité s’engage dans des projets éducatifs, qu’il s’agisse de présentations organisées dans des écoles et des universités ou du programme Média Smart qui est proposé aux enseignants afin d’initier les jeunes de 8-12 ans au décryptage de la publicité37. 2.11. Le point de vue du Centre d’Information sur les Médias ASBL créée en 1971, le CIM a pour objectifs de fournir des données objectives sur les audiences et d’analyser les performances des médias afin d’améliorer le fonctionnement interne de ceux-ci et de rentabiliser les investissements publicitaires. Il est constitué sur la base d’une tripartite qui associe les médias, les annonceurs et les agences de publicité. À partir de consensus négociés entre ces trois principaux acteurs et souscripteurs, le CIM confie la mise en place d’études stratégiques à des instituts de sondage et assure le contrôle et la diffusion des résultats. 36 D’après le National Newspublishers Survey (www.nnsurvey.be), le développement des sites web d’information s’inscrit dans une logique moins de concurrence que de complémentarité avec la presse écrite (sur dix visiteurs des journaux en ligne, trois lisent le même journal, six en lisent un autre). 37 Au moment de son lancement fin 2005, le programme Media Smart a été désavoué par Marie Arena, alors ministre-présidente chargée de l’Enseignement et de l’Education qui avait émis des doutes sur les valeurs pédagogiques et éthiques de cette campagne. Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 67 2.11.1. Orientation et objectifs des calculs d’audience Les études commandées par le CIM répondent à des enjeux stratégiques (« qui utilise quel média ? ») et des enjeux tactiques (« combien de personnes sont exposées à quel support ? »). Ces études adaptent logiquement leur échantillonnage (univers « plus de 12 ans » pour la presse écrite et l’affichage, univers « plus de 4 ans » pour la télévision…) et leurs méthodes de collecte des données en fonction des médias envisagés. Au-delà de leurs variations et de leurs paramètres techniques, les études commandées par le CIM visent non pas à approcher de manière qualitative la réception du contenu des médias, mais à chiffrer les contacts possibles entre un support média et un public. Cette caractéristique, si elle peut décevoir certaines attentes en termes de représentativité, d’information citoyenne et d’impact politique, est imputable à la focalisation du CIM sur des enjeux publicitaires et au coût très élevé des études d’audience. Le CIM a un budget annuel de 11 millions d’euros pour financer ces enquêtes (dont 4 millions sont consacrés à l’audience de la télévision). Les souscripteurs du CIM visent à mener des enquêtes de qualité, tout en étant soucieux de récupérer ces investissements en publicité dans un marché belge francophone particulièrement restreint. C’est dans ce contexte de limitation budgétaire que s’explique, par exemple, le fait que l’audience des télévisions locales ne soit pas calculée par le CIM : pour obtenir des résultats fiables et donc un minimum d’observations nécessaire sur ces petites stations, il faudrait un échantillon beaucoup plus important et les TVL ne peuvent prendre en charge les coûts très élevés d’études locales et spécifiques. Pour le CIM, les études qualitatives doivent être lancées à l’initiative des médias eux-mêmes. 2.11.2. Impact des nouvelles technologies sur les calculs d’audience et propositions La révolution numérique implique une convergence des médias et amène les contenus à s’affranchir de leur support traditionnel. Selon Luc Eeckhout, Internet n’est pas un nouveau média à proprement parler mais une plate-forme via laquelle les individus consomment les médias d’une nouvelle manière, même si les contenus sont réadaptés en fonction des différents supports utilisés. Les moteurs de recherche, tels Google, jouent un rôle prépondérant puisqu’ils orientent les utilisateurs vers des sources d’information qu’ils classent selon des critères qui leur sont propres. 68 Chapitre 1 L’évolution des usages via les supports numériques impose logiquement une adaptation des mesures d’audience. - - - Au niveau des méthodes de calcul, il importe désormais de dépasser l’approche de la diffusion d’un support matériel pour tenir compte de la notion de marque média qui véhicule un même contenu par des voies différentes. En l’occurrence, il serait particulièrement éclairant de mesurer l’audience nette recueillie par un titre de presse quotidienne sur papier et sur Internet. Par ailleurs, il convient d’ajouter aux études stratégiques (qui traitent isolément des différents médias) un nombre croissant d’études faîtières qui, à l’instar de l’étude PMPA38, adoptent une approche holistique du comportement des consommateurs et étudient la consommation pluri-médiatique d’un même échantillon. À terme, il est impérieux de chiffrer précisément l’audience des moteurs de recherche (comme Google), ce qui apparemment constitue encore un écueil méthodologique. 2.12. Le point de vue des régulateurs Le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) est le régulateur des médias audiovisuels dans la Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique. Ses missions sont de contrôler le respect des obligations des éditeurs de services (RTBF, télévisions locales, télévisions et radios privées), mais aussi celles des distributeurs de services (câblodistributeurs, Belgacom, Be TV, Proximus, Mobistar…) et des opérateurs de réseaux (câblodistributeurs, Belgacom…). Le CSA régule les services des médias audiovisuels (SMA) à condition qu’ils soient linéaires ou qu’ils apparaissent sur des plates-formes ouvertes comme le web, selon des critères déterminés par la directive SMA (directive du Parlement Européen et du Conseil du 11 décembre 2007) et le décret du Parlement de la FWB du 5 février 2009. Confronté à la difficulté de circonscrire précisément la définition des SMA, le CSA a ouvert une consultation publique à ce sujet39. Chaque SMA doit se déclarer au CSA et est soumis aux obligations du décret. Une fois reconnu, le SMA devra pouvoir participer à des réflexions sectorielles et professionnelles sur l’évolution du cadre réglementaire et peut-être sur la création d’un label. 38 39 PluriMedia, Produits et Attitudes. Voir le site www.csa.be. Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 69 L’IBPT (Institut Belge des services Postaux et des Télécommunications) est le régulateur fédéral des communications électroniques et des services postaux. Cette mission de régulation implique notamment - - de faire respecter les réglementations dans des marchés libéralisés, en ce qui concerne les missions de service public, la mise en œuvre d’une concurrence équitable et la protection des intérêts du consommateur ; de partager, réglementer et contrôler les usages des ressources qui sont rares (spectre électromagnétique, espaces de numérotation téléphonique). Les prérogatives de l’IBPT amènent l’institution publique à entrer en contact avec les médias d’information puisque l’IBPT est en charge de réguler et de contrôler - - - les services postaux ; les télécommunications (dont Internet) ; les contenus et les réseaux des éditeurs situés en région de Bruxellescapitale (à condition que ceux-ci ne relèvent pas du CSA ou de la VRM)40. La régulation du secteur des communications a des implications à la fois directes et indirectes pour les médias d’information : - - L’IBPT régule l’accès aux réseaux mobiles et fixes et informe le consommateur des meilleures offres et de la possibilité de changer de réseau. Ce faisant, il promeut une plus grande concurrence entre opérateurs et offre au consommateur plus de choix et un meilleur accès aux médias (notamment d’information). L’IBPT régule également les liens de plus en plus fréquents entre médias et recettes de téléphonie41. Alors que les tarifs de ces appels ou sms payants ont été encadrés par un arrêté royal42, l’IBPT vise à La condition est que ces opérateurs diffusent des programmes au moins dans une autre langue que le néerlandais ou le français. 41 La multiplication des canaux alternatifs de revenus (via vote par sms ou call tv) pour les médias peut être problématique puisque de nombreuses chaînes de télévision se mettent à produire de la variété ou des jeux afin d’accéder à ce type de rentrées financières. 42 Il s’agit d’un arrêté royal du 24 mars 2009 modifiant diverses dispositions de l’arrêté royal du 27 avril 2007 relatif à la gestion de l’espace de numérotation national et à l’attribution et au retrait des droits d’utilisation de numéros. Il définit les tarifs maximums et uniformise les tarifs, que l’utilisateur appelle d’une ligne fixe ou d’un téléphone mobile. 40 70 Chapitre 1 - informer le consommateur sur les différents coûts des appels payants ou sur les autres abus via des abonnements de sms payants (qu’ils soient envoyés ou reçus). En plus d’être des diffuseurs de contenus, les sociétés de communication électronique sont d’importants annonceurs. L’IBPT contribue à la santé du secteur des communications et offre ainsi la garantie pour les éditeurs de contenus d’engranger de substantiels revenus publicitaires. 2.12.1. Une régulation pour qui, pour quoi ? Marc Janssen (CSA) rappelle les deux significations du terme « régulation ». - Premièrement, il désigne la structuration ex ante du secteur qui consiste en l’établissement de règles et incombe au pouvoir politique. En ce qui concerne les médias d’information dans la FWB, l’instance politique a joué, par le passé, un rôle important dans la structuration du marché, par exemple par les accords TVB. Aujourd’hui, l’action politique continue à structurer le secteur, par divers biais comme l’aide à la presse, la création en décembre 2009 du CDJ (le Conseil de Déontologie Journalistique auquel les journalistes, tous supports confondus, sont obligés d’adhérer), le contrat de gestion de la télévision de service public, la régulation de la publicité, les règles d’indépendance des médias audiovisuels privés… Cependant, le pouvoir politique a perdu toute une série de leviers pour agir concrètement et efficacement sur le paysage médiatique : il doit prendre acte d’un nombre croissant de règles politiques et surtout administratives qui sont édictées au niveau européen ; il doit prendre en considération une évolution des mentalités qui n’admettent plus aussi aisément les initiatives publiques dans le secteur médiatique ; enfin, il se voit privé de certains leviers dans le cas où des opérateurs privés se sont délocalisés et donc soustraits à sa régulation. - La deuxième acception du terme « régulation » désigne l’application et le suivi des règles qui sont, cette fois, la prérogative d’autorités indépendantes, telles que le CSA ou l’IBPT. À la recherche d’une règle d’équité qui respecte les spécificités des acteurs et les objectifs politiques d’intérêt général, les instances de régulation visent concrètement à soumettre tous les acteurs du secteur aux mêmes « règles du jeu » et à défendre les intérêts des consommateurs Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 71 qui doivent accéder de manière équitable aux services concernés. Dans le secteur médiatique, les objectifs fondamentaux sont la promotion et la défense du journalisme, d’une part et la promotion et le soutien aux médias d’information, d’autre part. Soutenir les médias assure, sur le long terme, leur indépendance, leur viabilité, le pluralisme et l’équité. Concrètement, il s’agit, entre autres, de surveiller les pratiques publicitaires, de garantir la mise en œuvre d’une concurrence équitable, de partager les usages de ressources rares, de contrôler le respect des obligations des médias privés ou le contrat de gestion des services publics… Pour ce faire, les sanctions peuvent être financières (lors d’infractions aux règles publicitaires ou comme moyen de pression pour obtenir des informations utiles) ou autres (comme l’obligation de lire un communiqué à l’antenne). 2.12.2. Caractéristiques de l’écosystème des médias en Belgique francophone à l’heure du numérique Les spécificités du marché belge francophone résident non seulement dans ses dimensions réduites, mais aussi dans la qualité de ses infrastructures et dans la libéralisation désormais définitive des services postaux. Le nouveau statut de Bpost ne remet actuellement pas en question la garantie du service universel (même s’il y a aujourd’hui débat sur d’éventuels aménagements de ce dernier au niveau de la coupole européenne des opérateurs postaux). Le service universel est essentiel pour les médias d’information puisqu’il implique notamment que, pour la livraison des quotidiens et des hebdomadaires d’information générale, la TVA soit réduite à zéro. En ce qui concerne les secteurs traditionnels de l’audiovisuel, le CSA présente des « diagnostics » distincts : - - La radio est un média qui se porte plutôt bien (à l’exception des 85 petites radios, provinciales ou indépendantes en proie à d’importantes difficultés économiques) qui reste relativement rentable et offre une certaine diversité de contenus et de formats. En télévision, l’étroitesse du marché permet difficilement de mener à bien des projets ambitieux. Durant ces quinze dernières années, il n’y a pas eu de véritable nouveau projet d’envergure. Des initiatives plus modestes ont été lancées, à l’instar de Canal Z qui est obligé de recourir à des émissions de type publi-reportage et de Liberty TV qui a intégré un JT dans son core business que sont les émissions 72 Chapitre 1 de loisir et de voyage. Un des freins à l’initiative réside dans le caractère obsolète de la loi de 1963 sur le statut et la reconnaissance des journalistes qui n’est plus en phase avec les nouvelles formes du journalisme et qui, par ses exigences de qualité vieillies, décourage l’émergence de nouveaux acteurs. L’irruption du numérique a déjà d’indéniables répercussions sur la situation des médias en Belgique francophone. - - - - - Selon Marc Janssen, le développement des nouvelles technologies permet une multiplication des supports et un accroissement de l’instantanéité. Aujourd’hui, il n’a amené que l’exportation de contenus existants sur de nouvelles plates-formes mais ne tardera pas à entraîner l’émergence de nouveaux acteurs et de nouveaux contenus. Internet permettra à des petits acteurs de se positionner plus facilement au sein de l’écosystème des médias. La réduction des étapes à franchir pour diffuser de l’information amène un accroissement et une diversification des sources d’information. Dans ce flux continu de contenus, les marques font office, pour le consommateur, de filtres et de repères. Des acteurs cruciaux de l’écosystème des médias tendent à s’intégrer verticalement afin de réaliser des bénéfices supplémentaires : des opérateurs télécoms et des câblodistributeurs se mettent à fournir des contenus et inversement, des acteurs médias entrent dans le domaine des télécoms. L’écosystème est, en outre, marqué par des spécificités numériques : le système de l’over the top qui, d’en haut, redistribue les contenus, l’irruption du peer-to-peer et l’apparition de télévisions numériques non-linéaires. Les reconfigurations de l’écosystème des médias posent des questions inédites mais ouvrent également de nouvelles possibilités en termes d’audience. En ce qui concerne la radio, le numérique permettra de garantir un confort d’écoute pour tous les auditeurs et de stabiliser la réception et la diffusion des opérateurs. La VRT a déjà mis en place un bouquet DAB qui compte une chaîne d’information en continu (Nieuws Plus) qui reprend les différents bulletins d’information de la VRT. À ce stade, il y a un service original, mais pas encore des contenus originaux. La télévision connaît également une phase de transition. Actuellement, 98% de la population de la FWB dispose de Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 73 l’analogique, contre 50% touchés par la télévision numérique. Cela n’est pas encore suffisant pour garantir un modèle économique rentable pour une chaîne purement numérique. La grande transformation est l’apparition de la télévision connectée, l’une des concrétisations les plus marquantes de la convergence des médias puisqu’elle combine les chaînes de télévision traditionnelle et tous les contenus audiovisuels accessibles sur le Net. 2.12.3. Propositions pour une régulation efficace à l’ère du numérique A. L’internationalisation des marchés rassemble désormais des acteurs basés dans différents pays et soumis à des législations différentes. Le débat doit se faire au niveau européen, via l’EPRA, qui est la plate-forme européenne des instances de régulation. Dans le cadre belge, se pose, en outre, la question de la reconfiguration institutionnelle de la politique des médias : faut-il envisager une communautarisation de cette matière ou une meilleure coordination avec les médias du nord du pays ? B. La structuration du secteur doit envisager des nouvelles modalités d’action en ce qui concerne la protection des droits d’auteur, la mise en place d’un régime de taxation équitable pour les différents éditeurs, la définition d’un service public qui est désormais directement confronté aux autres acteurs et la défense de la neutralité d’Internet, c’est-àdire « la liberté de choix qu’il [le net] permet à tous ses utilisateurs, la chance équitable qu’il donne à tous les entrepreneurs, l’espace de liberté d’expression et d’information qu’il offre à tous les citoyens »43. Il s’agit d’éviter la discrimination à la fois entre fournisseurs et entre consommateurs des contenus médiatiques. - - 43 Au niveau de la production du contenu, il importe de veiller à ce que les distributeurs qui se mettent à fournir de l’information ne profitent de leur situation pour permettre un meilleur accès à leurs propres contenus qu’à ceux des concurrents. Par ailleurs, il convient de rendre l’information accessible au citoyenconsommateur. L’accès aux sites des principaux quotidiens doit être garanti, au même titre qu’à ceux de Google, Tecteo ou Belgacom. Cahiers de l’ARCEP, n°3 sur www.arcep.fr. 74 Chapitre 1 La question de l’accessibilité pose plus largement le problème de la fracture numérique qui se joue à deux niveaux : l’accès technique à Internet et la maîtrise de l’outil (puisqu’une catégorie de la population dispose d’Internet sans savoir véritablement s’en servir). En Belgique, d’un point de vue individuel, le taux de pénétration d’Internet est de près de 30%. Grâce aux infrastructures performantes et une bonne accessibilité à haut débit, la Belgique se trouve dans le peloton de tête au vu de l’agenda numérique européen. Par contre, le manque de compétition dans l’offre des services ne permet pas encore de réduire le prix de la connexion et donc d’accroître le nombre de consommateurs. L’objectif est que, d’ici 2020, tous les citoyens aient au moins accès à des vitesses de 30Mb/sec et 50% d’entre eux à des vitesses de 100Mb/sec. C. Enfin, l’ère du numérique a des implications sur la régulation en tant que mode de contrôle de la diffusion de contenus médiatiques. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la surveillance des contenus numériques ne pose pas de problème en soi : en plus du travail de veille assuré par ses propres services, le CSA peut également compter sur le contrôle social via des plaintes d’internautes ou des questions parlementaires. Quoi qu’il en soit, un SMA non-détecté est faiblement connu et a donc un impact social très limité. Le véritable défi se situe au niveau du maintien, à l’ère du numérique, des règles aujourd’hui imposées aux médias audiovisuels. En effet, la convergence des médias entraîne la disjonction entre contenus et supports matériels de diffusion et la confrontation directe entre deux secteurs médiatiques autrefois distincts : - - La presse écrite qui est traditionnellement soumise à très peu de contraintes en vertu du principe constitutionnel de la liberté d’expression et qui peut même afficher ouvertement un engagement politique. le secteur audiovisuel historiquement très réglementé. Cela est encore plus vrai pour les opérateurs publics qui doivent se conformer à des devoirs supplémentaires. La convergence des médias sur de nouvelles plates-formes va faire exploser toutes les règles : comment limiter l’accès de certains programmes aux mineurs, comment séparer complètement information et publicité, comment répartir le temps d’antenne entre les différents partis en lice aux élections, comment limiter l’accès à certains contenus pour les mineurs d’âge ? Face à ces questions, il convient d’adapter la Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 75 réglementation aux nouveaux supports44 et de lancer une réflexion globale sur une régulation équitable des acteurs médiatiques, qui permettrait de protéger des activités répondant à des besoins d’intérêt général. En la matière, le CSA propose de créer un nouveau concept de « médias d’information sur plate-forme ouverte » qui dépasserait le critère du support matériel. Sur le modèle du système de l’aide à la presse écrite, les éditeurs de contenus qui répondraient à cette définition bénéficieraient d’un système d’aide conditionnée : en contrepartie de l’obtention d’un label et d’un soutien financier, ils seraient tenus d’observer un socle minimal d’exigences (comme l’obligation d’adhérer au CDJ, de s’établir dans la FWB, d’engager une majorité de journalistes professionnels, …). Afin de rendre ces mesures optimales, le CSA propose de faire évoluer la régulation des médias vers un modèle de co-régulation, ce qui permettrait de définir une attitude commune, en accord avec les acteurs de terrain. 2.13. Le point de vue des experts Aux yeux de Jean-Clément Texier (banquier et expert en économie des médias), la presse quotidienne française est dans une situation dramatique et gagnerait à s’inspirer de l’exemple de la presse belge qui s’est déjà engagée dans la voie de la rationalisation des coûts, de la modernisation et de la concentration. La révolution que la presse quotidienne est en train de traverser est le résultat de la conjonction de la crise conjoncturelle et de la rupture structurelle due à l’irruption du numérique. Les « nouveaux ennemis » de la presse sont les agrégateurs (qui menacent le respect des droits d’auteur) et les opérateurs de télécommunications. En outre, la presse française est aujourd’hui enfermée dans un système d’assistanat dans la mesure où les aides de l’État représentent 12 à 13% du chiffre d’affaire du secteur de la presse. Jean-Clément Texier se dit sceptique vis-à-vis de la valeur présumée des marques-médias et vis-à-vis de la monétisation des contenus : à l’heure actuelle, de nouvelles marques atteignent rapidement les sommets ; d’autre part, le gratuit apparaît moins comme un concurrent que comme un produit Le Parlement européen et le PFWB ont déjà imaginé que les SMAD (SMA à la demande) soient soumis à des règles plus légères que les SMA. 44 76 Chapitre 1 complémentaire par rapport au payant et a mis au point de nouveaux business models qui s’avèrent particulièrement adaptés à la révolution technologique. D’après l’économiste français, la révolution numérique qui a totalement bouleversé le monde de la presse doit être vécue comme une « destruction créatrice », pour reprendre les termes de Schumpeter. La solution réside, selon l’expert français, dans un retour innovant et audacieux à la logique de marchandisation et de rentabilité. En d’autres termes, l’objectif des éditeurs de presse doit être avant tout de ne pas laisser se creuser un « fossé générationnel » avec les jeunes managers, de renouer avec une logique industrielle : la recherche du profit. Il s’agit de chercher la rentabilité plutôt que la notoriété, afin de retrouver des marges de manœuvre et d’atteindre une taille critique d’un milliard d’euros (ce qui n’est le cas d’aucun groupe de presse français). La seule solution pour garantir une presse viable et rentable est, par conséquent, la concentration (qui n’est pas automatiquement synonyme de standardisation des contenus). Concrètement, Jean-Clément Texier conseille aux éditeurs de presse de : - - - - - s’adosser à des groupes industriels plus forts (qui se développent dans le domaine des technologies de l’information et de la communication) ; rationaliser les coûts de production et les coûts salariaux ; investir dans des secteurs connexes (tv, sport…) ; rechercher de nouveaux produits, inventer de nouveaux concepts et revitaliser ainsi le journalisme ; hausser les prix de vente, en émettant l’hypothèse que le journal à bas prix avec publicité n’est peut-être qu’une parenthèse dans l’histoire de la presse. Pour sa part, François Jongen (professeur de droit à l’Université Catholique de Louvain) souligne la nécessité, pour le bon fonctionnement des médias d’information, d’un cadre juridique clair et équilibré. L’organisation juridique des médias dans la FWB est circonscrite par trois contraintes distinctes : - - - le système de répartition des compétences (qui, en matière de responsabilité juridique des médias, confie d’importantes prérogatives à l’instance fédérale) ; le droit communautaire européen (qui fixe le cadre de la politique de la FWB dans le secteur des médias) ; l’inévitable dépendance des politiques vis-à-vis des médias (qui contribuent partiellement à construire la notoriété – et qui influencent les résultats électoraux – des responsables politiques). Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 77 Chantiers juridiques (ré)ouverts par l’essor des médias numériques La numérisation du processus de l’information reconfigure les activités médiatiques et impose, par conséquent, une adaptation du cadre juridique. Un de ces chantiers tient à la responsabilité des médias. Cette question est déjà problématique en soi puisque la Constitution belge prévoit une responsabilité pénale de la presse devant la Cour de Cassation. Pour diverses raisons, les médias ne passent plus jamais au pénal mais finissent de facto par passer par le civil, sans qu’il n’y ait une procédure qui soit définie pour ce genre de cas. Avec l’essor du numérique, la question de la responsabilité des médias revêt une acuité particulière puisque Internet permet une multiplication de contenus annexes et donc d’auteurs. Quel est le statut juridique d’un commentaire posté à la suite d’un article publié par un journal sur son site ? Comment établir la responsabilité pénale ou civile d’un auteur couvert par un pseudonyme ? Le journal doit-il être tenu responsable des commentaires qu’il héberge ? Au vu de ces nouvelles questions, il apparaît nécessaire de revoir la compétence théorique de la Cour de cassation, de clarifier la responsabilité des médias sur les contenus annexes et, par conséquent, de protéger le métier de journaliste. Un discours européen trop théorique ? Si la prise de position du rapport Belet déposé au Parlement européen est encourageante, François Jongen fait remarquer que le droit communautaire européen reste essentiellement défini par la Commission et par la Cour de Justice et que la directive sur les SMA de décembre 2007 ne prévoit aucune mesure concrète pour permettre au service public de se maintenir face au secteur privé. La portée du rapport Belet apparaît, aux yeux de François Jongen, comme plus défensive que dynamique : il s’agit avant tout de justifier le versement de dotations publiques ou de redevances télé à destination d’un service public de l’audiovisuel et pas de garantir un véritable équilibre entre médias privés et publics. L’absence de directives européennes plus contraignantes entraîne une distorsion de concurrence entre les secteurs public et privé et entre les opérateurs privés délocalisés ou non. C’est ainsi conformément au droit européen que RTL Belgium s’est délocalisé en 2006 au Luxembourg ; le cadre juridique européen permet, en effet, à l’éditeur de se définir lui-même comme tel et n’impose pas le public de destination comme critère de rattachement à un cadre juridique particulier, ce qui a immanquablement encouragé 78 Chapitre 1 les délocalisations. En conséquence, les règles imposées par le législateur dans la FWB ne concernent pas les médias installés au Grand-duché et ne s’appliquent donc qu’au secteur public et aux opérateurs privés qui n’ont pas les moyens de se délocaliser. Un protocole de coopération a été signé, en juin 2009, entre Fadila Laanan, ministre de la Culture et de l’Audiovisuel de la Communauté française, et le gouvernement luxembourgeois et a ainsi pris officiellement acte de la situation. Dans ce contexte, François Jongen décèle deux modes d’action susceptibles de relancer le débat au sujet de ce protocole de collaboration : d’une part, profiter de l’évaluation annuelle prévue par le protocole lui-même, d’autre part, introduire une action auprès de la Commission européenne. Ressources et missions de la RTBF Certes, la légitimité du service public suppose qu’il ne se marginalise pas complètement et qu’il s’adresse à une majorité de la population. Néanmoins, François Jongen pointe quelques dérives en ce qui concerne les objectifs d’audience de la RTBF : - - En plus de la dotation publique dont elle bénéficie, la RTBF peut également compter sur des ressources publicitaires. Bien que minoritaires, celles-ci constituent la seule marge variable du financement du service public et amènent logiquement la chaîne à accorder une grande importance aux taux d’audience. Par ailleurs, le contrat de gestion établit des objectifs d’audience globaux. Selon François Jongen, cet état de fait est ambigu puisqu’en fixant des chiffres d’audience à atteindre, le contrat de gestion justifie en quelque sorte des pratiques qui amènent à une perte de substance du service public, notamment en termes de diversité culturelle, qui est défini par le même contrat de gestion. Ce qui est gênant, c’est qu’on inscrive, dans un instrument contractuel, des chiffres tellement précis qu’ils en deviennent des arguments pour légitimer des activités au sujet desquelles il n’y a pas eu de débat de fond. Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 79 3. Recommandations des experts – animateurs (par Mme Nadine Toussaint Desmoulins, M. Benoît Grevisse et Me Carine Doutrelepont) Cet atelier, consacré aux schémas et stratégies industriels des médias d’information, avait pour objectifs de cerner les problèmes principalement d’ordre économique qui se posent aux différents médias d’information francophones belges et à leurs usagers, et de dégager, sur cette base, les lignes de force de propositions susceptibles de permettre aux médias de continuer à fournir une information de qualité, pluraliste et accessible dans un environnement concurrentiel équilibré. Avant de parvenir à cette fin, il a paru nécessaire de dresser l’état des lieux des médias d’information en Belgique francophone et de donner ensuite la parole aux divers acteurs ou experts du monde des médias afin de confronter leur vision sur les difficultés rencontrées et les solutions qu’ils suggèrent. 3.1. Le rapport sur l’état des lieux Il fut établi et présenté, le 17 mars 2011, par les professeurs Frédéric Antoine, de l’Université Catholique de Louvain, et François Heinderyckx, de l’Université Libre de Bruxelles. Ce rapport très riche, le premier en son genre, était soumis à l’appréciation des intervenants. Ils y ont tous trouvé un très grand intérêt en dépit de quelques imprécisions et ont estimé qu’il devait être poursuivi à l’avenir afin que l’on dispose, en Belgique, d’un tableau de bord sur le monde des médias. D’ores et déjà, l’une des premières recommandations qui peut être faite, et à propos de laquelle nous reviendrons, porte sur la création d’un Observatoire indépendant des Médias permettant d’assurer une transparence dans le secteur et des données actualisées, fiables et vérifiées. 3.2. Les auditions Les experts-animateurs de l’atelier ainsi que le comité de pilotage, composé de parlementaires de toutes tendances, de collaborateurs aux groupes politiques et d’équipes administratives du Parlement, ont dressé la liste des personnalités représentatives des divers acteurs du monde des médias écrits et audiovisuels qu’il paraissait nécessaire d’auditionner. Cette liste comportait des représentants des opérateurs des différents secteurs, des associations de journalistes, des diffuseurs, des usagers, des annonceurs, des 80 Chapitre 1 instances de régulation, des sociétés de gestion collective de droits d’auteur, des organismes d’audimétrie ainsi que divers experts. Ces personnalités ont été contactées et l’on peut déplorer que certaines n’aient pas répondu à l’invitation ou fait savoir qu’elles ne souhaitaient pas participer à ces auditions en dépit des demandes réitérées. Ceci fut notamment le cas de Test-achats (organisme de consommateurs), AMP (agence et messageries de presse), les Radios, 7sur7 et d’Ivo Belet. Les huit séances qui se sont déroulées du 31 mars au 23 juin 2011 ont permis d’auditionner une trentaine de personnes venues d’horizons divers : éditeurs de presse écrite ou on line, télévisions généralistes et locales, association de journalistes, régulateurs, sociétés de perception de droits d’auteurs, représentants des annonceurs, des usagers, experts,… La plupart d’entre eux ont fourni un travail important, utile au secteur et à l’analyse des experts. 3.3. Les points de vue des auditionnés Les divers intervenants ont décrit les problèmes qu’ils rencontrent dans le cadre de leur activité et ont suggéré des propositions susceptibles d’y remédier. Certaines analyses sont communes à divers intervenants, d’autres, au contraire, montrent des désaccords. 3.3.1. Les points d’accord ou les constats partagés Tous les intervenants sont tombés d’accord sur le fait que l’on assistait en Belgique francophone, comme ailleurs dans le monde, à une mutation rapide et importante des médias marquée par le développement de l’Internet et de divers supports de communication, notamment mobiles. Cette mutation, caractérisée par une convergence des médias sur les différentes plates-formes numériques, affecte en profondeur aussi bien le système de production, et notamment le travail des journalistes, que les systèmes de distribution, de commercialisation et enfin de consommation des médias. Tous les médias « historiques » d’information : presse, radio et télévision sont concernés. La segmentation des médias s’adressant à des publics distincts et consommant de manière différente, parfois complémentaire, est abandonnée au profit d’une concurrence de plus en plus forte entre les divers médias qui rétrécissent leur marché respectif et se disputent les marchés émergents. L’arrivée de ces nouveaux modes de diffusion et de consommation modifie, Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 81 en effet, la concurrence habituelle inter et intra média sur ces deux marchés : marché des acheteurs et marché des annonceurs. La facilité d’accès qu’offrent les médias mobiles, dont le genre et le nombre vont croissant, séduit autant les usagers du « contenu » des médias que les annonceurs et réduit les marchés, et donc les ressources, des médias sur les supports traditionnels que sont le papier et les récepteurs de radio ou de télévision. La concurrence internationale exercée par certains agrégateurs, au premier rang desquels figure Google, paraît particulièrement redoutable non seulement parce qu’elle pille certains contenus sans respecter les droits d’auteurs mais aussi parce qu’elle recueille une part essentielle et croissante des investissements publicitaires. Le deuxième point d’accord concerne le soutien à la transition numérique et la nécessité d’adopter des mesures financières, fiscales permettant le développement des activités nouvelles et des mesures régulatrices permettant l’accès et la neutralité technologique. Elle implique l’engagement d’une réflexion plus approfondie sur l’éventuelle nécessité d’évoluer vers une différenciation des contenus papier et numériques. Le troisième point d’accord ou plutôt le constat unanime concerne la taille réduite du marché sur lequel opèrent les divers médias concernés : environ 4,4 millions de personnes. Cette taille réduite, qui correspond grosso modo à l’équivalent de la région Nord de la France (où il n’existe plus qu’un seul groupe de presse quotidienne), rend particulièrement difficile l’accès à une taille critique qui permettrait une meilleure gestion des coûts fixes et une rentabilité suffisante. Ceci est d’autant plus flagrant lorsqu’il s’agit de médias locaux au sein de l’espace francophone belge. Il a été remarqué aussi que les francophones étaient de façon générale moins consommateurs de médias que les Flamands notamment pour ce qui concerne la presse quotidienne. Le poids d’acteurs globaux internationaux et présents sur les plates-formes numériques fragilise la presse francophone belge compte tenu de l’exiguïté de son territoire mais aussi de la langue française dont l’usage reste plus limité. Le quatrième point d’accord concerne la concurrence qu’exercent sur les audiences belges les médias français, notamment pour ce qui est des médias d’information « généralistes » que sont certains titres de presse, certaines radios et certaines télévisions. Cette captation d’audience se répercute sur des ressources publicitaires qui sont dérivées vers ces concurrents français, ce qui est moins le cas pour les médias flamands vis-à-vis des Néerlandais. Au niveau du contenu, 82 Chapitre 1 la concurrence entre les médias belges se joue, quant à elle, sur le terrain de l’information de proximité, qu’elle soit nationale ou communautaire. Le cinquième point d’accord, qui résulte des points précédents, concerne le nécessaire recours à l’intervention des pouvoirs publics. C’est en premier lieu par l’accroissement des aides publiques. Puisque le marché est étroit et soumis à une vive concurrence, il convient d’accorder aux médias des aides distribuées sous des formes diverses : directes (subventions, dotations budgétaires, aides à la modernisation) ou indirectes (fiscalité, transport). C’est en second lieu par des mesures réglementaires nouvelles ou renforcées pour mieux garantir la neutralité d’accès à l’Internet, une concurrence équitable dans le contexte de la transition numérique, l’accès du public à une information de qualité et le respect des contenus, notamment des droits d’auteurs, ainsi qu’un statut professionnel clarifié des journalistes. Le sixième point d’accord porte sur l’insuffisance et l’inadaptation des mesures d’audience face aux nouveaux modes de consommation des médias. Les médias dans leur ensemble déplorent qu’on appréhende de plus en plus mal le fait qu’un même contenu peut être « consommé » sur divers supports notamment sur les nouveaux supports mobiles. Les petits médias, telles les télévisions locales, déplorent de ne pouvoir être mesurés en raison du coût élevé des enquêtes. Le septième point d’accord porte sur l’impérieuse nécessité de sauvegarder le pluralisme en garantissant notamment le bon fonctionnement et la viabilité d’opérateurs à la fois publics et privés. Le huitième point a trait à la nécessité d’assurer une meilleure valorisation des contenus journalistiques sous différentes formes, en assurant notamment la rétribution adéquate des journalistes, la promotion de l’utilisation de la presse à l’école comme outil pédagogique et en développant des actions étendues pour encourager les jeunes à lire la presse et à s’informer en général par un usage adéquat des médias. Le neuvième point d’accord est la défense des droits d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur afin de lutter à l’encontre du piratage des contenus et d’assurer une rémunération adéquate des titulaires de droits en conformité avec les directives européennes garantissant un haut niveau de protection. Le dernier point d’accord concerne le souhait de réserver à des journalistes Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 83 professionnels formés aux techniques nouvelles le soin de fournir une information vérifiée et mise en perspective dans un environnement où les médias électroniques permettent à tout un chacun de s’exprimer. Cette rigueur est d’autant plus nécessaire que sur le terrain de l’information médiatique, les médias traditionnellement informationnels entrent en concurrence avec des médias qui ont des visées plus larges, à la fois informationnelles et de divertissement, de culture ou de loisirs moins attachés à la qualité de l’information et à son caractère fiable. 3.3.2. Les points de désaccord Au-delà de ces accords, des divergences existent qui séparent et/ou opposent certaines catégories de médias ou d’acteurs. La première et la plus vive est celle qui oppose les éditeurs de presse quotidienne à la RTBF en ce qui concerne l’éditorialisation sur l’Internet et la régulation des ressources publicitaires. Les premiers considérant que la seconde, qui bénéficie d’un financement public sans commune mesure avec les aides accordées à la presse, pratique une concurrence déloyale en développant son site d’information qui bénéficie aussi de recettes publicitaires. L’accès à cette information gratuite ajoute un élément supplémentaire de concurrence à la presse payante. La RTBF se défend en arguant qu’il est de son rôle et de son statut de rechercher un maximum d’audience, que cela ne saurait se faire sans avoir recours à l’Internet notamment pour toucher le public jeune et que les recettes publicitaires de son site ne représentent qu’une infime partie du marché publicitaire. Si bon nombre d’intervenants soulignent la nécessité d’aller vers un statut professionnel clarifié des journalistes, les journalistes professionnels salariés, soutenus par leur association et les syndicats, s’opposent au mode de gestion adopté par certains opérateurs. Ils s’inquiètent de la stagnation de leurs effectifs, de leur précarisation, du non respect de leurs droits d’auteur, de la faiblesse de leur rémunération et de façon plus générale de la détérioration de leurs conditions de travail dues à l’irruption du numérique et des nouvelles formes de travail qu’il induit. Les cadences et la polyvalence des tâches imposées nuisent à la qualité de l’information. A contrario, l’espace accordé à des blogueurs non journalistes ou à des informateurs amateurs prive les professionnels d’emploi. C’est tout particulièrement le cas des photojournalistes. De façon générale, les journalistes souhaitent voir renforcer le rôle des sociétés de rédacteurs au sein des entreprises. 84 Chapitre 1 L’AJP voudrait que les Sociétés de Rédacteurs (SDR) passent d’un modèle de consultation à celui de co-décision et souhaite également une réforme des aides à la presse qui tienne plus compte de l’emploi de journalistes salariés et de critères qualitatifs du contenu rédactionnel. Un ferme désaccord divise les sociétés de gestion, l’AJP et les éditeurs de presse ou les représentants des opérateurs audiovisuels sur la présomption de cession des droits d’auteur. Cette présomption, qui existe en faveur du producteur dans le secteur audiovisuel, n’est pas accordée à l’éditeur de presse écrite. Les sociétés de gestion et l’AJP plaident pour la suppression de ce mécanisme légal d’attribution des droits en faveur du producteur, alors que les éditeurs de presse écrite revendiquent pour son extension dans le secteur de la presse écrite. Les représentants d’usagers se plaignent de certains contenus publicitaires véhiculés par les médias et de la confusion qui peut exister entre le rédactionnel et le publicitaire. Ils estiment que les instances qui encadrent la publicité ne sont pas assez efficaces pour protéger les consommateurs des abus et manipulations diverses constatés. Ils jugent qu’il conviendrait de mieux former les usagers à une pratique plus critique des médias et que cette formation ne devrait pas émaner d’instances liées aux annonceurs ou aux agences. Ils militent pour un Conseil fédéral de la Publicité indépendant. Les télévisions locales se plaignent de leur manque de visibilité dû en partie au fait que les journaux ne signalent pas leurs programmes et qu’elles sont reléguées loin sur les offres télévisuelles. Télé Bruxelles déplore son statut de télévision locale et plaide pour la reconnaissance du statut de télévision régionale, pour l’octroi de ressources supplémentaires et la possibilité d’une diffusion plus étendue grâce à l’obtention du « must carry » sur l’ensemble du territoire ou à une autorisation de diffusion élargie. 3.4. Les recommandations des experts Les experts suggèrent des recommandations qui s’articulent autour de trois axes. Le premier concerne les stratégies industrielles qui pourraient être mises à l’œuvre par les entreprises médiatiques, le second concerne les améliorations qui devraient être apportées au système d’aides accordées par les pouvoirs publics, le troisième vise les mesures essentiellement régulatoires à adopter pour répondre aux enjeux plus généraux que suscite l’avenir des politiques destinées aux médias. Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 85 3.4.1. Une nouvelle stratégie industrielle Un constat s’impose : les médias ne sauraient échapper à une convergence inévitable qui doit les conduire à être présents sur tous les supports, notamment sur les mobiles et les tablettes. Comme le numérique facilite la création de nouveaux supports et l’arrivée de nouveaux acteurs qui modifient les termes de la concurrence, la fragmentation des audiences ne peut être évitée. Cette multiplication et cette fragmentation se répercutent aussi bien sur les pratiques des usagers des contenus que sur les choix des annonceurs qui sont enclins à migrer vers le numérique. Enfin l’idéologie de la gratuité très prégnante sur l’Internet donne des atouts aux contenus gratuits pour les consommateurs alors même que la production d’une information sérieuse et contrôlée est coûteuse. Un nouveau modèle économique des médias semble inévitable. Quelles solutions s’offrent alors aux entreprises qui souhaitent continuer d’exister voire se développer ? Quelles recommandations les experts suggèrent-ils ? A. Les experts recommandent en premier lieu aux entrepreneurs de poursuivre la recherche de l’innovation dans la conception et la diffusion multimédia des contenus. Cette recherche est fondamentale pour les médias « historiques » afin d’éviter l’évasion des jeunes attirés par les formes nouvelles de communication qui se développent rapidement notamment via les divers réseaux sociaux. Ces réseaux ont démontré que la circulation de l’information se fait de plus en plus en dehors des « marques » média. Il convient donc pour les médias « historiques » de conserver la valeur des informations qu’ils produisent en transposant, avec une différenciation de traitement, un contenu sur plusieurs supports ou applications et de profiter de la complémentarité qu’offrent les divers supports ou plates-formes pour utiliser au mieux le fruit du travail des journalistes : enrichissement des textes par des photos ou des vidéos, recours aux archives, dossiers, etc., et inversement, enrichissement des sites audiovisuels. B. Cependant, ce travail journalistique nécessite des conditions de production décentes, un niveau de formation adapté, une adaptabilité incarnée par des formations continuées. Un statut professionnel précisé et clarifié est indispensable au développement d’une nouvelle politique industrielle attractive et durable. Les experts recommandent de suivre un certain nombre de propositions 86 Chapitre 1 faites quant à la revalorisation du travail des journalistes par les représentants des journalistes. Quelques-unes d’entre elles rejoignent d’ailleurs les souhaits exprimés par certains responsables d’entreprises médiatiques. A cet égard, les experts renvoient aux travaux de l’atelier consacré à la liberté d’expression compétent pour développer plus en profondeur ce point. C. Les experts recommandent une politique de droits d’auteur dynamique, axée sur la valorisation des contenus et le respect de ceux-ci, impliquant dès lors des accords contractuels promouvant et rétribuant le contenu et des démarches plus systématiquement actives, en cas de violation des droits, aux côtés, le cas échéant, des sociétés de gestion collective. D. Pour ce qui est des télévisions locales, dont la spécificité réside dans la recherche d’information de proximité, il parait aussi logique qu’elles puissent coordonner davantage entre elles leurs activités afin de promouvoir un programme commun leur assurant également une plus grande viabilité et visibilité auprès des annonceurs et des usagers. De manière plus générale, la technologie numérique implique, en outre, qu’elles puissent déborder de leur zone légale de distribution en se trouvant sur des plates-formes de distribution couvrant le territoire national ou communautaire. Il convient cependant de renforcer leurs missions de service public locales ou régionales, leur obligation d’assurer de la production propre ainsi que leurs synergies avec la RTBF afin de préciser leur spécificité mais aussi les perspectives d’emploi et les investissements nécessaires au niveau local. E. Les experts font ensuite une recommandation qui découle en partie de ce qui précède et qui consiste pour les médias à renforcer la diversification comme c’est déjà le cas depuis longtemps pour certains. Si la diversification a parfois pour corollaire un processus de concentration qui réduit le nombre d’opérateurs et porte atteinte au pluralisme de l’information lorsqu’on procède par acquisition, il n’en va pas de même si l’on procède par croissance interne. La diversification doit permettre de mutualiser certains coûts rédactionnels ou administratifs sans pour autant porter atteinte à la qualité de l’information. Elle permet aussi à une entreprise (ou un groupe) de multiplier les supports susceptibles de toucher des publics variés et de compenser les pertes des uns par les recettes des autres. Une offre de « bouquet » proposée par couplage aux annonceurs peut d’autant plus séduire les annonceurs que les audiences Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 87 de chacun des médias concernés sont réduites comme c’est souvent le cas en Belgique francophone. Ces offres couplées devraient pouvoir aussi associer des médias non francophones. F. Concernant encore le problème des ressources, les experts recommandent de chercher à mieux bénéficier des divers modes de financement privés qui s’offrent aux médias : - - - - Dans le cadre de mise à disposition de contenus sur des supports électroniques, il conviendrait de poursuivre la mise en place de tarifications d’accès allant de la gratuité à la vente par paliers successifs afin de conserver une valeur marchande pour certains contenus. Ce devrait être le cas notamment pour ceux qui ont nécessité un important et coûteux travail d’investigation et qui apportent une information originale et/ou exclusive. La redevance accordée aux télévisions par les câblodistributeurs devrait être revalorisée et les plates-formes de diffusion de contenus via des mobiles, tablettes, …, devraient être associées systématiquement au paiement des droits (voir ci-dessous). Indépendamment de leur programme propre, les télévisions locales devraient aussi diffuser un programme commun au même horaire pour attirer les annonceurs soucieux de toucher des audiences plus larges que celles offertes par les chaînes isolées . En plus des traditionnelles recettes de vente et de publicité, il devrait être fait appel à des recettes diverses supplémentaires : participations capitalistiques des usagers ou de mécènes via des formules d’investissements défiscalisées ou bénéficiant d’abris fiscaux « tax shelter », développement d’activités hors média comme le conseil ou le merchandising. On peut donner l’exemple de médias proposant des « galeries marchandes » sur leur site ou délivrant des formations spécifiques notamment dans le domaine de l’expertise internet. G. Enfin, les experts recommandent de chercher à améliorer les modes de diffusion susceptibles d’accroître les recettes. Pour la presse, il convient de rechercher la fidélisation des lecteurs par les abonnements, de favoriser la vente au numéro en revivifiant le système de commercialisation (voir plus loin). Pour l’audiovisuel, il convient de permettre à tous les usagers de bénéficier d’une neutralité d’accès 88 Chapitre 1 aux divers modes de diffusion et de faciliter l’extension des zones de réception. Cette recherche consiste également à : - Développer des partenariats en commun pour les entreprises productrices de contenus pour la numérisation des contenus (archives mais aussi autres contenus) et leur valorisation sur les plates-formes numériques. - Développer des partenariats presse écrite et audiovisuel, en échanges de contenus et/ou de publicité, croisant les projets sur les télévisions communautaires ou locales diffusant un programme commun aux mêmes horaires. - Développer des partenariats avec les entreprises de télécommunication en recherche de contenus afin de développer leur diversification sur des marchés connexes de nature à séduire et fidéliser le consommateur. 3.4.2. Le recours accru aux aides publiques Faute de disposer de ressources suffisantes, les experts recommandent que les aides accordées par les pouvoirs publics soient modifiées et accrues. Ces aides doivent être ciblées et destinées à faciliter tous les moyens susceptibles de favoriser la modernisation des divers acteurs. Elles peuvent concerner l’aide à la mise en place de technologies nouvelles, la création de sites d’information (avec un statut d’éditeur à créer), la formation des journalistes, le maintien et la modernisation des réseaux de vente de la presse, l’harmonisation de la fiscalité (TVA). Toutes les formes de modernisation sont coûteuses mais elles doivent reposer sur des projets précis dont on doit pouvoir suivre et mesurer les résultats en évitant un saupoudrage. Elle peut aussi passer par un rééquilibrage entre les divers supports des investissements publicitaires réalisés par les pouvoirs et les entreprises publiques. La crise particulièrement aiguë que traversent les médias impose de penser de manière globale une politique de soutien à l’adaptation aux nouvelles technologies et aux bouleversements des marchés. Le passage rapide et massif à une économie du numérique nécessite une aide publique d’importance à l’ensemble du secteur. Le contexte économique très difficile oblige tous les opérateurs à investir lourdement dans les nouvelles technologies et à amortir ces investissements en des cycles beaucoup plus courts qu’auparavant. Il importe de concevoir une politique ambitieuse qui fasse de la Fédération Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 89 Wallonie-Bruxelles un creuset d’innovation en ce secteur —ce qu’elle a pu être par le passé— et non des mesures simplement défensives. Les experts recommandent une politique d’aides conditionnées, qui peut revêtir des formes diverses et variables et participer également d’une forme de financement alternatif. A. Pour la télévision, l’étude sur « le financement alternatif de la RTBF » du cabinet Deloitte rendue publique en juin 2011 montre que l’hypothèse d’une réduction des revenus de la RTBF par une régulation de sa publicité nécessiterait une augmentation de sa dotation, si les activités de la RTBF devaient rester comparables (et bien évidemment si elles devaient progresser). Les débats sur la situation de la dotation de la RTBF au regard de la moyenne européenne, lors des auditions, ont montré la nécessité d’une clarification de cette dotation et de la mission impartie à la RTBF (son champ d’action, ses obligations et ses droits), compte tenu du contexte socio-économique en Fédération Wallonie-Bruxelles et notamment de l’intervention de différents acteurs, tels que les télévisions locales mais aussi les éditeurs de presse sur l’Internet. En outre, l’hypothèse du développement de certains services payants par la RTBF (proposés par elle lors de son audition) doit être examinée avec circonspection, eu égard à la nécessité de l’équilibre du financement des missions de service public, et à la nécessité d’insérer harmonieusement ces nouveaux services par rapport au secteur privé dans un marché étroit. B. Les télévisions locales, les plus fragiles, pourraient bénéficier d’une aide renforcée pour faciliter leur mission d’information de proximité mais celle-ci devrait être conditionnée à des critères de service public, productions propres, de synergie et d’économie d’échelle, Cette aide pourrait être l’élévation de la contribution, obligatoire ou volontaire (mais sous la coupole de la Fédération Wallonie-Bruxelles), généralisée des réseaux ou plates-formes, à toutes les télévisions locales, sans discrimination aucune et donc y compris Télé Bruxelles. C. Pour la presse écrite, les experts plaident pour une augmentation significative de l’aide à la presse. Dans le contexte économique bien connu de la Fédération Wallonie- 90 Chapitre 1 Bruxelles, il est évident que toutes les pistes doivent être explorées : - augmentation simple de l’aide à la presse (la demande du secteur est de porter l’aide de 7 à 10 millions) ; - utilisation du levier de la communication institutionnelle (modèle luxembourgeois) ; - dotation spéciale de transition au numérique (modèle français), … D. Dans tous les cas de figure, l’établissement de telles politiques doit être conditionné à des critères de qualité de l’information. Un des critères de qualité de l’information en contexte multimédia devrait également être la participation citoyenne. Celle-ci peut facilement être instrumentalisée. L’octroi d’aide devrait donc tenir compte de l’effectivité de cette interaction, particulièrement en service public. E. Le contexte économique oblige tous les opérateurs, entre obligation d’investissements lourds et perte de rentabilité, à tenter de réduire les coûts de production. La reconfiguration des métiers oblige pourtant à adopter une politique volontariste de formation et d’investissement dans le rédactionnel, en renforçant les structures qui valorisent la qualité rédactionnelle : - - orienter les soutiens publics vers le « Conseil de Déontologie Journalistique » et le « Fonds pour le journalisme » (qui finance des enquêtes journalistiques originales) ; pérenniser le financement du « Fonds pour le journalisme » (soit par une dotation annuelle ou une convention pluriannuelle, soit par le biais des aides à la presse). La réflexion doit s’étendre au fait de conditionner partiellement les aides à la presse à des clauses sociales et qualitatives : - réformer les aides à la presse quotidienne, en les augmentant mais en rendant effectifs les mécanismes de contrôle de qualité prévus en 2004. Puisque la finalité des aides est de valoriser le rôle sociétal de la presse, l’idée de lier davantage l’octroi des aides à l’emploi salarié effectif des journalistes professionnels doit être retenue ; - lier les nouvelles aides éventuelles à des critères qualitatifs effectifs sur l’emploi journalistique, le statut des indépendants et la déontologie ; - organiser l’aide accordée à certains titres de presse périodique selon les mêmes critères. Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 91 F. D’un point de vue industriel, la diffusion de presse est un des secteurs qui souffrent le plus actuellement. La disparition des points de vente se fait très lourdement sentir dans les résultats de la presse écrite. Les experts recommandent de prendre en compte un certain nombre de demandes exprimées par ce secteur : - - - Reconnaissance et valorisation des diffuseurs de presse en tant que professionnels du secteur : - mise en place d’une formation professionnelle des diffuseurs de presse et d’une formation continuée des professionnels actifs ; - distinction des points de vente en fonction de la place qu’ils accordent à la vente des journaux (évaluée selon les mètres linéaires d’exposition presse). Soutien direct à la diffusion de presse : - soutien à la lecture de la presse quotidienne via un abonnement gratuit qui serait offert l’année des 18 ans ; - aide au portage à domicile, accompagnée d’une souplesse de livraison et d’une suppression de frais de port (comme pour la livraison de quotidiens) ; - création d’une commission d’ouverture qui permettrait une concertation entre éditeurs et diffuseurs pour réguler l’offre et la demande du marché de la presse écrite et permettre la viabilité des différents points de vente ; pour les diffuseurs ; - mise en place d’un système de facturation sur le vendu, qui encouragerait le lancement de nouveaux titres, puisqu’il n’impliquerait pas de risque financier. Renforcement du réseau des diffuseurs indépendants par leur reconnaissance par l’État fédéral en tant que vendeurs exclusifs des produits qui sont sujets à des autorisations d’achat (tabac, loterie, …), tout en garantissant le respect de la législation en vigueur ; Ceux-ci pourraient en outre : - - se voir confier les Points Poste pour renforcer leur réseau de proximité avec les clients ; soutenir le maintien des diffuseurs de presse en appuyant leurs activités de librairie par la fixation du 92 Chapitre 1 - prix unique du livre et la suppression de la tabelle ; bénéficier de l’introduction d’une aide à la modernisation et à l’informatisation des points de vente, une aide à l’accès au paiement électronique et une sécurisation des points de vente (via un système comparable à Télé police mis en œuvre à Liège). 3.4.3. Nouveaux instruments et adaptation de la régulation Les enjeux de ce secteur, en entreprises privées comme publiques, ne se limitent naturellement pas à la seule sphère des professionnels. Les mutations radicales et rapides observées lors des auditions, comme par le rapport qui les a précédées, indiquent que les pouvoirs publics ne peuvent rester indifférents aux nombreux enjeux démocratiques, sociaux et identitaires mis en lumière par les divers intervenants. Il ne s’agit pas seulement de préserver le tissu garantissant une pluralité d’expressions et de supports d’informations, mais d’assurer l’existence médiatique de la Communauté. En outre, comme de nombreux observateurs l’ont constaté, la convergence des médias et la disparition de la segmentation du paysage médiatique, qui permettait la coexistence des marchés régulés et non régulés, exige une révision, voire un renforcement de la régulation du paysage médiatique. Recommandations : A. Les experts rejoignent l’avis unanime des acteurs entendus : la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) doit se doter d’un Observatoire indépendant des médias reconnu par le Gouvernement et chargé de l’observation et de l’analyse permanentes du secteur. Pour éviter la multiplication des instances, cette structure pourrait être intégrée à une des structures existantes, tel le CDJ (Conseil de déontologie journalistique), qui serait à son tour modifié en un organisme aux compétences élargies. La Fédération devrait dégager les moyens nécessaires à l’élaboration d’un rapport annuel livrant des données précises sous l’angle sociologique, juridique et économique. La Fédération Wallonie-Bruxelles devrait également contraindre l’ensemble des acteurs à communiquer clairement les données utiles à cette analyse, à l’exception des aspects stratégiques. Une commission ad hoc intégrée à l’Observatoire, constituée notamment de représentants Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 93 des secteurs professionnels de représentants des consommateurs, d’experts universitaires ainsi que de fonctionnaires de la Fédération et de représentants du Ministre en charge de cette matière, pourrait définir quelles informations seraient annuellement transmises, ainsi que les délais de cette communication. L’obligation de communication de ces informations pourrait être liée à certaines conditions précises, dont entre autres l’octroi d’aides publiques. B. Les experts estiment qu’une structure de coordination des politiques menées aux différents niveaux de pouvoir doit être instituée afin d’assurer un traitement transversal maximal des problématiques. La complexité institutionnelle de la Belgique trouve un écho particulier en cette matière. Tous les niveaux de pouvoir (communal, régional, Fédération Wallonie-Bruxelles, fédéral, européen) sont, en effet, concernés. Cet état de fait nécessite la recherche d’une réelle coordination des politiques. L’intérêt actif manifesté par tous les partis démocratiques lors des travaux de ce premier atelier des EGMI montre que les enjeux numériques peuvent justifier de transcender les intérêts particuliers. Les experts recommandent aux responsables politiques de coordonner leurs actions aux différents niveaux de pouvoir et de s’assurer de l’application effective des mesures. Un nombre important de chantiers doit, en effet, être suivi simultanément à d’autres échelons. On peut ainsi citer : - - - au fédéral : les demandes des éditeurs en matière de TVA à 0% pour le portage, d’allègement fiscal pour les entreprises au titre de leurs journalistes salariés, d’exonération partielle du précompte professionnel, le volet fiscal du droit d’auteur, l’accès aux platesformes, la neutralité technologique, la sauvegarde des contenus, le respect de la vie privée ; au régional : les développements numériques, l’environnement, la distribution ; à l’Europe : la digitalisation et la confiance dans l’économie numérique, la TVA, le droit d’auteur, l’éducation aux médias. La dispersion des compétences constitue une des faiblesses du marché de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il importe donc d’user de tous les leviers disponibles et d’examiner les instruments institutionnels 94 Chapitre 1 qui peuvent être utilisés, par exemple par l’institution d’une autorité compétente pour le numérique coordonnant les différentes politiques et dont l’action serait transversale. En son sein, seraient représentées les autorités communautaires ou régionales. C. La Fédération Wallonie-Bruxelles devrait définir une politique d’avenir en redéfinissant l’information sur laquelle elle souhaite intervenir tant en ce qui concerne le contenu que le périmètre de celle-ci. Le public de la Fédération Wallonie-Bruxelles jouit d’un droit de recevoir une information lui permettant d’évoluer pleinement au sein d’une société démocratique. Les acteurs professionnels de l’information, publics et privés, y contribuent tantôt sur des terrains similaires, tantôt avec leurs spécificités. Le service public assume, en ce sens, une mission définie, pour laquelle il reçoit une dotation. Les contraintes du petit marché de la Fédération Wallonie-Bruxelles font que les ressources publicitaires sont par nature limitées au regard d’autres pays. Par ailleurs, la révolution numérique bouleverse ce marché et redéfinit des concurrences opposant plus frontalement des médias qui évoluaient jusqu’ici dans des segments relativement étanches. La réorganisation du marché impose de ne pas s’en tenir à une conception segmentée du marché en fonction des secteurs d’activité traditionnels. Considérer que le périmètre d’activité des médias doit être défini à l’avenir sur la base de leur secteur d’activité traditionnel serait un nonsens alors que l’essence même du multimédia consiste à ouvrir à tous de nouveaux usages et de nouveaux marchés. Ce bouleversement doit cependant être accompagné pour éviter à la fois une perte de qualité de l’information et des distorsions de concurrence. Il importe de concevoir une politique ayant pour objectif de préserver et d’optimiser la production d’une information utile démocratiquement. Ainsi, une attention particulière doit être portée en termes de régulation sur : - La redéfinition de l’information de service public. De ce point de vue, la mission du service public doit être renforcée par une définition actualisée de ses missions. D’une part, il est Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » 95 recommandé de soutenir les développements digitaux du service public. D’autre part, ces développements obligent à clarifier leur cadre, tant d’un point de vue de contenu d’intérêt public que de concurrence. Les experts recommandent de ne pas s’enfermer dans une politique obligeant le service public à limiter son périmètre d’activité à ses médias traditionnels que sont la radio et la télévision. Un service public fort ne saurait à l’avenir se passer du multimédia. Bien entendu, l’activité numérique apparaît comme un prolongement naturel pour les opérateurs audiovisuels privés. Par contre, le contexte de convergence des supports et des marchés oblige à définir plus fermement ce qui différencie la conception, la production et la diffusion d’une information de service public. Les experts recommandent de saisir l’occasion de la définition du futur contrat de gestion de la RTBF et d’un remaniement des contrats des télévisions locales pour y parvenir. La RTBF a rappelé, à l’occasion de son audition, sa conception de l’information de service public. Elle constitue une base intéressante mais non-exclusive de réflexions sur le sujet. Les experts estiment également que l’impact du service public sur le marché publicitaire justifie que l’on s’interroge en profondeur, à cette occasion, sur l’encadrement des espaces commercialisables du service public dans son ensemble, tant d’un point de vue qualitatif (plages) que quantitatif (quotas) et sur les limites à lui donner. - La définition d’un périmètre d’activité du service public. Si les développements digitaux ne sauraient être interdits au service public, il importe que celui-ci, comme les aides qui lui sont accordées, ne constituent pas une distorsion de concurrence pour les acteurs privés. Les médias peuvent offrir du digital « gratuit » s’ils disposent de ressources suffisantes. Le vrai problème est la coexistence et la concurrence d’informations similaires qui sont payantes ou gratuites selon le support. Les experts recommandent que 96 Chapitre 1 l’octroi des moyens publics soit conditionné à une évaluation de l’impact des développements numériques sur le secteur privé. Ainsi, à l’instar de plusieurs pays européens, il serait approprié d’interdire ou de limiter, dans l’intervalle et en application du principe de précaution, la publicité sur les sites web et mobiles des radiodiffuseurs publics. L’évolution récente du paysage des télévisions locales réclame une attention particulière des pouvoirs publics. Elles remplissent un rôle original de couverture de l’actualité locale ou régionale. Leur périmètre d’activité mérite également d’être pensé en fonction de leur complémentarité à la RTBF, comme en fonction de leurs défis propres. Le cas de Télé Bruxelles, qui revendique un statut de télévision régionale, est exemplaire d’une grande diversité du secteur. Ici aussi, les experts préconisent la mise en place d’une politique globale allouant les financements adéquats à des missions spécifiques évitant les doubles emplois en service public. D. La Fédération Wallonie-Bruxelles doit mener une réflexion régulatoire, avec d’autres niveaux institutionnels : - - sur la problématique de l’émergence de nouveaux acteurs. Les moteurs de recherche, particulièrement, captent désormais une part importante de la publicité en ligne. Cet état de fait précarise l’ensemble des acteurs producteurs d’information. Les pouvoirs publics devraient soutenir et promouvoir la régulation de ces activités, en renforçant les concepts de concurrence déloyale liée aux contenus, lorsqu’elles nuisent à la production et/ou à la diversité de l’information. Ils peuvent en outre contribuer à réguler en soutenant le développement d’instruments préconisés par le secteur tels des « médias d’information sur plate-forme ouverte » labellisés (préconisée par le CSA), de kiosques numériques alternatifs... Il en va de même dans le cas des distributeurs numériques sur le marché des « devices » mobiles. De même, les pouvoirs publics doivent porter une attention toute particulière aux droits d’auteur ainsi qu’au piratage, qui entraînent une perte de valeur des contenus produits. L’adoption de mesures financières conservatoires et provisoires, à l’égard des acteurs notamment internationaux globaux, devrait être facilitée à titre de mesure avant-dire droit. De même, le niveau d’octroi de dommages- Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies » - - - - 97 intérêts, en cas de réutilisation non autorisée de contenus digitalisés, devrait être élevé. En outre, la question de l’accès aux plates-formes numériques doit être débattue à tous les niveaux de pouvoirs : communautaire, régional, national et européen. Des instruments légaux spécifiques à la problématique des contenus devraient être développés garantissant l’accès pluraliste et équitable des fournisseurs de contenus, en complémentarité avec les instruments généraux et classiques du droit de la concurrence. Il conviendrait d’inciter comme en Flandre, par des mesures appropriées, les institutions publiques et les entreprises publiques ou liées par un contrat de gestion à recourir de façon accrue à l’achat d’espaces de communication dans la presse quotidienne et périodique ; L’harmonisation fiscale du statut de la presse écrite ou digitale en matière de TVA à 0 % devrait être assurée, comme dans d’autres Etats membres. L’introduction d’allègements fiscaux en matière de tarifs postaux, de précomptes des journalistes professionnels, d’engagements ou de maintien de l’emploi devraient être étudiés en concertation avec le fédéral et de telles mesures devraient être insérées dans la législation afin d’apporter au secteur de la presse une aide tangible et efficace. 3.5. Conclusion Les experts recommandent vivement au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles de poursuivre le travail qu’il a entamé. Les auditions ont permis de mieux cerner le contexte délicat et complexe des entreprises d’information. Elles ont mis en lumière le caractère exceptionnel des défis que rencontre ce secteur. La révolution numérique impose l’urgence d’une action politique en certains domaines. Elle s’inscrit dans une conjoncture marquée par une baisse de revenus des médias due à la crise économique et aux bouleversements de l’offre et de la demande médiatiques et par la permanence de problématiques plus anciennes qui réclament des pouvoirs publics une attention particulière. Chapitre 2 Atelier 2 : « Statut et formation des journalistes » Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 101 1. Biographie des animateurs M. Jean-Jacques Jespers est né en 1946. Docteur en droit et licencié en journalisme, il a été journaliste à la RTBF pendant 33 ans. Depuis 1980, il enseigne au département des Sciences de l’information et de la communication de l’Université libre de Bruxelles. En plus de ses enquêtes et de ses reportages radiophoniques et télévisés (dont la célèbre chronique historique Jours de guerre, diffusée entre 1989 et 1995), Jean-Jacques Jespers participe à l’émission culte « Le jeu des dictionnaires » et consacre ses loisirs, depuis une quinzaine d’années, à récolter les données qui ont permis l’écriture de l’ouvrage « Le nouveau dictionnaire des noms de lieux en Wallonie et à Bruxelles ». M. Marc Sinnaeve a été journaliste de 1987 à 1995, professeur à l’IHECS depuis 1991. Coordonnateur de l’organisation des cours au sein du département « Journalisme » de 1995 à 1998, il est Président du département journalisme et responsable à ce titre du développement et de l’organisation de l’ensemble du programme de formation au journalisme depuis 1998. Mme Laurence Mundschau est professeur à mi-temps dans la Haute École de communication et écriture multimédia, l’ISFSC (Groupe ICHEC-ISFSC), responsable administrative d’un institut de recherche de l’UCL, l’Institut Langage et Communication, chargée d’un cours à l’UCL-Mons (« Information et communication : approches sociologiques » en 2e bac en communication), ex-journaliste professionnelle pigiste (1992-2009) au Rappel, La Cité, Le Ligueur, La libre Belgique, Flair et Femmes d’Aujourd’hui. 102 Chapitre 2 2. Rapport synthétique des auditions (par Mme Anne Roekens) 2.1. Le statut et les conditions de travail des journalistes 2.1.1. Le point de vue des journalistes A. Un statut légal qui s’adapte aux mutations du journalisme « d’information générale » En Belgique, deux titres officiels coexistent : le journaliste professionnel travaille pour les médias d’information générale alors que le journaliste de profession travaille pour les médias spécialisés. Une des spécificités du système belge réside dans cette distinction qui est finalement peu pertinente et délicate à établir. Le titre de journaliste professionnel est organisé par la loi du 30 décembre 1963 (M.B. 14/01/1964) qui tient en trois articles et qui n’a jamais été modifiée. Cette loi organise la flexibilité de son application puisqu’elle confie l’agréation au secteur lui-même. Le titre peut être octroyé à condition que la profession soit exercée à titre principal depuis deux ans au moins, qu’elle soit rémunérée et qu’elle porte sur l’information générale. La loi ajoute que le journaliste professionnel ne peut exercer aucune espèce de commerce, et notamment aucune activité ayant pour objet la publicité (à moins d’être directeur). La loi définit les médias d’information générale comme ceux qui « d’une part, rapportent les nouvelles concernant l’ensemble des questions d’actualité et qui, d’autre part, s’adressent à l’ensemble des lecteurs, des auditeurs ou des spectateurs »45. En 1996, les commissions d’agréation, les associations d’éditeurs, l’AGJPB et la presse périodique ont approuvé à l’unanimité l’amendement qui redéfinissait l’ « information générale » comme « toutes les questions d’actualité, quelle que soit la spécialité ». Geneviève Thiry (CSA) soulève la contradiction entre la loi de 1963 (qui distingue l’information générale et l’information spécialisée) et le décret sur les services de médias audiovisuels (qui exige que les programmes d’information, quels qu’ils soient, soient gérés par des journalistes professionnels agréés). 45 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 103 Un arrêté royal organise la procédure, le fonctionnement des commissions d’agréation et des commissions d’appel46. La commission d’agréation est composée de façon paritaire de journalistes et d’éditeurs (qui sont bénévoles et nommés par arrêté royal sur proposition du secteur). Suite aux avis de la commission d’agréation, le SPF Intérieur délivre les cartes de presse officielles (les documents de presse sont renouvelés tous les cinq ans, ce qui ne correspond pas au rythme des nominations des membres des commissions). L’AGJPB (Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique) transmet les dossiers à la commission d’agréation. En ce qui concerne les documents francophones, l’AJP introduit la demande de documents au SPF Intérieur et envoie la carte aux journalistes. La carte de presse témoigne de la reconnaissance du titre de journaliste professionnel par la profession elle-même ; elle ne correspond pas à l’entrée dans la profession (puisque les journalistes effectuent un stage professionnel de deux ans) et ne doit pas être confondue non plus avec une simple carte de réduction et d’accréditation. L’agréation des journalistes de profession (qui peuvent s’affilier à l’AJPPAssociation des journalistes de la presse périodique) passe par une instance qui ne joue qu’un rôle consultatif. Conformément ou non à l’avis de cette commission, le SPF Intérieur délivre les documents de presse. Il peut donc passer outre les décisions de la commission d’agréation de la presse spécialisée et le fait régulièrement. Concrètement, la commission d’agréation des journalistes professionnels est chargée de la reconnaissance et de la protection du titre, puisque la loi de 1963 exige que les journalistes s’abstiennent de dépendre d’un pouvoir quelconque (comme des activités promotionnelles ou même des activités de communication)47. L’exigence de cette incompatibilité peut s’avérer délicate : des journalistes dans une situation précaire (comme les jeunes et les photographes de presse, qui par nécessité, travaillent pour des catalogues ou des rapports annuels d’entreprise48) sont acculés à exercer Il y a deux commissions d’agréation de première instance (une francophone et une néerlandophone), deux commissions d’appel (une francophone et une néerlandophone), présidées par des magistrats, ainsi qu’une commission consultative pour les étrangers créée au début des années 1990 (qui fait office de premier filtre et qui transmet à la commission d’agréation de première instance). 47 Marc Chamut (Commission d’appel) signale que le Conseil de déontologie a récemment pris position en faveur de l’octroi des autorisations aux journalistes afin qu’ils puissent faire de la publicité pour leur média (en précisant qu’on ne peut pas pour autant imposer de telles activités aux journalistes). 48 Simon-Pierre De Coster (RTBF) fait remarquer que le même problème se posera de plus en plus pour les cameramen qui exercent des activités complémentaires en entreprise. 46 104 Chapitre 2 d’autres activités professionnelles pour arrondir leurs fins de mois49. Soit ces personnes travestissent la réalité face à la commission d’agréation, soit elles ne demandent pas leurs documents de presse50. Il est extrêmement difficile de savoir combien de personnes qui exercent le métier de journaliste n’introduisent pas de demande de reconnaissance professionnelle (il s’agit parfois même de rédacteurs en chef). En général, elles finissent par introduire une demande de reconnaissance lorsqu’elles se rendent compte du manque à gagner que cela représente pour leur pension (cela ne concerne que les journalistes salariés, et non les indépendants). Le grand atout de la loi de 1963 réside dans sa souplesse qui a permis d’octroyer le titre de journaliste professionnel au personnel des nouveaux médias. Depuis 1963, les commissions d’agréation ne se sont pas limitées à l’application stricte de la loi mais l’ont adaptée à l’évolution des supports de diffusion et de la profession (toutes-boîtes, radios locales, Internet, etc.). La loi comprend une version large du terme « rédaction », tout en en excluant les activités commerciales, techniques et administratives. La commission juge au cas par cas et reconnaît la singularité de chaque situation. Par ailleurs, l’octroi et la reconnaissance du titre professionnel amènent de facto une adhésion du journaliste à la déontologie. En signant la déclaration qu’envoie l’AJP à tout journaliste nouvellement agréé, celui-ci accepte les codes déontologiques en vigueur dans la profession51 et reconnaît les instances compétentes (dont l’AJP et le CDJ52). Cette démarche vaut pour les membres comme pour les non-membres de l’AJP. Environ 90% des journalistes professionnels sont membres de l’AJP. Jean-François Dumont fait remarquer qu’un flou s’est immiscé dans l’incompatibilité affirmée par la loi de 1963, puisque la Commission d’agréation a prévu une exception quand il s’agit d’activités de communication exercées dans le secteur non-marchand ou humanitaire. 50 La pression est d’autant plus forte, selon Mateusz Kukulka, que de plus en plus d’employeurs cherchent des journalistes qui ont justement une autre activité dans la sphère culturelle. 51 Le code des principes de journalisme pour les médias belges a été adopté en 1982 par l’AGJPB, l’ABEJ (Association belge des Éditeurs de Journaux) et Febelmag. Celui-ci est joint à la convention collective actuellement négociée entre les JFB et l’AJP et constitue en ce sens une référence dans le secteur. 52 Le CDJ (Conseil de Déontologie Journalistique créé en décembre 2009) est chargé de codifier, c’est-à-dire de compléter, d’affiner et d’actualiser les principes de déontologie pour les médias de la FWB et de la Communauté germanophone. 