Mémoire Master - Etienne Camille Laurent

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Mémoire Master - Etienne Camille Laurent
INSTALLATIONS PROLIFERANTES :
EN DEÇA ET AU DELA DE LA MISE EN SITUATION D'UNE ŒUVRE ?
Etienne Laurent, Master 2 Arts Plastiques, Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne
Directeur de recherches : M. Bernard Guelton
Mai 2010
1
Je tiens à remercier Amélia pour son inébranlable patience et pour son aide, ma
famille, surtout mes parents, pour leur soutien, mon directeur de recherche, Monsieur
Bernard Guelton, à l’origine de mon projet, Jean Trébuchet et Anne Charneau pour leurs
participations à l’Installation proliférante n°6, Diana Belci, Gaël-Anne Caye et Ghislaine
Périchet pour leurs participations au montage de l’Installation proliférante n°7,
Chungliang Chang pour ses photos de l’Installation proliférante n°3, Laïza Pautehea
pour sa performance, Baptiste Level et Julien Legros pour leurs participations à Mur
Liquide n°1, Mary Stewart pour son invitation à exposer à Londres, les membres du jury
qui m’ont donné l’opportunité de créer l’ Installation proliférante n°7 dans la galerie
Michel Journiac.
2
« Je voudrais peindre. Je peins, mais la peinture me trompe. J'écris, mais le mot
écrit me trompe. Mes peintures et mes mots se transforment en peintures et en mots qui
ne sont pas les miens. Si les couleurs, les mots, les matériaux ont différents sens, quel
sens y a-t-il à souligner leurs sens et que signifient-ils, ou ne signifient-ils rien du tout ?
Ne sont-ils finalement rien d’autre qu'un néant, qu’une illusion ? » 1
1
Mladen Stilinovic, catalogue de la 12ème documenta de Cassel, Taschen, 2007, p.122. « …I would like to
paint. I paint, but the picture deceives me. I write, but the written word deceives me. My pictures and words
turns into ‘not my’ pictures and ‘not my’ words. If colours, words, materials have different meanings, what
is the meaning underlying there meaning and what does it mean, or does it mean anything at all. Or does it
boil down to nothing, an illusion ?”
3
INTRODUCTION .............................................................................................................. 5
I. PRODUCTION : L’ORIGINE DES ŒUVRES.............................................................. 8
1. Insémination : quelles origines ? .................................................................... 9
1.a. Origines de mes peintures .................................................................................... 9
1.b. Origines de mes Noocactus ............................................................................... 11
1.c. Peintures spatiales ............................................................................................. 15
2. Germination : l’eau, vecteur de vie et de diversité ....................................... 16
2.a. Peintures fonds................................................................................................... 16
2.b. Peinture liquide n°1........................................................................................... 21
3. Croissance : les actions collaboratives.......................................................... 24
3.a. Mur Liquide n°1................................................................................................. 24
3.b. Barrage liquide n°1 ........................................................................................... 27
3.c. Dessin participatif n°1 ....................................................................................... 30
3.d. Le langage de la danse ...................................................................................... 32
3.e. Le penseur de Rodin........................................................................................... 33
4. Profusion : mobilités, lumières et sons ......................................................... 34
4.a. Les œuvres : comment les rendre mobiles? ....................................................... 34
4.b. Mobilité : au-delà du mouvement...................................................................... 42
4.c. Lumières et sons : quelles synergies ? ............................................................... 43
II. RASSEMBLEMENT : LA MISE EN RELATION DES ŒUVRES .......................... 44
1. Juxtaposition, superposition : le regroupement des oeuvres......................... 51
1.a. Installation proliférante n°1 ............................................................................. 51
1.b. Installation proliférante n°4 .............................................................................. 61
1.c. Installation proliférante n°5 .............................................................................. 65
1.d. Installation proliférante n°7 .............................................................................. 69
2. Grouillement, saturation : l’entassement des oeuvres .................................. 77
2.a. Installation proliférante n°2 .............................................................................. 77
3. Déplacement, autonomie : la circulation des oeuvres................................... 80
3.a. Contexte ............................................................................................................. 80
3.b. Installation proliférante n°6 .............................................................................. 81
4. Altération : oser repeindre les œuvres installées ?........................................ 86
4.a. Installation proliférante n°3 .............................................................................. 86
4.b. Installations murales vs. installations centrales ................................................. 88
CONCLUSION................................................................................................................. 90
TERMES CLES................................................................................................................ 94
GLOSSAIRE .................................................................................................................... 95
INDEX .............................................................................................................................. 97
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................ 99
4
INTRODUCTION
A bien des égards, l’époque contemporaine est celle de la prolifération de l’art. Il
n’y a jamais eu autant d’artistes, de galeries, de musées, de centres et d’écoles d’arts. La
globalisation et le multiculturalisme renforcent encore plus cette impression de
prolifération des pratiques artistiques et des œuvres. Déjà en 1910 Wassily Kandinsky
critiquait ce trop plein: « Chaque ‘centre d’art’ voit vivre des milliers et des milliers
d’artistes […] dont la plupart ne cherchent qu’une nouvelle manière et fabriquent sans
enthousiasme, le cœur froid et l’âme endormie, des millions d’œuvres d’arts. »2 Depuis,
le phénomène s’est amplifié et les pratiques artistiques se sont énormément diversifiées.
Comme l’affirme Yves Michaux dans son livre L’art à l’état gazeux, « toutes sortes de
pratiques, absolument toutes, peuvent à un moment donné et dans certaines conditions
faire partie de l’art contemporain. »3 Après une modernité foisonnante de styles
artistiques les plus divers, voici venu le temps de la postmodernité et de la cœxistence des
styles et des pratiques les plus originales.
Ma démarche consiste à réaliser des installations utilisant comme
« matière première » d’autres œuvres appartenant à des domaines variés de la création
artistique. Les Installations proliférantes sont ainsi un assemblage d’autres productions
plastiques telles que peintures, sculptures, photographies, performances, danses ou encore
des sons ou des images enregistrées. L’intérêt consiste à créer des liens formels et
sémantiques entre les pratiques dans un esprit qui remonte aux origines du principe de
l’exposition. Cette manière de procéder donne une grande liberté. Ayant depuis
longtemps une pratique variée je ne souhaite pas la restreindre mais au contraire lui
ouvrir de nouveaux horizons en réalisant des projets dans l’espace public et des actions
collectives. Selon Elisabeth Wetterwald, « les occasions et les buts des artistes de
l’extrême contemporain semblent plus déterminés par des situations changeantes que par
des stratégies théoriquement fondées. »4 Cependant tous mes projets sont susceptibles,
sous des formes diverses, de concourir à la création d’œuvres incorporables en
Installations proliférantes. Les Installations proliférantes sont de ce point de vue le
centre d’une activité artistique elle-même proliférante. La dynamique entre la variété de
mes projets artistiques et la mise en place de nouvelles Installations proliférantes est le
2
Wassily Kandinsky, Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Denoël, Folio essais, 2008,
p. 65-66.
3
Yves Michaux, 2003, L’art à l’état Gazeux, Paris, Hachette Littératures, Pluriel, 2009, p. 53.
4
Elisabeth Wetterwald, « Carnaval des activistes », in Parpaings, n°8, déc.1999, p. 20.
5
cœur qui bat de ma démarche. Les Installations proliférantes ne sont pas un simple
résumé de mes autres créations, elles sont un lieu de recherche sur la manière de mettre
en relation des œuvres.
Certaines pratiques sont proches de mes recherches mais pas suffisamment pour
que je les étudie de près. C’est le cas des installations réalisées à partir de collections
d’objets telles que celles de Karsten Bott, Tony Cragg, Jason Rhoades, Yoshitomo Nara,
Joël Hubaut, Jacques Charlier, Shilpa Gupta, Jac Leirner, Tadashi-Kawama, Laurent
Dupont-Garitte, Joan Fontcuberta, Karen Knon, Paul Maboux, Jeanne Susplugas, Joëlle
Tuerlinckx, Sarah Sze, Michael Lin, Liew Kung Yu, Michaela Spiegel ou encore Mark
Dion. D’autres artistes créent des installations à partir de leurs propres œuvres ou de
celles des autres, parmi ceux-ci citons notamment Allan Mac Collum, Antony Gormley,
Barry Mac Gee, Günter Umberg, Jean-Jacques Lebel, Jim Shaw, John Armleder ou
encore Joseph Beuys. Beaucoup d’artistes collectionnent des œuvres et les installent chez
eux ou dans des espaces d’exposition. Citons en particulier André Breton dont la
collection hétéroclite est reconstituée au Centre George Pompidou. Certains artistes,
même s’ils ne réalisent pas des installations à proprement parler, disposent leurs œuvres
de manière cohérente. C’était le cas pour l’accrochage de Kasimir Malévitch lors de
l’exposition
suprématiste 0,10 en 1915, et de manière plus poussée le cas de la
Prounenraum d’El Lissitzky en 1923. Ce fut également le cas dans les ateliers de Piet
Mondrian. De manière plus anecdotique, citons l’accrochage très serré des peintures de la
collection Henry Vasnier au Musée des Beaux-Arts de Reims, de certains cafés comme le
Café du Palais à Reims, et des accumulations d’œuvres dans les réserves des Frac, des
musées et des galeries.
Les travaux qui intéressent le plus le présent mémoire sont ceux des artistes qui
mettent en situation une œuvre dans une autre à l’exemple de Claude Rutault, de Mladen
Stilinovic, de Daniel Buren, de Bertrand Lavier et de Braco Dimitrijevic. L’installation
d’œuvres est le domaine de recherche général qui me sert de point de départ. Ma
démarche se situe dans un environnement plus restreint qui est celui de la mise en
situation d’une œuvre dans une autre. Mes installations sont une tentative de mettre en
relation des éléments divers. L’intérêt plastique réside dans les télescopages, analogies,
contrastes générés par de tels accrochages. J’y vois aussi une métaphore de la société, ou
les individus sont rassemblés de manière plus ou moins harmonieuse.
6
Le projet des Installations proliférantes consiste en une réflexion sur ce
qu’implique la prolifération des œuvres dans un même lieu. La première partie du
mémoire est consacrée à décrire la création des œuvres dont les Installations
proliférantes sont constituées. La seconde partie traitera de la mise en relation des œuvres
pour constituer les Installations proliférantes. Nous conclurons par un aperçu du
caractère postmoderne des Installations proliférantes.
Schéma illustrant l’imbrication des domaines d’études.
Installations
Installations d’œuvres
Installations proliférantes
7
I. PRODUCTION : L’ORIGINE DES ŒUVRES
« Je suis convaincu qu’aujourd’hui, seules des affirmations provisoires et même
fragmentaires sont possibles. »5
5
Hans Belting, 1983, L’histoire de l’art est-elle finie ? Gallimard, coll. Folio essais, 2008, p. 15.
8
Les Installations proliférantes sont créées à partir de diverses productions
plastiques que je considère la plupart du temps comme étant des œuvres identifiables par
leur technique ou leurs associations de techniques. J’exclus donc l’utilisation d’objets
autres que ceux que l’on pourrait appeler des « objets d’arts ». Je travaille aussi bien avec
mes propres productions qu’avec celles des autres, pourvu qu’elles soient des objets
uniques issus d’une volonté d’esthétisation d’un médium. Le sens de ma démarche est de
réaliser des œuvres d’œuvres, il est donc important que les objets utilisés puissent être
identifiés comme des œuvres. La notion d’œuvre d’art est une notion fluctuante, mais
plusieurs critères permettent d’attribuer ce qualificatif à un objet. L’œuvre est
premièrement un objet unique créé de main d’homme qui se différencie d’un objet
industriel ou artisanal par son unicité et son inutilité. Les artistes du 20ème siècle ont
beaucoup remis en question la notion d’œuvre d’art. Actuellement, est une œuvre d’art ce
qui est reconnu comme tel par le milieu de l’art.
Nous analyserons d’abord des œuvres qui traitent de la question des origines de la
création artistique et de la réinterprétation,6 puis nous aborderons celles résultant de
l’utilisation des Peintures liquides. Nous nous pencherons ensuite sur d’autres créations
qui résultent d’actions collaboratives et enfin sur les éléments mobiles, lumineux et
sonores.
1. Insémination : quelles origines ?
1.a. Origines de mes peintures
-L’origine de la peinture
Je me suis fait prendre en photo en extérieur présentant un châssis comme si je
souhaitais montrer le paysage au travers. C’est une manière de peindre radicale, il n’y a
plus de toile sur le châssis et par conséquent tout ce qui se trouve derrière devient
peinture. Ce travail fait référence à la série Emprunter le paysage que Daniel Buren a mis
en place dans les années quatre vingt sur le littoral japonais. Il s’agissait de grands cadres
qui laissaient apparaître la mer. Ben Vautier pratique un art de l’appropriation. En 1970,
il fabrique un grand cadre qui, tenu par sa main, l’autorise à signer tout ce que l’on voit à
travers.
6
Dans les années 80, les artistes simulationnistes réutilisent des styles du passé et les mélangent de manière
plus ou moins arbitraire.
9
Fig. 1. L’origine de la peinture n°1 photographie d’une action sur la plage des
Petites Dalles, 200 x 300 cm, février 2010. (photo : Amélia Rotar)
Fig. 2. L’origine de la peinture n°2, photographie d’une action dans une grande
étendue champêtre, 200 x 300 cm, février 2010. (photo : Amélia Rotar)
-Peintures arbres
Mon premier souvenir de peinture vient d’un livre au sujet d’un peintre qui
peignait des arbres dans un atelier à la campagne. Ses arbres étaient très stylisés et
constitués de surfaces courbes en aplats gris, noir et brun. Lorsque j’ai installé un atelier à
la campagne, j’ai eu l’impression de retrouver l’atmosphère du peintre du livre et j’ai
décidé de peindre des toiles le plus proches possibles de mon souvenir. Lors d’une
10
conférence sur l'art moderne donnée à la Société des Beaux-Arts de la ville d’Iéna en
1924 et traduite en français sous le titre De l’art moderne, Paul Klee compare la création
d’une peinture à la poussée d’un arbre qui se ramifie et gagne en complexité aussi
longtemps qu’il vit. « Et comme tout le monde peut voir la ramure d'un arbre s'épanouir
simultanément dans toutes les directions, de même en est-il de l'œuvre. »7
Fig. 2. Peinture Arbre n°2 dans mon atelier du pays de Caux, 2010,
pigments et huile sur toile de jute préparée à la chaux, 120 x 120 cm.
