Constats - Analyses - Débats - Parlement de la Fédération Wallonie

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Constats - Analyses - Débats - Parlement de la Fédération Wallonie
Constats - Analyses - Débats
Cet ouvrage présente les rapports de synthèse de chacun
des ateliers et les réflexions des quatre groupes politiques
à l’origine de cette initiative parlementaire.
Les éditions du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Les états généraux des médias d’information au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Du 16 décembre 2010 au 29 janvier 2014, pour la
toute première fois, des « états généraux des médias
d’information » se sont tenus à l’initiative du Parlement
de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Trois grands ateliers,
« acteurs, marchés et stratégies », « statut et formation
des journalistes » et « liberté d’expression », ont fait l’objet
de recommandations d’animateurs-experts.
Les états généraux des médias d’information
au Parlement de la Fédération
Wallonie-Bruxelles
Constats - Analyses - Débats
Les états généraux des médias d’information
au Parlement de la Fédération
Wallonie-Bruxelles
Constats - Analyses - Débats
3
Sommaire
Editorial de M. le Président Jean-Charles Luperto, au nom du Bureau
du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Chapitre 1
9
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
13
1. Biographie des animateurs
15
2. Rapport synthétique des auditions
(par M. Valentin Malfait et Mme Anne Roekens)
16
2.1. Introduction et lignes de force16
2.2. Le point de vue des éditeurs de presse quotidienne et périodique18
2.3. Le point de vue des opérateurs audiovisuels 26
2.4. Le point de vue des éditeurs et diffuseurs de presse numérique 37
2.5. Le point de vue des journalistes 44
2.6. Le point de vue des syndicats 49
2.7. Le point de vue des consommateurs 53
2.8. Le point de vue des diffuseurs de presse 55
2.9. Le point de vue des sociétés de gestion des droits 57
2.10. Le point de vue des annonceurs 62
2.11. Le point de vue du Centre d’Information sur les Médias 66
2.12. Le point de vue des régulateurs
68
2.13. Le point de vue des experts 75
3. Recommandations des experts – animateurs
(par Mme Nadine Toussaint Desmoulins,
M. Benoît Grevisse et Me Carine Doutrelepont)
3.1. Le rapport sur l’état des lieux
3.2. Les auditions
3.3. Les points de vue des auditionnés
3.4. Les recommandations des experts 3.5. Conclusion
79
79
79
80
84
97
4
Chapitre 2
Atelier 2 : « Statut et formation des journalistes »
99
1. Biographie des animateurs
101
2. Rapport synthétique des auditions (par Mme Anne Roekens)
102
2.1. Le statut et les conditions de travail des journalistes
2.2. La formation des journalistes 3. Recommandations des experts – animateurs (par M. Jean-Jacques
Jespers, M. Marc Sinnaeve et Mme Laurence Mundschau)
3.1. Introduction
3.2. Recommandations
Chapitre 3
102
137
160
160
168
Atelier 3 : « Liberté d’expression »
211
1. Biographie des animateurs
213
2. Rapport synthétique des auditions (par Mme Anne Roekens) et
Recommandations des experts – animateurs (par M. Jacques
Englebert, Mme Françoise Tulkens et Mme Séverine Dusollier)
214
Précisions méthodologiques
2.1. De la protection constitutionnelle des seuls écrits imprimés
et de la notion de délit de presse 2.2. De la distinction entre la presse « classique »
et le « journalisme citoyen »
2.3. De la sanction des « devoirs et responsabilités »
de celui qui s’exprime
2.4. Des limites de la liberté d’expression 2.5. Des droits de réponse et/ou de rectification
2.6. Du secret des sources
2.7. Des archives de la presse et du droit à l’oubli
2.8. De la déontologie et de l’autorégulation
2.9. De l’équilibre entre liberté d’expression et protection de la vie privée
2.10. Des rapports entre presse et justice 2.11. De l’équilibre entre droit d’auteur et liberté d’expression
214
214
225
231
239
248
255
260
266
273
275
282
5
Chapitre 4
Recommandations transversales présentées par
Carine Doutrelepont, Marc Isgour, Pierre-François
Docquir et Jean-François Raskin
289
Biographie des experts
291
1. Introduction
293
2. Création d’un observatoire des médias
297
3. Soutien à la transition numérique des éditeurs de presse
300
4. Statuts des journalistes et des rédactions
302
5. Formation continue
307
6. TVA
309
7. Soutien par les pouvoirs publics à la création
et au développement de kiosques numériques
309
8. Financement par les pouvoirs publics d’abonnements gratuits
pour les écoles (enseignement secondaire et supérieur)
310
9. Aide à la création journalistique
311
10. Les diffuseurs de presse : amélioration du statut
et reconnaissance professionnelle
312
11. Tarif préférentiel postal
313
12. Modification de la loi sur le tax-shelter
313
13. Création de synergies entre télévisions locales et la RTBF
314
14. Droit d’auteur
314
15. L’éducation aux médias
317
16. Sur l’uniformisation des règles pour les différents médias
319
17. Liberté d’expression et vie privée
320
18. Sur l’uniformisation des règles vis-à-vis des auteurs
321
6
19. Sur l’interdiction de toute mesure préventive de restriction
à la liberté d’expression
321
20. Sur la responsabilité en cascade
325
21. Vers une clarification du cadre juridique de la sanction
des devoirs et responsabilités de celui qui s’exprime
326
22. Extension de la répression du négationnisme
329
23. Uniformisation du régime juridique des droits de réponse
et/ou de rectification
329
24. Secret des sources
333
25. Archives de presse et droit à l’oubli
334
26. Droits intellectuels et liberté d’expression
335
27. Déontologie et autorégulation
336
28. Rapports entre presse et justice
337
Chapitre 5
Point de vue des groupes politiques
341
1. Contribution du Groupe PS par M. Jean-François Istasse
343
2. Contribution du Groupe MR par MM. Pierre-Yves Jeholet
et Richard Miller
346
3. Contribution du Groupe Ecolo par Mme Isabelle Meerhaeghe
348
4. Contribution du Groupe cdH par Mmes Julie de Groote
et Savine Moucheron
351
Annexes
355
Annexe 1
357
Annexe 2
364
9
Editorial
de M. le Président Jean-Charles Luperto,
au nom du Bureau du Parlement
de la Fédération Wallonie-Bruxelles
L’ ouvrage que vous tenez entre les mains est le reflet d’une longue réflexion
sur ces questions importantes pour la démocratie que sont le pluralisme des
opinions et des idées, la liberté de la presse ou l’avenir du secteur des médias
d’information.
Nous arrivons au terme des travaux des Etats généraux des médias
d’information, qui ont été lancés à l’initiative du Parlement de la Fédération
Wallonie-Bruxelles. C’est en effet lors de la séance plénière du 16 février
2009 qu’a été adoptée la résolution parlementaire initiant ce long chantier de
réflexion, résolution déposée par MM. Marcel Cheron, Léon Walry, Mmes
Françoise Bertieaux, Anne-Marie Corbisier-Hagon, MM. Yves Reinkin,
Alain Onkelinx, Richard Miller et Jean-Paul Procureur.
Un rapport préliminaire documenté et exhaustif de MM. les Professeurs
Frédéric Antoine et François Heinderyckx fut établi et présenté le 17 mars 2011
en séance plénière. Il ouvrit pratiquement les travaux de ces Etats généraux.
Cet ouvrage, qui constitue une première en Belgique francophone, a permis
de mettre à plat et de manière chiffrée l’état financier et social de l’ensemble
10
du secteur. Il constituait un instantané de la situation socioéconomique des
médias d’information.
Ce rapport a permis à l’ensemble des acteurs et participants de mesurer
plus et mieux l’importance économique de ce secteur, de ses perspectives de
développement, des défis humains et technologiques qu’il devra rencontrer à
l’avenir et des questions qui se poseront à brefs ou moyens termes en matière
d’investissements humains, financiers, etc. La question de la concurrence
entre médias, les risques ou nécessités de concentrations ou regroupements
entre entités de presse, l’avenir de la diffusion du numérique et celle du
papier, voilà autant de thèmes abordés.
Pendant plus de trois ans, nous avons ausculté le milieu, entendu une série de
personnalités belges et étrangères qui sont venues apporter leurs expertises
et points de vue.
Malgré d’opportunes divergences de vue, les débats furent parmi les plus
constructifs accueillis au sein de notre Assemblée.
Dès le départ, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a voulu
assurer l’indépendance totale des participants quant au contenu des travaux.
Les résultats de ceux-ci leur appartiennent. Il reviendra ensuite au politique
d’examiner les conclusions et de formuler des propositions qui permettront
d’avancer dans la résolution des problèmes posés.
Nous avons entendu les réactions diverses du secteur. Elles sont variées, à
l’image des actrices et des acteurs qui le composent. Nous avons, de bonne
foi, tenté de répondre à leurs préoccupations. Vous les trouverez ici, dans
cet ouvrage, sans filtre ni coupure. Elles sont insérées telles qu’elles ont été
présentées par tous, objectivement et sans a priori.
Nous n’avons pas voulu éditer un livre de spécialistes pour les spécialistes,
cantonné aux seuls acteurs du secteur médiatique, mais qu’il soit accessible à
tous ceux qui s’intéressent à l’avenir du monde des médias d’information.
Il s’adresse au public afin qu’il comprenne les enjeux que nous avons évoqués
lors de nos travaux, les solutions que d’aucuns proposent.
La traduction de ces débats en compte-rendu compréhensible ne fut pas tâche
aisée, et nous remercions tout particulièrement les auteurs des rapports de
11
synthèse, Anne Roekens et Valentin Malfait qui, dans un laps de temps très
court, l’ont rendu possible.
Au nom du Bureau de notre Parlement, je voudrais remercier l’ensemble
des participants aux travaux, les experts-animateurs, les parlementaires
membres du comité de pilotage et les chevilles ouvrières qui ont permis la
réalisation de ce projet ambitieux.
Je voudrais également remercier ceux qui ont participé à l’élaboration
pratique de cet ouvrage en nous apportant leur talent à titre gracieux.
Cet ouvrage a pour ambition de vous livrer les clés pour résoudre un certain
nombre de problèmes. Certains pourront sans doute être résolus au niveau
de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et certains autres à d’autres niveaux de
pouvoirs. Nous sommes en tout cas fiers du travail accompli et d’avoir mené
cette entreprise jusqu’à son terme.
Jean-Charles Luperto
Chapitre 1
Atelier 1 :
« Acteurs, marchés et stratégies »
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
15
1. Biographie des animateurs
Mme Nadine Toussaint Desmoulins soutient en 1970 une thèse en science
économique consacrée à “la consommation de presse, radio, et télévision en
France (1950/1965)”, après des études parallèles à l’Institut d’Etudes Politiques
de Paris (section service public) et d’économie à l’Université de Paris. Ceci
la conduit vers une carrière universitaire en tant que Maître assistant, puis
Maître de conférences en économie et enfin en tant que Professeur en science
de l’information à l’Université Paris 2, plus particulièrement à l’Institut
Français de Presse où elle dispense plusieurs enseignements qui portent sur
l’économie des médias et mène des recherches consacrées à ce thème.
M. Benoît Grevisse, docteur en communication, est professeur à l’Université
Catholique de Louvain (UCL) où il dirige l’École de Journalisme. Il est
également responsable de l’unité RECI et membre de l’Observatoire du Récit
Médiatique. Ses activités de recherche sont essentiellement structurées dans
deux champs : les identités professionnelles et les pratiques journalistiques,
la déontologie et l’éthique journalistique (autorégulation). Il enseigne
également la déontologie et l’éthique du journalisme à l’Université de
Neuchâtel (Académie du journalisme et des médias) et collabore à la Maîtrise
universitaire interdisciplinaire en Sciences de la communication et des médias
de l’Université de Genève (Suisse). Il intervient régulièrement en entreprise de
presse dans le cadre d’audits et conseils, comme en formation continuée de
journalistes.
Me Carine Doutrelepont est avocate au Barreau de Bruxelles, ainsi qu’au
Barreau de Paris, membre fondateur de l’association « Doutrelepont et associés
» et docteur en droit de l’Université Libre de Bruxelles. Elle enseigne le droit des
médias, la propriété intellectuelle et le droit européen à la Faculté de droit ainsi
qu’à l’Institut d’Etudes européennes. Son expertise concerne le droit des médias,
national et international. A ce titre, elle intervient dans différentes négociations
stratégiques dans le secteur de la câblodistribution, des télécommunications
et des technologies de l’information. Elle pratique également la propriété
intellectuelle et, en particulier, le droit d’auteur, le droit des marques et des
brevets devant les instances nationales et européennes ou encore arbitrales.
Attachée à la défense des libertés publiques, elle mène des actions en droit de la
presse, ainsi qu’en matière de lutte contre les discriminations. Enfin, Me Carine
Doutrelepont est experte auprès de la Commission européenne.
16
Chapitre 1
2. Rapport synthétique des auditions
(par M. Valentin Malfait et Mme Anne Roekens)
2.1. Introduction et lignes de force
Le paysage médiatique belge francophone présente plusieurs spécificités : la
taille réduite du marché (4,4 millions de personnes), la complexité
institutionnelle (entre niveaux de pouvoir régional, communautaire, fédéral
et européen) et la perméabilité linguistique et culturelle entre la Fédération
Wallonie-Bruxelles (FWB) et la France (qui renforce la concurrence à la fois entre
éditeurs et entre annonceurs). Ces caractéristiques fragilisent particulièrement
les médias belges francophones, face aux évolutions récentes du secteur
médiatique qu’il faut aujourd’hui envisager d’un point de vue international.
Convergence, concurrence et dérégulation des médias
Les innovations numériques et la mondialisation des marchés ont un effet
déstructurant sur les médias puisque ces phénomènes technologiques et
économiques amènent à la convergence et à la dérégulation des médias.
-
-
Désormais, les médias utilisent le même langage (textes, images, sons et
vidéos, …) et les mêmes supports (numériques). À une segmentation des
médias, qui s’adressaient à des publics distincts et qui étaient consommés
de manière différente et parfois complémentaire, a donc succédé un
système de concurrence entre médias qui, au fur et à mesure de leur
apparition, rétrécissent le marché les uns des autres et se disputent les
marchés émergents. Accentuée par un processus de concentration et
d’internationalisation, la concurrence entre médias s’exerce notamment
sur deux fronts :
1°) le partage du temps de loisir des lecteurs-consommateurs ;
2°) le fractionnement de l’espace publicitaire et donc des ressources y
afférentes.
La concurrence est d’autant plus rude que l’avènement du numérique
permet, vu la réduction des étapes à franchir pour diffuser de
l’information, l’émergence et la multiplication des acteurs. Dans le
flux continu de contenus (désormais disjoints des supports matériels),
les marques font encore office, pour le consommateur, de filtres et
de repères : le public continue à accorder une grande confiance aux
médias « traditionnels » (comme la presse quotidienne), même si leurs
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
-
17
contenus ont migré sur support numérique.
La convergence des médias entraîne également la confrontation directe
entre des médias qui étaient autrefois soumis à un mode de régulation tout
à fait différent (en l’occurrence, la presse écrite qui est traditionnellement
soumise à très peu de contraintes alors que le secteur audiovisuel est
historiquement très réglementé). Le croisement, sur le Net ou dans le
système de la télévision connectée, de contenus soumis à une régulation et
de contenus échappant à tout contrôle lance des défis considérables pour
la régulation des médias. Dans la FWB, le phénomène de dérégulation des
médias est d’autant plus marqué que RTL s’est délocalisée au Luxembourg
et s’est donc soustraite à la réglementation de la FWB.
Une chaîne de valeurs reconfigurée
En principe, une rémunération équitable doit être perçue par les différents
intervenants de la chaîne de valeurs de production de l’information
(des journalistes au public, en passant par les producteurs et éditeurs, les
radiodiffuseurs ou les services VOD, les distributeurs ou les plates-formes
Internet, les agences de télécommunications et les fournisseurs d’appareils
de réception et de reproduction). Actuellement, la répartition des énormes
gains générés par l’information s’avère inégalitaire puisque les revenus de
la distribution dépassent ceux de la création et de la diffusion des contenus.
La disparition actuelle d’acteurs médians, comme les producteurs et les
radiodiffuseurs, accentue encore le rôle prépondérant des acteurs restants :
en l’occurrence, les intermédiaires que sont les câblodistributeurs (comme
Belgacom, Tecteo ou Telenet) ou les agrégateurs (comme Google) capturent
l’essentiel de la valeur auprès du public et rechignent à faire remonter l’argent
en amont de la chaîne. Aux yeux de plusieurs observateurs, la question des
rapports avec les distributeurs numériques revêt une importance cruciale
puisque ces derniers fixent les prix de vente des contenus et prélèvent des
marges importantes. Dans un contexte de forte concurrence et de course
à la compétitivité sur le marché des devices mobiles, les distributeurs
risquent de jouer un rôle de plus en plus prépondérant, d’autant que certains
d’entre eux tendent à s’intégrer verticalement afin de réaliser des bénéfices
supplémentaires (des opérateurs télécoms et des câblodistributeurs se
mettent ainsi à fournir leurs propres contenus).
Le journalisme, un métier soumis à rude épreuve
Les newsrooms se reconfigurent également en fonction de l’avènement des
18
Chapitre 1
supports numériques : les responsables web et les rédactions numériques
sont plus nombreux et mieux reconnus. Les journalistes doivent désormais
être polyvalents et destiner leurs articles à une diffusion multi-platesformes. Si la gestion de l’espace (nombre de signes, de colonnes, …) est
moins contraignante qu’avant, la gestion du temps est devenue beaucoup
plus complexe : aux délais clairement fixés par l’impression d’un journal
ou la diffusion d’une émission radio ou télévisée, a succédé un flux continu
d’informations qui impose aux rédactions d’adopter un rythme de travail
ininterrompu et de concilier rapidité et vérification des sources. Les médias
numériques amènent également les journalistes à écrire différemment, à
prendre en considération les réactions des internautes et à se repositionner
vis-à-vis de nouvelles qui sont parfois annoncées par des non-journalistes :
il s’agit alors d’ajouter une plus-value à ce contenu « brut » en l’authentifiant
et en le remettant en perspective.
Dans ce contexte, les conditions de travail difficiles (surtout pour les jeunes,
les pigistes, les photographes et les faux-indépendants), la chronophagie du
métier et les salaires insuffisants apparaissent comme les trois plus grandes
causes d’insatisfaction des journalistes vis-à-vis de leur profession (à laquelle
une grande majorité reste pourtant fortement attachée). Le métier de
journaliste traverse, par ailleurs, une crise identitaire dans la mesure où les
mutations technologiques permettent la concurrence de non-professionnels
et accentuent la tendance à la marchandisation de l’information. Dans ce
contexte, de nombreux professionnels se mettent à douter du rôle et du sens
de leur métier.
2.2. Le point de vue des éditeurs de presse quotidienne et
périodique
-
-
-
Le marché de la presse quotidienne belge francophone payante est
animé par trois groupes de presse distincts : Rossel, IPM et Les Éditions
de l’Avenir (dont le principal actionnaire est la société Corelio). Rossel,
IPM et Corelio sont les trois actionnaires de la société Audiopresse qui
détient 34% du capital de RTL-TVI.
Les éditeurs de la presse quotidienne francophone et germanophone
sont, par ailleurs, regroupés au sein de l’association des « Journaux
Francophones Belges » (JFB) qui, depuis 1999, est chargée de défendre
les intérêts des éditeurs auprès des différents niveaux de pouvoir.
The Ppress est une des deux associations professionnelles de la presse
périodique (avec l’UPP, Union des Éditeurs de Presse Périodique)
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
19
et regroupe des médias B2B (Business to Business) et B2C (Business
to Consumer). Elle comporte cinq départements : B2B Press (presse
professionnelle), Custo (presse relationnelle), Free Press (presse gratuite),
OPABelgium (presse digitale) et Febelmag (presse magazine grand
public).
2.2.1. État des lieux des médias en Belgique francophone
A. D’un point de vue global, on assiste aujourd’hui à un phénomène de
convergence des médias qui, sur les plates-formes numériques, utilisent
désormais le même langage (textes, images, sons et vidéos…). À une
segmentation des médias qui s’adressaient à des publics distincts et qui
étaient consommés de manière différente et parfois complémentaire, a
succédé un système de concurrence entre médias qui, au fur et à mesure
de leur apparition, rétrécit le marché les uns des autres et se dispute
les marchés émergents. Accentuée par un processus de concentration et
d’internationalisation, la concurrence entre médias s’exerce notamment
sur deux fronts :
1°) le partage du temps des lecteurs-consommateurs ;
2°) le fractionnement de l’espace publicitaire et donc des ressources y
afférentes. De part et d’autre, la concurrence tourne au détriment
de la presse écrite payante et en faveur des médias audiovisuels et
numériques :
-
-
Les médias audiovisuels offrent l’impression de gratuité au
public et une audience considérable aux annonceurs ;
Si la mise au point de la photocopie a ouvert la voie à une piraterie
qui a eu des effets immédiats sur les ventes de la presse payante,
la révolution numérique a accéléré le phénomène et a permis
l’avènement d’une piraterie à grande échelle via les agrégateurs
qui, sans produire de contenu, tirent largement profit de la
diffusion de ceux-ci.
Du point de vue international, plusieurs publications et recherches
prédisent la disparition de la presse papier à court ou à moyen terme1.
La question de l’information médiatique est d’autant plus complexe que
Quentin Gemoets signale le cas isolé de la Flandre où la stabilité de la diffusion de la presse
quotidienne s’explique sans nul doute par la spécificité culturelle flamande.
1
20
Chapitre 1
les médias qui ont comme objectif premier de diffuser de l’information
entrent en concurrence directe avec des médias qui ont des visées à la fois
informationnelles et autres (loisirs, culture, entertainment…). Au niveau
des contenus eux-mêmes, les informations internationales tendent
actuellement à se standardiser. La concurrence entre les médias belges
se joue par conséquent sur le terrain de l’information de proximité, que
celle-ci soit communautaire ou nationale.
B. Le paysage médiatique belge francophone présente plusieurs
spécificités :
1°) la taille réduite du marché ;
2°) la complexité institutionnelle ;
3°) la diversité des titres et le pluralisme qu’elle permet ;
4°) la perméabilité linguistique et culturelle entre la FWB et la
France qui marque l’offre médiatique belge francophone dans son
ensemble. En ce qui concerne la presse écrite, cette perméabilité a
des implications au niveau de la consommation des mêmes titres (en
particulier, périodiques) ou de titres adaptés du modèle français et
au niveau d’un overflow de la publicité depuis la France ;
5°) l’aide à la presse qui ne concerne que la presse quotidienne et certains
titres de presse périodique.
C. Au-delà du phénomène de convergence des médias, la presse
quotidienne et la presse périodique conservent des caractéristiques
qui leur sont propres.
-
L’« ADN » de la presse quotidienne est ainsi composé d’un mode
d’expression qui privilégie le texte et l’image fixe, d’un rythme
journalier et d’un projet éditorial quasi exclusivement tourné vers
l’information citoyenne2 . En outre, la presse quotidienne veut
jouer un rôle industriel afin de pourvoir des emplois directs et
indirects au niveau local et préserver le plus possible ses équipes
rédactionnelles, même si la faiblesse du marché réduit inévitablement
la taille des rédactions. La presse quotidienne régionale offre une
quantité considérable de sujets d’actualité grâce à ses nombreux
2
Quentin Gemoets a illustré la valeur de la presse écrite et a effectué un relevé pour comparer
en termes quantitatifs les contenus de la presse quotidienne à ceux des autres médias : sur une
journée, les JFB traitent 815 sujets différents (contre 81 traités par la RTBF et 32, par RTL en radio
et télévision).
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
-
21
correspondants et tisse des liens étroits avec le milieu associatif.
La presse périodique rassemble une grande diversité de magazines
(grand public, presse professionnelle, presse en ligne, presse gratuite),
touche un large public (9 Belges sur 10 lisent un magazine), dispose
de ses propres journalistes professionnels et diffuse un contenu
informationnel spécifique.
2.2.2. Évolutions de la diffusion de la presse écrite
En termes économiques, les diagnostics sont contrastés en ce qui concerne la
diffusion papier et la diffusion électronique des journaux et magazines.
A. Diffusion papier (payante)
Selon François le Hodey, en 20 ans, le nombre de quotidiens vendus par
jour est passé de 624.333 à 418.862 et a donc subi une chute de 33%. Selon
Quentin Gemoets, au vu des dernières décennies, la presse écrite perd
10% de sa diffusion. La diffusion régressive de la presse quotidienne et
périodique ne peut être compensée financièrement ni par une hausse
des recettes de vente, ni par une baisse des coûts. En effet, selon Bernard
Marchant et Patrick De Borchgrave, la hausse du prix de vente des
journaux et magazines reste limitée. Les coûts de production ont déjà
été considérablement réduits grâce à l’automatisation des procédés
et continuent pourtant de croître (vu le développement de nouvelles
technologies et la hausse du coût de l’énergie, du papier, des coûts moyens
et des salaires). Si le papier n’est pas lui-même menacé de disparition,
son avenir dans la presse est incertain. D’après Quentin Gemoets, un
des problèmes majeurs est de savoir si, à terme, il sera encore possible
d’acheminer le journal papier dans certaines régions du pays, vu les
coûts de transport et de distribution qui risquent d’évoluer à la hausse.
B. Diffusion électronique (mi-gratuite, mi-payante)
La presse écrite a consenti d’importants investissements afin de
négocier le « tournant numérique » et s’est positionnée en tête des sites
d’information les plus visités (d’après les chiffres de F. le Hodey, le
nombre de visiteurs uniques des sites de la presse quotidienne est passé
en 10 ans de 0 à 450.000 par jour). Ainsi, les marques d’information
restent intéressantes et attractives : d’après les sondages (notamment
auprès des jeunes), la presse quotidienne est reconnue comme la source
22
Chapitre 1
d’information la plus fiable. Les éditeurs de presse estiment qu’une
nouvelle tension est apparue depuis que la RTBF élargit sa présence sur
Internet et concurrence, comme d’autres sites d’information gratuits, les
sites d’information partiellement payants.
2.2.3. L’importance cruciale des revenus publicitaires
Le marché belge francophone des médias fonctionne sur un modèle
publicitaire, dans la mesure où la publicité constitue la plus importante
ressource financière des médias (D’après Margaret Boribon, 51% des
ressources nettes). Or, face à cette question des revenus publicitaires, les
médias ne sont pas logés à la même enseigne. Leurs situations varient :
A. en fonction de la présence ou non d’une régulation (effective pour
l’audiovisuel et l’affichage; absente du côté de la presse, des multimédias
et du database marketing) ;
B. en fonction de leur capacité d’attraction publicitaire. Si la télévision et
la radio atteignent respectivement un reach (part du marché publicitaire
touchée) intéressant de 81% et de 79%, la presse quotidienne ne dispose
que d’un reach de 50%.
Aux yeux des éditeurs de presse, la RTBF cumule les atouts et les privilèges,
puisqu’elle bénéficie de subsides publics, d’une infrastructure câblée et
d’investissements publicitaires importants. Patrick de Borchgrave souligne,
par ailleurs, l’aspect pernicieux des obligations d’insérer une mention
légale au sein de certaines publicités (par exemple, pour les voitures) ; ces
obligations touchent exclusivement les médias papier et accentuent encore
la préférence des annonceurs pour le média télévisuel. La télévision a fait
fondre les revenus publicitaires des médias papier et attire plus de revenus
publicitaires que les secteurs entiers de la presse écrite quotidienne et
périodique. D’après Margaret Boribon, les ressources de l’audiovisuel (privé
et public) sont de 475 millions d’euros, tandis que la presse quotidienne
dispose de 200 millions d’euros. À elle seule, la RTBF a un chiffre d’affaires
supérieur au chiffre global de la presse écrite, tous titres confondus. D’après
François le Hodey, la RTBF a un chiffre d’affaires de 299 millions d’euros
alors que la presse quotidienne a, dans son ensemble, un chiffre d’affaire de
287 millions d’euros.
Selon les éditeurs de presse, le marché publicitaire belge francophone est
dérégulé :
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
23
A. par la distorsion de concurrence en faveur de la télévision, vu l’attractivité
des audiences cumulées (cette pression sur le marché a d’ailleurs entraîné
une chute des prix des espaces publicitaires) ;
B. par le fait que la plupart des opérateurs publicitaires sont flamands et
organisent des plans médias à l’échelle nationale (en dépit des différences
importantes entre médias flamands et francophones, ne fût-ce qu’au
niveau du tirage).
2.2.4. Propositions des éditeurs de presse Alors que la segmentation du paysage médiatique permettait la coexistence
de marchés régulés et non-régulés, la convergence des médias rend la
régulation du secteur médiatique indispensable. Sans régulation, il y aura
nécessairement concentration des capitaux et donc réduction du nombre
de fournisseurs de contenus, impact sur les rédactions et l’emploi et mise
en danger du pluralisme. En ce qui concerne la presse écrite quotidienne
belge francophone, malgré les phénomènes de concentration qui ont bel
et bien eu lieu durant ces dernières décennies, il reste encore six (groupes
de) titres différents3 qu’il s’agit de défendre contre le danger réel de logiques
centripètes.
Pour la presse écrite, les enjeux résident dans la consolidation de l’audience et
dans la valorisation des contenus journalistiques. Vu le rôle central dévolu à
la presse dans tout système démocratique, les médias d’information doivent
rester des médias de masse, c’est-à-dire qu’ils doivent atteindre au moins
30% du public. L’amélioration des contenus offerts ne suffirait pas à résoudre
les problèmes structurels (puisque l’enjeu principal se situe au niveau de la
publicité), mais une meilleure régulation permettrait d’augmenter la qualité
de l’information en renforçant les équipes éditoriales.
Concrètement, les éditeurs de presse préconisent la mise en œuvre d’une
régulation en vue d’assurer un rééquilibrage des ressources entre secteurs
privé et public. Il ne s’agirait pas d’augmenter les moyens mais de les affecter
de manière plus appropriée. Il ne s’agirait pas de subsidier stricto sensu la
presse écrite mais de lui procurer des aides ponctuelles et dynamiques.
S’impose la nécessité d’accompagner la mutation du marché qui se caractérise
par une convergence des médias et par une complémentarité des audiences
3
L’Avenir, La Dernière Heure-Les Sports, L’Echo, La Libre Belgique, Le Soir, Sud Presse.
24
Chapitre 1
(dans la mesure où une majorité de ceux qui consultent les sites d’information
lisent également le journal papier). Aux yeux de Quentin Gemoets, les tablettes
constituent un support particulièrement intéressant pour la presse écrite
puisqu’elles permettent non seulement de consulter les sites d’information
(comme le font les mobiles) mais surtout de les lire véritablement. Ce type de
support cumule les atouts pour la publication de la presse quotidienne : en plus
d’une possible multi-édition journalière, un temps de lecture comparable à celui
du support papier permet de diffuser des articles pertinents et cohérents, de
conférer dès lors un certain leadership à l’auteur-journaliste, de rendre payants
ces contenus d’information dont la plus-value est reconnue par les lecteurs et de
monétiser les espaces publicitaires désormais rentables. Ce modèle permet, en
outre, à la presse écrite d’envisager le système de bouquet numérique (comme
pour la télévision) ou de vente à l’article (comme pour la musique).
2.2.5. Pistes concrètes proposées par les éditeurs
A. Soutien structurel à la presse
-
-
-
-
-
augmenter l’aide à la presse (qui avait été accordée en compensation
de l’autorisation obtenue par les opérateurs télévisés publics de
diffuser de la publicité) ;
mener une réflexion sur les missions de service public et limiter le
périmètre d’activité de la RTBF ;
mettre en œuvre les mesures d’évaluation préalables demandées
par la Commission européenne pour tout nouveau développement
numérique de la RTBF, afin que celui-ci n’ait pas d’impact négatif sur
les activités des autres médias. En l’occurrence, il s’agit d’éviter que
la chaîne publique n’offre gratuitement des contenus comparables à
ceux que la presse écrite vise à rendre payants4 ;
garantir un volume d’achat d’espaces de communication par des
institutions publiques dans la presse quotidienne et périodique
(le format écrit est d’ailleurs particulièrement approprié pour
transmettre des communications d’intérêt général) ;
procéder à des allégements fiscaux pour les entreprises de presse, via
notamment l’exonération partielle du précompte professionnel pour
les journalistes professionnels.
À titre d’exemple, en conséquence d’une telle étude préalable menée en Grande-Bretagne, il a été
décidé que la BBC ne pouvait diffuser d’informations locales sur son site internet.
4
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
25
B. Régulation des ressources publicitaires
-
-
-
-
-
limiter l’espace publicitaire du côté des opérateurs publics (non en
termes de valeur mais en termes de minutes) ;
défendre à la RTBF de développer toute pratique commerciale sur les
supports numériques (à l’instar de la plupart des États européens qui
interdisent la publicité sur les sites web et mobiles des radiodiffuseurs
publics) ;
limiter les publicités diffusées par la RTBF au marché national (Les
marchés local et régional constitueraient des « bouffées d’oxygène »
tant pour la presse écrite que pour les télévisions locales) ;
privilégier, comme à la VRT, le système du sponsoring comme
alternative à la publicité ;
inviter les annonceurs institutionnels et parastataux à diriger leurs
investissements publicitaires vers la presse écrite, comme cela est le
cas en Flandre et dans de nombreux pays limitrophes.
C. Valorisation des contenus journalistiques
-
-
-
-
-
diffuser, comme en Flandre, de la publicité pour la presse écrite à la
radio et à la télévision (hors quota publicitaire) ;
protéger et valoriser la propriété intellectuelle (protection du
contenu, droits de reprographie, de copie privée et de prêt public,
rémunération des réutilisations, défense contre le piratage) ;
soutenir financièrement la formation continuée des journalistes
en collaboration avec les éditeurs, ainsi que la formation des
commerciaux, des équipes de pré-presse ;
promouvoir davantage l’utilisation de la presse à l’école comme
outil pédagogique et développer des actions de grande ampleur pour
encourager les jeunes à lire la presse écrite ;
soutenir la distribution des journaux (via l’installation de kiosques
dans les lieux publics, l’aide au portage, la valorisation du statut de
libraire. Du côté de la presse périodique, on souhaite l’extension des
tarifs et services postaux, dont profite la presse quotidienne, à la
presse périodique).
D. Soutien à la transition numérique
-
accorder des aides financières pour accompagner le passage au
numérique ;
26
Chapitre 1
-
-
-
-
-
-
prévoir une rétrocession des bénéfices des distributeurs vers les
fournisseurs de contenu ;
appuyer le projet de convention AJP-JFB sur le nouveau statut social
et fiscal de « journaliste-auteur » ;
étendre à la presse écrite le principe de présomption de cession des
droits d’auteur (déjà utilisé par la télévision), quitte à reconnaître
une rémunération équitable. Dans le cas d’une œuvre collective5,
les médias audiovisuels peuvent réutiliser ce contenu sans obtenir
de nouvelle autorisation des auteurs de cette œuvre, ce qui n’est
pas le cas des médias papier qui ont encore l’obligation légale de
conclure un contrat pour chaque nouvelle utilisation. Aux yeux de
Marjorie Dedryvere et Margaret Boribon, cette obligation est un
frein au développement numérique de la presse écrite et un facteur
de distorsion de concurrence par rapport au média télévisuel ;
aligner la TVA appliquée aux médias numériques sur le taux de TVA
appliqué à la presse papier et le taux de TVA de toute la presse papier
périodique à celui de la presse papier quotidienne (0%) ;
participer au financement de kiosques numériques comme GoPress
et soutenir, de manière générale, le développement des e-boutiques
qui permettraient de faire l’économie des commissions perçues par
les diffuseurs de contenus numériques (qui s’élèvent souvent à 30%
du prix de vente du contenu lui-même) ;
soutenir le raccordement des ménages belges au haut-débit et
l’équipement de ceux-ci en tablettes numériques.
2.3. Le point de vue des opérateurs audiovisuels
2.3.1. Des acteurs performants focalisés sur les contenus
d’information
A. RTL est un groupe privé luxembourgeois à capitaux allemands, avec des
sociétés filiales notamment en Belgique et en France qui est associé à des
5
Frédéric Young (SCAM) affirme que les matières audiovisuelles ne sont pas des « œuvres collectives » mais des « œuvres de collaboration » auxquelles le principe de présomption de cession des
droits peut s’appliquer. Ce dernier s’est initialement basé sur la nécessité de compléter la chaîne
des droits afin de permettre l’exploitation d’œuvres (souvent cinématographiques) qui représentent des investissements considérables. La présomption de cession n’est pas gênante dans le cas
des médias audiovisuels puisque l’essentiel des revenus afférents au droit d’auteur passe par la
gestion collective (via la SACD ou la SCAM).
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
27
groupes de presse6. Les principaux actionnaires de RTL Belgium sont le
groupe CLT-UFA qui détient RTL Group (à hauteur de 66%), et la société
Audiopresse (à hauteur de 34%) formée par les principaux éditeurs de
presse quotidienne belges francophones. Initialement, l’activité de RTL en
Belgique était publicitaire et s’est ensuite tournée vers l’édition de contenus.
Aujourd’hui, RTL Belgique conserve ces deux activités commerciales : IP
est la marque de sa régie publicitaire et développe son activité au-delà des
médias de RTL ; en ce qui concerne l’édition de contenus, RTL Belgique
chapeaute trois médias distincts : la radio (Bel RTL et Radio Contact), la
télévision (RTL) et Internet (New media).
Comparativement à d’autres médias privés qui se focalisent généralement
sur le divertissement, RTL Belgique s’est d’emblée investie dans la
production de contenus d’information. Cela s’explique en partie par le
fait que RTL s’est construite face au monopole historique de l’opérateur
public et lui a ravi le leadership en termes d’audience. Aujourd’hui encore,
l’information occupe une place centrale dans la programmation de la chaîne
luxembourgeoise : les émissions d’information représentent 14% du temps
d’antenne total. RTL est devenue leader de l’information télévisée et coleader de l’information en radio. Le reach du JT de RTL-TVi est de 32,2% ;
cumulé avec les informations en radio et sur Internet, il atteint 39,9%. Alors
que le divertissement est essentiellement sous-traité par RTL, la production
d’information est internalisée, ce qui explique que 31% de la force de travail
de la chaîne (soit 165 ETP) sont affectés à la production d’information (via
les JT et les magazines). RTL Belgique constitue donc une des principales
sources d’information du pays et joue dès lors un rôle important (quasipublic, selon RTL), d’autant plus que la chaîne couvre des événements
d’intérêt général et investit le débat politique à un rythme hebdomadaire.
Par ailleurs, le JT revêt un intérêt économique et stratégique puisque ce
pilier d’audience pousse toute la programmation de la soirée, constitue un
puissant vecteur d’image en ancrant la chaîne dans une communauté et sert
de produit d’appel vers d’autres formats comme les vidéos à la demande ou
les contenus sur Internet.
B. La RTBF est l’opérateur audiovisuel public et est liée à la FWB par un
contrat de gestion qui fixe ses droits (une dotation annuelle) et ses devoirs
6
La délocalisation de RTL au Luxembourg a été justifiée, selon l’opérateur privé, par des préoccupations de sécurité juridique, a été reconnue comme légale et a pour conséquence de soustraire
la chaîne luxembourgeoise à la régulation du CSA belge.
28
Chapitre 1
(notamment, l’obligation de s’adresser au plus grand nombre). Conformément
aux missions de service public qui lui sont assignées, la RTBF consacre des
moyens considérables à la production de contenus d’information : pour ce
faire, elle emploie au total 325 ETP et contribue, par ailleurs, à la formation
des futurs journalistes. Grâce à cette force de travail, l’opérateur public
produit annuellement 670 heures de contenus d’information télévisés et
2.650 heures d’information en radio. Sur Internet, la RTBF publie 33.000
articles d’information par an (en 2010). En termes d’audience, le reach des
programmes télévisés d’information, dans leur ensemble, est de 46,8% (ce
qui signifie qu’environ deux millions de Belges francophones de plus de
quatre ans regardent chaque semaine au moins un quart d’heure d’un de
ces programmes) ; la pénétration de la radio est de 32,3% (ce qui signifie
que 1 279 000 citoyens francophones de plus de 12 ans écoutent un bulletin
d’information au moins dix minutes par semaine). Si l’on ne dispose pas
de chiffres d’audience précis pour la consultation d’articles mis en ligne, on
estime que les pages d’information de la RTBF accueillent pour l’instant
55.000 visiteurs par jour.
La conception d’information de service public dans le chef de la RTBF
s’exprime au travers de différents choix posés par la chaîne à contre-courant
de logiques purement économiques : alors que les économies d’échelle
amènent à se passer de journalistes professionnels ou de rédaction physique,
la RTBF tient à conserver une rédaction stable qui poursuit son travail de
production propre, d’investigation et d’analyse et à maintenir l’implantation
de rédactions dans les régions (via les bureaux locaux d’information et les
unités de programmes présents sur les sites régionaux). La décentralisation
répond à une nécessité sociétale et culturelle d’ancrage dans la communauté
pour en être un porte-parole crédible. S’ajoute à ces choix un faisceau
déontologique qui définit la télévision de service public et qui conjugue
un système de stricte indépendance par rapport à l’autorité et des règles
explicites quant au métier de journaliste, au traitement de l’information, au
rapport avec le monde politique, à la place de chaque formation politique
démocratique sur les antennes de la RTBF.
C. Les 12 télévisions locales (TVL) sont des ASBL qui ont été autorisées en
Communauté française dès 1976 et qui ont ensuite été reconnues comme des
entreprises culturelles chargées de missions de service public. À ce titre, elles
reçoivent une dotation de la FWB (complétée par des recettes publicitaires,
un financement régional de soutien à l’emploi et par une contribution des
câblodistributeurs, qui est en cours de révision). Depuis 1997, elles offrent
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
29
une couverture totale des régions wallonne et bruxelloise. Vu leurs histoires
distinctes, les télévisions locales sont marquées par une grande diversité7.
Au-delà de leur diversité, les télévisions locales ont comme point commun
de faire de l’information leur mission centrale et d’accorder une attention
particulière à la politique communale et régionale. Les JT représentent 20%
du temps d’antenne global et 700 heures de production par an (sur un total
de 3.507 heures de production propre). Ensemble, les télévisions locales
emploient 132 journalistes ETP. Le reach des TVL s’élève aujourd’hui à 52%
de l’audience potentielle, même si l’audimétrie classique apparaît comme
peu adaptée à la situation particulière des TVL. Ainsi, les chiffres du CIM
qui diagnostiquent un effondrement de l’audience des TVL (qui perdraient
50% de leur public) sont très exagérés par rapport à une effective érosion de
l’audience depuis 2004-2005.
L’ atout majeur des TVL réside dans la décentralisation des moyens de
production qui permet une rapidité de réaction, une couverture exhaustive
des actualités dans la FWB et un accès plus aisé des acteurs locaux et des
citoyens au média audiovisuel. L’information locale de service public passe
non seulement par ce travail de proximité, mais aussi par une mission
d’éducation permanente : il s’agit d’informer les gens de ce qui se fait dans
leur environnement immédiat et donc de les inviter à devenir des citoyens
actifs et responsables. En outre, les télévisions locales ont l’avantage de
pouvoir donner un point de vue particulier sur un point d’actualité et de
créer de l’emploi au niveau local.
2.3.2. Multiples répercussions du numérique sur les médias
audiovisuels
Les innovations numériques et la mondialisation des marchés ont un
effet déstructurant sur les médias audiovisuels puisque ces phénomènes
technologiques et économiques amènent à la convergence et à la dérégulation
des médias. À l’heure actuelle, la radio est confrontée à une détérioration de
son image auprès des jeunes et à un déclin de sa consommation, tandis que la
télévision reste aujourd’hui un objet de consommation fort et stable et jouit,
grâce à différents progrès technologiques, d’une image assez moderne.
7
À titre d’exemple, Canal Zoom s’adresse à 43.000 habitants de la région gembloutoise, alors que
Télé Bruxelles vise un public d’un million de personnes et revendique d’être reconnue comme
une télévision régionale.
30
Chapitre 1
La situation des médias audiovisuels va connaître d’importantes (r)évolutions
dans un futur proche.
-
-
-
-
Si la technologie numérique a permis d’accroître encore la
distribution de la télévision, les différentes innovations ouvrent
également la voie à l’évasion des auditeurs et téléspectateurs des
chaînes classiques linéaires vers d’autres médias (comme Internet,
la VOD ou des chaînes thématiques), d’autant plus que le public
de la radio et de la télévision tend à vieillir, tandis que les jeunes
générations se tournent massivement vers les nouveaux médias.
Le nomadisme, c’est-à-dire, l’essor du mobile, entraîne un rapport
plus compulsif à l’information (qui doit pouvoir être consommée
à tout moment et partout) et impose aux médias audiovisuels de
modifier et d’accélérer ses processus de fabrication de l’information
et de développer des applications mobiles.
La personnalisation bouleverse la télévision et la radio qui, en tant
que médias linéaires, fixaient jusqu’il y a peu leurs propres horaires
et n’étaient pas consommées « à la demande ». La « télévision
connectée » va plus fondamentalement encore ébranler le modèle
audiovisuel. Ce système (qui consiste en un poste branché à la fois
sur un signal de diffusion et un signal Internet) ne s’inscrit dans
aucun cadre régulatoire puisqu’il capte les services non régulés du
web. Il pose donc des problèmes notamment en termes de respect
des droits d’auteur et de neutralité technologique (puisque le rôle
et le prix des plates-formes ne sont pas encore définis). Par ailleurs,
l’audience qui était jusqu’alors la propriété de la chaîne, pourra être
demain utilisée par tous via Internet.
La participation citoyenne à la production de l’information entraîne
une multiplication des contenus et des volumes et amène surtout
les médias audiovisuels à se repositionner vis-à-vis de l’actualité
et vis-à-vis de leurs publics. L’information n’est aujourd’hui plus
uniquement annoncée par des journalistes professionnels mais elle
est partagée par des citoyens lambda via des réseaux numériques.
Du côté de la RTBF, on redéfinit le rôle des médias comme celui
de la confirmation, de la certification et de l’explication. Il ne s’agit
plus d’annoncer la nouvelle, mais de l’authentifier et de la mettre
en perspective. Concrètement, ce nouveau positionnement de la
RTBF passe notamment par la présentation dans le JT de sujets
moins nombreux mais plus longs, par l’usage plus fréquent et plus
dynamique de l’infographie, par la diffusion d’émissions spéciales
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
-
-
-
31
ou de documentaires en rapport avec l’actualité immédiate, par
l’aménagement de plages intégrées d’information et d’analyse en
radio, par un travail d’éditorialisation via le web.
Le numérique amène une réorientation des flux de revenus
publicitaires, puisqu’il confronte les médias belges à la concurrence
internationale. Ainsi, des sites d’information étrangers, comme
lemonde.fr, utilisent le décrochage publicitaire pour s’adresser au
public belge ; Google récolte, à lui seul, environ 100 millions d’euros
sur le marché publicitaire belge, selon Didier Lefèvre. D’après JeanPaul Philippot, les moteurs de recherche captent 45% de la publicité
en ligne au niveau européen. Si l’on tient compte de cette estimation
qui ne figure habituellement pas dans les statistiques belges, la
part des moteurs de recherche amoindrit encore la part infime qui
revient aujourd’hui à la RTBF (qui passe alors de 3,6% à 0,4%-0,6%
de l’ensemble des revenus du net)8. Cela représente une modification
fondamentale de la part de marché de la chaîne publique au regard
des autres médias puisque, par comparaison, la part de marché
publicitaire de la RTBF représente actuellement 29% du total des
investissements en télévision (contre 71% pour les télévisions privées)
et 35% en radio (contre 65% pour les radios privées).
Du point de vue industriel, les technologies qui se développent à
une vitesse de plus en plus rapide obligent les médias à suivre
toutes ces innovations, à mobiliser plus de capitaux et à amortir ces
investissements beaucoup plus vite qu’avant.
La numérisation du processus d’information constitue une menace
sur les contenus dans la mesure où elle accroît le risque de piratage
et où elle permet une multiplication des points de consommation
du même contenu (ce qui entraîne une perte de valeur des contenus
internationaux au fur et à mesure de leur diffusion).
2.3.3. La viabilité économique d’opérateurs publics et privés
comme condition du pluralisme
Pour qu’il y ait pluralisme, il est nécessaire de garantir le bon fonctionnement
et la viabilité d’opérateurs à la fois publics et privés, comme le défend le
8
En 2010, le marché publicitaire de la RTBF sur Internet s’est élevé à 2,2 millions d’euros bruts.
Selon Jean-Paul Philippot, si cette somme, en soi assez négligeable, était retirée à la chaîne publique, elle ne reviendrait pas mécaniquement vers les éditeurs de la presse quotidienne mais se
diluerait dans l’ensemble des offres Internet.
32
Chapitre 1
rapport d’Ivo Belet9. À l’unanimité, les représentants des différentes chaînes
plaident pour le maintien des opérateurs existants et reconnaissent la valeur
de l’information locale comme garante d’une diversité d’information (même
si RTL déplore une dispersion des moyens inhérente à la mise en place de 19
établissements publics audiovisuels en FWB).
Or, la situation économique des opérateurs audiovisuels belges francophones
est non seulement ébranlée par les innovations technologiques du secteur
médiatique, mais aussi par les spécificités de leur marché. En Belgique, la
production médiatique est orientée vers un marché de consommation, c’està-dire qu’elle est destinée au seul public belge, contrairement au Luxembourg
qui s’est lancé dans une industrie d’exportation. Alors que s’accroît le poids
des acteurs globaux et internationaux via les plates-formes numériques, les
médias belges francophones sont de plus en plus fragiles, au vu de l’exiguïté
de leur territoire et du rayonnement limité de la langue française. Dans la
mesure où la production de l’information se fait à coûts fixes, un média
d’information doit, pour être rentable économiquement en Belgique, être
(co-)leader sur le marché et éditer ses contenus sur différentes plates-formes
afin d’augmenter son taux de pénétration dans la société.
Les télévisions publiques font face à d’importants problèmes financiers et voient
leurs subsides plafonner tant pour la RTBF que pour les télévisions locales.
Selon Jean-Paul Philippot, la RTBF est même une des radiotélévisions
publiques les moins bien dotées en Europe10 : sa dotation est inférieure de 42%
à celle de la VRT et n’a pas été augmentée depuis 1990 (si l’on fait abstraction
de l’inflation), alors que le budget de la FWB n’a cessé de croître11.
Jusqu’en 2000, la publicité a constitué un important relais de croissance pour
9
Le rapport Belet relatif à l’avenir des médias à l’ère du numérique a été, en novembre 2010, approuvé à une très large majorité par le Parlement européen. Il manifeste l’engagement de l’Union
européenne en faveur du modèle dual, c’est-à-dire du maintien d’un service public fort à côté des
opérateurs privés.
10
François le Hodey (IPM) et Richard Miller (MR) nuancent ces propos. Le premier soutient que
la RTBF se situe dans la moyenne européenne tandis que le second fait remarquer que l’investissement public à la RTBF ne se résume pas à la dotation de la FWB, puisque la chaîne publique bénéficie de quelques rentrées d’argent public complémentaires (dotations pour Arte, TV5,
subsides liés au Plan Magellan, ou les aides de la Région wallonne). Didier Lefèvre (RTL) ajoute
que la débudgétisation de l’aide publique en faveur de la RTBF s’avère bien moins efficace qu’une
dotation augmentée et cohérente.
11
Ce qui explique que la part de la dotation de la RTBF a diminué de 26% relativement au budget
global de la FWB.
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
33
les télévisions belges francophones privées, puis publiques : ainsi, de 1990 à
2000, la croissance du budget de la RTBF est due uniquement à la publicité.
Au cours des dix dernières années, les revenus publicitaires ont stagné : la
croissance annuelle nominale moyenne de la publicité pour l’ensemble des
grands médias a été de 1,3% par an. L’audiovisuel a relativement bien résisté
à la pression du marché publicitaire ; les opérateurs télévisuels sont même
souvent perçus comme des privilégiés puisque leurs revenus publicitaires
sont restés ces dernières années en légère augmentation. Pourtant, sur le
long terme, ils devront faire face à des défis structurels consécutifs :
-
-
-
à la montée en puissance de marques dont les distributeurs font euxmêmes la publicité ;
à un processus de financiarisation qui, au détriment des logiques
de marketing, recherche les rendements à court terme en faisant
pression sur les prix ;
à la monétisation de nouveaux points de contact avec les consommateurs,
comme les écrans de télévision placés dans les magasins.
Dans ce contexte économique difficile, les médias audiovisuels sont obligés
de faire preuve de réalisme économique. Ils tentent ainsi d’augmenter leur
productivité (RTL et la RTBF ont choisi, chacune de leur côté, de fusionner
leurs propres équipes rédactionnelles de radio et de télévision pour favoriser
la concertation, mais aussi pour mutualiser les coûts) et cherchent à diversifier
leurs rentrées financières (par exemple, via la participation financière des
distributeurs ou le branding qui consiste à associer une marque-média à
différents produits)12. Dans ce domaine, les TVL sont pénalisées par leur
manque de visibilité et d’image commune puisque la presse et les diffuseurs
ne publient pas leurs programmes et qu’elles sont (très) mal classées dans
l’ordre des chaînes offertes par les décodeurs numériques.
2.3.4. Propositions concrètes des opérateurs audiovisuels
Les opérateurs audiovisuels formulent différentes propositions afin de leur
permettre d’exister, de survivre économiquement et d’assurer, le cas échéant, les
missions de service public qui sont confiées à certains d’entre eux. La plupart de
ces propositions varient logiquement en fonction du secteur dont elles émanent.
12
À ce propos, il importe de rappeler qu’une étude sur le financement de la RTBF réalisée par le
consultant Deloitte en juin 2011 à la demande du Gouvernement de la FWB a démontré l’impossibilité de supprimer ou de diminuer le financement publicitaire de la RTBF sans un refinancement
public compensatoire plus que proportionnel à la perte de revenus publicitaires de la RTBF.
34
Chapitre 1
Les télévisions publiques et privées s’accordent sur la nécessité de :
AUGMENTER LES SUBSIDES ALLOUES AUX TELEVISIONS
PUBLIQUES
-
Il s’agit de reconnaître le rôle des différentes télévisions de service
public, au niveau communautaire, local ou même régional (dans
le cas de Télé Bruxelles) et de traduire cette reconnaissance par un
financement adéquat. Une augmentation des subsides permettrait
d’éviter ce que d’aucuns appellent les « dérives commerciales »
auxquelles la RTBF est acculée (et qui, selon RTL, donnent lieu
à une destruction de valeurs sur le marché) et de garantir aux
télévisions publiques une autonomie financière qui elle-même fonde
l’indépendance éditoriale. Concrètement, les TVL demandent 1°) de
faire passer la redevance décrétale (due par les câblodistributeurs aux
télévisions locales) de 2,33€ à 5€ par abonné (somme qui, selon des
calculs réalisés en Flandre, correspond aux besoins), 2°) de mettre
en place une compensation pour Télé Bruxelles qui est privée de cet
apport, 3°) de profiter d’un plus grand soutien des pouvoirs publics via
de nouveaux subsides ou des achats de programmes ou de publicités.
SOUTENIR LA TRANSITION NUMERIQUE
-
-
en apportant un soutien financier à la transition numérique afin de
permettre l’existence d’opérateurs privés assez solides pour produire
leurs propres contenus, sans pour autant prendre une quelconque
initiative sur le choix et l’orientation des contenus (la responsabilité
des programmes revient à la seule entreprise) ;
en permettant, dans une logique de neutralité technologique, la
migration des contenus des opérateurs publics sur de nouveaux
supports. Pour la RTBF, la politique de neutralité technologique qui
consiste à investir tous les supports est non seulement une condition
de viabilité économique mais également un enjeu de service public
puisque l’audience de la radio et de la télévision tend à vieillir (l’âge
moyen des téléspectateurs de la RTBF est déjà de 51 ans) par rapport
à l’âge moyen des internautes qui visitent le site de la RTBF (qui n’est
que de 37 ans). Se priver d’un des médias revient ni plus ni moins
à se couper d’une partie de la population et donc à faillir à une des
missions du service public.
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
35
RTL préconise de :
DEPASSER L’AFFRONTEMENT ENTRE LA RTBF ET RTL, c’est-à-dire de
-
-
sortir de la comparaison incessante entre RTL et la RTBF. Pour
Didier Lefèvre, il y a là une stérilisation des débats puisque les
chaînes ne sont en soi pas comparables vu la différence de leur statut
et de leurs missions et puisqu’il serait souhaitable de faire primer
l’intérêt général sur l’affrontement systématique ;
oser imaginer, comme le formule Didier Lefèvre, une disjonction
entre statut d’opérateur d’État et missions de service public : on
pourrait envisager, dans ce sens, de négocier et de confier des
missions publiques circonscrites à des opérateurs privés. Le contexte
européen fournit des exemples où la dichotomie privé-public
a été dépassée : TF1 est une chaîne publique qui a été privatisée,
le Luxembourg ne dispose pas d’une chaîne publique, la chaîne
danoise TV2 est un opérateur public qui a une mission d’entreprise
commerciale financée par la publicité.
METTRE EN PLACE UN CADRE ECONOMIQUE ET JURIDIQUE SAIN
-
-
Du point de vue de Didier Lefèvre, l’action publique vis-à-vis
des médias doit être lisible et transparente : avant de prendre des
mesures, les pouvoirs publics devraient mesurer les effets directs et
indirects de celles-ci afin d’éviter de déstructurer le marché ou de
déséquilibrer la concurrence. À titre d’exemple, l’augmentation des
espaces publicitaires à la RTBF a provoqué une baisse des prix sur le
marché et a même mis la télévision publique en concurrence directe
avec les télévisions locales.
De manière générale, si des entreprises publiques mènent des activités
commerciales, le législateur et le régulateur doivent faire preuve
d’équité à l’égard de tous les acteurs. Didier Lefèvre déplore ainsi les
choix qui ont présidé à la répartition des fréquences analogiques qui
aurait privilégié les radios publiques au détriment des radios privées.
Les télévisions publiques préconisent, pour leur part, de :
DEGAGER DE NOUVEAUX RELAIS DE CROISSANCE
-
en ouvrant le débat sur le modèle gratuit et/ou payant. Au-delà
36
Chapitre 1
-
de la traditionnelle gratuité des contenus radio et télévisés et de
l’obligation pour le service public de rendre son information accessible
à tous, Jean-Paul Philippot n’exclut pas qu’il faille changer les mentalités
et envisager la monétisation de certains contenus numériques ;
en accroissant la visibilité des télévisions locales par la diffusion des
programmes dans la presse écrite et par la négociation d’un meilleur
classement dans le ranking proposé par les décodeurs numériques.
FAVORISER LA MISE EN ŒUVRE DE PARTENARIATS
et permettre aux opérateurs audiovisuels de faciliter l’acquisition de nouvelles
technologies, de partager les investissements ou même les contenus.
-
-
-
Les télévisions locales veulent concrètement rationaliser leurs
moyens, en touchant le moins possible à l’emploi et en excluant la
suppression pure et simple d’une des TVL qui ne serait pas une
solution rentable. L’idée serait de mettre en œuvre une coopération
technique entre les télévisions locales, de créer un deuxième canal
commun qui permettrait de diffuser des programmes produits en
commun, de mettre en œuvre des synergies entre certaines TVL (à
l’instar de l’initiative du GIE qui rassemble six télévisions wallonnes).
Les TVL demandent que le pouvoir public les laisse expérimenter de
nouvelles voies de développement.
La RTBF est déjà dans une dynamique de partenariats avec différents
acteurs européens13 et voudrait intensifier les collaborations avec
les TVL à la fois du point de vue du partage des infrastructures
comme à Charleroi et du point de vue d’une collaboration éditoriale
(actuellement, les échanges de contenus avec les TVL ne sont que
de 30 par an). Les TVL marquent leur accord tout en demandant
qu’il s’agisse d’un vrai partenariat d’égal à égal et que l’on rende
effectif le comité de concertation créé à cet effet par la présence d’un
observateur de la FWB.
Enfin, la RTBF serait ouverte à la mise en place d’un système
d’échanges de contenus avec la presse écrite, à l’instar de la VRT
qui est en pourparlers avec les éditeurs flamands qui achètent euxmêmes des contenus à VTM14.
La RTBF est ainsi liée à différents acteurs européens comme l’UER, les radios francophones
publiques, Euranet et le réseau de radio européen et TV5.
14
Pour leur part, les éditeurs de la presse écrite craignent qu’une intensification des échanges ne
constitue un danger d’uniformisation des contenus qui seraient dès lors plus difficiles à monétiser.
13
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
37
2.4. Le point de vue des éditeurs et diffuseurs de presse
numérique
L’Online Publishers Association (OPA) regroupe des médias diversifiés
(télévision, presse quotidienne, presse périodique B2B et B2C) qui ont pour
point commun d’avoir transposé leurs contenus sur support numérique.
Au total, l’OPA compte une cinquantaine de sites d’information ou de
divertissement, rédigés en français ou en néerlandais. Elle fait elle-même
partie de l’association The PPress. Sur les 1120 journalistes impliqués dans
la rédaction de ces sites, 971 sont des journalistes mixtes, c’est-à-dire qu’ils
rédigent des contenus destinés à des supports classiques et numériques. Les
objectifs de l’OPA sont de créer et de partager des connaissances sur les
sites à contenu de qualité et de faire la promotion de ces nouveaux médias à
l’attention des pouvoirs publics et des annonceurs.
Pressbanking est un diffuseur de contenus qui, depuis 1994, met à disposition
de ses clients une revue de presse (francophone et germanophone) dans une
logique de B2B. Il se veut être un outil professionnel et perfectionné qui revêt
un intérêt stratégique pour les entreprises et les pouvoirs publics. La création
de Pressbanking s’inscrit dans une vague d’innovations qui, dès la fin des
années 1980, tendent à créer des bases de données rassemblant les articles de
différents journaux, à offrir de la sorte des revues de presse numériques et, par
la suite, à mettre en ligne ces données. Dans le secteur de la presse numérique,
la Belgique a pris manifestement une longueur d’avance et se trouve dans le
peloton de tête européen (pour rappel, Google n’apparaît qu’en 1998). Dès sa
création, Pressbanking a choisi de prendre en compte immédiatement le droit
d’auteur : concrètement, il s’agit de vendre les produits de presse en même temps
que les licences d’utilisation (droits secondaires). Aujourd’hui, c’est la société
Copiepresse qui prend en charge la perception et la rétrocession de ces droits
secondaires aux auteurs (via les éditeurs). En principe, un contenu ne peut
pas paraître s’il n’y a pas d’accord sur les droits entre l’auteur et le fournisseur
des contenus (éditeur). Sinon, ce dernier peut être exclu du système. En 2008,
Pressbanking a participé à la création de la Press Database and Licensing
Network (PDLN) qui a d’ailleurs adopté le principe de Pressbanking en ce qui
concerne la gestion des droits d’auteur. Celle-ci centralise différentes bases de
données de presse européennes et offre aux clients une seule interface pour
consulter ces différentes sources d’information.
Rue89 est un pureplayer d’information créé en France en mai 2007 par
38
Chapitre 1
quatre journalistes qui, issus des rangs de Libération, avaient, en tant que
correspondants à l’étranger, écrit leur propre blog. De cette expérience, les
fondateurs de Rue89 avaient retenu à la fois la force de l’interactivité (le lecteur
n’est plus une abstraction mais un interlocuteur) et la nécessité de renouer
un lien de confiance entre journalistes et lecteurs. Rue89 été fondé sur deux
choix : le premier a été de se passer d’investisseurs (pour innover librement) ;
le second, de mettre en place un site gratuit et participatif, c’est-à-dire écrit à
la fois par des journalistes, des experts et des citoyens. Le choix de la gratuité
répond au désir d’être ouvert et de circuler via les réseaux sociaux. Le système
de « recommandation » d’articles génère un important trafic sur le site, trafic
qui, dans le même temps, accroît la valeur de Rue8915. La place réservée à la
participation citoyenne est justifiée par le fait qu’ « Internet donne de facto
la parole à tous ». Cette place est toutefois circonscrite par la conscience que
« tout le monde n’est pas journaliste ». Concrètement, tout contenu proposé par
un citoyen est validé par un journaliste professionnel (qui vérifie notamment
la mention des sources d’information) avant d’être publié sur le site. Le site
rémunère tous ses contributeurs qui sont des journalistes professionnels. En
outre, dans un objectif de transparence, Rue89 a pris le parti de présenter
systématiquement l’auteur des articles publiés. En 4 ans, Rue89 a conquis
une véritable audience (2 millions de visiteurs uniques tous les mois), a
créé une communauté autour de son site, diffuse ses contenus sur d’autres
supports (smartphone, tablettes et mensuel papier), emploie 26 personnes à
temps plein, en plus de centaines de contributeurs ponctuels. Selon Pierre
Haski, le succès de certains pureplayers en France s’explique à la fois par
l’exploitation que ceux-ci font d’Internet en tant que média spécifique (et non
comme simple duplicata des médias existants) et par la faiblesse de la presse
écrite française (sous-capitalisée et tardivement implantée sur le net)16.
2.4.1. Conséquences de la révolution numérique dans
l’écosystème des médias d’information
A. Reconfiguration du métier de journaliste
L’OPA rappelle que les newsrooms tendent à se reconfigurer en fonction de
À l’heure actuelle, 50% des articles de Rue89 circulent via des recommandations par mail,
Facebook ou Twitter. Facebook amène autant de lecteurs à Rue89 que Google.
16
Selon Daniel Van Wylick (Rossel), une autre explication du succès de pureplayers en France
tient également à la starification de certains journalistes, ce qui apparaît comme moins probable
en Belgique. D’après François le Hodey, la création d’un pureplayer payant en Belgique francophone, tel que Mediapart, occasionnerait des investissements énormes et rédhibitoires.
15
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
39
l’avènement des supports numériques : les responsables web et les rédactions
numériques sont plus nombreux et mieux reconnus. Les journalistes doivent
désormais être polyvalents et destiner leurs articles à une diffusion multi
plates-formes. Si la gestion de l’espace (nombre de signes, de colonnes, …)
est moins contraignante qu’avant, la gestion du temps est devenue beaucoup
plus complexe : aux délais clairement fixés par l’impression d’un journal
ou la diffusion d’une émission, a succédé un flux continu d’informations
qui impose aux rédactions d’adopter un rythme de travail ininterrompu
et de concilier rapidité et vérification des sources. Les médias numériques
amènent également les journalistes à écrire différemment et à prendre en
considération les réactions des internautes.
B. L’avenir du papier à l’ère du numérique : une coexistence possible ?
Convergence et concurrence des médias d’information multi-supports
La presse papier devra inévitablement se reconfigurer face à l’essor des
médias numériques qui tendent à être reconnus comme des vecteurs
d’information comme les autres. Pour Rue89, « Internet n’est pas qu’un
tuyau en plus mais un média à part entière ». L’expérience du site montre
d’ailleurs que les pureplayers sont reconnus en France comme médias
d’information tant par les autorités que par le public. D’une part, suite
aux États Généraux de la Presse écrite en France (2008-2009), ils sont
soumis aux mêmes obligations que la presse écrite (législation au niveau
des droits d’auteur, procès pour diffamation, …) et disposent d’un
syndicat spécifique17. D’autre part, au niveau des lecteurs, les attentes du
public sont désormais les mêmes vis-à-vis de la presse écrite généraliste
que vis-à-vis des pureplayers.
Pour une différenciation des contenus papier et numériques
S’il y a bel et bien convergence des médias, Philippe Nothomb et Pierre
Haski ne croient pas pour autant à la disparition pure et simple du
papier mais entrevoient le maintien de ce dernier dans certains cas
particuliers, comme la presse régionale ou la presse magazine. Pierre
Haski fait d’ailleurs remarquer qu’aujourd’hui déjà, la presse quotidienne
se consomme comme un magazine : seulement 10% des lecteurs de
Libération achètent ce journal quotidiennement.
17
Il s’agit du SPIIL : Syndicat de la Presse Indépendante d’Information en Ligne.
40
Chapitre 1
Pressbanking qui numérise des articles de presse écrite se trouve
nécessairement à la jonction de ces deux supports et a pour objectif de
maintenir un équilibre entre contenus papier et contenus numériques.
À l’heure actuelle, il reproduit les contenus de la presse écrite. À terme,
des rédactions électroniques généreront des contenus spécifiques. Il
s’agira de différencier les contenus en fonction des supports afin de
maintenir l’indépendance de la presse écrite et la pluralité des médias,
d’éviter la cannibalisation des médias papier par les médias numériques.
Pour Pierre Haski, il s’agit dès aujourd’hui de ne pas se contenter de
copier-coller les contenus papier sur les supports numériques mais de
s’inscrire dans une logique de complémentarité et de tirer pleinement
profit des spécificités de médias connectés (notamment, l’interactivité
avec les lecteurs).
C. L’avènement du mobile
Stéphanie Radochitzki (OPA) présente une enquête prospective sur le
développement des médias numériques d’ici 2015. En plus d’un trafic
Internet de plus en plus intense, d’une dématérialisation des services,
de la multiplication de réseaux sociaux, du cloud-sourcing (stockage
de données dans un lieu non-déterminé), la principale tendance réside
dans la montée en puissance du mobile. En 2014, l’accès à Internet via le
mobile dépassera l’accès via les ordinateurs fixes ou portables. En 2015, le
nombre de devices mobiles dépassera celui des ordinateurs personnels. Le
développement des applications mobiles (comme les applications santé
ou les tickets de transport), du m-commerce (commerce via les mobiles),
des revenus liés aux mobiles (qui seront multipliés par 3,5 entre 2010 et
2015) sont autant indicateurs probants de l’avènement du mobile.
La tablette, support d’avenir pour les médias d’information
Le mobile se décline aujourd’hui en deux devices principaux : le
smartphone et la tablette. Si le premier répond à la nécessité de consulter
des données « partout tout le temps », la seconde se consomme davantage
dans un contexte de loisir. À l’instar de certains éditeurs de presse
(comme Quentin Gemoets), les éditeurs et diffuseurs numériques font
le pari que la tablette, qui est aujourd’hui encore un produit élitiste,
deviendra demain un outil (de travail et de loisir) à usage quotidien et,
par conséquent, un intéressant support pour les médias d’information.
Pressbanking et Rue89 sont d’ailleurs tous deux en train d’investir les
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
41
tablettes. En partenariat avec Mediargus (homologue flamand) et grâce
à des investissements très importants des éditeurs de presse flamands et
francophones, Pressbanking lance actuellement un kiosque numérique
appelé GoPress et passe ainsi d’un modèle B2B à un modèle B2C : ce
kiosque offre l’opportunité, à partir d’une tablette, de parcourir, d’acheter
et même d’archiver les nombreux titres partenaires de cette initiative.
Le rôle incontournable et coûteux des intermédiaires numériques
Le coût de développement très élevé de GoPress s’explique essentiellement
par le souci des éditeurs de rendre ce kiosque applicable sur les
différentes plates-formes existantes. C’est que la question des rapports
avec les distributeurs numériques revêt une importance cruciale puisque
ces intermédiaires (tels Apple) fixent les prix de vente des contenus et
prélèvent des marges (jusqu’à 30% du prix). Dans un contexte de forte
concurrence et de course à la compétitivité sur le marché des devices
mobiles, les distributeurs risquent de jouer un rôle de plus en plus
prépondérant. Un des défis majeurs des éditeurs de contenus numériques
consiste dès lors à négocier ces rapports de force (sans doute, au niveau
européen) afin de sortir de la soumission aux distributeurs, d’établir
le rapport le plus direct possible entre journaliste et lecteur et donc de
pérenniser la diffusion d’informations de qualité au plus grand nombre.
D. Vers la recherche de nouveaux modèles économiques
Le développement des médias numériques impose de rechercher de
nouveaux modèles économiques, au vu de la convergence des différents
supports et de l’internationalisation de la concurrence.
Un modèle gratuit et/ou payant ?
Puisque l’objectif des éditeurs et diffuseurs numériques belges est
actuellement de maintenir l’équilibre entre les contenus papier et les
contenus numériques, la fixation des prix de vente revêt une importance
cruciale. À titre d’exemple, Pressbanking qui est passé d’un modèle B2B
(nécessairement payant) à un modèle B2C (où les prix doivent être plus
attractifs) laisse aux éditeurs le soin de fixer les prix. Ceux-ci sont, en
tout cas, inférieurs au prix du papier et s’élèvent généralement aux ¾ de
ce dernier. Pour sa part, Rue89 a adossé à son site gratuit des contenus
payants (sur tablette et sur support papier).
42
Chapitre 1
De manière générale, de nouveaux médias ne deviennent payants que
progressivement. Dans un premier temps, il s’agit d’adopter un modèle
gratuit afin de faire apparaître le nouveau support dans le paysage
médiatique et de capter l’attention des consommateurs. Une fois le produit
installé et connu, il est ensuite envisageable de passer à un modèle payant
et d’intégrer de la publicité dans ce média désormais attractif. Sur le long
terme, l’objectif est d’établir une égalité de prix entre supports papier
et numériques. L’OPA évoque, pour sa part, la possibilité de mettre en
place des abonnements non plus mono plates-formes mais pluri platesformes (qui permettraient de monétiser à la fois les contenus papier et les
contenus numériques par la fixation d’un seul et même montant).
L’OPA identifie les facteurs qui permettent la monétisation des contenus
numériques d’information. Selon elle, un consommateur sera disposé à
payer des contenus numériques si leur production répond aux conditions
de
-
-
-
-
-
rapidité ;
accessibilité ;
qualité (en vertu du professionnalisme reconnu des rédacteurs de
contenus)18 ;
notoriété des marques médias, qui jouent, selon l’expression
de Philippe Nothomb, le rôle de « phares dans l’océan
électronique »19 ;
intégration dans des réseaux sociaux (via des revues de presse de
Facebook, Twitter ou via les recommandations par mail ou réseaux
sociaux).
Des recettes publicitaires Internet sous-exploitées et irremplaçables?
Au sujet de la publicité, il est interpellant de constater que les publicitaires
ne font pas confiance à la publicité sur Internet, et ce contrairement
aux consommateurs : selon l’étude European Interactive Advertising
Association, 4% des investissements publicitaires sont orientés vers
Internet, alors que les consommateurs passent presque autant de temps
devant Internet que devant la télévision. En Belgique, plus d’un tiers des
18
Dans cette optique, Pressbanking est en train de participer à la négociation pour l’acquisition
du statut de journaliste professionnel auteur pour les rédacteurs numériques.
19
L’OPA rappelle d’ailleurs que la confiance des internautes va en premier lieu aux sites d’information de la presse écrite.
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
43
investissements publicitaires sur Internet sont par ailleurs orientés vers
des moteurs de recherche (Google touche 89,1% des surfeurs belges) et
donc détournés vers des marchés internationaux.
Certes, les recettes publicitaires apparaissent donc comme une manne
qui est appelée à s’accroître (au vu également de la désinhibition des
internautes vis-à-vis du e-commerce et de la disjonction qui s’opère entre
articles lus et produits achetés sur la même page web). Cependant, il
s’avère dangereux, voire malsain, de ne dépendre que d’une seule source
de financement, qui plus est, est conjoncturelle. En ce qui concerne
Rue89 qui réinvente sans cesse son modèle économique, les recettes
publicitaires et l’e-commerce représentent 55-60% du chiffre d’affaire20
et se trouvent complétées par d’autres sources de financement qui sont :
-
-
-
-
la sous-traitance de services techniques et de formations aux
nouvelles technologiques ;
la vente des contenus sur tablette et du mensuel papier (qui reprend
le best of des articles publiés en ligne) ;
les aides de l’État (suite aux États Généraux de la Presse Écrite) ;
le soutien financier du public (qui couvre seulement 2% des revenus
de Rue89 mais qui joue un rôle essentiel dans la création d’une
communauté autour du site).
2.4.2. Perspectives d’avenir et propositions
Dans la continuité des constats qui viennent d’être posés, l’OPA et
Pressbanking formulent différentes propositions pour assurer l’avenir des
médias d’information en Belgique francophone.
Ils préconisent :
-
-
de soutenir l’innovation technologique et la politique
d’investissement ;
d’éviter tout facteur additionnel de distorsion de la concurrence.
Concrètement, Pressbanking insiste sur la neutralité d’Internet qui doit
Sous quatre formes différentes : les bannières classiques gérées par une régie, les publicités de
partenaires, les espaces loués par des annonceurs (pour lesquels Rue89 perçoit une commission
pour toute transaction) et des publicités intégrées en lien avec le contenu des articles par des
logiciels comme Google adsense et Ligatus (pour lesquels Rue89 perçoit une commission pour
chaque clic).
20
44
Chapitre 1
-
-
-
-
-
offrir à tous l’accès aux mêmes marchés et sur la nécessité de protéger
par exemple ses propres revues de presse vis-à-vis des plates-formes
qui diffusent des contenus sur lesquels elles n’ont pas les droits ;
d’assurer une égalité de traitement entre les différents canaux
d’information et donc de réduire la TVA sur la vente des contenus
numériques ;
de réguler les monopoles au niveau de la distribution (Google,
Microsoft, Apple) en soutenant le développement de kiosques
alternatifs ;
de protéger le patrimoine intellectuel de l’information et donc les
droits d’auteur (face à la fraude planétaire mise en œuvre par des
sites comme Google News) ;
de mettre en œuvre un ambitieux programme d’éducation aux
médias dans les écoles ;
de généraliser l’accès à Internet, en baissant les coûts de connexion
(qui sont en Belgique les plus élevés d’Europe), en permettant de
surfer sur des sites de qualité au travail, en formant les personnes
âgées à un média qui, au vu de la dématérialisation des services,
pourrait leur être très utile.
2.5. Le point de vue des journalistes
L’Association des Journalistes Professionnels (AJP) est une union
professionnelle, pluraliste et indépendante qui représente les journalistes
belges francophones de tous les secteurs médias, quels que soient les supports
utilisés et les statuts occupés. Elle est chapeautée par une coupole nationale,
l’AGJPB (Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique)
et est en cours de fusion avec l’AJPP (Association des Journalistes de la Presse
Périodique). Actuellement, en sont membres 1.684 journalistes professionnels,
165 stagiaires, 176 étudiants (de Bac III et de Master) et 66 journalistes
honoraires ; ce qui représente 79% des journalistes actifs. Historiquement, la
proportion des affiliés est plus forte en presse quotidienne (84%) que dans les
médias audiovisuels (70%) où l’on compte plus de syndiqués.
L’AJP développe des activités variées et entre dès lors en contact avec de
nombreux acteurs du secteur médiatique :
-
elle fait de la défense individuelle et collective des journalistes sa
priorité et touche tantôt les seuls affiliés, tantôt l’ensemble de
la profession (par exemple, quand elle négocie des conventions
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
-
-
-
-
45
sectorielles avec les éditeurs de la presse quotidienne). Dans ce
cadre, elle se positionne, selon les cas, en concurrence ou en
complémentarité avec les syndicats ;
elle assure plusieurs missions légales dans le cadre de la pension
spéciale des journalistes, l’envoi et le renouvellement des cartes de
presse et l’admission des stagiaires ;
elle représente la profession au sein de différentes instances (CSEM,
CSA, CDJ) et participe aux débats publics et politiques relatifs
aux aides à la presse, au secret des sources ou à la reconnaissance
des sociétés de rédacteurs (avec lesquelles elle noue une étroite et
logique collaboration). Par ailleurs, l’union professionnelle a créé la
SAJ (Société des Auteurs Journalistes) et l’AJP s’est jointe, via la SAJ,
au combat mené par Copiepresse contre Google News ;
elle développe des projets éducatifs (comme « Journalistes en
classe »), en synergie avec les JFB ;
L’AJP mène des études et des recherches sur la profession
journalistique et publie une revue et des monographies à ce sujet.
2.5.1. Radiographie de la profession21
En tant qu’union professionnelle, l’AJP est en mesure de dresser un état des lieux
du corps de journalistes par des données chiffrées d’autant plus intéressantes
qu’elles sont représentatives d’une large majorité des professionnels actifs
(journalistes agréés et stagiaires). Il apparaît ainsi que la presse quotidienne
dans son ensemble est le plus gros employeur de journalistes, suivie par
la RTBF (la première en emploie 541 personnes; la seconde, 46022) et que
la proportion de journalistes indépendants dans la Fédération WallonieBruxelles avoisine les 25%.
Au-delà de ces chiffres, l’AJP décèle plusieurs situations problématiques :
A. Si les journalistes salariés sont relativement épargnés par les plans de
restructuration et voient par conséquent leur nombre se maintenir ces
dernières années, ces constats sont à nuancer par les mesures de départ
anticipé qui touchent la catégorie des plus de 50 ans et par la diminution
La totalité des chiffres présentés par l’AJP sont repris dans le powerpoint accessible sur l’espace
«pro» du site des EGMI.
22
La différence de ces chiffres avec ceux qui ont été donnés par les éditeurs et les chaînes de télévision est imputable au fait qu’on parle ici de personnes et non d’équivalents temps plein.
21
46
Chapitre 1
des forces rédactionnelles. Cette diminution est imputable, d’une part,
à la disparition ou à la diminution des effectifs des autres catégories
professionnelles qui accroît les tâches confiées aux journalistes et, d’autre
part, à l’apparition de nouveaux supports et de nouvelles technologies
qui augmente, elle aussi, la charge de travail des journalistes et soumet
ces derniers à des contraintes de temps de plus en plus fortes.
B. La profession journalistique subit des pressions particulières aux stades
de l’entrée et de la sortie : il y a dix diplômés pour une seule place et les
journalistes de plus de 55 ans ne représentent que 10% de la profession.
Aux difficultés liées à l’accès à un emploi stable, se greffe ainsi une perte
significative de l’expertise des aînés.
C. Même si les salaires varient considérablement en fonction des médias
et des supports, les barèmes des journalistes sont globalement très bas :
les journalistes universitaires sont en moyenne moins bien payés que
les enseignants. La situation est particulièrement préoccupante pour
les pigistes (qui touchent des rémunérations souvent indécentes et qui
sont parfois confrontés à des ruptures de collaboration sans indemnité),
pour les faux-indépendants (qui attendent parfois très longtemps
la régularisation de leur situation), pour les photographes (qui sont
confrontés à une concurrence déloyale de la part de banques d’images
ou d’amateurs, à une pression à la baisse sur leurs tarifs de commande et
à un non-respect de leurs droits d’auteur23), pour les étudiants-stagiaires
ou les nouveaux candidats (dont le travail n’est pas toujours rémunéré) et
pour les journalistes des télévisions locales (qui nourrissent des craintes
vis-à-vis de la pérennité des TVL).
D. Le métier de journaliste est très peu féminisé (puisqu’il ne compte que
30% de femmes contre 70% d’hommes) : la forte majorité de diplômées
(70%) est déjà moins significative au moment de l’entrée en fonction
(57% de femmes). En outre, malgré la fixation de barèmes, les revenus
des hommes et des femmes sont marqués par un important écart
23
Ce non-respect passe notamment par le remplacement d’une signature par la mention « Droits
réservés » qui permet de ne payer les droits que si le photographe les réclame. Alain Dewez (Presse Photographique et Filmée de Belgique) ajoute qu’à leur engagement, de jeunes photographes
sont dans l’obligation de signer une déclaration dans laquelle ils renoncent à leurs droits patrimoniaux. Face au non-respect généralisé des droits d’auteur des photographes, différentes actions
sont possibles : des recours en justice ou des « « œuvres de pédagogie » qui rappellent aux éditeurs
de mentionner le nom du photographe sous chaque image.
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
47
salarial (6% pour les universitaires et 8% pour les non-universitaires).
Le métier de journaliste traverse, par ailleurs, une crise identitaire dans
la mesure où les mutations technologiques permettent la concurrence
de non-professionnels et accentuent la tendance à la marchandisation de
l’information. Dans ce contexte, de nombreux professionnels se mettent à
douter du rôle et du sens de leur métier.
2.5.2. Propositions et pistes d’action formulées par l’AJP
Aux yeux de l’AJP, le rôle du politique est de soutenir non seulement les
médias mais aussi le journalisme et de contribuer, en collaboration avec
d’autres acteurs, à rééquilibrer les logiques économique et éditoriale dans
le secteur. Concrètement, l’AJP propose aux acteurs du secteur et/ou au
pouvoir politique de :
REVALORISER LE TRAVAIL DES JOURNALISTES
-
-
-
-
-
augmenter les minima conventionnels pour les pigistes appliqués à
la presse quotidienne ;
établir des tarifs barémiques conventionnels pour les pigistes avec
d’autres médias ;
sécuriser la fiscalité sur les droits d’auteur (qui ne pourraient plus
représenter la totalité de la rémunération, ce qui a des répercussions
néfastes pour le journaliste au niveau du fisc et de la sécurité sociale).
En Flandre, par exemple, la proportion des droits d’auteur est fixée
à 30% des honoraires des pigistes ;
limiter la durée des stages étudiants à un mois (pour éviter
l’exploitation du travail gratuit) ;
affirmer le principe que toute pige commandée et/ou publiée doit
être rémunérée.
REGULARISER LE STATUT DES JOURNALISTES
-
-
-
-
ouvrir une réflexion sur le statut des pigistes (à assimiler aux salariés
comme en France ou à intégrer à un statut d’artiste élargi) ;
faire respecter les conventions de collaboration entre pigistes et
éditeurs ;
régulariser la situation des faux-indépendants ;
recourir à de vrais indépendants en préservant les droits que leur
48
Chapitre 1
-
confère leur statut ;
clarifier les synergies entre les TVL et la RTBF afin de préciser les
perspectives d’emploi au niveau local.
DEFENDRE LES DROITS D’AUTEUR
-
-
-
-
-
-
supprimer le principe de présomption de cession des droits dans
le secteur audiovisuel, dans la mesure où ce principe conduit à
l’absence de rémunération pour les auteurs ;
élargir les droits de propriété intellectuelle aux membres d’une
rédaction qui ne produisent pas de contenu mais permettent aux
autres de le faire ;
soutenir la convention collective sectorielle de la presse quotidienne
(qui formalise le statut de journaliste-auteur) ;
agir contre le piratage des œuvres journalistiques ;
faire respecter les tarifs proposés pour l’achat de photographies de
presse par la SOFAM et l’AJP ;
imposer la mention du nom du photographe sous chaque image.
RENFORCER LES STRUCTURES QUI VALORISENT LA QUALITE
REDACTIONNELLE24
-
-
-
-
renforcer le rôle des sociétés de journalistes qui sont aujourd’hui
reconnues (et obligatoires dans les médias audiovisuels) et qui
doivent être consultées lors de la nomination d’un rédacteur en chef,
de la modification de la ligne éditoriale et dans le cadre l’organisation
des rédactions. L’AJP propose de passer d’un modèle de consultation
à celui de co-décision afin d’assurer aux rédactions une plus grande
indépendance d’action ;
orienter les soutiens publics vers le « Conseil de Déontologie
Journalistique » et le « Fonds pour le journalisme » (qui finance des
enquêtes journalistiques originales) ;
pérenniser et augmenter le financement du « Fonds pour le
Journalisme » (soit par décret - dotation annuelle - ou par convention
pluriannuelle, soit par le biais des aides à la presse) ;
poursuivre la réflexion sur une éventuelle labellisation de sites
Le Conseil de Déontologie Journalistique (CDJ) a, par ailleurs, déposé un mémorandum qui
proclame que « le respect de la déontologie est un atout sur le marché de l’information » et que
les médias « traditionnels » doivent se démarquer qualitativement de l’offre globale, afin de rester
attractifs.
24
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
49
d’information, qui impliquerait la création d’une charte éthique à
laquelle les éditeurs de contenus adhéreraient volontairement.
CONDITIONNER LES AIDES A LA PRESSE A DES CLAUSES SOCIALES
ET QUALITATIVES25
-
-
-
conformément à la déclaration de politique communautaire, réformer
les aides à la presse quotidienne (qui s’élèvent à 7,14 millions d’euros
en 2011), en les augmentant mais surtout en rendant effectifs les
mécanismes de contrôle de qualité prévus en 2004. Puisque la finalité
des aides est de valoriser le rôle sociétal de la presse, l’AJP propose
de lier davantage l’octroi des aides à l’emploi salarié effectif des
journalistes professionnels (en faisant passer cette portion de l’aide
de 40% à 60%). Il conviendrait également d’organiser un contrôle
indépendant (par exemple, via l’AJP26) et de mettre au point des
sanctions qui seraient proportionnelles aux éventuels manquements.
lier les nouvelles aides éventuelles à des critères qualitatifs stricts sur
l’emploi journalistique, le statut des indépendants et la déontologie.
organiser l’aide accordée à certains titres de presse périodique selon
les mêmes critères27.
2.6. Le point de vue des syndicats
Le point de vue des syndicats vis-à-vis du secteur des médias d’information
s’inscrit à la fois dans une perspective professionnelle (qui concerne la défense
des travailleurs du secteur) et dans une perspective interprofessionnelle (qui
définit les attentes des travailleurs-citoyens quant au rôle des médias dans
une société démocratique).
Margaret Boribon rejette cette proposition et rappelle que les aides à la presse écrite ont initialement répondu à un objectif économique puisqu’elles ont été accordées en compensation de
l’autorisation obtenue par les opérateurs télévisuels d’intégrer de la publicité dans leurs programmes. Par ailleurs, les autres médias qui perçoivent de l’argent public ne sont pas soumis à de telles
conditions ni au contrôle de l’octroi des aides par l’association des journalistes.
26
Selon l’AJP, « ce sont les bénéficiaires des aides (les éditeurs) qui attestent du respect des critères. Outre que ce système est malsain et non démocratique, il ne permet pas d’atteindre les
objectifs de la législation ».
27
Les critères d’attribution de l’aide à la presse périodique (en fait, à quelques titres) ne sont pas
clairs et n’ont pas fait l’objet d’un décret. De 2005 à 2010, sept organes de presse magazine ont bénéficié de cette subvention : Le Journal du Mardi, L’Européenne, L’Appel, Enjeux internationaux,
Imagine demain le monde, La Revue Nouvelle et Politique.
25
50
Chapitre 1
2.6.1. Approche professionnelle
Le secteur des médias est complexe et diversifié (puisqu’il embrasse les
secteurs privé et public, concerne la diffusion de supports distincts, touche
différentes professions, qu’il s’agisse d’ouvriers, de journalistes ou d’employés).
En outre, il connaît actuellement de profondes mutations. Aujourd’hui, de
nombreuses entreprises de presse sont en crise et font dans ce contexte le
choix de diversifier leurs activités en se tournant, de manière dommageable
selon les syndicats, vers le secteur marchand28. Le modèle économique basé
sur la publicité a été présumé capable de proposer le tout gratuit. Cependant,
les ressources publicitaires ne sont pas extensibles et les activités horsmédias ne suffiront sans doute pas à rétablir l’équilibre financier. En outre,
une presse gratuite est apparue et a accentué le phénomène de concurrence.
L’explosion d’Internet a profondément transformé les métiers du secteur et
amène à une convergence des métiers.
Même d’un point de vue syndical, il est difficile d’avoir une vision coordonnée
du secteur, puisque plusieurs centrales et associations professionnelles sont
impliquées dans celui-ci. Plusieurs constats peuvent néanmoins être posés
et témoignent de la diversité des situations professionnelles dans le secteur
des médias.
-
-
-
-
Le taux de syndicalisation est beaucoup plus faible dans la presse écrite
que dans d’autres secteurs.
À la RTBF, comme dans toute entreprise publique, il n’y a pas de loi qui
prévoit l’organisation d’élections sociales : on y nomme des représentants
syndicaux en fonction du nombre d’affiliés.
Pas moins de cinq commissions paritaires négocient et concluent des
conventions collectives pour les travailleurs du secteur de la presse. Issues
du monde industriel, handicapées par leur lourdeur administrative, elles
ne constituent pas l’outil idéal pour organiser la négociation sociale dans
le secteur de la presse.
Les emplois liés aux médias numériques ne sont pas encore encadrés par
une concertation spécifique.
En plus des problématiques liées au statut du personnel et des conditions de
28
Aux yeux des éditeurs de la presse écrite, ce phénomène est inévitable et vital pour le secteur de
la presse qui, en proie à d’importantes difficultés budgétaires, est obligé de rechercher de nouvelles pistes pour dégager de la marge et pour maintenir le financement de l’activité journalistique
et la production d’information de qualité.
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
51
travail, le secteur des médias soulève d’autres enjeux comme la question de
la participation à la RTBF en tant qu’entreprise publique (financements, (dé)
politisation, rôle du service au public, mission d’éducation permanente) et la
problématique de l’outsourcing (qui touche les entreprises d’imprimerie).
Le cas particulier des journalistes
En conséquence des difficultés économiques des médias, le journalisme est
lui-même une profession en crise, en Belgique comme ailleurs.
-
-
-
-
Face aux ressources publicitaires qui régressent, la diminution des
frais de personnel constitue un des moyens pour équilibrer les budgets.
Alors que le nombre de journalistes a diminué et que la production des
contenus s’est maintenue, la charge de travail par personne a augmenté
et a entraîné une dégradation des conditions de travail.
Le statut des journalistes a fait l’objet d’une forte précarisation : en plus
des craintes des salariés devant la réduction des effectifs, les statuts moins
bien rémunérés ont été multipliés comme ceux des (faux-)indépendants,
des pigistes, des stagiaires (qui fournissent une main-d’œuvre gratuite
pendant des périodes de plus en plus longues).
La diminution du temps de préparation des sujets et l’uniformisation de
l’information qu’elle entraîne ont provoqué un phénomène logique de
frustration, de démotivation, de nervosité, voire de burn-out…
Une des principales difficultés pour les journalistes réside dans l’accès
à la profession. Le marché du travail impose très souvent aux diplômés
d’emprunter les passages obligés du stage et du travail de pigiste, avant
de devenir indépendant, puis éventuellement salarié.
La CSC-CNE prône « une revalorisation du statut, des conditions de travail
et de la mission [des journalistes] avec le minimum d’indépendance et de
marge de manœuvre nécessaire au service d’une information citoyenne ».
Les syndicats généralistes veulent développer leur activité en complémentarité
avec l’Association des Journalistes Professionnels (AJP), le but étant de
défendre les intérêts des journalistes, et non les intérêts de la CGSLB, FGTB,
CSC ou AJP.
-
En tant qu’organisation professionnelle spécifique, l’AJP négocie des
conventions et des barèmes sectoriels (même si elle ne dispose pas
officiellement de cette prérogative, elle exerce une pression suffisante
52
-
Chapitre 1
pour garantir le respect des conventions ainsi acquises). Les négociations
menées par l’AJP ont l’avantage de suivre au plus près les problèmes de
la profession, au-delà de la diversité des statuts. Elles ont notamment
permis de transformer une partie du salaire en droits d’auteur, ce qui
diminue le coût social et fiscal pour l’employeur tout en maintenant ou
augmentant le pouvoir d’achat des journalistes.