49 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 105 B. Diversité des situations professionnelles À l’heure actuelle, 5.780 journalistes professionnels sont agréés en Belgique : 3.033 dans le rôle francophone (dont 800 étrangers) et 2.747 dans le rôle néerlandophone. Depuis 1995, le nombre de journalistes professionnels augmente constamment (dans la FWB, il a augmenté de 830 unités en 15 ans). La répartition des journalistes professionnels par secteur est la suivante (selon les chiffres de l’AJP, issus de la base de données des agréations au titre) : dans l’ordre décroissant, les plus gros employeurs de journalistes salariés sont la presse quotidienne (541), la RTBF (460), les douze télévisions locales (204), RTL (172), la presse magazine (140) et les agences de presse (88). - - - Selon Philippe Samek (CSC-CNE), il y a de moins en moins de journalistes sous contrat à durée indéterminée et de plus en plus d’intérimaires. Du côté des journalistes indépendants, il existe deux catégories de pigistes : les non-professionnels qui, en plus d’une autre activité, collaborent en tant que correspondants locaux ou régionaux, chroniqueurs spécialisés (ou sportifs) et les pigistes professionnels (auxquels on peut assimiler les stagiaires en exercice pendant les deux années d’attente53). En théorie, les pigistes professionnels travaillent pour plusieurs médias. Dans la FWB, on dénombre 512 journalistes indépendants inscrits au rôle francophone, 44 étrangers et 130 affiliés à l’AJPP. Dans les médias d’information générale, la proportion des pigistes professionnels est passée en dix ans de moins de 20% à 23% (en 2011)54. Cette proportion est plus importante parmi les stagiaires (environ 40%), vu que le statut d’indépendant est devenu un passage quasi obligé vers le statut salarié55. La catégorie des « faux indépendants » ne correspond pas à un statut mais à une réalité de terrain : des journalistes travaillent pour une seule rédaction et ont le sentiment de remplir les mêmes fonctions qu’un salarié. Dans l’enquête menée par Céline Fion L’AJP admet entre 50 et 90 stagiaires par an, c’est-à-dire des journalistes qui ont trouvé un emploi depuis au moins trois mois, en tant qu’indépendants ou salariés et qui travaillent dans des conditions permettant ultérieurement leur agréation. 54 Les journalistes indépendants sont plus nombreux en réalité puisque nombre d’entre eux ne sont pas agréés et exercent des activités incompatibles avec la reconnaissance professionnelle. 55 En Europe de l’Est, les journalistes indépendants représentent parfois plus de 50% de l’effectif journalistique. D’après Mateusz Kukulka, les jeunes sont indépendants trop tôt et souvent livrés à eux-mêmes. Ils sont alors tiraillés entre deux situations : travailler énormément ou faire face à d’importants problèmes financiers. 53 106 Chapitre 2 - (en 2008-2009), un journaliste indépendant sur trois s’est déclaré attaché exclusivement à un média, un journaliste sur deux n’a pas voulu répondre à la question. La proportion de faux indépendants est donc au minimum d’un tiers et est sans doute beaucoup plus élevée. Dans un contexte de concurrence accrue, sont apparus, depuis quelques années, des « faux salariés » (qui ont des contrats à la prestation, pour une journée ou une semaine, entrecoupés de périodes de chômage) et ce, essentiellement dans le secteur audiovisuel. De nombreux « faux salariés » et stagiaires passent par des sociétés de service, comme la SMart et Merveille qui assimilent les collaborations indépendantes à un contrat de travail, qui retiennent le précompte professionnel et des cotisations sociales et qui paient un montant net au travailleur56. De telles sociétés de services permettent aux journalistes de rester dans le régime de sécurité sociale des travailleurs salariés et de combiner des contrats de travail temporaires et des indemnités de chômage (avant, le plus souvent, d’évoluer vers un statut de journaliste indépendant complet). Pour compléter la « radioscopie » de la profession journalistique en FWB, il reste à ajouter que - - - le métier de journaliste est peu féminisé (puisqu’il ne compte que 30% de femmes contre 70% d’hommes)57 : la forte majorité de diplômées (70%) est déjà moins significative au moment de l’entrée en fonction (57% de femmes)58. l’on perd un tiers de l’effectif journalistique entre 51 et 55 ans et un autre tiers entre 56 et 60 ans. L’évolution du salaire chute après l’âge de 60 ans ou après 30 ans d’ancienneté. la profession de journaliste est faiblement syndicalisée, sans doute parce que le syndicat n’offre pas de véritable expertise sur les formes de salaire des journalistes. Les syndicats ne comptent que très peu de représentants des journalistes en situation précaire (en particulier, Le passage par ce type d’intermédiaire implique une différence importante entre le salaire brut et le salaire net, vu le prélèvement des cotisations sociales mais aussi des commissions qui vont de 5 à 9%. 57 Selon Martine Simonis (chiffres FIJ), les femmes représentent 80% des journalistes russes et 42% des journalistes français. Denis Ruellan observe, pour le cas français, une féminisation croissante de la profession de journaliste : les femmes approcheraient désormais la barre des 50%. 58 Une étude menée en Flandre montre que les femmes quittent massivement la profession à 35 ans. 56 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 107 les indépendants) et en situation nouvelle (comme les journalistes multimédias). C. Des conditions de travail précaires, en particulier pour les indépendants Du point de vue salarial, les barèmes officiels (qui peuvent, dans la réalité, être augmentés ou complétés par divers avantages extra-légaux59) sont marqués par une forte disparité. Globalement, à l’exception du personnel de la RTBF, les journalistes gagnent moins que les enseignants agrégés de l’enseignement supérieur. Les indépendants payent des cotisations sociales importantes durant les trois premières années d’activité (les montants seront par la suite réajustés aux revenus réels). Parmi eux, ceux qui ne sont payés qu’en droits d’auteur (considérés comme des revenus mobiliers, soumis à une fiscalité distincte) ne sont pas couverts socialement, sauf s’ils payent spontanément et volontairement une couverture sociale minimale. En outre, ces rémunérations en droits d’auteur amènent le risque de requalification par le fisc de ces droits en revenus professionnels, ce qui entraîne une imposition plus importante et une amende en cas de fraude. Selon l’étude récente de Céline Fion, 80% des journalistes estiment que le métier a évolué plutôt négativement60 ; 40% ont envisagé de quitter la profession avant la fin de leur carrière (à cause des horaires et de la chronophagie du métier, du salaire, des moyens mis à disposition…) ; 47% sont insatisfaits de leurs conditions de travail ; selon les 754 répondants (soit 36% des journalistes professionnels francophones), l’insuffisance de moyens techniques et humains ainsi que l’insuffisance de temps (et dans une moindre mesure, le conformisme des rédactions et la pression économique) sont les facteurs qui portent le plus atteinte à la qualité du travail fourni. 10% des journalistes sont en burn out clinique. D’après l’AJP, les journalistes effectuent 23% d’heures de plus que ce que prévoit leur contrat de travail. Plus de huit journalistes sur dix estiment que leur salaire n’est pas équitable par rapport à leur charge de travail. Daniel Van Wylick (Rossel) signale que certains médias accordent une assurance groupe, une assurance hospitalisation, des titres-repas, un double pécule, un budget de fonctionnement ou encore une voiture de société. 60 Des nuances sont évidemment à apporter : le taux de satisfaction est plus élevé dans le secteur audiovisuel que dans la presse écrite, chez les salariés que chez les indépendants. Une synthèse des résultats est disponible sur http://www.ajp.be/telechargements/dossiermoraljournalistes. pdf. 59 108 Chapitre 2 Malgré tous ces griefs, selon l’étude de Céline Fion, 82% des journalistes se déclarent heureux d’exercer ce métier. Globalement, les journalistes souffrent plus de devoir rendre un travail de moindre qualité que du manque de revenu proprement dit. Tel qu’il a été étudié notamment par Alain Accardo61, ce paradoxe touche de nombreux intellectuels qui sont prêts à supporter des sacrifices importants pour exercer un métier qu’ils jugent intéressant ou socialement valorisant62 : le sociologue français utilise le terme d’ « autoexploitation » dans le sens où « les producteurs de biens symboliques, beaucoup plus que les travailleurs manuels, acceptent des horaires difficiles, se soumettent à des tâches qu’on ne leur avait pas demandées parce qu’ils vivent leur métier comme un accomplissement personnel, comme une activité quasi ludique »63. Au travers de deux enquêtes menées en 2005-2006 et 2011, l’AJP a mis en lumière la situation particulièrement préoccupante des journalistes indépendants. Ces enquêtes ont concrètement révélé : - les tarifs (pratiqués) dérisoires et très variables, dans la mesure où les pigistes peuvent être payés au signe (ce qui est générateur de dérives d’autant qu’on paye souvent en fonction de signes non pas rédigés mais publiés), à la page, à l’article, à la prestation horaire ou journalière, au forfait ou à la tâche (telle qu’une mise en page)64. Les barèmes sont marqués par une très grande diversité selon les médias : une brève peut par exemple être payée entre 1 et 20 €. Cette disparité apparaît également au sein d’un même média : selon les décisions du chef d’édition, le sport n’est pas payé comme l’information générale, l’économie ou la culture…La seule grille tarifaire (ayant fait l’objet d’une convention entre les éditeurs de presse quotidienne et l’AGJPB) prévoit des barèmes minimums très bas (1,7 centimes pour un signe et 26,44€ pour un tirage photo N/B) mais ceux-ci ne sont même pas toujours respectés par les éditeurs. L’AGJPB recommande pour la presse écrite des tarifs légèrement supérieurs : de 1,8 à 4,2 centimes le signe selon le type d’article ou Voir Accardo, A. (s.dir.), Journalistes précaires, Bordeaux, 1998. En France, les journalistes sont 92% à se dire heureux d’un point de vue professionnel. 63 Cité par Céline Fion. 64 Daniel Van Wylick souligne l’ineptie que constitue la tarification au signe et l’intérêt d’un système qui valorise les éventuels déplacements : selon ce système, une photo ne nécessitant aucun déplacement mérite d’être payée 35€ ; un reportage simple ou une photo, 50€ et un reportage exigeant un déplacement et donc du temps, 100€. Idéalement, il faudrait moins valoriser la longueur d’un article que l’intensité du travail mobilisé. 61 62 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » - - 109 le tirage. La Sofam recommande l’application de tarifs qui varient selon le type de publication65. Malgré les barèmes agréés, nombre de journalistes reçoivent moins de 0,017€ par signe. La grille tarifaire établie par un média est un outil intéressant à condition qu’elle fixe des tarifs décents, qu’elle fixe des critères clairs et peu nombreux (afin de limiter l’arbitraire) et qu’elle soit indexée66. Les photographes de presse sont particulièrement touchés par les tarifs dérisoires (d’autant que l’évolution des technologies entraîne des frais extrêmement lourds), les demandes vis-à-vis des rédacteurs de prendre eux-mêmes des photographies, la concurrence tarifaire des banques d’images et des sources d’images gratuites et la pression des agences photos (qui imposent leurs conditions et exigent parfois la cession gratuite des droits d’auteur)67. les revenus indécents et invivables ; selon les chiffres récoltés en 2011, près de 75% des pigistes sont payés en honoraires, 20% sont rémunérés selon une formule mixte et près de 6% ne perçoivent que des droits d’auteur. Sur les 152 répondants, plus de la moitié des pigistes signalent qu’ils ne dépassent pas 2300 € bruts par mois. le travail durant les week-end et les jours fériés qui est payé au même tarif que les jours ouvrables, ainsi que les fréquents retards de paiement. La situation des indépendants est d’autant plus alarmante qu’il n’y a pas toujours de trace écrite des accords entre médias et pigistes. Les conventions de collaboration, plus sûres et transparentes, se multiplient mais présentent plusieurs manquements en termes de protection des conditions de travail des indépendants : certaines conventions prévoient une intégration des frais (de transport) dans les honoraires, des clauses d’exclusivité non valorisée (il est interdit au pigiste de travailler pour un autre média sans que sa rémunération ne soit ajustée à cette exigence) et une cession gratuite des droits d’auteur qui sera imposée pour toute republication, publication, exploitation d’archives… Selon Mateusz Kukulka, les droits d’auteur sont ainsi pris en otage par Voir http://www.sofam.be/main-fr.php?ID=111&titel=Tarifs+Belgique, consulté le 18 décembre 2011. 66 Les tarifs sont bloqués depuis 5, 10, 15 parfois même 20 ans. Non seulement les barèmes n’ont pas du tout augmenté, mais ont même régressé dans certains cas : La Libre, Le Soir et Vers l’Avenir ont longtemps gardé les mêmes tarifs avant de les faire régresser : le signe était tarifé en 1993 à 0.05 € ; en 2006, à 0.025€. 67 Voir, à ce sujet, les contributions écrites de la Presse Photographique et Filmée (accessibles sur le site egmedia.pcf) qui soulignent notamment la modicité des tarifs pratiqués sur Internet qui oscillent entre 0 et 0,75 centime par unité. 65 110 Chapitre 2 certaines directions. Nombre de conventions ne prévoient, en outre, aucune mesure particulière en cas de cessation d’activité (imposée par l’éditeur), alors que des pigistes sont restés fidèles à leur média pendant des années, voire des décennies. Enfin, il convient de signaler les difficultés psychologiques rencontrées par les journalistes indépendants qui, souvent, travaillent seuls et ne sont pas intégrés à la vie de la rédaction. D’après Mateusz Kukulka, les conditions de travail des journalistes indépendants sont exécrables et amènent les travailleurs à effectuer des tâches pour lesquelles ils ne sont pas formés. De nombreux journalistes sont découragés, épuisés et acculés à travailler parfois de 7h à 23h. Le journalisme indépendant peut être considéré comme une méthode de recrutement mais une fois qu’il devient structurel, il engendre une concurrence et une pression sur les salariés. En FWB, la concurrence qui se joue entre indépendants et entre indépendants et salariés est aujourd’hui extrême et est accentuée par la pléthore de diplômés. La surabondance de main-d’œuvre entraîne un chômage important, une baisse des tarifs (jusqu’au travail gratuit) et une grande précarité des jeunes. Selon Mateusz Kukulka, les rédactions jouent la concurrence entre journalistes expérimentés et débutants (bien moins payés), ce qui entraîne une évidente perte de qualité (surtout dans la presse locale). D’où la nécessité de démystifier la profession à l’attention des étudiants (comme le fait déjà l’AJP au travers de diverses initiatives). D. Nouveaux médias, nouveaux défis L’essor des médias numériques entraîne une production d’information en flux continu, donne lieu à une multiplication des contenus et des supports et impose aux producteurs d’information de gérer désormais l’interactivité permanente avec leur public. Le travail confié à une seule personne a augmenté vu la multiplication des supports, mais surtout vu l’estompement des limites temporelles et l’intégration au métier de journaliste d’une série de tâches techniques (qui le rend indispensable de la création d’un sujet aux portes de l’imprimerie). Selon Philippe Mac Kay, les nouvelles techniques de travail imposent un stress permanent et une concurrence continuelle entre médias : il est devenu pratiquement impossible de sauvegarder un scoop. La rapidité prend de plus en plus souvent le pas sur la fiabilité. Selon Mateusz Kukulka, l’immédiateté n’est pas l’apanage d’Internet : les journalistes ont toujours voulu travailler vite. Au-delà des évolutions et de l’apparition d’une diversité d’écritures (via le texte, les sons et les images), le journalisme doit Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 111 rester l’activité qui consiste à collecter, rassembler, vérifier et commenter des faits pour les porter à l’attention du public à travers les médias. Il importe de ne pas faire primer les compétences techniques sur les compétences journalistiques. D’après l’étude de Céline Fion, 54% des sondés pensent que la qualité du travail fourni est menacée par l’aspect multimédia qui implique que les journalistes doivent à la fois écrire, faire des photos, de la vidéo et prendre du son. L’accumulation de tâches assumées par une seule personne cause non seulement le stress des individus concernés, mais aussi une perte de travail pour les techniciens. Ce n’est pas la diversité des tâches qui inquiète les journalistes mais la surcharge de travail et donc la diminution du temps consacré à la réalisation d’un article. Pour Mateusz Kukulka, la polyvalence devrait non pas être imposée mais valorisée (financièrement). Par ailleurs, 38% des journalistes ont classé l’Internet comme une des deux principales sources d’information. En cela, l’immédiateté de l’accès à l’information est un outil intéressant pour les journalistes, même s’il s’agit de manier celui-ci avec prudence. D’après plusieurs intervenants, le secteur médiatique n’a pas encore complètement digéré la transition numérique. Dans ce nouveau système, l’information acquiert de la valeur via la gestion d’une audience et l’animation de communautés virtuelles. Aux yeux de Mateusz Kukulka, un article vaut aujourd’hui autant par son contenu propre que par les contenus qu’il suscite, à condition que ces derniers soient correctement gérés. Cela est d’autant plus vrai si les commentaires constituent une porte d’entrée pour des contributions de qualité signées par des experts ou des étudiants qui ne sont pas encore connus sur la scène publique. Or, les forums et la gestion des commentaires sur les sites des médias d’information continuent à poser d’importants problèmes. Le contexte de concurrence, la profusion de potentialités techniques (qui amène à une confusion entre les fins et les moyens) et l’emprise de l’économique sur le rédactionnel constituent des facteurs de menace pour la déontologie journalistique68. Pourtant, le respect de ces normes constitue, selon le CDJ, une des solutions face à la concurrence de plus en plus rude entre les différents médias. Damien Van Achter fait d’ailleurs remarquer Entre les normes juridiques (imposées par la société) et l’éthique personnelle, les normes déontologiques émanent de la profession elle-même. 68 112 Chapitre 2 que les blogueurs non-journalistes qui ont gagné une audience et qui font acte de journalisme ont implicitement adopté les règles de déontologie journalistique. Sur le terrain, certains journalistes, en situation précaire, sont dans l’impossibilité de refuser un papier qui leur serait imposé par la rédaction ou sont obligés de réaliser des tâches pour lesquelles ils ne sont pas adéquatement formés. D’autres font preuve d’une certaine inconscience, c’est-à-dire d’un manque de connaissance de ce qui est à faire ou non. Un manquement à la déontologie n’est pas nécessairement un acte volontaire, mais une conséquence des conditions financières, sociales, statutaires du travail de journaliste qui ne permettent pas toujours le déploiement d’une activité intellectuelle. C’est pourquoi, parallèlement à l’évolution incessante du métier, les garants de la déontologie doivent veiller au maintien de bonnes conditions d’exercice du journalisme. E. Propositions et recommandations des journalistes et de leur association De l’avis de nombreuses personnes auditionnées, les conditions précaires de production de l’information menacent la qualité des contenus, alors que la précarité amène des journalistes à chercher des revenus complémentaires, ce qui soulève des questions de déontologie et de statut légal de journaliste professionnel. L’AJP formule, dans ce sens, neuf pistes d’action politique pour renforcer la qualité des contenus journalistiques, via des clauses sociales et des mesures de démocratie rédactionnelle qui seraient à ajouter aux décrets de la FWB. L’Association des Journalistes Professionnels propose concrètement de : 1°) réduire la pression et la charge de travail. Une première disposition consisterait à augmenter les effectifs journalistiques. Il conviendrait, pour ce faire, de lier davantage les aides publiques aux médias à l’effectif salarié des rédactions et d’aider les éditeurs qui engagent les journalistes à durée indéterminée. Concrètement, l’AJP propose de faire passer le critère de l’emploi (pour les aides à la presse) de 40% à 60%, et d’appliquer cette disposition aux autres médias69, ainsi que 69 Les aides à la presse sont réparties selon deux critères : les revenus publicitaires (dont dépendent 40% de l’aide), le nombre de journalistes professionnels salariés, à condition que ceux-ci soient titulaires de la carte ou dans les conditions pour l’obtenir (dont dépendent également 40% de l’aide) et d’autres critères (dont dépendent les 20% restants). Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 113 de faire figurer le respect des barèmes parmi les critères d’octroi des aides à la presse70. 2°) améliorer les revenus. Une première solution serait de limiter la durée des stages étudiants qui finissent par fournir du travail gratuit aux éditeurs. Quand ils sont trop longs, les stages posent des problèmes de concurrence et d’encadrement. Plus largement, du travail à l’essai au travail non rémunéré, le bénévolat se généralise dans les rédactions71. L’AJP souhaiterait que les médias s’engagent formellement à privilégier le recours aux professionnels pour enrayer le phénomène de main-d’œuvre gratuite. Par ailleurs, il faut respecter les barèmes existants et renégocier ceux qui sont les plus bas (c’est-à-dire ceux qui sont fixés par les commissions paritaires 227 et 329), améliorer la situation des faux-indépendants, revoir à la hausse les tarifs des piges et des photographies de presse, notamment pour les republications. Pour les secteurs autres que la presse quotidienne (c’est-à-dire la presse périodique, l’audiovisuel, les sites web), il faudrait convenir de barèmes minimums conventionnels pour les indépendants afin d’offrir une protection minimale aux pigistes professionnels72. 3°) valoriser / monétiser les droits d’auteur. Il faut reconnaître le statut d’auteur à tous les journalistes, quel que soit leur statut ou le secteur dans lequel ils exercent leur métier. Il conviendrait, en particulier, de supprimer la présomption de cession des droits dans le secteur audiovisuel où les journalistes sont, la plupart du temps, privés de leurs droits d’auteur. La rémunération des droits d’auteur peut se faire en complément du salaire ou des piges73. L’imposition de la cession 70 Les critères d’octroi des aides à la presse doivent être précisés et le contrôle de leur respect doit être confié à une instance indépendante des bénéficiaires des aides (actuellement, les éditeurs siègent dans l’instance qui contrôle le respect des critères d’octroi). Une autre manière de diminuer la charge de travail consiste à rémunérer les heures supplémentaires. 71 Dans ce sens, l’AJP veille à informer les jeunes ou futurs journalistes à ce sujet et à leur conseiller de ne plus travailler bénévolement (ainsi que de veiller au respect de leurs droits d’auteur et de s’affilier à une société de gestion des droits). Il conviendrait également d’harmoniser les tarifs au sein d’un groupe de presse. L’AJP est, par ailleurs, d’avis qu’il faudrait généraliser le contrat d’étudiant (qui est d’ailleurs assoupli depuis le 1er janvier 2012). 72 Pour Marjorie Dedryvere (The Ppress), l’harmonisation des tarifs et des barèmes n’est pas souhaitable, ni même autorisée, dans un système de libre concurrence. 73 Par exemple, le protocole signé par l’AJP et les éditeurs de presse quotidienne prévoit de payer les journalistes salariés à la fois en salaire et en droit d’auteur, ce qui permet d’augmenter les revenus nets de ces travailleurs et de diminuer les charges des employeurs. Et ce, grâce à la nouvelle 114 Chapitre 2 gratuite (qui prive les auteurs de leurs droits secondaires, en cas de republication, exploitation d’archives…) est inacceptable ; les aides à la presse devraient également retenir le critère de la rémunération des droits d’auteur. Martine Simonis et Philippe Samek ajoutent que certains médias invoquent les droits d’auteur pour faire baisser les honoraires (puisqu’ils seront moins imposés). 4°) organiser la formation permanente. Il faudrait notamment soutenir la reconversion professionnelle des photographes qui pourraient redéployer leurs activités dans les nouveaux métiers multimédias. 5°) renforcer l’autonomie des rédactions, en distinguant clairement le chef de rédaction et le chef d’entreprise et en donnant davantage de pouvoir décisionnel aux sociétés de rédacteurs. Concrètement, il s’agit d’organiser plus formellement les rédactions et d’élargir les compétences de ces dernières aux nouveaux médias et aux nouveaux métiers. Dans le même sens, Philippe Samek suggère de faire élire les rédacteurs en chef par les sociétés de rédaction. Alors que l’enquête française de Technologia recommande de doter les rédactions d’une véritable autonomie juridique et qu’en Flandre le redactiestatuut concrétise cette recommandation, les compétences des sociétés de rédacteurs restent, en FWB, peu organisées et peu formalisées74. 6°) s’attaquer au phénomène de burn out qui atteint principalement les personnes perfectionnistes et sensibles au stress (les journalistes correspondent à la catégorie professionnelle la plus touchée, après les métiers de la santé). Dans la mesure où le problème de la précarité législation fiscale de 2008 sur les droits d’auteur qui sont désormais moins taxés que les revenus professionnels. Le système de taxation des droits d’auteur est forfaitaire : jusqu’à un certain plafond, les revenus tirés des droits d’auteur sont considérés comme des revenus mobiliers. Au-delà, ils deviennent des revenus professionnels. Jusqu’à 10.000 euros, la moitié des revenus tirés du droit d’auteur est soumis à 15% d’impôt. Les droits d’auteur sont donc le plus souvent taxés à 7,5%. À terme, l’objectif de l’AJP serait de réguler les questions du salariat et du droit d’auteur pour les journalistes des différents médias. Concernant les indépendants, l’AJP préconise une proportion, dans la facturation, de 70% en honoraires et de 30% en droits d’auteur. Il conviendrait de laisser la liberté aux auteurs (et non aux éditeurs) de fixer un autre pourcentage, comme dans le cas des photographes qui réclament 100% en droits d’auteur lorsque les photos sont republiées. Ils ont été payés en honoraires pour la première publication et leur stock de photos constitue leur patrimoine. 74 À l’heure actuelle, les sociétés de rédaction ne doivent être consultées qu’au sujet de l’organisation des rédactions, de la nomination des rédactions en chef et des modifications de lignes rédactionnelles. Par ailleurs, le mode de consultation des SDR n’est que vaguement défini. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 115 de l’emploi et la résistance au stress des journalistes occultent la question du burn out, celle-ci ne fait jusqu’à présent l’objet d’aucune politique de prévention spécifique alors qu’elle est le symptôme des dysfonctionnements du secteur des médias (charge de travail, mutation du métier…)75. 7°) remédier à la faible présence des femmes dans la profession76. 8°) garantir la diversité des équipes journalistiques afin d’apporter d’autres compétences, sources et angles d’information. 9°) soutenir l’enquête et le reportage via la pérennisation du Fonds pour le Journalisme et l’augmentation de ses moyens. Ce Fonds permet l’enrichissement de l’offre journalistique dans la FWB. Outre ces neuf pistes qui ont été formellement adressées par l’AJP à l’attention des acteurs politiques au niveau de la FWB, d’autres demandes et revendications ont émergé des différentes auditions de journalistes. 10°) L’AJP demande d’envisager l’assouplissement des conditions à l’indemnisation des chômeurs pigistes, en leur appliquant les règles des artistes (qui ont des garanties en ce qui concerne les déductions des allocations en cas d’activité). Cette mesure pourrait d’ores et déjà toucher les salariés qui deviennent chômeurs ou les jeunes qui perçoivent des allocations de chômage et qui veulent devenir pigistes77. 11°) Si l’AJP ne souhaite pas revoir la loi de 1963, elle désire la fusion des Selon Baudouin Lénelle (Canal C), il conviendrait de mettre en oeuvre la prévention des risques liés à la charge psychosociale du travail journalistique et de former spécifiquement les managers des entreprises médiatiques (afin d’améliorer le bien-être dans les rédactions et de promouvoir la reconnaissance du travail accompli). 76 Selon Denis Ruellan, la féminisation croissante de la profession en France (qui approche désormais les 50%) s’explique par un rajeunissement du personnel dans certains secteurs comme la presse quotidienne régionale. De plus, la discontinuité du travail peut être voulue à la fois par les employeurs et par les femmes (qui acceptent la discontinuité en contrepartie d’une organisation flexible du temps de travail). Mais la sociologie du journalisme révèle une nette distinction : les femmes seraient secrétaires de rédaction ; et les hommes, reporters. En Belgique, les diplômées sont plus nombreuses que les diplômés, les filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons et pourtant, trois hommes sont engagés pour une femme. 77 À ce propos, l’AJP détermine si une personne peut postuler au titre de journaliste stagiaire en tenant compte à la fois des revenus liés à ses prestations et des allocations de chômage. 75 116 Chapitre 2 titres (journaliste professionnel et journaliste de profession) et donc celle des deux commissions d’agréation qui délivrent ces titres. Il s’agirait également d’une base intéressante pour la fusion de l’AGJPB et les organes représentatifs de la presse périodique, fusion qui est souhaitée par les associations concernées. 12°) Philippe Samek (CSC-CNE) souligne la nécessité de créer une plateforme qui embrasserait les problématiques rencontrées à la fois par les indépendants et par les salariés. Cela permettrait aux syndicats de représenter aussi les travailleurs non-salariés. 13°) L’AJP souhaiterait rendre obligatoire l’assurance en responsabilité civile à tous les journalistes, selon des modalités qui seraient à établir. Conformément au principe de responsabilité en cascade, un journaliste est considéré comme seul responsable devant la justice78. Or, son média et la hiérarchie rédactionnelle jouent un rôle important dans les choix éditoriaux. Il faudrait que les médias interviennent dans le financement de l’assurance RC professionnelle. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une proportion des revenus déclarés ou d’une cotisation sur chaque pige… 14°) En termes de valorisation des contenus, plusieurs journalistes auditionnés appellent de leurs vœux une forme de labellisation des sites d’information de qualité ou de « presse équitable » qui serait une forme de reconnaissance du traitement social et juste des journalistes professionnels. 15°) Dans le domaine de la déontologie, le CDJ et l’AJP ne préconisent pas de débloquer de nouveaux moyens financiers mais d’opérer des choix qualitatifs en faisant appliquer les textes existants et en asseyant le CDJ dans la profession. Ainsi, il conviendrait de déterminer les limites déontologiques de la politique rédactionnelle des médias, de séparer clairement les rédactions et les autres services des médias (comme la publicité)79, de ne nommer comme rédacteurs en chef (et Actuellement, seuls 100 à 200 des 5.000 journalistes belges y souscrivent. La prime est pourtant très faible (100€ par an). Si d’autres journalistes sont assignés en justice, ils s’adressent alors à l’AJP qui ne peut prendre en charge que les frais de défense (et pas les dommages et intérêts). 79 Dans la réalité, des méthodes subtiles (telles que les opérations de partenariat) sèment régulièrement la confusion. Martine Simonis signale un doctorat mené en Flandre qui a établi que 30% des pressions commerciales subies par les journalistes proviennent directement du service marketing de l’entreprise. 78 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 117 donc comme personnes-références en matière de déontologie) que des journalistes professionnels, d’établir une charte de déontologie interne dans les rédactions et surtout de la faire connaître auprès de l’ensemble des journalistes (dont les pigistes), de modérer et contrôler plus strictement les forums de discussions (à l’instar de l’opération de tolérance zéro lancée récemment par Knack) et d’introduire davantage de cours de déontologie dans la formation initiale. 16°) Dans la mesure où l’économie des médias numériques impose la maîtrise de son propre workflow, Damien Van Achter recommande de favoriser l’entrepreneuriat à vocation journalistique, ce qui permettrait aux journalistes de mieux servir leurs audiences, de se réapproprier leurs outils de production à l’échelle individuelle dans une dynamique de flux et de réseaux, de créer de nouveaux métiers autour du journalisme et de valoriser les compétences des nonjournalistes. 2.1.2. Le point de vue d’une société intermédiaire entre pigistes et médias La SMart est née de la réponse croissante d’artistes intermittents qui, il y a plus de dix ans, n’avaient pas de véritable alternative au travail au noir, illégal ou partiellement déclaré. Dans une logique sociale de mutualisation des coûts, la SMart s’est fixé comme objectif de réduire le fossé entre la situation du demandeur d’emploi et celle de l’employé, c’est-à-dire de permettre aux travailleurs de déclarer leurs revenus sous le statut de salarié, et donc de disposer d’une couverture sociale et de conserver leurs droits au chômage (pour les jours où ils n’ont pas de prestations rémunérées). Concrètement, la SMart conseille ses membres, propose des outils administratifs, juridiques, fiscaux et financiers, tâche de légaliser, sécuriser et simplifier l’activité professionnelle et d’améliorer le cadre légal dans lequel cette dernière s’exerce. Si la formule intérimaire (dans laquelle la SMart a dû finalement se couler en ce qui concerne les prestations non artistiques) n’est sans doute pas idéale pour la profession journalistique, le seul fait que de nombreux pigistes aient recours à de tels services est en soi révélateur des besoins de la profession. Aux pigistes, la SMart offre les avantages suivants : une alternative au statut de faux-indépendant, une meilleure sécurité sociale et la limitation des risques individuels (que sont les impayés, les abus des donneurs d’ordre…) via la défense collective des intérêts des journalistes. 118 Chapitre 2 En outre, le passage par une telle société sert souvent de tremplin vers des situations plus stables 80 . Progressivement, la SMart s’est constituée en tant qu’association professionnelle des métiers de la création (qui ont comme point commun d’être partiellement rétribués en droits d’auteur)81. Les journalistes représentent 1% de la population et des sommes qui passent par la SMart. En 2011, 2.986 contrats de prestations journalistiques ont été enregistrés portant sur un exercice moyen de 3,6 jours, soit en théorie près de 10.000 journées prestées pour 356 clients ou donneurs d’ordre. Le montant facturé par les journalistes via la SMart est de 1.380.000 €. Si l’on divise cette somme par le nombre de jours prestés, on arrive à un budget salarial (charges patronales, assurances, etc. comprises) de 129,5 € par jour (sans connaître la durée des prestations). A. Difficultés quotidiennes du métier de journaliste indépendant Au travers des échanges avec les journalistes qui utilisent leurs services, les dirigeants de la SMart acquièrent une certaine connaissance des difficultés de la profession. Ainsi, les journalistes, interrogés à ce sujet, pointent du doigt plusieurs aspects problématiques de leur situation professionnelle : - - - le statut précaire des pigistes qui n’ont que peu de chance d’obtenir un vrai emploi salarié (bien moins que de devenir de fauxindépendants), qui doivent affronter des irrégularités de commande, qui sont tributaires des décisions de donneurs d’ordres tout-puissants et qui sont les premiers à souffrir des réductions de coûts ; la concurrence entre les donneurs d’ordres, qui exerce une pression sur les prestations et les tarifs des prestataires. Cette concurrence est d’autant plus forte que les journalistes ont le sentiment que les rédactions externalisent de plus en plus la production des contenus (en utilisant notamment les réseaux sociaux) ; des rémunérations peu élevées, c’est-à-dire des articles payés en fonction de la publication et non du travail fourni, une répartition En 2011, seul un tiers des journalistes inscrits à la SMart ont fait appel aux services de celle-ci ; ce qui prouve que le passage par une telle société sert souvent de tremplin vers un autre type de contrat ou peut être cumulé avec d’autres formes de travail (ce statut offre aux journalistes une certaine liberté de choix des contrats). 81 Initialement destinée aux seuls artistes, la SMart s’est progressivement ouverte à diverses disciplines avant de se recentrer sur les métiers de la création en date du 1er janvier 2012. 80 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » - - 119 peu claire entre les honoraires et les droits d’auteur, du travail hors commande qui n’est pas toujours rémunéré ; les difficultés pour obtenir une carte de presse (vu la nécessité d’exercer d’autres activités comme l’aide à la rédaction, la modération de débats, l’animation d’ateliers d’écriture qu’on ne peut comptabiliser comme prestation journalistique) ; une exigence de plus en plus forte de la part des donneurs d’ordres qui attendent des textes courts et variés. Il s’agit de traiter le plus rapidement possible des matières diverses. Aux yeux des journalistes inscrits à la SMart, ces diverses contraintes obligent les pigistes à diversifier leurs activités et les contenus qu’ils produisent et à tenter de rentabiliser le mieux possible leur travail en démultipliant les lieux de diffusion. Au final, de telles conditions de travail portent logiquement atteinte à la qualité du travail fourni et mènent à une uniformisation de l’information. B. Propositions et pistes de réflexion Sans avoir la prétention de résoudre ces différents problèmes, la SMart se présente comme une innovation sociale qui s’est créée en réponse à une véritable attente. Dans une logique d’autocritique, Marc Moura a le sentiment que sa propre société joue le rôle de « pansement » sur un problème qui reste irrésolu (celui de l’absence d’un véritable statut pour les artistes et les journalistes indépendants), crée une sorte de « sous-classe de travailleurs » et de « travail au gris » que les syndicats ont déjà dénoncé. À la lumière des témoignages recueillis auprès de journalistes, Marc Moura perçoit chez les pigistes un besoin gigantesque de médiation qui leur offrirait une marge de manœuvre et de négociation avec leurs donneurs d’ordres. Il faudrait mettre en place une instance médiane qui représenterait les intérêts des journalistes indépendants et qui pourrait, à titre collectif, dénoncer certaines situations, dans une logique de mutualisation des risques individuels. Il conviendrait, en outre, de constituer des fonds qui compenseraient les retards, voire les défauts de paiement. Selon Marc Moura, le système des commissions paritaires et des barèmes, élaboré pour de grosses rédactions, s’avère inadapté à la diversité des situations journalistiques. Alors que certains journalistes cassent les prix fixés par les commissions paritaires, il serait souhaitable d’adopter le modèle d’une charte (qui a été instauré dans le secteur de la BD en France). Dans cette optique, les acteurs du secteur s’engagent à respecter un ensemble de normes, 120 Chapitre 2 notamment barémiques et tarifaires. En cas de non-respect, le professionnel est alors désavoué par ses pairs. L’impact peut être bien meilleur que celui de directives qui seraient édictées par une éventuelle institution extérieure. Plus encore qu’une boîte d’intérim, un secrétariat social de prestataires constituerait sans doute une solution intéressante pour les journalistes indépendants, surtout dans le cas de prestations longues. Cette configuration présente deux avantages principaux : premièrement, elle ferait faire aux journalistes l’économie du prélèvement de 9,7% de leur salaire à destination du Fonds de solidarité des sociétés intérimaires82. Deuxièmement, l’inconvénient des agences intérimaires est que celles-ci se substituent à l’employeur qui peut donc se soustraire à ses responsabilités au niveau des conditions qu’il impose à un prestataire. L’agence d’intérim joue le rôle de paravent alors que, dans le cas du recours à un secrétariat social, les responsabilités resteraient du côté des éditeurs de journaux. 2.1.3. Le point de vue des employeurs et recruteurs Toute révolution technologique transforme la société qui la vit. Il en est ainsi de la révolution numérique des médias qui a des implications au niveau de l’offre, de la demande, du mode de consommation des contenus d’information et donc de la définition et des évolutions du métier de journaliste. L’avènement des supports numériques et la convergence des entreprises médiatiques entraînent une concurrence de plus en plus forte non seulement entre les médias mais aussi entre les médias et de nouveaux acteurs (le public et même les annonceurs qui se mettent à produire des contenus). En conséquence, la « valeur d’usage » de l’information décroît. Globalement, la logique du « one-to-many » (c’est-à-dire du média traditionnel qui s’adresse à tout le monde) laisse la place au « many-to-many » (c’est-àdire aux flux d’information en réseaux). À une multiplication des émetteurs d’informations, répond une diversification des modes de consommation de ces contenus qui peuvent désormais être reçus sur différents supports, à différents moments de la journée ou même de manière simultanée et/ou personnalisée. Pour Daniel Van Wylick, il y a là une perte en matière de sérendipité83 puisque les consommateurs ne lisent plus un contenu par hasard 82 Ces cotisations sont censées payer les primes de fin d’année qui sont rarement perçues par les journalistes qui n’atteignent pas le quota de jours fixé. 83 La sérendipité désigne le fait de trouver quelque chose sans l’avoir cherché. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 121 comme lorsqu’ils achetaient un journal dans son intégralité84. En d’autres termes, selon Philippe Laloux, les médias d’information traversent une triple crise : celle-ci est existentielle (puisque l’utilité sociale du journalisme est remise en cause) ; elle est économique (vu les pressions sur les ventes et sur les tarifs publicitaires) ; elle est également industrielle (dans la mesure où le système de production est passé d’un système de production linéaire à un système de production en flux continu et tendu). Dans ce contexte, les journalistes doivent revoir le mode d’organisation de leur profession ; ils se trouvent menacés à la fois en tant qu’acteurs sociaux en perte de légitimité, en tant qu’employés d’un secteur en crise et en tant que professionnels obligés de s’adapter à de nouveaux outils et usages. De l’avis des différents éditeurs, les conditions de travail des journalistes sont mises sous pression : la principale difficulté réside dans la gestion d’un rythme de plus en plus soutenu et donc du stress qui est désormais permanent. Les journalistes ne travaillent plus pour un seul support (qui est bouclé ou diffusé à un moment donné) mais assurent un service continu : celui d’informer. En corollaire de ce constat, Philippe Laloux fait remarquer que ce stress est partagé par les éditeurs qui doivent, eux aussi, s’adapter à la gestion intégrée des matières en continu pour plusieurs supports. Jean-Pierre Jacqmin ajoute qu’on est passé d’un stress d’information (dans quel ordre présenter les choses ?) à un stress d’édition (quelles informations sélectionner ?). A. Effectifs et conditions de travail à l’heure actuelle Selon François le Hodey, il y aurait aujourd’hui en FWB, 485 journalistes qui sont employés dans la presse écrite quotidienne ; 400 personnes, à la RTBF (qui dit pour sa part employer 289 journalistes auxquels il convient d’ajouter, ces dernières années, entre 18 et 20 ETP pigistes et environ 140 étudiants stagiaires par an) ; 131, dans les TVL (qui parlent, elles, de 133 ETP - 61 femmes et 72 hommes-), 80 à RTL et une cinquantaine dans les radios privées. En ce qui concerne les barèmes, les chaînes de télévision affirment offrir des emplois de qualité : - les TVL proposent essentiellement des contrats à durée indéterminée, ce qui apparaît comme un gage de qualité et d’indépendance. Aux yeux de Mateusz Kukulka, il ne faut pas surévaluer la spécificité de l’Internet : grâce aux réseaux sociaux, on récupère la sérendipité : le « hasard de l’information » réapparaît au travers des commentaires et des systèmes de recommandations. 84 122 Chapitre 2 - Pour les tâches qui s’ajoutent aux 38 heures semaine, un système de compensation est prévu soit par des récupérations, soit par des sursalaires. Les salaires des TVL se situent dans la partie supérieure des barèmes du secteur et sont complétés par des chèques-repas, des assurances groupe, pension, maladie et invalidité, ainsi que par un treizième mois ou une prime de fin d’année. Il est à noter que la commission paritaire 329, qui fixe les barèmes appliqués (et de facto augmentés) par les TVL, a distingué les « vrais » journalistes des autres corps de métier (ingénieurs du son, caméramen, réalisateurs) qui concourent différemment à la production d’information : sont considérés comme journalistes ceux qui possèdent la carte de l’AJP et qui sont engagés pour collecter, traiter et rédiger de l’information85. Cette distinction entre professions s’accompagne d’une différence barémique : les « vrais journalistes » touchent un salaire plus élevé que les autres. Pour sa part, la RTBF soumet les statutaires et les contractuels au même régime (même si la couverture sociale est très différente selon les statuts), propose des rémunérations qui évoluent au fil d’une carrière, même plane, (de 3.253€ bruts à l’entrée à 5.429€ bruts maximum, avec 21 ans d’ancienneté86), des suppléments en cas de fonction managériale (les différents mandats font l’objet d’un système décrétal) et un régime de primes (pour le travail effectué le dimanche ou la nuit). Globalement, la RTBF affirme offrir des emplois flexibles et des horaires adaptés aux différents métiers. Philippe Laloux ajoute que les journalistes deviennent eux-mêmes des médias, c’est-à-dire des producteurs et des diffuseurs d’information. Dans ce contexte, de nombreux indépendants exercent leur profession en dehors de tout statut, se font payer en droits d’auteur, nouent des relations commerciales, et non plus salariales, avec les médias. Le fait que les médias soient devenus les clients des journalistes influe, par ailleurs, sur la qualité des contenus qui doivent être vendeurs et rentables sur le court terme. 85 Martine Simonis (AJP) signale que cette mesure est contraire à la loi de 1963 qui définit le titre de journaliste professionnel. Des personnes sont reconnues comme journalistes professionnels mais payés comme techniciens, alors qu’il s’agit de cameramen bel et bien agréés au titre comme les « vrais » journalistes. 86 Les chiffres donnés par la RTBF s’avèrent plus élevés que ceux que l’AJP a récoltés auprès des organisations syndicales. Selon ces dernières sources, un journaliste de la RTBF gagne 3.127€ bruts à l’entrée et 4.160€ bruts avec 20 ans d’ancienneté. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 123 En réaction au protocole d’accord entre l’AJP et les JFB qui délimite les rémunérations en salaires et en droits d’auteur et qui serait potentiellement étendu aux autres médias, Stephan Van Lierde signale que la situation de la RTBF est particulière, vu qu’elle emploie des agents statutaires de la fonction publique87 et vu qu’il n’est pas toujours aisé d’identifier les auteurs de contenus audiovisuels et numériques (sauf dans le cas de chroniques fournies par des auteurs externes à la RTBF)88. B. Une concurrence accrue entre entreprises médiatiques La viabilité économique des entreprises médiatiques exerce une influence directe sur les conditions de travail des journalistes : sont en jeu non seulement le niveau de rémunération, mais également le degré d’indépendance – et donc, de qualité – du journalisme89. Or, une des conséquences de la révolution numérique est d’accentuer la concurrence entre médias et même avec d’autres acteurs (comme des firmes, qui créent leurs propres médias)90. Les difficultés sont d’autant plus fortes pour les médias qu’une part importante des annonceurs et des lecteurs quitte le système économique de la FWB (vers des acteurs comme Google, Facebook et autres réseaux mondiaux). Pour tous les médias, l’heure est à la récession et à la compression des effectifs. La presse quotidienne et la presse magazine connaissent une baisse de leur diffusion payante et donc une diminution des ressources provenant des lecteurs. À la RTBF, en dépit du nombre croissant de pigistes employés 87 Cela implique notamment que le statut des agents ne peut être modifié qu’avec l’accord des représentations syndicales et que les pensions sont calculées sur la moyenne des cinq dernières années de travail. Une réduction de la rémunération prise en compte aurait donc comme conséquence de diminuer les montants de la pension. 88 Martine Simonis appelle à clarifier la titularité des droits d’œuvres audiovisuelles et numériques (même courtes) et demande en tout cas de ne pas discriminer des auteurs qui travaillent pour la RTBF (et qui ne seraient pas reconnus comme tels) et des auteurs extérieurs (rémunérés en droits d’auteur). 89 Au sujet de l’indépendance, les directeurs des TVL tiennent à souligner que l’autonomie rédactionnelle de leurs chaînes est garantie par les décrets qui imposent une distinction entre le directeur et le rédacteur en chef, la reconnaissance et la consultation d’une société interne de journalisme (en ce qui concerne les modifications de la ligne rédactionnelle, l’organisation des rédactions et la désignation du rédacteur en chef). Par ailleurs, les syndicats sont bien implantés dans les TVL (10% du personnel sont des délégués syndicaux). 90 Ce genre de médias pose toute une série de questions quant au danger de désinformation (à partir du moment où l’on rémunère des internautes pour faire monter une cote de popularité) et quant aux profils recherchés par ces nouveaux employeurs. 124 Chapitre 2 pour les programmes d’information, un plan d’économie impose de ne pas remplacer les départs. Une concurrence déloyale ? Tous les médias sont confrontés à la révolution numérique et font les frais de la concurrence qui en découle. Pourtant, selon les éditeurs de presse écrite, tous n’ont pas les mêmes marges de manœuvre. Ainsi, François le Hodey fait remarquer la place privilégiée de l’audiovisuel dans le paysage médiatique belge francophone, en signalant notamment que les 7.000.000 € octroyés à la presse quotidienne représentent moins de la moitié de la somme que les chaînes de télévision obtiennent des câblo-opérateurs (qui s’élève à 16.000.000 €). Il déplore que la législation protège les droits d’auteur sur des contenus audiovisuels difficiles à plagier (via le principe de présomption de cession des droits), mais pas sur des contenus écrits qui sont constamment plagiés91. Or, il est indispensable pour tous les médias de développer rapidement des contenus sur les plates-formes numériques et les réseaux sociaux ; la présomption de cession qui est accordée aux seuls médias audiovisuels est un facteur de distorsion de concurrence par rapport à la presse écrite qui doit demander l’accord de l’auteur support par support. Dans ce contexte, IPM a passé un accord avec tous ses journalistes qui ont accepté de céder les droits d’exploitation de leur production pour toutes les plates-formes. Vers une harmonisation des conditions de travail ? La révolution numérique estompe les frontières entre médias et entraîne une sorte de déspécialisation du secteur. Ainsi, des conventions collectives cherchent à standardiser les rémunérations, le nombre de jours de congé, la protection sociale de l’ensemble des journalistes. - - François le Hodey se félicite des accords conclus entre l’AJP et les JFB au sujet du régime de travail et de la rémunération en droits d’auteur. Pourtant, il rappelle que les médias traditionnels sont désormais confrontés, sur les plates-formes numériques, à d’autres secteurs où les conditions de travail ne sont pas les mêmes. Les différences de statut pourraient induire des distorsions de capacité concurrentielle. Du côté des médias audiovisuels, la FWB tend à exiger des synergies entre la RTBF et les TVL. Aux yeux des directeurs des TVL, la collaboration entre des services publics qui n’ont pas comme vocation 91 Martine Simonis signale que la présomption de cession des droits facilite le travail des éditeurs mais n’assure aucunement la protection des droits moraux ou matériels de l’œuvre. Une présomption de cession des droits n’empêche pas le plagiat. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 125 d’être en concurrence est souhaitable et raisonnable (notamment au niveau des économies d’échelle qui pourraient être réalisées) à condition que cette collaboration ne s’apparente pas à un rapport de sous-traitance et préserve la diversité des médias. Par ailleurs, en cas de synergie, l’harmonisation des barèmes entre la RTBF et les TVL semble inéluctable, non seulement au niveau des journalistes, mais aussi au niveau des opérateurs et techniciens92. C. Le journalisme de demain, entre expertise et polyvalence Afin de rester rentables, les médias doivent trouver un équilibre entre la valorisation de la qualité du travail journalistique et la nécessaire adaptation aux nouvelles technologies. Marc de Haan reconnaît que l’augmentation de la charge de travail fait nécessairement baisser la qualité de la production, mais affirme qu’une vision trop dogmatique du métier pourrait se révéler suicidaire. Force est, d’ailleurs, de constater que des journalistes compétents et expérimentés sont vite dépassés par des nouveaux-venus qui présentent l’atout d’être polyvalents. Pour sa part, Philippe Laloux regrette que l’ « inculture numérique », qui se joue tant au niveau de certains et éditeurs, ralentisse les mutations et freine l’innovation. D’une part, il convient de valoriser, plus que jamais, le professionnalisme et donc les contenus de qualité à haute valeur ajoutée. Les rédactions doivent, pour survivre, se distinguer par leur offre journalistique et continuer à satisfaire un public disposé à payer des contenus originaux signés par des « journalistes talentueux ». Du côté de la RTBF, Jean-Pierre Jacqmin préconise également de privilégier l’expertise, en permettant aux journalistes de se spécialiser dans une matière déterminée et en accordant du crédit à ces journalistes experts (que l’on peut inviter sur un plateau télé, par exemple). D’autre part, l’agilité numérique s’impose à tous les échelons de la production d’information : elle implique la maîtrise à la fois des enjeux et des pratiques des nouvelles technologies. Dans la presse quotidienne, il s’agit d’être « amphibien », c’est-à-dire capable de diffuser des contenus via un support print et un support numérique. Les journalistes doivent inévitablement s’adapter à l’immédiateté et à l’interactivité. L’immédiateté imprime certes un rythme soutenu à la diffusion d’information (qui ne permet plus de 92 Martine Simonis revendique que cette harmonisation se fasse également entre les journalistes et les autres métiers de l’information afin de se conformer à la loi de 1963. Cela est d’autant plus nécessaire que les différences entre fonctions tendent à s’estomper. 126 Chapitre 2 « garder » un scoop)93 mais ne s’oppose pas nécessairement à la déontologie. Jean-Pierre Jacqmin rappelle la règle imposée à la RTBF qui veut qu’on ne diffuse l’information que lorsqu’elle a pu être recoupée, mais signale que les outils de recoupement et de vérification se sont multipliés grâce à ces mêmes supports numériques. La gestion de l’interactivité amène à une reconfiguration du rôle du journaliste : celui-ci n’a plus le monopole du « quoi savoir » et ne peut qu’ouvrir le dialogue avec son audience, même si la gestion des commentaires et des forums constitue une tâche délicate. Plusieurs expériences sont d’ailleurs menées à l’étranger et tirent directement profit de l’expertise du public94. Au carrefour de la spécialisation et de l’innovation, les rédactions et les professions journalistiques sont donc appelées à se réorganiser. Philippe Laloux préconise de démanteler les organisations pyramidales et de développer des organisations en essaim, selon l’expression d’Alain Joannès (qui propose de développer le travail collaboratif et de juxtaposer les compétences afin de favoriser l’innovation)95. Qu’elles se développent sur un modèle centralisé (autour d’une rédaction qui diffuse des contenus sur différents supports) ou sur un modèle en réseau (qui fait collaborer des acteurs spécialisés dans un domaine), les rédactions devront inévitablement être multimédia, dépasser le traditionnel arrimage au modèle de la presse écrite et donc intégrer la gestion de différents supports : les rédactions web restent trop souvent inféodées au modèle de la presse écrite alors qu’elles ont leurs propres codes. De manière globale, il faut désormais, selon Philippe Laloux, intégrer dans les rédactions les reporters d’images, les concepteurs de sites, les informaticiens qui ne sont pas que des prestataires techniques mais de véritables partenaires du traitement de l’information. Sur le terrain, Jean-Pierre Jacqmin observe lui aussi une reconfiguration du métier du journaliste et y distingue trois tendances : la convergence de certains métiers qui amène à une redéfinition de tâches et de fonctions, la suppression de certains métiers et l’apparition d’autres (en lien avec la gestion des médias numériques). Selon François le Hodey, il faut Eric Scherer affirme qu’il s’agit là d’une évolution imparable : il n’est plus question de garder l’information, à l’ère de l’instantanéité. 94 Ainsi, The Guardian publie son « chemin de fer » en début de journée afin de recueillir des commentaires et des conseils sur les personnes à consulter. Une radio suédoise a fait, elle aussi le choix, d’annoncer les thèmes qu’elle traitera et construit ainsi ses sujets en partenariat avec l’audience. 95 Voir, à ce sujet, Joannès, A., Le journalisme à l’ère numérique, Paris, 2007 et le blog www.journalistiques.fr, ainsi que l’organigramme de la rédaction numérique présentée dans le PowerPoint de Daniel Van Wylick accessible sur www.egmedia.pcf.be. 93 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 127 dépasser le mythe de la personne polyvalente96, tant la différenciation des métiers va s’accroître. En même temps, il reconnaît qu’une rédaction fera se côtoyer des journalistes qui « savent tout faire » et des journalistes qui seront spécialisés pour une matière ou un support particulier97. Daniel Van Wylick inventorie les tâches multimédias ou mono-média qui incombent, de haut en bas, aux postes pré-existants et aux nouveaux métiers98, tels que les directeurs, les reporters (qui travaillent en collaboration avec des documentalistes-recherchistes, des fact-checkers, des experts en référencement99, des photographes et des vidéastes), les architectes de l’information (qui accommodent les contenus aux supports qui leur conviennent le mieux), les éditeurs (qui sont, le plus souvent, monomedia), les journalistes visuels (ou datajournalistes), les webdesigners et les journalistes de communauté (qui sont chargés de gérer l’interactivité avec le public dans le sens du push et du pull, c’est-à-dire qu’il s’agit à la fois de fournir de l’information et d’en retirer). D. Recommandations concrètes Les directeurs des télévisions locales demandent - de refinancer les TVL dans la mesure où la progression des salaires est supérieure à celle des subventions. Actuellement, le financement des TVL est lié, à hauteur de 45%, au volume de production propre (en première diffusion) et au critère de productivité, ce qui a comme effet pervers de donner plus d’importance à la quantité qu’à la qualité de l’information100 ; Selon Marc Fion, il ne s’agit pas d’un mythe : à l’heure actuelle, on impose souvent à un seul journaliste de plus en plus de tâches (écriture, photo, interviews) qui ne peuvent que nuire l’une à l’autre, faute de temps. 97 Selon Philippe Samek (secrétaire permanent régional CSC), l’évolution des médias amène à une dualisation du paysage qui distingue des médias hyper-spécialisés qui permettent à un journaliste d’investigation de faire un vrai travail de recherche et les médias généralistes qui travaillent sur la multi-fonctionnalité du métier et vont généraliser la tâche du journaliste tant sur les contenus que sur les supports qu’il investit. 98 Pour une représentation visuelle des rédactions multimédias, voir la présentation PowerPoint présentée sur le site des EGMI. 99 Le rôle de ces experts consiste à connaître les techniques de référencement des moteurs de recherche et à privilégier certains mots et certaines structures de phrases afin d’être le mieux référencé possible. 100 Isabelle Meerhaeghe fait remarquer que le critère du volume de production propre est passé de 80% à 45% et que le critère du nombre d’ETP s’est transformé en critère en termes de masse salariale nette (ce qui tient compte de l’évolution des salaires). 96 128 Chapitre 2 - - - d’instaurer une réglementation du marché de la publicité, en particulier régionale. L’objectif serait de développer des recettes au niveau régional sans subir une concurrence déloyale de la part des médias nationaux plus puissants ; de délimiter les formes de synergie entre la RTBF et les TVL afin d’éviter de tomber dans la sous-traitance et de donner les moyens aux TVL de mettre en œuvre l’harmonisation des barèmes avec la RTBF ; de garantir la liberté des TVL de s’associer, de collaborer et de trouver les synergies les plus propices à leur développement (éventuellement avec des opérateurs privés, à l’instar de ce qui se passe en Flandre avec les éditeurs de presse écrite). De manière plus globale, Philippe Laloux formule les recommandations suivantes : - - - Une meilleure éducation aux médias, dispensée à tous à l’école, permettrait de faire progresser les questions de société et la vente des journaux. Les mécanismes d’aide à la presse devraient être renforcés et réorientés vers la création de cellules « recherche et développement » et vers les investissements dans l’innovation. Un Observatoire des Médias d’information devrait être créé et constituerait une instance de collaboration avec les universités, les écoles supérieures et les médias. Cet observatoire aurait pour tâche de faire de la prospective stratégique, de valider les outils et de permettre aux écoles de journalisme d’anticiper et de préparer les nouveaux programmes de formation. 2.1.4. Des points de comparaison En Europe - La FEJ (Fédération Européenne des Journalistes) a pour mission de défendre les droits des journalistes auprès des institutions européennes. Il n’existe aucune définition unique du statut du journaliste dans l’UE. La diversité des situations politiques, économiques et professionnelles explique la coexistence de plusieurs types de réglementation : - Le système d’accréditation fait intervenir une carte certifiant que la personne pratique un journalisme régulier et professionnel. Les « commissions de la carte » prennent en considération des critères Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » - - 129 différents, tels que la formation de journaliste (cela est surtout est le cas dans les pays du sud de l’Europe et en Amérique Latine, où l’on exige souvent un diplôme universitaire). Ailleurs, on estime généralement qu’on peut valider des compétences et non lier la profession à un diplôme unique. Le système de licence impose des obligations légales aux personnes qui exercent le journalisme et qui s’exposent ainsi à une sanction administrative ou pénale. C’est le cas en Italie où il existe un Ordre des Journalistes dont l’on peut théoriquement être radié. D’autres systèmes, comme dans la plupart des pays anglo-saxons et d’Europe du Nord, prévoient que l’adhésion à un syndicat de journalistes constitue la preuve d’une activité journalistique. La dérégulation des contrats de travail et la diversité croissante des situations professionnelles qui s’ensuit tendent à limiter la représentativité des syndicats. Des divergences importantes existent au niveau des journalistes indépendants qui tantôt sont présumés salariés (comme en France), tantôt sont exclus des syndicats en vertu de leur caractère « libre » (comme en Grèce), tantôt sont automatiquement concernés par les conventions collectives négociées par les syndicats (comme au Danemark). En Europe centrale, il n’y a pas de véritable représentation de patronat, ce qui rend de facto les conventions collectives impossibles. À ces systèmes de régulation, se superposent des systèmes d’autorégulation de la profession de journaliste qui engendre une responsabilité morale (qui ne doit pas être confondue avec la responsabilité juridique). Ainsi, en Grande-Bretagne, la PCC (Press Complaints Commission) représente à la fois les éditeurs et les journalistes et émet des recommandations et des avis sur l’évolution de la profession. En Allemagne, le Deutscher Presserat est un organisme d’auto-surveillance (c’est-à-dire sans experts externes). Il est chargé de déceler les irrégularités de la presse, d’émettre des recommandations en termes de déontologie ou de respect de la vie privée. Au-delà de ces différences organisationnelles, le milieu des journalistes européens s’accorde pour définir le journalisme comme le métier qui requiert une activité professionnelle régulière, le respect des règles déontologiques, l’acquisition d’un minimum de compétences et souvent, l’affiliation à une organisation associative ou syndicale. Le Conseil de l’Europe a défini le journaliste comme « toute personne pratiquant à titre professionnel dans le 130 Chapitre 2 cadre d’un travail indépendant ou salarié la collecte, la vérification, la mise en forme et la diffusion d’informations au public par l’intermédiaire de tout type de média ». La plupart des pays européens estiment que le statut de journaliste nécessite une rémunération, selon le principe que le journaliste doit jouir d’une certaine indépendance politique, idéologique et économique. Ils ne délivrent donc pas de carte de presse aux blogueurs qui ne sont pas payés en tant que journalistes. Les débats actuels qui s’élèvent en divers lieux à propos des différences entre journalistes professionnels et non-professionnels sont souvent liés à d’autres problèmes comme celui de la protection des sources. La question ne se pose pas tellement dans les médias traditionnels mais surtout dans la « zone grise de l’information » comme les services d’information sur Yahoo ou sur Gmail, les pages Facebook des médias. Les auteurs de tels espaces sont-ils toujours des journalistes professionnels ? Comment définir les personnes qui, au départ, n’ont pas d’activité rédactionnelle mais qui sont amenées à en faire indirectement ? Il y a par ailleurs fréquemment une confusion entre la liberté de la presse et la liberté d’expression (dont chacun peut jouir). Pour Marc Gruber, est journaliste celui qui respecte les principes de liberté de la presse impliquant non seulement des droits mais aussi des responsabilités comme la vérification des faits, la protection des sources et l’analyse des conséquences de ses écrits (notamment le respect des victimes). En Grande-Bretagne, le syndicat national des journalistes accepte en son sein les blogueurs professionnels qui s’engagent à respecter la déontologie de la profession. En Belgique, la Cour Constitutionnelle a rendu un arrêt étendant la protection à toute personne ayant accès à des sources, ce qui n’était pas l’objectif initial. Un autre débat divise la FEJ au sujet des (in)compatibilités entre relations publiques et journalisme. D’aucuns considèrent qu’un journaliste est celui qui tire au minimum 50% de ses revenus de cette activité ; d’autres estiment que les chargés de communication ont eux aussi une responsabilité éditoriale, doivent respecter une certaine déontologie et doivent donc être intégrés aux associations et syndicats des journalistes. En France, la loi-référence en matière de statut des journalistes est la loi Brachard (1935). Celle-ci a fixé les barèmes et a consacré plusieurs avantages importants : - - l’indemnité de licenciement est devenue obligatoire et équivaut à un mois par année d’ancienneté (jusqu’à 15 ans maximum) ; l’arbitrage a été généralisé et rendu obligatoire en cas de licenciement Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » - 131 de journalistes ayant plus de 15 ans d’ancienneté et en cas de licenciement pour faute grave (pour éviter que celle-ci ne prive la personne licenciée d’une indemnité) ; les clauses de conscience et de cession ont été introduites afin de résoudre l’antagonisme entre le lien de subordination du journaliste à son employeur et la liberté intellectuelle propre à la profession. La clause de conscience permet à un journaliste de toucher une indemnité de licenciement s’il quitte son employeur suite à un changement notable de l’orientation philosophique ou politique du journal (cette clause est en fait très difficile à appliquer et l’affaire doit être portée devant un tribunal). Ce départ pour raison d’ « honneur professionnel » n’est pas apparenté à une démission. La clause de cession permet la même chose en cas de rachat du journal et est, elle, automatiquement d’application. La loi Brachard s’applique aux journalistes professionnels mais ne définit pas le statut de ceux-ci. La tâche est déléguée à la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), composée de journalistes et d’éditeurs. Celle-ci attribue une carte à renouvellement annuel, qui ne constitue pas un droit d’entrée dans la profession, mais constate un état : elle doit vérifier que tous les demandeurs remplissent les conditions qui leur ont permis d’entrer dans la profession. Selon l’article L7111-3 du Code du travail français, « est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de la profession dans une ou plusieurs entreprise(s) de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources. Le correspondant qui travaille en France ou à l’étranger est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et répond aux conditions précitées ». L’objectif est de définir ceux qui sont couverts par la convention collective ; on se situe donc au niveau du droit du travail et non du statut légal. Autre loi-référence française, la loi Cressard (1974) prévoit la présomption d’un contrat de travail pour toute convention conclue entre un média et un journaliste et ne lie donc pas le statut de journaliste à la détention de la carte de presse. Elle stipule que « toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, 132 Chapitre 2 moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel, est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération, ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties ». Les journalistes qui travaillent de manière indépendante sont présumés salariés, donc liés par un contrat de travail. Leurs employeurs doivent d’ailleurs cotiser dans un régime de sécurité sociale spécifique calculé sur le montant des piges. La loi Cressard reconnaît aux journalistes pigistes le statut de journaliste professionnel et des indemnités de licenciement. Les pigistes français sont considérés comme des salariés (et ont droit en ce sens à des indemnités de licenciement et au droit individuel à la formation qui s’élève à 21 heures par an par personne), mais n’ont par contre pas la même sécurité d’emploi que les salariés. Plus les pigistes collaborent avec certains médias, plus leurs droits et leurs barèmes s’accroissent. La présomption de salariat prévue par le système français reste innovante car, dans la plupart des pays européens, la moitié des journalistes n’ont pas de contrat de travail à durée indéterminée. Appliquée ailleurs qu’en France, cette disposition offrirait des garanties aux journalistes débutants qui jouiraient d’une garantie sociale plus importante. Il faut néanmoins se garder de toute idéalisation : un grand nombre de vrais pigistes français sont devenus de faux CLP (c’est-à-dire des correspondants locaux de presse dont le statut a été fixé au début des années 1990) qui sont assimilables à des travailleurs indépendants. Actuellement, un grand nombre de journalistes français sont payés en honoraires ou en droits d’auteur ; ces derniers ont fait l’objet de plusieurs conflits depuis l’avènement d’Internet. Les syndicats ont gagné de nombreux procès et ont imposé la signature des accords afin d’obtenir une juste rémunération des droits de contenus diffusés sur la toile. Olivier Da Lage a lancé une réflexion sur les droits d’auteur afin de ne plus prendre comme déclencheur du droit d’auteur le changement de support mais bien le changement de temporalité, ce qui a donné lieu à un amendement à la loi Hadopi, à l’occasion des États Généraux de la Presse. Pendant une période de référence, l’utilisation simultanée sur tous les supports du titre de presse a pour seule contrepartie le salaire ou la pige versée au journaliste. Au-delà de cette période, l’exploitation de l’œuvre journalistique qui perdurerait donne lieu à une rémunération du journaliste. Tant la durée que le mode de répartition de ladite rémunération doivent faire l’objet d’un accord collectif. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 133 L’expérience de Denis Robert apporte un éclairage supplémentaire sur le journalisme français. Denis Robert, qui a mené des enquêtes sur les puissances financières, est parvenu à démontrer que Clearstream (chambre de compensation) a effacé industriellement des traces de transactions alors qu’elle devait normalement conserver ses archives durant quinze ans. L’enjeu était crucial puisque ces listings cartographiaient la finance parallèle. Au total, le journaliste a été touché par 62 procédures judiciaires à son encontre. Cette expérience met en lumière les moyens qui sont mis (ou non) à disposition des journalistes pour mettre en œuvre la liberté de la presse, sans concession, avec le plus d’indépendance possible. Dans cette bataille judiciaire, Denis Robert n’a bénéficié d’aucun soutien de la part des autres journalistes d’investigation mais a par contre profité d’un élan de solidarité de la part d’amis et de journalistes « sans-grade ». Initialement, Denis Robert avait fait le choix de quitter la presse quotidienne parce que les pages d’un journal lui semblaient trop étroites pour faire du journalisme d’investigation. Selon lui, le véritable travail de journalisme se fait dans les livres et dans les films plus que dans les journaux ou sur le web (vu la crainte de nombreux éditeurs d’être impliqués dans des procédures judiciaires onéreuses). La fragilité économique des médias, et en particulier de la presse écrite française, dissuade les médias de se lancer dans des affaires délicates. En règle générale, investir dans les enquêtes n’est rentable que sur le long terme et nécessite donc d’avoir les moyens de ses ambitions101. À la lumière de son expérience, Denis Robert estime que la loi sur la diffamation est trop souvent instrumentalisée pour nuire à la liberté de la presse et museler la liberté d’expression102. Il plaide pour l’idée suivante : il faut empêcher légalement le dépôt de plaintes en diffamation consciemment infondées qui visent à étouffer des affaires. Pour rendre cette loi efficace, il faudrait prévoir des dédommagements suffisamment importants pour qu’ils soient dissuasifs. S’il s’avère que quelqu’un a attaqué à tort un journaliste en diffamation, un décret ou une loi devrait l’obliger à payer dix fois plus (que le journaliste qui serait condamné pour diffamation) afin qu’il n’attaque pas n’importe qui et n’importe quoi. Si une telle loi existait en France, Denis Robert aurait connu beaucoup moins d’ennuis avec la justice lors de ses enquêtes sur Selon Denis Robert, il y a bel et bien un avenir pour une presse papier de qualité (comme le journal XXI qui se vend à 70.000 exemplaires par trimestre). Dans ce contexte économique, les investigations sont bien payées : entre 3 et 5.000 €. 102 Jean-Jacques Jespers signale qu’en Belgique, il est possible d’activer la procédure pour action téméraire et vexatoire. 101 134 Chapitre 2 les paradis fiscaux et l’univers de la finance internationale. Le 3 février 2011, il a gagné le procès que Clearstream lui avait intenté : la Cour a jugé l’enquête sérieuse, de bonne qualité et au service de l’intérêt général. Elle a en outre estimé qu’un journaliste qui se bat contre des entités financières beaucoup plus puissantes que lui a le droit de « se tromper un peu », et a fait ainsi monter d’un cran la liberté d’expression. Les arrêts de la Cour de Cassation font désormais jurisprudence et précisent que Denis Robert a subi un lourd préjudice à la fois financier et moral. Denis Robert revendique le droit de diffamer (qui ne signifie pas mentir mais dire sans preuve). Certaines diffamations sont utiles pour informer et créer de nouveaux rapports de force. Fondamentalement, Denis Robert pense que nos sociétés ont de plus en plus besoin de médias indépendants, forts et puissants et de journalistes bien formés qui prennent du recul, du temps et qui soient capables de trier les informations. Pourtant, la tendance, sur le terrain, est plutôt au remplacement des journalistes expérimentés par des travailleurs médiatiques (media workers, selon les termes d’Alain Accardo). 2.1.5. Mise en perspective théorique Selon Denis Ruellan (professeur à l’Université de Rennes), le journalisme est une activité sociale d’information partagée par de nombreux acteurs dont les journalistes professionnels. L’identité professionnelle des journalistes est traversée par plusieurs paradoxes ; en d’autres termes, elle est travaillée par des intérêts contradictoires qui amènent les journalistes à devoir faire une chose et son contraire, à rester par conséquent dans un entre-deux inconfortable. - Le journaliste est à la fois un auteur et un salarié, c’est-à-dire qu’il doit conjuguer une liberté de travail et de pensée et sa subordination à un employeur qui de facto bride sa liberté et sa gestion du temps. À ce sujet, il est problématique que des journalistes soient aujourd’hui payés en droits d’auteur ou sur facture. Outre les enjeux économiques qu’elle soulève, cette situation tend à affaiblir le lien salarial entre l’individu et l’entreprise et, par là-même, la responsabilité du journaliste vis-à-vis de son employeur et de son public. Un journaliste placé en situation d’auteur éprouve davantage de difficultés à assumer son rôle vis-à-vis de l’information que s’il est salarié. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » - - 135 Le journalisme est une activité à la fois citoyenne et professionnelle et s’assoit sur une légitimité externe (vis-à-vis de la société) et sur une légitimité interne (vis-à-vis de l’entreprise). Les outils actuels ont amplifié (et non pas créé) la collaboration de profanes à la production d’information : aux formes d’auto-publication via la radio, la photo, la presse de quartier, ont succédé les blogs et l’utilisation plus fréquente d’images amateurs. Cette pratique s’est organisée : des acteurs sociaux extérieurs prennent de plus en plus part à la production d’information. Le média n’est plus le lieu d’expression d’un seul émetteur mais un lieu de médiation entre plusieurs émetteurs et plusieurs récepteurs. Ce modèle de réseau amène le journaliste à redéfinir son rôle : il ne doit plus émettre quelque chose mais relier des éléments hétérogènes. La distinction entre intérêt public et intérêt du public constitue un troisième paradoxe, qui est notamment partagé avec les enseignants : ces professionnels doivent à la fois penser à un intérêt public supérieur, tout en composant nécessairement avec les attentes de leur public. L’un des problèmes rencontrés par les journalistes est la pression de plus en plus forte de certaines contraintes économiques qui, endossées par les journalistes, amènent ces derniers à renoncer à l’intérêt public pour se concentrer sur l’intérêt du public. À certains moments, des individus sont obligés d’assumer et d’intérioriser des éléments auxquels ils ne devraient pas être confrontés dans la pratique (comme les contraintes économiques) et de commettre des actes en contradiction avec la déontologie de leur métier. Denis Ruellan préconise, par conséquent - - - de protéger le statut de journaliste comme salarié et de renforcer ainsi le lien de subordination, dans la mesure où la discontinuité extrait le travailleur du salariat. La loi Cressard va dans ce sens mais ne va pas jusqu’au bout puisque les pigistes ne jouissent pas des mêmes avantages sociaux que les autres ; de renforcer la possibilité pour les journalistes d’exercer leurs responsabilités et de faire valoir leur droit de retrait. Il faut créer les conditions d’expression du désaccord et organiser la médiation entre les parties via des acteurs syndicaux et d’autres ; que les médias citent de manière systématique leurs sources d’information, qu’il s’agisse d’un journaliste, d’un lecteur ou d’un service de communication. Le principe de citation des sources est 136 Chapitre 2 fondamental depuis des siècles et n’est pas appliqué quand ces sources sont jugées « gênantes » (comme un service de communication). Les journalistes ont parfaitement conscience de la pluralité des auteurs mais ont d’énormes difficultés à en parler et à le reconnaître. La lisibilité et la transparence des sources restent pourtant un gage de qualité. Il serait intéressant de lancer une réflexion sur le statut des articles (et donc de leurs auteurs) et d’identifier, au-delà du journaliste et de l’éditeur, les autres personnes responsables des contenus informatifs. Eric Scherer (professeur à l’Ecole de Journalisme de Sciences Po et directeur de la stratégie numérique à France Télévisions) pointe la difficulté de trouver des modèles économiques qui permettraient de gérer la transition numérique, ainsi que les écueils culturels qui ont freiné l’adaptation des journalistes aux nouvelles technologies. Le web des années 2000 a entraîné une véritable révolution qui a fait succéder un monde de l’abondance d’informations à un monde de la rareté des contenus et qui a impliqué un processus de démocratisation de la lecture, de la création et de l’innovation. Dans ce contexte, le rôle du journaliste est court-circuité à la fois par le bas et par le haut. Par le bas, puisque l’audience peut désormais prendre le contrôle des moyens de production. Tout le monde est, en quelque sorte, devenu média : twitter est devenue une agence de presse mondiale, les non-journalistes (comme les sauveteurs, les pompiers ou les victimes) sont les premiers à recueillir des témoignages, à collecter des informations, à publier des photographies… Par le haut, puisque le journaliste est également court-circuité par ses sources qui parviennent aujourd’hui à communiquer en se passant des médias : les autorités politiques, culturelles, économiques ont aujourd’hui la possibilité de prendre la parole en-dehors des médias. Bref, le journaliste n’est plus le seul à dire au monde qui il est, il n’est plus seul à écrire le « brouillon de l’histoire ». Quatre fonctions étaient traditionnellement dévolues au journaliste : la collecte des faits, l’enquête et l’investigation, la mise en perspective de l’information, l’analyse et le commentaire. La première et la dernière de ces missions sont aujourd’hui partagées avec l’audience via des espaces numériques comme twitter et les blogs d’experts. L’enquête et l’investigation peuvent aujourd’hui être lancées et menées par des ONG, des fondations, des mécènes (même si cela pose des questions au niveau des raisons d’être de ces enquêtes). Au final, selon Eric Scherer, seule la mise en perspective reste l’apanage des journalistes qui doivent donc valoriser leur rôle de « phare face à l’infobésité », de filtre vis-à-vis du « bruit de l’Internet ». Le journaliste est la seule personne à être payée pour donner un sceau de véracité aux Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 137 informations ; c’est donc le fait de hiérarchiser l’information, d’ « ordonner le chaos » qui donne une véritable valeur ajoutée au journalisme. D’après Eric Scherer, pour survivre, le journalisme n’a d’autre choix que de se réinventer et de tirer parti de la révolution numérique. Il faut ainsi envisager un « journalisme augmenté »103. Augmenté de son audience (en passant d’un journalisme de surplomb à un échange d’informations avec le public via les réseaux sociaux). Augmenté de ses pairs (puisque la convergence des médias ne permet plus de penser en silo et impose de coopérer entre médias, anciens et nouveaux). Augmenté de la collaboration avec les ONG, les universités, mais aussi avec d’autres corps de métier (comme les photographes, les vidéastes, les designers, les développeurs, les statisticiens qui permettent de développer le journalisme autrement). La valeur ajoutée du journalisme et du « rich media » passe notamment par le bon usage des nouvelles technologies (comme la cartographie ou la géolocalisation…). Les atouts du journalisme ne se situent plus dans la maîtrise des outils technologiques (qui est à la portée de tous et qui est un passage obligé pour tout professionnel des médias), mais dans la media literacy (qui est la capacité d’analyser, d’évaluer et de créer des contenus médiatiques) : les journalistes auront un rôle à jouer dans la transmission de ce savoir à destination des citoyens, des entreprises, du monde politique et économique (notamment en termes de copyright, de diffamation, d’injures, de l’utilisation adéquate des différents supports). Un autre défi de taille est, finalement, de retrouver la confiance du public, en écartant le journalisme de connivence ou de fausse objectivité. 