1.b. Origines de mes Noocactus
A l’école maternelle, pendant la récréation, j’ai fabriqué des boules de terre. Je
suis incapable de dire si je l’ai fait une fois, dix fois ou peut être trois années de suite. Je
me rappelle seulement l’avoir fait. Je ramassais la terre sous des arbustes, où le jardinier
avait désherbé laissant la terre à nu. Il fallait de la terre meuble et donc je pense que j’ai
réalisé ces boules de terre au printemps ou à l’automne, saisons pendant lesquelles la
terre est plus humide et malléable. Cette terre était marron foncé et légèrement argileuse.
J’écrasais fortement la terre dans mes mains pour qu’elle devienne la plus compacte
possible, comme l’on ferait pour une boule de neige. Le but était de fabriquer des boules
les plus solides possibles. La surface de la boule devenait dure et compacte, ressemblant
à un chou fleur, c’est à dire pas vraiment lisse mais irrégulière, bosselée et cependant très
compacte. Cette surface était comparable en couleur et en texture à celle d’un gâteau que
ma mère confectionne quelquefois. Je fabriquais plusieurs boules de même taille, taille
7
Paul Klee, Théorie de l'art moderne, Denoël, 1971, p. 17. Cette idée est développée pages 100 et 101 du
livre de Pierre-Damien Huyghe, Art et industrie Philosophie du Bauhaus, Circé, 1999.
11
correspondant à l’intérieur de ma main. Les boules constituées devaient finalement être
assez petites. A mon échelle actuelle, si j’essayais de refaire de semblables boules, je
ferai des boules d’à peu près dix centimètres de diamètre. J’estime que mes mains
d’enfant devaient façonner des boules d’environ cinq centimètres de diamètre. Je cachais
ensuite les boules sous un buisson au fond de la cour, près du jardin potager. Je voulais
que mes boules de terre deviennent indestructibles et je pensais qu’elles durciraient avec
le temps.
Pourquoi est-ce que je faisais des boules de terre ? J’étais certainement à la
recherche d’un point de repère, de quelque chose qui serait intangible, solide. J’avais
envie de créer un trésor que je pourrais consulter de temps en temps. Je crois que l’idée
de fabriquer un objet solide était importante, une boule bien ronde, un objet régulier,
lisse, fini. Etudier les réactions de la terre, les possibilités qu’elle avait de durcir, avec
cette conception naïve que la boule de terre allait durcir très fort, devenir indestructible.
Je n’ai pas, par la suite, cessé de faire des « boules de terre ». Ces boules de terre sont
devenues mes Noocatus actuels.
Les Noocatus sont des sculptures en argile ou en plâtre. Il en existe de trois
sortes : Ceux constitués de branches coudées autour d’un axe central, que j’appelle
Noocactus arbres, ceux où les excroissances en forme de doigts sont répartis autour d’un
volume, que j’appelle Noocactus anémones, et ceux constitués d’une sorte de gros œuf
avec d’autres œufs accrochés autour que j’appelle Noocactus œufs.
Fig. 4. Un exemple de Noocactus oeuf.
12
Fig. 5. Au milieu de la photo, un exemple de
Noocactus arbre.
Fig. 6. Un exemple de Noocactus
anémone.
Le nom Noocactus vient du mot Noosphère utilisé par le géologue russe Vladimir
Vernadsky dans son livre intitulé La Biosphère. Vernadsky y décrit trois phases de
l’évolution géologique terrestre : La première phase correspond au volcanisme et à la
tectonique. La deuxième phase correspond à l’influence de la vie sur la géologie, la
transformation de l’atmosphère, des roches etc. Après la géologie et la vie, la troisième
phase est celle de la prédominance humaine vue sous son angle géologique. Vernadsky
appelle cette phase la Noosphère. Les Noocactus sont une tentative de représenter la
Noosphère. Voici le texte qui figure dans une gravure que j’ai réalisée en 2008 qui
s’intitule La raison d’être de l’humanité : « La vie progresse au-delà du berceau terrestre.
Les « œufs » autour de l' « œuf » central représentent la vie qui s'étend dans l'espace. Ce
phénomène est possible grâce à l'activité humaine. L’humanité a par conséquent un rôle à
jouer dans l'évolution. Ce rôle consiste à installer la vie dans l'ensemble du système
solaire et au-delà. »
13
Fig. 7. La raison d’être de l’humanité, 2008,
image numérique à partir d’une gravure, 24 x
18 cm.
Fig. 9. Noocactus n°2, 2003, terre, émail, platine,
32 x 27 x 28 cm.
Fig. 8. Noocactus n°1, 2003, terre, émail et
platine, 27 x 25 cm.
Fig. 10. Noocactus n°3, 2003, terre, émail,
platine, 27 x 31 x 29 cm.
14
1.c. Peintures spatiales
En 2008, j’ai réalisé des peintures de l’homme sur la lune. Je souhaite par ces
peintures célébrer une grande action humaine, une action qui oriente la société vers un
avenir meilleur (Le roman de Jules Verne De la terre à la lune utilise cette idée comme
point de départ). Aller sur la lune est un exemple de l’expansion humaine, de sa soif de
découverte. Les progressistes pensent que la nature humaine est de « proliférer » et que
cette prolifération peut prendre la forme de la conquête de la lune, de mars et du reste du
système solaire.
Fig. 11. La vraie Amérique, 2008, acrylique sur toile, 150 x 150 cm.
A partir d’une toile préparée et montée sur châssis, j’ai peint un monochrome noir
avec de la peinture à l’huile en tube. Ce monochrome devait en fait servir de fond pour
mon projet de peindre des astronautes sur la lune, à partir de photos de la NASA. J’ai
finalement décidé de réaliser ces peintures à l’acrylique et mon fond à l’huile était peu
adéquat pour cette action. J’ai exposé le monochrome noir en 2007 à l’occasion d’un
accrochage dans la Fac St Charles qui regroupait d’autres peintures et des photos mettant
en rapport le thème de l’espace et des planètes avec celui du fœtus dans le ventre de sa
mère. Après l’accrochage, j’ai frotté la surface de la toile avec des pastels gras. L’action
de frottement a fait ressortir la croix centrale du cadre et finalement j’ai obtenu un objet
constitué de quatre carreaux, pour lesquels j’ai choisi une dominante colorée jaune-violetrose-rouge. J’ai ensuite découpé les carrés en suivant le contour du châssis en bois. Le
résultat est un hommage au travail du groupe support/surface et en particulier aux châssis
en résine peinte de Louis Cane.
15
2. Germination : l’eau, vecteur de vie et de diversité
Beaucoup d’éléments servant à créer des Installations proliférantes sont le résultat
de l’utilisation des peintures sous leurs formes liquides. Je donne ici deux exemples, celui
des Peintures fonds et celui d’une peinture que j’appelle Peinture liquide n°1.
2.a. Peintures fonds
« Dirai-je comment je travaillais avant d’en venir aux tableaux de sable, vers
1975 ? Des nappes successives, légères, vivement étalées par coulures et sans
intervention de la main (sinon pour faire pencher la toile et la balancer) se recouvraient,
et chaque intervention sur la surface devait attendre que les effets de la précédente fussent
secs, si besoin était. » 8
Définissant ce qu’il appelle le « présentatif » comme tout ce qui concerne les
moyens d’imposer un sens défini, René Passeron émet l’hypothèse que « la place du
poétique dans tous les arts et dans la vie -dans toute opération créatrice- est inversement
proportionnelle à celle du présentatif. »9 Les Peintures fonds répondent à ce projet car
elles n’ont pas de structure graphique. Ce sont des œuvres picturales, jeux de textures, de
matières, de recouvrements, d’entrelacs. Les peintures « fonds » sont des toiles sur
châssis d’environ 130 x 100 cm sur lesquelles je verse de la Peinture liquide. J’incline la
toile qui repose par terre et sur le mur, et je verse des mélanges à différents endroits. La
peinture coule sur la toile et par terre, formant des motifs sur le sol. Comme je l’ai décrit
dans le cas de « Peinture liquide n°1 » lorsqu’il y a suffisamment de peinture sur le sol, je
pose du papier dessus pour créer des « informes ». Peindre avec de la Peinture liquide,
c’est aussi jouer avec la nature de la peinture. Ainsi Gaston Bachelard considérait que
l’art est de la « nature greffée ».10 De nombreuses toiles de John Armleder sont créées en
versant de la Peinture liquide sur des toiles inclinées. Il appelle ces toiles des Peintures
versées. Lors d’une interview avec Suzanne Pagé en janvier 1987, John Armleder
explique qu'il utilise des « vernis réactifs » dans ses toiles avec coulures. Les « vernis
réactifs » sèchent au contact des rayons ultraviolets.
8
René Passeron, Pour une philosophie de la création, Paris, Klincksieck esthétique, 1989, p. 152.
Ibid., p. 192.
10
Gaston Bachelard, 1942, L’eau et les rêves, Paris, Le Livre de Poche, Biblio essais, 2009, p.18.
9
16
Fig. 12. John Armleder travaillant sur une Peinture
versée au Musée d’Art Contemporain de Lyon en
2006. (Photo Mathieu Copeland)
Les Peintures fonds sont un jeu entre le liquide et le sec, entre la peinture à l’eau
et la peinture à l’huile, entre les vernis et leurs diluants. J’utilise des peintures à base de
liants acrylique, mais aussi à base d’huile, et toutes sortes de vernis dans lesquels
j’incorpore des pigments et des poudres (poudre de nacre, de bronze). Les Peintures
fonds sont un laboratoire sur lequel j’expérimente les réactions qui s’opèrent entre les
peintures à l’eau (gouaches, acryliques, encres), à l’huile (huile de lin plus essence de
térébenthine plus siccatif plus pigments), à base de résines (gomme Dammar, gomme
arabique), de colles (vinylique, colle de peau de lapin), d’essences (essence de
térébenthine, essence F).
Je peins couche par couche, et j’attends parfois plusieurs mois avant de rajouter
une couche. Il m’arrive d’utiliser du papier abrasif et de poncer la surface de la toile pour
faire apparaître des objets inclus dans la peinture. Je jette des éléments solides sur la toile,
des pigments en poudre, de la suie de cheminée, du charbon, du sable, des graines de
pavot, parfois des perles ou des paillettes. Les éléments solides se mélangent aux
Peintures liquides et migrent sur la toile. Les paillettes de poudre de bronze, par exemple,
se regroupent en bas de la toile et forme une surface métallisée. « Or l’eau est rêvée tour
à tour dans son rôle émollient et dans son rôle agglomérant. Elle délie et elle lie. »11 Cette
nature ambivalente de l’eau se fige finalement sur les Peintures fonds. Ce jeu
liquide/solide rejoint un aspect du travail de Robert Malaval. (La rétrospective de ses
œuvres en 2009 au Musée des Beaux-arts d’Angers montre des peintures où cet aspect est
présent.)
11
Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, Op. cit., p. 122.
17
Lorsque certaines personnes voient mes peintures « informes », elles croient y
reconnaître des figures (des fruits rouges, par exemple). En réalité, moi-même ne vois
jamais rien de tout ça. Je vois pourtant, et j’ai grand plaisir à observer, la peinture, de
loin, comme de près. Mais ce que je vois n’est autre que de la peinture, avec ses qualités
de peinture : couleurs, formes, brillances, textures (grains, surface fripée de la peinture à
l’huile qui sèche, traces de bulles, grain de la toile). Gaston Bachelard commence ainsi
son ouvrage sur l’eau : « Les images dont l’eau est le prétexte ou la matière n’ont pas la
constance et la solidité des images fournies par la terre, par les cristaux, les métaux et les
gemmes. »12 C’est cet aspect incertain et naturel que je cherche en utilisant l’élément
liquide.
Fig. 13. Peinture fond n°5, 2009, technique mixte
sur toile, 130 x 97cm.
12
Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, Op. cit., p. 29. Deux pages plus loin, page 31, il donne sans le
spécifier ce qui pourrait constituer une définition de la peinture : « Commençons donc par la moins
sensuelle des sensations, la vision, et voyons comment elle se sensualise. »
18
Fig. 14. Informe, 2009, technique mixte sur
papier Ingres, 40 x 30 cm.
Parfois, je pose horizontalement une toile sur une mangeoire de mon atelier. Je
place ensuite une autre toile, légèrement inclinée, sur laquelle je verse des mélanges de
Peintures liquides. La peinture coule alors non seulement sur la toile sur laquelle je verse,
mais ensuite sur les toiles posées en dessous. Comme pour toutes les actions nouvelles,
les premiers essais sont hasardeux, mais, finalement, la répétition de l’exercice démontre
simplement une manière singulière de peindre, à mi-chemin entre les travaux de Morris
Louis et de ceux d’Helen Frankenthaler. En effet, Morris Louis versait sa peinture sur des
toiles verticales tandis que Helen Frankenthaler versait directement la peinture sur une
toile posée au sol. Dilués dans la térébenthine, les pigments pénétraient non seulement la
surface, mais aussi l’épaisseur de la toile. Les variations d’intensité des plages colorées
s’élaboraient en fonction de la quantité de peinture versée et de la fréquence de son
application en une même zone. Dans un court texte sur sa peinture, Henri Michaux
explique qu'il peint « pour montrer, […] si c'est possible, les vibrations même de l'esprit »
13
13
Michaux, Henri, Sur ma peinture, dans Oeuvres complètes, t.2, Paris, Gallimard, La Pléiade, p. 1026.