Les organisations syndicales concentrées sur les questions salariales
permettent de solidariser les revendications de l’ensemble du personnel
salarié d’une entreprise. Elles ont par contre le désavantage d’être
coupées des indépendants, des pigistes et des stagiaires. Au-delà des
différences de statut, les revendications fondamentales des syndicats et
des travailleurs sont la lutte contre le travail gratuit et le travail au noir,
ainsi que l’égalité des rémunérations pour des journalistes (salariés ou
indépendants) qui fournissent le même travail.
Aux yeux des syndicats, la défense professionnelle des journalistes constitue
un laboratoire pour la négociation sociale, dans la mesure où cette
activité permet d’appréhender des problématiques particulières, comme
la multiplicité des statuts et des formes de travail, la dilution de l’autorité
patronale, la problématique de la propriété intellectuelle qui concerne tous
les emplois qui tirent profit de la créativité des salariés.
2.6.2. Approche interprofessionnelle
Les doléances des syndicats vis-à-vis du rôle des médias dans une société
démocratique sont diversifiées, mais se focalisent sur la mise en cause de la
marchandisation de l’information, c’est-à-dire sur la soumission de celle-ci
à des logiques marchandes plutôt qu’à des logiques citoyennes.
-
Ainsi, en ce qui concerne la presse écrite, la CGSLB constate que les
difficultés économiques du secteur ont fragilisé les remparts entre le
rédactionnel et le commercial29. La CSC préconise également de « remettre
le facteur publicitaire à sa juste place ». Il revient aux sociétés de rédacteurs
de défendre l’imperméabilité éditoriale face aux sources de financement
du journal et de rendre cette imperméabilité visible pour les lecteurs. Le
rapport de force entre l’éditeur et le rédacteur en chef varie selon le degré
29
Les éditeurs de presse estiment que ce sont justement les médias traditionnels qui garantissent
un degré suffisant d’indépendance et de respect de la déontologie journalistique, en opposition
aux grands groupes industriels qui se mettent à fabriquer du contenu informationnel, en d’autres
termes, à instrumentaliser l’information.
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
-
-
53
de mobilisation des rédactions et la solidarité des travailleurs.
La CSC rappelle, en outre, l’importance de la mission confiée au service
public d’éducation permanente qui vise à « élever le niveau de culture
populaire pour permettre une augmentation globale de la citoyenneté ».
Aux yeux de Philippe Samek, cette mission ne peut être remplie que
par des médias non seulement indépendants (qui dénoncent scandales
et dysfonctionnements), mais aussi engagés (qui avancent des éléments
d’explication). Jadis relayé par une presse d’opinion aujourd’hui
disparue, cet engagement se trouve désormais exprimé dans certains
sites d’information ou dans la presse syndicale elle-même et participe
pleinement au débat démocratique.
Pour sa part, la FGTB exprime son insatisfaction quant à la couverture
médiatique des thématiques sociales. Jugées trop complexes ou trop peu
attractives, les actualités sociales ne sont aujourd’hui qu’insuffisamment
traitées par les médias écrits ou audiovisuels. La FGTB fait, d’ailleurs,
remarquer que son propre journal « Syndicat », tiré à 75.000 exemplaires,
est de plus en plus lu. Ce regain d’intérêt a amené le journal syndical
à doubler son équipe de journalistes professionnels et à élargir les
thématiques abordées.
Pour conserver l’expression d’un pluralisme dans une société démocratique,
il faut soutenir la presse d’information encore plus qu’actuellement.
Concrètement, la CGSLB propose:
-
-
-
la création d’une presse écrite de service public qui serait financée par
la publicité et une dotation de la Fédération Wallonie-Bruxelles ;
le passage simultané de tous les sites d’information belges au modèle
payant afin d’amoindrir la distorsion de concurrence entre eux ;
le partage des contenus, et en particulier la mise à disposition des
contenus de la télévision de service public à destination des médias
écrits et électroniques.
2.7. Le point de vue des consommateurs
Le CRIOC (Centre de Recherche et d’Information des Organisations de
Consommateurs) est une fondation d’utilité publique qui, en apportant
une aide technique aux organisations de consommateurs, vise à contribuer
au développement d’une consommation plus durable d’un point de vue
économique, social et environnemental. Concrètement, le CRIOC réalise
des études auprès de publics (souvent fragilisés), diffuse des informations
54
Chapitre 1
aux journalistes, aux entreprises et aux particuliers et représente les
consommateurs dans divers groupes de travail et commissions.
2.7.1. Une matière capitale et transversale : la publicité
Aux yeux du CRIOC, une des priorités réside dans le contrôle et la régulation
de l’activité publicitaire : en effet, la publicité est omniprésente dans notre
société, génère des revenus de plus en plus importants et constitue un enjeu
transversal puisqu’elle a un impact sur l’éducation, le surendettement, les
assuétudes et la santé. Cet enjeu apparaît d’autant plus important pour le
CRIOC que ce sont les milieux défavorisés et les jeunes qui sont les plus
touchés par la publicité.
Le CRIOC pointe du doigt plusieurs phénomènes qui induisent auprès du
consommateur une certaine confusion entre information indépendante et
intérêts commerciaux : le classement des sites par les moteurs de recherche
qui décident eux-mêmes de cette hiérarchisation selon des critères
économiques, les fausses loteries sur Internet, les sites qui prétendent
apporter une information objective alors qu’ils sont financés par des firmes
privées, les publi-reportages qui, en mêlant contenu rédactionnel et publicité
commerciale, discréditent la presse d’information.
2.7.2. Propositions
A. Le CRIOC appelle de ses vœux la création d’un Conseil fédéral de la publicité
qui serait un organe scientifique indépendant et un lieu d’étude et de contrôle
de la publicité : l’idée n’est pas d’interdire la publicité, mais de la réguler
efficacement et également de lui rechercher des financements alternatifs.
En ce qui concerne le contrôle de la publicité, l’action du Jury d’Ethique
Publicitaire est considérée comme insatisfaisante par le CRIOC car :
-
-
-
-
Le JEP n’est pas indépendant puisqu’il relève du Conseil de la Publicité.
Il met en œuvre une auto-régulation et est donc soumis au bon
vouloir des annonceurs.
Il n’agit que sur la base de plaintes et manque par conséquent de
proactivité.
Il n’a pas de pouvoir contraignant sur les contrevenants.
B. Par ailleurs, l’obtention d’aides publiques devrait être soumise, selon
le CRIOC, au respect des règles déontologiques. Ainsi, la presse
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
55
quotidienne, qui reçoit des aides directes de la FWB, développe des
pratiques commerciales qui vont à l’encontre des campagnes financées
par la même Fédération. Selon le CRIOC, le minimum serait de ne pas
contrevenir à des campagnes publiques de prévention et d’intérêt général
(par exemple, au sujet de la consommation d’alcool). Les difficultés
économiques ne doivent pas inciter la presse quotidienne à devenir un
instrument de communication pour les marques.
C. Le CRIOC souhaite que soit créé un espace dédié aux droits du
consommateur, dans une logique de mission de service public et que
soient mises en œuvre des initiatives de grande ampleur en ce qui
concerne l’éducation permanente à la consommation des médias et
notamment d’Internet. En effet, la fracture numérique primaire (27%
des ménages belges n’ont toujours pas accès à Internet) se double d’une
fracture secondaire qui affecte les personnes qui disposent d’Internet
mais qui ne savent pas s’en servir. Les lieux d’éducation devraient être
l’école, mais aussi les médias eux-mêmes. Comme les actions fictives
du CRIOC l’ont montré (il s’agit de fausses campagnes publicitaires qui
ont sensibilisé des jeunes à diverses arnaques), il est essentiel d’investir
les nouveaux médias comme les réseaux sociaux pour concevoir des
campagnes d’information efficaces.
2.8. Le point de vue des diffuseurs de presse
Les diffuseurs de presse sont les commerçants qui vendent des quotidiens et
des magazines dans un point de vente ou qui les distribuent à domicile. Ils
jouent un rôle capital pour la vitalité du secteur de la presse écrite, puisqu’ils
vendent en moyenne 130.000 quotidiens par jour.
Les éditeurs de presse ont d’ailleurs eux-mêmes souligné la nécessité
d’améliorer la distribution des journaux par la promotion du métier de
libraire et par la création de nouveaux lieux de rentabilité.
Via le memorandum de Prodipresse, les diffuseurs de presse indépendants
dégagent plusieurs pistes concrètes pour améliorer la vente de journaux et
magazines :
RECONNAISSANCE ET VALORISATION DES DIFFUSEURS DE PRESSE
EN TANT QUE PROFESSIONNELS DU SECTEUR
56
Chapitre 1
Les diffuseurs de presse indépendants souhaitent :
-
-
la mise en place d’une formation professionnelle des diffuseurs
de presse, en collaboration avec l’UCM et l’IFAPME en Wallonie
et son homologue à Bruxelles, et d’une formation continuée des
professionnels actifs ;
la distinction des points de vente en fonction de la place qu’ils
accordent à la vente des journaux.
SOUTIEN DIRECT A LA DIFFUSION DE LA PRESSE
Les diffuseurs de presse indépendants préconisent :
-
-
-
-
un soutien à la lecture de la presse quotidienne via un abonnement
gratuit qui serait offert l’année des 18 ans et une année entre 60 et
65 ans ;
une aide au portage à domicile, accompagnée d’une souplesse
de livraison et d’une suppression de frais de port comme pour la
livraison de quotidiens ;
la création d’une commission d’ouverture qui permettrait une
concertation entre éditeurs et diffuseurs pour réguler l’offre et la
demande du marché de la presse écrite et permettre la viabilité des
différents points de vente ;
la mise en place d’un système de facturation sur le vendu, qui
encouragerait le lancement de nouveau titres, puisqu’il n’impliquerait
pas de charge financière pour le diffuseur.
RENFORCEMENT DU RESEAU DES DIFFUSEURS INDEPENDANTS
Les diffuseurs de presse indépendants souhaitent :
-
-
-
-
être reconnus et soutenus par l’État fédéral en tant que vendeurs
exclusifs des produits du tabac, tout en garantissant le respect de la
législation en vigueur.
se voir confier les Points Poste pour renforcer leur réseau de proximité
avec les clients.
profiter de la fixation du prix unique du livre, accompagnée de la
suppression de la tabelle.
l’introduction d’une aide à la modernisation et à l’informatisation
des points de vente, une aide à l’accès au paiement électronique et
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
57
une sécurisation des points de vente via un système comparable à
LIPOL mis en œuvre à Liège.
Ces mesures permettraient d’augmenter l’attractivité des points de vente
ainsi que la qualité des services offerts et favoriseraient par conséquent la
vente des journaux et magazines. Enfin, le réseau des diffuseurs de presse
appelle de ses vœux la création d’un observatoire qui rassemblerait tous les
intervenants du secteur des médias.
2.9. Le point de vue des sociétés de gestion des droits
Rassemblées au sein de la « Maison des Auteurs », la Société des Auteurs et
Compositeurs Dramatiques (SACD), la Société civile des auteurs multimédia
(SCAM) et la Société d’Auteurs dans le Domaine des Arts visuels (SOFAM)
ont, en Belgique, un chiffre d’affaire de 20 millions (en 2010) et représentent
environ 10.000 auteurs de documentaires, de reportages, de fictions et d’écrits
en tous genres. En tant que sociétés de gestion de droits, la SACD, la SCAM et
la SOFAM travaillent au quotidien en faveur de la création, des créateurs et de
leur liberté d’expression. Dans le secteur médiatique, la SACD et la SCAM sont
liées contractuellement avec tous les opérateurs et distributeurs télévisuels30 et
sont respectivement compétentes pour la fiction et les documentaires, tandis
que la SOFAM défend notamment les droits de photographes de presse.
Copiepresse a été créée en 2000 par les JFB afin de percevoir les droits de
reprographie des éditeurs dans le cadre de la gestion collective organisée
par Reprobel (société faîtière de gestion en matière de reprographie ou de
photocopie d’œuvres). Depuis 2007, Copiepresse est la société de gestion
des droits de propriété intellectuelle des éditeurs de presse quotidienne
francophone et germanophone belge, pour toute reproduction ou
communication au public, sur tout support et hors licence légale31. Le chiffre
30
« En Belgique, à l’instar de tous les Etats membres de l’Union européenne, le droit de retransmission
par câble est géré obligatoirement de façon collective par les sociétés de gestion ». Colin, C., Synthèse
des premiers résultats de l’étude de faisabilité de systèmes de licence pour les échanges d’œuvres sur Internet, Etude SACD SCAM, 17 février 2011, p. 7 (http://www.sacd.be/IMG/pdf/Synthese_des_premiers_
resultats__etude_SACD_SCAM.pdf?PHPSESSID=78951a9fcc5f783e9ea9acd360f138cf , consulté le
6 juillet 2011).
31
Dans les faits, il s’agit essentiellement des rémunérations pour la constitution de revues de presse au
sein de diverses institutions. Les licences légales sont les exceptions aux droits exclusifs (les droits d’exploitation, de reproduction et de communication au public qui en principe reviennent exclusivement à
l’auteur). En Belgique, il existe quatre licences légales : la reprographie, le prêt public, la copie privée et
les exceptions numériques pour l’enseignement et la recherche scientifique. Voir www.reprobel.be
58
Chapitre 1
d’affaire de Copiepresse dépasse le million d’euros (un peu moins de la
moitié provient de la reprographie et le reste, de la vente des droits numériques)
et est intégralement reversé aux éditeurs.
La Société des Auteurs Journalistes (SAJ) gère les droits d’auteurs des
journalistes en Belgique. Créée en 1995, sous l’impulsion des associations
professionnelles francophones et néerlandophones, la SAJ constitue, en
Europe, un cas unique de société de gestion spécifiquement créée pour
défendre les droits des journalistes. Elle connaît une croissance continue de
son nombre d’affiliés (qui est actuellement de 3.000 membres) et est implantée
dans toutes les rédactions du pays (même si sa présence est beaucoup plus
significative dans la presse écrite).
Conformément à la loi sur le droit d’auteur, les journalistes doivent percevoir
une partie des revenus issus de l’exploitation de leurs œuvres. Pour ce faire, ils
peuvent gérer eux-mêmes leurs droits ou les confier à une société de gestion
des droits (SGD), mais le recours à la gestion collective est obligatoire pour
percevoir les droits sur la reprographie et la copie privée. En ce qui concerne
les utilisations secondaires (ultérieures à la première diffusion) des œuvres
de journalistes, la SAJ négocie des contrats-cadres qui permettent, sous
certaines conditions légales et financières, aux éditeurs de réutiliser, en toute
légalité, les œuvres de leur personnel. L’efficacité de cette modalité d’action est
grevée par la difficulté de négocier avec certains acteurs (comme la Sonuma
ou le projet GoPress) ou par des règlements internes aux médias (comme
celui de la RTBF qui confère à l’opérateur des droits sur la réutilisation de
certains contenus sans rémunération supplémentaire pour les journalistes).
2.9.1. Une chaîne de valeurs déséquilibrée
En principe, une rémunération équitable doit être perçue par les différents
intervenants de la chaîne de valeurs de production de l’information
(des journalistes au public, en passant par les producteurs et éditeurs, les
radiodiffuseurs ou les services VOD, les distributeurs ou les plates-formes
Internet, les agences de télécommunications, et les fournisseurs d’appareils
de réception et de reproduction). Actuellement, la répartition des énormes
gains générés par l’information s’avère inégalitaire puisque les revenus de
la distribution dépassent ceux de la création et de la diffusion des contenus.
La disparition actuelle d’acteurs médians, comme les producteurs et les
radiodiffuseurs, accentue encore le rôle prépondérant des acteurs restants :
en l’occurrence, les intermédiaires que sont les câblodistributeurs (comme
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
59
Belgacom, Tecteo ou Telenet) ou les agrégateurs (comme Google) capturent
l’essentiel de la valeur auprès du public et rechignent à faire remonter l’argent
en amont de la chaîne. Pour Frédéric Young (SACD-SCAM), la gestion
collective des droits constitue, avec le salaire, l’outil le plus performant pour
la remontée des recettes vers les auteurs, vers les producteurs indépendants
et vers les éditeurs. Ces acteurs trouvent dans les sociétés de gestion un lieu
où percevoir des revenus et où trouver une assistance juridique.
Du point de vue de la SAJ et de la SACD-SCAM, une menace particulière
plane sur les intérêts des auteurs et sur le respect de leurs droits moraux et
patrimoniaux. Le rôle des auteurs (dont les blogueurs font pleinement partie)
dans la production d’information est logiquement primordial : ils sont les
véritables créateurs d’œuvres originales, financent eux-mêmes l’innovation
technologique, multiplient leurs activités sur différents supports (sans
toucher nécessairement de contrepartie). La qualité des médias passe par
une reconnaissance et une valorisation du statut d’auteur puisqu’elle requiert
du temps de recherche et d’écriture, une liberté de pensée et de création
et une pluralité des centres de création, de production, de diffusion et de
distribution. Or, la situation actuelle entraîne
-
-
de courantes violations des droits moraux (en termes de paternité,
par exemple quand la mention « DR » (Droits Réservés) remplace
la signature d’un photographe et en termes d’intégrité, quand on
modifie ou raccourcit un article sans consulter son auteur) ;
et une précarisation de nombreux auteurs qui pâtissent de la
stagnation des revenus de la pige, qui souffrent de la concurrence
des contenus gratuits ou à bas prix et qui ne touchent pas toujours
leurs droits patrimoniaux.
2.9.2. Un cas exemplaire : le litige entre Google News et
Copiepresse, la SAJ et Assucopie
Aux yeux des sociétés de gestion de droits, Google constitue, dans la chaîne de
valeurs, un intermédiaire qui tire profit de la reproduction, communication
(sous forme de compilation ou non) de contenus produits par d’autres
acteurs. La SCAM a réussi à conclure des accords (dont les clauses restent
confidentielles) avec Google qui a reconnu être redevable de droits d’auteurs
et qui, en conséquence, a versé d’importants montants à la société de gestion.
De leur côté, les éditeurs de presse se sont immédiatement inquiétés du
danger que représente à leurs yeux Google (en particulier, sa modalité Google
60
Chapitre 1
cache et son portail Google News) qui hiérarchise les contenus et sources
d’information et qui vise surtout à monétiser les contenus des autres par
l’ajout d’espaces publicitaires. Après avoir essuyé un refus de négociation
de la part de Google, Copiepresse a intenté un procès contre le moteur de
recherche et a été rejointe, dans ce combat, par la SAJ et par Assucopie (société
des droits des auteurs scientifiques), mais pas par les opérateurs audiovisuels
qui, dans un premier temps, ont préféré rester en position d’observateurs.
À deux reprises (en première instance en février 2007 et en appel en mai
2011), Google a été reconnu coupable de violer les droits des auteurs et des
éditeurs.
Sans autorisation préalable32 et sans rémunération, Google News diffuse et
modifie des contenus et viole les droits pécuniaires et moraux des auteurs
(en « omettant » de mentionner le nom des journalistes, en modifiant des
photographies, en ne publiant que des extraits d’articles). Il s’impose, par
ailleurs, comme intermédiaire, se substitue aux éditeurs et les prive d’un
rapport direct avec le public : seuls 10% des internautes qui surfent sur Google
News visitent ensuite le site des éditeurs. En outre, Google cache représente une
concurrence déloyale, puisqu’il permet l’accès gratuit à des copies d’articles
que les éditeurs intègrent dans des archives payantes. Par conséquent, Google
est condamné à retirer les contenus dont la partie adverse détient les droits,
sous peine d’une astreinte de 25.000 euros par jour de retard. Cette victoire
juridique soulève des enjeux financiers considérables pour les éditeurs et
auteurs belges, mais a également un retentissement mondial en termes de
défense des droits de propriété intellectuelle contre la piraterie sur Internet.
2.9.3. Propositions des sociétés de gestion de droit
Si les revendications des sociétés de gestion des droits des éditeurs et des
auteurs se rejoignent en certains points, il est logique que des accents soient
différemment placés en fonction des acteurs représentés.
Copiepresse, les SAJ, SACD, SCAM et SOFAM plaident pour la mise en
œuvre de mesures garantissant l’exercice effectif des droits des auteurs et
des éditeurs. Il s’agit en l’occurrence de
-
appliquer le statut fiscal et social du journaliste-auteur (prévu par
32
Qui fonde le principe de l’opt-in (contrairement au principe de l’opt-out qui, invoqué par Google, consiste à exiger du plaignant qu’il prenne les mesures nécessaires pour ne pas être impliqué
dans une agrégation qui ne lui convient pas).
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
-
-
-
61
la convention sectorielle de la presse quotidienne) qui implique
notamment l’inclusion de droits d’auteur dans la rémunération et
qui est à l’avantage tant des journalistes que des éditeurs. Toutefois,
selon Frédéric Young et Axel Beelen qui rejoignent ainsi la demande
de l’AJP, il faudrait adapter la loi du 16 juillet 2008 introduisant
une fiscalité avantageuse sur les droits d’auteur : cette mesure est
intéressante pour les free lance mais dangereuse pour les salariés
(puisqu’elle a des inconvénients au niveau du fisc et de la sécurité
sociale)33.
amener les institutions publiques à montrer le bon exemple en
termes de respect des droits exclusifs (en rétribuant notamment
Copiepresse pour ses revues de presse) et à soutenir les combats des
sociétés de gestion contre les agrégateurs.
mettre en œuvre les arrêtés royaux qui permettent l’application de
la loi du 22 mai 200534. Les longs délais d’application causent des
pertes substantielles pour les ayants-droit.
modifier la législation afin de rendre les fournisseurs d’accès à Internet
(FAI) responsables en matière de respect des droits d’auteur.
Les sociétés de gestion des droits d’auteur insistent, par ailleurs, sur la
défense des intérêts de créateurs. Concrètement, elles proposent de
-
-
-
-
-
-
réformer la législation sur le statut social des artistes (et sortir ainsi
d’une logique de financement du chômage) ;
focaliser les aides publiques sur l’innovation et la création afin de
permettre aux auteurs, photographes et journalistes d’éviter la
précarité ;
rappeler expressément, dans la loi sur les droits d’auteur, l’incessibilité
de l’ensemble des licences obligatoires et légales (pour les supports
papier et numériques) ;
affirmer la nécessité absolue de mentionner le nom de l’auteur
journaliste en dessous de son œuvre (afin d’éviter l’apparition
d’œuvres orphelines) ;
poursuivre le débat sur la numérisation des archives de journaux (à
la KBR) ;
défendre le système de gestion collective qui permet aux auteurs
Voir Franquet, V., L’exception culturelle au statut social des travailleurs indépendants : évolution ou dérive ?, Waterloo, Kluwer, 2010.
34
Cette loi amène notamment à considérer l’impression papier comme une forme de reprographie.
33
62
Chapitre 1
-
-
et journalistes de participer à la valorisation de leurs œuvres sur
Internet ;
maintenir et préciser le critère du respect des droits d’auteur dans les
conditions d’octroi d’aide à la presse (dans cette perspective, la SAJ
se propose comme interlocuteur) ;
permettre à la SAJ de siéger au collège d’avis du CSA.
Un désaccord divise les sociétés de gestion au sujet de la présomption de
cession des droits d’auteur qui est à l’heure actuelle en vigueur pour les
médias audiovisuels mais pas pour la presse écrite. Alors que les éditeurs
réclament l’application de cette mesure dans la presse écrite (afin d’établir
une équité entre médias), la SAJ plaide pour sa suppression dans le secteur
audiovisuel (au nom de la même équité entre opérateurs). La SACD-SCAM
s’oppose à la généralisation du principe de présomption de cession dans le
champ médiatique : cette mesure constitue un mécanisme de concentration
des droits aux mains d’un seul opérateur alors que la pluralité des acteurs de
la chaîne de production de l’information impose de faire coexister des droits
qui reviennent à chacun d’eux et que les auteurs doivent continuer à disposer
d’une rémunération inaliénable. Comme les producteurs, radiodiffuseurs
et éditeurs de bases de données disposent de droits qui leur sont propres,
Frédéric Young propose de créer un droit voisin spécialement destiné aux
éditeurs qui n’auront dès lors plus de raison de revendiquer une forme de
droit d’auteur.
2.10. Le point de vue des annonceurs
L’Union Belge des Annonceurs rassemble 180 entreprises de tous secteurs
et de toutes tailles (à la fois B2C et B2B) et représente plus de 80% des 3,5
milliards d’euros d’investissements publicitaires réalisés en Belgique
en 2010. Créé en 1967, le Conseil de la Publicité (CP) a pour objectif de
promouvoir une publicité légale, éthique et responsable. Cette ASBL
représente les différents acteurs du secteur publicitaire en Belgique, à savoir
les annonceurs (représentés notamment par l’UBA), les médias et les agences
de communication. Les entreprises et associations affiliées au Conseil de la
Publicité sont responsables de la création et/ou de la diffusion d’environ 95%
de la publicité commerciale en Belgique.
En Belgique et dans d’autres pays européens, l’activité publicitaire apparaît
comme un moteur de croissance économique puisqu’une corrélation semble
lier directement les investissements média et le PIB. Selon le CP, la publicité
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
63
jouerait effectivement un rôle économique dans la mesure où elle
-
-
-
représenterait près de 4% des investissements réalisés en Belgique ;
créerait 9.000 emplois directs et 18.000 emplois indirects ;
contribuerait au développement de nouveaux produits et services35.
Toujours d’après le CP, la publicité aurait également un rôle social
puisqu’elle
-
-
-
participerait à la transparence du marché en fournissant au
consommateur des informations sur les nouveaux produits et
services.
soutiendrait et susciterait la créativité, dans le cadre de campagnes
de qualité ;
servirait de vecteur efficace pour les messages d’intérêt général.
Les rapports entre publicité et médias sont étroits : les recettes publicitaires
constituent les principaux revenus des médias privés et garantissent dès
lors le pluralisme et l’indépendance de la presse. L’UBA soutient les médias
forts, innovants et créatifs et y voit un intérêt à la fois pour les annonceurs
et les médias eux-mêmes : plus les médias sont de qualité, plus ils attirent
de l’audience, plus ils sont attractifs pour les annonceurs qui leur donnent
dès lors les moyens de fonctionner de manière optimale. L’UBA préconise,
dans ce sens, un dialogue continu entre autorités, annonceurs et médias. Ces
derniers doivent tenir compte des annonceurs et de leurs intérêts en évitant,
par exemple, de nuire à une publicité par la proximité d’un article critique
vis-à-vis de la marque concernée. Aux médias traditionnels, la publicité a
permis, estime le CP, l’ajout de nouveaux canaux de communication, tels
que les réseaux sociaux et les forums de discussion.
2.10.1. État des lieux des investissements médias des
annonceurs (à partir des chiffres bruts)
Entre 2001 et 2010, les investissements médias bruts ont doublé de
volume et sont passés de 1.751.917.329 € à 3.466.434.461€. Les principaux
35
D’aucuns ont une vision plus négative de l’impact économique de la publicité. Dans cette
perspective, la publicité est considérée comme un facteur d’inflation, de surconsommation et
d’endettement. Puisqu’elle s’oriente essentiellement vers les médias à large audience, la publicité
serait, en outre, responsable d’une dérégulation du marché des médias.
64
Chapitre 1
investissements médias en Belgique sont réalisés non seulement par
les grandes firmes non-food, comme Procter&Gamble et Unilever, mais
également par des acteurs des médias eux-mêmes, comme Belgacom Group,
Vlaamse Media Maatschappij, De Persgroep, Corelio…
En ce qui concerne les parts de marché des différents médias, c’est la
télévision qui conserve une place majoritaire (de 2001 à 2010, sa part de
marché dépasse invariablement les 40%). Si la part de marché de la presse
quotidienne est relativement stable ces dix dernières années, celle de la
presse périodique et de l’affichage a sensiblement baissé. Si l’on prend en
considération la taille des budgets publicitaires investis dans les différents
médias, le premier quintile, qui représente un cinquième des investissements
réalisés par les 12 plus grands annonceurs, oriente majoritairement ses
plans médias vers la télévision. Pour sa part, le dernier quintile, qui compte
7.439 petits annonceurs, correspond à des investissements qui, pour un
tiers, sont orientés vers la presse quotidienne. Interpellée à ce sujet, Nathalie
Hublet estime, par ailleurs, qu’une éventuelle limitation de la publicité sur
les télévisions belges amènerait les annonceurs à se tourner vers d’autres
supports, mais aussi vers d’autres pays.
2.10.2. Autorégulation de l’activité publicitaire
Afin d’assurer la diffusion d’une publicité légale, éthique, honnête et
identifiable, le Conseil de la Publicité a créé en 1974 le Jury d’Éthique
Publicitaire (JEP) qui est l’organe d’autorégulation de la publicité en
Belgique. C’est sur la base de plaintes de consommateurs ou de demandes
d’avis du secteur publicitaire que le JEP remplit sa mission de contrôle : il
s’agit de vérifier la conformité des contenus publicitaires dans les médias
de masse aux dispositions légales et éthiques. Le JEP est reconnu par les
pouvoirs publics et encadré au niveau européen (EASA). Le Conseil de la
Publicité qui siège au sein du Conseil de la Consommation peut faire valoir
l’expertise du JEP au sein de cet organe.
D’après le Conseil de la Publicité (CP), le contrôle préalable de la publicité
aurait certes l’avantage d’être plus rapide et donc plus efficace. Actuellement,
s’il est possible d’arrêter des campagnes publicitaires à la télévision ou à
la radio, cela n’est pas vrai pour l’interdiction des publi-reportages qui
ne paraissent qu’une seule fois ou pour la mise en place d’une véritable
protection préventive des (jeunes) consommateurs. Néanmoins, le contrôle
préalable obligatoire serait, selon le CP, considéré par les annonceurs
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
65
comme une mesure de censure, alors que l’autorégulation s’inscrit dans le
cadre d’une démarche volontaire et d’une logique de sensibilisation et de
responsabilisation des agences médias et des annonceurs. Par ailleurs, le
fonctionnement du JEP offre d’importants gages de crédibilité et d’efficacité :
rapidité des procédures, composition paritaire du JEP, instance d’appel,
respect massif des décisions ou avis du JEP, mesure particulière en cas de
récidive.
Pour le JEP, l’apparition des médias numériques constitue un défi important :
il est particulièrement difficile de contrôler et de sanctionner les publicités
qui sont intégrées sous diverses formes (banner, spot, pop up…) sur le net.
Depuis que le JEP a été chargé du contrôle des publicités sur Internet (en
2008), il a agi au cas par cas pour s’assurer du respect des décisions prises
par le Jury. Par exemple, les publicités présentées sur les sites d’information
peuvent être modifiées ou supprimées en contactant la régie publicitaire des
médias concernés.
Le Conseil de la Publicité souhaiterait bénéficier d’une reconnaissance plus
forte et plus large de la part des pouvoirs publics. Deux pistes concrètes
peuvent être envisagées :
-
-
Les pouvoirs publics pourraient reconnaître systématiquement le
JEP comme étant l’organe de contrôle des contenus publicitaires.
Ils pourraient contribuer à accroître la visibilité, et donc l’efficacité,
du JEP.
2.10.3. Développement d’une expertise en médias et
communication
L’UBA se veut un lieu de réflexion et de concertation pour les annonceurs. Outre
le fait d’organiser des formations et des événements qui permettent de tisser un
networking, l’UBA a pour objectif premier d’offrir aux annonceurs des outils
performants pour mettre en œuvre des plans médias efficaces et durables.
Dans cette perspective, elle vise à construire une expertise au sujet du
fonctionnement des médias qui tend aujourd’hui à se complexifier et
à contribuer à la construction d’un environnement média efficace et
performant.
-
Conformément au phénomène de convergence des médias, les
annonceurs et les media planners doivent désormais avoir une vision
66
Chapitre 1
-
-
globale des différents supports publicitaires. Alors que les budgets
publicitaires tendent à diminuer, la multiplicité des contenus et des
supports impose de trouver des solutions nouvelles et créatives.
Ils doivent également connaître et respecter les aspects légaux de la
publicité et les différents codes d’autodiscipline. L’UBA accorde,
d’ailleurs, un crédit important au processus d’autorégulation
des annonceurs, tel qu’il est mis en place par le Jury d’Éthique
Publicitaire.
Les annonceurs doivent interpréter et comprendre les tendances des
consommateurs vis-à-vis des différents médias qui, par leurs usages
complémentaires, imposent de mettre en œuvre des campagnes
transmédia (ou cross-media)36. Il s’agit également de tenir compte
de l’impact du développement des TIC sur la mobilité des contenus
via différents supports et sur la consommation partagée de contenus
via les réseaux sociaux.
Pour sa part, le Conseil de la Publicité s’engage dans des projets éducatifs,
qu’il s’agisse de présentations organisées dans des écoles et des universités ou
du programme Média Smart qui est proposé aux enseignants afin d’initier
les jeunes de 8-12 ans au décryptage de la publicité37.
2.11. Le point de vue du Centre d’Information sur les
Médias
ASBL créée en 1971, le CIM a pour objectifs de fournir des données objectives
sur les audiences et d’analyser les performances des médias afin d’améliorer
le fonctionnement interne de ceux-ci et de rentabiliser les investissements
publicitaires. Il est constitué sur la base d’une tripartite qui associe les
médias, les annonceurs et les agences de publicité. À partir de consensus
négociés entre ces trois principaux acteurs et souscripteurs, le CIM confie
la mise en place d’études stratégiques à des instituts de sondage et assure le
contrôle et la diffusion des résultats.
36
D’après le National Newspublishers Survey (www.nnsurvey.be), le développement des sites web
d’information s’inscrit dans une logique moins de concurrence que de complémentarité avec la
presse écrite (sur dix visiteurs des journaux en ligne, trois lisent le même journal, six en lisent un
autre).
37
Au moment de son lancement fin 2005, le programme Media Smart a été désavoué par Marie
Arena, alors ministre-présidente chargée de l’Enseignement et de l’Education qui avait émis des
doutes sur les valeurs pédagogiques et éthiques de cette campagne.
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
67
2.11.1. Orientation et objectifs des calculs d’audience
Les études commandées par le CIM répondent à des enjeux stratégiques
(« qui utilise quel média ? ») et des enjeux tactiques (« combien de personnes
sont exposées à quel support ? »). Ces études adaptent logiquement leur
échantillonnage (univers « plus de 12 ans » pour la presse écrite et l’affichage,
univers « plus de 4 ans » pour la télévision…) et leurs méthodes de collecte
des données en fonction des médias envisagés.
Au-delà de leurs variations et de leurs paramètres techniques, les études
commandées par le CIM visent non pas à approcher de manière qualitative la
réception du contenu des médias, mais à chiffrer les contacts possibles entre
un support média et un public. Cette caractéristique, si elle peut décevoir
certaines attentes en termes de représentativité, d’information citoyenne et
d’impact politique, est imputable à la focalisation du CIM sur des enjeux
publicitaires et au coût très élevé des études d’audience.
Le CIM a un budget annuel de 11 millions d’euros pour financer ces
enquêtes (dont 4 millions sont consacrés à l’audience de la télévision). Les
souscripteurs du CIM visent à mener des enquêtes de qualité, tout en étant
soucieux de récupérer ces investissements en publicité dans un marché belge
francophone particulièrement restreint. C’est dans ce contexte de limitation
budgétaire que s’explique, par exemple, le fait que l’audience des télévisions
locales ne soit pas calculée par le CIM : pour obtenir des résultats fiables
et donc un minimum d’observations nécessaire sur ces petites stations, il
faudrait un échantillon beaucoup plus important et les TVL ne peuvent
prendre en charge les coûts très élevés d’études locales et spécifiques. Pour
le CIM, les études qualitatives doivent être lancées à l’initiative des médias
eux-mêmes.
2.11.2. Impact des nouvelles technologies sur les calculs
d’audience et propositions
La révolution numérique implique une convergence des médias et amène
les contenus à s’affranchir de leur support traditionnel. Selon Luc Eeckhout,
Internet n’est pas un nouveau média à proprement parler mais une plate-forme
via laquelle les individus consomment les médias d’une nouvelle manière,
même si les contenus sont réadaptés en fonction des différents supports
utilisés. Les moteurs de recherche, tels Google, jouent un rôle prépondérant
puisqu’ils orientent les utilisateurs vers des sources d’information qu’ils
classent selon des critères qui leur sont propres.
68
Chapitre 1
L’évolution des usages via les supports numériques impose logiquement une
adaptation des mesures d’audience.
-
-
-
Au niveau des méthodes de calcul, il importe désormais de dépasser
l’approche de la diffusion d’un support matériel pour tenir compte
de la notion de marque média qui véhicule un même contenu par
des voies différentes. En l’occurrence, il serait particulièrement
éclairant de mesurer l’audience nette recueillie par un titre de presse
quotidienne sur papier et sur Internet.
Par ailleurs, il convient d’ajouter aux études stratégiques (qui traitent
isolément des différents médias) un nombre croissant d’études
faîtières qui, à l’instar de l’étude PMPA38, adoptent une approche
holistique du comportement des consommateurs et étudient la
consommation pluri-médiatique d’un même échantillon.
À terme, il est impérieux de chiffrer précisément l’audience des
moteurs de recherche (comme Google), ce qui apparemment
constitue encore un écueil méthodologique.
2.12. Le point de vue des régulateurs
Le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) est le régulateur des médias
audiovisuels dans la Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique. Ses
missions sont de contrôler le respect des obligations des éditeurs de services
(RTBF, télévisions locales, télévisions et radios privées), mais aussi celles des
distributeurs de services (câblodistributeurs, Belgacom, Be TV, Proximus,
Mobistar…) et des opérateurs de réseaux (câblodistributeurs, Belgacom…).
Le CSA régule les services des médias audiovisuels (SMA) à condition
qu’ils soient linéaires ou qu’ils apparaissent sur des plates-formes ouvertes
comme le web, selon des critères déterminés par la directive SMA (directive
du Parlement Européen et du Conseil du 11 décembre 2007) et le décret
du Parlement de la FWB du 5 février 2009. Confronté à la difficulté de
circonscrire précisément la définition des SMA, le CSA a ouvert une
consultation publique à ce sujet39. Chaque SMA doit se déclarer au CSA et est
soumis aux obligations du décret. Une fois reconnu, le SMA devra pouvoir
participer à des réflexions sectorielles et professionnelles sur l’évolution du
cadre réglementaire et peut-être sur la création d’un label.
38
39
PluriMedia, Produits et Attitudes.
Voir le site www.csa.be.
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
69
L’IBPT (Institut Belge des services Postaux et des Télécommunications)
est le régulateur fédéral des communications électroniques et des services
postaux. Cette mission de régulation implique notamment
-
-
de faire respecter les réglementations dans des marchés libéralisés, en
ce qui concerne les missions de service public, la mise en œuvre d’une
concurrence équitable et la protection des intérêts du consommateur ;
de partager, réglementer et contrôler les usages des ressources qui
sont rares (spectre électromagnétique, espaces de numérotation
téléphonique).
Les prérogatives de l’IBPT amènent l’institution publique à entrer en contact
avec les médias d’information puisque l’IBPT est en charge de réguler et de
contrôler
-
-
-
les services postaux ;
les télécommunications (dont Internet) ;
les contenus et les réseaux des éditeurs situés en région de Bruxellescapitale (à condition que ceux-ci ne relèvent pas du CSA ou de la
VRM)40.
La régulation du secteur des communications a des implications à la fois
directes et indirectes pour les médias d’information :
-
-
L’IBPT régule l’accès aux réseaux mobiles et fixes et informe le
consommateur des meilleures offres et de la possibilité de changer
de réseau. Ce faisant, il promeut une plus grande concurrence entre
opérateurs et offre au consommateur plus de choix et un meilleur
accès aux médias (notamment d’information).
L’IBPT régule également les liens de plus en plus fréquents entre
médias et recettes de téléphonie41. Alors que les tarifs de ces appels
ou sms payants ont été encadrés par un arrêté royal42, l’IBPT vise à
La condition est que ces opérateurs diffusent des programmes au moins dans une autre langue
que le néerlandais ou le français.
41
La multiplication des canaux alternatifs de revenus (via vote par sms ou call tv) pour les médias
peut être problématique puisque de nombreuses chaînes de télévision se mettent à produire de la
variété ou des jeux afin d’accéder à ce type de rentrées financières.
42
Il s’agit d’un arrêté royal du 24 mars 2009 modifiant diverses dispositions de l’arrêté royal du
27 avril 2007 relatif à la gestion de l’espace de numérotation national et à l’attribution et au retrait
des droits d’utilisation de numéros. Il définit les tarifs maximums et uniformise les tarifs, que
l’utilisateur appelle d’une ligne fixe ou d’un téléphone mobile.
40
70
Chapitre 1
-
informer le consommateur sur les différents coûts des appels payants
ou sur les autres abus via des abonnements de sms payants (qu’ils
soient envoyés ou reçus).
En plus d’être des diffuseurs de contenus, les sociétés de
communication électronique sont d’importants annonceurs. L’IBPT
contribue à la santé du secteur des communications et offre ainsi la
garantie pour les éditeurs de contenus d’engranger de substantiels
revenus publicitaires.
2.12.1. Une régulation pour qui, pour quoi ?
Marc Janssen (CSA) rappelle les deux significations du terme « régulation ».
-
Premièrement, il désigne la structuration ex ante du secteur qui
consiste en l’établissement de règles et incombe au pouvoir politique.
En ce qui concerne les médias d’information dans la FWB, l’instance
politique a joué, par le passé, un rôle important dans la structuration
du marché, par exemple par les accords TVB. Aujourd’hui, l’action
politique continue à structurer le secteur, par divers biais comme
l’aide à la presse, la création en décembre 2009 du CDJ (le Conseil
de Déontologie Journalistique auquel les journalistes, tous supports
confondus, sont obligés d’adhérer), le contrat de gestion de la
télévision de service public, la régulation de la publicité, les règles
d’indépendance des médias audiovisuels privés… Cependant,
le pouvoir politique a perdu toute une série de leviers pour agir
concrètement et efficacement sur le paysage médiatique : il doit
prendre acte d’un nombre croissant de règles politiques et surtout
administratives qui sont édictées au niveau européen ; il doit prendre
en considération une évolution des mentalités qui n’admettent plus
aussi aisément les initiatives publiques dans le secteur médiatique ;
enfin, il se voit privé de certains leviers dans le cas où des opérateurs
privés se sont délocalisés et donc soustraits à sa régulation.
-
La deuxième acception du terme « régulation » désigne l’application
et le suivi des règles qui sont, cette fois, la prérogative d’autorités
indépendantes, telles que le CSA ou l’IBPT. À la recherche d’une
règle d’équité qui respecte les spécificités des acteurs et les objectifs
politiques d’intérêt général, les instances de régulation visent
concrètement à soumettre tous les acteurs du secteur aux mêmes
« règles du jeu » et à défendre les intérêts des consommateurs
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
71
qui doivent accéder de manière équitable aux services concernés.
Dans le secteur médiatique, les objectifs fondamentaux sont la
promotion et la défense du journalisme, d’une part et la promotion
et le soutien aux médias d’information, d’autre part. Soutenir les
médias assure, sur le long terme, leur indépendance, leur viabilité,
le pluralisme et l’équité. Concrètement, il s’agit, entre autres, de
surveiller les pratiques publicitaires, de garantir la mise en œuvre
d’une concurrence équitable, de partager les usages de ressources
rares, de contrôler le respect des obligations des médias privés ou le
contrat de gestion des services publics… Pour ce faire, les sanctions
peuvent être financières (lors d’infractions aux règles publicitaires
ou comme moyen de pression pour obtenir des informations utiles)
ou autres (comme l’obligation de lire un communiqué à l’antenne).
2.12.2. Caractéristiques de l’écosystème des médias en
Belgique francophone à l’heure du numérique
Les spécificités du marché belge francophone résident non seulement dans
ses dimensions réduites, mais aussi dans la qualité de ses infrastructures et
dans la libéralisation désormais définitive des services postaux. Le nouveau
statut de Bpost ne remet actuellement pas en question la garantie du service
universel (même s’il y a aujourd’hui débat sur d’éventuels aménagements
de ce dernier au niveau de la coupole européenne des opérateurs
postaux). Le service universel est essentiel pour les médias d’information
puisqu’il implique notamment que, pour la livraison des quotidiens et des
hebdomadaires d’information générale, la TVA soit réduite à zéro.
En ce qui concerne les secteurs traditionnels de l’audiovisuel, le CSA présente
des « diagnostics » distincts :
-
-
La radio est un média qui se porte plutôt bien (à l’exception des 85
petites radios, provinciales ou indépendantes en proie à d’importantes
difficultés économiques) qui reste relativement rentable et offre une
certaine diversité de contenus et de formats.
En télévision, l’étroitesse du marché permet difficilement de mener
à bien des projets ambitieux. Durant ces quinze dernières années, il
n’y a pas eu de véritable nouveau projet d’envergure. Des initiatives
plus modestes ont été lancées, à l’instar de Canal Z qui est obligé de
recourir à des émissions de type publi-reportage et de Liberty TV
qui a intégré un JT dans son core business que sont les émissions
72
Chapitre 1
de loisir et de voyage. Un des freins à l’initiative réside dans le
caractère obsolète de la loi de 1963 sur le statut et la reconnaissance
des journalistes qui n’est plus en phase avec les nouvelles formes du
journalisme et qui, par ses exigences de qualité vieillies, décourage
l’émergence de nouveaux acteurs.
L’irruption du numérique a déjà d’indéniables répercussions sur la situation
des médias en Belgique francophone.
-
-
-
-
-
Selon Marc Janssen, le développement des nouvelles technologies
permet une multiplication des supports et un accroissement de
l’instantanéité. Aujourd’hui, il n’a amené que l’exportation de
contenus existants sur de nouvelles plates-formes mais ne tardera
pas à entraîner l’émergence de nouveaux acteurs et de nouveaux
contenus. Internet permettra à des petits acteurs de se positionner
plus facilement au sein de l’écosystème des médias. La réduction
des étapes à franchir pour diffuser de l’information amène un
accroissement et une diversification des sources d’information.
Dans ce flux continu de contenus, les marques font office, pour le
consommateur, de filtres et de repères.
Des acteurs cruciaux de l’écosystème des médias tendent à s’intégrer
verticalement afin de réaliser des bénéfices supplémentaires : des
opérateurs télécoms et des câblodistributeurs se mettent à fournir
des contenus et inversement, des acteurs médias entrent dans le
domaine des télécoms.
L’écosystème est, en outre, marqué par des spécificités numériques :
le système de l’over the top qui, d’en haut, redistribue les contenus,
l’irruption du peer-to-peer et l’apparition de télévisions numériques
non-linéaires. Les reconfigurations de l’écosystème des médias
posent des questions inédites mais ouvrent également de nouvelles
possibilités en termes d’audience.
En ce qui concerne la radio, le numérique permettra de garantir un
confort d’écoute pour tous les auditeurs et de stabiliser la réception
et la diffusion des opérateurs. La VRT a déjà mis en place un bouquet
DAB qui compte une chaîne d’information en continu (Nieuws
Plus) qui reprend les différents bulletins d’information de la VRT.
À ce stade, il y a un service original, mais pas encore des contenus
originaux.
La télévision connaît également une phase de transition.
Actuellement, 98% de la population de la FWB dispose de
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
73
l’analogique, contre 50% touchés par la télévision numérique. Cela
n’est pas encore suffisant pour garantir un modèle économique
rentable pour une chaîne purement numérique. La grande
transformation est l’apparition de la télévision connectée, l’une des
concrétisations les plus marquantes de la convergence des médias
puisqu’elle combine les chaînes de télévision traditionnelle et tous
les contenus audiovisuels accessibles sur le Net.
2.12.3. Propositions pour une régulation efficace à l’ère du
numérique
A. L’internationalisation des marchés rassemble désormais des acteurs
basés dans différents pays et soumis à des législations différentes. Le
débat doit se faire au niveau européen, via l’EPRA, qui est la plate-forme
européenne des instances de régulation. Dans le cadre belge, se pose, en
outre, la question de la reconfiguration institutionnelle de la politique
des médias : faut-il envisager une communautarisation de cette matière
ou une meilleure coordination avec les médias du nord du pays ?
B. La structuration du secteur doit envisager des nouvelles modalités
d’action en ce qui concerne la protection des droits d’auteur, la mise en
place d’un régime de taxation équitable pour les différents éditeurs, la
définition d’un service public qui est désormais directement confronté
aux autres acteurs et la défense de la neutralité d’Internet, c’est-àdire « la liberté de choix qu’il [le net] permet à tous ses utilisateurs,
la chance équitable qu’il donne à tous les entrepreneurs, l’espace de
liberté d’expression et d’information qu’il offre à tous les citoyens »43.
Il s’agit d’éviter la discrimination à la fois entre fournisseurs et entre
consommateurs des contenus médiatiques.
-
-
43
Au niveau de la production du contenu, il importe de veiller à ce
que les distributeurs qui se mettent à fournir de l’information ne
profitent de leur situation pour permettre un meilleur accès à leurs
propres contenus qu’à ceux des concurrents.
Par ailleurs, il convient de rendre l’information accessible au citoyenconsommateur. L’accès aux sites des principaux quotidiens doit être
garanti, au même titre qu’à ceux de Google, Tecteo ou Belgacom.
Cahiers de l’ARCEP, n°3 sur www.arcep.fr.
74
Chapitre 1
La question de l’accessibilité pose plus largement le problème de la
fracture numérique qui se joue à deux niveaux : l’accès technique à
Internet et la maîtrise de l’outil (puisqu’une catégorie de la population
dispose d’Internet sans savoir véritablement s’en servir). En Belgique,
d’un point de vue individuel, le taux de pénétration d’Internet est de
près de 30%. Grâce aux infrastructures performantes et une bonne
accessibilité à haut débit, la Belgique se trouve dans le peloton de tête
au vu de l’agenda numérique européen. Par contre, le manque de
compétition dans l’offre des services ne permet pas encore de réduire le
prix de la connexion et donc d’accroître le nombre de consommateurs.
L’objectif est que, d’ici 2020, tous les citoyens aient au moins accès à des
vitesses de 30Mb/sec et 50% d’entre eux à des vitesses de 100Mb/sec.
C. Enfin, l’ère du numérique a des implications sur la régulation en tant que
mode de contrôle de la diffusion de contenus médiatiques. Contrairement
à ce que l’on pourrait penser, la surveillance des contenus numériques
ne pose pas de problème en soi : en plus du travail de veille assuré par ses
propres services, le CSA peut également compter sur le contrôle social
via des plaintes d’internautes ou des questions parlementaires. Quoi
qu’il en soit, un SMA non-détecté est faiblement connu et a donc un
impact social très limité. Le véritable défi se situe au niveau du maintien,
à l’ère du numérique, des règles aujourd’hui imposées aux médias
audiovisuels. En effet, la convergence des médias entraîne la disjonction
entre contenus et supports matériels de diffusion et la confrontation
directe entre deux secteurs médiatiques autrefois distincts :
-
-
La presse écrite qui est traditionnellement soumise à très peu
de contraintes en vertu du principe constitutionnel de la liberté
d’expression et qui peut même afficher ouvertement un engagement
politique.
le secteur audiovisuel historiquement très réglementé. Cela est encore
plus vrai pour les opérateurs publics qui doivent se conformer à des
devoirs supplémentaires.
La convergence des médias sur de nouvelles plates-formes va faire
exploser toutes les règles : comment limiter l’accès de certains
programmes aux mineurs, comment séparer complètement information
et publicité, comment répartir le temps d’antenne entre les différents
partis en lice aux élections, comment limiter l’accès à certains contenus
pour les mineurs d’âge ? Face à ces questions, il convient d’adapter la
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
75
réglementation aux nouveaux supports44 et de lancer une réflexion globale
sur une régulation équitable des acteurs médiatiques, qui permettrait de
protéger des activités répondant à des besoins d’intérêt général.
En la matière, le CSA propose de créer un nouveau concept de « médias
d’information sur plate-forme ouverte » qui dépasserait le critère du
support matériel. Sur le modèle du système de l’aide à la presse écrite, les
éditeurs de contenus qui répondraient à cette définition bénéficieraient
d’un système d’aide conditionnée : en contrepartie de l’obtention
d’un label et d’un soutien financier, ils seraient tenus d’observer un
socle minimal d’exigences (comme l’obligation d’adhérer au CDJ, de
s’établir dans la FWB, d’engager une majorité de journalistes
professionnels, …). Afin de rendre ces mesures optimales, le CSA
propose de faire évoluer la régulation des médias vers un modèle de
co-régulation, ce qui permettrait de définir une attitude commune, en
accord avec les acteurs de terrain.
2.13. Le point de vue des experts
Aux yeux de Jean-Clément Texier (banquier et expert en économie des
médias), la presse quotidienne française est dans une situation dramatique
et gagnerait à s’inspirer de l’exemple de la presse belge qui s’est déjà engagée
dans la voie de la rationalisation des coûts, de la modernisation et de la
concentration.
La révolution que la presse quotidienne est en train de traverser est le résultat
de la conjonction de la crise conjoncturelle et de la rupture structurelle due
à l’irruption du numérique. Les « nouveaux ennemis » de la presse sont les
agrégateurs (qui menacent le respect des droits d’auteur) et les opérateurs de
télécommunications. En outre, la presse française est aujourd’hui enfermée
dans un système d’assistanat dans la mesure où les aides de l’État représentent
12 à 13% du chiffre d’affaire du secteur de la presse.
Jean-Clément Texier se dit sceptique vis-à-vis de la valeur présumée des
marques-médias et vis-à-vis de la monétisation des contenus : à l’heure
actuelle, de nouvelles marques atteignent rapidement les sommets ; d’autre
part, le gratuit apparaît moins comme un concurrent que comme un produit
Le Parlement européen et le PFWB ont déjà imaginé que les SMAD (SMA à la demande) soient
soumis à des règles plus légères que les SMA.
44
76
Chapitre 1
complémentaire par rapport au payant et a mis au point de nouveaux
business models qui s’avèrent particulièrement adaptés à la révolution
technologique. D’après l’économiste français, la révolution numérique
qui a totalement bouleversé le monde de la presse doit être vécue comme
une « destruction créatrice », pour reprendre les termes de Schumpeter. La
solution réside, selon l’expert français, dans un retour innovant et audacieux
à la logique de marchandisation et de rentabilité. En d’autres termes, l’objectif
des éditeurs de presse doit être avant tout de ne pas laisser se creuser un
« fossé générationnel » avec les jeunes managers, de renouer avec une logique
industrielle : la recherche du profit. Il s’agit de chercher la rentabilité plutôt
que la notoriété, afin de retrouver des marges de manœuvre et d’atteindre
une taille critique d’un milliard d’euros (ce qui n’est le cas d’aucun groupe de
presse français). La seule solution pour garantir une presse viable et rentable
est, par conséquent, la concentration (qui n’est pas automatiquement
synonyme de standardisation des contenus).
Concrètement, Jean-Clément Texier conseille aux éditeurs de presse de :
-
-
-
-
-
s’adosser à des groupes industriels plus forts (qui se développent dans le
domaine des technologies de l’information et de la communication) ;
rationaliser les coûts de production et les coûts salariaux ;
investir dans des secteurs connexes (tv, sport…) ;
rechercher de nouveaux produits, inventer de nouveaux concepts et
revitaliser ainsi le journalisme ;
hausser les prix de vente, en émettant l’hypothèse que le journal à bas
prix avec publicité n’est peut-être qu’une parenthèse dans l’histoire
de la presse.
Pour sa part, François Jongen (professeur de droit à l’Université Catholique
de Louvain) souligne la nécessité, pour le bon fonctionnement des médias
d’information, d’un cadre juridique clair et équilibré. L’organisation juridique
des médias dans la FWB est circonscrite par trois contraintes distinctes :
-
-
-
le système de répartition des compétences (qui, en matière
de responsabilité juridique des médias, confie d’importantes
prérogatives à l’instance fédérale) ;
le droit communautaire européen (qui fixe le cadre de la politique de
la FWB dans le secteur des médias) ;
l’inévitable dépendance des politiques vis-à-vis des médias
(qui contribuent partiellement à construire la notoriété – et qui
influencent les résultats électoraux – des responsables politiques).
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
77
Chantiers juridiques (ré)ouverts par l’essor des médias numériques
La numérisation du processus de l’information reconfigure les activités
médiatiques et impose, par conséquent, une adaptation du cadre juridique.
Un de ces chantiers tient à la responsabilité des médias. Cette question est déjà
problématique en soi puisque la Constitution belge prévoit une responsabilité
pénale de la presse devant la Cour de Cassation. Pour diverses raisons, les
médias ne passent plus jamais au pénal mais finissent de facto par passer
par le civil, sans qu’il n’y ait une procédure qui soit définie pour ce genre de
cas. Avec l’essor du numérique, la question de la responsabilité des médias
revêt une acuité particulière puisque Internet permet une multiplication
de contenus annexes et donc d’auteurs. Quel est le statut juridique d’un
commentaire posté à la suite d’un article publié par un journal sur son site ?
Comment établir la responsabilité pénale ou civile d’un auteur couvert par
un pseudonyme ? Le journal doit-il être tenu responsable des commentaires
qu’il héberge ? Au vu de ces nouvelles questions, il apparaît nécessaire
de revoir la compétence théorique de la Cour de cassation, de clarifier la
responsabilité des médias sur les contenus annexes et, par conséquent, de
protéger le métier de journaliste.
Un discours européen trop théorique ?
Si la prise de position du rapport Belet déposé au Parlement européen est
encourageante, François Jongen fait remarquer que le droit communautaire
européen reste essentiellement défini par la Commission et par la Cour de
Justice et que la directive sur les SMA de décembre 2007 ne prévoit aucune
mesure concrète pour permettre au service public de se maintenir face au
secteur privé. La portée du rapport Belet apparaît, aux yeux de François
Jongen, comme plus défensive que dynamique : il s’agit avant tout de justifier
le versement de dotations publiques ou de redevances télé à destination d’un
service public de l’audiovisuel et pas de garantir un véritable équilibre entre
médias privés et publics.
L’absence de directives européennes plus contraignantes entraîne une
distorsion de concurrence entre les secteurs public et privé et entre les
opérateurs privés délocalisés ou non. C’est ainsi conformément au droit
européen que RTL Belgium s’est délocalisé en 2006 au Luxembourg ; le cadre
juridique européen permet, en effet, à l’éditeur de se définir lui-même comme
tel et n’impose pas le public de destination comme critère de rattachement
à un cadre juridique particulier, ce qui a immanquablement encouragé
78
Chapitre 1
les délocalisations. En conséquence, les règles imposées par le législateur
dans la FWB ne concernent pas les médias installés au Grand-duché et ne
s’appliquent donc qu’au secteur public et aux opérateurs privés qui n’ont pas
les moyens de se délocaliser. Un protocole de coopération a été signé, en
juin 2009, entre Fadila Laanan, ministre de la Culture et de l’Audiovisuel
de la Communauté française, et le gouvernement luxembourgeois et a ainsi
pris officiellement acte de la situation. Dans ce contexte, François Jongen
décèle deux modes d’action susceptibles de relancer le débat au sujet de ce
protocole de collaboration : d’une part, profiter de l’évaluation annuelle
prévue par le protocole lui-même, d’autre part, introduire une action auprès
de la Commission européenne.
Ressources et missions de la RTBF
Certes, la légitimité du service public suppose qu’il ne se marginalise pas
complètement et qu’il s’adresse à une majorité de la population. Néanmoins,
François Jongen pointe quelques dérives en ce qui concerne les objectifs
d’audience de la RTBF :
-
-
En plus de la dotation publique dont elle bénéficie, la RTBF peut
également compter sur des ressources publicitaires. Bien que
minoritaires, celles-ci constituent la seule marge variable du
financement du service public et amènent logiquement la chaîne à
accorder une grande importance aux taux d’audience.
Par ailleurs, le contrat de gestion établit des objectifs d’audience
globaux. Selon François Jongen, cet état de fait est ambigu puisqu’en
fixant des chiffres d’audience à atteindre, le contrat de gestion justifie
en quelque sorte des pratiques qui amènent à une perte de substance
du service public, notamment en termes de diversité culturelle,
qui est défini par le même contrat de gestion. Ce qui est gênant,
c’est qu’on inscrive, dans un instrument contractuel, des chiffres
tellement précis qu’ils en deviennent des arguments pour légitimer
des activités au sujet desquelles il n’y a pas eu de débat de fond.
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
79
3. Recommandations des experts – animateurs (par Mme Nadine Toussaint Desmoulins,
M. Benoît Grevisse et Me Carine Doutrelepont)
Cet atelier, consacré aux schémas et stratégies industriels des médias
d’information, avait pour objectifs de cerner les problèmes principalement
d’ordre économique qui se posent aux différents médias d’information
francophones belges et à leurs usagers, et de dégager, sur cette base, les
lignes de force de propositions susceptibles de permettre aux médias de
continuer à fournir une information de qualité, pluraliste et accessible dans
un environnement concurrentiel équilibré. Avant de parvenir à cette fin,
il a paru nécessaire de dresser l’état des lieux des médias d’information en
Belgique francophone et de donner ensuite la parole aux divers acteurs ou
experts du monde des médias afin de confronter leur vision sur les difficultés
rencontrées et les solutions qu’ils suggèrent.
3.1. Le rapport sur l’état des lieux
Il fut établi et présenté, le 17 mars 2011, par les professeurs Frédéric Antoine,
de l’Université Catholique de Louvain, et François Heinderyckx, de l’Université
Libre de Bruxelles. Ce rapport très riche, le premier en son genre, était soumis
à l’appréciation des intervenants. Ils y ont tous trouvé un très grand intérêt
en dépit de quelques imprécisions et ont estimé qu’il devait être poursuivi à
l’avenir afin que l’on dispose, en Belgique, d’un tableau de bord sur le monde
des médias. D’ores et déjà, l’une des premières recommandations qui peut
être faite, et à propos de laquelle nous reviendrons, porte sur la création d’un
Observatoire indépendant des Médias permettant d’assurer une transparence
dans le secteur et des données actualisées, fiables et vérifiées.
3.2. Les auditions
Les experts-animateurs de l’atelier ainsi que le comité de pilotage, composé
de parlementaires de toutes tendances, de collaborateurs aux groupes
politiques et d’équipes administratives du Parlement, ont dressé la liste
des personnalités représentatives des divers acteurs du monde des médias
écrits et audiovisuels qu’il paraissait nécessaire d’auditionner. Cette liste
comportait des représentants des opérateurs des différents secteurs, des
associations de journalistes, des diffuseurs, des usagers, des annonceurs, des
80
Chapitre 1
instances de régulation, des sociétés de gestion collective de droits d’auteur,
des organismes d’audimétrie ainsi que divers experts. Ces personnalités
ont été contactées et l’on peut déplorer que certaines n’aient pas répondu
à l’invitation ou fait savoir qu’elles ne souhaitaient pas participer à ces
auditions en dépit des demandes réitérées. Ceci fut notamment le cas de
Test-achats (organisme de consommateurs), AMP (agence et messageries de
presse), les Radios, 7sur7 et d’Ivo Belet.
Les huit séances qui se sont déroulées du 31 mars au 23 juin 2011 ont permis
d’auditionner une trentaine de personnes venues d’horizons divers : éditeurs
de presse écrite ou on line, télévisions généralistes et locales, association
de journalistes, régulateurs, sociétés de perception de droits d’auteurs,
représentants des annonceurs, des usagers, experts,… La plupart d’entre eux
ont fourni un travail important, utile au secteur et à l’analyse des experts.
3.3. Les points de vue des auditionnés
Les divers intervenants ont décrit les problèmes qu’ils rencontrent dans
le cadre de leur activité et ont suggéré des propositions susceptibles d’y
remédier. Certaines analyses sont communes à divers intervenants, d’autres,
au contraire, montrent des désaccords.
3.3.1. Les points d’accord ou les constats partagés
Tous les intervenants sont tombés d’accord sur le fait que l’on assistait en
Belgique francophone, comme ailleurs dans le monde, à une mutation rapide
et importante des médias marquée par le développement de l’Internet et de
divers supports de communication, notamment mobiles. Cette mutation,
caractérisée par une convergence des médias sur les différentes plates-formes
numériques, affecte en profondeur aussi bien le système de production, et
notamment le travail des journalistes, que les systèmes de distribution, de
commercialisation et enfin de consommation des médias. Tous les médias
« historiques » d’information : presse, radio et télévision sont concernés. La
segmentation des médias s’adressant à des publics distincts et consommant de
manière différente, parfois complémentaire, est abandonnée au profit d’une
concurrence de plus en plus forte entre les divers médias qui rétrécissent leur
marché respectif et se disputent les marchés émergents.
L’arrivée de ces nouveaux modes de diffusion et de consommation modifie,
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
81
en effet, la concurrence habituelle inter et intra média sur ces deux marchés :
marché des acheteurs et marché des annonceurs. La facilité d’accès qu’offrent
les médias mobiles, dont le genre et le nombre vont croissant, séduit autant
les usagers du « contenu » des médias que les annonceurs et réduit les
marchés, et donc les ressources, des médias sur les supports traditionnels
que sont le papier et les récepteurs de radio ou de télévision. La concurrence
internationale exercée par certains agrégateurs, au premier rang desquels
figure Google, paraît particulièrement redoutable non seulement parce
qu’elle pille certains contenus sans respecter les droits d’auteurs mais aussi
parce qu’elle recueille une part essentielle et croissante des investissements
publicitaires.
Le deuxième point d’accord concerne le soutien à la transition numérique
et la nécessité d’adopter des mesures financières, fiscales permettant
le développement des activités nouvelles et des mesures régulatrices
permettant l’accès et la neutralité technologique. Elle implique l’engagement
d’une réflexion plus approfondie sur l’éventuelle nécessité d’évoluer vers une
différenciation des contenus papier et numériques.
Le troisième point d’accord ou plutôt le constat unanime concerne la taille
réduite du marché sur lequel opèrent les divers médias concernés : environ
4,4 millions de personnes. Cette taille réduite, qui correspond grosso modo
à l’équivalent de la région Nord de la France (où il n’existe plus qu’un seul
groupe de presse quotidienne), rend particulièrement difficile l’accès à une
taille critique qui permettrait une meilleure gestion des coûts fixes et une
rentabilité suffisante. Ceci est d’autant plus flagrant lorsqu’il s’agit de médias
locaux au sein de l’espace francophone belge. Il a été remarqué aussi que les
francophones étaient de façon générale moins consommateurs de médias
que les Flamands notamment pour ce qui concerne la presse quotidienne.
Le poids d’acteurs globaux internationaux et présents sur les plates-formes
numériques fragilise la presse francophone belge compte tenu de l’exiguïté
de son territoire mais aussi de la langue française dont l’usage reste plus
limité.
Le quatrième point d’accord concerne la concurrence qu’exercent sur les
audiences belges les médias français, notamment pour ce qui est des médias
d’information « généralistes » que sont certains titres de presse, certaines radios
et certaines télévisions. Cette captation d’audience se répercute sur des ressources
publicitaires qui sont dérivées vers ces concurrents français, ce qui est moins le
cas pour les médias flamands vis-à-vis des Néerlandais. Au niveau du contenu,
82
Chapitre 1
la concurrence entre les médias belges se joue, quant à elle, sur le terrain de
l’information de proximité, qu’elle soit nationale ou communautaire.
Le cinquième point d’accord, qui résulte des points précédents, concerne le
nécessaire recours à l’intervention des pouvoirs publics. C’est en premier
lieu par l’accroissement des aides publiques. Puisque le marché est étroit
et soumis à une vive concurrence, il convient d’accorder aux médias des
aides distribuées sous des formes diverses : directes (subventions, dotations
budgétaires, aides à la modernisation) ou indirectes (fiscalité, transport).
C’est en second lieu par des mesures réglementaires nouvelles ou renforcées
pour mieux garantir la neutralité d’accès à l’Internet, une concurrence
équitable dans le contexte de la transition numérique, l’accès du public à
une information de qualité et le respect des contenus, notamment des droits
d’auteurs, ainsi qu’un statut professionnel clarifié des journalistes.
Le sixième point d’accord porte sur l’insuffisance et l’inadaptation des
mesures d’audience face aux nouveaux modes de consommation des médias.
Les médias dans leur ensemble déplorent qu’on appréhende de plus en plus
mal le fait qu’un même contenu peut être « consommé » sur divers supports
notamment sur les nouveaux supports mobiles. Les petits médias, telles les
télévisions locales, déplorent de ne pouvoir être mesurés en raison du coût
élevé des enquêtes.
Le septième point d’accord porte sur l’impérieuse nécessité de sauvegarder le
pluralisme en garantissant notamment le bon fonctionnement et la viabilité
d’opérateurs à la fois publics et privés.
Le huitième point a trait à la nécessité d’assurer une meilleure valorisation
des contenus journalistiques sous différentes formes, en assurant notamment
la rétribution adéquate des journalistes, la promotion de l’utilisation de la
presse à l’école comme outil pédagogique et en développant des actions
étendues pour encourager les jeunes à lire la presse et à s’informer en général
par un usage adéquat des médias.
Le neuvième point d’accord est la défense des droits d’auteur et des droits
voisins du droit d’auteur afin de lutter à l’encontre du piratage des contenus
et d’assurer une rémunération adéquate des titulaires de droits en conformité
avec les directives européennes garantissant un haut niveau de protection.
Le dernier point d’accord concerne le souhait de réserver à des journalistes
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
83
professionnels formés aux techniques nouvelles le soin de fournir une
information vérifiée et mise en perspective dans un environnement où les
médias électroniques permettent à tout un chacun de s’exprimer. Cette rigueur
est d’autant plus nécessaire que sur le terrain de l’information médiatique,
les médias traditionnellement informationnels entrent en concurrence
avec des médias qui ont des visées plus larges, à la fois informationnelles
et de divertissement, de culture ou de loisirs moins attachés à la qualité de
l’information et à son caractère fiable.
3.3.2. Les points de désaccord
Au-delà de ces accords, des divergences existent qui séparent et/ou opposent
certaines catégories de médias ou d’acteurs.
La première et la plus vive est celle qui oppose les éditeurs de presse
quotidienne à la RTBF en ce qui concerne l’éditorialisation sur l’Internet et
la régulation des ressources publicitaires. Les premiers considérant que la
seconde, qui bénéficie d’un financement public sans commune mesure avec les
aides accordées à la presse, pratique une concurrence déloyale en développant
son site d’information qui bénéficie aussi de recettes publicitaires. L’accès à
cette information gratuite ajoute un élément supplémentaire de concurrence
à la presse payante. La RTBF se défend en arguant qu’il est de son rôle et de
son statut de rechercher un maximum d’audience, que cela ne saurait se faire
sans avoir recours à l’Internet notamment pour toucher le public jeune et
que les recettes publicitaires de son site ne représentent qu’une infime partie
du marché publicitaire.
Si bon nombre d’intervenants soulignent la nécessité d’aller vers un statut
professionnel clarifié des journalistes, les journalistes professionnels
salariés, soutenus par leur association et les syndicats, s’opposent au mode
de gestion adopté par certains opérateurs. Ils s’inquiètent de la stagnation
de leurs effectifs, de leur précarisation, du non respect de leurs droits
d’auteur, de la faiblesse de leur rémunération et de façon plus générale de la
détérioration de leurs conditions de travail dues à l’irruption du numérique
et des nouvelles formes de travail qu’il induit. Les cadences et la polyvalence
des tâches imposées nuisent à la qualité de l’information. A contrario,
l’espace accordé à des blogueurs non journalistes ou à des informateurs
amateurs prive les professionnels d’emploi. C’est tout particulièrement le
cas des photojournalistes. De façon générale, les journalistes souhaitent
voir renforcer le rôle des sociétés de rédacteurs au sein des entreprises.
84
Chapitre 1
L’AJP voudrait que les Sociétés de Rédacteurs (SDR) passent d’un modèle de
consultation à celui de co-décision et souhaite également une réforme des
aides à la presse qui tienne plus compte de l’emploi de journalistes salariés et
de critères qualitatifs du contenu rédactionnel.
Un ferme désaccord divise les sociétés de gestion, l’AJP et les éditeurs de
presse ou les représentants des opérateurs audiovisuels sur la présomption
de cession des droits d’auteur. Cette présomption, qui existe en faveur du
producteur dans le secteur audiovisuel, n’est pas accordée à l’éditeur de
presse écrite. Les sociétés de gestion et l’AJP plaident pour la suppression de
ce mécanisme légal d’attribution des droits en faveur du producteur, alors
que les éditeurs de presse écrite revendiquent pour son extension dans le
secteur de la presse écrite.
Les représentants d’usagers se plaignent de certains contenus publicitaires
véhiculés par les médias et de la confusion qui peut exister entre le
rédactionnel et le publicitaire. Ils estiment que les instances qui encadrent
la publicité ne sont pas assez efficaces pour protéger les consommateurs des
abus et manipulations diverses constatés. Ils jugent qu’il conviendrait de
mieux former les usagers à une pratique plus critique des médias et que cette
formation ne devrait pas émaner d’instances liées aux annonceurs ou aux
agences. Ils militent pour un Conseil fédéral de la Publicité indépendant.
Les télévisions locales se plaignent de leur manque de visibilité dû en partie
au fait que les journaux ne signalent pas leurs programmes et qu’elles sont
reléguées loin sur les offres télévisuelles. Télé Bruxelles déplore son statut
de télévision locale et plaide pour la reconnaissance du statut de télévision
régionale, pour l’octroi de ressources supplémentaires et la possibilité d’une
diffusion plus étendue grâce à l’obtention du « must carry » sur l’ensemble
du territoire ou à une autorisation de diffusion élargie.
3.4. Les recommandations des experts
Les experts suggèrent des recommandations qui s’articulent autour de
trois axes. Le premier concerne les stratégies industrielles qui pourraient
être mises à l’œuvre par les entreprises médiatiques, le second concerne les
améliorations qui devraient être apportées au système d’aides accordées par
les pouvoirs publics, le troisième vise les mesures essentiellement régulatoires
à adopter pour répondre aux enjeux plus généraux que suscite l’avenir des
politiques destinées aux médias.
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
85
3.4.1. Une nouvelle stratégie industrielle
Un constat s’impose : les médias ne sauraient échapper à une convergence
inévitable qui doit les conduire à être présents sur tous les supports,
notamment sur les mobiles et les tablettes. Comme le numérique facilite la
création de nouveaux supports et l’arrivée de nouveaux acteurs qui modifient
les termes de la concurrence, la fragmentation des audiences ne peut être
évitée. Cette multiplication et cette fragmentation se répercutent aussi bien
sur les pratiques des usagers des contenus que sur les choix des annonceurs
qui sont enclins à migrer vers le numérique. Enfin l’idéologie de la gratuité
très prégnante sur l’Internet donne des atouts aux contenus gratuits pour les
consommateurs alors même que la production d’une information sérieuse et
contrôlée est coûteuse. Un nouveau modèle économique des médias semble
inévitable. Quelles solutions s’offrent alors aux entreprises qui souhaitent
continuer d’exister voire se développer ? Quelles recommandations les
experts suggèrent-ils ?
A. Les experts recommandent en premier lieu aux entrepreneurs de
poursuivre la recherche de l’innovation dans la conception et la diffusion
multimédia des contenus. Cette recherche est fondamentale pour les
médias « historiques » afin d’éviter l’évasion des jeunes attirés par les
formes nouvelles de communication qui se développent rapidement
notamment via les divers réseaux sociaux. Ces réseaux ont démontré
que la circulation de l’information se fait de plus en plus en dehors des
« marques » média. Il convient donc pour les médias « historiques » de
conserver la valeur des informations qu’ils produisent en transposant,
avec une différenciation de traitement, un contenu sur plusieurs supports
ou applications et de profiter de la complémentarité qu’offrent les divers
supports ou plates-formes pour utiliser au mieux le fruit du travail des
journalistes : enrichissement des textes par des photos ou des vidéos,
recours aux archives, dossiers, etc., et inversement, enrichissement des
sites audiovisuels.
B. Cependant, ce travail journalistique nécessite des conditions de
production décentes, un niveau de formation adapté, une adaptabilité
incarnée par des formations continuées. Un statut professionnel précisé
et clarifié est indispensable au développement d’une nouvelle politique
industrielle attractive et durable.
Les experts recommandent de suivre un certain nombre de propositions
86
Chapitre 1
faites quant à la revalorisation du travail des journalistes par les
représentants des journalistes. Quelques-unes d’entre elles rejoignent
d’ailleurs les souhaits exprimés par certains responsables d’entreprises
médiatiques. A cet égard, les experts renvoient aux travaux de l’atelier
consacré à la liberté d’expression compétent pour développer plus en
profondeur ce point.
C. Les experts recommandent une politique de droits d’auteur dynamique,
axée sur la valorisation des contenus et le respect de ceux-ci, impliquant
dès lors des accords contractuels promouvant et rétribuant le contenu
et des démarches plus systématiquement actives, en cas de violation des
droits, aux côtés, le cas échéant, des sociétés de gestion collective.
D. Pour ce qui est des télévisions locales, dont la spécificité réside dans la
recherche d’information de proximité, il parait aussi logique qu’elles
puissent coordonner davantage entre elles leurs activités afin de
promouvoir un programme commun leur assurant également une plus
grande viabilité et visibilité auprès des annonceurs et des usagers. De
manière plus générale, la technologie numérique implique, en outre,
qu’elles puissent déborder de leur zone légale de distribution en se
trouvant sur des plates-formes de distribution couvrant le territoire
national ou communautaire. Il convient cependant de renforcer
leurs missions de service public locales ou régionales, leur obligation
d’assurer de la production propre ainsi que leurs synergies avec la RTBF
afin de préciser leur spécificité mais aussi les perspectives d’emploi et les
investissements nécessaires au niveau local.
E. Les experts font ensuite une recommandation qui découle en partie
de ce qui précède et qui consiste pour les médias à renforcer la
diversification comme c’est déjà le cas depuis longtemps pour certains. Si
la diversification a parfois pour corollaire un processus de concentration
qui réduit le nombre d’opérateurs et porte atteinte au pluralisme de
l’information lorsqu’on procède par acquisition, il n’en va pas de même
si l’on procède par croissance interne. La diversification doit permettre
de mutualiser certains coûts rédactionnels ou administratifs sans pour
autant porter atteinte à la qualité de l’information. Elle permet aussi à
une entreprise (ou un groupe) de multiplier les supports susceptibles
de toucher des publics variés et de compenser les pertes des uns par les
recettes des autres. Une offre de « bouquet » proposée par couplage aux
annonceurs peut d’autant plus séduire les annonceurs que les audiences
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
87
de chacun des médias concernés sont réduites comme c’est souvent le
cas en Belgique francophone. Ces offres couplées devraient pouvoir
aussi associer des médias non francophones.
F. Concernant encore le problème des ressources, les experts recommandent
de chercher à mieux bénéficier des divers modes de financement privés
qui s’offrent aux médias :
-
-
-
-
Dans le cadre de mise à disposition de contenus sur des supports
électroniques, il conviendrait de poursuivre la mise en place
de tarifications d’accès allant de la gratuité à la vente par paliers
successifs afin de conserver une valeur marchande pour certains
contenus. Ce devrait être le cas notamment pour ceux qui ont
nécessité un important et coûteux travail d’investigation et qui
apportent une information originale et/ou exclusive.
La redevance accordée aux télévisions par les câblodistributeurs
devrait être revalorisée et les plates-formes de diffusion de
contenus via des mobiles, tablettes, …, devraient être associées
systématiquement au paiement des droits (voir ci-dessous).
Indépendamment de leur programme propre, les télévisions locales
devraient aussi diffuser un programme commun au même horaire
pour attirer les annonceurs soucieux de toucher des audiences plus
larges que celles offertes par les chaînes isolées .
En plus des traditionnelles recettes de vente et de publicité, il
devrait être fait appel à des recettes diverses supplémentaires :
participations capitalistiques des usagers ou de mécènes via des
formules d’investissements défiscalisées ou bénéficiant d’abris
fiscaux « tax shelter », développement d’activités hors média comme
le conseil ou le merchandising. On peut donner l’exemple de médias
proposant des « galeries marchandes » sur leur site ou délivrant des
formations spécifiques notamment dans le domaine de l’expertise
internet.
G. Enfin, les experts recommandent de chercher à améliorer les modes de
diffusion susceptibles d’accroître les recettes.
Pour la presse, il convient de rechercher la fidélisation des lecteurs par les
abonnements, de favoriser la vente au numéro en revivifiant le système
de commercialisation (voir plus loin). Pour l’audiovisuel, il convient
de permettre à tous les usagers de bénéficier d’une neutralité d’accès
88
Chapitre 1
aux divers modes de diffusion et de faciliter l’extension des zones de
réception.
Cette recherche consiste également à :
- Développer des partenariats en commun pour les entreprises
productrices de contenus pour la numérisation des contenus
(archives mais aussi autres contenus) et leur valorisation sur les
plates-formes numériques.
- Développer des partenariats presse écrite et audiovisuel, en échanges
de contenus et/ou de publicité, croisant les projets sur les télévisions
communautaires ou locales diffusant un programme commun aux
mêmes horaires.
- Développer des partenariats avec les entreprises de
télécommunication en recherche de contenus afin de développer
leur diversification sur des marchés connexes de nature à séduire et
fidéliser le consommateur.
3.4.2. Le recours accru aux aides publiques
Faute de disposer de ressources suffisantes, les experts recommandent que les
aides accordées par les pouvoirs publics soient modifiées et accrues. Ces aides
doivent être ciblées et destinées à faciliter tous les moyens susceptibles de
favoriser la modernisation des divers acteurs. Elles peuvent concerner l’aide à
la mise en place de technologies nouvelles, la création de sites d’information
(avec un statut d’éditeur à créer), la formation des journalistes, le maintien
et la modernisation des réseaux de vente de la presse, l’harmonisation de
la fiscalité (TVA). Toutes les formes de modernisation sont coûteuses mais
elles doivent reposer sur des projets précis dont on doit pouvoir suivre et
mesurer les résultats en évitant un saupoudrage. Elle peut aussi passer par
un rééquilibrage entre les divers supports des investissements publicitaires
réalisés par les pouvoirs et les entreprises publiques.
La crise particulièrement aiguë que traversent les médias impose de penser
de manière globale une politique de soutien à l’adaptation aux nouvelles
technologies et aux bouleversements des marchés. Le passage rapide et massif
à une économie du numérique nécessite une aide publique d’importance à
l’ensemble du secteur. Le contexte économique très difficile oblige tous les
opérateurs à investir lourdement dans les nouvelles technologies et à amortir
ces investissements en des cycles beaucoup plus courts qu’auparavant. Il
importe de concevoir une politique ambitieuse qui fasse de la Fédération
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
89
Wallonie-Bruxelles un creuset d’innovation en ce secteur —ce qu’elle a pu
être par le passé— et non des mesures simplement défensives.
Les experts recommandent une politique d’aides conditionnées, qui peut
revêtir des formes diverses et variables et participer également d’une forme
de financement alternatif.
A. Pour la télévision, l’étude sur « le financement alternatif de la RTBF » du
cabinet Deloitte rendue publique en juin 2011 montre que l’hypothèse
d’une réduction des revenus de la RTBF par une régulation de sa
publicité nécessiterait une augmentation de sa dotation, si les activités
de la RTBF devaient rester comparables (et bien évidemment si elles
devaient progresser).
Les débats sur la situation de la dotation de la RTBF au regard de la
moyenne européenne, lors des auditions, ont montré la nécessité d’une
clarification de cette dotation et de la mission impartie à la RTBF (son
champ d’action, ses obligations et ses droits), compte tenu du contexte
socio-économique en Fédération Wallonie-Bruxelles et notamment
de l’intervention de différents acteurs, tels que les télévisions locales
mais aussi les éditeurs de presse sur l’Internet. En outre, l’hypothèse
du développement de certains services payants par la RTBF (proposés
par elle lors de son audition) doit être examinée avec circonspection,
eu égard à la nécessité de l’équilibre du financement des missions de
service public, et à la nécessité d’insérer harmonieusement ces nouveaux
services par rapport au secteur privé dans un marché étroit.
B. Les télévisions locales, les plus fragiles, pourraient bénéficier d’une
aide renforcée pour faciliter leur mission d’information de proximité
mais celle-ci devrait être conditionnée à des critères de service public,
productions propres, de synergie et d’économie d’échelle, Cette aide
pourrait être l’élévation de la contribution, obligatoire ou volontaire
(mais sous la coupole de la Fédération Wallonie-Bruxelles), généralisée
des réseaux ou plates-formes, à toutes les télévisions locales, sans
discrimination aucune et donc y compris Télé Bruxelles.
C. Pour la presse écrite, les experts plaident pour une augmentation
significative de l’aide à la presse.
Dans le contexte économique bien connu de la Fédération Wallonie-
90
Chapitre 1
Bruxelles, il est évident que toutes les pistes doivent être explorées :
- augmentation simple de l’aide à la presse (la demande du secteur est
de porter l’aide de 7 à 10 millions) ;
- utilisation du levier de la communication institutionnelle (modèle
luxembourgeois) ;
- dotation spéciale de transition au numérique (modèle français), …
D. Dans tous les cas de figure, l’établissement de telles politiques doit être
conditionné à des critères de qualité de l’information. Un des critères de
qualité de l’information en contexte multimédia devrait également être
la participation citoyenne. Celle-ci peut facilement être instrumentalisée.
L’octroi d’aide devrait donc tenir compte de l’effectivité de cette
interaction, particulièrement en service public.
E. Le contexte économique oblige tous les opérateurs, entre obligation
d’investissements lourds et perte de rentabilité, à tenter de réduire les
coûts de production. La reconfiguration des métiers oblige pourtant
à adopter une politique volontariste de formation et d’investissement
dans le rédactionnel, en renforçant les structures qui valorisent la qualité
rédactionnelle :
-
-
orienter les soutiens publics vers le « Conseil de Déontologie
Journalistique » et le « Fonds pour le journalisme » (qui finance des
enquêtes journalistiques originales) ;
pérenniser le financement du « Fonds pour le journalisme » (soit par
une dotation annuelle ou une convention pluriannuelle, soit par le
biais des aides à la presse).
La réflexion doit s’étendre au fait de conditionner partiellement les aides
à la presse à des clauses sociales et qualitatives :
- réformer les aides à la presse quotidienne, en les augmentant mais
en rendant effectifs les mécanismes de contrôle de qualité prévus en
2004. Puisque la finalité des aides est de valoriser le rôle sociétal de
la presse, l’idée de lier davantage l’octroi des aides à l’emploi salarié
effectif des journalistes professionnels doit être retenue ;
- lier les nouvelles aides éventuelles à des critères qualitatifs effectifs
sur l’emploi journalistique, le statut des indépendants et la
déontologie ;
- organiser l’aide accordée à certains titres de presse périodique selon
les mêmes critères.
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
91
F. D’un point de vue industriel, la diffusion de presse est un des secteurs
qui souffrent le plus actuellement. La disparition des points de vente se
fait très lourdement sentir dans les résultats de la presse écrite.
Les experts recommandent de prendre en compte un certain nombre de
demandes exprimées par ce secteur :
-
-
-
Reconnaissance et valorisation des diffuseurs de presse en tant que
professionnels du secteur :
- mise en place d’une formation professionnelle des
diffuseurs de presse et d’une formation continuée des
professionnels actifs ;
- distinction des points de vente en fonction de la place
qu’ils accordent à la vente des journaux (évaluée selon
les mètres linéaires d’exposition presse).
Soutien direct à la diffusion de presse :
- soutien à la lecture de la presse quotidienne via un
abonnement gratuit qui serait offert l’année des 18 ans ;
- aide au portage à domicile, accompagnée d’une
souplesse de livraison et d’une suppression de frais de
port (comme pour la livraison de quotidiens) ;
- création d’une commission d’ouverture qui permettrait
une concertation entre éditeurs et diffuseurs pour
réguler l’offre et la demande du marché de la presse
écrite et permettre la viabilité des différents points de
vente ; pour les diffuseurs ;
- mise en place d’un système de facturation sur le vendu,
qui encouragerait le lancement de nouveaux titres,
puisqu’il n’impliquerait pas de risque financier.
Renforcement du réseau des diffuseurs indépendants par leur
reconnaissance par l’État fédéral en tant que vendeurs exclusifs des
produits qui sont sujets à des autorisations d’achat (tabac, loterie, …),
tout en garantissant le respect de la législation en vigueur ;
Ceux-ci pourraient en outre :
-
-
se voir confier les Points Poste pour renforcer leur
réseau de proximité avec les clients ;
soutenir le maintien des diffuseurs de presse en
appuyant leurs activités de librairie par la fixation du
92
Chapitre 1
-
prix unique du livre et la suppression de la tabelle ;
bénéficier de l’introduction d’une aide à la modernisation
et à l’informatisation des points de vente, une aide à
l’accès au paiement électronique et une sécurisation
des points de vente (via un système comparable à Télé
police mis en œuvre à Liège).
3.4.3. Nouveaux instruments et adaptation de la régulation
Les enjeux de ce secteur, en entreprises privées comme publiques, ne se
limitent naturellement pas à la seule sphère des professionnels. Les mutations
radicales et rapides observées lors des auditions, comme par le rapport qui les
a précédées, indiquent que les pouvoirs publics ne peuvent rester indifférents
aux nombreux enjeux démocratiques, sociaux et identitaires mis en lumière
par les divers intervenants. Il ne s’agit pas seulement de préserver le tissu
garantissant une pluralité d’expressions et de supports d’informations, mais
d’assurer l’existence médiatique de la Communauté.
En outre, comme de nombreux observateurs l’ont constaté, la convergence
des médias et la disparition de la segmentation du paysage médiatique, qui
permettait la coexistence des marchés régulés et non régulés, exige une
révision, voire un renforcement de la régulation du paysage médiatique.
Recommandations :
A. Les experts rejoignent l’avis unanime des acteurs entendus : la Fédération
Wallonie-Bruxelles (FWB) doit se doter d’un Observatoire indépendant
des médias reconnu par le Gouvernement et chargé de l’observation et
de l’analyse permanentes du secteur.
Pour éviter la multiplication des instances, cette structure pourrait
être intégrée à une des structures existantes, tel le CDJ (Conseil
de déontologie journalistique), qui serait à son tour modifié en un
organisme aux compétences élargies. La Fédération devrait dégager
les moyens nécessaires à l’élaboration d’un rapport annuel livrant des
données précises sous l’angle sociologique, juridique et économique.
La Fédération Wallonie-Bruxelles devrait également contraindre
l’ensemble des acteurs à communiquer clairement les données utiles à
cette analyse, à l’exception des aspects stratégiques. Une commission ad
hoc intégrée à l’Observatoire, constituée notamment de représentants
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
93
des secteurs professionnels de représentants des consommateurs,
d’experts universitaires ainsi que de fonctionnaires de la Fédération et
de représentants du Ministre en charge de cette matière, pourrait définir
quelles informations seraient annuellement transmises, ainsi que les
délais de cette communication. L’obligation de communication de ces
informations pourrait être liée à certaines conditions précises, dont
entre autres l’octroi d’aides publiques.
B. Les experts estiment qu’une structure de coordination des politiques
menées aux différents niveaux de pouvoir doit être instituée afin
d’assurer un traitement transversal maximal des problématiques.
La complexité institutionnelle de la Belgique trouve un écho particulier
en cette matière. Tous les niveaux de pouvoir (communal, régional,
Fédération Wallonie-Bruxelles, fédéral, européen) sont, en effet,
concernés. Cet état de fait nécessite la recherche d’une réelle coordination
des politiques. L’intérêt actif manifesté par tous les partis démocratiques
lors des travaux de ce premier atelier des EGMI montre que les enjeux
numériques peuvent justifier de transcender les intérêts particuliers. Les
experts recommandent aux responsables politiques de coordonner leurs
actions aux différents niveaux de pouvoir et de s’assurer de l’application
effective des mesures.
Un nombre important de chantiers doit, en effet, être suivi simultanément
à d’autres échelons. On peut ainsi citer :
-
-
-
au fédéral : les demandes des éditeurs en matière de TVA à 0%
pour le portage, d’allègement fiscal pour les entreprises au titre de
leurs journalistes salariés, d’exonération partielle du précompte
professionnel, le volet fiscal du droit d’auteur, l’accès aux platesformes, la neutralité technologique, la sauvegarde des contenus, le
respect de la vie privée ;
au régional : les développements numériques, l’environnement, la
distribution ;
à l’Europe : la digitalisation et la confiance dans l’économie
numérique, la TVA, le droit d’auteur, l’éducation aux médias.
La dispersion des compétences constitue une des faiblesses du marché
de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il importe donc d’user de tous
les leviers disponibles et d’examiner les instruments institutionnels
94
Chapitre 1
qui peuvent être utilisés, par exemple par l’institution d’une autorité
compétente pour le numérique coordonnant les différentes politiques et
dont l’action serait transversale. En son sein, seraient représentées les
autorités communautaires ou régionales.
C. La Fédération Wallonie-Bruxelles devrait définir une politique d’avenir
en redéfinissant l’information sur laquelle elle souhaite intervenir tant
en ce qui concerne le contenu que le périmètre de celle-ci.
Le public de la Fédération Wallonie-Bruxelles jouit d’un droit de
recevoir une information lui permettant d’évoluer pleinement au sein
d’une société démocratique. Les acteurs professionnels de l’information,
publics et privés, y contribuent tantôt sur des terrains similaires, tantôt
avec leurs spécificités. Le service public assume, en ce sens, une mission
définie, pour laquelle il reçoit une dotation.
Les contraintes du petit marché de la Fédération Wallonie-Bruxelles
font que les ressources publicitaires sont par nature limitées au regard
d’autres pays. Par ailleurs, la révolution numérique bouleverse ce marché
et redéfinit des concurrences opposant plus frontalement des médias qui
évoluaient jusqu’ici dans des segments relativement étanches.
La réorganisation du marché impose de ne pas s’en tenir à une conception
segmentée du marché en fonction des secteurs d’activité traditionnels.
Considérer que le périmètre d’activité des médias doit être défini à
l’avenir sur la base de leur secteur d’activité traditionnel serait un nonsens alors que l’essence même du multimédia consiste à ouvrir à tous
de nouveaux usages et de nouveaux marchés. Ce bouleversement doit
cependant être accompagné pour éviter à la fois une perte de qualité
de l’information et des distorsions de concurrence. Il importe de
concevoir une politique ayant pour objectif de préserver et d’optimiser
la production d’une information utile démocratiquement.
Ainsi, une attention particulière doit être portée en termes de régulation
sur :
-
La redéfinition de l’information de service public.
De ce point de vue, la mission du service public doit être renforcée
par une définition actualisée de ses missions. D’une part, il est
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
95
recommandé de soutenir les développements digitaux du service
public. D’autre part, ces développements obligent à clarifier leur
cadre, tant d’un point de vue de contenu d’intérêt public que de
concurrence.
Les experts recommandent de ne pas s’enfermer dans une politique
obligeant le service public à limiter son périmètre d’activité à ses
médias traditionnels que sont la radio et la télévision. Un service
public fort ne saurait à l’avenir se passer du multimédia. Bien
entendu, l’activité numérique apparaît comme un prolongement
naturel pour les opérateurs audiovisuels privés.