2.2. La formation des journalistes Les enjeux de la formation Le passage d’une culture monomédia à une culture multimédia rend impérieux le recours à la formation. En outre, l’évolution des trajectoires professionnelles oblige les journalistes à acquérir de nouvelles compétences au cours de leur carrière. La pratique du journalisme sur Internet, l’utilisation du web, l’exploitation des médias sociaux, l’adoption régulière d’un nouveau système d’édition sont autant de matières qui supposent des formations spécifiques. Philippe Laloux (digital manager pour lesoir.be) souligne que les difficultés d’adaptation se manifestent à tous les niveaux des entreprises Voir notamment http://owni.fr/2010/11/07/le-%C2%AB-journalisme-augmente-%C2%BB-en10-points (consulté le 20/01/2012). 103 138 Chapitre 2 médias et concernent à la fois les journalistes, les cadres de la rédaction et les éditeurs. Pour un chef de service ou un rédacteur en chef, les tâches ont évolué : il ne s’agit plus de fabriquer un produit fini, mais de gérer des matières en continu sur plusieurs supports et avec plusieurs formats (on parle de « gestion intégrée de l’information »). L’inculture numérique qui consiste en l’absence de maîtrise des compétences techniques et de vision du nouveau métier de journaliste ralentit les mutations à la fois dans les organes de presse, dans des instances sectorielles comme l’AJP, dans les universités et les écoles de journalisme. Pour sa part, Tanguy Roosen (CSEM) affirme que l’éducation aux médias doit non seulement se faire à l’école (grâce à des opérations telles que « Journalistes en classe » et « Ouvrir mon quotidien »), mais également au-delà du contexte scolaire : l’enjeu est de former toute la société civile, en ce compris les journalistes eux-mêmes, à la literacy médiatique, c’est-àdire à « l’ensemble des compétences informationnelles, techniques, sociales et psychosociales nécessaires à un utilisateur pour consommer, produire, explorer et organiser des médias »104. Il est fondamental que les journalistes prennent le temps, pendant et après leur formation initiale, d’adopter une posture critique vis-à-vis de leur propre métier et de s’interroger sur leurs pratiques qui sont aujourd’hui bouleversées par le numérique. Pour Tanguy Roosen, l’éducation aux médias des professionnels de l’information compte trois niveaux : l’acquisition de compétences techniques, l’approche critique par rapport aux contenus et ensuite seulement, la création de leurs propres contenus sur la base de ces compétences. Jean-François Dumont souligne, lui aussi, que l’apprentissage des nouveaux outils technologiques est aujourd’hui mis en œuvre mais ne se suffit pas à lui-même. Encore faut-il adopter une posture raisonnée de la « chose numérique » et de ne tomber ni dans le rejet, ni dans la fascination. 2.2.1. Formation initiale A. Pourquoi un tel succès des filières Info-Com ? Dans le cadre de sa mission d’accompagnement de cheminement d’orientation de jeunes qui sortent du secondaire, le CIO organise des entretiens, des ateliers et des animations afin de favoriser le questionnement sur soi et sur Cette définition a été donnée par la Conférence européenne sur l’éducation aux médias (décembre 2009). 104 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 139 l’environnement du marché du travail. Afin d’apporter des éléments concrets aux EGMI, le CIO a collecté des informations sur la perception par les jeunes des études de communication et de leurs débouchés, auprès des conseillers en orientation du CIO et à partir d’une vingtaine de questionnaires remplis par des jeunes (lors de carrefours d’information). - - - - À propos des perspectives professionnelles, il apparaît que de nombreux jeunes résument souvent les métiers de la communication à celui de journaliste, associent ce dernier à des tâches variées, à des valeurs de rencontre, de contacts, de voyages, de liberté, en ignorant ou oubliant le travail de bureau, la nécessaire maîtrise de l’orthographe et des nouvelles technologies. Or, l’attrait du concret et d’un métier varié, le goût des voyages et des contacts figurent parmi les critères le plus souvent retenus par l’ensemble des jeunes qui s’interrogent sur leur orientation professionnelle. L’adéquation entre la perception du métier de journaliste et les attentes des jeunes expliquerait donc en partie l’engouement pour les études de communication. Les études en communication elles-mêmes semblent perçues comme plus faciles que d’autres et donc comme moins prestigieuses. L’aspect général et large de cette formation est perçu parfois positivement (aspect riche et pluridisciplinaire), parfois négativement (aspect « fourre-tout »). Le Bac universitaire est perçu comme très théorique par des jeunes qui, en général, sont demandeurs d’être rapidement confrontés à des pratiques professionnelles. Philippe De Coninck (HELHA) explique également le nombre croissant d’inscrits dans les filières « communication » par l’aspect généraliste de la formation qui ouvre la voie à plusieurs métiers possibles, qui offre toute une série de passerelles entre les différentes orientations de la catégorie « sociale » (par exemple, entre communication et assistant social) et qui attire aussi nombre d’indécis qui ne désirent pas encore choisir un métier en particulier. La polyvalence des études en communication intéresse d’ailleurs aussi les employeurs. Selon Philippe De Coninck, un autre attrait des études en communication réside dans le projet de devenir des citoyens critiques dans un espace social fortement marqué par les médias. Afin de déconstruire et de nuancer certaines idées reçues sur le métier et les études de communication, le CIO préconise de concevoir des supports d’information sur les métiers de la communication et le journalisme et 140 Chapitre 2 d’organiser des opérations de sensibilisation. L’idée ne serait pas d’attirer un maximum d’étudiants mais d’aiguiller le mieux possible les jeunes susceptibles d’être intéressés et compétents dans le secteur de l’information et de la communication. Plus importante aux yeux des parents que des futurs étudiants, la question des débouchés est souvent évoquée au moment du choix d’études. En ce qui concerne les études en communication, tant les centres d’orientation, les universités que les hautes écoles sont soucieux de prévenir les étudiants des difficultés que rencontrent les journalistes pour trouver un emploi et surtout de bonnes conditions de travail. L’AJP rappelle que la pléthore de diplômés en journalisme et en communication sur le marché de l’emploi entraîne un fort taux de chômage et une précarisation au moment de l’entrée dans la profession de journaliste. Benoît Grevisse (UCL) nuance quelque peu ce constat en notant que le nombre annuel de diplômés de niveau universitaire en journalisme n’est pas excessif au vu du nécessaire renouvellement du corps de journalistes (composé d’environ 2.000 personnes) et de l’orientation de diplômés vers d’autres professions. Même si on ne dispose pas de chiffres complets sur l’intégration professionnelle des diplômés (notamment à cause des évolutions de carrière), on peut estimer que : - - - Environ 200 étudiants sortent chaque année des formations de type long en journalisme. 50% des étudiants qui sortent des formations de type long trouvent un emploi dans leur champ de spécialité, au cours de l’année qui suit l’obtention de leur diplôme. Seuls 8% ne trouvent pas de travail. Les autres s’intègrent dans des secteurs très variés. Du côté des hautes écoles, parmi les 1800 étudiants inscrits dans la filière communication, seuls 15 à 20% se destinent à une carrière journalistique. Parmi les 450 étudiants de troisième année, entre 60 et 90 diplômés embrassent finalement le métier de journaliste. Selon une enquête récemment menée par l’AJP sur la formation des journalistes, il apparaît que 77% des journalistes professionnels sondés ont un diplôme universitaire ; 65% de ces journalistes ont un diplôme de journalisme ou de communication (que ce diplôme soit universitaire ou non). Parmi les diplômés universitaires, 74% le sont en journalisme (les autres le sont dans des matières très diverses comme la philologie, l’histoire, la science politique…). Parmi les diplômés non universitaires, 34% seulement le sont en journalisme. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 141 B. Quels sont les profils recherchés par les employeurs ? Auparavant, selon Philippe Laloux, régnait une certaine harmonie entre les contenus enseignés, les usages et le modèle économique du journalisme : la formation reçue permettait aux jeunes professionnels de s’adapter à leur milieu de travail. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il est donc impératif que les formations collent le plus rapidement possible aux nouveaux usages et répondent aux nouvelles contraintes imposées par le métier, les employeurs et les usagers. En tant que recruteur pour le Soir.be, Philippe Laloux définit les compétences requises chez les candidats journalistes qu’il engage : - - - - L’agilité numérique implique le fait d’être à l’aise dans le paysage médiatique actuel, tout en conservant les fondamentaux du métier de journaliste. Cela implique des compétences techniques (comme les outils d’externalisation tels que le crowdsourcing ou le fact-checking sur Internet)105. Par ailleurs, la qualité principale demandée aujourd’hui à un journaliste est la polyvalence qui permet de diffuser l’information sur différents supports. En effet, dans la logique du décloisonnement des métiers, il s’agit de choisir des journalistes qui disposent à la fois d’une expertise forte et de bonnes compétences dans d’autres domaines. La curiosité qui doit être à la fois journalistique mais aussi technique. Il convient de donner envie aux étudiants de tester des outils technologiques et des techniques narratives. Enfin, les journalistes doivent être formés à la notion essentielle de marketing personnel, voire aux techniques de l’entreprenariat et disposer de qualités personnelles, telles que la minutie, la gestion du stress et l’autonomie. Alors que Daniel Van Wylick décèle un léger retard dans l’enseignement des matières numériques au niveau des universités et des hautes écoles de la FWB, Philippe Laloux estime que l’agilité numérique est bel et bien enseignée par les lieux de formation mais n’est pas encore assez valorisée et 105 Dans ce sens, selon Philippe Laloux, imposer à un étudiant de créer son propre blog est le plus beau cadeau qu’on puisse lui faire. Un blog constitue une belle plate-forme d’apprentissage car il permet d’innover et exige la maîtrise de toute la chaîne d’information et de la gestion de l’interactivité (qui est en soi une vraie compétence à laquelle il faut former les journalistes). 142 Chapitre 2 recherchée par les recruteurs. En ce qui concerne la gestion de l’interactivité avec le public, Marc Sinnaeve souligne que la question de la réception n’est que très peu évoquée dans la formation initiale (essentiellement focalisée sur la production des contenus médiatiques)106. C. Quelle est l’offre de formation en FWB ? En FWB coexistent des Bacs professionnalisants (en haute école) et des Bacs universitaires qui permettent seulement d’accéder aux Masters. Dans ce sens, les formations en InfoCom sont assez éloignées du système de Bologne qui prévoit l’apprentissage d’un métier au niveau du Bac et un approfondissement de la matière au niveau du Master. En ce qui concerne l’accès aux études, le décret sur l’enseignement supérieur interdit de limiter le nombre d’inscrits (sauf s’il y a un manque de place). Les enseignants des hautes écoles et des universités sont favorables au principe du libre accès et s’opposent à l’uniformisation des programmes de formation en journalisme. Aux yeux des représentants des universités, le système français d’examen d’entrée a l’avantage pratique de réduire le nombre d’entrants mais l’inconvénient majeur de s’opposer aux principes de liberté d’expression et d’égalité sociale. Aux yeux des formateurs des universités et des hautes écoles, l’offre diversifiée de formations en InfoCom et la possibilité d’entamer un Master en InfoCom après avoir obtenu un diplôme de premier cycle dans de nombreuses branches sont justement les gages d’une appréciable diversité sociale et disciplinaire parmi les journalistes belges. 1°) Hautes écoles Au nombre de 21 en FWB, les hautes écoles organisent un enseignement supérieur de type court et professionnalisant. Contrairement au système flamand qui range la communication dans la catégorie des formations économiques, le système belge francophone la classe parmi les formations sociales. Actuellement, des groupes de travail sont en train de définir les profils de formation, les contenus et les compétences à construire dans la catégorie des formations sociales. Ils ont défini un ensemble de 6 compétences-clefs visées par la formation en communication (qui se déclinent chacune en une série de capacités particulières) : En France, la problématique de la réception est explorée par l’Institut « Médiascopie » dirigé par Denis Muzet. Voir http://mediascopie.fr 106 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 143 1. établir une communication professionnelle (ce qui implique la maîtrise de la langue maternelle et la connaissance d’une langue étrangère) ; 2. interagir avec son milieu professionnel ; 3. inscrire sa pratique dans une réflexion critique, citoyenne, responsable ; 4. mobiliser des savoirs généraux et spécifiques aux domaines de l’information, de la communication, à l’univers des médias et de la culture ; 5. informer, sensibiliser et divertir dans les domaines de l’information, de la communication, des médias et de la culture ; 6. gérer un projet de communication et d’information dans sa globalité. L’objectif des bacheliers en communication est de former des professionnels de l’information et de la communication qui soient à la fois spécialisés et polyvalents. Pour ce faire, le cursus est articulé autour de trois axes principaux : des cours généraux (de droit, d’économie, de sociologie, d’histoire), des cours spécifiques (généralement dispensés par des professionnels actifs et orientés vers le journalisme mais aussi les relations publiques, la communication et l’animation socioculturelle) et l’intégration professionnelle essentiellement organisée sous forme de stages qui, en cas d’échec, entraînent le redoublement automatique de l’étudiant. Par ailleurs, les valeurs éthiques et déontologiques sont enseignées tout au long de la formation. L’objectif est d’intégrer les différents apprentissages en favorisant les interactions entre les cours de formation générale, les ateliers en petits groupes, les stages et le travail de fin d’étude. Annuellement, les programmes sont évalués, remis en question et adaptés en fonction de l’évolution du secteur : concrètement, la plupart des hautes écoles ont créé une section spécifique consacrée à l’écriture multimédia. L’intégration du numérique dans la formation se joue également lors de colloques et de conférences organisées en complément de la grille-horaire. Actuellement, certains programmes des filières « communication » en haute école ménagent la possibilité de se spécialiser en troisième année. Le principe est de maintenir un Bachelier généraliste tout en ouvrant une porte vers le métier de journaliste. Quelle que soit l’orientation choisie en Bac III, les étudiants reçoivent le même diplôme de bachelier en Communication. Seul le supplément au diplôme (SD) reprend les formations spécifiques suivies par l’étudiant. L’objectif est bien de donner aux diplômés une faculté de polyvalence et d’adaptation qui leur permettra d’apprendre le métier de journaliste sur le terrain ou de se réorienter, si nécessaire, sur le marché du travail. Selon le CIO et le SIEP, la polyvalence est un atout majeur des diplômés en communication. 144 Chapitre 2 Cependant, Olivier Renders (CIO) trouverait souhaitable que les formations de type court affinent ces options et s’engagent donc dans la voie d’une plus grande spécialisation (par exemple, en relations publiques). 2°) Universités & formations de type long L’Aeqes est une agence de service public qui a pour mission de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’enseignement supérieur subventionné par la FWB. En 2008-2009, a été lancé le processus d’évaluation des cursus Information et Communication qui concernait 9 programmes inscrits dans des formations (non) universitaires de type long. Comme le résume le comité de gestion de l’Aeqes107, les formations en Info-Com présentent la spécificité d’être très hétérogènes (même à l’échelle de la FWB) et extrêmement attractives (un total de 5000 étudiants étaient concernés par les cursus évalués en 2008-2009). - - - Les atouts des formations résident dans la légitimité et l’ancrage de la discipline Info-Com dans la tradition de l’enseignement supérieur en FWB, l’articulation entre l’enseignement et la recherche, la solidité et la progressivité des programmes ainsi que l’adéquation des équipements techniques aux besoins de la formation. Du côté des points faibles, les experts pointent le fait que les étudiants doivent attendre la deuxième ou la troisième année pour toucher véritablement à leur discipline, le fort taux d’échec et d’abandon imputable à une mauvaise appréciation du taux d’exigence ou à une certaine déception, l’importance très variable qui est donnée à l’apprentissage des langues (tantôt prioritaire, tantôt subsidiaire) et la faible visibilité du master en communication multilingue. Les études en InfoCom sont confrontées à des défis majeurs : la transformation rapide des métiers de l’information et de la communication à laquelle doit s’adapter continuellement l’offre de formations. Il apparaît dès lors indispensable d’intégrer des professionnels dans l’équipe pédagogique et de tirer des enseignements des témoignages d’anciens étudiants. En écho aux conclusions de l’évaluation Aeqes, les représentants de l’ULB, l’UCL, de l’ULG et de l’IHECS soulignent l’excellent niveau, en FWB, de l’offre L’intégralité du rapport du comité des experts est consultable sur http://www.aeqes.be/documents/ATINFOCOMMEP.pdf. 107 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 145 d’enseignement de type long dans le domaine du journalisme. Ils rappellent également que la Belgique francophone figure parmi les pionnières dans la formation des journalistes et jouit d’une importante expertise dans le domaine. Les universités belges francophones peuvent se prévaloir d’une reconnaissance internationale. Enfin, les différents établissements belges francophones entretiennent une tradition de collaboration et de concertation tant au niveau de la recherche qu’au niveau de l’enseignement : depuis 2003, le programme des études de premier cycle d’information et communication est harmonisé à 60%. Les formations de type long visent à enseigner aux futurs journalistes non seulement les aspects pratiques de leur métier mais aussi les fondements universitaires d’une formation humaniste de haut niveau. En effet, les médias constituent un secteur à responsabilité et doivent être dirigés par des professionnels formés à des compétences plus larges que la seule maîtrise d’outils techniques. La formation des journalistes doit ainsi répondre à une double contrainte : d’une part, il s’agit de répondre aux attentes du marché de l’emploi en veillant à l’employabilité des diplômés ; d’autre part, dans une perspective universitaire traditionnelle, les lieux de formation sont les garants d’une vision démocratique du métier de journaliste et d’une certaine qualité de l’information produite. Si les formations de type long en journalisme s’organisent de manière variable selon les établissements, leurs programmes sont tous fondés sur une approche progressive entre un premier cycle qui s’articule autour d’une formation intellectuelle solide et un second cycle focalisé sur des cours pratiques108 . Dès l’origine, les formations de type long ont intégré la professionnalisation du métier dans leur programme. La pédagogie pratique explique, en partie, la durée des études de journalisme : cinq ans permettent de s’essayer à différents métiers et de laisser mûrir des choix professionnels. Le souci d’adéquation entre enseignement et pratiques professionnelles se manifeste, dans les écoles de journalisme, de plusieurs manières : - - les écoles de journalisme disposent de matériel et d’infrastructures qui exigent des investissements importants (logiciels, caméras et appareils photo numériques, studios d’enregistrement, tables de montage…) ; elles intègrent des professionnels dans leur équipe pédagogique. En 108 Le CIO estime d’ailleurs que les formations de type long sont bien construites et progressives dans la mesure où elles offrent une formation pluridisciplinaire solide avant de dispenser une formation professionnalisante pointue. 146 Chapitre 2 - tant que titulaires des cours pratiques, ces professionnels partagent à la fois leur savoir-faire et leur passion. L’enjeu est d’apprendre aux étudiants leur métier en temps réel avec de vrais outils et de leur faire connaître les difficultés et l’attrait de cette profession ; Les universitaires assurent une veille professionnelle, c’est-àdire qu’ils observent les évolutions des métiers, des pratiques, des représentations et des identités. Dans ce domaine, ils mettent d’ailleurs au jour le comportement paradoxal d’employeurs qui exigent un niveau très élevé de la formation des journalistes à qui ils offrent finalement des conditions d’emploi précaires. La gestion du plurimédia (terme qu’il convient de préférer au multimédia puisqu’il s’agit non pas d’accumuler différents supports mais de gérer la modulation des contenus sur ces différents supports) n’exige pas seulement de se servir d’outils mais surtout de les utiliser à bon escient et d’en cerner les avantages sur le long terme. S’il est évident que la formation de journalistes doit prendre en considération l’apparition de nouvelles technologies, Benoît Grevisse affirme qu’il ne faut pas céder aux « effets de mode » et à la fuite en avant du « technologisme » . La complémentarité de la recherche et de l’enseignement permet aux universités et à l’IHECS d’anticiper les tendances et les évolutions des conditions de travail des journalistes et des modes de consommation de l’information. En comparaison aux hautes écoles, les universités et l’IHECS présentent la spécificité de faire du journalisme une discipline tout à fait distincte des métiers de la communication et des relations publiques (cette distinction est d’ailleurs une condition pour faire partie de l’Association Européenne des Écoles de Journalisme). Par ailleurs, la formation universitaire se définit par une approche globale du métier de journalisme : des cours d’application de haut niveau s’appuient sur une formation universitaire et critique qui initie les jeunes à la conceptualisation et à la systématisation. Aux étudiants qui s’interrogent, cette fois, sur les différences entre l’enseignement universitaire et en haute école (dont l’IHECS), le CIO répond que les études (surtout de type long) présentent d’importants points communs et mènent aux mêmes métiers. Les différences se situent au niveau de la pédagogie et du contexte. En ce qui concerne les cours, à l’université, les cours sont plus théoriques et conceptuels, tandis qu’à l’IHECS, les cours sont plus pratiques dès le Bac II, les exigences en langues sont plus élevées. Le contexte est également différent : l’IHECS est une structure plus petite focalisée sur les métiers de la communication, tandis que l’université permet de rencontrer des étudiants d’autres disciplines. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 147 En ce qui concerne la passerelle entre le Bac en haute école et le Master, les responsables des types courts et longs font part de points de vue divergents. Sur les 110 diplômés de la filière communication des hautes écoles, seuls deux ou trois étudiants utilisent la passerelle vers le master en journalisme. Selon les responsables des formations de type court, ce choix est freiné par les nombreuses redondances (pointées par les étudiants concernés) entre le Bac et le Master et également par l’obligation de passer par une année de transition. - - Au vu du peu d’intérêt que les étudiants reconnaissent à cette année supplémentaire, les hautes écoles se disent favorables à la suppression de cette année de transition (qui n’est d’ailleurs appliquée qu’en Belgique et n’existe pas pour des étudiants qui choisissent de passer directement en master en France). Ils préconisent plutôt l’intégration en master de cours complémentaires qui viseraient à développer l’aspect recherche (peu exploré dans les hautes écoles). Les représentants des universités ne sont pas favorables à l’admission des diplômés des hautes écoles en master sur la base d’un examen ou de cours supplémentaires. Selon eux, la formule d’une année préparatoire de transition permet d’enseigner les grandes disciplines de base des sciences humaines et permet d’accueillir en master de brillants étudiants. Au vu des logiques distinctes qui structurent la formation en haute école et à l’université, il est indéniable, d’après les responsables de formations de type long, qu’il y a redondance entre les cours pratiques donnés en premier cycle en haute école et en second cycle à l’université. 3°) Des stages : pourquoi, quand et combien de temps ? La politique des stages est un point essentiel de la formation des futurs journalistes et est envisagée de manière différente par les universités et les hautes écoles. - - Pour les responsables des hautes écoles, un stage joue un rôle important dans l’orientation des étudiants, puisqu’il a l’avantage de confirmer ou de remettre en cause le choix d’étude. Il apparaît primordial de conforter le plus vite possible les étudiants dans leur choix d’étude et donc d’organiser ce stage en début de cursus. Du côté des universités, les responsables des programmes de formation estiment que l’organisation des stages d’observation dès 148 Chapitre 2 la première année d’étude est inadaptée aux rédactions actuelles : le métier est devenu trop technique pour s’apprendre « sur le tas ». Aux yeux des formateurs universitaires, il apparaît de plus en plus nécessaire d’être formé avant de se lancer sur le terrain professionnel109. En début de parcours, les étudiants ne sont pas encore en mesure de tirer pleinement profit du stage présenté à l’université comme un travail réflexif sur les pratiques professionnelles et comme l’aboutissement de cinq années d’étude. Par ailleurs, un bon stage est un pas décisif dans l’intégration professionnelle (de nombreux étudiants trouvent leur premier emploi là où ils ont fait leur stage)110. Quelles que soient les modalités choisies, les stages en journalisme posent des problèmes organisationnels : les étudiants éprouvent beaucoup de difficultés à trouver des lieux de stage dans la mesure où, sous la pression économique, nombre de rédactions limitent le nombre de stagiaires à un ou deux à la fois. Ainsi, les hautes écoles tentent de trouver des alternatives au stage obligatoire pour le millier d’étudiants de première année. Il est ainsi envisagé d’organiser un système de « stage en interne » ou un système mixte qui combinerait les phases interne et externe et qui permettrait de raccourcir le stage sur le terrain professionnel. Le « stage en interne » consiste, comme cela se fait déjà à l’École Condorcet de Charleroi, en une semaine d’ateliers qui permettent aux étudiants de rencontrer des conférenciers extérieurs et de découvrir, de la sorte, les différents aspects des métiers de la communication. Au niveau du Bac III, Philippe De Coninck (Helha) fait remarquer que seuls 10 à 20% des étudiants effectuent un stage de journalisme, la plupart du temps dans des rédactions régionales et locales. Selon Benoît Grevisse (UCL), il serait raisonnable de réserver les stages aux étudiants qui ont spécifiquement choisi le journalisme. Par ailleurs, il serait intéressant d’envoyer des étudiants en stage dans d’autres endroits que dans une rédaction. En ce qui concerne la durée des stages, le décret sur l’enseignement supérieur prévoit un minimum pour les hautes écoles : l’équivalent de 4 semaines Jean-Jacques Jespers souligne l’intérêt de la démarche inverse qui développerait des réflexions critiques sur la base d’une expérience pratique. Reste le problème de la faisabilité d’une telle réorganisation (qui aurait par ailleurs l’avantage de mieux correspondre à la philosophie du système de Bologne)… 110 Daniel Van Wylick confirme que lui-même a réalisé 50% de ses engagements sur la base d’un bon stage. Selon lui, la durée idéale d’un stage est de deux mois. Xavier Mouligneau avance des chiffres qui corroborent l’importance du stage : un étudiant de l’HELHA sur deux décroche un emploi sur son lieu de stage. Marc Vanesse (ULg) se dit, lui, partisan de l’organisation d’un mois de stage une fois, en Bac et une fois, en Master. 109 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 149 de stage en première année, 7 à 8 semaines en deuxième et trois mois en troisième. Au-delà de cette obligation légale, les formateurs des hautes écoles estiment nécessaire que les stages soient longs afin de mener une activité d’information et de communication depuis sa conception jusqu’à sa diffusion (cela est particulièrement vrai pour l’animation de projets). Les représentants des universités s’opposent, pour leur part, à organiser des stages plus longs qu’un mois dans la mesure où, le cas échéant, ils se soustrairaient à leurs responsabilités de formateurs et surtout où un stage de longue durée équivaudrait à du travail gratuit et donc à une menace pour les pigistes. Soucieuse de la concurrence du travail gratuit fourni par les stagiaires, l’AJP estime nécessaire soit de raccourcir les stages, soit de faire passer le stagiaire d’une rédaction à l’autre afin d’éviter de passer trois mois au même endroit111. Pour Denis Ruellan, les difficultés économiques d’un secteur ne justifient en rien d’assigner à des non-salariés des charges de travail que le personnel normal des entreprises n’arrive pas à assumer. Le sociologue français insiste sur le fait que le stagiaire est en situation d’apprentissage et non d’emploi. Juridiquement, en France, en vertu de la convention tripartite qui lie l’étudiant, l’université et le média, l’étudiant est certes soumis au règlement intérieur de l’entreprise mais ne doit répondre qu’aux « ordres » de l’institution universitaire112 . Enfin, tous les acteurs insistent sur la nécessité d’un encadrement de qualité pour les stagiaires qui sont trop souvent livrés à eux-mêmes. Vu les contraintes de production, les rédactions manquent de temps pour suivre correctement les stagiaires et, selon Mateusz Kukulka, oublient trop souvent leur responsabilité de formation. Marc Fion fait remarquer que, dans la presse écrite régionale, on ne libère que rarement le quart-temps théoriquement dévolu à l’encadrement des stagiaires. Benoît Grevisse propose que les conventions d’encadrement des stages (qui prévoient que l’étudiant soit à la fois évalué par un professeur de l’école et par un journaliste professionnel qui a la responsabilité d’encadrer le stagiaire) soient affinées et tentent notamment de mieux tirer profit de l’expérience et de la disponibilité de journalistes qui quittent les rédactions plus Joseph Dal Zotto (Haute École de la Province de Liège) précise que, dans son établissement, les périodes de 3 mois sont généralement divisées en deux stages distincts de six semaines. Frédéric Delfosse (Haute École de Liège) souligne que cette problématique concerne également les éditeurs qui devraient s’engager à former les stagiaires plutôt qu’à les utiliser comme des travailleurs. 112 Xavier Mouligneau (HELHA) signale qu’en Belgique, certaines rédactions font travailler les stagiaires « à blanc », justement afin de laisser du travail aux pigistes qu’elles doivent préserver. Plusieurs professionnels estiment que le travail « à blanc » n’est pas tenable dans des rédactions soumises à de fortes pressions économiques et présente, en outre, l’inconvénient de démotiver les stagiaires. 111 150 Chapitre 2 tôt qu’avant. Marc Sinnaeve suggère, pour sa part, de lier par une convention l’école de journalisme, l’AJP et l’éditeur qui prévoirait l’engagement de pigistes pour effectuer la production qui n’aurait pu être réalisée par le maître de stage. Jean-François Dumont craint que ce système ne soit trop coûteux et amène à désigner comme maîtres de stage des journalistes interchangeables, qui soient facilement remplaçables par des pigistes. 2.2.2. Formation continuée A. Le point de vue des journalistes L’offre de formation continuée en FWB apparaît comme sous-développée, surtout si l’on compare la situation avec la Flandre (qui octroie un million d’euros annuels à la formation permanente des journalistes) et de pays voisins (comme la France, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas). L’AJP a mené une enquête au sujet des demandes des journalistes en matière de formation (auprès d’un échantillon de 2.363 journalistes dont 644 ont répondu). Il y apparaît qu’un journaliste professionnel sur deux n’a suivi aucune formation permanente. Ce chiffre global de 50% varie en fonction du statut du journaliste (seul un indépendant sur trois a suivi une formation au cours de sa carrière), en fonction du genre (53,73% des hommes et 45,67% des femmes ont suivi une formation) et en fonction des types de médias (pour les journalistes salariés) : ceux qui ont reçu le plus de formation continuée sont les journalistes de la presse quotidienne et de l’audiovisuel public. Au niveau du contenu des formations reçues, la plupart d’entre elles étaient consacrées aux nouveaux logiciels et outils informatiques, aux nouveaux médias, au langage journalistique et aux langues étrangères. Globalement, les journalistes se disent satisfaits des formations qui leur sont apparues comme utiles et directement liées à leur profession. En ce qui concerne les attentes des journalistes, ceux-ci se disent demandeurs de formations plus fréquentes, plus longues (idéalement d’un jour ou deux), plus approfondies, plus diversifiées (au-delà des formations majoritairement consacrées aux nouveaux médias, outils éditoriaux et à l’apprentissage du néerlandais, certains journalistes désireraient bénéficier de formations de fond sur de grandes thématiques comme l’Islam, le système judiciaire belge, les questions de crise économique et financière, les matières européennes…). L’offre actuelle de formation continuée en FWB apparaît donc comme insuffisante. En général, les journalistes souhaitent que leur employeur assume, totalement ou partiellement, les frais de la formation. Alors que l’e- Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 151 learning est devenu une pratique courante en Allemagne et au Royaume-Uni, seulement 8% des répondants de l’enquête de l’AJP se déclarent favorables à un tel dispositif. À la lumière des résultats de cette enquête et d’exemples étrangers, l’AJP a construit un projet qui vise à fournir une offre spécifique de formation permanente à destination de tous les journalistes de la FWB et ce, à un coût abordable. À l’heure actuelle, les formations en FWB sont non seulement rares mais aussi extrêmement coûteuses. L’amélioration et l’enrichissement de la formation des journalistes auront comme conséquence d’améliorer les contenus médiatiques et d’offrir aux journalistes des outils de développement personnel et professionnel. L’idée consiste à créer un pôle opérationnel dynamique de formation qui identifierait les besoins des journalistes et qui les mettrait en lien avec les ressources existantes (qu’il s’agisse de milieux académiques, d’experts, de journalistes formateurs ou d’institutions comme le CSA, le CRISP…). L’AJP elle-même se propose de jouer le rôle d’opérateur puisqu’elle est une organisation transversale, indépendante et reconnue, qu’elle s’occupe de tous les journalistes (avec qui elle est en contact immédiat) et qu’elle dispose d’une expérience de formation, de publication et de gestion de projet113. Ce pôle opérationnel (qui emploierait une personne à temps plein et un(e) assistant(e) à mi-temps) jouerait le rôle d’interface entre les formateurs et les publics (journalistes agréés ou non-agréés, salariés et pigistes qui ne peuvent pas bénéficier de formations proposées et offertes par des éditeurs). Composé de journalistes, d’employeurs et d’experts extérieurs, un Conseil d’orientation serait chargé de définir le plus judicieusement possible les objectifs des formations offertes. Aux yeux de l’AJP, il est essentiel que les journalistes soient au cœur du processus. Concrètement, l’AJP estime que cette structure pourrait fonctionner avec un investissement de base de 300.000 €/an114. Les fonds pourraient venir d’une subvention de la FWB, d’autres partenariats, ainsi que de la participation des employeurs (et éventuellement des journalistes eux-mêmes). À Daniel Van Wylick qui craint que le projet de l’AJP ne crée une concurrence entre les initiatives des différents acteurs du secteur, en particulier vis-à-vis des universités et des hautes écoles, Martine Simonis et Jean-François Dumont répondent que ce projet peut être complémentaire d’autres initiatives (puisqu’il servirait essentiellement à faire percoler la formation permanente en FWB en connectant les différentes actions en la matière). 114 Cette somme servirait à couvrir les frais de personnel, de matériel, de gestion et de publication ainsi que le loyer, les déplacements et le défraiement des formateurs. Aux yeux de Benoît Grevisse et Jean-François Raskin, eux-mêmes responsables de structures de formation continuée (voir infra), cette structure n’est financièrement pas viable. 113 152 Chapitre 2 B. Le point de vue des éditeurs 1°) L’expérience de la formation continuée en Flandre Dans la mesure où leurs fédérations représentent des périodiques tant francophones que néerlandophones, Alain Lambrechts (The PPress) et Jean-Paul Van Grieken (UPP) font part de leur expérience dans le domaine de la formation continuée telle qu’elle est organisée en Flandre. En 2008, de steun aan de geschreven pers a été redéfini : cette initiative, qui vise à améliorer la qualité des médias et à encourager la pluralité d’opinions, s’est traduite par une aide à la formation des journalistes. Concrètement, le gouvernement flamand a investi 1.000.000 € par an dans la formation continuée à l’attention des professionnels employés à la fois par la presse quotidienne et par la presse magazine. Chaque fédération reçoit une enveloppe de 35.000 €, le reste étant réparti au prorata du nombre de personnes qui exercent la fonction de journaliste (et qui n’ont donc pas tous le statut de journalistes professionnels) : 6,5 % pour l’Union de la Presse périodique115, 6,5 % pour la VUKPP116 , environ 30 % pour The Ppress117 et 55 % pour la presse quotidienne. Le principe général du soutien gouvernemental à la formation est que les subsides publics couvrent un maximum de 60% des sommes dépensées dans le projet. Théoriquement, les 40% restants sont à charge des éditeurs euxmêmes118 . Dès 2008, l’UPP et la VUKPP ont décidé de fusionner leur projet de formation À l’heure actuelle, l’UPP (l’Union des éditeurs de la presse périodique belge fondée en 1891) représente environ 280 maisons d’édition, 830 titres (qu’il s’agisse d’une presse grand public, professionnelle ou associative). 116 La VUKPP désigne la Vereniging van de uitgevers van de katholieke periodieke pers ou Fédération des éditeurs de la presse catholique flamande. Elle rassemble des groupes de presse très différents, comme Roularta, la revue Kerk & Leven éditée par Halewijn, Averbode, les revues du Boerenbond, De Bond, émanation de la Ligue des familles flamande. 117 The Ppress est une des deux associations professionnelles de la presse périodique et regroupe des médias B2B (Business to Business) et B2C (Business to Consumer). Elle comporte cinq départements : B2B Press (presse professionnelle), Custo (presse relationnelle), Free Press (presse gratuite), OPABelgium (presse digitale) et Febelmag (presse magazine grand public). Pour le détail des départements et des titres représentés, voir le memorandum de The Ppress sur l’espace «pro» du site des EGMI. 118 Si, en principe, les 40% restants sont des apports propres des journaux, l’insuffisance de moyens des petits éditeurs a amené à la conclusion d’un accord entre l’UPP et le Gouvernement flamand qui a accepté de rémunérer le temps de travail que le personnel consacre à l’Académie et aux réunions avec les enseignants. Au final, les opérations sont blanches pour les éditeurs de l’UPP. 115 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 153 continuée et ont créé l’Academie voor de Periodieke Pers119. Cette dernière a pour objectif de former et de recycler les professionnels du secteur, en ce compris les journalistes, les éditeurs, les correspondants extérieurs, les metteurs en page, les graphistes (l’idée étant que la transition numérique touche tous les métiers du secteur de la presse périodique)120… Nombre des rédacteurs engagés par la presse périodique ne sont pas journalistes professionnels (mais spécialistes des matières techniques et professionnelles dont traite leur magazine) et ont donc un besoin particulier de formation à l’écriture et à la déontologie journalistiques. Ensemble, l’UPP et la VUKPP, reçoivent 130.000 € par an pour assurer le fonctionnement de l’académie, mise en place en partenariat avec la Haute École Lessius de Malines. Les formations sont pratiques et concrètes, se déroulent en groupes de travail, qui comptent une quinzaine de participants par modules d’un ou deux jour(s). Un journaliste désireux de participer s’inscrit via sa maison d’édition, qui s’acquitte du droit d’inscription pour les membres de son personnel, et ne paye lui-même qu’une trentaine d’euros. L’offre est extrêmement diversifiée puisqu’elle comprend des formations concernant la rédaction par l’image, les techniques d’interview, le restyling des périodiques, la presse photographique numérique, l’écriture journalistique, la rédaction correcte du néerlandais, la rédaction en ligne, les compétences journalistiques et le journalisme vidéo… L’ Academie voor de Periodieke Pers a formé 126 participants en 2009 ; 167, en 2010 ; 195, en 2011. Face à un tel succès, ces modules passeront de dix à seize en 2012121 et seront renouvelés selon les demandes des participants. Une autre innovation consiste en la création de la fonction d’un coach media qui, via le site « www.persacademie.be », aide les journalistes qui ont suivi une formation particulière à tester leurs connaissances et à améliorer leurs points faibles. Pour sa part, The Ppress a fait précéder la définition de son offre en formation par une enquête qualitative et quantitative auprès des journalistes et des éditeurs pour connaître les types de formations que les journalistes Voir, pour les informatiques pratiques, le site http://www.persacademie.be L’Academie voor de periodieke pers assure uniquement des formations pour le personnel des maisons d’édition. Jean-Paul van Grieken signale que se met en place en FWB un projet d’un centre de formation pour les diffuseurs de presse. 121 Trois nouveaux modules ont ainsi été instaurés : le « e-zins », sur les magazines digitaux ; « Journalistes et médias sociaux » : Facebook, Twitter, ou encore les « blogs personnels » de journalistes professionnels qui posent des questions spécifiques en termes de déontologie. 119 120 154 Chapitre 2 suivent et voudraient suivre. Dans les conclusions générales, l’enquête révèle la convergence des intérêts des journalistes et des éditeurs qui cherchent à « élargir les compétences professionnelles » des journalistes. Selon l’enquête, la formation la plus suivie est celle touchant aux techniques de l’audiovisuel (notamment, le vidéomontage). Du côté des attentes focalisées sur des aspects pratiques du métier, figurent les formations sur l’Internet (questions de la recherche critique et utilisation de l’Internet comme source journalistique, travail digital de l’image) et sur le people management. À la suite de l’enquête, les besoins en formation ont été définis : il s’agit essentiellement des demandes liées à l’informatique et à l’Internet, des besoins de formation en langues ainsi que des demandes plus classiques comme le soutien audiovisuel, la formation en technique d’interview. Sur la base de ces résultats, The PPress a créé The Ppress academy, a investi 500.000 € dans ses programmes de formation (a donc dépassé le montant subsidiable qui est plafonné à 320.000 €) et a développé trois axes d’action : des formations internes (pour les grands groupes), des formations externes (à destination des éditeurs de taille petite ou moyenne et en partenariat avec deux hautes écoles néerlandophones, la Artevelde Hogeschool et la Plantijn Hogeschool122) et des formations via le site Internet de l’Académie (www.theppressacademy. be). À condition qu’ils soient stagiaires ou membres d’une des fédérations de la presse écrite ou que leur éditeur soit membre de la JFB ou de The PPress, les journalistes ne payent qu’une participation minimale (de 30 € par journée de formation). Ces formations rencontrent un intérêt croissant : au total, 2.620 formations ont été dispensées en 2011. Alors que le gouvernement flamand envisageait de mettre fin au projet de formation des journalistes en décembre 2011, les éditeurs de presse (quotidienne et périodique) ont convaincu la ministre Ingrid Lieten d’affecter un nouveau million d’euros à la poursuite du projet. La condition a été que le projet devienne global et intègre à terme l’audiovisuel (moyennant une augmentation des subsides). Les quatre projets initiaux vont donc fusionner en un seul projet sectoriel. La Media Academy fonctionnera en fonction des orientations d’un Adviesraad (conseil consultatif) au sein duquel siègeront les quatre fédérations concernées, le cabinet de la ministre Lieten, le Conseil de déontologie néerlandophone et l’Association des Journalistes Professionnels 122 Ce choix des hautes écoles s’explique à la fois par des contacts personnels déjà noués et par un haut degré de satisfaction vis-à-vis des formations reçues. En outre, dans le cadre de la PPress academy, l’Artevelde Hogeschool a développé de nouveaux modules destinés aux éditeurs (parfois intégrés dans son propre cursus). Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 155 néerlandophones (VVJ)123. Les formations seront désormais ouvertes à tous les éditeurs, associations et journalistes, sous contrat ou indépendants. Destiné à devenir le site-coupole de la Media Academy, le site de The PPress Academy a pour vocation d’être une base de données et un lieu d’échanges et d’informations sur l’offre des formations pour journalistes. Certes, la formation continuée des journalistes, telle qu’elle est organisée en Flandre, s’adresse à un corps professionnel très diversifié (qui comporte les rédacteurs de périodiques B2B en attente d’une formation de base ou des journalistes professionnels expérimentés de médias traditionnels et demandeurs d’un recyclage). Selon Alain Lambrechts et Jean-Paul van Grieken, la formule ouverte et souple de la Media Academy permet de résoudre cette difficulté : c’est justement pour répondre aux demandes spécifiques et variables du secteur que l’offre de formations présente une palette de modules qui sont dotés de degrés de difficulté variables, qui peuvent s’organiser en externe (pour les attentes communes qui sont l’usage d’Internet, la rédaction en ligne, le travail de l’image…) ou en interne afin de répondre le plus précisément possible au besoin des professionnels travaillant dans des contextes très différents. Face au modèle de l’académie de la presse périodique flamande, plusieurs observateurs soulèvent la question de savoir si le pouvoir public doit, d’une part, prendre en charge la formation de non-journalistes et, d’autre part, soutenir une presse qui ne relève pas nécessairement du média d’information générale. - - En ce qui concerne les non-journalistes amenés à rédiger des contenus médiatiques, Jean-Paul van Grieken rappelle qu’à ses yeux, ce sont justement eux qui ont le plus grand besoin de formations. Pour Martine Simonis, il sera nécessaire de choisir entre une formule focalisée sur les journalistes professionnels et une formule qui toucherait toutes les personnes qui collaborent à un média d’information, d’autant que les tâches d’information et de communication sont distinctes et impliquent dont des formations différentes. Au niveau de la définition des « médias d’information », Alain Cette implication de l’association de journalistes professionnels est une nouveauté par rapport aux projets précédents qui s’adressaient prioritairement aux éditeurs (de presse écrite). Elle aura notamment comme avantage de toucher également les journalistes indépendants qui, en théorie, peuvent déjà bénéficier de certaines formations proposées par The PPress academy mais qui en sont généralement mal informés. 123 156 Chapitre 2 Lambrechts affirme que l’information ne se résume pas à des contenus économiques et politiques et que plusieurs titres de magazines féminins ou médicaux ont également une valeur informative. Jean-Paul van Grieken ajoute que, contrairement aux quelques périodiques subsidiés par la FWB, les fédérations de la presse périodique soutiennent la profession en participant au financement du Conseil de Déontologie Journalistique, du Jury d’Éthique Publicitaire, du Conseil de la Publicité… 2°) Propositions des éditeurs en matière de formation continuée en FWB En ce qui concerne la situation de la FWB, le diagnostic des éditeurs est unanime : l’offre en formation continuée des journalistes est quasi inexistante. Daniel Van Wylick signale les exceptions que constituent l’IHECS, les centres de compétence en Wallonie, comme Technofutur TIC et TechnoCité et les centres de référence à Bruxelles, comme Evoliris. À tout le moins, les initiatives menées en FWB souffrent d’un problème de marketing et de visibilité. En conséquence, les éditeurs belges se tournent régulièrement vers la France pour acheter des modules de formation de type court à destination de leurs journalistes124 . De l’avis des différents éditeurs, la FWB doit soutenir le développement de la formation continuée des journalistes, via les éditeurs qui ont tout intérêt à améliorer la formation de leurs employés et donc la qualité de leurs contenus. - Inspirée par l’exemple du ministère français de la Culture et de l’Audiovisuel (qui finance 70% des besoins en formation des éditeurs), les JFB demandent à la Région wallonne (en charge du secteur de la formation) un subside de 350.000 €; cette subvention financerait à 80% la formation et l’acquisition de matériel. La Cocof pourrait participer à ce financement, via un accord de collaboration. De tels subsides permettraient l’engagement d’un gestionnaire de projets qui validerait les plans de formation introduits par les éditeurs. Le soutien financier à la demande induirait l’élargissement de l’offre de formations. Le projet des JFB est de créer un cluster qui réunirait les entreprises de médias, des experts des TIC, l’AJP, ainsi que les principaux centres de formation. Selon Daniel Van Wylick, Voir le tableau récapitulatif des offres de formations en France (Rue89, CFPJ Paris, Owni, IPJ Paris, ESJ Lille, la Wan-Ifran qui concerne le secteur des éditeurs en Europe) et en Belgique (IHECS), dans le PowerPoint de Daniel Van Wylick accessible sur egmedia.pcf.be. 124 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » - - 157 il s’agit moins de développer une offre tous azimuts que de soutenir la demande, là où les formations sont véritablement nécessaires, afin que l’offre se crée en réponse à la demande croissante et qu’un équilibre s’installe entre formateurs belges et étrangers. Alain Lambrechts et Jean-Paul van Grieken seraient partisans de la création d’une académie semblable à celle qui existe en Flandre. Les éditeurs de la presse périodique seraient prêts à contribuer à hauteur de 40% aux formations des journalistes de la FWB (hors frais de structure pour l’UPP) et estiment que des subsides de 650.000€ permettraient déjà de mettre sur pied une offre intéressante. Pour sa part, Jean-Pierre Jacqmin défend le projet de création d’une « école de l’investigation » dans laquelle les éditeurs, journalistes et universitaires travailleraient ensemble sur les nouveaux modes de gestion de l’afflux d’informations qui implique de développer des compétences en matière de « démontage » de la manipulation, de recherche des bonnes données journalistiques afin de valider et d’authentifier l’information. C. Le point de vue des hautes écoles et des universités En tant qu’opérateurs de formations, les universités et les hautes écoles sont soucieuses du suivi de leurs diplômés : la formation continue est indissociable de la formation initiale, puisque la première renforce la seconde et permet de « coller » plus encore à l’évolution permanente du métier de journaliste. Telle qu’elle a été inscrite dans le droit belge par le décret du 31 mai 2004, la déclaration de Bologne a d’ailleurs confié à l’enseignement supérieur les formations initiales et continues. Si la formation continuée figure bien parmi les services à la société mentionnés par le décret sur l’enseignement supérieur, les hautes écoles manquent de moyens pour développer des modules de formation continuée et appellent de leurs vœux des subsides supplémentaires pour remplir cette mission importante. À l’heure actuelle, les hautes écoles ne peuvent qu’organiser des conférences et des colloques ouverts au grand public et aux professionnels. Idéalement, elles sont favorables à la mise sur pied d’une offre spécifique de formations à l’attention des professionnels du secteur. À l’instar des sections d’écriture multimédia qui existent dans les hautes écoles, des modules pourraient être co-organisés par les hautes écoles et les associations professionnelles. Par ailleurs, il serait intéressant que des cours de formation initiale soient accessibles et valorisables pour le monde professionnel. 158 Chapitre 2 Le décret de 2004 n’a pas créé mais a accéléré le développement de la formation continuée des journalistes, à l’IHECS et dans les universités (qui manque sans doute encore de visibilité). Telle qu’elle est proposée par les quatre lieux de formation de type long, la formation continuée peut se développer dans le cadre : - - - - de masters complémentaires (dont la liste est établie par le décret du 31 mai 2004) ; de masters privés (qui ne dépendent pas du financement public ordinaire) ; d’expertises (livrées à la demande par des personnalités académiques) ; de structures indépendantes de formation continuée (comme le CECOM à l’UCL125 ou l’École de Formation Continue à l’IHECS126) qui sont en liaison permanente avec la formation initiale organisée par les mêmes institutions. Ces structures répondent à un réel besoin du secteur et nécessitent d’importants moyens pour assurer une veille technique et professionnelle (afin de connaître les attentes et les préoccupations du secteur). Des journalistes, belges ou non, payent eux-mêmes des recyclages organisés par le CECOM ou l’IHECS. Des subventions permettraient de rendre les formations existantes plus accessibles financièrement. Puisqu’ils disposent d’une longue expérience en politique prospective de la formation qui se fonde sur le maillage entre techniques professionnelles, analyses du marché et indispensable expertise critique, les lieux de formation de type long se présentent comme les acteurs les plus compétents pour organiser la formation des journalistes. Cette formation, initiale ou continuée, ne peut en aucun cas s’improviser et répondre tout à coup à une demande inopinée. Afin de mieux coordonner et surtout de mieux faire connaître l’offre de formation continue qui existe à l’IHECS et dans les universités, les quatre établissements ont décidé de créer un centre pluridisciplinaire de perfectionnement en journalisme. Ce dernier présente l’avantage considérable de se développer au cœur d’institutions qui disposent déjà des infrastructures techniques et des compétences pédagogiques. Il associerait les éditeurs de presse et les associations professionnelles dans la détermination des besoins de formation continuée, et ambitionnerait de 125 Le CECOM (Centre d’Etudes de la Communication) est une structure de formation continuée et d’accompagnement des anciens journalistes. Voir www.lececom.be 126 Voir http://ihecs-fc.be/ Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 159 répondre à la fois aux demandes des éditeurs, aux attentes des journalistes et aux besoins collectifs en matière d’information de qualité. André Linard et François Heinderyckx soulignent tous les deux l’importance d’une formation continue en déontologie, même si elle ne fait pas l’objet d’une demande explicite de la part des journalistes. Certes, comme l’ont souligné Martine Simonis et Daniel Van Wylick, il est urgent de développer l’offre de formations des journalistes. Pourtant, il n’est pas certain que cela sera encore le cas dans cinq ou dix ans. D’autant que la petite taille du marché belge francophone ne suffit pas à faire durer une structure de formation continuée. 160 Chapitre 2 3. Recommandations des experts – animateurs (par M. Jean-Jacques Jespers, M. Marc Sinnaeve et Mme Laurence Mundschau) 3.1. Introduction Le diagnostic fait consensus chez les intervenants du deuxième atelier des Etats généraux des médias d’information (EGMI) consacré à la formation et au statut des journalistes : le monde des médias, de l’information et du journalisme vit une des mutations les plus profondes de son histoire. Elle est liée à l’intégration des innovations technologiques dans les processus de production et de consommation, à l’arrivée de nouveaux acteurs dans le paysage médiatique, aux tensions économiques, tant structurelles que conjoncturelles, qui en résultent… Cette mutation se caractérise principalement par la convergence numérique des médias et des informations sur les différentes plates-formes plurimédiatiques. Il y règne une concurrence plus aiguë qu’ailleurs pour les parts de marché publicitaire. Ce bouleversement affecte aussi bien le modèle économique et le schéma industriel de production, comme l’a montré le premier atelier, que l’organisation de travail des entreprises de presse, les conditions de l’activité journalistique, les fonctions et les statuts qui y sont articulés, ou encore les programmes de formation des journalistes en amont. L’atelier avait pour objectif d’examiner les capacités d’adaptation des formations à la nouvelle donne, mais aussi la nécessité et les potentialités de la formation continuée. D’autre part, il s’agissait de cerner la manière dont les professionnels, tant éditeurs et journalistes qu’experts, perçoivent, dans ce contexte, l’évolution de la profession, des métiers, des pratiques, des contraintes, des interactions, des attentes et impératifs, des moyens à disposition et des conditions de travail aussi. 3.1.1. Une inquiétude et un malaise généralisés chez les journalistes Pourtant habitués, depuis toujours, à travailler dans un contexte turbulent, les journalistes subissent, plus qu’ils ne les maîtrisent encore, des bouleversements en profondeur dont l’onde de choc provoque une inquiétude généralisée. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 161 D’autant que l’heure est à la récession et à la compression des effectifs. Le malaise est relayé tant par les associations professionnelles et des témoignages publics occasionnels que par des études convergentes sur le sujet. Les journalistes se sentent menacés à la fois en tant qu’employés d’un secteur en crise, en tant qu’acteurs sociaux en perte de légitimité, et en tant que professionnels obligés de s’adapter à de nouveaux outils et usages. Divers phénomènes sont pointés, plus précisément. La profusion des potentialités techniques au cœur du néo-management des salles de rédaction dans un contexte d’urgence permanente. L’explosion des informations à prendre en compte en raison de la multiplication des sources, des flux et des supports. La course à l’empilement des compétences et des tâches exigées. Le temps, les ressources et les effectifs disponibles, les rémunérations allouées, en particulier pour les freelances professionnels : en regard du travail prescrit d’une part, des attentes d’une information de qualité, d’autre part, les moyens et les conditions de travail sont jugés insuffisants, inadaptés à la charge de travail. Peuvent aussi contribuer à l’insatisfaction globale constatée une certaine « inculture numérique » et un manque de vision largement répandus dans un univers qui n’appréhende pas encore comme il se doit la transition numérique et ses enjeux. A noter aussi, en considération de situations sociales et professionnelles préoccupantes, la tendance à l’« auto-exploitation » dans un contexte de main d’œuvre pléthorique (mise) en concurrence… En résumé : la profession se vit sous la pression de la chronophagie du métier, du déséquilibre des revenus, de la disparité et de la volatilité des statuts d’emploi ou des conventions de travail, de la pratique d’un journalisme « Shiva », de la dégradation ressentie des conditions d’exercice du métier, de l’incertitude quant à l’avenir du secteur dont les lignes, devenues floues, bougent sans cesse… 3.1.2. Les opportunités d’un espace médiatique en transition La plainte, pour autant, n’est pas tout. Certains, les éditeurs principalement, mais aussi des journalistes, voient dans la recomposition à l’œuvre l’opportunité de revivifier un métier ébranlé dans son statut, son organisation, ses contraintes, son économie, ses productions mêmes. Economie Internet et pratique des réseaux sociaux obligent, se dessine aussi la perspective, pour les journalistes, de se réapproprier les outils de production à l’échelle individuelle tout en les « augmentant » de l’apport et des compétences des non-journalistes. A portée de main, également, la possibilité d’expérimenter 162 Chapitre 2 des formes d’écriture « enrichies » intégrant les potentiels de la technologie et de la créativité. Ou de créer de nouveaux métiers autour du journalisme, de contribuer à la recherche de nouveaux modèles économiques adaptés à la révolution digitale, d’inventer sa place et son rôle dans les nouveaux modèles opératoires d’un espace d’expression médiatique en transition. On peut acter, en effet, les évolutions, en cours ou à venir, suivantes : - - - - - - du one-to-many magistral des médias de masse au many-to-many décloisonné de la masse des médias ; d’un fonctionnement en cycles (quotidien du matin, journal télévisé du soir,…) à des flux continus portés par l’immédiateté et la réactivité ; de la narration et la diffusion monomédia à une écriture et des éditions plurimédias ; de la priorité des contenus (« content is king ») à la valeur ajoutée éditoriale différenciée selon le support ; de la maîtrise d’un parc de sources entretenues à l’investissement et l’exposition sur les réseaux sociaux, les blogs, les forums et les nouveaux outils de connaissance ; d’une rédaction journalistique fortement pyramidale à une organisation éditoriale en essaim intégrant différentes fonctions et métiers. En résultent un brouillage des lignes entre métiers, un entrecroisement des fonctions, une volatilité des lieux et temps de production et de consommation. 3.1.3. La mutation annoncée des « seigneurs » de l’information Il serait risqué de considérer l’évolution – ou la révolution – en cours aujourd’hui comme une simple prolongation ou amplification d’anciennes formes de travail journalistique partagées entre différents métiers. Jusqu’ici, les recompositions et les coopérations diverses (avec les photographes, les illustrateurs, les ouvriers du livre, les cameramen…) avaient fonctionné par ajouts et compléments au processus d’information sur lequel le journaliste conservait la haute main. Le monopole, la place prédominante et le statut clairement différencié du journaliste dans le dispositif n’en étaient pas – ou peu – affectés. Ce n’est plus le cas : la révolution digitale implique de nouveaux (r)apports dont certains se traduisent par des effets de substitution, des pertes de monopole, des mutations organisationnelles profondes… Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 163 Aujourd’hui, les contraintes combinées d’une information quasiment en temps réel, de contextualisation et de valeur éditoriale ajoutée exigent, dans une organisation repensée du collectif de production, des compétences complémentaires et simultanées qu’un journaliste seul ne peut plus assumer. D’ores et déjà, les journalistes partagent la pertinence même de l’information et de sa construction avec des « citoyens-internautes-médias » amateurs, mais aussi, de plus en plus, avec des professionnels d’horizons et de compétences différents : des recherchistes de données, des développeurs de programmes informatiques, des spécialistes de la visualisation, des webdesigners… Au croisement des flux et des fonctions, les journalistes sont appelés à évoluer, partiellement au moins, vers des rôles d’orchestrateurs, d’architectes, d’éditeurs ou sous-éditeurs de l’information dûment récoltée, triée, vérifiée, agrégée, enrichie… En d’autres termes, les journalistes sont en passe de perdre leur position de piliers ou de seigneurs de l’information qui faisaient « descendre » verticalement l’information traitée par leurs seuls soins. Le modèle en devenir consiste à organiser une coproduction, une pluriédition, une circulation et une mise à jour continuelle et plus horizontale de l’information. Dans la recomposition en cours des frontières du monde de l’information, toutefois, c’est bien le respect des normes de la déontologie journalistique qui est appelé, plus que jamais, à tenir lieu de cap et de phare. Il constitue non seulement une garantie de qualité de l’information face aux impératifs de rentabilité et aux contraintes de la concurrence entre les différents médias, mais surtout, il doit tenir lieu de commun dénominateur au mélange des fonctions évoqué. 3.1.4. Repenser le statut des journalistes, les collectifs de rédaction et le contrat de lecture de l’information Ces bouleversements obligent le journaliste à repenser sa place et son rôle, et la profession, le secteur même, voire le législateur, à reconsidérer la question du ou des statuts : - - - le statut professionnel, social et juridique des journalistes ; le statut (de fait ou de droit) du collectif ou du concept même de rédaction ; le statut économique, mais aussi éditorial (le contrat de lecture) de l’information. Premièrement, il paraît inévitable, à terme, d’examiner l’opportunité 164 Chapitre 2 de renforcer, de préciser et/ou d’élargir le statut social et juridique des journalistes professionnels. En regard, d’abord, des nouvelles attentes et des nouvelles responsabilités. En regard, aussi, de l’émergence de nouveaux acteurs dans le processus de production de l’information. Compte tenu des développements évoqués, les médias doivent trouver un équilibre entre la nécessaire adaptation attendue ou exigée des journalistes face à la nouvelle donne, et la valorisation de la qualité du travail journalistique qui doit en résulter. Il s’agit, notamment, de valoriser leur rôle de phare face à « l’infobésité », de filtre vis-à-vis du « bruit d’Internet », mais aussi leur mission d’investigation et d’enquête dans les plis enfouis de nos sociétés. Et ce, au sein d’équipes garantes de la diversité des profils et des compétences. Plusieurs journalistes auditionnés appellent de leurs vœux une forme de labellisation des sites d’information de qualité ou de « presse équitable » qui serait une forme de reconnaissance du traitement social et juste des journalistes professionnels. Plus particulièrement, la question de la valorisation des collaborations des journalistes indépendant-e-s (en particulier s’il s’agit de collaborations exclusives), de leur rémunération, ainsi que celles des conventions qui les lient à l’entreprise, doivent, elles, pouvoir être abordées dans le contexte d’une production de plus en plus collective et intégrée de l’information, visant la valeur éditoriale ajoutée. Deuxièmement, la métamorphose récente des salles de rédaction plurimédias intégrées l’atteste : le concept même de rédaction, le fonctionnement et le statut de celle-ci sont appelés à muter, eux aussi. On peut pointer entre autres évolutions : une présence moindre de journalistes sur place grâce au travail à distance ; un nouveau partage ou croisement des tâches, de nouvelles coopérations interprofessionnelles et inter-médias ; une multiplication des produits rédactionnels, de formes et de formats diversifiés ; la place prise par d’autres services et fonctions de l’entreprise (le marketing notamment) : la nécessité de développer et de gérer une « culture de la communication permanente », de nouvelles formes de sociabilité professionnelles, ainsi qu’une transmission plus rapide et plus efficace de ce qui se passe, de ce qui se fait, de ce qui se décide au sein du collectif rédactionnel… En tout état de cause, les défis d’avenir et les changements déjà à l’œuvre tendent à « désenclaver » les journalistes qui sont plutôt habitués à travailler chacun dans leur coin. Dérive, menace pour l’indépendance journalistique ? Ou opportunité pour la profession de se réapproprier la maîtrise « culturelle » de l’ensemble des outils de production et de diffusion, Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 165 de s’y forger une nouvelle place, de réaménager son rapport aux équipes du management de rédaction et d’entreprise ? Troisièmement, tout le monde s’accorde sur le point de valoriser, plus que jamais, le professionnalisme et donc les contenus de qualité à haute valeur ajoutée. Les rédactions doivent, pour survivre, se distinguer dans leur offre journalistique. Une manière d’agir en ce sens, dans un contexte budgétaire restreint, pourrait être de s’appuyer davantage sur les modes de coopération entre la profession et les non-professionnels, de valoriser les compétences d’expertise de ces derniers, dans leurs domaines respectifs, sachant que les interactions ou la participation des « amateurs » à la mécanique globale de l’information, sur des modes variés et évolutifs, sont un fait établi. Personne n’envisage prendre la place des journalistes. L’objectif est plutôt de faire une certaine place à des extérieurs à partir de l’espace ou du domaine d’où ils s’expriment, tout en maintenant le journaliste comme seul chef d’orchestre au milieu des flux de contenus. Corollairement et sachant que le public, en moyenne, connaît de mieux en mieux le fonctionnement de l’information et de son système, un nouveau contrat de lecture de l’information doit pouvoir être mis à l’ordre du jour. Ceci aussi dans une optique d’éducation continuée aux médias. Il s’agirait, concrètement, de clarifier le statut même de l’objet d’information, de rendre plus lisible et plus transparente la pluralité réelle du processus de fabrication, des sources mentionnables, des apports extérieurs de contenus, des démarches effectuées en collaboration numérique. Il y a là, en tout cas, matière à responsabilisation croisée, à appropriation davantage partagée des supports ou des marques d’information à partir des « coproduits ». 3.1.5. L’engouement pour les études de journalisme et ses questions La grande mutation renvoie également à la question de l’adaptation des formations de base actuellement proposées. L’enjeu principal, pour les écoles de journalisme, est de parvenir à combiner préparation de leurs publics aux besoins actuels du marché de l’emploi, et anticipation des évolutions de celuici. De ce point de vue, la formation au journalisme est depuis longtemps une formation en soi, qui dépasse le strict cadre de l’apprentissage reproductif de techniques et de connaissances thématiques sectorielles. Des questions plus globales d’éthique professionnelle, de démarche personnelle et collective, de responsabilité sociale, de maîtrise de l’économie des médias, de réflexion 166 Chapitre 2 critique sur les enjeux du métier, de prospective… font plus spécialement partie des programmes des enseignements de cycle long, qui offrent la seule formation spécifique complète au journalisme. Ceux-ci, structurellement, reposent sur le modèle, croisé ou distinct, de l’enseignement général de niveau universitaire et de l’apprentissage professionnel fondé sur le principe de l’échange d’expérience et de pratiques d’apprentissage avec des journalistes patentés. Dans ces centres de formation spécifique au journalisme de la Fédération Wallonie-Bruxelles, au fur et à mesure de l’évolution des médias, de nouveaux enseignements ont été créés pour épouser les transformations qui touchent le secteur. Mais l’apprentissage de nouveaux outils, de nouvelles compétences, l’immersion dans de nouvelles cultures (de l’image, de l’informatique, de l’économie…) ne se suffisent pas à eux-mêmes. Encore faut-il adopter une posture « éclairée » de la chose numérique, particulièrement dans un contexte d’obsolescence extrêmement rapide des techniques et des savoirs. Il s’agit, en conséquence, d’élargir le champ de vision, de ne pas se contenter d’une formation par empilement de matières nouvelles, par spécialisations techniques additionnées. Il s’agit plutôt de croiser les cultures, de décloisonner les formations (via les coopérations internationales par exemple), de même que les lieux et les temps de formation. Mais il faut aussi pouvoir intégrer dans l’enseignement des postures, des démarches et des questions – partagées entre enseignants et enseignés – d’expérimentation, d’innovation, de recherche appliquée autour des changements à l’œuvre et de leurs conséquences… Ce modèle d’enseignement a fait la preuve de son efficacité et de son haut niveau de qualité, attestés par une évaluation positive récente de l’AEQES (Agence pour l’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur). Il a formé et forme des professionnels de qualité. Ce qui explique en partie, sans doute, la forte demande pour ce type d’études de la part d’un public étudiant souvent attiré aussi par une représentation encore mythifiée du journalisme. L’engouement pour ces études et le nombre élevé d’étudiants diplômés en FWB sont souvent jugés excessifs en regard de l’univers de référence professionnel. Ils doivent être appréhendés à la lumière de la grande hétérogénéité des formations d’une part, et à la différence entre le nombre d’étudiants formés spécifiquement au journalisme, au terme d’un second cycle, et le nombre d’étudiants titulaires d’un diplôme de bachelier au terme d’études généralistes en communication, tous types d’enseignement confondus, d’autre part. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 167 Dans les formations de cycle court, seule une minorité (10 à 20 %) des bacheliers formés en tant que professionnels polyvalents de la communication s’oriente vers le secteur du journalisme. Des questions se posent, et elles ont été posées et débattues lors de l’atelier 2 des EGMI. Les démarches d’information et d’orientation des futurs étudiants déployées par différentes instances (salons, opérations d’éducation aux médias, journées portes ouvertes, préorientations…), que ce soit en amont ou en début de parcours académique, dans ou hors des écoles de journalisme : quelle pertinence, quelle visibilité, quels effets, quelles garanties pour la diversité des profils ? - - La nature des rapports, des distinctions, mais aussi des passerelles entre les formations de cycle court et les enseignements de type long. L’impact des nombreux stages professionnels sur les rédactions, sur les collaborateurs de celles-ci, également ; la durée des stages, mais aussi les finalités différentes de ceux-ci, et les profils professionnels variés des stagiaires, selon le type d’enseignement dont ils sont issus. Ces questions appellent, à tout le moins, des clarifications diverses, une accentuation des échanges et une concertation plus étroite entre les divers acteurs. 3.1.6. Nécessité, demande et offre de formation continuée L’évolution des trajectoires professionnelles a toujours obligé les journalistes à acquérir de nouvelles compétences au cours de leur carrière. C’est plus vrai que jamais : la métamorphose complète en cours du système éditorial est telle que sa maîtrise appelle le recours à la formation continuée pour les professionnels de l’information. Tant éditeurs que journalistes constatent, en effet, que les difficultés d’adaptation à la culture numérique nouvelle se manifestent à tous les niveaux des entreprises médias et concernent à la fois les journalistes, les cadres de la rédaction et les éditeurs. D’autant que rien n’est figé, beaucoup de potentialités restent à explorer : il convient de combiner dans la formation l’apprentissage des principes et des outils de base actuels, et la compréhension des dynamiques qui continueront à transformer les médias et les façons de faire de l’information. Non seulement il y a nécessité d’une formation continuée – tous les acteurs des 168 Chapitre 2 EGMI en conviennent – mais, désormais, la demande existe, comme l’ont tour à tour répété les éditeurs de presse quotidienne et de presse périodique, les responsables de l’audiovisuel public, ainsi que les journalistes interrogés à ce sujet par l’AJP. Si elle est encore trop peu connue, l’offre est bel et bien présente du côté des institutions de formation, universitaires ou non, de type long. Différents projets ou initiatives, à cet égard, ont été rendus publics, accompagnés dans certains cas d’une demande de financement public 3.2. Recommandations Le sentiment prévaut aujourd’hui, dans de larges secteurs de l’opinion, que les conditions actuelles de production de l’information menacent la qualité de celle-ci. Les recommandations reprises dans ce volet (en caractères gras) ne sont dictées que par une préoccupation fondamentale : promouvoir la qualité et la fiabilité de l’information reçue par les citoyens. Cette qualité et cette fiabilité ne peuvent être assurées que par des éditeurs et des journalistes bien formés, conscients de leur responsabilité sociale, respectueux d’une déontologie qu’ils connaissent, avertis des conditions du marché, aguerris aux techniques professionnelles et capables de choix libres et éclairés. Dans ce but, il est impératif, d’une part, que les éditeurs puissent développer leur entreprise et la faire prospérer et, d’autre part, que les journalistes bénéficient de la meilleure formation possible, des meilleures conditions possibles d’exercice de leur métier, en sorte qu’ils puissent résister aux tentations et aux influences extérieures, qu’ils aient le temps et l’indépendance d’esprit nécessaires pour se consacrer avec fruit à la collecte et au traitement des informations et qu’ils puissent vivre décemment de ce travail. Tant la position concurrentielle des entreprises d’information que le fonctionnement d’une démocratie libre et éclairée dépendent largement de la crédibilité, de la responsabilité et de la sérénité des journalistes. C’est la raison pour laquelle leur formation, leur statut et leurs conditions de travail doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part du législateur autant que de la part des employeurs. 3.2.1. Statut et conditions de travail A. Statut social des journalistes La situation sociale des journalistes dans la Fédération Wallonie-Bruxelles peut se résumer en quelques constats : précarisation, accroissement de la Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 169 proportion de journalistes freelances exerçant le métier sous le régime du contrat d’entreprise (dont certains sont liés à un maître d’œuvre unique par des liens qui s’apparentent au contrat d’emploi sans en revêtir les formes), exigence croissante de polyvalence et de compétence « plurimédias », modification des modes de rémunération, persistance d’une disparité numérique et pécuniaire entre hommes et femmes. 