19
Fig. 15. Helen Frankenthaler, New York, 1969.
Fig. 16. Je place une peinture sous une autre.
20
2.b. Peinture liquide n°1
Fig. 17. Peinture liquide n°1, 2009, technique mixte sur toile, 150 x 230 cm.
Peinture liquide n°1 a été créée au centre Saint Charles. Voici les étapes de sa
réalisation : j’ai commencé par disposer vingt toiles de formats différents (3 toiles de
dimensions 50 x 40 cm, trois de dimensions 46 x 38 cm, cinq de dimensions 40 x 40 cm,
cinq de dimensions 40 x 30 cm, une de dimensions 40 x 27cm, deux de dimensions 35 x
27 cm, une de dimensions 35 x 24 cm) sur le sol en grimpant sur un escabeau pour
visualiser le résultat. Les toiles posées côte à côte formaient une sorte de grille. En raison
de leurs formats, il était impossible de constituer un rectangle parfait. Le résultat est un
rectangle approximatif, avec quelques irrégularités et quelques trous. Puis j’ai accroché
les toiles sur le mur avec du ruban adhésif double face épais.
21
Fig. 18. L’assemblage de toiles vu de l'escabeau.
Il s’agissait ensuite de faire couler de la peinture en haut des toiles. La peinture
coulait, suivant le dosage, jusqu’en bas du tableau, passant de toiles en toiles. J’ai
procédé rapidement, la réalisation des coulures a duré environ une heure. Le lendemain
j’ai décroché les toiles et j’ai peint la tranche de chaque toile en blanc. Cela me permettait
de renforcer le contraste entre la trame rectangulaire des toiles et celle plus libre des
coulures.
L’intérêt de ce travail réside entre autre dans son effet visuel évoquant de la
peinture cinétique (Bridget Riley, Vasarely, Soto), procédé qui prend en compte les
recherches d’Eugène Chevreul sur les contrastes simultanés.14 L’opposition entre la
figure géométrique créée par l’assemblage des toiles et la trame des coulures n’est pas
sans rappeler un principe yin/yang, masculin/féminin. Pour moi les toiles blanches sont
comme des falaises sur lesquelles j’ai fait couler de la peinture. La position de mon corps
face aux toiles les plus hautes est dominante, cela met en valeur le geste qui prend une
importance symbolique dans l’acte de faire couler la peinture tel un rituel baptismal. Les
peintures sur le sol formaient des sortes de marbrures car les peintures à l’eau et à l’huile
ne se mélangent pas. Le lendemain, une croûte de peinture s’était formée au sol. J’ai
pressé dessus des papiers pour créer plusieurs peintures. Cette manière de procéder
évoque la technique du papier marbré utilisée dans les couvertures de livres anciens. J’ai
utilisé du papier Ingres car sa trame structure les formes très libres provoquées par cette
14
Eugène Chevreul fait publier en 1839 un livre sur la lumière et la couleur dans lequel il énonce la loi du
contraste simultané des couleurs. La vision d'une couleur crée une tension qui fatigue l'œil. L'œil est apaisé
lorsqu'il voit la complémentaire. Si la complémentaire est absente, il la produit simultanément dans la teinte
voisine. Dans le cas d’une opposition entre deux couleurs qui ne sont pas exactement complémentaires, les
couleurs semblent se repousser et vibrer car l'oeil cherche à les rapprocher de leur complémentaire exacte.
22
action. J’appelle ces peintures des Informes de Peinture liquide n°1. Les coulures lors de
la réalisation de Peinture liquide n°1 ont, en quelque sorte, informé le sol. Je récupère ces
informations pour réaliser ce que j’appelle des Informes.
Fig. 19. Informe de Peinture liquide n°1, 2009,
technique mixte sur papier Ingres, 65 x 50 cm.
Peinture liquide n°1 utilise une manière de procéder très employée par des
peintres comme Ian Davenport ou Cédric Teisseire. Everything de Ian Davenport est une
peinture murale réalisée pour le nouveau bâtiment de l’Institut de Mathématiques et de
Statistiques de la ville Warwick au Royaume Uni. Ian Davenport a utilisé des peintures
acryliques liquides qu’il a fait couler du haut du mur. Il a aussi prévu un rebord en plâtre
en bas du mur sur lequel les peintures se mélangent. Cédric Teisseire utilise des laques
qu’il fait couler sur de la toile cirée. Lui aussi met en valeur la partie en bas du mur où les
peintures se mélangent.
23
Fig. 20. Ian Davenport, 2004,
Fig. 21. Cédric Teisseire, 1997, Alias, huile
Everything, peintures acryliques sur
sur toile cirée.
panneau de plâtre, 762 x 1067 cm.
3. Croissance : les actions collaboratives
« Susciter l’intervention d’autrui n’est pas sans compliquer la réalisation même de
l’œuvre, qui cesse d’être l’objet pour ainsi dire privé de l’artiste et devient l’occasion
d’un geste aventureux, ou de rencontres, bref, d’une expérience inédite de l’art tendant à
en enrichir la méthode. »15
Comme je l’affirme dans l’introduction, les Installations proliférantes rassemblent des
éléments qui proviennent de situations créatives très variées. Nous parcourons ici
quelques œuvres collaboratives réalisées ou en projet. Les différents témoignages,
enregistrements, photos de ces œuvres sont susceptibles de servir de support à la
conception d’installations.
3.a. Mur Liquide n°1
Je vais ci-dessous relater une première expérience d’un événement de Peintures
liquides collective qui est à l’origine de la création d’éléments qui seront utilisés lors de
la mise en place de futures Installations proliférantes. J’ai proposé ce jour-là aux
15
Paul Ardenne, 2002, Un art contextuel, Paris, Flammarion, Champs arts, 2009, p.62.
24
participants de verser de la peinture liquide sur un des murs extérieurs de mon atelier. Je
m’autorisais seulement à récupérer la peinture coulée au bas du mur avec des petits
morceaux de papier. J’ai noté ce qu’il advenait dans une situation pour laquelle j’ai donné
très peu de consignes, celles-ci se résumant en quelques mots : « Faire couler de la
peinture sur le mur.»
Les deux participants ont commencé à verser de la peinture au milieu du mur, puis
peignaient l’un en se déplaçant vers la droite et l’autre vers la gauche. Ni l’un ni l’autre
ne semblait concevoir le mur comme une totalité, mais plutôt comme un lieu
d’expériences successives. Ainsi, la personne de droite a essayé de dessiner une figure
géométrique grâce à des mouvements rectilignes de son bras pendant qu’il versait la
peinture. Le résultat ne lui plaisant pas il demanda s’il pouvait « jeter » de la peinture sur
le mur. La consigne est donc devenue : « Faire couler ou jeter de la peinture sur le mur. »
Il a ensuite réalisé une série de grosses coulures verticales partant du haut du mur. L’ami
de gauche a délimité dans son esprit un morceau de mur d’environ 1,5 mètre sur lequel il
a fait plusieurs petites coulures avec chacune des couleurs préparées. Alors que chacun
s’appliquait dans un travail qui allait être très long, j’ai expliqué que je souhaitais qu’il y
ait de la peinture d’un bout à l’autre du mur. Le participant de droite est alors venu à
gauche pour y verser des pots à des intervalles plus espacés. Finalement la séance a
continué avec des grandes projections plus ou moins horizontales un peu partout sur le
mur. Pendant que les participants peignaient, je découpais des morceaux de papiers pour
les appliquer sur le rebord en ciment en bas du mur et créer ce que j’appelle des informes.
Cette manière de procéder où je m’agenouille pour recueillir la peinture au pied du mur
renforce le caractère rituel de l’évènement.
Cette première expérience me permet de préparer un évènement plus important et
impliquant plus de participants. L’action prendrait alors un caractère proliférant plus
marqué, serait plus animée et plus vivante. Pour la prochaine action, je souhaite préparer
d’avance les peintures. Les participants trouveraient en arrivant une table sur laquelle
seraient posées des dizaines de pots remplis de Peintures liquides. J’expliquerais alors
plus en détail le pourquoi et le comment de cette action. Je dirais que le mur est à
envisager dans sa totalité et que l’unité de la peinture finale se prévoit dès le début.
J’utiliserais pour les informes du papier gravure qui s’adapte mieux au relief du ciment.
Dans cette action, l’oeuvre d’art n’est pas tant le résultat que l’évènement lui-même. Les
peintures créées ne sont finalement que le témoignage d’une action qui fait véritablement
œuvre. Une des tendances de l’art actuel est la délégation de la production des œuvres. Le
travail de Claude Rutault par exemple, permet de mieux appréhender la question de la
25
méthode de collaboration et de délégation. Avec ses définitions/méthodes, Rutault donne
les consignes de base permettant de réaliser ses œuvres. L’œuvre chez Rutault réside dans
l’idée. La mise en œuvre est donc laissée à l’acheteur. Cette manière de procéder n’estelle pas une façon de prendre au pied de la lettre (et de détourner) l’expression de Marcel
Duchamp « ce sont les regardeurs qui font les tableaux » ? J’envisage de repeindre le
mur et de recommencer l’action en invitant plus de participants. La peinture murale
réalisée n’existerait que jusqu’à ce qu’elle soit recouverte lors de l’évènement suivant.
L’œuvre existera donc plus par le moment de sa création que par son résultat éphémère.
Ainsi Yves Michaux dans son livre L’art à l’état gazeux, parle de la « disparition de
l’œuvre comme objet et pivot de l’expérience esthétique ».16
Fig. 22. La première coulure.
Fig. 23. Je presse un morceau de papier en bas du mur pour créer un
Informe.
16
Yves Michaux, L’art à l’état gazeux, Op. cit., p. 9.
26
Fig. 24. Le rebord en ciment sur lequel la peinture s’écoule. Je presse
du papier sur cette surface pour créer ce que j’appelle des « informes ».
Fig. 25. Informe de Mur Liquide n°1, technique mixte sur papier, 4,5 x 25 cm.
3.b. Barrage liquide n°1
Je propose de peindre le barrage de Cleuson qui se trouve au dessus de la ville de
Nendaz dans le canton du Valais au sud-est de la Suisse. Ce barrage de 87 mètres de haut
et 420 mètres de long est une grande surface plate et inclinée. Il est géré par la société
Energie Ouest Suisse Lausanne. Onze ouvriers sont morts sur le chantier entre le début de
sa construction en 1947 et sa mise en service en 1951.
Je propose de verser de la Peinture liquide depuis le tablier du barrage. Peinture
liquide n°1 donne une idée de ce que cela pourrait donner. Ce travail serait une mise en
valeur originale du barrage qui convoquerait la réflexion. Il constituerait aussi un
hommage aux victimes des accidents pendant les travaux. Les coulures évoqueraient le
sang des ouvriers qui sont morts pendant la construction et les larmes de leurs proches.
Ce projet peut être mis en rapport avec celui de Christian Boltanski à l’occasion de
27
l’exposition de 1993 au Musée Cantonal des Beaux-arts de Lausanne. Christian Boltanski
avait alors dressé la liste des Suisses morts dans le canton du Valais en 1991.17
Le projet Valley Curtain de Christo et Jeanne-Claude est une sorte de barrage en
tissu qui traverse la vallée de Rifle dans l’état du Colorado aux Etats-Unis. La surface de
ce rideau de 381 mètres de large est striée par des plis verticaux qui ondulent au vent. Les
lignes verticales donnent une idée de ce que serait le barrage peint. De nombreuses
personnes ont participé à la mise en place de ce gigantesque mur de tissu (35 ouvriers du
bâtiment, 64 intérimaires, des ouvriers saisonniers, des étudiants en art et des collégiens).
Je tiens à souligner qu’il existe un rapprochement plastique à effectuer entre
Valley Curtain et le projet du barrage de Cleuson. La silhouette du rideau de tissu évoque
celle d’un barrage puisqu’il bouche toute la vallée à un endroit où celle-ci est
relativement étroite et que le haut est presque horizontal. Les plis du tissu forment des
lignes verticales, lignes qui proviendront des coulures de peinture dans le cas du barrage
de Cleuson. Enfin la couleur rouge pourrait être la couleur principale utilisée pour le
barrage de Cleuson. Les projets de Christo et Jeanne-Claude montrent qu’avec beaucoup
de détermination il est possible de convaincre les autorités concernées. L’aspect
relationnel et social est fondamental chez Christo et Jeanne-Claude. En amont du projet,
il s’agit de convaincre les autorités et les propriétaires fonciers. Christo et Jeanne-Claude
passent beaucoup de temps à voyager, à rencontrer les gens et intervenir dans les débats.
Leur projet pour le Reichstag suscita d’ailleurs le premier débat parlementaire au sujet de
la réalisation d’une œuvre d’art. Les projets réalisés sont des projets de plein air auxquels
tout le monde a accès. Christo et Jeanne-Claude considèrent que chacun a le droit de
ressentir une émotion artistique et que cette émotion ne doit pas être réservée à une élite
et à l’espace du musée.
Le fait que de nombreuses personnes soit impliquées dans la réalisation d’une
œuvre d’art correspond à l’une des tendances majeures de l’art contemporain. Dans le cas
du projet pour le barrage de Cleuson, il serait éventuellement possible de faire participer
les étudiants de la Haute Ecole d'Art et de Design de Genève et/ou ceux de l’Ecole
Cantonale d’Art de Lausanne. Ce projet pourrait aussi s’inscrire dans le cadre de la
Biennale d’Art de Montreux.
17
Christian Boltanski, Les Suisses morts : Liste des Suisses morts dans le canton du Valais en 1991,
exposition au Musée Cantonal des Beaux-arts de Lausanne, 1993.