Par contre, le contexte de convergence des supports et des marchés
oblige à définir plus fermement ce qui différencie la conception, la
production et la diffusion d’une information de service public.
Les experts recommandent de saisir l’occasion de la définition
du futur contrat de gestion de la RTBF et d’un remaniement des
contrats des télévisions locales pour y parvenir. La RTBF a rappelé, à
l’occasion de son audition, sa conception de l’information de service
public. Elle constitue une base intéressante mais non-exclusive de
réflexions sur le sujet.
Les experts estiment également que l’impact du service public sur
le marché publicitaire justifie que l’on s’interroge en profondeur, à
cette occasion, sur l’encadrement des espaces commercialisables du
service public dans son ensemble, tant d’un point de vue qualitatif
(plages) que quantitatif (quotas) et sur les limites à lui donner.
-
La définition d’un périmètre d’activité du service public.
Si les développements digitaux ne sauraient être interdits au service
public, il importe que celui-ci, comme les aides qui lui sont accordées,
ne constituent pas une distorsion de concurrence pour les acteurs
privés.
Les médias peuvent offrir du digital « gratuit » s’ils disposent
de ressources suffisantes. Le vrai problème est la coexistence
et la concurrence d’informations similaires qui sont payantes
ou gratuites selon le support. Les experts recommandent que
96
Chapitre 1
l’octroi des moyens publics soit conditionné à une évaluation de
l’impact des développements numériques sur le secteur privé.
Ainsi, à l’instar de plusieurs pays européens, il serait approprié
d’interdire ou de limiter, dans l’intervalle et en application du
principe de précaution, la publicité sur les sites web et mobiles des
radiodiffuseurs publics.
L’évolution récente du paysage des télévisions locales réclame une
attention particulière des pouvoirs publics. Elles remplissent un
rôle original de couverture de l’actualité locale ou régionale. Leur
périmètre d’activité mérite également d’être pensé en fonction
de leur complémentarité à la RTBF, comme en fonction de leurs
défis propres. Le cas de Télé Bruxelles, qui revendique un statut
de télévision régionale, est exemplaire d’une grande diversité du
secteur. Ici aussi, les experts préconisent la mise en place d’une
politique globale allouant les financements adéquats à des missions
spécifiques évitant les doubles emplois en service public.
D. La Fédération Wallonie-Bruxelles doit mener une réflexion régulatoire,
avec d’autres niveaux institutionnels :
-
-
sur la problématique de l’émergence de nouveaux acteurs. Les
moteurs de recherche, particulièrement, captent désormais une
part importante de la publicité en ligne. Cet état de fait précarise
l’ensemble des acteurs producteurs d’information. Les pouvoirs
publics devraient soutenir et promouvoir la régulation de ces
activités, en renforçant les concepts de concurrence déloyale liée
aux contenus, lorsqu’elles nuisent à la production et/ou à la diversité
de l’information. Ils peuvent en outre contribuer à réguler en
soutenant le développement d’instruments préconisés par le secteur
tels des « médias d’information sur plate-forme ouverte » labellisés
(préconisée par le CSA), de kiosques numériques alternatifs... Il en
va de même dans le cas des distributeurs numériques sur le marché
des « devices » mobiles.
De même, les pouvoirs publics doivent porter une attention toute
particulière aux droits d’auteur ainsi qu’au piratage, qui entraînent
une perte de valeur des contenus produits. L’adoption de mesures
financières conservatoires et provisoires, à l’égard des acteurs
notamment internationaux globaux, devrait être facilitée à titre de
mesure avant-dire droit. De même, le niveau d’octroi de dommages-
Atelier 1 : « Acteurs, marchés et stratégies »
-
-
-
-
97
intérêts, en cas de réutilisation non autorisée de contenus digitalisés,
devrait être élevé.
En outre, la question de l’accès aux plates-formes numériques doit
être débattue à tous les niveaux de pouvoirs : communautaire,
régional, national et européen. Des instruments légaux spécifiques
à la problématique des contenus devraient être développés
garantissant l’accès pluraliste et équitable des fournisseurs de
contenus, en complémentarité avec les instruments généraux et
classiques du droit de la concurrence.
Il conviendrait d’inciter comme en Flandre, par des mesures
appropriées, les institutions publiques et les entreprises publiques
ou liées par un contrat de gestion à recourir de façon accrue à
l’achat d’espaces de communication dans la presse quotidienne et
périodique ;
L’harmonisation fiscale du statut de la presse écrite ou digitale en
matière de TVA à 0 % devrait être assurée, comme dans d’autres
Etats membres.
L’introduction d’allègements fiscaux en matière de tarifs postaux,
de précomptes des journalistes professionnels, d’engagements ou de
maintien de l’emploi devraient être étudiés en concertation avec le
fédéral et de telles mesures devraient être insérées dans la législation
afin d’apporter au secteur de la presse une aide tangible et efficace.
3.5. Conclusion
Les experts recommandent vivement au Parlement de la Fédération
Wallonie-Bruxelles de poursuivre le travail qu’il a entamé. Les auditions
ont permis de mieux cerner le contexte délicat et complexe des entreprises
d’information. Elles ont mis en lumière le caractère exceptionnel des défis
que rencontre ce secteur. La révolution numérique impose l’urgence d’une
action politique en certains domaines. Elle s’inscrit dans une conjoncture
marquée par une baisse de revenus des médias due à la crise économique
et aux bouleversements de l’offre et de la demande médiatiques et par la
permanence de problématiques plus anciennes qui réclament des pouvoirs
publics une attention particulière.
Chapitre 2
Atelier 2 :
« Statut et formation des journalistes »
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
101
1. Biographie des animateurs
M. Jean-Jacques Jespers est né en 1946. Docteur en droit et licencié en
journalisme, il a été journaliste à la RTBF pendant 33 ans. Depuis 1980, il
enseigne au département des Sciences de l’information et de la communication
de l’Université libre de Bruxelles. En plus de ses enquêtes et de ses reportages
radiophoniques et télévisés (dont la célèbre chronique historique Jours de
guerre, diffusée entre 1989 et 1995), Jean-Jacques Jespers participe à l’émission
culte « Le jeu des dictionnaires » et consacre ses loisirs, depuis une quinzaine
d’années, à récolter les données qui ont permis l’écriture de l’ouvrage « Le
nouveau dictionnaire des noms de lieux en Wallonie et à Bruxelles ».
M. Marc Sinnaeve a été journaliste de 1987 à 1995, professeur à l’IHECS depuis
1991. Coordonnateur de l’organisation des cours au sein du département
« Journalisme » de 1995 à 1998, il est Président du département journalisme
et responsable à ce titre du développement et de l’organisation de l’ensemble
du programme de formation au journalisme depuis 1998.
Mme Laurence Mundschau est professeur à mi-temps dans la Haute École
de communication et écriture multimédia, l’ISFSC (Groupe ICHEC-ISFSC),
responsable administrative d’un institut de recherche de l’UCL, l’Institut
Langage et Communication, chargée d’un cours à l’UCL-Mons (« Information
et communication : approches sociologiques » en 2e bac en communication),
ex-journaliste professionnelle pigiste (1992-2009) au Rappel, La Cité, Le
Ligueur, La libre Belgique, Flair et Femmes d’Aujourd’hui.
102
Chapitre 2
2. Rapport synthétique des auditions
(par Mme Anne Roekens)
2.1. Le statut et les conditions de travail des journalistes
2.1.1. Le point de vue des journalistes
A. Un statut légal qui s’adapte aux mutations du journalisme
« d’information générale »
En Belgique, deux titres officiels coexistent : le journaliste professionnel
travaille pour les médias d’information générale alors que le journaliste
de profession travaille pour les médias spécialisés. Une des spécificités du
système belge réside dans cette distinction qui est finalement peu pertinente
et délicate à établir.
Le titre de journaliste professionnel est organisé par la loi du 30 décembre
1963 (M.B. 14/01/1964) qui tient en trois articles et qui n’a jamais été
modifiée. Cette loi organise la flexibilité de son application puisqu’elle confie
l’agréation au secteur lui-même. Le titre peut être octroyé à condition que
la profession soit exercée à titre principal depuis deux ans au moins, qu’elle
soit rémunérée et qu’elle porte sur l’information générale. La loi ajoute que
le journaliste professionnel ne peut exercer aucune espèce de commerce,
et notamment aucune activité ayant pour objet la publicité (à moins d’être
directeur).
La loi définit les médias d’information générale comme ceux qui « d’une
part, rapportent les nouvelles concernant l’ensemble des questions d’actualité
et qui, d’autre part, s’adressent à l’ensemble des lecteurs, des auditeurs ou
des spectateurs »45. En 1996, les commissions d’agréation, les associations
d’éditeurs, l’AGJPB et la presse périodique ont approuvé à l’unanimité
l’amendement qui redéfinissait l’ « information générale » comme « toutes
les questions d’actualité, quelle que soit la spécialité ».
Geneviève Thiry (CSA) soulève la contradiction entre la loi de 1963 (qui distingue l’information générale et l’information spécialisée) et le décret sur les services de médias audiovisuels (qui
exige que les programmes d’information, quels qu’ils soient, soient gérés par des journalistes
professionnels agréés).
45
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
103
Un arrêté royal organise la procédure, le fonctionnement des commissions
d’agréation et des commissions d’appel46. La commission d’agréation est
composée de façon paritaire de journalistes et d’éditeurs (qui sont bénévoles
et nommés par arrêté royal sur proposition du secteur). Suite aux avis de
la commission d’agréation, le SPF Intérieur délivre les cartes de presse
officielles (les documents de presse sont renouvelés tous les cinq ans, ce qui ne
correspond pas au rythme des nominations des membres des commissions).
L’AGJPB (Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique)
transmet les dossiers à la commission d’agréation. En ce qui concerne les
documents francophones, l’AJP introduit la demande de documents au SPF
Intérieur et envoie la carte aux journalistes. La carte de presse témoigne
de la reconnaissance du titre de journaliste professionnel par la profession
elle-même ; elle ne correspond pas à l’entrée dans la profession (puisque les
journalistes effectuent un stage professionnel de deux ans) et ne doit pas être
confondue non plus avec une simple carte de réduction et d’accréditation.
L’agréation des journalistes de profession (qui peuvent s’affilier à l’AJPPAssociation des journalistes de la presse périodique) passe par une instance
qui ne joue qu’un rôle consultatif. Conformément ou non à l’avis de cette
commission, le SPF Intérieur délivre les documents de presse. Il peut donc
passer outre les décisions de la commission d’agréation de la presse spécialisée
et le fait régulièrement.
Concrètement, la commission d’agréation des journalistes professionnels
est chargée de la reconnaissance et de la protection du titre, puisque la loi
de 1963 exige que les journalistes s’abstiennent de dépendre d’un pouvoir
quelconque (comme des activités promotionnelles ou même des activités
de communication)47. L’exigence de cette incompatibilité peut s’avérer
délicate : des journalistes dans une situation précaire (comme les jeunes
et les photographes de presse, qui par nécessité, travaillent pour des
catalogues ou des rapports annuels d’entreprise48) sont acculés à exercer
Il y a deux commissions d’agréation de première instance (une francophone et une néerlandophone), deux commissions d’appel (une francophone et une néerlandophone), présidées par des
magistrats, ainsi qu’une commission consultative pour les étrangers créée au début des années 1990
(qui fait office de premier filtre et qui transmet à la commission d’agréation de première instance).
47
Marc Chamut (Commission d’appel) signale que le Conseil de déontologie a récemment pris
position en faveur de l’octroi des autorisations aux journalistes afin qu’ils puissent faire de la
publicité pour leur média (en précisant qu’on ne peut pas pour autant imposer de telles activités
aux journalistes).
48
Simon-Pierre De Coster (RTBF) fait remarquer que le même problème se posera de plus en plus
pour les cameramen qui exercent des activités complémentaires en entreprise.
46
104
Chapitre 2
d’autres activités professionnelles pour arrondir leurs fins de mois49. Soit
ces personnes travestissent la réalité face à la commission d’agréation, soit
elles ne demandent pas leurs documents de presse50. Il est extrêmement
difficile de savoir combien de personnes qui exercent le métier de journaliste
n’introduisent pas de demande de reconnaissance professionnelle (il s’agit
parfois même de rédacteurs en chef). En général, elles finissent par introduire
une demande de reconnaissance lorsqu’elles se rendent compte du manque
à gagner que cela représente pour leur pension (cela ne concerne que les
journalistes salariés, et non les indépendants).
Le grand atout de la loi de 1963 réside dans sa souplesse qui a permis
d’octroyer le titre de journaliste professionnel au personnel des nouveaux
médias. Depuis 1963, les commissions d’agréation ne se sont pas limitées à
l’application stricte de la loi mais l’ont adaptée à l’évolution des supports de
diffusion et de la profession (toutes-boîtes, radios locales, Internet, etc.). La
loi comprend une version large du terme « rédaction », tout en en excluant les
activités commerciales, techniques et administratives. La commission juge
au cas par cas et reconnaît la singularité de chaque situation.
Par ailleurs, l’octroi et la reconnaissance du titre professionnel amènent de
facto une adhésion du journaliste à la déontologie. En signant la déclaration
qu’envoie l’AJP à tout journaliste nouvellement agréé, celui-ci accepte
les codes déontologiques en vigueur dans la profession51 et reconnaît les
instances compétentes (dont l’AJP et le CDJ52). Cette démarche vaut pour
les membres comme pour les non-membres de l’AJP. Environ 90% des
journalistes professionnels sont membres de l’AJP.
Jean-François Dumont fait remarquer qu’un flou s’est immiscé dans l’incompatibilité affirmée
par la loi de 1963, puisque la Commission d’agréation a prévu une exception quand il s’agit d’activités de communication exercées dans le secteur non-marchand ou humanitaire.
50
La pression est d’autant plus forte, selon Mateusz Kukulka, que de plus en plus d’employeurs
cherchent des journalistes qui ont justement une autre activité dans la sphère culturelle.
51
Le code des principes de journalisme pour les médias belges a été adopté en 1982 par l’AGJPB,
l’ABEJ (Association belge des Éditeurs de Journaux) et Febelmag. Celui-ci est joint à la convention collective actuellement négociée entre les JFB et l’AJP et constitue en ce sens une référence
dans le secteur.
52
Le CDJ (Conseil de Déontologie Journalistique créé en décembre 2009) est chargé de codifier,
c’est-à-dire de compléter, d’affiner et d’actualiser les principes de déontologie pour les médias de
la FWB et de la Communauté germanophone.
49
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
105
B. Diversité des situations professionnelles
À l’heure actuelle, 5.780 journalistes professionnels sont agréés en Belgique :
3.033 dans le rôle francophone (dont 800 étrangers) et 2.747 dans le rôle
néerlandophone. Depuis 1995, le nombre de journalistes professionnels
augmente constamment (dans la FWB, il a augmenté de 830 unités en
15 ans). La répartition des journalistes professionnels par secteur est la suivante
(selon les chiffres de l’AJP, issus de la base de données des agréations au titre) :
dans l’ordre décroissant, les plus gros employeurs de journalistes salariés sont
la presse quotidienne (541), la RTBF (460), les douze télévisions locales (204),
RTL (172), la presse magazine (140) et les agences de presse (88).
-
-
-
Selon Philippe Samek (CSC-CNE), il y a de moins en moins de
journalistes sous contrat à durée indéterminée et de plus en plus
d’intérimaires.
Du côté des journalistes indépendants, il existe deux catégories de
pigistes : les non-professionnels qui, en plus d’une autre activité,
collaborent en tant que correspondants locaux ou régionaux,
chroniqueurs spécialisés (ou sportifs) et les pigistes professionnels
(auxquels on peut assimiler les stagiaires en exercice pendant les deux
années d’attente53). En théorie, les pigistes professionnels travaillent
pour plusieurs médias. Dans la FWB, on dénombre 512 journalistes
indépendants inscrits au rôle francophone, 44 étrangers et 130 affiliés
à l’AJPP. Dans les médias d’information générale, la proportion des
pigistes professionnels est passée en dix ans de moins de 20% à 23%
(en 2011)54. Cette proportion est plus importante parmi les stagiaires
(environ 40%), vu que le statut d’indépendant est devenu un passage
quasi obligé vers le statut salarié55.
La catégorie des « faux indépendants » ne correspond pas à un
statut mais à une réalité de terrain : des journalistes travaillent
pour une seule rédaction et ont le sentiment de remplir les mêmes
fonctions qu’un salarié. Dans l’enquête menée par Céline Fion
L’AJP admet entre 50 et 90 stagiaires par an, c’est-à-dire des journalistes qui ont trouvé un emploi depuis au moins trois mois, en tant qu’indépendants ou salariés et qui travaillent dans des
conditions permettant ultérieurement leur agréation.
54
Les journalistes indépendants sont plus nombreux en réalité puisque nombre d’entre eux ne
sont pas agréés et exercent des activités incompatibles avec la reconnaissance professionnelle.
55
En Europe de l’Est, les journalistes indépendants représentent parfois plus de 50% de l’effectif
journalistique. D’après Mateusz Kukulka, les jeunes sont indépendants trop tôt et souvent livrés
à eux-mêmes. Ils sont alors tiraillés entre deux situations : travailler énormément ou faire face à
d’importants problèmes financiers.
53
106
Chapitre 2
-
(en 2008-2009), un journaliste indépendant sur trois s’est déclaré
attaché exclusivement à un média, un journaliste sur deux n’a pas
voulu répondre à la question. La proportion de faux indépendants
est donc au minimum d’un tiers et est sans doute beaucoup plus
élevée.
Dans un contexte de concurrence accrue, sont apparus, depuis quelques
années, des « faux salariés » (qui ont des contrats à la prestation, pour
une journée ou une semaine, entrecoupés de périodes de chômage) et
ce, essentiellement dans le secteur audiovisuel. De nombreux « faux
salariés » et stagiaires passent par des sociétés de service, comme la
SMart et Merveille qui assimilent les collaborations indépendantes à
un contrat de travail, qui retiennent le précompte professionnel et des
cotisations sociales et qui paient un montant net au travailleur56. De
telles sociétés de services permettent aux journalistes de rester dans le
régime de sécurité sociale des travailleurs salariés et de combiner des
contrats de travail temporaires et des indemnités de chômage (avant,
le plus souvent, d’évoluer vers un statut de journaliste indépendant
complet).
Pour compléter la « radioscopie » de la profession journalistique en FWB, il
reste à ajouter que
-
-
-
le métier de journaliste est peu féminisé (puisqu’il ne compte que
30% de femmes contre 70% d’hommes)57 : la forte majorité de
diplômées (70%) est déjà moins significative au moment de l’entrée
en fonction (57% de femmes)58.
l’on perd un tiers de l’effectif journalistique entre 51 et 55 ans et un
autre tiers entre 56 et 60 ans. L’évolution du salaire chute après l’âge
de 60 ans ou après 30 ans d’ancienneté.
la profession de journaliste est faiblement syndicalisée, sans doute
parce que le syndicat n’offre pas de véritable expertise sur les formes
de salaire des journalistes. Les syndicats ne comptent que très peu de
représentants des journalistes en situation précaire (en particulier,
Le passage par ce type d’intermédiaire implique une différence importante entre le salaire brut
et le salaire net, vu le prélèvement des cotisations sociales mais aussi des commissions qui vont
de 5 à 9%.
57
Selon Martine Simonis (chiffres FIJ), les femmes représentent 80% des journalistes russes et 42%
des journalistes français. Denis Ruellan observe, pour le cas français, une féminisation croissante
de la profession de journaliste : les femmes approcheraient désormais la barre des 50%.
58
Une étude menée en Flandre montre que les femmes quittent massivement la profession à
35 ans.
56
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
107
les indépendants) et en situation nouvelle (comme les journalistes
multimédias).
C. Des conditions de travail précaires, en particulier pour les
indépendants
Du point de vue salarial, les barèmes officiels (qui peuvent, dans la réalité,
être augmentés ou complétés par divers avantages extra-légaux59) sont
marqués par une forte disparité. Globalement, à l’exception du personnel
de la RTBF, les journalistes gagnent moins que les enseignants agrégés de
l’enseignement supérieur. Les indépendants payent des cotisations sociales
importantes durant les trois premières années d’activité (les montants seront
par la suite réajustés aux revenus réels). Parmi eux, ceux qui ne sont payés
qu’en droits d’auteur (considérés comme des revenus mobiliers, soumis à
une fiscalité distincte) ne sont pas couverts socialement, sauf s’ils payent
spontanément et volontairement une couverture sociale minimale. En outre,
ces rémunérations en droits d’auteur amènent le risque de requalification par
le fisc de ces droits en revenus professionnels, ce qui entraîne une imposition
plus importante et une amende en cas de fraude.
Selon l’étude récente de Céline Fion, 80% des journalistes estiment que
le métier a évolué plutôt négativement60 ; 40% ont envisagé de quitter
la profession avant la fin de leur carrière (à cause des horaires et de la
chronophagie du métier, du salaire, des moyens mis à disposition…) ; 47%
sont insatisfaits de leurs conditions de travail ; selon les 754 répondants
(soit 36% des journalistes professionnels francophones), l’insuffisance de
moyens techniques et humains ainsi que l’insuffisance de temps (et dans une
moindre mesure, le conformisme des rédactions et la pression économique)
sont les facteurs qui portent le plus atteinte à la qualité du travail fourni.
10% des journalistes sont en burn out clinique. D’après l’AJP, les journalistes
effectuent 23% d’heures de plus que ce que prévoit leur contrat de travail.
Plus de huit journalistes sur dix estiment que leur salaire n’est pas équitable
par rapport à leur charge de travail.
Daniel Van Wylick (Rossel) signale que certains médias accordent une assurance groupe, une
assurance hospitalisation, des titres-repas, un double pécule, un budget de fonctionnement ou
encore une voiture de société.
60
Des nuances sont évidemment à apporter : le taux de satisfaction est plus élevé dans le secteur
audiovisuel que dans la presse écrite, chez les salariés que chez les indépendants. Une synthèse
des résultats est disponible sur http://www.ajp.be/telechargements/dossiermoraljournalistes.
pdf.
59
108
Chapitre 2
Malgré tous ces griefs, selon l’étude de Céline Fion, 82% des journalistes se
déclarent heureux d’exercer ce métier. Globalement, les journalistes souffrent
plus de devoir rendre un travail de moindre qualité que du manque de revenu
proprement dit. Tel qu’il a été étudié notamment par Alain Accardo61, ce
paradoxe touche de nombreux intellectuels qui sont prêts à supporter des
sacrifices importants pour exercer un métier qu’ils jugent intéressant ou
socialement valorisant62 : le sociologue français utilise le terme d’ « autoexploitation » dans le sens où « les producteurs de biens symboliques,
beaucoup plus que les travailleurs manuels, acceptent des horaires difficiles,
se soumettent à des tâches qu’on ne leur avait pas demandées parce qu’ils
vivent leur métier comme un accomplissement personnel, comme une
activité quasi ludique »63.
Au travers de deux enquêtes menées en 2005-2006 et 2011, l’AJP a mis
en lumière la situation particulièrement préoccupante des journalistes
indépendants. Ces enquêtes ont concrètement révélé :
-
les tarifs (pratiqués) dérisoires et très variables, dans la mesure où
les pigistes peuvent être payés au signe (ce qui est générateur de
dérives d’autant qu’on paye souvent en fonction de signes non pas
rédigés mais publiés), à la page, à l’article, à la prestation horaire
ou journalière, au forfait ou à la tâche (telle qu’une mise en page)64.
Les barèmes sont marqués par une très grande diversité selon les
médias : une brève peut par exemple être payée entre 1 et 20 €.
Cette disparité apparaît également au sein d’un même média :
selon les décisions du chef d’édition, le sport n’est pas payé comme
l’information générale, l’économie ou la culture…La seule grille
tarifaire (ayant fait l’objet d’une convention entre les éditeurs de
presse quotidienne et l’AGJPB) prévoit des barèmes minimums très
bas (1,7 centimes pour un signe et 26,44€ pour un tirage photo N/B)
mais ceux-ci ne sont même pas toujours respectés par les éditeurs.
L’AGJPB recommande pour la presse écrite des tarifs légèrement
supérieurs : de 1,8 à 4,2 centimes le signe selon le type d’article ou
Voir Accardo, A. (s.dir.), Journalistes précaires, Bordeaux, 1998.
En France, les journalistes sont 92% à se dire heureux d’un point de vue professionnel.
63
Cité par Céline Fion.
64
Daniel Van Wylick souligne l’ineptie que constitue la tarification au signe et l’intérêt d’un système qui valorise les éventuels déplacements : selon ce système, une photo ne nécessitant aucun
déplacement mérite d’être payée 35€ ; un reportage simple ou une photo, 50€ et un reportage exigeant un déplacement et donc du temps, 100€. Idéalement, il faudrait moins valoriser la longueur
d’un article que l’intensité du travail mobilisé.
61
62
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
-
-
109
le tirage. La Sofam recommande l’application de tarifs qui varient
selon le type de publication65. Malgré les barèmes agréés, nombre
de journalistes reçoivent moins de 0,017€ par signe. La grille
tarifaire établie par un média est un outil intéressant à condition
qu’elle fixe des tarifs décents, qu’elle fixe des critères clairs et peu
nombreux (afin de limiter l’arbitraire) et qu’elle soit indexée66. Les
photographes de presse sont particulièrement touchés par les tarifs
dérisoires (d’autant que l’évolution des technologies entraîne des
frais extrêmement lourds), les demandes vis-à-vis des rédacteurs de
prendre eux-mêmes des photographies, la concurrence tarifaire des
banques d’images et des sources d’images gratuites et la pression
des agences photos (qui imposent leurs conditions et exigent parfois
la cession gratuite des droits d’auteur)67.
les revenus indécents et invivables ; selon les chiffres récoltés en
2011, près de 75% des pigistes sont payés en honoraires, 20% sont
rémunérés selon une formule mixte et près de 6% ne perçoivent que
des droits d’auteur. Sur les 152 répondants, plus de la moitié des
pigistes signalent qu’ils ne dépassent pas 2300 € bruts par mois.
le travail durant les week-end et les jours fériés qui est payé au
même tarif que les jours ouvrables, ainsi que les fréquents retards de
paiement.
La situation des indépendants est d’autant plus alarmante qu’il n’y a pas
toujours de trace écrite des accords entre médias et pigistes. Les conventions
de collaboration, plus sûres et transparentes, se multiplient mais présentent
plusieurs manquements en termes de protection des conditions de travail des
indépendants : certaines conventions prévoient une intégration des frais (de
transport) dans les honoraires, des clauses d’exclusivité non valorisée (il est
interdit au pigiste de travailler pour un autre média sans que sa rémunération
ne soit ajustée à cette exigence) et une cession gratuite des droits d’auteur qui
sera imposée pour toute republication, publication, exploitation d’archives…
Selon Mateusz Kukulka, les droits d’auteur sont ainsi pris en otage par
Voir http://www.sofam.be/main-fr.php?ID=111&titel=Tarifs+Belgique, consulté le 18 décembre 2011.
66
Les tarifs sont bloqués depuis 5, 10, 15 parfois même 20 ans. Non seulement les barèmes n’ont
pas du tout augmenté, mais ont même régressé dans certains cas : La Libre, Le Soir et Vers l’Avenir
ont longtemps gardé les mêmes tarifs avant de les faire régresser : le signe était tarifé en 1993 à
0.05 € ; en 2006, à 0.025€.
67
Voir, à ce sujet, les contributions écrites de la Presse Photographique et Filmée (accessibles sur
le site egmedia.pcf) qui soulignent notamment la modicité des tarifs pratiqués sur Internet qui
oscillent entre 0 et 0,75 centime par unité.
65
110
Chapitre 2
certaines directions. Nombre de conventions ne prévoient, en outre, aucune
mesure particulière en cas de cessation d’activité (imposée par l’éditeur),
alors que des pigistes sont restés fidèles à leur média pendant des années, voire
des décennies. Enfin, il convient de signaler les difficultés psychologiques
rencontrées par les journalistes indépendants qui, souvent, travaillent seuls
et ne sont pas intégrés à la vie de la rédaction. D’après Mateusz Kukulka,
les conditions de travail des journalistes indépendants sont exécrables et
amènent les travailleurs à effectuer des tâches pour lesquelles ils ne sont
pas formés. De nombreux journalistes sont découragés, épuisés et acculés à
travailler parfois de 7h à 23h.
Le journalisme indépendant peut être considéré comme une méthode
de recrutement mais une fois qu’il devient structurel, il engendre une
concurrence et une pression sur les salariés. En FWB, la concurrence qui
se joue entre indépendants et entre indépendants et salariés est aujourd’hui
extrême et est accentuée par la pléthore de diplômés. La surabondance de
main-d’œuvre entraîne un chômage important, une baisse des tarifs (jusqu’au
travail gratuit) et une grande précarité des jeunes. Selon Mateusz Kukulka,
les rédactions jouent la concurrence entre journalistes expérimentés et
débutants (bien moins payés), ce qui entraîne une évidente perte de qualité
(surtout dans la presse locale). D’où la nécessité de démystifier la profession
à l’attention des étudiants (comme le fait déjà l’AJP au travers de diverses
initiatives).
D. Nouveaux médias, nouveaux défis
L’essor des médias numériques entraîne une production d’information en
flux continu, donne lieu à une multiplication des contenus et des supports
et impose aux producteurs d’information de gérer désormais l’interactivité
permanente avec leur public. Le travail confié à une seule personne a
augmenté vu la multiplication des supports, mais surtout vu l’estompement
des limites temporelles et l’intégration au métier de journaliste d’une série
de tâches techniques (qui le rend indispensable de la création d’un sujet aux
portes de l’imprimerie). Selon Philippe Mac Kay, les nouvelles techniques de
travail imposent un stress permanent et une concurrence continuelle entre
médias : il est devenu pratiquement impossible de sauvegarder un scoop. La
rapidité prend de plus en plus souvent le pas sur la fiabilité. Selon Mateusz
Kukulka, l’immédiateté n’est pas l’apanage d’Internet : les journalistes ont
toujours voulu travailler vite. Au-delà des évolutions et de l’apparition d’une
diversité d’écritures (via le texte, les sons et les images), le journalisme doit
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
111
rester l’activité qui consiste à collecter, rassembler, vérifier et commenter des
faits pour les porter à l’attention du public à travers les médias. Il importe
de ne pas faire primer les compétences techniques sur les compétences
journalistiques.
D’après l’étude de Céline Fion, 54% des sondés pensent que la qualité du
travail fourni est menacée par l’aspect multimédia qui implique que les
journalistes doivent à la fois écrire, faire des photos, de la vidéo et prendre
du son. L’accumulation de tâches assumées par une seule personne cause
non seulement le stress des individus concernés, mais aussi une perte de
travail pour les techniciens. Ce n’est pas la diversité des tâches qui inquiète
les journalistes mais la surcharge de travail et donc la diminution du temps
consacré à la réalisation d’un article. Pour Mateusz Kukulka, la polyvalence
devrait non pas être imposée mais valorisée (financièrement). Par ailleurs,
38% des journalistes ont classé l’Internet comme une des deux principales
sources d’information. En cela, l’immédiateté de l’accès à l’information est
un outil intéressant pour les journalistes, même s’il s’agit de manier celui-ci
avec prudence.
D’après plusieurs intervenants, le secteur médiatique n’a pas encore
complètement digéré la transition numérique. Dans ce nouveau système,
l’information acquiert de la valeur via la gestion d’une audience et
l’animation de communautés virtuelles. Aux yeux de Mateusz Kukulka, un
article vaut aujourd’hui autant par son contenu propre que par les contenus
qu’il suscite, à condition que ces derniers soient correctement gérés. Cela est
d’autant plus vrai si les commentaires constituent une porte d’entrée pour
des contributions de qualité signées par des experts ou des étudiants qui ne
sont pas encore connus sur la scène publique. Or, les forums et la gestion
des commentaires sur les sites des médias d’information continuent à poser
d’importants problèmes.
Le contexte de concurrence, la profusion de potentialités techniques
(qui amène à une confusion entre les fins et les moyens) et l’emprise de
l’économique sur le rédactionnel constituent des facteurs de menace pour
la déontologie journalistique68. Pourtant, le respect de ces normes constitue,
selon le CDJ, une des solutions face à la concurrence de plus en plus rude
entre les différents médias. Damien Van Achter fait d’ailleurs remarquer
Entre les normes juridiques (imposées par la société) et l’éthique personnelle, les normes déontologiques émanent de la profession elle-même.
68
112
Chapitre 2
que les blogueurs non-journalistes qui ont gagné une audience et qui font
acte de journalisme ont implicitement adopté les règles de déontologie
journalistique. Sur le terrain, certains journalistes, en situation précaire,
sont dans l’impossibilité de refuser un papier qui leur serait imposé par la
rédaction ou sont obligés de réaliser des tâches pour lesquelles ils ne sont
pas adéquatement formés. D’autres font preuve d’une certaine inconscience,
c’est-à-dire d’un manque de connaissance de ce qui est à faire ou non. Un
manquement à la déontologie n’est pas nécessairement un acte volontaire,
mais une conséquence des conditions financières, sociales, statutaires du
travail de journaliste qui ne permettent pas toujours le déploiement d’une
activité intellectuelle. C’est pourquoi, parallèlement à l’évolution incessante
du métier, les garants de la déontologie doivent veiller au maintien de bonnes
conditions d’exercice du journalisme.
E. Propositions et recommandations des journalistes et de leur
association
De l’avis de nombreuses personnes auditionnées, les conditions précaires de
production de l’information menacent la qualité des contenus, alors que la
précarité amène des journalistes à chercher des revenus complémentaires,
ce qui soulève des questions de déontologie et de statut légal de journaliste
professionnel.
L’AJP formule, dans ce sens, neuf pistes d’action politique pour renforcer la
qualité des contenus journalistiques, via des clauses sociales et des mesures
de démocratie rédactionnelle qui seraient à ajouter aux décrets de la FWB.
L’Association des Journalistes Professionnels propose concrètement de :
1°) réduire la pression et la charge de travail. Une première disposition
consisterait à augmenter les effectifs journalistiques. Il conviendrait,
pour ce faire, de lier davantage les aides publiques aux médias à
l’effectif salarié des rédactions et d’aider les éditeurs qui engagent les
journalistes à durée indéterminée. Concrètement, l’AJP propose de
faire passer le critère de l’emploi (pour les aides à la presse) de 40%
à 60%, et d’appliquer cette disposition aux autres médias69, ainsi que
69
Les aides à la presse sont réparties selon deux critères : les revenus publicitaires (dont dépendent
40% de l’aide), le nombre de journalistes professionnels salariés, à condition que ceux-ci soient
titulaires de la carte ou dans les conditions pour l’obtenir (dont dépendent également 40% de
l’aide) et d’autres critères (dont dépendent les 20% restants).
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
113
de faire figurer le respect des barèmes parmi les critères d’octroi des
aides à la presse70.
2°) améliorer les revenus. Une première solution serait de limiter
la durée des stages étudiants qui finissent par fournir du travail
gratuit aux éditeurs. Quand ils sont trop longs, les stages posent
des problèmes de concurrence et d’encadrement. Plus largement, du
travail à l’essai au travail non rémunéré, le bénévolat se généralise
dans les rédactions71. L’AJP souhaiterait que les médias s’engagent
formellement à privilégier le recours aux professionnels pour
enrayer le phénomène de main-d’œuvre gratuite. Par ailleurs, il faut
respecter les barèmes existants et renégocier ceux qui sont les plus bas
(c’est-à-dire ceux qui sont fixés par les commissions paritaires 227 et
329), améliorer la situation des faux-indépendants, revoir à la hausse
les tarifs des piges et des photographies de presse, notamment pour
les republications. Pour les secteurs autres que la presse quotidienne
(c’est-à-dire la presse périodique, l’audiovisuel, les sites web), il
faudrait convenir de barèmes minimums conventionnels pour les
indépendants afin d’offrir une protection minimale aux pigistes
professionnels72.
3°) valoriser / monétiser les droits d’auteur. Il faut reconnaître le statut
d’auteur à tous les journalistes, quel que soit leur statut ou le secteur
dans lequel ils exercent leur métier. Il conviendrait, en particulier,
de supprimer la présomption de cession des droits dans le secteur
audiovisuel où les journalistes sont, la plupart du temps, privés de
leurs droits d’auteur. La rémunération des droits d’auteur peut se faire
en complément du salaire ou des piges73. L’imposition de la cession
70
Les critères d’octroi des aides à la presse doivent être précisés et le contrôle de leur respect doit
être confié à une instance indépendante des bénéficiaires des aides (actuellement, les éditeurs siègent dans l’instance qui contrôle le respect des critères d’octroi). Une autre manière de diminuer
la charge de travail consiste à rémunérer les heures supplémentaires.
71
Dans ce sens, l’AJP veille à informer les jeunes ou futurs journalistes à ce sujet et à leur conseiller
de ne plus travailler bénévolement (ainsi que de veiller au respect de leurs droits d’auteur et de
s’affilier à une société de gestion des droits). Il conviendrait également d’harmoniser les tarifs
au sein d’un groupe de presse. L’AJP est, par ailleurs, d’avis qu’il faudrait généraliser le contrat
d’étudiant (qui est d’ailleurs assoupli depuis le 1er janvier 2012).
72
Pour Marjorie Dedryvere (The Ppress), l’harmonisation des tarifs et des barèmes n’est pas
souhaitable, ni même autorisée, dans un système de libre concurrence.
73
Par exemple, le protocole signé par l’AJP et les éditeurs de presse quotidienne prévoit de payer
les journalistes salariés à la fois en salaire et en droit d’auteur, ce qui permet d’augmenter les revenus nets de ces travailleurs et de diminuer les charges des employeurs. Et ce, grâce à la nouvelle
114
Chapitre 2
gratuite (qui prive les auteurs de leurs droits secondaires, en cas de
republication, exploitation d’archives…) est inacceptable ; les aides
à la presse devraient également retenir le critère de la rémunération
des droits d’auteur. Martine Simonis et Philippe Samek ajoutent que
certains médias invoquent les droits d’auteur pour faire baisser les
honoraires (puisqu’ils seront moins imposés).
4°) organiser la formation permanente. Il faudrait notamment soutenir
la reconversion professionnelle des photographes qui pourraient
redéployer leurs activités dans les nouveaux métiers multimédias.
5°) renforcer l’autonomie des rédactions, en distinguant clairement le
chef de rédaction et le chef d’entreprise et en donnant davantage
de pouvoir décisionnel aux sociétés de rédacteurs. Concrètement,
il s’agit d’organiser plus formellement les rédactions et d’élargir les
compétences de ces dernières aux nouveaux médias et aux nouveaux
métiers. Dans le même sens, Philippe Samek suggère de faire élire les
rédacteurs en chef par les sociétés de rédaction. Alors que l’enquête
française de Technologia recommande de doter les rédactions d’une
véritable autonomie juridique et qu’en Flandre le redactiestatuut
concrétise cette recommandation, les compétences des sociétés de
rédacteurs restent, en FWB, peu organisées et peu formalisées74.
6°) s’attaquer au phénomène de burn out qui atteint principalement les
personnes perfectionnistes et sensibles au stress (les journalistes
correspondent à la catégorie professionnelle la plus touchée, après
les métiers de la santé). Dans la mesure où le problème de la précarité
législation fiscale de 2008 sur les droits d’auteur qui sont désormais moins taxés que les revenus
professionnels. Le système de taxation des droits d’auteur est forfaitaire : jusqu’à un certain plafond, les revenus tirés des droits d’auteur sont considérés comme des revenus mobiliers. Au-delà,
ils deviennent des revenus professionnels. Jusqu’à 10.000 euros, la moitié des revenus tirés du
droit d’auteur est soumis à 15% d’impôt. Les droits d’auteur sont donc le plus souvent taxés à
7,5%. À terme, l’objectif de l’AJP serait de réguler les questions du salariat et du droit d’auteur
pour les journalistes des différents médias. Concernant les indépendants, l’AJP préconise une
proportion, dans la facturation, de 70% en honoraires et de 30% en droits d’auteur. Il conviendrait de laisser la liberté aux auteurs (et non aux éditeurs) de fixer un autre pourcentage, comme
dans le cas des photographes qui réclament 100% en droits d’auteur lorsque les photos sont republiées. Ils ont été payés en honoraires pour la première publication et leur stock de photos
constitue leur patrimoine.
74
À l’heure actuelle, les sociétés de rédaction ne doivent être consultées qu’au sujet de l’organisation des rédactions, de la nomination des rédactions en chef et des modifications de lignes
rédactionnelles. Par ailleurs, le mode de consultation des SDR n’est que vaguement défini.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
115
de l’emploi et la résistance au stress des journalistes occultent la
question du burn out, celle-ci ne fait jusqu’à présent l’objet d’aucune
politique de prévention spécifique alors qu’elle est le symptôme
des dysfonctionnements du secteur des médias (charge de travail,
mutation du métier…)75.
7°) remédier à la faible présence des femmes dans la profession76.
8°) garantir la diversité des équipes journalistiques afin d’apporter
d’autres compétences, sources et angles d’information.
9°) soutenir l’enquête et le reportage via la pérennisation du Fonds pour
le Journalisme et l’augmentation de ses moyens. Ce Fonds permet
l’enrichissement de l’offre journalistique dans la FWB.
Outre ces neuf pistes qui ont été formellement adressées par l’AJP à
l’attention des acteurs politiques au niveau de la FWB, d’autres demandes et
revendications ont émergé des différentes auditions de journalistes.
10°) L’AJP demande d’envisager l’assouplissement des conditions à
l’indemnisation des chômeurs pigistes, en leur appliquant les règles
des artistes (qui ont des garanties en ce qui concerne les déductions
des allocations en cas d’activité). Cette mesure pourrait d’ores et
déjà toucher les salariés qui deviennent chômeurs ou les jeunes
qui perçoivent des allocations de chômage et qui veulent devenir
pigistes77.
11°) Si l’AJP ne souhaite pas revoir la loi de 1963, elle désire la fusion des
Selon Baudouin Lénelle (Canal C), il conviendrait de mettre en oeuvre la prévention des risques
liés à la charge psychosociale du travail journalistique et de former spécifiquement les managers
des entreprises médiatiques (afin d’améliorer le bien-être dans les rédactions et de promouvoir la
reconnaissance du travail accompli).
76
Selon Denis Ruellan, la féminisation croissante de la profession en France (qui approche désormais les 50%) s’explique par un rajeunissement du personnel dans certains secteurs comme la
presse quotidienne régionale. De plus, la discontinuité du travail peut être voulue à la fois par les
employeurs et par les femmes (qui acceptent la discontinuité en contrepartie d’une organisation
flexible du temps de travail). Mais la sociologie du journalisme révèle une nette distinction : les
femmes seraient secrétaires de rédaction ; et les hommes, reporters. En Belgique, les diplômées
sont plus nombreuses que les diplômés, les filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons
et pourtant, trois hommes sont engagés pour une femme.
77
À ce propos, l’AJP détermine si une personne peut postuler au titre de journaliste stagiaire en
tenant compte à la fois des revenus liés à ses prestations et des allocations de chômage.
75
116
Chapitre 2
titres (journaliste professionnel et journaliste de profession) et donc
celle des deux commissions d’agréation qui délivrent ces titres. Il
s’agirait également d’une base intéressante pour la fusion de l’AGJPB
et les organes représentatifs de la presse périodique, fusion qui est
souhaitée par les associations concernées.
12°) Philippe Samek (CSC-CNE) souligne la nécessité de créer une plateforme qui embrasserait les problématiques rencontrées à la fois par
les indépendants et par les salariés. Cela permettrait aux syndicats
de représenter aussi les travailleurs non-salariés.
13°) L’AJP souhaiterait rendre obligatoire l’assurance en responsabilité
civile à tous les journalistes, selon des modalités qui seraient à
établir. Conformément au principe de responsabilité en cascade, un
journaliste est considéré comme seul responsable devant la justice78.
Or, son média et la hiérarchie rédactionnelle jouent un rôle important
dans les choix éditoriaux. Il faudrait que les médias interviennent
dans le financement de l’assurance RC professionnelle. Il pourrait
s’agir, par exemple, d’une proportion des revenus déclarés ou d’une
cotisation sur chaque pige…
14°) En termes de valorisation des contenus, plusieurs journalistes
auditionnés appellent de leurs vœux une forme de labellisation
des sites d’information de qualité ou de « presse équitable » qui
serait une forme de reconnaissance du traitement social et juste des
journalistes professionnels.
15°) Dans le domaine de la déontologie, le CDJ et l’AJP ne préconisent
pas de débloquer de nouveaux moyens financiers mais d’opérer des
choix qualitatifs en faisant appliquer les textes existants et en asseyant
le CDJ dans la profession. Ainsi, il conviendrait de déterminer les
limites déontologiques de la politique rédactionnelle des médias, de
séparer clairement les rédactions et les autres services des médias
(comme la publicité)79, de ne nommer comme rédacteurs en chef (et
Actuellement, seuls 100 à 200 des 5.000 journalistes belges y souscrivent. La prime est pourtant très
faible (100€ par an). Si d’autres journalistes sont assignés en justice, ils s’adressent alors à l’AJP qui ne
peut prendre en charge que les frais de défense (et pas les dommages et intérêts).
79
Dans la réalité, des méthodes subtiles (telles que les opérations de partenariat) sèment régulièrement
la confusion. Martine Simonis signale un doctorat mené en Flandre qui a établi que 30% des pressions
commerciales subies par les journalistes proviennent directement du service marketing de l’entreprise.
78
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
117
donc comme personnes-références en matière de déontologie) que
des journalistes professionnels, d’établir une charte de déontologie
interne dans les rédactions et surtout de la faire connaître auprès
de l’ensemble des journalistes (dont les pigistes), de modérer et
contrôler plus strictement les forums de discussions (à l’instar
de l’opération de tolérance zéro lancée récemment par Knack) et
d’introduire davantage de cours de déontologie dans la formation
initiale.
16°) Dans la mesure où l’économie des médias numériques impose la
maîtrise de son propre workflow, Damien Van Achter recommande
de favoriser l’entrepreneuriat à vocation journalistique, ce qui
permettrait aux journalistes de mieux servir leurs audiences, de se
réapproprier leurs outils de production à l’échelle individuelle dans
une dynamique de flux et de réseaux, de créer de nouveaux métiers
autour du journalisme et de valoriser les compétences des nonjournalistes.
2.1.2. Le point de vue d’une société intermédiaire entre
pigistes et médias
La SMart est née de la réponse croissante d’artistes intermittents qui, il y a
plus de dix ans, n’avaient pas de véritable alternative au travail au noir, illégal
ou partiellement déclaré. Dans une logique sociale de mutualisation des
coûts, la SMart s’est fixé comme objectif de réduire le fossé entre la situation
du demandeur d’emploi et celle de l’employé, c’est-à-dire de permettre aux
travailleurs de déclarer leurs revenus sous le statut de salarié, et donc de
disposer d’une couverture sociale et de conserver leurs droits au chômage
(pour les jours où ils n’ont pas de prestations rémunérées). Concrètement, la
SMart conseille ses membres, propose des outils administratifs, juridiques,
fiscaux et financiers, tâche de légaliser, sécuriser et simplifier l’activité
professionnelle et d’améliorer le cadre légal dans lequel cette dernière
s’exerce. Si la formule intérimaire (dans laquelle la SMart a dû finalement
se couler en ce qui concerne les prestations non artistiques) n’est sans doute
pas idéale pour la profession journalistique, le seul fait que de nombreux
pigistes aient recours à de tels services est en soi révélateur des besoins
de la profession. Aux pigistes, la SMart offre les avantages suivants : une
alternative au statut de faux-indépendant, une meilleure sécurité sociale
et la limitation des risques individuels (que sont les impayés, les abus des
donneurs d’ordre…) via la défense collective des intérêts des journalistes.
118
Chapitre 2
En outre, le passage par une telle société sert souvent de tremplin vers des
situations plus stables 80 .
Progressivement, la SMart s’est constituée en tant qu’association
professionnelle des métiers de la création (qui ont comme point commun
d’être partiellement rétribués en droits d’auteur)81. Les journalistes
représentent 1% de la population et des sommes qui passent par la SMart. En
2011, 2.986 contrats de prestations journalistiques ont été enregistrés portant
sur un exercice moyen de 3,6 jours, soit en théorie près de 10.000 journées
prestées pour 356 clients ou donneurs d’ordre. Le montant facturé par les
journalistes via la SMart est de 1.380.000 €. Si l’on divise cette somme par le
nombre de jours prestés, on arrive à un budget salarial (charges patronales,
assurances, etc. comprises) de 129,5 € par jour (sans connaître la durée des
prestations).
A. Difficultés quotidiennes du métier de journaliste indépendant
Au travers des échanges avec les journalistes qui utilisent leurs services, les
dirigeants de la SMart acquièrent une certaine connaissance des difficultés
de la profession. Ainsi, les journalistes, interrogés à ce sujet, pointent du
doigt plusieurs aspects problématiques de leur situation professionnelle :
-
-
-
le statut précaire des pigistes qui n’ont que peu de chance d’obtenir
un vrai emploi salarié (bien moins que de devenir de fauxindépendants), qui doivent affronter des irrégularités de commande,
qui sont tributaires des décisions de donneurs d’ordres tout-puissants
et qui sont les premiers à souffrir des réductions de coûts ;
la concurrence entre les donneurs d’ordres, qui exerce une pression
sur les prestations et les tarifs des prestataires. Cette concurrence
est d’autant plus forte que les journalistes ont le sentiment que les
rédactions externalisent de plus en plus la production des contenus
(en utilisant notamment les réseaux sociaux) ;
des rémunérations peu élevées, c’est-à-dire des articles payés en
fonction de la publication et non du travail fourni, une répartition
En 2011, seul un tiers des journalistes inscrits à la SMart ont fait appel aux services de celle-ci ;
ce qui prouve que le passage par une telle société sert souvent de tremplin vers un autre type de
contrat ou peut être cumulé avec d’autres formes de travail (ce statut offre aux journalistes une
certaine liberté de choix des contrats).
81
Initialement destinée aux seuls artistes, la SMart s’est progressivement ouverte à diverses disciplines avant de se recentrer sur les métiers de la création en date du 1er janvier 2012.
80
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
-
-
119
peu claire entre les honoraires et les droits d’auteur, du travail hors
commande qui n’est pas toujours rémunéré ;
les difficultés pour obtenir une carte de presse (vu la nécessité d’exercer
d’autres activités comme l’aide à la rédaction, la modération de
débats, l’animation d’ateliers d’écriture qu’on ne peut comptabiliser
comme prestation journalistique) ;
une exigence de plus en plus forte de la part des donneurs d’ordres
qui attendent des textes courts et variés. Il s’agit de traiter le plus
rapidement possible des matières diverses.
Aux yeux des journalistes inscrits à la SMart, ces diverses contraintes obligent
les pigistes à diversifier leurs activités et les contenus qu’ils produisent et à
tenter de rentabiliser le mieux possible leur travail en démultipliant les lieux de
diffusion. Au final, de telles conditions de travail portent logiquement atteinte
à la qualité du travail fourni et mènent à une uniformisation de l’information.
B. Propositions et pistes de réflexion
Sans avoir la prétention de résoudre ces différents problèmes, la SMart
se présente comme une innovation sociale qui s’est créée en réponse à
une véritable attente. Dans une logique d’autocritique, Marc Moura a
le sentiment que sa propre société joue le rôle de « pansement » sur un
problème qui reste irrésolu (celui de l’absence d’un véritable statut pour les
artistes et les journalistes indépendants), crée une sorte de « sous-classe de
travailleurs » et de « travail au gris » que les syndicats ont déjà dénoncé. À
la lumière des témoignages recueillis auprès de journalistes, Marc Moura
perçoit chez les pigistes un besoin gigantesque de médiation qui leur
offrirait une marge de manœuvre et de négociation avec leurs donneurs
d’ordres. Il faudrait mettre en place une instance médiane qui représenterait
les intérêts des journalistes indépendants et qui pourrait, à titre collectif,
dénoncer certaines situations, dans une logique de mutualisation des
risques individuels. Il conviendrait, en outre, de constituer des fonds qui
compenseraient les retards, voire les défauts de paiement.
Selon Marc Moura, le système des commissions paritaires et des barèmes,
élaboré pour de grosses rédactions, s’avère inadapté à la diversité des
situations journalistiques. Alors que certains journalistes cassent les prix
fixés par les commissions paritaires, il serait souhaitable d’adopter le modèle
d’une charte (qui a été instauré dans le secteur de la BD en France). Dans cette
optique, les acteurs du secteur s’engagent à respecter un ensemble de normes,
120
Chapitre 2
notamment barémiques et tarifaires. En cas de non-respect, le professionnel
est alors désavoué par ses pairs. L’impact peut être bien meilleur que celui de
directives qui seraient édictées par une éventuelle institution extérieure.
Plus encore qu’une boîte d’intérim, un secrétariat social de prestataires
constituerait sans doute une solution intéressante pour les journalistes
indépendants, surtout dans le cas de prestations longues. Cette configuration
présente deux avantages principaux : premièrement, elle ferait faire aux
journalistes l’économie du prélèvement de 9,7% de leur salaire à destination du
Fonds de solidarité des sociétés intérimaires82. Deuxièmement, l’inconvénient
des agences intérimaires est que celles-ci se substituent à l’employeur qui
peut donc se soustraire à ses responsabilités au niveau des conditions qu’il
impose à un prestataire. L’agence d’intérim joue le rôle de paravent alors que,
dans le cas du recours à un secrétariat social, les responsabilités resteraient
du côté des éditeurs de journaux.
2.1.3. Le point de vue des employeurs et recruteurs
Toute révolution technologique transforme la société qui la vit. Il en est ainsi
de la révolution numérique des médias qui a des implications au niveau de
l’offre, de la demande, du mode de consommation des contenus d’information
et donc de la définition et des évolutions du métier de journaliste. L’avènement
des supports numériques et la convergence des entreprises médiatiques
entraînent une concurrence de plus en plus forte non seulement entre les
médias mais aussi entre les médias et de nouveaux acteurs (le public et même
les annonceurs qui se mettent à produire des contenus). En conséquence, la
« valeur d’usage » de l’information décroît.
Globalement, la logique du « one-to-many » (c’est-à-dire du média traditionnel
qui s’adresse à tout le monde) laisse la place au « many-to-many » (c’est-àdire aux flux d’information en réseaux). À une multiplication des émetteurs
d’informations, répond une diversification des modes de consommation
de ces contenus qui peuvent désormais être reçus sur différents supports,
à différents moments de la journée ou même de manière simultanée et/ou
personnalisée. Pour Daniel Van Wylick, il y a là une perte en matière de
sérendipité83 puisque les consommateurs ne lisent plus un contenu par hasard
82
Ces cotisations sont censées payer les primes de fin d’année qui sont rarement perçues par les
journalistes qui n’atteignent pas le quota de jours fixé.
83
La sérendipité désigne le fait de trouver quelque chose sans l’avoir cherché.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
121
comme lorsqu’ils achetaient un journal dans son intégralité84. En d’autres
termes, selon Philippe Laloux, les médias d’information traversent une
triple crise : celle-ci est existentielle (puisque l’utilité sociale du journalisme
est remise en cause) ; elle est économique (vu les pressions sur les ventes et
sur les tarifs publicitaires) ; elle est également industrielle (dans la mesure
où le système de production est passé d’un système de production linéaire
à un système de production en flux continu et tendu). Dans ce contexte, les
journalistes doivent revoir le mode d’organisation de leur profession ; ils se
trouvent menacés à la fois en tant qu’acteurs sociaux en perte de légitimité,
en tant qu’employés d’un secteur en crise et en tant que professionnels
obligés de s’adapter à de nouveaux outils et usages. De l’avis des différents
éditeurs, les conditions de travail des journalistes sont mises sous pression :
la principale difficulté réside dans la gestion d’un rythme de plus en plus
soutenu et donc du stress qui est désormais permanent. Les journalistes ne
travaillent plus pour un seul support (qui est bouclé ou diffusé à un moment
donné) mais assurent un service continu : celui d’informer. En corollaire de
ce constat, Philippe Laloux fait remarquer que ce stress est partagé par les
éditeurs qui doivent, eux aussi, s’adapter à la gestion intégrée des matières en
continu pour plusieurs supports. Jean-Pierre Jacqmin ajoute qu’on est passé
d’un stress d’information (dans quel ordre présenter les choses ?) à un stress
d’édition (quelles informations sélectionner ?).
A. Effectifs et conditions de travail à l’heure actuelle
Selon François le Hodey, il y aurait aujourd’hui en FWB, 485 journalistes
qui sont employés dans la presse écrite quotidienne ; 400 personnes, à la
RTBF (qui dit pour sa part employer 289 journalistes auxquels il convient
d’ajouter, ces dernières années, entre 18 et 20 ETP pigistes et environ 140
étudiants stagiaires par an) ; 131, dans les TVL (qui parlent, elles, de 133
ETP - 61 femmes et 72 hommes-), 80 à RTL et une cinquantaine dans les
radios privées.
En ce qui concerne les barèmes, les chaînes de télévision affirment offrir des
emplois de qualité :
-
les TVL proposent essentiellement des contrats à durée indéterminée,
ce qui apparaît comme un gage de qualité et d’indépendance.
Aux yeux de Mateusz Kukulka, il ne faut pas surévaluer la spécificité de l’Internet : grâce aux
réseaux sociaux, on récupère la sérendipité : le « hasard de l’information » réapparaît au travers
des commentaires et des systèmes de recommandations.
84
122
Chapitre 2
-
Pour les tâches qui s’ajoutent aux 38 heures semaine, un système
de compensation est prévu soit par des récupérations, soit par des
sursalaires. Les salaires des TVL se situent dans la partie supérieure
des barèmes du secteur et sont complétés par des chèques-repas, des
assurances groupe, pension, maladie et invalidité, ainsi que par un
treizième mois ou une prime de fin d’année. Il est à noter que la
commission paritaire 329, qui fixe les barèmes appliqués (et de facto
augmentés) par les TVL, a distingué les « vrais » journalistes des
autres corps de métier (ingénieurs du son, caméramen, réalisateurs)
qui concourent différemment à la production d’information : sont
considérés comme journalistes ceux qui possèdent la carte de l’AJP et
qui sont engagés pour collecter, traiter et rédiger de l’information85.
Cette distinction entre professions s’accompagne d’une différence
barémique : les « vrais journalistes » touchent un salaire plus élevé
que les autres.
Pour sa part, la RTBF soumet les statutaires et les contractuels au
même régime (même si la couverture sociale est très différente
selon les statuts), propose des rémunérations qui évoluent au fil
d’une carrière, même plane, (de 3.253€ bruts à l’entrée à 5.429€
bruts maximum, avec 21 ans d’ancienneté86), des suppléments en
cas de fonction managériale (les différents mandats font l’objet d’un
système décrétal) et un régime de primes (pour le travail effectué
le dimanche ou la nuit). Globalement, la RTBF affirme offrir des
emplois flexibles et des horaires adaptés aux différents métiers.
Philippe Laloux ajoute que les journalistes deviennent eux-mêmes des
médias, c’est-à-dire des producteurs et des diffuseurs d’information.
Dans ce contexte, de nombreux indépendants exercent leur profession en
dehors de tout statut, se font payer en droits d’auteur, nouent des relations
commerciales, et non plus salariales, avec les médias. Le fait que les médias
soient devenus les clients des journalistes influe, par ailleurs, sur la qualité
des contenus qui doivent être vendeurs et rentables sur le court terme.
85
Martine Simonis (AJP) signale que cette mesure est contraire à la loi de 1963 qui définit le titre
de journaliste professionnel. Des personnes sont reconnues comme journalistes professionnels
mais payés comme techniciens, alors qu’il s’agit de cameramen bel et bien agréés au titre comme
les « vrais » journalistes.
86
Les chiffres donnés par la RTBF s’avèrent plus élevés que ceux que l’AJP a récoltés auprès des
organisations syndicales. Selon ces dernières sources, un journaliste de la RTBF gagne 3.127€
bruts à l’entrée et 4.160€ bruts avec 20 ans d’ancienneté.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
123
En réaction au protocole d’accord entre l’AJP et les JFB qui délimite les
rémunérations en salaires et en droits d’auteur et qui serait potentiellement
étendu aux autres médias, Stephan Van Lierde signale que la situation de la
RTBF est particulière, vu qu’elle emploie des agents statutaires de la fonction
publique87 et vu qu’il n’est pas toujours aisé d’identifier les auteurs de contenus
audiovisuels et numériques (sauf dans le cas de chroniques fournies par des
auteurs externes à la RTBF)88.
B. Une concurrence accrue entre entreprises médiatiques
La viabilité économique des entreprises médiatiques exerce une influence
directe sur les conditions de travail des journalistes : sont en jeu non seulement
le niveau de rémunération, mais également le degré d’indépendance – et
donc, de qualité – du journalisme89. Or, une des conséquences de la révolution
numérique est d’accentuer la concurrence entre médias et même avec
d’autres acteurs (comme des firmes, qui créent leurs propres médias)90. Les
difficultés sont d’autant plus fortes pour les médias qu’une part importante
des annonceurs et des lecteurs quitte le système économique de la FWB (vers
des acteurs comme Google, Facebook et autres réseaux mondiaux).
Pour tous les médias, l’heure est à la récession et à la compression des
effectifs. La presse quotidienne et la presse magazine connaissent une baisse
de leur diffusion payante et donc une diminution des ressources provenant
des lecteurs. À la RTBF, en dépit du nombre croissant de pigistes employés
87
Cela implique notamment que le statut des agents ne peut être modifié qu’avec l’accord des
représentations syndicales et que les pensions sont calculées sur la moyenne des cinq dernières
années de travail. Une réduction de la rémunération prise en compte aurait donc comme conséquence de diminuer les montants de la pension.
88
Martine Simonis appelle à clarifier la titularité des droits d’œuvres audiovisuelles et numériques (même courtes) et demande en tout cas de ne pas discriminer des auteurs qui travaillent
pour la RTBF (et qui ne seraient pas reconnus comme tels) et des auteurs extérieurs (rémunérés
en droits d’auteur).
89
Au sujet de l’indépendance, les directeurs des TVL tiennent à souligner que l’autonomie rédactionnelle de leurs chaînes est garantie par les décrets qui imposent une distinction entre le
directeur et le rédacteur en chef, la reconnaissance et la consultation d’une société interne de
journalisme (en ce qui concerne les modifications de la ligne rédactionnelle, l’organisation des
rédactions et la désignation du rédacteur en chef). Par ailleurs, les syndicats sont bien implantés
dans les TVL (10% du personnel sont des délégués syndicaux).
90
Ce genre de médias pose toute une série de questions quant au danger de désinformation (à
partir du moment où l’on rémunère des internautes pour faire monter une cote de popularité) et
quant aux profils recherchés par ces nouveaux employeurs.
124
Chapitre 2
pour les programmes d’information, un plan d’économie impose de ne pas
remplacer les départs.
Une concurrence déloyale ? Tous les médias sont confrontés à la révolution
numérique et font les frais de la concurrence qui en découle. Pourtant, selon
les éditeurs de presse écrite, tous n’ont pas les mêmes marges de manœuvre.
Ainsi, François le Hodey fait remarquer la place privilégiée de l’audiovisuel
dans le paysage médiatique belge francophone, en signalant notamment que
les 7.000.000 € octroyés à la presse quotidienne représentent moins de la moitié
de la somme que les chaînes de télévision obtiennent des câblo-opérateurs (qui
s’élève à 16.000.000 €). Il déplore que la législation protège les droits d’auteur
sur des contenus audiovisuels difficiles à plagier (via le principe de présomption
de cession des droits), mais pas sur des contenus écrits qui sont constamment
plagiés91. Or, il est indispensable pour tous les médias de développer rapidement
des contenus sur les plates-formes numériques et les réseaux sociaux ; la
présomption de cession qui est accordée aux seuls médias audiovisuels est un
facteur de distorsion de concurrence par rapport à la presse écrite qui doit
demander l’accord de l’auteur support par support. Dans ce contexte, IPM a
passé un accord avec tous ses journalistes qui ont accepté de céder les droits
d’exploitation de leur production pour toutes les plates-formes.
Vers une harmonisation des conditions de travail ? La révolution numérique
estompe les frontières entre médias et entraîne une sorte de déspécialisation
du secteur. Ainsi, des conventions collectives cherchent à standardiser
les rémunérations, le nombre de jours de congé, la protection sociale de
l’ensemble des journalistes.
-
-
François le Hodey se félicite des accords conclus entre l’AJP et les
JFB au sujet du régime de travail et de la rémunération en droits
d’auteur. Pourtant, il rappelle que les médias traditionnels sont
désormais confrontés, sur les plates-formes numériques, à d’autres
secteurs où les conditions de travail ne sont pas les mêmes. Les
différences de statut pourraient induire des distorsions de capacité
concurrentielle.
Du côté des médias audiovisuels, la FWB tend à exiger des synergies
entre la RTBF et les TVL. Aux yeux des directeurs des TVL, la
collaboration entre des services publics qui n’ont pas comme vocation
91
Martine Simonis signale que la présomption de cession des droits facilite le travail des éditeurs
mais n’assure aucunement la protection des droits moraux ou matériels de l’œuvre. Une présomption de cession des droits n’empêche pas le plagiat.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
125
d’être en concurrence est souhaitable et raisonnable (notamment
au niveau des économies d’échelle qui pourraient être réalisées) à
condition que cette collaboration ne s’apparente pas à un rapport de
sous-traitance et préserve la diversité des médias. Par ailleurs, en cas
de synergie, l’harmonisation des barèmes entre la RTBF et les TVL
semble inéluctable, non seulement au niveau des journalistes, mais
aussi au niveau des opérateurs et techniciens92.
C. Le journalisme de demain, entre expertise et polyvalence
Afin de rester rentables, les médias doivent trouver un équilibre entre la
valorisation de la qualité du travail journalistique et la nécessaire adaptation
aux nouvelles technologies. Marc de Haan reconnaît que l’augmentation de
la charge de travail fait nécessairement baisser la qualité de la production,
mais affirme qu’une vision trop dogmatique du métier pourrait se révéler
suicidaire. Force est, d’ailleurs, de constater que des journalistes compétents
et expérimentés sont vite dépassés par des nouveaux-venus qui présentent
l’atout d’être polyvalents. Pour sa part, Philippe Laloux regrette que
l’ « inculture numérique », qui se joue tant au niveau de certains et éditeurs,
ralentisse les mutations et freine l’innovation.
D’une part, il convient de valoriser, plus que jamais, le professionnalisme et
donc les contenus de qualité à haute valeur ajoutée. Les rédactions doivent,
pour survivre, se distinguer par leur offre journalistique et continuer à
satisfaire un public disposé à payer des contenus originaux signés par
des « journalistes talentueux ». Du côté de la RTBF, Jean-Pierre Jacqmin
préconise également de privilégier l’expertise, en permettant aux journalistes
de se spécialiser dans une matière déterminée et en accordant du crédit à ces
journalistes experts (que l’on peut inviter sur un plateau télé, par exemple).
D’autre part, l’agilité numérique s’impose à tous les échelons de la production
d’information : elle implique la maîtrise à la fois des enjeux et des pratiques
des nouvelles technologies. Dans la presse quotidienne, il s’agit d’être
« amphibien », c’est-à-dire capable de diffuser des contenus via un support
print et un support numérique. Les journalistes doivent inévitablement
s’adapter à l’immédiateté et à l’interactivité. L’immédiateté imprime certes
un rythme soutenu à la diffusion d’information (qui ne permet plus de
92
Martine Simonis revendique que cette harmonisation se fasse également entre les journalistes
et les autres métiers de l’information afin de se conformer à la loi de 1963. Cela est d’autant plus
nécessaire que les différences entre fonctions tendent à s’estomper.
126
Chapitre 2
« garder » un scoop)93 mais ne s’oppose pas nécessairement à la déontologie.
Jean-Pierre Jacqmin rappelle la règle imposée à la RTBF qui veut qu’on ne
diffuse l’information que lorsqu’elle a pu être recoupée, mais signale que
les outils de recoupement et de vérification se sont multipliés grâce à ces
mêmes supports numériques. La gestion de l’interactivité amène à une
reconfiguration du rôle du journaliste : celui-ci n’a plus le monopole du
« quoi savoir » et ne peut qu’ouvrir le dialogue avec son audience, même
si la gestion des commentaires et des forums constitue une tâche délicate.
Plusieurs expériences sont d’ailleurs menées à l’étranger et tirent directement
profit de l’expertise du public94.
Au carrefour de la spécialisation et de l’innovation, les rédactions et les
professions journalistiques sont donc appelées à se réorganiser. Philippe
Laloux préconise de démanteler les organisations pyramidales et de développer
des organisations en essaim, selon l’expression d’Alain Joannès (qui propose
de développer le travail collaboratif et de juxtaposer les compétences afin de
favoriser l’innovation)95. Qu’elles se développent sur un modèle centralisé
(autour d’une rédaction qui diffuse des contenus sur différents supports) ou
sur un modèle en réseau (qui fait collaborer des acteurs spécialisés dans un
domaine), les rédactions devront inévitablement être multimédia, dépasser le
traditionnel arrimage au modèle de la presse écrite et donc intégrer la gestion
de différents supports : les rédactions web restent trop souvent inféodées au
modèle de la presse écrite alors qu’elles ont leurs propres codes. De manière
globale, il faut désormais, selon Philippe Laloux, intégrer dans les rédactions
les reporters d’images, les concepteurs de sites, les informaticiens qui ne sont
pas que des prestataires techniques mais de véritables partenaires du traitement
de l’information. Sur le terrain, Jean-Pierre Jacqmin observe lui aussi une
reconfiguration du métier du journaliste et y distingue trois tendances : la
convergence de certains métiers qui amène à une redéfinition de tâches et
de fonctions, la suppression de certains métiers et l’apparition d’autres (en
lien avec la gestion des médias numériques). Selon François le Hodey, il faut
Eric Scherer affirme qu’il s’agit là d’une évolution imparable : il n’est plus question de garder
l’information, à l’ère de l’instantanéité.
94
Ainsi, The Guardian publie son « chemin de fer » en début de journée afin de recueillir des
commentaires et des conseils sur les personnes à consulter. Une radio suédoise a fait, elle aussi
le choix, d’annoncer les thèmes qu’elle traitera et construit ainsi ses sujets en partenariat avec
l’audience.
95
Voir, à ce sujet, Joannès, A., Le journalisme à l’ère numérique, Paris, 2007 et le blog www.journalistiques.fr, ainsi que l’organigramme de la rédaction numérique présentée dans le PowerPoint
de Daniel Van Wylick accessible sur www.egmedia.pcf.be.
93
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
127
dépasser le mythe de la personne polyvalente96, tant la différenciation des
métiers va s’accroître. En même temps, il reconnaît qu’une rédaction fera se
côtoyer des journalistes qui « savent tout faire » et des journalistes qui seront
spécialisés pour une matière ou un support particulier97.
Daniel Van Wylick inventorie les tâches multimédias ou mono-média
qui incombent, de haut en bas, aux postes pré-existants et aux nouveaux
métiers98, tels que les directeurs, les reporters (qui travaillent en
collaboration avec des documentalistes-recherchistes, des fact-checkers,
des experts en référencement99, des photographes et des vidéastes), les
architectes de l’information (qui accommodent les contenus aux supports
qui leur conviennent le mieux), les éditeurs (qui sont, le plus souvent, monomedia), les journalistes visuels (ou datajournalistes), les webdesigners et les
journalistes de communauté (qui sont chargés de gérer l’interactivité avec
le public dans le sens du push et du pull, c’est-à-dire qu’il s’agit à la fois de
fournir de l’information et d’en retirer).
D. Recommandations concrètes
Les directeurs des télévisions locales demandent
-
de refinancer les TVL dans la mesure où la progression des salaires
est supérieure à celle des subventions. Actuellement, le financement
des TVL est lié, à hauteur de 45%, au volume de production propre
(en première diffusion) et au critère de productivité, ce qui a comme
effet pervers de donner plus d’importance à la quantité qu’à la qualité
de l’information100 ;
Selon Marc Fion, il ne s’agit pas d’un mythe : à l’heure actuelle, on impose souvent à un seul
journaliste de plus en plus de tâches (écriture, photo, interviews) qui ne peuvent que nuire l’une
à l’autre, faute de temps.
97
Selon Philippe Samek (secrétaire permanent régional CSC), l’évolution des médias amène à
une dualisation du paysage qui distingue des médias hyper-spécialisés qui permettent à un journaliste d’investigation de faire un vrai travail de recherche et les médias généralistes qui travaillent sur la multi-fonctionnalité du métier et vont généraliser la tâche du journaliste tant sur
les contenus que sur les supports qu’il investit.
98
Pour une représentation visuelle des rédactions multimédias, voir la présentation PowerPoint
présentée sur le site des EGMI.
99
Le rôle de ces experts consiste à connaître les techniques de référencement des moteurs de recherche
et à privilégier certains mots et certaines structures de phrases afin d’être le mieux référencé possible.
100
Isabelle Meerhaeghe fait remarquer que le critère du volume de production propre est passé
de 80% à 45% et que le critère du nombre d’ETP s’est transformé en critère en termes de masse
salariale nette (ce qui tient compte de l’évolution des salaires).
96
128
Chapitre 2
-
-
-
d’instaurer une réglementation du marché de la publicité, en
particulier régionale. L’objectif serait de développer des recettes au
niveau régional sans subir une concurrence déloyale de la part des
médias nationaux plus puissants ;
de délimiter les formes de synergie entre la RTBF et les TVL afin
d’éviter de tomber dans la sous-traitance et de donner les moyens
aux TVL de mettre en œuvre l’harmonisation des barèmes avec la
RTBF ;
de garantir la liberté des TVL de s’associer, de collaborer et de trouver
les synergies les plus propices à leur développement (éventuellement
avec des opérateurs privés, à l’instar de ce qui se passe en Flandre
avec les éditeurs de presse écrite).
De manière plus globale, Philippe Laloux formule les recommandations
suivantes :
-
-
-
Une meilleure éducation aux médias, dispensée à tous à l’école,
permettrait de faire progresser les questions de société et la vente
des journaux.
Les mécanismes d’aide à la presse devraient être renforcés et
réorientés vers la création de cellules « recherche et développement »
et vers les investissements dans l’innovation.
Un Observatoire des Médias d’information devrait être créé et
constituerait une instance de collaboration avec les universités, les
écoles supérieures et les médias. Cet observatoire aurait pour tâche
de faire de la prospective stratégique, de valider les outils et de
permettre aux écoles de journalisme d’anticiper et de préparer les
nouveaux programmes de formation.
2.1.4. Des points de comparaison
En Europe - La FEJ (Fédération Européenne des Journalistes) a pour mission
de défendre les droits des journalistes auprès des institutions européennes.
Il n’existe aucune définition unique du statut du journaliste dans l’UE. La
diversité des situations politiques, économiques et professionnelles explique
la coexistence de plusieurs types de réglementation :
-
Le système d’accréditation fait intervenir une carte certifiant que
la personne pratique un journalisme régulier et professionnel. Les
« commissions de la carte » prennent en considération des critères
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
-
-
129
différents, tels que la formation de journaliste (cela est surtout est
le cas dans les pays du sud de l’Europe et en Amérique Latine, où
l’on exige souvent un diplôme universitaire). Ailleurs, on estime
généralement qu’on peut valider des compétences et non lier la
profession à un diplôme unique.
Le système de licence impose des obligations légales aux personnes
qui exercent le journalisme et qui s’exposent ainsi à une sanction
administrative ou pénale. C’est le cas en Italie où il existe un Ordre
des Journalistes dont l’on peut théoriquement être radié.
D’autres systèmes, comme dans la plupart des pays anglo-saxons
et d’Europe du Nord, prévoient que l’adhésion à un syndicat de
journalistes constitue la preuve d’une activité journalistique.
La dérégulation des contrats de travail et la diversité croissante
des situations professionnelles qui s’ensuit tendent à limiter la
représentativité des syndicats.
Des divergences importantes existent au niveau des journalistes indépendants
qui tantôt sont présumés salariés (comme en France), tantôt sont exclus des
syndicats en vertu de leur caractère « libre » (comme en Grèce), tantôt sont
automatiquement concernés par les conventions collectives négociées par les
syndicats (comme au Danemark). En Europe centrale, il n’y a pas de véritable
représentation de patronat, ce qui rend de facto les conventions collectives
impossibles.
À ces systèmes de régulation, se superposent des systèmes d’autorégulation
de la profession de journaliste qui engendre une responsabilité morale
(qui ne doit pas être confondue avec la responsabilité juridique). Ainsi, en
Grande-Bretagne, la PCC (Press Complaints Commission) représente à la
fois les éditeurs et les journalistes et émet des recommandations et des avis
sur l’évolution de la profession. En Allemagne, le Deutscher Presserat est un
organisme d’auto-surveillance (c’est-à-dire sans experts externes). Il est chargé
de déceler les irrégularités de la presse, d’émettre des recommandations en
termes de déontologie ou de respect de la vie privée.
Au-delà de ces différences organisationnelles, le milieu des journalistes
européens s’accorde pour définir le journalisme comme le métier qui requiert
une activité professionnelle régulière, le respect des règles déontologiques,
l’acquisition d’un minimum de compétences et souvent, l’affiliation à une
organisation associative ou syndicale. Le Conseil de l’Europe a défini le
journaliste comme « toute personne pratiquant à titre professionnel dans le
130
Chapitre 2
cadre d’un travail indépendant ou salarié la collecte, la vérification, la mise
en forme et la diffusion d’informations au public par l’intermédiaire de tout
type de média ». La plupart des pays européens estiment que le statut de
journaliste nécessite une rémunération, selon le principe que le journaliste
doit jouir d’une certaine indépendance politique, idéologique et économique.
Ils ne délivrent donc pas de carte de presse aux blogueurs qui ne sont pas
payés en tant que journalistes.
Les débats actuels qui s’élèvent en divers lieux à propos des différences entre
journalistes professionnels et non-professionnels sont souvent liés à d’autres
problèmes comme celui de la protection des sources. La question ne se pose
pas tellement dans les médias traditionnels mais surtout dans la « zone
grise de l’information » comme les services d’information sur Yahoo ou sur
Gmail, les pages Facebook des médias. Les auteurs de tels espaces sont-ils
toujours des journalistes professionnels ? Comment définir les personnes qui,
au départ, n’ont pas d’activité rédactionnelle mais qui sont amenées à en faire
indirectement ? Il y a par ailleurs fréquemment une confusion entre la liberté
de la presse et la liberté d’expression (dont chacun peut jouir). Pour Marc
Gruber, est journaliste celui qui respecte les principes de liberté de la presse
impliquant non seulement des droits mais aussi des responsabilités comme la
vérification des faits, la protection des sources et l’analyse des conséquences
de ses écrits (notamment le respect des victimes). En Grande-Bretagne,
le syndicat national des journalistes accepte en son sein les blogueurs
professionnels qui s’engagent à respecter la déontologie de la profession. En
Belgique, la Cour Constitutionnelle a rendu un arrêt étendant la protection à
toute personne ayant accès à des sources, ce qui n’était pas l’objectif initial.
Un autre débat divise la FEJ au sujet des (in)compatibilités entre relations
publiques et journalisme. D’aucuns considèrent qu’un journaliste est celui
qui tire au minimum 50% de ses revenus de cette activité ; d’autres estiment
que les chargés de communication ont eux aussi une responsabilité éditoriale,
doivent respecter une certaine déontologie et doivent donc être intégrés aux
associations et syndicats des journalistes.
En France, la loi-référence en matière de statut des journalistes est la loi
Brachard (1935). Celle-ci a fixé les barèmes et a consacré plusieurs avantages
importants :
-
-
l’indemnité de licenciement est devenue obligatoire et équivaut à un
mois par année d’ancienneté (jusqu’à 15 ans maximum) ;
l’arbitrage a été généralisé et rendu obligatoire en cas de licenciement
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
-
131
de journalistes ayant plus de 15 ans d’ancienneté et en cas de
licenciement pour faute grave (pour éviter que celle-ci ne prive la
personne licenciée d’une indemnité) ;
les clauses de conscience et de cession ont été introduites afin de
résoudre l’antagonisme entre le lien de subordination du journaliste
à son employeur et la liberté intellectuelle propre à la profession.
La clause de conscience permet à un journaliste de toucher une
indemnité de licenciement s’il quitte son employeur suite à un
changement notable de l’orientation philosophique ou politique du
journal (cette clause est en fait très difficile à appliquer et l’affaire doit
être portée devant un tribunal). Ce départ pour raison d’ « honneur
professionnel » n’est pas apparenté à une démission. La clause de
cession permet la même chose en cas de rachat du journal et est, elle,
automatiquement d’application.
La loi Brachard s’applique aux journalistes professionnels mais ne définit
pas le statut de ceux-ci. La tâche est déléguée à la Commission de la carte
d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), composée de journalistes
et d’éditeurs. Celle-ci attribue une carte à renouvellement annuel, qui ne
constitue pas un droit d’entrée dans la profession, mais constate un état : elle
doit vérifier que tous les demandeurs remplissent les conditions qui leur ont
permis d’entrer dans la profession.
Selon l’article L7111-3 du Code du travail français,
« est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité
principale, régulière et rétribuée, l’exercice de la profession dans
une ou plusieurs entreprise(s) de presse, publications quotidiennes
et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses
ressources. Le correspondant qui travaille en France ou à l’étranger
est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes
et répond aux conditions précitées ».
L’objectif est de définir ceux qui sont couverts par la convention collective ;
on se situe donc au niveau du droit du travail et non du statut légal.
Autre loi-référence française, la loi Cressard (1974) prévoit la présomption
d’un contrat de travail pour toute convention conclue entre un média et un
journaliste et ne lie donc pas le statut de journaliste à la détention de la carte
de presse. Elle stipule que
« toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure,
132
Chapitre 2
moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel,
est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste
quels que soient le mode et le montant de la rémunération, ainsi que
la qualification donnée à la convention par les parties ».
Les journalistes qui travaillent de manière indépendante sont présumés
salariés, donc liés par un contrat de travail. Leurs employeurs doivent
d’ailleurs cotiser dans un régime de sécurité sociale spécifique calculé sur
le montant des piges. La loi Cressard reconnaît aux journalistes pigistes le
statut de journaliste professionnel et des indemnités de licenciement. Les
pigistes français sont considérés comme des salariés (et ont droit en ce sens
à des indemnités de licenciement et au droit individuel à la formation qui
s’élève à 21 heures par an par personne), mais n’ont par contre pas la même
sécurité d’emploi que les salariés. Plus les pigistes collaborent avec certains
médias, plus leurs droits et leurs barèmes s’accroissent.
La présomption de salariat prévue par le système français reste innovante
car, dans la plupart des pays européens, la moitié des journalistes n’ont
pas de contrat de travail à durée indéterminée. Appliquée ailleurs qu’en
France, cette disposition offrirait des garanties aux journalistes débutants
qui jouiraient d’une garantie sociale plus importante. Il faut néanmoins se
garder de toute idéalisation : un grand nombre de vrais pigistes français
sont devenus de faux CLP (c’est-à-dire des correspondants locaux de presse
dont le statut a été fixé au début des années 1990) qui sont assimilables à des
travailleurs indépendants.
Actuellement, un grand nombre de journalistes français sont payés en
honoraires ou en droits d’auteur ; ces derniers ont fait l’objet de plusieurs
conflits depuis l’avènement d’Internet. Les syndicats ont gagné de
nombreux procès et ont imposé la signature des accords afin d’obtenir une
juste rémunération des droits de contenus diffusés sur la toile. Olivier Da
Lage a lancé une réflexion sur les droits d’auteur afin de ne plus prendre
comme déclencheur du droit d’auteur le changement de support mais bien
le changement de temporalité, ce qui a donné lieu à un amendement à la loi
Hadopi, à l’occasion des États Généraux de la Presse. Pendant une période
de référence, l’utilisation simultanée sur tous les supports du titre de presse
a pour seule contrepartie le salaire ou la pige versée au journaliste. Au-delà
de cette période, l’exploitation de l’œuvre journalistique qui perdurerait
donne lieu à une rémunération du journaliste. Tant la durée que le mode de
répartition de ladite rémunération doivent faire l’objet d’un accord collectif.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
133
L’expérience de Denis Robert apporte un éclairage supplémentaire sur
le journalisme français. Denis Robert, qui a mené des enquêtes sur les
puissances financières, est parvenu à démontrer que Clearstream (chambre
de compensation) a effacé industriellement des traces de transactions alors
qu’elle devait normalement conserver ses archives durant quinze ans.
L’enjeu était crucial puisque ces listings cartographiaient la finance parallèle.
Au total, le journaliste a été touché par 62 procédures judiciaires à son
encontre. Cette expérience met en lumière les moyens qui sont mis (ou non)
à disposition des journalistes pour mettre en œuvre la liberté de la presse,
sans concession, avec le plus d’indépendance possible. Dans cette bataille
judiciaire, Denis Robert n’a bénéficié d’aucun soutien de la part des autres
journalistes d’investigation mais a par contre profité d’un élan de solidarité
de la part d’amis et de journalistes « sans-grade ».
Initialement, Denis Robert avait fait le choix de quitter la presse quotidienne
parce que les pages d’un journal lui semblaient trop étroites pour faire du
journalisme d’investigation. Selon lui, le véritable travail de journalisme se
fait dans les livres et dans les films plus que dans les journaux ou sur le web
(vu la crainte de nombreux éditeurs d’être impliqués dans des procédures
judiciaires onéreuses). La fragilité économique des médias, et en particulier
de la presse écrite française, dissuade les médias de se lancer dans des affaires
délicates. En règle générale, investir dans les enquêtes n’est rentable que sur
le long terme et nécessite donc d’avoir les moyens de ses ambitions101.
À la lumière de son expérience, Denis Robert estime que la loi sur la
diffamation est trop souvent instrumentalisée pour nuire à la liberté de la
presse et museler la liberté d’expression102. Il plaide pour l’idée suivante : il
faut empêcher légalement le dépôt de plaintes en diffamation consciemment
infondées qui visent à étouffer des affaires. Pour rendre cette loi efficace, il
faudrait prévoir des dédommagements suffisamment importants pour qu’ils
soient dissuasifs. S’il s’avère que quelqu’un a attaqué à tort un journaliste en
diffamation, un décret ou une loi devrait l’obliger à payer dix fois plus (que
le journaliste qui serait condamné pour diffamation) afin qu’il n’attaque pas
n’importe qui et n’importe quoi. Si une telle loi existait en France, Denis Robert
aurait connu beaucoup moins d’ennuis avec la justice lors de ses enquêtes sur
Selon Denis Robert, il y a bel et bien un avenir pour une presse papier de qualité (comme le
journal XXI qui se vend à 70.000 exemplaires par trimestre). Dans ce contexte économique, les
investigations sont bien payées : entre 3 et 5.000 €.
102
Jean-Jacques Jespers signale qu’en Belgique, il est possible d’activer la procédure pour action
téméraire et vexatoire.
101
134
Chapitre 2
les paradis fiscaux et l’univers de la finance internationale. Le 3 février 2011,
il a gagné le procès que Clearstream lui avait intenté : la Cour a jugé l’enquête
sérieuse, de bonne qualité et au service de l’intérêt général. Elle a en outre
estimé qu’un journaliste qui se bat contre des entités financières beaucoup plus
puissantes que lui a le droit de « se tromper un peu », et a fait ainsi monter d’un
cran la liberté d’expression. Les arrêts de la Cour de Cassation font désormais
jurisprudence et précisent que Denis Robert a subi un lourd préjudice à la
fois financier et moral. Denis Robert revendique le droit de diffamer (qui ne
signifie pas mentir mais dire sans preuve). Certaines diffamations sont utiles
pour informer et créer de nouveaux rapports de force.
Fondamentalement, Denis Robert pense que nos sociétés ont de plus en plus
besoin de médias indépendants, forts et puissants et de journalistes bien
formés qui prennent du recul, du temps et qui soient capables de trier les
informations. Pourtant, la tendance, sur le terrain, est plutôt au remplacement
des journalistes expérimentés par des travailleurs médiatiques (media
workers, selon les termes d’Alain Accardo).
2.1.5. Mise en perspective théorique
Selon Denis Ruellan (professeur à l’Université de Rennes), le journalisme est
une activité sociale d’information partagée par de nombreux acteurs dont
les journalistes professionnels.
L’identité professionnelle des journalistes est traversée par plusieurs
paradoxes ; en d’autres termes, elle est travaillée par des intérêts contradictoires
qui amènent les journalistes à devoir faire une chose et son contraire, à rester
par conséquent dans un entre-deux inconfortable.
-
Le journaliste est à la fois un auteur et un salarié, c’est-à-dire qu’il
doit conjuguer une liberté de travail et de pensée et sa subordination
à un employeur qui de facto bride sa liberté et sa gestion du
temps. À ce sujet, il est problématique que des journalistes soient
aujourd’hui payés en droits d’auteur ou sur facture. Outre les
enjeux économiques qu’elle soulève, cette situation tend à affaiblir
le lien salarial entre l’individu et l’entreprise et, par là-même, la
responsabilité du journaliste vis-à-vis de son employeur et de son
public. Un journaliste placé en situation d’auteur éprouve davantage
de difficultés à assumer son rôle vis-à-vis de l’information que s’il
est salarié.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
-
-
135
Le journalisme est une activité à la fois citoyenne et professionnelle
et s’assoit sur une légitimité externe (vis-à-vis de la société) et
sur une légitimité interne (vis-à-vis de l’entreprise). Les outils
actuels ont amplifié (et non pas créé) la collaboration de profanes
à la production d’information : aux formes d’auto-publication
via la radio, la photo, la presse de quartier, ont succédé les blogs
et l’utilisation plus fréquente d’images amateurs. Cette pratique
s’est organisée : des acteurs sociaux extérieurs prennent de plus en
plus part à la production d’information. Le média n’est plus le lieu
d’expression d’un seul émetteur mais un lieu de médiation entre
plusieurs émetteurs et plusieurs récepteurs. Ce modèle de réseau
amène le journaliste à redéfinir son rôle : il ne doit plus émettre
quelque chose mais relier des éléments hétérogènes.
La distinction entre intérêt public et intérêt du public constitue un
troisième paradoxe, qui est notamment partagé avec les enseignants :
ces professionnels doivent à la fois penser à un intérêt public
supérieur, tout en composant nécessairement avec les attentes de
leur public. L’un des problèmes rencontrés par les journalistes est la
pression de plus en plus forte de certaines contraintes économiques
qui, endossées par les journalistes, amènent ces derniers à renoncer à
l’intérêt public pour se concentrer sur l’intérêt du public. À certains
moments, des individus sont obligés d’assumer et d’intérioriser
des éléments auxquels ils ne devraient pas être confrontés dans la
pratique (comme les contraintes économiques) et de commettre des
actes en contradiction avec la déontologie de leur métier.
Denis Ruellan préconise, par conséquent
-
-
-
de protéger le statut de journaliste comme salarié et de renforcer
ainsi le lien de subordination, dans la mesure où la discontinuité
extrait le travailleur du salariat. La loi Cressard va dans ce sens mais
ne va pas jusqu’au bout puisque les pigistes ne jouissent pas des
mêmes avantages sociaux que les autres ;
de renforcer la possibilité pour les journalistes d’exercer leurs
responsabilités et de faire valoir leur droit de retrait. Il faut créer
les conditions d’expression du désaccord et organiser la médiation
entre les parties via des acteurs syndicaux et d’autres ;
que les médias citent de manière systématique leurs sources
d’information, qu’il s’agisse d’un journaliste, d’un lecteur ou d’un
service de communication. Le principe de citation des sources est
136
Chapitre 2
fondamental depuis des siècles et n’est pas appliqué quand ces sources
sont jugées « gênantes » (comme un service de communication). Les
journalistes ont parfaitement conscience de la pluralité des auteurs mais
ont d’énormes difficultés à en parler et à le reconnaître. La lisibilité
et la transparence des sources restent pourtant un gage de qualité.
Il serait intéressant de lancer une réflexion sur le statut des articles
(et donc de leurs auteurs) et d’identifier, au-delà du journaliste et de
l’éditeur, les autres personnes responsables des contenus informatifs.
Eric Scherer (professeur à l’Ecole de Journalisme de Sciences Po et directeur de
la stratégie numérique à France Télévisions) pointe la difficulté de trouver des
modèles économiques qui permettraient de gérer la transition numérique, ainsi
que les écueils culturels qui ont freiné l’adaptation des journalistes aux nouvelles
technologies. Le web des années 2000 a entraîné une véritable révolution qui a
fait succéder un monde de l’abondance d’informations à un monde de la rareté
des contenus et qui a impliqué un processus de démocratisation de la lecture,
de la création et de l’innovation. Dans ce contexte, le rôle du journaliste est
court-circuité à la fois par le bas et par le haut. Par le bas, puisque l’audience
peut désormais prendre le contrôle des moyens de production. Tout le monde
est, en quelque sorte, devenu média : twitter est devenue une agence de
presse mondiale, les non-journalistes (comme les sauveteurs, les pompiers
ou les victimes) sont les premiers à recueillir des témoignages, à collecter des
informations, à publier des photographies… Par le haut, puisque le journaliste
est également court-circuité par ses sources qui parviennent aujourd’hui à
communiquer en se passant des médias : les autorités politiques, culturelles,
économiques ont aujourd’hui la possibilité de prendre la parole en-dehors des
médias. Bref, le journaliste n’est plus le seul à dire au monde qui il est, il n’est
plus seul à écrire le « brouillon de l’histoire ».
Quatre fonctions étaient traditionnellement dévolues au journaliste :
la collecte des faits, l’enquête et l’investigation, la mise en perspective de
l’information, l’analyse et le commentaire. La première et la dernière de
ces missions sont aujourd’hui partagées avec l’audience via des espaces
numériques comme twitter et les blogs d’experts. L’enquête et l’investigation
peuvent aujourd’hui être lancées et menées par des ONG, des fondations,
des mécènes (même si cela pose des questions au niveau des raisons d’être de
ces enquêtes). Au final, selon Eric Scherer, seule la mise en perspective reste
l’apanage des journalistes qui doivent donc valoriser leur rôle de « phare face
à l’infobésité », de filtre vis-à-vis du « bruit de l’Internet ». Le journaliste
est la seule personne à être payée pour donner un sceau de véracité aux
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
137
informations ; c’est donc le fait de hiérarchiser l’information, d’ « ordonner
le chaos » qui donne une véritable valeur ajoutée au journalisme.