1°) Le statut des journalistes freelances La problématique actuelle se cristallise autour du statut social des freelances et de leur rémunération, d’autant plus que l’émergence des médias en ligne et des médias contributifs entraîne l’apparition de nouveaux acteurs de l’information qui ne sont que très rarement salariés et qui apparaissent comme des entrepreneurs individuels nouant avec les éditeurs des relations réputées « commerciales ». Dans le domaine du contrat d’entreprise, priorité est donnée, dans le droit belge, à la « libre volonté des parties », même si, étant donné les contraintes d’un marché très compétitif, cette volonté n’est pas toujours totalement libre dans le chef de l’une de ces parties. Ces contraintes incitent en effet les éditeurs à recourir à des freelances afin de flexibiliser leur gestion des ressources humaines et, par ricochet, certains freelances risquent de se trouver dans une situation sociale proche du niveau de pauvreté, en raison notamment de leur relatif isolement et du fait qu’ils ne peuvent bénéficier d’une représentation syndicale. Les conditions de travail des freelances peuvent par ailleurs être génératrices de stress et nuisibles à la qualité de l’information. C’est pourquoi les experts recommandent un ensemble de mesures relevant soit de la législation fédérale, soit du décret, soit de conventions collectives, soit d’engagements au sein des associations d’éditeurs, afin de clarifier et d’homogénéiser le régime des rémunérations des freelances. [RECOMMANDATION 1] Une réforme légitime mais radicale pourrait s’inspirer de la loi française Filioud-Cressard (loi n° 74630 du 1er juillet 1974, art. L-761-2 du Code du travail) instaurant la présomption de contrat d’emploi : toute prestation effectuée par un-e journaliste professionnel-le serait présumée relever d’un contrat d’emploi à durée déterminée ou à objet déterminé, même si elle revêt 170 Chapitre 2 la forme d’un contrat d’entreprise. Autrement dit, un statut spécial serait conféré à la prestation journalistique (à l’instar de la « pige » en France), mettant le/la prestataire dans les conditions d’un salarié du point de vue de la législation fiscale et sociale. Cette solution devrait relever à la fois d’une initiative législative fédérale, dérogeant pour la circonstance au principe de la « libre volonté des parties », et d’une négociation paritaire entre éditeurs, organisations syndicales et associations professionnelles, par exemple au sein d’une plate-forme suggérée à l’atelier n° 2 par le représentant de la CSC. [RECOMMANDATION 2] Faute d’accord sur la création d’un statut légal de pigiste, la même plate-forme devrait entreprendre, en vue de clarifier et d’unifier les tarifs de facturation, la confection d’un barème unique des prestations des freelances, selon le type de média. Cette réforme devrait s’accompagner d’un engagement conventionnel des éditeurs à respecter ce barème, quelles que soient les conditions du marché et le type d’information concerné (sport, faits divers, politique, culture…) et que le travail facturé fasse ou non l’objet d’une publication. Le nouvel engagement collectif résultant de cette négociation paritaire pourrait prendre la forme d’une charte, à l’exemple de celle qui a été conclue dans le secteur de la bande dessinée en France. Ce barème devrait prendre en compte des éléments objectifs tels que : les déplacements effectués, les frais engagés, le temps réel de réalisation du travail (selon un montant horaire ou journalier, en ce compris l’alerte ou la veille sur différents supports), la valorisation financière de l’éventuelle clause d’exclusivité, les suppléments pour travail de nuit, de week-end ou de jour férié. Ces éléments pourraient remplacer les critères actuels (signe, ligne, page, tirage de photo, etc.). Notons que, selon certains éditeurs, notamment de la presse périodique, l’unification des tarifs et des barèmes serait non seulement inopportune mais illégale dans un système de libre concurrence. Un choix (ou un équilibrage) s’impose donc entre le principe de la libre concurrence, la viabilité des entreprises et la protection des droits élémentaires des freelances. Des dérogations spécifiques et justifiées pourraient être prévues en faveur des éditeurs de la presse périodique. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 171 [RECOMMANDATION 3] Une autre manière d’atteindre le même type d’objectifs serait la généralisation des conventions de collaboration standardisées et transparentes, basées sur les mêmes critères. Ce type de convention devrait prévoir des clauses particulières en cas de rupture unilatérale de la convention par l’une ou l’autre partie, en considération des services rendus et de la durée des liens d’exclusivité ayant existé entre les parties. [RECOMMANDATION 4] Afin d’encourager le secteur à conclure et à respecter un accord sur ces sujets au sein de la Fédération WallonieBruxelles, le décret sur l’aide directe à la presse pourrait inclure un nouveau critère d’attribution, en l’occurrence la signature et le respect du barème conventionnel des prestations des freelances et/ ou l’approbation de conventions de collaboration prenant une forme déterminée et contenant des clauses de garantie. Toutefois, le décret en question ne concernant que la presse quotidienne, la presse périodique généraliste et les médias audiovisuels devraient être encouragés à adhérer au système par d’autres moyens. Une autre forme de stabilisation sociale des freelances est suggérée par le système que représentent des sociétés comme Merveille et SMart : l’adhésion à ce système permet de déclarer ses revenus sous le statut de salarié, avec tous les avantages sociaux que cela représente. Toutefois, dans la situation juridique actuelle, ces sociétés sont contraintes d’adopter la forme d’entreprises de travail intérimaire, ce qui accroît les prélèvements qu’elles doivent effectuer, au détriment de leurs membres, sur les sommes facturées aux employeurs réels (une cotisation de 9,7 % au Fonds de solidarité des sociétés de travail intérimaire). [RECOMMANDATION 5] Une piste prometteuse est suggérée : celle d’une structure coopérative de « producteurs associés » ou d’une instance médiane qui encadrerait le travail de ces micro-entrepreneurs que sont les freelances, les représenterait face aux employeurs et pourrait réduire leurs coûts de production en les mutualisant. Cette instance pourrait 172 Chapitre 2 comporter un secrétariat social de prestataires, assumant la gestion sociale des journalistes freelances sans leur imposer les inconvénients de l’entreprise d’intérim. Le législateur pourrait reconnaître juridiquement le statut de cette instance médiane et en encourager la création par des mesures sociales ou fiscales. Une adaptation ad hoc du décret sur l’aide directe à la presse devrait également être envisagée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, moyennant les réserves mentionnées plus haut et concernant les éditeurs de la presse périodique spécialisée. [RECOMMANDATION 6] Les experts suggèrent également au législateur fédéral de mettre à son ordre du jour les propositions suivantes émanant notamment de l’AJP : a) un assouplissement des conditions d’indemnisation des chômeurs qui exercent des activités de journaliste freelance, par l’attribution à ces personnes d’un statut semblable au statut « d’artiste » reconnu par l’ONEM ; b) la généralisation du contrat d’étudiant, afin d’éviter aux étudiants exerçant des activités journalistiques d’avoir à faire face à des cotisations sociales très lourdes ; c) la suggestion que soit rendue obligatoire pour tous les journalistes une assurance de la responsabilité civile leur permettant d’échapper aux effets de la responsabilité en cascade, effets qui peuvent être très dommageables en particulier pour les freelances. 2°) Le statut des journalistes salariés Les conditions de rémunération et d’embauche des journalistes sous contrat d’emploi suscitent également des interrogations. Ainsi, plusieurs médias ont connu récemment des plans sociaux et des réductions d’effectifs. Dans d’autres, une réduction des salaires et du temps de travail a été décidée de commun accord entre direction et rédaction. Certains éditeurs remplacent une partie de la rémunération fixe des journalistes par un paiement sous forme de droits d’auteur, ce qui leur permet de réduire leurs cotisations sociales. Certains journalistes acceptent une cession forfaitaire voire gratuite de leurs droits sur leurs productions. Il arrive que des heures supplémentaires soient prestées sans être rémunérées. Un déséquilibre persiste entre hommes et femmes, tant Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 173 dans le niveau des rémunérations que dans les chances de promotion (une seule femme rédacteur en chef dans la presse francophone !). Plusieurs mesures sont suggérées pour contrecarrer ces inconvénients. [RECOMMANDATION 7] En ce qui concerne les effectifs des rédactions : les experts proposent que, pour l’attribution des aides prévues par le décret sur l’aide directe à la presse, le critère de la proportion de journalistes sous contrat d’emploi à durée indéterminée passe de 40 % à 60 % et que la mesure soit élargie aux médias non visés par le décret (sous la réserve de la situation particulière des éditeurs de la presse périodique spécialisée). Il est également suggéré aux employeurs, dans le même but, de s’engager à rémunérer toutes les heures supplémentaires. Comme alternative aux plans sociaux, lorsque l’évolution technologique le commande, les éditeurs devraient privilégier la reconversion professionnelle (par exemple, reconvertir les photographes en opérateurs vidéo dans une rédaction plurimédias). [RECOMMANDATION 8] En ce qui concerne les rémunérations : les experts estiment indispensable le respect des barèmes existants et l’amélioration des barèmes les plus défavorables (fixés par les commissions paritaires 227 et 329). Ils suggèrent aussi que les barèmes de rémunération soient communs à toutes les rédactions situées au sein d’un même groupe de presse. Toutefois, les éditeurs font remarquer que, sur les supports en ligne, leurs entreprises sont mises en concurrence avec des opérateurs chez qui les relations sociales ne sont pas régulées. Il conviendrait donc de légiférer au niveau fédéral sur les modalités d’élaboration des grilles de rémunération au sein de tous les éditeurs de service, quel que soit leur statut, afin d’évoluer vers une harmonisation des barèmes. Cette harmonisation devrait s’appliquer également aux autres métiers de l’information (cadreurs, preneurs de son, infographistes). Les télévisions locales demandent, dans cette optique, aux autorités de la Fédération Wallonie-Bruxelles une révision de leurs critères de subventionnement qui, à l’heure 174 Chapitre 2 actuelle, ont pour effet de donner plus d’importance à la quantité qu’à la qualité de la production. [RECOMMANDATION 9] En ce qui concerne le déséquilibre hommes-femmes : les experts recommandent l’alignement des rémunérations des journalistes femmes sur celles des journalistes hommes. Ils suggèrent de favoriser autant que possible, non seulement l’engagement, mais surtout la promotion de journalistes femmes à des postes de responsabilité rédactionnelle. 3°) Le régime des droits d’auteur La rémunération des journalistes sous la forme de droits d’auteur (partielle voire parfois totale pour certains freelances) s’avère une solution porteuse à la fois d’avantages et de risques. Elle présente l’avantage de permettre aux éditeurs de limiter leurs dépenses sans modifier la rémunération nette du/de la journaliste, les droits d’auteur étant taxés forfaitairement comme revenus mobiliers. Mais elle risque de placer le/la journaliste dans une position délicate face à l’administration fiscale et de porter une atteinte disproportionnée à ses droits sociaux. Les experts formulent les recommandations suivantes à ce propos : [RECOMMANDATION 10] Il est recommandé que le statut d’auteur soit légalement reconnu à tous les journalistes. [RECOMMANDATION 11] Par ailleurs, il conviendrait que le législateur fédéral examine la position de l’AJP, qui demande que soient interdites toute présomption de cession de droits et toute cession gratuite privant les auteurs de leurs droits secondaires (en cas de republication, d’exploitation d’archives, etc.). Lors de cet examen, il s’imposerait de prendre en compte la situation particulière des éditeurs de la presse périodique spécialisée : des dérogations spécifiques Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 175 devraient être prévues à leur endroit. On devrait également prendre en compte la déclaration de certains éditeurs127 selon laquelle la cession par les journalistes de leurs droits d’exploitation des contenus sur tous les types de plates-formes est pour leur entreprise une condition de survie. [RECOMMANDATION 12] En ce qui concerne les droits secondaires, le législateur fédéral pourrait s’inspirer de la loi française, qui prévoit la cession intégrale des droits d’exploitation sur tous supports pendant une période de référence (à déterminer conventionnellement), mais instaure une rémunération (à définir conventionnellement) pour toute utilisation au-delà de l’expiration de ce délai. [RECOMMANDATION 13] Il faudrait en outre que le barème conventionnel des prestations, dans le cas des freelances, ou la convention collective, dans le cas des journalistes salariés, prévoie une limite à la proportion de la rémunération sous forme de droits d’auteur : un maximum de 30 % est proposé128, sauf pour les indépendants à titre complémentaire et pour des droits secondaires. B. Statut juridique des journalistes professionnels Le titre de journaliste professionnel reconnu par la loi du 30 décembre 1963 est attribué par une commission d’agréation en application d’un arrêté royal qui en organise la procédure et le fonctionnement. Les documents de presse décernés aux seuls journalistes professionnels constituent une forme de reconnaissance officielle de leur fiabilité. Toutefois, l’une des conditions impératives pour l’octroi et la pérennité du titre de journaliste professionnel est source de dilemme pour la commission d’agréation : celle qui interdit toute forme d’activité commerciale. Cette incompatibilité décourage notamment certains journalistes d’introduire une demande d’agréation, ce qui crée une Voir l’intervention de François Le Hodey à l’atelier 2. Sur la base de l’expérience en Communauté flamande et d’informations officieuses émanant du SPF Finances. 127 128 176 Chapitre 2 dichotomie à l’intérieur de la profession. De plus, satisfaire à cette condition s’avère difficile pour les journalistes débutants en raison des conditions du marché de l’emploi. [RECOMMANDATION 14] La commission d’agréation pourrait être autorisée par la loi à octroyer le titre de journaliste professionnel à toute personne qui consacre au moins la moitié de son temps d’activité professionnelle à un travail d’information générale et dont les autres revenus proviennent exclusivement d’activités qui ne sont pas susceptibles de limiter son indépendance journalistique. [RECOMMANDATION 15] Comme le recommande la commission d’agréation, l’accès au titre de journaliste professionnel doit être ouvert à toute personne travaillant, quel que soit son statut, dans les conditions légales telles qu’elles sont interprétées par la commission d’agréation, pour un média d’information générale sur n’importe quel type de support. Le titre de journaliste professionnel représente un « label de qualité journalistique ». Il convient de renforcer par tous les moyens cette portée positive du titre, de telle sorte que le recours à des journalistes professionnels soit de nature à améliorer l’image de marque et la crédibilité d’un média. Dans cette optique, il est regrettable que l’adhésion au système d’autorégulation déontologique ne fasse pas partie des conditions d’octroi du titre. Le fait que l’AJP incite ses membres à signer un engagement de respect des codes déontologiques ne peut être considéré comme suffisant, dans la mesure où l’adhésion à l’AJP ne revêt aucun caractère obligatoire. [RECOMMANDATION 16] Une modification de la loi du 30 décembre 1963 devrait être envisagée par un amendement ajoutant aux conditions pour obtenir et conserver le titre de journaliste professionnel la signature par le/la journaliste d’un engagement d’adhésion au système d’autorégulation déontologique existant dans chaque Communauté (RvdJ et CDJ) et de respect des règles et avis déontologiques édictés par les organes d’autorégulation de sa Communauté. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 177 Le titre de journaliste de profession fait également l’objet d’une reconnaissance officielle, même si ses conditions d’octroi sont différentes de celles prévues par la loi du 30 décembre 1963. Le/la journaliste de profession exerce ses activités dans la presse périodique spécialisée. [RECOMMANDATION 17] Il convient de poursuivre la négociation en cours en vue de rapprocher les titres de journaliste professionnel et de journaliste de profession afin d’aboutir à un titre unique dont l’octroi et la conservation seraient notamment conditionnés par le respect des normes déontologiques et professionnelles. C. Statut des rédactions L’autonomie intellectuelle des rédactions fait partie des conditions nécessaires à la qualité et à la fiabilité de l’information reçue par le citoyen. La sélection et la hiérarchisation de l’information ne doivent dépendre que de la rédaction et de ses responsables, à l’exclusion de toute consigne des actionnaires visant à orienter les choix éditoriaux dans des buts étrangers au droit à l’information des citoyens. Pour assurer la qualité et la fiabilité de l’information qu’ils transmettent, les journalistes ne doivent pas être considérés comme de simples exécutants. En tant que détenteurs de savoir et de savoir-faire, ils doivent participer à l’orientation de la politique rédactionnelle et aux choix éditoriaux. C’est dans ce but que les experts font les recommandations suivantes : [RECOMMANDATION 18] Une initiative législative et/ou un accord conventionnel devrait organiser plus formellement le statut des rédactions en élargissant clairement les compétences de celles-ci aux nouveaux médias et aux nouveaux métiers et en donnant davantage de pouvoir représentatif et une existence légale aux sociétés de rédacteurs, qui représentent le « capital intellectuel » de l’entreprise. [RECOMMANDATION 19] A minima, la société de rédacteurs devrait avoir le dernier mot quant à la désignation du rédacteur en chef, lequel devrait avoir des prérogatives nettement distinctes de celles 178 Chapitre 2 du chef d’entreprise : il serait « le premier des journalistes » et non « le dernier des directeurs »129. Dans cette perspective, tout doit être mis en oeuvre (au niveau légal et conventionnel) pour que, dans tous les médias d’information générale, le rédacteur en chef soit titulaire du titre de journaliste professionnel, comme le recommande le CDJ et à l’instar de ce que prévoit le décret de la Communauté française dans les télévisions locales. A maxima, la société de rédacteurs pourrait se voir dotée d’une structure juridique distincte et se transformer en opérateur autonome, lequel se verrait confier le travail rédactionnel pour le compte de l’éditeur130. [RECOMMANDATION 20] La rédaction devrait être clairement distincte des autres services de l’entreprise et principalement des services de marketing131. Un protocole devrait être adopté dans ce sens au sein de chaque société éditrice ou au sein des associations d’éditeurs. [RECOMMANDATION 21] Dans le même esprit, les experts suggèrent que les éditeurs faisant partie de l’AADJ s’engagent formellement à publier toute décision ou tout avis du CDJ qui concerne directement leur média. Cet engagement devrait constituer un critère supplémentaire, à ajouter au décret, pour l’attribution de l’aide directe à la presse. [RECOMMANDATION 22] Le législateur pourrait organiser pour les journalistes un « droit de retrait » qui consacrerait leur droit au refus d’obtempérer, sans perte d’emploi ou de rémunération, à une consigne inacceptable en vertu de la déontologie132. Selon l’expression de Jean-Paul Marthoz. Proposition de l’enquête française Technologia. 131 30 % des pressions subies par les journalistes flamands proviennent, selon une étude récente, du service marketing de l’éditeur. 132 Selon une proposition faite à l’atelier 2 par Denis Ruellan, professeur à l’université de Rennes I. 129 130 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 179 D. Conditions de travail L’avenir des médias d’information se joue sur les supports en ligne, où règne une concurrence plus dure qu’ailleurs. De ce fait, l’agilité numérique et la polyvalence pluri-médias sont de plus en plus exigées dans les rédactions. Les journalistes se transforment en aiguilleurs et en gestionnaires de contenus. Une gestion « en essaim » des rédactions intègre de plus en plus des métiers différents. Il n’est plus question de « garder un scoop » et les outils de recoupement de l’information se sont multipliés et diversifiés, d’où la nécessité d’un professionnalisme accru et l’émergence de nouveaux types de journalisme. Cette évolution inéluctable génère un stress professionnel supplémentaire, partagé par éditeurs et journalistes, notamment à cause de la suppression de la deadline et de l’obligation de produire à flux tendu sur les supports en ligne. Cependant l’évolution n’est pas vécue de la même manière dans tous les médias : dans certaines rédactions, c’est la spécialisation qui prévaut ; dans d’autres, la polyvalence la plus extrême est exigée des rédacteurs. Des études convergentes semblent par ailleurs indiquer qu’une proportion significative de journalistes est mécontente de ses conditions de travail et qu’une forme de burnout lié notamment aux exigences nouvelles du métier se répand dans les rédactions. Quant aux freelances et aux collaborateurs extérieurs, leur isolement relatif nuit à leur intégration au projet rédactionnel, ce qui entraîne, pour eux également, un stress supplémentaire. Des propositions sont formulées par les experts en vue de l’adéquation des rédactions au nouvel environnement de l’information et de l’amélioration de leurs conditions de travail. [RECOMMANDATION 23] La quantité et le rythme de travail exigés des journalistes, quel que soit leur statut, doivent être compatibles avec une production rédactionnelle de qualité. [RECOMMANDATION 24] L’adaptation à la nouvelle donne du journalisme doit être encouragée et organisée dans le cadre de la formation continuée (v. infra), mais une adaptation strictement fonctionnelle ne peut être la seule priorité de cette formation. Celle-ci doit être une clé majeure de l’amélioration de la qualité rédactionnelle 180 Chapitre 2 et du climat de travail de l’entreprise. Elle doit viser à accroître la culture numérique et la connaissance du marché, à développer l’aptitude à l’usage des technologies, mais elle doit principalement s’attacher à atténuer le stress face à l’évolution des métiers et à améliorer l’exécution du travail journalistique proprement dit (récolte, vérification, traitement et publication de l’information). [RECOMMANDATION 25] S’attaquer au burnout devrait figurer parmi les objectifs des entreprises éditrices. Il s’agit d’organiser la prévention des risques liés à la charge psychosociale du travail journalistique, de prévoir une formation spécifique des cadres des rédactions à la gestion de conflits et à l’interaction personnelle, et de confier à des personnes références dans les rédactions un rôle de conseil et de médiation. [RECOMMANDATION 26] L’accès des freelances et des collaborateurs extérieurs devrait être permis et organisé aux salles de rédaction et aux réseaux intranet de l’entreprise, de même que leur meilleure intégration aux équipes rédactionnelles. [RECOMMANDATION 27] Une des clés de l’amélioration du climat de travail dans les rédactions est la diversification accrue (en âge, en genre, en origine, en culture, en formation) des équipes journalistiques afin de mieux varier les compétences et les angles d’approche de l’information. [RECOMMANDATION 28] Dans ce même esprit, et comme le recommande le CDJ, l’activité de modération ou d’animation des forums et des espaces d’expression sur les sites des médias devrait être confiée uniquement à des journalistes. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 181 [RECOMMANDATION 29] Il s’impose de soutenir l’enquête et le reportage en pérennisant le fonds de soutien au journalisme d’investigation et en renforçant son subventionnement par la Fédération Wallonie-Bruxelles. [RECOMMANDATION 30] L’éducation aux médias dans l’enseignement secondaire et l’initiation aux médias dans les écoles de journalisme doivent mieux préparer les futurs consommateurs et les futurs producteurs d’information à la constellation médiatique qui s’annonce, en améliorant la « littératie » médiatique133 et en objectivant notamment les réalités du métier de journaliste. Cette préoccupation sera développée dans le chapitre suivant. 3.2.2. Formations aux métiers du journalisme Au terme des travaux de l’atelier 2 des États généraux des médias d’information en Belgique francophone, un constat réconcilie tous les participants : l’énorme contraste entre une formation de plus en plus exigeante et exigée, et la pauvreté croissante des conditions d’exercice des métiers de l’information. Comment réagir devant ce grand écart de plus en plus périlleux – dont on peut par ailleurs se demander s’il est propre au seul monde médiatique ? Les propositions en matière de statut et de conditions de travail qui viennent d’être exposées sont une partie de ces réponses. Elles doivent nécessairement être anticipées et poursuivies dans le cadre des (in)formations aux métiers du journalisme, second volet des travaux de cet atelier 2 des EGMI. La formule « Formations aux métiers du journalisme » est plurielle à dessein. L’on distingue en effet la formation de base (durant les études supérieures universitaires ou non) de la formation continuée (en cours d’exercice du métier). En amont de ces deux axes, il convient d’ajouter l’information sur les études et les professions, afin que les candidats à l’exercice des métiers de l’information choisissent leurs études en connaissance de cause. Et en aval, il faut développer la recherche et le développement des connaissances sur ces études et professions, afin de 133 Selon l’expression d’Eric Scherer, directeur des médias numériques à France 2. 182 Chapitre 2 nourrir adéquatement les formations et d’innover intelligemment dans la pratique des métiers. Plus fondamentalement enfin, il convient d’introduire l’éducation aux médias dans les cycles de formation obligatoire (en primaire et en secondaire), afin que toute la société soit de mieux en mieux à même d’analyser, d’évaluer et de créer des contenus médiatiques de qualité. C’est cette structure de l’amont à l’aval – ou d’une boucle à boucler ? – qui guide les recommandations suivantes, en caractères gras dans le texte qui les cadre. A. Éducation aux médias Le rapport scientifique intitulé État des lieux des médias d’information en Belgique francophone réalisé en préambule à ces EGMI, ainsi que les recommandations des experts du premier atelier de travail consacré à l’économie des médias ont tous deux insisté sur l’importance de l’éducation aux médias. Au terme de l’atelier 2, les experts abondent également en ce sens et insistent sur la nécessité de [RECOMMANDATION 31] renforcer l’éducation aux médias dans les programmes de formation obligatoire (primaire et secondaire). Cette volonté d’initier et de renforcer, auprès de chaque citoyen, « la capacité à accéder aux médias, à comprendre et à apprécier, avec un sens critique, les différents aspects des médias et de leur contenu et à communiquer dans divers contextes134» se fonde sur plusieurs motivations, dont la moindre est le suivi des recommandations de la Commission des Communautés européennes (2009) et du Conseil supérieur de l’éducation aux médias, dans sa « Déclaration de Bruxelles pour une éducation aux médias tout au long de la vie » (3 mars 2011). Des citoyens éduqués aux médias (c’est-à-dire dotés d’une compétence certaine en littératie médiatique) sont en effet susceptibles d’avoir une représentation plus réaliste des métiers de l’information, de consommer davantage de médias, d’exiger de ces médias une qualité accrue et de participer davantage à l’élaboration de leurs contenus. Des citoyens bien informés étant le gage d’une démocratie de qualité, c’est toute une communauté qui se trouve ainsi tirée vers le haut. Commission des Communautés européennes (2009), paragraphe 11, citée par F. Antoine et F. Heinderyckx, État des lieux des médias d’information en Belgique francophone, Parlement de la Communauté française de Belgique, mars 2011. 134 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 183 À l’heure actuelle, il semble que cette éducation aux médias soit laissée à l’appréciation des enseignants de l’enseignement obligatoire qui choisissent, ou non, d’y consacrer du temps. L’introduire comme compétence socle en primaire et/ou secondaire pourrait avoir les effets bénéfiques décrits plus haut. Comment renforcer l’éducation aux médias dans les programmes de formation obligatoire (primaire et secondaire) ? 1°) A minima, donner les moyens aux opérations existantes (« Ouvrir mon quotidien », « Journalistes en classe », etc.) de continuer à exister. « Ouvrir mon quotidien » (mise à disposition de journaux dans les écoles primaires et secondaires) et « Journalistes en classe » (rencontre entre professionnels des médias et classes de primaire ou de secondaire) doivent continuer à recevoir le soutien et la visibilité nécessaires à leur bonne continuation. Les experts conseillent par ailleurs aux organisateurs de ces opérations de consacrer du temps à la présentation nuancée du métier de journaliste, afin que les élèves se fassent une représentation plus réaliste et moins mythique des pratiques professionnelles médiatiques. Cette approche introduira l’information sur les études et les professions (cf. point 2). 2°) Étudier l’opportunité de compléter/modifier ces opérations existantes par d’autres bonnes pratiques, mises en place ailleurs. Exemple faisant suite aux États généraux de la presse écrite en France : proposer un abonnement gratuit d’une durée limitée (3 mois, 1 an ?) à un quotidien d’information générale à tout jeune de 18 ans avec des coûts partagés à 50/50 entre éditeur et État. 3°) Idéalement, introduire l’éducation aux médias dans les programmes de formation obligatoire, c’est-à-dire dès les études primaires (en 5e et 6e, éventuellement auparavant), ainsi qu’au niveau secondaire. Cette révision des programmes et des compétences nécessite bien entendu une réflexion avec les acteurs de terrain (pédagogues, administration de l’enseignement, formateurs des futurs enseignants, spécialistes de l’éducation aux médias ; etc.) ; Cette révision des programmes et compétences pourrait être l’objet de 184 Chapitre 2 recherches qui articulent la pédagogie, la didactique et les sciences de l’information et de la communication (cf. point 5). B. Information sur les études et les métiers de l’information L’atelier 2 des EGMI rappelle combien les études supérieures (universitaires ou non) dans le secteur de l’information et de la communication sont largement plébiscitées ; l’atelier rassemble également plusieurs hypothèses explicatives quant à ce choix de masse. Parmi ces hypothèses, le poids important pris par la représentation quelque peu mythique du métier de journaliste (« écrire et voyager ») incite les experts à préconiser de [RECOMMANDATION 32] renforcer l’information et l’orientation sur les études et les professions de l’information. L’objectif de ce renforcement n’est ni de décourager, ni d’attirer davantage d’étudiants, mais bien d’aiguiller le mieux possible les futurs étudiants, afin d’éviter l’incompétence ou les désillusions. Comment renforcer l’information sur les études et les professions de l’information ? 1°) En première ligne, donner aux acteurs de l’organisation de salons type « salon de l’étudiant » les moyens de continuer à organiser le rassemblement de tous les acteurs de formation. Ces grands rassemblements que sont les salons de l’étudiant sont une porte d’entrée à ne pas négliger, où parents et futurs étudiants du supérieur glanent de nombreuses informations sur les études supérieures quelles qu’elles soient. 2°) En deuxième ligne, créer un centre d’information et d’orientation sur les études et les professions à l’échelle de la Fédération WallonieBruxelles. Ou, a minima, renforcer les moyens financiers et humains des centres existants, en insistant sur la nécessité d’y trouver une information de qualité. Les renseignements tous azimuts dispensés par les salons de l’étudiant gagnent souvent à être complétés, réfléchis et approfondis au sein d’un service Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 185 d’information et d’orientation de qualité135. La qualité de l’information dispensée augmente si ce service répond à plusieurs exigences, tantôt généralistes (quel que soit le métier), tantôt particulièrement liées aux études et aux professions du journalisme et de la communication. À la suite des EGMI, les experts insistent particulièrement sur les exigences suivantes : - - - - - être comparatiste et donc indépendant de toute institution d’enseignement ; se doter de supports d’informations qui dépassent la simple compilation de programmes d’études et qui soient mis à jour très régulièrement (au minimum annuellement) ; diversifier les outils d’informations, à l’aune de la diversité des métiers de l’information (brochures, sites web, blogues de témoignages, rencontre avec des conseillers, organisation d’opération de sensibilisation…) ; être attentif à l’analyse et à la déconstruction des idées reçues sur le métier de journaliste ; être en veille par rapport aux nouveaux métiers de l’information. C. Formation de base La légitimité et la solidité de l’ancrage de la discipline « Information et communication » dans le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche136 belge francophone ne font aucun doute. Son extrême diversité non plus : elle peut être universitaire, non universitaire de type long, non universitaire de type court ; avec ou sans spécialisation vers le journalisme ; dotée d’un master 120 ou d’un master 60 ; liée aux disciplines littéraires ou socio-économiques ; dotée de stages en baccalauréat et/ou en master137. Cette hétérogénéité, source d’attractivité, est à l’image des métiers tout aussi divers auxquels elle forme. Elle a pour corollaire de générer des prises de position très contrastées des acteurs qui l’animent. Cela constitue un défi de taille pour les experts de l’atelier 2 des EGMI, chargés de dresser une Le CIO (Centre d’information et d’orientation), bien qu’attaché à une institution universitaire en particulier, a pu donner aux experts un aperçu de ce que pouvait être cette information de deuxième ligne de qualité. 136 Parmi les commissions doctorales de domaine (CDD) de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il existe une CDD « Information et communication ». 137 C’est le cas par exemple des étudiants qui réalisent leur baccalauréat aux facultés universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur. 135 186 Chapitre 2 liste de recommandations qui ne baignent pas dans le consensus mou. Au terme de leurs travaux, les experts de l’atelier proposent donc diverses recommandations liées à la formation de base. Mais ils réclament également le droit de réserver leur jugement à propos de certains points. 1°) Recommandations Les recommandations portent sur la clarification à opérer entre information et communication, ainsi que sur les stages. La dénomination du cursus La dénomination actuelle du cursus est « baccalauréat en communication » pour le type court, « master en information et communication » pour le type long. Cette dénomination volontairement large du cursus est à l’image de l’aspect général de la formation, tantôt perçue positivement (aspect riche et pluridisciplinaire), tantôt négativement (aspect « fourre-tout »). Dans les deux cas, la filière communication attire un nombre croissant d’étudiants, parce qu’elle ouvre la voie à plusieurs métiers possibles, qu’elle attire nombre d’indécis qui ne désirent pas encore choisir un métier en particulier, parce que l’espace social est fortement marqué par les médias, et enfin, parce que la polyvalence des diplômés intéresse les employeurs, de plus en plus soucieux de flexibilité. Les débats de l’atelier 2 ont cependant rappelé l’importance de démarquer l’information de la communication. Cette incompatibilité est d’ailleurs consacrée dans la loi de 1963 qui détaille les conditions d’obtention du titre de journaliste professionnel. La formation de base en communication se doit donc d’insister sur la différence entre le métier de journaliste et de communicateur, sans se couper de la polyvalence qui fait la richesse de la filière. Comment ? [RECOMMANDATION 33] Clarifier, par la grille de programme, la distinction à opérer entre communication et information. La formulation volontairement large de la dénomination du cursus (actuellement « communication » pour le type court et « information et Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 187 communication » pour le type long) semble satisfaire les opérateurs de formation et les étudiants, qui y voient un signe de polyvalence. Les experts ne jugent donc pas utile de modifier l’intitulé du cursus. Par contre, ils préconisent que la distinction information/communication soit parfaitement visible dans l’organisation même de la grille de programme, particulièrement en fin de cursus (dernière année de baccalauréat de type court, masters). La dénomination et le contenu des finalités, l’intitulé et les cahiers de charge des modules de cours spécialisés ou des blocs de cours à options doivent permettre d’identifier sans équivoque quelles voies doivent emprunter les étudiants qui se destinent plus spécifiquement aux métiers de l’information (journaliste, secrétaire de rédaction, responsable de rédaction, etc.). A priori, cette clarification paraît plus difficile à réaliser dans les hautes écoles, où le nombre d’étudiants tentés par les métiers de l’information est assez limité138. Dans ce cas cependant, certains responsables des hautes écoles invités aux EGMI ont indiqué que la montée en puissance des nouveaux médias d’information les poussait à réfléchir à l’opportunité d’opérer des rapprochements, en fin de cursus, avec les sections « écriture multimédia » souvent présentes dans la catégorie sociale de leur haute école. Les stages De l’avis de tous les invités à l’atelier 2 des EGMI, le stage est un point essentiel de la formation des futurs journalistes et un moment décisif dans l’intégration professionnelle. Le moment où il apparaît dans le cursus, sa durée, la qualité de son encadrement et les effets parfois négatifs qu’il a sur l’emploi des freelances en concurrence avec le « travail gratuit » fourni par le stagiaire en fait un enjeu important de l’atelier 2 des EGMI. [RECOMMANDATION 34] Proposer un canevas type de convention de stage pour l’ensemble des lieux de formation en Fédération Wallonie-Bruxelles. Du côté des hautes écoles, parmi les 1.800 étudiants inscrits dans la filière communication en Fédération Wallonie-Bruxelles, seuls 10 à 20% se destinent à une carrière journalistique. Parmi les 450 étudiants de troisième année, entre 60 et 90 embrassent finalement le métier de journaliste. 138 188 Chapitre 2 A minima, la convention de stage devrait : - - - - préciser les droits et les devoirs des trois parties (étudiant, établissement d’enseignement et entreprise accueillante) ; rappeler que le stagiaire est en situation d’apprentissage et non d’emploi « gratuit » ; garantir un encadrement de qualité du stagiaire par l’entremise d’un journaliste expérimenté qui voit son emploi du temps aménagé pour remplir au mieux cette mission (transmission de savoirs intergénérationnels) ; comprendre, en annexe, les deux textes de référence en Belgique en matière de déontologie139 et, éventuellement, les règles internes au média intégré par l’étudiant. Ce canevas commun doit s’adapter, contractuellement, aux différents lieux de stage et aux différents types d’enseignement (type court/type long notamment). Mais il a surtout pour objectif de souligner et de renforcer le caractère pédagogique du stage, marchepied décisif de l’intégration professionnelle (générateur du premier emploi). [RECOMMANDATION 35] Supprimer tout stage en première année, dans l’enseignement tant de type court que de type long. Et mettre à profit cette période d’intégration professionnelle pour fournir, en début de cursus, une information renforcée et adaptée sur les études et les professions du journalisme et de la communication140. Outre les éléments d’information déjà développés au point 2, cette information sur les études et les professions du journalisme et de la communication se devrait de : - prolonger et renforcer l’opération « Triangle » ; cette opération d’information sur les conditions d’exercice du métier de journaliste est menée par l’Association des journalistes professionnels (AJP) auprès des étudiants en information et communication des écoles supérieures et des universités ; 139 Déclaration des devoirs et des droits des journalistes (1971) et Codes des principes de journalisme. 140 Ce que plusieurs hautes écoles font déjà, en dénommant cette période « stage interne ». Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » - - - 189 décoder les représentations mythiques et les idées reçues liées aux métiers de l’information ; éveiller l’attention des étudiants sur l’importante galaxie des nouveaux métiers de l’information, suite à l’apport des nouvelles technologies et des nouveaux usages médiatiques ; initier les futurs journalistes aux statuts et aux fonctionnements professionnels innovants destinés à endiguer la dégradation des conditions de travail, notamment celles des indépendants : structure coopérative de producteurs associés, micro-entrepreneuriat à vocation journalistique, secrétariat social de prestataires, etc. (cf. les recommandations sur les statuts et les conditions de travail supra). Cette proposition a pour objectif principal de limiter les erreurs de choix d’étude et de réorienter les étudiants en début de cursus. Elle a également pour avantage de limiter le nombre de demandes de stage auprès des rédactions, tout en équipant les futurs stagiaires d’un bagage minimum en connaissances, en méthodologie et en savoir-faire technique avant même qu’ils intègrent ces rédactions. Le stage, dans la suite du cursus, ne s’en déroulera que mieux, au bénéfice de toutes les parties. [RECOMMANDATION 36] Limiter la durée des stages dans une même rédaction. Sachant qu’éditeurs, hautes écoles et universités s’accordent à penser que trois mois de stage dans une même rédaction sont trop longs ; sachant en outre qu’éditeurs et hautes écoles jugent qu’un mois de stage est trop court, les experts recommandent de limiter la durée maximale du stage à cinq ou six semaines par rédaction. Dans les hautes écoles, où la durée du stage est plus longue en vertu du décret141, les experts recommandent que le stagiaire séjourne au minimum dans deux rédactions distinctes par année de formation. Cette recommandation a pour avantage de permettre à l’enseignant et au maître de stage d’apprécier les compétences de l’étudiant durant une période Actuellement : 4 semaines en première année ; 7 à 8 semaines en deuxième année ; 12 semaines en troisième année de baccalauréat. 141 190 Chapitre 2 significative. Mais en limitant la durée du stage dans une même rédaction, elle limite du même coup les effets de la présence du stagiaire sur les activités des freelances. [RECOMMANDATION 37] Assurer aux lieux de formation les moyens financiers et humains pour garantir la bonne réalisation des recommandations liées au stage. Supprimer le stage en première année, inviter des conférenciers ou rendre visite à des professionnels tout au long de la première année du cursus, multiplier le nombre des rédactions à visiter lorsqu’un étudiant s’y trouve en stage nécessitent davantage de moyens humains et financiers pour les écoles et universités, qu’il convient de chiffrer et de dégager. La qualité de l’orientation et de la formation du stagiaire, et la satisfaction réciproque de la tripartite étudiant-média-formateur sont à ce prix. 2°) Questions nécessitant une analyse plus approfondie Les experts de l’atelier 2 des EGMI réservent leur jugement à propos de certains points, qu’ils souhaitent voir approfondis avant toute recommandation ou décision. Cet approfondissement pourrait faire l’objet de recherches scientifiques (cf. point 5) ou être documenté par l’AEQES (Agence pour l’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur). L’année passerelle [RECOMMANDATION 38] Documenter la nécessité de maintenir ou de supprimer l’année passerelle entre le bac en haute école et le master universitaire. L’AEQES pourrait ajouter cette analyse à sa prochaine mission d’évaluation des formations de type court en communication. Les responsables des cycles courts et ceux des cycles longs ont une position diamétralement opposée sur l’année passerelle. Les premiers souhaitent la supprimer ; les seconds insistent sur la nécessité de la maintenir. Devant les arguments avancés par les uns et les autres, les experts de l’atelier 2 des EGMI Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 191 constatent que ces positions mériteraient d’être soutenues par une analyse de fond qui, sauf erreur, n’existe pas à l’heure actuelle. Qu’est-ce que les institutions d’enseignement supérieur qui ont mis en place cette année passerelle souhaitent en faire ? Il serait bon d’en rappeler les objectifs, mais également d’en évaluer les résultats de façon documentée. Par exemple : statistiques sur le parcours des générations d’inscrits, enquête auprès des étudiants et des diplômés, analyse des pratiques dans les pays voisins, comparaison avec les parcours d’étudiants d’autres filières ayant accédé au master sur base d’un examen ou de cours supplémentaire, rôle du master 60, etc. Différents opérateurs pourraient mener à bien cette analyse documentée, à commencer, en interne, par les institutions d’enseignement qui ont mis en place l’année passerelle. Son évaluation pourrait également être financée dans le cadre de recherches scientifiques subsidiées (cf. point 5). Mais cette analyse pourrait surtout être du ressort de l’AEQES. En 2009-2010, l’AEQES a réalisé une analyse transversale de l’offre de formation de type long en information et communication, regrettant d’ailleurs de n’y avoir pas intégré, à l’époque, les formations de type court, puisque des étudiants des deux cursus (court et long) postulent aux mêmes emplois. Lorsqu’elle consacrera du temps à l’évaluation des formations de type court en communication (prochaine décade 2012-2022), il serait opportun que l’AEQES profite de cette étude pour y ajouter un travail d’évaluation de l’année passerelle, véritable « nœud gordien » entre les cycles long et court. L’articulation théorie/pratique Au terme de l’atelier 2 des EGMI, les experts sont frappés par la particularité des études en information et communication. En effet, les responsables du type court veulent continuer à se définir comme des formateurs de « généralistes » des professions de la communication capables de passer d’un métier à l’autre. Dans ce cadre, les métiers de l’information sont une orientation parmi d’autres, et certainement pas la plus prégnante. Les responsables du type long (universitaire ou non), eux, revendiquent leur excellence à former des spécialistes du métier d’informer, surtout durant les masters qui couronnent le cursus. Cette vision de la formation est particulière dans la mesure où, depuis la réforme de l’enseignement supérieur décidée à Bologne en 2004, les baccalauréats professionnalisants se vouent d’abord aux formations 192 Chapitre 2 spécialisées vers un métier (comptable, infirmier, assureur…), tandis que les parcours de type long privilégient plutôt la connaissance encyclopédique et heuristique d’une discipline (l’économie, la médecine, le droit, etc.). La formation de base en communication préfère donc renverser ce modèle de façon chiasmatique. Sans la remettre en question, les experts de l’atelier 2 des EGMI recommandent à tout le moins d’étudier davantage l’impact de cette singularité assumée. Il faut davantage [RECOMMANDATION 39] documenter la manière dont les programmes d’études supérieures en communication articulent et répartissent le transfert des connaissances théoriques et pratiques tout au long du cursus. Cette analyse passe par diverses questions que les EGMI ont abordées, mais qu’une recherche plus approfondie pourrait documenter. Ainsi par exemple : - - - Quel est le taux de redondance entre les cours pratiques du premier cycle de type court et du second cycle de type long ? Cette éventuelle redondance cycle court/cycle long est-elle un facteur dans le taux d’abandon durant l’année passerelle entre baccalauréat et master ? Dans l’enseignement de type long particulièrement, comment éviter les erreurs d’orientation d’étudiants confrontés tardivement aux pratiques professionnelles ? Ne serait-il pas opportun, comme le suggère l’AEQES, de répartir tout au long des cinq années du programme l’alternance entre acquisitions des savoirs théoriques propres aux sciences humaines et sociales d’une part, et initiation aux pratiques professionnelles d’autre part ? Dans cet esprit, l’organisation d’un stage dès le baccalauréat (en troisième année) serait-elle pertinente et non contradictoire avec ce qui a été recommandé plus haut sur les stages ? Dans cet esprit également, l’intégration de nombreux professionnels des médias dans les équipes pédagogiques ne devrait-elle pas débuter dès les années de baccalauréat ? Dans cet esprit enfin, décloisonner les lieux et les temps de la pédagogie ne serait-il pas un moyen d’adapter plus Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » - 193 fondamentalement encore la formation aux nouveaux médias142 ? Comment ne pas réduire l’acquisition de pratiques professionnelles au seul apprentissage d’outils techniques rapidement obsolètes, sans pour autant décourager les rédactions d’accueillir en stage ou en premier emploi des étudiants en cours de formation ? D. Formation continuée Les principaux acteurs invités dans le cadre de l’atelier 2 des EGMI – journalistes et leurs représentants ; éditeurs des médias d’information générale et de la presse périodique ; responsables des formations de types court et long – sont unanimes : la mise en place ou, à tout le moins, la promotion de la formation continuée dans les métiers de l’information est une nécessité en Belgique francophone. Les experts notent cependant que l’unanimité autour du concept « formation continuée » se décline diversement selon les acteurs. - - - Les journalistes d’une part, les éditeurs (surtout en presse écrite) d’autre part sont demandeurs d’une structure (que les éditeurs appellent « cluster ») qui leur permette de bénéficier de moyens financiers suffisants (évalués à 350.000 EUR/an) pour se former, rapidement et en Belgique francophone, aux outils technologiques des nouveaux médias. Cette demande est d’autant plus pressante que la survie de certains médias est en jeu et que l’offre de formation est incomplète ou peu visible en Belgique francophone. Les éditeurs de presse périodiques, eux, se déclarent prêts à soutenir le transfert d’une expérience et d’un modèle, celui de la « Media Academy » financée à hauteur d’un million d’euros par an par les pouvoirs publics flamands à destination de tout type de rédacteurs (information générale, association, B2B, indépendants, salariés, bénévoles, etc.). Enfin, l’Association des journalistes professionnels d’une part, les responsables de l’enseignement supérieur de type long d’autre part, sont à la base de deux propositions distinctes de structure de formation continuée : - le « Pôle opérationnel dynamique de formation » de l’AJP : Marc Mentré, « Formations au journalisme : placer l’innovation au cœur des cursus », in Les Cahiers du journalisme, n°22/23, automne 2011, pp. 156-167. 142 194 Chapitre 2 une structure à créer, interface entre formateurs et publics bénéficiaires dont les objectifs concrets de formation seraient définis par un conseil d’orientation regroupant les représentants des journalistes, les éditeurs et des experts extérieurs, et dont le financement serait à la fois public et privé ; - le « Centre pluridisciplinaire de perfectionnement en journalisme » : une plate-forme où les écoles de journalisme de l’IHECS, de l’UCL, de l’ULB et de l’ULg rapprocheraient – sur la base des ressources mutuelles existantes – leurs compétences pédagogiques et leurs infrastructures techniques de formation continuée. Face à ce bouquet (une demande, un modèle, deux offres), les experts s’accordent pour recommander à la Fédération Wallonie-Bruxelles de [RECOMMANDATION 40] soutenir rapidement la création et le maintien d’une structure pérenne unique de formation continuée centrée sur les métiers du journalisme, de l’information et des nouveaux médias. Pour cela, la FWB devrait, soit choisir entre les deux propositions actuellement en présence, soit organiser dans les plus brefs délais une concertation entre les acteurs concernés afin de préciser l’organigramme, le financement et les modes de fonctionnement de cette structure. La première solution est incontestablement la plus rapide à un tournant crucial de l’histoire des médias ; la seconde est source d’atermoiements, mais plus consensuelle. Il n’appartient pas aux experts de présumer du choix que fera la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ils peuvent cependant dresser la liste des principales questions auxquelles la décision concernant la structure, quelle qu’elle soit, devra répondre : - - Qui sont les acteurs participants à la structure de formation continuée : journalistes, éditeurs, formateurs, chercheurs, divers organes de pouvoir, CSA, CESEM, CDJ, Observatoire des médias (s’il existe),… ? Quel est le rôle de ces différentes instances dans la structure (« client », formateur, conseiller, administration, coordination, etc.) Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » - - 195 et comment s’articulent ces rôles dans l’organigramme qui fonde la structure ? Quel est le statut de cette structure : ASBL subsidiée, centre de formation dépendant d’une structure déjà existante telle que l’AJP ou une université ou une haute école, etc. ? Quels sont les montants nécessaires à l’élaboration de cette structure et quels en sont les canaux de financement : origine des fonds, bénéficiaires, selon quelle clé de répartition entre pouvoir subsidiant, éditeurs, journalistes, associations professionnelles, organismes de formation, etc. ? A ce propos, les experts retiennent l’idée des éditeurs de solliciter notamment les Régions, compétentes en matière de soutien à la transition et à l’innovation technologiques, pour un montant de 350.000 euros par an destiné à financer des formations ou l’achat de matériel. Ils rappellent par ailleurs qu’un montant minimum de 300.000 euros a été cité par l’AJP comme base de départ au lancement de cette structure dont le financement pourrait à la fois être public, mais aussi issu de partenariats et d’une participation des employeurs et des journalistes. En clair, on se trouve face à deux sollicitations de financement public, portant l’une sur la demande de formation, l’autre sur l’offre de formation. Sont-elles compatibles ou sont-elles exclusives ? - - Qui bénéficie de ces formations continuées : salariés, indépendants, journalistes professionnels, tout type de rédacteur, tout membre du personnel d’une entreprise de médias ? Quels sont les visages de l’offre de formation : le programme estil prédéfini ou à la demande, étalé sur plusieurs jours ou limité à quelques heures, offert en interne ou en externe de l’entreprise médiatique, consacré aux seuls outils techniques ou élargi aux savoirs et savoir-être inhérents au métier d’informer, etc. ? Les experts aimeraient également attirer l’attention des négociateurs sur quelques points qu’ils souhaitent voir figurer parmi les préoccupations qui fondent la future structure de formation continuée. - - Profiter de l’élan apporté par les EGMI pour dresser l’état des lieux et promouvoir les formations continuées existantes liées principalement au développement des nouveaux médias. Intégrer dans la formation continuée des modules de reconversion de métiers anciens (photographe de presse, par ex.) et des modules 196 Chapitre 2 - - de veille ou de pratique des nouveaux métiers de l’information : fact checkers, experts en référencement, architectes d’information, data-journalistes, journalistes de communauté, etc. Réduire « l’inculture numérique » des journalistes, mais aussi des éditeurs, responsables de rédaction et cadres des entreprises médiatiques (ressources humaines, etc.). Ouvrir une large place au droit et à la déontologie des médias, questionnés ou bousculés par la montée en puissance des nouvelles technologies et les bouleversements que suscitent les TIC dans l’économie et les pratiques médiatiques. À long terme, les experts espèrent que cette structure de formation continuée se nourrira des recherches menées par les analystes des médias (cf. point 5) et, inversement, que ceux-ci trouveront dans ces lieux de formation continuée un de leurs terrains d’observation des pratiques et mutations du métier d’informer (« journalisme augmenté », par ex.). Ensemble, ils influeront également la réflexion sur les programmes de la formation de base. La boucle sera ainsi bouclée. E. Recherche et développement L’organisation des États généraux des médias d’information est un révélateur, parmi d’autres, de la nécessité et de l’étendue des interactions entre les décideurs politiques, les professionnels du journalisme, les formateurs de ces (futurs) professionnels et les analystes du secteur. Analyser l’émission, les pratiques, les contenus et la réception de l’information est du ressort des chercheurs, dont la mission est triple. Ces experts des médias sont en effet soucieux de recherches fondamentales et/ou appliquées ; ils veillent à enseigner le fruit de leurs recherches aux (futurs) professionnels de la presse, de l’audiovisuel et des médias numériques ; ils soumettent enfin leurs travaux au service ou à la question des membres de la société civile, des décideurs politiques et des praticiens de l’information. Dans ce cadre, les experts de l’atelier 2 des EGMI soulignent l’importance de [RECOMMANDATION 41] renforcer la formation de troisième cycle, dédiée à la recherche doctorale et postdoctorale en sciences de l’information et de la communication. © AJP Les « EGMI » ont pris leur envol lors de la présentation de l’état des lieux des médias d’information en Fédération Wallonie-Bruxelles, le 17 mars 2011. © AJP Dans le public, des patrons de presse, des universitaires, des représentants des journalistes et des personnalités politiques : Véronique Salvi, ancienne députée, membre du comité de pilotage et Richard Miller, député, membre du comité de pilotage. © AJP La présentation de l’état des lieux a été suivie par un questions-réponses avec les participants. © DR © AJP Jean-François Istasse, président du comité de pilotage et député du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Françoise Tulkens (UCL), Jacques Englebert (ULB) et Séverine Dussolier (UNamur), animateurs - experts de l’atelier 3. De gauche à droite : Marc Sinnaeve, professeur (IHECS), Jean-Jacques Jespers, professeur (ULB) et Laurence Mundschau, journaliste, professeur (UCL). © AJP © DR © AJP Jean-Charles Luperto, président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Frédéric Antoine (UCL) et François Heinderyckx (ULB), auteurs du rapport général introductif. Pierre-François Docquir, vice-président du CSA. Denis Robert, journaliste et écrivain français. © AJP © AJP Savine Moucheron, députée et membre du comité de pilotage. © DR Pierre-Yves Jeholet, député et membre du comité de pilotage. Isabelle Meerhaeghe, députée et membre du comité de pilotage. © DR © DR Nadine Toussaint-Desmoulins, professeur à l’Université Paris 2, animatrice experte de l’atelier 1. © AJP Marc Isgour, avocat au Barreau de Bruxelles. Anne-Marie Impe, journaliste et François Ryckmans, président de l’AJP. © AJP © DR Pierre Haski, fondateur du « pureplayer » Rue89. Jean-François Raskin, vice-président de la RTBF. © DR © AJP Carine Doutrelepont, avocate spécialisée en droit des médias et TIC. Stephane Rosenblatt, directeur général de RTL-Tvi et Laurence Vandenbrouck, directrice du service juridique de RTL-Tvi. © AJP © AJP Denis Ruellan, directeur adjoint du CRAPE. Eric Scherer, directeur de la prospective et de la stratégie numérique de France Télévisions. © DR Jacques Englebert, avocat spécialisé en droit des médias (1er rang, à gauche) et Françoise Tulkens, juge à la Cour Européenne des Droits de l’Homme (e.r.) (1er rang, à droite), animateurs - experts de l’atelier 3. © AJP © AJP Olivier Bogaert, commissaire à la Federal Computer Crime Unit. © AJP Olivier Basile, président de Reporters sans Frontières Belgique. Luc Hennart, président du Tribunal de Première Instance de Bruxelles et Madame Annaert, juge à la quatorzième Chambre du Tribunal de Première Instance de Bruxelles. Les auteurs des photographies de l’AJP sont : Laurence Dierickx, Mehmet Koksal, Marc Simon, Robert Vanden Brugge, Jean-Pierre Borloo et Alain Dewez. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 197 Comment mener à bien cette recherche doctorale et/ou postdoctorale ? - - - - Créer un Observatoire des médias belges (francophones). Idéalement, celui-ci devrait être belge, d’autant que la plupart des médias francophones sont aux mains d’entreprises liées à l’autre communauté du pays. Plus réalistement, à l’aune de l’initiative prise par la Fédération Wallonie-Bruxelles de mener à bien ces Etats généraux, il s’agirait, a minima, de créer un Observatoire des médias belges francophones. Cet Observatoire rassemblerait autour de projets scientifiques communs les forces déjà présentes dans les différentes institutions de recherche (universités, Conseil supérieur de l’audiovisuel, centres de recherche intra-entreprises médiatiques, etc.). Pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, il s’agirait surtout de financer une microstructure administrative et une coordination scientifique pérennes qui rassemblent les acteurs de la profession, les formateurs et les experts scientifiques autour de thèmes décidés collégialement. Les chercheurs seraient financés par le biais de crédits extérieurs issus d’appels à projets. Les résultats permettraient au secteur professionnel et aux décideurs d’orienter au mieux leurs choix éditoriaux et leurs choix de formation continuée (cf. point 4). Financer des chercheurs en sciences de l’information et de la communication au sein des différentes universités en dédiant une enveloppe spécifique dans la manne des mécanismes habituels de financement de la recherche (subsides européens, financements fédéraux, communautaires et régionaux). Favoriser, par des mécanismes de cofinancement éditeurs/pouvoir subsidiant, des bourses, des prix ou des chaires qui permettent spécifiquement aux professionnels des médias (salariés ou indépendants) d’interrompre leur carrière pour prendre un recul critique en menant une recherche scientifique sur leurs pratiques. Financer ou renforcer le financement, à l’intérieur des entreprises médiatiques, d’un service de recherche et développement qui ne soit pas seulement dédié au marketing. Ou à tout le moins, favoriser la recherche action qui introduit le chercheur dans l’entreprise médiatique, à l’aune de ce qui se fait dans d’autres secteurs. Pour souligner l’intérêt de telles recherches, les experts proposent ici quelques exemples de terrains potentiels d’analyse : 198 Chapitre 2 - - - - - Réaliser annuellement une radioscopie des médias d’information en Belgique francophone. L’outil n’existe pas ; son « embryon » – L’état des lieux des médias d’information en Belgique francophone réalisé en préambule des EGMI par F. Antoine et F. Heinderyckx – insiste sur la nécessité de le mettre en place afin de réaliser cette radioscopie de façon fiable et pérenne. Comment en effet prendre des décisions sans les outils d’analyses nécessaires à fonder ces décisions ? Nous prendrons pour seul exemple, durant les travaux de l’atelier 2, l’impossibilité à obtenir (et donc à comparer) des chiffres concertés sur le montant des barèmes ou sur le nombre de journalistes présents, chaque acteur ayant sa propre grille de lecture des données. Travailler à l’introduction d’un programme d’éducation aux médias dans l’enseignement obligatoire primaire et secondaire. Étudier les causes et les conséquences d’une faible présence des femmes dans les rédactions. Les études supérieures en information et communication diplôment trois quart de femmes pour un quart d’homme. Celles-ci continuent cependant à être sousreprésentées dans les rédactions belges, a fortiori dans les postes de cadres. Pourquoi ? Cette sous-représentation des femmes a-t-elle des conséquences sur le traitement et la qualité de l’information ? Comment est-elle ressentie par les usagers des médias ? Etc. Organiser une veille des outils médiatiques, afin d’anticiper et de préparer les programmes de formation (de base ou continuée) ; (In)valider l’existence d’une année passerelle entre le baccalauréat et le master en information et communication, dans le cas où l’analyse transversale de l’AEQES consacrée aux formations de type court en communication n’aborderait pas cette question. 3.2.3. Conclusion Rarement le journalisme (dans les statuts et les conditions de travail qui lui sont attachés), l’information (dans ses conditions de production), les médias (dans la profonde mutation en cours de leur écosystème), et la profession (dans la redéfinition à l’œuvre de ses missions, de ses moyens et du collectif qu’elle constitue) ont été à ce point bousculés. La révolution numérique fait converger des difficultés économiques anciennes et nouvelles ; les changements technologiques augmentent à la fois les contraintes et les opportunités de production ; la reconfiguration d’ampleur exceptionnelle du secteur porte en elle une interpellation identitaire sans Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 199 précédent pour une profession qui s’enrichit autant d’oxygène que de questionnements ; les institutions de formation sont appelées, comme jamais elles ne l’ont été dans leur jeune histoire, à nourrir cette transition brutale de leurs ressources pédagogiques et techniques, de leurs ajustements programmatiques et d’une mise en perspective des enjeux et de l’horizon. A travers ce nouvel atelier des Etats généraux des médias d’information, que l’expression en soit inquiète ou confiante, c’est bien l’avenir de ce que doit être une bonne information de presse dans la nouvelle société Internet qui a été mis en analyses, en réflexions, en expérimentations, en débats. La nature des contraintes et des libertés nouvelles a été disséquée, les adaptations ont été identifiées, les défis auscultés, les moyens balisés. Il en ressort que le journalisme se définira plus que jamais par des savoir-faire multiples et en évolution, par un statut principal et de nombreux secondaires à adapter, par un terreau économique à retourner et à revitaminer, par une culture du métier qui ne doit pas se diluer dans une accumulation d’activités différentes, par une fonction sociale et démocratique indiscutée mais à mettre davantage en pratique, par une référence incontournable à la déontologie professionnelle, enfin, qui ne suffira pourtant plus à délimiter, à elle seule, les métiers de la presse. La nouvelle conception des modes de production et de consommation d’information est en train de changer le rapport du journalisme au collectif : collectif interprofessionnel, collectif d’entreprise, collectif social. Certes, cette évolution est lente et opère dans des mesures et à des degrés variables selon la nature, la taille et le projet éditorial et social du média. C’est ce que certains qualifient d’«artisanat collectif ». Ce qui constitue une première possibilité de revalorisation du professionnalisme de chacun. Il est un autre enseignement des paroles qui a circulé lors de cet atelier. Si des espèces et des pratiques médiatiques sont vouées à s’éteindre, et d’autres à les remplacer, une chose est sûre : le métier du journalisme, le secteur des médias et le besoin d’information, tout en évoluant, ne disparaîtront pas. La question est de savoir si journalistes, éditeurs et formateurs parviendront à maîtriser, plutôt qu’à subir, les ajustements nécessaires à la survie dans ce changement d’ère. Cela passe par une valorisation, sous différentes formes (statut social et juridique, rémunérations, moyens et temps à disposition, formation continuée…) du professionnalisme, c’est-à-dire des contenus journalistiques de qualité et originaux, en veillant toutefois à éviter une dualisation de 200 Chapitre 2 la profession entre une petite élite créative et une masse de « soutiers de l’information ». Il faut aussi, pour cela et de manière concomitante, que les entreprises de presse disposent des moyens de s’adapter, de se développer, de prospérer. L’enjeu principal, répétons-le, est de promouvoir la qualité et la fiabilité de l’information reçue par les citoyens dans un environnement économique et informationnel en transition, décloisonné et augmenté de multiples acteurs… eux-mêmes démultipliés : les journalistes (architectes d’information, éditeurs, fact checkers, modérateurs, gérants de communauté…) et les professionnels des nouveaux métiers de l’information ; les employeurs, managers, développeurs, micro-entrepreneurs… ; les publics, qu’ils soient consommateurs, utilisateurs, webacteurs, sources, contributeurs, commanditaires… ; le législateur et pouvoir subsidiant, enfin, à qui sont adressées les recommandations rassemblées ici au terme de ce deuxième atelier des EGMI. 3.2.4. Synthèse des recommandations A. Statut et conditions de travail Statut social des journalistes Le statut des journalistes freelances [RECOMMANDATION 1] Une réforme légitime mais radicale pourrait s’inspirer de la loi française Filioud-Cressard (loi n° 74-630 du 1er juillet 1974, art. L-761-2 du Code du travail) instaurant la présomption de contrat d’emploi : toute prestation effectuée par un-e journaliste professionnel-le serait présumée relever d’un contrat d’emploi à durée déterminée ou à objet déterminé, même si elle revêt la forme d’un contrat d’entreprise. Autrement dit, un statut spécial serait conféré à la prestation journalistique (à l’instar de la « pige » en France), mettant le/la prestataire dans les conditions d’un salarié du point de vue de la législation fiscale et sociale. Cette solution devrait relever à la fois d’une initiative législative fédérale, dérogeant pour la circonstance au principe de la « libre volonté des parties », et d’une négociation paritaire entre éditeurs, organisations syndicales et associations professionnelles, par exemple au sein d’une plate-forme suggérée à l’atelier n° 2 par le représentant de la CSC. Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 201 [RECOMMANDATION 2] Faute d’accord sur la création d’un statut légal de pigiste, élaborer un barème unique des prestations des freelances, selon le type de média. Cette réforme devrait s’accompagner d’un engagement conventionnel des éditeurs à respecter ce barème, quels que soient les conditions du marché et le type d’information concerné (sport, faits divers, politique, culture…) et que le travail facturé fasse ou non l’objet d’une publication. Le nouvel engagement collectif résultant de cette négociation paritaire pourrait prendre la forme d’une charte, à l’exemple de celle qui a été conclue dans le secteur de la bande dessinée en France. Ce barème devrait prendre en compte des éléments objectifs tels que : les déplacements effectués, les frais engagés, le temps réel de réalisation du travail (selon un montant horaire ou journalier, en ce compris l’alerte ou la veille sur différents supports), la valorisation financière de l’éventuelle clause d’exclusivité, les suppléments pour travail de nuit, de week-end ou de jour férié. Ces éléments pourraient remplacer les critères actuels (signe, ligne, page, tirage de photo, etc.). Des dérogations spécifiques et justifiées pourraient être prévues en faveur des éditeurs de la presse périodique. [RECOMMANDATION 3] A minima, généraliser les conventions de collaboration standardisées et transparentes, basées sur les mêmes critères. Ce type de convention devrait prévoir des clauses particulières en cas de rupture unilatérale de la convention par l’une ou l’autre partie, en considération des services rendus et de la durée des liens d’exclusivité ayant existé entre les parties. [RECOMMANDATION 4] Afin d’encourager le secteur à conclure et à respecter un accord sur ces sujets au sein de la Fédération WallonieBruxelles, le décret sur l’aide directe à la presse pourrait inclure un nouveau critère d’attribution, en l’occurrence la signature et le respect du barème conventionnel des prestations des freelances et/ou l’approbation de conventions de collaboration prenant une forme déterminée et contenant des clauses de garantie. Toutefois, le décret en question ne concernant que la presse quotidienne, la presse périodique généraliste et les médias audiovisuels devraient être encouragés à adhérer au système par d’autres moyens. [RECOMMANDATION 5] Encourager la création d’une structure coopérative de « producteurs associés » ou d’une instance médiane qui encadrerait le travail de ces micro-entrepreneurs que sont les freelances, 202 Chapitre 2 les représenterait face aux employeurs et pourrait réduire leurs coûts de production en les mutualisant. Cette instance pourrait comporter un secrétariat social de prestataires, assumant la gestion sociale des journalistes freelances sans leur imposer les inconvénients de l’entreprise d’intérim. Le législateur pourrait reconnaître juridiquement le statut de cette instance médiane et en encourager la création par des mesures sociales ou fiscales. Une adaptation ad hoc du décret sur l’aide directe à la presse devrait également être envisagée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, moyennant les réserves mentionnées plus haut et concernant les éditeurs de la presse périodique spécialisée. [RECOMMANDATION 6] Mettre à l’ordre du jour du législateur fédéral les propositions suivantes émanant notamment de l’AJP : a) un assouplissement des conditions d’indemnisation des chômeurs qui exercent des activités de journaliste freelance, par l’attribution à ces personnes d’un statut semblable au statut « d’artiste » reconnu par l’ONEm ; b) la généralisation du contrat d’étudiant, afin d’éviter aux étudiants exerçant des activités journalistiques d’avoir à faire face à des cotisations sociales très lourdes ; c) la suggestion que soit rendue obligatoire pour tous les journalistes une assurance de la responsabilité civile leur permettant d’échapper aux effets de la responsabilité en cascade, effets qui peuvent être très dommageables en particulier pour les freelances. Le statut des journalistes salariés [RECOMMANDATION 7] En ce qui concerne les effectifs des rédactions : Pour l’attribution des aides prévues par le décret sur l’aide directe à la presse, le critère de la proportion de journalistes sous contrat d’emploi à durée indéterminée devrait passer de 40 % à 60 % et la mesure devrait être élargie aux médias non visés par le décret (sous la réserve de la situation particulière des éditeurs de la presse périodique spécialisée). Il est également suggéré aux employeurs, dans le même but, de s’engager à rémunérer toutes les heures supplémentaires. Comme alternative aux plans sociaux, lorsque l’évolution technologique le Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 203 commande, les éditeurs devraient privilégier la reconversion professionnelle (par exemple, reconvertir les photographes en opérateurs vidéo dans une rédaction plurimédias). [RECOMMANDATION 8] En ce qui concerne les rémunérations : les experts estiment indispensables le respect des barèmes existants et l’amélioration des barèmes les plus défavorables (fixés par les commissions paritaires 227 et 329). Ils suggèrent aussi que les barèmes de rémunération soient communs à toutes les rédactions situées au sein d’un même groupe de presse. Toutefois, les éditeurs font remarquer que, sur les supports en ligne, leurs entreprises sont mises en concurrence avec des opérateurs chez qui les relations sociales ne sont pas régulées. Il conviendrait donc de légiférer au niveau fédéral sur les modalités d’élaboration des grilles de rémunération au sein de tous les éditeurs de service, quel que soit leur statut, afin d’évoluer vers une harmonisation des barèmes. Cette harmonisation devrait s’appliquer également aux autres métiers de l’information (cadreurs, preneurs de son, infographistes). Les télévisions locales demandent, dans cette optique, aux autorités de la Fédération Wallonie-Bruxelles une révision de leurs critères de subventionnement qui, à l’heure actuelle, ont pour effet de donner plus d’importance à la quantité qu’à la qualité de la production. [RECOMMANDATION 9] En ce qui concerne le déséquilibre hommesfemmes : les experts recommandent l’alignement des rémunérations des journalistes femmes sur celles des journalistes hommes. Ils suggèrent de favoriser autant que possible, non seulement l’engagement, mais surtout la promotion de journalistes femmes à des postes de responsabilité rédactionnelle. Le régime des droits d’auteur [RECOMMANDATION 10] Il est recommandé que le statut d’auteur soit légalement reconnu à tous les journalistes. [RECOMMANDATION 11] Il conviendrait que le législateur fédéral examine la position de l’AJP, qui demande que soit interdite toute présomption de cession de droits et toute cession gratuite privant les auteurs de leurs droits secondaires (en cas de republication, d’exploitation d’archives, etc.). Lors de cet examen, il s’imposerait de prendre en compte la situation particulière 204 Chapitre 2 des éditeurs de la presse périodique spécialisée : des dérogations spécifiques devraient être prévues à leur endroit. On devrait également prendre en compte la déclaration de certains éditeurs143 selon laquelle la cession par les journalistes de leurs droits d’exploitation des contenus sur tous les types de plates-formes est pour leur entreprise une condition de survie. [RECOMMANDATION 12] En ce qui concerne les droits secondaires, le législateur fédéral pourrait s’inspirer de la loi française, qui prévoit la cession intégrale des droits d’exploitation sur tous supports pendant une période de référence (à déterminer conventionnellement), mais instaure une rémunération (à définir conventionnellement) pour toute utilisation au-delà de l’expiration de ce délai. [RECOMMANDATION 13] Le barème conventionnel des prestations, dans le cas des freelances, ou la convention collective, dans le cas des journalistes salariés, devrait prévoir une limite à la proportion de la rémunération sous forme de droits d’auteur : un maximum de 30 % est proposé144, sauf pour les indépendants à titre complémentaire et pour des droits secondaires. Statut juridique des journalistes professionnels [RECOMMANDATION 14] La commission d’agréation pourrait être autorisée par la loi à octroyer le titre de journaliste professionnel à toute personne qui consacre au moins la moitié de son temps d’activité professionnelle à un travail d’information générale et dont les autres revenus proviennent exclusivement d’activités qui ne sont pas susceptibles de limiter son indépendance journalistique. [RECOMMANDATION 15] Comme le recommande la commission d’agréation, l’accès au titre de journaliste professionnel doit être ouvert à toute personne travaillant, quel que soit son statut, dans les conditions légales telles qu’elles sont interprétées par la commission d’agréation, pour un média d’information générale sur n’importe quel type de support. [RECOMMANDATION 16] Une modification de la loi du 30 décembre 1963 devrait être envisagée par un amendement ajoutant aux conditions pour obtenir et conserver le titre de journaliste professionnel la signature par Voir l’intervention de François Le Hodey à l’atelier 2. Sur la base de l’expérience en Communauté flamande et d’informations officieuses émanant du SPFFinances. 143 144 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 205 le/la journaliste d’un engagement d’adhésion au système d’autorégulation déontologique existant dans chaque Communauté (RvdJ et CDJ) et de respect des règles et avis déontologiques édictés par les organes d’autorégulation de sa Communauté. [RECOMMANDATION 17] Il convient de poursuivre la négociation en cours en vue de rapprocher les titres de journaliste professionnel et de journaliste de profession afin d’aboutir à un titre unique dont l’octroi et la conservation seraient notamment conditionnés par le respect des normes déontologiques et professionnelles. Statut des rédactions [RECOMMANDATION 18] Une initiative législative et/ou un accord conventionnel devrait organiser plus formellement le statut des rédactions en élargissant clairement les compétences de celles-ci aux nouveaux médias et aux nouveaux métiers et en donnant davantage de pouvoir représentatif et une existence légale aux sociétés de rédacteurs, qui représentent le « capital intellectuel » de l’entreprise. [RECOMMANDATION 19] A minima, la société de rédacteurs devrait avoir le dernier mot quant à la désignation du rédacteur en chef, lequel devrait avoir des prérogatives nettement distinctes de celles du chef d’entreprise : il serait « le premier des journalistes » et non « le dernier des directeurs »145. Dans cette perspective, tout doit être mis en oeuvre (au niveau légal et conventionnel) pour que, dans tous les médias d’information générale, le rédacteur en chef soit titulaire du titre de journaliste professionnel, comme le recommande le CDJ et à l’instar de ce que prévoit le décret de la Communauté française dans les télévisions locales. A maxima, la société de rédacteurs pourrait se voir dotée d’une structure juridique distincte et se transformer en opérateur autonome, lequel se verrait confier le travail rédactionnel pour le compte de l’éditeur146. [RECOMMANDATION 20] La rédaction devrait être clairement distincte des autres services de l’entreprise et principalement des services de 145 146 Selon l’expression de Jean-Paul Marthoz. Proposition de l’enquête française Technologia. 206 Chapitre 2 marketing147. Un protocole devrait être adopté dans ce sens au sein de chaque société éditrice ou au sein des associations d’éditeurs. [RECOMMANDATION 21] Les éditeurs faisant partie de l’AADJ devraient s’engager formellement à publier toute décision ou tout avis du CDJ qui concerne directement leur média. Cet engagement devrait constituer un critère supplémentaire, à ajouter au décret, pour l’attribution de l’aide directe à la presse. [RECOMMANDATION 22] Le législateur pourrait organiser pour les journalistes un « droit de retrait » qui consacrerait leur droit au refus d’obtempérer, sans perte d’emploi ou de rémunération, à une consigne inacceptable en vertu de la déontologie148. Conditions de travail [RECOMMANDATION 23] La quantité et le rythme de travail exigés des journalistes, quel que soit leur statut, doivent être compatibles avec une production rédactionnelle de qualité. [RECOMMANDATION 24] L’adaptation à la nouvelle donne du journalisme doit être encouragée et organisée dans le cadre de la formation continuée (v. infra), mais une adaptation strictement fonctionnelle ne peut être la seule priorité de cette formation. Celle-ci doit être une clé majeure de l’amélioration de la qualité rédactionnelle et du climat de travail de l’entreprise. Elle doit viser à accroître la culture numérique et la connaissance du marché, à développer l’aptitude à l’usage des technologies, mais elle doit principalement s’attacher à atténuer le stress face à l’évolution des métiers et à améliorer l’exécution du travail journalistique proprement dit (récolte, vérification, traitement et publication de l’information). [RECOMMANDATION 25] S’attaquer au burnout devrait figurer parmi les objectifs des entreprises éditrices. Il s’agit d’organiser la prévention des risques liés à la charge psychosociale du travail journalistique, de prévoir une formation spécifique des cadres des rédactions à la gestion de conflits et à l’interaction personnelle, et de confier à des personnes références dans les rédactions un rôle de conseil et de médiation. 30 % des pressions subies par les journalistes flamands proviennent, selon une étude récente, du service marketing de l’éditeur. 