28
Dans le travail de Robert Smithson intitulé Asphalt Rundown, de l'asphalte liquide
glisse de la benne d’un camion sur la pente d’une carrière. L’action dure environ une
minute et ressemble à une coulée de lave. Pollock avait décroché la toile du chevalet pour
la poser par terre. Smithson va plus loin et fait couler la peinture (ici de l’asphalte)
directement sur un paysage. Ce travail est une référence pour le projet du barrage de
Cleuson, puisqu’il s’agit d’une coulure à la dimension d’un paysage. Cette coulée
d’asphalte a été organisée par une petite équipe dont un chargé de communication avec
les autorités. Robert Smithson a réalisé des croquis préparatoires comme par exemple
Asphalt on eroded cliff (1969, encre et craie colorée sur papier, 18 x 24 cm).
Pour peindre le barrage, il serait possible d’utiliser de la peinture sous la forme
d’un copolymère styrène. Cette peinture a les qualités requises pour être appliquée sur le
béton d’un barrage : Elle évacue l’humidité interne, elle présente une résistance
inégalable face aux intempéries, elle possède un fort pouvoir garnissant et opacifiant, elle
est inerte chimiquement sur fond alcalin. Cette peinture est vendue sans intermédiaire par
l’usine Métaltop. Il faudra prévoir de monter un financement et pour cela contacter les
équivalents suisses de la DRAC et du Conseil Général en France c'est-à-dire l’Office
Fédéral de la Culture et Pro Helvetia.18 Il serait logique de demander le soutien de la ville
de Nendaz qui bénéficiera des retombées positives du projet.19 De plus il existe de
nombreuses fondations privées en Suisse comme par exemple le Pour-cent Culturel
Migros.20 En raison du caractère participatif du projet, il est envisageable de proposer un
soutien individuel au financement. Enfin pourquoi ne pas s’inspirer de Christo et JeanneClaude, et organiser une exposition (au Musée Cantonal des Beaux-arts de Lausanne ?)
des croquis, maquettes et autres projets en rapport avec le barrage de Cleuson ?
18
Pro Helvetia est une fondation fédérale dont les tâches concernent principalement la création
contemporaine
19
La ville de Nendaz organise déjà des visites guidées du Barrage.
20
Le Pour-cent Culturel Migros est un mode de financement volontaire de la culture en Suisse mis en place
en 1957 par la société Migros.
29
3.c. Dessin participatif n°1
Fig. 26. Dessin participatif n°1, 2009, stylo sur papier, aluminium
peint, verre, bois, métal, 50,7 x 40,9 cm. Le dessin est une ligne
ininterrompue prolongée par environ vingt choristes de
l’Orchestre et Cœur des Universités de Paris. La consigne répétée à
chacun était de reproduire le plus fidèlement possible le motif
initial.
Dessin participatif n°1 est un travail né d'un motif proliférant que j'utilise de
manière récurrente depuis plus de dix ans. Ce motif est proliférant parce qu'il couvre une
surface en se dispersant comme une tache d'huile. Récemment, j'ai aperçu ce motif sur un
tissu dessiné par Patrick Frey. J'ai alors réalisé que ce motif ne m'était pas propre, mais
seulement un motif simple que l'on pourrait par exemple modéliser par ordinateur
(réaliser un programme qui construirait ce motif sur un espace infini). J'ai voulu faire
l’expérience de donner à dessiner ce motif à plusieurs personnes. Sur une feuille de
papier noir, j’ai dessiné le motif. Une vingtaine de personnes ont continué le dessin, en
essayant de reproduire au mieux le motif initial. Ce dessin est donc une expérience à
partir d’une règle du jeu simple comme l’étaient les Blind Time Drawings de Robert
30
Morris21 Avant l'expérience, je pensais que les autres auraient tendance à reproduire
fidèlement le motif avec cependant des écarts d’échelle. En fait, le résultat montre que
l’échelle reste à peu près la même mais que par contre la forme varie. Chacun interprète
le motif suivant sa personnalité. Dans un court texte sur sa peinture, Henri Michaux
explique qu'il peint « pour montrer, […] si c'est possible, les vibrations même de l'esprit
»22
Cette expérience rejoint des préoccupations de l'ordre de la psychologie et je
pense qu'il serait possible de numériser le résultat et d'étudier par exemple le pourcentage
de correspondance entre le dessin initial et les suivants à partir de paramètres définissant
la qualité des courbes, l'épaisseur du trait, etc. Le « Laboratoire » à Paris, lieu
d'expérimentation commun entre des artistes et des scientifiques pourrait éventuellement
accueillir ce type de recherches. Il serait possible de conduire l'expérience avec d'autres
motifs initiaux, avec des motifs modélisés par ordinateur, de faire participer différentes
catégories de personnes, d'établir des statistiques, etc. Inciter à l’esprit ludique est un des
buts des mes actions collectives. Pour une analyse détaillée de la place du jeu dans l’art,
se référer au chapitre « De la création ludique à la créativité » dans l’ouvrage de Frank
Popper intitulé Art, action et participation, l’artiste et la créativité aujourd’hui.23
La dimension métaphorique et poétique de ce travail est celle qui me concerne
plus immédiatement. Cette ligne tracée par une succession de personnes différentes n'estelle pas une métaphore éventuelle de la succession des vies humaines qui, mises bout à
bout forment un tracé sinueux et ininterrompu? Ainsi chacun reprendrait le chemin d'un
autre pour le conduire plus loin, élargissant au passage le champ de l'existant. Afin
d'approfondir cette métaphore, il faudrait qu'au début le trait soit minuscule et qu'il
s'agrandisse au fur et à mesure pour figurer l'éloignement du passé.
Dessin participatif n°1 partage une certaine approche dans sa réalisation avec les
Fields d’Antony Gormley. A la demande de celui-ci, des centaines de personnes, souvent
appartenant à un groupe social spécifique (famille, école, village) ont modelé des
figurines en argile. Antony Gormley explique aux participants le type de sculptures qu’il
souhaite, en terme de dimensions et de manière de faire. Les figurines sont ensuite
rassemblées et posées côte à côte sur le sol du lieu d’exposition.
21
A ce sujet voir notamment l’article de Jean-Pierre Criqui dans la revue 20/27 n°1, 2007.
Michaux, Henri, Sur ma peinture, Paris, Gallimard, La Pléiade, t.2, p. 1026.
23
Frank Popper, Art, action et participation, l’artiste et la créativité aujourd’hui, Paris, Klincksieck, 1980.
22
31
3.d. Le langage de la danse
Ce travail fait référence à un atelier sur la danse que Jan Kopp a mené avec un
groupe d’étudiants de l’Ecole des Beaux-Arts de Perpignan. Jan Kopp a adopté une
approche originale en s’adressant aux étudiants dans un langage qui n’existe pas. Il établit
ce faisant des liens entre langage parlé et langage du corps. Souhaitant utiliser les
ressources de ce fameux langage, Amelia et moi avons pris la pose afin de créer un
alphabet dansé qui affirme : « Dugadel vrax lugumbuma sync fijhokp. »
Fig. 27. Le langage de la danse, 2010, tirage noir et blanc sur machine à plans, 90 x 80 cm. (photo :
Diana Belci)
32
3.e. Le penseur de Rodin
Le 7 mars 2009 j’ai participé à une performance de Laïza Pautehea. Laïza a créé
une performance où nous prenions la pose du penseur de Rodin. Laïza voulait que la
performance se déroule devant la sculpture du musée Rodin, mais elle n’a pas eu
l’autorisation à temps. Nous avons alors mis en place cette performance devant
l’université Paris Descartes. C’est devenu une action politique remettant en cause la loi
LRU. Les photos de cette performance sont des éléments susceptibles d’être utilisés pour
une Installation proliférante.
33
Fig. 28. Trois photographies de la Performance Le
penseur de Rodin devant la faculté ParisDescartes, 7 mars 2009.
4. Profusion : mobilités, lumières et sons
4.a. Les œuvres : comment les rendre mobiles?
Les éléments présentés ci-dessous sont des éléments mobiles passifs, ils incluent
des charnières ou des rails permettant de les faire bouger. Ce type d’éléments n’est
qu’une première approche concernant la mobilité des éléments. Par la suite, il sera
question de créer des éléments motorisés. Les éléments motorisés seront d’abord
autonomes, c'est-à-dire fonctionnant avec un interrupteur pour les mettre en marche ou
les éteindre. L’étape suivante sera de les faire circuler sur des structures.
34
-Diptyque
Fig. 29. Diptyque mobile, 2010, images numériques, 25 x 30 cm chacune.
La photographie de gauche, qui montre un Noocactus détruit sur mars est inspirée
des recherches de Sophie Ristelhueber qui photographie des constructions humaines
détruites dans des paysages déserts. La partie droite du diptyque est une photographie
intitulée Parisky et s’appuie sur le travail d’Alain Bublex. La photo montre une vue
d’artiste d’un projet pour un métro aérien à Paris. Le support des photographies est en
métal et en plastique, cohérent avec l’univers technologique présent dans les photos. Le
diptyque est prévu pour être accroché au mur et devenir un des éléments de
mes Installations proliférantes.
35
-L’Auteur de la hauteur de l’auteur
Fig. 30. Trois vues de L’Auteur de la hauteur de l’auteur, 2009, photographies à hauteur réglable,
dimensions variables.
Cette installation est constituée de deux photos dans des cadres en profilé
aluminium noir de dimensions 24 x 18 cm, de deux rails en aluminium de 75 cm de long,
de deux boulons, écrous, papillons et mousquetons simplex en acier zingué. Les rails en
aluminium sont fixés verticalement sur le mur par six vis à bois et séparés par une
distance de 21 cm. Le bas des rails est à environ 115 cm du sol. Les photos ont été prises
avec un appareil photo numérique EOS 400D posé sur un pied en aluminium. L’éclairage
était fourni par une lampe halogène de puissance 300 watts, assisté par une lampe basse
consommation de 18 watts et deux lampes krypton 40 watts. Les photographies ont été
prises à mon domicile devant un rideau blanc. La séance de pose a duré environ une
heure. Les deux photos sélectionnées ont été prises en couleur puis transformées en noir
et blanc sur Photoshop, après une rectification par le réglage « tons foncés/tons clairs ».
Aucune autre opération n’a eu lieu, ni aucun recadrage. Les tirages ont été effectués avec
une imprimante jet d’encre HP PSC 1510 Tout-en-un sur du papier photo Ilford Galerie
brillant. Pour des raisons que je ne connais pas, tous les tons clairs des photos
apparaissent en blanc sur les tirages. L’imprimante a effectué une simplification des
photos pour n’imprimer que les parties sombres.24
24
Cet effet sérendipe, qui n’était pas une décision de départ mais le résultat de l’action, outre le fait qu’il
introduit une référence aux jeux d’enfants du 18ème siècle (Au 18ème siècle, les membres de familles aisées
36
Ce travail rassemble deux approches. La première est une réflexion sur la question
de l’auteur. Il était demandé de réaliser une production plastique qui prenne en compte la
notion d’auteur comme point de départ. J’ai pensé aux autoportraits photographiques et
peints que j’ai réalisé récemment et particulièrement à l’installation Paradigme Culturel,
Rock que j’ai mis en place en 2008. Cette installation était une mise en scène de ma
réaction (expressions du visage) face à des photos de musiciens rock dans des costumes
et attitudes caricaturales et kitch.
Fig. 31. Paradigme culturel, rock, 2008, Photos noir et blanc trouvées et autoportraits couleurs, 25 x
157,5 cm.
En octobre 2009, j’ai pensé qu’il serait intéressant de réaliser une installation avec
l’intention de mettre en scène ma réaction non pas face aux autres mais cette fois-ci face
à moi-même. J’ai décidé de réaliser deux autoportraits photographiques de profil (profil
droit et profil gauche) et de les juxtaposer de manière à ce que les deux profils se
regardent. J’ai ensuite envisagé différentes expressions que pourrait prendre ces profils et
le sens qui en résulterait. Au cours du mois de novembre 2009, j’ai réfléchi à ce que je
pouvais faire de ce type d’approche. Les éléments accumulés et accrochés sur le mur
doivent être des œuvres à part entière, au sens « objet d’art », ce qui exclut par exemple le
« Ready-made » au profit d’une conception se rapprochant des galeries d’exposition du
19ème siècle. Les éléments ont donc l’aspect de toiles sur châssis, de cadres, de dessins…
Cependant j’ai voulu détourner certains cadres ou toiles pour y ajouter un facteur sonore
ou lumineux. J’ai ensuite considéré dans quelle mesure ces éléments pourraient se
déplacer sur le mur, et j’ai pensé les faire circuler sur des rails. Avec L’Auteur de la
hauteur de l’Auteur, j’avais l’intention de rassembler dans une même installation les deux
et en particulier les enfants dessinaient les contours de l’ombre de leur silhouette sur du papier noir qu’ils
découpaient ensuite aux ciseaux.), permet de concentrer l’attention du spectateur sur l’expression du visage
ainsi que sur les relations entre les éléments du visage et ceux liés à l’installation proprement dite (le
système d’accrochage).
37
approches énoncées précédemment (double autoportrait et éléments déplaçables sur des
rails). Le travail proposé permet ainsi d’expérimenter ce qui se passe lorsque deux
expressions fixes sont confrontées dans l’espace. L’auteur c'est-à-dire moi-même est en
mesure de régler la hauteur (grâce aux rails) de l’auteur (il s’agit d’autoportraits).
J’ai choisi les expressions de mon visage en pensant à la situation décrite par
Victor Hugo en exil.25 Ayant perdu sa situation de député à Paris, Hugo retrouve
paradoxalement une certaine liberté. Il décrit une situation sociale établie qui conduit à
une certaine retenue et éventuellement frustration, car il n’est pas possible de faire
lorsqu’on est député ce que l’on peut faire lorsqu’on est vagabond. J’ai essayé de figurer
cette idée par la photo de gauche de l’installation dont il est ici question. Cette photo me
montre de face (position établie), un œil plus ouvert que l’autre (endormissement), les
lèvres serrées sans sourire (dédain, mépris, tristesse). La photo de droite me représente de
face la tête penchée vers l’arrière, regardant vers le haut, la bouche ouverte. Cette attitude
est celle d’un être étonné voir fasciné, peut-être pris dans une situation difficile,
dangereuse ou même tragique mais qui ouvre par la même occasion de nouveaux
horizons. C’est le sens du mot « crise » en Chinois qui veut dire « chance dangereuse ».