D’après Eric Scherer, pour survivre, le journalisme n’a d’autre choix que de se
réinventer et de tirer parti de la révolution numérique. Il faut ainsi envisager
un « journalisme augmenté »103. Augmenté de son audience (en passant d’un
journalisme de surplomb à un échange d’informations avec le public via les
réseaux sociaux). Augmenté de ses pairs (puisque la convergence des médias
ne permet plus de penser en silo et impose de coopérer entre médias, anciens
et nouveaux). Augmenté de la collaboration avec les ONG, les universités,
mais aussi avec d’autres corps de métier (comme les photographes, les
vidéastes, les designers, les développeurs, les statisticiens qui permettent
de développer le journalisme autrement). La valeur ajoutée du journalisme
et du « rich media » passe notamment par le bon usage des nouvelles
technologies (comme la cartographie ou la géolocalisation…). Les atouts du
journalisme ne se situent plus dans la maîtrise des outils technologiques (qui
est à la portée de tous et qui est un passage obligé pour tout professionnel des
médias), mais dans la media literacy (qui est la capacité d’analyser, d’évaluer
et de créer des contenus médiatiques) : les journalistes auront un rôle à jouer
dans la transmission de ce savoir à destination des citoyens, des entreprises,
du monde politique et économique (notamment en termes de copyright, de
diffamation, d’injures, de l’utilisation adéquate des différents supports). Un
autre défi de taille est, finalement, de retrouver la confiance du public, en
écartant le journalisme de connivence ou de fausse objectivité.
2.2. La formation des journalistes
Les enjeux de la formation
Le passage d’une culture monomédia à une culture multimédia rend
impérieux le recours à la formation. En outre, l’évolution des trajectoires
professionnelles oblige les journalistes à acquérir de nouvelles compétences
au cours de leur carrière. La pratique du journalisme sur Internet, l’utilisation
du web, l’exploitation des médias sociaux, l’adoption régulière d’un nouveau
système d’édition sont autant de matières qui supposent des formations
spécifiques. Philippe Laloux (digital manager pour lesoir.be) souligne que
les difficultés d’adaptation se manifestent à tous les niveaux des entreprises
Voir notamment http://owni.fr/2010/11/07/le-%C2%AB-journalisme-augmente-%C2%BB-en10-points (consulté le 20/01/2012).
103
138
Chapitre 2
médias et concernent à la fois les journalistes, les cadres de la rédaction
et les éditeurs. Pour un chef de service ou un rédacteur en chef, les tâches
ont évolué : il ne s’agit plus de fabriquer un produit fini, mais de gérer des
matières en continu sur plusieurs supports et avec plusieurs formats (on
parle de « gestion intégrée de l’information »). L’inculture numérique qui
consiste en l’absence de maîtrise des compétences techniques et de vision du
nouveau métier de journaliste ralentit les mutations à la fois dans les organes
de presse, dans des instances sectorielles comme l’AJP, dans les universités
et les écoles de journalisme.
Pour sa part, Tanguy Roosen (CSEM) affirme que l’éducation aux médias
doit non seulement se faire à l’école (grâce à des opérations telles que
« Journalistes en classe » et « Ouvrir mon quotidien »), mais également
au-delà du contexte scolaire : l’enjeu est de former toute la société civile,
en ce compris les journalistes eux-mêmes, à la literacy médiatique, c’est-àdire à « l’ensemble des compétences informationnelles, techniques, sociales
et psychosociales nécessaires à un utilisateur pour consommer, produire,
explorer et organiser des médias »104. Il est fondamental que les journalistes
prennent le temps, pendant et après leur formation initiale, d’adopter une
posture critique vis-à-vis de leur propre métier et de s’interroger sur leurs
pratiques qui sont aujourd’hui bouleversées par le numérique. Pour Tanguy
Roosen, l’éducation aux médias des professionnels de l’information compte
trois niveaux : l’acquisition de compétences techniques, l’approche critique
par rapport aux contenus et ensuite seulement, la création de leurs propres
contenus sur la base de ces compétences. Jean-François Dumont souligne, lui
aussi, que l’apprentissage des nouveaux outils technologiques est aujourd’hui
mis en œuvre mais ne se suffit pas à lui-même. Encore faut-il adopter une
posture raisonnée de la « chose numérique » et de ne tomber ni dans le rejet,
ni dans la fascination.
2.2.1. Formation initiale
A. Pourquoi un tel succès des filières Info-Com ?
Dans le cadre de sa mission d’accompagnement de cheminement d’orientation
de jeunes qui sortent du secondaire, le CIO organise des entretiens, des
ateliers et des animations afin de favoriser le questionnement sur soi et sur
Cette définition a été donnée par la Conférence européenne sur l’éducation aux médias (décembre 2009).
104
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
139
l’environnement du marché du travail. Afin d’apporter des éléments concrets
aux EGMI, le CIO a collecté des informations sur la perception par les jeunes
des études de communication et de leurs débouchés, auprès des conseillers
en orientation du CIO et à partir d’une vingtaine de questionnaires remplis
par des jeunes (lors de carrefours d’information).
-
-
-
-
À propos des perspectives professionnelles, il apparaît que de
nombreux jeunes résument souvent les métiers de la communication
à celui de journaliste, associent ce dernier à des tâches variées, à
des valeurs de rencontre, de contacts, de voyages, de liberté, en
ignorant ou oubliant le travail de bureau, la nécessaire maîtrise de
l’orthographe et des nouvelles technologies. Or, l’attrait du concret
et d’un métier varié, le goût des voyages et des contacts figurent
parmi les critères le plus souvent retenus par l’ensemble des jeunes
qui s’interrogent sur leur orientation professionnelle. L’adéquation
entre la perception du métier de journaliste et les attentes des
jeunes expliquerait donc en partie l’engouement pour les études de
communication.
Les études en communication elles-mêmes semblent perçues comme
plus faciles que d’autres et donc comme moins prestigieuses.
L’aspect général et large de cette formation est perçu parfois
positivement (aspect riche et pluridisciplinaire), parfois négativement
(aspect « fourre-tout »). Le Bac universitaire est perçu comme très
théorique par des jeunes qui, en général, sont demandeurs d’être
rapidement confrontés à des pratiques professionnelles. Philippe
De Coninck (HELHA) explique également le nombre croissant
d’inscrits dans les filières « communication » par l’aspect généraliste
de la formation qui ouvre la voie à plusieurs métiers possibles, qui
offre toute une série de passerelles entre les différentes orientations
de la catégorie « sociale » (par exemple, entre communication et
assistant social) et qui attire aussi nombre d’indécis qui ne désirent
pas encore choisir un métier en particulier. La polyvalence des
études en communication intéresse d’ailleurs aussi les employeurs.
Selon Philippe De Coninck, un autre attrait des études en
communication réside dans le projet de devenir des citoyens critiques
dans un espace social fortement marqué par les médias.
Afin de déconstruire et de nuancer certaines idées reçues sur le métier et
les études de communication, le CIO préconise de concevoir des supports
d’information sur les métiers de la communication et le journalisme et
140
Chapitre 2
d’organiser des opérations de sensibilisation. L’idée ne serait pas d’attirer
un maximum d’étudiants mais d’aiguiller le mieux possible les jeunes
susceptibles d’être intéressés et compétents dans le secteur de l’information
et de la communication.
Plus importante aux yeux des parents que des futurs étudiants, la question
des débouchés est souvent évoquée au moment du choix d’études. En ce qui
concerne les études en communication, tant les centres d’orientation, les
universités que les hautes écoles sont soucieux de prévenir les étudiants des
difficultés que rencontrent les journalistes pour trouver un emploi et surtout
de bonnes conditions de travail. L’AJP rappelle que la pléthore de diplômés
en journalisme et en communication sur le marché de l’emploi entraîne un
fort taux de chômage et une précarisation au moment de l’entrée dans la
profession de journaliste. Benoît Grevisse (UCL) nuance quelque peu ce
constat en notant que le nombre annuel de diplômés de niveau universitaire
en journalisme n’est pas excessif au vu du nécessaire renouvellement du corps
de journalistes (composé d’environ 2.000 personnes) et de l’orientation de
diplômés vers d’autres professions.
Même si on ne dispose pas de chiffres complets sur l’intégration
professionnelle des diplômés (notamment à cause des évolutions de carrière),
on peut estimer que :
-
-
-
Environ 200 étudiants sortent chaque année des formations de type
long en journalisme. 50% des étudiants qui sortent des formations de
type long trouvent un emploi dans leur champ de spécialité, au cours
de l’année qui suit l’obtention de leur diplôme. Seuls 8% ne trouvent
pas de travail. Les autres s’intègrent dans des secteurs très variés.
Du côté des hautes écoles, parmi les 1800 étudiants inscrits dans la
filière communication, seuls 15 à 20% se destinent à une carrière
journalistique. Parmi les 450 étudiants de troisième année, entre 60
et 90 diplômés embrassent finalement le métier de journaliste.
Selon une enquête récemment menée par l’AJP sur la formation
des journalistes, il apparaît que 77% des journalistes professionnels
sondés ont un diplôme universitaire ; 65% de ces journalistes ont un
diplôme de journalisme ou de communication (que ce diplôme soit
universitaire ou non). Parmi les diplômés universitaires, 74% le sont
en journalisme (les autres le sont dans des matières très diverses
comme la philologie, l’histoire, la science politique…). Parmi les
diplômés non universitaires, 34% seulement le sont en journalisme.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
141
B. Quels sont les profils recherchés par les employeurs ?
Auparavant, selon Philippe Laloux, régnait une certaine harmonie entre les
contenus enseignés, les usages et le modèle économique du journalisme :
la formation reçue permettait aux jeunes professionnels de s’adapter à leur
milieu de travail. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il est donc impératif que
les formations collent le plus rapidement possible aux nouveaux usages et
répondent aux nouvelles contraintes imposées par le métier, les employeurs
et les usagers.
En tant que recruteur pour le Soir.be, Philippe Laloux définit les compétences
requises chez les candidats journalistes qu’il engage :
-
-
-
-
L’agilité numérique implique le fait d’être à l’aise dans le paysage
médiatique actuel, tout en conservant les fondamentaux du métier de
journaliste. Cela implique des compétences techniques (comme les
outils d’externalisation tels que le crowdsourcing ou le fact-checking
sur Internet)105.
Par ailleurs, la qualité principale demandée aujourd’hui à un
journaliste est la polyvalence qui permet de diffuser l’information
sur différents supports. En effet, dans la logique du décloisonnement
des métiers, il s’agit de choisir des journalistes qui disposent à la
fois d’une expertise forte et de bonnes compétences dans d’autres
domaines.
La curiosité qui doit être à la fois journalistique mais aussi technique.
Il convient de donner envie aux étudiants de tester des outils
technologiques et des techniques narratives.
Enfin, les journalistes doivent être formés à la notion essentielle de
marketing personnel, voire aux techniques de l’entreprenariat et
disposer de qualités personnelles, telles que la minutie, la gestion du
stress et l’autonomie. Alors que Daniel Van Wylick décèle un léger retard dans l’enseignement
des matières numériques au niveau des universités et des hautes écoles
de la FWB, Philippe Laloux estime que l’agilité numérique est bel et bien
enseignée par les lieux de formation mais n’est pas encore assez valorisée et
105
Dans ce sens, selon Philippe Laloux, imposer à un étudiant de créer son propre blog est le plus
beau cadeau qu’on puisse lui faire. Un blog constitue une belle plate-forme d’apprentissage car il
permet d’innover et exige la maîtrise de toute la chaîne d’information et de la gestion de l’interactivité (qui est en soi une vraie compétence à laquelle il faut former les journalistes).
142
Chapitre 2
recherchée par les recruteurs. En ce qui concerne la gestion de l’interactivité
avec le public, Marc Sinnaeve souligne que la question de la réception n’est
que très peu évoquée dans la formation initiale (essentiellement focalisée sur
la production des contenus médiatiques)106.
C. Quelle est l’offre de formation en FWB ?
En FWB coexistent des Bacs professionnalisants (en haute école) et des
Bacs universitaires qui permettent seulement d’accéder aux Masters.
Dans ce sens, les formations en InfoCom sont assez éloignées du système
de Bologne qui prévoit l’apprentissage d’un métier au niveau du Bac et un
approfondissement de la matière au niveau du Master. En ce qui concerne
l’accès aux études, le décret sur l’enseignement supérieur interdit de limiter
le nombre d’inscrits (sauf s’il y a un manque de place). Les enseignants
des hautes écoles et des universités sont favorables au principe du libre
accès et s’opposent à l’uniformisation des programmes de formation en
journalisme. Aux yeux des représentants des universités, le système français
d’examen d’entrée a l’avantage pratique de réduire le nombre d’entrants mais
l’inconvénient majeur de s’opposer aux principes de liberté d’expression et
d’égalité sociale. Aux yeux des formateurs des universités et des hautes écoles,
l’offre diversifiée de formations en InfoCom et la possibilité d’entamer un
Master en InfoCom après avoir obtenu un diplôme de premier cycle dans
de nombreuses branches sont justement les gages d’une appréciable diversité
sociale et disciplinaire parmi les journalistes belges.
1°) Hautes écoles
Au nombre de 21 en FWB, les hautes écoles organisent un enseignement
supérieur de type court et professionnalisant. Contrairement au système flamand
qui range la communication dans la catégorie des formations économiques, le
système belge francophone la classe parmi les formations sociales.
Actuellement, des groupes de travail sont en train de définir les profils de
formation, les contenus et les compétences à construire dans la catégorie des
formations sociales. Ils ont défini un ensemble de 6 compétences-clefs visées
par la formation en communication (qui se déclinent chacune en une série
de capacités particulières) :
En France, la problématique de la réception est explorée par l’Institut « Médiascopie » dirigé
par Denis Muzet. Voir http://mediascopie.fr
106
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
143
1. établir une communication professionnelle (ce qui implique la maîtrise
de la langue maternelle et la connaissance d’une langue étrangère) ;
2. interagir avec son milieu professionnel ;
3. inscrire sa pratique dans une réflexion critique, citoyenne, responsable ;
4. mobiliser des savoirs généraux et spécifiques aux domaines de
l’information, de la communication, à l’univers des médias et de la
culture ;
5. informer, sensibiliser et divertir dans les domaines de l’information, de
la communication, des médias et de la culture ;
6. gérer un projet de communication et d’information dans sa globalité.
L’objectif des bacheliers en communication est de former des professionnels
de l’information et de la communication qui soient à la fois spécialisés
et polyvalents. Pour ce faire, le cursus est articulé autour de trois axes principaux : des cours généraux (de droit, d’économie, de sociologie,
d’histoire), des cours spécifiques (généralement dispensés par des
professionnels actifs et orientés vers le journalisme mais aussi les relations
publiques, la communication et l’animation socioculturelle) et l’intégration
professionnelle essentiellement organisée sous forme de stages qui, en cas
d’échec, entraînent le redoublement automatique de l’étudiant. Par ailleurs,
les valeurs éthiques et déontologiques sont enseignées tout au long de la
formation. L’objectif est d’intégrer les différents apprentissages en favorisant
les interactions entre les cours de formation générale, les ateliers en petits
groupes, les stages et le travail de fin d’étude. Annuellement, les programmes
sont évalués, remis en question et adaptés en fonction de l’évolution du
secteur : concrètement, la plupart des hautes écoles ont créé une section
spécifique consacrée à l’écriture multimédia. L’intégration du numérique
dans la formation se joue également lors de colloques et de conférences
organisées en complément de la grille-horaire.
Actuellement, certains programmes des filières « communication » en haute
école ménagent la possibilité de se spécialiser en troisième année. Le principe
est de maintenir un Bachelier généraliste tout en ouvrant une porte vers
le métier de journaliste. Quelle que soit l’orientation choisie en Bac III, les
étudiants reçoivent le même diplôme de bachelier en Communication. Seul
le supplément au diplôme (SD) reprend les formations spécifiques suivies par
l’étudiant. L’objectif est bien de donner aux diplômés une faculté de polyvalence
et d’adaptation qui leur permettra d’apprendre le métier de journaliste sur le
terrain ou de se réorienter, si nécessaire, sur le marché du travail. Selon le CIO
et le SIEP, la polyvalence est un atout majeur des diplômés en communication.
144
Chapitre 2
Cependant, Olivier Renders (CIO) trouverait souhaitable que les formations
de type court affinent ces options et s’engagent donc dans la voie d’une plus
grande spécialisation (par exemple, en relations publiques).
2°) Universités & formations de type long
L’Aeqes est une agence de service public qui a pour mission de contribuer
à l’amélioration de la qualité de l’enseignement supérieur subventionné
par la FWB. En 2008-2009, a été lancé le processus d’évaluation des cursus
Information et Communication qui concernait 9 programmes inscrits dans
des formations (non) universitaires de type long. Comme le résume le comité
de gestion de l’Aeqes107, les formations en Info-Com présentent la spécificité
d’être très hétérogènes (même à l’échelle de la FWB) et extrêmement
attractives (un total de 5000 étudiants étaient concernés par les cursus
évalués en 2008-2009).
-
-
-
Les atouts des formations résident dans la légitimité et l’ancrage de
la discipline Info-Com dans la tradition de l’enseignement supérieur
en FWB, l’articulation entre l’enseignement et la recherche, la
solidité et la progressivité des programmes ainsi que l’adéquation
des équipements techniques aux besoins de la formation.
Du côté des points faibles, les experts pointent le fait que les étudiants
doivent attendre la deuxième ou la troisième année pour toucher
véritablement à leur discipline, le fort taux d’échec et d’abandon
imputable à une mauvaise appréciation du taux d’exigence ou à
une certaine déception, l’importance très variable qui est donnée à
l’apprentissage des langues (tantôt prioritaire, tantôt subsidiaire) et
la faible visibilité du master en communication multilingue.
Les études en InfoCom sont confrontées à des défis majeurs :
la transformation rapide des métiers de l’information et de la
communication à laquelle doit s’adapter continuellement l’offre
de formations. Il apparaît dès lors indispensable d’intégrer
des professionnels dans l’équipe pédagogique et de tirer des
enseignements des témoignages d’anciens étudiants.
En écho aux conclusions de l’évaluation Aeqes, les représentants de l’ULB,
l’UCL, de l’ULG et de l’IHECS soulignent l’excellent niveau, en FWB, de l’offre
L’intégralité du rapport du comité des experts est consultable sur http://www.aeqes.be/documents/ATINFOCOMMEP.pdf.
107
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
145
d’enseignement de type long dans le domaine du journalisme. Ils rappellent
également que la Belgique francophone figure parmi les pionnières dans la
formation des journalistes et jouit d’une importante expertise dans le domaine.
Les universités belges francophones peuvent se prévaloir d’une reconnaissance
internationale. Enfin, les différents établissements belges francophones
entretiennent une tradition de collaboration et de concertation tant au niveau
de la recherche qu’au niveau de l’enseignement : depuis 2003, le programme des
études de premier cycle d’information et communication est harmonisé à 60%.
Les formations de type long visent à enseigner aux futurs journalistes non
seulement les aspects pratiques de leur métier mais aussi les fondements
universitaires d’une formation humaniste de haut niveau. En effet, les
médias constituent un secteur à responsabilité et doivent être dirigés par des
professionnels formés à des compétences plus larges que la seule maîtrise
d’outils techniques. La formation des journalistes doit ainsi répondre à une
double contrainte : d’une part, il s’agit de répondre aux attentes du marché
de l’emploi en veillant à l’employabilité des diplômés ; d’autre part, dans
une perspective universitaire traditionnelle, les lieux de formation sont les
garants d’une vision démocratique du métier de journaliste et d’une certaine
qualité de l’information produite.
Si les formations de type long en journalisme s’organisent de manière
variable selon les établissements, leurs programmes sont tous fondés sur
une approche progressive entre un premier cycle qui s’articule autour
d’une formation intellectuelle solide et un second cycle focalisé sur des
cours pratiques108 . Dès l’origine, les formations de type long ont intégré la
professionnalisation du métier dans leur programme. La pédagogie pratique
explique, en partie, la durée des études de journalisme : cinq ans permettent
de s’essayer à différents métiers et de laisser mûrir des choix professionnels.
Le souci d’adéquation entre enseignement et pratiques professionnelles se
manifeste, dans les écoles de journalisme, de plusieurs manières :
-
-
les écoles de journalisme disposent de matériel et d’infrastructures
qui exigent des investissements importants (logiciels, caméras et
appareils photo numériques, studios d’enregistrement, tables de
montage…) ;
elles intègrent des professionnels dans leur équipe pédagogique. En
108
Le CIO estime d’ailleurs que les formations de type long sont bien construites et progressives
dans la mesure où elles offrent une formation pluridisciplinaire solide avant de dispenser une
formation professionnalisante pointue.
146
Chapitre 2
-
tant que titulaires des cours pratiques, ces professionnels partagent
à la fois leur savoir-faire et leur passion. L’enjeu est d’apprendre aux
étudiants leur métier en temps réel avec de vrais outils et de leur
faire connaître les difficultés et l’attrait de cette profession ;
Les universitaires assurent une veille professionnelle, c’est-àdire qu’ils observent les évolutions des métiers, des pratiques,
des représentations et des identités. Dans ce domaine, ils mettent
d’ailleurs au jour le comportement paradoxal d’employeurs qui
exigent un niveau très élevé de la formation des journalistes à qui ils
offrent finalement des conditions d’emploi précaires.
La gestion du plurimédia (terme qu’il convient de préférer au multimédia
puisqu’il s’agit non pas d’accumuler différents supports mais de gérer la
modulation des contenus sur ces différents supports) n’exige pas seulement
de se servir d’outils mais surtout de les utiliser à bon escient et d’en cerner les
avantages sur le long terme. S’il est évident que la formation de journalistes
doit prendre en considération l’apparition de nouvelles technologies, Benoît
Grevisse affirme qu’il ne faut pas céder aux « effets de mode » et à la fuite
en avant du « technologisme » . La complémentarité de la recherche et de
l’enseignement permet aux universités et à l’IHECS d’anticiper les tendances
et les évolutions des conditions de travail des journalistes et des modes de
consommation de l’information.
En comparaison aux hautes écoles, les universités et l’IHECS présentent la
spécificité de faire du journalisme une discipline tout à fait distincte des
métiers de la communication et des relations publiques (cette distinction est
d’ailleurs une condition pour faire partie de l’Association Européenne des
Écoles de Journalisme). Par ailleurs, la formation universitaire se définit par
une approche globale du métier de journalisme : des cours d’application de
haut niveau s’appuient sur une formation universitaire et critique qui initie
les jeunes à la conceptualisation et à la systématisation. Aux étudiants qui
s’interrogent, cette fois, sur les différences entre l’enseignement universitaire
et en haute école (dont l’IHECS), le CIO répond que les études (surtout de type
long) présentent d’importants points communs et mènent aux mêmes métiers.
Les différences se situent au niveau de la pédagogie et du contexte. En ce qui
concerne les cours, à l’université, les cours sont plus théoriques et conceptuels,
tandis qu’à l’IHECS, les cours sont plus pratiques dès le Bac II, les exigences en
langues sont plus élevées. Le contexte est également différent : l’IHECS est une
structure plus petite focalisée sur les métiers de la communication, tandis que
l’université permet de rencontrer des étudiants d’autres disciplines.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
147
En ce qui concerne la passerelle entre le Bac en haute école et le Master, les
responsables des types courts et longs font part de points de vue divergents.
Sur les 110 diplômés de la filière communication des hautes écoles, seuls
deux ou trois étudiants utilisent la passerelle vers le master en journalisme.
Selon les responsables des formations de type court, ce choix est freiné par
les nombreuses redondances (pointées par les étudiants concernés) entre le
Bac et le Master et également par l’obligation de passer par une année de
transition.
-
-
Au vu du peu d’intérêt que les étudiants reconnaissent à cette année
supplémentaire, les hautes écoles se disent favorables à la suppression
de cette année de transition (qui n’est d’ailleurs appliquée qu’en
Belgique et n’existe pas pour des étudiants qui choisissent de passer
directement en master en France). Ils préconisent plutôt l’intégration
en master de cours complémentaires qui viseraient à développer
l’aspect recherche (peu exploré dans les hautes écoles).
Les représentants des universités ne sont pas favorables à l’admission
des diplômés des hautes écoles en master sur la base d’un examen
ou de cours supplémentaires. Selon eux, la formule d’une année
préparatoire de transition permet d’enseigner les grandes disciplines
de base des sciences humaines et permet d’accueillir en master de
brillants étudiants. Au vu des logiques distinctes qui structurent la
formation en haute école et à l’université, il est indéniable, d’après
les responsables de formations de type long, qu’il y a redondance
entre les cours pratiques donnés en premier cycle en haute école et
en second cycle à l’université.
3°) Des stages : pourquoi, quand et combien de temps ?
La politique des stages est un point essentiel de la formation des futurs
journalistes et est envisagée de manière différente par les universités et les
hautes écoles.
-
-
Pour les responsables des hautes écoles, un stage joue un rôle
important dans l’orientation des étudiants, puisqu’il a l’avantage
de confirmer ou de remettre en cause le choix d’étude. Il apparaît
primordial de conforter le plus vite possible les étudiants dans leur
choix d’étude et donc d’organiser ce stage en début de cursus.
Du côté des universités, les responsables des programmes de
formation estiment que l’organisation des stages d’observation dès
148
Chapitre 2
la première année d’étude est inadaptée aux rédactions actuelles : le
métier est devenu trop technique pour s’apprendre « sur le tas ». Aux
yeux des formateurs universitaires, il apparaît de plus en plus nécessaire
d’être formé avant de se lancer sur le terrain professionnel109. En
début de parcours, les étudiants ne sont pas encore en mesure de tirer
pleinement profit du stage présenté à l’université comme un travail
réflexif sur les pratiques professionnelles et comme l’aboutissement
de cinq années d’étude. Par ailleurs, un bon stage est un pas décisif
dans l’intégration professionnelle (de nombreux étudiants trouvent
leur premier emploi là où ils ont fait leur stage)110.
Quelles que soient les modalités choisies, les stages en journalisme posent des
problèmes organisationnels : les étudiants éprouvent beaucoup de difficultés
à trouver des lieux de stage dans la mesure où, sous la pression économique,
nombre de rédactions limitent le nombre de stagiaires à un ou deux à la fois.
Ainsi, les hautes écoles tentent de trouver des alternatives au stage obligatoire
pour le millier d’étudiants de première année. Il est ainsi envisagé d’organiser
un système de « stage en interne » ou un système mixte qui combinerait
les phases interne et externe et qui permettrait de raccourcir le stage sur le
terrain professionnel. Le « stage en interne » consiste, comme cela se fait déjà
à l’École Condorcet de Charleroi, en une semaine d’ateliers qui permettent
aux étudiants de rencontrer des conférenciers extérieurs et de découvrir, de
la sorte, les différents aspects des métiers de la communication. Au niveau
du Bac III, Philippe De Coninck (Helha) fait remarquer que seuls 10 à 20%
des étudiants effectuent un stage de journalisme, la plupart du temps dans
des rédactions régionales et locales. Selon Benoît Grevisse (UCL), il serait
raisonnable de réserver les stages aux étudiants qui ont spécifiquement choisi
le journalisme. Par ailleurs, il serait intéressant d’envoyer des étudiants en
stage dans d’autres endroits que dans une rédaction.
En ce qui concerne la durée des stages, le décret sur l’enseignement supérieur
prévoit un minimum pour les hautes écoles : l’équivalent de 4 semaines
Jean-Jacques Jespers souligne l’intérêt de la démarche inverse qui développerait des réflexions
critiques sur la base d’une expérience pratique. Reste le problème de la faisabilité d’une telle réorganisation (qui aurait par ailleurs l’avantage de mieux correspondre à la philosophie du système
de Bologne)…
110
Daniel Van Wylick confirme que lui-même a réalisé 50% de ses engagements sur la base d’un
bon stage. Selon lui, la durée idéale d’un stage est de deux mois. Xavier Mouligneau avance des
chiffres qui corroborent l’importance du stage : un étudiant de l’HELHA sur deux décroche un
emploi sur son lieu de stage. Marc Vanesse (ULg) se dit, lui, partisan de l’organisation d’un mois
de stage une fois, en Bac et une fois, en Master.
109
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
149
de stage en première année, 7 à 8 semaines en deuxième et trois mois en
troisième. Au-delà de cette obligation légale, les formateurs des hautes
écoles estiment nécessaire que les stages soient longs afin de mener une
activité d’information et de communication depuis sa conception jusqu’à
sa diffusion (cela est particulièrement vrai pour l’animation de projets).
Les représentants des universités s’opposent, pour leur part, à organiser
des stages plus longs qu’un mois dans la mesure où, le cas échéant, ils se
soustrairaient à leurs responsabilités de formateurs et surtout où un stage
de longue durée équivaudrait à du travail gratuit et donc à une menace
pour les pigistes. Soucieuse de la concurrence du travail gratuit fourni par
les stagiaires, l’AJP estime nécessaire soit de raccourcir les stages, soit de
faire passer le stagiaire d’une rédaction à l’autre afin d’éviter de passer trois
mois au même endroit111. Pour Denis Ruellan, les difficultés économiques
d’un secteur ne justifient en rien d’assigner à des non-salariés des charges
de travail que le personnel normal des entreprises n’arrive pas à assumer.
Le sociologue français insiste sur le fait que le stagiaire est en situation
d’apprentissage et non d’emploi. Juridiquement, en France, en vertu de la
convention tripartite qui lie l’étudiant, l’université et le média, l’étudiant est
certes soumis au règlement intérieur de l’entreprise mais ne doit répondre
qu’aux « ordres » de l’institution universitaire112 .
Enfin, tous les acteurs insistent sur la nécessité d’un encadrement de qualité
pour les stagiaires qui sont trop souvent livrés à eux-mêmes. Vu les contraintes
de production, les rédactions manquent de temps pour suivre correctement les
stagiaires et, selon Mateusz Kukulka, oublient trop souvent leur responsabilité
de formation. Marc Fion fait remarquer que, dans la presse écrite régionale, on
ne libère que rarement le quart-temps théoriquement dévolu à l’encadrement
des stagiaires. Benoît Grevisse propose que les conventions d’encadrement des
stages (qui prévoient que l’étudiant soit à la fois évalué par un professeur de
l’école et par un journaliste professionnel qui a la responsabilité d’encadrer
le stagiaire) soient affinées et tentent notamment de mieux tirer profit de
l’expérience et de la disponibilité de journalistes qui quittent les rédactions plus
Joseph Dal Zotto (Haute École de la Province de Liège) précise que, dans son établissement, les
périodes de 3 mois sont généralement divisées en deux stages distincts de six semaines. Frédéric
Delfosse (Haute École de Liège) souligne que cette problématique concerne également les éditeurs
qui devraient s’engager à former les stagiaires plutôt qu’à les utiliser comme des travailleurs.
112
Xavier Mouligneau (HELHA) signale qu’en Belgique, certaines rédactions font travailler les
stagiaires « à blanc », justement afin de laisser du travail aux pigistes qu’elles doivent préserver.
Plusieurs professionnels estiment que le travail « à blanc » n’est pas tenable dans des rédactions
soumises à de fortes pressions économiques et présente, en outre, l’inconvénient de démotiver les
stagiaires.
111
150
Chapitre 2
tôt qu’avant. Marc Sinnaeve suggère, pour sa part, de lier par une convention
l’école de journalisme, l’AJP et l’éditeur qui prévoirait l’engagement de pigistes
pour effectuer la production qui n’aurait pu être réalisée par le maître de stage.
Jean-François Dumont craint que ce système ne soit trop coûteux et amène à
désigner comme maîtres de stage des journalistes interchangeables, qui soient
facilement remplaçables par des pigistes.
2.2.2. Formation continuée
A. Le point de vue des journalistes
L’offre de formation continuée en FWB apparaît comme sous-développée,
surtout si l’on compare la situation avec la Flandre (qui octroie un million
d’euros annuels à la formation permanente des journalistes) et de pays
voisins (comme la France, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas). L’AJP a mené
une enquête au sujet des demandes des journalistes en matière de formation
(auprès d’un échantillon de 2.363 journalistes dont 644 ont répondu). Il y
apparaît qu’un journaliste professionnel sur deux n’a suivi aucune formation
permanente. Ce chiffre global de 50% varie en fonction du statut du
journaliste (seul un indépendant sur trois a suivi une formation au cours
de sa carrière), en fonction du genre (53,73% des hommes et 45,67% des
femmes ont suivi une formation) et en fonction des types de médias (pour
les journalistes salariés) : ceux qui ont reçu le plus de formation continuée
sont les journalistes de la presse quotidienne et de l’audiovisuel public. Au
niveau du contenu des formations reçues, la plupart d’entre elles étaient
consacrées aux nouveaux logiciels et outils informatiques, aux nouveaux
médias, au langage journalistique et aux langues étrangères. Globalement,
les journalistes se disent satisfaits des formations qui leur sont apparues
comme utiles et directement liées à leur profession.
En ce qui concerne les attentes des journalistes, ceux-ci se disent demandeurs
de formations plus fréquentes, plus longues (idéalement d’un jour ou deux),
plus approfondies, plus diversifiées (au-delà des formations majoritairement
consacrées aux nouveaux médias, outils éditoriaux et à l’apprentissage du
néerlandais, certains journalistes désireraient bénéficier de formations de
fond sur de grandes thématiques comme l’Islam, le système judiciaire belge,
les questions de crise économique et financière, les matières européennes…).
L’offre actuelle de formation continuée en FWB apparaît donc comme
insuffisante. En général, les journalistes souhaitent que leur employeur
assume, totalement ou partiellement, les frais de la formation. Alors que l’e-
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
151
learning est devenu une pratique courante en Allemagne et au Royaume-Uni,
seulement 8% des répondants de l’enquête de l’AJP se déclarent favorables à
un tel dispositif.
À la lumière des résultats de cette enquête et d’exemples étrangers, l’AJP
a construit un projet qui vise à fournir une offre spécifique de formation
permanente à destination de tous les journalistes de la FWB et ce, à un coût
abordable. À l’heure actuelle, les formations en FWB sont non seulement
rares mais aussi extrêmement coûteuses. L’amélioration et l’enrichissement
de la formation des journalistes auront comme conséquence d’améliorer les
contenus médiatiques et d’offrir aux journalistes des outils de développement
personnel et professionnel. L’idée consiste à créer un pôle opérationnel
dynamique de formation qui identifierait les besoins des journalistes et qui
les mettrait en lien avec les ressources existantes (qu’il s’agisse de milieux
académiques, d’experts, de journalistes formateurs ou d’institutions
comme le CSA, le CRISP…). L’AJP elle-même se propose de jouer le rôle
d’opérateur puisqu’elle est une organisation transversale, indépendante et
reconnue, qu’elle s’occupe de tous les journalistes (avec qui elle est en contact
immédiat) et qu’elle dispose d’une expérience de formation, de publication et
de gestion de projet113. Ce pôle opérationnel (qui emploierait une personne à
temps plein et un(e) assistant(e) à mi-temps) jouerait le rôle d’interface entre
les formateurs et les publics (journalistes agréés ou non-agréés, salariés et
pigistes qui ne peuvent pas bénéficier de formations proposées et offertes par
des éditeurs). Composé de journalistes, d’employeurs et d’experts extérieurs,
un Conseil d’orientation serait chargé de définir le plus judicieusement
possible les objectifs des formations offertes. Aux yeux de l’AJP, il est
essentiel que les journalistes soient au cœur du processus. Concrètement,
l’AJP estime que cette structure pourrait fonctionner avec un investissement
de base de 300.000 €/an114. Les fonds pourraient venir d’une subvention de la
FWB, d’autres partenariats, ainsi que de la participation des employeurs (et
éventuellement des journalistes eux-mêmes).
À Daniel Van Wylick qui craint que le projet de l’AJP ne crée une concurrence entre les initiatives des différents acteurs du secteur, en particulier vis-à-vis des universités et des hautes écoles,
Martine Simonis et Jean-François Dumont répondent que ce projet peut être complémentaire
d’autres initiatives (puisqu’il servirait essentiellement à faire percoler la formation permanente
en FWB en connectant les différentes actions en la matière).
114
Cette somme servirait à couvrir les frais de personnel, de matériel, de gestion et de publication
ainsi que le loyer, les déplacements et le défraiement des formateurs. Aux yeux de Benoît Grevisse
et Jean-François Raskin, eux-mêmes responsables de structures de formation continuée (voir
infra), cette structure n’est financièrement pas viable.
113
152
Chapitre 2
B. Le point de vue des éditeurs
1°) L’expérience de la formation continuée en Flandre
Dans la mesure où leurs fédérations représentent des périodiques tant
francophones que néerlandophones, Alain Lambrechts (The PPress) et
Jean-Paul Van Grieken (UPP) font part de leur expérience dans le domaine
de la formation continuée telle qu’elle est organisée en Flandre. En 2008, de
steun aan de geschreven pers a été redéfini : cette initiative, qui vise à améliorer
la qualité des médias et à encourager la pluralité d’opinions, s’est traduite
par une aide à la formation des journalistes. Concrètement, le gouvernement
flamand a investi 1.000.000 € par an dans la formation continuée à l’attention
des professionnels employés à la fois par la presse quotidienne et par la presse
magazine. Chaque fédération reçoit une enveloppe de 35.000 €, le reste
étant réparti au prorata du nombre de personnes qui exercent la fonction
de journaliste (et qui n’ont donc pas tous le statut de journalistes
professionnels) : 6,5 % pour l’Union de la Presse périodique115, 6,5 % pour la
VUKPP116 , environ 30 % pour The Ppress117 et 55 % pour la presse quotidienne.
Le principe général du soutien gouvernemental à la formation est que les
subsides publics couvrent un maximum de 60% des sommes dépensées dans
le projet. Théoriquement, les 40% restants sont à charge des éditeurs euxmêmes118 .
Dès 2008, l’UPP et la VUKPP ont décidé de fusionner leur projet de formation
À l’heure actuelle, l’UPP (l’Union des éditeurs de la presse périodique belge fondée en 1891)
représente environ 280 maisons d’édition, 830 titres (qu’il s’agisse d’une presse grand public,
professionnelle ou associative).
116
La VUKPP désigne la Vereniging van de uitgevers van de katholieke periodieke pers ou Fédération des éditeurs de la presse catholique flamande. Elle rassemble des groupes de presse très
différents, comme Roularta, la revue Kerk & Leven éditée par Halewijn, Averbode, les revues du
Boerenbond, De Bond, émanation de la Ligue des familles flamande.
117
The Ppress est une des deux associations professionnelles de la presse périodique et regroupe
des médias B2B (Business to Business) et B2C (Business to Consumer). Elle comporte cinq départements : B2B Press (presse professionnelle), Custo (presse relationnelle), Free Press (presse
gratuite), OPABelgium (presse digitale) et Febelmag (presse magazine grand public). Pour le détail
des départements et des titres représentés, voir le memorandum de The Ppress sur l’espace «pro»
du site des EGMI.
118
Si, en principe, les 40% restants sont des apports propres des journaux, l’insuffisance de moyens
des petits éditeurs a amené à la conclusion d’un accord entre l’UPP et le Gouvernement flamand
qui a accepté de rémunérer le temps de travail que le personnel consacre à l’Académie et aux réunions avec les enseignants. Au final, les opérations sont blanches pour les éditeurs de l’UPP.
115
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
153
continuée et ont créé l’Academie voor de Periodieke Pers119. Cette dernière
a pour objectif de former et de recycler les professionnels du secteur, en
ce compris les journalistes, les éditeurs, les correspondants extérieurs, les
metteurs en page, les graphistes (l’idée étant que la transition numérique
touche tous les métiers du secteur de la presse périodique)120… Nombre
des rédacteurs engagés par la presse périodique ne sont pas journalistes
professionnels (mais spécialistes des matières techniques et professionnelles
dont traite leur magazine) et ont donc un besoin particulier de formation à
l’écriture et à la déontologie journalistiques.
Ensemble, l’UPP et la VUKPP, reçoivent 130.000 € par an pour assurer le
fonctionnement de l’académie, mise en place en partenariat avec la Haute
École Lessius de Malines. Les formations sont pratiques et concrètes, se
déroulent en groupes de travail, qui comptent une quinzaine de participants
par modules d’un ou deux jour(s). Un journaliste désireux de participer
s’inscrit via sa maison d’édition, qui s’acquitte du droit d’inscription pour
les membres de son personnel, et ne paye lui-même qu’une trentaine d’euros.
L’offre est extrêmement diversifiée puisqu’elle comprend des formations
concernant la rédaction par l’image, les techniques d’interview, le restyling des
périodiques, la presse photographique numérique, l’écriture journalistique,
la rédaction correcte du néerlandais, la rédaction en ligne, les compétences
journalistiques et le journalisme vidéo…
L’ Academie voor de Periodieke Pers a formé 126 participants en 2009 ; 167, en
2010 ; 195, en 2011. Face à un tel succès, ces modules passeront de dix à seize
en 2012121 et seront renouvelés selon les demandes des participants. Une autre
innovation consiste en la création de la fonction d’un coach media qui, via le
site « www.persacademie.be », aide les journalistes qui ont suivi une formation
particulière à tester leurs connaissances et à améliorer leurs points faibles.
Pour sa part, The Ppress a fait précéder la définition de son offre en
formation par une enquête qualitative et quantitative auprès des journalistes
et des éditeurs pour connaître les types de formations que les journalistes
Voir, pour les informatiques pratiques, le site http://www.persacademie.be
L’Academie voor de periodieke pers assure uniquement des formations pour le personnel des
maisons d’édition. Jean-Paul van Grieken signale que se met en place en FWB un projet d’un
centre de formation pour les diffuseurs de presse.
121
Trois nouveaux modules ont ainsi été instaurés : le « e-zins », sur les magazines digitaux ;
« Journalistes et médias sociaux » : Facebook, Twitter, ou encore les « blogs personnels » de journalistes professionnels qui posent des questions spécifiques en termes de déontologie.
119
120
154
Chapitre 2
suivent et voudraient suivre. Dans les conclusions générales, l’enquête révèle
la convergence des intérêts des journalistes et des éditeurs qui cherchent à
« élargir les compétences professionnelles » des journalistes. Selon l’enquête,
la formation la plus suivie est celle touchant aux techniques de l’audiovisuel
(notamment, le vidéomontage). Du côté des attentes focalisées sur des aspects
pratiques du métier, figurent les formations sur l’Internet (questions de la
recherche critique et utilisation de l’Internet comme source journalistique,
travail digital de l’image) et sur le people management.
À la suite de l’enquête, les besoins en formation ont été définis : il s’agit
essentiellement des demandes liées à l’informatique et à l’Internet, des besoins
de formation en langues ainsi que des demandes plus classiques comme le
soutien audiovisuel, la formation en technique d’interview. Sur la base de ces
résultats, The PPress a créé The Ppress academy, a investi 500.000 € dans
ses programmes de formation (a donc dépassé le montant subsidiable qui
est plafonné à 320.000 €) et a développé trois axes d’action : des formations
internes (pour les grands groupes), des formations externes (à destination
des éditeurs de taille petite ou moyenne et en partenariat avec deux hautes
écoles néerlandophones, la Artevelde Hogeschool et la Plantijn Hogeschool122)
et des formations via le site Internet de l’Académie (www.theppressacademy.
be). À condition qu’ils soient stagiaires ou membres d’une des fédérations de
la presse écrite ou que leur éditeur soit membre de la JFB ou de The PPress,
les journalistes ne payent qu’une participation minimale (de 30 € par journée
de formation). Ces formations rencontrent un intérêt croissant : au total,
2.620 formations ont été dispensées en 2011.
Alors que le gouvernement flamand envisageait de mettre fin au projet
de formation des journalistes en décembre 2011, les éditeurs de presse
(quotidienne et périodique) ont convaincu la ministre Ingrid Lieten d’affecter
un nouveau million d’euros à la poursuite du projet. La condition a été que
le projet devienne global et intègre à terme l’audiovisuel (moyennant une
augmentation des subsides). Les quatre projets initiaux vont donc fusionner
en un seul projet sectoriel. La Media Academy fonctionnera en fonction des
orientations d’un Adviesraad (conseil consultatif) au sein duquel siègeront les
quatre fédérations concernées, le cabinet de la ministre Lieten, le Conseil de
déontologie néerlandophone et l’Association des Journalistes Professionnels
122
Ce choix des hautes écoles s’explique à la fois par des contacts personnels déjà noués et par un
haut degré de satisfaction vis-à-vis des formations reçues. En outre, dans le cadre de la PPress
academy, l’Artevelde Hogeschool a développé de nouveaux modules destinés aux éditeurs (parfois
intégrés dans son propre cursus).
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
155
néerlandophones (VVJ)123. Les formations seront désormais ouvertes à tous
les éditeurs, associations et journalistes, sous contrat ou indépendants.
Destiné à devenir le site-coupole de la Media Academy, le site de The PPress
Academy a pour vocation d’être une base de données et un lieu d’échanges
et d’informations sur l’offre des formations pour journalistes.
Certes, la formation continuée des journalistes, telle qu’elle est organisée
en Flandre, s’adresse à un corps professionnel très diversifié (qui comporte
les rédacteurs de périodiques B2B en attente d’une formation de base ou
des journalistes professionnels expérimentés de médias traditionnels et
demandeurs d’un recyclage). Selon Alain Lambrechts et Jean-Paul van
Grieken, la formule ouverte et souple de la Media Academy permet de
résoudre cette difficulté : c’est justement pour répondre aux demandes
spécifiques et variables du secteur que l’offre de formations présente une
palette de modules qui sont dotés de degrés de difficulté variables, qui
peuvent s’organiser en externe (pour les attentes communes qui sont l’usage
d’Internet, la rédaction en ligne, le travail de l’image…) ou en interne afin de
répondre le plus précisément possible au besoin des professionnels travaillant
dans des contextes très différents.
Face au modèle de l’académie de la presse périodique flamande, plusieurs
observateurs soulèvent la question de savoir si le pouvoir public doit, d’une
part, prendre en charge la formation de non-journalistes et, d’autre part,
soutenir une presse qui ne relève pas nécessairement du média d’information
générale.
-
-
En ce qui concerne les non-journalistes amenés à rédiger des contenus
médiatiques, Jean-Paul van Grieken rappelle qu’à ses yeux, ce sont
justement eux qui ont le plus grand besoin de formations. Pour Martine
Simonis, il sera nécessaire de choisir entre une formule focalisée sur
les journalistes professionnels et une formule qui toucherait toutes
les personnes qui collaborent à un média d’information, d’autant
que les tâches d’information et de communication sont distinctes et
impliquent dont des formations différentes.
Au niveau de la définition des « médias d’information », Alain
Cette implication de l’association de journalistes professionnels est une nouveauté par rapport
aux projets précédents qui s’adressaient prioritairement aux éditeurs (de presse écrite). Elle aura
notamment comme avantage de toucher également les journalistes indépendants qui, en théorie,
peuvent déjà bénéficier de certaines formations proposées par The PPress academy mais qui en
sont généralement mal informés.
123
156
Chapitre 2
Lambrechts affirme que l’information ne se résume pas à des
contenus économiques et politiques et que plusieurs titres de
magazines féminins ou médicaux ont également une valeur
informative. Jean-Paul van Grieken ajoute que, contrairement
aux quelques périodiques subsidiés par la FWB, les fédérations de
la presse périodique soutiennent la profession en participant au
financement du Conseil de Déontologie Journalistique, du Jury
d’Éthique Publicitaire, du Conseil de la Publicité…
2°) Propositions des éditeurs en matière de formation continuée en FWB
En ce qui concerne la situation de la FWB, le diagnostic des éditeurs est
unanime : l’offre en formation continuée des journalistes est quasi inexistante.
Daniel Van Wylick signale les exceptions que constituent l’IHECS, les
centres de compétence en Wallonie, comme Technofutur TIC et TechnoCité
et les centres de référence à Bruxelles, comme Evoliris. À tout le moins, les
initiatives menées en FWB souffrent d’un problème de marketing et de
visibilité. En conséquence, les éditeurs belges se tournent régulièrement vers
la France pour acheter des modules de formation de type court à destination
de leurs journalistes124 .
De l’avis des différents éditeurs, la FWB doit soutenir le développement de
la formation continuée des journalistes, via les éditeurs qui ont tout intérêt à
améliorer la formation de leurs employés et donc la qualité de leurs contenus.
-
Inspirée par l’exemple du ministère français de la Culture et
de l’Audiovisuel (qui finance 70% des besoins en formation des
éditeurs), les JFB demandent à la Région wallonne (en charge du
secteur de la formation) un subside de 350.000 €; cette subvention
financerait à 80% la formation et l’acquisition de matériel. La Cocof
pourrait participer à ce financement, via un accord de collaboration.
De tels subsides permettraient l’engagement d’un gestionnaire
de projets qui validerait les plans de formation introduits par les
éditeurs. Le soutien financier à la demande induirait l’élargissement
de l’offre de formations. Le projet des JFB est de créer un cluster qui
réunirait les entreprises de médias, des experts des TIC, l’AJP, ainsi
que les principaux centres de formation. Selon Daniel Van Wylick,
Voir le tableau récapitulatif des offres de formations en France (Rue89, CFPJ Paris, Owni,
IPJ Paris, ESJ Lille, la Wan-Ifran qui concerne le secteur des éditeurs en Europe) et en Belgique
(IHECS), dans le PowerPoint de Daniel Van Wylick accessible sur egmedia.pcf.be.
124
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
-
-
157
il s’agit moins de développer une offre tous azimuts que de soutenir
la demande, là où les formations sont véritablement nécessaires,
afin que l’offre se crée en réponse à la demande croissante et qu’un
équilibre s’installe entre formateurs belges et étrangers.
Alain Lambrechts et Jean-Paul van Grieken seraient partisans de la
création d’une académie semblable à celle qui existe en Flandre. Les
éditeurs de la presse périodique seraient prêts à contribuer à hauteur
de 40% aux formations des journalistes de la FWB (hors frais de
structure pour l’UPP) et estiment que des subsides de 650.000€
permettraient déjà de mettre sur pied une offre intéressante.
Pour sa part, Jean-Pierre Jacqmin défend le projet de création d’une
« école de l’investigation » dans laquelle les éditeurs, journalistes
et universitaires travailleraient ensemble sur les nouveaux modes
de gestion de l’afflux d’informations qui implique de développer
des compétences en matière de « démontage » de la manipulation,
de recherche des bonnes données journalistiques afin de valider et
d’authentifier l’information.
C. Le point de vue des hautes écoles et des universités
En tant qu’opérateurs de formations, les universités et les hautes écoles sont
soucieuses du suivi de leurs diplômés : la formation continue est indissociable
de la formation initiale, puisque la première renforce la seconde et permet
de « coller » plus encore à l’évolution permanente du métier de journaliste.
Telle qu’elle a été inscrite dans le droit belge par le décret du 31 mai 2004,
la déclaration de Bologne a d’ailleurs confié à l’enseignement supérieur les
formations initiales et continues.
Si la formation continuée figure bien parmi les services à la société mentionnés
par le décret sur l’enseignement supérieur, les hautes écoles manquent de
moyens pour développer des modules de formation continuée et appellent
de leurs vœux des subsides supplémentaires pour remplir cette mission
importante. À l’heure actuelle, les hautes écoles ne peuvent qu’organiser des
conférences et des colloques ouverts au grand public et aux professionnels.
Idéalement, elles sont favorables à la mise sur pied d’une offre spécifique
de formations à l’attention des professionnels du secteur. À l’instar des
sections d’écriture multimédia qui existent dans les hautes écoles, des
modules pourraient être co-organisés par les hautes écoles et les associations
professionnelles. Par ailleurs, il serait intéressant que des cours de formation
initiale soient accessibles et valorisables pour le monde professionnel.
158
Chapitre 2
Le décret de 2004 n’a pas créé mais a accéléré le développement de la
formation continuée des journalistes, à l’IHECS et dans les universités
(qui manque sans doute encore de visibilité). Telle qu’elle est proposée par
les quatre lieux de formation de type long, la formation continuée peut se
développer dans le cadre :
-
-
-
-
de masters complémentaires (dont la liste est établie par le décret du
31 mai 2004) ;
de masters privés (qui ne dépendent pas du financement public
ordinaire) ;
d’expertises (livrées à la demande par des personnalités
académiques) ;
de structures indépendantes de formation continuée (comme le
CECOM à l’UCL125 ou l’École de Formation Continue à l’IHECS126)
qui sont en liaison permanente avec la formation initiale organisée
par les mêmes institutions. Ces structures répondent à un réel
besoin du secteur et nécessitent d’importants moyens pour assurer
une veille technique et professionnelle (afin de connaître les attentes
et les préoccupations du secteur). Des journalistes, belges ou non,
payent eux-mêmes des recyclages organisés par le CECOM ou
l’IHECS. Des subventions permettraient de rendre les formations
existantes plus accessibles financièrement.
Puisqu’ils disposent d’une longue expérience en politique prospective de
la formation qui se fonde sur le maillage entre techniques professionnelles,
analyses du marché et indispensable expertise critique, les lieux de
formation de type long se présentent comme les acteurs les plus compétents
pour organiser la formation des journalistes. Cette formation, initiale
ou continuée, ne peut en aucun cas s’improviser et répondre tout à coup
à une demande inopinée. Afin de mieux coordonner et surtout de mieux
faire connaître l’offre de formation continue qui existe à l’IHECS et dans
les universités, les quatre établissements ont décidé de créer un centre
pluridisciplinaire de perfectionnement en journalisme. Ce dernier présente
l’avantage considérable de se développer au cœur d’institutions qui disposent
déjà des infrastructures techniques et des compétences pédagogiques. Il
associerait les éditeurs de presse et les associations professionnelles dans
la détermination des besoins de formation continuée, et ambitionnerait de
125
Le CECOM (Centre d’Etudes de la Communication) est une structure de formation continuée
et d’accompagnement des anciens journalistes. Voir www.lececom.be
126
Voir http://ihecs-fc.be/
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
159
répondre à la fois aux demandes des éditeurs, aux attentes des journalistes
et aux besoins collectifs en matière d’information de qualité. André Linard
et François Heinderyckx soulignent tous les deux l’importance d’une
formation continue en déontologie, même si elle ne fait pas l’objet d’une
demande explicite de la part des journalistes.
Certes, comme l’ont souligné Martine Simonis et Daniel Van Wylick, il est
urgent de développer l’offre de formations des journalistes. Pourtant, il n’est
pas certain que cela sera encore le cas dans cinq ou dix ans. D’autant que
la petite taille du marché belge francophone ne suffit pas à faire durer une
structure de formation continuée.
160
Chapitre 2
3. Recommandations des experts – animateurs
(par M. Jean-Jacques Jespers, M. Marc Sinnaeve et
Mme Laurence Mundschau)
3.1. Introduction
Le diagnostic fait consensus chez les intervenants du deuxième atelier des
Etats généraux des médias d’information (EGMI) consacré à la formation
et au statut des journalistes : le monde des médias, de l’information et du
journalisme vit une des mutations les plus profondes de son histoire. Elle
est liée à l’intégration des innovations technologiques dans les processus
de production et de consommation, à l’arrivée de nouveaux acteurs dans
le paysage médiatique, aux tensions économiques, tant structurelles que
conjoncturelles, qui en résultent…
Cette mutation se caractérise principalement par la convergence numérique
des médias et des informations sur les différentes plates-formes
plurimédiatiques. Il y règne une concurrence plus aiguë qu’ailleurs pour les
parts de marché publicitaire. Ce bouleversement affecte aussi bien le modèle
économique et le schéma industriel de production, comme l’a montré le
premier atelier, que l’organisation de travail des entreprises de presse, les
conditions de l’activité journalistique, les fonctions et les statuts qui y sont
articulés, ou encore les programmes de formation des journalistes en amont.
L’atelier avait pour objectif d’examiner les capacités d’adaptation des
formations à la nouvelle donne, mais aussi la nécessité et les potentialités
de la formation continuée. D’autre part, il s’agissait de cerner la manière
dont les professionnels, tant éditeurs et journalistes qu’experts, perçoivent,
dans ce contexte, l’évolution de la profession, des métiers, des pratiques,
des contraintes, des interactions, des attentes et impératifs, des moyens à
disposition et des conditions de travail aussi.
3.1.1. Une inquiétude et un malaise généralisés chez les
journalistes
Pourtant habitués, depuis toujours, à travailler dans un contexte turbulent, les
journalistes subissent, plus qu’ils ne les maîtrisent encore, des bouleversements
en profondeur dont l’onde de choc provoque une inquiétude généralisée.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
161
D’autant que l’heure est à la récession et à la compression des effectifs. Le
malaise est relayé tant par les associations professionnelles et des témoignages
publics occasionnels que par des études convergentes sur le sujet.
Les journalistes se sentent menacés à la fois en tant qu’employés d’un secteur
en crise, en tant qu’acteurs sociaux en perte de légitimité, et en tant que
professionnels obligés de s’adapter à de nouveaux outils et usages.
Divers phénomènes sont pointés, plus précisément. La profusion des
potentialités techniques au cœur du néo-management des salles de rédaction
dans un contexte d’urgence permanente. L’explosion des informations à
prendre en compte en raison de la multiplication des sources, des flux et des
supports. La course à l’empilement des compétences et des tâches exigées. Le
temps, les ressources et les effectifs disponibles, les rémunérations allouées,
en particulier pour les freelances professionnels : en regard du travail
prescrit d’une part, des attentes d’une information de qualité, d’autre part,
les moyens et les conditions de travail sont jugés insuffisants, inadaptés à la
charge de travail.
Peuvent aussi contribuer à l’insatisfaction globale constatée une certaine
« inculture numérique » et un manque de vision largement répandus dans
un univers qui n’appréhende pas encore comme il se doit la transition
numérique et ses enjeux. A noter aussi, en considération de situations sociales
et professionnelles préoccupantes, la tendance à l’« auto-exploitation » dans
un contexte de main d’œuvre pléthorique (mise) en concurrence…
En résumé : la profession se vit sous la pression de la chronophagie du métier,
du déséquilibre des revenus, de la disparité et de la volatilité des statuts
d’emploi ou des conventions de travail, de la pratique d’un journalisme
« Shiva », de la dégradation ressentie des conditions d’exercice du métier,
de l’incertitude quant à l’avenir du secteur dont les lignes, devenues floues,
bougent sans cesse…
3.1.2. Les opportunités d’un espace médiatique en transition
La plainte, pour autant, n’est pas tout. Certains, les éditeurs principalement,
mais aussi des journalistes, voient dans la recomposition à l’œuvre
l’opportunité de revivifier un métier ébranlé dans son statut, son organisation,
ses contraintes, son économie, ses productions mêmes. Economie Internet
et pratique des réseaux sociaux obligent, se dessine aussi la perspective,
pour les journalistes, de se réapproprier les outils de production à l’échelle
individuelle tout en les « augmentant » de l’apport et des compétences des
non-journalistes. A portée de main, également, la possibilité d’expérimenter
162
Chapitre 2
des formes d’écriture « enrichies » intégrant les potentiels de la technologie
et de la créativité. Ou de créer de nouveaux métiers autour du journalisme,
de contribuer à la recherche de nouveaux modèles économiques adaptés à la
révolution digitale, d’inventer sa place et son rôle dans les nouveaux modèles
opératoires d’un espace d’expression médiatique en transition.
On peut acter, en effet, les évolutions, en cours ou à venir, suivantes :
-
-
-
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-
-
du one-to-many magistral des médias de masse au many-to-many
décloisonné de la masse des médias ;
d’un fonctionnement en cycles (quotidien du matin, journal
télévisé du soir,…) à des flux continus portés par l’immédiateté et
la réactivité ;
de la narration et la diffusion monomédia à une écriture et des
éditions plurimédias ;
de la priorité des contenus (« content is king ») à la valeur ajoutée
éditoriale différenciée selon le support ;
de la maîtrise d’un parc de sources entretenues à l’investissement
et l’exposition sur les réseaux sociaux, les blogs, les forums et les
nouveaux outils de connaissance ;
d’une rédaction journalistique fortement pyramidale à une organisation
éditoriale en essaim intégrant différentes fonctions et métiers.
En résultent un brouillage des lignes entre métiers, un entrecroisement
des fonctions, une volatilité des lieux et temps de production et de
consommation.
3.1.3. La mutation annoncée des « seigneurs » de l’information
Il serait risqué de considérer l’évolution – ou la révolution – en cours
aujourd’hui comme une simple prolongation ou amplification d’anciennes
formes de travail journalistique partagées entre différents métiers. Jusqu’ici,
les recompositions et les coopérations diverses (avec les photographes, les
illustrateurs, les ouvriers du livre, les cameramen…) avaient fonctionné par
ajouts et compléments au processus d’information sur lequel le journaliste
conservait la haute main. Le monopole, la place prédominante et le statut
clairement différencié du journaliste dans le dispositif n’en étaient pas –
ou peu – affectés. Ce n’est plus le cas : la révolution digitale implique de
nouveaux (r)apports dont certains se traduisent par des effets de substitution,
des pertes de monopole, des mutations organisationnelles profondes…
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
163
Aujourd’hui, les contraintes combinées d’une information quasiment en
temps réel, de contextualisation et de valeur éditoriale ajoutée exigent, dans
une organisation repensée du collectif de production, des compétences
complémentaires et simultanées qu’un journaliste seul ne peut plus assumer.
D’ores et déjà, les journalistes partagent la pertinence même de l’information
et de sa construction avec des « citoyens-internautes-médias » amateurs, mais
aussi, de plus en plus, avec des professionnels d’horizons et de compétences
différents : des recherchistes de données, des développeurs de programmes
informatiques, des spécialistes de la visualisation, des webdesigners…
Au croisement des flux et des fonctions, les journalistes sont appelés à
évoluer, partiellement au moins, vers des rôles d’orchestrateurs, d’architectes,
d’éditeurs ou sous-éditeurs de l’information dûment récoltée, triée, vérifiée,
agrégée, enrichie… En d’autres termes, les journalistes sont en passe de
perdre leur position de piliers ou de seigneurs de l’information qui faisaient
« descendre » verticalement l’information traitée par leurs seuls soins. Le
modèle en devenir consiste à organiser une coproduction, une pluriédition,
une circulation et une mise à jour continuelle et plus horizontale de
l’information. Dans la recomposition en cours des frontières du monde de
l’information, toutefois, c’est bien le respect des normes de la déontologie
journalistique qui est appelé, plus que jamais, à tenir lieu de cap et de phare.
Il constitue non seulement une garantie de qualité de l’information face
aux impératifs de rentabilité et aux contraintes de la concurrence entre les
différents médias, mais surtout, il doit tenir lieu de commun dénominateur
au mélange des fonctions évoqué.
3.1.4. Repenser le statut des journalistes, les collectifs de
rédaction et le contrat de lecture de l’information
Ces bouleversements obligent le journaliste à repenser sa place et son rôle, et
la profession, le secteur même, voire le législateur, à reconsidérer la question
du ou des statuts :
-
-
-
le statut professionnel, social et juridique des journalistes ;
le statut (de fait ou de droit) du collectif ou du concept même de
rédaction ;
le statut économique, mais aussi éditorial (le contrat de lecture) de
l’information.
Premièrement, il paraît inévitable, à terme, d’examiner l’opportunité
164
Chapitre 2
de renforcer, de préciser et/ou d’élargir le statut social et juridique des
journalistes professionnels. En regard, d’abord, des nouvelles attentes et
des nouvelles responsabilités. En regard, aussi, de l’émergence de nouveaux
acteurs dans le processus de production de l’information. Compte tenu
des développements évoqués, les médias doivent trouver un équilibre
entre la nécessaire adaptation attendue ou exigée des journalistes face à la
nouvelle donne, et la valorisation de la qualité du travail journalistique qui
doit en résulter. Il s’agit, notamment, de valoriser leur rôle de phare face
à « l’infobésité », de filtre vis-à-vis du « bruit d’Internet », mais aussi leur
mission d’investigation et d’enquête dans les plis enfouis de nos sociétés. Et
ce, au sein d’équipes garantes de la diversité des profils et des compétences.
Plusieurs journalistes auditionnés appellent de leurs vœux une forme de
labellisation des sites d’information de qualité ou de « presse équitable » qui serait
une forme de reconnaissance du traitement social et juste des journalistes
professionnels. Plus particulièrement, la question de la valorisation des
collaborations des journalistes indépendant-e-s (en particulier s’il s’agit
de collaborations exclusives), de leur rémunération, ainsi que celles des
conventions qui les lient à l’entreprise, doivent, elles, pouvoir être abordées
dans le contexte d’une production de plus en plus collective et intégrée de
l’information, visant la valeur éditoriale ajoutée.
Deuxièmement, la métamorphose récente des salles de rédaction plurimédias
intégrées l’atteste : le concept même de rédaction, le fonctionnement et le
statut de celle-ci sont appelés à muter, eux aussi. On peut pointer entre autres
évolutions : une présence moindre de journalistes sur place grâce au travail
à distance ; un nouveau partage ou croisement des tâches, de nouvelles
coopérations interprofessionnelles et inter-médias ; une multiplication
des produits rédactionnels, de formes et de formats diversifiés ; la place
prise par d’autres services et fonctions de l’entreprise (le marketing
notamment) : la nécessité de développer et de gérer une « culture de la
communication permanente », de nouvelles formes de sociabilité professionnelles,
ainsi qu’une transmission plus rapide et plus efficace de ce qui se passe, de ce
qui se fait, de ce qui se décide au sein du collectif rédactionnel…
En tout état de cause, les défis d’avenir et les changements déjà à
l’œuvre tendent à « désenclaver » les journalistes qui sont plutôt habitués à
travailler chacun dans leur coin. Dérive, menace pour l’indépendance
journalistique ? Ou opportunité pour la profession de se réapproprier la
maîtrise « culturelle » de l’ensemble des outils de production et de diffusion,
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
165
de s’y forger une nouvelle place, de réaménager son rapport aux équipes du
management de rédaction et d’entreprise ?
Troisièmement, tout le monde s’accorde sur le point de valoriser, plus que
jamais, le professionnalisme et donc les contenus de qualité à haute valeur
ajoutée. Les rédactions doivent, pour survivre, se distinguer dans leur offre
journalistique. Une manière d’agir en ce sens, dans un contexte budgétaire
restreint, pourrait être de s’appuyer davantage sur les modes de coopération
entre la profession et les non-professionnels, de valoriser les compétences
d’expertise de ces derniers, dans leurs domaines respectifs, sachant que les
interactions ou la participation des « amateurs » à la mécanique globale de
l’information, sur des modes variés et évolutifs, sont un fait établi.
Personne n’envisage prendre la place des journalistes. L’objectif est plutôt de
faire une certaine place à des extérieurs à partir de l’espace ou du domaine d’où
ils s’expriment, tout en maintenant le journaliste comme seul chef d’orchestre
au milieu des flux de contenus. Corollairement et sachant que le public, en
moyenne, connaît de mieux en mieux le fonctionnement de l’information et
de son système, un nouveau contrat de lecture de l’information doit pouvoir
être mis à l’ordre du jour. Ceci aussi dans une optique d’éducation continuée
aux médias. Il s’agirait, concrètement, de clarifier le statut même de l’objet
d’information, de rendre plus lisible et plus transparente la pluralité réelle du
processus de fabrication, des sources mentionnables, des apports extérieurs
de contenus, des démarches effectuées en collaboration numérique. Il y a là,
en tout cas, matière à responsabilisation croisée, à appropriation davantage
partagée des supports ou des marques d’information à partir des « coproduits ».
3.1.5. L’engouement pour les études de journalisme et ses
questions
La grande mutation renvoie également à la question de l’adaptation des
formations de base actuellement proposées. L’enjeu principal, pour les écoles
de journalisme, est de parvenir à combiner préparation de leurs publics aux
besoins actuels du marché de l’emploi, et anticipation des évolutions de celuici. De ce point de vue, la formation au journalisme est depuis longtemps une
formation en soi, qui dépasse le strict cadre de l’apprentissage reproductif de
techniques et de connaissances thématiques sectorielles. Des questions plus
globales d’éthique professionnelle, de démarche personnelle et collective, de
responsabilité sociale, de maîtrise de l’économie des médias, de réflexion
166
Chapitre 2
critique sur les enjeux du métier, de prospective… font plus spécialement
partie des programmes des enseignements de cycle long, qui offrent la seule
formation spécifique complète au journalisme.
Ceux-ci, structurellement, reposent sur le modèle, croisé ou distinct,
de l’enseignement général de niveau universitaire et de l’apprentissage
professionnel fondé sur le principe de l’échange d’expérience et de pratiques
d’apprentissage avec des journalistes patentés. Dans ces centres de formation
spécifique au journalisme de la Fédération Wallonie-Bruxelles, au fur et à
mesure de l’évolution des médias, de nouveaux enseignements ont été créés
pour épouser les transformations qui touchent le secteur. Mais l’apprentissage
de nouveaux outils, de nouvelles compétences, l’immersion dans de nouvelles
cultures (de l’image, de l’informatique, de l’économie…) ne se suffisent pas
à eux-mêmes. Encore faut-il adopter une posture « éclairée » de la chose
numérique, particulièrement dans un contexte d’obsolescence extrêmement
rapide des techniques et des savoirs.
Il s’agit, en conséquence, d’élargir le champ de vision, de ne pas se contenter
d’une formation par empilement de matières nouvelles, par spécialisations
techniques additionnées. Il s’agit plutôt de croiser les cultures, de décloisonner
les formations (via les coopérations internationales par exemple), de même
que les lieux et les temps de formation. Mais il faut aussi pouvoir intégrer dans
l’enseignement des postures, des démarches et des questions – partagées entre
enseignants et enseignés – d’expérimentation, d’innovation, de recherche
appliquée autour des changements à l’œuvre et de leurs conséquences…
Ce modèle d’enseignement a fait la preuve de son efficacité et de son haut
niveau de qualité, attestés par une évaluation positive récente de l’AEQES
(Agence pour l’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur). Il
a formé et forme des professionnels de qualité. Ce qui explique en partie,
sans doute, la forte demande pour ce type d’études de la part d’un public
étudiant souvent attiré aussi par une représentation encore mythifiée du
journalisme. L’engouement pour ces études et le nombre élevé d’étudiants
diplômés en FWB sont souvent jugés excessifs en regard de l’univers de
référence professionnel. Ils doivent être appréhendés à la lumière de la
grande hétérogénéité des formations d’une part, et à la différence entre le
nombre d’étudiants formés spécifiquement au journalisme, au terme d’un
second cycle, et le nombre d’étudiants titulaires d’un diplôme de bachelier au
terme d’études généralistes en communication, tous types d’enseignement
confondus, d’autre part.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
167
Dans les formations de cycle court, seule une minorité (10 à 20 %) des
bacheliers formés en tant que professionnels polyvalents de la communication
s’oriente vers le secteur du journalisme. Des questions se posent, et elles ont
été posées et débattues lors de l’atelier 2 des EGMI.
Les démarches d’information et d’orientation des futurs étudiants déployées
par différentes instances (salons, opérations d’éducation aux médias,
journées portes ouvertes, préorientations…), que ce soit en amont ou en début
de parcours académique, dans ou hors des écoles de journalisme : quelle
pertinence, quelle visibilité, quels effets, quelles garanties pour la diversité des
profils ?
-
-
La nature des rapports, des distinctions, mais aussi des passerelles
entre les formations de cycle court et les enseignements de type long.
L’impact des nombreux stages professionnels sur les rédactions, sur
les collaborateurs de celles-ci, également ; la durée des stages, mais
aussi les finalités différentes de ceux-ci, et les profils professionnels
variés des stagiaires, selon le type d’enseignement dont ils sont
issus.
Ces questions appellent, à tout le moins, des clarifications diverses, une
accentuation des échanges et une concertation plus étroite entre les divers
acteurs.
3.1.6. Nécessité, demande et offre de formation continuée
L’évolution des trajectoires professionnelles a toujours obligé les journalistes
à acquérir de nouvelles compétences au cours de leur carrière. C’est plus
vrai que jamais : la métamorphose complète en cours du système éditorial
est telle que sa maîtrise appelle le recours à la formation continuée pour les
professionnels de l’information. Tant éditeurs que journalistes constatent,
en effet, que les difficultés d’adaptation à la culture numérique nouvelle se
manifestent à tous les niveaux des entreprises médias et concernent à la fois
les journalistes, les cadres de la rédaction et les éditeurs.
D’autant que rien n’est figé, beaucoup de potentialités restent à explorer : il
convient de combiner dans la formation l’apprentissage des principes et des
outils de base actuels, et la compréhension des dynamiques qui continueront
à transformer les médias et les façons de faire de l’information. Non
seulement il y a nécessité d’une formation continuée – tous les acteurs des
168
Chapitre 2
EGMI en conviennent – mais, désormais, la demande existe, comme l’ont
tour à tour répété les éditeurs de presse quotidienne et de presse périodique,
les responsables de l’audiovisuel public, ainsi que les journalistes interrogés
à ce sujet par l’AJP. Si elle est encore trop peu connue, l’offre est bel et bien
présente du côté des institutions de formation, universitaires ou non, de type
long. Différents projets ou initiatives, à cet égard, ont été rendus publics,
accompagnés dans certains cas d’une demande de financement public
3.2. Recommandations
Le sentiment prévaut aujourd’hui, dans de larges secteurs de l’opinion, que
les conditions actuelles de production de l’information menacent la qualité
de celle-ci. Les recommandations reprises dans ce volet (en caractères gras)
ne sont dictées que par une préoccupation fondamentale : promouvoir la
qualité et la fiabilité de l’information reçue par les citoyens.
Cette qualité et cette fiabilité ne peuvent être assurées que par des éditeurs
et des journalistes bien formés, conscients de leur responsabilité sociale,
respectueux d’une déontologie qu’ils connaissent, avertis des conditions
du marché, aguerris aux techniques professionnelles et capables de choix
libres et éclairés. Dans ce but, il est impératif, d’une part, que les éditeurs
puissent développer leur entreprise et la faire prospérer et, d’autre part, que
les journalistes bénéficient de la meilleure formation possible, des meilleures
conditions possibles d’exercice de leur métier, en sorte qu’ils puissent
résister aux tentations et aux influences extérieures, qu’ils aient le temps et
l’indépendance d’esprit nécessaires pour se consacrer avec fruit à la collecte
et au traitement des informations et qu’ils puissent vivre décemment de ce
travail. Tant la position concurrentielle des entreprises d’information que le
fonctionnement d’une démocratie libre et éclairée dépendent largement de
la crédibilité, de la responsabilité et de la sérénité des journalistes. C’est la
raison pour laquelle leur formation, leur statut et leurs conditions de travail
doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part du législateur
autant que de la part des employeurs.
3.2.1. Statut et conditions de travail
A. Statut social des journalistes
La situation sociale des journalistes dans la Fédération Wallonie-Bruxelles
peut se résumer en quelques constats : précarisation, accroissement de la
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
169
proportion de journalistes freelances exerçant le métier sous le régime du
contrat d’entreprise (dont certains sont liés à un maître d’œuvre unique par
des liens qui s’apparentent au contrat d’emploi sans en revêtir les formes),
exigence croissante de polyvalence et de compétence « plurimédias »,
modification des modes de rémunération, persistance d’une disparité
numérique et pécuniaire entre hommes et femmes.
1°) Le statut des journalistes freelances
La problématique actuelle se cristallise autour du statut social des freelances
et de leur rémunération, d’autant plus que l’émergence des médias en ligne
et des médias contributifs entraîne l’apparition de nouveaux acteurs de
l’information qui ne sont que très rarement salariés et qui apparaissent
comme des entrepreneurs individuels nouant avec les éditeurs des relations
réputées « commerciales ».
Dans le domaine du contrat d’entreprise, priorité est donnée, dans le droit
belge, à la « libre volonté des parties », même si, étant donné les contraintes
d’un marché très compétitif, cette volonté n’est pas toujours totalement libre
dans le chef de l’une de ces parties. Ces contraintes incitent en effet les éditeurs
à recourir à des freelances afin de flexibiliser leur gestion des ressources
humaines et, par ricochet, certains freelances risquent de se trouver dans une
situation sociale proche du niveau de pauvreté, en raison notamment de leur
relatif isolement et du fait qu’ils ne peuvent bénéficier d’une représentation
syndicale. Les conditions de travail des freelances peuvent par ailleurs être
génératrices de stress et nuisibles à la qualité de l’information.
C’est pourquoi les experts recommandent un ensemble de mesures relevant
soit de la législation fédérale, soit du décret, soit de conventions collectives,
soit d’engagements au sein des associations d’éditeurs, afin de clarifier et
d’homogénéiser le régime des rémunérations des freelances.
[RECOMMANDATION 1] Une réforme légitime mais radicale
pourrait s’inspirer de la loi française Filioud-Cressard (loi n° 74630 du 1er juillet 1974, art. L-761-2 du Code du travail) instaurant
la présomption de contrat d’emploi : toute prestation effectuée par
un-e journaliste professionnel-le serait présumée relever d’un contrat
d’emploi à durée déterminée ou à objet déterminé, même si elle revêt
170
Chapitre 2
la forme d’un contrat d’entreprise. Autrement dit, un statut spécial
serait conféré à la prestation journalistique (à l’instar de la « pige » en
France), mettant le/la prestataire dans les conditions d’un salarié du
point de vue de la législation fiscale et sociale. Cette solution devrait
relever à la fois d’une initiative législative fédérale, dérogeant pour la
circonstance au principe de la « libre volonté des parties », et d’une
négociation paritaire entre éditeurs, organisations syndicales et
associations professionnelles, par exemple au sein d’une plate-forme
suggérée à l’atelier n° 2 par le représentant de la CSC.
[RECOMMANDATION 2] Faute d’accord sur la création d’un
statut légal de pigiste, la même plate-forme devrait entreprendre,
en vue de clarifier et d’unifier les tarifs de facturation, la confection
d’un barème unique des prestations des freelances, selon le type
de média. Cette réforme devrait s’accompagner d’un engagement
conventionnel des éditeurs à respecter ce barème, quelles que soient
les conditions du marché et le type d’information concerné (sport,
faits divers, politique, culture…) et que le travail facturé fasse ou non
l’objet d’une publication. Le nouvel engagement collectif résultant de
cette négociation paritaire pourrait prendre la forme d’une charte, à
l’exemple de celle qui a été conclue dans le secteur de la bande dessinée
en France. Ce barème devrait prendre en compte des éléments objectifs
tels que : les déplacements effectués, les frais engagés, le temps réel
de réalisation du travail (selon un montant horaire ou journalier, en
ce compris l’alerte ou la veille sur différents supports), la valorisation
financière de l’éventuelle clause d’exclusivité, les suppléments pour
travail de nuit, de week-end ou de jour férié. Ces éléments pourraient
remplacer les critères actuels (signe, ligne, page, tirage de photo, etc.).
Notons que, selon certains éditeurs, notamment de la presse périodique,
l’unification des tarifs et des barèmes serait non seulement inopportune mais
illégale dans un système de libre concurrence. Un choix (ou un équilibrage)
s’impose donc entre le principe de la libre concurrence, la viabilité des
entreprises et la protection des droits élémentaires des freelances. Des
dérogations spécifiques et justifiées pourraient être prévues en faveur des
éditeurs de la presse périodique.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
171
[RECOMMANDATION 3] Une autre manière d’atteindre le même
type d’objectifs serait la généralisation des conventions de collaboration
standardisées et transparentes, basées sur les mêmes critères. Ce
type de convention devrait prévoir des clauses particulières en cas
de rupture unilatérale de la convention par l’une ou l’autre partie, en
considération des services rendus et de la durée des liens d’exclusivité
ayant existé entre les parties.
[RECOMMANDATION 4] Afin d’encourager le secteur à conclure et
à respecter un accord sur ces sujets au sein de la Fédération WallonieBruxelles, le décret sur l’aide directe à la presse pourrait inclure
un nouveau critère d’attribution, en l’occurrence la signature et le
respect du barème conventionnel des prestations des freelances et/
ou l’approbation de conventions de collaboration prenant une forme
déterminée et contenant des clauses de garantie. Toutefois, le décret en
question ne concernant que la presse quotidienne, la presse périodique
généraliste et les médias audiovisuels devraient être encouragés à
adhérer au système par d’autres moyens.
Une autre forme de stabilisation sociale des freelances est suggérée par le
système que représentent des sociétés comme Merveille et SMart : l’adhésion
à ce système permet de déclarer ses revenus sous le statut de salarié, avec tous
les avantages sociaux que cela représente. Toutefois, dans la situation juridique
actuelle, ces sociétés sont contraintes d’adopter la forme d’entreprises de
travail intérimaire, ce qui accroît les prélèvements qu’elles doivent effectuer,
au détriment de leurs membres, sur les sommes facturées aux employeurs
réels (une cotisation de 9,7 % au Fonds de solidarité des sociétés de travail
intérimaire).
[RECOMMANDATION 5] Une piste prometteuse est suggérée : celle
d’une structure coopérative de « producteurs associés » ou d’une instance
médiane qui encadrerait le travail de ces micro-entrepreneurs que sont
les freelances, les représenterait face aux employeurs et pourrait réduire
leurs coûts de production en les mutualisant. Cette instance pourrait
172
Chapitre 2
comporter un secrétariat social de prestataires, assumant la gestion
sociale des journalistes freelances sans leur imposer les inconvénients de
l’entreprise d’intérim. Le législateur pourrait reconnaître juridiquement
le statut de cette instance médiane et en encourager la création par des
mesures sociales ou fiscales. Une adaptation ad hoc du décret sur l’aide
directe à la presse devrait également être envisagée par la Fédération
Wallonie-Bruxelles, moyennant les réserves mentionnées plus haut et
concernant les éditeurs de la presse périodique spécialisée.
[RECOMMANDATION 6] Les experts suggèrent également au
législateur fédéral de mettre à son ordre du jour les propositions
suivantes émanant notamment de l’AJP :
a) un assouplissement des conditions d’indemnisation des chômeurs
qui exercent des activités de journaliste freelance, par l’attribution à
ces personnes d’un statut semblable au statut « d’artiste » reconnu par
l’ONEM ;
b) la généralisation du contrat d’étudiant, afin d’éviter aux étudiants
exerçant des activités journalistiques d’avoir à faire face à des
cotisations sociales très lourdes ;
c) la suggestion que soit rendue obligatoire pour tous les journalistes
une assurance de la responsabilité civile leur permettant d’échapper
aux effets de la responsabilité en cascade, effets qui peuvent être très
dommageables en particulier pour les freelances.
2°) Le statut des journalistes salariés
Les conditions de rémunération et d’embauche des journalistes sous contrat
d’emploi suscitent également des interrogations. Ainsi, plusieurs médias ont
connu récemment des plans sociaux et des réductions d’effectifs. Dans d’autres,
une réduction des salaires et du temps de travail a été décidée de commun
accord entre direction et rédaction. Certains éditeurs remplacent une partie
de la rémunération fixe des journalistes par un paiement sous forme de droits
d’auteur, ce qui leur permet de réduire leurs cotisations sociales. Certains
journalistes acceptent une cession forfaitaire voire gratuite de leurs droits sur
leurs productions. Il arrive que des heures supplémentaires soient prestées
sans être rémunérées. Un déséquilibre persiste entre hommes et femmes, tant
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
173
dans le niveau des rémunérations que dans les chances de promotion (une
seule femme rédacteur en chef dans la presse francophone !).
Plusieurs mesures sont suggérées pour contrecarrer ces inconvénients.
[RECOMMANDATION 7] En ce qui concerne les effectifs des
rédactions : les experts proposent que, pour l’attribution des aides
prévues par le décret sur l’aide directe à la presse, le critère de la
proportion de journalistes sous contrat d’emploi à durée indéterminée
passe de 40 % à 60 % et que la mesure soit élargie aux médias non visés
par le décret (sous la réserve de la situation particulière des éditeurs
de la presse périodique spécialisée). Il est également suggéré aux
employeurs, dans le même but, de s’engager à rémunérer toutes les
heures supplémentaires.
Comme alternative aux plans sociaux, lorsque l’évolution technologique le
commande, les éditeurs devraient privilégier la reconversion professionnelle
(par exemple, reconvertir les photographes en opérateurs vidéo dans une
rédaction plurimédias).
[RECOMMANDATION 8] En ce qui concerne les rémunérations :
les experts estiment indispensable le respect des barèmes existants
et l’amélioration des barèmes les plus défavorables (fixés par les
commissions paritaires 227 et 329). Ils suggèrent aussi que les barèmes
de rémunération soient communs à toutes les rédactions situées
au sein d’un même groupe de presse. Toutefois, les éditeurs font
remarquer que, sur les supports en ligne, leurs entreprises sont mises
en concurrence avec des opérateurs chez qui les relations sociales ne
sont pas régulées. Il conviendrait donc de légiférer au niveau fédéral
sur les modalités d’élaboration des grilles de rémunération au sein
de tous les éditeurs de service, quel que soit leur statut, afin d’évoluer
vers une harmonisation des barèmes. Cette harmonisation devrait
s’appliquer également aux autres métiers de l’information (cadreurs,
preneurs de son, infographistes). Les télévisions locales demandent,
dans cette optique, aux autorités de la Fédération Wallonie-Bruxelles
une révision de leurs critères de subventionnement qui, à l’heure
174
Chapitre 2
actuelle, ont pour effet de donner plus d’importance à la quantité qu’à
la qualité de la production.
[RECOMMANDATION 9] En ce qui concerne le déséquilibre
hommes-femmes : les experts recommandent l’alignement des
rémunérations des journalistes femmes sur celles des journalistes
hommes. Ils suggèrent de favoriser autant que possible, non seulement
l’engagement, mais surtout la promotion de journalistes femmes à des
postes de responsabilité rédactionnelle.
3°) Le régime des droits d’auteur
La rémunération des journalistes sous la forme de droits d’auteur (partielle
voire parfois totale pour certains freelances) s’avère une solution porteuse
à la fois d’avantages et de risques. Elle présente l’avantage de permettre aux
éditeurs de limiter leurs dépenses sans modifier la rémunération nette du/de
la journaliste, les droits d’auteur étant taxés forfaitairement comme revenus
mobiliers. Mais elle risque de placer le/la journaliste dans une position délicate
face à l’administration fiscale et de porter une atteinte disproportionnée à
ses droits sociaux. Les experts formulent les recommandations suivantes à
ce propos :
[RECOMMANDATION 10] Il est recommandé que le statut d’auteur
soit légalement reconnu à tous les journalistes.
[RECOMMANDATION 11] Par ailleurs, il conviendrait que le
législateur fédéral examine la position de l’AJP, qui demande que
soient interdites toute présomption de cession de droits et toute cession
gratuite privant les auteurs de leurs droits secondaires (en cas de
republication, d’exploitation d’archives, etc.). Lors de cet examen, il
s’imposerait de prendre en compte la situation particulière des éditeurs
de la presse périodique spécialisée : des dérogations spécifiques
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
175
devraient être prévues à leur endroit. On devrait également prendre en
compte la déclaration de certains éditeurs127 selon laquelle la cession
par les journalistes de leurs droits d’exploitation des contenus sur tous
les types de plates-formes est pour leur entreprise une condition de
survie.
[RECOMMANDATION 12] En ce qui concerne les droits secondaires,
le législateur fédéral pourrait s’inspirer de la loi française, qui prévoit
la cession intégrale des droits d’exploitation sur tous supports pendant
une période de référence (à déterminer conventionnellement), mais
instaure une rémunération (à définir conventionnellement) pour toute
utilisation au-delà de l’expiration de ce délai.
[RECOMMANDATION 13] Il faudrait en outre que le barème
conventionnel des prestations, dans le cas des freelances, ou la
convention collective, dans le cas des journalistes salariés, prévoie
une limite à la proportion de la rémunération sous forme de droits
d’auteur : un maximum de 30 % est proposé128, sauf pour les
indépendants à titre complémentaire et pour des droits secondaires.
B. Statut juridique des journalistes professionnels
Le titre de journaliste professionnel reconnu par la loi du 30 décembre 1963
est attribué par une commission d’agréation en application d’un arrêté
royal qui en organise la procédure et le fonctionnement. Les documents de
presse décernés aux seuls journalistes professionnels constituent une forme
de reconnaissance officielle de leur fiabilité. Toutefois, l’une des conditions
impératives pour l’octroi et la pérennité du titre de journaliste professionnel
est source de dilemme pour la commission d’agréation : celle qui interdit toute
forme d’activité commerciale. Cette incompatibilité décourage notamment
certains journalistes d’introduire une demande d’agréation, ce qui crée une
Voir l’intervention de François Le Hodey à l’atelier 2.
Sur la base de l’expérience en Communauté flamande et d’informations officieuses émanant
du SPF Finances.
127
128
176
Chapitre 2
dichotomie à l’intérieur de la profession. De plus, satisfaire à cette condition
s’avère difficile pour les journalistes débutants en raison des conditions du
marché de l’emploi.
[RECOMMANDATION 14] La commission d’agréation pourrait
être autorisée par la loi à octroyer le titre de journaliste professionnel
à toute personne qui consacre au moins la moitié de son temps
d’activité professionnelle à un travail d’information générale et dont
les autres revenus proviennent exclusivement d’activités qui ne sont
pas susceptibles de limiter son indépendance journalistique.
[RECOMMANDATION 15] Comme le recommande la commission
d’agréation, l’accès au titre de journaliste professionnel doit être ouvert
à toute personne travaillant, quel que soit son statut, dans les conditions
légales telles qu’elles sont interprétées par la commission d’agréation, pour
un média d’information générale sur n’importe quel type de support.
Le titre de journaliste professionnel représente un « label de qualité
journalistique ». Il convient de renforcer par tous les moyens cette portée
positive du titre, de telle sorte que le recours à des journalistes professionnels
soit de nature à améliorer l’image de marque et la crédibilité d’un média. Dans
cette optique, il est regrettable que l’adhésion au système d’autorégulation
déontologique ne fasse pas partie des conditions d’octroi du titre. Le fait
que l’AJP incite ses membres à signer un engagement de respect des codes
déontologiques ne peut être considéré comme suffisant, dans la mesure où
l’adhésion à l’AJP ne revêt aucun caractère obligatoire.
[RECOMMANDATION 16] Une modification de la loi du 30 décembre
1963 devrait être envisagée par un amendement ajoutant aux conditions
pour obtenir et conserver le titre de journaliste professionnel la
signature par le/la journaliste d’un engagement d’adhésion au système
d’autorégulation déontologique existant dans chaque Communauté
(RvdJ et CDJ) et de respect des règles et avis déontologiques édictés
par les organes d’autorégulation de sa Communauté.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
177
Le titre de journaliste de profession fait également l’objet d’une
reconnaissance officielle, même si ses conditions d’octroi sont différentes
de celles prévues par la loi du 30 décembre 1963. Le/la journaliste de
profession exerce ses activités dans la presse périodique spécialisée.
[RECOMMANDATION 17] Il convient de poursuivre la négociation
en cours en vue de rapprocher les titres de journaliste professionnel
et de journaliste de profession afin d’aboutir à un titre unique dont
l’octroi et la conservation seraient notamment conditionnés par le
respect des normes déontologiques et professionnelles.
C. Statut des rédactions
L’autonomie intellectuelle des rédactions fait partie des conditions nécessaires
à la qualité et à la fiabilité de l’information reçue par le citoyen. La sélection et
la hiérarchisation de l’information ne doivent dépendre que de la rédaction et
de ses responsables, à l’exclusion de toute consigne des actionnaires visant à
orienter les choix éditoriaux dans des buts étrangers au droit à l’information
des citoyens. Pour assurer la qualité et la fiabilité de l’information qu’ils
transmettent, les journalistes ne doivent pas être considérés comme de simples
exécutants. En tant que détenteurs de savoir et de savoir-faire, ils doivent
participer à l’orientation de la politique rédactionnelle et aux choix éditoriaux.
C’est dans ce but que les experts font les recommandations suivantes :
[RECOMMANDATION 18] Une initiative législative et/ou un accord
conventionnel devrait organiser plus formellement le statut des
rédactions en élargissant clairement les compétences de celles-ci aux
nouveaux médias et aux nouveaux métiers et en donnant davantage de
pouvoir représentatif et une existence légale aux sociétés de rédacteurs,
qui représentent le « capital intellectuel » de l’entreprise.
[RECOMMANDATION 19] A minima, la société de rédacteurs
devrait avoir le dernier mot quant à la désignation du rédacteur en
chef, lequel devrait avoir des prérogatives nettement distinctes de celles
178
Chapitre 2
du chef d’entreprise : il serait « le premier des journalistes » et non
« le dernier des directeurs »129. Dans cette perspective, tout doit être
mis en oeuvre (au niveau légal et conventionnel) pour que, dans tous
les médias d’information générale, le rédacteur en chef soit titulaire
du titre de journaliste professionnel, comme le recommande le CDJ
et à l’instar de ce que prévoit le décret de la Communauté française
dans les télévisions locales.
A maxima, la société de rédacteurs pourrait se voir dotée d’une structure
juridique distincte et se transformer en opérateur autonome, lequel se
verrait confier le travail rédactionnel pour le compte de l’éditeur130.
[RECOMMANDATION 20] La rédaction devrait être clairement
distincte des autres services de l’entreprise et principalement des services
de marketing131. Un protocole devrait être adopté dans ce sens au sein
de chaque société éditrice ou au sein des associations d’éditeurs.
[RECOMMANDATION 21] Dans le même esprit, les experts suggèrent
que les éditeurs faisant partie de l’AADJ s’engagent formellement à
publier toute décision ou tout avis du CDJ qui concerne directement leur
média. Cet engagement devrait constituer un critère supplémentaire,
à ajouter au décret, pour l’attribution de l’aide directe à la presse.
[RECOMMANDATION 22] Le législateur pourrait organiser pour les
journalistes un « droit de retrait » qui consacrerait leur droit au refus
d’obtempérer, sans perte d’emploi ou de rémunération, à une consigne
inacceptable en vertu de la déontologie132.
Selon l’expression de Jean-Paul Marthoz.
Proposition de l’enquête française Technologia.
131
30 % des pressions subies par les journalistes flamands proviennent, selon une étude récente,
du service marketing de l’éditeur.
132
Selon une proposition faite à l’atelier 2 par Denis Ruellan, professeur à l’université de Rennes I.
129
130
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
179
D. Conditions de travail
L’avenir des médias d’information se joue sur les supports en ligne, où règne
une concurrence plus dure qu’ailleurs. De ce fait, l’agilité numérique et la
polyvalence pluri-médias sont de plus en plus exigées dans les rédactions.
Les journalistes se transforment en aiguilleurs et en gestionnaires de
contenus. Une gestion « en essaim » des rédactions intègre de plus en plus
des métiers différents. Il n’est plus question de « garder un scoop » et les
outils de recoupement de l’information se sont multipliés et diversifiés, d’où
la nécessité d’un professionnalisme accru et l’émergence de nouveaux types
de journalisme. Cette évolution inéluctable génère un stress professionnel
supplémentaire, partagé par éditeurs et journalistes, notamment à cause de
la suppression de la deadline et de l’obligation de produire à flux tendu sur
les supports en ligne.
Cependant l’évolution n’est pas vécue de la même manière dans tous les
médias : dans certaines rédactions, c’est la spécialisation qui prévaut ; dans
d’autres, la polyvalence la plus extrême est exigée des rédacteurs. Des études
convergentes semblent par ailleurs indiquer qu’une proportion significative
de journalistes est mécontente de ses conditions de travail et qu’une forme
de burnout lié notamment aux exigences nouvelles du métier se répand dans
les rédactions. Quant aux freelances et aux collaborateurs extérieurs, leur
isolement relatif nuit à leur intégration au projet rédactionnel, ce qui entraîne,
pour eux également, un stress supplémentaire. Des propositions sont formulées
par les experts en vue de l’adéquation des rédactions au nouvel environnement
de l’information et de l’amélioration de leurs conditions de travail.