148 Selon une proposition faite à l’atelier 2 par Denis Ruellan, professeur à l’université de Rennes I. 147 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 207 [RECOMMANDATION 26] L’accès des freelances et des collaborateurs extérieurs devrait être permis et organisé aux salles de rédaction et aux réseaux intranet de l’entreprise, de même que leur meilleure intégration aux équipes rédactionnelles. [RECOMMANDATION 27] Diversifier davantage (en âge, en genre, en origine, en culture, en formation) les équipes journalistiques afin de mieux varier les compétences et les angles d’approche de l’information. [RECOMMANDATION 28] L’activité de modération ou d’animation des forums et des espaces d’expression sur les sites des médias devrait être confiée uniquement à des journalistes. [RECOMMANDATION 29] Soutenir l’enquête et le reportage en pérennisant le fonds de soutien au journalisme d’investigation et en renforçant son subventionnement par la Fédération Wallonie-Bruxelles. [RECOMMANDATION 30] L’éducation aux médias dans l’enseignement secondaire et l’initiation aux médias dans les écoles de journalisme doivent mieux préparer les futurs consommateurs et les futurs producteurs d’information à la constellation médiatique qui s’annonce, en améliorant la « littératie » médiatique149 et en objectivant notamment les réalités du métier de journaliste. B. Formations aux métiers du journalisme Éducation aux médias [RECOMMANDATION 31] Renforcer l’éducation aux médias dans les programmes de formation obligatoire (primaire et secondaire). A minima, donner les moyens aux opérations existantes (« Ouvrir mon quotidien », « Journalistes en classe », etc.) de continuer à exister. Étudier l’opportunité de compléter/modifier ces opérations existantes par d’autres bonnes pratiques, mises en place ailleurs. Idéalement, introduire l’éducation aux médias dans les programmes de formation obligatoire, c’est-à-dire dès les études primaires (en 5e et 6e, éventuellement auparavant), ainsi qu’au niveau secondaire. 149 Selon l’expression d’Eric Scherer, directeur des médias numériques à France 2. 208 Chapitre 2 Information sur les études et les métiers de l’information [RECOMMANDATION 32] Renforcer l’information et l’orientation sur les études et les professions de l’information. En première ligne, donner aux acteurs de l’organisation de salons du type « salon de l’étudiant » les moyens de continuer à organiser le rassemblement de tous les acteurs de formation. En deuxième ligne, créer un centre d’information et d’orientation sur les études et les professions à l’échelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ou, a minima, renforcer les moyens financiers et humains des centres existants, en insistant sur la nécessité d’y trouver une information de qualité. Formation de base [RECOMMANDATION 33] Clarifier, par la grille de programme, la distinction à opérer entre communication et information dans la dénomination des cursus des différentes formations. [RECOMMANDATION 34] Proposer un canevas type de convention de stage pour l’ensemble des lieux de formation en Fédération Wallonie-Bruxelles. A minima, la convention de stage devrait : - - - - préciser les droits et les devoirs des trois parties (étudiant, établissement d’enseignement et entreprise accueillante) ; rappeler que le stagiaire est en situation d’apprentissage et non d’emploi « gratuit » ; garantir un encadrement de qualité du stagiaire par l’entremise d’un journaliste expérimenté qui voit son emploi du temps aménagé pour remplir au mieux cette mission (transmission de savoirs intergénérationnels) ; comprendre, en annexe, les deux textes de référence en Belgique en matière de déontologie150 et, éventuellement, les règles internes au média intégré par l’étudiant. [RECOMMANDATION 35] Supprimer tout stage en première année, dans l’enseignement tant de type court que de type long. Et mettre à profit cette Déclaration des devoirs et des droits des journalistes (1971) et Codes des principes de journalisme. 150 Atelier 2 : « statut et formation des journalistes » 209 période d’intégration professionnelle pour fournir, en début de cursus, une information renforcée et adaptée sur les études et les professions du journalisme et de la communication151. [RECOMMANDATION 36] Limiter la durée maximale des stages dans une même rédaction à cinq ou six semaines. [RECOMMANDATION 37] Assurer aux lieux de formation les moyens financiers et humains pour garantir la bonne réalisation des recommandations liées au stage. Questions nécessitant une analyse plus approfondie [RECOMMANDATION 38] Documenter la nécessité de maintenir ou de supprimer l’année passerelle entre le bac en haute école et le master universitaire. L’AEQES pourrait ajouter cette analyse à sa prochaine mission d’évaluation des formations de type court en communication. [RECOMMANDATION 39] Documenter la manière dont les programmes d’études supérieures en communication articulent et répartissent le transfert des connaissances théoriques et pratiques tout au long du cursus. Formation continuée [RECOMMANDATION 40] Soutenir rapidement la création et le maintien d’une structure pérenne unique de formation continuée centrée sur les métiers du journalisme, de l’information et des nouveaux médias. Pour cela, la FWB devrait, soit choisir entre les deux propositions actuellement en présence, soit organiser dans les plus brefs délais une concertation entre les acteurs concernés afin de préciser l’organigramme, le financement et les modes de fonctionnement de cette structure. La première solution est incontestablement la plus rapide ; la seconde est plus consensuelle, mais source d’atermoiements à un tournant crucial de l’histoire des médias. Recherche et développement [RECOMMANDATION 41] Renforcer la formation de troisième cycle dédiée à la recherche doctorale et postdoctorale en sciences de l’information 151 Ce que plusieurs hautes écoles font déjà, en dénommant cette période « stage interne ». 210 Chapitre 2 et de la communication, par les moyens suivants : - Créer un Observatoire des médias belges (à défaut, francophones). - Financer des chercheurs en sciences de l’information et de la communication au sein des différentes universités en dédiant une enveloppe spécifique dans la manne des mécanismes habituels de financement de la recherche (subsides européens, financements fédéraux, communautaires et régionaux). - Favoriser, par des mécanismes de cofinancement éditeurs/pouvoir subsidiant, des bourses, des prix ou des chaires qui permettent spécifiquement aux professionnels des médias (salariés ou freelances) d’interrompre leur carrière pour prendre un recul critique en menant une recherche scientifique sur leurs pratiques. - Financer ou renforcer le financement, à l’intérieur des entreprises médiatiques, d’un service de recherche et développement qui ne soit pas seulement dédié au marketing. Ou à tout le moins, favoriser la recherche action qui introduit le chercheur dans l’entreprise médiatique, à l’aune de ce qui se fait dans d’autres secteurs. Chapitre 3 Atelier 3 : « Liberté d’expression » Atelier 3 : « liberté d’expression » 213 1. Biographie des animateurs M. Jacques Englebert est diplômé de l’Université libre de Bruxelles (ULB). Il est avocat depuis septembre 1988 spécialisé en droit des médias et en droit d’auteur. Il est professeur à l’ULB depuis 2001 et à l’UMons depuis 2008 (il enseigne le cours de Droit judiciaire privé en 3ème Bac et de Questions approfondies de droit judiciaire privé en 2ème Master). Il est directeur de l’Unité de droit judiciaire (ULB) depuis 2007. Il a été chercheur (de 1988 à 1992) et assistant chargé d’exercice (de 1992 à 2002) à l’ULB. Il rédige actuellement une thèse de doctorat (thèse « sur essai ») dont le thème est : « L’application des règles du procès équitable à l’exercice effectif de la liberté d’expression. Etendue et limites » (titre provisoire). Mme Françoise Tulkens est Docteure en droit, U.C.L., juillet 1965. Licenciée en criminologie, U.C.L., septembre 1965, et agrégée de l’enseignement supérieur en droit, U.C.L., 1976 (Titre de la thèse : « L’actus reus en droit pénal anglo-américain », sous la direction du prof. P.E. Trousse). Elle est Docteur honoris causa de l’Université d’Ottawa (9 juin 2002) mais aussi Docteur honoris causa de l’Université de Genève (5 juin 2006) et Docteur honoris causa de l’Université de Limoges (17 novembre 2006). Ancienne administratrice puis Présidente de la Ligue belge des droits de l’homme. Elle a été professeure à la Faculté de droit de l’U.C.L. et Juge à la Cour européenne des droits de l’homme (1998-2004 ; 2004-2010) mandat qu’elle vient d’achever. Elle est Présidente de la Fondation Roi Baudouin. Mme Séverine Dusollier est licenciée en Droit ULB et Docteure en droit FUNDP. Administratrice de l’Association belge du droit d’auteur. Chargée de cours aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur en droit et gestion technologies information et communication. Elle enseigne notamment la propriété intellectuelle. Directrice du Centre de Recherches Informatiques et Droit (CRID). Directrice du CRIDS (Centre de Recherche Information, Droit et Société) . Elle a publié chez Larcier « Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique. » 214 Chapitre 3 2. Rapport synthétique des auditions (par Mme Anne Roekens) et Recommandations des experts – animateurs (par M. Jacques Englebert, Mme Françoise Tulkens et Mme Séverine Dusollier) Précisions méthodologiques En vue de formuler leurs recommandations, les experts, après avoir pris connaissance du rapport de synthèse des auditions de l’atelier n° 3, ont estimé qu’il n’était pas utile de présenter eux-mêmes une nouvelle synthèse de ces travaux . En effet, le rapport de synthèse reprend, de façon complète et circonstanciée, l’ensemble des avis, suggestions, propositions et prises de positions développés au cours des travaux de l’atelier par les nombreux intervenants152. Les experts reprennent ce rapport de synthèse à leur compte. Le contenu des travaux de l’atelier n° 3 étant indispensable à la compréhension des recommandations, les experts ont opté pour l’intégration de celles-ci directement dans le rapport de synthèse, à l’issue de chaque chapitre, ce qui confère à l’ensemble cohérence et lisibilité. 2.1. De la protection constitutionnelle des seuls écrits imprimés et de la notion de délit de presse Questions 2.1.1 L’évolution de la jurisprudence, notamment de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation et 152 Le rapport de synthèse a été rédigé sur base des interventions publiques et du compte-rendu intégral de chaque séance de l’atelier, établi par les services du Parlement. Il reprend le plus fidèlement possible le contenu des différentes interventions. Le calendrier des auditions est repris en annexe II. La liste des intervenants, des institutions auxquelles ils appartiennent ou au nom desquelles ils s’exprimaient, est reprise en annexe II, avec le détail des acronymes. Ces précisions ne sont mentionnées dans le rapport de synthèse qu’au moment où il est fait état de la première intervention. Atelier 3 : « liberté d’expression » 215 le développement de l’expression via d’autres médias que la presse dite « classique » (journaux, radio et télévision) imposent, dans un premier temps d’envisager une éventuelle redéfinition du champ d’application de l’article 25 de la Constitution et, partant, de la notion de « délit de presse » : 2.1.2 tant en son premier alinéa, selon lequel la presse est libre et la censure ne pourra jamais être établie. Faut-il encore admettre aujourd’hui que cette règle ne s’appliquerait qu’aux écrits mais non aux images (photos, dessins, caricatures) ni à l’audiovisuel ou à l’Internet ? 2.1.3 qu’en son second alinéa qui met en place le régime de la responsabilité en cascade. Un tel régime est-il encore justifié (oui, non, pourquoi) ? Un tel régime est-il transposable/applicable à la presse audiovisuelle et à l’information en ligne ? 2.1.4 Faut-il adapter, sur ce point, le droit belge au regard des principes qui peuvent être dégagés de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ? 2.1.5 Plus radicalement, faut-il remettre en cause le principe de l’interdiction de la censure préalable ? Ou à tout le moins en redéfinir plus clairement la portée ? Ou, au contraire, faut-il l’étendre à l’ensemble des moyens d’expression, en réaffirmant le principe du seul contrôle a posteriori ? L’article 25 de la Constitution belge, relatif à la liberté de la presse, à l’interdiction de la censure préalable et au principe de liberté en cascade est interprété par la Cour de cassation comme ne s’appliquant qu’aux écrits imprimés153. De même, la Cour de cassation a toujours interprété l’article 150 de la Constitution en réservant à la notion de « délit de presse » l’expression d’une opinion délictueuse par voie d’écrit imprimé. Au vu de l’émergence d’autres médias (audiovisuels et numériques), la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et celle de la Cour L’un des arguments avancés à l’appui de cette interprétation est que le terme « presse » a été traduit par « drukpers » dans la version néerlandaise. 153 216 Chapitre 3 de cassation tendent aujourd’hui à élargir le champ d’application des protections constitutionnelles de la presse à l’ensemble des supports de communication. - - D’une part, l’arrêt de la CEDH du 29 mars 2011 (RTBF c. Belgique) a considéré qu’il n’y avait en Belgique aucune loi qui autorisait une censure préalable sur des contenus, que ceux-ci soient diffusés par la presse écrite, la radio ou la télévision. D’autre part, la Cour de cassation, par ses arrêts du 6 mars 2012, a estimé que la notion de délit de presse s’applique non plus seulement aux textes imprimés mais également aux textes écrits diffusés sur l’Internet154. Conformément à cette tendance, Martine Simonis (AJP), Philippe Nothomb (JFB), Simon-Pierre De Coster (RTBF), Stéphane Rosenblatt (RTL), Marc de Haan (FTL), Pierre-Arnaud Perrouty (LDH), Bart Van Besien (Mediadem), Olivier Basile (RSF) ainsi que François Tulkens (USL), Alain Strowel (USL), Étienne Montero (UN) et Benoît Frydman (ULB) affirment tous la nécessité d’appliquer les mêmes règles et mêmes protections de la liberté d’information à l’ensemble des médias qui, indépendamment des supports et des canaux utilisés, prennent tous part au débat public. Cette mesure s’avère d’autant plus justifiée dans un contexte de convergence médiatique, où la distinction entre les textes (imprimés ou numériques) et les autres supports (images fixes ou mobiles) apparaît comme intenable. Les balises doivent être appliquées à tous les médias dans le sens où la liberté de la presse est une règle d’organisation de la démocratie, un principe fondamental de tout État de droit. Pour les chercheurs du programme Mediadem, il convient de ne pas se contenter d’une interprétation large de ces dispositions constitutionnelles mais de réviser l’article 25 « en vue d’y ajouter un alinéa permettant d’élargir les garanties de la presse aux autres moyens d’information ». Les représentants de la RTBF ajoutent que ce projet est évoqué par les déclarations de révision de la Constitution depuis plus de trente ans. Si François Jongen (UCL) se dit favorable à une extension des mesures constitutionnelles à l’Internet, il s’oppose, par contre, à l’application des Plusieurs intervenants n’ont pas manqué de souligner que dans les arrêts du 6 mars 2012, la Cour de cassation précise que « le délit de presse requiert une expression délictueuse punissable dans un texte multiplié par un écrit imprimé ou un procédé similaire. La distribution numérique constitue un procédé similaire ». La garantie constitutionnelle s’applique aux écrits sur l’Internet mais le support doit toujours être un texte. 154 Atelier 3 : « liberté d’expression » 217 articles 25 et 150 de la Constitution (sur la compétence de la cour d’assises dans le domaine des délits de presse) au secteur audiovisuel. Selon lui, il apparaît légitime d’appliquer des règles plus strictes au média audiovisuel qui serait plus intrusif que les autres, qui a un impact plus fort sur l’opinion (en référence à l’arrêt CEDH Jersild c. Danemark du 22 août 1994) et qui soulève des enjeux économiques plus importants. Ces différents facteurs justifient à son avis une forme de contrôle et de prise de responsabilité accrue dans le secteur audiovisuel. 2.1.1. De la censure préalable L’exclusion de toute forme de censure préalable est défendue par un grand nombre d’intervenants, en l’occurrence, les juristes Alain Strowel et Benoît Frydman, rejoints par Martine Simonis, Simon-Pierre De Coster, Stéphane Rosenblatt, Marc de Haan, Pierre-Arnaud Perrouty, Olivier Basile, Edouard Delruelle (CECLCR)155. Cette position s’appuie sur la jurisprudence de la CEDH qui, comme le rappelle Benoît Frydman, n’admet d’intervention a priori que pour répondre à un impératif prépondérant d’intérêt public156. Consacrée par l’article 25 de la Constitution belge, l’interdiction de la censure par les autorités publiques est sous-tendue par le principe que l’opinion contrôle le gouvernement et non l’inverse. La « sanctuarisation de l’espace public » implique qu’il faille s’accommoder des inévitables erreurs et abus de la presse, dans la mesure où le fait de permettre aux autorités publiques d’intervenir créerait une situation bien plus dangereuse que celle de médias parfois défaillants. Benoît Frydman ajoute que cette mesure est particulièrement importante pour les médias audiovisuels qui sont les plus exposés à la censure, en vertu de leur logique de programmation157. Pour RSF, l’interdiction de censure préalable est Soit en raison de l’état actuel du droit positif belge (puisque l’article 25 de la Constitution interdit toute censure et que la CEDH a étendu ce principe à l’audiovisuel), soit par principe. 156 Si la CEDH n’interdit pas d’intervention préventive, elle limite celles-ci aux cas flagrants de violation illicite d’autres droits, sous un contrôle strict de la proportionnalité de l’interdiction avec le but poursuivi et pour autant que la législation nationale dispose d’une loi, répondant aux critères de qualité fixés par la jurisprudence de la CEDH. Cette dernière souligne que son contrôle sera particulièrement strict en cas de mesure de restriction préventive (arrêt Ekin c. France du 17 octobre 2001). 157 Pierre-François Docquir (CSA) admet qu’en tant que régulateur, le CSA dispose de pouvoirs qui l’amènent parfois à restreindre les droits à la liberté d’expression de petites ou de grandes entreprises médiatiques. Si la majorité des actions se jouent a posteriori, il arrive que le CSA sanctionne des émissions radiophoniques ou télévisuelles (pour des motifs comme l’appel à la haine raciale ou l’absence d’un sigle adéquat de protection de la jeunesse) et ce dans le respect scrupuleux du droit fondamental à la liberté d’expression ; ce principe étant inscrit dans l’ADN du régulateur qui fait preuve de modération dans l’application des sanctions. 155 218 Chapitre 3 d’autant plus cruciale que les pays européens doivent garder comme priorité l’exemplarité de leur politique ; en effet, certains gouvernements étrangers sont régulièrement tentés de se retrancher derrière le constat de régression des libertés d’expression et de presse dans l’UE. Pour Pierre-Arnaud Perrouty et Edouard Delruelle, l’interdiction de censure a priori implique une responsabilisation en amont des auteurs des propos émis et un contrôle plus important en aval. Il s’agit, d’une part, de sensibiliser les écoles, les médias, les responsables politiques, les animateurs culturels aux enjeux et aux limites de la liberté d’expression, et, d’autre part, de rester vigilant par rapport à des propos éventuellement délictueux. À ce sujet, Édouard Delruelle et Pierre-Arnaud Perrouty mentionnent tous les deux l’arrêt du Conseil d’État qui, en mars 2009, a rappelé, dans le cadre de l’affaire Dieudonné, qu’on ne pouvait interdire préventivement des spectacles et que la liberté d’expression devait prévaloir sur des risques de troubles de l’ordre public. Cela n’empêche pas de poursuivre a posteriori des actes délictueux. En l’occurrence, le Centre pour l’égalité des chances a porté plainte a posteriori contre l’humoriste français dont le spectacle contenait, selon Édouard Delruelle, des actes d’incitation à la haine et exprimait son approbation vis-à-vis du régime nazi. François Jongen estime, pour sa part, qu’on pourrait redéfinir la portée de l’interdiction de la censure de manière minimaliste, en revenant au sens qu’en a donné, selon lui, le constituant de 1831, c’est-à-dire une censure institutionnalisée. Cela impliquerait qu’on n’exclurait plus la censure définie, au sens large, comme toute intervention préalable dans l’exercice de la liberté d’expression. Le cas échéant, l’arbitrage d’un conflit entre deux personnes ou entre deux valeurs (par exemple, le droit à l’honneur versus la liberté de la presse) ne devrait donc pas s’analyser en référence à la notion de censure et pourrait donner lieu, dans certains cas très limités, à des contrôles a priori sous la responsabilité du juge qui statuerait en toute indépendance. Selon François Jongen, l’arrêt de la CEDH du 29 mars 2011 (RTBF c. Belgique) permet cette éventualité puisqu’il constate qu’il ne peut y avoir aucun contrôle en Belgique en l’état actuel de sa législation. Un système souple prévoyant certaines mesures préalables pourrait donc être mis en place (ce qui nécessiterait toutefois une intervention du législateur et/ou du Constituant). François Tulkens conçoit, lui aussi, qu’une intervention a priori puisse s’avérer nécessaire dans l’exercice de la liberté de la presse. Il estime que l’arrêt de la CEDH du 29 mars 2011 a trop largement ouvert la voie au « mauvais travail Atelier 3 : « liberté d’expression » 219 journalistique » qui ne pourra être sanctionné qu’a posteriori et qui ne donnera jamais lieu à des dommages et intérêts très élevés158. Selon François Tulkens, en constatant qu’il n’existe pas de loi en Belgique autorisant la censure de productions télévisuelles, la CEDH a voulu faire passer le message selon lequel il faut justement une loi qui permette de prendre ce genre de mesures préventives. Françoise Tulkens (co-animatrice de l’atelier) rappelle que l’exigence de la loi ne répond pas à un souci de formalisme mais vise à ce que, lorsque surviennent des ingérences, il y ait un débat démocratique sur les limitations de droits fondamentaux. Un des principes de la CEDH est de voir si l’ingérence à un de ces droits est prévue par la loi. François Tulkens conclut, pour sa part, que l’arrêt de la Cour de Strasbourg sanctionne la Belgique mais n’exclut pas la logique préventive. Il regrette que les juges belges ne puissent plus intervenir à cause de l’arrêt de la CEDH et se prononce, par conséquent, en faveur de l’activisme judiciaire, c’est-à-dire de la possibilité pour des juges d’interpréter librement la loi, en refusant certaines jurisprudences159. Françoise Tulkens souligne que l’« activisme des juges » n’est envisageable que pour garantir la protection d’un droit fondamental méconnu par une législation interne mais nullement pour tenter de restreindre un droit fondamental reconnu par la jurisprudence de Strasbourg. Si une volonté devait se dégager en faveur d’une intervention préventive, il faudrait soit réviser l’article 25 de la Constitution, soit adopter une loi qui, comme en France ou en Suisse, habiliterait le juge des référés à intervenir dans certains cas. D’autres intervenants de l’atelier présentent une interprétation sensiblement différente de l’arrêt de la CEDH du 29 mars 2011. Selon Stéphane Hoebeke (RTBF) et Simon-Pierre De Coster, le message de la CEDH est clair : la Constitution belge interdit les mesures préventives. Par conséquent, un juge saisi en référé À ce sujet, François Tulkens se dit d’ailleurs choqué par la déclaration de l’AJP qui reconnaît que, dans les affaires judiciaires, les sources journalistiques sont au départ réduites mais qu’elles se diversifient au fur et à mesure du déroulement de l’enquête. Des dommages en termes d’atteinte à l’honneur sont donc commis et à jamais irréparables. Jean-François Dumont (de l’AJP) répond qu’il y a une différence entre absence de nuance et présence d’erreur. Martine Simonis souligne les difficultés rencontrées par les journalistes quand il s’agit de couvrir une actualité judiciaire, à cause du silence du milieu (seul le parquet donne des informations aux journalistes). Voir le point 2.10 consacré aux rapports entre la presse et la justice. 159 François Tulkens fait référence, à ce propos, à une ordonnance du tribunal de première instance de Bruxelles du 7 septembre 2011 selon lequel « l’absence de cadre légal suffisant ne peut raisonnablement aboutir à priver de tout pouvoir de juridiction le juge saisi par une demande pendant la protection du droit subjectif garanti aussi par la convention ». (N.B. : le même juge a sensiblement relativisé cette jurisprudence dans une ordonnance du 6 juin 2012, admettant explicitement qu’à défaut de loi en droit belge, la mesure d’interdiction préalable d’une émission de télévision doit être déclarée non fondée). 158 220 Chapitre 3 doit se déclarer incompétent en la matière. Aux yeux de Simon-Pierre De Coster, la presse est aujourd’hui assez mûre pour ne pas demander l’approbation d’une autorité judiciaire avant de publier des informations. Selon Étienne Montero, la Convention européenne des droits de l’homme n’interdit pas les mesures préventives en soi, mais la CEDH ne les admet que moyennant un contrôle strict. Elle a récemment affirmé que l’existence d’un recours en responsabilité (donc a posteriori) suffisait à satisfaire aux exigences conventionnelles dérivant du droit au respect de la vie privée. Benoît Frydman se réjouit que, par cet arrêt, la CEDH ait ainsi fermé la porte à la tendance de la jurisprudence belge qui intervenait de plus en plus souvent dans les contenus médiatiques. François Tulkens ajoute que de tels débats au sujet de la légitimité de mesures préventives divisent non seulement la doctrine et la jurisprudence mais aussi le monde politique : Thierry Giet et Christian Brotcorne ont, en octobre 2010, déposé une proposition de loi visant à protéger le principe de la présomption d’innocence dans le champ médiatique et à mettre en place un genre de référé qui éviterait a priori les dérapages d’une presse à scandale160. La proposition a été enterrée en avril 2012, en raison, notamment, de son inadéquation avec la réalité de terrain, de la question de savoir si la présomption d’innocence s’applique ou non aux journalistes et de son caractère liberticide selon l’AJP161. Jacques Englebert (co-animateur de l’atelier) et Benoît Frydman rappellent que le respect de la présomption d’innocence est une règle de procédure pénale qui s’impose aux juges, aux personnes participant aux poursuites judiciaires et aux autorités publiques, mais que, par contre, les journalistes ne sont pas débiteurs de l’obligation de respecter cette présomption. François Tulkens estime qu’il serait bon dans une société démocratique que les journalistes respectent, eux aussi, la présomption d’innocence. Aux yeux de François Tulkens, ce débat constitue au moins la preuve que le Parlement se penche, lui aussi, sur la question d’éventuelles mesures préventives. 2.1.2. Du principe de responsabilité en cascade et de son éventuelle extension Le principe de responsabilité en cascade permet, en cas de litige lié à des contenus publiés, de déclarer le journaliste (qu’il soit salarié ou Proposition de loi complétant l’article 587 du Code judiciaire en vue de protéger la présomption d’innocence, 26 octobre 2010, Doc. Chambre, 53 0464/001. 161 La proposition de loi relative à la présomption d’innocence aurait encore compliqué la tâche des journalistes qui veulent couvrir une actualité judiciaire (actualité qui constitue pourtant un domaine important de toute société démocratique). 160 Atelier 3 : « liberté d’expression » 221 indépendant162), seul responsable en matière civile et pénale à condition qu’il soit connu et domicilié en Belgique. Destiné à protéger la liberté d’expression des journalistes, ce principe a pour objectif d’empêcher une censure indirecte et des pressions que les autres intervenants de la « chaîne de production et de diffusion de l’information » pourraient exercer vis-à-vis de l’auteur. L’AJP souligne que ce système entraîne de facto une mise hors cause de l’éditeur, de l’imprimeur et du distributeur, sauf si l’on peut prouver qu’ils ont commis une faute. Si la cascade de responsabilité ne reprend ni les rédacteurs en chef, ni les directeurs de rédaction, la responsabilité de ces acteurs peut quand même être invoquée en cas de faute. Plusieurs intervenants en viennent à constater que le principe de responsabilité en cascade doit être adapté à la situation économique actuelle du secteur médiatique163. - Ainsi, l’AJP expose à la fois une prise de position idéale et une prise de position pragmatique. En principe, il faudrait maintenir la responsabilité en cascade et rendre au journalisme son indépendance. Pourtant, au vu des conditions de travail des journalistes, il conviendrait d’imaginer un autre système qui partage la responsabilité entre les différents intervenants rédactionnels en fonction des choix et des actes qu’ils ont respectivement posés. Il s’agirait, en même temps, d’éviter que ce principe de responsabilisation des éditeurs et des rédacteurs en chef n’incite ces derniers à augmenter la pression sur le travail des journalistes164. Aujourd’hui, le fait qu’on ne retienne que la responsabilité des journalistes pose problème par exemple quand le journaliste est condamné à faire publier des décisions dans un journal L’arrêt de la Cour d’arbitrage du 22 mars 2006 stipule, en effet, que « le système de responsabilité prévu en droit du travail (…) ne trouve pas à s’appliquer pour les journalistes salariés ». François Jongen souligne que le journaliste est donc le seul employé à devoir répondre seul de ses fautes commises dans l’exercice de ses activités. Philippe Nothomb constate, lui aussi, que les journalistes salariés endossent une double responsabilité (en cascade et dans le cadre de leur contrat de travail pour vol ou faute lourde) mais considère qu’il ne faut pas éluder une responsabilité au profit de l’autre puisqu’elles couvrent des matières distinctes. 163 Au sujet de la précarisation des journalistes qui menace directement leur liberté d’expression, voir l’intervention de Denis Robert dans l’atelier n° 2 des EGMI (rapport synthétique, pp. 133134) : ce journaliste français qui, dans le cadre de ses enquêtes sur Clearstream, a fait l’objet de 62 procédures judiciaires distinctes constate que la loi sur la diffamation est trop souvent instrumentalisée pour nuire à la liberté de la presse et museler la liberté d’expression et revendique dans ce sens un droit à la diffamation (qui sanctionnerait le dépôt de plaintes sciemment infondé). 164 Ce principe de responsabilité partagée est déjà de mise sur le plan déontologique puisque l’action du CDJ englobe des journalistes, des rédacteurs en chef et des éditeurs. 162 222 Chapitre 3 - - - (ce qui est du ressort de l’éditeur) ou quand éditeurs et journalistes sont défendus par un même avocat alors que les responsabilités des uns et des autres seraient à distinguer plus clairement165. Philippe Nothomb préconise de maintenir le système de la responsabilité en cascade tout en y apportant des précisions au sujet des responsabilités des uns et des autres (responsabilités qui sont de plus en plus difficiles à déterminer). Dans la pratique, il importe et il est fréquent que les éditeurs soient solidaires avec leurs journalistes, quand ils ont effectivement pris part à la définition de la ligne rédactionnelle : un contenu peut avoir été rédigé, titré, classé par différentes personnes. D’ailleurs, la jurisprudence considère que l’éditeur peut endosser une responsabilité parallèle à celle du journaliste et être contraint au paiement solidaire d’indemnités. François Jongen est également partisan d’une co-responsabilité du journaliste et de l’éditeur, sur le modèle du principe français de la responsabilité solidaire qui implique de poursuivre l’éditeur avant ou avec l’auteur166. La juge Sophie Annaert (TPI Bruxelles)167 ajoute qu’il est de plus en plus délicat d’identifier qui joue le rôle d’éditeur (responsable)168, au vu de la multiplication des intervenants. Par ailleurs, la magistrate bruxelloise craint que la suppression du système de responsabilité en cascade ait un effet pervers sur la liberté d’expression car les éditeurs auront tendance à étendre leur surveillance, y compris au courrier des lecteurs, dans la mesure où la responsabilité en cascade ne protégera plus personne. À l’heure actuelle, le principe de la responsabilité en cascade est réservé à la presse stricto sensu (presse écrite). En cas de procès à l’encontre d’un média audiovisuel, le plaignant ou le demandeur (au civil) assigne en général l’entreprise en tant que personne juridique mais pas le journaliste, contrairement à ce qui se passe pour la presse écrite. Or, conformément 165 L’AJP conseille, dans ce sens, aux journalistes (et, en particulier, aux indépendants) de souscrire à une assurance civile afin d’être défendus par leur propre avocat et de couvrir le paiement des dommages et intérêts éventuels. 166 Philippe Nothomb signale que le système français présente un inconvénient majeur : il entraîne une augmentation des montants réclamés par les plaignants, puisque désormais les éditeurs sont systématiquement solidaires des auteurs journalistes. 167 Sophie Annaert préside la 14ème chambre du tribunal de première instance de Bruxelles qui connaît des affaires de presse. 168 La notion d’éditeur responsable avait été créée pour pallier le problème (révolu) de l’impossibilité de poursuivre pénalement une personne morale. Atelier 3 : « liberté d’expression » 223 à la définition d’un cadre réglementaire commun à tous les médias qui a été évoquée précédemment, la question se pose de savoir si et à quelles conditions ce principe est applicable aux autres supports médiatiques. Comme le rappelle Bart Van Besien, cette question ne fait l’unanimité ni dans la doctrine, ni dans la jurisprudence. La juge Sophie Annaert estime, pour sa part, que l’application de ce système aux seuls écrits constitue une discrimination entre journalistes et ajoute que le critère de domiciliation est également un facteur discriminant, à l’heure où de nombreux contenus numériques circulent par-delà les frontières et occasionnent d’ailleurs de nouveaux types de procès169. En cas d’adaptation du système de la responsabilité en cascade au secteur audiovisuel, la responsabilité passerait, d’après Martine Simonis et Simon-Pierre De Coster, de l’auteur à l’éditeur ou au producteur et enfin, au distributeur. Si Marc de Haan estime que la responsabilité en cascade est un dispositif vertueux, Stéphane Rosenblatt affirme que ce régime n’est pas exportable au-delà de la presse écrite dans la mesure où la comparaison des intervenants ne résiste pas à l’analyse. Alain Strowel considère, lui aussi, que la règle de la cascade doit rester limitée à l’imprimé dans la mesure où elle ne paraît pas nécessaire dans le secteur audiovisuel qui connaît, selon lui, une relation duale éditeur et auteur170. L’introduction d’une cascade aurait d’autant moins de sens que, par déontologie, la RTBF décide systématiquement d’intervenir pour prendre fait et cause pour un de ses journalistes mis en cause. François Jongen se dit, lui, favorable à une application de la responsabilité en cascade aux médias audiovisuels, à condition que soient revus les principes de cette chaîne de responsabilités (dans le sens d’une solidarité garantie entre auteur et éditeur). En ce qui concerne les sites d’information en ligne, Alain Strowel fait remarquer qu’il est difficile d’appliquer par analogie les règles de la responsabilité en cascade à l’Internet : la responsabilisation reste possible pour l’auteur, mais plus on monte dans les niveaux de la cascade, moins les analogies fonctionnent, eu égard à la dimension internationale des hébergeurs et des moteurs de recherche. Jean-Jacques Jespers (LDH) estime que la Jean-Paul Van Grieken (UPP) rappelle l’effet pervers qu’implique le principe de territorialité sur lequel est basé le système de responsabilité en cascade. Si l’auteur n’est pas ni connu, ni domicilié en Belgique, la responsabilité incombe aux autres échelons, c’est-à-dire l’éditeur, l’imprimeur et le distributeur. Ce principe conduit à un problème de censure préalable (puisque le distributeur bloque la diffusion d’information par crainte d’endosser une responsabilité pénale). 170 De nombreux intervenants, dont Marc Isgour (avocat), ont fait remarquer que le distributeur constitue un troisième intervenant dans le secteur audiovisuel (surtout lorsqu’il s’agit d’une chaîne étrangère). 169 224 Chapitre 3 responsabilité en cascade est sans doute inadaptée aux médias numériques dans la mesure où la ligne éditoriale d’un site (ou d’un nombre croissant d’autres médias) échappe en grande partie au journaliste qui se trouve dans un lien de subordination par rapport à son éditeur. De nombreux intervenants mentionnent, à propos de la définition des responsabilités des contenus numériques, la loi du 11 mars 2003, qui intègre une directive européenne du 8 juin 2000, relative au commerce électronique, et qui réduit fortement la responsabilité des hébergeurs considérés comme de simples prestataires techniques171. - - - - François Jongen et Stéphane Rosenblatt estiment que cette exonération de responsabilité est incompatible avec le système de responsabilité en cascade. Martine Simonis considère que cette loi établit justement un genre de responsabilité en cascade : l’auteur est considéré comme le seul responsable du contenu ; si celui-ci est inconnu, le titulaire du site est tenu responsable, alors que les intermédiaires techniques ne le sont que très rarement. Martine Simonis admet, par ailleurs, que les exceptions et les conditions d’application prévues par la loi de 2003 sont très différentes de celles prévues dans la Constitution pour la presse écrite. Simon-Pierre De Coster et Étienne Montero préconisent d’adapter le système de responsabilité en cascade en fonction de cette distinction légale entre responsables du contenu et intermédiaires techniques. Pour Étienne Montero, le premier maillon serait l’auteur ; le second, l’éditeur (la définition d’éditeur dans l’univers numérique nécessiterait une réflexion approfondie) ; le troisième, le prestataire d’hébergement. Sophie Annaert fait remarquer que, si certaines décisions encadrent la responsabilité de nouveaux acteurs comme les prestataires techniques, aucune disposition spécifique ne définit la responsabilité des modérateurs de sites privés ou des ASBL qui se consacrent à l’archivage de données. Les premiers sont souvent des amateurs et qui n’ont pas les moyens matériels de contrôler tous les contenus. La responsabilité des uns et des autres est donc évaluée selon les dispositions de la responsabilité civile, ce qui amène à des situations Bart Van Besien précise que, d’après cette loi de 2003, l’intermédiaire n’a aucune obligation de procéder à un contrôle préalable et n’est pas considéré comme responsable tant qu’il ne connaît pas les contenus. Une fois qu’il est tenu au courant, sa responsabilité est en jeu et il est tenu d’agir. 171 Atelier 3 : « liberté d’expression » 225 délicates. François Jongen renchérit en posant la question de savoir si un blogueur ou un modérateur de forum est à considérer comme un éditeur ou comme un hébergeur. 2.2. De la distinction entre la presse « classique » et le « journalisme citoyen » Questions 2.2.1 Convient-il d’édicter des règles propres « à la presse » (stricto sensu) ou, en cette matière, toute forme d’expression doitelle recevoir les mêmes droits (la même protection) et se voir imposer les mêmes « devoirs et responsabilités » ? Dans cette hypothèse, comment peut-on définir ce qu’est « la presse » ? 2.2.2 Peut-on faire une analogie entre les rôles de la presse écrite (éditeur, auteur…) et les rôles de la diffusion d‘information via Internet (modérateur de blog, auteur, commentateur, …) ? 2.2.3 Le champ d’application ratione personae du régime belge du secret des sources, étendu par la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 7 juin 2006, à toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du public, doit-il être appliqué aux autres questions relevant de la liberté d’expression ? L’Internet qui a permis à la fois la convergence des médias et l’essor du journalisme citoyen tend à brouiller les frontières entre la liberté d’expression (qui s’applique à tous) et la liberté de la presse (qui serait l’apanage d’une profession). Étienne Montero et Quentin Van Enis (UN) plaident en faveur du passage d’une notion de presse liée au support à une conception fonctionnelle de la presse (quel que soit le support utilisé et quel que soit le statut de la personne qui diffuse ou commente une information). Les deux juristes font référence à la jurisprudence de la CEDH qui définit la presse comme « chien de garde dans une société démocratique » et lui assigne, en ce sens, la mission d’informer le public sur toute question d’intérêt général. Cette conception de la presse prend davantage en considération l’importance 226 Chapitre 3 de l’information pour le débat public que le statut de la personne qui diffuse l’information ou le support utilisé pour la transmettre : ce qui implique que les journalistes partagent cette mission avec d’autres acteurs, comme des militants, des ONG, des chercheurs universitaires, … Étienne Montero ajoute qu’historiquement, la liberté de la presse n’a jamais été réservée, sur le plan juridique, aux seuls professionnels de l’information. Aux yeux du Constituant de 1831, la liberté de la presse équivalait à la liberté de manifestation des opinions qui ne pouvait se faire que via des documents imprimés et le plus souvent polémiques, voire subversifs (tracts, pamphlets, journaux clandestins, …). Les débats politiques de l’époque n’évoquent jamais la volonté de restreindre le champ d’application de la liberté de la presse ratione personae, c’est-à-dire en fonction des individus qui en disposent. Le principe est alors de protéger l’expression des opinions (qui sont définies en opposition aux faits bruts selon les mentalités du dix-neuvième siècle)172. Dans cette perspective, seul le support imprimé est visé par les garanties constitutionnelles car il est, en 1831, l’unique moyen d’exprimer des opinions (contrairement aux images, photographies et publicités qui étaient censées ne rapporter que des faits bruts). De nombreux intervenants, comme Benoît Frydman, Martine Simonis, Bart Van Besien, Étienne Montero et Quentin Van Enis, soulignent qu’il est légitime de concevoir la presse comme une activité et non comme une profession et donc d’élargir les mesures de protection de la liberté de la presse à la liberté d’expression de ceux qui participent, régulièrement ou pas, au débat public. Les mêmes personnes constatent, par ailleurs, que la conception fonctionnelle de la presse pose des problèmes pratiques d’application, puisqu’il est délicat de déterminer ce qui relève de l’intérêt public (parfois, avant même que ce contenu soit publié) et surtout d’englober une population quasi indéfinie. Alain Strowel ajoute qu’un important problème surgit dans le domaine de la régulation, puisque le cadre juridique traditionnel, dont la portée n’est que nationale ou régionale, ne s’applique pas aux médias électroniques dont le fonctionnement est international173. Comme le relève Quentin Van Enis, les 172 Aujourd’hui, on parle davantage de liberté d’expression que de liberté d’opinion, ce qui amène à une dilution de la distinction désuète entre fait objectif et discours engagé. 173 Pierre-François Docquir rappelle qu’au sujet de la définition du champ d’application de la régulation médiatique, Marc Janssen (président du CSA) avait émis, lors de l’atelier n° 1 des EGMI, la proposition d’intégrer les sites web d’information à la définition de service de média audiovisuel et de créer un nouveau concept de « médias d’information sur plate-forme ouverte » qui dépasserait le critère du support matériel. Voir le rapport synthétique de l’atelier 1, p. 75. Atelier 3 : « liberté d’expression » 227 textes réglementaires sont révélateurs de la tension entre conception élargie et conception restrictive de la presse : - - - Ainsi, l’arrêt de la Cour d’arbitrage (aujourd’hui, Cour constitutionnelle) du 7 juin 2006 sur le secret des sources élargit cette protection à toute personne diffusant de l’information, et se conforme donc à la conception fonctionnelle de la presse telle qu’elle est mentionnée par la Constitution belge et appliquée par la jurisprudence de la CEDH174. Pour sa part, la loi de 2010 réserve aux seuls journalistes professionnels la protection des sources à l’égard des méthodes de recueil des données de la part de la Sûreté de l’État. Enfin, l’arrêt du 6 mars 2012 de la Cour de cassation adopte une définition liée au support médiatique puisqu’il continue de distinguer les images et les textes diffusés sur l’Internet. Jean-François Dumont ajoute que le Conseil de déontologie journalistique (CDJ) a adopté la conception fonctionnelle de la presse, puisqu’il exerce sa fonction d’autorégulation vis-à-vis de tous les médias d’information qui s’adressent à l’ensemble du public de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Au sujet de l’implication de la définition de la presse sur le rôle attribué aux journalistes, Philippe Nothomb et Stéphane Rosenblatt continuent à conférer une valeur professionnalisante au journalisme qui reste lié à l’existence d’un média organisé et à un ensemble de droits et devoirs. Olivier Basile estime qu’il est temps d’octroyer à certains acteurs de l’information (comme des blogueurs) les mêmes droits et les mêmes moyens (en termes d’accès aux sources d’information) que ceux dont bénéficient les journalistes professionnels. Étienne Montero constate, pour sa part, qu’une affiliation à une organisation professionnelle ne peut être une condition au droit d’exercer une activité journalistique mais constitue plutôt un label à destination du public. Pour François Jongen, le titre de journaliste professionnel ne crée pas de grande différence de statut, de véritable protection en dehors de la carte de presse et de quelques avantages qui en découlent. Jean-François Quentin Van Enis signale pourtant que, confrontée récemment au cas d’une personne nonjournaliste qui revendiquait une forme de protection sur l’origine des informations qu’elle détenait, la CEDH a passé sous silence la question du champ d’application de la protection des sources journalistiques. Déjà en 1972, la Cour Suprême des USA avait refusé à un journaliste le droit de taire ses sources en raison de la difficulté qui allait surgir de devoir définir qui serait le bénéficiaire de cette garantie. 174 228 Chapitre 3 Dumont nuance ce constat, en faisant remarquer que la carte de presse donne quand même des avantages à son détenteur, notamment du point de vue de la protection vis-à-vis de la Sûreté de l’État et du point de vue du droit social (pension pour les salariés, gratuité des chemins de fer, convention sectorielle)175. Comme Étienne Montero, Jean-François Dumont considère que la carte donne des garanties au public, en termes de respect de la déontologie par le professionnel, de sa méthodologie et de son encadrement par une hiérarchie. Pour Marc Chamut (CDJ), il serait d’ailleurs pertinent que l’acquisition du titre de journaliste professionnel requière une adhésion aux principes de déontologie, comme l’AJP l’exige de la part de ses nouveaux membres. André Linard (CDJ) estime, par contre, qu’il est délicat d’établir un lien entre le respect de la déontologie et l’agréation comme journaliste professionnel, puisqu’un journaliste ne peut pas être tenu responsable des conséquences de conditions de travail qui lui sont imposées. Face à la multiplication des contributeurs au débat public, Martine Simonis et Pierre-François Docquir soulignent finalement l’impérieuse nécessité d’une éducation aux médias, aux règles de déontologie, aux limites de la liberté d’expression et ce, à destination du plus grand nombre. RECOMMANDATIONS – Questions 1 et 2 réunies 1° Principes Les mêmes règles juridiques doivent s’appliquer quel que soit le média utilisé et quelle que soit la qualité de celui qui contribue à l’information, c’est-à-dire à « toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du public ». Cette uniformisation doit se faire par une application à l’ensemble des médias d’information des règles de procédure et de fond protectrices de la liberté de la presse. Quentin Van Enis rappelle qu’en 1963 le Conseil d’État avait préconisé de n’octroyer ni avantages, ni privilèges aux journalistes affiliés à une association professionnelle. 175 Atelier 3 : « liberté d’expression » 229 2° En ce qui concerne l’interdiction de toute mesure préventive de restriction à la liberté d’expression L’article 25 de la Constitution, qui n’est que le corollaire de l’article 19, doit s’appliquer quel que soit le média concerné. La restriction du champ d’application de cette disposition constitutionnelle, telle qu’elle résulte de l’interprétation donnée par la Cour de cassation, « aux seuls modes d’expression par des écrits imprimés », devrait être définitivement abandonnée. En revanche, les arrêts du 6 mars 2012 de la Cour de cassation qui considèrent que l’écrit diffusé par Internet entre dans la définition du délit de presse, vont dans le bon sens. Cette évolution doit être encouragée et tendre à élargir le champ d’application de l’article 25 de la Constitution à tous les médias et à l’ensemble des supports de communication. Il ne s’impose toutefois pas de modifier la Constitution qui ne contient pas cette restriction, ni de légiférer, dès lors qu’en toute hypothèse, à la suite de l’arrêt de la CEDH du 29 mars 2011, il n’est plus discutable qu’en l’état actuel du droit belge, il n’existe pas de loi, au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, autorisant le juge ou toute autre autorité, à prendre une mesure préventive de restriction à la liberté d’expression, quel que soit le média concerné. En choisissant de ne pas intervenir à la suite de cet arrêt, le législateur et le constituant montrent que l’état actuel du droit, fondé sur le principe des sanctions a posteriori des éventuels abus de la presse, est satisfaisant pour garantir un juste équilibre entre les droits concurrents outre qu’il est en parfaite adéquation avec l’article 19 de la Constitution. 3° En ce qui concerne la responsabilité en cascade Les opinions divergentes sont plus marquées sur l’option contradictoire de la suppression de la responsabilité en cascade dans la presse écrite ou, au contraire, de son extension à d’autres médias. Pour la presse écrite, seul média où ce système est actuellement d’application, le maintien du système de la responsabilité en cascade ne fait pas l’unanimité. Son application doit cependant être sensiblement relativisée en raison du développement d’une jurisprudence qui admet 230 Chapitre 3 la faute distincte de l’éditeur lorsque celui-ci a contribué, par son fait personnel, au dommage. L’extension de la règle de la « cascade » aux autres médias d’information devrait, en principe, être recommandée afin d’éviter tout traitement discriminatoire entre journalistes, selon le média où ils s’expriment. Toutefois, la définition même de la « cascade », c’est-à-dire de la chaîne des responsabilités ne peut pas être transposée purement et simplement de la presse écrite aux autres médias (radio, télévision et Internet). De nombreux intervenants ont en effet souligné non seulement la réelle difficulté d’établir cette « chaîne des responsabilités » pour chacun des autres médias mais aussi l’inutilité. Aucune solution homogène n’est envisageable. Enfin, nombreux sont par ailleurs ceux qui ont souligné qu’au-delà du débat théorique, il fallait constater qu’en pratique, la question ne semble pas poser de réels problèmes. Les éditeurs de services audiovisuels se satisfont de la situation actuelle (absence de « cascade ») dès lors qu’en toute hypothèse ils prennent systématiquement fait et cause pour leurs journalistes lorsque seuls ceux-ci sont mis en cause dans une procédure judiciaire. Cette solidarité de fait semble également une pratique courante dans la presse écrite. Dans ces conditions, vu les difficultés théoriques que pose cette question et l’absence de problèmes pratiques criants, il est recommandé de ne rien modifier à la situation actuelle. En revanche, il serait certainement utile de généraliser – et éventuellement d’imposer ou en tous cas de favoriser – le recours à l’assurance responsabilité professionnelle et défense en justice pour l’ensemble des personnes contribuant à l’information du public (par exemple, par une mutualisation du risque) afin d’éviter que les procès ne soient une arme économique en vue de faire pression sur ces personnes, quelles que soient les chances de succès des procédures introduites. Atelier 3 : « liberté d’expression » 231 4° Distinction entre les intervenants dans le processus d’information (presse « classique » versus « néo-journalisme ») Il y a unanimité sur ce point. Le droit à la liberté de la presse n’étant qu’une application du droit à la liberté d’expression, il ne s’adresse pas aux seuls journalistes professionnels mais à toute personne qui contribue à la diffusion de l’information à destination du public. C’est l’information qui est protégée. Il n’y a dès lors pas lieu de distinguer, dans le traitement juridique de l’information, selon la qualité de celui qui diffuse celle-ci. Une distinction objective peut toutefois être faite entre le journaliste professionnel et le journaliste citoyen sur le plan de la déontologie qui pourrait éventuellement justifier des traitements distincts. La « labellisation » des médias d’information soumis à la déontologie journalistique ne s’impose pas comme une solution opportune ni efficace. Il est au contraire recommandé de mettre en œuvre une politique incitant au respect d’une déontologie de l’information qui s’appliquerait également au journaliste citoyen. Les compétences et les moyens d’action du Conseil de déontologie journalistique pourraient utilement être revus pour répondre à ce besoin. 2.3. De la sanction des « devoirs et responsabilités » de celui qui s’exprime Questions Il convient de s’interroger sur la façon dont les « devoirs et responsabilités » que comporte l’exercice de la liberté d’expression doivent être sanctionnés. 2.3.1 Faut-il correctionnaliser la matière du délit de presse ? Ou conserver le régime spécial de la cour d’assises, et le cas échéant réactiver cette procédure ? 232 Chapitre 3 2.3.2 Faut-il, en ce qui concerne la compétence ratione materiae des cours et tribunaux, maintenir la distinction entre le délit de presse de droit commun et le délit de presse « à caractère raciste » ? 2.3.3 Ne faut-il pas, plutôt, dépénaliser l’exercice de la liberté d’expression ? Le cas échéant en prévoyant d’autres procédures civiles (par ex. : un quasi-référé de presse) ? Conformément à l’article 150 de la Constitution, le délit de presse relève de la compétence de la cour d’assises, excepté le délit de presse à caractère raciste qui a été correctionnalisé en 1999 (dans le but de garantir les poursuites des expressions racistes). Aux yeux du Constituant, le jury de la cour d’assises apparaissait comme le représentant légitime de l’opinion publique et permettait donc de soustraire le traitement des délits de presse à des juges professionnels dont l’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, avant 1831, n’était pas acquise. Selon la jurisprudence, le délit de presse désigne l’expression délictueuse par la voie de presse (écrite)176 d’une pensée, d’une opinion ou d’une information. Dans la pratique, l’appareil judiciaire n’organise plus des procès en cour d’assises en cette matière177, ce qui mène à une impunité pénale de fait de la plupart des délits de presse178 . L’impunité n’est pas totale, puisque la presse peut toujours faire l’objet de procédures civiles qui sont plus exigeantes et plus coûteuses pour le plaignant que les procédures pénales, puisqu’il ne suffit pas de déposer plainte mais qu’il revient au demandeur d’assumer l’instruction du dossier179. Ce qui implique la condition de « publicité » de l’expression. Pour des raisons de moyens, de lourdeur de la procédure mais également de politique criminelle. Il n’est en effet pas certain que ce soit juste une question de « moyens ». Au dix-neuvième siècle, les procès de presse aux assises étaient aussi lourds à organiser qu’actuellement, or il y en avait. L’absence de procès résulte d’une volonté du parquet qui effectivement estime que c’est une procédure trop lourde pour des délits qui ne méritent plus d’être poursuivis parce que leur répression ne répond plus à un besoin social réel. 178 On notera toutefois qu’un procès d’assises en matière de délit de presse s’est tenu devant la cour d’assises de Mons en 1994 et qu’une session d’assises, également pour délit de presse, est fixée devant la cour d’assises de Bruxelles en mai 2013. 179 Franklin Kuty (ULB) fait remarquer que la lourdeur des actions civiles en responsabilité pourrait décourager de simples citoyens à mener une affaire en justice. « Réflexions sur la correctionnalisation / la dépénalisation du délit de presse », contribution de F. Kuty, sur le site http:// egmedia.pcf.be/ (consulté le 7 mars 2013), p. 4. 176 177 Atelier 3 : « liberté d’expression » 233 2.3.1. La correctionnalisation plutôt que l’impunité… François Tulkens, François Jongen et Franklin Kuty180 estiment que le système actuel offre une protection excessive à la presse (qui n’est presque jamais poursuivie au pénal) et préconisent, dans ce sens, une correctionnalisation de l’ensemble des délits de presse, afin que ceux-ci soient effectivement jugés. Cette mesure s’avère, selon ces intervenants, d’autant plus impérieuse qu’en vertu des arrêts de la Cour de cassation du 6 mars 2012, les contenus numériques sont désormais passibles du délit de presse et profitent donc de la même impunité pénale de fait. - - - François Tulkens estime que la presse, de mieux en mieux protégée, n’en apparaît pas pour autant plus responsable de ses actes. Dans ce contexte, il faut définir et renforcer le rôle des juges belges qui, en matière de délits de presse, ont assumé le travail avec des outils peu adaptés avant d’être désavoués par la CEDH. Les magistrats ne peuvent même plus intervenir préventivement, ni réprimer les délits de presse puisque le jury d’assises ne peut plus en être saisi. François Jongen affirme que maintenant que la justice est pleinement indépendante, l’exception de juridiction accordée à la presse a perdu tout son sens, d’autant qu’on ne renvoie plus aucun délit de presse devant la cour d’assises. Jean-Marc Meilleur (substitut du procureur du Roi de Bruxelles – magistrat de presse) signale, d’ailleurs, qu’un des motifs qui a amené, en 1999, le Constituant à ne pas correctionnaliser tous les délits de la presse réside encore et toujours dans la crainte de pressions qui seraient exercées sur les journalistes et est donc révélateur d’une certaine défiance persistante vis-à-vis de la magistrature. François Jongen ajoute que les atteintes à la liberté de la presse touchent à l’ordre public et doivent donc être assorties d’une responsabilité pénale. Dans sa contribution écrite, Franklin Kuty propose lui aussi, de correctionnaliser les délits de presse qui seraient dès lors étendus « à toutes les formes de flux des opinions et des informations, telles le recours à la radiodiffusion, à la télévision et à l’Internet ainsi qu’à la presse d’information et non, comme c’est le cas actuellement, à la seule presse d’opinion »181. 180 Franklin Kuty, n’ayant pas pu être auditionné, a adressé une note écrite à l’atelier, disponible sur le site des EGMI. 181 Ibidem, p. 3. 234 Chapitre 3 Le magistrat de presse, Jean-Marc Meilleur, considère qu’il faut retirer à la cour d’assises la compétence sur les délits de la presse, non pas par principe mais par pragmatisme : le manque de moyens et la surcharge de son programme ne permettent pas à cette instance de traiter de telles affaires182. Édouard Delruelle considère que la correctionnalisation des délits de presse à caractère raciste s’est avérée bénéfique et que les discours de haine exigent une réponse pénale puisqu’ils touchent à l’ordre public et à la paix sociale. Il se dit donc favorable à la correctionnalisation d’autres motifs, comme les propos d’incitation à la haine homophobe, religieuse ou de genre (en en excluant la notion de blasphème qui n’a pas de sens en dehors de la religion concernée). S’il s’oppose à l’interdiction des associations de fait (qui s’apparenterait à une censure), Édouard Delruelle propose qu’en cas de condamnation pour incitation à la haine, le juge puisse imposer des mesures d’astreinte (comme l’interdiction d’utiliser une appellation ou de communiquer via les réseaux sociaux). Martine Simonis, Benoît Frydman et Simon-Pierre De Coster expriment leur opposition à une éventuelle correctionnalisation des délits de presse. L’AJP craint que, le cas échéant, les poursuites pénales devant les juridictions ordinaires ne se multiplient et que l’on n’aboutisse à un régime beaucoup plus répressif qu’aujourd’hui. Martine Simonis rappelle que l’AJP était initialement réticente à la correctionnalisation des délits de presse à caractère raciste à cause du manque de cohérence d’un tel système mais s’est ensuite ralliée à l’argument de faire de cette mesure un outil de lutte contre le racisme, dont on peut aujourd’hui douter de l’efficacité183. Benoît Frydman prédit, pour sa part, un risque d’inflation de procédures vis-à-vis de la presse, notamment via la citation directe devant le juge pénal, ce qui donnerait inévitablement lieu à une explosion des condamnations de la Belgique par la CEDH. SimonPierre De Coster ajoute que, si elle devait se concrétiser, l’éventualité d’une correctionnalisation des délits de presse serait conditionnée à une série de garanties : ces faits ne pourraient être jugés que par des chambres à trois juges au minimum avec une possibilité d’appel et les garanties constitutionnelles concernant la publicité des débats et des décisions. Le nombre de dossiers ouverts au parquet de Bruxelles qui concernent purement un délit de presse était de 2 en 2010, 1 en 2011 et il n’y en avait aucun en 2012. 183 Denis Robert doute également de la nécessité de distinguer les délits à caractère raciste puisqu’ils peuvent être assimilés à des injures ou des diffamations. Denis Robert n’ayant pas pu être auditionné par l’atelier a communiqué une notre écrite, disponible sur le site des EGMI. 182 Atelier 3 : « liberté d’expression » 235 2.3.2. Les avantages du système actuel Plusieurs intervenants se disent partisans du maintien de la situation actuelle, dans la mesure où le principe de pénalisation des délits de presse implique un lien fondamental entre les médias et la société (représentée par le jury de la cour d’assises) et où l’exception de juridiction pour la plupart des délits de presse induit à la fois une impunité pénale sur le plan pratique. - - - - Ainsi, pour Benoît Frydman, il est sain et efficace que la presse soit placée sous la protection directe du public et donc du jury. Par ailleurs, il pourrait s’avérer nécessaire de poursuivre pénalement. Il est essentiel de rappeler que la liberté de presse ne confère aucune forme d’immunité ou de privilège. La personne qui se comporte de manière illicite par voie de média doit en répondre devant la justice. Alain Strowel est partisan du maintien de la situation actuelle, ou même de la dépénalisation de la question, à l’exception des délits à caractère raciste. Selon lui, le droit devrait n’intervenir qu’en dernière instance en matière de presse. La solution idéale résiderait dans une régulation des médias qui serait légère et graduelle et qui favoriserait les modes non judiciaires comme le droit de réponse et de rectification et l’autorégulation. Plusieurs intervenants mentionnent d’ailleurs la déontologie et l’autorégulation comme une alternative intéressante aux procédures judiciaires (voir le point 8). Pour Pierre-Arnaud Perrouty, le recours à la cour d’assises est une procédure qui est certes lourde mais qui a l’avantage de représenter une force symbolique et d’offrir les garanties d’un procès pénal (notamment au niveau du « tarif » prédéterminé des amendes). Philippe Nothomb préfère, lui aussi, à la correctionnalisation les procédures civiles qui tendent à réparer les dommages et le droit de rectification qui permet un dialogue entre la rédaction, le journaliste ou l’éditeur responsable et le public. 2.3.3. La dépénalisation de l’exercice de la liberté d’expression Simon-Pierre De Coster et Olivier Basile sont, de leur côté, favorables à une dépénalisation la plus large possible du délit de presse, conformément à de récentes recommandations du Conseil de l’Europe184 . Olivier Basile souligne L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe préconise une dépénalisation, au moins partielle, du délit de presse et propose des mesures civiles qui permettraient de réparer les dommages causés par la presse. Dans une résolution de 2007, le Conseil de l’Europe prend position 184 236 Chapitre 3 d’ailleurs la nécessité que soit adoptée une position commune à l’échelle de l’UE dans le domaine de la dépénalisation des délits de presse (ainsi que du secret des sources et du droit de réponse). Martine Simonis précise que l’AJP ne s’oppose pas au maintien de la compétence de la cour d’assises mais reconnaît que la dépénalisation des délits de presse aurait le mérite d’officialiser une impunité pénale de fait. Qu’ils soient favorables ou non à la dépénalisation du délit de presse, nombre d’observateurs (comme Franklin Kuty, Jean-Marc Meilleur, Martine Simonis, Simon-Pierre De Coster et Jacques Englebert font remarquer qu’il serait illogique de faire sortir du champ pénal des infractions et délits sous le seul motif qu’ils ont été commis par voie de presse. La dépénalisation des délits de presse implique donc la dépénalisation des délits d’expression, comme la calomnie, la diffamation, l’injure, l’outrage… Pour Simon-Pierre De Coster, les dispositions législatives en ces matières datent du dix-neuvième siècle et sont en décalage par rapport à l’objectif légitime de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Jean-Marc Meilleur admet que, sur le terrain, le traitement judiciaire des délits d’expression pose question en termes d’efficacité, voire d’équité : les procès relatifs à des faits de calomnie ou de diffamation sont complexes et difficiles à mener à leur terme tandis que, dans le cas de Bruxelles, le traitement des faits d’injure a été externalisé, par souci d’efficacité, et fait aujourd’hui l’objet de sanctions administratives communales185. Plus fondamentalement, Jacques Englebert estime que l’absence de poursuite pénale en cette matière, depuis des décennies, n’a suscité aucune réaction dans la population de sorte qu’il apparaît que de telles poursuites ne répondent plus à un besoin social (il constate d’ailleurs qu’aucune poursuite n’est engagée contre les journalistes de l’audiovisuel alors que ceux-ci ne bénéficient pas d’un quelconque privilège de juridiction). Il estime que cette réalité doit conduire à s’engager dans un mouvement général de dépénalisation de l’expression. Françoise Tulkens ajoute que la dépénalisation n’équivaut pas à une absence de réponse ou de répression. Nombre de partisans de la dépénalisation du délit de presse n’en reconnaissent pas moins qu’il serait délicat de dépénaliser les délits de presse à caractère raciste ou négationniste : d’une part, la Belgique est soumise à des textes internationaux qui imposent la pénalisation de tels pour une dépénalisation de la diffamation (à l’exception des discours haineux, liberticides, négationnistes, …). 185 En cette matière, les autorités communales sont à la fois juge et partie puisqu’elles édictent les règles, sanctionnent les contrevenants et perçoivent les amendes. Atelier 3 : « liberté d’expression » 237 propos ; d’autre part, la dépénalisation des discours de haine constituerait un signal étrange du monde politique à l’attention du public. Jacques Englebert conclut qu’il s’agirait de dépénaliser l’expression à l’exception de ce qui pose problème dans la société actuelle, en l’occurrence, le racisme et le négationnisme. Selon Simon-Pierre De Coster, cela impliquerait au moins le maintien de la loi relative au racisme et à la xénophobie (loi Moureaux du 30 juillet 1981), de la loi relative au négationnisme de 1995 et de l’ensemble des dispositions du Code pénal concernant la pédopornographie. Le manquement à ces lois devrait continuer à être sanctionné pénalement. 2.3.4. La presse aux prises avec la procédure civile Olivier Basile exprime la crainte que la dépénalisation des délits de presse n’ait comme corollaire une recrudescence des litiges sur le plan civil et une augmentation des dommages et intérêts. Martine Simonis pointe, pour sa part, le danger que constitue le manque de cohérence des réparations civiles. Contrairement au régime pénal dont on connaît précisément le « tarif », la responsabilité civile laisse le champ libre à de nombreuses éventualités (de l’euro symbolique à des sommes astronomiques). Franklin Kuty, Simon-Pierre De Coster et Benoît Frydman constatent déjà que certaines condamnations visent, non pas à réparer un préjudice mais à réduire au silence ou intimider des organes de presse et les participants au débat public (via des dommages et intérêts colossaux)186 . Dans ce contexte, les dommages-intérêts ont tendance à perdre leur fonction indemnitaire et à revêtir selon les termes de SimonPierre De Coster, un « caractère punitif déguisé ». Sans remettre en cause la pression que peuvent induire certaines sanctions civiles, Jacques Englebert réfute le rapport, souvent établi par les partisans de la correctionnalisation des délits de presse, entre la dépénalisation et une éventuelle augmentation des dommages et intérêts au civil. En effet, après avoir prononcé l’amende, le juge pénal doit également trancher les demandes civiles qui seront, de toute façon, examinées. Pour la juge Sophie Annaert, une dépénalisation n’entraînera pas une inflation de décisions au civil car les journalistes ne sont plus jamais poursuivis au pénal et les personnes qui veulent obtenir réparation vont déjà au civil. Selon Sophie Annaert et Luc Hennart (TPI Bruxelles)187, les recours en dommages et intérêts à l’encontre 186 Simon-Pierre De Coster signale, à ce propos, que des condamnations à des dommages et intérêts élevés ont déjà été sanctionnées par la CEDH comme étant non proportionnées par rapport à l’objectif légitime à protéger dans une société démocratique. 187 Luc Hennart est le président du TPI de Bruxelles. 238 Chapitre 3 de la presse ont certes augmenté depuis l’affaire Dutroux mais se sont depuis lors stabilisés. Cette évolution est imputable à la croissance du montant des indemnisations qui, jadis symboliques, varient aujourd’hui, à Bruxelles, entre 5.000 et 15.000 euros188 . Aux yeux des deux magistrats, ces montants ne semblent pas exorbitants et s’avèrent de plus rigoureusement justifiés par les plaignants et leurs avocats. En ce qui concerne, cette fois, la responsabilité civile des personnes jugées pour des faits d’opinion, Benoît Frydman estime que les critères devraient varier en fonction du statut professionnel de la personne : une personne qui travaille en tant que journaliste doit logiquement être jugée en référence à la déontologie de sa profession. La déontologie n’implique pas plus ou moins de sévérité mais constitue le cadre de référence qui permet de décider si le journaliste a fauté dans sa production ou non. Les non-journalistes seront jugés en fonction des règles de droit commun. André Linard fait remarquer que la déontologie n’applique pas cette distinction puisqu’elle vise à protéger le public et son droit à recevoir une information de qualité, quelle que soit sa provenance. En d’autres termes, le CDJ estime que lorsqu’une personne revendique un travail journalistique, elle doit respecter les règles déontologiques de l’activité journalistique. Jacques Englebert constate que la jurisprudence en la matière (qui s’est développée surtout en France et au niveau de la CEDH) connaît les deux tendances : selon les cas, des nonjournalistes qui, en tant que spécialistes ou citoyens vigilants, ont diffusé une information ont soit bénéficié d’une plus grande clémence ou, au contraire, subi une plus grande sévérité que s’ils avaient été journalistes. RECOMMANDATIONS Il est généralement admis par tous les intervenants que la situation actuelle concernant les sanctions des devoirs et responsabilités de celui qui s’exprime est confuse, sinon chaotique. Certes, le jury renforce symboliquement le contrôle de la société sur les délits de presse mais des procès en cour d’assises ne sont plus organisés. Si certains préconisent la correctionnalisation de l’ensemble des délits de presse Ces indemnisations s’ajoutent à la demande quasi systématique de la publication du jugement par le média concerné. 188 Atelier 3 : « liberté d’expression » 239 pour éviter l’impunité, d’autres redoutent l’inflation de procédures contre la presse, par la voie notamment de la citation directe, et ils soulèvent aussi la question des garanties. Après avoir examiné en profondeur les différents aspects de la question et plus particulièrement les avantages et les inconvénients des différents régimes envisagés, il est recommandé de s’engager dans la voie de la dépénalisation de l’exercice de la liberté d’expression dont on constate, notamment en raison de l’absence de poursuite pénale, que la répression ne répond plus à un besoin social réel et impérieux. Cette recommandation s’inscrit dans la ligne des travaux récents de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et, notamment, la Résolution 1577(2007) du 4 octobre 2007 intitulée « Vers une dépénalisation de la diffamation » qui exprime, sur ce point, le consensus des 47 Etats membres. En revanche, s’il faut, dans certains cas, une réponse par la voie judiciaire, il convient d’utiliser la voie civile et de recourir au droit commun de la responsabilité. Une jurisprudence cohérente et prévisible doit se construire et les dommages-intérêts doivent répondre à l’exigence de proportionnalité. Enfin, une exception à la dépénalisation doit être envisagée en ce qui concerne les délits de caractère raciste ou négationniste qui sont prévus dans la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie et dans celle du 23 mars 1995 tendant à réprimer le négationnisme, dans la mesure où la Belgique est tenue à des obligations internationales en ces matières. 2.4. Des limites de la liberté d’expression Questions 2.4.1 Comment lutter contre les « discours de haine » / le négationnisme de manière efficace sans remettre en cause le principe de la liberté d’expression ? 240 Chapitre 3 2.4.2 Comment lutter contre les discours « d’incitation à la violence » envers les tiers (« hate speech ») ? Comment déterminer la notion d’« incitation à la violence » ? 2.4.3 Faut-il une réglementation particulière à ces matières ? Fautil retrancher certains domaines du principe de la liberté d’expression ? Comment peut-on fixer les limites des propos et idées qui seraient (ou non) acceptables ? 2.4.4 Comment peut-on combiner les principes de la liberté d’expression et de la libre critique historique avec les lois mémorielles qui édictent une « histoire officielle » ? François Jongen, Benoît Frydman, Olivier Basile, Édouard Delruelle et Pierre-Arnaud Perrouty affirment que la règle générale doit être le respect de la liberté d’expression et préconisent, en ce sens, la plus grande prudence dans le domaine de l’encadrement légal de cette liberté fondamentale. La loi contre le racisme de 1981 et les lois anti-discrimination de 2007189 constituent un cadre suffisant et conforme à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à la liberté d’expression. En outre, la jurisprudence de la CEDH consacre le droit aux idées « qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou autrui » et interdit les discours qui sont une incitation directe à la haine, à la violence et à la discrimination. Aux yeux de ces différents intervenants, il s’avère préférable de lutter contre les « discours de haine » et le négationnisme par le débat politique et l’éducation plutôt que par des sanctions pénales. Selon les termes de François Jongen, il vaut mieux contredire qu’interdire, argumenter plutôt que sévir. - Premièrement, les lois qui sanctionnent certains types de discours sont susceptibles de restreindre la liberté d’expression, puisque la notion d’« incitation à la violence » laisse une large place à Édouard Delruelle rappelle que les lois anti-discrimination proscrivent trois comportements : la discrimination (comme le refus d’un emploi, d’un logement à quelqu’un pour un motif proscrit par les lois) ; les discours de haine (les incitations à la haine, à la violence, à la discrimination et la négation des crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale) et les délits de haine (les crimes et les harcèlements commis pour un motif discriminatoire). Le travail sur les discriminations et les discours de haine diffère d’un point de vue juridique : pour les discriminations, la règle générale est l’égalité de traitement tandis que pour les discours de haine, la liberté d’expression est la règle générale. 189 Atelier 3 : « liberté d’expression » - 241 l’interprétation des juges. En effet, la différence est ténue entre discours haineux et incitation à la haine, entre propos choquants et exhortation à la violence. Pour Olivier Basile, l’encadrement législatif de la liberté de la presse et de la liberté d’expression représente une grave menace, au vu, surtout, du retentissement international de textes restrictifs adoptés par le siège de la capitale européenne. C’est dans les excès de la liberté de la presse qu’il faut se montrer le plus permissif possible afin de défendre cette même liberté. Deuxièmement, Benoît Frydman fait remarquer qu’installer l’idée d’une vérité officielle produit des effets contre-productifs, comme la promotion des idées que ces lois entendent combattre et l’envoi d’un message contradictoire sur la valeur du libre débat en démocratie. 2.4.1. La notion centrale d’« incitation directe » François Jongen, Alain Strowel, Stéphane Hoebeke et Édouard Delruelle estiment qu’il convient de distinguer strictement délits d’acte et délits de parole : les écarts de langage ne peuvent être incriminés dans une démocratie (selon Édouard Delruelle) ou peuvent éventuellement donner lieu à des sanctions symboliques (pour Alain Strowel). Par contre, les personnes auditionnées s’accordent pour affirmer que les comportements répréhensibles doivent faire l’objet de poursuites judiciaires. Dans la mesure où il s’agit d’incriminer des actes et non des paroles, Stéphane Hoebeke et Édouard Delruelle soulignent le caractère déterminant de la notion d’« incitation ». Celle-ci implique qu’il y ait une véritable intention de traiter la personne défavorablement (sur la base d’un des critères protégés par la loi, comme le sexe, la nationalité, la religion ou le handicap) et qu’il y ait dans le message une exhortation, un encouragement à traiter cette personne ou ce groupe de personnes de manière discriminatoire. Alain Strowel cite, à ce propos, l’exemple des communautés numériques qui prônent l’intolérance et qui mènent au confinement d’individus dans ces communautés : ces discours qui encouragent le passage à l’acte doivent être poursuivis, même si cela pose des problèmes en termes de faisabilité puisque cela suppose d’agir à un niveau supranational et de se confronter dès lors à des définitions divergentes de la liberté d’expression. Dans cette perspective, Édouard Delruelle suggère de déplacer la question du contenu au caractère performatif de certains actes de langage. Est performatif un énoncé qui, au-delà d’une simple représentation ou interprétation d’un état de fait, possède la force d’un acte susceptible de modifier la réalité. Pour 242 Chapitre 3 les linguistes, le caractère performatif d’un énoncé dépend de l’intention du locuteur et du contexte de production de l’énoncé. Les discours d’incitation à la haine sont des actes de langage performatifs perlocutoires dans la mesure où ils ont un effet sur le ressenti de leurs destinataires. Les tribunaux jugent non seulement le contenu des propos mais également l’intention des auteurs et le contexte dans lequel les discours ont été propagés et où l’on visait l’efficacité. L’analyse pragmatique (et non sémantique) des discours permet d’ailleurs d’évacuer la question non-pertinente du caractère condamnable de l’Ancien Testament, de « Tintin au Congo » ou de « Mein Kampf ». Ce n’est pas le contenu de ces textes qui est répréhensible, mais l’usage que l’on en fait a posteriori. Sur le terrain, c’est sur la base de ce critère de force performative que le Centre pour l’égalité des chances décide d’ailleurs d’entamer ou non des actions judiciaires. Il est à noter que la loi antiterroriste adoptée par la Chambre en décembre 2012 et par le Sénat en février 2013 rend la notion d’« incitation » encore plus délicate, puisqu’elle criminalise « l’incitation indirecte à la violence »190. Conformément à des décisions-cadres européennes de 2002 et de 2008, la Belgique poursuit désormais la « provocation publique à commettre une infraction terroriste », c’est-à-dire les discours qui créeraient le risque que d’autres personnes commettent une infraction. Certes, l’article 141ter indique qu’en aucun cas, ces nouvelles dispositions ne peuvent être interprétées comme visant à réduire ou à entraver « sans justification » des droits fondamentaux comme la liberté d’expression et la liberté de la presse. Pourtant, Jacques Englebert et Pierre-Arnaud Perrouty soulignent le caractère délicat et potentiellement liberticide de cette disposition antiterroriste : celle-ci donnera au parquet fédéral la possibilité de poursuivre des individus non pour des actes, mais seulement pour des déclarations. 