C’est la situation sublime du jeune Rimbaud sur les routes. L’Auteur de la hauteur de
l’Auteur
est
un
lieu
d’expérimentation
de
la
confrontation
de
ces
deux
expressions/situations sociales. Que se passe-t-il si je place la photo de gauche au dessus
de celle de droite ? Au même niveau ? Au dessous ? La position relative des photos
renforce certains traits expressifs et suggère ainsi des récits différents. Placée en position
haute, la photo de gauche suggère davantage la notion de noblesse et de supériorité. En
position basse, la tristesse ressort davantage. La photo de droite évoque la précarité
lorsqu’elle est en bas et la peur face à l’inconnu lorsqu’elle est en haut. La mise au même
niveau des deux photos crée un sentiment d’égalité temporelle, comme si l’auteur se
demandait quelle attitude adopter face à une situation.
Lorsque j’ai présenté l’installation L’Auteur de la hauteur de l’Auteur, on m’a
tout de suite demandé si la hauteur des photos était réglable. Dans ce dispositif, c’est
l’auteur (moi-même) qui déplace les photos. Le système de réglage n’invite pas le
visiteur à toucher l’installation (Qui irait dévisser des papillons ?). Si l’idée avait été de
faire intervenir le visiteur, un autre dispositif aurait été utilisé rendant plus simple le
déplacement des photos (par exemple un système de poulies et de contrepoids).
25
Victor Hugo, Ce que c’est que l’exil, 1875, Equateurs, Parallèles, 2008.
38
Concernant la longueur des rails, pourquoi font-ils 75 cm de long ? Pourquoi pas des rails
qui iraient du sol jusqu’au plafond ? Je pense que de tels rails auraient plutôt tendance à
diluer le propos de ce travail et à rendre la manipulation des photos difficile. Une autre
suggestion apparut ensuite : Pourquoi deux rails ? Pourquoi pas dix ? Cette suggestion
m’intéresse beaucoup et j’ai le projet de la mettre en pratique. L’ajout de trois rails
supplémentaires me permettrait de réintégrer mon idée de départ mettant en rapport des
autoportraits de profil. Une référence à Duchamp apparaîtrait alors, car Duchamp a utilisé
le profil, pas seulement pour son Nu descendant l’escalier mais aussi pour un collage sur
affiche intitulé Wanted, $2,000 Reward, où il se met en scène de face et de profil sur une
affiche de police.26 Lors de la présentation, le côté humoristique de L’Auteur de la
hauteur de l’Auteur a été perçu comme s’il s’agissait de l’équivalent en image d’une
blague ou d’un mot d’esprit. Ce caractère dérisoire et humoristique faisait partie de
l’intention de départ pour ce travail (l’auteur regardant l’auteur) et se trouvait renforcé
par la décision d’accrocher les autoportraits sur des rails ce qui visuellement suggère une
pendaison. L’accrochage sur des rails et la position frontale des visages crée le sentiment
d’un auteur qui se « regarde sans pouvoir se regarder ». En ce sens, L’Auteur de la
hauteur de l’Auteur s’inscrit dans l’humour Duchampien mais aussi dans celui plus
contemporain de Jacques Lizène.27
26
Marcel Duchamp, Wanted, $2,000 Reward, 1923, ready-made rectifié : collage sur affiche, 49,5 x 35,5
cm, Milan, collection Arturo Schwarz.
27
En 1971, dans un film intitulé Tentative d’échapper à la surveillance de la caméra, Jacques Lizène se
met en scène dans une situation comique et dérisoire. Il est possible que Pierrick Sorin se soit inspiré de ce
film.
39
-L’Auteur de la largeur de l’auteur
Fig. 32. Trois vues de L’auteur de la largeur de l’auteur, 2009, photographies à
largeur réglable, dimensions variables.
40
L’Auteur de la Largeur de L’Auteur est constitué de deux photos noir et blanc
dans des cadres noirs en profilé aluminium de dimensions 24 x 18 cm accrochées à une
tringle à rideaux en métal de 120 cm de long avec des fils en nylon et des attaches en
plastique blanc. Les photos sont mobiles sur la tringle et déplaçables en actionnant les
cordelettes à droite de la tringle. Les photos ont été prises avec le même appareil photo et
le même système d’éclairage que pour L’Auteur de la hauteur de l’Auteur. Les
photographies ont également été prises à mon domicile devant un tissu noir. Un ami a prit
les photos et la séance de pose a duré environ une heure. Les deux photos sélectionnées
ont été prises en couleur puis transformées en noir et blanc sur Photoshop, éclaircies par
le réglage « courbes» et recadrées. Les tirages ont été effectués avec une imprimante
Epson Stylus Photo R1800 sur du papier photo Ilford Galerie brillant.
Mon intention pour ce travail était de mettre en place un dispositif permettant un
déplacement horizontal des photos. Après une réflexion sur la hauteur que l’auteur se
donne à lui-même, ce travail me donne l’occasion d’aborder celle de la « largeur de
l’auteur ». Je me montre ici de profil et tendant les lèvres comme pour donner un baiser.
Lorsque les deux photos sont rapprochées, il semble que je m’embrasse sur la bouche du
bout des lèvres. Cette fois-ci le déplacement se dirige à distance des photos, grâce aux
ficelles. Je pense par la suite créer des éléments motorisés et se déplaçant de manière
autonome c'est-à-dire réellement mobile (les éléments actuels sont seulement
déplaçables). La notion de largeur se distingue de celle de hauteur. L’Auteur de la
hauteur de l’Auteur montrait deux attitudes de l’auteur, d’une part une attitude blasée et
d’autre part une attitude émerveillée. Ces attitudes correspondent à des états
psychologiques que l’on pourrait décrire comme « haut » ou « bas ». Dans ce premier
travail, les visages ne se voient pas et donc finalement l’auteur est confronté au choix de
son attitude par rapport à lui-même. L’Auteur de la Largeur de L’Auteur confronte
l’auteur avec l’attitude sociale qu’il adopte, sa position sociale. Lorsque les photos sont
écartées, nous voyons deux profils. L’autoportrait de profil donne de l’importance à celui
qui se représente ainsi. Les « Césars » étaient représentés de profil sur les pièces de
monnaies de l’Empire. Souvent les peintres, lorsqu’ils ont voulu peindre leur autoportrait
testamentaire, se sont représentés de profil. Ce fut le cas par exemple du vieux Titien
comme du vieux Renoir. Le profil suggère la dignité et la puissance. Les deux profils de
L’Auteur de la Largeur de L’Auteur, lorsqu’ils sont éloignés, donnent l’image d’un
auteur important ou prétentieux, qui occupe une large place dans la société. Dans la
41
position opposée, celle où les deux autoportraits se touchent et semblent s’embrasser sur
la bouche, la place que l’auteur occupe est plus modeste. Le geste dérisoire d’un auteur
qui s’embrasse lui-même prête à sourire, n’est pas sérieux et peut être interprété comme
un geste anecdotique. Ici, tourné face à lui-même, l’auteur occupe donc une place sociale
ridiculement petite, peut-être aussi étroite que l’interstice de ses lèvres. Avec ce travail, je
suis l’auteur de la largeur de l’auteur dans la mesure où comme pour le travail précédent
c’est moi-même qui manipule l’œuvre. Même si le dispositif de déplacement est ici plus
pratique, il n’est pas encore adapté pour proposer aux visiteurs de l’actionner. Ceci
constitue une des limites de ce travail et je devrais réfléchir aux possibilités soit
d’autonomiser le mouvement des photos, soit de rendre possible leurs déplacements par
les visiteurs. Une autre remarque concerne le cadre des photos qui empêche de voir les
lèvres se toucher. Je pense que cela nuit fortement à ce travail et je vais par conséquent
remplacer les cadres par un contre collage.
4.b. Mobilité : Au-delà du mouvement
Je projette de créer des éléments capables de tourner sur eux-mêmes et de se
déplacer sur des rails d’un endroit à un autre. Il serait aussi possible de mettre en
mouvement les tableaux d’un musée et de les faire réagir à la présence des visiteurs. Ce
type d’installations implique de l’électronique, de l’informatique et de la mécanique.
Lorsque mes installations actuelles seront suffisamment affirmées, j’essaierai de
construire des éléments motorisés, et en premier lieu de faire tourner une toile avec un
moteur. Après ces premières expériences réalisées, je monterai un projet incluant la
participation d’une ou de plusieurs personnes compétentes.
42
4.c. Lumières et sons : quelles synergies ?
Je crée des tableaux qui renferment des petites lampes à diodes, des mini-radios et
des lecteurs MP3. Dans le cas d’un tableau monochrome qui diffuse du son, la similitude
avec une enceinte acoustique est frappante. En effet la plupart des haut-parleurs sont
protégés par un tissu synthétique tendu sur une sorte de châssis en métal ou en plastique.
Je souhaite produire des installations vivantes, qui utilisent non seulement une grande
variété de visuels, mais aussi une variété de sons, de musiques, d’enregistrements, et
toutes sortes de lumières colorées. Cependant les diffuseurs de son et de lumières doivent
être cachés.
43
II. RASSEMBLEMENT : LA MISE EN RELATION DES ŒUVRES
« Pour la première fois, semble-t-il, dans l’histoire, l’art au travers duquel une
époque s’identifie ne se caractérise pas par un style ou une combinaison de styles définis,
mais par un éclectisme total qui fait du monde des formes un domaine plus morcelé que la
maison de Picassiette. »28
28
Catherine Millet, L’art contemporain, Histoire et géographie, Flammarion, Champs arts, 2006, p. 12.
44
« C’est le programme classique de la perspective, présenté dans son cadre BeauxArts, qui autorise l’accrochage des tableaux en alignement de sardines. Rien ne suggère
que l’espace contenu par le tableau puisse se prolonger de part et d’autre de celui-ci. »29
« Dès que vous comprenez qu’un fragment de paysage est produit par la décision
d’exclure tout ce qui l’environne, vous commencez à prendre conscience de l’espace situé
hors du tableau. Le cadre devient une parenthèse. La séparation des peintures le long du
mur, comme une sorte de répulsion magnétique, devient inéluctable. Le phénomène fut
accentué et à vrai dire largement suscité par la science nouvelle, l’art qui se dédia à extraire
le sujet de son contexte : la photographie. »30
Ces deux citations de l’article de Brian O’Doherty sur l’espace d’exposition
établissent nettement le contexte de la mise en relation des productions plastiques. Alors
que jusqu’au 19ème siècle les tableaux sont vus indépendamment les unes des autres, par la
suite la question de l’interaction s’est posée et se pose aujourd’hui. Dans ce contexte,
placer ensemble des tableaux sur un même mur peut créer des tensions stylistiques et
sémantiques. Les dadaïstes et les surréalistes ont énormément joué à mettre en relation des
tableaux et à créer ainsi toutes sortes de poésies visuelles. En témoigne par exemple la
reconstitution d’un mur de l’atelier d’André Breton au Centre Pompidou.31 Aujourd’hui,
les conservateurs apportent un soin de plus en plus sophistiqué pour accrocher les œuvres
et les faire « dialoguer » entre elles. Les expositions au Grand Palais, où tous les
paramètres de l’exposition semblent maîtrisés, depuis la distance entre les œuvres, leur
éclairage, jusqu’à la couleur des murs sur lesquels elles sont exposés, sont un exemple.
Une des conséquences des Installations proliférantes est ainsi de permettre l’étude
concrète des interactions entre les « œuvres ». La question est alors de considérer comment
la mise en présence de plusieurs œuvres dans un même lieu modifie l’appréciation de leurs
qualités plastiques et leurs interprétations. Lorsque nous regardons plusieurs objets en
même temps, nous cherchons les points communs et les différences. Il y plusieurs
manières d’analyser ce que l’on voit. Il est par exemple possible de compter les objets, de
les nommer, de les décrire. Si les objets sont figuratifs, la mise en relation des choses
29
Brian O’Doherty, 1976, Inside the White Cube: The Ideology of the Gallery Space, Letzigraben,
Jrp/Ringier, Lectures Maison Rouge, 2008, p. 40.
30
Ibid., p. 41.
31
L’atelier d’André Breton au Centre George Pompidou est la reconstitution d’un mur de l’atelier d’André
Breton où il travailla à partir de 1922. On y trouve entre autre LHOOQ, œuvre de 1919 de Francis Picabia
qui se moque de la Joconde au milieu de tableaux de ses contemporains, de sculptures africaines, de
cristaux, coquillages et autres curiosités. Ce mur est une véritable installation où André Breton met en
relation les formes, textures et couleurs des éléments hétéroclites exposés.
45
représentées peut générer du sens. Nicolas Bourriaud, dans son Esthétique relationnelle,
dira : « L’activité artistique, elle, s’efforce d’effectuer de modestes branchements, d’ouvrir
quelques passages obstrués, de mettre en contact des niveaux de réalité tenus éloignés les
uns des autres. »32Le regardeur prend toute sa place lorsqu’il s’agit de faire jouer des
œuvres entre elles. Selon Marcel Duchamp, « la signification d’une œuvre réside non pas
dans son origine, mais dans sa destination. Le spectateur doit naître aux dépens du peintre.
» Décrire la position relative des œuvres dans un même lieu est sensiblement différent de
simplement les appréhender ensemble. Un objet placé en hauteur ne ressemble pas
forcément au même objet placé au ras du sol.