[RECOMMANDATION 23] La quantité et le rythme de travail exigés
des journalistes, quel que soit leur statut, doivent être compatibles
avec une production rédactionnelle de qualité.
[RECOMMANDATION 24] L’adaptation à la nouvelle donne du
journalisme doit être encouragée et organisée dans le cadre de la
formation continuée (v. infra), mais une adaptation strictement
fonctionnelle ne peut être la seule priorité de cette formation. Celle-ci
doit être une clé majeure de l’amélioration de la qualité rédactionnelle
180
Chapitre 2
et du climat de travail de l’entreprise. Elle doit viser à accroître la
culture numérique et la connaissance du marché, à développer
l’aptitude à l’usage des technologies, mais elle doit principalement
s’attacher à atténuer le stress face à l’évolution des métiers et à
améliorer l’exécution du travail journalistique proprement dit (récolte,
vérification, traitement et publication de l’information).
[RECOMMANDATION 25] S’attaquer au burnout devrait figurer
parmi les objectifs des entreprises éditrices. Il s’agit d’organiser
la prévention des risques liés à la charge psychosociale du travail
journalistique, de prévoir une formation spécifique des cadres des
rédactions à la gestion de conflits et à l’interaction personnelle, et
de confier à des personnes références dans les rédactions un rôle de
conseil et de médiation.
[RECOMMANDATION 26] L’accès des freelances et des collaborateurs
extérieurs devrait être permis et organisé aux salles de rédaction
et aux réseaux intranet de l’entreprise, de même que leur meilleure
intégration aux équipes rédactionnelles.
[RECOMMANDATION 27] Une des clés de l’amélioration du climat
de travail dans les rédactions est la diversification accrue (en âge, en
genre, en origine, en culture, en formation) des équipes journalistiques
afin de mieux varier les compétences et les angles d’approche de
l’information.
[RECOMMANDATION 28] Dans ce même esprit, et comme le
recommande le CDJ, l’activité de modération ou d’animation des
forums et des espaces d’expression sur les sites des médias devrait être
confiée uniquement à des journalistes.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
181
[RECOMMANDATION 29] Il s’impose de soutenir l’enquête et
le reportage en pérennisant le fonds de soutien au journalisme
d’investigation et en renforçant son subventionnement par la
Fédération Wallonie-Bruxelles.
[RECOMMANDATION 30] L’éducation aux médias dans
l’enseignement secondaire et l’initiation aux médias dans les écoles
de journalisme doivent mieux préparer les futurs consommateurs et
les futurs producteurs d’information à la constellation médiatique qui
s’annonce, en améliorant la « littératie » médiatique133 et en objectivant
notamment les réalités du métier de journaliste.
Cette préoccupation sera développée dans le chapitre suivant.
3.2.2. Formations aux métiers du journalisme
Au terme des travaux de l’atelier 2 des États généraux des médias
d’information en Belgique francophone, un constat réconcilie tous les
participants : l’énorme contraste entre une formation de plus en plus
exigeante et exigée, et la pauvreté croissante des conditions d’exercice des
métiers de l’information. Comment réagir devant ce grand écart de plus
en plus périlleux – dont on peut par ailleurs se demander s’il est propre
au seul monde médiatique ? Les propositions en matière de statut et de
conditions de travail qui viennent d’être exposées sont une partie de ces
réponses. Elles doivent nécessairement être anticipées et poursuivies dans
le cadre des (in)formations aux métiers du journalisme, second volet des
travaux de cet atelier 2 des EGMI. La formule « Formations aux métiers du
journalisme » est plurielle à dessein. L’on distingue en effet la formation de
base (durant les études supérieures universitaires ou non) de la formation
continuée (en cours d’exercice du métier). En amont de ces deux axes, il
convient d’ajouter l’information sur les études et les professions, afin que
les candidats à l’exercice des métiers de l’information choisissent leurs
études en connaissance de cause. Et en aval, il faut développer la recherche
et le développement des connaissances sur ces études et professions, afin de
133
Selon l’expression d’Eric Scherer, directeur des médias numériques à France 2.
182
Chapitre 2
nourrir adéquatement les formations et d’innover intelligemment dans la
pratique des métiers. Plus fondamentalement enfin, il convient d’introduire
l’éducation aux médias dans les cycles de formation obligatoire (en primaire
et en secondaire), afin que toute la société soit de mieux en mieux à même
d’analyser, d’évaluer et de créer des contenus médiatiques de qualité. C’est
cette structure de l’amont à l’aval – ou d’une boucle à boucler ? – qui guide les
recommandations suivantes, en caractères gras dans le texte qui les cadre.
A. Éducation aux médias
Le rapport scientifique intitulé État des lieux des médias d’information
en Belgique francophone réalisé en préambule à ces EGMI, ainsi que les
recommandations des experts du premier atelier de travail consacré à
l’économie des médias ont tous deux insisté sur l’importance de l’éducation
aux médias. Au terme de l’atelier 2, les experts abondent également en ce
sens et insistent sur la nécessité de
[RECOMMANDATION 31] renforcer l’éducation aux médias dans
les programmes de formation obligatoire (primaire et secondaire).
Cette volonté d’initier et de renforcer, auprès de chaque citoyen, « la capacité
à accéder aux médias, à comprendre et à apprécier, avec un sens critique,
les différents aspects des médias et de leur contenu et à communiquer dans
divers contextes134» se fonde sur plusieurs motivations, dont la moindre
est le suivi des recommandations de la Commission des Communautés
européennes (2009) et du Conseil supérieur de l’éducation aux médias, dans
sa « Déclaration de Bruxelles pour une éducation aux médias tout au long
de la vie » (3 mars 2011). Des citoyens éduqués aux médias (c’est-à-dire dotés
d’une compétence certaine en littératie médiatique) sont en effet susceptibles
d’avoir une représentation plus réaliste des métiers de l’information, de
consommer davantage de médias, d’exiger de ces médias une qualité accrue
et de participer davantage à l’élaboration de leurs contenus. Des citoyens
bien informés étant le gage d’une démocratie de qualité, c’est toute une
communauté qui se trouve ainsi tirée vers le haut.
Commission des Communautés européennes (2009), paragraphe 11, citée par F. Antoine et
F. Heinderyckx, État des lieux des médias d’information en Belgique francophone, Parlement de
la Communauté française de Belgique, mars 2011.
134
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
183
À l’heure actuelle, il semble que cette éducation aux médias soit laissée à
l’appréciation des enseignants de l’enseignement obligatoire qui choisissent,
ou non, d’y consacrer du temps. L’introduire comme compétence socle en
primaire et/ou secondaire pourrait avoir les effets bénéfiques décrits plus
haut. Comment renforcer l’éducation aux médias dans les programmes de
formation obligatoire (primaire et secondaire) ?
1°) A minima, donner les moyens aux opérations existantes (« Ouvrir
mon quotidien », « Journalistes en classe », etc.) de continuer à exister.
« Ouvrir mon quotidien » (mise à disposition de journaux dans les écoles
primaires et secondaires) et « Journalistes en classe » (rencontre entre
professionnels des médias et classes de primaire ou de secondaire) doivent
continuer à recevoir le soutien et la visibilité nécessaires à leur bonne
continuation.
Les experts conseillent par ailleurs aux organisateurs de ces opérations de
consacrer du temps à la présentation nuancée du métier de journaliste, afin
que les élèves se fassent une représentation plus réaliste et moins mythique
des pratiques professionnelles médiatiques. Cette approche introduira
l’information sur les études et les professions (cf. point 2).
2°) Étudier l’opportunité de compléter/modifier ces opérations
existantes par d’autres bonnes pratiques, mises en place ailleurs.
Exemple faisant suite aux États généraux de la presse écrite en France :
proposer un abonnement gratuit d’une durée limitée (3 mois, 1 an ?) à
un quotidien d’information générale à tout jeune de 18 ans avec des coûts
partagés à 50/50 entre éditeur et État.
3°) Idéalement, introduire l’éducation aux médias dans les programmes
de formation obligatoire, c’est-à-dire dès les études primaires (en 5e
et 6e, éventuellement auparavant), ainsi qu’au niveau secondaire.
Cette révision des programmes et des compétences nécessite bien entendu
une réflexion avec les acteurs de terrain (pédagogues, administration de
l’enseignement, formateurs des futurs enseignants, spécialistes de l’éducation
aux médias ; etc.) ;
Cette révision des programmes et compétences pourrait être l’objet de
184
Chapitre 2
recherches qui articulent la pédagogie, la didactique et les sciences de
l’information et de la communication (cf. point 5).
B. Information sur les études et les métiers de l’information
L’atelier 2 des EGMI rappelle combien les études supérieures (universitaires
ou non) dans le secteur de l’information et de la communication sont
largement plébiscitées ; l’atelier rassemble également plusieurs hypothèses
explicatives quant à ce choix de masse. Parmi ces hypothèses, le poids
important pris par la représentation quelque peu mythique du métier de
journaliste (« écrire et voyager ») incite les experts à préconiser de
[RECOMMANDATION 32] renforcer l’information et l’orientation
sur les études et les professions de l’information.
L’objectif de ce renforcement n’est ni de décourager, ni d’attirer davantage
d’étudiants, mais bien d’aiguiller le mieux possible les futurs étudiants, afin
d’éviter l’incompétence ou les désillusions. Comment renforcer l’information
sur les études et les professions de l’information ?
1°) En première ligne, donner aux acteurs de l’organisation de salons
type « salon de l’étudiant » les moyens de continuer à organiser le
rassemblement de tous les acteurs de formation.
Ces grands rassemblements que sont les salons de l’étudiant sont une porte
d’entrée à ne pas négliger, où parents et futurs étudiants du supérieur glanent
de nombreuses informations sur les études supérieures quelles qu’elles
soient.
2°) En deuxième ligne, créer un centre d’information et d’orientation
sur les études et les professions à l’échelle de la Fédération WallonieBruxelles. Ou, a minima, renforcer les moyens financiers et humains
des centres existants, en insistant sur la nécessité d’y trouver une
information de qualité.
Les renseignements tous azimuts dispensés par les salons de l’étudiant
gagnent souvent à être complétés, réfléchis et approfondis au sein d’un service
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
185
d’information et d’orientation de qualité135. La qualité de l’information
dispensée augmente si ce service répond à plusieurs exigences, tantôt
généralistes (quel que soit le métier), tantôt particulièrement liées aux études
et aux professions du journalisme et de la communication. À la suite des
EGMI, les experts insistent particulièrement sur les exigences suivantes :
-
-
-
-
-
être comparatiste et donc indépendant de toute institution
d’enseignement ;
se doter de supports d’informations qui dépassent la simple
compilation de programmes d’études et qui soient mis à jour très
régulièrement (au minimum annuellement) ;
diversifier les outils d’informations, à l’aune de la diversité des métiers
de l’information (brochures, sites web, blogues de témoignages,
rencontre avec des conseillers, organisation d’opération de
sensibilisation…) ;
être attentif à l’analyse et à la déconstruction des idées reçues sur le
métier de journaliste ;
être en veille par rapport aux nouveaux métiers de l’information.
C. Formation de base
La légitimité et la solidité de l’ancrage de la discipline « Information et
communication » dans le paysage de l’enseignement supérieur et de la
recherche136 belge francophone ne font aucun doute. Son extrême diversité
non plus : elle peut être universitaire, non universitaire de type long, non
universitaire de type court ; avec ou sans spécialisation vers le journalisme ;
dotée d’un master 120 ou d’un master 60 ; liée aux disciplines littéraires ou
socio-économiques ; dotée de stages en baccalauréat et/ou en master137.
Cette hétérogénéité, source d’attractivité, est à l’image des métiers tout aussi
divers auxquels elle forme. Elle a pour corollaire de générer des prises de
position très contrastées des acteurs qui l’animent. Cela constitue un défi
de taille pour les experts de l’atelier 2 des EGMI, chargés de dresser une
Le CIO (Centre d’information et d’orientation), bien qu’attaché à une institution universitaire
en particulier, a pu donner aux experts un aperçu de ce que pouvait être cette information de
deuxième ligne de qualité.
136
Parmi les commissions doctorales de domaine (CDD) de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il
existe une CDD « Information et communication ».
137
C’est le cas par exemple des étudiants qui réalisent leur baccalauréat aux facultés universitaires
Notre-Dame de la Paix à Namur.
135
186
Chapitre 2
liste de recommandations qui ne baignent pas dans le consensus mou.
Au terme de leurs travaux, les experts de l’atelier proposent donc diverses
recommandations liées à la formation de base. Mais ils réclament également
le droit de réserver leur jugement à propos de certains points.
1°) Recommandations
Les recommandations portent sur la clarification à opérer entre information
et communication, ainsi que sur les stages.
La dénomination du cursus
La dénomination actuelle du cursus est « baccalauréat en communication »
pour le type court, « master en information et communication » pour le type
long. Cette dénomination volontairement large du cursus est à l’image de
l’aspect général de la formation, tantôt perçue positivement (aspect riche et
pluridisciplinaire), tantôt négativement (aspect « fourre-tout »).
Dans les deux cas, la filière communication attire un nombre croissant
d’étudiants, parce qu’elle ouvre la voie à plusieurs métiers possibles, qu’elle
attire nombre d’indécis qui ne désirent pas encore choisir un métier en
particulier, parce que l’espace social est fortement marqué par les médias,
et enfin, parce que la polyvalence des diplômés intéresse les employeurs, de
plus en plus soucieux de flexibilité.
Les débats de l’atelier 2 ont cependant rappelé l’importance de démarquer
l’information de la communication. Cette incompatibilité est d’ailleurs
consacrée dans la loi de 1963 qui détaille les conditions d’obtention du
titre de journaliste professionnel. La formation de base en communication
se doit donc d’insister sur la différence entre le métier de journaliste et de
communicateur, sans se couper de la polyvalence qui fait la richesse de la
filière. Comment ?
[RECOMMANDATION 33] Clarifier, par la grille de programme, la
distinction à opérer entre communication et information.
La formulation volontairement large de la dénomination du cursus
(actuellement « communication » pour le type court et « information et
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
187
communication » pour le type long) semble satisfaire les opérateurs de
formation et les étudiants, qui y voient un signe de polyvalence. Les experts
ne jugent donc pas utile de modifier l’intitulé du cursus. Par contre, ils
préconisent que la distinction information/communication soit parfaitement
visible dans l’organisation même de la grille de programme, particulièrement
en fin de cursus (dernière année de baccalauréat de type court, masters). La
dénomination et le contenu des finalités, l’intitulé et les cahiers de charge
des modules de cours spécialisés ou des blocs de cours à options doivent
permettre d’identifier sans équivoque quelles voies doivent emprunter les
étudiants qui se destinent plus spécifiquement aux métiers de l’information
(journaliste, secrétaire de rédaction, responsable de rédaction, etc.).
A priori, cette clarification paraît plus difficile à réaliser dans les hautes
écoles, où le nombre d’étudiants tentés par les métiers de l’information est
assez limité138. Dans ce cas cependant, certains responsables des hautes écoles
invités aux EGMI ont indiqué que la montée en puissance des nouveaux
médias d’information les poussait à réfléchir à l’opportunité d’opérer des
rapprochements, en fin de cursus, avec les sections « écriture multimédia »
souvent présentes dans la catégorie sociale de leur haute école.
Les stages
De l’avis de tous les invités à l’atelier 2 des EGMI, le stage est un point
essentiel de la formation des futurs journalistes et un moment décisif dans
l’intégration professionnelle. Le moment où il apparaît dans le cursus, sa
durée, la qualité de son encadrement et les effets parfois négatifs qu’il a sur
l’emploi des freelances en concurrence avec le « travail gratuit » fourni par le
stagiaire en fait un enjeu important de l’atelier 2 des EGMI.
[RECOMMANDATION 34] Proposer un canevas type de convention
de stage pour l’ensemble des lieux de formation en Fédération
Wallonie-Bruxelles.
Du côté des hautes écoles, parmi les 1.800 étudiants inscrits dans la filière communication en
Fédération Wallonie-Bruxelles, seuls 10 à 20% se destinent à une carrière journalistique. Parmi
les 450 étudiants de troisième année, entre 60 et 90 embrassent finalement le métier de journaliste.
138
188
Chapitre 2
A minima, la convention de stage devrait :
-
-
-
-
préciser les droits et les devoirs des trois parties (étudiant,
établissement d’enseignement et entreprise accueillante) ;
rappeler que le stagiaire est en situation d’apprentissage et non
d’emploi « gratuit » ;
garantir un encadrement de qualité du stagiaire par l’entremise
d’un journaliste expérimenté qui voit son emploi du temps aménagé
pour remplir au mieux cette mission (transmission de savoirs
intergénérationnels) ;
comprendre, en annexe, les deux textes de référence en Belgique en
matière de déontologie139 et, éventuellement, les règles internes au
média intégré par l’étudiant.
Ce canevas commun doit s’adapter, contractuellement, aux différents
lieux de stage et aux différents types d’enseignement (type court/type long
notamment). Mais il a surtout pour objectif de souligner et de renforcer
le caractère pédagogique du stage, marchepied décisif de l’intégration
professionnelle (générateur du premier emploi).
[RECOMMANDATION 35] Supprimer tout stage en première année,
dans l’enseignement tant de type court que de type long. Et mettre
à profit cette période d’intégration professionnelle pour fournir, en
début de cursus, une information renforcée et adaptée sur les études
et les professions du journalisme et de la communication140.
Outre les éléments d’information déjà développés au point 2, cette
information sur les études et les professions du journalisme et de la
communication se devrait de :
-
prolonger et renforcer l’opération « Triangle » ;
cette opération d’information sur les conditions d’exercice du
métier de journaliste est menée par l’Association des journalistes
professionnels (AJP) auprès des étudiants en information et
communication des écoles supérieures et des universités ;
139
Déclaration des devoirs et des droits des journalistes (1971) et Codes des principes de journalisme.
140
Ce que plusieurs hautes écoles font déjà, en dénommant cette période « stage interne ».
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
-
-
-
189
décoder les représentations mythiques et les idées reçues liées aux
métiers de l’information ;
éveiller l’attention des étudiants sur l’importante galaxie des
nouveaux métiers de l’information, suite à l’apport des nouvelles
technologies et des nouveaux usages médiatiques ;
initier les futurs journalistes aux statuts et aux fonctionnements
professionnels innovants destinés à endiguer la dégradation des
conditions de travail, notamment celles des indépendants : structure
coopérative de producteurs associés, micro-entrepreneuriat à
vocation journalistique, secrétariat social de prestataires, etc. (cf. les
recommandations sur les statuts et les conditions de travail supra).
Cette proposition a pour objectif principal de limiter les erreurs de choix
d’étude et de réorienter les étudiants en début de cursus. Elle a également
pour avantage de limiter le nombre de demandes de stage auprès des
rédactions, tout en équipant les futurs stagiaires d’un bagage minimum en
connaissances, en méthodologie et en savoir-faire technique avant même
qu’ils intègrent ces rédactions. Le stage, dans la suite du cursus, ne s’en
déroulera que mieux, au bénéfice de toutes les parties.
[RECOMMANDATION 36] Limiter la durée des stages dans une
même rédaction.
Sachant qu’éditeurs, hautes écoles et universités s’accordent à penser que
trois mois de stage dans une même rédaction sont trop longs ; sachant en
outre qu’éditeurs et hautes écoles jugent qu’un mois de stage est trop court,
les experts recommandent de limiter la durée maximale du stage à cinq ou
six semaines par rédaction.
Dans les hautes écoles, où la durée du stage est plus longue en vertu du
décret141, les experts recommandent que le stagiaire séjourne au minimum
dans deux rédactions distinctes par année de formation.
Cette recommandation a pour avantage de permettre à l’enseignant et au
maître de stage d’apprécier les compétences de l’étudiant durant une période
Actuellement : 4 semaines en première année ; 7 à 8 semaines en deuxième année ; 12 semaines
en troisième année de baccalauréat.
141
190
Chapitre 2
significative. Mais en limitant la durée du stage dans une même rédaction,
elle limite du même coup les effets de la présence du stagiaire sur les activités
des freelances.
[RECOMMANDATION 37] Assurer aux lieux de formation les
moyens financiers et humains pour garantir la bonne réalisation des
recommandations liées au stage.
Supprimer le stage en première année, inviter des conférenciers ou rendre
visite à des professionnels tout au long de la première année du cursus,
multiplier le nombre des rédactions à visiter lorsqu’un étudiant s’y trouve
en stage nécessitent davantage de moyens humains et financiers pour les
écoles et universités, qu’il convient de chiffrer et de dégager. La qualité de
l’orientation et de la formation du stagiaire, et la satisfaction réciproque de la
tripartite étudiant-média-formateur sont à ce prix.
2°) Questions nécessitant une analyse plus approfondie
Les experts de l’atelier 2 des EGMI réservent leur jugement à propos de
certains points, qu’ils souhaitent voir approfondis avant toute
recommandation ou décision. Cet approfondissement pourrait faire l’objet
de recherches scientifiques (cf. point 5) ou être documenté par l’AEQES
(Agence pour l’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur).
L’année passerelle
[RECOMMANDATION 38] Documenter la nécessité de maintenir
ou de supprimer l’année passerelle entre le bac en haute école et le
master universitaire. L’AEQES pourrait ajouter cette analyse à sa
prochaine mission d’évaluation des formations de type court en
communication.
Les responsables des cycles courts et ceux des cycles longs ont une position
diamétralement opposée sur l’année passerelle. Les premiers souhaitent la
supprimer ; les seconds insistent sur la nécessité de la maintenir. Devant les
arguments avancés par les uns et les autres, les experts de l’atelier 2 des EGMI
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
191
constatent que ces positions mériteraient d’être soutenues par une analyse de
fond qui, sauf erreur, n’existe pas à l’heure actuelle. Qu’est-ce que les institutions
d’enseignement supérieur qui ont mis en place cette année passerelle souhaitent
en faire ? Il serait bon d’en rappeler les objectifs, mais également d’en évaluer
les résultats de façon documentée. Par exemple : statistiques sur le parcours des
générations d’inscrits, enquête auprès des étudiants et des diplômés, analyse
des pratiques dans les pays voisins, comparaison avec les parcours d’étudiants
d’autres filières ayant accédé au master sur base d’un examen ou de cours
supplémentaire, rôle du master 60, etc.
Différents opérateurs pourraient mener à bien cette analyse documentée,
à commencer, en interne, par les institutions d’enseignement qui ont mis
en place l’année passerelle. Son évaluation pourrait également être financée
dans le cadre de recherches scientifiques subsidiées (cf. point 5). Mais cette
analyse pourrait surtout être du ressort de l’AEQES.
En 2009-2010, l’AEQES a réalisé une analyse transversale de l’offre de
formation de type long en information et communication, regrettant
d’ailleurs de n’y avoir pas intégré, à l’époque, les formations de type court,
puisque des étudiants des deux cursus (court et long) postulent aux mêmes
emplois. Lorsqu’elle consacrera du temps à l’évaluation des formations de type
court en communication (prochaine décade 2012-2022), il serait opportun
que l’AEQES profite de cette étude pour y ajouter un travail d’évaluation de
l’année passerelle, véritable « nœud gordien » entre les cycles long et court.
L’articulation théorie/pratique
Au terme de l’atelier 2 des EGMI, les experts sont frappés par la particularité
des études en information et communication. En effet, les responsables
du type court veulent continuer à se définir comme des formateurs de
« généralistes » des professions de la communication capables de passer
d’un métier à l’autre. Dans ce cadre, les métiers de l’information sont une
orientation parmi d’autres, et certainement pas la plus prégnante. Les
responsables du type long (universitaire ou non), eux, revendiquent leur
excellence à former des spécialistes du métier d’informer, surtout durant les
masters qui couronnent le cursus.
Cette vision de la formation est particulière dans la mesure où, depuis
la réforme de l’enseignement supérieur décidée à Bologne en 2004, les
baccalauréats professionnalisants se vouent d’abord aux formations
192
Chapitre 2
spécialisées vers un métier (comptable, infirmier, assureur…), tandis que
les parcours de type long privilégient plutôt la connaissance encyclopédique
et heuristique d’une discipline (l’économie, la médecine, le droit, etc.). La
formation de base en communication préfère donc renverser ce modèle de
façon chiasmatique.
Sans la remettre en question, les experts de l’atelier 2 des EGMI recommandent
à tout le moins d’étudier davantage l’impact de cette singularité assumée. Il
faut davantage
[RECOMMANDATION 39] documenter la manière dont les
programmes d’études supérieures en communication articulent et
répartissent le transfert des connaissances théoriques et pratiques
tout au long du cursus.
Cette analyse passe par diverses questions que les EGMI ont abordées,
mais qu’une recherche plus approfondie pourrait documenter. Ainsi par
exemple :
-
-
-
Quel est le taux de redondance entre les cours pratiques du premier
cycle de type court et du second cycle de type long ?
Cette éventuelle redondance cycle court/cycle long est-elle un facteur
dans le taux d’abandon durant l’année passerelle entre baccalauréat
et master ?
Dans l’enseignement de type long particulièrement, comment
éviter les erreurs d’orientation d’étudiants confrontés tardivement
aux pratiques professionnelles ? Ne serait-il pas opportun, comme
le suggère l’AEQES, de répartir tout au long des cinq années du
programme l’alternance entre acquisitions des savoirs théoriques
propres aux sciences humaines et sociales d’une part, et initiation
aux pratiques professionnelles d’autre part ? Dans cet esprit,
l’organisation d’un stage dès le baccalauréat (en troisième année)
serait-elle pertinente et non contradictoire avec ce qui a été
recommandé plus haut sur les stages ? Dans cet esprit également,
l’intégration de nombreux professionnels des médias dans les
équipes pédagogiques ne devrait-elle pas débuter dès les années
de baccalauréat ? Dans cet esprit enfin, décloisonner les lieux et
les temps de la pédagogie ne serait-il pas un moyen d’adapter plus
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
-
193
fondamentalement encore la formation aux nouveaux médias142 ?
Comment ne pas réduire l’acquisition de pratiques professionnelles
au seul apprentissage d’outils techniques rapidement obsolètes, sans
pour autant décourager les rédactions d’accueillir en stage ou en
premier emploi des étudiants en cours de formation ?
D. Formation continuée
Les principaux acteurs invités dans le cadre de l’atelier 2 des EGMI –
journalistes et leurs représentants ; éditeurs des médias d’information
générale et de la presse périodique ; responsables des formations de types
court et long – sont unanimes : la mise en place ou, à tout le moins, la
promotion de la formation continuée dans les métiers de l’information est
une nécessité en Belgique francophone.
Les experts notent cependant que l’unanimité autour du concept « formation
continuée » se décline diversement selon les acteurs.
-
-
-
Les journalistes d’une part, les éditeurs (surtout en presse écrite)
d’autre part sont demandeurs d’une structure (que les éditeurs
appellent « cluster ») qui leur permette de bénéficier de moyens
financiers suffisants (évalués à 350.000 EUR/an) pour se former,
rapidement et en Belgique francophone, aux outils technologiques
des nouveaux médias. Cette demande est d’autant plus pressante
que la survie de certains médias est en jeu et que l’offre de formation
est incomplète ou peu visible en Belgique francophone.
Les éditeurs de presse périodiques, eux, se déclarent prêts à soutenir
le transfert d’une expérience et d’un modèle, celui de la « Media
Academy » financée à hauteur d’un million d’euros par an par les
pouvoirs publics flamands à destination de tout type de rédacteurs
(information générale, association, B2B, indépendants, salariés,
bénévoles, etc.).
Enfin, l’Association des journalistes professionnels d’une part,
les responsables de l’enseignement supérieur de type long d’autre
part, sont à la base de deux propositions distinctes de structure de
formation continuée :
- le « Pôle opérationnel dynamique de formation » de l’AJP :
Marc Mentré, « Formations au journalisme : placer l’innovation au cœur des cursus », in Les
Cahiers du journalisme, n°22/23, automne 2011, pp. 156-167.
142
194
Chapitre 2
une structure à créer, interface entre formateurs et publics
bénéficiaires dont les objectifs concrets de formation
seraient définis par un conseil d’orientation regroupant les
représentants des journalistes, les éditeurs et des experts
extérieurs, et dont le financement serait à la fois public et
privé ;
- le « Centre pluridisciplinaire de perfectionnement en
journalisme » : une plate-forme où les écoles de journalisme
de l’IHECS, de l’UCL, de l’ULB et de l’ULg rapprocheraient
– sur la base des ressources mutuelles existantes – leurs
compétences pédagogiques et leurs infrastructures
techniques de formation continuée.
Face à ce bouquet (une demande, un modèle, deux offres), les experts
s’accordent pour recommander à la Fédération Wallonie-Bruxelles de
[RECOMMANDATION 40] soutenir rapidement la création et le
maintien d’une structure pérenne unique de formation continuée
centrée sur les métiers du journalisme, de l’information et des
nouveaux médias. Pour cela, la FWB devrait, soit choisir entre les deux
propositions actuellement en présence, soit organiser dans les plus brefs
délais une concertation entre les acteurs concernés afin de préciser
l’organigramme, le financement et les modes de fonctionnement de
cette structure.
La première solution est incontestablement la plus rapide à un tournant
crucial de l’histoire des médias ; la seconde est source d’atermoiements,
mais plus consensuelle. Il n’appartient pas aux experts de présumer du choix
que fera la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ils peuvent cependant dresser la
liste des principales questions auxquelles la décision concernant la structure,
quelle qu’elle soit, devra répondre :
-
-
Qui sont les acteurs participants à la structure de formation
continuée : journalistes, éditeurs, formateurs, chercheurs, divers
organes de pouvoir, CSA, CESEM, CDJ, Observatoire des médias
(s’il existe),… ?
Quel est le rôle de ces différentes instances dans la structure
(« client », formateur, conseiller, administration, coordination, etc.)
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
-
-
195
et comment s’articulent ces rôles dans l’organigramme qui fonde la
structure ?
Quel est le statut de cette structure : ASBL subsidiée, centre de
formation dépendant d’une structure déjà existante telle que l’AJP
ou une université ou une haute école, etc. ?
Quels sont les montants nécessaires à l’élaboration de cette
structure et quels en sont les canaux de financement : origine des
fonds, bénéficiaires, selon quelle clé de répartition entre pouvoir
subsidiant, éditeurs, journalistes, associations professionnelles,
organismes de formation, etc. ?
A ce propos, les experts retiennent l’idée des éditeurs de solliciter
notamment les Régions, compétentes en matière de soutien à la transition
et à l’innovation technologiques, pour un montant de 350.000 euros par an
destiné à financer des formations ou l’achat de matériel. Ils rappellent par
ailleurs qu’un montant minimum de 300.000 euros a été cité par l’AJP comme
base de départ au lancement de cette structure dont le financement pourrait
à la fois être public, mais aussi issu de partenariats et d’une participation des
employeurs et des journalistes. En clair, on se trouve face à deux sollicitations
de financement public, portant l’une sur la demande de formation, l’autre sur
l’offre de formation. Sont-elles compatibles ou sont-elles exclusives ?
-
-
Qui bénéficie de ces formations continuées : salariés, indépendants,
journalistes professionnels, tout type de rédacteur, tout membre du
personnel d’une entreprise de médias ?
Quels sont les visages de l’offre de formation : le programme estil prédéfini ou à la demande, étalé sur plusieurs jours ou limité
à quelques heures, offert en interne ou en externe de l’entreprise
médiatique, consacré aux seuls outils techniques ou élargi aux
savoirs et savoir-être inhérents au métier d’informer, etc. ?
Les experts aimeraient également attirer l’attention des négociateurs sur
quelques points qu’ils souhaitent voir figurer parmi les préoccupations qui
fondent la future structure de formation continuée.
-
-
Profiter de l’élan apporté par les EGMI pour dresser l’état des
lieux et promouvoir les formations continuées existantes liées
principalement au développement des nouveaux médias.
Intégrer dans la formation continuée des modules de reconversion
de métiers anciens (photographe de presse, par ex.) et des modules
196
Chapitre 2
-
-
de veille ou de pratique des nouveaux métiers de l’information :
fact checkers, experts en référencement, architectes d’information,
data-journalistes, journalistes de communauté, etc.
Réduire « l’inculture numérique » des journalistes, mais aussi
des éditeurs, responsables de rédaction et cadres des entreprises
médiatiques (ressources humaines, etc.).
Ouvrir une large place au droit et à la déontologie des médias,
questionnés ou bousculés par la montée en puissance des nouvelles
technologies et les bouleversements que suscitent les TIC dans
l’économie et les pratiques médiatiques.
À long terme, les experts espèrent que cette structure de formation continuée
se nourrira des recherches menées par les analystes des médias (cf. point 5) et,
inversement, que ceux-ci trouveront dans ces lieux de formation continuée
un de leurs terrains d’observation des pratiques et mutations du métier
d’informer (« journalisme augmenté », par ex.). Ensemble, ils influeront
également la réflexion sur les programmes de la formation de base. La boucle
sera ainsi bouclée.
E. Recherche et développement
L’organisation des États généraux des médias d’information est un révélateur,
parmi d’autres, de la nécessité et de l’étendue des interactions entre les
décideurs politiques, les professionnels du journalisme, les formateurs de ces
(futurs) professionnels et les analystes du secteur.
Analyser l’émission, les pratiques, les contenus et la réception de l’information
est du ressort des chercheurs, dont la mission est triple. Ces experts des
médias sont en effet soucieux de recherches fondamentales et/ou appliquées ;
ils veillent à enseigner le fruit de leurs recherches aux (futurs) professionnels
de la presse, de l’audiovisuel et des médias numériques ; ils soumettent enfin
leurs travaux au service ou à la question des membres de la société civile, des
décideurs politiques et des praticiens de l’information.
Dans ce cadre, les experts de l’atelier 2 des EGMI soulignent l’importance de
[RECOMMANDATION 41] renforcer la formation de troisième
cycle, dédiée à la recherche doctorale et postdoctorale en sciences de
l’information et de la communication.
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Les « EGMI » ont pris leur envol lors de la présentation de l’état des lieux des
médias d’information en Fédération Wallonie-Bruxelles, le 17 mars 2011.
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Dans le public, des patrons de presse, des universitaires, des représentants des
journalistes et des personnalités politiques : Véronique Salvi, ancienne députée,
membre du comité de pilotage et Richard Miller, député, membre du comité de
pilotage.
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La présentation de l’état des lieux a été suivie par un questions-réponses avec
les participants.
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Jean-François Istasse, président du comité de pilotage et député du Parlement de
la Fédération Wallonie-Bruxelles, Françoise Tulkens (UCL), Jacques Englebert
(ULB) et Séverine Dussolier (UNamur), animateurs - experts de l’atelier 3.
De gauche à droite : Marc Sinnaeve, professeur (IHECS), Jean-Jacques Jespers,
professeur (ULB) et Laurence Mundschau, journaliste, professeur (UCL).
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Jean-Charles Luperto, président du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles,
Frédéric Antoine (UCL) et François Heinderyckx (ULB), auteurs du rapport
général introductif.
Pierre-François Docquir, vice-président du
CSA.
Denis Robert, journaliste et
écrivain français.
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Savine Moucheron, députée et membre du
comité de pilotage.
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Pierre-Yves Jeholet, député et
membre du comité de pilotage.
Isabelle Meerhaeghe, députée et membre du comité de pilotage.
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Nadine Toussaint-Desmoulins, professeur
à l’Université Paris 2, animatrice experte de l’atelier 1.
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Marc Isgour, avocat au Barreau de Bruxelles.
Anne-Marie Impe, journaliste et François Ryckmans, président de l’AJP.
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Pierre Haski, fondateur du « pureplayer » Rue89.
Jean-François Raskin, vice-président de la RTBF.
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Carine Doutrelepont, avocate spécialisée en droit des médias et TIC.
Stephane Rosenblatt, directeur général de RTL-Tvi et Laurence Vandenbrouck,
directrice du service juridique de RTL-Tvi.
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Denis Ruellan, directeur adjoint du CRAPE.
Eric Scherer, directeur de la prospective et de la stratégie numérique
de France Télévisions.
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Jacques Englebert, avocat spécialisé en droit des médias (1er rang, à gauche)
et Françoise Tulkens, juge à la Cour Européenne des Droits de l’Homme (e.r.)
(1er rang, à droite), animateurs - experts de l’atelier 3.
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Olivier Bogaert, commissaire à la
Federal Computer Crime Unit.
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Olivier Basile, président de Reporters
sans Frontières Belgique.
Luc Hennart, président du Tribunal de Première Instance de Bruxelles et Madame
Annaert, juge à la quatorzième Chambre du Tribunal de Première Instance de
Bruxelles.
Les auteurs des photographies de l’AJP sont : Laurence Dierickx, Mehmet Koksal, Marc Simon, Robert Vanden Brugge,
Jean-Pierre Borloo et Alain Dewez.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
197
Comment mener à bien cette recherche doctorale et/ou postdoctorale ?
-
-
-
-
Créer un Observatoire des médias belges (francophones).
Idéalement, celui-ci devrait être belge, d’autant que la plupart des
médias francophones sont aux mains d’entreprises liées à l’autre
communauté du pays. Plus réalistement, à l’aune de l’initiative
prise par la Fédération Wallonie-Bruxelles de mener à bien ces Etats
généraux, il s’agirait, a minima, de créer un Observatoire des médias
belges francophones.
Cet Observatoire rassemblerait autour de projets scientifiques
communs les forces déjà présentes dans les différentes institutions
de recherche (universités, Conseil supérieur de l’audiovisuel,
centres de recherche intra-entreprises médiatiques, etc.). Pour la
Fédération Wallonie-Bruxelles, il s’agirait surtout de financer une
microstructure administrative et une coordination scientifique
pérennes qui rassemblent les acteurs de la profession, les formateurs
et les experts scientifiques autour de thèmes décidés collégialement.
Les chercheurs seraient financés par le biais de crédits extérieurs
issus d’appels à projets. Les résultats permettraient au secteur
professionnel et aux décideurs d’orienter au mieux leurs choix
éditoriaux et leurs choix de formation continuée (cf. point 4).
Financer des chercheurs en sciences de l’information et de la
communication au sein des différentes universités en dédiant une
enveloppe spécifique dans la manne des mécanismes habituels de
financement de la recherche (subsides européens, financements
fédéraux, communautaires et régionaux).
Favoriser, par des mécanismes de cofinancement éditeurs/pouvoir
subsidiant, des bourses, des prix ou des chaires qui permettent
spécifiquement aux professionnels des médias (salariés ou
indépendants) d’interrompre leur carrière pour prendre un
recul critique en menant une recherche scientifique sur leurs
pratiques.
Financer ou renforcer le financement, à l’intérieur des entreprises
médiatiques, d’un service de recherche et développement qui ne
soit pas seulement dédié au marketing. Ou à tout le moins, favoriser
la recherche action qui introduit le chercheur dans l’entreprise
médiatique, à l’aune de ce qui se fait dans d’autres secteurs.
Pour souligner l’intérêt de telles recherches, les experts proposent ici
quelques exemples de terrains potentiels d’analyse :
198
Chapitre 2
-
-
-
-
-
Réaliser annuellement une radioscopie des médias d’information
en Belgique francophone. L’outil n’existe pas ; son « embryon » –
L’état des lieux des médias d’information en Belgique francophone
réalisé en préambule des EGMI par F. Antoine et F. Heinderyckx
– insiste sur la nécessité de le mettre en place afin de réaliser cette
radioscopie de façon fiable et pérenne. Comment en effet prendre
des décisions sans les outils d’analyses nécessaires à fonder ces
décisions ? Nous prendrons pour seul exemple, durant les travaux
de l’atelier 2, l’impossibilité à obtenir (et donc à comparer) des
chiffres concertés sur le montant des barèmes ou sur le nombre de
journalistes présents, chaque acteur ayant sa propre grille de lecture
des données.
Travailler à l’introduction d’un programme d’éducation aux médias
dans l’enseignement obligatoire primaire et secondaire.
Étudier les causes et les conséquences d’une faible présence des
femmes dans les rédactions. Les études supérieures en information
et communication diplôment trois quart de femmes pour un
quart d’homme. Celles-ci continuent cependant à être sousreprésentées dans les rédactions belges, a fortiori dans les postes
de cadres. Pourquoi ? Cette sous-représentation des femmes a-t-elle
des conséquences sur le traitement et la qualité de l’information ?
Comment est-elle ressentie par les usagers des médias ? Etc.
Organiser une veille des outils médiatiques, afin d’anticiper et de
préparer les programmes de formation (de base ou continuée) ;
(In)valider l’existence d’une année passerelle entre le baccalauréat et
le master en information et communication, dans le cas où l’analyse
transversale de l’AEQES consacrée aux formations de type court en
communication n’aborderait pas cette question.
3.2.3. Conclusion
Rarement le journalisme (dans les statuts et les conditions de travail qui
lui sont attachés), l’information (dans ses conditions de production), les
médias (dans la profonde mutation en cours de leur écosystème), et la
profession (dans la redéfinition à l’œuvre de ses missions, de ses moyens
et du collectif qu’elle constitue) ont été à ce point bousculés. La révolution
numérique fait converger des difficultés économiques anciennes et
nouvelles ; les changements technologiques augmentent à la fois les
contraintes et les opportunités de production ; la reconfiguration d’ampleur
exceptionnelle du secteur porte en elle une interpellation identitaire sans
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
199
précédent pour une profession qui s’enrichit autant d’oxygène que de
questionnements ; les institutions de formation sont appelées, comme
jamais elles ne l’ont été dans leur jeune histoire, à nourrir cette transition
brutale de leurs ressources pédagogiques et techniques, de leurs ajustements
programmatiques et d’une mise en perspective des enjeux et de l’horizon.
A travers ce nouvel atelier des Etats généraux des médias d’information, que
l’expression en soit inquiète ou confiante, c’est bien l’avenir de ce que doit être
une bonne information de presse dans la nouvelle société Internet qui a été
mis en analyses, en réflexions, en expérimentations, en débats. La nature des
contraintes et des libertés nouvelles a été disséquée, les adaptations ont été
identifiées, les défis auscultés, les moyens balisés. Il en ressort que le journalisme
se définira plus que jamais par des savoir-faire multiples et en évolution, par
un statut principal et de nombreux secondaires à adapter, par un terreau
économique à retourner et à revitaminer, par une culture du métier qui ne doit
pas se diluer dans une accumulation d’activités différentes, par une fonction
sociale et démocratique indiscutée mais à mettre davantage en pratique, par
une référence incontournable à la déontologie professionnelle, enfin, qui ne
suffira pourtant plus à délimiter, à elle seule, les métiers de la presse.
La nouvelle conception des modes de production et de consommation
d’information est en train de changer le rapport du journalisme au collectif :
collectif interprofessionnel, collectif d’entreprise, collectif social. Certes, cette
évolution est lente et opère dans des mesures et à des degrés variables selon la
nature, la taille et le projet éditorial et social du média. C’est ce que certains
qualifient d’«artisanat collectif ». Ce qui constitue une première possibilité de
revalorisation du professionnalisme de chacun.
Il est un autre enseignement des paroles qui a circulé lors de cet atelier. Si
des espèces et des pratiques médiatiques sont vouées à s’éteindre, et d’autres
à les remplacer, une chose est sûre : le métier du journalisme, le secteur des
médias et le besoin d’information, tout en évoluant, ne disparaîtront pas. La
question est de savoir si journalistes, éditeurs et formateurs parviendront à
maîtriser, plutôt qu’à subir, les ajustements nécessaires à la survie dans ce
changement d’ère.
Cela passe par une valorisation, sous différentes formes (statut social
et juridique, rémunérations, moyens et temps à disposition, formation
continuée…) du professionnalisme, c’est-à-dire des contenus journalistiques
de qualité et originaux, en veillant toutefois à éviter une dualisation de
200
Chapitre 2
la profession entre une petite élite créative et une masse de « soutiers de
l’information ». Il faut aussi, pour cela et de manière concomitante, que les
entreprises de presse disposent des moyens de s’adapter, de se développer, de
prospérer.
L’enjeu principal, répétons-le, est de promouvoir la qualité et la fiabilité de
l’information reçue par les citoyens dans un environnement économique et
informationnel en transition, décloisonné et augmenté de multiples acteurs…
eux-mêmes démultipliés : les journalistes (architectes d’information,
éditeurs, fact checkers, modérateurs, gérants de communauté…) et les
professionnels des nouveaux métiers de l’information ; les employeurs,
managers, développeurs, micro-entrepreneurs… ; les publics, qu’ils
soient consommateurs, utilisateurs, webacteurs, sources, contributeurs,
commanditaires… ; le législateur et pouvoir subsidiant, enfin, à qui sont
adressées les recommandations rassemblées ici au terme de ce deuxième
atelier des EGMI.
3.2.4. Synthèse des recommandations
A. Statut et conditions de travail
Statut social des journalistes
Le statut des journalistes freelances
[RECOMMANDATION 1] Une réforme légitime mais radicale pourrait
s’inspirer de la loi française Filioud-Cressard (loi n° 74-630 du 1er juillet
1974, art. L-761-2 du Code du travail) instaurant la présomption de contrat
d’emploi : toute prestation effectuée par un-e journaliste professionnel-le
serait présumée relever d’un contrat d’emploi à durée déterminée ou à objet
déterminé, même si elle revêt la forme d’un contrat d’entreprise. Autrement
dit, un statut spécial serait conféré à la prestation journalistique (à l’instar
de la « pige » en France), mettant le/la prestataire dans les conditions d’un
salarié du point de vue de la législation fiscale et sociale. Cette solution
devrait relever à la fois d’une initiative législative fédérale, dérogeant pour
la circonstance au principe de la « libre volonté des parties », et d’une
négociation paritaire entre éditeurs, organisations syndicales et associations
professionnelles, par exemple au sein d’une plate-forme suggérée à l’atelier
n° 2 par le représentant de la CSC.
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
201
[RECOMMANDATION 2] Faute d’accord sur la création d’un statut légal
de pigiste, élaborer un barème unique des prestations des freelances, selon
le type de média. Cette réforme devrait s’accompagner d’un engagement
conventionnel des éditeurs à respecter ce barème, quels que soient les
conditions du marché et le type d’information concerné (sport, faits divers,
politique, culture…) et que le travail facturé fasse ou non l’objet d’une
publication. Le nouvel engagement collectif résultant de cette négociation
paritaire pourrait prendre la forme d’une charte, à l’exemple de celle qui a été
conclue dans le secteur de la bande dessinée en France. Ce barème devrait
prendre en compte des éléments objectifs tels que :
les déplacements effectués, les frais engagés, le temps réel de réalisation du
travail (selon un montant horaire ou journalier, en ce compris l’alerte ou
la veille sur différents supports), la valorisation financière de l’éventuelle
clause d’exclusivité, les suppléments pour travail de nuit, de week-end ou
de jour férié. Ces éléments pourraient remplacer les critères actuels (signe,
ligne, page, tirage de photo, etc.). Des dérogations spécifiques et justifiées
pourraient être prévues en faveur des éditeurs de la presse périodique.
[RECOMMANDATION 3] A minima, généraliser les conventions de
collaboration standardisées et transparentes, basées sur les mêmes critères.
Ce type de convention devrait prévoir des clauses particulières en cas
de rupture unilatérale de la convention par l’une ou l’autre partie, en
considération des services rendus et de la durée des liens d’exclusivité ayant
existé entre les parties.
[RECOMMANDATION 4] Afin d’encourager le secteur à conclure et
à respecter un accord sur ces sujets au sein de la Fédération WallonieBruxelles, le décret sur l’aide directe à la presse pourrait inclure un
nouveau critère d’attribution, en l’occurrence la signature et le respect du
barème conventionnel des prestations des freelances et/ou l’approbation de
conventions de collaboration prenant une forme déterminée et contenant
des clauses de garantie. Toutefois, le décret en question ne concernant
que la presse quotidienne, la presse périodique généraliste et les médias
audiovisuels devraient être encouragés à adhérer au système par d’autres
moyens.
[RECOMMANDATION 5] Encourager la création d’une structure
coopérative de « producteurs associés » ou d’une instance médiane qui
encadrerait le travail de ces micro-entrepreneurs que sont les freelances,
202
Chapitre 2
les représenterait face aux employeurs et pourrait réduire leurs coûts de
production en les mutualisant. Cette instance pourrait comporter un
secrétariat social de prestataires, assumant la gestion sociale des journalistes
freelances sans leur imposer les inconvénients de l’entreprise d’intérim. Le
législateur pourrait reconnaître juridiquement le statut de cette instance
médiane et en encourager la création par des mesures sociales ou fiscales. Une
adaptation ad hoc du décret sur l’aide directe à la presse devrait également
être envisagée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, moyennant les réserves
mentionnées plus haut et concernant les éditeurs de la presse périodique
spécialisée.
[RECOMMANDATION 6] Mettre à l’ordre du jour du législateur fédéral les
propositions suivantes émanant notamment de l’AJP :
a) un assouplissement des conditions d’indemnisation des chômeurs
qui exercent des activités de journaliste freelance, par l’attribution
à ces personnes d’un statut semblable au statut « d’artiste » reconnu
par l’ONEm ;
b) la généralisation du contrat d’étudiant, afin d’éviter aux étudiants
exerçant des activités journalistiques d’avoir à faire face à des
cotisations sociales très lourdes ;
c) la suggestion que soit rendue obligatoire pour tous les journalistes
une assurance de la responsabilité civile leur permettant d’échapper
aux effets de la responsabilité en cascade, effets qui peuvent être très
dommageables en particulier pour les freelances.
Le statut des journalistes salariés
[RECOMMANDATION 7] En ce qui concerne les effectifs des rédactions :
Pour l’attribution des aides prévues par le décret sur l’aide directe à la presse,
le critère de la proportion de journalistes sous contrat d’emploi à durée
indéterminée devrait passer de 40 % à 60 % et la mesure devrait être élargie
aux médias non visés par le décret (sous la réserve de la situation particulière
des éditeurs de la presse périodique spécialisée). Il est également suggéré aux
employeurs, dans le même but, de s’engager à rémunérer toutes les heures
supplémentaires.
Comme alternative aux plans sociaux, lorsque l’évolution technologique le
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
203
commande, les éditeurs devraient privilégier la reconversion professionnelle
(par exemple, reconvertir les photographes en opérateurs vidéo dans une
rédaction plurimédias).
[RECOMMANDATION 8] En ce qui concerne les rémunérations : les experts
estiment indispensables le respect des barèmes existants et l’amélioration
des barèmes les plus défavorables (fixés par les commissions paritaires 227 et
329). Ils suggèrent aussi que les barèmes de rémunération soient communs à
toutes les rédactions situées au sein d’un même groupe de presse. Toutefois,
les éditeurs font remarquer que, sur les supports en ligne, leurs entreprises
sont mises en concurrence avec des opérateurs chez qui les relations sociales
ne sont pas régulées. Il conviendrait donc de légiférer au niveau fédéral sur les
modalités d’élaboration des grilles de rémunération au sein de tous les éditeurs
de service, quel que soit leur statut, afin d’évoluer vers une harmonisation des
barèmes.
Cette harmonisation devrait s’appliquer également aux autres métiers de
l’information (cadreurs, preneurs de son, infographistes). Les télévisions
locales demandent, dans cette optique, aux autorités de la Fédération
Wallonie-Bruxelles une révision de leurs critères de subventionnement qui,
à l’heure actuelle, ont pour effet de donner plus d’importance à la quantité
qu’à la qualité de la production.
[RECOMMANDATION 9] En ce qui concerne le déséquilibre hommesfemmes : les experts recommandent l’alignement des rémunérations des
journalistes femmes sur celles des journalistes hommes. Ils suggèrent de
favoriser autant que possible, non seulement l’engagement, mais surtout
la promotion de journalistes femmes à des postes de responsabilité
rédactionnelle.
Le régime des droits d’auteur
[RECOMMANDATION 10] Il est recommandé que le statut d’auteur soit
légalement reconnu à tous les journalistes.
[RECOMMANDATION 11] Il conviendrait que le législateur fédéral examine
la position de l’AJP, qui demande que soit interdite toute présomption de
cession de droits et toute cession gratuite privant les auteurs de leurs droits
secondaires (en cas de republication, d’exploitation d’archives, etc.). Lors de
cet examen, il s’imposerait de prendre en compte la situation particulière
204
Chapitre 2
des éditeurs de la presse périodique spécialisée : des dérogations spécifiques
devraient être prévues à leur endroit. On devrait également prendre en
compte la déclaration de certains éditeurs143 selon laquelle la cession par les
journalistes de leurs droits d’exploitation des contenus sur tous les types de
plates-formes est pour leur entreprise une condition de survie.
[RECOMMANDATION 12] En ce qui concerne les droits secondaires,
le législateur fédéral pourrait s’inspirer de la loi française, qui prévoit la
cession intégrale des droits d’exploitation sur tous supports pendant une
période de référence (à déterminer conventionnellement), mais instaure une
rémunération (à définir conventionnellement) pour toute utilisation au-delà
de l’expiration de ce délai.
[RECOMMANDATION 13] Le barème conventionnel des prestations, dans
le cas des freelances, ou la convention collective, dans le cas des journalistes
salariés, devrait prévoir une limite à la proportion de la rémunération sous
forme de droits d’auteur : un maximum de 30 % est proposé144, sauf pour les
indépendants à titre complémentaire et pour des droits secondaires.
Statut juridique des journalistes professionnels
[RECOMMANDATION 14] La commission d’agréation pourrait être
autorisée par la loi à octroyer le titre de journaliste professionnel à
toute personne qui consacre au moins la moitié de son temps d’activité
professionnelle à un travail d’information générale et dont les autres revenus
proviennent exclusivement d’activités qui ne sont pas susceptibles de limiter
son indépendance journalistique.
[RECOMMANDATION 15] Comme le recommande la commission
d’agréation, l’accès au titre de journaliste professionnel doit être ouvert
à toute personne travaillant, quel que soit son statut, dans les conditions
légales telles qu’elles sont interprétées par la commission d’agréation, pour
un média d’information générale sur n’importe quel type de support.
[RECOMMANDATION 16] Une modification de la loi du 30 décembre 1963
devrait être envisagée par un amendement ajoutant aux conditions pour
obtenir et conserver le titre de journaliste professionnel la signature par
Voir l’intervention de François Le Hodey à l’atelier 2.
Sur la base de l’expérience en Communauté flamande et d’informations officieuses émanant
du SPFFinances.
143
144
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
205
le/la journaliste d’un engagement d’adhésion au système d’autorégulation
déontologique existant dans chaque Communauté (RvdJ et CDJ) et de respect
des règles et avis déontologiques édictés par les organes d’autorégulation de
sa Communauté.
[RECOMMANDATION 17] Il convient de poursuivre la négociation en cours
en vue de rapprocher les titres de journaliste professionnel et de journaliste
de profession afin d’aboutir à un titre unique dont l’octroi et la conservation
seraient notamment conditionnés par le respect des normes déontologiques
et professionnelles.
Statut des rédactions
[RECOMMANDATION 18] Une initiative législative et/ou un accord
conventionnel devrait organiser plus formellement le statut des rédactions
en élargissant clairement les compétences de celles-ci aux nouveaux médias
et aux nouveaux métiers et en donnant davantage de pouvoir représentatif et
une existence légale aux sociétés de rédacteurs, qui représentent le « capital
intellectuel » de l’entreprise.
[RECOMMANDATION 19] A minima, la société de rédacteurs devrait avoir
le dernier mot quant à la désignation du rédacteur en chef, lequel devrait avoir
des prérogatives nettement distinctes de celles du chef d’entreprise : il serait «
le premier des journalistes » et non « le dernier des directeurs »145. Dans cette
perspective, tout doit être mis en oeuvre (au niveau légal et conventionnel)
pour que, dans tous les médias d’information générale, le rédacteur en chef
soit titulaire du titre de journaliste professionnel, comme le recommande
le CDJ et à l’instar de ce que prévoit le décret de la Communauté française
dans les télévisions locales.
A maxima, la société de rédacteurs pourrait se voir dotée d’une structure
juridique distincte et se transformer en opérateur autonome, lequel se verrait
confier le travail rédactionnel pour le compte de l’éditeur146.
[RECOMMANDATION 20] La rédaction devrait être clairement distincte
des autres services de l’entreprise et principalement des services de
145
146
Selon l’expression de Jean-Paul Marthoz.
Proposition de l’enquête française Technologia.
206
Chapitre 2
marketing147. Un protocole devrait être adopté dans ce sens au sein de
chaque société éditrice ou au sein des associations d’éditeurs.
[RECOMMANDATION 21] Les éditeurs faisant partie de l’AADJ devraient
s’engager formellement à publier toute décision ou tout avis du CDJ qui
concerne directement leur média. Cet engagement devrait constituer un
critère supplémentaire, à ajouter au décret, pour l’attribution de l’aide directe
à la presse.
[RECOMMANDATION 22] Le législateur pourrait organiser pour les
journalistes un « droit de retrait » qui consacrerait leur droit au refus
d’obtempérer, sans perte d’emploi ou de rémunération, à une consigne
inacceptable en vertu de la déontologie148.
Conditions de travail
[RECOMMANDATION 23] La quantité et le rythme de travail exigés des
journalistes, quel que soit leur statut, doivent être compatibles avec une
production rédactionnelle de qualité.
[RECOMMANDATION 24] L’adaptation à la nouvelle donne du journalisme
doit être encouragée et organisée dans le cadre de la formation continuée (v.
infra), mais une adaptation strictement fonctionnelle ne peut être la seule
priorité de cette formation. Celle-ci doit être une clé majeure de l’amélioration
de la qualité rédactionnelle et du climat de travail de l’entreprise. Elle doit viser
à accroître la culture numérique et la connaissance du marché, à développer
l’aptitude à l’usage des technologies, mais elle doit principalement s’attacher
à atténuer le stress face à l’évolution des métiers et à améliorer l’exécution
du travail journalistique proprement dit (récolte, vérification, traitement et
publication de l’information).
[RECOMMANDATION 25] S’attaquer au burnout devrait figurer parmi
les objectifs des entreprises éditrices. Il s’agit d’organiser la prévention des
risques liés à la charge psychosociale du travail journalistique, de prévoir
une formation spécifique des cadres des rédactions à la gestion de conflits et
à l’interaction personnelle, et de confier à des personnes références dans les
rédactions un rôle de conseil et de médiation.
30 % des pressions subies par les journalistes flamands proviennent, selon une étude récente,
du service marketing de l’éditeur.
148
Selon une proposition faite à l’atelier 2 par Denis Ruellan, professeur à l’université de Rennes I.
147
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
207
[RECOMMANDATION 26] L’accès des freelances et des collaborateurs
extérieurs devrait être permis et organisé aux salles de rédaction et aux
réseaux intranet de l’entreprise, de même que leur meilleure intégration aux
équipes rédactionnelles.
[RECOMMANDATION 27] Diversifier davantage (en âge, en genre, en
origine, en culture, en formation) les équipes journalistiques afin de mieux
varier les compétences et les angles d’approche de l’information.
[RECOMMANDATION 28] L’activité de modération ou d’animation des
forums et des espaces d’expression sur les sites des médias devrait être
confiée uniquement à des journalistes.
[RECOMMANDATION 29] Soutenir l’enquête et le reportage en pérennisant
le fonds de soutien au journalisme d’investigation et en renforçant son
subventionnement par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
[RECOMMANDATION 30] L’éducation aux médias dans l’enseignement
secondaire et l’initiation aux médias dans les écoles de journalisme
doivent mieux préparer les futurs consommateurs et les futurs producteurs
d’information à la constellation médiatique qui s’annonce, en améliorant la
« littératie » médiatique149 et en objectivant notamment les réalités du métier
de journaliste.
B. Formations aux métiers du journalisme
Éducation aux médias
[RECOMMANDATION 31] Renforcer l’éducation aux médias dans les
programmes de formation obligatoire (primaire et secondaire). A minima,
donner les moyens aux opérations existantes (« Ouvrir mon quotidien »,
« Journalistes en classe », etc.) de continuer à exister. Étudier l’opportunité
de compléter/modifier ces opérations existantes par d’autres bonnes
pratiques, mises en place ailleurs. Idéalement, introduire l’éducation aux
médias dans les programmes de formation obligatoire, c’est-à-dire dès
les études primaires (en 5e et 6e, éventuellement auparavant), ainsi qu’au
niveau secondaire.
149
Selon l’expression d’Eric Scherer, directeur des médias numériques à France 2.
208
Chapitre 2
Information sur les études et les métiers de l’information
[RECOMMANDATION 32] Renforcer l’information et l’orientation sur
les études et les professions de l’information. En première ligne, donner
aux acteurs de l’organisation de salons du type « salon de l’étudiant » les
moyens de continuer à organiser le rassemblement de tous les acteurs
de formation. En deuxième ligne, créer un centre d’information et
d’orientation sur les études et les professions à l’échelle de la Fédération
Wallonie-Bruxelles. Ou, a minima, renforcer les moyens financiers et
humains des centres existants, en insistant sur la nécessité d’y trouver une
information de qualité.
Formation de base
[RECOMMANDATION 33] Clarifier, par la grille de programme,
la distinction à opérer entre communication et information dans la
dénomination des cursus des différentes formations.
[RECOMMANDATION 34] Proposer un canevas type de convention de stage
pour l’ensemble des lieux de formation en Fédération Wallonie-Bruxelles.
A minima, la convention de stage devrait :
-
-
-
-
préciser les droits et les devoirs des trois parties (étudiant,
établissement d’enseignement et entreprise accueillante) ;
rappeler que le stagiaire est en situation d’apprentissage et non
d’emploi « gratuit » ;
garantir un encadrement de qualité du stagiaire par l’entremise
d’un journaliste expérimenté qui voit son emploi du temps aménagé
pour remplir au mieux cette mission (transmission de savoirs
intergénérationnels) ;
comprendre, en annexe, les deux textes de référence en Belgique en
matière de déontologie150 et, éventuellement, les règles internes au
média intégré par l’étudiant.
[RECOMMANDATION 35] Supprimer tout stage en première année, dans
l’enseignement tant de type court que de type long. Et mettre à profit cette
Déclaration des devoirs et des droits des journalistes (1971) et Codes des principes de journalisme.
150
Atelier 2 : « statut et formation des journalistes »
209
période d’intégration professionnelle pour fournir, en début de cursus,
une information renforcée et adaptée sur les études et les professions du
journalisme et de la communication151.
[RECOMMANDATION 36] Limiter la durée maximale des stages dans une
même rédaction à cinq ou six semaines.
[RECOMMANDATION 37] Assurer aux lieux de formation les moyens
financiers et humains pour garantir la bonne réalisation des recommandations
liées au stage.
Questions nécessitant une analyse plus approfondie
[RECOMMANDATION 38] Documenter la nécessité de maintenir ou
de supprimer l’année passerelle entre le bac en haute école et le master
universitaire. L’AEQES pourrait ajouter cette analyse à sa prochaine mission
d’évaluation des formations de type court en communication.
[RECOMMANDATION 39] Documenter la manière dont les programmes
d’études supérieures en communication articulent et répartissent le transfert
des connaissances théoriques et pratiques tout au long du cursus.
Formation continuée
[RECOMMANDATION 40] Soutenir rapidement la création et le maintien
d’une structure pérenne unique de formation continuée centrée sur les
métiers du journalisme, de l’information et des nouveaux médias. Pour
cela, la FWB devrait, soit choisir entre les deux propositions actuellement
en présence, soit organiser dans les plus brefs délais une concertation entre
les acteurs concernés afin de préciser l’organigramme, le financement et
les modes de fonctionnement de cette structure. La première solution est
incontestablement la plus rapide ; la seconde est plus consensuelle, mais
source d’atermoiements à un tournant crucial de l’histoire des médias.
Recherche et développement
[RECOMMANDATION 41] Renforcer la formation de troisième cycle
dédiée à la recherche doctorale et postdoctorale en sciences de l’information
151
Ce que plusieurs hautes écoles font déjà, en dénommant cette période « stage interne ».
210
Chapitre 2
et de la communication, par les moyens suivants :
- Créer un Observatoire des médias belges (à défaut, francophones).
- Financer des chercheurs en sciences de l’information et de la
communication au sein des différentes universités en dédiant une
enveloppe spécifique dans la manne des mécanismes habituels de
financement de la recherche (subsides européens, financements
fédéraux, communautaires et régionaux).
- Favoriser, par des mécanismes de cofinancement éditeurs/pouvoir
subsidiant, des bourses, des prix ou des chaires qui permettent
spécifiquement aux professionnels des médias (salariés ou freelances)
d’interrompre leur carrière pour prendre un recul critique en menant
une recherche scientifique sur leurs pratiques.
- Financer ou renforcer le financement, à l’intérieur des entreprises
médiatiques, d’un service de recherche et développement qui ne
soit pas seulement dédié au marketing. Ou à tout le moins, favoriser
la recherche action qui introduit le chercheur dans l’entreprise
médiatique, à l’aune de ce qui se fait dans d’autres secteurs.
Chapitre 3
Atelier 3 :
« Liberté d’expression »
Atelier 3 : « liberté d’expression »
213
1. Biographie des animateurs
M. Jacques Englebert est diplômé de l’Université libre de Bruxelles (ULB).
Il est avocat depuis septembre 1988 spécialisé en droit des médias et en droit
d’auteur. Il est professeur à l’ULB depuis 2001 et à l’UMons depuis 2008
(il enseigne le cours de Droit judiciaire privé en 3ème Bac et de Questions
approfondies de droit judiciaire privé en 2ème Master).
Il est directeur de l’Unité de droit judiciaire (ULB) depuis 2007. Il a été
chercheur (de 1988 à 1992) et assistant chargé d’exercice (de 1992 à 2002) à
l’ULB. Il rédige actuellement une thèse de doctorat (thèse « sur essai ») dont
le thème est : « L’application des règles du procès équitable à l’exercice effectif
de la liberté d’expression. Etendue et limites » (titre provisoire).
Mme Françoise Tulkens est Docteure en droit, U.C.L., juillet 1965. Licenciée
en criminologie, U.C.L., septembre 1965, et agrégée de l’enseignement
supérieur en droit, U.C.L., 1976 (Titre de la thèse : « L’actus reus en droit
pénal anglo-américain », sous la direction du prof. P.E. Trousse). Elle est
Docteur honoris causa de l’Université d’Ottawa (9 juin 2002) mais aussi
Docteur honoris causa de l’Université de Genève (5 juin 2006) et Docteur
honoris causa de l’Université de Limoges (17 novembre 2006). Ancienne
administratrice puis Présidente de la Ligue belge des droits de l’homme.
Elle a été professeure à la Faculté de droit de l’U.C.L. et Juge à la Cour
européenne des droits de l’homme (1998-2004 ; 2004-2010) mandat qu’elle
vient d’achever. Elle est Présidente de la Fondation Roi Baudouin.
Mme Séverine Dusollier est licenciée en Droit ULB et Docteure en droit
FUNDP. Administratrice de l’Association belge du droit d’auteur. Chargée
de cours aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur en
droit et gestion technologies information et communication. Elle enseigne
notamment la propriété intellectuelle. Directrice du Centre de Recherches
Informatiques et Droit (CRID). Directrice du CRIDS (Centre de Recherche
Information, Droit et Société) .
Elle a publié chez Larcier « Droit d’auteur et protection des œuvres dans
l’univers numérique. »
214
Chapitre 3
2. Rapport synthétique des auditions
(par Mme Anne Roekens) et Recommandations des
experts – animateurs (par M. Jacques Englebert,
Mme Françoise Tulkens et Mme Séverine Dusollier)
Précisions méthodologiques
En vue de formuler leurs recommandations, les experts, après avoir pris
connaissance du rapport de synthèse des auditions de l’atelier n° 3, ont
estimé qu’il n’était pas utile de présenter eux-mêmes une nouvelle synthèse
de ces travaux .
En effet, le rapport de synthèse reprend, de façon complète et circonstanciée,
l’ensemble des avis, suggestions, propositions et prises de positions développés
au cours des travaux de l’atelier par les nombreux intervenants152. Les experts
reprennent ce rapport de synthèse à leur compte.
Le contenu des travaux de l’atelier n° 3 étant indispensable à la
compréhension des recommandations, les experts ont opté pour l’intégration
de celles-ci directement dans le rapport de synthèse, à l’issue de chaque
chapitre, ce qui confère à l’ensemble cohérence et lisibilité.
2.1. De la protection constitutionnelle des seuls écrits
imprimés et de la notion de délit de presse
Questions
2.1.1
L’évolution de la jurisprudence, notamment de la Cour
européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation et
152
Le rapport de synthèse a été rédigé sur base des interventions publiques et du compte-rendu
intégral de chaque séance de l’atelier, établi par les services du Parlement. Il reprend le plus fidèlement possible le contenu des différentes interventions. Le calendrier des auditions est repris
en annexe II. La liste des intervenants, des institutions auxquelles ils appartiennent ou au nom
desquelles ils s’exprimaient, est reprise en annexe II, avec le détail des acronymes. Ces précisions
ne sont mentionnées dans le rapport de synthèse qu’au moment où il est fait état de la première
intervention.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
215
le développement de l’expression via d’autres médias que la
presse dite « classique » (journaux, radio et télévision) imposent,
dans un premier temps d’envisager une éventuelle redéfinition
du champ d’application de l’article 25 de la Constitution et,
partant, de la notion de « délit de presse » :
2.1.2 tant en son premier alinéa, selon lequel la presse est libre et la
censure ne pourra jamais être établie. Faut-il encore admettre
aujourd’hui que cette règle ne s’appliquerait qu’aux écrits mais
non aux images (photos, dessins, caricatures) ni à l’audiovisuel
ou à l’Internet ?
2.1.3
qu’en son second alinéa qui met en place le régime de la
responsabilité en cascade. Un tel régime est-il encore justifié (oui,
non, pourquoi) ? Un tel régime est-il transposable/applicable à
la presse audiovisuelle et à l’information en ligne ?
2.1.4
Faut-il adapter, sur ce point, le droit belge au regard des
principes qui peuvent être dégagés de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme ?
2.1.5
Plus radicalement, faut-il remettre en cause le principe de
l’interdiction de la censure préalable ? Ou à tout le moins en
redéfinir plus clairement la portée ? Ou, au contraire, faut-il
l’étendre à l’ensemble des moyens d’expression, en réaffirmant
le principe du seul contrôle a posteriori ?
L’article 25 de la Constitution belge, relatif à la liberté de la presse, à
l’interdiction de la censure préalable et au principe de liberté en cascade
est interprété par la Cour de cassation comme ne s’appliquant qu’aux
écrits imprimés153. De même, la Cour de cassation a toujours interprété
l’article 150 de la Constitution en réservant à la notion de « délit de presse »
l’expression d’une opinion délictueuse par voie d’écrit imprimé. Au vu de
l’émergence d’autres médias (audiovisuels et numériques), la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et celle de la Cour
L’un des arguments avancés à l’appui de cette interprétation est que le terme « presse » a été
traduit par « drukpers » dans la version néerlandaise.
153
216
Chapitre 3
de cassation tendent aujourd’hui à élargir le champ d’application des
protections constitutionnelles de la presse à l’ensemble des supports de
communication.
-
-
D’une part, l’arrêt de la CEDH du 29 mars 2011 (RTBF c. Belgique)
a considéré qu’il n’y avait en Belgique aucune loi qui autorisait une
censure préalable sur des contenus, que ceux-ci soient diffusés par la
presse écrite, la radio ou la télévision.
D’autre part, la Cour de cassation, par ses arrêts du 6 mars 2012, a
estimé que la notion de délit de presse s’applique non plus seulement
aux textes imprimés mais également aux textes écrits diffusés sur
l’Internet154.
Conformément à cette tendance, Martine Simonis (AJP), Philippe Nothomb
(JFB), Simon-Pierre De Coster (RTBF), Stéphane Rosenblatt (RTL), Marc de
Haan (FTL), Pierre-Arnaud Perrouty (LDH), Bart Van Besien (Mediadem),
Olivier Basile (RSF) ainsi que François Tulkens (USL), Alain Strowel (USL),
Étienne Montero (UN) et Benoît Frydman (ULB) affirment tous la nécessité
d’appliquer les mêmes règles et mêmes protections de la liberté d’information
à l’ensemble des médias qui, indépendamment des supports et des canaux
utilisés, prennent tous part au débat public. Cette mesure s’avère d’autant plus
justifiée dans un contexte de convergence médiatique, où la distinction entre
les textes (imprimés ou numériques) et les autres supports (images fixes ou
mobiles) apparaît comme intenable. Les balises doivent être appliquées à tous
les médias dans le sens où la liberté de la presse est une règle d’organisation
de la démocratie, un principe fondamental de tout État de droit. Pour les
chercheurs du programme Mediadem, il convient de ne pas se contenter
d’une interprétation large de ces dispositions constitutionnelles mais de
réviser l’article 25 « en vue d’y ajouter un alinéa permettant d’élargir les
garanties de la presse aux autres moyens d’information ». Les représentants
de la RTBF ajoutent que ce projet est évoqué par les déclarations de révision
de la Constitution depuis plus de trente ans.
Si François Jongen (UCL) se dit favorable à une extension des mesures
constitutionnelles à l’Internet, il s’oppose, par contre, à l’application des
Plusieurs intervenants n’ont pas manqué de souligner que dans les arrêts du 6 mars 2012, la
Cour de cassation précise que « le délit de presse requiert une expression délictueuse punissable
dans un texte multiplié par un écrit imprimé ou un procédé similaire. La distribution numérique
constitue un procédé similaire ». La garantie constitutionnelle s’applique aux écrits sur l’Internet
mais le support doit toujours être un texte.
154
Atelier 3 : « liberté d’expression »
217
articles 25 et 150 de la Constitution (sur la compétence de la cour d’assises
dans le domaine des délits de presse) au secteur audiovisuel. Selon lui, il
apparaît légitime d’appliquer des règles plus strictes au média audiovisuel qui
serait plus intrusif que les autres, qui a un impact plus fort sur l’opinion (en
référence à l’arrêt CEDH Jersild c. Danemark du 22 août 1994) et qui soulève
des enjeux économiques plus importants. Ces différents facteurs justifient à
son avis une forme de contrôle et de prise de responsabilité accrue dans le
secteur audiovisuel.
2.1.1. De la censure préalable
L’exclusion de toute forme de censure préalable est défendue par un grand
nombre d’intervenants, en l’occurrence, les juristes Alain Strowel et Benoît
Frydman, rejoints par Martine Simonis, Simon-Pierre De Coster, Stéphane
Rosenblatt, Marc de Haan, Pierre-Arnaud Perrouty, Olivier Basile, Edouard
Delruelle (CECLCR)155. Cette position s’appuie sur la jurisprudence de la
CEDH qui, comme le rappelle Benoît Frydman, n’admet d’intervention a priori
que pour répondre à un impératif prépondérant d’intérêt public156. Consacrée
par l’article 25 de la Constitution belge, l’interdiction de la censure par les
autorités publiques est sous-tendue par le principe que l’opinion contrôle le
gouvernement et non l’inverse. La « sanctuarisation de l’espace public » implique
qu’il faille s’accommoder des inévitables erreurs et abus de la presse, dans la
mesure où le fait de permettre aux autorités publiques d’intervenir créerait une
situation bien plus dangereuse que celle de médias parfois défaillants. Benoît
Frydman ajoute que cette mesure est particulièrement importante pour les
médias audiovisuels qui sont les plus exposés à la censure, en vertu de leur
logique de programmation157. Pour RSF, l’interdiction de censure préalable est
Soit en raison de l’état actuel du droit positif belge (puisque l’article 25 de la Constitution interdit toute censure et que la CEDH a étendu ce principe à l’audiovisuel), soit par principe.
156
Si la CEDH n’interdit pas d’intervention préventive, elle limite celles-ci aux cas flagrants de
violation illicite d’autres droits, sous un contrôle strict de la proportionnalité de l’interdiction
avec le but poursuivi et pour autant que la législation nationale dispose d’une loi, répondant
aux critères de qualité fixés par la jurisprudence de la CEDH. Cette dernière souligne que son
contrôle sera particulièrement strict en cas de mesure de restriction préventive (arrêt Ekin c.
France du 17 octobre 2001).
157
Pierre-François Docquir (CSA) admet qu’en tant que régulateur, le CSA dispose de pouvoirs
qui l’amènent parfois à restreindre les droits à la liberté d’expression de petites ou de grandes
entreprises médiatiques. Si la majorité des actions se jouent a posteriori, il arrive que le CSA
sanctionne des émissions radiophoniques ou télévisuelles (pour des motifs comme l’appel à la
haine raciale ou l’absence d’un sigle adéquat de protection de la jeunesse) et ce dans le respect
scrupuleux du droit fondamental à la liberté d’expression ; ce principe étant inscrit dans l’ADN
du régulateur qui fait preuve de modération dans l’application des sanctions.
155
218
Chapitre 3
d’autant plus cruciale que les pays européens doivent garder comme priorité
l’exemplarité de leur politique ; en effet, certains gouvernements étrangers
sont régulièrement tentés de se retrancher derrière le constat de régression des
libertés d’expression et de presse dans l’UE.
Pour Pierre-Arnaud Perrouty et Edouard Delruelle, l’interdiction de
censure a priori implique une responsabilisation en amont des auteurs des
propos émis et un contrôle plus important en aval. Il s’agit, d’une part, de
sensibiliser les écoles, les médias, les responsables politiques, les animateurs
culturels aux enjeux et aux limites de la liberté d’expression, et, d’autre part,
de rester vigilant par rapport à des propos éventuellement délictueux. À ce
sujet, Édouard Delruelle et Pierre-Arnaud Perrouty mentionnent tous les
deux l’arrêt du Conseil d’État qui, en mars 2009, a rappelé, dans le cadre
de l’affaire Dieudonné, qu’on ne pouvait interdire préventivement des
spectacles et que la liberté d’expression devait prévaloir sur des risques de
troubles de l’ordre public. Cela n’empêche pas de poursuivre a posteriori des
actes délictueux. En l’occurrence, le Centre pour l’égalité des chances a porté
plainte a posteriori contre l’humoriste français dont le spectacle contenait,
selon Édouard Delruelle, des actes d’incitation à la haine et exprimait son
approbation vis-à-vis du régime nazi.
François Jongen estime, pour sa part, qu’on pourrait redéfinir la portée de
l’interdiction de la censure de manière minimaliste, en revenant au sens
qu’en a donné, selon lui, le constituant de 1831, c’est-à-dire une censure
institutionnalisée. Cela impliquerait qu’on n’exclurait plus la censure définie,
au sens large, comme toute intervention préalable dans l’exercice de la liberté
d’expression. Le cas échéant, l’arbitrage d’un conflit entre deux personnes ou
entre deux valeurs (par exemple, le droit à l’honneur versus la liberté de la
presse) ne devrait donc pas s’analyser en référence à la notion de censure et
pourrait donner lieu, dans certains cas très limités, à des contrôles a priori sous
la responsabilité du juge qui statuerait en toute indépendance. Selon François
Jongen, l’arrêt de la CEDH du 29 mars 2011 (RTBF c. Belgique) permet cette
éventualité puisqu’il constate qu’il ne peut y avoir aucun contrôle en Belgique
en l’état actuel de sa législation. Un système souple prévoyant certaines
mesures préalables pourrait donc être mis en place (ce qui nécessiterait
toutefois une intervention du législateur et/ou du Constituant).
François Tulkens conçoit, lui aussi, qu’une intervention a priori puisse s’avérer
nécessaire dans l’exercice de la liberté de la presse. Il estime que l’arrêt de la
CEDH du 29 mars 2011 a trop largement ouvert la voie au « mauvais travail
Atelier 3 : « liberté d’expression »
219
journalistique » qui ne pourra être sanctionné qu’a posteriori et qui ne
donnera jamais lieu à des dommages et intérêts très élevés158. Selon François
Tulkens, en constatant qu’il n’existe pas de loi en Belgique autorisant la
censure de productions télévisuelles, la CEDH a voulu faire passer le message
selon lequel il faut justement une loi qui permette de prendre ce genre de
mesures préventives. Françoise Tulkens (co-animatrice de l’atelier) rappelle
que l’exigence de la loi ne répond pas à un souci de formalisme mais vise à ce
que, lorsque surviennent des ingérences, il y ait un débat démocratique sur les
limitations de droits fondamentaux. Un des principes de la CEDH est de voir
si l’ingérence à un de ces droits est prévue par la loi. François Tulkens conclut,
pour sa part, que l’arrêt de la Cour de Strasbourg sanctionne la Belgique mais
n’exclut pas la logique préventive. Il regrette que les juges belges ne puissent
plus intervenir à cause de l’arrêt de la CEDH et se prononce, par conséquent,
en faveur de l’activisme judiciaire, c’est-à-dire de la possibilité pour des juges
d’interpréter librement la loi, en refusant certaines jurisprudences159. Françoise
Tulkens souligne que l’« activisme des juges » n’est envisageable que pour
garantir la protection d’un droit fondamental méconnu par une législation
interne mais nullement pour tenter de restreindre un droit fondamental
reconnu par la jurisprudence de Strasbourg. Si une volonté devait se dégager
en faveur d’une intervention préventive, il faudrait soit réviser l’article 25
de la Constitution, soit adopter une loi qui, comme en France ou en Suisse,
habiliterait le juge des référés à intervenir dans certains cas.
D’autres intervenants de l’atelier présentent une interprétation sensiblement
différente de l’arrêt de la CEDH du 29 mars 2011. Selon Stéphane Hoebeke (RTBF)
et Simon-Pierre De Coster, le message de la CEDH est clair : la Constitution
belge interdit les mesures préventives. Par conséquent, un juge saisi en référé
À ce sujet, François Tulkens se dit d’ailleurs choqué par la déclaration de l’AJP qui reconnaît
que, dans les affaires judiciaires, les sources journalistiques sont au départ réduites mais qu’elles
se diversifient au fur et à mesure du déroulement de l’enquête. Des dommages en termes d’atteinte à l’honneur sont donc commis et à jamais irréparables. Jean-François Dumont (de l’AJP)
répond qu’il y a une différence entre absence de nuance et présence d’erreur. Martine Simonis
souligne les difficultés rencontrées par les journalistes quand il s’agit de couvrir une actualité
judiciaire, à cause du silence du milieu (seul le parquet donne des informations aux journalistes).
Voir le point 2.10 consacré aux rapports entre la presse et la justice.
159
François Tulkens fait référence, à ce propos, à une ordonnance du tribunal de première instance de Bruxelles du 7 septembre 2011 selon lequel « l’absence de cadre légal suffisant ne peut
raisonnablement aboutir à priver de tout pouvoir de juridiction le juge saisi par une demande
pendant la protection du droit subjectif garanti aussi par la convention ». (N.B. : le même juge
a sensiblement relativisé cette jurisprudence dans une ordonnance du 6 juin 2012, admettant
explicitement qu’à défaut de loi en droit belge, la mesure d’interdiction préalable d’une émission
de télévision doit être déclarée non fondée).
158
220
Chapitre 3
doit se déclarer incompétent en la matière. Aux yeux de Simon-Pierre De Coster,
la presse est aujourd’hui assez mûre pour ne pas demander l’approbation d’une
autorité judiciaire avant de publier des informations. Selon Étienne Montero,
la Convention européenne des droits de l’homme n’interdit pas les mesures
préventives en soi, mais la CEDH ne les admet que moyennant un contrôle
strict. Elle a récemment affirmé que l’existence d’un recours en responsabilité
(donc a posteriori) suffisait à satisfaire aux exigences conventionnelles dérivant
du droit au respect de la vie privée. Benoît Frydman se réjouit que, par cet arrêt,
la CEDH ait ainsi fermé la porte à la tendance de la jurisprudence belge qui
intervenait de plus en plus souvent dans les contenus médiatiques.
François Tulkens ajoute que de tels débats au sujet de la légitimité de mesures
préventives divisent non seulement la doctrine et la jurisprudence mais aussi
le monde politique : Thierry Giet et Christian Brotcorne ont, en octobre 2010,
déposé une proposition de loi visant à protéger le principe de la présomption
d’innocence dans le champ médiatique et à mettre en place un genre de référé
qui éviterait a priori les dérapages d’une presse à scandale160. La proposition
a été enterrée en avril 2012, en raison, notamment, de son inadéquation avec
la réalité de terrain, de la question de savoir si la présomption d’innocence
s’applique ou non aux journalistes et de son caractère liberticide selon l’AJP161.
Jacques Englebert (co-animateur de l’atelier) et Benoît Frydman rappellent
que le respect de la présomption d’innocence est une règle de procédure
pénale qui s’impose aux juges, aux personnes participant aux poursuites
judiciaires et aux autorités publiques, mais que, par contre, les journalistes
ne sont pas débiteurs de l’obligation de respecter cette présomption. François
Tulkens estime qu’il serait bon dans une société démocratique que les
journalistes respectent, eux aussi, la présomption d’innocence. Aux yeux de
François Tulkens, ce débat constitue au moins la preuve que le Parlement se
penche, lui aussi, sur la question d’éventuelles mesures préventives.
2.1.2. Du principe de responsabilité en cascade et de son éventuelle
extension
Le principe de responsabilité en cascade permet, en cas de litige lié à
des contenus publiés, de déclarer le journaliste (qu’il soit salarié ou
Proposition de loi complétant l’article 587 du Code judiciaire en vue de protéger la présomption d’innocence, 26 octobre 2010, Doc. Chambre, 53 0464/001.
161
La proposition de loi relative à la présomption d’innocence aurait encore compliqué la tâche
des journalistes qui veulent couvrir une actualité judiciaire (actualité qui constitue pourtant un
domaine important de toute société démocratique).
160
Atelier 3 : « liberté d’expression »
221
indépendant162), seul responsable en matière civile et pénale à condition qu’il
soit connu et domicilié en Belgique. Destiné à protéger la liberté d’expression
des journalistes, ce principe a pour objectif d’empêcher une censure indirecte
et des pressions que les autres intervenants de la « chaîne de production et
de diffusion de l’information » pourraient exercer vis-à-vis de l’auteur. L’AJP
souligne que ce système entraîne de facto une mise hors cause de l’éditeur,
de l’imprimeur et du distributeur, sauf si l’on peut prouver qu’ils ont commis
une faute. Si la cascade de responsabilité ne reprend ni les rédacteurs en chef,
ni les directeurs de rédaction, la responsabilité de ces acteurs peut quand
même être invoquée en cas de faute.
Plusieurs intervenants en viennent à constater que le principe de responsabilité
en cascade doit être adapté à la situation économique actuelle du secteur
médiatique163.
-
Ainsi, l’AJP expose à la fois une prise de position idéale et une
prise de position pragmatique. En principe, il faudrait maintenir la
responsabilité en cascade et rendre au journalisme son indépendance.
Pourtant, au vu des conditions de travail des journalistes, il
conviendrait d’imaginer un autre système qui partage la responsabilité
entre les différents intervenants rédactionnels en fonction des choix et
des actes qu’ils ont respectivement posés. Il s’agirait, en même temps,
d’éviter que ce principe de responsabilisation des éditeurs et des
rédacteurs en chef n’incite ces derniers à augmenter la pression sur le
travail des journalistes164. Aujourd’hui, le fait qu’on ne retienne que la
responsabilité des journalistes pose problème par exemple quand le
journaliste est condamné à faire publier des décisions dans un journal
L’arrêt de la Cour d’arbitrage du 22 mars 2006 stipule, en effet, que « le système de responsabilité prévu en droit du travail (…) ne trouve pas à s’appliquer pour les journalistes salariés ».
François Jongen souligne que le journaliste est donc le seul employé à devoir répondre seul de
ses fautes commises dans l’exercice de ses activités. Philippe Nothomb constate, lui aussi, que
les journalistes salariés endossent une double responsabilité (en cascade et dans le cadre de leur
contrat de travail pour vol ou faute lourde) mais considère qu’il ne faut pas éluder une responsabilité au profit de l’autre puisqu’elles couvrent des matières distinctes.
163
Au sujet de la précarisation des journalistes qui menace directement leur liberté d’expression,
voir l’intervention de Denis Robert dans l’atelier n° 2 des EGMI (rapport synthétique, pp. 133134) : ce journaliste français qui, dans le cadre de ses enquêtes sur Clearstream, a fait l’objet de
62 procédures judiciaires distinctes constate que la loi sur la diffamation est trop souvent instrumentalisée pour nuire à la liberté de la presse et museler la liberté d’expression et revendique dans
ce sens un droit à la diffamation (qui sanctionnerait le dépôt de plaintes sciemment infondé).
164
Ce principe de responsabilité partagée est déjà de mise sur le plan déontologique puisque l’action du CDJ englobe des journalistes, des rédacteurs en chef et des éditeurs.
162
222
Chapitre 3
-
-
-
(ce qui est du ressort de l’éditeur) ou quand éditeurs et journalistes
sont défendus par un même avocat alors que les responsabilités des
uns et des autres seraient à distinguer plus clairement165.
Philippe Nothomb préconise de maintenir le système de la
responsabilité en cascade tout en y apportant des précisions au
sujet des responsabilités des uns et des autres (responsabilités qui
sont de plus en plus difficiles à déterminer). Dans la pratique, il
importe et il est fréquent que les éditeurs soient solidaires avec leurs
journalistes, quand ils ont effectivement pris part à la définition de
la ligne rédactionnelle : un contenu peut avoir été rédigé, titré, classé
par différentes personnes. D’ailleurs, la jurisprudence considère
que l’éditeur peut endosser une responsabilité parallèle à celle du
journaliste et être contraint au paiement solidaire d’indemnités.
François Jongen est également partisan d’une co-responsabilité du
journaliste et de l’éditeur, sur le modèle du principe français de la
responsabilité solidaire qui implique de poursuivre l’éditeur avant
ou avec l’auteur166.
La juge Sophie Annaert (TPI Bruxelles)167 ajoute qu’il est de plus en
plus délicat d’identifier qui joue le rôle d’éditeur (responsable)168, au
vu de la multiplication des intervenants. Par ailleurs, la magistrate
bruxelloise craint que la suppression du système de responsabilité
en cascade ait un effet pervers sur la liberté d’expression car les
éditeurs auront tendance à étendre leur surveillance, y compris au
courrier des lecteurs, dans la mesure où la responsabilité en cascade
ne protégera plus personne.
À l’heure actuelle, le principe de la responsabilité en cascade est réservé
à la presse stricto sensu (presse écrite). En cas de procès à l’encontre d’un
média audiovisuel, le plaignant ou le demandeur (au civil) assigne en
général l’entreprise en tant que personne juridique mais pas le journaliste,
contrairement à ce qui se passe pour la presse écrite. Or, conformément
165
L’AJP conseille, dans ce sens, aux journalistes (et, en particulier, aux indépendants) de souscrire à une assurance civile afin d’être défendus par leur propre avocat et de couvrir le paiement
des dommages et intérêts éventuels.
166
Philippe Nothomb signale que le système français présente un inconvénient majeur : il entraîne une augmentation des montants réclamés par les plaignants, puisque désormais les éditeurs
sont systématiquement solidaires des auteurs journalistes.
167
Sophie Annaert préside la 14ème chambre du tribunal de première instance de Bruxelles qui
connaît des affaires de presse.
168
La notion d’éditeur responsable avait été créée pour pallier le problème (révolu) de l’impossibilité de poursuivre pénalement une personne morale.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
223
à la définition d’un cadre réglementaire commun à tous les médias qui
a été évoquée précédemment, la question se pose de savoir si et à quelles
conditions ce principe est applicable aux autres supports médiatiques.
Comme le rappelle Bart Van Besien, cette question ne fait l’unanimité ni
dans la doctrine, ni dans la jurisprudence. La juge Sophie Annaert estime,
pour sa part, que l’application de ce système aux seuls écrits constitue une
discrimination entre journalistes et ajoute que le critère de domiciliation
est également un facteur discriminant, à l’heure où de nombreux contenus
numériques circulent par-delà les frontières et occasionnent d’ailleurs de
nouveaux types de procès169.
En cas d’adaptation du système de la responsabilité en cascade au secteur
audiovisuel, la responsabilité passerait, d’après Martine Simonis et Simon-Pierre
De Coster, de l’auteur à l’éditeur ou au producteur et enfin, au distributeur. Si
Marc de Haan estime que la responsabilité en cascade est un dispositif vertueux,
Stéphane Rosenblatt affirme que ce régime n’est pas exportable au-delà de la
presse écrite dans la mesure où la comparaison des intervenants ne résiste pas
à l’analyse. Alain Strowel considère, lui aussi, que la règle de la cascade doit
rester limitée à l’imprimé dans la mesure où elle ne paraît pas nécessaire dans le
secteur audiovisuel qui connaît, selon lui, une relation duale éditeur et auteur170.
L’introduction d’une cascade aurait d’autant moins de sens que, par déontologie,
la RTBF décide systématiquement d’intervenir pour prendre fait et cause pour
un de ses journalistes mis en cause. François Jongen se dit, lui, favorable à une
application de la responsabilité en cascade aux médias audiovisuels, à condition
que soient revus les principes de cette chaîne de responsabilités (dans le sens
d’une solidarité garantie entre auteur et éditeur).
En ce qui concerne les sites d’information en ligne, Alain Strowel fait
remarquer qu’il est difficile d’appliquer par analogie les règles de la
responsabilité en cascade à l’Internet : la responsabilisation reste possible
pour l’auteur, mais plus on monte dans les niveaux de la cascade, moins les
analogies fonctionnent, eu égard à la dimension internationale des hébergeurs
et des moteurs de recherche. Jean-Jacques Jespers (LDH) estime que la
Jean-Paul Van Grieken (UPP) rappelle l’effet pervers qu’implique le principe de territorialité
sur lequel est basé le système de responsabilité en cascade. Si l’auteur n’est pas ni connu, ni domicilié en Belgique, la responsabilité incombe aux autres échelons, c’est-à-dire l’éditeur, l’imprimeur et le distributeur. Ce principe conduit à un problème de censure préalable (puisque le distributeur bloque la diffusion d’information par crainte d’endosser une responsabilité pénale).
170
De nombreux intervenants, dont Marc Isgour (avocat), ont fait remarquer que le distributeur constitue un troisième intervenant dans le secteur audiovisuel (surtout lorsqu’il s’agit d’une
chaîne étrangère).
169
224
Chapitre 3
responsabilité en cascade est sans doute inadaptée aux médias numériques
dans la mesure où la ligne éditoriale d’un site (ou d’un nombre croissant
d’autres médias) échappe en grande partie au journaliste qui se trouve dans
un lien de subordination par rapport à son éditeur.
De nombreux intervenants mentionnent, à propos de la définition des
responsabilités des contenus numériques, la loi du 11 mars 2003, qui intègre
une directive européenne du 8 juin 2000, relative au commerce électronique,
et qui réduit fortement la responsabilité des hébergeurs considérés comme
de simples prestataires techniques171.
-
-
-
-
François Jongen et Stéphane Rosenblatt estiment que cette
exonération de responsabilité est incompatible avec le système de
responsabilité en cascade.
Martine Simonis considère que cette loi établit justement un genre
de responsabilité en cascade : l’auteur est considéré comme le seul
responsable du contenu ; si celui-ci est inconnu, le titulaire du site est
tenu responsable, alors que les intermédiaires techniques ne le sont que
très rarement. Martine Simonis admet, par ailleurs, que les exceptions
et les conditions d’application prévues par la loi de 2003 sont très
différentes de celles prévues dans la Constitution pour la presse écrite.