2.4.2. De la légitimité des lois mémorielles et du cordon sanitaire médiatique Alors que Stéphane Hoebeke souligne combien il est délicat de figer l’histoire autour de quelques événements précis, Pierre-Arnaud Perrouty estime que la loi du 23 mars 1995 n’est pas tenable, puisqu’elle ne vise que le génocide juif et qu’idéalement, il conviendrait d’abroger cette loi qui entre de toute façon sous le coup de la loi sur l’incitation à la haine. Le secrétaire général de 190 Voir à ce sujet un communiqué de la Ligue des droits de l’homme : http://www.liguedh.be/ espace-presse/123-communiques-de-presse-2012/1646-lincitation-l-indirecte-r-au-terrorismesera-punie (consulté le 15 mars 2013). Atelier 3 : « liberté d’expression » 243 la Ligue des droits de l’homme admet toutefois que cette solution n’est pas véritablement envisageable et ce, pour deux raisons : d’une part, des décisionscadres européennes imposent à la Belgique de combattre l’apologie ou la négation du génocide juif et d’autres génocides ; d’autre part, il existe, dans ce domaine, une barrière symbolique qui semble aujourd’hui infranchissable. Édouard Delruelle estime, pour sa part, qu’il faut considérer la loi de 1995 non comme une loi de sacralisation de la mémoire de la Shoah mais comme une loi antiraciste qui vise à s’attaquer à des personnes qui troublent l’ordre public et la paix sociale. Dans cette perspective pragmatique, le directeuradjoint du Centre pour l’égalité des chances se dit favorable à une extension de la loi à la négation ou à la minimisation des génocides arménien et rwandais, dans la mesure où ces deux crimes ont la particularité de poser des problèmes de paix sociale. Tel qu’il est appliqué à l’heure actuelle en FWB, le cordon sanitaire médiatique résulte d’un accord explicite entre la RTBF, RTL et les télévisions locales et prévoit de ne pas inviter en direct des personnes qui expriment un discours manifestement extrémiste191. Pour Marc de Haan, cette mesure est cruciale dans la mesure où elle vise à ce que les médias télévisuels ne favorisent d’aucune façon les discours susceptibles de violer les lois contre le racisme, le négationnisme et dans la mesure où elle contribue sans doute au faible succès de l’extrême droite en FWB. Aux yeux du directeur de Télé Bruxelles, il conviendrait de faire de ce cordon sanitaire non plus un devoir, mais un droit qui permettrait aux rédactions de ne pas devoir inviter tout le monde et de lutter contre des populismes et des extrémismes de plus en plus subtils et pernicieux. Édouard Delruelle estime, pour sa part, que le cordon sanitaire médiatique est satisfaisant, même s’il apparaît d’autant plus ferme que l’extrême droite est inexistante en FWB. Il réaffirme que la lutte contre l’extrême droite doit se jouer dans l’arène politique. En ce qui concerne l’interdiction de discours haineux, Pierre-François Docquir signale que le Collège d’autorisation et de contrôle (CAC) du CSA prône, pour sa part, la plus grande prudence et opte pour une interprétation stricte de la limitation de la liberté d’expression. Dans un courrier adressé à un plaignant, le CSA s’exprimait en ces termes : « L’interdiction d’éditer des programmes contenant des incitations à la discrimination ou à la haine doit s’interpréter strictement. Dès lors que le principe de base reste la liberté d’expression, il faudrait que le programme en cause, dans son ensemble, propage des idées discriminatoires ou haineuses, c’est-à-dire qu’il pousse les auditeurs ou les téléspectateurs à adopter eux-mêmes des attitudes discriminatoires ou haineuses. Formuler une injure ou une critique ne suffit pas. ». Par ailleurs, dans une logique de sensibilisation et d’accompagnement du secteur, le CSA a adopté, en mars 2005, une recommandation relative au traitement des manifestations d’expression de discrimination et de haine. Voir http:// rapport2009.csa.be/documents/442, consulté le 15 mars 2013. 191 244 Chapitre 3 2.4.3. De la modération des forums en ligne Selon Martine Simonis, la lutte contre le racisme, le négationnisme et l’incitation à la haine doit passer par une responsabilisation des internautes et par une autorégulation des journalistes qui gèrent les forums en ligne, puisque ces plates-formes sont susceptibles de donner une visibilité considérable à des propos répréhensibles et choquants. Vu l’importance de cet enjeu, le Centre pour l’égalité des chances organise des journées de réflexion à ce sujet. En novembre 2011, le CDJ a publié une recommandation relative à la modération des forums en ligne192 . Édouard Delruelle ajoute qu’une lutte contre de tels propos doit également se faire via une mise sous pression des opérateurs étrangers comme Youtube et Facebook vis-à-vis desquels il s’agit de faire valoir le respect de divers cadres législatifs. Olivier Bogaert (FCCU) ajoute que la jurisprudence évolue dans ce sens : le 24 janvier 2013, le tribunal de grande instance de Paris a exigé que Twitter retire des propos antisémites et a estimé que ce service, qui était offert sur le territoire français, devait respecter la législation française. Dans un autre contexte, l’arrêt rendu par la Cour de cassation belge le 4 septembre 2012 a également exprimé le fait que l’opérateur américain qui offre un service en Belgique doit se conformer à la législation de ce pays. Édouard Delruelle estime que les modérateurs de forums sont de plus en plus professionnels, ont développé un savoir et des techniques qui ont contribué à l’amélioration de la qualité des forums. Olivier Basile et Édouard Delruelle estiment que l’anonymat déresponsabilise les internautes et nuit donc gravement à la qualité des commentaires. Stéphane Rosenblatt et Vincent Genot (le Vif) vont dans le même sens et constatent qu’une modération plus stricte des forums et une abrogation de l’anonymat ont donné lieu à une appréciable amélioration de la qualité des forums et à la quasi-disparition de propos injurieux, racistes ou homophobes193. RTL a renoncé au libre accès généralisé et a imposé à ses intervenants de s’identifier soit par le système SSO (Single Sign-on), soit via ses pages Facebook ou Twitter194 . C’est en septembre 2012 que le groupe Roularta a interdit toute réaction anonyme sur ses sites. Ce changement a certes entraîné une forte chute du nombre Voir http://www.deontologiejournalistique.be/telechargements/Carnet_Forums.pdf. Comme le rappelle Olivier Bogart, l’anonymat n’existe pas sur l’Internet, puisque toute connexion laisse une trace : à partir d’une adresse IP, il est possible de consulter le fournisseur d’accès afin d’identifier l’auteur de l’un ou l’autre intervention. 194 Selon Daniel Van Wylick, le recours à des réseaux sociaux comme Facebook n’empêche pas les médias de contrôler les interventions qui sont postées sur leurs propres pages. 192 193 Atelier 3 : « liberté d’expression » 245 d’interventions sur les sites du groupe195 et une migration des commentaires sur les pages Facebook des mêmes médias, ce qui porte inévitablement atteinte au nombre de pages consultées et donc, aux revenus publicitaires. Par contre, cette mesure s’est avérée très efficace du point de vue de la qualité des commentaires : sur 21.000 réactions (postées au mois de décembre), les plaintes pour propos injurieux reçues par jour ne sont plus qu’au nombre de trente, parmi lesquelles trois sont finalement jugées fondées, les autres relevant seulement d’une divergence d’opinion. Si Jean-François Dumont rappelle que le CDJ préconise une modération a priori des forums et recommande donc d’affecter une personne à la lecture des messages avant leur diffusion, Stéphane Rosenblatt, Vincent Genot et Daniel Van Wylick (Rossel) constatent qu’une telle modération mobiliserait trop d’effectifs et engendrerait des coûts trop élevés pour les entreprises de presse. Daniel Van Wylick ajoute que, même si l’on recourt à la sous-traitance étrangère, il n’existe aucune formule bon marché (sauf si l’on envisage de rendre le commentaire payant). À titre indicatif, le journal Le Soir affecte déjà quatre personnes pour prendre en charge la modération a posteriori de ses forums en ligne. - - En ce qui concerne la mise en œuvre de la modération a posteriori, RTL utilise un système de modération automatique et humain qui permet de retirer tout contenu suspect, inadéquat, injurieux ou contraire à la loi. Du côté du Vif, une fois qu’un commentaire a été signalé par un internaute et jugé litigieux par la newsroom, ce contenu est purement et simplement supprimé, sans que l’auteur du commentaire en soit informé. Par contre, un avertissement peut être adressé à une personne dont les commentaires posent problème à intervalles réguliers. Si cette mesure est inefficace, le profil de l’internaute est supprimé. Outre le système de contrôle collectif des internautes via des alertes a posteriori, une surveillance particulière est appliquée aux articles présumés problématiques. Enfin, le système bloque automatiquement les interventions qui contiennent certains motsclés. À la question de savoir s’il ne serait pas plus simple de supprimer de tels La newsroom du Vif-l’Express a ainsi observé une chute des interventions (de 66%) et des intervenants (de 40%). 195 246 Chapitre 3 forums, Vincent Genot et Daniel Van Wylick répondent que cela n’est pas envisageable dans la mesure où l’interactivité constitue l’essence même de l’Internet et où la fermeture des forums renforcerait l’impression d’un désintérêt des médias pour l’avis du public et nuirait à l’image, déjà écornée, des journalistes. Si un problème subsiste en termes de commentaires litigieux, les médias ou les citoyens visés par des propos insultants peuvent contacter la Federal Computer Crime Unit (FCCU). Un magistrat peut également faire appel à cette unité de la police fédérale afin d’identifier les personnes soupçonnées de propos illicites ou de cyber-harcèlement (à l’encontre d’une personne physique ou morale)196 . Le commissaire Olivier Bogaert ajoute que, de plus en plus, la FCCU assure également une mission de prévention, notamment auprès des jeunes générations. S’il s’agit de la plainte d’un citoyen vis-à-vis de propos tenus à son sujet sur un forum, il suffit souvent de demander au modérateur de supprimer le commentaire désobligeant. Le conseil fréquemment donné par la FCCU à la victime de propos diffamants, par exemple, est d’utiliser la procédure prévue par l’hébergeur ou l’opérateur comme Facebook ou Skyrock. Par crainte de suites judiciaires, ceux-ci vérifient rapidement si ces propos correspondent à leurs conditions d’utilisation et retirent aussitôt les commentaires jugés non conformes. Dans d’autres cas, les enquêteurs de la FCCU peuvent également rencontrer les auteurs de commentaires illicites pour leur rappeler les règles, dans une logique de médiation. Lorsque les propos contiennent un appel manifeste à s’en prendre à une personne, une institution ou un lieu, et donc lorsqu’ils peuvent aboutir à des troubles de l’ordre public, les enquêteurs de la FCCU récoltent les informations, rédigent un procès-verbal à destination des magistrats qui décident de la suite à réserver à ces affaires. De manière globale, Olivier Bogaert n’observe pas d’augmentation significative des demandes d’identification ; cela s’explique, d’une part, par le fait que les polices locales développent leurs propres compétences techniques et sont désormais capables de retrouver une adresse IP et, d’autre part, parce que les gestionnaires de forums ont renforcé leur contrôle sur les propos diffusés sur les forums (via une identification obligatoire, le repérage Obtenir une adresse IP implique une procédure judiciaire spécifique, lourde et longue. Le Code d’instruction criminelle prévoit que toute recherche sur les données numériques et les adresses IP permettant d’identifier les personnes peut être ordonnée par un magistrat du parquet, pour des dates précises, ou par un magistrat chargé de l’instruction, pour les périodes non déterminées. 196 Atelier 3 : « liberté d’expression » 247 automatique de mots-clés problématiques ou la suppression immédiate de commentaires en cas de plainte). Enfin, Olivier Bogaert estime qu’il serait nécessaire d’établir des chartes d’utilisation des forums qui, rédigées par les acteurs du secteur et par des associations comme la Ligue des droits de l’homme, seraient portées à la connaissance des internautes (grâce à un visionnage inévitable de cette charte avant d’accéder au forum) et des jeunes générations (via des campagnes de sensibilisation dans les écoles). Cette formule permettrait de définir un cadre clair qui fixerait les droits et les devoirs des internautes et préviendrait ces derniers des sanctions auxquelles ils s’exposent en cas de non-respect de ladite charte. RECOMMANDATIONS 1° Liberté d’expression : condition sine qua non d’une société démocratique pluraliste La règle générale doit être le respect de la liberté d’expression, ce qui requiert la plus grande prudence dans l’encadrement de cette liberté fondamentale qui est la condition sine qua non d’une société démocratique pluraliste. Sous la seule réserve d’actes qui constituent des incitations directes à la violence, la liberté d’expression s’étend aux « idées qui heurtent, choquent ou inquiètent ». Le discours de haine doit être combattu par le débat politique et l’éducation. « Mieux vaut contredire qu’interdire, argumenter plutôt que sévir ». S’agissant donc des limites qui pourraient être apportées à la liberté d’expression, il n’y a pas de recommandation particulière à formuler dans la mesure où les législations qui existent déjà (voy. supra, point 3.) ainsi que les lois du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination constituent un cadre suffisant, conforme à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à la liberté d’expression. 2° L’expression raciste et négationniste a) En ce qui concerne la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du 248 Chapitre 3 génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la seconde guerre mondiale, il est recommandé de l’étendre à tous les crimes de génocide tels que définis par l’article 136bis du Code pénal. b) Le cordon sanitaire médiatique tel qu’il existe actuellement dans la FWB est satisfaisant. 3° Modération des forums La Recommandation de novembre 2011 du CDJ relative à la modération des forums en ligne va dans le bon sens. Le suivi de cette matière en pleine évolution doit se faire en concertation avec le Centre pour l’égalité des chances et les organisations de défense des droits de l’homme. 2.5. Des droits de réponse et/ou de rectification Questions 2.5.1 Ne s’impose-t-il pas d’uniformiser le régime du droit de réponse aux différents modes d’expression (presse écrite, audiovisuel, Internet) ? 2.5.2 Ne s’impose-t-il pas d’uniformiser le droit de réponse au regard de la législation applicable en Région flamande ? 2.5.3 Ne faut-il pas restreindre le droit de réponse à un droit de rectification ? Tout en prévoyant un accès élargi à ce droit de rectification (p. ex. rectification à l’issue d’une procédure) ? Dans quelles limites et selon quel régime ? 2.5.4 Ne faut-il pas actualiser les textes actuels et régler certaines controverses doctrinales/jurisprudentielles ? À l’heure actuelle, il existe en Belgique un droit de réponse qui s’applique de manière différente selon le média et même selon la communauté Atelier 3 : « liberté d’expression » 249 linguistique. La loi du 23 juin 1961 a institué un droit de réponse qui ne s’applique qu’à la presse écrite et stipule que « toute personne (physique ou morale), citée nominativement ou implicitement désignée dans un écrit périodique, a le droit de requérir l’insertion gratuite d’une réponse »197. La loi du 4 mars 1977 a, pour sa part, défini un droit de réponse particulier (qui s’apparente à un « droit de rectification ») pour le secteur audiovisuel dans la mesure où « seules les personnes justifiant d’un intérêt personnel ont, dans l’audiovisuel, le droit de requérir la diffusion gratuite d’une réponse qui doit être de nature à rectifier un ou plusieurs éléments de faits erronés les concernant ou de répondre à un ou plusieurs faits ou déclarations de nature à porter atteinte à leur honneur »198. Enfin, le décret adopté le 18 juillet 2003 par le Parlement flamand à propos de la radiodiffusion et de la télévision réaffirme les principes du droit de réponse mis en œuvre pour l’audiovisuel et y ajoute un droit de communication (recht van mededeling) « qui donne à toute personne soupçonnée ou accusée dans une affaire criminelle, dont le nom est mentionné ou la photographie présentée, le droit d’annoncer son acquittement (vrijspraak) ou la décision d’abandon des poursuites à son encontre (buitenvervolgingstelling) »199. Aucune mesure particulière n’est aujourd’hui officiellement adoptée pour les médias numériques, qui sont donc soumis à une interprétation extensive des dispositions relatives aux autres médias. Face à la diversité des régimes de droit de réponse en vigueur, François Jongen, Quentin Van Enis, Simon-Pierre De Coster et Martine Simonis affirment qu’il serait logique et juste d’uniformiser le principe du droit de réponse et de l’appliquer à tous les modes d’expression. Pour François Jongen, il s’agit à la fois de restaurer une certaine égalité des armes, de redonner sens au droit de réponse et de désencombrer les tribunaux d’une série d’actions en responsabilité civile. Philippe Nothomb constate que la convergence médiatique constitue une opportunité pour harmoniser les règles du droit de réponse. Martine Simonis ajoute que, dans l’intérêt du public, il serait intéressant de simplifier et d’harmoniser les régimes et les procédures. Il paraît d’autant plus important de procéder à une telle uniformisation que le Englebert, J., « La demande de diffusion d’une réponse dans la presse audiovisuelle (loi du 23 juin 1961). Questions de procédure », in Les actions en cessation, Larcier, 2006, CUP, vol. 87, p. 401. 198 Ibidem, pp. 401-402. 199 Voorhoof, D., « Modification des dispositions concernant la compétence de l’Autorité des médias et le droit de réponse contenu dans la loi relative à la radiodiffusion », sur http://merlin. obs.coe.int/iris/2003/9/article10.fr.html, consulté le 15 mars 2013. 197 250 Chapitre 3 droit de réponse est perçu par nombre d’intervenants comme un principe fondamental pour le bon fonctionnement des médias d’information. Pour Quentin Van Enis, l’objectif est de garantir une certaine contradiction dans les débats. Jean-Jacques Jespers estime que toute personne, physique ou morale, qui a été diffamée ou citée de manière problématique doit avoir le droit de réagir. Aux yeux de Benoît Frydman, le droit de réponse présente l’avantage d’alimenter le débat et d’éviter une intervention des pouvoirs publics ou une quelconque censure. Pour Jean-François Dumont, reconnaître ses erreurs revient à défendre l’honneur de la profession journalistique. Philippe Nothomb affirme, d’ailleurs, qu’aucun journaliste ne s’oppose généralement à la publication d’un droit de réponse. Des différentes auditions émerge donc un large consensus au sujet de la reconfiguration du droit de réponse qui devrait prévoir différentes modalités d’application selon le type de média, s’aligner sur le modèle en vigueur dans l’audiovisuel et utiliser l’Internet comme support privilégié. - - - Martine Simonis constate que la tendance est à l’alignement du droit de réponse de l’écrit sur le modèle audiovisuel. Pour Simon-Pierre De Coster, Laurence Vandenbroucke (RTL), Marc de Haan et PierreArnaud Perrouty, ce régime est à privilégier car il présente l’avantage d’être plus précis ; la juge Sophie Annaert estime que le régime en vigueur pour le secteur audiovisuel est plus clair et permet donc à l’appareil judiciaire de donner des suites plus rapides aux demandes de droit de réponse. Plusieurs acteurs font remarquer que l’uniformisation du droit de réponse pour tous les médias ne peut être totale, vu les spécificités techniques de chaque support. Simon-Pierre De Coster note qu’en radio et en télévision, la diffusion intégrale d’une réponse de deux à trois minutes (qui est la durée maximale prévue par la loi) peut être contre-productive et disproportionnée. Vincent Genot plaide également pour une adaptation du droit de réponse en fonction du support dans la mesure où une formule imposée à la presse papier (comme la publication d’un droit de réponse en « une » du journal) n’est pas applicable pour la presse numérique. L’obligation de publier un correctif sur la page d’accueil d’un site pendant plusieurs jours s’avère, en tout cas, disproportionnée. Pour Olivier Basile, la question de la proportionnalité pourrait d’ailleurs être résolue grâce au numérique qui permet de publier des contenus plus longs que le papier ou l’audiovisuel et de relier Atelier 3 : « liberté d’expression » 251 aisément la réponse à l’article initial. Quentin Van Enis signale qu’une recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe a invité, en 2004, chaque État membre à mettre en œuvre un droit de réponse en ligne. Plusieurs intervenants expriment une certaine réticence face à une éventuelle législation en matière de « droit de communication ». Simon-Pierre De Coster se dit tout à fait défavorable à l’adoption du système en vigueur en Flandre. Celui-ci octroie un droit de communication pour une personne citée comme inculpée dans une procédure judiciaire et qui bénéficierait ultérieurement d’un non-lieu ou d’un acquittement. Si la personne mise en cause peut avertir les médias de son acquittement ou de son non-lieu, il est impérieux de laisser aux journalistes la liberté de décider de relayer ou non cette information, en fonction de sa valeur informative pour le public. Ce sont les rédactions qui doivent rester souveraines en matière de choix éditorial ; le droit de communication ne peut être mis en place sous seul prétexte que l’Internet fournirait la place nécessaire pour le systématiser. Philippe Nothomb, Stéphane Rosenblatt et Laurence Vandenbroucke estiment, eux aussi, qu’idéalement, le suivi d’une information devrait ne pas dépendre de l’initiative des personnes concernées mais relever de la responsabilité du journaliste. Face à des demandes qui proviendraient de particuliers ou de leurs avocats, les représentants des JFB et de RTL considèrent que la meilleure réponse réside dans l’autorégulation de la part des journalistes et des éditeurs et donc dans l’examen de chaque cas pris isolément200. Philippe Nothomb reconnaît toutefois que le droit de communication peut fournir une réponse intéressante face au manque de suivi de certaines informations (quand les médias relayent, par exemple, une affaire judiciaire au moment où elle éclate mais diffusent moins d’informations relatives à la clôture de cette affaire ; le problème est d’autant plus problématique lorsque les plaintes et inculpations ont finalement été rejetées). Le droit de communication permet d’ajouter les éléments manquants et de donner ainsi une information complète. C’est justement dans une logique d’autorégulation que les JFB viennent d’instaurer un système en matière de droits de rectification et de communication numériques201 afin d’établir un équilibre Laurence Vandenbroucke estime qu’il n’y pas plus de dix plaintes par an pour demande de rectification, de droit de réponse ou de droit à l’image. Jamais encore, RTL n’a reçu de plainte pour atteinte à l’honneur. 201 Voir les différentes dispositions présentées, de manière détaillée, dans le document des JFB accessible sur http://egmedia.pcf.be. 200 252 Chapitre 3 entre liberté d’expression et protection de la vie privée, qui est d’ailleurs soutenu par l’AJP. Le premier est utilisé en cas d’inexactitude factuelle ; le second vise à compléter une information judiciaire suite à un acquittement ou à un non-lieu. - - Le droit de rectification est un droit qui appartient à toute personne physique nommée ou identifiable, ayant un intérêt judiciaire de demander la publication gratuite en ligne d’un article rectifiant les données erronées publiées en ligne par un titre de presse écrite, si cette rectification n’a pas été apportée par la publication elle-même. Techniquement, la rectification est liée à l’article initial et est limitée à mille signes typographiques, droit successible, rédigé dans la même langue que le journal. L’éditeur publie la rectification dans les quatorze jours ou lors de la première mise à jour ou publication en ligne. Le droit n’est pas limité dans le temps. Le droit de communication implique que « toute personne physique ou morale, nominativement désignée ou identifiable comme étant inculpée, prévenue ou accusée dans une publication en ligne d’un titre de presse écrite, a le droit de demander l’insertion gratuite d’une communication en cas de décision de non-lieu, d’acquittement, de rétractation, de révision, de réhabilitation, de grâce, d’amnistie ou de remise en liberté passée en force de chose jugée, ou d’une décision étrangère ayant les mêmes effets ». Là aussi, la communication est limitée à mille signes et doit être formulée dans la même langue que l’article. Le demandeur doit joindre des éléments d’identité permettant un contrôle ainsi que la décision judiciaire qui est l’objet de la communication. Pour le moment, ce droit de communication électronique est limité dans le temps, la demande doit être introduite dans un délai d’un an à dater de la décision judiciaire (même si dans la pratique les éditeurs font preuve d’une certaine souplesse). À l’heure actuelle, les signataires de cette recommandation proposée par les JFB (parmi lesquels le Persgroep, Corelio, les groupes Rossel et IPM) sont d’ores et déjà tenus de la mettre en application. Philippe Nothomb signale que ce système doit être testé, systématisé et mieux connu du public avant que l’on puisse envisager de légiférer en cette matière. Atelier 3 : « liberté d’expression » 253 RECOMMANDATIONS 1° Uniformisation du droit de réponse Un consensus se dégage sur la nécessité d’uniformiser le droit de réponse, quel que soit le média concerné (presse écrite, audiovisuelle ou médias électroniques), et de rendre plus effectif son rôle de garantie du débat contradictoire. Le droit de réponse devrait se situer dans un éventail de mesures à disposition des personnes citées par la presse pour faire entendre leur voix, mesures dont la mise en œuvre, pour des raisons de facilité, devrait répondre à des modalités similaires. Ces différentes voies d’actions seraient : - - - un droit de réponse sous forme de droit de rectification : ce droit appartiendrait à toute personne physique ou morale identifiée ou identifiable, et viserait à demander la publication ou l’insertion gratuite d’une rectification en cas de données erronées publiées par un média à son propos ou d’atteinte à son honneur. Le droit de réponse ainsi reformulé s’alignerait sur le régime existant en matière d’audiovisuel. un droit de communication : ce droit appartiendrait à toute personne physique ou morale dont l’inculpation, la prévention, l’accusation ou la condamnation a été rapportée par un média, et viserait à demander la publication ou l’insertion gratuite d’une communication en cas de décision de non-lieu, acquittement, révision, grâce, amnistie ou remise en liberté. un droit à l’oubli soigneusement encadré (voir à ce sujet le point 7). Les conditions de recevabilité de la réponse ou de la communication, les motifs de refus de l’insertion demandée, les délais d’exercice du droit de rectification et du droit de communication, devraient être précisés et uniformisés, quel que soit le média concerné. 2° Utilisation du média numérique Les spécificités de chaque support empêchent une uniformisation complète de l’exercice de chacun de ces droits (rectification, 254 Chapitre 3 communication, oubli). Toutefois, il pourrait être fait utilement usage du développement des médias numériques qui accompagnent de manière croissante tous les médias, quels qu’ils soient (sites web des journaux de la presse écrite, des organismes audiovisuels et médias uniquement numériques). L’insertion d’une rectification ou d’une communication pourrait ainsi satisfaire aux conditions requises lorsqu’elle se réalise sur le site web du média concerné d’une manière visible et en lien avec l’information publiée ou diffusée. Ce n’est qu’en cas de publication ou diffusion sans mise en ligne que la rectification ou la communication devra se faire dans le média d’origine selon les modalités prévues à l’heure actuelle. La préférence donnée au média numérique se justifie par la connectivité croissante des lecteurs et téléspectateurs à internet. Ces rectifications et communications auraient en outre un effet multiplicateur sur la version Internet des informations concernées, dans la mesure où la réplique ou réaction de la personne concernée accompagnera les informations d’origine même dans les référencements des moteurs de recherche qui sont susceptibles d’amplifier la diffusion de données que la personne entend rectifier ou compléter. Enfin, une telle publication en ligne permettrait de s’adapter à la convergence croissante des médias qui ne permettra bientôt plus à l’utilisateur de distinguer presse écrite, audiovisuelle ou pages Internet, auxquels il accédera de manière indifférenciée par sa télévision, son ordinateur, son téléphone ou sa tablette. La Belgique répondrait ainsi à la Recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe de 2004 qui préconisait un droit de réponse en ligne (Conseil de l’Europe, Rec. (2004)16 du Comité des ministres aux États membres sur le droit de réponse dans le nouvel environnement des médias, adoptée le 15 décembre 2004). 3° Dépénalisation du droit de réponse Il existe un large consensus sur la nécessité de dépénaliser le droit de réponse et de réserver les sanctions d’un refus injustifié du média d’insérer la rectification ou la communication au champ de la responsabilité civile. Atelier 3 : « liberté d’expression » 255 2.6. Du secret des sources Questions 2.6.1 Le système mis en place par la loi du 7 avril 2005 donne-t-il satisfaction ? 2.6.2 Les règles en matière de méthodes de recherche particulières sontelles compatibles avec une véritable protection des sources ? Tel qu’il a été instauré en Belgique par la loi du 7 avril 2005, le système du secret des sources satisfait largement Martine Simonis, Jean-Pierre Jacqmin (RTBF), Philippe Nothomb, Laurence Vandenbroucke, Jean-Jacques Jespers et Olivier Basile. Jean-Pierre Jacqmin estime que le secret des sources est essentiel dans une société démocratique pour favoriser la liberté de la presse, le droit d’être informé et le devoir d’informer. Toute restriction autre que celle fixée expressément dans la loi sur la protection des sources serait contraire à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme202. Martine Simonis affirme que la législation belge en matière de protection de sources est souvent citée en exemple en Europe car elle constitue une « loi de pacification » qui a permis de mettre fin aux perquisitions, aux écoutes téléphoniques et aux saisies à l’égard des journalistes et des rédactions. Philippe Nothomb estime que le secret des sources est un droit qui n’est jamais totalement acquis. Laurence Vandenbroucke abonde dans ce sens en constatant que les journalistes et les éditeurs doivent souvent résister à de très fortes pressions de la part d’autorités judiciaires pour défendre le secret absolu des sources (surtout en ce qui concerne l’accès aux images). Martine Simonis, Olivier Basile, Pierre-Arnaud Perrouty et Jean-Jacques Jespers soulignent la nécessité de rester vigilants vis-à-vis de dispositions légales susceptibles de menacer le secret des sources et de restreindre le champ d’application de la loi du 7 avril 2005. - En principe, la loi sur les méthodes particulières de recherche (MPR) de 2005 ne peut pas porter atteinte au principe du secret des sources ; 202 La loi du 7 avril 2005 stipule que seul un juge d’instruction peut être autorisé à poser des questions sur l’origine des sources à la condition expresse qu’il y ait menace d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne. 256 Chapitre 3 - - 203 la loi relative à ce dernier a d’ailleurs été modifiée en avril 2006 afin d’établir sa prévalence sur de telles méthodes d’investigation (dont l’utilisation doit être approuvée par trois magistrats et par l’AGJPB203). Pour Olivier Basile, ces méthodes sont en soi incompatibles avec le principe du secret des sources ; il apparaît dès lors impératif de former les journalistes au cryptage de données afin de défendre le secret de leurs sources. Martine Simonis exprime une certaine inquiétude vis-à-vis de l’interprétation de la loi sur les MPR par l’arrêt de la Cour de cassation du 6 février 2008. Cette dernière a estimé que des méthodes particulières de recherche pouvaient être mises en œuvre à l’égard des personnes qui avaient informé des journalistes et s’est donc écartée, selon Martine Simonis, de l’esprit de la loi de 2005 qui vise à protéger non seulement les journalistes mais aussi leurs informateurs. Une deuxième difficulté réside dans le caractère restrictif de la loi sur les méthodes de recueil de données (de 2010) qui ne prévoit de protection particulière que pour les avocats, les médecins et les journalistes, à la condition que ces derniers soient agréés. De ce point de vue, cette loi se démarque de l’arrêt de la Cour d’arbitrage qui, en 2006, a élargi la protection du secret des sources à toute personne diffusant de l’information. Par ailleurs, la loi de 2010 prévoit que le président de l’AGJPB soit informé de mesures mises en œuvre à l’égard de journalistes professionnels mais que celui-ci ne puisse rien divulguer sous peine de sanctions pénales ; ce qui crée, selon Martine Simonis, un regrettable manque de transparence. Outre la limitation de la loi aux seuls journalistes professionnels, Pierre-Arnaud Perrouty décèle, lui aussi, des tensions entre le secret des sources et les méthodes de recueil de données : d’une part, la loi de 2010 donne une définition élargie de l’espionnage (en tant que « recueil ou livraison d’informations non-accessibles au public ») qui fait donc entrer certaines activités journalistiques dans son champ d’application ; d’autre part, la Cour constitutionnelle a annulé la disposition légale qui permettait – après un délai de carence de cinq ans et dans certaines conditions – d’informer une personne du fait qu’elle avait été surveillée et de ce que sont advenues les informations recueillies. Jean-Jacques Jespers ajoute que la directive européenne sur la rétention des données (qui aurait déjà dû être transposée en Belgique pour 2009) pourrait également restreindre la portée de la législation belge. Il s’agit de l’Association Générale des Journalistes Professionnels. Atelier 3 : « liberté d’expression » 257 Sans remettre en cause le bien-fondé de la loi sur le secret des sources, Quentin Van Enis se demande, pour sa part, si la loi de 2005, en ne prévoyant qu’une seule exception (en l’occurrence, la prévention des infractions portant gravement atteinte à l’intégrité physique), ménage un équilibre satisfaisant entre la protection des sources et d’autres intérêts (comme la prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants). Le chercheur du CRIDS estime, par ailleurs, qu’il serait pertinent, afin de renforcer la portée de la loi, de prévoir une sanction procédurale qui pourrait écarter du débat judiciaire les preuves recueillies illégalement (en violation, par exemple, du principe du secret des sources). Enfin, Jean-Marc Meilleur estime que la loi sur le secret des sources donne lieu à des situations problématiques. Selon le magistrat de presse, il arrive fréquemment que des journalistes obtiennent des informations auprès d’une personne qui viole le secret professionnel. Dans ces cas, il importe de pouvoir poursuivre non pas le journaliste qui agit selon sa conscience et sa déontologie mais la personne qui a violé son secret professionnel, qu’il s’agisse d’un policier, d’un expert ou d’un magistrat. Or, selon Jean-Marc Meilleur, cet informateur n’est identifiable que grâce au journaliste qui, en principe, ne peut dévoiler ses sources204. Dans cette perspective, Jean-Marc Meilleur suggère d’ajouter, dans la loi sur le secret des sources, que ce dernier serait garanti à condition que la presse ait joué, dans le cadre de l’affaire concernée, son rôle de « chien de garde de la démocratie ». Dans les autres cas, il devrait être possible de lever le secret des sources afin de sanctionner la violation du secret professionnel. À ce sujet, Quentin Van Enis fait remarquer que, dans la jurisprudence de la CEDH, la notion de « chien de garde de la démocratie » justifie le secret des sources plus qu’elle ne le conditionne, car il s’agit d’un principe de protection de l’ensemble d’une profession et de ses relations avec ses informateurs. Pour Jean-François Dumont, cette notion souffre d’un manque de clarté et constitue un risque pour la protection du secret des sources. Le secrétaire-général adjoint de l’AJP craint par-là même un retour aux pratiques autoritaires et au contrôle des journalistes, comme en France où l’on confie à un juge le pouvoir de décider s’il existe un intérêt prépondérant à lever le secret des sources, ce qu’il fait presque toujours. 204 Cette préoccupation semble être partagée par d’autres parquets. Voy. à cet égard le discours de rentrée, intitulé « De vierde macht », prononcé le 3 septembre 2012 par le Procureur général Y. Liégeois, devant la cour d’appel d’Anvers, très critique à l’égard de la loi actuelle. 258 Chapitre 3 RECOMMANDATIONS 1° Pas de modification de la législation actuelle La loi sur le secret des sources du 7 avril 2005, telle que modifiée par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 juin 2006, ne doit pas être modifiée. Il s’agit d’une législation répondant parfaitement aux nécessités du respect du secret des sources d’information, citée souvent en exemple et inspirant directement la législation d’autres pays, dont notamment le projet de réforme en France. Depuis son entrée en vigueur, cette loi n’a pas posé d’autres problèmes que de rendre sans doute plus difficile l’identification des auteurs des fuites en direction de la presse. C’était précisément l’un de ses objectifs : les sources d’informations savent dorénavant qu’elles ne pourront pas être identifiées par des investigations à charge du journaliste. 2° Identification des auteurs des fuites Les objections soulevées par le représentant du parquet de Bruxelles, concernant la quasi-impossibilité, depuis l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, d’identifier l’auteur de la violation du secret de l’instruction, ne peuvent conduire à une autre conclusion. Au contraire, il est heureux de constater que les enquêtes sur les fuites en direction de la presse ne peuvent plus être dirigées contre les journalistes dans le seul but d’identifier l’auteur de la fuite. Ce problème doit être traité autrement. Il convient d’abord que les autorités judiciaires exercent un meilleur contrôle (voire une meilleure sélection) sur les personnes participant aux enquêtes (magistrats, greffiers, enquêteurs, personnels des greffes et des parquets) afin d’éviter, en amont, la violation du secret de l’instruction. Celle-ci semble toutefois tellement étendue qu’elle oblige de s’interroger sur les restrictions apportées aux communications à la presse, par les autorités, à propos des procédures en cours. On doit en effet se demander si ce n’est pas une conception trop étroite du principe du secret des enquêtes qui génère de telles violations du principe. Dans ces conditions, il est recommandé de revoir les règles en matière de communication d’informations sur les enquêtes en cours par les autorités chargées de Atelier 3 : « liberté d’expression » 259 ces enquêtes. L’article 57, § 3, du Code d’instruction criminelle devrait être revu dans le sens d’un élargissement des pouvoirs des parquets205. 3° Méthode de recueil de données Par contre, l’état actuel de la législation concernant les méthodes de recueil de données par les services de renseignement et de sécurité pose un réel problème au regard de la loi sur le secret des sources. En effet, la loi du 10 mars 2010 ne prévoit un régime dérogatoire aux pouvoirs des enquêteurs qu’en faveur des journalistes « admis à porter le titre de journalistes professionnels », ce qui est incompatible avec les principes qui ont conduit la Cour constitutionnelle à annuler en partie la loi sur le secret des sources, précisément parce qu’elle limitait le bénéfice de celui-ci aux seuls journalistes professionnels (« soit toute personne qui, dans le cadre d’un travail indépendant ou salarié, ainsi que toute personne morale, contribue régulièrement et directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du public »). Par ailleurs, le champ d’application des exceptions prévues à l’interdiction d’exploiter des données protégées par le secret des sources est lui-même incompatible, par son étendue, avec la seule restriction prévue par l’article 4 de la loi sur le secret des sources. Il est recommandé de revoir strictement la loi du 10 mars 2010 afin de garantir sa compatibilité avec les principes fixés dans la loi du 7 avril 2005 sur le secret des sources. 205 Voy. sur cette question, infra, les commentaires développés sous le point 10.2. 260 Chapitre 3 2.7. Des archives de la presse et du droit à l’oubli Questions 2.7.1 Quel régime faut-il appliquer aux archives de la presse (accessibles sur le Web) ? Effacement, rectification, avis ? 2.7.2 Faut-il mettre en place les conditions d’un « droit à l’oubli » pour les personnes citées dans la presse ? De façon générale ou spécifiquement lorsque les informations diffusées à leur égard se révèlent ensuite inexactes ? 2.7.1. Une large opposition au principe généralisé d’un droit à l’oubli médiatique Stéphane Hoebeke, Marc de Haan, Olivier Basile, Philippe Nothomb et Benoît Frydman s’opposent catégoriquement à l’automatisation du « droit à l’oubli » s’il implique une atteinte à l’intégrité des archives de la presse. Selon les termes de Benoît Frydman, la proposition d’éventuels effacements dans les archives doit être rejetée puisqu’elle revient à exercer a posteriori une police des contenus qui s’apparente à une réécriture de l’histoire. Stéphane Hoebeke et Marc de Haan estiment que, dans un contexte démocratique, les archives de la presse sont des éléments essentiels à la fois pour la liberté d’expression, pour le droit à l’information et pour le devoir de mémoire. Les récentes campagnes de numérisation de la presse quotidienne et des archives audiovisuelles attestent en elles-mêmes de l’importance sociétale que revêt la conservation des archives. Philippe Nothomb signale que, chez Rossel, une logique de préservation des archives a amené à constituer des banques de données « inviolables » qui permettent d’ajouter des contenus mais qui empêchent d’en supprimer ou d’en modifier. Le porte-parole des JFB décèle, par ailleurs, deux dangers à l’application du droit à l’oubli : le révisionnisme (en contradiction avec le devoir de mémoire qui incombe à la presse) et le retour à la censure (dans la mesure où des journalistes seraient amenés à éviter d’intégrer des données personnelles, partant du fait qu’ils seront un jour obligés de les retirer). Simon-Pierre De Coster ajoute que l’accès à des archives préservées dans leur intégralité est une condition d’existence du droit d’enquêter librement. Élise Defreyne (CRIDS) souligne qu’une distinction Atelier 3 : « liberté d’expression » 261 fondamentale doit être établie entre la conservation et la numérisation des archives, d’une part, et la publication de celles-ci, d’autre part. Alain Strowel et Jean-Jacques Jespers précisent que le droit à l’oubli est déjà indirectement consacré par la jurisprudence belge puisqu’il fait partie intégrante du droit à la vie privée (garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme). Le droit à l’oubli pourrait bientôt être plus clairement défini, puisque le projet de révision de la directive européenne relative à la protection des données personnelles évoque explicitement cette notion206. Au nom de la Ligue des droits de l’homme, Pierre-Arnaud Perrouty considère que toute personne a un droit à l’oubli vis-à-vis de la société dans le sens où le droit pénal prévoit que la personne qui a commis une infraction peut être réhabilitée à partir du moment où elle a purgé sa peine. Doivent ainsi être mis en balance le droit (du public) à l’information et le droit (de la personne) à la vie privée. Stéphane Hoebeke et Marc de Haan estiment que, conformément à l’avis du CSA du 9 juin 2009207, c’est l’intérêt public qui doit primer sur les droits privés. C’est également dans ce sens que s’est prononcé le président du tribunal de première instance de Bruxelles qui, dans un jugement rendu le 9 octobre 2012, a statué que « la loi sur la protection des données à caractère personnel ne pouvait imposer aux sites de presse en ligne d’anonymiser leurs archives publiques »208 , que les archives de la presse constituent un traitement journalistique et qu’elles échappent, de ce fait, aux prescrits principaux de la loi (sur la protection de la vie privée) du 8 décembre 1992 au sujet des traitements de données à caractère personnel. Jean-Jacques Jespers ajoute que l’arbitrage face à des demandes d’effacement de données personnelles doit, avant tout, prendre en considération l’intérêt du public pour l’information concernée mais ne peut pas ignorer le fait que certains contenus entravent la réinsertion d’une personne dans la société. La situation est plus claire quand il s’agit d’un personnage historique ou public : dans ce cas, l’intérêt général doit primer sur l’intérêt individuel et ne disparaît pas avec le temps. Voir http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-46_fr.htm?locale=en, consulté le 20 mars 2013. 207 Avis relatif à la mise à disposition du public d’archives audiovisuelles liées à l’actualité (droit à l’image, droit à l’oubli, droit à l’information), accessible sur www.csa.be/system/documents_files/1020/original/CAV_20090609_droit_image.pdf?1299596348, consulté le 10 mars 2013. 208 Voir l’article d’Élise Defreyne et de Quentin Van Enis relatif à ce jugement, sur http://e-watchdog.overblog.com/la-loi-belge-sur-la-protection-des-donnees-a-caractere-personnel-et-lanonymisation-des-archives-de-presse-en-ligne, consulté le 20 mars 2013. 206 262 Chapitre 3 2.7.2. Des pratiques plus complexes et plus diversifiées Philippe Nothomb, Laurence Vandenbroucke, Stéphane Hoebeke et Martine Simonis estiment que l’effacement de contenus ne peut être envisagé qu’à titre tout à fait exceptionnel, après un examen minutieux de l’ensemble du dossier. Pour Alain Strowel, le droit à l’oubli devrait être conçu de manière extrêmement restrictive et peut-être limité au rappel des faits judiciaires. Stéphane Hoebeke souligne, pour sa part, les obstacles matériels et financiers au floutage et au gommage de documents écrits ou audiovisuels. Quentin Van Enis, Stéphane Hoebeke, Marc de Haan, Philippe Nothomb et Laurence Vandenbroucke privilégient à la logique d’effacement l’ajout d’informations qui permettent de compléter ou de contextualiser les données précédemment diffusées, de préserver l’intégrité des archives et de respecter le droit à l’information. Jacques Englebert fait remarquer qu’il s’agit alors d’un droit de rectification (voir le point 5) et non véritablement de droit à l’oubli. Il ajoute que la rectification n’équivaut pas nécessairement à la réparation. En effet, relayer la décision d’un acquittement revient à évoquer une nouvelle fois, des années plus tard, les accusations qui ont nui aux personnes incriminées et donc à aggraver ce préjudice. À partir du moment où on couvre des procédures en cours (ce qui est, selon la jurisprudence de la CEDH, une des missions de la presse), on relaye inévitablement des accusations qui pourront être finalement jugées infondées. Lors de procès au civil, de nombreux juges refusent, dans la même logique, la demande des plaignants de faire publier le jugement qui condamne le journaliste, étant donné que cette mesure n’est pas de nature à réparer le dommage. François Jongen estime, pour sa part, qu’il faut reconnaître le droit à l’oubli, non via l’effacement d’archives ni via des possibilités de rectification ou d’avis, mais via une anonymisation de certaines informations ou via des balises de nonindexation. En 2009 sont apparues les premières sociétés de défense de réputation qui ont pour objectif d’élaguer et de nettoyer les données de leurs clients sur l’Internet209. De manière concomitante à ce phénomène, les médias ont reçu un nombre croissant de demandes d’effacement qui correspondent tantôt à des demandes légitimes (notamment en rapport avec la divulgation d’un passé judiciaire qui empêche l’insertion sociale ou professionnelle de Jean-Jacques Jespers fait remarquer que le recours à ces sociétés entraîne des coûts considérables et crée donc une véritable fracture économique dans le domaine du droit à l’oubli. 209 Atelier 3 : « liberté d’expression » 263 la personne concernée210) tantôt à des démarches plus contestables (qu’il s’agisse de révisionnisme, d’aménagement de biographie ou de règlement de compte). Selon l’AJP qui elle-même se base sur les dires des JFB, un millier de demandes de rectification ou de modification seraient actuellement en cours de traitement de la part des éditeurs de presse écrite. Contrairement à François Jongen pour qui l’anonymisation de certaines données doit être laissée à l’appréciation d’un juge, Philippe Nothomb, Martine Simonis, Laurence Vandenbroucke et Stéphane Rosenblatt estiment qu’une telle décision relève de l’autorégulation journalistique et ne peut donc pas faire l’objet d’une disposition réglementaire générale. Il revient aux éditeurs de juger de l’équilibre à établir entre protection de la vie privée et droit à l’information, via la suppression, l’anonymisation ou le déréférencement de contenus litigieux. Cette prise de position correspond à ce qui passe déjà sur le terrain puisque les éditeurs de presse sont régulièrement amenés à évaluer, au cas par cas, la légitimité des demandes et procèdent parfois à l’effacement de contenus sur l’Internet (tout en se gardant de porter atteinte aux archives qui restent conservées dans leur intégralité). Ainsi, Vincent Genot a exceptionnellement supprimé des articles qui nuisaient à certaines personnes ; Philippe Nothomb constate qu’il n’est pas toujours aisé d’évaluer le préjudice puisque les plaignants évoquent, non pas la perte d’un emploi, mais la difficulté d’en décrocher un. Si la demande est jugée recevable (au terme d’une médiation idéalement encadrée par la Commission de la vie privée), les éditeurs de presse écrite acceptent d’anonymiser des noms, alors réduits à des initiales. Stéphane Rosenblatt témoigne qu’à la suite de demandes motivées et justifiées, RTL a déjà jugé utile de retirer des contenus qui concernaient des condamnations, des acquittements en appel ou des affaires qui ont eu un grand retentissement. Là aussi, il ne s’agit pas de détruire des archives mais de ne plus diffuser ces informations à la télévision, à la radio ou via l’Internet. Comme le font remarquer Pierre-Arnaud Perrouty et Philippe Nothomb, les plaintes liées au droit à l’oubli portent moins sur les contenus diffusés que sur leur degré de visibilité, désormais offert par l’Internet 211. Pour Philippe Philippe Nothomb affirme que la moitié des demandes de suppression ou de modification de contenus est liée à la question de l’emploi. Pour Stéphane Hoebeke, un employeur qui base un engagement seulement sur des données électroniques commet une faute déontologique. 211 Selon Philippe Nothomb, 98% des demandes portent sur la suppression d’un lien plutôt que sur la modification d’un texte – à l’exception d’une anonymisation des noms par l’usage des initiales. 210 264 Chapitre 3 Nothomb, il reviendrait donc aux moteurs de recherche d’assumer leur responsabilité en la matière212 . Quentin Van Enis note que, dans ce domaine, la jurisprudence va plutôt dans le sens de l’irresponsabilité des moteurs de recherche, comme Google, qui ne font que référencer des contenus existants et accessibles par d’autres voies. Philippe Nothomb rappelle que la loi du 11 mars 2003 (relative aux services de la société de l’information) statue que les moteurs de recherche ne sont pas responsables des contenus qu’ils intègrent sauf lorsqu’ils ont connaissance d’une demande de retrait. (Yahoo et Altavista ont d’ailleurs créé des commissions chargées d’examiner ces demandes). Jean-Jacques Jespers et Martine Simonis estiment que les éditeurs de presse sont les acteurs qui ont le plus de légitimité pour anonymiser des contenus ou retirer des liens sur l’Internet. Il apparaît, en effet, dangereux de confier le déréférencement d’articles à des sociétés privées, comme Google, qui se verraient dès lors indûment investies du rôle de définir les limites de la liberté d’expression213. Jean-Jacques Jespers ajoute que, si les éditeurs n’accèdent pas à la demande d’un plaignant, celui-ci peut alors légitimement faire valoir ses droits au respect de la vie privée et à la protection de ses données personnelles devant la justice (qui pourrait ensuite contraindre les moteurs de recherche à déréférencer ces contenus). RECOMMANDATIONS 1° « Droit à l’oubli » La question d’un « droit à l’oubli » impose de concilier le droit du public à l’information, la liberté de la presse, le droit de la personne sur ses données personnelles et l’intérêt public d’une conservation des archives médiatiques à des fins de recherche et de mémoire historique. La situation actuelle permet déjà aux personnes physiques, sur base de la loi sur la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel de demander l’effacement des données Élise Defreyne et Philippe Nothomb font également remarquer qu’une part de responsabilité revient aux citoyens qui publient sur l’Internet des données personnelles, jugées a posteriori préjudiciables par les mêmes personnes. 213 Pierre-Arnaud Perrouty décèle également le problème contraire, en l’occurrence, la censure trop rapide de certains opérateurs privés (comme Facebook) à l’encontre de contenus jugés choquants (comme la toile « L’origine du monde » de Courbet abruptement retirée des pages du réseau social). 212 Atelier 3 : « liberté d’expression » 265 les concernant sur base de leur droit d’opposition au traitement de ces données. Toutefois la personne doit invoquer une « justification légitime et prépondérante ». L’effacement ou l’anonymisation des données dont la subsistance sur Internet cause un dommage à la personne relève donc de la discrétion de l’éditeur du média. Un projet de règlement européen renforçant la protection des données personnelles entend renverser la charge de la preuve en donnant un droit à l’oubli aux personnes qui invoqueraient une « raison personnelle », à charge pour les éditeurs des publications concernées de justifier d’une « raison légitime et prépondérante » pour refuser cet effacement ou cette anonymisation. Les experts estiment toutefois que si une modification législative devait intervenir en ce sens, cela ne changera pas la pratique des éditeurs qui examinent déjà au cas par cas les demandes qui leur sont adressées, mais les obligera à justifier d’un motif de refus. Ils recommandent que ces motifs de refus soient précisés par la loi (par exemple, la valeur informative encore actuelle des faits concernés, l’intérêt historique des faits concernés, le lien que ces faits entretiennent avec l’exercice d’une activité publique par un personnage public, l’absence de dommage dans le chef du demandeur, l’intérêt public, etc.). Cette analyse au cas par cas devrait être maintenue, dans le cadre du futur règlement européen sur la protection des données personnelles, sans qu’un droit à l’oubli systématique ne soit imposé aux médias. 2° Archives de presse non modifiées En toute hypothèse, il doit être recommandé de préserver des archives des médias complètes et auxquelles ne s’appliquerait aucun « droit à l’oubli ». Ces archives à valeur documentaire ne seraient toutefois accessibles au public qu’à des fins de recherche. 3° Déréférencement auprès des moteurs de recherche Il n’est pas recommandé de permettre aux personnes d’agir auprès des moteurs de recherche pour demander le déréférencement des articles 266 Chapitre 3 concernés, sous peine de voir les moteurs de recherche, par crainte d’une mise en cause de leur responsabilité, procéder à de la censure excessive (« chilling effect »). Ceci n’empêche pas que les moteurs de recherche puissent être astreints à ne plus référencer une information qui n’est plus accessible sur le site du média, suite à l’application d’un « droit à l’oubli » par l’éditeur de ce média. 2.8. De la déontologie et de l’autorégulation Questions 2.8.1 Quel bilan, au regard des attentes, peut-on faire des trois premières années de fonctionnement du Conseil de déontologie journalistique ? 2.8.2 Faut-il étendre ses pouvoirs au-delà des simples avis et des recommandations ? Créé en décembre 2009, le Conseil de Déontologie Journalistique (CDJ) assoit sa légitimité sur base de décrets214, bénéficie d’un financement garanti215 et présente la particularité de compter à la fois des journalistes, des éditeurs et des personnes issues de la société civile216. Les principales missions du CDJ sont de dire la déontologie, de l’adapter à l’évolution du contexte médiatique 214 En plus du décret du 30 avril 2009 qui fixe les missions et le budget du CDJ, d’autres décrets donnent une assise importante à cette instance. C’est, en effet, par décret que la RTBF, les télévisions locales, les radios et les éditeurs télévisuels privés sont obligés de faire partie du CDJ. Pour recevoir les aides à la presse, les éditeurs de presse écrite se voient également contraints d’appartenir au CDJ. Ces dispositions (auxquelles s’ajoute le fait que l’AJP demande à chaque nouveau journaliste agréé de signer un engagement à respecter les codes actuels et les décisions du CDJ) donnent à l’organe d’autorégulation une assise et une légitimité appréciables. 215 Pierre-François Docquir rappelle qu’une des recommandations du programme Mediadem est de « soutenir l’autorégulation en matière d’éthique journalistique ». En ce sens, il convient de garantir un financement équilibré et pérenne pour le développement de l’autorégulation et de la déontologie journalistique qui doit se développer vers les médias en ligne, de façon à garantir la qualité des contenus produits par des journalistes ou par des utilisateurs. 216 Il compte 40 membres (effectifs et suppléants) répartis en 4 catégories : journalistes, éditeurs, rédacteurs en chef et personnes issues de la société civile. Atelier 3 : « liberté d’expression » 267 et de traiter de cas particuliers via des plaintes, médiations ou demandes d’intervention dans un cours ou d’accompagnement des rédactions dans leurs questionnements. L’ambition du CDJ est, en d’autres termes, d’instaurer un dialogue permanent entre normes et pratiques, via des contacts réguliers avec les journalistes et les éditeurs. En trois ans, le CDJ a traité 391 interventions, dont 350 concernaient directement la déontologie des médias217. En l’absence des moyens et des effectifs qui lui permettraient de faire un monitoring complet et permanent des médias, le CDJ privilégie le traitement des plaintes extérieures à l’exercice de l’auto-saisine qui relèverait d’un aperçu forcément incomplet et donc arbitraire des flux médiatiques. En outre, le CDJ a publié cinq recommandations importantes (sur la distinction entre publicité et information, la gestion des forums sur les sites des médias, les bonnes pratiques journalistiques vis-à-vis des sources, les dispositifs de couverture des campagnes électorales, l’usage des réseaux sociaux par les journalistes) et une recommandation sur l’identification des personnes mises en cause est en préparation, outre le travail de rédaction d’un Code de déontologie, également en cours, qui devraient aboutir fin 2013. Cette dernière mission de codification de la déontologie pourrait conduire à la création d’un label assurant la qualité des médias adhérents. Enfin, le CDJ travaille en complémentarité avec le CSA : en plus de deux réunions communes par an, les deux instances publient un rapport conjoint annuel et traitent ensemble une série de dossiers communs (qui ont trait à la fois au décret SMA et à des questions de déontologie)218. 2.8.1. Un bilan globalement positif d’une instance qui se défend d’être corporatiste Aux yeux de Marc Chamut et d’André Linard, respectivement président et secrétaire général du CDJ, l’organe d’autorégulation fonctionne bien et est de plus en plus sollicité : le nombre et la nature des demandes, l’accueil réservé 131 plaintes ont été traitées, dont 68 ont été considérées comme fondées et ont donné lieu à un avis du CDJ ; 37 demandes de médiation ont été introduites, dont 28 ont abouti, cette fois sans que leur issue ait été rendue publique. La plupart des plaintes concernent la télévision et, dans une moindre mesure, la presse écrite et la radio. Les publications numériques ne sont pas très visibles dans les statistiques du CDJ car elles sont assimilées aux médias, audiovisuels ou imprimés, dont elles dépendent : en Belgique, très peu de médias n’existent qu’en ligne. 218 L’article 4 du décret du 30 avril 2009 (relatif à la création du CDJ) prévoit les modalités de renvoi et de traitement des dossiers communs au CDJ et au CSA. 217 268 Chapitre 3 à ses médiations, à ses avis et à ses recommandations témoignent du fait que le CDJ répond aux attentes du secteur. Martine Simonis considère également que le bilan du CDJ est positif dans la mesure où il a réussi à regrouper tous les acteurs de l’information générale et spécialisée et où il a mis en place des procédures transparentes, rapides et gratuites qui donnent lieu à des décisions rendues publiques. Globalement, les éditeurs de presse écrite et les opérateurs télévisuels se disent satisfaits du fonctionnement de l’instance d’autorégulation. Stéphane Rosenblatt rappelle que RTL est un partenaire volontaire et proactif du CDJ et estime que celui-ci suscite, par son existence et sa visibilité, des débats qui n’auraient sans doute pas vu le jour sans lui219. Pour Marc de Haan, le CDJ constitue une instance particulière où se déroule un véritable débat paritaire qui permet de faire progresser la compréhension de l’évolution des médias. Jean-Pierre Jacqmin dresse un bilan plus mitigé vis-à-vis du CDJ et émet quelques réserves au sujet du fonctionnement de l’organe d’autorégulation dont le travail de codification a pris un certain retard et dont les procédures ne permettent pas de débat contradictoire et ne laissent pas la place nécessaire aux droits de la défense220. François Jongen, Alain Strowel et François Tulkens formulent quelques doutes sur l’impartialité relative du CDJ qui, selon eux, représente un peu trop les intérêts de la profession. Pour François Jongen, le traitement des plaintes par le CDJ tient plus de l’autodéfense que de l’autorégulation. Nombre des décisions relèvent d’une logique corporatiste. André Linard répond que le fait d’être juge et partie est le principe même de l’autorégulation et qu’il serait fallacieux de conclure à la partialité du CDJ sur la base du nombre de plaintes jugées non fondées. Marc Chamut ajoute que le CDJ ne se borne pas à défendre la profession mais protège également la liberté d’expression et la liberté de la presse. Selon l’AJP, RTL, la RTBF et la FTL, l’autorégulation du CDJ se caractérise justement par son ouverture puisqu’elle fait intervenir des journalistes, des éditeurs et des membres de la société civile. Daniel Van Wylick va jusqu’à déceler une tendance à l’auto-attaque puisque, dans un RTL dispose, depuis 1987, d’un code de déontologie interne ; les journalistes de la chaîne luxembourgeoise sont titulaires d’une carte de presse belge ; les différentes sociétés de journalistes autonomes qui travaillent pour RTL sont soumises aux règles et statuts propres aux sociétés de journalistes indépendantes. À la pluralité d’organes de régulation luxembourgeois, va bientôt succéder un nouvel organe unique, l’ALIA (autorité luxembourgeoise indépendante de l’audiovisuel), qui facilitera la tâche du plaignant et collaborera de manière plus efficace avec le CSA. 220 Récemment, des questions se sont posées au CDJ à propos des méthodes de recherche d’information préparatoires à la réalisation d’une émission de la RTBF. Jean-Pierre Jacqmin affirme que la RTBF a été ébranlée par ces débats relatifs à un éventuel contrôle préventif de contenus médiatiques. 219 Atelier 3 : « liberté d’expression » 269 contexte de concurrence, certaines plaintes sont introduites par un média vis-à-vis d’un autre. André Linard conclut que le CDJ est conscient de devoir éviter deux écueils : donner par principe raison au public contre les médias ou inversement. 2.8.2. L’autorégulation comme alternative à l’intervention judiciaire ? Selon André Linard, l’autorégulation suscite beaucoup d’attentes parce qu’elle est perçue comme une bouée de sauvetage, entre le recours à la loi et la permissivité totale. À l’heure actuelle, le CDJ n’a pas d’autorité sur l’appréciation des faits comme celle dont dispose un tribunal221 et ne dispose pas d’un pouvoir contraignant ; les sanctions qu’il prononce ne sont pas matérielles ou juridiques (comme le retrait de la carte de presse ou le versement de dommages et intérêts) mais sont d’ordre symbolique puisqu’elles portent sur l’image et la crédibilité du journaliste ou du média mis en cause : les avis et les plaintes ont comme objectif d’attirer l’attention des journalistes et des rédactions sur l’un ou l’autre aspect de leur activité. Jean-Marc Meilleur et François Tulkens estiment que la déontologie, aussi précieuse soit-elle, ne constitue pas un rempart assez solide pour résister à l’influence néfaste des pressions économiques sur le journalisme actuel. Le magistrat de presse du parquet de Bruxelles considère que certains journalistes sont indifférents au seul opprobre, tandis que François Tulkens affirme que la sanction symbolique doit inévitablement se doubler d’une responsabilité civile. Par contre, Mireille Buydens (ULB), Stéphane Rosenblatt et Jean-Pierre Jacqmin considèrent que la sanction morale du CDJ peut être plus efficace qu’une sanction administrative ou judiciaire. Benoît Frydman et André Linard rappellent, pour leur part, que le CDJ n’a pas pour mission de réprimer ou de censurer mais de rappeler les règles du métier aux journalistes, dans une logique de prévention et d’encouragement à l’excellence. En référence au principe de séparation des pouvoirs, Olivier Basile se dit opposé à ce qu’un organe de régulation dispose d’un pouvoir de sanction étendu, ce qui doit rester la prérogative exclusive de la justice. Marc de Haan, Jean-Pierre Jacqmin et Stéphane Hoebeke estiment qu’il serait judicieux de renforcer le pouvoir de sanction symbolique du CDJ en imposant aux médias de publier les avis de ce dernier. Les décisions du 221 Benoît Frydman fait néanmoins remarquer que les règles de la déontologie peuvent servir de critère de référence pour un magistrat chargé d’apprécier le caractère délictueux ou non du comportement d’un professionnel. Voir à propos de la responsabilité civile des journalistes le point 2.3.3 du présent rapport. 270 Chapitre 3 CDJ sont aujourd’hui diffusées par l’organe d’autorégulation lui-même (via l’Internet, la communication directe avec les médias et les revues professionnelles). Différents intervenants se prononcent donc en faveur d’un élargissement du pouvoir contraignant du CDJ : celui-ci pourrait obliger les médias mis en cause à publier les avis qui les concernent. Comme le signalent les opérateurs télévisuels, il conviendrait d’adapter le mode de publication en fonction des supports (comme pour le droit de réponse). Jean-Pierre Jacqmin propose que le CDJ publie également les avis et les plaintes qui seraient reçues positivement. La Ligue des droits de l’homme souhaite pour sa part que, dans une logique d’autorégulation, ce soit les éditeurs qui s’engagent euxmêmes à publier les avis négatifs ou positifs du CDJ qui les concerne. 2.8.3. Des pistes pour renforcer le rôle et l’efficacité du CDJ La première et principale proposition qui vise à améliorer le fonctionnement du CDJ porte sur les procédures qui, aux yeux de nombreux observateurs, apparaissent comme perfectibles et qui font d’ailleurs l’objet d’ajustements réguliers. - - Alain Strowel et Jean-Pierre Jacqmin estiment nécessaire de modifier les procédures du CDJ afin de permettre les débats contradictoires et de garantir le respect de la défense. Face à cette volonté de « judiciariser » le mode de fonctionnement de l’organe de l’autorégulation, André Linard et Martine Simonis défendent plutôt l’idée que le CDJ n’est pas un tribunal et qu’il convient, en ce sens, de garder une certaine souplesse dans les procédures tout en maintenant équité et rigueur dans le traitement des dossiers. Pierre-François Docquir suggère qu’à l’instar du CSA, le CDJ accompagne, dans une logique d’éducation aux médias, les personnes dans la formulation et le suivi de leur plainte (qu’actuellement elles doivent elles-mêmes mettre en lien avec les principes déontologiques du journalisme). Le vice-président du CSA ajoute qu’il serait également important de prendre en considération toute plainte (qu’elle soit jugée fondée ou non) en la considérant comme une « alerte du public qui doit être entendue ». Jean-François Dumont répond que le CDJ dispose de moyens beaucoup plus limités que ceux du CSA, que la plupart des plaintes jugées irrecevables par le CDJ relèvent d’une divergence d’opinion et que l’exigence de formuler une plainte en termes de déontologie participe également à l’éducation aux médias. Atelier 3 : « liberté d’expression » 271 La deuxième proposition relative au rôle du CDJ se rapporte à l’idée d’une labellisation des médias de qualité, que d’aucuns appellent de leurs vœux. Ainsi, Pierre-Arnaud Perrouty considère qu’il serait intéressant de labelliser les sites d’information qui s’engageraient à respecter scrupuleusement la déontologie journalistique en recoupant et en respectant leurs sources. Le label pourrait être auto-attribué ou conféré par une instance déontologique. André Linard précise que le travail de codification (que le CDJ devrait clôturer pour la fin 2013) pourrait conduire à la création d’un tel label. Jean-François Dumont estime que l’idée de labellisation résout moins de questions qu’elle n’en pose (au niveau, notamment, des critères et de l’instance de labellisation…) et que la seule solution viable consiste en une auto-labellisation. La troisième proposition est formulée par Alain Strowel et Stéphane Rosenblatt qui préconisent d’élargir la visibilité du CDJ, au-delà du secteur médiatique. Dans une idée d’ouverture, le CDJ devrait développer des collaborations avec d’autres instances de la Fédération Wallonie-Bruxelles afin de devenir un référent pour les professionnels mais aussi pour un large public. Une fois établi, le code déontologique pourrait être diffusé à l’attention des journalistes citoyens, des jeunes (via des programmes d’éducation aux médias) et de tous les acteurs de la communication, c’est-à-dire les journalistes, les éditeurs, mais aussi les annonceurs et les hébergeurs, les fournisseurs d’accès et les intermédiaires de paiement en ligne. RECOMMANDATIONS 1° Extension des compétences et moyens d’action du CDJ Une quasi-unanimité s’est dégagée, parmi les intervenants, pour souligner l’importance du travail du Conseil de déontologie journalistique, mis en place en 2009, et pour encourager le développement de son action, même si l’étendue (trop) limitée de son champ d’action a été regrettée par certains. A côté de son rôle de régulateur déontologique des médias (via ses avis sur plaintes), et de sa compétence pour formuler des recommandations générales et codifier la déontologie, l’importance de sa mission d’information, tant à l’égard des professionnels qu’à l’égard du public, a été soulignée. Il est recommandé qu’elle soit encouragée et mise en 272 Chapitre 3 avant. Des moyens supplémentaires doivent être donnés au CDJ. Le CDJ devrait par ailleurs pouvoir participer activement, sur le plan de la déontologie, à l’éducation aux médias. Une concertation sur ce point devrait être mise en place avec le Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM) de la Communauté française. 2° Distinction entre l’autorégulation et l’action judiciaire Le régulateur déontologique ne peut toutefois pas se substituer aux autres voies de régulation et spécialement à la voie judiciaire. Néanmoins, l’importance de ses avis sur le plan déontologique et les conséquences juridiques qu’ils peuvent avoir sur les procédures judiciaires imposent que la procédure suivie par le CDJ dans le cadre de sa compétence d’avis sur plaintes soit respectueuse des droits de la défense et particulièrement du principe du contradictoire222. Il est recommandé de laisser au CDJ le soin, en fonction de l’expérience acquise au cours de ses premières années de fonctionnement, d’adapter en ce sens, si nécessaire, ses procédures internes. 3° Publication des avis du CDJ Un renforcement des mesures que pourrait prendre le CDJ doit être envisagé. Il faut toutefois tenir compte de l’importance symbolique des avis du CDJ qui sont déjà manifestement influents au sein des rédactions et à laquelle le CDJ est sensible. La mesure la plus souvent invoquée réside dans une plus large publicité donnée à ses avis. Il est recommandé d’imposer une obligation de publication de ceux-ci par les médias concernés. Se pose toutefois la difficulté d’un traitement discriminatoire entre la presse écrite et la presse audiovisuelle. Dès lors que les médias ont actuellement tous recours à Internet pour diffuser l’information qu’ils développent via leurs supports spécifiques, il est recommandé qu’une publication systématique des avis du CDJ sur les sites des médias mis Qui doit néanmoins être aménagé pour permettre aux journalistes/médias de se défendre utilement tout en respectant le secret de leurs sources. 222 Atelier 3 : « liberté d’expression » 273 en cause soit envisagée. Cette publication devrait répondre aux mêmes règles que celles recommandées pour la diffusion d’une réponse (voy. les recommandations formulées sous le point 6). 2.9. De l’équilibre entre liberté d’expression et protection de la vie privée Questions 2.9.1 Faut-il mettre en place un régime particulier de protection de la vie privée (ici, plus spécialement : droit à l’honneur et à la réputation), avec éventuellement des actions spécifiques ou le régime actuel (droit/actions) est-il satisfaisant ? 2.9.2 Plus généralement, comment doivent s’agencer les droits protégés par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (protection de la vie privée) avec ceux reconnus par l’article 10 (liberté d’expression) ? 2.9.3 Faut-il prévoir un régime juridique particulier pour la protection de l’individu mis en cause par la presse en matière de présomption d’innocence ? En ce qui concerne l’équilibre qu’il convient d’établir entre liberté d’expression et protection de la vie privée, la juge Sophie Annaert, Stéphane Hoebeke et Benoît Frydman prennent pour référence la jurisprudence de la CEDH : celle-ci s’avère très favorable à la liberté de la presse puisqu’elle n’admet d’intervention préventive à l’égard des médias que pour répondre à un besoin social impérieux, et non pour défendre un droit privé, aussi important soit-il. Olivier Basile réaffirme qu’il convient de préférer l’excès de liberté à la restriction et que les personnes doivent assumer la publicité qu’elles donnent à leur image et à leur opinion. Pour sa part, François Tulkens regrette qu’au vu de l’extinction des mesures préventives et répressives vis-àvis de la liberté d’expression et au vu de l’immunité pénale du délit de presse, la jurisprudence fasse à ce point pencher la balance en faveur de la liberté 274 Chapitre 3 d’expression au détriment de droits fondamentaux (qui sont le droit à la vie privée, à l’honneur, à la réputation et à la présomption d’innocence). Par contre, pour Benoît Frydman, la liberté de la presse ne peut être considérée comme un droit subjectif qui doit être mis en balance avec d’autres droits et libertés concurrents. Selon Alain Strowel, les droits de la personnalité (que sont le droit à l’honneur, le droit à l’image, le droit à la vie privée, le droit d’auteur) sont, pour l’instant, éparpillés dans la législation belge et gagneraient à être codifiés, comme en Suisse où un chapitre sur les droits de la personnalité a été intégré au Code Civil. L’articulation entre les articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (qui portent respectivement sur le droit à la vie privée et sur la liberté d’expression) ne sera possible que par le biais de pondérations appliquées par les juges. Ces principes de pondération, tels qu’ils sont régulièrement appliqués par la CEDH, devraient, eux aussi, être codifiés, voire inscrits dans la déontologie. Sur la base de leur expérience de terrain, les porte-parole de l’AJP, de la FTL, de RTL et de la RTBF se disent satisfaits de l’équilibre actuellement ménagé entre protection de la vie privée et liberté d’expression. Pour défendre les droits de la personne, les possibilités de recours apparaissent comme nombreuses et suffisantes, qu’il s’agisse du droit de réponse et de rectification, des poursuites civiles ou pénales ou de l’autorégulation des médias. Pour renforcer le droit des personnes, l’AJP préconise de développer les droits de rectification et de communication (voir le point 5) et d’améliorer la formation des journalistes en la matière. Par son avis relatif aux « droit à l’image, droit à l’oubli, droit à l’information » dont il a été question dans le point 7, le CSA a rappelé le principe élémentaire de l’autorisation préalable (des personnes non publiques qui seraient représentées) et a donc exclu le droit à la rétractation unilatérale des images par les personnes représentées223. Concrètement, le CSA recommande aux éditeurs d’informer le plus clairement possible le public au sujet des modalités de rétractation ou d’introduction d’une plainte. L’idée est de simplifier, de la sorte, l’exercice du droit à l’image et à la vie privée. Enfin, les éditeurs et journalistes auditionnés s’opposent à l’introduction, dans le secteur médiatique, d’un régime relatif à Le neuvième alinéa de cet avis stipule que « Tant pour la première diffusion que pour les diffusions ultérieures qui pourraient intervenir du fait d’un recours aux archives, le Collège note qu’en droit belge, la jurisprudence et la doctrine ne reconnaissent pas de manière unanime l’existence d’un droit de rétractation. Tout retrait éventuel doit donc de préférence passer par un accord entre la personne et le service de médias. Ce retrait pourra, le cas échéant, donner lieu à une indemnisation en faveur du service de médias ». Voir http://csa.be/system/documents_files/1020/ original/CAV_20090609_droit_image.pdf?1299596348 (consulté le 15 mars 2013), p. 3. 223 Atelier 3 : « liberté d’expression » 275 la présomption d’innocence qui briderait la liberté d’informer224 . À ce sujet, Martine Simonis, Pierre-François Docquir et Jean-Jacques Jespers estiment qu’en matière de présomption d’innocence, le juste équilibre ne peut venir que de la déontologie journalistique qui prescrit le respect du droit à l’honneur et à la réputation d’une personne ; cela implique que les journalistes ne peuvent porter atteinte à ce droit que si l’information revêt une importance sociétale et est issue d’une enquête sérieuse et contradictoire. RECOMMANDATIONS Les experts n’estiment pas devoir formuler de recommandation générale s’agissant des situations de conflits entre droits fondamentaux qui doivent s’apprécier au cas par cas. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme indique clairement les critères qui doivent être retenus pour assurer l’équilibre entre le respect de la liberté d’expression (art. 10 de la Convention) et le respect d’autres droits et libertés, principalement le droit au respect de la vie privée (art. 8) et le droit à la présomption d’innocence (art. 6 § 2). Sur le plan interne, un large accord se dessine sur le fait qu’un équilibre satisfaisant semble actuellement être ménagé entre protection de la vie privée et liberté d’expression. 2.10. Des rapports entre presse et justice Questions 2.10.1 Quel rôle la presse doit-elle jouer eu égard à la notion de « publicité des audiences » ? 2.10.2 Faut-il revoir l’accès aux informations judiciaires (sensu lato), en ce compris l’accès aux audiences ? 224 Voir, à ce sujet, le point 2.1.1. du présent rapport. 276 Chapitre 3 2.10.1. Pour une clarification et une systématisation de l’accès aux audiences Aux yeux de nombreux intervenants, l’autorisation d’accès de la presse écrite, radiophonique et télévisuelle au prétoire constitue le meilleur moyen pour rendre effectif le principe constitutionnel de la publicité des audiences et renforcer par-là même le contrôle démocratique sur le fonctionnement de la justice. Pourtant, à l’heure actuelle, cet accès ne fait l’objet d’aucune loi et est soumis au pouvoir discrétionnaire des chefs de corps des juridictions (avec la conséquence regrettable qu’il n’existe pas de règle générale et prévisible en la matière). François Tulkens, François Jongen, Benoît Frydman, Jean-Pierre Jacqmin, Laurence Vandenbroucke, Martine Simonis et Marc de Haan estiment qu’une telle situation porte gravement atteinte à la liberté d’expression : hors l’hypothèse exceptionnelle de l’huis clos, il ne peut être question de restreindre l’accès de la presse aux audiences et aux décisions de justice. Les mêmes intervenants affirment par conséquent qu’un cadre juridique clair doit être instauré dans ce domaine (comme c’est le cas en Allemagne, au Canada et en France), afin de favoriser la publicité effective des audiences. L’autorisation systématique de l’accès des médias au prétoire permettrait d’ailleurs d’organiser cette présence et donc de ne pas perturber la sérénité de l’audience (par exemple, via un système de caméras fixes intégrées à la salle d’audience ou la création d’un pool partagé par les différents médias). Selon l’AJP, un véritable droit d’accès à l’information en matière judiciaire serait un réel progrès à la fois pour les journalistes et pour le public. Pierre-Arnaud Perrouty souligne, lui aussi, la nécessité d’établir un équilibre entre la sérénité du débat judiciaire et le droit du public d’être informé et fait remarquer que les médias rencontrent de plus grandes résistances encore, quand il s’agit de pénétrer d’autres lieux comme des prisons ou des centres fermés… Pour le président du tribunal de première instance de Bruxelles, Luc Hennart, la mise au point d’un protocole général relatif à l’accès des médias aux audiences s’avère superflue dans la mesure où la situation actuelle est jugée globalement satisfaisante. Tel qu’il a été mis en œuvre à Bruxelles, le retour aux fondamentaux, c’est-à-dire au pouvoir discrétionnaire du magistrat qui préside les débats, fonctionne très bien. Si un accès est toujours ménagé à destination du public et de journalistes de la presse écrite, la question de la présence des caméras s’avère plus délicate. En effet, pour Luc Hennart, il est indéniable que la présence d’une caméra a des effets sur le déroulement Atelier 3 : « liberté d’expression » 277 de l’audience et représente un risque de « mise en scène de l’intervention des juges », ce qui ne correspond à la finalité de la fonction des magistrats. Le journaliste français Denis Robert pense aussi que l’introduction d’une caméra dans le tribunal induit des jugements sous pression de l’opinion. À cela s’ajoute, selon Luc Hennart, le risque qu’un média diffuse la décision d’un tribunal à destination du grand public avant que les parties concernées n’en soient elles-mêmes informées. Sophie Annaert et Luc Hennart admettent toutefois que la mise en place d’un équipement audiovisuel discret serait largement préférable à l’intrusion d’une quinzaine de caméras dans une salle d’audience. Par contre, en cas de dérapage, un recours devrait être introduit par le juge lui-même qui serait alors dans une position particulièrement délicate. Sophie Annaert décèle, enfin, une tendance inverse inquiétante qui se dessine dans le mode d’exercice de la justice puisque le législateur a sensiblement limité la publicité des audiences pour les matières familiales, sans que cela n’ait apparemment suscité d’opposition des barreaux, ce qui réduit fortement le contrôle social sur de telles procédures traitées dorénavant en chambre du conseil (et donc à huis-clos). Jean-Marc Meilleur estime, pour sa part, qu’il appartient à la justice de définir et de gérer le principe fondamental de la publicité des audiences. La justice doit s’adapter aux techniques modernes et donc, selon lui, systématiser la présence des caméras dans les prétoires. Dans les grandes instances internationales (comme la CEDH), les audiences sont automatiquement filmées en plan fixe et retransmises en direct sur la toile. Ce système permet à la justice d’assurer la publicité des audiences tout en garantissant une certaine objectivité aux images diffusées. Dans un monde idéal, le Service Public Fédéral de la Justice devrait instaurer un système général pour la publicité des audiences et équiper toutes les salles de tribunal de caméras fixes. Face à cette proposition, JeanPierre Jacqmin et Simon-Pierre De Coster considèrent, d’une part, que la couverture de toute l’actualité judiciaire s’avère irréalisable et extrêmement coûteuse (vu la multiplicité des tribunaux) et, d’autre part, qu’il revient aux journalistes, et non aux magistrats, de décider de l’opportunité de couvrir une audience. Selon Luc Hennart, au niveau des juridictions nationales, les esprits doivent encore mûrir pour accepter un tel mode de diffusion des décisions de justice. Se pose enfin la question du respect du droit à l’image des accusés qui comparaissent devant le tribunal. Une circulaire émise en 2011 par le premier président de la cour d’appel de Bruxelles a fait primer ce droit de la personne sur le droit à l’information allant jusqu’à interdire les croquis d’audience. Luc 278 Chapitre 3 Hennart estime que le souhait de ne pas être filmé est un droit qui ne se discute pas et regrette le manque de retenue des médias au moment de l’instruction, ne fût-ce que par respect pour le principe de présomption d’innocence. Par contre, Martine Simonis et Jean-François Dumont dénoncent le primat du droit à l’image sur le droit à l’information. Jacques Englebert déplore, lui aussi, l’évolution du système judiciaire qui tend à surprotéger la personne poursuivie en lui attribuant à tort des droits (comme le droit à l’image) dans un procès pénal et ce, en dépit du fait que le temps du procès, l’accusé devienne un personnage public. Jean-François Dumont ajoute que ce déséquilibre est d’autant plus étonnant qu’il correspond à une situation hypocrite, puisque l’image du prévenu est largement diffusée avant et après le procès. 