Les tableaux rentrent en relation entre eux mais aussi avec le mur et l’espace
d’exposition. C’est cette relation entre les tableaux et le mur que Claude Rutault met en
évidence de manière radicale en 1974. Ainsi lorsqu’il propose de « peindre le tableau de
la même couleur que le mur sur lequel il est accroché »33, il met à égalité le mur et le
tableau. Cet aspect du travail de Rutault est fondamental pour mes installations murales.
En effet, je considère alors le mur dans sa totalité et à égalité avec les œuvres. Les parties
du mur qui restent visibles font partie de l’installation. Claude Rutault ne vend pas des
tableaux, il vend des tableaux « installés » selon une « définition/méthode ». Mes
Installations proliférantes sont des peintures et des sculptures « installées », mais les
règles de leur installation ne sont pas aussi définies que celles de Rutault. Je me donne
des consignes et une direction d’ensemble et dans une certaine mesure chaque
Installation proliférante respecte une règle du jeu qui lui est propre. Dans le cas par
exemple de l’Installation proliférante n°7, la consigne était : « Accrocher les œuvres en
biais par rapport au mur ».
La peinture classique était attachée à la description du monde visible, à l’étude de
la couleur, de la géométrie, de la perspective et des différents effets visuels (miroirs
déformants, anamorphose). La peinture moderne fut un lieu d’expérimentation des
différentes manières de peindre. Il était question d’avants gardes, de styles et
d’investigation du médium pictural. La peinture moderne débouche sur une prise de
conscience des caractéristiques fondamentales de la peinture : Surface, recouvrement,
rapports au mur, rapports à l’espace. La peinture postmoderne admet la coexistence des
32
Nicolas Bourriaud, 1998, Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du Réel, Documents sur l’art,
2001, p. 8.
33
Définition méthode n°1, juin 1974, « Une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur
sur lequel elle est accrochée. »
46
pratiques. Si l’on considère que les périodes classiques et modernes ont épuisés les
possibilités de représentation et celles touchant à la nature de la peinture, réunir ces deux
approches, projet des Installations proliférantes, n’est-ce pas ouvrir un nouveau champ
d’études ?
Trois conceptions historiques de la peinture :
Peinture classique
Peinture moderne
Peinture postmoderne
Analyse des différentes
manières de représenter le
réel
Analyse des différentes
Toutes les pratiques sont
manières de peindre qui
possibles si elles sont
débouche sur une analyse des assumées
caractéristiques
fondamentales de la peinture
Les tableaux sont perçus de
manière indépendante.
Les tableaux sont perçus les
uns par rapport aux autres et
dans leurs rapports avec le
mur et l’espace d’exposition.
Les tableaux sont perçus en
fonction de la scénographie
de l’exposition.
Parce qu’elles regroupent des œuvres exposées d’une certaine manière, les
Installations proliférantes s’inscrivent dans l’histoire de l’exposition. Il semble donc
pertinent de donner ici quelques points de repères sur la manière dont les oeuvres ont été
exposées dans le passé, ceci dans le but de mettre en perspective les Installations
proliférantes ainsi que pour leur ouvrir d’éventuels nouveaux horizons.
Si l’histoire de l’exposition dans les musées tel qu’on les connaît aujourd’hui est
relativement récente puisqu’elle apparaît seulement à la fin du 18ème siècle, les œuvres
d’arts étaient auparavant montrées dans des contextes variés. Dans l’antiquité et au
Moyen-âge, les œuvres d’art servaient de faire valoir aux cultes religieux et guerriers et à
ce titre se trouvaient principalement sur les lieux de cultes et de commémorations. Les
œuvres étaient exposées sur les places publiques, dans les riches demeures (villas
romaines, palais), dans les temples, les églises, les châteaux, et parfois cachées et sorties
47
lors des cérémonies. Certaines églises avaient amassé de véritables « trésors », des objets
sculptés et incrustés de pierres, des reliques, des peintures, des sculptures, des retables.
L’art était toujours « au service de » et par conséquent n’avait pas de lieu consacré. Les
œuvres d’art étaient admirées entourées de toutes sortes d’objets, d’architectures, de
revêtements muraux et parfois portées lors des processions. La fin de la renaissance voit
arriver en Italie puis dans le reste de l’Europe un phénomène précurseur de l’exposition,
celui des cabinets de curiosité. Cette pratique désuète et longtemps presque oubliée fait
l’objet d’un fort regain d’intérêt depuis une trentaine d’année, certainement parce qu’elle
correspond à l’esprit du temps, celui d’un goût certain pour l’éclectisme et les
associations de styles. Pour la première fois, les œuvres d’art sont rassemblées dans un
lieu spécialement dédié et mises en rapports les unes avec les autres. La grande période
des cabinets de curiosités se situe entre 1550 et 1650, cependant cette pratique à des
antécédents et des échos jusqu’à aujourd’hui. Jean 1er de Berry, mécène du début du
15ème siècle rassemblera une riche collection de manuscrits et d’enluminures (il est le
commanditaire des Très Riches Heures du Duc de Berry). Le château d’Oiron a
reconstitué son cabinet de curiosité et invite des artistes contemporains à y créer des
œuvres en rapport avec ce thème. Le Musée Chintreuil dans l’Ain propose une visite d’un
cabinet de curiosités divisé en naturalia, artificialia, et complété par des antiquités et
des exotica. Miquel Barcelo vit dans son atelier parisien entouré d’objets tels que des
têtes et des crânes d’animaux ou des poissons séchés. Mark Dion a créé en 2001 avec
l’artiste britannique Robert Williams une installation intitulée Theatrum mundi :
armarium qui ressemble à un véritable cabinet de curiosités.
Le cabinet de curiosités est une collection d’objets rares, plus ou moins orienté
vers tels ou tels types d’objets en fonction des préoccupations du collectionneur. Les
médecins et les apothicaires, comme par exemple Ferrante Imperato à Naples sont parmi
les premiers collectionneurs de spécimens zoologiques et botaniques qui leur servent
pour leurs préparations médicales. D’autres collectionneurs sont des aristocrates, des
bourgeois, des princes, des académiciens, des universitaires ou responsables
d’institutions. A ce titre, les objets rassemblés sont hétéroclites et l’on peut trouver dans
certaines demeures royales, de notables ou d’apothicaires, mélangés à des œuvres d’arts
parfois antiques (bustes romains, statues), des objets de sciences naturelles (animaux
empaillés, insectes séchés, herbiers, coquillages) des instruments scientifiques
(mappemondes, lunettes astronomiques, horloges, compas), des monnaies, des bijoux et
48
des livres. Le projet du cabinet de curiosité est le rêve utopique d’enfermer dans un même
lieu la totalité du savoir, des productions de la nature, de l’art et de la science et de les
ordonnancer, les compartimenter et les classer. Cette volonté de concentration du savoir
trouvera une forme cristallisée dans les « cabinets d’arts », des mondes en miniatures,
sortes de meubles regorgeant de curiosités et incrustés de pierres peintes et de
marqueteries. A Florence, François de Médicis agence dans un dialogue subtil les
tableaux et les bronzes avec un décor de marbre et de bois peint autour du thème des
quatre éléments. Panneaux, armoires, cabinets, tiroirs et étagères compartimentent,
ordonnent et classent les objets, créent un réseau de sens et de correspondances.
« L’histoire des cabinets de curiosités est celle d’une progressive fragmentation, puis
éclatement de l’espace dont chaque parcelle, de la table centrale aux portes des placards,
des appuis de fenêtres aux plafonds, finit, dans un souci d’unité interprétative et
esthétique, par être codifiée, analogie et symétrie renforçant l’illusion. »34 La réflexion
sur l’espace d’exposition, le cadre, les conditions d’encadrement et le socle trouve-t-elle
ici une origine ?
La recherche de continuité et de correspondances entre les arts au sens large et la
nature est un des objectifs des cabinets de curiosités. La nature dans ses formes les plus
originales rivalise avec l’art dans ses manifestations les plus audacieuses. Cette
intrication du naturel et de l’artifice sera la source de création d’objets hybrides,
notamment de gros coquillages sertis dans des gangues de métal sculpté. Des objets
étranges seront fabriqués spécialement pour les cabinets de curiosités comme par
exemple des polyèdres en ivoire imbriqués les uns dans les autres, formes probablement
inspirées des découvertes de Kepler. L’empereur Rodolphe II est un important
collectionneur qui fait travailler des artisans, des peintres (Le Caravage, Arcimboldo) et
des scientifiques (Tycho Brahe, Johannes Kepler).
A partir du milieu du 17ème siècle, les progrès de la science font que les objets sont
séparés et classés entre ceux issus de la nature, les naturalia que l’on trouvera dorénavant
dans les musées d’histoire naturelle, et les produits de l’intelligence humaine, les
artificialia visibles dans les musées des Beaux-arts, d’arts et métiers et les académies. Le
Leverian Museum, musée zoologique créé par Sir Ashton Lever à Londres en 1775 est un
des premiers véritables musées à entrée payante ouverts au grand public.
34
Patrick Mauriès, Cabinets de curiosités, Paris, Gallimard, 2002, p. 35.
49
Les surréalistes prendront le contre-pied de cette séparation des genres et
rassembleront des collections hétéroclites dans un but poétique et artistique. Paul Eluard
et André Breton collectionnent des objets d’arts africains et océaniens, des œuvres
surréalistes, des objets incongrus pour créer des rapports formels. L’atelier d’André
Breton reconstitué au Centre George Pompidou est un entassement de petits meubles
contre un mur sur lesquels sont posés les objets. Cet accrochage avec son accumulation
d’objets et les tableaux accrochés sur la partie supérieure de mur a particulièrement
inspiré l’Installation proliférante n°6. Passant du coq à l’âne, Breton met par exemple en
rapport le graphisme en courbe du tableau « L-H-O-O-Q » de Francis Picabia et celui
d’un bouclier tribal placé à côté.
En 1936 s’est tenue dans la galerie Charles Ratton à Paris une exposition
surréaliste qui, reprenant la thématique importante de l’imbrication art/nature, mettait en
relation des objets naturels, naturels interprétés, naturels incorporés, objets perturbés,
objets trouvés, objets trouvés interprétés, objets américains et océaniens, ready-made,
objets mathématiques et objets surréalistes. Le porte-bouteilles de Duchamp (l’égouttoir)
ainsi que sa « cage à sucres » (Why Not Sneeze ?) étaient exposés au milieu d’une vitrine
parmi des statuettes africaines et sud-américaines, des sculptures en tige de métal et fils et
divers objets étranges. Ce dispositif de la vitrine amorce un processus au terme duquel la
boîte, l’environnement et l’installation ont définitivement pris le pas sur le cadre du
tableau. La définition que donne André Breton du surréalisme en 1935 est proche du
projet des cabinets de curiosités, proche de celui des Installations proliférantes et peutêtre dans une certaine mesure commun au concept même d’exposition : « la rencontre
fortuite de deux réalités distantes sur un plan non convenant ».35
Lorsqu’on me propose un lieu d’exposition, je sélectionne dans mes divers ateliers
les productions plastiques qui me semblent les plus appropriées. Une fois sur place, la
première étape consiste à installer la palette, travail qui consiste à ranger les éléments
sélectionnés par catégories, par styles et par formats. Ensuite, j’agis comme un peintre, à
la différence près que les peintures et les pinceaux sont remplacés par les productions
plastiques et différents systèmes d’accrochage.
35
André Breton, 1935, Situation surréaliste de l’objet, dans les Œuvres complètes t.II, Paris, Gallimard, La
Pléiade, 1992, p. 492.
50
1. Juxtaposition, superposition : le regroupement des oeuvres
1.a. Installation proliférante n°1
Fig. 33. Installation proliférante n°1, 2009, peintures, photographies, dessins, lithographie, monotype,
herbier, sculptures en argile, supports en bois, sable, environ 400 x 850 cm.
L’Installation proliférante n°1 est une installation murale constituée d’un
assemblage d’images et de sculptures posées sur des supports en bois. Les 80 images et
les 5 sculptures sont réparties sur la totalité d’un mur d’environ 4 mètres de haut et 8,5
mètres de long. Le plus petit élément est un cadre doré de 15 x 15 cm et le plus grand
élément une huile sur toile de 101 x 101 cm. L’installation existe aussi en épaisseur et
l’on peut considérer que cette installation occupe un volume d’environ 400 x 850 x 30
cm. En raison du grand nombre d’éléments constituant cette installation murale, il serait
fastidieux de donner les détails sur chacun. Voici tout de même quelques précisions. Les
éléments en deux dimensions sont à ranger en deux catégories. La première est constituée
de 20 toiles qui lorsqu’elles sont regroupées d’une certaine manière forment une peinture
intitulée Peinture liquide n°1. La deuxième catégorie est un rassemblement de travaux en
deux dimensions, le plus ancien datant de 1991. Une grande diversité de techniques et
51
d’approches participe à la création de ces éléments. Toutefois, chacun a été choisi pour sa
capacité à évoquer le concept de prolifération. Trois sculptures ont été conçues
spécialement pour cette installation, les deux autres proviennent d’un corpus accumulé
lorsque j’étais étudiant à l’Ecole Supérieur d’Arts et Médias de Caen en 2002. Les socles
en bois recouverts de sable sont à considérer comme des éléments structurant le mur.
L’intérêt de cette installation murale se trouve dans son identité plastique
originale, à mi-chemin entre les murs de peintures du 18ème siècle et la création
contemporaine. A la fois cabinet de curiosités -avec par exemple la présence d’un
herbier- et travail conceptuel, cette installation murale est à examiner dans les rapports
créés entre des éléments de natures très différentes. Ici la mise en situation d’une œuvre
dans une autre est une occasion de révéler chaque élément en ses composants.