Simon-Pierre De Coster et Étienne Montero préconisent d’adapter le
système de responsabilité en cascade en fonction de cette distinction
légale entre responsables du contenu et intermédiaires techniques.
Pour Étienne Montero, le premier maillon serait l’auteur ; le
second, l’éditeur (la définition d’éditeur dans l’univers numérique
nécessiterait une réflexion approfondie) ; le troisième, le prestataire
d’hébergement.
Sophie Annaert fait remarquer que, si certaines décisions encadrent
la responsabilité de nouveaux acteurs comme les prestataires
techniques, aucune disposition spécifique ne définit la responsabilité
des modérateurs de sites privés ou des ASBL qui se consacrent à
l’archivage de données. Les premiers sont souvent des amateurs et
qui n’ont pas les moyens matériels de contrôler tous les contenus.
La responsabilité des uns et des autres est donc évaluée selon les
dispositions de la responsabilité civile, ce qui amène à des situations
Bart Van Besien précise que, d’après cette loi de 2003, l’intermédiaire n’a aucune obligation de
procéder à un contrôle préalable et n’est pas considéré comme responsable tant qu’il ne connaît
pas les contenus. Une fois qu’il est tenu au courant, sa responsabilité est en jeu et il est tenu
d’agir.
171
Atelier 3 : « liberté d’expression »
225
délicates. François Jongen renchérit en posant la question de savoir
si un blogueur ou un modérateur de forum est à considérer comme
un éditeur ou comme un hébergeur.
2.2. De la distinction entre la presse « classique » et le
« journalisme citoyen »
Questions
2.2.1
Convient-il d’édicter des règles propres « à la presse » (stricto
sensu) ou, en cette matière, toute forme d’expression doitelle recevoir les mêmes droits (la même protection) et se voir
imposer les mêmes « devoirs et responsabilités » ? Dans cette
hypothèse, comment peut-on définir ce qu’est « la presse » ?
2.2.2
Peut-on faire une analogie entre les rôles de la presse écrite
(éditeur, auteur…) et les rôles de la diffusion d‘information via
Internet (modérateur de blog, auteur, commentateur, …) ?
2.2.3
Le champ d’application ratione personae du régime belge du
secret des sources, étendu par la Cour constitutionnelle, dans
son arrêt du 7 juin 2006, à toute personne qui contribue
directement à la collecte, la rédaction, la production ou la
diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du
public, doit-il être appliqué aux autres questions relevant de la
liberté d’expression ?
L’Internet qui a permis à la fois la convergence des médias et l’essor du
journalisme citoyen tend à brouiller les frontières entre la liberté d’expression
(qui s’applique à tous) et la liberté de la presse (qui serait l’apanage d’une
profession). Étienne Montero et Quentin Van Enis (UN) plaident en
faveur du passage d’une notion de presse liée au support à une conception
fonctionnelle de la presse (quel que soit le support utilisé et quel que soit le
statut de la personne qui diffuse ou commente une information). Les deux
juristes font référence à la jurisprudence de la CEDH qui définit la presse
comme « chien de garde dans une société démocratique » et lui assigne, en
ce sens, la mission d’informer le public sur toute question d’intérêt général.
Cette conception de la presse prend davantage en considération l’importance
226
Chapitre 3
de l’information pour le débat public que le statut de la personne qui diffuse
l’information ou le support utilisé pour la transmettre : ce qui implique que
les journalistes partagent cette mission avec d’autres acteurs, comme des
militants, des ONG, des chercheurs universitaires, …
Étienne Montero ajoute qu’historiquement, la liberté de la presse n’a jamais
été réservée, sur le plan juridique, aux seuls professionnels de l’information.
Aux yeux du Constituant de 1831, la liberté de la presse équivalait à la liberté
de manifestation des opinions qui ne pouvait se faire que via des documents
imprimés et le plus souvent polémiques, voire subversifs (tracts, pamphlets,
journaux clandestins, …). Les débats politiques de l’époque n’évoquent jamais
la volonté de restreindre le champ d’application de la liberté de la presse
ratione personae, c’est-à-dire en fonction des individus qui en disposent. Le
principe est alors de protéger l’expression des opinions (qui sont définies
en opposition aux faits bruts selon les mentalités du dix-neuvième siècle)172.
Dans cette perspective, seul le support imprimé est visé par les garanties
constitutionnelles car il est, en 1831, l’unique moyen d’exprimer des opinions
(contrairement aux images, photographies et publicités qui étaient censées
ne rapporter que des faits bruts).
De nombreux intervenants, comme Benoît Frydman, Martine Simonis, Bart
Van Besien, Étienne Montero et Quentin Van Enis, soulignent qu’il est légitime
de concevoir la presse comme une activité et non comme une profession et
donc d’élargir les mesures de protection de la liberté de la presse à la liberté
d’expression de ceux qui participent, régulièrement ou pas, au débat public.
Les mêmes personnes constatent, par ailleurs, que la conception fonctionnelle
de la presse pose des problèmes pratiques d’application, puisqu’il est délicat
de déterminer ce qui relève de l’intérêt public (parfois, avant même que ce
contenu soit publié) et surtout d’englober une population quasi indéfinie.
Alain Strowel ajoute qu’un important problème surgit dans le domaine de la
régulation, puisque le cadre juridique traditionnel, dont la portée n’est que
nationale ou régionale, ne s’applique pas aux médias électroniques dont le
fonctionnement est international173. Comme le relève Quentin Van Enis, les
172
Aujourd’hui, on parle davantage de liberté d’expression que de liberté d’opinion, ce qui amène
à une dilution de la distinction désuète entre fait objectif et discours engagé.
173
Pierre-François Docquir rappelle qu’au sujet de la définition du champ d’application de la régulation médiatique, Marc Janssen (président du CSA) avait émis, lors de l’atelier n° 1 des EGMI,
la proposition d’intégrer les sites web d’information à la définition de service de média audiovisuel et de créer un nouveau concept de « médias d’information sur plate-forme ouverte » qui
dépasserait le critère du support matériel. Voir le rapport synthétique de l’atelier 1, p. 75.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
227
textes réglementaires sont révélateurs de la tension entre conception élargie
et conception restrictive de la presse :
-
-
-
Ainsi, l’arrêt de la Cour d’arbitrage (aujourd’hui, Cour
constitutionnelle) du 7 juin 2006 sur le secret des sources élargit
cette protection à toute personne diffusant de l’information, et
se conforme donc à la conception fonctionnelle de la presse telle
qu’elle est mentionnée par la Constitution belge et appliquée par la
jurisprudence de la CEDH174.
Pour sa part, la loi de 2010 réserve aux seuls journalistes professionnels
la protection des sources à l’égard des méthodes de recueil des
données de la part de la Sûreté de l’État.
Enfin, l’arrêt du 6 mars 2012 de la Cour de cassation adopte une
définition liée au support médiatique puisqu’il continue de distinguer
les images et les textes diffusés sur l’Internet.
Jean-François Dumont ajoute que le Conseil de déontologie journalistique
(CDJ) a adopté la conception fonctionnelle de la presse, puisqu’il exerce sa
fonction d’autorégulation vis-à-vis de tous les médias d’information qui
s’adressent à l’ensemble du public de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Au sujet de l’implication de la définition de la presse sur le rôle attribué
aux journalistes, Philippe Nothomb et Stéphane Rosenblatt continuent
à conférer une valeur professionnalisante au journalisme qui reste lié à
l’existence d’un média organisé et à un ensemble de droits et devoirs. Olivier
Basile estime qu’il est temps d’octroyer à certains acteurs de l’information
(comme des blogueurs) les mêmes droits et les mêmes moyens (en termes
d’accès aux sources d’information) que ceux dont bénéficient les journalistes
professionnels. Étienne Montero constate, pour sa part, qu’une affiliation à
une organisation professionnelle ne peut être une condition au droit d’exercer
une activité journalistique mais constitue plutôt un label à destination du
public. Pour François Jongen, le titre de journaliste professionnel ne crée
pas de grande différence de statut, de véritable protection en dehors de la
carte de presse et de quelques avantages qui en découlent. Jean-François
Quentin Van Enis signale pourtant que, confrontée récemment au cas d’une personne nonjournaliste qui revendiquait une forme de protection sur l’origine des informations qu’elle détenait, la CEDH a passé sous silence la question du champ d’application de la protection des
sources journalistiques. Déjà en 1972, la Cour Suprême des USA avait refusé à un journaliste le
droit de taire ses sources en raison de la difficulté qui allait surgir de devoir définir qui serait le
bénéficiaire de cette garantie.
174
228
Chapitre 3
Dumont nuance ce constat, en faisant remarquer que la carte de presse
donne quand même des avantages à son détenteur, notamment du point de
vue de la protection vis-à-vis de la Sûreté de l’État et du point de vue du droit
social (pension pour les salariés, gratuité des chemins de fer, convention
sectorielle)175. Comme Étienne Montero, Jean-François Dumont considère
que la carte donne des garanties au public, en termes de respect de la
déontologie par le professionnel, de sa méthodologie et de son encadrement
par une hiérarchie. Pour Marc Chamut (CDJ), il serait d’ailleurs pertinent
que l’acquisition du titre de journaliste professionnel requière une adhésion
aux principes de déontologie, comme l’AJP l’exige de la part de ses nouveaux
membres. André Linard (CDJ) estime, par contre, qu’il est délicat d’établir
un lien entre le respect de la déontologie et l’agréation comme journaliste
professionnel, puisqu’un journaliste ne peut pas être tenu responsable des
conséquences de conditions de travail qui lui sont imposées.
Face à la multiplication des contributeurs au débat public, Martine Simonis
et Pierre-François Docquir soulignent finalement l’impérieuse nécessité
d’une éducation aux médias, aux règles de déontologie, aux limites de la
liberté d’expression et ce, à destination du plus grand nombre.
RECOMMANDATIONS – Questions 1 et 2 réunies
1° Principes
Les mêmes règles juridiques doivent s’appliquer quel que soit le média
utilisé et quelle que soit la qualité de celui qui contribue à l’information,
c’est-à-dire à « toute personne qui contribue directement à la collecte,
la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais
d’un média, au profit du public ».
Cette uniformisation doit se faire par une application à l’ensemble des
médias d’information des règles de procédure et de fond protectrices
de la liberté de la presse.
Quentin Van Enis rappelle qu’en 1963 le Conseil d’État avait préconisé de n’octroyer ni avantages, ni privilèges aux journalistes affiliés à une association professionnelle.
175
Atelier 3 : « liberté d’expression »
229
2° En ce qui concerne l’interdiction de toute mesure préventive de
restriction à la liberté d’expression
L’article 25 de la Constitution, qui n’est que le corollaire de l’article
19, doit s’appliquer quel que soit le média concerné. La restriction
du champ d’application de cette disposition constitutionnelle, telle
qu’elle résulte de l’interprétation donnée par la Cour de cassation,
« aux seuls modes d’expression par des écrits imprimés », devrait
être définitivement abandonnée. En revanche, les arrêts du 6 mars
2012 de la Cour de cassation qui considèrent que l’écrit diffusé par
Internet entre dans la définition du délit de presse, vont dans le bon
sens. Cette évolution doit être encouragée et tendre à élargir le champ
d’application de l’article 25 de la Constitution à tous les médias et à
l’ensemble des supports de communication.
Il ne s’impose toutefois pas de modifier la Constitution qui ne contient
pas cette restriction, ni de légiférer, dès lors qu’en toute hypothèse, à
la suite de l’arrêt de la CEDH du 29 mars 2011, il n’est plus discutable
qu’en l’état actuel du droit belge, il n’existe pas de loi, au sens de la
Convention européenne des droits de l’homme, autorisant le juge ou
toute autre autorité, à prendre une mesure préventive de restriction à
la liberté d’expression, quel que soit le média concerné. En choisissant
de ne pas intervenir à la suite de cet arrêt, le législateur et le constituant
montrent que l’état actuel du droit, fondé sur le principe des sanctions
a posteriori des éventuels abus de la presse, est satisfaisant pour
garantir un juste équilibre entre les droits concurrents outre qu’il est
en parfaite adéquation avec l’article 19 de la Constitution.
3° En ce qui concerne la responsabilité en cascade
Les opinions divergentes sont plus marquées sur l’option contradictoire
de la suppression de la responsabilité en cascade dans la presse écrite
ou, au contraire, de son extension à d’autres médias.
Pour la presse écrite, seul média où ce système est actuellement
d’application, le maintien du système de la responsabilité en cascade ne
fait pas l’unanimité. Son application doit cependant être sensiblement
relativisée en raison du développement d’une jurisprudence qui admet
230
Chapitre 3
la faute distincte de l’éditeur lorsque celui-ci a contribué, par son fait
personnel, au dommage.
L’extension de la règle de la « cascade » aux autres médias d’information
devrait, en principe, être recommandée afin d’éviter tout traitement
discriminatoire entre journalistes, selon le média où ils s’expriment.
Toutefois, la définition même de la « cascade », c’est-à-dire de la chaîne
des responsabilités ne peut pas être transposée purement et simplement
de la presse écrite aux autres médias (radio, télévision et Internet). De
nombreux intervenants ont en effet souligné non seulement la réelle
difficulté d’établir cette « chaîne des responsabilités » pour chacun
des autres médias mais aussi l’inutilité. Aucune solution homogène
n’est envisageable.
Enfin, nombreux sont par ailleurs ceux qui ont souligné qu’au-delà du
débat théorique, il fallait constater qu’en pratique, la question ne semble
pas poser de réels problèmes. Les éditeurs de services audiovisuels se
satisfont de la situation actuelle (absence de « cascade ») dès lors qu’en
toute hypothèse ils prennent systématiquement fait et cause pour
leurs journalistes lorsque seuls ceux-ci sont mis en cause dans une
procédure judiciaire. Cette solidarité de fait semble également une
pratique courante dans la presse écrite.
Dans ces conditions, vu les difficultés théoriques que pose cette
question et l’absence de problèmes pratiques criants, il est recommandé
de ne rien modifier à la situation actuelle.
En revanche, il serait certainement utile de généraliser – et
éventuellement d’imposer ou en tous cas de favoriser – le recours à
l’assurance responsabilité professionnelle et défense en justice pour
l’ensemble des personnes contribuant à l’information du public
(par exemple, par une mutualisation du risque) afin d’éviter que les
procès ne soient une arme économique en vue de faire pression sur
ces personnes, quelles que soient les chances de succès des procédures
introduites.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
231
4° Distinction entre les intervenants dans le processus d’information
(presse « classique » versus « néo-journalisme »)
Il y a unanimité sur ce point. Le droit à la liberté de la presse n’étant
qu’une application du droit à la liberté d’expression, il ne s’adresse
pas aux seuls journalistes professionnels mais à toute personne qui
contribue à la diffusion de l’information à destination du public. C’est
l’information qui est protégée.
Il n’y a dès lors pas lieu de distinguer, dans le traitement juridique de
l’information, selon la qualité de celui qui diffuse celle-ci.
Une distinction objective peut toutefois être faite entre le journaliste
professionnel et le journaliste citoyen sur le plan de la déontologie
qui pourrait éventuellement justifier des traitements distincts. La
« labellisation » des médias d’information soumis à la déontologie
journalistique ne s’impose pas comme une solution opportune ni
efficace. Il est au contraire recommandé de mettre en œuvre une
politique incitant au respect d’une déontologie de l’information qui
s’appliquerait également au journaliste citoyen. Les compétences et les
moyens d’action du Conseil de déontologie journalistique pourraient
utilement être revus pour répondre à ce besoin.
2.3. De la sanction des « devoirs et responsabilités » de celui
qui s’exprime
Questions
Il convient de s’interroger sur la façon dont les « devoirs et
responsabilités » que comporte l’exercice de la liberté d’expression
doivent être sanctionnés.
2.3.1
Faut-il correctionnaliser la matière du délit de presse ? Ou
conserver le régime spécial de la cour d’assises, et le cas échéant
réactiver cette procédure ?
232
Chapitre 3
2.3.2
Faut-il, en ce qui concerne la compétence ratione materiae des
cours et tribunaux, maintenir la distinction entre le délit de presse
de droit commun et le délit de presse « à caractère raciste » ?
2.3.3
Ne faut-il pas, plutôt, dépénaliser l’exercice de la liberté
d’expression ? Le cas échéant en prévoyant d’autres procédures
civiles (par ex. : un quasi-référé de presse) ?
Conformément à l’article 150 de la Constitution, le délit de presse relève
de la compétence de la cour d’assises, excepté le délit de presse à caractère
raciste qui a été correctionnalisé en 1999 (dans le but de garantir les
poursuites des expressions racistes). Aux yeux du Constituant, le jury de
la cour d’assises apparaissait comme le représentant légitime de l’opinion
publique et permettait donc de soustraire le traitement des délits de presse à
des juges professionnels dont l’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif,
avant 1831, n’était pas acquise. Selon la jurisprudence, le délit de presse
désigne l’expression délictueuse par la voie de presse (écrite)176 d’une pensée,
d’une opinion ou d’une information. Dans la pratique, l’appareil judiciaire
n’organise plus des procès en cour d’assises en cette matière177, ce qui mène
à une impunité pénale de fait de la plupart des délits de presse178 . L’impunité
n’est pas totale, puisque la presse peut toujours faire l’objet de procédures
civiles qui sont plus exigeantes et plus coûteuses pour le plaignant que les
procédures pénales, puisqu’il ne suffit pas de déposer plainte mais qu’il
revient au demandeur d’assumer l’instruction du dossier179.
Ce qui implique la condition de « publicité » de l’expression.
Pour des raisons de moyens, de lourdeur de la procédure mais également de politique criminelle. Il n’est en effet pas certain que ce soit juste une question de « moyens ». Au dix-neuvième
siècle, les procès de presse aux assises étaient aussi lourds à organiser qu’actuellement, or il y en
avait. L’absence de procès résulte d’une volonté du parquet qui effectivement estime que c’est
une procédure trop lourde pour des délits qui ne méritent plus d’être poursuivis parce que leur
répression ne répond plus à un besoin social réel.
178
On notera toutefois qu’un procès d’assises en matière de délit de presse s’est tenu devant la cour
d’assises de Mons en 1994 et qu’une session d’assises, également pour délit de presse, est fixée
devant la cour d’assises de Bruxelles en mai 2013.
179
Franklin Kuty (ULB) fait remarquer que la lourdeur des actions civiles en responsabilité pourrait décourager de simples citoyens à mener une affaire en justice. « Réflexions sur la correctionnalisation / la dépénalisation du délit de presse », contribution de F. Kuty, sur le site http://
egmedia.pcf.be/ (consulté le 7 mars 2013), p. 4.
176
177
Atelier 3 : « liberté d’expression »
233
2.3.1. La correctionnalisation plutôt que l’impunité…
François Tulkens, François Jongen et Franklin Kuty180 estiment que le système
actuel offre une protection excessive à la presse (qui n’est presque jamais
poursuivie au pénal) et préconisent, dans ce sens, une correctionnalisation
de l’ensemble des délits de presse, afin que ceux-ci soient effectivement
jugés. Cette mesure s’avère, selon ces intervenants, d’autant plus impérieuse
qu’en vertu des arrêts de la Cour de cassation du 6 mars 2012, les contenus
numériques sont désormais passibles du délit de presse et profitent donc de
la même impunité pénale de fait.
-
-
-
François Tulkens estime que la presse, de mieux en mieux protégée,
n’en apparaît pas pour autant plus responsable de ses actes. Dans
ce contexte, il faut définir et renforcer le rôle des juges belges qui,
en matière de délits de presse, ont assumé le travail avec des outils
peu adaptés avant d’être désavoués par la CEDH. Les magistrats ne
peuvent même plus intervenir préventivement, ni réprimer les délits
de presse puisque le jury d’assises ne peut plus en être saisi.
François Jongen affirme que maintenant que la justice est pleinement
indépendante, l’exception de juridiction accordée à la presse a perdu
tout son sens, d’autant qu’on ne renvoie plus aucun délit de presse
devant la cour d’assises. Jean-Marc Meilleur (substitut du procureur
du Roi de Bruxelles – magistrat de presse) signale, d’ailleurs,
qu’un des motifs qui a amené, en 1999, le Constituant à ne pas
correctionnaliser tous les délits de la presse réside encore et toujours
dans la crainte de pressions qui seraient exercées sur les journalistes
et est donc révélateur d’une certaine défiance persistante vis-à-vis de
la magistrature. François Jongen ajoute que les atteintes à la liberté
de la presse touchent à l’ordre public et doivent donc être assorties
d’une responsabilité pénale.
Dans sa contribution écrite, Franklin Kuty propose lui aussi, de
correctionnaliser les délits de presse qui seraient dès lors étendus
« à toutes les formes de flux des opinions et des informations, telles
le recours à la radiodiffusion, à la télévision et à l’Internet ainsi qu’à
la presse d’information et non, comme c’est le cas actuellement, à la
seule presse d’opinion »181.
180
Franklin Kuty, n’ayant pas pu être auditionné, a adressé une note écrite à l’atelier, disponible
sur le site des EGMI.
181
Ibidem, p. 3.
234
Chapitre 3
Le magistrat de presse, Jean-Marc Meilleur, considère qu’il faut retirer à la
cour d’assises la compétence sur les délits de la presse, non pas par principe
mais par pragmatisme : le manque de moyens et la surcharge de son
programme ne permettent pas à cette instance de traiter de telles affaires182.
Édouard Delruelle considère que la correctionnalisation des délits de presse à
caractère raciste s’est avérée bénéfique et que les discours de haine exigent une
réponse pénale puisqu’ils touchent à l’ordre public et à la paix sociale. Il se dit
donc favorable à la correctionnalisation d’autres motifs, comme les propos
d’incitation à la haine homophobe, religieuse ou de genre (en en excluant la
notion de blasphème qui n’a pas de sens en dehors de la religion concernée).
S’il s’oppose à l’interdiction des associations de fait (qui s’apparenterait à
une censure), Édouard Delruelle propose qu’en cas de condamnation pour
incitation à la haine, le juge puisse imposer des mesures d’astreinte (comme
l’interdiction d’utiliser une appellation ou de communiquer via les réseaux
sociaux).
Martine Simonis, Benoît Frydman et Simon-Pierre De Coster expriment
leur opposition à une éventuelle correctionnalisation des délits de presse.
L’AJP craint que, le cas échéant, les poursuites pénales devant les juridictions
ordinaires ne se multiplient et que l’on n’aboutisse à un régime beaucoup plus
répressif qu’aujourd’hui. Martine Simonis rappelle que l’AJP était initialement
réticente à la correctionnalisation des délits de presse à caractère raciste à
cause du manque de cohérence d’un tel système mais s’est ensuite ralliée à
l’argument de faire de cette mesure un outil de lutte contre le racisme, dont
on peut aujourd’hui douter de l’efficacité183. Benoît Frydman prédit, pour sa
part, un risque d’inflation de procédures vis-à-vis de la presse, notamment
via la citation directe devant le juge pénal, ce qui donnerait inévitablement
lieu à une explosion des condamnations de la Belgique par la CEDH. SimonPierre De Coster ajoute que, si elle devait se concrétiser, l’éventualité d’une
correctionnalisation des délits de presse serait conditionnée à une série de
garanties : ces faits ne pourraient être jugés que par des chambres à trois juges
au minimum avec une possibilité d’appel et les garanties constitutionnelles
concernant la publicité des débats et des décisions.
Le nombre de dossiers ouverts au parquet de Bruxelles qui concernent purement un délit de
presse était de 2 en 2010, 1 en 2011 et il n’y en avait aucun en 2012.
183
Denis Robert doute également de la nécessité de distinguer les délits à caractère raciste
puisqu’ils peuvent être assimilés à des injures ou des diffamations. Denis Robert n’ayant pas pu
être auditionné par l’atelier a communiqué une notre écrite, disponible sur le site des EGMI.
182
Atelier 3 : « liberté d’expression »
235
2.3.2. Les avantages du système actuel Plusieurs intervenants se disent partisans du maintien de la situation actuelle,
dans la mesure où le principe de pénalisation des délits de presse implique
un lien fondamental entre les médias et la société (représentée par le jury de
la cour d’assises) et où l’exception de juridiction pour la plupart des délits de
presse induit à la fois une impunité pénale sur le plan pratique.
-
-
-
-
Ainsi, pour Benoît Frydman, il est sain et efficace que la presse
soit placée sous la protection directe du public et donc du jury. Par
ailleurs, il pourrait s’avérer nécessaire de poursuivre pénalement. Il
est essentiel de rappeler que la liberté de presse ne confère aucune
forme d’immunité ou de privilège. La personne qui se comporte de
manière illicite par voie de média doit en répondre devant la justice.
Alain Strowel est partisan du maintien de la situation actuelle, ou
même de la dépénalisation de la question, à l’exception des délits
à caractère raciste. Selon lui, le droit devrait n’intervenir qu’en
dernière instance en matière de presse. La solution idéale résiderait
dans une régulation des médias qui serait légère et graduelle et qui
favoriserait les modes non judiciaires comme le droit de réponse et de
rectification et l’autorégulation. Plusieurs intervenants mentionnent
d’ailleurs la déontologie et l’autorégulation comme une alternative
intéressante aux procédures judiciaires (voir le point 8).
Pour Pierre-Arnaud Perrouty, le recours à la cour d’assises est une
procédure qui est certes lourde mais qui a l’avantage de représenter
une force symbolique et d’offrir les garanties d’un procès pénal
(notamment au niveau du « tarif » prédéterminé des amendes).
Philippe Nothomb préfère, lui aussi, à la correctionnalisation les
procédures civiles qui tendent à réparer les dommages et le droit de
rectification qui permet un dialogue entre la rédaction, le journaliste
ou l’éditeur responsable et le public.
2.3.3. La dépénalisation de l’exercice de la liberté d’expression
Simon-Pierre De Coster et Olivier Basile sont, de leur côté, favorables à une
dépénalisation la plus large possible du délit de presse, conformément à de
récentes recommandations du Conseil de l’Europe184 . Olivier Basile souligne
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe préconise une dépénalisation, au moins
partielle, du délit de presse et propose des mesures civiles qui permettraient de réparer les dommages causés par la presse. Dans une résolution de 2007, le Conseil de l’Europe prend position
184
236
Chapitre 3
d’ailleurs la nécessité que soit adoptée une position commune à l’échelle de
l’UE dans le domaine de la dépénalisation des délits de presse (ainsi que
du secret des sources et du droit de réponse). Martine Simonis précise que
l’AJP ne s’oppose pas au maintien de la compétence de la cour d’assises
mais reconnaît que la dépénalisation des délits de presse aurait le mérite
d’officialiser une impunité pénale de fait.
Qu’ils soient favorables ou non à la dépénalisation du délit de presse, nombre
d’observateurs (comme Franklin Kuty, Jean-Marc Meilleur, Martine Simonis,
Simon-Pierre De Coster et Jacques Englebert font remarquer qu’il serait
illogique de faire sortir du champ pénal des infractions et délits sous le seul
motif qu’ils ont été commis par voie de presse. La dépénalisation des délits
de presse implique donc la dépénalisation des délits d’expression, comme
la calomnie, la diffamation, l’injure, l’outrage… Pour Simon-Pierre De
Coster, les dispositions législatives en ces matières datent du dix-neuvième
siècle et sont en décalage par rapport à l’objectif légitime de l’article 10 de la
Convention européenne des droits de l’homme. Jean-Marc Meilleur admet
que, sur le terrain, le traitement judiciaire des délits d’expression pose question
en termes d’efficacité, voire d’équité : les procès relatifs à des faits de calomnie
ou de diffamation sont complexes et difficiles à mener à leur terme tandis
que, dans le cas de Bruxelles, le traitement des faits d’injure a été externalisé,
par souci d’efficacité, et fait aujourd’hui l’objet de sanctions administratives
communales185. Plus fondamentalement, Jacques Englebert estime que
l’absence de poursuite pénale en cette matière, depuis des décennies, n’a
suscité aucune réaction dans la population de sorte qu’il apparaît que de
telles poursuites ne répondent plus à un besoin social (il constate d’ailleurs
qu’aucune poursuite n’est engagée contre les journalistes de l’audiovisuel
alors que ceux-ci ne bénéficient pas d’un quelconque privilège de juridiction).
Il estime que cette réalité doit conduire à s’engager dans un mouvement
général de dépénalisation de l’expression. Françoise Tulkens ajoute que la
dépénalisation n’équivaut pas à une absence de réponse ou de répression.
Nombre de partisans de la dépénalisation du délit de presse n’en
reconnaissent pas moins qu’il serait délicat de dépénaliser les délits de
presse à caractère raciste ou négationniste : d’une part, la Belgique est
soumise à des textes internationaux qui imposent la pénalisation de tels
pour une dépénalisation de la diffamation (à l’exception des discours haineux, liberticides, négationnistes, …).
185
En cette matière, les autorités communales sont à la fois juge et partie puisqu’elles édictent les
règles, sanctionnent les contrevenants et perçoivent les amendes.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
237
propos ; d’autre part, la dépénalisation des discours de haine constituerait
un signal étrange du monde politique à l’attention du public. Jacques
Englebert conclut qu’il s’agirait de dépénaliser l’expression à l’exception de
ce qui pose problème dans la société actuelle, en l’occurrence, le racisme et
le négationnisme. Selon Simon-Pierre De Coster, cela impliquerait au moins
le maintien de la loi relative au racisme et à la xénophobie (loi Moureaux du
30 juillet 1981), de la loi relative au négationnisme de 1995 et de l’ensemble
des dispositions du Code pénal concernant la pédopornographie. Le
manquement à ces lois devrait continuer à être sanctionné pénalement.
2.3.4. La presse aux prises avec la procédure civile
Olivier Basile exprime la crainte que la dépénalisation des délits de presse
n’ait comme corollaire une recrudescence des litiges sur le plan civil et une
augmentation des dommages et intérêts. Martine Simonis pointe, pour sa
part, le danger que constitue le manque de cohérence des réparations civiles.
Contrairement au régime pénal dont on connaît précisément le « tarif », la
responsabilité civile laisse le champ libre à de nombreuses éventualités (de
l’euro symbolique à des sommes astronomiques). Franklin Kuty, Simon-Pierre
De Coster et Benoît Frydman constatent déjà que certaines condamnations
visent, non pas à réparer un préjudice mais à réduire au silence ou intimider
des organes de presse et les participants au débat public (via des dommages et
intérêts colossaux)186 . Dans ce contexte, les dommages-intérêts ont tendance
à perdre leur fonction indemnitaire et à revêtir selon les termes de SimonPierre De Coster, un « caractère punitif déguisé ».
Sans remettre en cause la pression que peuvent induire certaines sanctions
civiles, Jacques Englebert réfute le rapport, souvent établi par les partisans
de la correctionnalisation des délits de presse, entre la dépénalisation et une
éventuelle augmentation des dommages et intérêts au civil. En effet, après
avoir prononcé l’amende, le juge pénal doit également trancher les demandes
civiles qui seront, de toute façon, examinées. Pour la juge Sophie Annaert,
une dépénalisation n’entraînera pas une inflation de décisions au civil car
les journalistes ne sont plus jamais poursuivis au pénal et les personnes qui
veulent obtenir réparation vont déjà au civil. Selon Sophie Annaert et Luc
Hennart (TPI Bruxelles)187, les recours en dommages et intérêts à l’encontre
186
Simon-Pierre De Coster signale, à ce propos, que des condamnations à des dommages et intérêts élevés ont déjà été sanctionnées par la CEDH comme étant non proportionnées par rapport
à l’objectif légitime à protéger dans une société démocratique.
187
Luc Hennart est le président du TPI de Bruxelles.
238
Chapitre 3
de la presse ont certes augmenté depuis l’affaire Dutroux mais se sont depuis
lors stabilisés. Cette évolution est imputable à la croissance du montant des
indemnisations qui, jadis symboliques, varient aujourd’hui, à Bruxelles,
entre 5.000 et 15.000 euros188 . Aux yeux des deux magistrats, ces montants
ne semblent pas exorbitants et s’avèrent de plus rigoureusement justifiés par
les plaignants et leurs avocats.
En ce qui concerne, cette fois, la responsabilité civile des personnes jugées
pour des faits d’opinion, Benoît Frydman estime que les critères devraient
varier en fonction du statut professionnel de la personne : une personne qui
travaille en tant que journaliste doit logiquement être jugée en référence à la
déontologie de sa profession. La déontologie n’implique pas plus ou moins
de sévérité mais constitue le cadre de référence qui permet de décider si le
journaliste a fauté dans sa production ou non. Les non-journalistes seront
jugés en fonction des règles de droit commun. André Linard fait remarquer
que la déontologie n’applique pas cette distinction puisqu’elle vise à
protéger le public et son droit à recevoir une information de qualité, quelle
que soit sa provenance. En d’autres termes, le CDJ estime que lorsqu’une
personne revendique un travail journalistique, elle doit respecter les règles
déontologiques de l’activité journalistique. Jacques Englebert constate que
la jurisprudence en la matière (qui s’est développée surtout en France et
au niveau de la CEDH) connaît les deux tendances : selon les cas, des nonjournalistes qui, en tant que spécialistes ou citoyens vigilants, ont diffusé une
information ont soit bénéficié d’une plus grande clémence ou, au contraire,
subi une plus grande sévérité que s’ils avaient été journalistes.
RECOMMANDATIONS
Il est généralement admis par tous les intervenants que la situation
actuelle concernant les sanctions des devoirs et responsabilités de celui
qui s’exprime est confuse, sinon chaotique. Certes, le jury renforce
symboliquement le contrôle de la société sur les délits de presse
mais des procès en cour d’assises ne sont plus organisés. Si certains
préconisent la correctionnalisation de l’ensemble des délits de presse
Ces indemnisations s’ajoutent à la demande quasi systématique de la publication du jugement
par le média concerné.
188
Atelier 3 : « liberté d’expression »
239
pour éviter l’impunité, d’autres redoutent l’inflation de procédures
contre la presse, par la voie notamment de la citation directe, et ils
soulèvent aussi la question des garanties.
Après avoir examiné en profondeur les différents aspects de la
question et plus particulièrement les avantages et les inconvénients
des différents régimes envisagés, il est recommandé de s’engager dans
la voie de la dépénalisation de l’exercice de la liberté d’expression dont
on constate, notamment en raison de l’absence de poursuite pénale,
que la répression ne répond plus à un besoin social réel et impérieux.
Cette recommandation s’inscrit dans la ligne des travaux récents de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et, notamment,
la Résolution 1577(2007) du 4 octobre 2007 intitulée « Vers une
dépénalisation de la diffamation » qui exprime, sur ce point, le
consensus des 47 Etats membres.
En revanche, s’il faut, dans certains cas, une réponse par la voie
judiciaire, il convient d’utiliser la voie civile et de recourir au droit
commun de la responsabilité. Une jurisprudence cohérente et
prévisible doit se construire et les dommages-intérêts doivent répondre
à l’exigence de proportionnalité.
Enfin, une exception à la dépénalisation doit être envisagée en ce
qui concerne les délits de caractère raciste ou négationniste qui sont
prévus dans la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes
inspirés par le racisme ou la xénophobie et dans celle du 23 mars 1995
tendant à réprimer le négationnisme, dans la mesure où la Belgique
est tenue à des obligations internationales en ces matières.
2.4. Des limites de la liberté d’expression
Questions
2.4.1
Comment lutter contre les « discours de haine » / le
négationnisme de manière efficace sans remettre en cause le
principe de la liberté d’expression ?
240
Chapitre 3
2.4.2
Comment lutter contre les discours « d’incitation à la violence »
envers les tiers (« hate speech ») ? Comment déterminer la
notion d’« incitation à la violence » ?
2.4.3
Faut-il une réglementation particulière à ces matières ? Fautil retrancher certains domaines du principe de la liberté
d’expression ? Comment peut-on fixer les limites des propos et
idées qui seraient (ou non) acceptables ?
2.4.4
Comment peut-on combiner les principes de la liberté
d’expression et de la libre critique historique avec les lois
mémorielles qui édictent une « histoire officielle » ?
François Jongen, Benoît Frydman, Olivier Basile, Édouard Delruelle et
Pierre-Arnaud Perrouty affirment que la règle générale doit être le respect
de la liberté d’expression et préconisent, en ce sens, la plus grande prudence
dans le domaine de l’encadrement légal de cette liberté fondamentale.
La loi contre le racisme de 1981 et les lois anti-discrimination de 2007189
constituent un cadre suffisant et conforme à l’article 10 de la Convention
européenne des droits de l’homme relatif à la liberté d’expression. En outre,
la jurisprudence de la CEDH consacre le droit aux idées « qui heurtent,
choquent ou inquiètent l’État ou autrui » et interdit les discours qui sont une
incitation directe à la haine, à la violence et à la discrimination. Aux yeux de
ces différents intervenants, il s’avère préférable de lutter contre les « discours
de haine » et le négationnisme par le débat politique et l’éducation plutôt que
par des sanctions pénales. Selon les termes de François Jongen, il vaut mieux
contredire qu’interdire, argumenter plutôt que sévir.
-
Premièrement, les lois qui sanctionnent certains types de discours
sont susceptibles de restreindre la liberté d’expression, puisque
la notion d’« incitation à la violence » laisse une large place à
Édouard Delruelle rappelle que les lois anti-discrimination proscrivent trois comportements :
la discrimination (comme le refus d’un emploi, d’un logement à quelqu’un pour un motif proscrit
par les lois) ; les discours de haine (les incitations à la haine, à la violence, à la discrimination et
la négation des crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale) et les délits de haine (les
crimes et les harcèlements commis pour un motif discriminatoire). Le travail sur les discriminations et les discours de haine diffère d’un point de vue juridique : pour les discriminations, la
règle générale est l’égalité de traitement tandis que pour les discours de haine, la liberté d’expression est la règle générale.
189
Atelier 3 : « liberté d’expression »
-
241
l’interprétation des juges. En effet, la différence est ténue entre
discours haineux et incitation à la haine, entre propos choquants et
exhortation à la violence. Pour Olivier Basile, l’encadrement législatif
de la liberté de la presse et de la liberté d’expression représente une
grave menace, au vu, surtout, du retentissement international de
textes restrictifs adoptés par le siège de la capitale européenne. C’est
dans les excès de la liberté de la presse qu’il faut se montrer le plus
permissif possible afin de défendre cette même liberté.
Deuxièmement, Benoît Frydman fait remarquer qu’installer l’idée
d’une vérité officielle produit des effets contre-productifs, comme la
promotion des idées que ces lois entendent combattre et l’envoi d’un
message contradictoire sur la valeur du libre débat en démocratie.
2.4.1. La notion centrale d’« incitation directe »
François Jongen, Alain Strowel, Stéphane Hoebeke et Édouard Delruelle
estiment qu’il convient de distinguer strictement délits d’acte et délits de
parole : les écarts de langage ne peuvent être incriminés dans une démocratie
(selon Édouard Delruelle) ou peuvent éventuellement donner lieu à des
sanctions symboliques (pour Alain Strowel). Par contre, les personnes
auditionnées s’accordent pour affirmer que les comportements répréhensibles
doivent faire l’objet de poursuites judiciaires. Dans la mesure où il s’agit
d’incriminer des actes et non des paroles, Stéphane Hoebeke et Édouard
Delruelle soulignent le caractère déterminant de la notion d’« incitation ».
Celle-ci implique qu’il y ait une véritable intention de traiter la personne
défavorablement (sur la base d’un des critères protégés par la loi, comme le
sexe, la nationalité, la religion ou le handicap) et qu’il y ait dans le message
une exhortation, un encouragement à traiter cette personne ou ce groupe
de personnes de manière discriminatoire. Alain Strowel cite, à ce propos,
l’exemple des communautés numériques qui prônent l’intolérance et qui
mènent au confinement d’individus dans ces communautés : ces discours qui
encouragent le passage à l’acte doivent être poursuivis, même si cela pose des
problèmes en termes de faisabilité puisque cela suppose d’agir à un niveau
supranational et de se confronter dès lors à des définitions divergentes de la
liberté d’expression.
Dans cette perspective, Édouard Delruelle suggère de déplacer la question du
contenu au caractère performatif de certains actes de langage. Est performatif
un énoncé qui, au-delà d’une simple représentation ou interprétation d’un
état de fait, possède la force d’un acte susceptible de modifier la réalité. Pour
242
Chapitre 3
les linguistes, le caractère performatif d’un énoncé dépend de l’intention du
locuteur et du contexte de production de l’énoncé. Les discours d’incitation
à la haine sont des actes de langage performatifs perlocutoires dans la mesure
où ils ont un effet sur le ressenti de leurs destinataires. Les tribunaux jugent
non seulement le contenu des propos mais également l’intention des auteurs
et le contexte dans lequel les discours ont été propagés et où l’on visait
l’efficacité. L’analyse pragmatique (et non sémantique) des discours permet
d’ailleurs d’évacuer la question non-pertinente du caractère condamnable de
l’Ancien Testament, de « Tintin au Congo » ou de « Mein Kampf ». Ce n’est
pas le contenu de ces textes qui est répréhensible, mais l’usage que l’on en fait
a posteriori. Sur le terrain, c’est sur la base de ce critère de force performative
que le Centre pour l’égalité des chances décide d’ailleurs d’entamer ou non
des actions judiciaires.
Il est à noter que la loi antiterroriste adoptée par la Chambre en décembre
2012 et par le Sénat en février 2013 rend la notion d’« incitation » encore
plus délicate, puisqu’elle criminalise « l’incitation indirecte à la violence »190.
Conformément à des décisions-cadres européennes de 2002 et de 2008,
la Belgique poursuit désormais la « provocation publique à commettre
une infraction terroriste », c’est-à-dire les discours qui créeraient le
risque que d’autres personnes commettent une infraction. Certes, l’article
141ter indique qu’en aucun cas, ces nouvelles dispositions ne peuvent être
interprétées comme visant à réduire ou à entraver « sans justification »
des droits fondamentaux comme la liberté d’expression et la liberté de la
presse. Pourtant, Jacques Englebert et Pierre-Arnaud Perrouty soulignent
le caractère délicat et potentiellement liberticide de cette disposition antiterroriste : celle-ci donnera au parquet fédéral la possibilité de poursuivre
des individus non pour des actes, mais seulement pour des déclarations.
2.4.2. De la légitimité des lois mémorielles et du cordon sanitaire
médiatique
Alors que Stéphane Hoebeke souligne combien il est délicat de figer l’histoire
autour de quelques événements précis, Pierre-Arnaud Perrouty estime que
la loi du 23 mars 1995 n’est pas tenable, puisqu’elle ne vise que le génocide
juif et qu’idéalement, il conviendrait d’abroger cette loi qui entre de toute
façon sous le coup de la loi sur l’incitation à la haine. Le secrétaire général de
190
Voir à ce sujet un communiqué de la Ligue des droits de l’homme : http://www.liguedh.be/
espace-presse/123-communiques-de-presse-2012/1646-lincitation-l-indirecte-r-au-terrorismesera-punie (consulté le 15 mars 2013).
Atelier 3 : « liberté d’expression »
243
la Ligue des droits de l’homme admet toutefois que cette solution n’est pas
véritablement envisageable et ce, pour deux raisons : d’une part, des décisionscadres européennes imposent à la Belgique de combattre l’apologie ou la
négation du génocide juif et d’autres génocides ; d’autre part, il existe, dans ce
domaine, une barrière symbolique qui semble aujourd’hui infranchissable.
Édouard Delruelle estime, pour sa part, qu’il faut considérer la loi de 1995
non comme une loi de sacralisation de la mémoire de la Shoah mais comme
une loi antiraciste qui vise à s’attaquer à des personnes qui troublent l’ordre
public et la paix sociale. Dans cette perspective pragmatique, le directeuradjoint du Centre pour l’égalité des chances se dit favorable à une extension
de la loi à la négation ou à la minimisation des génocides arménien et
rwandais, dans la mesure où ces deux crimes ont la particularité de poser
des problèmes de paix sociale.
Tel qu’il est appliqué à l’heure actuelle en FWB, le cordon sanitaire
médiatique résulte d’un accord explicite entre la RTBF, RTL et les télévisions
locales et prévoit de ne pas inviter en direct des personnes qui expriment
un discours manifestement extrémiste191. Pour Marc de Haan, cette mesure
est cruciale dans la mesure où elle vise à ce que les médias télévisuels ne
favorisent d’aucune façon les discours susceptibles de violer les lois contre
le racisme, le négationnisme et dans la mesure où elle contribue sans doute
au faible succès de l’extrême droite en FWB. Aux yeux du directeur de Télé
Bruxelles, il conviendrait de faire de ce cordon sanitaire non plus un devoir,
mais un droit qui permettrait aux rédactions de ne pas devoir inviter tout le
monde et de lutter contre des populismes et des extrémismes de plus en plus
subtils et pernicieux. Édouard Delruelle estime, pour sa part, que le cordon
sanitaire médiatique est satisfaisant, même s’il apparaît d’autant plus ferme
que l’extrême droite est inexistante en FWB. Il réaffirme que la lutte contre
l’extrême droite doit se jouer dans l’arène politique.
En ce qui concerne l’interdiction de discours haineux, Pierre-François Docquir signale que le
Collège d’autorisation et de contrôle (CAC) du CSA prône, pour sa part, la plus grande prudence
et opte pour une interprétation stricte de la limitation de la liberté d’expression. Dans un courrier
adressé à un plaignant, le CSA s’exprimait en ces termes : « L’interdiction d’éditer des programmes contenant des incitations à la discrimination ou à la haine doit s’interpréter strictement. Dès
lors que le principe de base reste la liberté d’expression, il faudrait que le programme en cause,
dans son ensemble, propage des idées discriminatoires ou haineuses, c’est-à-dire qu’il pousse les
auditeurs ou les téléspectateurs à adopter eux-mêmes des attitudes discriminatoires ou haineuses. Formuler une injure ou une critique ne suffit pas. ». Par ailleurs, dans une logique de sensibilisation et d’accompagnement du secteur, le CSA a adopté, en mars 2005, une recommandation
relative au traitement des manifestations d’expression de discrimination et de haine. Voir http://
rapport2009.csa.be/documents/442, consulté le 15 mars 2013.
191
244
Chapitre 3
2.4.3. De la modération des forums en ligne
Selon Martine Simonis, la lutte contre le racisme, le négationnisme et
l’incitation à la haine doit passer par une responsabilisation des internautes
et par une autorégulation des journalistes qui gèrent les forums en ligne,
puisque ces plates-formes sont susceptibles de donner une visibilité
considérable à des propos répréhensibles et choquants. Vu l’importance de cet
enjeu, le Centre pour l’égalité des chances organise des journées de réflexion
à ce sujet. En novembre 2011, le CDJ a publié une recommandation relative à
la modération des forums en ligne192 . Édouard Delruelle ajoute qu’une lutte
contre de tels propos doit également se faire via une mise sous pression des
opérateurs étrangers comme Youtube et Facebook vis-à-vis desquels il s’agit
de faire valoir le respect de divers cadres législatifs. Olivier Bogaert (FCCU)
ajoute que la jurisprudence évolue dans ce sens : le 24 janvier 2013, le tribunal
de grande instance de Paris a exigé que Twitter retire des propos antisémites
et a estimé que ce service, qui était offert sur le territoire français, devait
respecter la législation française. Dans un autre contexte, l’arrêt rendu par la
Cour de cassation belge le 4 septembre 2012 a également exprimé le fait que
l’opérateur américain qui offre un service en Belgique doit se conformer à la
législation de ce pays.
Édouard Delruelle estime que les modérateurs de forums sont de plus en plus
professionnels, ont développé un savoir et des techniques qui ont contribué
à l’amélioration de la qualité des forums. Olivier Basile et Édouard Delruelle
estiment que l’anonymat déresponsabilise les internautes et nuit donc
gravement à la qualité des commentaires. Stéphane Rosenblatt et Vincent
Genot (le Vif) vont dans le même sens et constatent qu’une modération plus
stricte des forums et une abrogation de l’anonymat ont donné lieu à une
appréciable amélioration de la qualité des forums et à la quasi-disparition
de propos injurieux, racistes ou homophobes193. RTL a renoncé au libre accès
généralisé et a imposé à ses intervenants de s’identifier soit par le système
SSO (Single Sign-on), soit via ses pages Facebook ou Twitter194 . C’est en
septembre 2012 que le groupe Roularta a interdit toute réaction anonyme
sur ses sites. Ce changement a certes entraîné une forte chute du nombre
Voir http://www.deontologiejournalistique.be/telechargements/Carnet_Forums.pdf.
Comme le rappelle Olivier Bogart, l’anonymat n’existe pas sur l’Internet, puisque toute
connexion laisse une trace : à partir d’une adresse IP, il est possible de consulter le fournisseur
d’accès afin d’identifier l’auteur de l’un ou l’autre intervention.
194
Selon Daniel Van Wylick, le recours à des réseaux sociaux comme Facebook n’empêche pas les
médias de contrôler les interventions qui sont postées sur leurs propres pages.
192
193
Atelier 3 : « liberté d’expression »
245
d’interventions sur les sites du groupe195 et une migration des commentaires
sur les pages Facebook des mêmes médias, ce qui porte inévitablement
atteinte au nombre de pages consultées et donc, aux revenus publicitaires.
Par contre, cette mesure s’est avérée très efficace du point de vue de la qualité
des commentaires : sur 21.000 réactions (postées au mois de décembre), les
plaintes pour propos injurieux reçues par jour ne sont plus qu’au nombre
de trente, parmi lesquelles trois sont finalement jugées fondées, les autres
relevant seulement d’une divergence d’opinion.
Si Jean-François Dumont rappelle que le CDJ préconise une modération a
priori des forums et recommande donc d’affecter une personne à la lecture
des messages avant leur diffusion, Stéphane Rosenblatt, Vincent Genot et
Daniel Van Wylick (Rossel) constatent qu’une telle modération mobiliserait
trop d’effectifs et engendrerait des coûts trop élevés pour les entreprises de
presse. Daniel Van Wylick ajoute que, même si l’on recourt à la sous-traitance
étrangère, il n’existe aucune formule bon marché (sauf si l’on envisage de
rendre le commentaire payant). À titre indicatif, le journal Le Soir affecte
déjà quatre personnes pour prendre en charge la modération a posteriori de
ses forums en ligne.
-
-
En ce qui concerne la mise en œuvre de la modération a posteriori,
RTL utilise un système de modération automatique et humain qui
permet de retirer tout contenu suspect, inadéquat, injurieux ou
contraire à la loi.
Du côté du Vif, une fois qu’un commentaire a été signalé par un
internaute et jugé litigieux par la newsroom, ce contenu est purement
et simplement supprimé, sans que l’auteur du commentaire en
soit informé. Par contre, un avertissement peut être adressé à une
personne dont les commentaires posent problème à intervalles
réguliers. Si cette mesure est inefficace, le profil de l’internaute est
supprimé. Outre le système de contrôle collectif des internautes via
des alertes a posteriori, une surveillance particulière est appliquée
aux articles présumés problématiques. Enfin, le système bloque
automatiquement les interventions qui contiennent certains motsclés.
À la question de savoir s’il ne serait pas plus simple de supprimer de tels
La newsroom du Vif-l’Express a ainsi observé une chute des interventions (de 66%) et des intervenants (de 40%).
195
246
Chapitre 3
forums, Vincent Genot et Daniel Van Wylick répondent que cela n’est pas
envisageable dans la mesure où l’interactivité constitue l’essence même
de l’Internet et où la fermeture des forums renforcerait l’impression d’un
désintérêt des médias pour l’avis du public et nuirait à l’image, déjà écornée,
des journalistes.
Si un problème subsiste en termes de commentaires litigieux, les médias
ou les citoyens visés par des propos insultants peuvent contacter la Federal
Computer Crime Unit (FCCU). Un magistrat peut également faire appel à
cette unité de la police fédérale afin d’identifier les personnes soupçonnées de
propos illicites ou de cyber-harcèlement (à l’encontre d’une personne physique
ou morale)196 . Le commissaire Olivier Bogaert ajoute que, de plus en plus, la
FCCU assure également une mission de prévention, notamment auprès des
jeunes générations. S’il s’agit de la plainte d’un citoyen vis-à-vis de propos
tenus à son sujet sur un forum, il suffit souvent de demander au modérateur
de supprimer le commentaire désobligeant. Le conseil fréquemment donné
par la FCCU à la victime de propos diffamants, par exemple, est d’utiliser
la procédure prévue par l’hébergeur ou l’opérateur comme Facebook ou
Skyrock. Par crainte de suites judiciaires, ceux-ci vérifient rapidement si ces
propos correspondent à leurs conditions d’utilisation et retirent aussitôt les
commentaires jugés non conformes. Dans d’autres cas, les enquêteurs de la
FCCU peuvent également rencontrer les auteurs de commentaires illicites
pour leur rappeler les règles, dans une logique de médiation. Lorsque les
propos contiennent un appel manifeste à s’en prendre à une personne, une
institution ou un lieu, et donc lorsqu’ils peuvent aboutir à des troubles de
l’ordre public, les enquêteurs de la FCCU récoltent les informations, rédigent
un procès-verbal à destination des magistrats qui décident de la suite à
réserver à ces affaires.
De manière globale, Olivier Bogaert n’observe pas d’augmentation
significative des demandes d’identification ; cela s’explique, d’une part,
par le fait que les polices locales développent leurs propres compétences
techniques et sont désormais capables de retrouver une adresse IP et, d’autre
part, parce que les gestionnaires de forums ont renforcé leur contrôle sur les
propos diffusés sur les forums (via une identification obligatoire, le repérage
Obtenir une adresse IP implique une procédure judiciaire spécifique, lourde et longue. Le
Code d’instruction criminelle prévoit que toute recherche sur les données numériques et les
adresses IP permettant d’identifier les personnes peut être ordonnée par un magistrat du parquet, pour des dates précises, ou par un magistrat chargé de l’instruction, pour les périodes non
déterminées.
196
Atelier 3 : « liberté d’expression »
247
automatique de mots-clés problématiques ou la suppression immédiate de
commentaires en cas de plainte). Enfin, Olivier Bogaert estime qu’il serait
nécessaire d’établir des chartes d’utilisation des forums qui, rédigées par
les acteurs du secteur et par des associations comme la Ligue des droits de
l’homme, seraient portées à la connaissance des internautes (grâce à un
visionnage inévitable de cette charte avant d’accéder au forum) et des jeunes
générations (via des campagnes de sensibilisation dans les écoles). Cette
formule permettrait de définir un cadre clair qui fixerait les droits et les
devoirs des internautes et préviendrait ces derniers des sanctions auxquelles
ils s’exposent en cas de non-respect de ladite charte.
RECOMMANDATIONS
1° Liberté d’expression : condition sine qua non d’une société
démocratique pluraliste
La règle générale doit être le respect de la liberté d’expression, ce
qui requiert la plus grande prudence dans l’encadrement de cette
liberté fondamentale qui est la condition sine qua non d’une société
démocratique pluraliste.
Sous la seule réserve d’actes qui constituent des incitations directes
à la violence, la liberté d’expression s’étend aux « idées qui heurtent,
choquent ou inquiètent ». Le discours de haine doit être combattu par
le débat politique et l’éducation. « Mieux vaut contredire qu’interdire,
argumenter plutôt que sévir ».
S’agissant donc des limites qui pourraient être apportées à la liberté
d’expression, il n’y a pas de recommandation particulière à formuler
dans la mesure où les législations qui existent déjà (voy. supra, point
3.) ainsi que les lois du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines
formes de discrimination constituent un cadre suffisant, conforme à
l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif
à la liberté d’expression.
2° L’expression raciste et négationniste
a) En ce qui concerne la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer
la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du
248
Chapitre 3
génocide commis par le régime national-socialiste allemand
pendant la seconde guerre mondiale, il est recommandé de
l’étendre à tous les crimes de génocide tels que définis par l’article
136bis du Code pénal.
b) Le cordon sanitaire médiatique tel qu’il existe actuellement dans
la FWB est satisfaisant.
3° Modération des forums
La Recommandation de novembre 2011 du CDJ relative à la
modération des forums en ligne va dans le bon sens. Le suivi de cette
matière en pleine évolution doit se faire en concertation avec le Centre
pour l’égalité des chances et les organisations de défense des droits de
l’homme.
2.5. Des droits de réponse et/ou de rectification
Questions
2.5.1
Ne s’impose-t-il pas d’uniformiser le régime du droit de réponse
aux différents modes d’expression (presse écrite, audiovisuel,
Internet) ?
2.5.2
Ne s’impose-t-il pas d’uniformiser le droit de réponse au regard
de la législation applicable en Région flamande ?
2.5.3
Ne faut-il pas restreindre le droit de réponse à un droit de
rectification ? Tout en prévoyant un accès élargi à ce droit de
rectification (p. ex. rectification à l’issue d’une procédure) ?
Dans quelles limites et selon quel régime ?
2.5.4
Ne faut-il pas actualiser les textes actuels et régler certaines
controverses doctrinales/jurisprudentielles ?
À l’heure actuelle, il existe en Belgique un droit de réponse qui s’applique
de manière différente selon le média et même selon la communauté
Atelier 3 : « liberté d’expression »
249
linguistique. La loi du 23 juin 1961 a institué un droit de réponse qui ne
s’applique qu’à la presse écrite et stipule que « toute personne (physique ou
morale), citée nominativement ou implicitement désignée dans un écrit
périodique, a le droit de requérir l’insertion gratuite d’une réponse »197. La
loi du 4 mars 1977 a, pour sa part, défini un droit de réponse particulier (qui
s’apparente à un « droit de rectification ») pour le secteur audiovisuel dans
la mesure où « seules les personnes justifiant d’un intérêt personnel ont,
dans l’audiovisuel, le droit de requérir la diffusion gratuite d’une réponse
qui doit être de nature à rectifier un ou plusieurs éléments de faits erronés les
concernant ou de répondre à un ou plusieurs faits ou déclarations de nature
à porter atteinte à leur honneur »198. Enfin, le décret adopté le 18 juillet 2003
par le Parlement flamand à propos de la radiodiffusion et de la télévision
réaffirme les principes du droit de réponse mis en œuvre pour l’audiovisuel
et y ajoute un droit de communication (recht van mededeling) « qui donne
à toute personne soupçonnée ou accusée dans une affaire criminelle, dont
le nom est mentionné ou la photographie présentée, le droit d’annoncer son
acquittement (vrijspraak) ou la décision d’abandon des poursuites à son
encontre (buitenvervolgingstelling) »199. Aucune mesure particulière n’est
aujourd’hui officiellement adoptée pour les médias numériques, qui sont
donc soumis à une interprétation extensive des dispositions relatives aux
autres médias.
Face à la diversité des régimes de droit de réponse en vigueur, François
Jongen, Quentin Van Enis, Simon-Pierre De Coster et Martine Simonis
affirment qu’il serait logique et juste d’uniformiser le principe du droit de
réponse et de l’appliquer à tous les modes d’expression. Pour François Jongen,
il s’agit à la fois de restaurer une certaine égalité des armes, de redonner sens
au droit de réponse et de désencombrer les tribunaux d’une série d’actions
en responsabilité civile. Philippe Nothomb constate que la convergence
médiatique constitue une opportunité pour harmoniser les règles du droit
de réponse. Martine Simonis ajoute que, dans l’intérêt du public, il serait
intéressant de simplifier et d’harmoniser les régimes et les procédures. Il
paraît d’autant plus important de procéder à une telle uniformisation que le
Englebert, J., « La demande de diffusion d’une réponse dans la presse audiovisuelle (loi du
23 juin 1961). Questions de procédure », in Les actions en cessation, Larcier, 2006, CUP, vol. 87,
p. 401.
198
Ibidem, pp. 401-402.
199
Voorhoof, D., « Modification des dispositions concernant la compétence de l’Autorité des
médias et le droit de réponse contenu dans la loi relative à la radiodiffusion », sur http://merlin.
obs.coe.int/iris/2003/9/article10.fr.html, consulté le 15 mars 2013.
197
250
Chapitre 3
droit de réponse est perçu par nombre d’intervenants comme un principe
fondamental pour le bon fonctionnement des médias d’information. Pour
Quentin Van Enis, l’objectif est de garantir une certaine contradiction dans les
débats. Jean-Jacques Jespers estime que toute personne, physique ou morale,
qui a été diffamée ou citée de manière problématique doit avoir le droit de
réagir. Aux yeux de Benoît Frydman, le droit de réponse présente l’avantage
d’alimenter le débat et d’éviter une intervention des pouvoirs publics ou une
quelconque censure. Pour Jean-François Dumont, reconnaître ses erreurs
revient à défendre l’honneur de la profession journalistique. Philippe
Nothomb affirme, d’ailleurs, qu’aucun journaliste ne s’oppose généralement
à la publication d’un droit de réponse.
Des différentes auditions émerge donc un large consensus au sujet de la
reconfiguration du droit de réponse qui devrait prévoir différentes modalités
d’application selon le type de média, s’aligner sur le modèle en vigueur dans
l’audiovisuel et utiliser l’Internet comme support privilégié.
-
-
-
Martine Simonis constate que la tendance est à l’alignement du droit
de réponse de l’écrit sur le modèle audiovisuel. Pour Simon-Pierre
De Coster, Laurence Vandenbroucke (RTL), Marc de Haan et PierreArnaud Perrouty, ce régime est à privilégier car il présente l’avantage
d’être plus précis ; la juge Sophie Annaert estime que le régime en
vigueur pour le secteur audiovisuel est plus clair et permet donc à
l’appareil judiciaire de donner des suites plus rapides aux demandes
de droit de réponse.
Plusieurs acteurs font remarquer que l’uniformisation du droit de
réponse pour tous les médias ne peut être totale, vu les spécificités
techniques de chaque support. Simon-Pierre De Coster note qu’en
radio et en télévision, la diffusion intégrale d’une réponse de deux
à trois minutes (qui est la durée maximale prévue par la loi) peut
être contre-productive et disproportionnée. Vincent Genot plaide
également pour une adaptation du droit de réponse en fonction du
support dans la mesure où une formule imposée à la presse papier
(comme la publication d’un droit de réponse en « une » du journal)
n’est pas applicable pour la presse numérique. L’obligation de publier
un correctif sur la page d’accueil d’un site pendant plusieurs jours
s’avère, en tout cas, disproportionnée.
Pour Olivier Basile, la question de la proportionnalité pourrait
d’ailleurs être résolue grâce au numérique qui permet de publier
des contenus plus longs que le papier ou l’audiovisuel et de relier
Atelier 3 : « liberté d’expression »
251
aisément la réponse à l’article initial. Quentin Van Enis signale
qu’une recommandation du Comité des ministres du Conseil de
l’Europe a invité, en 2004, chaque État membre à mettre en œuvre
un droit de réponse en ligne.
Plusieurs intervenants expriment une certaine réticence face à une éventuelle
législation en matière de « droit de communication ». Simon-Pierre De
Coster se dit tout à fait défavorable à l’adoption du système en vigueur en
Flandre. Celui-ci octroie un droit de communication pour une personne
citée comme inculpée dans une procédure judiciaire et qui bénéficierait
ultérieurement d’un non-lieu ou d’un acquittement. Si la personne mise en
cause peut avertir les médias de son acquittement ou de son non-lieu, il est
impérieux de laisser aux journalistes la liberté de décider de relayer ou non
cette information, en fonction de sa valeur informative pour le public. Ce sont
les rédactions qui doivent rester souveraines en matière de choix éditorial ;
le droit de communication ne peut être mis en place sous seul prétexte
que l’Internet fournirait la place nécessaire pour le systématiser. Philippe
Nothomb, Stéphane Rosenblatt et Laurence Vandenbroucke estiment, eux
aussi, qu’idéalement, le suivi d’une information devrait ne pas dépendre
de l’initiative des personnes concernées mais relever de la responsabilité
du journaliste. Face à des demandes qui proviendraient de particuliers ou
de leurs avocats, les représentants des JFB et de RTL considèrent que la
meilleure réponse réside dans l’autorégulation de la part des journalistes et
des éditeurs et donc dans l’examen de chaque cas pris isolément200.
Philippe Nothomb reconnaît toutefois que le droit de communication peut
fournir une réponse intéressante face au manque de suivi de certaines
informations (quand les médias relayent, par exemple, une affaire judiciaire
au moment où elle éclate mais diffusent moins d’informations relatives à
la clôture de cette affaire ; le problème est d’autant plus problématique
lorsque les plaintes et inculpations ont finalement été rejetées). Le droit de
communication permet d’ajouter les éléments manquants et de donner ainsi
une information complète. C’est justement dans une logique d’autorégulation
que les JFB viennent d’instaurer un système en matière de droits de
rectification et de communication numériques201 afin d’établir un équilibre
Laurence Vandenbroucke estime qu’il n’y pas plus de dix plaintes par an pour demande de
rectification, de droit de réponse ou de droit à l’image. Jamais encore, RTL n’a reçu de plainte
pour atteinte à l’honneur.
201
Voir les différentes dispositions présentées, de manière détaillée, dans le document des JFB
accessible sur http://egmedia.pcf.be.
200
252
Chapitre 3
entre liberté d’expression et protection de la vie privée, qui est d’ailleurs
soutenu par l’AJP. Le premier est utilisé en cas d’inexactitude factuelle ; le
second vise à compléter une information judiciaire suite à un acquittement
ou à un non-lieu.
-
-
Le droit de rectification est un droit qui appartient à toute personne
physique nommée ou identifiable, ayant un intérêt judiciaire de
demander la publication gratuite en ligne d’un article rectifiant les
données erronées publiées en ligne par un titre de presse écrite, si
cette rectification n’a pas été apportée par la publication elle-même.
Techniquement, la rectification est liée à l’article initial et est limitée
à mille signes typographiques, droit successible, rédigé dans la
même langue que le journal. L’éditeur publie la rectification dans les
quatorze jours ou lors de la première mise à jour ou publication en
ligne. Le droit n’est pas limité dans le temps.
Le droit de communication implique que « toute personne physique
ou morale, nominativement désignée ou identifiable comme étant
inculpée, prévenue ou accusée dans une publication en ligne d’un
titre de presse écrite, a le droit de demander l’insertion gratuite d’une
communication en cas de décision de non-lieu, d’acquittement, de
rétractation, de révision, de réhabilitation, de grâce, d’amnistie ou
de remise en liberté passée en force de chose jugée, ou d’une décision
étrangère ayant les mêmes effets ». Là aussi, la communication est
limitée à mille signes et doit être formulée dans la même langue
que l’article. Le demandeur doit joindre des éléments d’identité
permettant un contrôle ainsi que la décision judiciaire qui est l’objet
de la communication. Pour le moment, ce droit de communication
électronique est limité dans le temps, la demande doit être introduite
dans un délai d’un an à dater de la décision judiciaire (même si dans
la pratique les éditeurs font preuve d’une certaine souplesse).
À l’heure actuelle, les signataires de cette recommandation proposée par les
JFB (parmi lesquels le Persgroep, Corelio, les groupes Rossel et IPM) sont
d’ores et déjà tenus de la mettre en application. Philippe Nothomb signale
que ce système doit être testé, systématisé et mieux connu du public avant
que l’on puisse envisager de légiférer en cette matière.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
253
RECOMMANDATIONS
1° Uniformisation du droit de réponse
Un consensus se dégage sur la nécessité d’uniformiser le droit de
réponse, quel que soit le média concerné (presse écrite, audiovisuelle
ou médias électroniques), et de rendre plus effectif son rôle de garantie
du débat contradictoire. Le droit de réponse devrait se situer dans un
éventail de mesures à disposition des personnes citées par la presse
pour faire entendre leur voix, mesures dont la mise en œuvre, pour
des raisons de facilité, devrait répondre à des modalités similaires.
Ces différentes voies d’actions seraient :
-
-
-
un droit de réponse sous forme de droit de rectification : ce droit
appartiendrait à toute personne physique ou morale identifiée ou
identifiable, et viserait à demander la publication ou l’insertion
gratuite d’une rectification en cas de données erronées publiées
par un média à son propos ou d’atteinte à son honneur. Le droit
de réponse ainsi reformulé s’alignerait sur le régime existant en
matière d’audiovisuel.
un droit de communication : ce droit appartiendrait à toute
personne physique ou morale dont l’inculpation, la prévention,
l’accusation ou la condamnation a été rapportée par un média, et
viserait à demander la publication ou l’insertion gratuite d’une
communication en cas de décision de non-lieu, acquittement,
révision, grâce, amnistie ou remise en liberté.
un droit à l’oubli soigneusement encadré (voir à ce sujet le
point 7).
Les conditions de recevabilité de la réponse ou de la communication,
les motifs de refus de l’insertion demandée, les délais d’exercice du
droit de rectification et du droit de communication, devraient être
précisés et uniformisés, quel que soit le média concerné.
2° Utilisation du média numérique
Les spécificités de chaque support empêchent une uniformisation
complète de l’exercice de chacun de ces droits (rectification,
254
Chapitre 3
communication, oubli). Toutefois, il pourrait être fait utilement usage
du développement des médias numériques qui accompagnent de
manière croissante tous les médias, quels qu’ils soient (sites web des
journaux de la presse écrite, des organismes audiovisuels et médias
uniquement numériques). L’insertion d’une rectification ou d’une
communication pourrait ainsi satisfaire aux conditions requises
lorsqu’elle se réalise sur le site web du média concerné d’une manière
visible et en lien avec l’information publiée ou diffusée. Ce n’est qu’en
cas de publication ou diffusion sans mise en ligne que la rectification
ou la communication devra se faire dans le média d’origine selon les
modalités prévues à l’heure actuelle.
La préférence donnée au média numérique se justifie par la connectivité
croissante des lecteurs et téléspectateurs à internet. Ces rectifications
et communications auraient en outre un effet multiplicateur sur la
version Internet des informations concernées, dans la mesure où
la réplique ou réaction de la personne concernée accompagnera les
informations d’origine même dans les référencements des moteurs de
recherche qui sont susceptibles d’amplifier la diffusion de données que
la personne entend rectifier ou compléter. Enfin, une telle publication
en ligne permettrait de s’adapter à la convergence croissante des
médias qui ne permettra bientôt plus à l’utilisateur de distinguer
presse écrite, audiovisuelle ou pages Internet, auxquels il accédera de
manière indifférenciée par sa télévision, son ordinateur, son téléphone
ou sa tablette.
La Belgique répondrait ainsi à la Recommandation du Comité des
ministres du Conseil de l’Europe de 2004 qui préconisait un droit de
réponse en ligne (Conseil de l’Europe, Rec. (2004)16 du Comité des
ministres aux États membres sur le droit de réponse dans le nouvel
environnement des médias, adoptée le 15 décembre 2004).
3° Dépénalisation du droit de réponse
Il existe un large consensus sur la nécessité de dépénaliser le droit
de réponse et de réserver les sanctions d’un refus injustifié du média
d’insérer la rectification ou la communication au champ de la
responsabilité civile.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
255
2.6. Du secret des sources
Questions
2.6.1
Le système mis en place par la loi du 7 avril 2005 donne-t-il
satisfaction ?
2.6.2
Les règles en matière de méthodes de recherche particulières sontelles compatibles avec une véritable protection des sources ?
Tel qu’il a été instauré en Belgique par la loi du 7 avril 2005, le système du
secret des sources satisfait largement Martine Simonis, Jean-Pierre Jacqmin
(RTBF), Philippe Nothomb, Laurence Vandenbroucke, Jean-Jacques Jespers
et Olivier Basile. Jean-Pierre Jacqmin estime que le secret des sources est
essentiel dans une société démocratique pour favoriser la liberté de la presse,
le droit d’être informé et le devoir d’informer. Toute restriction autre que
celle fixée expressément dans la loi sur la protection des sources serait
contraire à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme202.
Martine Simonis affirme que la législation belge en matière de protection de
sources est souvent citée en exemple en Europe car elle constitue une « loi
de pacification » qui a permis de mettre fin aux perquisitions, aux écoutes
téléphoniques et aux saisies à l’égard des journalistes et des rédactions.
Philippe Nothomb estime que le secret des sources est un droit qui n’est
jamais totalement acquis. Laurence Vandenbroucke abonde dans ce sens en
constatant que les journalistes et les éditeurs doivent souvent résister à de
très fortes pressions de la part d’autorités judiciaires pour défendre le secret
absolu des sources (surtout en ce qui concerne l’accès aux images).
Martine Simonis, Olivier Basile, Pierre-Arnaud Perrouty et Jean-Jacques
Jespers soulignent la nécessité de rester vigilants vis-à-vis de dispositions
légales susceptibles de menacer le secret des sources et de restreindre le
champ d’application de la loi du 7 avril 2005.
-
En principe, la loi sur les méthodes particulières de recherche (MPR)
de 2005 ne peut pas porter atteinte au principe du secret des sources ;
202
La loi du 7 avril 2005 stipule que seul un juge d’instruction peut être autorisé à poser des
questions sur l’origine des sources à la condition expresse qu’il y ait menace d’atteinte à l’intégrité
physique d’une personne.
256
Chapitre 3
-
-
203
la loi relative à ce dernier a d’ailleurs été modifiée en avril 2006 afin
d’établir sa prévalence sur de telles méthodes d’investigation (dont
l’utilisation doit être approuvée par trois magistrats et par l’AGJPB203).
Pour Olivier Basile, ces méthodes sont en soi incompatibles avec le
principe du secret des sources ; il apparaît dès lors impératif de former
les journalistes au cryptage de données afin de défendre le secret
de leurs sources. Martine Simonis exprime une certaine inquiétude
vis-à-vis de l’interprétation de la loi sur les MPR par l’arrêt de la
Cour de cassation du 6 février 2008. Cette dernière a estimé que des
méthodes particulières de recherche pouvaient être mises en œuvre
à l’égard des personnes qui avaient informé des journalistes et s’est
donc écartée, selon Martine Simonis, de l’esprit de la loi de 2005
qui vise à protéger non seulement les journalistes mais aussi leurs
informateurs.
Une deuxième difficulté réside dans le caractère restrictif de la loi
sur les méthodes de recueil de données (de 2010) qui ne prévoit de
protection particulière que pour les avocats, les médecins et les
journalistes, à la condition que ces derniers soient agréés. De ce point
de vue, cette loi se démarque de l’arrêt de la Cour d’arbitrage qui, en
2006, a élargi la protection du secret des sources à toute personne
diffusant de l’information. Par ailleurs, la loi de 2010 prévoit que
le président de l’AGJPB soit informé de mesures mises en œuvre à
l’égard de journalistes professionnels mais que celui-ci ne puisse rien
divulguer sous peine de sanctions pénales ; ce qui crée, selon Martine
Simonis, un regrettable manque de transparence. Outre la limitation
de la loi aux seuls journalistes professionnels, Pierre-Arnaud Perrouty
décèle, lui aussi, des tensions entre le secret des sources et les méthodes
de recueil de données : d’une part, la loi de 2010 donne une définition
élargie de l’espionnage (en tant que « recueil ou livraison d’informations
non-accessibles au public ») qui fait donc entrer certaines activités
journalistiques dans son champ d’application ; d’autre part, la
Cour constitutionnelle a annulé la disposition légale qui permettait
– après un délai de carence de cinq ans et dans certaines conditions –
d’informer une personne du fait qu’elle avait été surveillée et de ce que
sont advenues les informations recueillies.
Jean-Jacques Jespers ajoute que la directive européenne sur la rétention
des données (qui aurait déjà dû être transposée en Belgique pour 2009)
pourrait également restreindre la portée de la législation belge.
Il s’agit de l’Association Générale des Journalistes Professionnels.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
257
Sans remettre en cause le bien-fondé de la loi sur le secret des sources,
Quentin Van Enis se demande, pour sa part, si la loi de 2005, en ne prévoyant
qu’une seule exception (en l’occurrence, la prévention des infractions portant
gravement atteinte à l’intégrité physique), ménage un équilibre satisfaisant
entre la protection des sources et d’autres intérêts (comme la prévention de la
torture et des traitements inhumains et dégradants). Le chercheur du CRIDS
estime, par ailleurs, qu’il serait pertinent, afin de renforcer la portée de la loi,
de prévoir une sanction procédurale qui pourrait écarter du débat judiciaire
les preuves recueillies illégalement (en violation, par exemple, du principe du
secret des sources).
Enfin, Jean-Marc Meilleur estime que la loi sur le secret des sources donne
lieu à des situations problématiques. Selon le magistrat de presse, il arrive
fréquemment que des journalistes obtiennent des informations auprès
d’une personne qui viole le secret professionnel. Dans ces cas, il importe
de pouvoir poursuivre non pas le journaliste qui agit selon sa conscience et
sa déontologie mais la personne qui a violé son secret professionnel, qu’il
s’agisse d’un policier, d’un expert ou d’un magistrat. Or, selon Jean-Marc
Meilleur, cet informateur n’est identifiable que grâce au journaliste qui, en
principe, ne peut dévoiler ses sources204. Dans cette perspective, Jean-Marc
Meilleur suggère d’ajouter, dans la loi sur le secret des sources, que ce dernier
serait garanti à condition que la presse ait joué, dans le cadre de l’affaire
concernée, son rôle de « chien de garde de la démocratie ». Dans les autres
cas, il devrait être possible de lever le secret des sources afin de sanctionner la
violation du secret professionnel. À ce sujet, Quentin Van Enis fait remarquer
que, dans la jurisprudence de la CEDH, la notion de « chien de garde de la
démocratie » justifie le secret des sources plus qu’elle ne le conditionne, car
il s’agit d’un principe de protection de l’ensemble d’une profession et de ses
relations avec ses informateurs. Pour Jean-François Dumont, cette notion
souffre d’un manque de clarté et constitue un risque pour la protection du
secret des sources. Le secrétaire-général adjoint de l’AJP craint par-là même
un retour aux pratiques autoritaires et au contrôle des journalistes, comme
en France où l’on confie à un juge le pouvoir de décider s’il existe un intérêt
prépondérant à lever le secret des sources, ce qu’il fait presque toujours.
204
Cette préoccupation semble être partagée par d’autres parquets. Voy. à cet égard le discours
de rentrée, intitulé « De vierde macht », prononcé le 3 septembre 2012 par le Procureur général
Y. Liégeois, devant la cour d’appel d’Anvers, très critique à l’égard de la loi actuelle.
258
Chapitre 3
RECOMMANDATIONS
1° Pas de modification de la législation actuelle
La loi sur le secret des sources du 7 avril 2005, telle que modifiée
par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 juin 2006, ne doit pas
être modifiée. Il s’agit d’une législation répondant parfaitement
aux nécessités du respect du secret des sources d’information, citée
souvent en exemple et inspirant directement la législation d’autres
pays, dont notamment le projet de réforme en France. Depuis son
entrée en vigueur, cette loi n’a pas posé d’autres problèmes que de
rendre sans doute plus difficile l’identification des auteurs des fuites
en direction de la presse. C’était précisément l’un de ses objectifs : les
sources d’informations savent dorénavant qu’elles ne pourront pas
être identifiées par des investigations à charge du journaliste.
2° Identification des auteurs des fuites
Les objections soulevées par le représentant du parquet de Bruxelles,
concernant la quasi-impossibilité, depuis l’entrée en vigueur de la loi
nouvelle, d’identifier l’auteur de la violation du secret de l’instruction,
ne peuvent conduire à une autre conclusion. Au contraire, il est
heureux de constater que les enquêtes sur les fuites en direction de la
presse ne peuvent plus être dirigées contre les journalistes dans le seul
but d’identifier l’auteur de la fuite.
Ce problème doit être traité autrement. Il convient d’abord que les
autorités judiciaires exercent un meilleur contrôle (voire une meilleure
sélection) sur les personnes participant aux enquêtes (magistrats,
greffiers, enquêteurs, personnels des greffes et des parquets) afin
d’éviter, en amont, la violation du secret de l’instruction. Celle-ci
semble toutefois tellement étendue qu’elle oblige de s’interroger sur les
restrictions apportées aux communications à la presse, par les autorités,
à propos des procédures en cours. On doit en effet se demander si ce
n’est pas une conception trop étroite du principe du secret des enquêtes
qui génère de telles violations du principe. Dans ces conditions, il
est recommandé de revoir les règles en matière de communication
d’informations sur les enquêtes en cours par les autorités chargées de
Atelier 3 : « liberté d’expression »
259
ces enquêtes. L’article 57, § 3, du Code d’instruction criminelle
devrait être revu dans le sens d’un élargissement des pouvoirs des
parquets205.
3° Méthode de recueil de données
Par contre, l’état actuel de la législation concernant les méthodes de
recueil de données par les services de renseignement et de sécurité
pose un réel problème au regard de la loi sur le secret des sources.
En effet, la loi du 10 mars 2010 ne prévoit un régime dérogatoire aux
pouvoirs des enquêteurs qu’en faveur des journalistes « admis à porter
le titre de journalistes professionnels », ce qui est incompatible avec
les principes qui ont conduit la Cour constitutionnelle à annuler en
partie la loi sur le secret des sources, précisément parce qu’elle limitait
le bénéfice de celui-ci aux seuls journalistes professionnels (« soit toute
personne qui, dans le cadre d’un travail indépendant ou salarié, ainsi
que toute personne morale, contribue régulièrement et directement à
la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations,
par le biais d’un média, au profit du public »). Par ailleurs, le champ
d’application des exceptions prévues à l’interdiction d’exploiter des
données protégées par le secret des sources est lui-même incompatible,
par son étendue, avec la seule restriction prévue par l’article 4 de la loi
sur le secret des sources. Il est recommandé de revoir strictement la
loi du 10 mars 2010 afin de garantir sa compatibilité avec les principes
fixés dans la loi du 7 avril 2005 sur le secret des sources.
205
Voy. sur cette question, infra, les commentaires développés sous le point 10.2.
260
Chapitre 3
2.7. Des archives de la presse et du droit à l’oubli
Questions
2.7.1
Quel régime faut-il appliquer aux archives de la presse
(accessibles sur le Web) ? Effacement, rectification, avis ?
2.7.2 Faut-il mettre en place les conditions d’un « droit à l’oubli »
pour les personnes citées dans la presse ? De façon générale ou
spécifiquement lorsque les informations diffusées à leur égard
se révèlent ensuite inexactes ?
2.7.1. Une large opposition au principe généralisé d’un droit à l’oubli
médiatique
Stéphane Hoebeke, Marc de Haan, Olivier Basile, Philippe Nothomb et
Benoît Frydman s’opposent catégoriquement à l’automatisation du « droit à
l’oubli » s’il implique une atteinte à l’intégrité des archives de la presse. Selon
les termes de Benoît Frydman, la proposition d’éventuels effacements dans
les archives doit être rejetée puisqu’elle revient à exercer a posteriori une
police des contenus qui s’apparente à une réécriture de l’histoire. Stéphane
Hoebeke et Marc de Haan estiment que, dans un contexte démocratique,
les archives de la presse sont des éléments essentiels à la fois pour la liberté
d’expression, pour le droit à l’information et pour le devoir de mémoire. Les
récentes campagnes de numérisation de la presse quotidienne et des archives
audiovisuelles attestent en elles-mêmes de l’importance sociétale que revêt
la conservation des archives. Philippe Nothomb signale que, chez Rossel,
une logique de préservation des archives a amené à constituer des banques
de données « inviolables » qui permettent d’ajouter des contenus mais qui
empêchent d’en supprimer ou d’en modifier. Le porte-parole des JFB décèle,
par ailleurs, deux dangers à l’application du droit à l’oubli : le révisionnisme
(en contradiction avec le devoir de mémoire qui incombe à la presse) et le
retour à la censure (dans la mesure où des journalistes seraient amenés à
éviter d’intégrer des données personnelles, partant du fait qu’ils seront un
jour obligés de les retirer). Simon-Pierre De Coster ajoute que l’accès à des
archives préservées dans leur intégralité est une condition d’existence du droit
d’enquêter librement. Élise Defreyne (CRIDS) souligne qu’une distinction
Atelier 3 : « liberté d’expression »
261
fondamentale doit être établie entre la conservation et la numérisation des
archives, d’une part, et la publication de celles-ci, d’autre part.
Alain Strowel et Jean-Jacques Jespers précisent que le droit à l’oubli est
déjà indirectement consacré par la jurisprudence belge puisqu’il fait partie
intégrante du droit à la vie privée (garanti par l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme). Le droit à l’oubli pourrait bientôt être
plus clairement défini, puisque le projet de révision de la directive européenne
relative à la protection des données personnelles évoque explicitement cette
notion206. Au nom de la Ligue des droits de l’homme, Pierre-Arnaud Perrouty
considère que toute personne a un droit à l’oubli vis-à-vis de la société dans
le sens où le droit pénal prévoit que la personne qui a commis une infraction
peut être réhabilitée à partir du moment où elle a purgé sa peine.
Doivent ainsi être mis en balance le droit (du public) à l’information et le
droit (de la personne) à la vie privée. Stéphane Hoebeke et Marc de Haan
estiment que, conformément à l’avis du CSA du 9 juin 2009207, c’est l’intérêt
public qui doit primer sur les droits privés. C’est également dans ce sens que
s’est prononcé le président du tribunal de première instance de Bruxelles
qui, dans un jugement rendu le 9 octobre 2012, a statué que « la loi sur la
protection des données à caractère personnel ne pouvait imposer aux sites de
presse en ligne d’anonymiser leurs archives publiques »208 , que les archives
de la presse constituent un traitement journalistique et qu’elles échappent, de
ce fait, aux prescrits principaux de la loi (sur la protection de la vie privée) du
8 décembre 1992 au sujet des traitements de données à caractère personnel.
Jean-Jacques Jespers ajoute que l’arbitrage face à des demandes d’effacement
de données personnelles doit, avant tout, prendre en considération l’intérêt
du public pour l’information concernée mais ne peut pas ignorer le fait que
certains contenus entravent la réinsertion d’une personne dans la société.
La situation est plus claire quand il s’agit d’un personnage historique ou
public : dans ce cas, l’intérêt général doit primer sur l’intérêt individuel et ne
disparaît pas avec le temps.
Voir http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-46_fr.htm?locale=en, consulté le 20 mars
2013.
207
Avis relatif à la mise à disposition du public d’archives audiovisuelles liées à l’actualité (droit à
l’image, droit à l’oubli, droit à l’information), accessible sur www.csa.be/system/documents_files/1020/original/CAV_20090609_droit_image.pdf?1299596348, consulté le 10 mars 2013.
208
Voir l’article d’Élise Defreyne et de Quentin Van Enis relatif à ce jugement, sur http://e-watchdog.overblog.com/la-loi-belge-sur-la-protection-des-donnees-a-caractere-personnel-et-lanonymisation-des-archives-de-presse-en-ligne, consulté le 20 mars 2013.
206
262
Chapitre 3
2.7.2. Des pratiques plus complexes et plus diversifiées
Philippe Nothomb, Laurence Vandenbroucke, Stéphane Hoebeke et
Martine Simonis estiment que l’effacement de contenus ne peut être
envisagé qu’à titre tout à fait exceptionnel, après un examen minutieux
de l’ensemble du dossier. Pour Alain Strowel, le droit à l’oubli devrait être
conçu de manière extrêmement restrictive et peut-être limité au rappel des
faits judiciaires. Stéphane Hoebeke souligne, pour sa part, les obstacles
matériels et financiers au floutage et au gommage de documents écrits ou
audiovisuels. Quentin Van Enis, Stéphane Hoebeke, Marc de Haan, Philippe
Nothomb et Laurence Vandenbroucke privilégient à la logique d’effacement
l’ajout d’informations qui permettent de compléter ou de contextualiser les
données précédemment diffusées, de préserver l’intégrité des archives et
de respecter le droit à l’information. Jacques Englebert fait remarquer qu’il
s’agit alors d’un droit de rectification (voir le point 5) et non véritablement de
droit à l’oubli. Il ajoute que la rectification n’équivaut pas nécessairement à la
réparation. En effet, relayer la décision d’un acquittement revient à évoquer
une nouvelle fois, des années plus tard, les accusations qui ont nui aux
personnes incriminées et donc à aggraver ce préjudice. À partir du moment
où on couvre des procédures en cours (ce qui est, selon la jurisprudence
de la CEDH, une des missions de la presse), on relaye inévitablement des
accusations qui pourront être finalement jugées infondées. Lors de procès
au civil, de nombreux juges refusent, dans la même logique, la demande des
plaignants de faire publier le jugement qui condamne le journaliste, étant
donné que cette mesure n’est pas de nature à réparer le dommage. François
Jongen estime, pour sa part, qu’il faut reconnaître le droit à l’oubli, non via
l’effacement d’archives ni via des possibilités de rectification ou d’avis, mais
via une anonymisation de certaines informations ou via des balises de nonindexation.
En 2009 sont apparues les premières sociétés de défense de réputation qui
ont pour objectif d’élaguer et de nettoyer les données de leurs clients sur
l’Internet209. De manière concomitante à ce phénomène, les médias ont
reçu un nombre croissant de demandes d’effacement qui correspondent
tantôt à des demandes légitimes (notamment en rapport avec la divulgation
d’un passé judiciaire qui empêche l’insertion sociale ou professionnelle de
Jean-Jacques Jespers fait remarquer que le recours à ces sociétés entraîne des coûts considérables et crée donc une véritable fracture économique dans le domaine du droit à l’oubli.
209
Atelier 3 : « liberté d’expression »
263
la personne concernée210) tantôt à des démarches plus contestables (qu’il
s’agisse de révisionnisme, d’aménagement de biographie ou de règlement de
compte). Selon l’AJP qui elle-même se base sur les dires des JFB, un millier
de demandes de rectification ou de modification seraient actuellement en
cours de traitement de la part des éditeurs de presse écrite.
Contrairement à François Jongen pour qui l’anonymisation de certaines
données doit être laissée à l’appréciation d’un juge, Philippe Nothomb,
Martine Simonis, Laurence Vandenbroucke et Stéphane Rosenblatt estiment
qu’une telle décision relève de l’autorégulation journalistique et ne peut
donc pas faire l’objet d’une disposition réglementaire générale. Il revient aux
éditeurs de juger de l’équilibre à établir entre protection de la vie privée et droit
à l’information, via la suppression, l’anonymisation ou le déréférencement
de contenus litigieux. Cette prise de position correspond à ce qui passe déjà
sur le terrain puisque les éditeurs de presse sont régulièrement amenés à
évaluer, au cas par cas, la légitimité des demandes et procèdent parfois à
l’effacement de contenus sur l’Internet (tout en se gardant de porter atteinte
aux archives qui restent conservées dans leur intégralité). Ainsi, Vincent
Genot a exceptionnellement supprimé des articles qui nuisaient à certaines
personnes ; Philippe Nothomb constate qu’il n’est pas toujours aisé d’évaluer
le préjudice puisque les plaignants évoquent, non pas la perte d’un emploi,
mais la difficulté d’en décrocher un. Si la demande est jugée recevable (au
terme d’une médiation idéalement encadrée par la Commission de la vie
privée), les éditeurs de presse écrite acceptent d’anonymiser des noms,
alors réduits à des initiales. Stéphane Rosenblatt témoigne qu’à la suite de
demandes motivées et justifiées, RTL a déjà jugé utile de retirer des contenus
qui concernaient des condamnations, des acquittements en appel ou des
affaires qui ont eu un grand retentissement. Là aussi, il ne s’agit pas de
détruire des archives mais de ne plus diffuser ces informations à la télévision,
à la radio ou via l’Internet.
Comme le font remarquer Pierre-Arnaud Perrouty et Philippe Nothomb, les
plaintes liées au droit à l’oubli portent moins sur les contenus diffusés que
sur leur degré de visibilité, désormais offert par l’Internet 211. Pour Philippe
Philippe Nothomb affirme que la moitié des demandes de suppression ou de modification de
contenus est liée à la question de l’emploi. Pour Stéphane Hoebeke, un employeur qui base un
engagement seulement sur des données électroniques commet une faute déontologique.
211
Selon Philippe Nothomb, 98% des demandes portent sur la suppression d’un lien plutôt que
sur la modification d’un texte – à l’exception d’une anonymisation des noms par l’usage des
initiales.
210
264
Chapitre 3
Nothomb, il reviendrait donc aux moteurs de recherche d’assumer leur
responsabilité en la matière212 . Quentin Van Enis note que, dans ce domaine,
la jurisprudence va plutôt dans le sens de l’irresponsabilité des moteurs de
recherche, comme Google, qui ne font que référencer des contenus existants
et accessibles par d’autres voies. Philippe Nothomb rappelle que la loi du
11 mars 2003 (relative aux services de la société de l’information) statue
que les moteurs de recherche ne sont pas responsables des contenus qu’ils
intègrent sauf lorsqu’ils ont connaissance d’une demande de retrait. (Yahoo
et Altavista ont d’ailleurs créé des commissions chargées d’examiner ces
demandes). Jean-Jacques Jespers et Martine Simonis estiment que les éditeurs
de presse sont les acteurs qui ont le plus de légitimité pour anonymiser des
contenus ou retirer des liens sur l’Internet. Il apparaît, en effet, dangereux de
confier le déréférencement d’articles à des sociétés privées, comme Google,
qui se verraient dès lors indûment investies du rôle de définir les limites
de la liberté d’expression213. Jean-Jacques Jespers ajoute que, si les éditeurs
n’accèdent pas à la demande d’un plaignant, celui-ci peut alors légitimement
faire valoir ses droits au respect de la vie privée et à la protection de ses
données personnelles devant la justice (qui pourrait ensuite contraindre les
moteurs de recherche à déréférencer ces contenus).
RECOMMANDATIONS
1° « Droit à l’oubli »
La question d’un « droit à l’oubli » impose de concilier le droit du public
à l’information, la liberté de la presse, le droit de la personne sur ses
données personnelles et l’intérêt public d’une conservation des archives
médiatiques à des fins de recherche et de mémoire historique.
La situation actuelle permet déjà aux personnes physiques, sur base
de la loi sur la protection de la vie privée à l’égard des traitements de
données à caractère personnel de demander l’effacement des données
Élise Defreyne et Philippe Nothomb font également remarquer qu’une part de responsabilité
revient aux citoyens qui publient sur l’Internet des données personnelles, jugées a posteriori préjudiciables par les mêmes personnes.
213
Pierre-Arnaud Perrouty décèle également le problème contraire, en l’occurrence, la censure
trop rapide de certains opérateurs privés (comme Facebook) à l’encontre de contenus jugés choquants (comme la toile « L’origine du monde » de Courbet abruptement retirée des pages du
réseau social).
212
Atelier 3 : « liberté d’expression »
265
les concernant sur base de leur droit d’opposition au traitement de
ces données. Toutefois la personne doit invoquer une « justification
légitime et prépondérante ». L’effacement ou l’anonymisation des
données dont la subsistance sur Internet cause un dommage à la
personne relève donc de la discrétion de l’éditeur du média.
Un projet de règlement européen renforçant la protection des données
personnelles entend renverser la charge de la preuve en donnant
un droit à l’oubli aux personnes qui invoqueraient une « raison
personnelle », à charge pour les éditeurs des publications concernées
de justifier d’une « raison légitime et prépondérante » pour refuser cet
effacement ou cette anonymisation.