2.10.2. Des rapports parfois tendus entre presse et justice Stéphane Rosenblatt et Martine Simonis posent tous les deux le constat global que les rapports entre la presse et la justice sont marqués par un manque de cohérence et de régulières crispations. L’AJP préconise de renforcer le dialogue entre ces deux mondes via l’entremise éventuelle du CDJ et du Conseil Supérieur de la Justice. Elle exprime, en outre, son souhait d’être associée à l’éventuelle réouverture du débat relatif à cette thématique, comme cela a été le cas lors de l’élaboration de la circulaire « presse-justice » des procureurs généraux en 1999. Chargée d’organiser la communication des parquets et des juges d’instruction à l’attention des médias, cette circulaire a notamment établi l’obligation de nommer un porte-parole du parquet (ou « magistrat de presse »). Cette fonction consiste à organiser des conférences de presse afin de donner des informations à des journalistes et des agences de presse et de répondre aux questions de ceux-ci. Le magistrat de presse du parquet de Bruxelles déplore que la précarité des moyens alloués à la justice contraint les magistrats de presse à assumer d’autres charges. Il souhaiterait, d’ailleurs, libérer plus de moyens pour cette mission d’information de sorte que celle-ci puisse être menée de manière proactive. Luc Hennart signale qu’une volonté existe depuis plusieurs années de créer la fonction de magistrat de presse du siège. En vertu du Code d’instruction criminelle, toute communication de la part du magistrat de presse doit être soumise à l’accord préalable du juge d’instruction. Alors que Luc Hennart considère cette disposition comme légitime, Jean-Marc Meilleur préconise un élargissement des possibilités de communication à la presse qui permettrait d’améliorer considérablement les rapports entre la presse et la justice. Qu’elle soit transmise par voie Atelier 3 : « liberté d’expression » 279 écrite ou orale, la décision du juge d’instruction d’interdire toute forme de communication n’est pas susceptible d’appel, contrairement à ce que le parquet estimerait, dans certains cas, stratégique de faire. À la question de Jean-François Dumont de savoir s’il serait opportun d’instaurer une règle générale qui imposerait de communiquer un minimum d’informations à la presse, Jean-Marc Meilleur estime qu’il vaut mieux laisser le magistrat décider au cas par cas de l’opportunité de communiquer telle ou telle information. Par contre, se pose la question de la complémentarité entre le juge d’instruction et le parquet et plus largement des prérogatives du juge d’instruction qui, dans la situation actuelle, a un rôle déterminant en ce qui concerne les relations entre le parquet et la presse ou entre le parquet et les services de police. Stéphane Hoebeke et Luc Hennart constatent que la tension entre les mondes de la presse et de la justice est particulièrement forte dans les cas de procès intentés par les magistrats contre la presse (comme dans l’affaire qui a vu le journal De Morgen être condamné dans le cadre d’une procédure civile introduite par l’épouse du procureur général de la cour d’appel d’Anvers). Stéphane Hoebeke estime qu’il serait nécessaire, dans ces cas précis, d’établir un régime particulier afin d’éviter que l’affaire ne soit traitée dans le tribunal ou l’arrondissement concerné. Pour Luc Hennart, deux solutions sont envisageables : il conviendrait soit de rappeler le principe selon lequel le juge statue, à chaque fois, de manière spécifique en fonction de circonstances particulières, soit de recréer une forme de jury pour ce type d’affaire, ce qui permettrait de contrer les critiques à l’encontre d’une « justice de classe ». RECOMMANDATIONS 1° Accès aux salles d’audience Le principe constitutionnel de la publicité des audiences impose qu’un accès de principe aux salles d’audiences, réel et effectif, soit reconnu aux médias, sans discrimination. En cette matière, le pouvoir discrétionnaire des magistrats n’est pas admissible. Il est dès lors recommandé, d’une part, de garantir le principe de cet accès dans un texte applicable en toutes circonstances et, d’autre part, de fixer les modalités pratiques de cet accès en tenant compte des particularités de certains médias et de la nécessité de ne pas perturber la sérénité des débats judiciaires. 280 Chapitre 3 En ce qui concerne plus spécifiquement la couverture audiovisuelle de certains procès, il est recommandé qu’une concertation soit mise en place entre les parties prenantes permettant de déterminer, en amont, les procédures justifiant une couverture audiovisuelle et les modalités pratiques et techniques de celle-ci. Sauf exception, le nombre de caméras devrait être limité (en principe à une seule) et leur emplacement dans les salles d’audience fixé à un endroit déterminé. Il est recommandé de recourir à la pratique du « pool »225. La responsabilité éditoriales des enregistrements et dès leur diffusion appartient aux seuls médias. 2° Le respect des personnes mises en cause dans les procédures judiciaires Les procédures judiciaires publiques, tant civiles que pénales, sont des événements d’actualité d’intérêt général, dont la presse a pour mission de rendre compte au public. Toute personne qui est contrainte de subir une procédure judiciaire ou qui décide d’y participer doit admettre qu’en ce qui concerne la procédure et les faits soumis à la justice dans le cadre de celle-ci – et dans cette seule limite –, elle quitte momentanément la sphère privée de sa vie pour entrer dans la sphère du débat public. Il appartient aux médias de déterminer, seuls, s’ils entendent rendre compte d’une procédure judiciaire et de la façon dont ils entendent le faire (par l’écrit, le son et/ou l’image, fixe ou animée : dessins, photographies, vidéo). A l’exception des restrictions à l’information expressément prévues par des lois particulières (par ex. en vue de protéger les mineurs ou les victimes de violences sexuelles), ni le droit à l’image ou le droit à la réputation ne peuvent faire obstacle à la mission de la presse de rendre compte, auparavant ou en même temps, des questions dont connaissent les tribunaux. Il est recommandé de prendre toutes les mesures nécessaires en vue d’assurer la garantie effective de cette mission. 225 Cette pratique se définit comme suit : « certains journalistes sont désignés par leurs confrères pour couvrir un événement et partager ensuite les informations recueillies », Les journalistes et leurs sources – Guide des bonnes pratiques, édité par le DCJ et l’AJP, p. 25 (http://ajp.be/deontologie/guide_des_bonnes_pratiques_CDJ_AJP.pdf). Atelier 3 : « liberté d’expression » 281 3° Les tensions entre justice et médias De tout temps et dans tous les pays, les relations entre la justice et la presse sont tendues. Cette tension n’est pas en soi anormale. Elle découle du fait que presse et justice traitent « du même sujet », mais dans une finalité et avec des moyens qui leur sont propres et qui parfois sont antagonistes. Il est dès lors illusoire de faire disparaître ces tensions. Il s’impose par contre de mettre en œuvre les moyens permettant que ces tensions n’empêchent pas ni ne contrarient le travail respectif de la presse et de la justice, ni qu’elles ne dégénèrent en conflits. Il est recommandé de privilégier les lieux et les instances de rencontres et de discussions entre les acteurs concernés de la justice et des médias. Il est recommandé d’encourager le dialogue entre journalistes et magistrats, de façon informelle et institutionnelle. Les organismes « représentatifs »226 des magistrats (CSJ, Conseil consultatif de la magistrature, IFJ, syndicats de magistrats,…) et des journalistes (CDJ, AJP, les sociétés de journalistes, les associations d’éditeurs,…) devraient être incités à nouer ces dialogues. Une meilleure connaissance et appréhension du travail respectif des uns et des autres serait certainement de nature à réduire les tensions. Il est recommandé de mettre en place la possibilité pour les magistrats d’effectuer des stages au sein des rédactions et pour les journalistes d’effectuer des stages au sein des parquets et des tribunaux. Ces stages pourraient relever des programmes de formations permanentes et/ ou être intégrés, pour les magistrats, dans la période de formation spécifique que constitue le stage judiciaire. Il est encore recommandé de généraliser la fonction de « magistrats de presse » et de lui donner les moyens pratiques d’effectivement nouer un rapport privilégié avec les journalistes227. La notion est mise entre guillemets dès lors que certains de ces organismes ne sont pas stricto sensu représentatifs de la profession concernée. 227 Il est également renvoyé à la recommandation formulée sous le point 2.6 à propos de l’extension du droit de communication par les autorités judiciaires sur les affaires en cours. 226 282 Chapitre 3 2.11. De l’équilibre entre droit d’auteur et liberté d’expression Questions L’invocation d’une violation de droit d’auteur est-elle parfois utilisée pour réduire la liberté d’expression ou la liberté de la presse ? Fautil admettre une défense spécifique basée sur la liberté d’expression dans les cas d’atteintes au droit d’auteur ? Ou les exceptions prévues dans la loi sur le droit d’auteur (compte-rendu d’actualités et citation principalement) suffisent-elles ? Telle qu’elle a été révisée en mai 2005, la loi belge sur le droit d’auteur du 30 juin 1994 prévoit un régime d’exceptions pour l’application de ce droit (en cas de citation, reproduction, communication, compte-rendu d’actualités, parodie, pastiche ou caricature, compte tenu de pratiques honnêtes)228. Si cette loi n’a pas été conçue pour limiter la liberté d’expression, Alain Strowel et Mireille Buydens décèlent deux types de tensions entre le droit d’auteur et la liberté d’expression : la première met en balance le droit d’auteur avec le droit de recevoir des informations et des idées (qui constitue le versant « passif » de cette même liberté d’expression) ; la seconde met le droit d’auteur en rapport avec la liberté de création (qui fait partie intégrante de la liberté d’expression). - D’une part, le droit d’auteur retarde ou interdit l’accès à certains contenus culturels et porte dès lors atteinte à la libre formation des individus. En effet, le titulaire du droit d’auteur peut définir la politique tarifaire de son œuvre, la langue de diffusion de celle-ci sur le marché et ainsi diriger le flux culturel en rendant son œuvre accessible à tel ou tel public ou telle ou telle partie du monde. Alain Strowel ajoute qu’il n’y pas de droit général d’accès à toutes les informations mais une série de droits particuliers d’accès à Le régime d’exceptions prévu par la loi du 30 juin 1994 a été élargi par la loi du 22 mai 2005. Une version actualisée de cette loi est accessible via http://www.sacd.be/IMG/pdf/20121123_Loi_ coordonnee_Fr-DEFdef.pdf (consulté le 15 mars 2013). Mireille Buydens signale que, contrairement à la directive européenne qui prévoit, de manière extensive, une liste d’exceptions en matière de droits d’auteur, les législations nationales en ont défini une liste non-évolutive. La jurisprudence permet cependant une vision extensive de ces exceptions. 228 Atelier 3 : « liberté d’expression » - 283 certaines informations. L’avocat bruxellois décèle, d’ailleurs, une série de blocages au niveau de la mise en œuvre de la transparence administrative (qui est régie par des lois et des règlements édictés par différents niveaux de pouvoir). Il y a souvent des problèmes de droit d’accès à certains documents sur la base du droit d’auteur ou de la protection des informations confidentielles. Selon Alain Strowel, les exceptions prévues par les lois sur la transparence administrative en faveur du droit d’auteur restent à affiner, à l’occasion, par exemple, de la révision de la directive européenne sur la réutilisation des informations du secteur public. D’autre part, le droit d’auteur est susceptible de limiter la liberté d’expression qui peut notamment s’exercer par l’appropriation, la sélection et la publication de contenus culturels. Selon les termes de Mireille Buydens, « l’utilisateur engage les biens culturels (…) au travers d’une variété d’activités allant de la consommation à l’utilisation créative. L’effet cumulatif de ces activités et les interconnexions culturelles inattendues qu’elles exploitent et produisent, produit ce que le système du droit d’auteur nomme et valorise comme le progrès tout en intervenant pour le restreindre ». Alain Strowel souligne qu’il est parfois délicat de distinguer une adaptation229 et une parodie qui, conformément à la loi, relève de la liberté d’expression. Rejoints sur ce point par Benoît Frydman, Mireille Buydens et Alain Strowel dénoncent l’instrumentalisation du droit d’auteur (ou du droit des marques) par des acteurs économiques pour empêcher la diffusion d’informations qui dérangent (dans le cadre de « poursuites baillons » qui découragent et réduisent au silence des personnes qui exercent leur liberté d’expression et participent légitimement au débat public230) ou, plus prosaïquement, pour obtenir des dommages et intérêts (dans une logique de copyright trolling). Alain Strowel estime d’ailleurs nécessaire d’établir des règles déontologiques qui encadreraient le bon usage du droit d’auteur et du droit des marques, à destination des différents acteurs, dont les publicitaires231. Dans le cas d’une adaptation, l’œuvre seconde tombe sous le contrôle de l’auteur de l’œuvre originale. 230 Dans sa contribution écrite, Denis Robert estime que la loi sur la diffamation est trop souvent instrumentalisée pour nuire à la liberté de la presse et museler la liberté d’expression. Il revendique, dans ce sens, le droit de diffamer et suggère la mise en œuvre de mesures qui empêcheraient le dépôt de plaintes à répétition. Voir également le rapport de l’atelier n° 2 des EGMI, pp. 133-134. 231 Ainsi, dans le cadre des affaires Areva et Esso, Alain Strowel estime que les juges auraient dû mieux contrôler les abus et appliquer le droit des marques qui ne permet pas d’interdire les usages 229 284 Chapitre 3 Du point de vue de la jurisprudence, une série d’affaires ont mis en tension le droit d’auteur et la liberté d’expression. Au-delà des conclusions de ces litiges, Mireille Buydens souligne l’intérêt des différents arguments qui y ont été invoqués. - - - - Il en va, par exemple, de l’affaire qui a opposé un ayant droit du peintre Utrillo et France 2 : le plaignant reprochait à la chaîne de télévision d’avoir diffusé, sans autorisation préalable, des œuvres d’Utrillo. Le juge de première instance a admis que le droit d’auteur devait s’incliner devant la protection de la liberté d’expression et a donc estimé que les intérêts du public étaient supérieurs à ceux des ayants droit. Par contre, la Cour de cassation, saisie en novembre 2003 au sujet de la même affaire, a estimé que la chaîne de télévision aurait dû se conformer à la loi puisque celle-ci garantit déjà un équilibre des intérêts entre le droit de l’auteur et la liberté d’expression. Pour sa part, la cour d’appel de La Haye a, par son arrêt du 4 septembre 2003, jugé légitime qu’un internaute étaye son analyse des textes de l’Eglise de scientologie d’une publication in extenso de ses écrits. Dans ce cas, elle a estimé que le droit d’auteur devait s’incliner devant l’article 10 de la Convention européenne. La Cour de cassation belge a dû se prononcer dans une affaire qui opposait des revues fiscales à une entreprise de presse qui résumait des articles de ces revues et les publiait via une base de données en ligne. Dans un arrêt du 25 septembre 2003, elle a fait primer le droit d’auteur sur la liberté d’expression : elle a, en effet, estimé que l’article de la Convention européenne n’est pas véritablement menacé par la loi sur le droit d’auteur qui a comme objet de protéger la forme des œuvres et non leur contenu. Libre à chacun donc de retirer des idées et des informations d’un texte et de s’exprimer à ce sujet. Néanmoins, la Cour de cassation a donné gain de cause aux revues fiscales dans la mesure où les résumés [dont la forme n’a pas été jugée assez originale] avaient, dans ce cas, « le même statut juridique qu’une simple copie », ce qui impliquait que la publication ne pouvait se faire que moyennant l’accord des auteurs232. Dans l’affaire Google c. Copiepresse, les juridictions belges (de première instance en février 2007 et en appel en mai 2011) ont reconnu Google secondaires parodiques surtout par des organisations non commerciales ou des militants. 232 http://www.internet-observatory.be/internet_observatory/pdf/legislation/cmt/jur_be_200309-25_cmt_fr.pdf (consulté le 15 février 2013), p.6. Atelier 3 : « liberté d’expression » - 285 coupable de violer les droits des auteurs et des éditeurs233. Google n’est donc pas parvenu à faire prévaloir sa liberté d’expression sur le respect des droits des éditeurs et des journalistes. Enfin, Bart Van Besien mentionne la récente décision de la CEDH relative aux rapports entre droit et liberté d’expression. Le 10 janvier 2013, la CEDH a légitimé la décision de la France qui avait condamné des photographes de presse et qui les avait contraints de payer des dommages et intérêts aux maisons de couture. Ces photographes avaient diffusé, sur un site commercial, des clichés d’un défilé de mode, sans accord préalable des maisons de haute couture concernées. Dans ce cas, la CEDH a estimé que l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression était justifiée puisqu’elle visait à protéger les droits (d’auteur) d’autrui234. Selon Alain Strowel, Simon-Pierre De Coster, Stéphane Rosenblatt et Philippe Nothomb, la loi belge sur le droit d’auteur constitue un cadre juridique satisfaisant : elle fournit les ressources juridiques qui permettent de ménager un équilibre entre protection des droits d’auteur et protection de la liberté d’expression. En effet, il n’est généralement pas nécessaire de faire référence à la liberté d’expression pour limiter le droit d’auteur et ce, grâce au régime d’exceptions prévu par la loi. Si Alain Strowel reconnaît qu’il faudrait introduire de nouvelles exceptions aux droits d’auteur dans le domaine de l’enseignement, il préconise de ne pas modifier le système qui prévaut dans le secteur médiatique, afin d’empêcher les grands opérateurs économiques de profiter de l’effritement du droit d’auteur. Philippe Nothomb ajoute, à ce propos, qu’une réflexion s’impose au sujet des droits des éditeurs qu’il conviendrait de mieux défendre contre les intermédiaires techniques, tout en se gardant de porter atteinte aux droits d’auteur des journalistes eux-mêmes. Jacques Englebert fait remarquer, pour sa part, que les demandes d’interdiction et de diffusion de contenus invoquent parfois le droit d’auteur comme argument pour limiter la liberté d’expression. Ainsi, le tribunal de première instance de Bruxelles a estimé que l’émission radiophonique du « jeu des dictionnaires », dont une séquence avait brocardé Maurice Carême et cité un des poèmes de celui-ci, avait porté atteinte au droit d’auteur : il était interdit, dans ce cas, de reproduire l’œuvre de l’écrivain puisque la séquence Voir le rapport synthétique de l’atelier n° 1 des EGMI, p. 59. Voir l’analyse de cet arrêt par Quentin Van Enis, http://e-watchdog.overblog.com/la-sanctionresultant-de-la-violation-d-un-accord-d-exclusivite-n-est-pas-en-soi-constitutive-d-une-violation-de-la-liberte-d-e (consulté le 15 mars 2013). 233 234 286 Chapitre 3 ne répondait pas à la définition légale d’une parodie (cette décision a toutefois été réformée en appel). À partir du cas précis de la réalisation d’émissions culturelles, Marc De Haan estime que les exceptions prévues par la loi (en termes de citation et de compte-rendu d’actualités) ne sont pas suffisantes : la réalisation d’agendas culturels (qui impose de diffuser des images d’œuvres artistiques) se heurte fréquemment à l’exigence de paiement de droits d’auteur tellement élevés qu’ils en deviennent dissuasifs. Ainsi, la protection du droit d’auteur entrave l’accomplissement d’une mission de service public des télévisions locales, en l’occurrence, l’éducation permanente. Marc De Haan plaide ainsi pour une application plus large et plus ouverte des droits d’auteur quand des contenus sont diffusés dans une logique d’information et non dans un but lucratif. Stéphane Hoebeke signale que, comme l’a déjà fait la RTBF, il est possible, face à des exigences ou à des tarifs disproportionnés, de dénoncer un abus de droit235. Dans la pratique, la RTBF et RTL rencontrent rarement ce problème puisque ces deux opérateurs audiovisuels ont négocié des contrats globaux avec les sociétés de gestion collective de droits (SACD, SOFAM) et les agences de presse et d’images afin d’utiliser librement leurs catalogues. Simon-Pierre De Coster ajoute qu’il conviendrait de promouvoir un système de licence globale transfrontalière pour gérer les droits d’auteur et les droits voisins relatifs aux contenus publiés sur le web, afin de pouvoir les utiliser de la manière la plus large possible (sur différents supports). Mireille Buydens admet qu’en Belgique, il est possible de tirer profit de la théorie générale de l’abus de droit mais préconise d’insérer une telle clause anti-abus dans la loi sur les droits d’auteur, afin de clarifier la situation. À titre d’exemple, le Code de propriété intellectuelle français comprend une clause contre les « abus notoires dans l’usage et le non-usage des droits d’exploitation », abus qui sont d’ailleurs moins le fait d’auteurs que d’ayants droit… En cas d’abus dans l’usage ou le non-usage des droits d’auteur, par l’auteur ou par ses ayants droit, le président du tribunal de commerce ou de première instance pourrait, en vertu d’une telle clause, ordonner des mesures appropriées. RECOMMANDATIONS Si la presse a parfois été limitée dans son expression par une action invoquant une atteinte à un droit d’auteur des 235 Dans le cadre d’un documentaire consacré à un peintre qui a été collaborateur pendant la Seconde Guerre mondiale, la RTBF s’est heurtée au désaccord des ayants droit a invoqué l’abus de droit de la Sofam et a obtenu gain de cause. Atelier 3 : « liberté d’expression » 287 tiers, la jurisprudence très récente de la Cour européenne des droits de l’homme (notamment un arrêt du 10 janvier 2013, Ashby Donald c. France et une décision du 19 février 2013, Neij & Sunde Kolmisoppi c. Suède) réaffirme clairement que la liberté d’expression (ce qui comprend la liberté de la presse) ne peut subir de restriction résultant de la protection du droit d’auteur que si cette restriction est prévue par la loi et est nécessaire dans une société démocratique. La Cour a indiqué que le droit d’auteur étant lui-même protégé comme un droit fondamental, les Etats disposent d’une large marge d’appréciation qui varie toutefois selon le type d’expression concerné, ce qui paraît indiquer que les informations de presse sur des questions d’intérêt général pourraient peser plus lourd dans la balance des intérêts entre protection du droit intellectuel et liberté de la presse. La Cour de cassation belge qui refusait jusqu’à présent de tenir compte de la liberté d’expression comme un moyen de défense propre, dans les cas où aucune exception au droit d’auteur prévue par la loi ne pouvait être invoquée, devra se conformer à cette position claire de la Cour européenne Approuvant l’évolution jurisprudentielle de la Cour européenne, les experts estiment qu’aucune recommandation n’est nécessaire.236 Les annexes relatives aux recommandations de l’atelier 3 sont renvoyées à l’Annexe générale en fin de cet ouvrage. 236 Chapitre 4 Recommandations transversales présentées par Carine Doutrelepont, Marc Isgour, Pierre-François Docquir et Jean-François Raskin recommandations transversales 291 Biographie des experts M. Pierre-François Docquir est chercheur et expert dans le domaine du droit européen et comparé des droits fondamentaux, et du droit et de la régulation des médias et des “nouveaux” médias. Il a été avocat (Bruxelles, 2000-2004) avant de revenir à l’université pour la préparation d’une thèse de doctorat. Il a obtenu le titre de docteur en droit en 2009 (ULB) ; sa thèse s’intitule “La liberté d’expression dans le réseau mondial de communication: propositions pour une théorie du droit d’accès à l’espace public privatisé” (prix Alice Seghers 2010). Il est membre du comité de rédaction de la Revue du droit des technologies de l’information et est chercheur associé auprès d’Etopia. Me Carine Doutrelepont est avocate au Barreau de Bruxelles, ainsi qu’au Barreau de Paris, membre fondateur de l’association « Doutrelepont et associés » et docteur en droit de l’Université Libre de Bruxelles. Elle enseigne le droit des médias, la propriété intellectuelle et le droit européen à la Faculté de droit ainsi qu’à l’Institut d’Etudes européennes. Son expertise concerne le droit des médias, national et international. A ce titre, elle intervient dans différentes négociations stratégiques dans le secteur de la câblodistribution, des télécommunications et des technologies de l’information. Elle pratique également la propriété intellectuelle et, en particulier, le droit d’auteur, le droit des marques et des brevets devant les instances nationales et européennes ou encore arbitrales. Attachée à la défense des libertés publiques, elle mène des actions en droit de la presse, ainsi qu’en matière de lutte contre les discriminations. Enfin, Me Carine Doutrelepont est experte auprès de la Commission européenne. Me Marc Isgour est avocat au Barreau de Bruxelles depuis 1991et spécialisé en droit de la communication et de l’information, ainsi qu’en droit des médias (audiovisuel, publicité, informatique et Internet, droit à l’image, protection de la vie privée, responsabilité civile et pénale), matières qu’il enseigne à l’Université de Liège en qualité de maître de conférences (depuis janvier 2008) et à l’Université Libre de Bruxelles, en tant que chargé de cours suppléant (2005-2006) et d’assistant). Il possède également une maîtrise toute particulière du droit de la propriété intellectuelle. Il est l’auteur de nombreuses publications dont un ouvrage de référence sur le droit à l’image et participe régulièrement en qualité d’orateur à des colloques et conférences. Enfin, après avoir été membre suppléant du Collège de la Publicité du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), puis du Collège d’avis de ce même Conseil 292 Chapitre 4 pendant cinq ans et demi, Marc Isgour a été, de mai 2007 à juillet 2011, membre du Collège d’Autorisation et de Contrôle du CSA. M. Jean-François Raskin a obtenu son master et son doctorat en sciences, orientation informatique, à l’Université de Namur (FUNDP), respectivement en juin 1995 et avril 1999. Entre 1995 et 1999, il a été aspirant et chargé de recherche au Fonds national de recherche scientifique (FNRS). Il a travaillé sur le thème “decidability,complexity and expressiveness of formalisms for reasoning about real-time systems”. Après plusieurs séjours de recherche à l’Université de Californie à Berkeley, au “Max-Planck Institut for Computer Science” (Saarbrücken), et à l’ENS Paris, il est actuellement professeur au département informatique de l’ULB. Il y enseigne des matières liées à l’informatique théorique : “logique informatique”, “computability and complexity” et “vérification 2”. Il est également secrétaire du groupe d’Informatique fondamentale du FNRS belge. recommandations transversales 293 1. Introduction Le comité de pilotage des EGMI nous a confié la tâche de dégager de l’ensemble des travaux les principales recommandations qui peuvent être adressées aux différents niveaux de pouvoir politique en Belgique et dans l’Union européenne. Outre le pouvoir compétent, nous avons distingué les initiatives qui nous semblent pouvoir être mises en œuvre rapidement des projets dont la réalisation devrait nécessairement s’étaler sur un plus long terme. Par exemple, la création d’un observatoire des médias est souhaitée par plusieurs intervenants lors des ateliers 1 et 2 : nous reprenons cette idée en suggérant que la mise en place d’une telle structure soit précédée, à court terme, d’un exercice de coordination entre différentes institutions existantes. L’on peut observer, au passage, que les évolutions récentes du paysage de la presse en Fédération Wallonie-Bruxelles rendent d’autant plus utile un suivi attentif de celles-ci par les autorités publiques. Dans ce contexte, la pertinence d’un observatoire des médias apparaît comme renforcée. La méthodologie impartie par le Comité de pilotage impliquait de dégager des convergences et de dresser des synthèses nécessitant une présentation par thématique plutôt que par ateliers. Ce travail de synthèse requérait, par conséquent, d’élaguer les textes et d’écarter des propositions redondantes ou qui, bien qu’intéressantes, ne nous ont pas paru appeler d’intervention de la part du monde politique ou du législateur (telle la création de structures intermédiaires du type Merveille ou SMArt237 ou, encore, de manière générale, ce qui relève du domaine des conventions collectives), de même que celles qui ne sont pas propres au secteur du journalisme et justifieraient une réflexion plus globale (travail des étudiants, tel qu’abordé dans l’atelier 2 (recommandation 6, p. 172). Certains auront inévitablement l’impression que nous avons négligé les recommandations qu’ils ont portées, ce dont nous nous excusons d’emblée, soucieux de répondre à la demande du Comité de pilotage. Nous n’avons pas procédé à de nouvelles auditions ; nous avons travaillé dans un esprit d’indépendance et dans un souci de pragmatisme. Pour autant, nous n’avons pas toujours partagé une opinion commune : les avis minoritaires de l’un ou l’autre sont signalés comme tels dans le texte. 237 Voy. le rapport des experts de l’atelier 2, p. 171. 294 Chapitre 4 Enfin, nous avons pris en considération l’évolution du contexte technologique, économique, social ou juridique, et celle propre à l’univers médiatique, depuis le début de ce vaste processus de consultation. Ainsi, par exemple, l’atelier 1 précédait la conclusion du nouveau contrat de gestion de la RTBF, et celuici a apporté certaines réponses, fût-ce de façon provisoire, au différend qui opposait les éditeurs de presse écrite au média de service public quant aux activités en ligne de ce dernier. Ces réponses font elles-mêmes l’objet de débats judiciaires qui se poursuivent en degré d’appel, et de contestations auprès de la Commission européenne. Dès lors, il ne nous a pas semblé opportun de réexaminer des recommandations sur des points sur lesquels le pouvoir politique s’est récemment prononcé, l’évaluation de ces solutions ne relevant pas de la présente mission. L’évolution du paysage médiatique se caractérise par une difficulté croissante à maintenir les distinctions entre les métiers traditionnels de l’écrit et de l’audiovisuel. Dans un tel contexte de convergence, l’action des pouvoirs publics doit, à notre sens, s’adresser aux médias de façon générale sans nécessairement préserver des catégorisations rendues obsolètes par l’évolution des technologies. Outre la sauvegarde du pluralisme et de la diversité des contenus, ainsi que de la qualité de l’information, cette action nous paraît devoir se concentrer sur l’innovation, l’expérimentation et la formation afin de favoriser le maintien et le développement harmonieux du secteur des médias de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans l’environnement numérique. Enfin, au regard de la complexité du cadre institutionnel belge et de la dispersion des compétences relatives aux médias entre les différents niveaux de pouvoir, nous recommandons la mise en place d’une coordination efficace des politiques publiques en matière de médias et partageons la recommandation des experts de l’atelier 1 selon lesquels « une structure de coordination des politiques menées aux différents niveaux de pouvoir doit être instituée afin d’assurer un traitement transversal maximal des problématiques»238. 238 Point 2°, page 93 du rapport des experts de l’atelier 1. recommandations transversales 295 Contexte : « Tous les intervenants sont tombés d’accord sur le fait que l’on assistait en Belgique francophone, comme ailleurs dans le monde, à une mutation rapide et importante des médias marquée par le développement de l’Internet et de divers supports de communication, notamment mobiles. Cette mutation, caractérisée par une convergence des médias sur les différentes plates-formes numériques, affecte en profondeur aussi bien le système de production, et notamment le travail des journalistes, que les systèmes de distribution, de commercialisation et enfin de consommation des médias. Tous les médias «historiques» d’information : presse, radio et télévision sont concernés. La segmentation des médias s’adressant à des publics distincts et consommant de manière différente, parfois complémentaire, est abandonnée au profit d’une concurrence de plus en plus forte entre les divers médias qui rétrécissent leur marché respectif et se disputent les marchés émergents. L’arrivée de ces nouveaux modes de diffusion et de consommation modifie, en effet, la concurrence habituelle inter et intra média sur ces deux marchés : marché des acheteurs et marché des annonceurs. La facilité d’accès qu’offrent les médias mobiles, dont le genre et le nombre vont croissant, séduit autant les usagers du « contenu » des médias que les annonceurs et réduit les marchés, et donc les ressources, des médias sur les supports traditionnels que sont le papier et les récepteurs de radio ou de télévision. La concurrence internationale exercée par certains agrégateurs, au premier rang desquels figure Google, paraît particulièrement redoutable non seulement parce qu’elle pille certains contenus sans respecter les droits d’auteurs mais aussi parce qu’elle recueille une part essentielle et croissante des investissements publicitaires ». (Rapport des experts de l’atelier 1, § 5, p. 81) « Le diagnostic fait consensus chez les intervenants du deuxième atelier des Etats généraux des médias d’information (EGMI) consacré à la formation et au statut des journalistes : le monde des médias, de l’information et du journalisme vit une des mutations les plus profondes de son histoire. Elle est liée à l’intégration des innovations technologiques dans les processus de production et de consommation, à l’arrivée de nouveaux acteurs dans le paysage médiatique, aux tensions économiques, tant structurelles que conjoncturelles, qui en résultent... 296 Chapitre 4 Cette mutation se caractérise principalement par la convergence numérique des médias et des informations sur les différentes platesformes plurimédiatiques. Y règne une concurrence plus aiguë qu’ailleurs pour les parts de marché publicitaire. Ce bouleversement affecte aussi bien le modèle économique et le schéma industriel de production, comme l’a montré le premier atelier, que l’organisation de travail des entreprises de presse, les conditions de l’activité journalistique, les fonctions et les statuts qui y sont articulés, ou encore les programmes de formation des journalistes en amont ». (...) « La plainte, pour autant, n’est pas tout. Certains, les éditeurs principalement, mais aussi des journalistes, voient dans la recomposition à l’œuvre l’opportunité de revivifier un métier ébranlé dans son statut, son organisation, ses contraintes, son économie, ses productions mêmes. Economie Internet et pratique des réseaux sociaux obligent, se dessine aussi la perspective, pour les journalistes, de se réapproprier les outils de production à l’échelle individuelle tout en les « augmentant » de l’apport et des compétences des non-journalistes. A portée de main, également, la possibilité d’expérimenter des formes d’écriture « enrichies » intégrant les potentiels de la technologie et de la créativité. Ou de créer de nouveaux métiers autour du journalisme, de contribuer à la recherche de nouveaux modèles économiques adaptés à la révolution digitale, d’inventer sa place et son rôle dans les nouveaux modèles opératoires d’un espace d’expression médiatique en transition ». « Il serait risqué de considérer l’évolution – ou la révolution – en cours aujourd’hui comme une simple prolongation ou amplification d’anciennes formes de travail journalistique partagées entre différents métiers. Jusqu’ici, les recompositions et les coopérations diverses (avec les photographes, les illustrateurs, les ouvriers du livre, les cameramen...) avaient fonctionné par ajouts et compléments au processus d’information sur lequel le journaliste conservait la haute main. Le monopole, la place prédominante et le statut clairement différencié du journaliste dans le dispositif n’en étaient pas – ou peu – affectés. Ce n’est plus le cas : la révolution digitale implique de nouveaux (r) apports dont certains se traduisent par des effets de substitution, des pertes de monopole, des mutations organisationnelles profondes... (...) recommandations transversales 297 Dans la recomposition en cours des frontières du monde de l’information, toutefois, c’est bien le respect des normes de la déontologie journalistique qui est appelé, plus que jamais, à tenir lieu de cap et de phare. Il constitue non seulement une garantie de qualité de l’information face aux impératifs de rentabilité et aux contraintes de la concurrence entre les différents médias, mais surtout, il doit tenir lieu de commun dénominateur au mélange des fonctions évoqué. » (Rapport des experts de l’atelier 2, p. 160) 2. Création d’un observatoire des médias Compétence Communauté française Court terme et moyen terme Nous rejoignons la proposition de création d’un Observatoire des médias. Depuis plusieurs années, de nombreuses structures ont été créées dans le secteur des médias239 dont les objectifs sont variés, spécifiques ou larges, convergents ou concurrentiels. A notre sens, avant la mise en place d’une nouvelle structure en Fédération Wallonie-Bruxelles, il conviendrait de réaliser un cadastre des compétences existantes, de déterminer les acquis en matière de connaissances et de capacité de prospective dans le domaine des médias et d’examiner la meilleure manière d’atteindre, entre autres, les objectifs suivants : 1. la création et les mises à jour d’une base de données des différents acteurs médiatiques présents en Communauté française240 et de leurs activités ; 2. la formulation de lignes directrices relatives à la coordination des politiques et des moyens alloués au secteur des médias ; 239 Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en 1997, le Conseil de déontologie journalistique (CDJ) en 2009, le Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM) en 2008, sans compter les associations privées et professionnelles qui concourent toutes, peu ou prou, à une meilleure connaissance des réalités et des enjeux du secteur. 240 A ce sujet, le site « pluralisme » du CSA (http://www.csa.be/pluralisme) peut être un outil de travail à renforcer et à amplifier afin de prendre en compte les impératifs de sauvegarde du pluralisme et d’indépendance des médias, de transparence des liens industriels, structurels mais également éditoriaux. 298 Chapitre 4 3. l’observation et l’analyse, sous divers angles, des évolutions du secteur. Il nous paraît évident que ce travail doit être accompli en préalable à toute décision de création d’un Observatoire des médias, sous peine de générer des doubles emplois et des concurrences entre institutions, d’autant que toute initiative en ce sens nécessitera des moyens supplémentaires qu’il n’est pas évident d’obtenir dans une période de conjoncture difficile. Les mutations au sein du secteur des médias se poursuivent, comme le montre la création de la joint venture Het Mediahuis entre Corelio et Concentra réunissant leurs quotidiens flamands et leurs activités éditoriales digitales ou encore le rachat récent des éditions de L’Avenir. Dès lors, il nous paraît utile de poursuivre sur la voie empruntée par les Etats généraux des médias d’information et, dans l’attente de la création de ce nouvel outil, nous recommandons qu’une instance provisoire, composée de professionnels et d’experts en la matière, de représentants d’institutions disposant de nombreuses informations sur les secteurs concernés (CSA, Conseil supérieur de l’éducation aux médias, Conseil de la publicité, Conseil de déontologie journalistique, ministère de la Communauté française, etc.), puisse déterminer les besoins en connaissances à partager et en dresser l’inventaire. A l’heure de conclure ce rapport, nous apprenons que l’OPC et le CSA ont été chargés par le gouvernement de travailler à la mise en place d’un tableau de bord des données socio-économiques du monde des médias en Fédération Wallonie-Bruxelles, sur plate-forme ouverte, et préparent, à cette fin, une étude de faisabilité. Par delà cette première étape, nous soutenons le projet d’un Observatoire des médias, recommandé par les experts de l’atelier 1, au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans cette perspective, la Fédération Wallonie-Bruxelles devrait également contraindre l’ensemble des acteurs à communiquer les données nécessaires et utiles à l’analyse qui serait menée au sein de cet Observatoire, à l’exception des aspects confidentiels comme stratégiques, et faire de cette contrainte une condition d’octroi de l’aide à la presse (voir ci-dessous). Dans un souci d’allégement de la charge de travail des différents acteurs, l’Observatoire des médias serait chargé d’élaborer un formulaire type répondant aux impératifs de simplicité et d’efficacité. L’Observatoire pourrait également animer une réflexion sur l’évaluation de la mesure des audiences dans le contexte des nouveaux modes de consommation, en parallèle avec les solutions existantes, afin de répondre à recommandations transversales 299 la préoccupation unanimement exprimée lors de l’atelier 1. « Le sixième point d’accord porte sur l’insuffisance et l’inadaptation des mesures d’audience face aux nouveaux modes de consommation des médias. Les médias dans leur ensemble déplorent qu’on appréhende de plus en plus mal le fait qu’un même contenu puisse être «consommé» sur divers supports notamment sur les nouveaux supports mobiles. Les petits médias, telles les télévisions locales, déplorent de ne pouvoir être mesurés en raison du coût élevé des enquêtes. » (Rapport des experts de l’atelier 1, p. 82) « RECOMMANDATION 1° « Les experts rejoignent l’avis unanime des acteurs entendus : la Fédération Wallonie-Bruxelles doit se doter d’un Observatoire indépendant des médias reconnu par le Gouvernement et chargé de l’observation et de l’analyse permanentes du secteur ». « La Fédération devrait dégager les moyens nécessaires à l’élaboration d’un rapport annuel livrant des données précises sous l’angle sociologique, juridique et économique. La Fédération Wallonie-Bruxelles devrait également contraindre l’ensemble des acteurs à communiquer clairement les données utiles à cette analyse, à l’exception des aspects stratégiques ». (...) « L’obligation de communication de ces informations pourrait être liée à certaines conditions précises, dont entre autre l’octroi d’aides publiques. » (Recommandation des experts de l’atelier 1, pp. 92-93) 300 Chapitre 4 3. Soutien à la transition numérique des éditeurs de presse Compétence Communauté française Court terme La proposition d’une augmentation significative de l’aide à la presse requiert préalablement un examen du fonctionnement actuel du Fonds et une évaluation des critères d’octroi. Pour mémoire, l’article 5 du Décret du 31 mars 2004 relatif aux aides attribuées à la presse quotidienne écrite francophone précise les conditions que doivent remplir les entreprises de presse afin de percevoir des aides. Ces dernières doivent affecter les montants perçus « à la couverture du coût de l’activité rédactionnelle, à la modernisation des systèmes d’édition, à l’adaptation aux technologies modernes de communication du titre de presse quotidienne ou groupe de titres pour lesquels elles ont fait une demande et aux programmes originaux d’incitation à la lecture du journal, de formation du lecteur à la citoyenneté et d’éducation aux médias ». Les conditions pour être éligible aux aides sont au nombre de trois : application des codes du journalisme, application des accords sectoriels et rôle d’interlocuteur des sociétés de rédacteurs lorsqu’elles existent au sein de l’entreprise. Il convient dès lors de vérifier si l’affectation des moyens publics correspond toujours aux besoins du secteur ainsi que la pertinence des conditions d’éligibilité. Par rapport aux recommandations, nous proposons la formulation des six critères suivants conditionnant l’octroi de l’aide à la presse : - - garantir une certaine proportion de journalistes sous CDI au sein des rédactions ; la recommandation de passer de 40% à 60% ne nous paraît pas déraisonnable (à l’exception de la situation des éditeurs de presse périodique spécialisée) ; renforcer la protection juridique de l’indépendance des rédactions241 241 A cet égard, il n’existe pas de modèle unique de garantie de l’indépendance des rédactions. Certains modèles privilégient l’élection des responsables rédactionnels par l’ensemble des membres d’une rédaction, d’autres les chartes rédactionnelles ou l’insertion dans les conventions collectives de dispositifs visant à garantir l’indépendance rédactionnelle du média. recommandations transversales - - - - 301 vis-à-vis des actionnaires notamment en imposant la mise en place d’une véritable société de rédacteurs au sein des entreprises de presse et l’élection du rédacteur en chef par les membres de la rédaction ; assurer le financement de la formation continue des professionnels du secteur ; fournir la preuve de la rémunération adéquate du droit d’auteur des journalistes, de façon distincte de la rémunération du contrat de travail ; satisfaire à l’obligation de communiquer, sur une base annuelle, les données factuelles utiles au travail de recensement de l’Observatoire des médias ; être – pour partie – liée à la mise en œuvre de projets concrets d’évolution technologique portant sur l’amélioration des conditions de la production et/ou de la diffusion des contenus d’information. « Les experts recommandent en premier lieu aux entrepreneurs de poursuivre la recherche de l’innovation dans la conception et la diffusion multimédia des contenus. Cette recherche est fondamentale pour les médias « historiques » afin d’éviter l’évasion des jeunes attirés par les formes nouvelles de communication qui se développent rapidement notamment via les divers réseaux sociaux. Ces réseaux ont démontré que la circulation de l’information se fait de plus en plus en dehors des « marques » média. Il convient donc pour les médias « historiques » de conserver la valeur des informations qu’ils produisent en transposant, avec une différenciation de traitement, un contenu sur plusieurs supports ou applications et de profiter de la complémentarité qu’offrent les divers supports ou plates-formes pour utiliser au mieux le fruit du travail des journalistes : enrichissement des textes par des photos ou des vidéos, recours aux archives, dossiers etc. et inversement enrichissement des sites audiovisuels » . (Extrait du rapport des experts de l’atelier 1, p. 85) « La crise particulièrement aiguë que traversent les médias impose de penser de manière globale à une politique de soutien à l’adaptation aux nouvelles technologies et aux bouleversements des marchés. Le passage rapide et massif à une économie du numérique nécessite une aide publique d’importance à l’ensemble du secteur. Le contexte économique très 302 Chapitre 4 difficile oblige tous les opérateurs à investir lourdement dans les nouvelles technologies et à amortir ces investissements en des cycles beaucoup plus courts qu’auparavant. Il importe de concevoir une politique ambitieuse qui fasse de la Fédération Wallonie-Bruxelles un creuset d’innovation en ce secteur — ce qu’elle a pu être par le passé— et non des mesures simplement défensives. » (Extrait du rapport des experts de l’atelier 1, p. 88) 4. Statuts des journalistes et des rédactions Compétence fédérale Court terme A l’instar d’autres pays européens, il convient d’assurer un statut aux journalistes qui exercent leur profession dans notre pays. Ce statut professionnel déterminerait non seulement les conditions d’exercices du métier (accès, protection du titre, clause de conscience, etc.) mais également le statut fiscal et social des journalistes. Les travaux de l’atelier 2 ont permis de mettre en évidence combien les conditions actuelles de production de l’information menacent la qualité et la fiabilité de l’information. Nous adhérons aux conclusions des experts selon lesquelles la recherche de cette qualité et de cette fiabilité implique, entre autres, une redéfinition du statut du journaliste, de leurs conditions de travail et de leur formation, favorisant ainsi une meilleure prise en compte de leur responsabilité sociale, une déontologie mieux maîtrisée, une connaissance appropriée des conditions du secteur dans lequel ils travaillent et des techniques professionnelles pertinentes dans le contexte technologique contemporain, leur permettant globalement de poser des choix plus libres et plus éclairés. De manière générale, nous souhaitons appuyer l’objectif de rehausser la qualité de l’emploi et de promouvoir l’instauration d’une plate-forme ouverte, permettant une négociation entre éditeurs, organisations syndicales et associations professionnelles. recommandations transversales 303 En effet, la qualité de l’emploi des journalistes, qu’ils soient salariés ou indépendants, et des personnes qui contribuent à produire de l’information sont des clés déterminantes de l’excellence de celle-ci. Par conséquent, les mesures visant à renforcer cette qualité doivent être soutenues pour autant qu’elles soient réalisables, compte tenu des disparités de situations entre les différents secteurs concernés, des coûts qu’elles impliquent et de l’environnement juridique, parfois limitant – notamment pour des motifs de libre concurrence –, dans lequel elles s’inscrivent. Le renforcement du statut social du journaliste, en particulier freelance, doit se penser, comme dans d’autres Etats membres, dans un cadre équilibré, englobant un ensemble de mesures d’accompagnement visant également à limiter la charge corrélative de l’éditeur. Sans ces mesures, bon nombre d’initiatives ou de modifications resteraient de l’ordre du théorique. A titre d’exemple, l’instauration légale d’une présomption d’emploi irréfragable, à l’image de celle qui existe en France242, en faveur du journaliste freelance pourrait se révéler contreproductive pour le secteur dans son ensemble car trop lourde et dès lors à éviter. Pour le reste, les recommandations relatives à la rémunération nous paraissent relever du domaine de la négociation collective. Nous partageons la recommandation relative à l’assurance responsabilité professionnelle obligatoire et défense en justice, mais nous pensons qu’elle doit concerner tous les journalistes. « c) la suggestion que soit rendue obligatoire pour tous les journalistes une assurance de la responsabilité civile leur permettant d’échapper aux effets de la responsabilité en cascade, effets qui peuvent être très dommageables en particulier pour les freelances. » (Rapport des experts de l’atelier 2, p. 172) « En revanche, il serait certainement utile de généraliser – et éventuellement d’imposer ou en tous cas de favoriser – le recours à l’assurance responsabilité professionnelle et défense en justice pour l’ensemble des personnes contribuant à l’information du V. en ce sens l’article L7112-1 du Code français du travail : « Toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties ». 242 304 Chapitre 4 public (par exemple, par une mutualisation du risque) afin d’éviter que les procès ne soient une arme économique en vue de faire pression sur ces personnes, quelles que soient les chances de succès des procédures introduites. » (Rapport des experts de l’atelier 3, p. 230) Il nous paraît intéressant, pour éviter une forme de précarisation, d’approfondir la réflexion, à laquelle invite la recommandation 6 de l’atelier 2, sur « l’assouplissement des conditions d’indemnisation des chômeurs qui exercent des activités de journaliste freelance, par l’attribution à ces personnes d’un statut semblable au statut « d’artiste » reconnu par l’ONEM ». L’égalité homme-femme reste une priorité également, comme dans d’autres domaines socio-économiques, notamment à propos de la rémunération et de l’accès à des postes de responsabilité rédactionnelle, ainsi que de la diversification des équipes journalistiques afin de favoriser divers angles d’approche de l’information. « [RECOMMANDATION 9] En ce qui concerne le déséquilibre hommesfemmes : les experts recommandent l’alignement des rémunérations des journalistes femmes sur celles des journalistes hommes. Ils suggèrent de favoriser autant que possible, non seulement l’engagement, mais surtout la promotion de journalistes femmes à des postes de responsabilité rédactionnelle. » (Recommandation des experts de l’atelier 2, p. 203) « [RECOMMANDATION 27] Diversifier davantage (en âge, en genre, en origine, en culture, en formation) les équipes journalistiques afin de mieux varier les compétences et les angles d’approche de l’information. » (Recommandation des experts de l’atelier 2, p. 207) Nous recommandons également le renforcement de l’autonomie des rédactions, en distinguant le directeur de la rédaction de l’administrateur délégué ou du chef d’entreprise et en formalisant légalement le statut de la société des rédacteurs dont les compétences doivent pouvoir s’étendre aux recommandations transversales 305 nouveaux médias. L’objectif de sociétés de rédacteurs vise en effet à assurer une plus grande indépendance à l’égard de l’actionnariat du média ainsi que la liberté et la qualité de l’information, en distinguant l’entreprise qui produit le média de la force intellectuelle qui le compose. Les sociétés de rédacteurs ont peu d’ancrage juridique en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’exemple donné par certains pays voisins ou la Flandre sont de nature à éclairer la réflexion et le travail du législateur. Nous reprenons ainsi les recommandations 18 à 20 de l’atelier 2. « [RECOMMANDATION 18] Une initiative législative et/ou un accord conventionnel devrait organiser plus formellement le statut des rédactions en élargissant clairement les compétences de celles-ci aux nouveaux médias et aux nouveaux métiers et en donnant davantage de pouvoir représentatif et une existence légale aux sociétés de rédacteurs, qui représentent le « capital intellectuel » de l’entreprise. [RECOMMANDATION 19] A minima, la société de rédacteurs devrait avoir le dernier mot quant à la désignation du rédacteur en chef, lequel devrait avoir des prérogatives nettement distinctes de celles du chef d’entreprise : il serait « le premier des journalistes » et non « le dernier des directeurs ». Dans cette perspective, tout doit être mis en oeuvre (au niveau légal et conventionnel) pour que, dans tous les médias d’information générale, le rédacteur en chef soit titulaire du titre de journaliste professionnel, comme le recommande le CDJ et à l’instar de ce que prévoit le décret de la Communauté française dans les télévisions locales. A maxima, la société de rédacteurs pourrait se voir dotée d’une structure juridique distincte et se transformer en opérateur autonome, lequel se verrait confier le travail rédactionnel pour le compte de l’éditeur [RECOMMANDATION 20] La rédaction devrait être clairement distincte des autres services de l’entreprise et principalement des services de marketing. Un protocole devrait être adopté dans ce sens au sein de chaque société éditrice ou au sein des associations d’éditeurs ». (Rapport des experts de l’atelier 2, p. 205) Nous estimons que la recommandation 22 relative au droit de retrait du journaliste est le corollaire cohérent de la condition de respect des règles 306 Chapitre 4 de déontologie posée pour l’obtention du titre de journaliste professionnel. Néanmoins, le libellé de cette recommandation nous paraît trop vague et, pour être retenu, les conditions de mise en œuvre de ce droit doivent être clarifiées et précisées. « [Recommandation 22] Le législateur pourrait organiser pour les journalistes un « droit de retrait » qui consacrerait leur droit au refus d’obtempérer, sans perte d’emploi ou de rémunération, à une consigne inacceptable en vertu de la déontologie. » (Recommandation des experts de l’atelier 2, p. 206) Nous partageons les recommandations 14 à 17 relatives au statut juridique et au titre de journalistes professionnels. Rappelons que le but poursuivi est de permettre aux journalistes d’établir qu’ils exercent effectivement une activité journalistique à titre de profession principale et dans des conditions reconnues. Nous recommandons toutefois de remplacer dans ces recommandations les références à « l’information générale » par la mention de « l’information ». En effet, les journalistes exerçant dans la presse périodique doivent pouvoir obtenir le titre de journaliste professionnel. En outre, ce concept d’ « information générale », qui n’est pas toujours aisé à manier, introduit une discrimination non justifiée au sein de la profession de journaliste. « [RECOMMANDATION 14] La commission d’agréation pourrait être autorisée par la loi à octroyer le titre de journaliste professionnel à toute personne qui consacre au moins la moitié de son temps d’activité professionnelle à un travail d’information générale et dont les autres revenus proviennent exclusivement d’activités qui ne sont pas susceptibles de limiter son indépendance journalistique. » (Rapport des experts de l’atelier 2, p. 204) Quant à la question de l’indépendance du journaliste qui bénéficierait de rémunérations autres qu’en provenance de son activité journalistique, il serait pertinent d’exiger de celui-ci qu’il remplisse une déclaration annuelle sur l’honneur, préparée par la Commission d’agréation sur la base d’une recommandations transversales 307 réflexion relative aux conflits d’intérêts et aux incompatibilités. « [RECOMMANDATION 15] Comme le recommande la commission d’agréation, l’accès au titre de journaliste professionnel doit être ouvert à toute personne travaillant, quel que soit son statut, dans les conditions légales telles qu’elles sont interprétées par la commission d’agréation, pour un média d’information générale sur n’importe quel type de support. [RECOMMANDATION 16] Une modification de la loi du 30 décembre 1963 devrait être envisagée par un amendement ajoutant aux conditions pour obtenir et conserver le titre de journaliste professionnel la signature par le/la journaliste d’un engagement d’adhésion au système d’autorégulation déontologique existant dans chaque Communauté (RvdJ et CDJ) et de respect des règles et avis déontologiques édictés par les organes d’autorégulation de sa Communauté. [RECOMMANDATION 17] Il convient de poursuivre la négociation en cours en vue de rapprocher les titres de journaliste professionnel et de journaliste de profession afin d’aboutir à un titre unique dont l’octroi et la conservation seraient notamment conditionnés par le respect des normes déontologiques et professionnelles ». (Rapport des experts de l’atelier 2, p. 204) 5. Formation continue Compétence Communauté française et Région Court terme La nécessité d’assurer une formation continue efficace est, dans des modèles en pleine restructuration, d’une urgence rappelée par l’ensemble des acteurs. Il nous paraît opportun qu’à côté d’une offre de formation en présentiel, des ressources en ligne soient mises à la disposition des professionnels. Sur le plan technique, une série de tutoriels sont déjà disponibles. Il serait judicieux d’étendre ces expériences et de les partager entre professionnels. 308 Chapitre 4 La proposition de création d’un Centre de formation continue des journalistes ou d’une structure pérenne au sens de la recommandation 40, chargée d’une telle mission, peut être retenue et devrait associer les quatre écoles de journalisme (IHECS, UCL, ULB et ULg), les associations des éditeurs (JFB), des journalistes (AJP), le Conseil de déontologie journalistique et les éditeurs audiovisuels. Ce Centre nous paraît être un modèle intéressant qui allierait les compétences académiques, pratiques et pédagogiques d’un côté, et les besoins des professionnels et des éditeurs de l’autre. « [RECOMMANDATION 40] Soutenir rapidement la création et le maintien d’une structure pérenne unique de formation continue centrée sur les métiers du journalisme, de l’information et des nouveaux médias. Pour cela, la Fédération Wallonie-Bruxelles devrait, soit choisir entre les deux propositions actuellement en présence, soit organiser dans les plus brefs délais une concertation entre les acteurs concernés afin de préciser l’organigramme, le financement et les modes de fonctionnement de cette structure ». (Rapport des experts de l’atelier 2, p. 209) Comme le prévoient les recommandations, cette formation continue devrait porter en particulier sur le développement des nouveaux médias, favoriser la reconversion des métiers anciens et la formation aux nouveaux métiers du journalisme, et travailler à « réduire l’inculture numérique » au sein du secteur. L’importance du droit et de la déontologie garde sa pertinence dans le contexte des TIC.243 Enfin, il conviendrait également que les formations proposées soient également accessibles aux autres métiers du secteur des médias que celui de journaliste. En ce qui concerne la formation de base, les recommandations 32 (orientation et information sur les études), 33 (clarification entre information et communication dans les programmes de formation), 34 à 37 (stage au cours des études) nous ont semblé relever de mesures pratiques appelant une coordination entre les institutions d’enseignement concernées et non pas directement d’intervention des autorités publiques (sauf en ce qui concerne la recommandation 37, qui fait référence aux moyens humains et financiers 243 Voy. le rapport des experts de l’atelier 2, p. 30. recommandations transversales 309 des lieux de formation, mais le problème des moyens n’est pas spécifique à la formation en journalisme). D’autres questions sont renvoyées par les experts de l’atelier 2 à un besoin d’analyse approfondie (recommandations 38 (année passerelle) et 39 (articulation des connaissances pratiques et théoriques au long du cursus)), et relèvent de problématiques générales relatives à l’enseignement supérieur dans tous les domaines. De même, le souhait d’un financement de la recherche scientifique doctorale et post- doctorale et de la recherche au sein des entreprises de médias (recommandation 41) est partagé par notre groupe mais participe aussi de la situation générale du financement de la recherche en Fédération Wallonie-Bruxelles. 6. TVA Compétence fédérale Court terme En s’inspirant des exemples français et allemand, la nécessité d’homogénéiser le taux de TVA (taux 0) à l’ensemble des médias d’information nous paraît être de bon sens et mériter une analyse de coût et de faisabilité, au regard notamment du droit européen. 7. Soutien par les pouvoirs publics à la création et au développement de kiosques numériques Compétence Communauté française Court terme L’utilité d’une plate-forme numérique de consultation et d’achat de contenus, qui accueillerait entre autres les titres de la presse francophone s’impose comme une évidence : « Aujourd’hui, la presse dans son ensemble ne se trouve plus face à une concurrence interne qui verrait les titres opposés les uns aux autres. Ces titres sont confrontés à de très grands acteurs du marché, parmi lesquels Google qui a une capacité extraordinaire à traiter les données à très grand nombre, et Apple qui a une capacité de commercialiser tout cela. Ces deux modèles ne nous conviennent pas tout à fait dans la mesure où Google capture une grosse partie du marché dans une grande opacité, et Apple 310 Chapitre 4 propose un modèle économique (avec l’iTunes store et ses applications, l’iPad et bientôt un kiosque) qui ne correspond pas à ce nous cherchons».244 Il nous paraît important que les pouvoirs publics et les éditeurs trouvent les moyens de créer un instrument de diffusion numérique unique où les contenus seraient proposés aux lecteurs. Ce kiosque aurait l’avantage de générer des flux supérieurs aux initiatives individuelles et peu coordonnées, favoriserait la diversité éditoriale et augmenterait l’attractivité des investisseurs potentiels, notamment par l’apport de revenus publicitaires supplémentaires. Les titres, aujourd’hui, sur les kiosques étrangers sont noyés dans la masse des titres nationaux et sont, dès lors, peu visibles et peu valorisables. Le cas du GIE E-Presse Premium constitue un modèle intéressant, mais exclusivement privé, qui associe un opérateur Internet Orange aux éditeurs de presse (au départ huit groupes de presse245) et doté, à sa création, d’un capital de départ de 100.000 euros. Le site GoPress (www.gopress.be) constitue une première étape intéressante dont le développement devrait se poursuivre.246 Dans un second temps, l’analyse devrait être étendue aux médias audiovisuels. Participe de celle-ci, le fait de savoir si toute mise à disposition de contenus doit se faire de manière payante. 8. Financement par les pouvoirs publics d’abonnements gratuits pour les écoles (enseignement secondaire et supérieur) Compétence Communauté française Court terme Aujourd’hui, la consommation médiatique d’informations par les jeunes est Frédéric Filloux éditeur de la Monday Note et directeur général du GIE e-Presse Premium http://www.lefigaro.fr/medias/2010/12/20/04002-20101220ARTFIG00474-frederic-fillouxinvite-du-buzz-media-orange-le-figaro.php 245 Au départ le projet était porté par cinq quotidiens nationaux (Les Echos, L’Equipe, Le Figaro, Libération et Le Parisien) et les trois principaux newsmagazines français : L’Express, Le Nouvel Observateur et Le Point. 246 Voy, www.rtbf.be/info/medias/detail_voici-gopress-premier-kiosque-numerique-belge-de-lapresse-ecrite?id=7739849 244 recommandations transversales 311 en constante diminution, quel que soit le support. Une partie importante de la jeune population se contente de certaines informations glanées soit dans les journaux télévisés, soit sur Internet via les réseaux sociaux ou dans le cadre de recherches documentaires qui s’inscrivent dans des préoccupations d’ordre utilitaire (recherche d’emplois, travaux scolaires ou académiques, etc.) Il nous paraît utile de réfléchir à la mise à disposition gratuite d’exemplaires de journaux et magazines, soit les supports papiers soit des abonnements en ligne (à tous les sites d’information payants de la Fédération WallonieBruxelles), à destination des jeunes à partir de 12 ans, via les écoles et les établissements d’enseignement supérieur. Cela pourrait être financé en partie par l’aide à la presse pour des motifs d’intérêt général, et notamment d’éducation aux médias. Cette expérience a nécessairement un coût mais présenterait le triple avantage d’amorcer un intérêt plus grand des jeunes lecteurs pour l’information, de permettre aux éditeurs de s’assurer une plus grande diffusion, et enfin de participer au développement de la conscience citoyenne. 9. Aide à la création journalistique Compétence Communauté française Court terme et moyen terme « Le contexte économique oblige tous les opérateurs, entre obligation d’investissements lourds et perte de rentabilité, à tenter de réduire les coûts de production. La reconfiguration des métiers oblige pourtant à adopter une politique volontariste de formation et d’investissement dans le rédactionnel, en renforçant les structures qui valorisent la qualité rédactionnelle » (Rapport des experts de l’atelier 1, p. 90) Il convient de faire évoluer le Fonds pour le journalisme dans deux directions majeures : modernisation et redynamisation. A court terme, cela devrait prendre la forme notamment d’une plus grande 312 Chapitre 4 ouverture aux métiers du Web et aussi d’une plus large participation des jeunes journalistes fraîchement intégrés dans la vie professionnelle au processus décisionnel. A moyen terme, il conviendrait également d’examiner la manière dont le Fonds pourrait rechercher d’autres partenaires et favoriser le cofinancement de projet. Nous pensons notamment aux plates-formes de financement participatif. 10. Les diffuseurs de presse : amélioration du statut et reconnaissance professionnelle Compétence fédérale Court terme Il ne peut y avoir vitalité de la presse sans diffuseurs de presse. La précarité du secteur est évidente. De plus en plus de diffuseurs sont contraints de cesser leurs activités. Il nous paraît important de favoriser le maintien de cette activité qui participe aux besoins démocratiques de liberté d’expression, de liberté de la presse, de lien social (notamment en milieu rural) et d’une citoyenneté éclairée, en activant un statut fiscal et professionnel qui encourage le maintien et la création de nouvelles activités. Il conviendrait également de permettre aux diffuseurs de presse la vente exclusive de certains produits (Lotto ou encore tabac, par exemple) et la création de réseaux indépendants. Le système de rémunération des diffuseurs soumis, aujourd’hui, au quasi-monopole d’un distributeur est également à examiner attentivement à l’aune de la législation européenne et des règles de la concurrence. Enfin, des aides spécifiques pourraient être envisagées dans le cadre du portage à domicile. recommandations transversales 313 11. Tarif préférentiel postal Compétence fédérale Court terme et moyen terme Dans la ligne des recommandations des experts, le principe d’égalité doit prévaloir dans ce domaine. En ce sens, à moyen terme, il convient d’étendre et de généraliser le tarif préférentiel pour la presse quotidienne et périodique. Objectivement, il n’y a aucune raison de maintenir des différences en ce domaine d’autant que les subtilités qui existent entre les différents tarifs et les conditions permettent des interprétations qui laissent une trop grande place à la négociation et à l’arbitraire. A court terme, dans le même ordre d’idée, la poste refuse aujourd’hui la distribution de magazines le week-end (samedi). Or, la plupart des titres de presse quotidienne intègrent des magazines hebdomadaires (suppléments) dans les exemplaires du samedi. La continuité de l’activité industrielle historique de la poste devrait être assurée pour l’ensemble de l’activité tant que cela s’avère nécessaire à cette dernière. 12. Modification de la loi sur le tax-shelter Compétence fédérale Moyen terme Les récentes modifications intervenues dans cette matière (juillet 2013) n’ont malheureusement pas répondu à toutes les questions et demandes, notamment celles relatives au champ d’application des mesures. Une proposition non retenue était de l’étendre à d’autres domaines que la production d’œuvres audiovisuelles belges247. La réflexion doit être poursuivie sur cette question, tout en veillant à ne pas diluer l’aide accordée au secteur cinématographique par une extension trop large des mesures. Le tax shelter concerne aujourd’hui l’investissement dans les productions suivantes : les longs métrages de fiction, les courts métrages, les documentaires, les séries d’animation ou encore les téléfilms de fiction longue 247 314 Chapitre 4 13. Création de synergies entre télévisions locales et la RTBF Compétence Communauté française Court terme La multiplication des acteurs publics dans le secteur audiovisuel, si elle est source d’enrichissement culturel et garantit une diversification éditoriale intéressante, représente également un facteur de dépenses concurrentes qu’il convient de mieux canaliser et d’encadrer. Nous sommes convaincus qu’une meilleure affectation des ressources est possible et souhaitable. Il nous paraît nécessaire et urgent : - - - de clarifier les rôles de chacun des acteurs publics du secteur audiovisuel, dans une perspective de développement harmonieux et de valorisation cohérente des ressources publiques; de favoriser les synergies tant sur le plan des contenus que celui des infrastructures par la mise en place d’une structure commune à l’ensemble des acteurs, dans le respect de l’autonomie éditoriale des partenaires ainsi que des règles professionnelles et déontologiques des professions concernées (échanges d’images, de reportages et de programmes, coproductions de programmes, promotion, concertation éditoriale, etc.) ; d’optimaliser également les revenus publicitaires par le développement de stratégies complémentaires. 14. Droit d’auteur Compétence fédérale Court terme (des négociations législatives sont en cours) Nous partageons la nécessité, soulignée par les experts de l’atelier 1, d’assurer la défense des droits d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur afin de lutter contre le piratage des contenus, de favoriser une rémunération adéquate des titulaires de droits et de faciliter les actions à l’encontre des acteurs globaux (notamment « over the top »). recommandations transversales 315 Recommandation 3° « Les experts recommandent une politique de droits d’auteur dynamique, axée sur la valorisation des contenus et le respect de ceux-ci, impliquant dès lors des accords contractuels promouvant et rétribuant le contenu et des démarches plus systématiquement actives, en cas de violation des droits, aux côtés, le cas échéant, des sociétés de gestion collective ». (…) « les pouvoirs publics doivent porter une attention toute particulière aux droits d’auteur ainsi qu’au piratage, qui entraîne une perte de valeur des contenus produits. L’adoption de mesures financières conservatoires et provisoires, à l’égard des acteurs notamment internationaux globaux, devrait être facilitée à titre de mesure avant-dire droit. De même, le niveau d’octroi de dommages-intérêts, en cas de réutilisation non autorisée de contenus digitalisés, devrait être élevé ». (Recommandations des experts de l’atelier 1, p. 86) Nous rappellerons, pour éviter, toute confusion que le journaliste est un « auteur » au sens de la loi sur le droit d’auteur du 30 juin 1994, dès lors qu’il crée une œuvre originale, reflétant l’expression de sa personnalité. Ainsi, l’essentiel du travail journalistique, impliquant une mise en forme et une production originale de l’esprit, est protégé par le droit d’auteur. Pour mémoire, l’article 6, al 1er de la loi belge sur le droit d’auteur consacre le principe selon lequel « le titulaire originaire du droit d’auteur est la personne physique qui a créé l’œuvre ». C’est donc bien le créateur, personne physique, qui est le titulaire originaire des droits. Le droit naît, en d’autres termes, dans son chef. Dès lors, la recommandation 10 est sans objet.248 Cette conception de l’auteur est assez répandue dans l’ensemble des pays européens et au niveau international. Cependant, afin de faciliter l’identification de l’auteur, la loi organise une 248 « Il est recommandé que le statut d’auteur soit légalement reconnu à tous les journalistes. » 316 Chapitre 4 présomption de la qualité d’auteur : l’article 6 alinéa 2 de la loi dispose qu’« est présumé auteur, sauf preuve contraire, quiconque apparaît comme tel sur l’œuvre, sur une reproduction de l’œuvre, ou en relation avec une communication publique de celle-ci, du fait de la mention de son nom ou d’un sigle permettant de l’identifier ». Il s’agit d’une simple présomption qui peut être renversée par la preuve contraire, mais qui s’appliquera tant que la preuve contraire n’a pas été apportée en faveur de quiconque apparaît comme tel sur l’œuvre, du fait de la mention de son nom ou d’un sigle permettant de l’identifier. La Cour de cassation a jugé que si la qualité d’auteur reconnue par l’article 6, al. 1er de la loi précitée, était limitée à la personne physique qui crée l’œuvre, la présomption de titularité énoncée par l’article 6, al. 2, était plus large et concerne l’auteur originaire ou le cessionnaire du droit, lequel peut être une personne morale249. La présomption bénéficiera, par conséquent, à la personne dont le nom figure sur l’œuvre, qu’il soit patronymique ou commercial, ou dont le sigle apparaît, notamment un logo, une enseigne, une marque, un emblème, un pseudonyme250. Dans le secteur audiovisuel, l’article 18 de la loi précitée consacre une présomption de cession des droits réfragable en faveur du producteur et implique la cession des droits d’auteur des journalistes œuvrant dans ce secteur et intervenant comme auteur d’une œuvre audiovisuelle au sens de l’article 14 de la loi. L’article 19 de la loi précise que, sauf pour les œuvres audiovisuelles relevant de l’industrie non culturelle ou de la publicité, les auteurs ont droit à une rémunération distincte pour chaque mode d’exploitation. Nous ne partageons pas l’idée d’interdire toute présomption de cession des droits des journalistes à l’égard de l’éditeur251. Toutefois, nous pensons qu’il serait opportun de prévoir qu’en cas de cession de leurs droits d’auteur, les journalistes aient droit à une rémunération adéquate à laquelle ils ne Cass. 12 juin 1998, Pas., I, 1998, p. 307. Brux., 11 septembre 2001, Ing.-Cons., 2001, p. 404 251 Recommandation 11 : « Il conviendrait que le législateur fédéral examine la position de l’AJP, qui demande que soit interdite toute présomption de cession de droits et toute cession gratuite privant les auteurs de leurs droits secondaires (en cas de republication, d’exploitation d’archives, etc.). Lors de cet examen, il s’imposerait de prendre en compte la situation particulière des éditeurs de la presse périodique spécialisée : des dérogations spécifiques devraient être prévues à leur endroit. On devrait également prendre en compte la déclaration de certains éditeurs d’exploitation des contenus sur tous les types de plates-formes est pour leur entreprise une condition de survie. » 249 250 recommandations transversales 317 peuvent renoncer. Celle-ci devrait s’ajouter au salaire de base ou s’intégrer au montant prévu dans le cadre d’un contrat de commande. Cependant, cette question s’insère dans le débat plus large relatif au statut des auteurs, les journalistes ne pouvant être une catégorie d’auteurs bénéficiant d’un statut d’exception. Nous ne pensons pas qu’il convienne d’introduire dans la loi un pourcentage de rémunération par droit d’auteur par rapport à la rémunération globale252, mais, au contraire, qu’il convient de laisser la place à la souplesse de la négociation contractuelle entre les parties, afin de tenir compte des spécificités de celles-ci, parfois bien différentes. 15. L’éducation aux médias Compétence Communauté française Court terme Comme l’ont exposé les experts de l’atelier 2, l’éducation aux médias mérite, et d’autant plus à une époque de grands changements, d’être renforcée. Les moyens attribués au CSEM et aux initiatives prises par différents acteurs visant à développer l’éducation aux médias devraient être renforcés253. « [RECOMMANDATION 30] L’éducation aux médias dans l’enseignement secondaire et l’initiation aux médias dans les écoles de journalisme doivent mieux préparer les futurs consommateurs et les futurs producteurs d’information à la constellation médiatique qui s’annonce, en améliorant la « littératie » médiatique et en objectivant notamment les réalités du métier de journaliste. Recommandation 13 :« Le barème conventionnel des prestations, dans le cas des freelances, ou la convention collective, dans le cas des journalistes salariés, devrait prévoir une limite à la proportion de la rémunération sous forme de droits d’auteur : un maximum de 30 % est proposé, sauf pour les indépendants à titre complémentaire et pour des droits secondaires. » 253 Citons en ce sens le texte introductif à la semaine de l’éducation aux médias au Québec du 4 au 8 novembre 2013 -http://www.medialiteracyweek.ca/fr/101_concepts.htm : « Le personnel enseignant en tant qu’animateur dans un processus d’apprentissage centré sur l’élève est non seulement le modèle accepté dans l’éducation aux médias, mais celui adopté par la nouvelle pédagogie critique. Le défi aujourd’hui est d’identifier et d’évaluer l’information répondant à un besoin spécifique et de la synthétiser en connaissance ou en communication utile. L’éducation aux médias - ses techniques de pensée critique, de communication créative et de compétences informatiques et audiovisuelles - est un élément clé de l’approche éducative au XXIe siècle. » 252 318 Chapitre 4 [RECOMMANDATION 31] Renforcer l’éducation aux médias dans les programmes de formation obligatoire (primaire et secondaire). A minima, donner les moyens aux opérations existantes (« Ouvrir mon quotidien », « Journalistes en classe », etc.) de continuer à exister. Étudier l’opportunité de compléter/modifier ces opérations existantes par d’autres bonnes pratiques, mises en place ailleurs. Idéalement, introduire l’éducation aux médias dans les programmes de formation obligatoire, c’est-à-dire dès les études primaires (en 5e et 6e, éventuellement auparavant), ainsi qu’au niveau secondaire. » (Rapport des experts de l’atelier 2, pp. 207-208) « Cette volonté d’initier et de renforcer, auprès de chaque citoyen, « la capacité à accéder aux médias, à comprendre et à apprécier, avec un sens critique, les différents aspects des médias et de leur contenu et à communiquer dans divers contextes » se fonde sur plusieurs motivations, dont la moindre est le suivi des recommandations de la Commission des Communautés européennes (2009) et du Conseil supérieur de l’éducation aux médias, dans sa « Déclaration de Bruxelles pour une éducation aux médias tout au long de la vie » (3 mars 2011). Des citoyens éduqués aux médias (c’est-à-dire dotés d’une compétence certaine en littératie médiatique) sont en effet susceptibles d’avoir une représentation plus réaliste des métiers de l’information, de consommer davantage de médias, d’exiger de ces médias une qualité accrue et de participer davantage à l’élaboration de leurs contenus. Des citoyens bien informés étant le gage d’une démocratie de qualité, c’est toute une communauté qui se trouve ainsi tirée vers le haut. À l’heure actuelle, il semble que cette éducation aux médias soit laissée à l’appréciation des enseignants de l’enseignement obligatoire qui choisissent, ou non, d’y consacrer du temps. L’introduire comme compétence socle en primaire et/ou secondaire pourrait avoir les effets bénéfiques décrits plus haut. » (Rapport des experts de l’atelier 2, p. 182) Cette recommandation permet également de rencontrer – en partie – les préoccupations des représentants d’usagers, qui souhaitent une meilleure formation à une pratique critique des médias : recommandations transversales 319 « Les représentants d’usagers se plaignent de certains contenus publicitaires véhiculés par les médias et de la confusion qui peut exister entre le rédactionnel et le publicitaire. Ils estiment que les instances qui encadrent la publicité ne sont pas assez efficaces pour protéger les consommateurs des abus et manipulations diverses constatés. Ils jugent qu’il conviendrait de mieux former les usagers à une pratique plus critique des médias et que cette formation ne devrait pas émaner d’instances liées aux annonceurs ou aux agences. Ils militent pour un Conseil fédéral de la Publicité indépendant. » (Rapport des experts de l’atelier 1, p. 84) 16. Sur l’uniformisation des règles pour les différents médias Compétence fédérale, pouvoir constituant et Communauté française Moyen terme « Les mêmes règles juridiques doivent s’appliquer quel que soit le média utilisé et quelle que soit la qualité de celui qui contribue à l’information, c’est-à-dire à « toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du public ». Cette uniformisation doit se faire par une application à l’ensemble des médias d’information des règles de procédure et de fond protectrices de la liberté de la presse. » (Rapport des experts de l’atelier 3, p. 228) En matière de liberté d’expression, nous partageons globalement les conclusions des experts sur la nécessité de mettre sur le même pied l’ensemble des médias d’information (presse écrite, audiovisuelle et Internet). Cette position est justifiée, notamment par la convergence croissante des médias. Il n’est pas souhaitable qu’un écrit ou qu’une séquence audiovisuelle susceptible 320 Chapitre 4 de se retrouver sur l’Internet bénéficie d’un traitement différent selon le média dans lequel il se trouve. L’uniformisation des règles à l’ensemble des médias imposerait, à tout le moins, de modifier le texte néerlandais de l’article 25 de la Constitution qui précise « de drukpers is vrij »254. Toutefois, l’une d’entre nous (CD) estime que cette uniformisation ne doit pas être l’objectif ultime et que la cohérence ainsi que le caractère approprié de la norme par rapport au contexte auquel elle s’applique doivent être privilégiés. 