Le critère de sélection pour qu’un travail puisse faire partie de l’installation
résidait dans la capacité de cet élément à évoquer le concept de prolifération. Qu’entendje par « concept de prolifération » ? Un concept incluant une idée de reproduction et
d’accroissement. En physiologie, prolifération est un terme désignant la multiplication
des cellules par leur division. Plusieurs mots sont synonymes ou incorporent un sens
proche. C’est le cas de termes tels que « envahissement », « foisonnement »,
« fourmillement », « grouillement ». D’autres mots, s’ils ne sont pas synonymes, sont
porteurs de significations en lien avec le terme étudié. Relevons entre autre
« accumulation »,
« réplication »,
« addition »,
« reproduction »,
multiplication »,
« division »,
« extension »,
« germination »,
« saturation »,
« expansion »,
« destruction », « regroupement », « entassement », « anéantissement », « étouffement »,
« assemblage », « clonage », « croissance », « opulence », « truculence », « foule »,
« groupe », et les verbes « abonder » et « pulluler ».
J’ai choisi des éléments contenant une idée de prolifération, en cherchant les
différents critères pour définir une photo, un dessin, une peinture, une estampe comme
étant « proliférant ». Le premier critère qui vient à l’esprit est une répétition d’un motif
visuel qui envahit tout l’espace de l’image. Les aquarelles de Barry Mc Gee en sont un
exemple, avec leurs imbrications de losanges et autres parallélogrammes colorés. Sa
pièce intitulée Untitled 27 est une accumulation de cadres de taille moyenne et tous
différents. A l’intérieur des cadres, Barry Mc Gee a placé ses dessins et aquarelles. Il y a
deux sortes d’images : Une trame ou dallage coloré et des sortes de caricatures de têtes
52
humaines. Les installations murales d’Allan Mc Collum sont des assemblages d’éléments
en deux dimensions qui sont tous uniques mais issus du même processus de production.
Au début des années 80, il fabrique des Surrogates Paintings, (peintures subrogées) qui
sont des milliers de variations sur le thème d’un monochrome noir, d’une Marie Louise et
d’un encadrement. Les Plaster Surrogates sont des répliques en plâtre des Surrogates
Paintings.
Fig. 34. Allan McCollum, Plaster Surrogates,
1982/84, émail sur hydrostone, 40 panneaux de
12,8 x 10,2 à 51,3 x 41,1 cm. En tout 162,5 x
279,4 cm.
Fig. 35. Barry Mc Gee, Untitled 27, 2006,
dessins et aquarelles sur papier, 193 x 170,2
cm.
53
Pour l’Installation proliférante n°1, j’ai utilisé les 20 toiles de Peinture liquide
n°1 qui sont toutes issues du même processus de fabrication, et sont des variantes du
même motif visuel (les lignes verticales). J’ai également retenu une photo qui montre des
modules identiques, semblables à une photo d’atomes vus au microscope électronique.
Fig. 36. Cloches, 2009, photo numérique d’une photo
argentique, multiple en plâtre moulé réalisé à partir d’un
modèle en argile tournée, 10 x 15 cm.
Un second critère d’éléments proliférants correspond à des travaux « all over »,
semblables à ceux décrits ci-dessus mais sans la régularité des motifs. C’est le cas d’une
encre de chine sur carton de dimensions 82 x 58 cm, ou encore d’un monotype réalisé
avec des aiguilles de sapins de dimensions 31 x 25 cm. L’herbier pourrait presque faire
partie de cette catégorie, mais il présente une variété de plantes et fait plutôt référence à
la prolifération de la végétation. Le dessin de Jean-Jacques Rullier, Peux-tu aider le
termite ? 2005, est un exemple de ce type de travaux.
54
Fig. 37. Jean-Jacques Rullier,
Peux-tu aider le termite ? 2005,
crayon sur papier.
Fig. 38. Fourmilière, 2008, monotype, 31 x 25 cm.
Un troisième critère regroupe les travaux où l’on reconnaît une forme en étoile à
partir d’un point central. C’est le cas des photos de Noocactus mais également d’une
acrylique sur verre de dimension 70 x 50 cm réalisée spécialement pour cette installation.
55
C’est aussi le cas des encres qui se diffusent dans le papier humide. La photo ci-dessous
d’un Cactus de Michel François est aussi un exemple de ce genre de travaux.
Fig. 39. Etoile, acrylique, verre et isorel, 2009, 70 x 50 cm.
Fig. 40. Michel François, Cactus, tirage
photographique 24 x 18 cm, 30 exemplaires
numérotés et signés par l’artiste avec le livre En
même temps, 1998.
Fig. 41. Hossein Zenderoudi, Vav+hwe, acrylique sur toile, 200 x 200 cm.
56
Un quatrième critère d’éléments proliférants fait appel au geste lâché qui évoque
la prolifération parce qu’il indique un mouvement rapide dans une direction. Une
acrylique sur toile de dimensions 81 x 54 est un exemple de ce type d’images. Les
Informes sont un exemple du cinquième critère proliférant. En effet, ces peintures sur
papier fourmillent de mélanges et de couches de matières colorées, et sont comme des
éponges, des algues.
Au-delà de l’image elle-même, j’ai voulu jouer sur les rapports entre l’image et
son cadre. Par exemple, j’ai mis une photo violette dans un cadre en imitation croco
marron, et le contraste donne un effet « kitsch » intéressant. J’ai posé ce cadre derrière
une petite sculpture. Cette sculpture rappelle dans sa forme un chandelier ou un porte
encens, si bien que l’ensemble du support avec du sable sur lequel était posé le cadre et la
sculpture fait penser à l’hôtel d’un culte religieux.
Fig. 42. Détail de Installation proliférante n°1,
cadre en faux croco, photo violette, petite
sculpture, sable, support en bois.
57
Certaines images de cette installation ont un caractère autobiographique. Le Chien
léopard est une lithographie réalisée à partir d’un croquis dans un carnet. Cette image est
une sorte d’autoportrait, la représentation d’un trait de ma personnalité. Les pattes et le
ventre de l’animal sont disproportionnés, illustrant une prépondérance de l’action et de
l’instinct par rapport à la réflexion.
Fig. 43. Le Chien léopard, 2000, lithographie, 37 x 28 cm.
Au milieu du mur, j’ai accroché le portrait de ma grand-mère. J’ai dessiné ma
grand-mère pendant sa sieste, et il était clair dans mon esprit que je réalisais une sorte de
portrait mortuaire, tant à ce moment ma grand-mère était vieille et proche de la mort. Ce
dessin constitue le centre de l’installation. J’ai vécu six mois chez ma grand-mère, et j’ai
été frappé par sa manière de passer du coq à l’âne, de parler de tout en même temps. Dans
ce sens je pense que l’on peut dire que ma grand-mère avait un esprit proliférant.
58
Fig. 44. Ma Grand-Mère, 2006, crayon sur papier, 24 x
31 cm.
Fig. 45. Ma Grand-Mère en situation dans l’Installation proliférante n°1.
Cinq sculptures étaient incluses dans l’installation, parmi lesquelles trois ont été
réalisées spécialement. Je me suis inspiré des Hallucinatory heads de Damien Hirst pour
peindre des Noocactus de manière « proliférante ».
59
Fig. 46. Noocactus proliférant n°1, 2009,
argile, peintures acryliques liquides, vernis,
34 x 12 x 11 cm.
Fig. 48. Noocactus proliférant n°3, 2009,
argile, peintures acryliques liquides, vernis,
29 x 22 x 19 cm.
Fig. 47. Noocactus proliférant n°3, 2009,
argile, peintures acryliques liquides, vernis,
23 x 32 x 30 cm.
Fig. 49. Damien Hirst, Hallucinatory head, 2008,
peintures sur crâne en plastique,
210 x 140 x 140 cm.
60
1.b. Installation proliférante n°4
Cette installation se situe dans la continuité de l’Installation proliférante n°1,
mais est nouvelle par les aspects suivants : D’abord le choix de ne sélectionner que des
éléments de petites tailles et pas de sculpture. Puis celui d’utiliser des peintures et des
dessins que j’ai réalisés enfant, les plus anciens datant de 1990. Ensuite, j’ai voulu
profiter de l’occasion pour inclure des éléments lumineux et sonores. Enfin, dans
l’intention de donner une structure visuelle à l’ensemble, j’ai décidé de créer plusieurs
sortes de monochromes noirs. Les deux éléments les plus grands sont les papiers peints
en jaune de 29,7 x 21 cm. Les quatre éléments les plus petits font 2 x 2 cm et sont en bois
peint en noir. Il y a trois sortes de monochromes noirs, certains sont des toiles sur châssis,
d’autres des plaques de verre et ceux qui sont plus petits et carrés sont en bois peint en
noir.
Fig. 50. Installation proliférante n°4, 2009, dessins, peintures, mini-radio, lecteurs MP3, lampes à
diodes, dimensions variables.
Trois lampes à diodes sont cachées dans les éléments. L’une forme l’œil d’une
sorte d’autoportrait, une autre est dissimulée dans une petite peinture sur châssis qui se
trouve éclairée de l’intérieur. En regardant de près les monochromes noirs, on découvre
61
que l’un d’eux abrite la troisième lampe. Les éléments sonores sont également trois : Un
petit monochrome blanc de dimensions 9 x 8 cm diffuse la station de radio France Inter.
Deux autres monochromes de même dimensions, l’un blanc et l’autre noir laissent
échapper des airs d’opéras pour l’un et l’enregistrement de mon trajet en métro pour
l’autre. Les airs d’opéra et les lieder sont ceux que je chante. J’ai voulu montrer la
similitude visuelle entre une enceinte de haut parleur et une toile sur châssis.
Cette installation est fortement autobiographique. Les peintures de mon enfance
correspondent à des moments de découverte, par exemple au jour où pour la première
fois j’ai utilisé le pinceau comme un tampon à poils ébouriffés pour déposer de la
gouache presque sèche sur le papier. L’arbre au bord de la rivière (détail n°1) est réalisé
avec cette technique toute simple qui dans mon esprit enfantin était une vraie découverte.
La photo du fœtus (détail n°2) correspond au début de la chronologie et les miroirs à la
fin c'est-à-dire à l’instant présent.
Fig. 51. Détail n°1 de l’Installation proliférante n°4. On y voit l’arbre au bord de la rivière mais aussi
les palmiers avec le soleil couchant et au milieu une nature morte de fruits plus récente. Le
personnage de droite est mon professeur de théâtre encadré dans un cadre début 19ème. En dessous la
petite peinture est éclairée de l’intérieur. En haut à gauche se trouve le monochrome blanc qui
diffuse les airs d’opéra et en haut à droite celui qui diffuse l’enregistrement du trajet en métro. Au
dessus du soleil couchant se trouve un autoportrait photographique partiellement effacé.
62
Fig. 52. Détail n°2 de l’Installation proliférante n°4. On y voit la photo du fœtus dont la forme
arrondie est reprise par les deux éléments du dessous (la photo d’un Noocactus à gauche et un
découpage à droite). L’arbre en haut à gauche est réalisé avec la même technique que l’arbre au
bord de la rivière du détail n°1. A droite de l’arbre se trouve la photo d’une jeune fille et en dessous
un miroir. A droite du papier jaune est accroché un dessin au feutre qui est décalqué avec de l’alcool
à 90°.
L’accrochage About Nothing de John Armleder regroupe certains de ses dessins
qu’il a conservés et encadrés dans toutes sortes de cadres et de sous verres.
Fig. 53. John Armleder, 2006, About Nothing, travail sur papier, 1962-2006.
63
Mladen Stilinovic met en évidence les clichés visuels du communisme. Il affirme
que le sujet de son travail est le langage de la politique, ou plutôt son influence sur le
langage de la vie quotidienne.36 Entre 1984 et 2000, il rassemble environ quatre cents
peintures, photographies, objets, textes et collages et en extrait trente-six pièces pour une
installation murale qu’il appelle The exploitation of the Dead. Des copies ou
interprétations de peintures suprématistes, constructivistes ou du réalisme socialiste y
côtoient des photographies de rituels collectifs, notamment des manifestations politiques
ou sportives. Stilinovic expose un vocabulaire formel ayant perdu sa signification avec la
fin du régime, il dénonce la récupération de certains signes (étoiles, croix, couleurs
rouges, blanc, noir) par des idéologies politiques, religieuses ou artistiques. Placés entre
une photo de Kasimir Malevitch sur son lit de mort et des plaques mortuaires vierges, des
copies de tableaux suprématistes, abstraits et réalistes socialistes, des collages, des photos
de réunions politiques, de cimetières et autre mémoriaux hésitent entre les sens qu'ils
avaient auparavant et leur vacuité totale en tant que signes. Avec son installation pour la
documenta de Kassel n°12, Stilinovic accroche ses éléments sur une sorte de maison en
préfabriqué dans laquelle il est possible de rentrer. Il met réellement ses œuvres en
situation dans et sur une autre œuvre, la cabane en préfabriqué qui leur sert de support.
Les œuvres sont accrochées sur l’œuvre et y trouve leur contexte. En effet cette fragile
maison rappelle que le communisme a surtout laissé des logements vides (comme c’est le
cas en Allemagne de l’Est). Les œuvres accrochées sont comme des trophées d’une
époque révolue, ayant perdu leur sens.
Fig. 54. Installation de Mladen Stilinovic à la documenta de kassel n°12.