Les experts estiment toutefois que si une modification législative devait
intervenir en ce sens, cela ne changera pas la pratique des éditeurs qui
examinent déjà au cas par cas les demandes qui leur sont adressées,
mais les obligera à justifier d’un motif de refus. Ils recommandent que
ces motifs de refus soient précisés par la loi (par exemple, la valeur
informative encore actuelle des faits concernés, l’intérêt historique des
faits concernés, le lien que ces faits entretiennent avec l’exercice d’une
activité publique par un personnage public, l’absence de dommage
dans le chef du demandeur, l’intérêt public, etc.).
Cette analyse au cas par cas devrait être maintenue, dans le cadre du
futur règlement européen sur la protection des données personnelles,
sans qu’un droit à l’oubli systématique ne soit imposé aux médias.
2° Archives de presse non modifiées
En toute hypothèse, il doit être recommandé de préserver des archives
des médias complètes et auxquelles ne s’appliquerait aucun « droit à
l’oubli ». Ces archives à valeur documentaire ne seraient toutefois
accessibles au public qu’à des fins de recherche.
3° Déréférencement auprès des moteurs de recherche
Il n’est pas recommandé de permettre aux personnes d’agir auprès des
moteurs de recherche pour demander le déréférencement des articles
266
Chapitre 3
concernés, sous peine de voir les moteurs de recherche, par crainte
d’une mise en cause de leur responsabilité, procéder à de la censure
excessive (« chilling effect »). Ceci n’empêche pas que les moteurs de
recherche puissent être astreints à ne plus référencer une information
qui n’est plus accessible sur le site du média, suite à l’application d’un
« droit à l’oubli » par l’éditeur de ce média.
2.8. De la déontologie et de l’autorégulation
Questions
2.8.1
Quel bilan, au regard des attentes, peut-on faire des
trois premières années de fonctionnement du Conseil de
déontologie journalistique ?
2.8.2
Faut-il étendre ses pouvoirs au-delà des simples avis et des
recommandations ?
Créé en décembre 2009, le Conseil de Déontologie Journalistique (CDJ) assoit
sa légitimité sur base de décrets214, bénéficie d’un financement garanti215 et
présente la particularité de compter à la fois des journalistes, des éditeurs et
des personnes issues de la société civile216. Les principales missions du CDJ
sont de dire la déontologie, de l’adapter à l’évolution du contexte médiatique
214
En plus du décret du 30 avril 2009 qui fixe les missions et le budget du CDJ, d’autres décrets
donnent une assise importante à cette instance. C’est, en effet, par décret que la RTBF, les télévisions locales, les radios et les éditeurs télévisuels privés sont obligés de faire partie du CDJ. Pour
recevoir les aides à la presse, les éditeurs de presse écrite se voient également contraints d’appartenir au CDJ. Ces dispositions (auxquelles s’ajoute le fait que l’AJP demande à chaque nouveau
journaliste agréé de signer un engagement à respecter les codes actuels et les décisions du CDJ)
donnent à l’organe d’autorégulation une assise et une légitimité appréciables.
215
Pierre-François Docquir rappelle qu’une des recommandations du programme Mediadem est
de « soutenir l’autorégulation en matière d’éthique journalistique ». En ce sens, il convient de
garantir un financement équilibré et pérenne pour le développement de l’autorégulation et de la
déontologie journalistique qui doit se développer vers les médias en ligne, de façon à garantir la
qualité des contenus produits par des journalistes ou par des utilisateurs.
216
Il compte 40 membres (effectifs et suppléants) répartis en 4 catégories : journalistes, éditeurs,
rédacteurs en chef et personnes issues de la société civile.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
267
et de traiter de cas particuliers via des plaintes, médiations ou demandes
d’intervention dans un cours ou d’accompagnement des rédactions dans
leurs questionnements. L’ambition du CDJ est, en d’autres termes, d’instaurer
un dialogue permanent entre normes et pratiques, via des contacts réguliers
avec les journalistes et les éditeurs.
En trois ans, le CDJ a traité 391 interventions, dont 350 concernaient
directement la déontologie des médias217. En l’absence des moyens et des
effectifs qui lui permettraient de faire un monitoring complet et permanent
des médias, le CDJ privilégie le traitement des plaintes extérieures à
l’exercice de l’auto-saisine qui relèverait d’un aperçu forcément incomplet
et donc arbitraire des flux médiatiques. En outre, le CDJ a publié cinq
recommandations importantes (sur la distinction entre publicité et
information, la gestion des forums sur les sites des médias, les bonnes
pratiques journalistiques vis-à-vis des sources, les dispositifs de couverture
des campagnes électorales, l’usage des réseaux sociaux par les journalistes)
et une recommandation sur l’identification des personnes mises en cause
est en préparation, outre le travail de rédaction d’un Code de déontologie,
également en cours, qui devraient aboutir fin 2013. Cette dernière mission
de codification de la déontologie pourrait conduire à la création d’un label
assurant la qualité des médias adhérents.
Enfin, le CDJ travaille en complémentarité avec le CSA : en plus de deux
réunions communes par an, les deux instances publient un rapport conjoint
annuel et traitent ensemble une série de dossiers communs (qui ont trait à la
fois au décret SMA et à des questions de déontologie)218.
2.8.1. Un bilan globalement positif d’une instance qui se défend d’être
corporatiste
Aux yeux de Marc Chamut et d’André Linard, respectivement président et
secrétaire général du CDJ, l’organe d’autorégulation fonctionne bien et est de
plus en plus sollicité : le nombre et la nature des demandes, l’accueil réservé
131 plaintes ont été traitées, dont 68 ont été considérées comme fondées et ont donné lieu à un
avis du CDJ ; 37 demandes de médiation ont été introduites, dont 28 ont abouti, cette fois sans
que leur issue ait été rendue publique. La plupart des plaintes concernent la télévision et, dans une
moindre mesure, la presse écrite et la radio. Les publications numériques ne sont pas très visibles
dans les statistiques du CDJ car elles sont assimilées aux médias, audiovisuels ou imprimés, dont
elles dépendent : en Belgique, très peu de médias n’existent qu’en ligne.
218
L’article 4 du décret du 30 avril 2009 (relatif à la création du CDJ) prévoit les modalités de
renvoi et de traitement des dossiers communs au CDJ et au CSA.
217
268
Chapitre 3
à ses médiations, à ses avis et à ses recommandations témoignent du fait que
le CDJ répond aux attentes du secteur. Martine Simonis considère également
que le bilan du CDJ est positif dans la mesure où il a réussi à regrouper tous
les acteurs de l’information générale et spécialisée et où il a mis en place
des procédures transparentes, rapides et gratuites qui donnent lieu à des
décisions rendues publiques. Globalement, les éditeurs de presse écrite et les
opérateurs télévisuels se disent satisfaits du fonctionnement de l’instance
d’autorégulation. Stéphane Rosenblatt rappelle que RTL est un partenaire
volontaire et proactif du CDJ et estime que celui-ci suscite, par son existence
et sa visibilité, des débats qui n’auraient sans doute pas vu le jour sans lui219.
Pour Marc de Haan, le CDJ constitue une instance particulière où se déroule
un véritable débat paritaire qui permet de faire progresser la compréhension
de l’évolution des médias. Jean-Pierre Jacqmin dresse un bilan plus mitigé
vis-à-vis du CDJ et émet quelques réserves au sujet du fonctionnement de
l’organe d’autorégulation dont le travail de codification a pris un certain
retard et dont les procédures ne permettent pas de débat contradictoire et ne
laissent pas la place nécessaire aux droits de la défense220.
François Jongen, Alain Strowel et François Tulkens formulent quelques
doutes sur l’impartialité relative du CDJ qui, selon eux, représente un peu
trop les intérêts de la profession. Pour François Jongen, le traitement des
plaintes par le CDJ tient plus de l’autodéfense que de l’autorégulation. Nombre
des décisions relèvent d’une logique corporatiste. André Linard répond que
le fait d’être juge et partie est le principe même de l’autorégulation et qu’il
serait fallacieux de conclure à la partialité du CDJ sur la base du nombre de
plaintes jugées non fondées. Marc Chamut ajoute que le CDJ ne se borne pas
à défendre la profession mais protège également la liberté d’expression et la
liberté de la presse. Selon l’AJP, RTL, la RTBF et la FTL, l’autorégulation du
CDJ se caractérise justement par son ouverture puisqu’elle fait intervenir
des journalistes, des éditeurs et des membres de la société civile. Daniel Van
Wylick va jusqu’à déceler une tendance à l’auto-attaque puisque, dans un
RTL dispose, depuis 1987, d’un code de déontologie interne ; les journalistes de la chaîne
luxembourgeoise sont titulaires d’une carte de presse belge ; les différentes sociétés de journalistes autonomes qui travaillent pour RTL sont soumises aux règles et statuts propres aux sociétés
de journalistes indépendantes. À la pluralité d’organes de régulation luxembourgeois, va bientôt
succéder un nouvel organe unique, l’ALIA (autorité luxembourgeoise indépendante de l’audiovisuel), qui facilitera la tâche du plaignant et collaborera de manière plus efficace avec le CSA.
220
Récemment, des questions se sont posées au CDJ à propos des méthodes de recherche d’information préparatoires à la réalisation d’une émission de la RTBF. Jean-Pierre Jacqmin affirme
que la RTBF a été ébranlée par ces débats relatifs à un éventuel contrôle préventif de contenus
médiatiques.
219
Atelier 3 : « liberté d’expression »
269
contexte de concurrence, certaines plaintes sont introduites par un média
vis-à-vis d’un autre. André Linard conclut que le CDJ est conscient de devoir
éviter deux écueils : donner par principe raison au public contre les médias
ou inversement.
2.8.2. L’autorégulation comme alternative à l’intervention judiciaire ?
Selon André Linard, l’autorégulation suscite beaucoup d’attentes parce
qu’elle est perçue comme une bouée de sauvetage, entre le recours à la loi
et la permissivité totale. À l’heure actuelle, le CDJ n’a pas d’autorité sur
l’appréciation des faits comme celle dont dispose un tribunal221 et ne dispose
pas d’un pouvoir contraignant ; les sanctions qu’il prononce ne sont pas
matérielles ou juridiques (comme le retrait de la carte de presse ou le versement
de dommages et intérêts) mais sont d’ordre symbolique puisqu’elles portent
sur l’image et la crédibilité du journaliste ou du média mis en cause : les avis
et les plaintes ont comme objectif d’attirer l’attention des journalistes et des
rédactions sur l’un ou l’autre aspect de leur activité. Jean-Marc Meilleur et
François Tulkens estiment que la déontologie, aussi précieuse soit-elle, ne
constitue pas un rempart assez solide pour résister à l’influence néfaste des
pressions économiques sur le journalisme actuel. Le magistrat de presse du
parquet de Bruxelles considère que certains journalistes sont indifférents
au seul opprobre, tandis que François Tulkens affirme que la sanction
symbolique doit inévitablement se doubler d’une responsabilité civile. Par
contre, Mireille Buydens (ULB), Stéphane Rosenblatt et Jean-Pierre Jacqmin
considèrent que la sanction morale du CDJ peut être plus efficace qu’une
sanction administrative ou judiciaire. Benoît Frydman et André Linard
rappellent, pour leur part, que le CDJ n’a pas pour mission de réprimer ou
de censurer mais de rappeler les règles du métier aux journalistes, dans une
logique de prévention et d’encouragement à l’excellence. En référence au
principe de séparation des pouvoirs, Olivier Basile se dit opposé à ce qu’un
organe de régulation dispose d’un pouvoir de sanction étendu, ce qui doit
rester la prérogative exclusive de la justice.
Marc de Haan, Jean-Pierre Jacqmin et Stéphane Hoebeke estiment qu’il
serait judicieux de renforcer le pouvoir de sanction symbolique du CDJ
en imposant aux médias de publier les avis de ce dernier. Les décisions du
221
Benoît Frydman fait néanmoins remarquer que les règles de la déontologie peuvent servir de
critère de référence pour un magistrat chargé d’apprécier le caractère délictueux ou non du comportement d’un professionnel. Voir à propos de la responsabilité civile des journalistes le point
2.3.3 du présent rapport.
270
Chapitre 3
CDJ sont aujourd’hui diffusées par l’organe d’autorégulation lui-même
(via l’Internet, la communication directe avec les médias et les revues
professionnelles). Différents intervenants se prononcent donc en faveur d’un
élargissement du pouvoir contraignant du CDJ : celui-ci pourrait obliger les
médias mis en cause à publier les avis qui les concernent. Comme le signalent
les opérateurs télévisuels, il conviendrait d’adapter le mode de publication en
fonction des supports (comme pour le droit de réponse). Jean-Pierre Jacqmin
propose que le CDJ publie également les avis et les plaintes qui seraient reçues
positivement. La Ligue des droits de l’homme souhaite pour sa part que,
dans une logique d’autorégulation, ce soit les éditeurs qui s’engagent euxmêmes à publier les avis négatifs ou positifs du CDJ qui les concerne.
2.8.3. Des pistes pour renforcer le rôle et l’efficacité du CDJ
La première et principale proposition qui vise à améliorer le fonctionnement
du CDJ porte sur les procédures qui, aux yeux de nombreux observateurs,
apparaissent comme perfectibles et qui font d’ailleurs l’objet d’ajustements
réguliers.
-
-
Alain Strowel et Jean-Pierre Jacqmin estiment nécessaire de
modifier les procédures du CDJ afin de permettre les débats
contradictoires et de garantir le respect de la défense. Face à cette
volonté de « judiciariser » le mode de fonctionnement de l’organe
de l’autorégulation, André Linard et Martine Simonis défendent
plutôt l’idée que le CDJ n’est pas un tribunal et qu’il convient, en ce
sens, de garder une certaine souplesse dans les procédures tout en
maintenant équité et rigueur dans le traitement des dossiers.
Pierre-François Docquir suggère qu’à l’instar du CSA, le CDJ
accompagne, dans une logique d’éducation aux médias, les personnes
dans la formulation et le suivi de leur plainte (qu’actuellement elles
doivent elles-mêmes mettre en lien avec les principes déontologiques
du journalisme). Le vice-président du CSA ajoute qu’il serait
également important de prendre en considération toute plainte
(qu’elle soit jugée fondée ou non) en la considérant comme une
« alerte du public qui doit être entendue ». Jean-François Dumont
répond que le CDJ dispose de moyens beaucoup plus limités que
ceux du CSA, que la plupart des plaintes jugées irrecevables par
le CDJ relèvent d’une divergence d’opinion et que l’exigence de
formuler une plainte en termes de déontologie participe également à
l’éducation aux médias.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
271
La deuxième proposition relative au rôle du CDJ se rapporte à l’idée d’une
labellisation des médias de qualité, que d’aucuns appellent de leurs vœux. Ainsi,
Pierre-Arnaud Perrouty considère qu’il serait intéressant de labelliser les sites
d’information qui s’engageraient à respecter scrupuleusement la déontologie
journalistique en recoupant et en respectant leurs sources. Le label pourrait
être auto-attribué ou conféré par une instance déontologique. André Linard
précise que le travail de codification (que le CDJ devrait clôturer pour la fin
2013) pourrait conduire à la création d’un tel label. Jean-François Dumont
estime que l’idée de labellisation résout moins de questions qu’elle n’en pose
(au niveau, notamment, des critères et de l’instance de labellisation…) et que
la seule solution viable consiste en une auto-labellisation.
La troisième proposition est formulée par Alain Strowel et Stéphane Rosenblatt
qui préconisent d’élargir la visibilité du CDJ, au-delà du secteur médiatique.
Dans une idée d’ouverture, le CDJ devrait développer des collaborations
avec d’autres instances de la Fédération Wallonie-Bruxelles afin de devenir
un référent pour les professionnels mais aussi pour un large public. Une fois
établi, le code déontologique pourrait être diffusé à l’attention des journalistes
citoyens, des jeunes (via des programmes d’éducation aux médias) et de tous
les acteurs de la communication, c’est-à-dire les journalistes, les éditeurs,
mais aussi les annonceurs et les hébergeurs, les fournisseurs d’accès et les
intermédiaires de paiement en ligne.
RECOMMANDATIONS
1° Extension des compétences et moyens d’action du CDJ
Une quasi-unanimité s’est dégagée, parmi les intervenants, pour
souligner l’importance du travail du Conseil de déontologie
journalistique, mis en place en 2009, et pour encourager le
développement de son action, même si l’étendue (trop) limitée de son
champ d’action a été regrettée par certains.
A côté de son rôle de régulateur déontologique des médias (via ses avis
sur plaintes), et de sa compétence pour formuler des recommandations
générales et codifier la déontologie, l’importance de sa mission
d’information, tant à l’égard des professionnels qu’à l’égard du public,
a été soulignée. Il est recommandé qu’elle soit encouragée et mise en
272
Chapitre 3
avant. Des moyens supplémentaires doivent être donnés au CDJ. Le
CDJ devrait par ailleurs pouvoir participer activement, sur le plan de
la déontologie, à l’éducation aux médias. Une concertation sur ce point
devrait être mise en place avec le Conseil supérieur de l’éducation aux
médias (CSEM) de la Communauté française.
2° Distinction entre l’autorégulation et l’action judiciaire
Le régulateur déontologique ne peut toutefois pas se substituer
aux autres voies de régulation et spécialement à la voie judiciaire.
Néanmoins, l’importance de ses avis sur le plan déontologique et
les conséquences juridiques qu’ils peuvent avoir sur les procédures
judiciaires imposent que la procédure suivie par le CDJ dans le cadre
de sa compétence d’avis sur plaintes soit respectueuse des droits de
la défense et particulièrement du principe du contradictoire222. Il est
recommandé de laisser au CDJ le soin, en fonction de l’expérience
acquise au cours de ses premières années de fonctionnement, d’adapter
en ce sens, si nécessaire, ses procédures internes.
3° Publication des avis du CDJ
Un renforcement des mesures que pourrait prendre le CDJ doit être
envisagé. Il faut toutefois tenir compte de l’importance symbolique
des avis du CDJ qui sont déjà manifestement influents au sein des
rédactions et à laquelle le CDJ est sensible.
La mesure la plus souvent invoquée réside dans une plus large publicité
donnée à ses avis. Il est recommandé d’imposer une obligation de
publication de ceux-ci par les médias concernés.
Se pose toutefois la difficulté d’un traitement discriminatoire entre
la presse écrite et la presse audiovisuelle. Dès lors que les médias ont
actuellement tous recours à Internet pour diffuser l’information qu’ils
développent via leurs supports spécifiques, il est recommandé qu’une
publication systématique des avis du CDJ sur les sites des médias mis
Qui doit néanmoins être aménagé pour permettre aux journalistes/médias de se défendre
utilement tout en respectant le secret de leurs sources.
222
Atelier 3 : « liberté d’expression »
273
en cause soit envisagée. Cette publication devrait répondre aux mêmes
règles que celles recommandées pour la diffusion d’une réponse (voy.
les recommandations formulées sous le point 6).
2.9. De l’équilibre entre liberté d’expression et protection de
la vie privée
Questions
2.9.1
Faut-il mettre en place un régime particulier de protection de
la vie privée (ici, plus spécialement : droit à l’honneur et à la
réputation), avec éventuellement des actions spécifiques ou le
régime actuel (droit/actions) est-il satisfaisant ?
2.9.2
Plus généralement, comment doivent s’agencer les droits
protégés par l’article 8 de la Convention européenne des droits
de l’homme (protection de la vie privée) avec ceux reconnus par
l’article 10 (liberté d’expression) ?
2.9.3
Faut-il prévoir un régime juridique particulier pour la
protection de l’individu mis en cause par la presse en matière
de présomption d’innocence ?
En ce qui concerne l’équilibre qu’il convient d’établir entre liberté
d’expression et protection de la vie privée, la juge Sophie Annaert, Stéphane
Hoebeke et Benoît Frydman prennent pour référence la jurisprudence de
la CEDH : celle-ci s’avère très favorable à la liberté de la presse puisqu’elle
n’admet d’intervention préventive à l’égard des médias que pour répondre
à un besoin social impérieux, et non pour défendre un droit privé, aussi
important soit-il. Olivier Basile réaffirme qu’il convient de préférer l’excès
de liberté à la restriction et que les personnes doivent assumer la publicité
qu’elles donnent à leur image et à leur opinion. Pour sa part, François Tulkens
regrette qu’au vu de l’extinction des mesures préventives et répressives vis-àvis de la liberté d’expression et au vu de l’immunité pénale du délit de presse,
la jurisprudence fasse à ce point pencher la balance en faveur de la liberté
274
Chapitre 3
d’expression au détriment de droits fondamentaux (qui sont le droit à la vie
privée, à l’honneur, à la réputation et à la présomption d’innocence). Par
contre, pour Benoît Frydman, la liberté de la presse ne peut être considérée
comme un droit subjectif qui doit être mis en balance avec d’autres droits
et libertés concurrents. Selon Alain Strowel, les droits de la personnalité
(que sont le droit à l’honneur, le droit à l’image, le droit à la vie privée, le
droit d’auteur) sont, pour l’instant, éparpillés dans la législation belge et
gagneraient à être codifiés, comme en Suisse où un chapitre sur les droits
de la personnalité a été intégré au Code Civil. L’articulation entre les articles
8 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (qui portent
respectivement sur le droit à la vie privée et sur la liberté d’expression) ne
sera possible que par le biais de pondérations appliquées par les juges. Ces
principes de pondération, tels qu’ils sont régulièrement appliqués par la
CEDH, devraient, eux aussi, être codifiés, voire inscrits dans la déontologie.
Sur la base de leur expérience de terrain, les porte-parole de l’AJP, de la
FTL, de RTL et de la RTBF se disent satisfaits de l’équilibre actuellement
ménagé entre protection de la vie privée et liberté d’expression. Pour
défendre les droits de la personne, les possibilités de recours apparaissent
comme nombreuses et suffisantes, qu’il s’agisse du droit de réponse et de
rectification, des poursuites civiles ou pénales ou de l’autorégulation des
médias. Pour renforcer le droit des personnes, l’AJP préconise de développer
les droits de rectification et de communication (voir le point 5) et d’améliorer
la formation des journalistes en la matière. Par son avis relatif aux « droit
à l’image, droit à l’oubli, droit à l’information » dont il a été question
dans le point 7, le CSA a rappelé le principe élémentaire de l’autorisation
préalable (des personnes non publiques qui seraient représentées) et a donc
exclu le droit à la rétractation unilatérale des images par les personnes
représentées223. Concrètement, le CSA recommande aux éditeurs d’informer
le plus clairement possible le public au sujet des modalités de rétractation ou
d’introduction d’une plainte. L’idée est de simplifier, de la sorte, l’exercice du
droit à l’image et à la vie privée. Enfin, les éditeurs et journalistes auditionnés
s’opposent à l’introduction, dans le secteur médiatique, d’un régime relatif à
Le neuvième alinéa de cet avis stipule que « Tant pour la première diffusion que pour les diffusions ultérieures qui pourraient intervenir du fait d’un recours aux archives, le Collège note qu’en
droit belge, la jurisprudence et la doctrine ne reconnaissent pas de manière unanime l’existence
d’un droit de rétractation. Tout retrait éventuel doit donc de préférence passer par un accord
entre la personne et le service de médias. Ce retrait pourra, le cas échéant, donner lieu à une indemnisation en faveur du service de médias ». Voir http://csa.be/system/documents_files/1020/
original/CAV_20090609_droit_image.pdf?1299596348 (consulté le 15 mars 2013), p. 3.
223
Atelier 3 : « liberté d’expression »
275
la présomption d’innocence qui briderait la liberté d’informer224 . À ce sujet,
Martine Simonis, Pierre-François Docquir et Jean-Jacques Jespers estiment
qu’en matière de présomption d’innocence, le juste équilibre ne peut venir que
de la déontologie journalistique qui prescrit le respect du droit à l’honneur et
à la réputation d’une personne ; cela implique que les journalistes ne peuvent
porter atteinte à ce droit que si l’information revêt une importance sociétale
et est issue d’une enquête sérieuse et contradictoire.
RECOMMANDATIONS
Les experts n’estiment pas devoir formuler de recommandation
générale s’agissant des situations de conflits entre droits fondamentaux
qui doivent s’apprécier au cas par cas. La jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme indique clairement les critères
qui doivent être retenus pour assurer l’équilibre entre le respect de
la liberté d’expression (art. 10 de la Convention) et le respect d’autres
droits et libertés, principalement le droit au respect de la vie privée
(art. 8) et le droit à la présomption d’innocence (art. 6 § 2).
Sur le plan interne, un large accord se dessine sur le fait qu’un équilibre
satisfaisant semble actuellement être ménagé entre protection de la vie
privée et liberté d’expression.
2.10. Des rapports entre presse et justice
Questions
2.10.1 Quel rôle la presse doit-elle jouer eu égard à la notion de
« publicité des audiences » ?
2.10.2 Faut-il revoir l’accès aux informations judiciaires (sensu lato),
en ce compris l’accès aux audiences ?
224
Voir, à ce sujet, le point 2.1.1. du présent rapport.
276
Chapitre 3
2.10.1. Pour une clarification et une systématisation de l’accès aux
audiences
Aux yeux de nombreux intervenants, l’autorisation d’accès de la presse
écrite, radiophonique et télévisuelle au prétoire constitue le meilleur moyen
pour rendre effectif le principe constitutionnel de la publicité des audiences
et renforcer par-là même le contrôle démocratique sur le fonctionnement de
la justice. Pourtant, à l’heure actuelle, cet accès ne fait l’objet d’aucune loi et
est soumis au pouvoir discrétionnaire des chefs de corps des juridictions (avec
la conséquence regrettable qu’il n’existe pas de règle générale et prévisible
en la matière).
François Tulkens, François Jongen, Benoît Frydman, Jean-Pierre Jacqmin,
Laurence Vandenbroucke, Martine Simonis et Marc de Haan estiment
qu’une telle situation porte gravement atteinte à la liberté d’expression :
hors l’hypothèse exceptionnelle de l’huis clos, il ne peut être question de
restreindre l’accès de la presse aux audiences et aux décisions de justice. Les
mêmes intervenants affirment par conséquent qu’un cadre juridique clair
doit être instauré dans ce domaine (comme c’est le cas en Allemagne, au
Canada et en France), afin de favoriser la publicité effective des audiences.
L’autorisation systématique de l’accès des médias au prétoire permettrait
d’ailleurs d’organiser cette présence et donc de ne pas perturber la sérénité de
l’audience (par exemple, via un système de caméras fixes intégrées à la salle
d’audience ou la création d’un pool partagé par les différents médias). Selon
l’AJP, un véritable droit d’accès à l’information en matière judiciaire serait
un réel progrès à la fois pour les journalistes et pour le public. Pierre-Arnaud
Perrouty souligne, lui aussi, la nécessité d’établir un équilibre entre la sérénité
du débat judiciaire et le droit du public d’être informé et fait remarquer que
les médias rencontrent de plus grandes résistances encore, quand il s’agit de
pénétrer d’autres lieux comme des prisons ou des centres fermés…
Pour le président du tribunal de première instance de Bruxelles, Luc
Hennart, la mise au point d’un protocole général relatif à l’accès des médias
aux audiences s’avère superflue dans la mesure où la situation actuelle est jugée
globalement satisfaisante. Tel qu’il a été mis en œuvre à Bruxelles, le retour
aux fondamentaux, c’est-à-dire au pouvoir discrétionnaire du magistrat qui
préside les débats, fonctionne très bien. Si un accès est toujours ménagé à
destination du public et de journalistes de la presse écrite, la question de
la présence des caméras s’avère plus délicate. En effet, pour Luc Hennart, il
est indéniable que la présence d’une caméra a des effets sur le déroulement
Atelier 3 : « liberté d’expression »
277
de l’audience et représente un risque de « mise en scène de l’intervention
des juges », ce qui ne correspond à la finalité de la fonction des magistrats.
Le journaliste français Denis Robert pense aussi que l’introduction d’une
caméra dans le tribunal induit des jugements sous pression de l’opinion. À
cela s’ajoute, selon Luc Hennart, le risque qu’un média diffuse la décision d’un
tribunal à destination du grand public avant que les parties concernées n’en
soient elles-mêmes informées. Sophie Annaert et Luc Hennart admettent
toutefois que la mise en place d’un équipement audiovisuel discret serait
largement préférable à l’intrusion d’une quinzaine de caméras dans une salle
d’audience. Par contre, en cas de dérapage, un recours devrait être introduit
par le juge lui-même qui serait alors dans une position particulièrement
délicate. Sophie Annaert décèle, enfin, une tendance inverse inquiétante
qui se dessine dans le mode d’exercice de la justice puisque le législateur a
sensiblement limité la publicité des audiences pour les matières familiales,
sans que cela n’ait apparemment suscité d’opposition des barreaux, ce qui
réduit fortement le contrôle social sur de telles procédures traitées dorénavant
en chambre du conseil (et donc à huis-clos).
Jean-Marc Meilleur estime, pour sa part, qu’il appartient à la justice de définir
et de gérer le principe fondamental de la publicité des audiences. La justice doit
s’adapter aux techniques modernes et donc, selon lui, systématiser la présence
des caméras dans les prétoires. Dans les grandes instances internationales
(comme la CEDH), les audiences sont automatiquement filmées en plan fixe
et retransmises en direct sur la toile. Ce système permet à la justice d’assurer
la publicité des audiences tout en garantissant une certaine objectivité aux
images diffusées. Dans un monde idéal, le Service Public Fédéral de la Justice
devrait instaurer un système général pour la publicité des audiences et équiper
toutes les salles de tribunal de caméras fixes. Face à cette proposition, JeanPierre Jacqmin et Simon-Pierre De Coster considèrent, d’une part, que la
couverture de toute l’actualité judiciaire s’avère irréalisable et extrêmement
coûteuse (vu la multiplicité des tribunaux) et, d’autre part, qu’il revient aux
journalistes, et non aux magistrats, de décider de l’opportunité de couvrir
une audience. Selon Luc Hennart, au niveau des juridictions nationales, les
esprits doivent encore mûrir pour accepter un tel mode de diffusion des
décisions de justice.
Se pose enfin la question du respect du droit à l’image des accusés qui
comparaissent devant le tribunal. Une circulaire émise en 2011 par le premier
président de la cour d’appel de Bruxelles a fait primer ce droit de la personne
sur le droit à l’information allant jusqu’à interdire les croquis d’audience. Luc
278
Chapitre 3
Hennart estime que le souhait de ne pas être filmé est un droit qui ne se discute
pas et regrette le manque de retenue des médias au moment de l’instruction,
ne fût-ce que par respect pour le principe de présomption d’innocence. Par
contre, Martine Simonis et Jean-François Dumont dénoncent le primat du
droit à l’image sur le droit à l’information. Jacques Englebert déplore, lui
aussi, l’évolution du système judiciaire qui tend à surprotéger la personne
poursuivie en lui attribuant à tort des droits (comme le droit à l’image) dans
un procès pénal et ce, en dépit du fait que le temps du procès, l’accusé devienne
un personnage public. Jean-François Dumont ajoute que ce déséquilibre est
d’autant plus étonnant qu’il correspond à une situation hypocrite, puisque
l’image du prévenu est largement diffusée avant et après le procès.
2.10.2. Des rapports parfois tendus entre presse et justice
Stéphane Rosenblatt et Martine Simonis posent tous les deux le constat
global que les rapports entre la presse et la justice sont marqués par un
manque de cohérence et de régulières crispations. L’AJP préconise de
renforcer le dialogue entre ces deux mondes via l’entremise éventuelle du
CDJ et du Conseil Supérieur de la Justice. Elle exprime, en outre, son souhait
d’être associée à l’éventuelle réouverture du débat relatif à cette thématique,
comme cela a été le cas lors de l’élaboration de la circulaire « presse-justice »
des procureurs généraux en 1999. Chargée d’organiser la communication des
parquets et des juges d’instruction à l’attention des médias, cette circulaire
a notamment établi l’obligation de nommer un porte-parole du parquet (ou
« magistrat de presse »). Cette fonction consiste à organiser des conférences
de presse afin de donner des informations à des journalistes et des agences
de presse et de répondre aux questions de ceux-ci. Le magistrat de presse du
parquet de Bruxelles déplore que la précarité des moyens alloués à la justice
contraint les magistrats de presse à assumer d’autres charges. Il souhaiterait,
d’ailleurs, libérer plus de moyens pour cette mission d’information de
sorte que celle-ci puisse être menée de manière proactive. Luc Hennart
signale qu’une volonté existe depuis plusieurs années de créer la fonction de
magistrat de presse du siège.
En vertu du Code d’instruction criminelle, toute communication de la
part du magistrat de presse doit être soumise à l’accord préalable du juge
d’instruction. Alors que Luc Hennart considère cette disposition comme
légitime, Jean-Marc Meilleur préconise un élargissement des possibilités de
communication à la presse qui permettrait d’améliorer considérablement
les rapports entre la presse et la justice. Qu’elle soit transmise par voie
Atelier 3 : « liberté d’expression »
279
écrite ou orale, la décision du juge d’instruction d’interdire toute forme
de communication n’est pas susceptible d’appel, contrairement à ce que le
parquet estimerait, dans certains cas, stratégique de faire. À la question de
Jean-François Dumont de savoir s’il serait opportun d’instaurer une règle
générale qui imposerait de communiquer un minimum d’informations à la
presse, Jean-Marc Meilleur estime qu’il vaut mieux laisser le magistrat décider
au cas par cas de l’opportunité de communiquer telle ou telle information. Par
contre, se pose la question de la complémentarité entre le juge d’instruction et
le parquet et plus largement des prérogatives du juge d’instruction qui, dans
la situation actuelle, a un rôle déterminant en ce qui concerne les relations
entre le parquet et la presse ou entre le parquet et les services de police.
Stéphane Hoebeke et Luc Hennart constatent que la tension entre les mondes
de la presse et de la justice est particulièrement forte dans les cas de procès
intentés par les magistrats contre la presse (comme dans l’affaire qui a vu
le journal De Morgen être condamné dans le cadre d’une procédure civile
introduite par l’épouse du procureur général de la cour d’appel d’Anvers).
Stéphane Hoebeke estime qu’il serait nécessaire, dans ces cas précis,
d’établir un régime particulier afin d’éviter que l’affaire ne soit traitée dans
le tribunal ou l’arrondissement concerné. Pour Luc Hennart, deux solutions
sont envisageables : il conviendrait soit de rappeler le principe selon lequel le
juge statue, à chaque fois, de manière spécifique en fonction de circonstances
particulières, soit de recréer une forme de jury pour ce type d’affaire, ce qui
permettrait de contrer les critiques à l’encontre d’une « justice de classe ».
RECOMMANDATIONS
1° Accès aux salles d’audience
Le principe constitutionnel de la publicité des audiences impose
qu’un accès de principe aux salles d’audiences, réel et effectif, soit
reconnu aux médias, sans discrimination. En cette matière, le pouvoir
discrétionnaire des magistrats n’est pas admissible. Il est dès lors
recommandé, d’une part, de garantir le principe de cet accès dans un
texte applicable en toutes circonstances et, d’autre part, de fixer les
modalités pratiques de cet accès en tenant compte des particularités
de certains médias et de la nécessité de ne pas perturber la sérénité des
débats judiciaires.
280
Chapitre 3
En ce qui concerne plus spécifiquement la couverture audiovisuelle
de certains procès, il est recommandé qu’une concertation soit mise
en place entre les parties prenantes permettant de déterminer, en
amont, les procédures justifiant une couverture audiovisuelle et
les modalités pratiques et techniques de celle-ci. Sauf exception, le
nombre de caméras devrait être limité (en principe à une seule) et leur
emplacement dans les salles d’audience fixé à un endroit déterminé. Il
est recommandé de recourir à la pratique du « pool »225.
La responsabilité éditoriales des enregistrements et dès leur diffusion
appartient aux seuls médias.
2° Le respect des personnes mises en cause dans les procédures
judiciaires
Les procédures judiciaires publiques, tant civiles que pénales, sont
des événements d’actualité d’intérêt général, dont la presse a pour
mission de rendre compte au public. Toute personne qui est contrainte
de subir une procédure judiciaire ou qui décide d’y participer doit
admettre qu’en ce qui concerne la procédure et les faits soumis à la
justice dans le cadre de celle-ci – et dans cette seule limite –, elle quitte
momentanément la sphère privée de sa vie pour entrer dans la sphère
du débat public.
Il appartient aux médias de déterminer, seuls, s’ils entendent rendre
compte d’une procédure judiciaire et de la façon dont ils entendent
le faire (par l’écrit, le son et/ou l’image, fixe ou animée : dessins,
photographies, vidéo). A l’exception des restrictions à l’information
expressément prévues par des lois particulières (par ex. en vue de
protéger les mineurs ou les victimes de violences sexuelles), ni le
droit à l’image ou le droit à la réputation ne peuvent faire obstacle à la
mission de la presse de rendre compte, auparavant ou en même temps,
des questions dont connaissent les tribunaux. Il est recommandé de
prendre toutes les mesures nécessaires en vue d’assurer la garantie
effective de cette mission.
225
Cette pratique se définit comme suit : « certains journalistes sont désignés par leurs confrères
pour couvrir un événement et partager ensuite les informations recueillies », Les journalistes et
leurs sources – Guide des bonnes pratiques, édité par le DCJ et l’AJP, p. 25 (http://ajp.be/deontologie/guide_des_bonnes_pratiques_CDJ_AJP.pdf).
Atelier 3 : « liberté d’expression »
281
3° Les tensions entre justice et médias
De tout temps et dans tous les pays, les relations entre la justice et la
presse sont tendues. Cette tension n’est pas en soi anormale. Elle découle
du fait que presse et justice traitent « du même sujet », mais dans une
finalité et avec des moyens qui leur sont propres et qui parfois sont
antagonistes. Il est dès lors illusoire de faire disparaître ces tensions.
Il s’impose par contre de mettre en œuvre les moyens permettant que
ces tensions n’empêchent pas ni ne contrarient le travail respectif de la
presse et de la justice, ni qu’elles ne dégénèrent en conflits.
Il est recommandé de privilégier les lieux et les instances de rencontres
et de discussions entre les acteurs concernés de la justice et des
médias. Il est recommandé d’encourager le dialogue entre journalistes
et magistrats, de façon informelle et institutionnelle. Les organismes
« représentatifs »226 des magistrats (CSJ, Conseil consultatif de la
magistrature, IFJ, syndicats de magistrats,…) et des journalistes
(CDJ, AJP, les sociétés de journalistes, les associations d’éditeurs,…)
devraient être incités à nouer ces dialogues.
Une meilleure connaissance et appréhension du travail respectif des
uns et des autres serait certainement de nature à réduire les tensions.
Il est recommandé de mettre en place la possibilité pour les magistrats
d’effectuer des stages au sein des rédactions et pour les journalistes
d’effectuer des stages au sein des parquets et des tribunaux. Ces stages
pourraient relever des programmes de formations permanentes et/
ou être intégrés, pour les magistrats, dans la période de formation
spécifique que constitue le stage judiciaire.
Il est encore recommandé de généraliser la fonction de « magistrats de
presse » et de lui donner les moyens pratiques d’effectivement nouer
un rapport privilégié avec les journalistes227.
La notion est mise entre guillemets dès lors que certains de ces organismes ne sont pas stricto
sensu représentatifs de la profession concernée.
227
Il est également renvoyé à la recommandation formulée sous le point 2.6 à propos de l’extension du droit de communication par les autorités judiciaires sur les affaires en cours.
226
282
Chapitre 3
2.11. De l’équilibre entre droit d’auteur et liberté d’expression
Questions
L’invocation d’une violation de droit d’auteur est-elle parfois utilisée
pour réduire la liberté d’expression ou la liberté de la presse ? Fautil admettre une défense spécifique basée sur la liberté d’expression
dans les cas d’atteintes au droit d’auteur ? Ou les exceptions prévues
dans la loi sur le droit d’auteur (compte-rendu d’actualités et citation
principalement) suffisent-elles ?
Telle qu’elle a été révisée en mai 2005, la loi belge sur le droit d’auteur du 30
juin 1994 prévoit un régime d’exceptions pour l’application de ce droit (en
cas de citation, reproduction, communication, compte-rendu d’actualités,
parodie, pastiche ou caricature, compte tenu de pratiques honnêtes)228. Si
cette loi n’a pas été conçue pour limiter la liberté d’expression, Alain Strowel
et Mireille Buydens décèlent deux types de tensions entre le droit d’auteur
et la liberté d’expression : la première met en balance le droit d’auteur avec
le droit de recevoir des informations et des idées (qui constitue le versant
« passif » de cette même liberté d’expression) ; la seconde met le droit d’auteur
en rapport avec la liberté de création (qui fait partie intégrante de la liberté
d’expression).
-
D’une part, le droit d’auteur retarde ou interdit l’accès à certains
contenus culturels et porte dès lors atteinte à la libre formation
des individus. En effet, le titulaire du droit d’auteur peut définir la
politique tarifaire de son œuvre, la langue de diffusion de celle-ci
sur le marché et ainsi diriger le flux culturel en rendant son œuvre
accessible à tel ou tel public ou telle ou telle partie du monde.
Alain Strowel ajoute qu’il n’y pas de droit général d’accès à toutes
les informations mais une série de droits particuliers d’accès à
Le régime d’exceptions prévu par la loi du 30 juin 1994 a été élargi par la loi du 22 mai 2005.
Une version actualisée de cette loi est accessible via http://www.sacd.be/IMG/pdf/20121123_Loi_
coordonnee_Fr-DEFdef.pdf (consulté le 15 mars 2013).
Mireille Buydens signale que, contrairement à la directive européenne qui prévoit, de manière
extensive, une liste d’exceptions en matière de droits d’auteur, les législations nationales en ont
défini une liste non-évolutive. La jurisprudence permet cependant une vision extensive de ces
exceptions.
228
Atelier 3 : « liberté d’expression »
-
283
certaines informations. L’avocat bruxellois décèle, d’ailleurs, une
série de blocages au niveau de la mise en œuvre de la transparence
administrative (qui est régie par des lois et des règlements édictés par
différents niveaux de pouvoir). Il y a souvent des problèmes de droit
d’accès à certains documents sur la base du droit d’auteur ou de la
protection des informations confidentielles. Selon Alain Strowel, les
exceptions prévues par les lois sur la transparence administrative en
faveur du droit d’auteur restent à affiner, à l’occasion, par exemple,
de la révision de la directive européenne sur la réutilisation des
informations du secteur public.
D’autre part, le droit d’auteur est susceptible de limiter la liberté
d’expression qui peut notamment s’exercer par l’appropriation, la
sélection et la publication de contenus culturels. Selon les termes
de Mireille Buydens, « l’utilisateur engage les biens culturels (…)
au travers d’une variété d’activités allant de la consommation
à l’utilisation créative. L’effet cumulatif de ces activités et les
interconnexions culturelles inattendues qu’elles exploitent et
produisent, produit ce que le système du droit d’auteur nomme et
valorise comme le progrès tout en intervenant pour le restreindre ».
Alain Strowel souligne qu’il est parfois délicat de distinguer une
adaptation229 et une parodie qui, conformément à la loi, relève de
la liberté d’expression. Rejoints sur ce point par Benoît Frydman,
Mireille Buydens et Alain Strowel dénoncent l’instrumentalisation
du droit d’auteur (ou du droit des marques) par des acteurs
économiques pour empêcher la diffusion d’informations qui
dérangent (dans le cadre de « poursuites baillons » qui découragent
et réduisent au silence des personnes qui exercent leur liberté
d’expression et participent légitimement au débat public230) ou,
plus prosaïquement, pour obtenir des dommages et intérêts (dans
une logique de copyright trolling). Alain Strowel estime d’ailleurs
nécessaire d’établir des règles déontologiques qui encadreraient le
bon usage du droit d’auteur et du droit des marques, à destination
des différents acteurs, dont les publicitaires231.
Dans le cas d’une adaptation, l’œuvre seconde tombe sous le contrôle de l’auteur de l’œuvre
originale.
230
Dans sa contribution écrite, Denis Robert estime que la loi sur la diffamation est trop souvent
instrumentalisée pour nuire à la liberté de la presse et museler la liberté d’expression. Il revendique, dans ce sens, le droit de diffamer et suggère la mise en œuvre de mesures qui empêcheraient le
dépôt de plaintes à répétition. Voir également le rapport de l’atelier n° 2 des EGMI, pp. 133-134.
231
Ainsi, dans le cadre des affaires Areva et Esso, Alain Strowel estime que les juges auraient dû
mieux contrôler les abus et appliquer le droit des marques qui ne permet pas d’interdire les usages
229
284
Chapitre 3
Du point de vue de la jurisprudence, une série d’affaires ont mis en tension
le droit d’auteur et la liberté d’expression. Au-delà des conclusions de ces
litiges, Mireille Buydens souligne l’intérêt des différents arguments qui y ont
été invoqués.
-
-
-
-
Il en va, par exemple, de l’affaire qui a opposé un ayant droit du
peintre Utrillo et France 2 : le plaignant reprochait à la chaîne de
télévision d’avoir diffusé, sans autorisation préalable, des œuvres
d’Utrillo. Le juge de première instance a admis que le droit d’auteur
devait s’incliner devant la protection de la liberté d’expression et a
donc estimé que les intérêts du public étaient supérieurs à ceux des
ayants droit. Par contre, la Cour de cassation, saisie en novembre 2003
au sujet de la même affaire, a estimé que la chaîne de télévision aurait
dû se conformer à la loi puisque celle-ci garantit déjà un équilibre
des intérêts entre le droit de l’auteur et la liberté d’expression.
Pour sa part, la cour d’appel de La Haye a, par son arrêt du 4
septembre 2003, jugé légitime qu’un internaute étaye son analyse
des textes de l’Eglise de scientologie d’une publication in extenso
de ses écrits. Dans ce cas, elle a estimé que le droit d’auteur devait
s’incliner devant l’article 10 de la Convention européenne.
La Cour de cassation belge a dû se prononcer dans une affaire qui
opposait des revues fiscales à une entreprise de presse qui résumait
des articles de ces revues et les publiait via une base de données
en ligne. Dans un arrêt du 25 septembre 2003, elle a fait primer
le droit d’auteur sur la liberté d’expression : elle a, en effet, estimé
que l’article de la Convention européenne n’est pas véritablement
menacé par la loi sur le droit d’auteur qui a comme objet de protéger
la forme des œuvres et non leur contenu. Libre à chacun donc de
retirer des idées et des informations d’un texte et de s’exprimer à
ce sujet. Néanmoins, la Cour de cassation a donné gain de cause
aux revues fiscales dans la mesure où les résumés [dont la forme n’a
pas été jugée assez originale] avaient, dans ce cas, « le même statut
juridique qu’une simple copie », ce qui impliquait que la publication
ne pouvait se faire que moyennant l’accord des auteurs232.
Dans l’affaire Google c. Copiepresse, les juridictions belges (de première
instance en février 2007 et en appel en mai 2011) ont reconnu Google
secondaires parodiques surtout par des organisations non commerciales ou des militants.
232
http://www.internet-observatory.be/internet_observatory/pdf/legislation/cmt/jur_be_200309-25_cmt_fr.pdf (consulté le 15 février 2013), p.6.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
-
285
coupable de violer les droits des auteurs et des éditeurs233. Google
n’est donc pas parvenu à faire prévaloir sa liberté d’expression sur le
respect des droits des éditeurs et des journalistes.
Enfin, Bart Van Besien mentionne la récente décision de la CEDH
relative aux rapports entre droit et liberté d’expression. Le 10
janvier 2013, la CEDH a légitimé la décision de la France qui avait
condamné des photographes de presse et qui les avait contraints
de payer des dommages et intérêts aux maisons de couture. Ces
photographes avaient diffusé, sur un site commercial, des clichés
d’un défilé de mode, sans accord préalable des maisons de haute
couture concernées. Dans ce cas, la CEDH a estimé que l’ingérence
dans l’exercice de la liberté d’expression était justifiée puisqu’elle
visait à protéger les droits (d’auteur) d’autrui234.
Selon Alain Strowel, Simon-Pierre De Coster, Stéphane Rosenblatt et Philippe
Nothomb, la loi belge sur le droit d’auteur constitue un cadre juridique
satisfaisant : elle fournit les ressources juridiques qui permettent de ménager
un équilibre entre protection des droits d’auteur et protection de la liberté
d’expression. En effet, il n’est généralement pas nécessaire de faire référence
à la liberté d’expression pour limiter le droit d’auteur et ce, grâce au régime
d’exceptions prévu par la loi. Si Alain Strowel reconnaît qu’il faudrait
introduire de nouvelles exceptions aux droits d’auteur dans le domaine de
l’enseignement, il préconise de ne pas modifier le système qui prévaut dans
le secteur médiatique, afin d’empêcher les grands opérateurs économiques
de profiter de l’effritement du droit d’auteur. Philippe Nothomb ajoute, à
ce propos, qu’une réflexion s’impose au sujet des droits des éditeurs qu’il
conviendrait de mieux défendre contre les intermédiaires techniques, tout en
se gardant de porter atteinte aux droits d’auteur des journalistes eux-mêmes.
Jacques Englebert fait remarquer, pour sa part, que les demandes
d’interdiction et de diffusion de contenus invoquent parfois le droit d’auteur
comme argument pour limiter la liberté d’expression. Ainsi, le tribunal de
première instance de Bruxelles a estimé que l’émission radiophonique du
« jeu des dictionnaires », dont une séquence avait brocardé Maurice Carême
et cité un des poèmes de celui-ci, avait porté atteinte au droit d’auteur : il était
interdit, dans ce cas, de reproduire l’œuvre de l’écrivain puisque la séquence
Voir le rapport synthétique de l’atelier n° 1 des EGMI, p. 59.
Voir l’analyse de cet arrêt par Quentin Van Enis, http://e-watchdog.overblog.com/la-sanctionresultant-de-la-violation-d-un-accord-d-exclusivite-n-est-pas-en-soi-constitutive-d-une-violation-de-la-liberte-d-e (consulté le 15 mars 2013).
233
234
286
Chapitre 3
ne répondait pas à la définition légale d’une parodie (cette décision a toutefois
été réformée en appel). À partir du cas précis de la réalisation d’émissions
culturelles, Marc De Haan estime que les exceptions prévues par la loi (en
termes de citation et de compte-rendu d’actualités) ne sont pas suffisantes : la
réalisation d’agendas culturels (qui impose de diffuser des images d’œuvres
artistiques) se heurte fréquemment à l’exigence de paiement de droits
d’auteur tellement élevés qu’ils en deviennent dissuasifs. Ainsi, la protection
du droit d’auteur entrave l’accomplissement d’une mission de service public
des télévisions locales, en l’occurrence, l’éducation permanente. Marc De
Haan plaide ainsi pour une application plus large et plus ouverte des droits
d’auteur quand des contenus sont diffusés dans une logique d’information et
non dans un but lucratif. Stéphane Hoebeke signale que, comme l’a déjà fait
la RTBF, il est possible, face à des exigences ou à des tarifs disproportionnés,
de dénoncer un abus de droit235. Dans la pratique, la RTBF et RTL rencontrent
rarement ce problème puisque ces deux opérateurs audiovisuels ont négocié
des contrats globaux avec les sociétés de gestion collective de droits (SACD,
SOFAM) et les agences de presse et d’images afin d’utiliser librement leurs
catalogues. Simon-Pierre De Coster ajoute qu’il conviendrait de promouvoir
un système de licence globale transfrontalière pour gérer les droits d’auteur
et les droits voisins relatifs aux contenus publiés sur le web, afin de pouvoir
les utiliser de la manière la plus large possible (sur différents supports).
Mireille Buydens admet qu’en Belgique, il est possible de tirer profit de la théorie
générale de l’abus de droit mais préconise d’insérer une telle clause anti-abus
dans la loi sur les droits d’auteur, afin de clarifier la situation. À titre d’exemple,
le Code de propriété intellectuelle français comprend une clause contre les
« abus notoires dans l’usage et le non-usage des droits d’exploitation », abus
qui sont d’ailleurs moins le fait d’auteurs que d’ayants droit… En cas d’abus
dans l’usage ou le non-usage des droits d’auteur, par l’auteur ou par ses ayants
droit, le président du tribunal de commerce ou de première instance pourrait,
en vertu d’une telle clause, ordonner des mesures appropriées.
RECOMMANDATIONS
Si la presse a parfois été limitée dans son expression par
une action invoquant une atteinte à un droit d’auteur des
235
Dans le cadre d’un documentaire consacré à un peintre qui a été collaborateur pendant la Seconde Guerre mondiale, la RTBF s’est heurtée au désaccord des ayants droit a invoqué l’abus de
droit de la Sofam et a obtenu gain de cause.
Atelier 3 : « liberté d’expression »
287
tiers, la jurisprudence très récente de la Cour européenne
des droits de l’homme (notamment un arrêt du 10 janvier
2013, Ashby Donald c. France et une décision du 19 février 2013, Neij
& Sunde Kolmisoppi c. Suède) réaffirme clairement que la liberté
d’expression (ce qui comprend la liberté de la presse) ne peut subir
de restriction résultant de la protection du droit d’auteur que si cette
restriction est prévue par la loi et est nécessaire dans une société
démocratique. La Cour a indiqué que le droit d’auteur étant lui-même
protégé comme un droit fondamental, les Etats disposent d’une large
marge d’appréciation qui varie toutefois selon le type d’expression
concerné, ce qui paraît indiquer que les informations de presse sur
des questions d’intérêt général pourraient peser plus lourd dans la
balance des intérêts entre protection du droit intellectuel et liberté de
la presse.
La Cour de cassation belge qui refusait jusqu’à présent de tenir compte
de la liberté d’expression comme un moyen de défense propre, dans les
cas où aucune exception au droit d’auteur prévue par la loi ne pouvait
être invoquée, devra se conformer à cette position claire de la Cour
européenne
Approuvant l’évolution jurisprudentielle de la Cour européenne, les
experts estiment qu’aucune recommandation n’est nécessaire.236
Les annexes relatives aux recommandations de l’atelier 3 sont renvoyées à l’Annexe générale
en fin de cet ouvrage.
236
Chapitre 4
Recommandations transversales
présentées par Carine Doutrelepont,
Marc Isgour, Pierre-François Docquir
et Jean-François Raskin
recommandations transversales
291
Biographie des experts
M. Pierre-François Docquir est chercheur et expert dans le domaine du
droit européen et comparé des droits fondamentaux, et du droit et de la
régulation des médias et des “nouveaux” médias. Il a été avocat (Bruxelles,
2000-2004) avant de revenir à l’université pour la préparation d’une thèse
de doctorat. Il a obtenu le titre de docteur en droit en 2009 (ULB) ; sa thèse
s’intitule “La liberté d’expression dans le réseau mondial de communication:
propositions pour une théorie du droit d’accès à l’espace public privatisé”
(prix Alice Seghers 2010). Il est membre du comité de rédaction de la Revue
du droit des technologies de l’information et est chercheur associé auprès
d’Etopia.
Me Carine Doutrelepont est avocate au Barreau de Bruxelles, ainsi qu’au
Barreau de Paris, membre fondateur de l’association « Doutrelepont et
associés » et docteur en droit de l’Université Libre de Bruxelles. Elle enseigne
le droit des médias, la propriété intellectuelle et le droit européen à la Faculté
de droit ainsi qu’à l’Institut d’Etudes européennes. Son expertise concerne
le droit des médias, national et international. A ce titre, elle intervient dans
différentes négociations stratégiques dans le secteur de la câblodistribution,
des télécommunications et des technologies de l’information. Elle pratique
également la propriété intellectuelle et, en particulier, le droit d’auteur, le droit
des marques et des brevets devant les instances nationales et européennes
ou encore arbitrales. Attachée à la défense des libertés publiques, elle mène
des actions en droit de la presse, ainsi qu’en matière de lutte contre les
discriminations. Enfin, Me Carine Doutrelepont est experte auprès de la
Commission européenne.
Me Marc Isgour est avocat au Barreau de Bruxelles depuis 1991et spécialisé
en droit de la communication et de l’information, ainsi qu’en droit des
médias (audiovisuel, publicité, informatique et Internet, droit à l’image,
protection de la vie privée, responsabilité civile et pénale), matières qu’il
enseigne à l’Université de Liège en qualité de maître de conférences (depuis
janvier 2008) et à l’Université Libre de Bruxelles, en tant que chargé de cours
suppléant (2005-2006) et d’assistant). Il possède également une maîtrise
toute particulière du droit de la propriété intellectuelle. Il est l’auteur de
nombreuses publications dont un ouvrage de référence sur le droit à l’image
et participe régulièrement en qualité d’orateur à des colloques et conférences.
Enfin, après avoir été membre suppléant du Collège de la Publicité du Conseil
Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), puis du Collège d’avis de ce même Conseil
292
Chapitre 4
pendant cinq ans et demi, Marc Isgour a été, de mai 2007 à juillet 2011,
membre du Collège d’Autorisation et de Contrôle du CSA.
M. Jean-François Raskin a obtenu son master et son doctorat en sciences,
orientation informatique, à l’Université de Namur (FUNDP), respectivement
en juin 1995 et avril 1999. Entre 1995 et 1999, il a été aspirant et chargé de
recherche au Fonds national de recherche scientifique (FNRS). Il a travaillé
sur le thème “decidability,complexity and expressiveness of formalisms for
reasoning about real-time systems”. Après plusieurs séjours de recherche à
l’Université de Californie à Berkeley, au “Max-Planck Institut for Computer
Science” (Saarbrücken), et à l’ENS Paris, il est actuellement professeur
au département informatique de l’ULB. Il y enseigne des matières liées à
l’informatique théorique : “logique informatique”, “computability and
complexity” et “vérification 2”. Il est également secrétaire du groupe
d’Informatique fondamentale du FNRS belge.
recommandations transversales
293
1. Introduction
Le comité de pilotage des EGMI nous a confié la tâche de dégager de
l’ensemble des travaux les principales recommandations qui peuvent être
adressées aux différents niveaux de pouvoir politique en Belgique et dans
l’Union européenne. Outre le pouvoir compétent, nous avons distingué les
initiatives qui nous semblent pouvoir être mises en œuvre rapidement des
projets dont la réalisation devrait nécessairement s’étaler sur un plus long
terme. Par exemple, la création d’un observatoire des médias est souhaitée
par plusieurs intervenants lors des ateliers 1 et 2 : nous reprenons cette idée
en suggérant que la mise en place d’une telle structure soit précédée, à court
terme, d’un exercice de coordination entre différentes institutions existantes.
L’on peut observer, au passage, que les évolutions récentes du paysage de
la presse en Fédération Wallonie-Bruxelles rendent d’autant plus utile un
suivi attentif de celles-ci par les autorités publiques. Dans ce contexte, la
pertinence d’un observatoire des médias apparaît comme renforcée.
La méthodologie impartie par le Comité de pilotage impliquait de dégager
des convergences et de dresser des synthèses nécessitant une présentation
par thématique plutôt que par ateliers. Ce travail de synthèse requérait, par
conséquent, d’élaguer les textes et d’écarter des propositions redondantes
ou qui, bien qu’intéressantes, ne nous ont pas paru appeler d’intervention de
la part du monde politique ou du législateur (telle la création de structures
intermédiaires du type Merveille ou SMArt237 ou, encore, de manière
générale, ce qui relève du domaine des conventions collectives), de même
que celles qui ne sont pas propres au secteur du journalisme et justifieraient
une réflexion plus globale (travail des étudiants, tel qu’abordé dans l’atelier 2
(recommandation 6, p. 172).
Certains auront inévitablement l’impression que nous avons négligé les
recommandations qu’ils ont portées, ce dont nous nous excusons d’emblée,
soucieux de répondre à la demande du Comité de pilotage.
Nous n’avons pas procédé à de nouvelles auditions ; nous avons travaillé
dans un esprit d’indépendance et dans un souci de pragmatisme. Pour
autant, nous n’avons pas toujours partagé une opinion commune : les avis
minoritaires de l’un ou l’autre sont signalés comme tels dans le texte.
237
Voy. le rapport des experts de l’atelier 2, p. 171.
294
Chapitre 4
Enfin, nous avons pris en considération l’évolution du contexte technologique,
économique, social ou juridique, et celle propre à l’univers médiatique, depuis
le début de ce vaste processus de consultation. Ainsi, par exemple, l’atelier 1
précédait la conclusion du nouveau contrat de gestion de la RTBF, et celuici a apporté certaines réponses, fût-ce de façon provisoire, au différend qui
opposait les éditeurs de presse écrite au média de service public quant aux
activités en ligne de ce dernier. Ces réponses font elles-mêmes l’objet de
débats judiciaires qui se poursuivent en degré d’appel, et de contestations
auprès de la Commission européenne. Dès lors, il ne nous a pas semblé
opportun de réexaminer des recommandations sur des points sur lesquels le
pouvoir politique s’est récemment prononcé, l’évaluation de ces solutions ne
relevant pas de la présente mission.
L’évolution du paysage médiatique se caractérise par une difficulté
croissante à maintenir les distinctions entre les métiers traditionnels de
l’écrit et de l’audiovisuel. Dans un tel contexte de convergence, l’action des
pouvoirs publics doit, à notre sens, s’adresser aux médias de façon générale
sans nécessairement préserver des catégorisations rendues obsolètes par
l’évolution des technologies. Outre la sauvegarde du pluralisme et de la
diversité des contenus, ainsi que de la qualité de l’information, cette action
nous paraît devoir se concentrer sur l’innovation, l’expérimentation et la
formation afin de favoriser le maintien et le développement harmonieux du
secteur des médias de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans l’environnement
numérique.
Enfin, au regard de la complexité du cadre institutionnel belge et de la
dispersion des compétences relatives aux médias entre les différents niveaux
de pouvoir, nous recommandons la mise en place d’une coordination
efficace des politiques publiques en matière de médias et partageons la
recommandation des experts de l’atelier 1 selon lesquels « une structure
de coordination des politiques menées aux différents niveaux de pouvoir
doit être instituée afin d’assurer un traitement transversal maximal des
problématiques»238.
238
Point 2°, page 93 du rapport des experts de l’atelier 1.
recommandations transversales
295
Contexte :
« Tous les intervenants sont tombés d’accord sur le fait que l’on assistait
en Belgique francophone, comme ailleurs dans le monde, à une mutation
rapide et importante des médias marquée par le développement de
l’Internet et de divers supports de communication, notamment mobiles.
Cette mutation, caractérisée par une convergence des médias sur les
différentes plates-formes numériques, affecte en profondeur aussi bien le
système de production, et notamment le travail des journalistes, que les
systèmes de distribution, de commercialisation et enfin de consommation
des médias. Tous les médias «historiques» d’information : presse, radio
et télévision sont concernés. La segmentation des médias s’adressant
à des publics distincts et consommant de manière différente, parfois
complémentaire, est abandonnée au profit d’une concurrence de plus en
plus forte entre les divers médias qui rétrécissent leur marché respectif et
se disputent les marchés émergents. L’arrivée de ces nouveaux modes de
diffusion et de consommation modifie, en effet, la concurrence habituelle
inter et intra média sur ces deux marchés : marché des acheteurs et
marché des annonceurs. La facilité d’accès qu’offrent les médias mobiles,
dont le genre et le nombre vont croissant, séduit autant les usagers du
« contenu » des médias que les annonceurs et réduit les marchés, et donc
les ressources, des médias sur les supports traditionnels que sont le papier
et les récepteurs de radio ou de télévision. La concurrence internationale
exercée par certains agrégateurs, au premier rang desquels figure Google,
paraît particulièrement redoutable non seulement parce qu’elle pille
certains contenus sans respecter les droits d’auteurs mais aussi parce
qu’elle recueille une part essentielle et croissante des investissements
publicitaires ».
(Rapport des experts de l’atelier 1, § 5, p. 81)
« Le diagnostic fait consensus chez les intervenants du deuxième
atelier des Etats généraux des médias d’information (EGMI) consacré
à la formation et au statut des journalistes : le monde des médias,
de l’information et du journalisme vit une des mutations les plus
profondes de son histoire. Elle est liée à l’intégration des innovations
technologiques dans les processus de production et de consommation, à
l’arrivée de nouveaux acteurs dans le paysage médiatique, aux tensions
économiques, tant structurelles que conjoncturelles, qui en résultent...
296
Chapitre 4
Cette mutation se caractérise principalement par la convergence
numérique des médias et des informations sur les différentes platesformes plurimédiatiques. Y règne une concurrence plus aiguë qu’ailleurs
pour les parts de marché publicitaire. Ce bouleversement affecte aussi
bien le modèle économique et le schéma industriel de production,
comme l’a montré le premier atelier, que l’organisation de travail des
entreprises de presse, les conditions de l’activité journalistique, les
fonctions et les statuts qui y sont articulés, ou encore les programmes de
formation des journalistes en amont ». (...)
« La plainte, pour autant, n’est pas tout. Certains, les éditeurs
principalement, mais aussi des journalistes, voient dans la recomposition
à l’œuvre l’opportunité de revivifier un métier ébranlé dans son statut,
son organisation, ses contraintes, son économie, ses productions mêmes.
Economie Internet et pratique des réseaux sociaux obligent, se dessine
aussi la perspective, pour les journalistes, de se réapproprier les outils
de production à l’échelle individuelle tout en les « augmentant » de
l’apport et des compétences des non-journalistes.
A portée de main, également, la possibilité d’expérimenter des formes
d’écriture « enrichies » intégrant les potentiels de la technologie et de la
créativité. Ou de créer de nouveaux métiers autour du journalisme, de
contribuer à la recherche de nouveaux modèles économiques adaptés à
la révolution digitale, d’inventer sa place et son rôle dans les nouveaux
modèles opératoires d’un espace d’expression médiatique en transition ».
« Il serait risqué de considérer l’évolution – ou la révolution – en
cours aujourd’hui comme une simple prolongation ou amplification
d’anciennes formes de travail journalistique partagées entre différents
métiers. Jusqu’ici, les recompositions et les coopérations diverses (avec
les photographes, les illustrateurs, les ouvriers du livre, les cameramen...)
avaient fonctionné par ajouts et compléments au processus d’information
sur lequel le journaliste conservait la haute main. Le monopole, la place
prédominante et le statut clairement différencié du journaliste dans le
dispositif n’en étaient pas – ou peu – affectés.
Ce n’est plus le cas : la révolution digitale implique de nouveaux (r)
apports dont certains se traduisent par des effets de substitution, des
pertes de monopole, des mutations organisationnelles profondes...
(...)
recommandations transversales
297
Dans la recomposition en cours des frontières du monde de l’information,
toutefois, c’est bien le respect des normes de la déontologie journalistique
qui est appelé, plus que jamais, à tenir lieu de cap et de phare. Il
constitue non seulement une garantie de qualité de l’information face
aux impératifs de rentabilité et aux contraintes de la concurrence
entre les différents médias, mais surtout, il doit tenir lieu de commun
dénominateur au mélange des fonctions évoqué. »
(Rapport des experts de l’atelier 2, p. 160)
2. Création d’un observatoire des médias
Compétence Communauté française
Court terme et moyen terme
Nous rejoignons la proposition de création d’un Observatoire des médias.
Depuis plusieurs années, de nombreuses structures ont été créées dans le
secteur des médias239 dont les objectifs sont variés, spécifiques ou larges,
convergents ou concurrentiels. A notre sens, avant la mise en place d’une
nouvelle structure en Fédération Wallonie-Bruxelles, il conviendrait de réaliser
un cadastre des compétences existantes, de déterminer les acquis en matière
de connaissances et de capacité de prospective dans le domaine des médias et
d’examiner la meilleure manière d’atteindre, entre autres, les objectifs suivants :
1. la création et les mises à jour d’une base de données des différents
acteurs médiatiques présents en Communauté française240 et de
leurs activités ;
2. la formulation de lignes directrices relatives à la coordination des
politiques et des moyens alloués au secteur des médias ;
239
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en 1997, le Conseil de déontologie journalistique
(CDJ) en 2009, le Conseil supérieur de l’éducation aux médias (CSEM) en 2008, sans compter
les associations privées et professionnelles qui concourent toutes, peu ou prou, à une meilleure
connaissance des réalités et des enjeux du secteur.
240
A ce sujet, le site « pluralisme » du CSA (http://www.csa.be/pluralisme) peut être un outil de travail
à renforcer et à amplifier afin de prendre en compte les impératifs de sauvegarde du pluralisme et d’indépendance des médias, de transparence des liens industriels, structurels mais également éditoriaux.
298
Chapitre 4
3. l’observation et l’analyse, sous divers angles, des évolutions du
secteur.
Il nous paraît évident que ce travail doit être accompli en préalable à toute
décision de création d’un Observatoire des médias, sous peine de générer des
doubles emplois et des concurrences entre institutions, d’autant que toute
initiative en ce sens nécessitera des moyens supplémentaires qu’il n’est pas
évident d’obtenir dans une période de conjoncture difficile. Les mutations au
sein du secteur des médias se poursuivent, comme le montre la création de
la joint venture Het Mediahuis entre Corelio et Concentra réunissant leurs
quotidiens flamands et leurs activités éditoriales digitales ou encore le rachat
récent des éditions de L’Avenir.
Dès lors, il nous paraît utile de poursuivre sur la voie empruntée par les
Etats généraux des médias d’information et, dans l’attente de la création de
ce nouvel outil, nous recommandons qu’une instance provisoire, composée
de professionnels et d’experts en la matière, de représentants d’institutions
disposant de nombreuses informations sur les secteurs concernés (CSA,
Conseil supérieur de l’éducation aux médias, Conseil de la publicité, Conseil
de déontologie journalistique, ministère de la Communauté française, etc.),
puisse déterminer les besoins en connaissances à partager et en dresser
l’inventaire. A l’heure de conclure ce rapport, nous apprenons que l’OPC
et le CSA ont été chargés par le gouvernement de travailler à la mise en
place d’un tableau de bord des données socio-économiques du monde
des médias en Fédération Wallonie-Bruxelles, sur plate-forme ouverte,
et préparent, à cette fin, une étude de faisabilité. Par delà cette première
étape, nous soutenons le projet d’un Observatoire des médias, recommandé
par les experts de l’atelier 1, au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Dans cette perspective, la Fédération Wallonie-Bruxelles devrait également
contraindre l’ensemble des acteurs à communiquer les données nécessaires
et utiles à l’analyse qui serait menée au sein de cet Observatoire, à l’exception
des aspects confidentiels comme stratégiques, et faire de cette contrainte
une condition d’octroi de l’aide à la presse (voir ci-dessous). Dans un souci
d’allégement de la charge de travail des différents acteurs, l’Observatoire des
médias serait chargé d’élaborer un formulaire type répondant aux impératifs
de simplicité et d’efficacité.
L’Observatoire pourrait également animer une réflexion sur l’évaluation
de la mesure des audiences dans le contexte des nouveaux modes de
consommation, en parallèle avec les solutions existantes, afin de répondre à
recommandations transversales
299
la préoccupation unanimement exprimée lors de l’atelier 1.
« Le sixième point d’accord porte sur l’insuffisance et l’inadaptation
des mesures d’audience face aux nouveaux modes de consommation des
médias. Les médias dans leur ensemble déplorent qu’on appréhende de
plus en plus mal le fait qu’un même contenu puisse être «consommé»
sur divers supports notamment sur les nouveaux supports mobiles. Les
petits médias, telles les télévisions locales, déplorent de ne pouvoir être
mesurés en raison du coût élevé des enquêtes. »
(Rapport des experts de l’atelier 1, p. 82)
« RECOMMANDATION 1° « Les experts rejoignent l’avis unanime des
acteurs entendus : la Fédération Wallonie-Bruxelles doit se doter d’un
Observatoire indépendant des médias reconnu par le Gouvernement et
chargé de l’observation et de l’analyse permanentes du secteur ».
« La Fédération devrait dégager les moyens nécessaires à l’élaboration
d’un rapport annuel livrant des données précises sous l’angle
sociologique, juridique et économique. La Fédération Wallonie-Bruxelles
devrait également contraindre l’ensemble des acteurs à communiquer
clairement les données utiles à cette analyse, à l’exception des aspects
stratégiques ».
(...)
« L’obligation de communication de ces informations pourrait être
liée à certaines conditions précises, dont entre autre l’octroi d’aides
publiques. »
(Recommandation des experts de l’atelier 1, pp. 92-93)
300
Chapitre 4
3. Soutien à la transition numérique des éditeurs
de presse
Compétence Communauté française
Court terme
La proposition d’une augmentation significative de l’aide à la presse requiert
préalablement un examen du fonctionnement actuel du Fonds et une
évaluation des critères d’octroi.
Pour mémoire, l’article 5 du Décret du 31 mars 2004 relatif aux aides
attribuées à la presse quotidienne écrite francophone précise les conditions
que doivent remplir les entreprises de presse afin de percevoir des aides.
Ces dernières doivent affecter les montants perçus « à la couverture du
coût de l’activité rédactionnelle, à la modernisation des systèmes d’édition, à
l’adaptation aux technologies modernes de communication du titre de presse
quotidienne ou groupe de titres pour lesquels elles ont fait une demande et aux
programmes originaux d’incitation à la lecture du journal, de formation du
lecteur à la citoyenneté et d’éducation aux médias ».
Les conditions pour être éligible aux aides sont au nombre de trois :
application des codes du journalisme, application des accords sectoriels et
rôle d’interlocuteur des sociétés de rédacteurs lorsqu’elles existent au sein de
l’entreprise.
Il convient dès lors de vérifier si l’affectation des moyens publics correspond
toujours aux besoins du secteur ainsi que la pertinence des conditions
d’éligibilité. Par rapport aux recommandations, nous proposons la formulation
des six critères suivants conditionnant l’octroi de l’aide à la presse :
-
-
garantir une certaine proportion de journalistes sous CDI au sein
des rédactions ; la recommandation de passer de 40% à 60% ne nous
paraît pas déraisonnable (à l’exception de la situation des éditeurs de
presse périodique spécialisée) ;
renforcer la protection juridique de l’indépendance des rédactions241
241
A cet égard, il n’existe pas de modèle unique de garantie de l’indépendance des rédactions.
Certains modèles privilégient l’élection des responsables rédactionnels par l’ensemble des membres d’une rédaction, d’autres les chartes rédactionnelles ou l’insertion dans les conventions collectives de dispositifs visant à garantir l’indépendance rédactionnelle du média.
recommandations transversales
-
-
-
-
301
vis-à-vis des actionnaires notamment en imposant la mise en place
d’une véritable société de rédacteurs au sein des entreprises de presse
et l’élection du rédacteur en chef par les membres de la rédaction ;
assurer le financement de la formation continue des professionnels
du secteur ;
fournir la preuve de la rémunération adéquate du droit d’auteur des
journalistes, de façon distincte de la rémunération du contrat de
travail ;
satisfaire à l’obligation de communiquer, sur une base annuelle, les
données factuelles utiles au travail de recensement de l’Observatoire
des médias ;
être – pour partie – liée à la mise en œuvre de projets concrets
d’évolution technologique portant sur l’amélioration des conditions
de la production et/ou de la diffusion des contenus d’information.
« Les experts recommandent en premier lieu aux entrepreneurs de
poursuivre la recherche de l’innovation dans la conception et la
diffusion multimédia des contenus. Cette recherche est fondamentale
pour les médias « historiques » afin d’éviter l’évasion des jeunes
attirés par les formes nouvelles de communication qui se développent
rapidement notamment via les divers réseaux sociaux. Ces réseaux ont
démontré que la circulation de l’information se fait de plus en plus en
dehors des « marques » média. Il convient donc pour les médias «
historiques » de conserver la valeur des informations qu’ils produisent
en transposant, avec une différenciation de traitement, un contenu sur
plusieurs supports ou applications et de profiter de la complémentarité
qu’offrent les divers supports ou plates-formes pour utiliser au mieux
le fruit du travail des journalistes : enrichissement des textes par des
photos ou des vidéos, recours aux archives, dossiers etc. et inversement
enrichissement des sites audiovisuels » .
(Extrait du rapport des experts de l’atelier 1, p. 85)
« La crise particulièrement aiguë que traversent les médias impose de
penser de manière globale à une politique de soutien à l’adaptation aux
nouvelles technologies et aux bouleversements des marchés. Le passage
rapide et massif à une économie du numérique nécessite une aide publique
d’importance à l’ensemble du secteur. Le contexte économique très
302
Chapitre 4
difficile oblige tous les opérateurs à investir lourdement dans les nouvelles
technologies et à amortir ces investissements en des cycles beaucoup plus
courts qu’auparavant. Il importe de concevoir une politique ambitieuse
qui fasse de la Fédération Wallonie-Bruxelles un creuset d’innovation
en ce secteur — ce qu’elle a pu être par le passé— et non des mesures
simplement défensives. »
(Extrait du rapport des experts de l’atelier 1, p. 88)
4. Statuts des journalistes et des rédactions
Compétence fédérale
Court terme
A l’instar d’autres pays européens, il convient d’assurer un statut aux
journalistes qui exercent leur profession dans notre pays.
Ce statut professionnel déterminerait non seulement les conditions
d’exercices du métier (accès, protection du titre, clause de conscience, etc.)
mais également le statut fiscal et social des journalistes.
Les travaux de l’atelier 2 ont permis de mettre en évidence combien les
conditions actuelles de production de l’information menacent la qualité et la
fiabilité de l’information.
Nous adhérons aux conclusions des experts selon lesquelles la recherche
de cette qualité et de cette fiabilité implique, entre autres, une redéfinition
du statut du journaliste, de leurs conditions de travail et de leur formation,
favorisant ainsi une meilleure prise en compte de leur responsabilité sociale,
une déontologie mieux maîtrisée, une connaissance appropriée des conditions
du secteur dans lequel ils travaillent et des techniques professionnelles
pertinentes dans le contexte technologique contemporain, leur permettant
globalement de poser des choix plus libres et plus éclairés.
De manière générale, nous souhaitons appuyer l’objectif de rehausser
la qualité de l’emploi et de promouvoir l’instauration d’une plate-forme
ouverte, permettant une négociation entre éditeurs, organisations syndicales
et associations professionnelles.
recommandations transversales
303
En effet, la qualité de l’emploi des journalistes, qu’ils soient salariés ou
indépendants, et des personnes qui contribuent à produire de l’information
sont des clés déterminantes de l’excellence de celle-ci. Par conséquent,
les mesures visant à renforcer cette qualité doivent être soutenues pour
autant qu’elles soient réalisables, compte tenu des disparités de situations
entre les différents secteurs concernés, des coûts qu’elles impliquent et de
l’environnement juridique, parfois limitant – notamment pour des motifs de
libre concurrence –, dans lequel elles s’inscrivent. Le renforcement du statut
social du journaliste, en particulier freelance, doit se penser, comme dans
d’autres Etats membres, dans un cadre équilibré, englobant un ensemble de
mesures d’accompagnement visant également à limiter la charge corrélative
de l’éditeur. Sans ces mesures, bon nombre d’initiatives ou de modifications
resteraient de l’ordre du théorique. A titre d’exemple, l’instauration légale
d’une présomption d’emploi irréfragable, à l’image de celle qui existe en
France242, en faveur du journaliste freelance pourrait se révéler contreproductive pour le secteur dans son ensemble car trop lourde et dès lors à
éviter. Pour le reste, les recommandations relatives à la rémunération nous
paraissent relever du domaine de la négociation collective.
Nous partageons la recommandation relative à l’assurance responsabilité
professionnelle obligatoire et défense en justice, mais nous pensons qu’elle
doit concerner tous les journalistes.
« c) la suggestion que soit rendue obligatoire pour tous les journalistes
une assurance de la responsabilité civile leur permettant d’échapper
aux effets de la responsabilité en cascade, effets qui peuvent être très
dommageables en particulier pour les freelances. »
(Rapport des experts de l’atelier 2, p. 172)
« En revanche, il serait certainement utile de généraliser – et
éventuellement d’imposer ou en tous cas de favoriser – le recours
à l’assurance responsabilité professionnelle et défense en justice
pour l’ensemble des personnes contribuant à l’information du
V. en ce sens l’article L7112-1 du Code français du travail : « Toute convention par laquelle une
entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel
est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le
montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties ».
242
304
Chapitre 4
public (par exemple, par une mutualisation du risque) afin
d’éviter que les procès ne soient une arme économique en vue de faire
pression sur ces personnes, quelles que soient les chances de succès des
procédures introduites. »
(Rapport des experts de l’atelier 3, p. 230)
Il nous paraît intéressant, pour éviter une forme de précarisation,
d’approfondir la réflexion, à laquelle invite la recommandation 6 de l’atelier
2, sur « l’assouplissement des conditions d’indemnisation des chômeurs qui
exercent des activités de journaliste freelance, par l’attribution à ces personnes
d’un statut semblable au statut « d’artiste » reconnu par l’ONEM ».
L’égalité homme-femme reste une priorité également, comme dans d’autres
domaines socio-économiques, notamment à propos de la rémunération
et de l’accès à des postes de responsabilité rédactionnelle, ainsi que de la
diversification des équipes journalistiques afin de favoriser divers angles
d’approche de l’information.
« [RECOMMANDATION 9] En ce qui concerne le déséquilibre hommesfemmes : les experts recommandent l’alignement des rémunérations des
journalistes femmes sur celles des journalistes hommes. Ils suggèrent de
favoriser autant que possible, non seulement l’engagement, mais surtout
la promotion de journalistes femmes à des postes de responsabilité
rédactionnelle. »
(Recommandation des experts de l’atelier 2, p. 203)
« [RECOMMANDATION 27] Diversifier davantage (en âge, en genre,
en origine, en culture, en formation) les équipes journalistiques
afin de mieux varier les compétences et les angles d’approche de
l’information. »
(Recommandation des experts de l’atelier 2, p. 207)
Nous recommandons également le renforcement de l’autonomie des
rédactions, en distinguant le directeur de la rédaction de l’administrateur
délégué ou du chef d’entreprise et en formalisant légalement le statut de la
société des rédacteurs dont les compétences doivent pouvoir s’étendre aux
recommandations transversales
305
nouveaux médias. L’objectif de sociétés de rédacteurs vise en effet à assurer
une plus grande indépendance à l’égard de l’actionnariat du média ainsi
que la liberté et la qualité de l’information, en distinguant l’entreprise qui
produit le média de la force intellectuelle qui le compose. Les sociétés de
rédacteurs ont peu d’ancrage juridique en Fédération Wallonie-Bruxelles,
l’exemple donné par certains pays voisins ou la Flandre sont de nature à
éclairer la réflexion et le travail du législateur. Nous reprenons ainsi les
recommandations 18 à 20 de l’atelier 2.
« [RECOMMANDATION 18] Une initiative législative et/ou un
accord conventionnel devrait organiser plus formellement le statut des
rédactions en élargissant clairement les compétences de celles-ci aux
nouveaux médias et aux nouveaux métiers et en donnant davantage de
pouvoir représentatif et une existence légale aux sociétés de rédacteurs,
qui représentent le « capital intellectuel » de l’entreprise.
[RECOMMANDATION 19] A minima, la société de rédacteurs
devrait avoir le dernier mot quant à la désignation du rédacteur en
chef, lequel devrait avoir des prérogatives nettement distinctes de celles
du chef d’entreprise : il serait « le premier des journalistes » et non
« le dernier des directeurs ». Dans cette perspective, tout doit être mis
en oeuvre (au niveau légal et conventionnel) pour que, dans tous les
médias d’information générale, le rédacteur en chef soit titulaire du
titre de journaliste professionnel, comme le recommande le CDJ et à
l’instar de ce que prévoit le décret de la Communauté française dans les
télévisions locales. A maxima, la société de rédacteurs pourrait se voir
dotée d’une structure juridique distincte et se transformer en opérateur
autonome, lequel se verrait confier le travail rédactionnel pour le compte
de l’éditeur
[RECOMMANDATION 20] La rédaction devrait être clairement
distincte des autres services de l’entreprise et principalement des services
de marketing. Un protocole devrait être adopté dans ce sens au sein de
chaque société éditrice ou au sein des associations d’éditeurs ».
(Rapport des experts de l’atelier 2, p. 205)
Nous estimons que la recommandation 22 relative au droit de retrait du
journaliste est le corollaire cohérent de la condition de respect des règles
306
Chapitre 4
de déontologie posée pour l’obtention du titre de journaliste professionnel.
Néanmoins, le libellé de cette recommandation nous paraît trop vague et,
pour être retenu, les conditions de mise en œuvre de ce droit doivent être
clarifiées et précisées.
« [Recommandation 22] Le législateur pourrait organiser pour les
journalistes un « droit de retrait » qui consacrerait leur droit au refus
d’obtempérer, sans perte d’emploi ou de rémunération, à une consigne
inacceptable en vertu de la déontologie. »
(Recommandation des experts de l’atelier 2, p. 206)
Nous partageons les recommandations 14 à 17 relatives au statut juridique
et au titre de journalistes professionnels. Rappelons que le but poursuivi est
de permettre aux journalistes d’établir qu’ils exercent effectivement une
activité journalistique à titre de profession principale et dans des conditions
reconnues.
Nous recommandons toutefois de remplacer dans ces recommandations les
références à « l’information générale » par la mention de « l’information ».
En effet, les journalistes exerçant dans la presse périodique doivent
pouvoir obtenir le titre de journaliste professionnel. En outre, ce concept
d’ « information générale », qui n’est pas toujours aisé à manier, introduit une
discrimination non justifiée au sein de la profession de journaliste.
« [RECOMMANDATION 14] La commission d’agréation pourrait
être autorisée par la loi à octroyer le titre de journaliste professionnel
à toute personne qui consacre au moins la moitié de son temps
d’activité professionnelle à un travail d’information générale et dont
les autres revenus proviennent exclusivement d’activités qui ne sont pas
susceptibles de limiter son indépendance journalistique. »
(Rapport des experts de l’atelier 2, p. 204)
Quant à la question de l’indépendance du journaliste qui bénéficierait de
rémunérations autres qu’en provenance de son activité journalistique, il
serait pertinent d’exiger de celui-ci qu’il remplisse une déclaration annuelle
sur l’honneur, préparée par la Commission d’agréation sur la base d’une
recommandations transversales
307
réflexion relative aux conflits d’intérêts et aux incompatibilités.
« [RECOMMANDATION 15] Comme le recommande la commission
d’agréation, l’accès au titre de journaliste professionnel doit être ouvert
à toute personne travaillant, quel que soit son statut, dans les conditions
légales telles qu’elles sont interprétées par la commission d’agréation, pour
un média d’information générale sur n’importe quel type de support.
[RECOMMANDATION 16] Une modification de la loi du 30 décembre
1963 devrait être envisagée par un amendement ajoutant aux conditions
pour obtenir et conserver le titre de journaliste professionnel la
signature par le/la journaliste d’un engagement d’adhésion au système
d’autorégulation déontologique existant dans chaque Communauté
(RvdJ et CDJ) et de respect des règles et avis déontologiques édictés par
les organes d’autorégulation de sa Communauté.
[RECOMMANDATION 17] Il convient de poursuivre la négociation en
cours en vue de rapprocher les titres de journaliste professionnel et de
journaliste de profession afin d’aboutir à un titre unique dont l’octroi
et la conservation seraient notamment conditionnés par le respect des
normes déontologiques et professionnelles ».
(Rapport des experts de l’atelier 2, p. 204)
5. Formation continue
Compétence Communauté française et Région
Court terme
La nécessité d’assurer une formation continue efficace est, dans des modèles
en pleine restructuration, d’une urgence rappelée par l’ensemble des
acteurs.
Il nous paraît opportun qu’à côté d’une offre de formation en présentiel, des
ressources en ligne soient mises à la disposition des professionnels. Sur le
plan technique, une série de tutoriels sont déjà disponibles. Il serait judicieux
d’étendre ces expériences et de les partager entre professionnels.
308
Chapitre 4
La proposition de création d’un Centre de formation continue des
journalistes ou d’une structure pérenne au sens de la recommandation 40,
chargée d’une telle mission, peut être retenue et devrait associer les quatre
écoles de journalisme (IHECS, UCL, ULB et ULg), les associations des éditeurs
(JFB), des journalistes (AJP), le Conseil de déontologie journalistique et les
éditeurs audiovisuels. Ce Centre nous paraît être un modèle intéressant qui
allierait les compétences académiques, pratiques et pédagogiques d’un côté,
et les besoins des professionnels et des éditeurs de l’autre.
« [RECOMMANDATION 40] Soutenir rapidement la création et le
maintien d’une structure pérenne unique de formation continue centrée
sur les métiers du journalisme, de l’information et des nouveaux médias.
Pour cela, la Fédération Wallonie-Bruxelles devrait, soit choisir entre
les deux propositions actuellement en présence, soit organiser dans les
plus brefs délais une concertation entre les acteurs concernés afin de
préciser l’organigramme, le financement et les modes de fonctionnement
de cette structure ».
(Rapport des experts de l’atelier 2, p. 209)
Comme le prévoient les recommandations, cette formation continue devrait
porter en particulier sur le développement des nouveaux médias, favoriser
la reconversion des métiers anciens et la formation aux nouveaux métiers
du journalisme, et travailler à « réduire l’inculture numérique » au sein du
secteur. L’importance du droit et de la déontologie garde sa pertinence dans
le contexte des TIC.243
Enfin, il conviendrait également que les formations proposées soient également
accessibles aux autres métiers du secteur des médias que celui de journaliste.
En ce qui concerne la formation de base, les recommandations 32
(orientation et information sur les études), 33 (clarification entre information
et communication dans les programmes de formation), 34 à 37 (stage au
cours des études) nous ont semblé relever de mesures pratiques appelant une
coordination entre les institutions d’enseignement concernées et non pas
directement d’intervention des autorités publiques (sauf en ce qui concerne
la recommandation 37, qui fait référence aux moyens humains et financiers
243
Voy. le rapport des experts de l’atelier 2, p. 30.
recommandations transversales
309
des lieux de formation, mais le problème des moyens n’est pas spécifique à la
formation en journalisme).
D’autres questions sont renvoyées par les experts de l’atelier 2 à un besoin
d’analyse approfondie (recommandations 38 (année passerelle) et 39
(articulation des connaissances pratiques et théoriques au long du cursus)),
et relèvent de problématiques générales relatives à l’enseignement supérieur
dans tous les domaines. De même, le souhait d’un financement de la
recherche scientifique doctorale et post- doctorale et de la recherche au sein
des entreprises de médias (recommandation 41) est partagé par notre groupe
mais participe aussi de la situation générale du financement de la recherche
en Fédération Wallonie-Bruxelles.
6. TVA
Compétence fédérale
Court terme
En s’inspirant des exemples français et allemand, la nécessité d’homogénéiser
le taux de TVA (taux 0) à l’ensemble des médias d’information nous paraît
être de bon sens et mériter une analyse de coût et de faisabilité, au regard
notamment du droit européen.
7. Soutien par les pouvoirs publics à la création et au
développement de kiosques numériques
Compétence Communauté française
Court terme
L’utilité d’une plate-forme numérique de consultation et d’achat de
contenus, qui accueillerait entre autres les titres de la presse francophone
s’impose comme une évidence : « Aujourd’hui, la presse dans son ensemble
ne se trouve plus face à une concurrence interne qui verrait les titres opposés les
uns aux autres. Ces titres sont confrontés à de très grands acteurs du marché,
parmi lesquels Google qui a une capacité extraordinaire à traiter les données
à très grand nombre, et Apple qui a une capacité de commercialiser tout cela.
Ces deux modèles ne nous conviennent pas tout à fait dans la mesure où
Google capture une grosse partie du marché dans une grande opacité, et Apple
310
Chapitre 4
propose un modèle économique (avec l’iTunes store et ses applications, l’iPad
et bientôt un kiosque) qui ne correspond pas à ce nous cherchons».244
Il nous paraît important que les pouvoirs publics et les éditeurs trouvent les
moyens de créer un instrument de diffusion numérique unique où les contenus
seraient proposés aux lecteurs. Ce kiosque aurait l’avantage de générer des
flux supérieurs aux initiatives individuelles et peu coordonnées, favoriserait la
diversité éditoriale et augmenterait l’attractivité des investisseurs potentiels,
notamment par l’apport de revenus publicitaires supplémentaires.
Les titres, aujourd’hui, sur les kiosques étrangers sont noyés dans la masse
des titres nationaux et sont, dès lors, peu visibles et peu valorisables.
Le cas du GIE E-Presse Premium constitue un modèle intéressant, mais
exclusivement privé, qui associe un opérateur Internet Orange aux éditeurs de
presse (au départ huit groupes de presse245) et doté, à sa création, d’un capital
de départ de 100.000 euros. Le site GoPress (www.gopress.be) constitue une
première étape intéressante dont le développement devrait se poursuivre.246
Dans un second temps, l’analyse devrait être étendue aux médias audiovisuels.
Participe de celle-ci, le fait de savoir si toute mise à disposition de contenus
doit se faire de manière payante.
8. Financement par les pouvoirs publics d’abonnements
gratuits pour les écoles (enseignement secondaire et
supérieur)
Compétence Communauté française
Court terme
Aujourd’hui, la consommation médiatique d’informations par les jeunes est
Frédéric Filloux éditeur de la Monday Note et directeur général du GIE e-Presse Premium
http://www.lefigaro.fr/medias/2010/12/20/04002-20101220ARTFIG00474-frederic-fillouxinvite-du-buzz-media-orange-le-figaro.php
245
Au départ le projet était porté par cinq quotidiens nationaux (Les Echos, L’Equipe, Le Figaro,
Libération et Le Parisien) et les trois principaux newsmagazines français : L’Express, Le Nouvel
Observateur et Le Point.
246
Voy, www.rtbf.be/info/medias/detail_voici-gopress-premier-kiosque-numerique-belge-de-lapresse-ecrite?id=7739849
244
recommandations transversales
311
en constante diminution, quel que soit le support. Une partie importante de
la jeune population se contente de certaines informations glanées soit dans
les journaux télévisés, soit sur Internet via les réseaux sociaux ou dans le
cadre de recherches documentaires qui s’inscrivent dans des préoccupations
d’ordre utilitaire (recherche d’emplois, travaux scolaires ou académiques,
etc.)
Il nous paraît utile de réfléchir à la mise à disposition gratuite d’exemplaires
de journaux et magazines, soit les supports papiers soit des abonnements
en ligne (à tous les sites d’information payants de la Fédération WallonieBruxelles), à destination des jeunes à partir de 12 ans, via les écoles et les
établissements d’enseignement supérieur. Cela pourrait être financé en
partie par l’aide à la presse pour des motifs d’intérêt général, et notamment
d’éducation aux médias.
Cette expérience a nécessairement un coût mais présenterait le triple avantage
d’amorcer un intérêt plus grand des jeunes lecteurs pour l’information, de
permettre aux éditeurs de s’assurer une plus grande diffusion, et enfin de
participer au développement de la conscience citoyenne.
9. Aide à la création journalistique
Compétence Communauté française
Court terme et moyen terme
« Le contexte économique oblige tous les opérateurs, entre obligation
d’investissements lourds et perte de rentabilité, à tenter de réduire les
coûts de production. La reconfiguration des métiers oblige pourtant à
adopter une politique volontariste de formation et d’investissement
dans le rédactionnel, en renforçant les structures qui valorisent la
qualité rédactionnelle »
(Rapport des experts de l’atelier 1, p. 90)
Il convient de faire évoluer le Fonds pour le journalisme dans deux directions
majeures : modernisation et redynamisation.