17. Liberté d’expression et vie privée Compétence du pouvoir constituant Moyen terme Nous voudrions ici souligner que lorsque la liberté d’expression et le droit à la vie privée entrent en concurrence, il importe que le cadre juridique permette la protection « concrète et effective » des deux droits fondamentaux. La philosophie générale du droit européen des droits fondamentaux, telle qu’elle se dégage de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme mais également de la Charte des droits fondamentaux, consiste précisément en une quête d’équilibre. Il est exact, comme l’indiquent les recommandations de l’atelier 3, que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a dégagé les critères qui permettent de mettre en œuvre cet exercice d’équilibrage ; il nous semble important d’insister – dans la ligne de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – sur la nécessité de veiller à un respect effectif du droit à la vie privée autant que de la liberté d’expression. Les droits fondamentaux forment en effet un tout indivisible au sein duquel aucune liberté n’a de priorité automatique sur les autres. C’est notamment en raison de ce mot « drukpers » que certains ont soutenu (ou soutiennent) que l’article 25 de la Constitution ne s’applique pas à l’audiovisuel. 254 recommandations transversales 321 18. Sur l’uniformisation des règles vis-à-vis des auteurs Compétence fédérale, du pouvoir constituant et Communauté française Court terme et moyen terme Nous partageons l’analyse des experts sur le fait qu’il n’y a pas lieu de distinguer, dans le traitement juridique de l’information, selon la qualité de celui qui la diffuse255. Nous semble, par ailleurs, particulièrement pertinente la recommandation de mettre en œuvre une politique d’information et d’incitation au respect de règles du droit de la communication (devoirs et responsabilités) et d’une déontologie de l’information à l’égard des journalistes citoyens qui mettent du contenu à travers les blogs, les forums de discussion et les réseaux sociaux. Une telle recommandation doit d’ailleurs être mise en résonance avec ce qui a été indiqué précédemment concernant l’éducation aux médias. 19. Sur l’interdiction de toute mesure préventive de restriction à la liberté d’expression Compétence du pouvoir constituant Moyen terme Nous ne sommes pas parvenus à un accord complet sur ce sujet. Pour l’ensemble d’entre nous, l’arrêt de la Cour européenne des droits de À cet égard, on peut rappeler que la dans l’affaire Steel et Morris c/ Royaume-Uni du 15 février 2005, la Cour eur. D. H. indique que « la garantie que l’article 10 offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d’intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique (…) ; la même règle doit s’appliquer aux autres personnes qui s’engagent dans le débat public. » (n° 90). 255 322 Chapitre 4 l’homme du 29 mars 2011256 rend, dans l’état actuel du droit belge, difficile, sinon impossible, toute mesure judiciaire préventive. Nous observons cependant qu’il existe, à cet égard, certaines résistances jurisprudentielles257. Il existe également une controverse en doctrine sur le point de savoir si une mesure préalable dans un litige entre particuliers constitue un acte de « censure » au sens de l’article 25 de la Constitution258 et/ou une violation de l’article 19 de la Constitution259. Par ailleurs, s’il existe un accord entre nous sur la nécessité de permettre un équilibre entre les principes de la liberté d’expression et les droits de la personnalité tels que le droit au respect de la vie privée ou le droit à l’image, garantis notamment par l’article 8 de la CEDH et par l’article 22 de la L’arrêt de la Cour eur. D. H. du 29 mars 2011 dit que : « le cadre législatif combiné avec le cadre jurisprudentiel existant en Belgique (…) ne répond pas à la condition de la prévisibilité voulue par la Convention » et n’a donc pas permis à la RTBF « de jouir d’un degré suffisant de protection requise par la prééminence du droit dans une société démocratique ». La Cour conclut, dès lors, à la violation de l’article 10 de la Convention (n°116). 257 Il est à noter que depuis l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 29 mars 2011 certains juges continuent à ordonner des mesures préventives ou se déclarent à tout le moins compétents pour le faire, entraînant encore plus de confusion et d’insécurités juridiques (Civ. Bruxelles (réf.), 7 septembre 2011 ; Civ. Bruxelles (réf.), 6 juin 2012 et Civ. Bruxelles (réf.), 29 janvier 2013). 258 Voy. notamment Fr. JONGEN, « Préventif, répressif ou curatif ? Le juge des référés et la liberté des médias en Belgique », à paraître dans A. & M., 2013. Dans son article « Liberté d’expression, liberté de presse : les procédures préventives et répressives sont-elles en voie d’extinction juridique ? » (in « Droits fondamentaux en Mouvement : Questions choisies d’actualité », CUP, Anthémis, 2012, p. 14), Fr. TULKENS recense, sur la période 1981-2010, une trentaine de décisions par lesquelles les juges se sont déclarés compétents pour connaître de demandes en référé préventives contre des organismes de télévision et seulement une demi-douzaine de décision en sens contraire. On peut également relever quelques décisions dans lesquelles des juges se sont déclaré compétents pour interdire préventivement la parution d’un article de presse (notamment Civ. Bruxelles (14e ch.), 30 juin 1997, citée par A. STROWEL et Fr. TULKENS, in « Prévention et réparation des préjudices causés par les médias », Bruxelles, Larcier, 1998, p. 214 et suivantes Trib. civ. Namur (réf.), 9 août 2000 J.L.M.B., 2000, p. 1182). Il est à noter que ces décisions précèdent l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 29 mars 2011. 259 A cet égard, il convient de relever que dans un arrêt du 3 décembre 2009, la Cour constitutionnelle précisait, dans sa réponse à une question préjudicielle sur le fait de savoir si une disposition sur le financement des partis politiques était compatible avec l’article 19 de la Constitution, que ce dernier « a pour objet de réserver au législateur la compétence de régir l’usage de la liberté d’opinion et d’interdire, en principe, toute mesure préventive d’une autorité publique » (Arrêt n°195/2009 du 3 décembre 2009 – numéro du rôle 4615). 256 recommandations transversales 323 Constitution ainsi que l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux260, nous ne sommes pas parvenus à un accord sur la manière de réaliser cet équilibre. Pour l’un d’entre nous (PFD), les mesures préventives ne constituent en aucun cas une manière adéquate de résoudre la tension entre le droit au respect de la vie privée et la liberté d’expression. Cet équilibre doit être recherché a posteriori par une réparation en nature ou pécuniaire efficace. Le cas échéant, il conviendrait, à son sens, d’instaurer une présomption de dommage moral important en cas de violation d’un droit de la personnalité, éventuellement par l’instauration d’un barème. Pour deux autres membres de notre groupe (CD et JFR), les mesures préventives ne constituent pas une manière adéquate de résoudre les tensions précitées mais à défaut d’une réparation civile suffisamment effective pour être dissuasive, l’intervention préalable du juge reste le seul garde-fou pertinent pour éviter la commission d’un dommage irréparable. Un débat doit dès lors intervenir justifiant l’intervention du législateur pour guider l’appréciation du juge dans le niveau de réparation. A défaut, des mesures exceptionnelles préalables doivent pouvoir être accordées dans des cas strictement limités en présence d’un dommage d’une exceptionnelle gravité (par exemple pour prévenir la commission d’infraction à l’égard de mineurs, à l’égard de victimes d’infractions pénales tel l’attentat à la pudeur). Dans ce cas, la modification de la Constitution s’impose. Enfin, pour le quatrième (MI), dans certains cas exceptionnels limitativement fixés par la loi, l’intervention préalable d’un juge doit pouvoir s’imposer pour prévenir un dommage irréparable, notamment à l’égard des mineurs. Ce serait en effet faire preuve d’angélisme que de croire que tous les dérapages des médias puissent être solutionnés uniquement par des mesures à posteriori dans l’état actuel du droit et de la jurisprudence (absence de 260 Voyez à cet égard le point 11 de la Résolution n°1165 (1998) sur le droit au respect de la vie privée de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui est souvent citée dans les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et qui précise que : « L’Assemblée réaffirme l’importance du droit au respect de la vie privée de toute personne, et du droit à la liberté d’expression, en tant que fondements d’une société démocratique. Ces droits ne sont ni absolus ni hiérarchisés entre eux, étant d’égale valeur. » Il est à noter que la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît également que « les communications en ligne et leur contenu risquent bien plus que la presse de porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit au respect de la vie privée » (Comité de rédaction de Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine, 5 mai 2011, § 63). 324 Chapitre 4 poursuite pénale, dommages moraux quasi inexistants261, absence de droit de réponse sur Internet et inefficacité de ce mode de réparation pour la plupart des atteintes aux droits de la personnalité, etc.)262. A son sens, il conviendrait d’introduire dans la Constitution (ou dans une loi263) une disposition qui conférerait au Juge, dans certains cas exceptionnels et sous certaines conditions très strictes264, le pouvoir de prendre une mesure préventive limitant la liberté d’expression, comme le prévoit notamment l’article 10, § 2, de la CEDH265. Il y a déjà plus de vingt ans, P. MARTENS parlait déjà de dommages et intérêts insatisfaisants, de préjudice irréparable causé par les médias et de réparation hasardeuse (P. MARTENS, « Le contrôle juridictionnel de l’audiovisuel », in F. JONGEN (dir.), Medias et services publics, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 246 et suiv.). 262 Notons que le point 14, vii de la Résolution 1165 (1998) précitée invite les gouvernements des États membres à se doter d’une législation garantissant le droit au respect de la vie privée qui prévoie notamment « une action judiciaire d’urgence au bénéfice d’une personne qui a connaissance de l’imminence de la diffusion d’informations ou d’images concernant sa vie privée, comme la procédure de référé ou de saisie conservatoire visant à suspendre la diffusion de ces données, sous réserve d’une appréciation par le juge du bien-fondé de la qualification d’atteinte a la vie privée ». L’utilisation des termes « imminence de la diffusion » dans cette recommandation vise bien une action préventive. 263 Pour autant que l’ambiguïté de l’interdiction de la censure prévue par l’article 25 de la Constitution soit levée. 264 En cas d’urgence et de péril grave et, de préférence, suite à un débat contradictoire, par exemple. 265 L’article 10 § 2 précise en effet que : « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » Voy. notamment P. MARTENS qui précise qu’ « en ce qui concerne les atteintes aux personnes, on ne voit pas comment le juge pourrait oublier qu’il est le gardien des droits à la dignité, à la vie privée et à la présomption d’innocence sous prétexte que celui qui les méprise s’abrite derrière une liberté pour en ignorer d’autres » (« Un juge peut-il être un censeur ? », A. & M. , 2003, p. 346). Pour la France, voyez notamment la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’article 9 du Code civil en combinaison avec l’article 809 du CPC ou l’article L.332-1 du CPI. 261 recommandations transversales 325 20. Sur la responsabilité en cascade Compétence du pouvoir constituant Moyen terme Nous sommes d’accord avec les experts de l’atelier 3 sur le fait que le régime de la responsabilité en cascade devrait, en principe, être étendu aux autres médias d’information. Nous ne partageons cependant pas leur avis sur le fait que la difficulté d’aboutir à une solution homogène, au regard des difficultés théoriques que pose cette question et l’absence de problèmes pratiques criants, justifierait de ne rien modifier à la situation actuelle. Certes, à ce jour, il n’existe ni régime homogène ni problèmes aigus, chacun s’accommodant plus au moins à la situation existante. Cependant, le régime de la cascade consacré par l’article 25 de la Constitution ne correspond plus à la réalité des médias d’information, notamment à l’audiovisuel266 et à l’Internet267, et est la source d’une inégalité de traitement des auteurs selon le média concerné. À cet égard, on pourrait tout d’abord, dans un souci partagé avec les experts de l’atelier 3, uniformiser les règles pour tous les médias en veillant à asseoir la neutralité technologique, supprimer l’imprimeur de la cascade et donc de l’article 25 de la Constitution. Une telle proposition se justifie (1) par l’absence fréquente d’imprimeur, (2) ou, s’il existe, par le fait que l’imprimeur est fréquemment à l’étranger ou (3) qu’il n’exerce plus aucun contrôle sur le contenu (contrairement à ce qui se passait en 1830). On pourrait ensuite, à l’aune de la loi luxembourgeoise sur la liberté d’expression du 8 juin 2004, reformuler la règle de la cascade de la manière suivante : « La responsabilité, civile ou pénale, pour toute faute commise par la voie d’un média incombe à l’auteur, s’il est connu, à défaut à l’éditeur [et à défaut au diffuseur]»268. Certains d’entre nous (MI, PFD, JFR) suggèrent qu’on Expressément exclus par la jurisprudence de la Cour de cassation et par le texte même de l’article 25 de la Constitution dans sa traduction en néerlandais (qui parle de « drukpers »). 267 La Cour de cassation a, dans un arrêt récent, étendu la notion de délit de presse à la « diffusion numérique » (Cass. (2e ch.), 6 mars 2012, R.T.D.I., 2013, p. 82) – voir infra. 268 Voyez à cet égard, l’article 21 de la loi luxembourgeoise du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias (texte coordonné du 30 avril 2010) qui précise que « la responsabilité, civile ou pénale, pour faute commise par la voie d’un média incombe au collaborateur, s’il est connu, à défaut à l’éditeur et à défaut au diffuseur ». Il est à noter que le principe de la responsabilité en cascade a été retiré de la Constitution luxembourgeoise pour être inséré dans la loi de 2004. En 266 326 Chapitre 4 puisse également prévoir que s’il existe un contrôle éditorial269, l’éditeur sera seul responsable ou aura une responsabilité partagée (mais non solidaire270) avec l’auteur, en fonction de l’étendue de son contrôle. Un autre membre (CD) ne partage pas cette analyse et estime que le principe de la cascade serait contredit par la co- ou seule responsabilité de l’éditeur. Cette responsabilité partagée se justifie d’autant plus que nous approuvons le souhait des experts que se construise une jurisprudence dans laquelle les dommages et intérêts répondent à une exigence de proportionnalité. Cette forme de cascade aurait, en outre, l’avantage d’être compatible avec le principe de la responsabilité des intermédiaires de l’Internet organisée dans la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information. Ce régime juridique institue, en effet, une forme de responsabilité subsidiaire au profit des intermédiaires dont l’activité consiste à permettre la diffusion de contenus vis-à-vis desquels ils n’exercent aucune maîtrise éditoriale : ce n’est qu’à partir du moment où le prestataire de services a connaissance du caractère illicite d’une information hébergée sur ses serveurs qu’il a le choix entre « agir promptement » pour supprimer l’information litigieuse, ou assumer la responsabilité liée à ces contenus. L’auteur reste le premier responsable (comme dans le régime de la cascade), et l’intermédiaire ne devient responsable que lorsqu’il intervient sur le contenu. 21. Vers une clarification du cadre juridique de la sanction des devoirs et responsabilités de celui qui s’exprime Compétence du pouvoir constituant Moyen terme Si nous partageons l’insatisfaction des experts quant à la situation actuelle réservée aux délits de presse (à l’exception de ceux à caractère raciste ou France, voyez l’article 42 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. 269 Par contrôle éditorial, il faut entendre une notion de fait désignant la capacité à intervenir sur les contenus. 270 Afin d’éviter que toute action en responsabilité soit uniquement et exclusivement diligentée à l’encontre de l’éditeur responsable (qui est en principe économiquement le plus fort) et que l’éditeur responsable s’immisce davantage dans le travail de ses journalistes. recommandations transversales 327 négationniste), certains d’entre nous ne se rallient pas à leur recommandation à s’engager dans la voie de la dépénalisation de l’exercice de la liberté d’expression. Nous ne sommes cependant pas parvenus à un accord sur les moyens de répondre à l’impunité pénale des délits de presse. L’un d’entre nous (PFD) rejoint les conclusions des experts de l’atelier 3 : « Après avoir examiné en profondeur les différents aspects de la question et plus particulièrement les avantages et les inconvénients des différents régimes envisagés, il est recommandé de s’engager dans la voie de la dépénalisation de l’exercice de la liberté d’expression dont on constate, notamment en raison de l’absence de poursuite pénale, que la répression ne répond plus à un besoin social réel et impérieux. Cette recommandation s’inscrit dans la ligne des travaux récents de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et, notamment, la Résolution 1577 (2007) du 4 octobre 2007 intitulée « Vers une dépénalisation de la diffamation» qui exprime, sur ce point, le consensus des 47 Etats membres. En revanche, s’il faut, dans certains cas, une réponse par la voie judiciaire, il convient d’utiliser la voie civile et de recourir au droit commun de la responsabilité. Une jurisprudence cohérente et prévisible doit se construire et les dommages-intérêts doivent répondre à l’exigence de proportionnalité. » (Rapport des experts de l’atelier 3, p. 239) Pour deux autres membres (JFR et CD), si la dépénalisation des délits de presse est souhaitable, la situation actuelle – à savoir la quasi-impunité de fait réservée aux abus de la liberté d’expression – , compte tenu du faible degré de réparation civile accordée, n’est pas acceptable. En effet, le respect de la vie privée et de la dignité que tout être est en droit d’attendre constitue autant d’impératifs que celui de la liberté d’expression. Il ne saurait être question ni d’instrumentaliser des poursuites pour exercer une quelconque forme d’intimidation dans l’exercice du droit d’information, ni de cautionner les abus de l’usage de la liberté d’expression. Dès lors, à leur sens, il convient de profiter du débat sur la dépénalisation formelle des délits de presse pour assurer un meilleur équilibre dans la sauvegarde des différentes libertés. A défaut de 328 Chapitre 4 l’intervention du législateur en matière de responsabilité civile, de nature à guider l’appréciation du juge dans le niveau de réparation et de l’octroi de dommages-intérêts significatifs aux victimes d’abus de presse difficilement réparables, il ne convient pas d’écarter la voie de la correctionnalisation des délits de presse. Cette réflexion se justifie notamment par l’extension, par la jurisprudence, du champ d’application des principes du délit de presse à des textes diffusés sur l’Internet271. Suivant ces deux membres, cette question de la réparation civile adéquate du préjudice n’est pas limitée au droit de la presse, mais trouve cependant, dans cette matière, une acuité plus particulière en raison de l’absence, en fait, de toutes poursuites pénales ou de la dépénalisation formelle des délits de presse. Pour un autre (MI), il convient de s’engager vers une correctionnalisation des délits de presse pour lutter contre l’impunité actuelle des abus de la liberté d’expression, cela d’autant plus que, comme il a été évoqué ci-dessus, la notion de délit de presse a été étendue dans l’arrêt précité de la Cour de cassation à l’Internet. Cette position est également justifiée par le risque de sentiment d’impunité que pourrait engendrer, surtout vis-à-vis des journalistes citoyens, la difficulté actuelle d’obtenir une mesure préventive (quand elle est possible), la difficulté ou le coût d’intenter une action en justice et l’absence de dommages et intérêts respectant le principe de proportionnalité. Une telle correctionnalisation devrait cependant être assortie par la création d’une chambre correctionnelle spécialisée dans les affaires de presse qui pourrait agir dans des délais raisonnables. Pour le tenant de la correctionnalisation des délits de presse, la dépénalisation de toutes formes de calomnie et de diffamation, qui sera engendrée par la dépénalisation des délits de presse, aura pour conséquence de réduire encore plus les moyens d’action pour lutter contre les atteintes au droit à l’honneur et à la réputation garantis tant par l’article 17 du Pacte de New York relatif aux droits civils et politiques que par l’article 10 § 2 de la CEDH. Pour le tenant de la correctionnalisation, cette dernière devrait cependant se faire avec le maintien du régime favorable actuel (prescription courte, Dans un arrêt (de rejet), la Cour de cassation a, en effet, jugé que manque en droit « le moyen qui (…) est déduit de la prémisse que seules la propagation et la diffusion d’une opinion punissable par voie d’imprimerie peuvent constituer un délit de presse » (Cass. (2eme ch.), 6 mars 2012, http:// jure.juridat.just.fgov.be/view_decision?justel=F-20120306-5&idxc_id=261956&lang=fr). Cass. (2e ch.), 6 mars 2012, R.T.D.I., 2013, p.82. Voy. aussi l’arrêt en règlement de juge par lequel la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Gand (Cass., 29 janv. 2013, nr P.12.1988.N/4). 271 recommandations transversales 329 interdiction de la détention préventive et règles spéciales en matière de huis-clos), voire même avec un renforcement de celui-ci, par exemple par la suppression de toutes peines d’emprisonnement272, notamment pour les auteurs de calomnie ou de diffamation comme y invite l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dans sa Résolution 1577 (2007)273. 22. Extension de la répression du négationnisme Compétence fédérale Moyen terme Nous partageons l’analyse des experts d’étendre le champ d’application de la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national socialiste allemand pendant la seconde guerre mondiale, à tous les crimes de génocide tels que définis par l’article 136bis du Code pénal. 23. Uniformisation du régime juridique des droits de réponse et/ou de rectification Compétence fédérale et Communauté française Moyen terme « 1° Uniformisation du droit de réponse Un consensus se dégage sur la nécessité d’uniformiser le droit de réponse, Voy. à cet égard Cour eur. D.H., 17 décembre 2004, Cumpana et Mazare c. Roumanie, § 115 qui précise que : « si la fixation des peines est en principe l’apanage des juridictions nationales, la Cour considère qu’une peine de prison infligée pour une infraction commise dans le domaine de la presse n’est compatible avec la liberté d’expression journalistique garantie par l’article 10 de la Convention que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque d’autres droits fondamentaux ont été gravement atteints, comme dans l’hypothèse, par exemple, de la diffusion d’un discours de haine ou d’incitation à la violence (…) ». 273 Il est à noter à cet égard que la Résolution 1577 (2007) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe intitulé « Vers une dépénalisation de la diffamation » se contente d’inviter les États membres « à abolir sans attendre les peines d’emprisonnement pour diffamation » et « à garantir qu’il n’y a pas de recours abusif aux poursuites pénales et à garantir l’indépendance du ministère public dans ces cas ». 272 330 Chapitre 4 quel que soit le média concerné (presse écrite, audiovisuelle ou média électronique), et de rendre plus effectif son rôle de garantie du débat contradictoire. Le droit de réponse devrait se situer dans un éventail de mesures à disposition des personnes citées par la presse pour faire entendre leur voix, mesures dont la mise en œuvre, pour des raisons de facilité, devrait répondre à des modalités similaires. Ces différentes voies d’actions seraient : - un droit de réponse sous forme de droit de rectification : ce droit appartiendrait à toute personne physique ou morale identifiée ou identifiable, et viserait à demander la publication ou l’insertion gratuite d’une rectification en cas de données erronées publiées par un média à son propos ou d’atteinte à son honneur. Le droit de réponse ainsi reformulé s’alignerait sur le régime existant en matière d’audiovisuel. - un droit de communication: ce droit appartiendrait à toute personne physique ou morale dont l’inculpation, la prévention, l’accusation ou la condamnation a été rapportée par un média, et viserait à demander la publication ou l’insertion gratuite d’une communication en cas de décision de non-lieu, acquittement, révision, grâce, amnistie ou remise en liberté. (...) Les conditions de recevabilité de la réponse ou de la communication, les motifs de refus de l’insertion demandée, les délais d’exercice du droit de rectification et du droit de communication, devraient être précisés et uniformisés, quel que soit le média concerné. 2° Utilisation du média numérique Les spécificités de chaque support empêchent une uniformisation complète de l’exercice de chacun de ces droits (rectification, communication, oubli). Toutefois, il pourrait être fait utilement usage du développement des médias numériques qui accompagnent de manière croissante tous les médias, quels qu’ils soient (sites web des journaux de la presse écrite, des recommandations transversales 331 organismes audiovisuels et médias uniquement numériques). L’insertion d’une rectification ou d’une communication pourrait ainsi satisfaire aux conditions requises lorsqu’elle se réalise sur le site web du média concerné d’une manière visible et en lien avec l’information publiée ou diffusée. Ce n’est qu’en cas de publication ou diffusion sans mise en ligne que la rectification ou la communication devra se faire dans le média d’origine selon les modalités prévues à l’heure actuelle. La préférence donnée au média numérique se justifie par la connectivité croissante des lecteurs et téléspectateurs à Internet. Ces rectifications et communications auraient en outre un effet multiplicateur sur la version Internet des informations concernées, dans la mesure où la réplique ou réaction de la personne concernée accompagnera les informations d’origine même dans les référencements des moteurs de recherche qui sont susceptibles d’amplifier la diffusion de données que la personne entend rectifier ou compléter. Enfin, une telle publication en ligne permettrait de s’adapter à la convergence croissante des médias qui ne permettra bientôt plus à l’utilisateur de distinguer presse écrite, audiovisuelle ou pages Internet, auxquels il accédera de manière indifférenciée par sa télévision, son ordinateur, son téléphone ou sa tablette. » (Rapport des experts de l’atelier 3, p. 253) Certains d’entre nous partagent (PFD, JFR et MI), le constat des experts sur la nécessité d’uniformiser le droit de réponse quel que soit le média concerné (presse écrite, audiovisuelle ou média électronique) et de rendre plus effectif son rôle de garantie du débat contradictoire274. Pour ces derniers, cette uniformisation doit être repensée en reprenant certains éléments du droit de réponse de la presse audiovisuelle complété par un éventail de mesures à disposition des personnes citées par la presse (droit de rectification, de communication et à l’oubli). Voyez à cet égard la Recommandation Rec (2004)16 du Comité des ministres aux États membres sur le droit de réponse dans le nouvel environnement des médias qui précise notamment que : « le droit de réponse est une voie de recours particulièrement appropriée dans l’environnement en ligne, étant donné la possibilité de correction instantanée des informations contestées et la facilité technique avec laquelle les réponses émanant des personnes concernées peuvent y être jointes ». Voyez également les références citées par Q. Van Enis in « Le droit de l’information au prisme de l’Internet », R.T.D.I., 2013, p. 5. 274 332 Chapitre 4 Pour un membre (CD), si une homogénéisation est souhaitable, des différenciations doivent subsister compte tenu notamment de la différence d’impact de la diffusion selon le média concerné et des contraintes propres à ce dernier. Ainsi le droit de réponse sur l’Internet doit être facilité et permettre l’insertion très rapide d’une réponse compte tenu du caractère instantané de l’Internet, de l’ampleur de la diffusion et de l’aisance technologique d’insérer une réponse. Dans l’audiovisuel, les contraintes pesant sur les éditeurs de services par rapport à la grille de programmes justifient un régime différencié prenant en considération ces éléments. Dans sa formulation, le droit de réponse doit subsister comme une forme particulière de réparation civile partielle, en nature, supplétive et rapide. L’intérêt principal du droit est lié à sa rapidité et à sa facilité d’exercice. Le droit de réponse doit être appréhendé comme une réponse émanant de la personne citée, « seule juge de l’intérêt qu’elle peut avoir à exiger une réponse »275. Pour autant le droit de réponse n’est pas inconditionnel et l’indépendance nécessaire de la critique doit pouvoir subsister276. La généralisation du modèle de droit de réponse propre à l’audiovisuel n’est en tous cas pas appropriée. Ce nouveau droit de réponse unifié devrait cependant prévoir un double degré de juridiction277. Sur la question de la dépénalisation du droit de réponse, certains d’entre nous (MI, CD, JFR) émettent des craintes quant au risque d’absence d’effectivité d’un recours civil en cas de refus injustifié du média d’insérer un droit de réponse. Ils relèvent ainsi que le droit de réponse dans la presse écrite serait sans intérêt si les éditeurs n’étaient pas passibles, en cas de refus d’insertion, de poursuites pénales. La sanction pénale est un moyen d’assurer, dans des délais accélérés, le droit de réponse, sans devoir attendre l’issue d’un procès en responsabilité, la décision judiciaire définitive ne pouvant intervenir que longtemps après et créant de ce fait un préjudice quasi irréparable. Anvers, 26 sept. 1986, Pas., 1986, II, p. 177 : « il n’appartient pas aux tribunaux de rechercher les raisons qui ont provoqué la réponse de la personne citée ». 276 Ainsi la critique scientifique, littéraire ou artistique ne donne ouverture au droit de réponse que si celle-ci a pour objet de rectifier un élément de fait ou de repousser une atteinte à l’honneur. 277 À cet égard, l’article 12, alinéa 3 de la loi du 23 juin 1961 prévoit qu’en matière de droit de réponse audiovisuelle le président du tribunal de première instance statue au fond et en dernier ressort alors qu’une telle règle n’existe pas pour la presse écrite, ce qui pourrait d’ailleurs être considéré comme une discrimination au sens de l’article 11 de la Constitution. 275 recommandations transversales 333 24. Secret des sources Compétence fédérale Court terme Nous partageons les conclusions des experts en charge de l’atelier 3 : - - La loi du 7 avril 2005 relative au secret des sources, telle que modifiée par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 juin 2006, n’appelle aucune modification. La recherche des auteurs de fuite d’information confidentielle (violation du secret de l’instruction) ne peut en effet plus, comme le notent les recommandations des experts de l’atelier 3 (p. 42-43), prendre la forme de poursuite contre des journalistes. En revanche, la loi du 10 mars 2010 relative aux méthodes de recueil de données par les services de renseignement devrait être revue afin d’en garantir la compatibilité avec les principes fixés dans la loi du 7 avril 2005 sur le secret des sources des journalistes. « En effet, la loi du 10 mars 2010 ne prévoit un régime dérogatoire aux pouvoirs des enquêteurs qu’en faveur des journalistes « admis à porter le titre de journalistes professionnels », ce qui est incompatible avec les principes qui ont conduit la Cour constitutionnelle à annuler en partie la loi sur le secret des sources, précisément parce qu’elle limitait le bénéfice de celui-ci aux seuls journalistes professionnels (« soit toute personne qui, dans le cadre d’un travail indépendant ou salarié, ainsi que toute personne morale, contribue régulièrement et directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du public »). Par ailleurs, le champ d’application des exceptions prévues à l’interdiction d’exploiter des données protégées par le secret des sources est lui-même incompatible, par son étendue, avec la seule restriction prévue par l’article 4 de la loi sur le secret des sources. » (Rapport des experts de l’atelier 3, p. 259) 334 Chapitre 4 25. Archives de presse et droit à l’oubli Compétence européenne, fédérale et Communauté française Court terme Cette thématique est importante en raison des inquiétudes que soulèvent les développements continus des TIC. Elle fait l’objet de travaux législatifs en cours au niveau de l’UE : à l’heure d’écrire ces lignes, la proposition de Règlement du PE et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données) (COM(2012) 11 final - 2012/0011 (COD)) a fait l’objet d’une première lecture au sein de la commission LIBE du Parlement européen. Cette commission a adopté son rapport le 21 octobre 2013 : à la suite de ce vote, des négociations entre le PE, la Commission et le Conseil vont à présent suivre en vue de la conclusion d’un accord inter-institutionnel qui permettrait alors l’adoption du projet avant la fin de la législature.278 Jusqu’à présent, le « droit à l’oubli » visait la situation où la presse mettait à nouveau en lumière des faits anciens, notamment le passé judiciaire de certains. Nous pensons que les principes jurisprudentiels actuels suffisent à régir cette matière : le droit à l’information (intérêt spécifique d’une nouvelle publication relative à des faits anciens) doit être mis en balance avec les intérêts du droit à la vie privée (protection de la réputation, « droit à l’oubli »).279 En ce sens, nous rejoignons la recommandation 7, 1°, de l’atelier 3 (p. 49). Nous partageons également l’affirmation selon laquelle les archives de presse doivent être protégées contre un dangereux « droit à l’oubli » qui conduirait Voy. http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/content/20130502BKG07917/html/ QA-on-EU-data-protection-reform. Voy. aussi http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/content/20131021IPR22706/ html/Civil-Liberties-MEPs-pave-the-way-for-stronger-data-protection-in-the-EU 279 Voir à ce sujet Cour eur. D.H., Osterreichischer RundFunk c. Autriche, 7 décembre 2006, où la « la Cour souligne que, lorsqu’un équilibre doit être trouvé entre l’intérêt du public et l’intérêt du condamné, les éléments suivants doivent être pris en considération : la notoriété de la personne concernée, l’écoulement du temps entre la condamnation et la libération, le lien entre le contenu du reportage et la photographie, la complétude et la véracité du texte » (cité dans l’article d’E. Defreyne, « le droit à l’oubli », RDTI 51/2013). 278 recommandations transversales 335 à un risque de réécriture permanente de l’histoire. Les experts de l’atelier 3 concluent que les archives de presse « ne seraient toutefois accessibles au public qu’à des fins de recherche ». Cette question nous paraît surtout liée à la suivante (moteurs de recherche sur Internet) et à la persistance, sur une longue période, de l’accessibilité, via le web, d’informations anciennes. Les recommandations de l’atelier 3 préviennent du risque qu’il y aurait à une pratique généralisée du déréférencement et retiennent que les moteurs de recherche pourraient être astreints à ne plus référencer les informations qui ne sont plus accessibles sur le site du média. Au-delà de ces constats que nous partageons, un travail important d’éducation aux médias paraît s’imposer ici (également) afin de renforcer le niveau de connaissance du grand public sur le fonctionnement effectif de l’Internet, l’exposition publique d’informations privées, la continuité de cette exposition, et les moyens de la réduire.280 26. Droits intellectuels et liberté d’expression Compétence fédérale Court terme Nous partageons l’analyse des experts de l’atelier 3 : en l’état actuel, aucune recommandation n’est nécessaire. Relevons avec eux que « la liberté d’expression ne peut subir de restriction résultant de la protection des droits intellectuels que si cette restriction est prévue par la loi et est nécessaire dans une société démocratique ». La Cour européenne a indiqué que le droit d’auteur étant lui-même protégé comme un droit fondamental, les Etats disposent d’une large marge d’appréciation qui varie toutefois selon le type d’expression concerné, ce qui paraît indiquer que les informations de presse sur des questions d’intérêt général pourraient peser plus lourd dans la balance des intérêts que la protection d’intérêts plus privés garantis par des droits intellectuels. Comme exposé ci-dessus, en ce qui concerne le droit d’auteur, le règlement des questions liées aux droits d’auteur est essentiel car il a un impact tant Voir par exemple http://geeko.lesoir.be/2013/08/26/just-delete-me-le-site-qui-vous-aide-adisparaitre-du-web/ ou http://controle-tes-donnees.net 280 336 Chapitre 4 sur la chaîne de valeur (et donc la capacité de continuer à produire des contenus) que sur la sauvegarde de la diversité des sources d’information. « Si la presse a parfois été limitée dans son expression par une action invoquant une atteinte à un droit d’auteur des tiers, la jurisprudence très récente de la Cour européenne des droits de l’homme (notamment un arrêt du 10 janvier 2013, Ashby Donald c. France et une décision du 19 février 2013, Neij & Sunde Kolmisoppi c. Suède) réaffirme clairement que la liberté d’expression (ce qui comprend la liberté de la presse) ne peut subir de restriction résultant de la protection du droit d’auteur que si cette restriction est prévue par la loi et est nécessaire dans une société démocratique. La Cour a indiqué que le droit d’auteur étant luimême protégé comme un droit fondamental, les Etats disposent d’une large marge d’appréciation qui varie toutefois selon le type d’expression concerné, ce qui paraît indiquer que les informations de presse sur des questions d’intérêt général pourraient peser plus lourd dans la balance des intérêts entre protection du droit intellectuel et liberté de la presse. » (Rapport des experts de l’atelier 3, p. 286) 27. Déontologie et autorégulation Compétence Communauté française Court terme « Une quasi-unanimité s’est dégagée, parmi les intervenants, pour souligner l’importance du travail du Conseil de déontologie journalistique, mis en place en 2009, et pour encourager le développement de son action, même si l’étendue (trop) limitée de son champ d’action a été regrettée par certains. » (Rapport des experts de l’atelier 3, p. 271) Nous rejoignons les recommandations de l’atelier 3 : - Le rôle du CDJ devrait être étendu, en concertation avec le CSEM, recommandations transversales - - 337 à un travail d’éducation aux médias et d’information sur la déontologie. Il convient de laisser le CDJ adapter au besoin ses procédures internes. L’obligation de publication des avis du CDJ par les médias concernés (par le biais de leur site Internet) nous paraît une excellente manière de renforcer l’effectivité du mécanisme d’autorégulation. Dans le même sens, nous partageons la recommandation 21 de l’atelier 2. « [RECOMMANDATION 21] Les éditeurs faisant partie de l’AADJ devraient s’engager formellement à publier toute décision ou tout avis du CDJ qui concerne directement leur média. Cet engagement devrait constituer un critère supplémentaire, à ajouter au décret, pour l’attribution de l’aide directe à la presse. » (Rapport des experts de l’atelier 2, p. 178) 28. Rapports entre presse et justice Compétence fédérale Court terme Nous ne sommes pas parvenus à un accord complet sur ce sujet. Accès aux salles d’audience Sur ce point, nous pensons que, sans préjudice des exceptions légales (figurant notamment à l’article 557 du Code judiciaire) et des règles en matière de huisclos, il s’impose de garantir l’accès aux salles d’audience dans un cadre strict qui ne perturbe pas la sérénité des débats. Il s’agit simplement de publicité de la justice. Les propositions des experts de l’atelier 3 relatives à l’organisation de la présence des caméras dans les salles d’audience (pratique du « pool ») sans perturber les débats nous paraissent pertinentes. Pour l’un d’entre nous (MI), il convient cependant de rappeler que seul le 338 Chapitre 4 droit à l’information du public justifie la présence d’une caméra dans une salle d’audience281. Certains d’entre nous (PFD) partagent l’opinion des experts de l’atelier 3, selon laquelle il n’appartient pas au juge de refuser la présence de caméra dans la salle d’audience. Respect des personnes mises en cause Il semble à certains d’entre nous (MI, JFR) que le respect des personnes mises en cause dans les procédures judiciaires impose de mettre en balance les exigences du droit à l’information avec les droits de la personnalité de ces personnes (vie privée, droit à l’image, réputation, etc.). Ce n’est que lorsque le droit à l’information est prépondérant que les médias devraient rapporter les affaires judiciaires et identifier nommément les parties. De même, ce n’est que lorsque l’utilisation de l’image d’une personne est justifiée par le droit à l’information (en quoi la publication de la photographie d’un inculpé sertelle un besoin d’information d’intérêt général ?) qu’il serait pertinent de publier des photos des personnes mises en cause dans les procédures. Nous nous accordons sur le fait qu’il appartient en première ligne aux médias d’effectuer cette appréciation, sous réserve d’une éventuelle action en justice ultérieure des personnes intéressées. L’un d’entre nous (PFD) partage pour sa part les recommandations de l’atelier 3 : les procédures en justice relèvent de l’actualité et des affaires d’intérêt général sur lesquelles les médias peuvent rapporter librement. Nous partageons les recommandations de l’atelier 3 en ce qui concerne les relations entre justice et médias. « Il est recommandé de privilégier les lieux et les instances de rencontres et de discussions entre les acteurs concernés de la justice et des médias. Il En matière d’images de procès, le Professeur Derieux précise à juste titre que « la solution ne réside pas dans le « tout à l’image » ni dans l’absence totale d’image, mais dans un usage raisonné et maîtrisé de ce vecteur de la communication par le droit des professionnels. Ces derniers doivent prendre conscience de leurs responsabilités, pour mieux jouir de leurs libertés » (M. Mercier, « L’image menacée ? : Compte rendu du Forum Légipresse », Légipresse, n°187, p. 161). 281 recommandations transversales 339 est recommandé d’encourager le dialogue entre journalistes et magistrats, de façon informelle et institutionnelle. Les organismes « représentatifs » des magistrats (CSJ, Conseil consultatif de la magistrature, IFJ, syndicats de magistrats...) et des journalistes (CDJ, AJP, les sociétés de journalistes, les associations d’éditeurs...) devraient être incités à nouer ces dialogues. » (Rapport des experts de l’atelier 3, p. 281) Chapitre 5 Point de vue des groupes politiques point de vue des groupes politiques 343 1. Contribution du Groupe PS par M. Jean-François Istasse A l’heure de publier l’ouvrage de synthèse des Etats généraux des médias d’information, ayant conduit à l’émergence de nombreuses recommandations, il importe de souligner le caractère inédit du processus dans notre Assemblée. Face aux mutations et transition numérique en œuvre dans le secteur des médias d’information, les EGMI ont permis : - - - de mettre en lumière et rendre accessibles les données objectives sur l’évolution du secteur (tant en termes de ressources que d’importance économique ou d’emploi) ; de confronter les points de vue en constituant un point de rencontre et de dialogue entre les professionnels de l’information, les politiques et la société civile ; de démontrer l’importance de ce secteur stratégique, tant du point de vue économique que social, culturel, technologique ou démocratique. De surcroît, ce travail a été mené en assurant parallèlement la progression des moyens publics consacrés au développement médiatique. Sans exhaustivité, il importe pour mon groupe de distinguer, selon 3 axes, les principales propositions qui feront l’objet d’un soutien déterminé : 1) Promouvoir le dynamisme économique, industriel et technologique des différents acteurs médiatiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour leur permettre de procéder aux adaptations et innovations indispensables. Concrètement, nous souhaitons : - - La mise en œuvre d’un plan de développement des médias d’information pour préserver l’équilibre et le pluralisme du marché médiatique (public-privé, audiovisuel-presse écrite). L’augmentation des aides à la presse pour atteindre dans les meilleurs 344 Chapitre 5 - - - - délais le seuil des 10 millions €, moyennant le renforcement des critères d’octroi (en matière d’emploi en particulier), du contrôle et l’élaboration de sanctions graduées en cas de non-respect des critères. Cette refonte doit se faire en partenariat avec les éditeurs et l’association représentative des journalistes. La régulation du marché publicitaire. Le soutien à la transition numérique des opérateurs de presse écrite dont les kiosques numériques. Le financement additionnel envisagé selon plusieurs axes (financement participatif, TVA réduite, tarif postal). La désignation, à l’échelon de la FWB, d’un Ministre des médias afin de développer une politique globale et transversale des médias. Et la création d’un comité interministériel destiné à coordonner les politiques menées aux différents niveaux de pouvoir et créer un cadre macro-économique efficient. 2) Assurer la qualité des contenus par la valorisation des métiers journalistiques. Concrètement, nous souhaitons : - - - - Le développement d’une offre de formation permanente s’appuyant sur des partenariats entre les organismes déjà présents et dans un double objectif de complémentarité et de cohérence. La pérennisation du Fonds d’investigation journalistique, notamment un renforcement progressif de son financement. Le soutien à un travail concerté entre l’association des journalistes professionnels et les éditeurs, entre autres sur les rémunérations des journalistes indépendants et la promotion, dans l’ensemble des médias, d’un statut de rédaction permettant le respect de l’indépendance journalistique, la clarification de la ligne rédactionnelle et des droits et responsabilités des rédacteurs en chef notamment. Le respect et la promotion des règles déontologiques, la publication par les médias des avis du Conseil de déontologie (dans le respect de l’autonomie éditoriale). 3) Garantir l’accessibilité à des médias d’information de qualité issus de la Fédération Wallonie-Bruxelles, permettant le décryptage et l’analyse critique du monde et des enjeux qui le traversent, du local à l’international. point de vue des groupes politiques 345 Concrètement, nous souhaitons: - - - - Le développement accru de l’éducation aux médias sur base des opérations existantes et partenariats médiatiques visant notamment les développements numériques. Le renforcement de l’accès à l’information (via des abonnements tournés vers les jeunes, sous réserve de moyens disponibles). La poursuite du processus d’observation des médias visant la récolte de données objectives destinées à l’analyse et au développement équilibré du marché médiatique. La protection de la liberté d’expression via les mesures qui ont fait l’objet d’un large consensus (assurance responsabilité et défense en justice, modération des forums, uniformisation du droit de réponse, dialogue presse justice et accès aux salles d’audience) et la poursuite du débat démocratique, le cas échéant, sur toutes les questions pendantes (dont l’équilibre vie privée et liberté d’expression). Une dynamique de « média d’information mainstreaming » (prise en compte systématique du devenir des médias d’information lors de l’élaboration de toute politique) fait sens et se trouve désormais étayée par une mine de ressources précieuses. 346 Chapitre 5 2. Contribution du Groupe MR par MM. Pierre-Yves Jeholet et Richard Miller Ces dix dernières années, le secteur de la presse dans son ensemble a connu de profondes mutations technologiques qui ont entraîné d’importants bouleversements du travail journalistique lui-même, ainsi que du modèle de consommation de l’information. Pour ce qui concerne en particulier la Fédération Wallonie-Bruxelles, à ce phénomène s’est ajoutée une augmentation manifeste et de plus en plus tentaculaire du secteur public audiovisuel et, corrélativement, un véritable étouffement des initiatives provenant du secteur privé, notamment par l’accaparement des recettes publicitaires. Il en est résulté un déséquilibre criant et inquiétant pour la garantie d’une presse de qualité, indépendante et pluraliste ; surtout pour la presse écrite. En parallèle, les habitudes des citoyens en termes de consommation de l’information ont, elles aussi, profondément évolué avec un recours grandissant à l’information via les supports numériques. Les inquiétudes grandissantes, et légitimes, du secteur nécessitaient qu’une réflexion en profondeur soit menée sur le secteur de la presse. Les EGMI devaient répondre à ces inquiétudes et permettre d’apporter des solutions concrètes pour l’avenir du secteur des médias. Malheureusement, les nombreuses tergiversations et les lenteurs du processus mis en place n’apporteront que des réponses lacunaires et bien trop tardives. Le secteur de la presse en Fédération Wallonie-Bruxelles est à l’heure actuelle totalement déséquilibré avec un secteur public de plus en plus puissant et des opérateurs privés qui luttent pour leur survie. L’actualité récente, prenons l’exemple du rachat d’un groupe de presse par une intercommunale et la création du groupe Publifin, a démontré une fois de plus l’extension de ce monopole public et l’incapacité du Gouvernement de la Fédération WallonieBruxelles d’y apporter une réponse concrète et rapide. Les droits et libertés de presse, d’information, d’expression, d’association et d’entreprise, garantis par la Constitution ainsi que le respect des règles de la concurrence loyale et les prescrits des directives européennes sont très point de vue des groupes politiques 347 malmenés par le constat que l’on doit malheureusement faire, alors qu’il s’agit d’un secteur vital pour la démocratie. Alors que notre Fédération Wallonie-Bruxelles peine à prendre des décisions concrètes, on constate qu’en Flandre où les décisions utiles de libéralisation et d’ouverture du marché ont été prises, le secteur, au niveau de tous ces différents médias, connaît un fonctionnement positif et équilibré, avec des groupes de presse puissants, des producteurs indépendants et créatifs, des câblodistributeurs privatisés et un service public limité à sa juste place. Il importe de prendre des décisions concrètes et courageuses pour réinstaurer un véritable équilibre au sein de l’ensemble des métiers des paysages médiatiques, pour permettre aux opérateurs privés de poursuivre leur travail de manière efficace, pour soutenir nos télévisions et radios locales dont le rôle d’acteur de proximité est essentiel, pour assurer un financement suffisant de notre presse écrite et réinstaurer une réelle concurrence loyale et équitable du secteur. Il faut pouvoir retrouver dans ce secteur des conditions de travail qui permettent, à tous les échelons du processus journalistique – presse écrite et audiovisuelle – de renouer avec une information mûrie, réfléchie, qualitative : en un mot, citoyenne. Des conditions de travail qui associent pleinement deux principes fondamentaux : indépendance et qualité. Enfin, au moment où la technologie a supprimé toutes les frontières qui pouvaient faire barrage à l’information, qu’elle soit sportive, culturelle, sociétale ou politique, l’ensemble du secteur doit avoir les moyens de développer son ancrage local par une information de proximité, et son ancrage européen qui est appelé à devenir de plus en plus le territoire commun du lectorat pour la presse écrite et du public pour la presse audiovisuelle. En tant que démocrates, et parlementaires libéraux, nous estimons que les enjeux du monde de la presse concernent chaque citoyen. C’est la raison pour laquelle ce Rapport doit être lu et analysé. Il est essentiel qu’il ne reste pas lettre morte ! 348 Chapitre 5 3. Contribution du Groupe Ecolo par Mme Isabelle Meerhaeghe 2013 aura été une nouvelle année de bouleversements dans le secteur des médias d’information. La fin de la version papier de Newsweek, le rachat du Washington Post, les licenciements chez El Pais, les menaces de fermeture d’ERT, l’annonce du rachat des Editions de l’Avenir, …, sont autant le signe de la nécessité de voir émerger un nouveau modèle économique pour les médias d’information. La crise que traversent les médias d’information est globale. Elle est aussi structurelle. En effet, depuis des années – ou doit-on parler de décennies – les médias doivent faire face à d’importantes mutations technologiques et économiques. Ils doivent aujourd’hui repenser leur avenir, pour continuer à exister. Et l’enjeu est immense. Il renvoie à la sauvegarde d’une presse libre, indépendante, pluraliste et diversifiée. A la lutte contre les stéréotypes, les populismes, la désinformation. A la production d’informations de qualité, analysées et certifiées par des professionnels. En bref : aux fondements mêmes de nos démocraties. Se joue ici aussi, l’avenir des journalistes, de leur rôle, de leurs missions et des modalités d’exercice de leur profession. Face à ces constats, l’ensemble des groupes politiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles a décidé de mener des Etats généraux des médias d’information. Objectif : rassembler les secteurs, les professionnels et les experts autour de constats et de pistes pour dessiner les contours du futur des médias. Pendant près de trois ans, des auditions auront fait bouillonner les matières grises, suscité la réflexion et donné lieu à des rapports de grande qualité. Ils furent nombreux à s’investir, donner leur temps et partager leurs idées et doivent en être remerciés. Ne nous leurrons pas : les Etats généraux n’auront pas fait émerger « la solution miracle » pour ce nouveau modèle économique. Personne n’en dispose et l’avenir reste incertain. Mais les enjeux sont identifiés, les recommandations actées. Reste au politique à agir et à être à la hauteur de cette mobilisation. Exercice périlleux que de résumer trois ans de débats en quelques lignes ! Avant d’égrener les réponses, quelques constats. Si la crise est globale, les médias d’informations en Belgique francophone évoluent dans un contexte particulier, avec une audience d’environ quatre millions de personnes point de vue des groupes politiques 349 et des médias français omniprésents. Dans un contexte où les fusions et concentrations se succèdent et la concurrence se durcit – renforcée par la convergence médiatique – il est fondamental de garantir la diversité des médias et le pluralisme. Aussi, les effectifs des entreprises, tout secteur confondu, sont les premiers à payer le prix de ces bouleversements. Audelà des pertes d’emplois, les journalistes, tout statut confondu, doivent travailler toujours plus vite, créer des contenus pour toutes les plates-formes, répondre aux besoins de l’immédiateté ou faire de l’infotainement, pour « attirer le chaland ». Ils disposent, dès lors, de moins en moins de temps pour recouper les informations, jouer un rôle de filtre et procéder à des analyses approfondies, conditions de travail et qualité de l’information étant étroitement liées. Enfin, tous nos médias ont pris leur virage numérique. Cependant, dans un contexte si changeant, ils doivent encore et toujours se réinventer, proposer de nouveaux formats, faire du cross-médias, repenser la complémentarité entre les supports… dans une réalité interconnectée où l’information gratuite n’existe pas. Ils doivent pouvoir proposer des contenus à haute valeur ajoutée, attirer les nouvelles générations et répondre aux attentes d’un public exigeant qui veut de l’information partout, tout le temps. Ces considérations et défis en vue, le soutien au pluralisme, à l’emploi, au développement économique et à l’innovation seront les maîtres-mots et les guides de notre action politique. Le rôle des politiques publiques est de soutenir tous les médias d’information – publics et privés – dans leur transition et leur développement, de leur donner les moyens leur permettant de faire preuve de créativité et d’inventivité. Ceci, dans un contexte où l’emploi de qualité doit être garanti et les conditions de travail respectées. Et il s’agit d’investir tous les champs et niveaux de pouvoir, des Régions à l’Europe et de s’assurer de la coordination des politiques menées. Une première action concerne les aides directes à la presse. Si celles-ci ont été renforcées, au cours de la législature, l’augmentation des moyens doit être à la fois plus importante et garantie sur la durée. Elle doit également être assortie de critères en termes de transparence, de pluralisme, de soutien à l’emploi et aux conditions de travail de qualité. Il s’agit ainsi de renforcer les outils qui garantissent l’autonomie des rédactions, redonnent du pouvoir aux journalistes et améliorent leur statut. Le soutien au développement et à la conversion numérique de tous les médias constitue une deuxième action. Celui-ci passe par plusieurs volets : l’accompagnement de la transition numérique, le soutien à la formation continue – pour laquelle les premiers 350 Chapitre 5 jalons ont récemment été posés – l’aide au développement économique. Il s’agit aussi de rester attentif à toutes les initiatives créatives, les nouveaux projets, supports, modèles qui émanent de l’inventivité bouillonnante des professionnels du secteur. Enfin, un paysage médiatique pluraliste repose sur des acteurs publics, privés et associatifs. La RTBF en particulier joue un rôle fondamental en termes d’accessibilité de tous à une information marquée d’une spécificité « service public », qui doit être consolidée. Parallèlement, les missions d’information de proximité, d’ancrage local et de promotion de la diversité culturelle des télévisions locales doivent être protégées. Ceci ne peut être qu’une ébauche des projets à bâtir avec les professionnels. Après les bouleversements de 2013, 2014 doit résolument être l’année de l’action : pour aller de l’avant, éviter les retranchements, bousculer les idées et soutenir la construction des médias du 21ème siècle. point de vue des groupes politiques 351 4. Contribution du Groupe cdH par Mmes Julie de Groote et Savine Moucheron Fallait-il des EGMI ? Oui mais l’heure est maintenant à l’action. Trois ans de débat et d’analyse avec l’ensemble du secteur ne peuvent se solder par de simples recommandations. Le but de ces états généraux était de générer des mesures de soutien pour l’avenir des médias, il est temps de leur donner corps. De nouveaux enjeux ont fait surface en Fédération Wallonie-Bruxelles et les changements sont plus rapides que le rythme pris par les travaux des EGMI : convergence des médias, concentrations, modification du profil des groupes de presse. Dans ce contexte, le cdH veut poursuivre sa démarche d’accompagnement et de soutien aux médias. Il s’est fixé des priorités, en distinguant celles qu’on peut encore réaliser à très court terme de celles qui alimenteront la prochaine législature. 1. MEDIAGORA, un lieu stratégique à créer L’équité qui doit régner entre les services publics et privés des médias n’est plus aussi évidente que par le passé. La concurrence entre les deux secteurs s’est accrue et la répartition des budgets publicitaires entre les différents médias crée des tensions fortes. La FWB est un acteur clé de la régulation du paysage médiatique francophone. Mais elle ne dispose plus des outils nécessaires à la bonne compréhension des marchés. Les structures de régulation, co-régulation ou autorégulation existantes ne sont pas chargées de rendre systématiquement publiques les décisions qu’elles adoptent. Le pluralisme exige aussi qu’on en tire les conséquences au niveau économique. Le politique doit s’assurer que des arbitrages peuvent être faits. C’est pourquoi nous voulons créer un lieu où les professionnels du secteur sont en interaction entre eux et avec le politique pour gérer les transformations des médias, un lieu où on s’oblige à se comprendre et à se concerter. En cela, notre proposition diffère d’un observatoire ou d’une simple collecte de données. 352 Chapitre 5 Cette nouvelle instance que nous proposons d’appeler MEDIAGORA sera capable de rassembler experts, acteurs du terrain et acteurs politiques afin de favoriser l’écoute et la négociation et ce, en toute transparence. Le but sera d’objectiver le débat et faire des recommandations aux politiques. Ceux-ci pourront dès lors décider de mesures concrètes qui répondent aux nécessités du secteur, avec une vision à plus long-terme. 2. Le pluralisme et la qualité médiatique Le pluralisme médiatique est gage de la vitalité de notre démocratie. Il est lié à la qualité du travail fourni par les journalistes et attendu par le public. Aujourd’hui, les TICs ont permis aux acteurs du marché d’exercer une pression sur les médias traditionnels pour qu’ils mettent à disposition du contenu gratuit, immédiat, attractif, et rentable à très court terme. Les conséquences sont lourdes pour le métier de journaliste : celui-ci doit travailler plus, n’a pas la distance nécessaire pour donner une information recoupée, doit s’adapter sans cesse aux nouvelles technologies et, s’il est indépendant, doit gérer une instabilité financière permanente. Ces conditions menacent la qualité et la fiabilité de l’information. Elles peuvent aussi nuire au respect de la déontologie journalistique. Il est donc impératif de rééquilibrer la balance entre la logique économique et la logique journalistique. Le cdH veut renforcer l’indépendance et l’autonomie des rédactions, coordonner plus efficacement les écoles de journalisme pour mettre à disposition des modules de formation continue, envisager l’assouplissement des conditions à l’indemnisation des pigistes et renforcer le Conseil supérieur de déontologie. 3. Recadrer la concurrence entre la liberté d’expression et le droit à la vie privée Les principes de la liberté d’expression et les droits de personnalité appartiennent aux droits fondamentaux de nos sociétés démocratiques. Les uns ne sont pas prioritaires sur les autres. Mais le nouveau contexte d’accélération des médias et d’une transparence exacerbée, amène de nouvelles pratiques médiatiques qu’il convient de cadrer. Si le cdH soutient un droit de réponse adapté aux différents supports médiatiques, la réforme de la responsabilité en cascade et le droit à l’oubli, point de vue des groupes politiques 353 il s’interroge néanmoins sur l’équilibre à maintenir entre la liberté de presse et la protection des libertés individuelles dans un contexte de diffusion immédiate. Le cdH souhaite dès lors poursuivre la réflexion sur le rétablissement du lien entre justice et médias concernant les cas d’abus de liberté d’expression. L’immédiateté des médias et la transparence exacerbée de l’information appellent aussi au renforcement des outils d’éducation aux médias. Les EGMI auront donc permis deux avancées majeures : une prise d’acte politique des problèmes transversaux qui traversent le secteur, et des recommandations qui alimenteront la prochaine feuille de route des gouvernements qui se formeront après les élections du 25 mai. D’ici là, agissons. Annexes 357 Annexe 1 Liste des personnes auditionnées lors des ateliers et les fonctions qu’elles occupaient au moment de leur audition Nom Titre Annaert Sophie Présidente de la 14ème chambre du tribunal de première instance de Bruxelles Anspach Patrick Journaliste indépendant et président de la commission d’agréation francophone Basile Olivier Président de la section belge de Reporters sans Frontières Beelen Axel Juriste à la Société des Auteurs Journalistes (SAJ) Bogaert Olivier Commissaire à la Federal Computer Crime Unit Boribon Margaret Secrétaire générale des Journaux Franco phones Belges (JFB), Secrétaire Générale de Copiepresse Boulvin André Président de la Fédération des Télévisions Locales Buchel Bernard Haute Ecole Groupe ICHEC - ISC Saint Louis ISFSC Buydens Mireille Professeur en droit et droit économique à l’ULB, docteur en philosophie Chamut Marc Président du Conseil de déontologie journalistique (CDJ) 358 Da Lage Olivier Journaliste à Radio France International et adhérent au Syndicat National des Journalistes Français (SNJ) et ancien président de la commission de la carte des journalistes professionnels Dal Zotto Joseph Enseignant à la Haute École de la Province de Liège De Borchgrave Patrick Président de l’association The Ppress, Directeur des relations externes chez Roularta, Président de la Febelmag, Président du Centre d’Information sur les Médias (CIM) De Coninck Philippe Directeur de la section communication de la Haute École Louvain en Hainaut (HELHA) De Coster Simon-Pierre Directeur juridique de la RTBF De Haan Marc Directeur de Télé Bruxelles, représentant de la Fédération des Télévisions Locales Dedryvere Marjorie Juriste de l’association The Ppress Delfosse Frédéric Journaliste à RTL-TVi et enseignant à la Haute École de la Province de Liège Delruelle Edouard Directeur adjoint du Centre pour l’égalité des chances Desmed Jonas Service d’Information sur les Études et les Professions (SIEP) Deville Xavier Vice-président de Prodipresse Docquir Pierre-François Deuxième vice-président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et responsable scientifique de la participation de l’ULB au programme Mediadem (pour Média et Démocratie), projet de recherche européen 359 Dumont Jean-François Secrétaire Général adjoint de l’Association des journalistes professionnels (AJP) Eeckhout Luc Senior Project Manager au Centre d’Information sur les Médias (CIM) Féraux Francis Administrateur de Pressbanking Fion Céline Journaliste et auteure d’une étude sur le moral des journalistes en Belgique Frydman Benoît Philosophe du droit, spécialiste de l’exercice de la liberté d’expression sur Internet Gemoets Quentin Administrateur délégué des Éditions L’Avenir Genot Vincent Rédacteur en chef adjoint de la Newsroom du Vif-L’Express Grevisse Benoît Directeur de l’école de journalisme de l’UCL Gruber Marc Directeur de la Fédération Européenne des Journalistes (FEJ) Guyaux Anne Haute École Provinciale Condorcet à Charleroi Haski Pierre Journaliste et co-fondateur de Rue89 Heinderyckx François Directeur du département des sciences de l’information et de la communication à l’ULB Hennart Luc Président du tribunal de première instance de Bruxelles Hindryckx Luc Président du Conseil de l’Institut Belge des services Postaux et des Télécommunications (IBPT) Hoebeke Stéphane Conseiller juridique à la RTBF 360 Hublet Nathalie Media manager à l’Union Belge des Annonceurs (UBA) Jacqmin Jean-Pierre Directeur de l’information et des sports de la RTBF Janssen Marc Président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) Jaroszewski Eva Agence pour l’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur (AEQES) Jespers Jean-Jacques Administrateur de la Ligue des Droits de l’Homme Jongen François Professeur de droit à l’Université Catholique de Louvain Kukulka Mateusz Journaliste et blogueur Laloux Philippe Journaliste, formateur et digital media manager lesoir.be Lambrechts Alain Secrétaire Général du groupe The PPress Le Hodey François Administrateur délégué du groupe IPM, Président du CA des Journaux Francophones Belges (JFB) Lefèvre Didier Strategic business development director de CLT-UFA, actionnaire de RTL Belgium Linard André Secrétaire général du Conseil de Déontologie Journalistique (CDJ) Mac Kay Philippe Journaliste indépendant Marchant Bernard Administrateur délégué du groupe Rossel Meilleur Jean-Jacques Substitut au Parquet de Bruxelles et magistrat de presse 361 Mejblum Sylvie Service presse du Centre de recherche et d’information des consommateurs (CRIOC) Moerenhout Alexis Conseiller au Centre de recherche et d’information des consommateurs (CRIOC) Montero Étienne Professeur de droit à l’Unamur Mouligneau Xavier Journaliste à la RTBF et enseignant à la Haute École Louvain en Hainaut (HELHA) Moura Marc Directeur de SMart Association Professionnelle d’Artistes Nothomb Philippe Président de Pressbanking, juriste, conseiller juridique du groupe Rossel, Journaux Francophones Belges Perrouty Pierre-Arnaud Secrétaire général de la Ligue des Droits de l’Homme Philippot Jean-Paul Administrateur-général de la RTBF Piron Frédérique Haute École Provinciale Condorcet à Charleroi Radochitzki Stéphanie Coordinatrice chez Online Publishers Association Raskin Jean-François Président de l’Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales (IHECS) Renders Olivier Centre d’Information et d’Orientation (CIO) de l’UCL Robert Denis Journaliste français Roosen Tanguy Président du Conseil Supérieur de l’Éducation aux Médias (CSEM) 362 Rosenblatt Stéphane Directeur général de RTL-Tvi Ruellan Denis Professeur à l’Université de Rennes et à l’Institut Universitaire de Technologie de Lannion Samek Philippe Secrétaire permanent régional de la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC) et représentant de la Centrale Nationale des Employés (CNE) Scherer Eric Directeur de la prospective et de la stratégie numérique à France Télévisions et professeur à l’École de Journalisme de Sciences Po Scholasse Etienne Membre de la CGLSB et membre du conseil d’entreprise du groupe IPM Schroeders Nancy Directrice de TV-Com Sépul Sandrine Directrice du Conseil de la Publicité Simonis Martine Secrétaire générale de l’Association des Journalistes Professionnels (AJP) Strowel Alain Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis (FUSL) et avocat au barreau de Bruxelles spécialisé dans la propriété intellectuelle et dans le droit des médias Texier Jean-Clément Banquier et expert en économie des médias, Président de Ringier France Tulkens François Licencié en droit de l’UCL, avocat et chargé d’enseignement aux Facultés universitaires Saint-Louis (FUSL), auteur de l’ouvrage « Droit d’expression et liberté d’expression » Van Achter Damien Journaliste, blogueur 363 Van Besien Bart Chercheur dans le cadre du programme Mediadem Van Daele Daniel Secrétaire général de la FGTB Van Enis Quentin Chercheur au CRIDS (UNamur) Van Grieken Jean-Paul Secrétaire général de l’Union de la Presse Périodique (UPP) Van Lierde Stephan Directeur des ressources humaines à la RTBF Van Wylick Daniel Directeur éditorial chez Rossel, membre du Conseil d’administration des Journaux Francophones Belges (JFB), membre du Conseil d’administration de Ppress Vandenbrouck Laurence Directrice juridique à RTL-TVI Vanesse Marc Coordinateur de la formation en journalisme de l’Université de Liège Young Frédéric Délégué général de la SACD-SCAM 364 Annexe 2 Liste des annexes relatives aux recommandations de l’atelier 3 Annexe I - Considérations générales sur les enjeux de la liberté d’expression et sur la situation des médias en Belgique Au-delà des réponses apportées aux onze questions formulées par les animateurs de l’atelier n° 3, plusieurs intervenants exposent des considérations générales sur les enjeux de la liberté d’expression et sur la situation des médias en Belgique. Premièrement, Quentin Van Enis, Benoît Frydman, Pierre-François Docquir, David Morelli (LDH) et Pierre-Arnaud Perrouty soulignent l’importance du versant « passif » de la liberté d’expression, à savoir le droit de recevoir une information de qualité, plurielle et neutre. La référence en la matière est la Cour européenne des droits de l’homme pour qui la mission (dévolue à la presse et à d’autres d’acteurs) d’informer le public sur toute question d’intérêt général se double d’un droit du public à recevoir pareille information. Ces différents intervenants signalent, en ce sens, la nécessité de renforcer le pluralisme des médias et de garantir l’accès aux sources d’information via la neutralité des diffuseurs et en particulier, de l’Internet (c’est-à-dire l’absence de discrimination à l’accès aux contenus, aux applications et aux services). Pierre-François Docquir ajoute qu’il serait pertinent d’inscrire le droit d’accès à l’internet parmi les garanties constitutionnelles au vu de son importance dans la vie démocratique contemporaine. Deuxièmement, le programme de recherche Mediadem a établi qu’en Belgique, la liberté d’expression est relativement bien respectée . Si ce principe de la liberté d’expression est entré dans les mœurs, la complexité du système institutionnel apparaît comme un obstacle à la conduite d’une politique cohérente vis-à-vis des médias. Marc de Haan souligne, pour sa part, que la liberté d’expression est avant tout un enjeu économique puisque la pression concurrentielle et la précarité des entreprises médiatiques entravent l’exercice de cette liberté. Cela est d’autant plus vrai pour les télévisions locales qui dépendent d’une grande diversité de sources de financement et donc d’une diversité d’interlocuteurs qui seraient tentés d’exercer une forme de pression sur les journalistes. 365 Annexe II - Animateurs-experts de l’atelier n° 3 Jacques Englebert, maître de conférences à l’ULB, avocat spécialisé en droit des médias, membre du Conseil de déontologie journalistique, assesseur à la section de législation du Conseil d’Etat Séverine Dusollier, professeur à l’UNamur, directrice du Centre de Recherche Information, Droit et Société (CRIDS) Françoise Tulkens, ancienne juge et vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme, professeur émérite à l’UCL 366 Annexe III - Calendrier des auditions 25 octobre 2012 François Tulkens, chargé d’enseignement à l’Université Saint-Louis, avocat François Jongen, professeur à l’UCL, avocat Étienne Montero, professeur à l’UNamur et Quentin Van Enis, chercheur au CRIDS (UNamur) Alain Strowel, professeur à l’Université Saint-Louis, avocat 15 novembre 2012 Marc Chamut, président du Conseil de déontologie journalistique (CDJ), journaliste et André Linard, secrétaire général du CDJ, journaliste Mireille Buydens, professeur à l’ULB, avocate Benoît Frydman, professeur à l’ULB (président du Centre de philosophie du droit) 29 novembre 2012 Philippe Nothomb, conseiller juridique du groupe Rossel, Journaux Francophones Belges (JFB) Simon-Pierre De (RTBF), Stéphane Hoebeke, conseiller juridique (RTBF) et Jean-Pierre Jacqmin, directeur de l’information et des sports (RTBF). 10 janvier 2013 Stéphane Rosenblatt, directeur de l’information (RTL) et Laurence Vandenbrouck, directrice juridique (RTL) Martine Simonis, secrétaire générale de l’AJP Olivier Basile, président de la section belge de Reporters sans Frontières 24 janvier 2013 Luc Hennart, président du tribunal de première instance de Bruxelles et Sophie Annaert, présidente de la 14ème chambre du tribunal de première instance de Bruxelles Coster, directeur juridique 367 Vincent Genot, rédacteur en chef adjoint de la newsroom du Vif-L’Express Pierre-François Docquir, deuxième vice-président du CSA et responsable scientifique (Belgique) du programme de recherche européen Mediadem et Bart Van Besien, chercheur à l’ULB et responsable scientifique (Belgique) du programme de recherche européen Mediadem 7 février 2013 Édouard Delruelle, professeur à l’ULg, directeur adjoint du Centre pour l’égalité des chances Marc De Haan, représentant des télévisions locales 28 février 2013 Olivier Bogaert, commissaire à la Federal Computer Crime Unit Pierre-Arnaud Perrouty, secrétaire général, et Jean-Jacques Jespers, administrateur de la Ligue des droits de l’homme Jean-Marc Meilleur, substitut du procureur du Roi de Bruxelles, magistrat de presse Nota : Le texte de nombreuses interventions ainsi que divers documents en relation avec les sujets traités au cours des auditions sont disponibles sur le site des EGMI (http:// egmedia.pcf.be/?page_id=527). 368 Annexe IV - Liste des intervenants et des institutions Annaert Sophie TPI Bruxelles Basile Olivier RSF Bogaert Olivier FCCU Buydens Mireille ULB Chamut Marc CDJ De Coster Simon-Pierre RTBF Defreyne Elise CRIDS de Haan Marc FTL Delruelle Edouard CECLCR Docquir Pierre-François CSA Dumont Jean-François AJP Frydman Benoît ULB Genot Vincent Le Vif-L’Express Hoebeke Stéphane RTBF Jacqmin Jean-Pierre RTBF Jespers Jean-Jacques LDH Jongen François UCL Kuty Franklin ULB – Parquet de Verviers Linard André CDJ Meilleur Jean-Marc Parquet de Bruxelles Montero Etienne UN Morelli David LDH Nothomb Philippe JFB Rosenblatt Stéphane RTL Perrouty Pierre-Arnaud LDH 369 Robert Denis Journaliste français Simonis Martine AJP Strowel Alain USL Tulkens François USL Van Besien Bart Mediadem Vandenbrouck Laurence RTL Van Enis Quentin UN - CRIDS Van Grieken Jean-Paul UPP Van Wylick Daniel Groupe Rossel (Directeur éditorial) AJP Association des journalistes professionnels (http://ajp.be/) CDJ Conseil de déontologie journalistique (www.deontologiejournalistique.be) CECLCR Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (www.diversite.be) CRIDS Centre de recherche Information, Droit et Société (UNamur) (www.crids.eu) CSA Conseil supérieur de l’audiovisuel (www.csa.be) FCCU Federal Computer Crime Unit (police fédérale belge) (www.polfed-fedpol.be/org/org_dgj_FCCU_RCCU_fr.php) FTL Fédération des Télés locales Wallonie Bruxelles (www.teleslocales.be) JFB Les Journaux Francophones Belges (www.jfb.be) LDH La ligue des droits de l’homme (Belgique) (www.liguedh.be) Le Vif Le Vif-L’Express (www.levif.be/info) Mediadem Programme européen de recherches « médias et démocratie » (Belgique) (www.philodroit.be/spip.php?page=rubrique&id_ rubrique=44&lang=fr et www.mediadem.eliamep.gr) 370 Rossel Groupe Rossel (www.rossel.be) RSF Reporters sans frontière (Belgique) (http://fr.rsf.org/) RTBF Radiotélévision (www.rtbf.be) RTL Radiotélévision Luxembourg (www.rtl.be) belge de la Communauté française TPI Bruxelles Tribunal de première instance de Bruxelles UCL Université Catholique de Louvain (www.uclouvain.be) ULB Université Libre de Bruxelles (www.ulb.ac.be) UN Université de Namur (www.unamur.be) UPP Union des Editeurs de la Presse Périodique (www.upp.be) USL Université Saint-Louis (Bruxelles) (www.usaintlouis.be) VIF Le Vif-L’Express (www.levif.be/info) Remerciements : Le Bureau du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le secrétaire général du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles tiennent à remercier pour leur précieuse collaboration : M. Frédéric Antoine, M. Pierre-François Docquir, Mme Carine Doutrelepont, Mme Sandrine Dusollier, M. Jacques Englebert, M. Benoît Grevisse, M. François Heinderyckx, M. Marc Isgour, M. Jean-Jacques Jespers, M. Valentin Malfait, M. Marc Minon, Mme Laurence Mundschau, M. Yves Poullet, M. Jean-François Raskin, Mme Anne Roekens, M. Marc Sinnaeve, Mme Nadine Toussaint-Desmoulins, Mme Françoise Tulkens, M. Quentin Van Enis, Le Service du compte-rendu du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et toutes les personnes qui ont été auditionnées ainsi que toutes celles qui ont participé aux travaux. Crédit photos : l’AJP (Laurence Dierickx, Mehmet Koksal, Marc Simon, Robert Vanden Brugge et Jean-Pierre Borloo et Alain Dewez) et le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Secrétariat administratif des EGMI : Jean-Louis Boegaerts. Communication : Thierry Vanderhaeghe. Infographie : Fabienne Havaux. Éditeur responsable : Xavier Baeselen, secrétaire général, Rue de la Loi 6 - 1000 Bruxelles Dépôt légal : D/2014/10.353/1 N° IBSN 978-2-9601461-0-3 9782960146103 Date de publication : le 19 février 2014 Tirage : 1.000 exemplaires Constats - Analyses - Débats Cet ouvrage présente les rapports de synthèse de chacun des ateliers et les réflexions des quatre groupes politiques à l’origine de cette initiative parlementaire. Les éditions du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles Les états généraux des médias d’information au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles Du 16 décembre 2010 au 29 janvier 2014, pour la toute première fois, des « états généraux des médias d’information » se sont tenus à l’initiative du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Trois grands ateliers, « acteurs, marchés et stratégies », « statut et formation des journalistes » et « liberté d’expression », ont fait l’objet de recommandations d’animateurs-experts. Les états généraux des médias d’information au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles Constats - Analyses - Débats