A court terme, cela devrait prendre la forme notamment d’une plus grande
312
Chapitre 4
ouverture aux métiers du Web et aussi d’une plus large participation des
jeunes journalistes fraîchement intégrés dans la vie professionnelle au
processus décisionnel.
A moyen terme, il conviendrait également d’examiner la manière dont le
Fonds pourrait rechercher d’autres partenaires et favoriser le cofinancement
de projet. Nous pensons notamment aux plates-formes de financement
participatif.
10. Les diffuseurs de presse : amélioration du statut
et reconnaissance professionnelle
Compétence fédérale
Court terme
Il ne peut y avoir vitalité de la presse sans diffuseurs de presse. La précarité
du secteur est évidente. De plus en plus de diffuseurs sont contraints de
cesser leurs activités.
Il nous paraît important de favoriser le maintien de cette activité qui participe
aux besoins démocratiques de liberté d’expression, de liberté de la presse,
de lien social (notamment en milieu rural) et d’une citoyenneté éclairée,
en activant un statut fiscal et professionnel qui encourage le maintien et la
création de nouvelles activités.
Il conviendrait également de permettre aux diffuseurs de presse la vente
exclusive de certains produits (Lotto ou encore tabac, par exemple) et la
création de réseaux indépendants. Le système de rémunération des diffuseurs
soumis, aujourd’hui, au quasi-monopole d’un distributeur est également à
examiner attentivement à l’aune de la législation européenne et des règles de
la concurrence.
Enfin, des aides spécifiques pourraient être envisagées dans le cadre du
portage à domicile.
recommandations transversales
313
11. Tarif préférentiel postal
Compétence fédérale
Court terme et moyen terme
Dans la ligne des recommandations des experts, le principe d’égalité doit
prévaloir dans ce domaine. En ce sens, à moyen terme, il convient d’étendre
et de généraliser le tarif préférentiel pour la presse quotidienne et périodique.
Objectivement, il n’y a aucune raison de maintenir des différences en ce
domaine d’autant que les subtilités qui existent entre les différents tarifs et
les conditions permettent des interprétations qui laissent une trop grande
place à la négociation et à l’arbitraire.
A court terme, dans le même ordre d’idée, la poste refuse aujourd’hui la
distribution de magazines le week-end (samedi). Or, la plupart des titres de
presse quotidienne intègrent des magazines hebdomadaires (suppléments)
dans les exemplaires du samedi. La continuité de l’activité industrielle
historique de la poste devrait être assurée pour l’ensemble de l’activité tant
que cela s’avère nécessaire à cette dernière.
12. Modification de la loi sur le tax-shelter
Compétence fédérale
Moyen terme
Les récentes modifications intervenues dans cette matière (juillet 2013)
n’ont malheureusement pas répondu à toutes les questions et demandes,
notamment celles relatives au champ d’application des mesures.
Une proposition non retenue était de l’étendre à d’autres domaines que la
production d’œuvres audiovisuelles belges247. La réflexion doit être poursuivie
sur cette question, tout en veillant à ne pas diluer l’aide accordée au secteur
cinématographique par une extension trop large des mesures.
Le tax shelter concerne aujourd’hui l’investissement dans les productions suivantes : les longs
métrages de fiction, les courts métrages, les documentaires, les séries d’animation ou encore les
téléfilms de fiction longue
247
314
Chapitre 4
13. Création de synergies entre télévisions locales et
la RTBF
Compétence Communauté française
Court terme
La multiplication des acteurs publics dans le secteur audiovisuel, si elle est
source d’enrichissement culturel et garantit une diversification éditoriale
intéressante, représente également un facteur de dépenses concurrentes qu’il
convient de mieux canaliser et d’encadrer.
Nous sommes convaincus qu’une meilleure affectation des ressources est
possible et souhaitable. Il nous paraît nécessaire et urgent :
-
-
-
de clarifier les rôles de chacun des acteurs publics du secteur
audiovisuel, dans une perspective de développement harmonieux et
de valorisation cohérente des ressources publiques;
de favoriser les synergies tant sur le plan des contenus que celui des
infrastructures par la mise en place d’une structure commune à
l’ensemble des acteurs, dans le respect de l’autonomie éditoriale des
partenaires ainsi que des règles professionnelles et déontologiques
des professions concernées (échanges d’images, de reportages
et de programmes, coproductions de programmes, promotion,
concertation éditoriale, etc.) ;
d’optimaliser également les revenus publicitaires par le développement
de stratégies complémentaires.
14. Droit d’auteur
Compétence fédérale
Court terme (des négociations législatives sont en cours)
Nous partageons la nécessité, soulignée par les experts de l’atelier 1, d’assurer
la défense des droits d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur afin
de lutter contre le piratage des contenus, de favoriser une rémunération
adéquate des titulaires de droits et de faciliter les actions à l’encontre des
acteurs globaux (notamment « over the top »).
recommandations transversales
315
Recommandation 3° « Les experts recommandent une politique
de droits d’auteur dynamique, axée sur la valorisation des contenus
et le respect de ceux-ci, impliquant dès lors des accords contractuels
promouvant et rétribuant le contenu et des démarches plus
systématiquement actives, en cas de violation des droits, aux côtés, le
cas échéant, des sociétés de gestion collective ».
(…)
« les pouvoirs publics doivent porter une attention toute particulière aux
droits d’auteur ainsi qu’au piratage, qui entraîne une perte de valeur des
contenus produits. L’adoption de mesures financières conservatoires et
provisoires, à l’égard des acteurs notamment internationaux globaux,
devrait être facilitée à titre de mesure avant-dire droit. De même, le
niveau d’octroi de dommages-intérêts, en cas de réutilisation non
autorisée de contenus digitalisés, devrait être élevé ».
(Recommandations des experts de l’atelier 1, p. 86)
Nous rappellerons, pour éviter, toute confusion que le journaliste est un
« auteur » au sens de la loi sur le droit d’auteur du 30 juin 1994, dès lors qu’il
crée une œuvre originale, reflétant l’expression de sa personnalité. Ainsi,
l’essentiel du travail journalistique, impliquant une mise en forme et une
production originale de l’esprit, est protégé par le droit d’auteur.
Pour mémoire, l’article 6, al 1er de la loi belge sur le droit d’auteur consacre le
principe selon lequel « le titulaire originaire du droit d’auteur est la personne
physique qui a créé l’œuvre ».
C’est donc bien le créateur, personne physique, qui est le titulaire originaire
des droits. Le droit naît, en d’autres termes, dans son chef. Dès lors, la
recommandation 10 est sans objet.248
Cette conception de l’auteur est assez répandue dans l’ensemble des pays
européens et au niveau international.
Cependant, afin de faciliter l’identification de l’auteur, la loi organise une
248
« Il est recommandé que le statut d’auteur soit légalement reconnu à tous les journalistes. »
316
Chapitre 4
présomption de la qualité d’auteur : l’article 6 alinéa 2 de la loi dispose
qu’« est présumé auteur, sauf preuve contraire, quiconque apparaît comme
tel sur l’œuvre, sur une reproduction de l’œuvre, ou en relation avec une
communication publique de celle-ci, du fait de la mention de son nom ou d’un
sigle permettant de l’identifier ».
Il s’agit d’une simple présomption qui peut être renversée par la preuve
contraire, mais qui s’appliquera tant que la preuve contraire n’a pas été
apportée en faveur de quiconque apparaît comme tel sur l’œuvre, du fait de
la mention de son nom ou d’un sigle permettant de l’identifier.
La Cour de cassation a jugé que si la qualité d’auteur reconnue par l’article 6,
al. 1er de la loi précitée, était limitée à la personne physique qui crée l’œuvre,
la présomption de titularité énoncée par l’article 6, al. 2, était plus large et
concerne l’auteur originaire ou le cessionnaire du droit, lequel peut être
une personne morale249. La présomption bénéficiera, par conséquent,
à la personne dont le nom figure sur l’œuvre, qu’il soit patronymique ou
commercial, ou dont le sigle apparaît, notamment un logo, une enseigne,
une marque, un emblème, un pseudonyme250.
Dans le secteur audiovisuel, l’article 18 de la loi précitée consacre une
présomption de cession des droits réfragable en faveur du producteur et
implique la cession des droits d’auteur des journalistes œuvrant dans ce secteur
et intervenant comme auteur d’une œuvre audiovisuelle au sens de l’article 14
de la loi. L’article 19 de la loi précise que, sauf pour les œuvres audiovisuelles
relevant de l’industrie non culturelle ou de la publicité, les auteurs ont droit à
une rémunération distincte pour chaque mode d’exploitation.
Nous ne partageons pas l’idée d’interdire toute présomption de cession
des droits des journalistes à l’égard de l’éditeur251. Toutefois, nous pensons
qu’il serait opportun de prévoir qu’en cas de cession de leurs droits d’auteur,
les journalistes aient droit à une rémunération adéquate à laquelle ils ne
Cass. 12 juin 1998, Pas., I, 1998, p. 307.
Brux., 11 septembre 2001, Ing.-Cons., 2001, p. 404
251
Recommandation 11 : « Il conviendrait que le législateur fédéral examine la position de l’AJP,
qui demande que soit interdite toute présomption de cession de droits et toute cession gratuite privant les auteurs de leurs droits secondaires (en cas de republication, d’exploitation d’archives, etc.).
Lors de cet examen, il s’imposerait de prendre en compte la situation particulière des éditeurs de la
presse périodique spécialisée : des dérogations spécifiques devraient être prévues à leur endroit. On
devrait également prendre en compte la déclaration de certains éditeurs d’exploitation des contenus sur tous les types de plates-formes est pour leur entreprise une condition de survie. »
249
250
recommandations transversales
317
peuvent renoncer. Celle-ci devrait s’ajouter au salaire de base ou s’intégrer
au montant prévu dans le cadre d’un contrat de commande. Cependant,
cette question s’insère dans le débat plus large relatif au statut des auteurs,
les journalistes ne pouvant être une catégorie d’auteurs bénéficiant d’un
statut d’exception. Nous ne pensons pas qu’il convienne d’introduire dans
la loi un pourcentage de rémunération par droit d’auteur par rapport à la
rémunération globale252, mais, au contraire, qu’il convient de laisser la place
à la souplesse de la négociation contractuelle entre les parties, afin de tenir
compte des spécificités de celles-ci, parfois bien différentes.
15. L’éducation aux médias
Compétence Communauté française
Court terme
Comme l’ont exposé les experts de l’atelier 2, l’éducation aux médias mérite,
et d’autant plus à une époque de grands changements, d’être renforcée. Les
moyens attribués au CSEM et aux initiatives prises par différents acteurs
visant à développer l’éducation aux médias devraient être renforcés253.
« [RECOMMANDATION 30] L’éducation aux médias dans
l’enseignement secondaire et l’initiation aux médias dans les écoles de
journalisme doivent mieux préparer les futurs consommateurs et les
futurs producteurs d’information à la constellation médiatique qui
s’annonce, en améliorant la « littératie » médiatique et en objectivant
notamment les réalités du métier de journaliste.
Recommandation 13 :« Le barème conventionnel des prestations, dans le cas des freelances, ou
la convention collective, dans le cas des journalistes salariés, devrait prévoir une limite à la proportion de la rémunération sous forme de droits d’auteur : un maximum de 30 % est proposé, sauf pour
les indépendants à titre complémentaire et pour des droits secondaires. »
253
Citons en ce sens le texte introductif à la semaine de l’éducation aux médias au Québec du
4 au 8 novembre 2013 -http://www.medialiteracyweek.ca/fr/101_concepts.htm : « Le personnel
enseignant en tant qu’animateur dans un processus d’apprentissage centré sur l’élève est non seulement le modèle accepté dans l’éducation aux médias, mais celui adopté par la nouvelle pédagogie critique. Le défi aujourd’hui est d’identifier et d’évaluer l’information répondant à un besoin
spécifique et de la synthétiser en connaissance ou en communication utile. L’éducation aux médias
- ses techniques de pensée critique, de communication créative et de compétences informatiques et
audiovisuelles - est un élément clé de l’approche éducative au XXIe siècle. »
252
318
Chapitre 4
[RECOMMANDATION 31] Renforcer l’éducation aux médias dans
les programmes de formation obligatoire (primaire et secondaire).
A minima, donner les moyens aux opérations existantes (« Ouvrir
mon quotidien », « Journalistes en classe », etc.) de continuer à
exister. Étudier l’opportunité de compléter/modifier ces opérations
existantes par d’autres bonnes pratiques, mises en place ailleurs.
Idéalement, introduire l’éducation aux médias dans les programmes
de formation obligatoire, c’est-à-dire dès les études primaires (en 5e et
6e, éventuellement auparavant), ainsi qu’au niveau secondaire. »
(Rapport des experts de l’atelier 2, pp. 207-208)
« Cette volonté d’initier et de renforcer, auprès de chaque citoyen, «
la capacité à accéder aux médias, à comprendre et à apprécier, avec
un sens critique, les différents aspects des médias et de leur contenu
et à communiquer dans divers contextes » se fonde sur plusieurs
motivations, dont la moindre est le suivi des recommandations de
la Commission des Communautés européennes (2009) et du Conseil
supérieur de l’éducation aux médias, dans sa « Déclaration de Bruxelles
pour une éducation aux médias tout au long de la vie » (3 mars 2011).
Des citoyens éduqués aux médias (c’est-à-dire dotés d’une compétence
certaine en littératie médiatique) sont en effet susceptibles d’avoir une
représentation plus réaliste des métiers de l’information, de consommer
davantage de médias, d’exiger de ces médias une qualité accrue et de
participer davantage à l’élaboration de leurs contenus. Des citoyens
bien informés étant le gage d’une démocratie de qualité, c’est toute une
communauté qui se trouve ainsi tirée vers le haut.
À l’heure actuelle, il semble que cette éducation aux médias soit
laissée à l’appréciation des enseignants de l’enseignement obligatoire
qui choisissent, ou non, d’y consacrer du temps. L’introduire comme
compétence socle en primaire et/ou secondaire pourrait avoir les effets
bénéfiques décrits plus haut. »
(Rapport des experts de l’atelier 2, p. 182)
Cette recommandation permet également de rencontrer – en partie – les
préoccupations des représentants d’usagers, qui souhaitent une meilleure
formation à une pratique critique des médias :
recommandations transversales
319
« Les représentants d’usagers se plaignent de certains contenus
publicitaires véhiculés par les médias et de la confusion qui peut exister
entre le rédactionnel et le publicitaire. Ils estiment que les instances
qui encadrent la publicité ne sont pas assez efficaces pour protéger
les consommateurs des abus et manipulations diverses constatés. Ils
jugent qu’il conviendrait de mieux former les usagers à une pratique
plus critique des médias et que cette formation ne devrait pas émaner
d’instances liées aux annonceurs ou aux agences. Ils militent pour un
Conseil fédéral de la Publicité indépendant. »
(Rapport des experts de l’atelier 1, p. 84)
16. Sur l’uniformisation des règles pour les différents
médias
Compétence fédérale, pouvoir constituant et Communauté
française
Moyen terme
« Les mêmes règles juridiques doivent s’appliquer quel que soit le média
utilisé et quelle que soit la qualité de celui qui contribue à l’information,
c’est-à-dire à « toute personne qui contribue directement à la collecte,
la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais
d’un média, au profit du public ».
Cette uniformisation doit se faire par une application à l’ensemble des
médias d’information des règles de procédure et de fond protectrices de
la liberté de la presse. »
(Rapport des experts de l’atelier 3, p. 228)
En matière de liberté d’expression, nous partageons globalement les
conclusions des experts sur la nécessité de mettre sur le même pied l’ensemble
des médias d’information (presse écrite, audiovisuelle et Internet). Cette
position est justifiée, notamment par la convergence croissante des médias. Il
n’est pas souhaitable qu’un écrit ou qu’une séquence audiovisuelle susceptible
320
Chapitre 4
de se retrouver sur l’Internet bénéficie d’un traitement différent selon le
média dans lequel il se trouve.
L’uniformisation des règles à l’ensemble des médias imposerait, à tout le
moins, de modifier le texte néerlandais de l’article 25 de la Constitution qui
précise « de drukpers is vrij »254.
Toutefois, l’une d’entre nous (CD) estime que cette uniformisation ne doit
pas être l’objectif ultime et que la cohérence ainsi que le caractère approprié
de la norme par rapport au contexte auquel elle s’applique doivent être
privilégiés.
17. Liberté d’expression et vie privée
Compétence du pouvoir constituant
Moyen terme
Nous voudrions ici souligner que lorsque la liberté d’expression et le droit à la
vie privée entrent en concurrence, il importe que le cadre juridique permette
la protection « concrète et effective » des deux droits fondamentaux. La
philosophie générale du droit européen des droits fondamentaux, telle qu’elle
se dégage de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
mais également de la Charte des droits fondamentaux, consiste précisément
en une quête d’équilibre.
Il est exact, comme l’indiquent les recommandations de l’atelier 3, que la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a dégagé les
critères qui permettent de mettre en œuvre cet exercice d’équilibrage ; il
nous semble important d’insister – dans la ligne de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme – sur la nécessité de veiller à un
respect effectif du droit à la vie privée autant que de la liberté d’expression.
Les droits fondamentaux forment en effet un tout indivisible au sein duquel
aucune liberté n’a de priorité automatique sur les autres.
C’est notamment en raison de ce mot « drukpers » que certains ont soutenu (ou soutiennent)
que l’article 25 de la Constitution ne s’applique pas à l’audiovisuel.
254
recommandations transversales
321
18. Sur l’uniformisation des règles vis-à-vis des
auteurs
Compétence fédérale, du pouvoir constituant et Communauté
française
Court terme et moyen terme
Nous partageons l’analyse des experts sur le fait qu’il n’y a pas lieu de
distinguer, dans le traitement juridique de l’information, selon la qualité de
celui qui la diffuse255.
Nous semble, par ailleurs, particulièrement pertinente la recommandation
de mettre en œuvre une politique d’information et d’incitation au respect
de règles du droit de la communication (devoirs et responsabilités) et
d’une déontologie de l’information à l’égard des journalistes citoyens qui
mettent du contenu à travers les blogs, les forums de discussion et les réseaux
sociaux.
Une telle recommandation doit d’ailleurs être mise en résonance avec ce qui
a été indiqué précédemment concernant l’éducation aux médias.
19. Sur l’interdiction de toute mesure préventive de
restriction à la liberté d’expression
Compétence du pouvoir constituant
Moyen terme
Nous ne sommes pas parvenus à un accord complet sur ce sujet.
Pour l’ensemble d’entre nous, l’arrêt de la Cour européenne des droits de
À cet égard, on peut rappeler que la dans l’affaire Steel et Morris c/ Royaume-Uni du 15 février
2005, la Cour eur. D. H. indique que « la garantie que l’article 10 offre aux journalistes en ce qui
concerne les comptes rendus sur des questions d’intérêt général est subordonnée à la condition que
les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit
dans le respect de la déontologie journalistique (…) ; la même règle doit s’appliquer aux autres
personnes qui s’engagent dans le débat public. » (n° 90).
255
322
Chapitre 4
l’homme du 29 mars 2011256 rend, dans l’état actuel du droit belge, difficile,
sinon impossible, toute mesure judiciaire préventive. Nous observons
cependant qu’il existe, à cet égard, certaines résistances jurisprudentielles257.
Il existe également une controverse en doctrine sur le point de savoir si
une mesure préalable dans un litige entre particuliers constitue un acte de
« censure » au sens de l’article 25 de la Constitution258 et/ou une violation de
l’article 19 de la Constitution259.
Par ailleurs, s’il existe un accord entre nous sur la nécessité de permettre
un équilibre entre les principes de la liberté d’expression et les droits de la
personnalité tels que le droit au respect de la vie privée ou le droit à l’image,
garantis notamment par l’article 8 de la CEDH et par l’article 22 de la
L’arrêt de la Cour eur. D. H. du 29 mars 2011 dit que : « le cadre législatif combiné avec le cadre
jurisprudentiel existant en Belgique (…) ne répond pas à la condition de la prévisibilité voulue
par la Convention » et n’a donc pas permis à la RTBF « de jouir d’un degré suffisant de protection
requise par la prééminence du droit dans une société démocratique ». La Cour conclut, dès lors, à
la violation de l’article 10 de la Convention (n°116).
257
Il est à noter que depuis l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 29 mars
2011 certains juges continuent à ordonner des mesures préventives ou se déclarent à tout le
moins compétents pour le faire, entraînant encore plus de confusion et d’insécurités juridiques
(Civ. Bruxelles (réf.), 7 septembre 2011 ; Civ. Bruxelles (réf.), 6 juin 2012 et Civ. Bruxelles (réf.),
29 janvier 2013).
258
Voy. notamment Fr. JONGEN, « Préventif, répressif ou curatif ? Le juge des référés et la liberté
des médias en Belgique », à paraître dans A. & M., 2013.
Dans son article « Liberté d’expression, liberté de presse : les procédures préventives et répressives sont-elles en voie d’extinction juridique ? » (in « Droits fondamentaux en Mouvement :
Questions choisies d’actualité », CUP, Anthémis, 2012, p. 14), Fr. TULKENS recense, sur la période 1981-2010, une trentaine de décisions par lesquelles les juges se sont déclarés compétents
pour connaître de demandes en référé préventives contre des organismes de télévision et seulement une demi-douzaine de décision en sens contraire. On peut également relever quelques
décisions dans lesquelles des juges se sont déclaré compétents pour interdire préventivement
la parution d’un article de presse (notamment Civ. Bruxelles (14e ch.), 30 juin 1997, citée par
A. STROWEL et Fr. TULKENS, in « Prévention et réparation des préjudices causés par les médias », Bruxelles, Larcier, 1998, p. 214 et suivantes Trib. civ. Namur (réf.), 9 août 2000 J.L.M.B.,
2000, p. 1182). Il est à noter que ces décisions précèdent l’arrêt de la Cour européenne des droits
de l’homme du 29 mars 2011.
259
A cet égard, il convient de relever que dans un arrêt du 3 décembre 2009, la Cour constitutionnelle précisait, dans sa réponse à une question préjudicielle sur le fait de savoir si une disposition
sur le financement des partis politiques était compatible avec l’article 19 de la Constitution, que
ce dernier « a pour objet de réserver au législateur la compétence de régir l’usage de la liberté
d’opinion et d’interdire, en principe, toute mesure préventive d’une autorité publique » (Arrêt
n°195/2009 du 3 décembre 2009 – numéro du rôle 4615).
256
recommandations transversales
323
Constitution ainsi que l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux260,
nous ne sommes pas parvenus à un accord sur la manière de réaliser cet
équilibre.
Pour l’un d’entre nous (PFD), les mesures préventives ne constituent en
aucun cas une manière adéquate de résoudre la tension entre le droit au
respect de la vie privée et la liberté d’expression. Cet équilibre doit être
recherché a posteriori par une réparation en nature ou pécuniaire efficace.
Le cas échéant, il conviendrait, à son sens, d’instaurer une présomption de
dommage moral important en cas de violation d’un droit de la personnalité,
éventuellement par l’instauration d’un barème.
Pour deux autres membres de notre groupe (CD et JFR), les mesures
préventives ne constituent pas une manière adéquate de résoudre les tensions
précitées mais à défaut d’une réparation civile suffisamment effective pour
être dissuasive, l’intervention préalable du juge reste le seul garde-fou
pertinent pour éviter la commission d’un dommage irréparable. Un débat
doit dès lors intervenir justifiant l’intervention du législateur pour guider
l’appréciation du juge dans le niveau de réparation. A défaut, des mesures
exceptionnelles préalables doivent pouvoir être accordées dans des cas
strictement limités en présence d’un dommage d’une exceptionnelle gravité
(par exemple pour prévenir la commission d’infraction à l’égard de mineurs,
à l’égard de victimes d’infractions pénales tel l’attentat à la pudeur). Dans ce
cas, la modification de la Constitution s’impose.
Enfin, pour le quatrième (MI), dans certains cas exceptionnels
limitativement fixés par la loi, l’intervention préalable d’un juge doit pouvoir
s’imposer pour prévenir un dommage irréparable, notamment à l’égard des
mineurs. Ce serait en effet faire preuve d’angélisme que de croire que tous les
dérapages des médias puissent être solutionnés uniquement par des mesures
à posteriori dans l’état actuel du droit et de la jurisprudence (absence de
260
Voyez à cet égard le point 11 de la Résolution n°1165 (1998) sur le droit au respect de la vie privée de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui est souvent citée dans les arrêts de la
Cour européenne des droits de l’homme et qui précise que : « L’Assemblée réaffirme l’importance
du droit au respect de la vie privée de toute personne, et du droit à la liberté d’expression, en tant
que fondements d’une société démocratique. Ces droits ne sont ni absolus ni hiérarchisés entre eux,
étant d’égale valeur. »
Il est à noter que la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît également que « les communications en ligne et leur contenu risquent bien plus que la presse de porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit au respect de
la vie privée » (Comité de rédaction de Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine, 5 mai 2011, § 63).
324
Chapitre 4
poursuite pénale, dommages moraux quasi inexistants261, absence de droit
de réponse sur Internet et inefficacité de ce mode de réparation pour la
plupart des atteintes aux droits de la personnalité, etc.)262.
A son sens, il conviendrait d’introduire dans la Constitution (ou dans une
loi263) une disposition qui conférerait au Juge, dans certains cas exceptionnels
et sous certaines conditions très strictes264, le pouvoir de prendre une mesure
préventive limitant la liberté d’expression, comme le prévoit notamment
l’article 10, § 2, de la CEDH265.
Il y a déjà plus de vingt ans, P. MARTENS parlait déjà de dommages et intérêts insatisfaisants,
de préjudice irréparable causé par les médias et de réparation hasardeuse (P. MARTENS, « Le
contrôle juridictionnel de l’audiovisuel », in F. JONGEN (dir.), Medias et services publics, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 246 et suiv.).
262
Notons que le point 14, vii de la Résolution 1165 (1998) précitée invite les gouvernements des
États membres à se doter d’une législation garantissant le droit au respect de la vie privée qui prévoie notamment « une action judiciaire d’urgence au bénéfice d’une personne qui a connaissance
de l’imminence de la diffusion d’informations ou d’images concernant sa vie privée, comme la
procédure de référé ou de saisie conservatoire visant à suspendre la diffusion de ces données, sous
réserve d’une appréciation par le juge du bien-fondé de la qualification d’atteinte a la vie privée ».
L’utilisation des termes « imminence de la diffusion » dans cette recommandation vise bien une
action préventive.
263
Pour autant que l’ambiguïté de l’interdiction de la censure prévue par l’article 25 de la Constitution soit levée.
264
En cas d’urgence et de péril grave et, de préférence, suite à un débat contradictoire, par exemple.
265
L’article 10 § 2 précise en effet que : « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues
par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité
nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention
du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et
l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
Voy. notamment P. MARTENS qui précise qu’ « en ce qui concerne les atteintes aux personnes, on
ne voit pas comment le juge pourrait oublier qu’il est le gardien des droits à la dignité, à la vie privée
et à la présomption d’innocence sous prétexte que celui qui les méprise s’abrite derrière une liberté
pour en ignorer d’autres » (« Un juge peut-il être un censeur ? », A. & M. , 2003, p. 346).
Pour la France, voyez notamment la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’article 9 du
Code civil en combinaison avec l’article 809 du CPC ou l’article L.332-1 du CPI.
261
recommandations transversales
325
20. Sur la responsabilité en cascade
Compétence du pouvoir constituant
Moyen terme
Nous sommes d’accord avec les experts de l’atelier 3 sur le fait que le régime
de la responsabilité en cascade devrait, en principe, être étendu aux autres
médias d’information. Nous ne partageons cependant pas leur avis sur le fait
que la difficulté d’aboutir à une solution homogène, au regard des difficultés
théoriques que pose cette question et l’absence de problèmes pratiques
criants, justifierait de ne rien modifier à la situation actuelle.
Certes, à ce jour, il n’existe ni régime homogène ni problèmes aigus, chacun
s’accommodant plus au moins à la situation existante. Cependant, le régime de la
cascade consacré par l’article 25 de la Constitution ne correspond plus à la réalité
des médias d’information, notamment à l’audiovisuel266 et à l’Internet267, et est
la source d’une inégalité de traitement des auteurs selon le média concerné.
À cet égard, on pourrait tout d’abord, dans un souci partagé avec les experts
de l’atelier 3, uniformiser les règles pour tous les médias en veillant à asseoir
la neutralité technologique, supprimer l’imprimeur de la cascade et donc
de l’article 25 de la Constitution. Une telle proposition se justifie (1) par
l’absence fréquente d’imprimeur, (2) ou, s’il existe, par le fait que l’imprimeur
est fréquemment à l’étranger ou (3) qu’il n’exerce plus aucun contrôle sur le
contenu (contrairement à ce qui se passait en 1830).
On pourrait ensuite, à l’aune de la loi luxembourgeoise sur la liberté
d’expression du 8 juin 2004, reformuler la règle de la cascade de la manière
suivante : « La responsabilité, civile ou pénale, pour toute faute commise par
la voie d’un média incombe à l’auteur, s’il est connu, à défaut à l’éditeur [et à
défaut au diffuseur]»268. Certains d’entre nous (MI, PFD, JFR) suggèrent qu’on
Expressément exclus par la jurisprudence de la Cour de cassation et par le texte même de l’article 25 de la Constitution dans sa traduction en néerlandais (qui parle de « drukpers »).
267
La Cour de cassation a, dans un arrêt récent, étendu la notion de délit de presse à la « diffusion
numérique » (Cass. (2e ch.), 6 mars 2012, R.T.D.I., 2013, p. 82) – voir infra.
268
Voyez à cet égard, l’article 21 de la loi luxembourgeoise du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias (texte coordonné du 30 avril 2010) qui précise que « la responsabilité, civile
ou pénale, pour faute commise par la voie d’un média incombe au collaborateur, s’il est connu, à
défaut à l’éditeur et à défaut au diffuseur ». Il est à noter que le principe de la responsabilité en
cascade a été retiré de la Constitution luxembourgeoise pour être inséré dans la loi de 2004. En
266
326
Chapitre 4
puisse également prévoir que s’il existe un contrôle éditorial269, l’éditeur sera
seul responsable ou aura une responsabilité partagée (mais non solidaire270)
avec l’auteur, en fonction de l’étendue de son contrôle. Un autre membre
(CD) ne partage pas cette analyse et estime que le principe de la cascade
serait contredit par la co- ou seule responsabilité de l’éditeur.
Cette responsabilité partagée se justifie d’autant plus que nous approuvons
le souhait des experts que se construise une jurisprudence dans laquelle les
dommages et intérêts répondent à une exigence de proportionnalité.
Cette forme de cascade aurait, en outre, l’avantage d’être compatible avec
le principe de la responsabilité des intermédiaires de l’Internet organisée
dans la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la
société de l’information. Ce régime juridique institue, en effet, une forme de
responsabilité subsidiaire au profit des intermédiaires dont l’activité consiste
à permettre la diffusion de contenus vis-à-vis desquels ils n’exercent aucune
maîtrise éditoriale : ce n’est qu’à partir du moment où le prestataire de services a
connaissance du caractère illicite d’une information hébergée sur ses serveurs
qu’il a le choix entre « agir promptement » pour supprimer l’information
litigieuse, ou assumer la responsabilité liée à ces contenus. L’auteur reste le
premier responsable (comme dans le régime de la cascade), et l’intermédiaire
ne devient responsable que lorsqu’il intervient sur le contenu.
21. Vers une clarification du cadre juridique de la
sanction des devoirs et responsabilités de celui qui
s’exprime
Compétence du pouvoir constituant
Moyen terme
Si nous partageons l’insatisfaction des experts quant à la situation actuelle
réservée aux délits de presse (à l’exception de ceux à caractère raciste ou
France, voyez l’article 42 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
269
Par contrôle éditorial, il faut entendre une notion de fait désignant la capacité à intervenir sur
les contenus.
270
Afin d’éviter que toute action en responsabilité soit uniquement et exclusivement diligentée à
l’encontre de l’éditeur responsable (qui est en principe économiquement le plus fort) et que l’éditeur responsable s’immisce davantage dans le travail de ses journalistes.
recommandations transversales
327
négationniste), certains d’entre nous ne se rallient pas à leur recommandation à
s’engager dans la voie de la dépénalisation de l’exercice de la liberté d’expression.
Nous ne sommes cependant pas parvenus à un accord sur les moyens de
répondre à l’impunité pénale des délits de presse.
L’un d’entre nous (PFD) rejoint les conclusions des experts de l’atelier 3 :
« Après avoir examiné en profondeur les différents aspects de la question
et plus particulièrement les avantages et les inconvénients des différents
régimes envisagés, il est recommandé de s’engager dans la voie de la
dépénalisation de l’exercice de la liberté d’expression dont on constate,
notamment en raison de l’absence de poursuite pénale, que la répression ne
répond plus à un besoin social réel et impérieux.
Cette recommandation s’inscrit dans la ligne des travaux récents de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et, notamment, la
Résolution 1577 (2007) du 4 octobre 2007 intitulée « Vers une dépénalisation
de la diffamation» qui exprime, sur ce point, le consensus des 47 Etats
membres.
En revanche, s’il faut, dans certains cas, une réponse par la voie judiciaire,
il convient d’utiliser la voie civile et de recourir au droit commun de la
responsabilité. Une jurisprudence cohérente et prévisible doit se construire et
les dommages-intérêts doivent répondre à l’exigence de proportionnalité. »
(Rapport des experts de l’atelier 3, p. 239)
Pour deux autres membres (JFR et CD), si la dépénalisation des délits de
presse est souhaitable, la situation actuelle – à savoir la quasi-impunité de fait
réservée aux abus de la liberté d’expression – , compte tenu du faible degré de
réparation civile accordée, n’est pas acceptable. En effet, le respect de la vie
privée et de la dignité que tout être est en droit d’attendre constitue autant
d’impératifs que celui de la liberté d’expression. Il ne saurait être question
ni d’instrumentaliser des poursuites pour exercer une quelconque forme
d’intimidation dans l’exercice du droit d’information, ni de cautionner les
abus de l’usage de la liberté d’expression. Dès lors, à leur sens, il convient de
profiter du débat sur la dépénalisation formelle des délits de presse pour assurer
un meilleur équilibre dans la sauvegarde des différentes libertés. A défaut de
328
Chapitre 4
l’intervention du législateur en matière de responsabilité civile, de nature à
guider l’appréciation du juge dans le niveau de réparation et de l’octroi de
dommages-intérêts significatifs aux victimes d’abus de presse difficilement
réparables, il ne convient pas d’écarter la voie de la correctionnalisation des
délits de presse. Cette réflexion se justifie notamment par l’extension, par
la jurisprudence, du champ d’application des principes du délit de presse
à des textes diffusés sur l’Internet271. Suivant ces deux membres, cette
question de la réparation civile adéquate du préjudice n’est pas limitée au
droit de la presse, mais trouve cependant, dans cette matière, une acuité plus
particulière en raison de l’absence, en fait, de toutes poursuites pénales ou de
la dépénalisation formelle des délits de presse.
Pour un autre (MI), il convient de s’engager vers une correctionnalisation des
délits de presse pour lutter contre l’impunité actuelle des abus de la liberté
d’expression, cela d’autant plus que, comme il a été évoqué ci-dessus, la notion
de délit de presse a été étendue dans l’arrêt précité de la Cour de cassation
à l’Internet. Cette position est également justifiée par le risque de sentiment
d’impunité que pourrait engendrer, surtout vis-à-vis des journalistes
citoyens, la difficulté actuelle d’obtenir une mesure préventive (quand elle est
possible), la difficulté ou le coût d’intenter une action en justice et l’absence
de dommages et intérêts respectant le principe de proportionnalité. Une telle
correctionnalisation devrait cependant être assortie par la création d’une
chambre correctionnelle spécialisée dans les affaires de presse qui pourrait
agir dans des délais raisonnables.
Pour le tenant de la correctionnalisation des délits de presse, la dépénalisation
de toutes formes de calomnie et de diffamation, qui sera engendrée par la
dépénalisation des délits de presse, aura pour conséquence de réduire encore
plus les moyens d’action pour lutter contre les atteintes au droit à l’honneur
et à la réputation garantis tant par l’article 17 du Pacte de New York relatif
aux droits civils et politiques que par l’article 10 § 2 de la CEDH.
Pour le tenant de la correctionnalisation, cette dernière devrait cependant
se faire avec le maintien du régime favorable actuel (prescription courte,
Dans un arrêt (de rejet), la Cour de cassation a, en effet, jugé que manque en droit « le moyen
qui (…) est déduit de la prémisse que seules la propagation et la diffusion d’une opinion punissable
par voie d’imprimerie peuvent constituer un délit de presse » (Cass. (2eme ch.), 6 mars 2012, http://
jure.juridat.just.fgov.be/view_decision?justel=F-20120306-5&idxc_id=261956&lang=fr). Cass.
(2e ch.), 6 mars 2012, R.T.D.I., 2013, p.82. Voy. aussi l’arrêt en règlement de juge par lequel la Cour
de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Gand (Cass., 29 janv. 2013, nr P.12.1988.N/4).
271
recommandations transversales
329
interdiction de la détention préventive et règles spéciales en matière de
huis-clos), voire même avec un renforcement de celui-ci, par exemple par
la suppression de toutes peines d’emprisonnement272, notamment pour
les auteurs de calomnie ou de diffamation comme y invite l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe dans sa Résolution 1577 (2007)273.
22. Extension de la répression du négationnisme
Compétence fédérale
Moyen terme
Nous partageons l’analyse des experts d’étendre le champ d’application de
la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la
justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national
socialiste allemand pendant la seconde guerre mondiale, à tous les crimes de
génocide tels que définis par l’article 136bis du Code pénal.
23. Uniformisation du régime juridique des droits
de réponse et/ou de rectification
Compétence fédérale et Communauté française
Moyen terme
« 1° Uniformisation du droit de réponse
Un consensus se dégage sur la nécessité d’uniformiser le droit de réponse,
Voy. à cet égard Cour eur. D.H., 17 décembre 2004, Cumpana et Mazare c. Roumanie, § 115 qui
précise que : « si la fixation des peines est en principe l’apanage des juridictions nationales, la Cour
considère qu’une peine de prison infligée pour une infraction commise dans le domaine de la presse
n’est compatible avec la liberté d’expression journalistique garantie par l’article 10 de la Convention que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque d’autres droits fondamentaux
ont été gravement atteints, comme dans l’hypothèse, par exemple, de la diffusion d’un discours de
haine ou d’incitation à la violence (…) ».
273
Il est à noter à cet égard que la Résolution 1577 (2007) de l’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe intitulé « Vers une dépénalisation de la diffamation » se contente d’inviter les États
membres « à abolir sans attendre les peines d’emprisonnement pour diffamation » et « à garantir
qu’il n’y a pas de recours abusif aux poursuites pénales et à garantir l’indépendance du ministère
public dans ces cas ».
272
330
Chapitre 4
quel que soit le média concerné (presse écrite, audiovisuelle ou média
électronique), et de rendre plus effectif son rôle de garantie du débat
contradictoire. Le droit de réponse devrait se situer dans un éventail
de mesures à disposition des personnes citées par la presse pour faire
entendre leur voix, mesures dont la mise en œuvre, pour des raisons de
facilité, devrait répondre à des modalités similaires. Ces différentes
voies d’actions seraient :
- un droit de réponse sous forme de droit de rectification : ce droit
appartiendrait à toute personne physique ou morale identifiée ou
identifiable, et viserait à demander la publication ou l’insertion
gratuite d’une rectification en cas de données erronées publiées
par un média à son propos ou d’atteinte à son honneur. Le droit de
réponse ainsi reformulé s’alignerait sur le régime existant en matière
d’audiovisuel.
- un droit de communication: ce droit appartiendrait à toute personne
physique ou morale dont l’inculpation, la prévention, l’accusation ou
la condamnation a été rapportée par un média, et viserait à demander
la publication ou l’insertion gratuite d’une communication en cas
de décision de non-lieu, acquittement, révision, grâce, amnistie ou
remise en liberté.
(...)
Les conditions de recevabilité de la réponse ou de la communication, les
motifs de refus de l’insertion demandée, les délais d’exercice du droit
de rectification et du droit de communication, devraient être précisés et
uniformisés, quel que soit le média concerné.
2° Utilisation du média numérique
Les spécificités de chaque support empêchent une uniformisation
complète de l’exercice de chacun de ces droits (rectification,
communication, oubli). Toutefois, il pourrait être fait
utilement usage du développement des médias numériques qui
accompagnent de manière croissante tous les médias, quels
qu’ils soient (sites web des journaux de la presse écrite, des
recommandations transversales
331
organismes audiovisuels et médias uniquement numériques). L’insertion
d’une rectification ou d’une communication pourrait ainsi satisfaire aux
conditions requises lorsqu’elle se réalise sur le site web du média concerné
d’une manière visible et en lien avec l’information publiée ou diffusée.
Ce n’est qu’en cas de publication ou diffusion sans mise en ligne que la
rectification ou la communication devra se faire dans le média d’origine
selon les modalités prévues à l’heure actuelle.
La préférence donnée au média numérique se justifie par la connectivité
croissante des lecteurs et téléspectateurs à Internet. Ces rectifications et
communications auraient en outre un effet multiplicateur sur la version
Internet des informations concernées, dans la mesure où la réplique
ou réaction de la personne concernée accompagnera les informations
d’origine même dans les référencements des moteurs de recherche qui sont
susceptibles d’amplifier la diffusion de données que la personne entend
rectifier ou compléter. Enfin, une telle publication en ligne permettrait de
s’adapter à la convergence croissante des médias qui ne permettra bientôt
plus à l’utilisateur de distinguer presse écrite, audiovisuelle ou pages
Internet, auxquels il accédera de manière indifférenciée par sa télévision,
son ordinateur, son téléphone ou sa tablette. »
(Rapport des experts de l’atelier 3, p. 253)
Certains d’entre nous partagent (PFD, JFR et MI), le constat des experts sur
la nécessité d’uniformiser le droit de réponse quel que soit le média concerné
(presse écrite, audiovisuelle ou média électronique) et de rendre plus effectif
son rôle de garantie du débat contradictoire274.
Pour ces derniers, cette uniformisation doit être repensée en reprenant
certains éléments du droit de réponse de la presse audiovisuelle complété
par un éventail de mesures à disposition des personnes citées par la presse
(droit de rectification, de communication et à l’oubli).
Voyez à cet égard la Recommandation Rec (2004)16 du Comité des ministres aux États membres sur le droit de réponse dans le nouvel environnement des médias qui précise notamment
que : « le droit de réponse est une voie de recours particulièrement appropriée dans l’environnement
en ligne, étant donné la possibilité de correction instantanée des informations contestées et la facilité technique avec laquelle les réponses émanant des personnes concernées peuvent y être jointes ».
Voyez également les références citées par Q. Van Enis in « Le droit de l’information au prisme
de l’Internet », R.T.D.I., 2013, p. 5.
274
332
Chapitre 4
Pour un membre (CD), si une homogénéisation est souhaitable, des
différenciations doivent subsister compte tenu notamment de la différence
d’impact de la diffusion selon le média concerné et des contraintes propres à
ce dernier. Ainsi le droit de réponse sur l’Internet doit être facilité et permettre
l’insertion très rapide d’une réponse compte tenu du caractère instantané de
l’Internet, de l’ampleur de la diffusion et de l’aisance technologique d’insérer
une réponse. Dans l’audiovisuel, les contraintes pesant sur les éditeurs de
services par rapport à la grille de programmes justifient un régime différencié
prenant en considération ces éléments. Dans sa formulation, le droit de
réponse doit subsister comme une forme particulière de réparation civile
partielle, en nature, supplétive et rapide. L’intérêt principal du droit est lié à
sa rapidité et à sa facilité d’exercice. Le droit de réponse doit être appréhendé
comme une réponse émanant de la personne citée, « seule juge de l’intérêt
qu’elle peut avoir à exiger une réponse »275. Pour autant le droit de réponse
n’est pas inconditionnel et l’indépendance nécessaire de la critique doit
pouvoir subsister276. La généralisation du modèle de droit de réponse propre
à l’audiovisuel n’est en tous cas pas appropriée.
Ce nouveau droit de réponse unifié devrait cependant prévoir un double
degré de juridiction277.
Sur la question de la dépénalisation du droit de réponse, certains d’entre nous
(MI, CD, JFR) émettent des craintes quant au risque d’absence d’effectivité
d’un recours civil en cas de refus injustifié du média d’insérer un droit de
réponse. Ils relèvent ainsi que le droit de réponse dans la presse écrite serait
sans intérêt si les éditeurs n’étaient pas passibles, en cas de refus d’insertion,
de poursuites pénales. La sanction pénale est un moyen d’assurer, dans des
délais accélérés, le droit de réponse, sans devoir attendre l’issue d’un procès
en responsabilité, la décision judiciaire définitive ne pouvant intervenir que
longtemps après et créant de ce fait un préjudice quasi irréparable.
Anvers, 26 sept. 1986, Pas., 1986, II, p. 177 : « il n’appartient pas aux tribunaux de rechercher
les raisons qui ont provoqué la réponse de la personne citée ».
276
Ainsi la critique scientifique, littéraire ou artistique ne donne ouverture au droit de réponse
que si celle-ci a pour objet de rectifier un élément de fait ou de repousser une atteinte à l’honneur.
277
À cet égard, l’article 12, alinéa 3 de la loi du 23 juin 1961 prévoit qu’en matière de droit de
réponse audiovisuelle le président du tribunal de première instance statue au fond et en dernier
ressort alors qu’une telle règle n’existe pas pour la presse écrite, ce qui pourrait d’ailleurs être
considéré comme une discrimination au sens de l’article 11 de la Constitution.
275
recommandations transversales
333
24. Secret des sources
Compétence fédérale
Court terme
Nous partageons les conclusions des experts en charge de l’atelier 3 :
-
-
La loi du 7 avril 2005 relative au secret des sources, telle que
modifiée par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 juin 2006,
n’appelle aucune modification. La recherche des auteurs de fuite
d’information confidentielle (violation du secret de l’instruction)
ne peut en effet plus, comme le notent les recommandations des
experts de l’atelier 3 (p. 42-43), prendre la forme de poursuite contre
des journalistes.
En revanche, la loi du 10 mars 2010 relative aux méthodes de recueil
de données par les services de renseignement devrait être revue afin
d’en garantir la compatibilité avec les principes fixés dans la loi du
7 avril 2005 sur le secret des sources des journalistes.
« En effet, la loi du 10 mars 2010 ne prévoit un régime dérogatoire aux
pouvoirs des enquêteurs qu’en faveur des journalistes « admis à porter
le titre de journalistes professionnels », ce qui est incompatible avec
les principes qui ont conduit la Cour constitutionnelle à annuler en
partie la loi sur le secret des sources, précisément parce qu’elle limitait
le bénéfice de celui-ci aux seuls journalistes professionnels (« soit toute
personne qui, dans le cadre d’un travail indépendant ou salarié, ainsi
que toute personne morale, contribue régulièrement et directement à
la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations,
par le biais d’un média, au profit du public »). Par ailleurs, le champ
d’application des exceptions prévues à l’interdiction d’exploiter des
données protégées par le secret des sources est lui-même incompatible,
par son étendue, avec la seule restriction prévue par l’article 4 de la loi
sur le secret des sources. »
(Rapport des experts de l’atelier 3, p. 259)
334
Chapitre 4
25. Archives de presse et droit à l’oubli
Compétence européenne, fédérale et Communauté
française
Court terme
Cette thématique est importante en raison des inquiétudes que soulèvent
les développements continus des TIC. Elle fait l’objet de travaux législatifs
en cours au niveau de l’UE : à l’heure d’écrire ces lignes, la proposition
de Règlement du PE et du Conseil relatif à la protection des personnes
physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et
à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection
des données) (COM(2012) 11 final - 2012/0011 (COD)) a fait l’objet d’une
première lecture au sein de la commission LIBE du Parlement européen.
Cette commission a adopté son rapport le 21 octobre 2013 : à la suite de
ce vote, des négociations entre le PE, la Commission et le Conseil vont à
présent suivre en vue de la conclusion d’un accord inter-institutionnel qui
permettrait alors l’adoption du projet avant la fin de la législature.278
Jusqu’à présent, le « droit à l’oubli » visait la situation où la presse mettait
à nouveau en lumière des faits anciens, notamment le passé judiciaire de
certains. Nous pensons que les principes jurisprudentiels actuels suffisent
à régir cette matière : le droit à l’information (intérêt spécifique d’une
nouvelle publication relative à des faits anciens) doit être mis en balance
avec les intérêts du droit à la vie privée (protection de la réputation, « droit à
l’oubli »).279 En ce sens, nous rejoignons la recommandation 7, 1°, de l’atelier
3 (p. 49).
Nous partageons également l’affirmation selon laquelle les archives de presse
doivent être protégées contre un dangereux « droit à l’oubli » qui conduirait
Voy. http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/content/20130502BKG07917/html/
QA-on-EU-data-protection-reform.
Voy. aussi http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/content/20131021IPR22706/
html/Civil-Liberties-MEPs-pave-the-way-for-stronger-data-protection-in-the-EU
279
Voir à ce sujet Cour eur. D.H., Osterreichischer RundFunk c. Autriche, 7 décembre 2006, où
la « la Cour souligne que, lorsqu’un équilibre doit être trouvé entre l’intérêt du public et l’intérêt
du condamné, les éléments suivants doivent être pris en considération : la notoriété de la personne
concernée, l’écoulement du temps entre la condamnation et la libération, le lien entre le contenu
du reportage et la photographie, la complétude et la véracité du texte » (cité dans l’article d’E. Defreyne, « le droit à l’oubli », RDTI 51/2013).
278
recommandations transversales
335
à un risque de réécriture permanente de l’histoire. Les experts de l’atelier
3 concluent que les archives de presse « ne seraient toutefois accessibles au
public qu’à des fins de recherche ». Cette question nous paraît surtout liée à
la suivante (moteurs de recherche sur Internet) et à la persistance, sur une
longue période, de l’accessibilité, via le web, d’informations anciennes.
Les recommandations de l’atelier 3 préviennent du risque qu’il y aurait à une
pratique généralisée du déréférencement et retiennent que les moteurs de
recherche pourraient être astreints à ne plus référencer les informations qui
ne sont plus accessibles sur le site du média.
Au-delà de ces constats que nous partageons, un travail important
d’éducation aux médias paraît s’imposer ici (également) afin de renforcer
le niveau de connaissance du grand public sur le fonctionnement effectif
de l’Internet, l’exposition publique d’informations privées, la continuité de
cette exposition, et les moyens de la réduire.280
26. Droits intellectuels et liberté d’expression
Compétence fédérale
Court terme
Nous partageons l’analyse des experts de l’atelier 3 : en l’état actuel, aucune
recommandation n’est nécessaire. Relevons avec eux que « la liberté
d’expression ne peut subir de restriction résultant de la protection des droits
intellectuels que si cette restriction est prévue par la loi et est nécessaire
dans une société démocratique ». La Cour européenne a indiqué que le
droit d’auteur étant lui-même protégé comme un droit fondamental, les
Etats disposent d’une large marge d’appréciation qui varie toutefois selon le
type d’expression concerné, ce qui paraît indiquer que les informations de
presse sur des questions d’intérêt général pourraient peser plus lourd dans la
balance des intérêts que la protection d’intérêts plus privés garantis par des
droits intellectuels.
Comme exposé ci-dessus, en ce qui concerne le droit d’auteur, le règlement
des questions liées aux droits d’auteur est essentiel car il a un impact tant
Voir par exemple http://geeko.lesoir.be/2013/08/26/just-delete-me-le-site-qui-vous-aide-adisparaitre-du-web/ ou http://controle-tes-donnees.net
280
336
Chapitre 4
sur la chaîne de valeur (et donc la capacité de continuer à produire des
contenus) que sur la sauvegarde de la diversité des sources d’information.
« Si la presse a parfois été limitée dans son expression par une action
invoquant une atteinte à un droit d’auteur des tiers, la jurisprudence
très récente de la Cour européenne des droits de l’homme (notamment
un arrêt du 10 janvier 2013, Ashby Donald c. France et une décision du
19 février 2013, Neij & Sunde Kolmisoppi c. Suède) réaffirme clairement
que la liberté d’expression (ce qui comprend la liberté de la presse) ne
peut subir de restriction résultant de la protection du droit d’auteur
que si cette restriction est prévue par la loi et est nécessaire dans une
société démocratique. La Cour a indiqué que le droit d’auteur étant luimême protégé comme un droit fondamental, les Etats disposent d’une
large marge d’appréciation qui varie toutefois selon le type d’expression
concerné, ce qui paraît indiquer que les informations de presse sur des
questions d’intérêt général pourraient peser plus lourd dans la balance
des intérêts entre protection du droit intellectuel et liberté de la presse. »
(Rapport des experts de l’atelier 3, p. 286)
27. Déontologie et autorégulation
Compétence Communauté française
Court terme
« Une quasi-unanimité s’est dégagée, parmi les intervenants,
pour souligner l’importance du travail du Conseil de déontologie
journalistique, mis en place en 2009, et pour encourager le développement
de son action, même si l’étendue (trop) limitée de son champ d’action a
été regrettée par certains. »
(Rapport des experts de l’atelier 3, p. 271)
Nous rejoignons les recommandations de l’atelier 3 :
-
Le rôle du CDJ devrait être étendu, en concertation avec le CSEM,
recommandations transversales
-
-
337
à un travail d’éducation aux médias et d’information sur la
déontologie.
Il convient de laisser le CDJ adapter au besoin ses procédures
internes.
L’obligation de publication des avis du CDJ par les médias concernés
(par le biais de leur site Internet) nous paraît une excellente
manière de renforcer l’effectivité du mécanisme d’autorégulation.
Dans le même sens, nous partageons la recommandation 21 de
l’atelier 2.
« [RECOMMANDATION 21] Les éditeurs faisant partie de l’AADJ
devraient s’engager formellement à publier toute décision ou tout
avis du CDJ qui concerne directement leur média. Cet engagement
devrait constituer un critère supplémentaire, à ajouter au décret, pour
l’attribution de l’aide directe à la presse. »
(Rapport des experts de l’atelier 2, p. 178)
28. Rapports entre presse et justice
Compétence fédérale
Court terme
Nous ne sommes pas parvenus à un accord complet sur ce sujet.
Accès aux salles d’audience
Sur ce point, nous pensons que, sans préjudice des exceptions légales (figurant
notamment à l’article 557 du Code judiciaire) et des règles en matière de huisclos, il s’impose de garantir l’accès aux salles d’audience dans un cadre strict
qui ne perturbe pas la sérénité des débats. Il s’agit simplement de publicité de
la justice.
Les propositions des experts de l’atelier 3 relatives à l’organisation de la
présence des caméras dans les salles d’audience (pratique du « pool ») sans
perturber les débats nous paraissent pertinentes.
Pour l’un d’entre nous (MI), il convient cependant de rappeler que seul le
338
Chapitre 4
droit à l’information du public justifie la présence d’une caméra dans une
salle d’audience281.
Certains d’entre nous (PFD) partagent l’opinion des experts de l’atelier 3,
selon laquelle il n’appartient pas au juge de refuser la présence de caméra
dans la salle d’audience.
Respect des personnes mises en cause
Il semble à certains d’entre nous (MI, JFR) que le respect des personnes
mises en cause dans les procédures judiciaires impose de mettre en balance
les exigences du droit à l’information avec les droits de la personnalité de ces
personnes (vie privée, droit à l’image, réputation, etc.). Ce n’est que lorsque
le droit à l’information est prépondérant que les médias devraient rapporter
les affaires judiciaires et identifier nommément les parties. De même, ce n’est
que lorsque l’utilisation de l’image d’une personne est justifiée par le droit à
l’information (en quoi la publication de la photographie d’un inculpé sertelle un besoin d’information d’intérêt général ?) qu’il serait pertinent de
publier des photos des personnes mises en cause dans les procédures.
Nous nous accordons sur le fait qu’il appartient en première ligne aux médias
d’effectuer cette appréciation, sous réserve d’une éventuelle action en justice
ultérieure des personnes intéressées.
L’un d’entre nous (PFD) partage pour sa part les recommandations de l’atelier
3 : les procédures en justice relèvent de l’actualité et des affaires d’intérêt
général sur lesquelles les médias peuvent rapporter librement.
Nous partageons les recommandations de l’atelier 3 en ce qui concerne les
relations entre justice et médias.
« Il est recommandé de privilégier les lieux et les instances de rencontres
et de discussions entre les acteurs concernés de la justice et des médias. Il
En matière d’images de procès, le Professeur Derieux précise à juste titre que « la solution ne
réside pas dans le « tout à l’image » ni dans l’absence totale d’image, mais dans un usage raisonné
et maîtrisé de ce vecteur de la communication par le droit des professionnels. Ces derniers doivent prendre conscience de leurs responsabilités, pour mieux jouir de leurs libertés » (M. Mercier,
« L’image menacée ? : Compte rendu du Forum Légipresse », Légipresse, n°187, p. 161).
281
recommandations transversales
339
est recommandé d’encourager le dialogue entre journalistes et
magistrats, de façon informelle et institutionnelle. Les organismes
« représentatifs » des magistrats (CSJ, Conseil consultatif de la
magistrature, IFJ, syndicats de magistrats...) et des journalistes (CDJ,
AJP, les sociétés de journalistes, les associations d’éditeurs...) devraient
être incités à nouer ces dialogues. »
(Rapport des experts de l’atelier 3, p. 281)
Chapitre 5
Point de vue des groupes politiques
point de vue des groupes politiques
343
1. Contribution du Groupe PS
par M. Jean-François Istasse
A l’heure de publier l’ouvrage de synthèse des Etats généraux des
médias d’information, ayant conduit à l’émergence de nombreuses
recommandations, il importe de souligner le caractère inédit du processus
dans notre Assemblée.
Face aux mutations et transition numérique en œuvre dans le secteur des
médias d’information, les EGMI ont permis :
-
-
-
de mettre en lumière et rendre accessibles les données objectives
sur l’évolution du secteur (tant en termes de ressources que
d’importance économique ou d’emploi) ;
de confronter les points de vue en constituant un point de rencontre
et de dialogue entre les professionnels de l’information, les politiques
et la société civile ;
de démontrer l’importance de ce secteur stratégique, tant du
point de vue économique que social, culturel, technologique ou
démocratique.
De surcroît, ce travail a été mené en assurant parallèlement la progression
des moyens publics consacrés au développement médiatique.
Sans exhaustivité, il importe pour mon groupe de distinguer, selon 3 axes,
les principales propositions qui feront l’objet d’un soutien déterminé :
1) Promouvoir le dynamisme économique, industriel et technologique
des différents acteurs médiatiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles
pour leur permettre de procéder aux adaptations et innovations
indispensables.
Concrètement, nous souhaitons :
-
-
La mise en œuvre d’un plan de développement des médias
d’information pour préserver l’équilibre et le pluralisme du marché
médiatique (public-privé, audiovisuel-presse écrite).
L’augmentation des aides à la presse pour atteindre dans les meilleurs
344
Chapitre 5
-
-
-
-
délais le seuil des 10 millions €, moyennant le renforcement des
critères d’octroi (en matière d’emploi en particulier), du contrôle
et l’élaboration de sanctions graduées en cas de non-respect des
critères. Cette refonte doit se faire en partenariat avec les éditeurs et
l’association représentative des journalistes.
La régulation du marché publicitaire.
Le soutien à la transition numérique des opérateurs de presse écrite
dont les kiosques numériques.
Le financement additionnel envisagé selon plusieurs axes
(financement participatif, TVA réduite, tarif postal).
La désignation, à l’échelon de la FWB, d’un Ministre des médias
afin de développer une politique globale et transversale des médias.
Et la création d’un comité interministériel destiné à coordonner
les politiques menées aux différents niveaux de pouvoir et créer un
cadre macro-économique efficient.
2) Assurer la qualité des contenus par la valorisation des métiers
journalistiques.
Concrètement, nous souhaitons :
-
-
-
-
Le développement d’une offre de formation permanente s’appuyant
sur des partenariats entre les organismes déjà présents et dans un
double objectif de complémentarité et de cohérence.
La pérennisation du Fonds d’investigation journalistique,
notamment un renforcement progressif de son financement.
Le soutien à un travail concerté entre l’association des journalistes
professionnels et les éditeurs, entre autres sur les rémunérations
des journalistes indépendants et la promotion, dans l’ensemble
des médias, d’un statut de rédaction permettant le respect
de l’indépendance journalistique, la clarification de la ligne
rédactionnelle et des droits et responsabilités des rédacteurs en chef
notamment.
Le respect et la promotion des règles déontologiques, la publication
par les médias des avis du Conseil de déontologie (dans le respect de
l’autonomie éditoriale).
3) Garantir l’accessibilité à des médias d’information de qualité issus de la
Fédération Wallonie-Bruxelles, permettant le décryptage et l’analyse critique
du monde et des enjeux qui le traversent, du local à l’international.
point de vue des groupes politiques
345
Concrètement, nous souhaitons:
-
-
-
-
Le développement accru de l’éducation aux médias sur base des
opérations existantes et partenariats médiatiques visant notamment
les développements numériques.
Le renforcement de l’accès à l’information (via des abonnements
tournés vers les jeunes, sous réserve de moyens disponibles).
La poursuite du processus d’observation des médias visant la récolte
de données objectives destinées à l’analyse et au développement
équilibré du marché médiatique.
La protection de la liberté d’expression via les mesures qui ont fait
l’objet d’un large consensus (assurance responsabilité et défense en
justice, modération des forums, uniformisation du droit de réponse,
dialogue presse justice et accès aux salles d’audience) et la poursuite
du débat démocratique, le cas échéant, sur toutes les questions
pendantes (dont l’équilibre vie privée et liberté d’expression).
Une dynamique de « média d’information mainstreaming » (prise en compte
systématique du devenir des médias d’information lors de l’élaboration de
toute politique) fait sens et se trouve désormais étayée par une mine de
ressources précieuses.
346
Chapitre 5
2. Contribution du Groupe MR
par MM. Pierre-Yves Jeholet et Richard Miller
Ces dix dernières années, le secteur de la presse dans son ensemble a connu
de profondes mutations technologiques qui ont entraîné d’importants
bouleversements du travail journalistique lui-même, ainsi que du modèle
de consommation de l’information. Pour ce qui concerne en particulier
la Fédération Wallonie-Bruxelles, à ce phénomène s’est ajoutée une
augmentation manifeste et de plus en plus tentaculaire du secteur public
audiovisuel et, corrélativement, un véritable étouffement des initiatives
provenant du secteur privé, notamment par l’accaparement des recettes
publicitaires. Il en est résulté un déséquilibre criant et inquiétant pour la
garantie d’une presse de qualité, indépendante et pluraliste ; surtout pour
la presse écrite.
En parallèle, les habitudes des citoyens en termes de consommation
de l’information ont, elles aussi, profondément évolué avec un recours
grandissant à l’information via les supports numériques.
Les inquiétudes grandissantes, et légitimes, du secteur nécessitaient qu’une
réflexion en profondeur soit menée sur le secteur de la presse.
Les EGMI devaient répondre à ces inquiétudes et permettre d’apporter des
solutions concrètes pour l’avenir du secteur des médias. Malheureusement,
les nombreuses tergiversations et les lenteurs du processus mis en place
n’apporteront que des réponses lacunaires et bien trop tardives.
Le secteur de la presse en Fédération Wallonie-Bruxelles est à l’heure actuelle
totalement déséquilibré avec un secteur public de plus en plus puissant et des
opérateurs privés qui luttent pour leur survie. L’actualité récente, prenons
l’exemple du rachat d’un groupe de presse par une intercommunale et la
création du groupe Publifin, a démontré une fois de plus l’extension de ce
monopole public et l’incapacité du Gouvernement de la Fédération WallonieBruxelles d’y apporter une réponse concrète et rapide.
Les droits et libertés de presse, d’information, d’expression, d’association et
d’entreprise, garantis par la Constitution ainsi que le respect des règles de
la concurrence loyale et les prescrits des directives européennes sont très
point de vue des groupes politiques
347
malmenés par le constat que l’on doit malheureusement faire, alors qu’il
s’agit d’un secteur vital pour la démocratie.
Alors que notre Fédération Wallonie-Bruxelles peine à prendre des
décisions concrètes, on constate qu’en Flandre où les décisions utiles de
libéralisation et d’ouverture du marché ont été prises, le secteur, au niveau
de tous ces différents médias, connaît un fonctionnement positif et équilibré,
avec des groupes de presse puissants, des producteurs indépendants et
créatifs, des câblodistributeurs privatisés et un service public limité à sa juste
place.
Il importe de prendre des décisions concrètes et courageuses pour
réinstaurer un véritable équilibre au sein de l’ensemble des métiers des
paysages médiatiques, pour permettre aux opérateurs privés de poursuivre
leur travail de manière efficace, pour soutenir nos télévisions et radios
locales dont le rôle d’acteur de proximité est essentiel, pour assurer un
financement suffisant de notre presse écrite et réinstaurer une réelle
concurrence loyale et équitable du secteur. Il faut pouvoir retrouver
dans ce secteur des conditions de travail qui permettent, à tous les
échelons du processus journalistique – presse écrite et audiovisuelle – de
renouer avec une information mûrie, réfléchie, qualitative : en un mot,
citoyenne. Des conditions de travail qui associent pleinement deux principes
fondamentaux : indépendance et qualité.
Enfin, au moment où la technologie a supprimé toutes les frontières qui
pouvaient faire barrage à l’information, qu’elle soit sportive, culturelle,
sociétale ou politique, l’ensemble du secteur doit avoir les moyens de
développer son ancrage local par une information de proximité, et son ancrage
européen qui est appelé à devenir de plus en plus le territoire commun du
lectorat pour la presse écrite et du public pour la presse audiovisuelle.
En tant que démocrates, et parlementaires libéraux, nous estimons que les
enjeux du monde de la presse concernent chaque citoyen. C’est la raison
pour laquelle ce Rapport doit être lu et analysé. Il est essentiel qu’il ne reste
pas lettre morte !
348
Chapitre 5
3. Contribution du Groupe Ecolo
par Mme Isabelle Meerhaeghe
2013 aura été une nouvelle année de bouleversements dans le secteur des
médias d’information. La fin de la version papier de Newsweek, le rachat du
Washington Post, les licenciements chez El Pais, les menaces de fermeture
d’ERT, l’annonce du rachat des Editions de l’Avenir, …, sont autant le signe
de la nécessité de voir émerger un nouveau modèle économique pour les
médias d’information.
La crise que traversent les médias d’information est globale. Elle est aussi
structurelle. En effet, depuis des années – ou doit-on parler de décennies –
les médias doivent faire face à d’importantes mutations technologiques et
économiques. Ils doivent aujourd’hui repenser leur avenir, pour continuer à
exister. Et l’enjeu est immense. Il renvoie à la sauvegarde d’une presse libre,
indépendante, pluraliste et diversifiée. A la lutte contre les stéréotypes, les
populismes, la désinformation. A la production d’informations de qualité,
analysées et certifiées par des professionnels. En bref : aux fondements
mêmes de nos démocraties. Se joue ici aussi, l’avenir des journalistes, de leur
rôle, de leurs missions et des modalités d’exercice de leur profession.
Face à ces constats, l’ensemble des groupes politiques de la Fédération
Wallonie-Bruxelles a décidé de mener des Etats généraux des médias
d’information. Objectif : rassembler les secteurs, les professionnels et les
experts autour de constats et de pistes pour dessiner les contours du futur
des médias. Pendant près de trois ans, des auditions auront fait bouillonner
les matières grises, suscité la réflexion et donné lieu à des rapports de grande
qualité. Ils furent nombreux à s’investir, donner leur temps et partager leurs
idées et doivent en être remerciés. Ne nous leurrons pas : les Etats généraux
n’auront pas fait émerger « la solution miracle » pour ce nouveau modèle
économique. Personne n’en dispose et l’avenir reste incertain. Mais les
enjeux sont identifiés, les recommandations actées. Reste au politique à agir
et à être à la hauteur de cette mobilisation.
Exercice périlleux que de résumer trois ans de débats en quelques lignes !
Avant d’égrener les réponses, quelques constats. Si la crise est globale, les
médias d’informations en Belgique francophone évoluent dans un contexte
particulier, avec une audience d’environ quatre millions de personnes
point de vue des groupes politiques
349
et des médias français omniprésents. Dans un contexte où les fusions et
concentrations se succèdent et la concurrence se durcit – renforcée par la
convergence médiatique – il est fondamental de garantir la diversité des
médias et le pluralisme. Aussi, les effectifs des entreprises, tout secteur
confondu, sont les premiers à payer le prix de ces bouleversements. Audelà des pertes d’emplois, les journalistes, tout statut confondu, doivent
travailler toujours plus vite, créer des contenus pour toutes les plates-formes,
répondre aux besoins de l’immédiateté ou faire de l’infotainement, pour
« attirer le chaland ». Ils disposent, dès lors, de moins en moins de temps
pour recouper les informations, jouer un rôle de filtre et procéder à des
analyses approfondies, conditions de travail et qualité de l’information étant
étroitement liées. Enfin, tous nos médias ont pris leur virage numérique.
Cependant, dans un contexte si changeant, ils doivent encore et toujours se
réinventer, proposer de nouveaux formats, faire du cross-médias, repenser
la complémentarité entre les supports… dans une réalité interconnectée
où l’information gratuite n’existe pas. Ils doivent pouvoir proposer des
contenus à haute valeur ajoutée, attirer les nouvelles générations et répondre
aux attentes d’un public exigeant qui veut de l’information partout, tout le
temps.
Ces considérations et défis en vue, le soutien au pluralisme, à l’emploi, au
développement économique et à l’innovation seront les maîtres-mots et
les guides de notre action politique. Le rôle des politiques publiques est
de soutenir tous les médias d’information – publics et privés – dans leur
transition et leur développement, de leur donner les moyens leur permettant
de faire preuve de créativité et d’inventivité. Ceci, dans un contexte où
l’emploi de qualité doit être garanti et les conditions de travail respectées.
Et il s’agit d’investir tous les champs et niveaux de pouvoir, des Régions à
l’Europe et de s’assurer de la coordination des politiques menées.
Une première action concerne les aides directes à la presse. Si celles-ci ont
été renforcées, au cours de la législature, l’augmentation des moyens doit
être à la fois plus importante et garantie sur la durée. Elle doit également
être assortie de critères en termes de transparence, de pluralisme, de soutien
à l’emploi et aux conditions de travail de qualité. Il s’agit ainsi de renforcer
les outils qui garantissent l’autonomie des rédactions, redonnent du pouvoir
aux journalistes et améliorent leur statut. Le soutien au développement et à
la conversion numérique de tous les médias constitue une deuxième action.
Celui-ci passe par plusieurs volets : l’accompagnement de la transition
numérique, le soutien à la formation continue – pour laquelle les premiers
350
Chapitre 5
jalons ont récemment été posés – l’aide au développement économique. Il
s’agit aussi de rester attentif à toutes les initiatives créatives, les nouveaux
projets, supports, modèles qui émanent de l’inventivité bouillonnante des
professionnels du secteur. Enfin, un paysage médiatique pluraliste repose sur
des acteurs publics, privés et associatifs. La RTBF en particulier joue un rôle
fondamental en termes d’accessibilité de tous à une information marquée
d’une spécificité « service public », qui doit être consolidée. Parallèlement,
les missions d’information de proximité, d’ancrage local et de promotion de
la diversité culturelle des télévisions locales doivent être protégées.
Ceci ne peut être qu’une ébauche des projets à bâtir avec les professionnels.
Après les bouleversements de 2013, 2014 doit résolument être l’année de
l’action : pour aller de l’avant, éviter les retranchements, bousculer les idées
et soutenir la construction des médias du 21ème siècle.
point de vue des groupes politiques
351
4. Contribution du Groupe cdH
par Mmes Julie de Groote et Savine Moucheron
Fallait-il des EGMI ? Oui mais l’heure est maintenant à l’action. Trois ans
de débat et d’analyse avec l’ensemble du secteur ne peuvent se solder par
de simples recommandations. Le but de ces états généraux était de générer
des mesures de soutien pour l’avenir des médias, il est temps de leur donner
corps.
De nouveaux enjeux ont fait surface en Fédération Wallonie-Bruxelles et les
changements sont plus rapides que le rythme pris par les travaux des EGMI :
convergence des médias, concentrations, modification du profil des groupes
de presse.
Dans ce contexte, le cdH veut poursuivre sa démarche d’accompagnement et
de soutien aux médias. Il s’est fixé des priorités, en distinguant celles qu’on
peut encore réaliser à très court terme de celles qui alimenteront la prochaine
législature.
1. MEDIAGORA, un lieu stratégique à créer
L’équité qui doit régner entre les services publics et privés des médias n’est
plus aussi évidente que par le passé. La concurrence entre les deux secteurs
s’est accrue et la répartition des budgets publicitaires entre les différents
médias crée des tensions fortes. La FWB est un acteur clé de la régulation du paysage médiatique
francophone. Mais elle ne dispose plus des outils nécessaires à la bonne
compréhension des marchés. Les structures de régulation, co-régulation ou
autorégulation existantes ne sont pas chargées de rendre systématiquement
publiques les décisions qu’elles adoptent. Le pluralisme exige aussi qu’on
en tire les conséquences au niveau économique. Le politique doit s’assurer
que des arbitrages peuvent être faits. C’est pourquoi nous voulons créer un
lieu où les professionnels du secteur sont en interaction entre eux et avec le
politique pour gérer les transformations des médias, un lieu où on s’oblige
à se comprendre et à se concerter. En cela, notre proposition diffère d’un
observatoire ou d’une simple collecte de données.
352
Chapitre 5
Cette nouvelle instance que nous proposons d’appeler MEDIAGORA sera
capable de rassembler experts, acteurs du terrain et acteurs politiques afin
de favoriser l’écoute et la négociation et ce, en toute transparence. Le but sera
d’objectiver le débat et faire des recommandations aux politiques. Ceux-ci
pourront dès lors décider de mesures concrètes qui répondent aux nécessités
du secteur, avec une vision à plus long-terme.
2. Le pluralisme et la qualité médiatique
Le pluralisme médiatique est gage de la vitalité de notre démocratie. Il est
lié à la qualité du travail fourni par les journalistes et attendu par le public.
Aujourd’hui, les TICs ont permis aux acteurs du marché d’exercer une
pression sur les médias traditionnels pour qu’ils mettent à disposition du
contenu gratuit, immédiat, attractif, et rentable à très court terme.
Les conséquences sont lourdes pour le métier de journaliste : celui-ci doit
travailler plus, n’a pas la distance nécessaire pour donner une information
recoupée, doit s’adapter sans cesse aux nouvelles technologies et, s’il est
indépendant, doit gérer une instabilité financière permanente. Ces conditions
menacent la qualité et la fiabilité de l’information. Elles peuvent aussi nuire
au respect de la déontologie journalistique.
Il est donc impératif de rééquilibrer la balance entre la logique économique
et la logique journalistique. Le cdH veut renforcer l’indépendance et
l’autonomie des rédactions, coordonner plus efficacement les écoles de
journalisme pour mettre à disposition des modules de formation continue,
envisager l’assouplissement des conditions à l’indemnisation des pigistes et
renforcer le Conseil supérieur de déontologie.
3. Recadrer la concurrence entre la liberté d’expression et le droit à la vie
privée
Les principes de la liberté d’expression et les droits de personnalité
appartiennent aux droits fondamentaux de nos sociétés démocratiques.
Les uns ne sont pas prioritaires sur les autres. Mais le nouveau contexte
d’accélération des médias et d’une transparence exacerbée, amène de
nouvelles pratiques médiatiques qu’il convient de cadrer.
Si le cdH soutient un droit de réponse adapté aux différents supports
médiatiques, la réforme de la responsabilité en cascade et le droit à l’oubli,
point de vue des groupes politiques
353
il s’interroge néanmoins sur l’équilibre à maintenir entre la liberté de
presse et la protection des libertés individuelles dans un contexte de
diffusion immédiate. Le cdH souhaite dès lors poursuivre la réflexion sur
le rétablissement du lien entre justice et médias concernant les cas d’abus de
liberté d’expression. L’immédiateté des médias et la transparence exacerbée
de l’information appellent aussi au renforcement des outils d’éducation aux
médias.
Les EGMI auront donc permis deux avancées majeures : une prise d’acte
politique des problèmes transversaux qui traversent le secteur, et des
recommandations qui alimenteront la prochaine feuille de route des
gouvernements qui se formeront après les élections du 25 mai. D’ici là,
agissons.
Annexes
357
Annexe 1
Liste des personnes auditionnées lors des ateliers et les fonctions
qu’elles occupaient au moment de leur audition
Nom
Titre
Annaert Sophie Présidente de la 14ème chambre du tribunal
de première instance de Bruxelles
Anspach Patrick Journaliste indépendant et président de la
commission d’agréation francophone
Basile Olivier Président de la section belge de Reporters
sans Frontières
Beelen Axel Juriste à la Société des Auteurs Journalistes
(SAJ)
Bogaert Olivier Commissaire à la Federal Computer Crime Unit
Boribon Margaret Secrétaire générale des Journaux Franco
phones Belges (JFB), Secrétaire Générale de
Copiepresse
Boulvin André Président de la Fédération des Télévisions Locales
Buchel Bernard Haute Ecole Groupe ICHEC - ISC Saint Louis ISFSC
Buydens Mireille Professeur en droit et droit économique à l’ULB,
docteur en philosophie
Chamut Marc Président du Conseil de déontologie
journalistique (CDJ)
358
Da Lage Olivier Journaliste à Radio France International et adhérent
au Syndicat National des Journalistes Français (SNJ)
et ancien président de la commission de la carte des
journalistes professionnels
Dal Zotto Joseph Enseignant à la Haute École de la Province de Liège
De Borchgrave Patrick
Président de l’association The Ppress, Directeur
des relations externes chez Roularta, Président de
la Febelmag, Président du Centre d’Information
sur les Médias (CIM)
De Coninck Philippe
Directeur de la section communication de la Haute
École Louvain en Hainaut (HELHA)
De Coster Simon-Pierre
Directeur juridique de la RTBF
De Haan Marc
Directeur de Télé Bruxelles, représentant de la
Fédération des Télévisions Locales
Dedryvere Marjorie Juriste de l’association The Ppress
Delfosse Frédéric Journaliste à RTL-TVi et enseignant à la Haute École
de la Province de Liège
Delruelle Edouard Directeur adjoint du Centre pour l’égalité des
chances
Desmed Jonas Service d’Information sur les Études et les
Professions (SIEP)
Deville Xavier Vice-président de Prodipresse
Docquir Pierre-François
Deuxième vice-président du Conseil Supérieur de
l’Audiovisuel (CSA) et responsable scientifique de
la participation de l’ULB au programme
Mediadem (pour Média et Démocratie), projet de
recherche européen
359
Dumont Jean-François
Secrétaire Général adjoint de l’Association des
journalistes professionnels (AJP)
Eeckhout Luc Senior Project Manager au Centre d’Information
sur les Médias (CIM)
Féraux Francis Administrateur de Pressbanking
Fion Céline Journaliste et auteure d’une étude sur le moral des
journalistes en Belgique
Frydman Benoît Philosophe du droit, spécialiste de l’exercice de la
liberté d’expression sur Internet
Gemoets Quentin Administrateur délégué des Éditions L’Avenir
Genot Vincent Rédacteur en chef adjoint de la Newsroom du
Vif-L’Express
Grevisse Benoît Directeur de l’école de journalisme de l’UCL
Gruber Marc Directeur de la Fédération Européenne des
Journalistes (FEJ)
Guyaux Anne Haute École Provinciale Condorcet à Charleroi
Haski Pierre Journaliste et co-fondateur de Rue89
Heinderyckx François
Directeur du département des sciences de
l’information et de la communication à l’ULB
Hennart Luc Président du tribunal de première instance de
Bruxelles
Hindryckx Luc Président du Conseil de l’Institut Belge des services
Postaux et des Télécommunications (IBPT)
Hoebeke Stéphane Conseiller juridique à la RTBF
360
Hublet Nathalie Media manager à l’Union Belge des Annonceurs
(UBA)
Jacqmin Jean-Pierre Directeur de l’information et des sports de la
RTBF
Janssen Marc Président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
(CSA)
Jaroszewski Eva Agence pour l’évaluation de la qualité de
l’enseignement supérieur (AEQES)
Jespers Jean-Jacques Administrateur de la Ligue des Droits de l’Homme
Jongen François Professeur de droit à l’Université Catholique de
Louvain
Kukulka Mateusz Journaliste et blogueur
Laloux Philippe Journaliste, formateur et digital media manager
lesoir.be
Lambrechts Alain Secrétaire Général du groupe The PPress
Le Hodey François Administrateur délégué du groupe IPM, Président
du CA des Journaux Francophones Belges (JFB)
Lefèvre Didier Strategic business development director de
CLT-UFA, actionnaire de RTL Belgium
Linard André Secrétaire général du Conseil de Déontologie
Journalistique (CDJ)
Mac Kay Philippe
Journaliste indépendant
Marchant Bernard Administrateur délégué du groupe Rossel
Meilleur Jean-Jacques
Substitut au Parquet de Bruxelles et magistrat de
presse
361
Mejblum Sylvie Service presse du Centre de recherche et
d’information des consommateurs (CRIOC)
Moerenhout Alexis Conseiller au Centre de recherche et d’information
des consommateurs (CRIOC)
Montero Étienne Professeur de droit à l’Unamur
Mouligneau Xavier Journaliste à la RTBF et enseignant à la Haute École
Louvain en Hainaut (HELHA)
Moura Marc Directeur de SMart Association Professionnelle
d’Artistes
Nothomb Philippe Président de Pressbanking, juriste, conseiller
juridique du groupe Rossel, Journaux Francophones
Belges
Perrouty Pierre-Arnaud
Secrétaire général de la Ligue des Droits de
l’Homme
Philippot Jean-Paul Administrateur-général de la RTBF
Piron Frédérique Haute École Provinciale Condorcet à Charleroi
Radochitzki Stéphanie
Coordinatrice chez Online Publishers Association
Raskin Jean-François
Président de l’Institut des Hautes Etudes des
Communications Sociales (IHECS)
Renders Olivier Centre d’Information et d’Orientation (CIO) de
l’UCL
Robert Denis Journaliste français
Roosen Tanguy Président du Conseil Supérieur de l’Éducation aux
Médias (CSEM)
362
Rosenblatt Stéphane
Directeur général de RTL-Tvi
Ruellan Denis Professeur à l’Université de Rennes et à l’Institut
Universitaire de Technologie de Lannion
Samek Philippe Secrétaire permanent régional de la Confédération
des Syndicats Chrétiens (CSC) et représentant de la
Centrale Nationale des Employés (CNE)
Scherer Eric Directeur de la prospective et de la stratégie
numérique à France Télévisions et professeur à
l’École de Journalisme de Sciences Po
Scholasse Etienne Membre de la CGLSB et membre du conseil
d’entreprise du groupe IPM
Schroeders Nancy Directrice de TV-Com
Sépul Sandrine Directrice du Conseil de la Publicité
Simonis Martine Secrétaire générale de l’Association des Journalistes
Professionnels (AJP)
Strowel Alain Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis
(FUSL) et avocat au barreau de Bruxelles
spécialisé dans la propriété intellectuelle et dans le
droit des médias
Texier Jean-Clément
Banquier et expert en économie des médias,
Président de Ringier France
Tulkens François Licencié en droit de l’UCL, avocat et chargé
d’enseignement aux Facultés universitaires
Saint-Louis (FUSL), auteur de l’ouvrage « Droit
d’expression et liberté d’expression »
Van Achter Damien
Journaliste, blogueur
363
Van Besien Bart Chercheur dans le cadre du programme Mediadem
Van Daele Daniel Secrétaire général de la FGTB
Van Enis Quentin Chercheur au CRIDS (UNamur)
Van Grieken Jean-Paul
Secrétaire général de l’Union de la Presse
Périodique (UPP)
Van Lierde Stephan Directeur des ressources humaines à la RTBF
Van Wylick Daniel Directeur éditorial chez Rossel, membre du Conseil
d’administration des Journaux Francophones Belges
(JFB), membre du Conseil d’administration de
Ppress
Vandenbrouck
Laurence
Directrice juridique à RTL-TVI
Vanesse Marc Coordinateur de la formation en journalisme de
l’Université de Liège
Young Frédéric Délégué général de la SACD-SCAM
364
Annexe 2
Liste des annexes relatives aux recommandations de l’atelier 3
Annexe I - Considérations générales sur les enjeux de la liberté
d’expression et sur la situation des médias en Belgique
Au-delà des réponses apportées aux onze questions formulées par les animateurs
de l’atelier n° 3, plusieurs intervenants exposent des considérations générales sur
les enjeux de la liberté d’expression et sur la situation des médias en Belgique.
Premièrement, Quentin Van Enis, Benoît Frydman, Pierre-François Docquir,
David Morelli (LDH) et Pierre-Arnaud Perrouty soulignent l’importance du
versant « passif » de la liberté d’expression, à savoir le droit de recevoir une
information de qualité, plurielle et neutre. La référence en la matière est la Cour
européenne des droits de l’homme pour qui la mission (dévolue à la presse et
à d’autres d’acteurs) d’informer le public sur toute question d’intérêt général
se double d’un droit du public à recevoir pareille information. Ces différents
intervenants signalent, en ce sens, la nécessité de renforcer le pluralisme des
médias et de garantir l’accès aux sources d’information via la neutralité des
diffuseurs et en particulier, de l’Internet (c’est-à-dire l’absence de discrimination
à l’accès aux contenus, aux applications et aux services). Pierre-François Docquir
ajoute qu’il serait pertinent d’inscrire le droit d’accès à l’internet parmi les
garanties constitutionnelles au vu de son importance dans la vie démocratique
contemporaine.
Deuxièmement, le programme de recherche Mediadem a établi qu’en Belgique,
la liberté d’expression est relativement bien respectée . Si ce principe de la liberté
d’expression est entré dans les mœurs, la complexité du système institutionnel
apparaît comme un obstacle à la conduite d’une politique cohérente vis-à-vis
des médias. Marc de Haan souligne, pour sa part, que la liberté d’expression
est avant tout un enjeu économique puisque la pression concurrentielle et la
précarité des entreprises médiatiques entravent l’exercice de cette liberté. Cela
est d’autant plus vrai pour les télévisions locales qui dépendent d’une grande
diversité de sources de financement et donc d’une diversité d’interlocuteurs qui
seraient tentés d’exercer une forme de pression sur les journalistes.
365
Annexe II - Animateurs-experts de l’atelier n° 3
Jacques Englebert, maître de conférences à l’ULB, avocat spécialisé en droit des
médias, membre du Conseil de déontologie journalistique, assesseur à la section
de législation du Conseil d’Etat
Séverine Dusollier, professeur à l’UNamur, directrice du Centre de Recherche
Information, Droit et Société (CRIDS)
Françoise Tulkens, ancienne juge et vice-présidente de la Cour européenne des
droits de l’homme, professeur émérite à l’UCL
366
Annexe III - Calendrier des auditions
25 octobre 2012 François Tulkens, chargé d’enseignement à
l’Université Saint-Louis, avocat
François Jongen, professeur à l’UCL, avocat
Étienne Montero, professeur à l’UNamur et
Quentin Van Enis, chercheur au CRIDS (UNamur)
Alain Strowel, professeur à l’Université Saint-Louis,
avocat
15 novembre 2012 Marc Chamut, président du Conseil de déontologie
journalistique (CDJ), journaliste et André Linard,
secrétaire général du CDJ, journaliste
Mireille Buydens, professeur à l’ULB, avocate
Benoît Frydman, professeur à l’ULB (président du
Centre de philosophie du droit)
29 novembre 2012 Philippe Nothomb, conseiller juridique du groupe
Rossel, Journaux Francophones Belges (JFB)
Simon-Pierre De
(RTBF), Stéphane Hoebeke, conseiller juridique (RTBF) et
Jean-Pierre Jacqmin, directeur de l’information et
des sports (RTBF).
10 janvier 2013 Stéphane Rosenblatt, directeur de l’information
(RTL) et Laurence Vandenbrouck, directrice
juridique (RTL)
Martine Simonis, secrétaire générale de l’AJP
Olivier Basile, président de la section belge de
Reporters sans Frontières
24 janvier 2013 Luc Hennart, président du tribunal de première
instance de Bruxelles et Sophie Annaert, présidente
de la 14ème chambre du tribunal de première instance
de Bruxelles
Coster,
directeur
juridique
367
Vincent Genot, rédacteur en chef adjoint de la
newsroom du Vif-L’Express
Pierre-François Docquir, deuxième vice-président
du CSA et responsable scientifique (Belgique) du
programme de recherche européen Mediadem et
Bart Van Besien, chercheur à l’ULB et responsable
scientifique (Belgique) du programme de recherche
européen Mediadem
7 février 2013 Édouard Delruelle, professeur à l’ULg, directeur
adjoint du Centre pour l’égalité des chances
Marc De Haan, représentant des télévisions locales
28 février 2013 Olivier Bogaert, commissaire à la Federal Computer
Crime Unit
Pierre-Arnaud Perrouty, secrétaire général, et
Jean-Jacques Jespers, administrateur de la Ligue des
droits de l’homme
Jean-Marc Meilleur, substitut du procureur du Roi
de Bruxelles, magistrat de presse
Nota : Le texte de nombreuses interventions ainsi que divers documents en relation avec
les sujets traités au cours des auditions sont disponibles sur le site des EGMI (http://
egmedia.pcf.be/?page_id=527).
368
Annexe IV - Liste des intervenants et des institutions
Annaert Sophie
TPI Bruxelles
Basile Olivier RSF
Bogaert Olivier
FCCU
Buydens Mireille
ULB
Chamut Marc
CDJ
De Coster Simon-Pierre
RTBF
Defreyne Elise
CRIDS
de Haan Marc
FTL
Delruelle Edouard
CECLCR
Docquir Pierre-François
CSA
Dumont Jean-François
AJP
Frydman Benoît
ULB
Genot Vincent
Le Vif-L’Express
Hoebeke Stéphane
RTBF
Jacqmin Jean-Pierre
RTBF
Jespers Jean-Jacques
LDH
Jongen François
UCL
Kuty Franklin
ULB – Parquet de Verviers
Linard André
CDJ
Meilleur Jean-Marc
Parquet de Bruxelles
Montero Etienne
UN
Morelli David
LDH
Nothomb Philippe
JFB
Rosenblatt Stéphane
RTL
Perrouty Pierre-Arnaud
LDH
369
Robert Denis
Journaliste français
Simonis Martine
AJP
Strowel Alain
USL
Tulkens François
USL
Van Besien Bart
Mediadem
Vandenbrouck Laurence
RTL
Van Enis Quentin
UN - CRIDS
Van Grieken Jean-Paul
UPP
Van Wylick Daniel
Groupe Rossel (Directeur éditorial)
AJP
Association des journalistes professionnels (http://ajp.be/)
CDJ
Conseil de déontologie journalistique
(www.deontologiejournalistique.be)
CECLCR
Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme
(www.diversite.be)
CRIDS
Centre de recherche Information, Droit et Société (UNamur)
(www.crids.eu)
CSA
Conseil supérieur de l’audiovisuel (www.csa.be)
FCCU Federal Computer Crime Unit (police fédérale belge)
(www.polfed-fedpol.be/org/org_dgj_FCCU_RCCU_fr.php)
FTL
Fédération des Télés locales Wallonie Bruxelles
(www.teleslocales.be)
JFB
Les Journaux Francophones Belges (www.jfb.be)
LDH
La ligue des droits de l’homme (Belgique) (www.liguedh.be)
Le Vif
Le Vif-L’Express (www.levif.be/info)
Mediadem
Programme européen de recherches « médias et démocratie »
(Belgique) (www.philodroit.be/spip.php?page=rubrique&id_
rubrique=44&lang=fr et www.mediadem.eliamep.gr)
370
Rossel
Groupe Rossel (www.rossel.be)
RSF
Reporters sans frontière (Belgique) (http://fr.rsf.org/)
RTBF
Radiotélévision
(www.rtbf.be)
RTL
Radiotélévision Luxembourg (www.rtl.be)
belge
de
la
Communauté
française
TPI Bruxelles Tribunal de première instance de Bruxelles
UCL
Université Catholique de Louvain (www.uclouvain.be)
ULB
Université Libre de Bruxelles (www.ulb.ac.be)
UN
Université de Namur (www.unamur.be)
UPP
Union des Editeurs de la Presse Périodique (www.upp.be)
USL
Université Saint-Louis (Bruxelles) (www.usaintlouis.be)
VIF
Le Vif-L’Express (www.levif.be/info)
Remerciements :
Le Bureau du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le secrétaire
général du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles tiennent à remercier
pour leur précieuse collaboration :
M. Frédéric Antoine,
M. Pierre-François Docquir,
Mme Carine Doutrelepont,
Mme Sandrine Dusollier,
M. Jacques Englebert,
M. Benoît Grevisse,
M. François Heinderyckx,
M. Marc Isgour,
M. Jean-Jacques Jespers,
M. Valentin Malfait,
M. Marc Minon,
Mme Laurence Mundschau,
M. Yves Poullet,
M. Jean-François Raskin,
Mme Anne Roekens,
M. Marc Sinnaeve,
Mme Nadine Toussaint-Desmoulins,
Mme Françoise Tulkens,
M. Quentin Van Enis,
Le Service du compte-rendu du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
et toutes les personnes qui ont été auditionnées ainsi que toutes celles qui ont
participé aux travaux.
Crédit photos : l’AJP (Laurence Dierickx, Mehmet Koksal, Marc Simon,
Robert Vanden Brugge et Jean-Pierre Borloo et Alain Dewez) et le Parlement de la
Fédération Wallonie-Bruxelles.
Secrétariat administratif des EGMI : Jean-Louis Boegaerts.
Communication : Thierry Vanderhaeghe.
Infographie : Fabienne Havaux.
Éditeur responsable : Xavier Baeselen, secrétaire général,
Rue de la Loi 6 - 1000 Bruxelles
Dépôt légal : D/2014/10.353/1
N° IBSN 978-2-9601461-0-3 9782960146103
Date de publication : le 19 février 2014
Tirage : 1.000 exemplaires
Constats - Analyses - Débats
Cet ouvrage présente les rapports de synthèse de chacun
des ateliers et les réflexions des quatre groupes politiques
à l’origine de cette initiative parlementaire.
Les éditions du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Les états généraux des médias d’information au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Du 16 décembre 2010 au 29 janvier 2014, pour la
toute première fois, des « états généraux des médias
d’information » se sont tenus à l’initiative du Parlement
de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Trois grands ateliers,
« acteurs, marchés et stratégies », « statut et formation
des journalistes » et « liberté d’expression », ont fait l’objet
de recommandations d’animateurs-experts.
Les états généraux des médias d’information
au Parlement de la Fédération
Wallonie-Bruxelles
Constats - Analyses - Débats