36
Mladen Stilinovic, catalogue de la 12ème documenta de Cassel, Op. cit., p. 122. « The subject of my work
is the language of politics, or rather its reflection in the language of everyday life. »
64
1.c. Installation proliférante n°5
L’Installation proliférante n°5 regroupe des photos, tableaux et dessins de ma
collection personnelle. C’est un écho à l’accrochage de Jean-Jacques Lebel à la Maison
Rouge. L’accrochage de Jean-Jacques Lebel est comparable à une installation qui occupe
tout l’espace du musée. Lebel considère que les œuvres perdent leurs significations si
elles sont accrochées de manière neutre (si tant est que cela soit possible !). Il crée donc
des agencements entre des œuvres très diverses de la collection commencée par son père
et qu’il continue aujourd’hui. Ma collection personnelle est dérisoire en comparaison
avec celle de Lebel (qui possède entre autre un magnifique Arcimboldo mais aussi un
Saura, un Michaux, un Picasso et bien d’autres!). Avec Installation proliférante n°5, j’ai
voulu jouer avec ce côté dérisoire. J’en ai aussi profité pour me faire prendre en photo en
situation de montrer les œuvres de ma collection. Reprenant le thème de la croix présent
dans l’installation de Lebel j’ai disposé les œuvres de manière symétrique, de part et
d’autre d’un saint en prière qui occupe la position centrale. Beaucoup d’œuvres de ma
collection sont des photos. J’ai coincé les photos dans des trombones que j’ai accrochés
sur des petits clous. Au cours d’une interview avec Peter Halley, Wolfgang Tillmans dit
qu’il repère les différentes formes de matérialités possibles des photographies pour les
mettre en relation les unes avec les autres. Il encadre certaines photographies, en
accroche certaines directement sur le mur (les impressions jet d’encre par exemple) et
pour d’autres il joue avec le critère d’édition limité inhérent aux photographies d’artistes
en donnant à une page de magazine ou à une carte postale une présence équivalente sur le
mur. Il affirme ne jamais épingler des photographies afin de ne pas percer leurs coins :
« […] when you pin it, you pierce the corner »37. Il utilise donc un adhésif qui n’abîme
pas l’émulsion photographique. Par contre il utilise des épingles en acier pour les pages
de magazines, car il est impossible d’enlever de l’adhésif sans déchirer le papier.
37
Collectif, Wolfgang Tillmans, Phaidon, 2010, page 29.
65
Fig. 55. Installation proliférante n°5, vue d’ensemble.
Avec sa série Thrift Store Paintings, Jim Shaw fait croire qu’il expose des
tableaux achetés dans des brocantes. En réalité, il a peint lui-même les tableaux, en
s’inspirant toutefois du style de la peinture populaire américaine des « peintres du
dimanche ». Il regroupe ses tableaux par thèmes, comme par exemple celui des animaux.
Bertrand Lavier collectionne les œuvres des personnes dont le nom de famille est
« Martin ». Lors de l’exposition « Voilà » au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
en 2000, il a présenté une installation intitulée L'art des Martin (1900-2000), qui
regroupait des oeuvres dont le point commun était d'avoir pour auteur des artistes
nommés Martin.
Fig. 56. Jim Shaw, 2002, Paintings Found
in an O-ist Thrift Store – Animals, 11
peintures, taille variable.
66
En 2007 à l’occasion d’une exposition intitulée La peinture fait des vagues,
Claude Rutault a investi l'ensemble des salles du Musée des Beaux-Arts de Brest. Il met
en dialogue une sélection d’œuvres anciennes du musée et ses propres tableaux. Son
accrochage est comme toujours une réflexion sur la manière d’accrocher un tableau. En
face d’une peinture de Poussin qui montre un peintre de face, il place un tableau côté
châssis, toile contre le mur. Dans une des grandes salles du musée, il place les peintures
de part et d’autre d’une ligne d’horizon fictive.
Fig. 57. Claude Rutault, La peinture fait des vagues, Musée des beaux-arts de Brest, 2007.
L’appropriation d’un objet ou d’une œuvre comme point de départ de la création
d’une autre œuvre est plus qu’une simple citation, parce qu’elle constitue vraiment le
motif de l’œuvre créée tandis que la citation n’intervient qu’en temps qu’élément
supplémentaire. Les formes d’appropriations artistiques sont multiples. Il peut s’agir de
l’appropriation d’un thème comme par exemple le thème du déjeuner sur l’herbe qui a été
repris maintes et maintes fois depuis son apparition au 19ème siècle (repris entre autre
par Edouard Manet, Claude Monet, Pablo Picasso et Alain Jacquet). L’appropriation peut
être liée au détournement d’image ou d’objet. Les artistes du Pop art utiliseront sans frein
cette forme d’appropriation. Ainsi Roy Lichenstein ou Claes Oldenburg agrandissent
démesurément des objets du quotidien tels que bandes dessinées ou ustensiles de cuisine,
Andy Warhol détourne des images de journaux pour les sérigraphier sur des fonds peints
de couleurs acryliques vives. Il est possible de s’approprier une idée, une technique ou un
principe de création d’une œuvre. Dans le cas de la reproduction d’une oeuvre à
l’identique, l’appropriation peut devenir falsification. Une forme d’appropriation se situe
67
entre l’appropriation totale et la réinterprétation, c’est celle permise par la photographie
et mise en évidence par Sherrie Levine lorsqu’elle rephotographie des photographies de
Walker Evans.
La forme d’appropriation qui nous intéresse ici est peut être la plus extrême, celle
qui consiste à utiliser directement une œuvre ou un objet pour la mettre en situation dans
la sienne. C’est ce que fait Braco Dimitrijevic lorsqu’il installe le tableau La mort de
Marat dans une baignoire38. Bertrand Lavier adopte aussi ce type d’approche lorsque,
dans la continuation du travail de Marcel Duchamp sur les « Ready Made », il désigne un
objet comme œuvre d’art. Cette forme d’appropriation peut aller jusqu’à la destruction de
l’œuvre utilisée.
Une troisième forme d’appropriation consiste à modifier voire à détruire l’œuvre
que l’on s’approprie. C’est ce que fait Robert Rauschenberg lorsqu’il efface un dessin de
De Kooning en 1953, ou Bertrand Lavier lorsqu’il repeint une peinture de Morellet.
38
Installation créée pour l’exposition “Vis-à-vis” au musée des Beaux-arts de Reims, 1987.
68
1.d. Installation proliférante n°7
Fig. 58. Installation proliférante n°7, 2010, œuvres d’art sur mur, environ 5 x 7 x 9 m. (photo :
Ghislaine Périchet)
69
-Le projet et sa réalisation concrète
J’ai créé cette installation pour la Galerie Michel Journiac à Paris. Le mur que l’on
m’a proposé d’investir faisait environ cinq mètres de haut et sept mètres de long. Le
premier projet d’installation était de construire une structure en tasseaux de bois
perpendiculaires décollés du mur d’environ 10 cm. Ce réseau permettait d’accrocher les
œuvres sur deux niveaux, celui du mur et celui des tasseaux de bois. L’intérêt était que
les œuvres puissent se recouvrir partiellement et sans se toucher. La structure aurait
également servi de support aux sculptures. Ce projet d’installation relativement ambitieux
nécessite un minimum de huit jours de travail sur le lieu d’installation. Du fait que je
n’avais que trois jours à consacrer à l’installation pour la galerie Journiac mais aussi
parce qu’une autre idée d’installation naissait dans mon esprit, j’ai décidé de remettre ce
projet à une prochaine occasion. J’ai donc créé une installation en accrochant les œuvres
en diagonale, c'est-à-dire penchées vers l’avant, le bas touchant le mur et le haut étant
retenu par un fil de nylon transparent. J’ai inventé un système d’accrochage triangulaire,
avec deux points d’attaches sur les œuvres et un point d’attache sur le mur. Ce système
permet éventuellement de créer des supports muraux pour des sculptures, en ajoutant une
œuvre rigide (photo sous verre par exemple) posée à l’horizontale sur la première. L’idée
était d’accrocher les œuvres des plus grandes aux plus petites en dégradé du haut
jusqu’en bas du mur et d’y intercaler des sculptures. La première étape de la réalisation
consistait à choisir et à acheminer les œuvres depuis mon atelier jusqu’à la galerie. Les
plus grands formats ne devaient pas dépasser 80 x 80 cm. J’ai privilégié la sélection
d’œuvres en rapport avec l’idée de diagonale, de ciel, de falaise, de coulures, d’arbres.
Une fois les œuvres posées dans la galerie, je les ai équipées de leur système
d’accrochage en fil transparent et rangées par tailles. En raison d’un manque de temps,
mais aussi afin de ne pas trop gêner l’œuvre d’une autre exposante sur le mur d’à côté,
j’ai décidé d’abandonner le projet d’accrochage « all over » et d’accrocher les œuvres en
pyramide inversée, la base se trouvant au plafond et le sommet à environ un mètre
cinquante du sol. J’ai commencé l’accrochage en haut du mur avec les plus grandes
œuvres et en descendant au fur et à mesure. J’ai installé un support au niveau du sommet
sur lequel j’ai posé une sculpture.
70
-Le choix des œuvres sélectionnées
Cette installation est constituée de cinquante et une œuvres. J’ai créé toutes les
œuvres à l’exception de trois, deux autoportraits d’un certain M. Renouart et un vieux
dessin d’une jeune bergère. Trente et une œuvres sont des peintures, dont seize datent de
2010, trois de 2009, cinq de 2008, une de 2000 et deux de 1992. L’installation intègre dix
photos, dont quatre datent de 2010, deux de 2009, une de 2008, trois de 2007. Une
gravure et un monotype ont été créés en 2008, et deux éléments lumineux et sonores en
2009. Deux éléments sont des toiles rouges non peintes tendues sur châssis, l’une en
velours et l’autre en tissu synthétique. Un dessin au fil à coudre sur une toile tendue sur
châssis avait été créé pour l’Installation proliférante n°1.
-Quelques exemples d’œuvres constituant l’Installation proliférante n°7.
L’œuvre centrale de cette installation
est un Noocactus en argile résiné marron
d’environ trente centimètres de haut. Cette
sculpture est posée sur un support
constitué de deux autres œuvres, des
photos encadrées de dimensions 24 x 18
cm, une accrochée à l’horizontale et
l’autre
à
quarante
cinq
degrés.
La
photographie horizontale est un tirage jet
d’encre d’une photo prise avec un
téléphone portable du ciel bleu lors d’une
visite à la Documenta de Kassel en 2007.
Cette photo est encadrée dans un cadre
bleu ciel en bois peint. Le Noocactus est
donc posé sur une photo de ciel, ellemême posée sur un autoportrait en noir et
blanc. Cette seconde photo me montre
regardant vers le ciel, la tête penchée en
arrière.
71
Au dessus de la sculpture se trouve
une autre photographie du ciel de la
Documenta de Kassel, encadrée dans un
cadre doré ancien de dimensions 30 x 42
cm. Cette photo est une référence à Yves
Klein, à la fois monochrome bleu et
fragment de ciel prélevé et signé. Le doré
est une des trois couleurs auquel Yves
Klein accordait une valeur spirituelle.
Placée au dessus du petit autel formé par
la sculpture posée sur son support
photographique, cette photo placée à la
hauteur des yeux renforce, esthétise
l’installation et lui donne un caractère plus
solennel.
A côté du ciel bleu se trouve dans la
logique de Klein un ciel rose. La
dominante rose de cette photo est l’effet
d’un tirage sur une imprimante jet d’encre
défectueuse. Ce ciel nous ramène sur terre
par l’intermédiaire d’un geste consistant à
empiler des galets. Ce geste est repris par
une minuscule silhouette qui se détache
sur la mer. Ici le thème de la sculpture est
associé à celui du corps humain, car il
semble que le geste de la personne qui
dépose un galet sur un autre influence la
posture de la silhouette de droite. Cette
photo est encadrée dans un cadre en métal
doré de dimension 24 x 18. Ce cadre
fabriqué au Danemark il y a environ
cinquante ans a la particularité de contenir
72
un verre bombé, courbure qui rappelle
celle des galets du premier plan.
Parmi les autres œuvres constitutives
de l’installation, signalons une peinture de
chevalet réalisée sur motif et en plein air
en 2008. Il s’agit d’une branche de
pommier peinte à l’acrylique. L’année
suivante, j’ai posé cette peinture dans la
branche du même pommier et je l’ai
photographiée. La peinture figurative est
une manière de prélever des fragments de
réalité pour les extraire de leur contexte
spatio-temporel. Ce travail était une
manière de remettre la peinture dans son
contexte.
L’idée de la mimésis, du vrai et du
faux est présente à travers la juxtaposition
de deux autres œuvres, une photo et une
peinture. La photo de dimensions 30 x 40
cm montre un fragment de ce que je
considère être des Peintures liquides
naturelles. Il s’agit de coulures de terre
argileuse et ferreuse sur la paroi des
grandes falaises de la côte d’albâtre en
Normandie. En juxtaposant une peinture
qui présente des coulures du côté de la
photo,
je
rapprochement
souhaite
entre
établir
les
un
coulures
naturelles de la falaise et celles de mes
peintures.
Plusieurs
peintures
récentes
présentent dans l’installation furent créées
par un procédé singulier, sur des toiles à
73
motifs achetées sur le marché et montées
sur des châssis en bois. J’ai en effet joué
sur la répulsion entre l’eau et l’huile. J’ai
versé de la peinture à l’huile liquide sur la
toile, puis je l’ai aspergée avec un tuyau
d’arrosage muni d’une pomme de douche.
Deux éléments de l’installation sont
lumineux pour l’un et sonore pour l’autre.
Ces éléments ont l’aspect de minuscules
peintures (10 x 10 cm). L’une est éclairée
de l’intérieur par une lampe à diode,
l’autre renferme une radio miniaturisée.
Dans les deux cas, la faible intensité de la
lumière et du son émis a pour but de créer
une ambiguïté. Il ne s’agit pas d’attirer
trop
l’attention
mais
seulement
de
suggérer la possibilité d’une installation
« son et lumière ».
Parmi les grandes peintures du haut
de l’installation, signalons celle qui fait
écho au travail de Jackson Pollock sans
toutefois reproduire à l’identique sa
manière de procéder. Ici en plus des
Peintures liquides, des pigments en poudre
sont utilisés pour saupoudrer la surface de
la toile. De plus, à la différence de
Pollock, cette toile est tendue sur son
châssis avant d’être peinte. Cette peinture
a été réalisée en plain air et à l’horizontal.
Lors d’une séance de travail, ce que je
cherche c’est d’atteindre le sentiment
esthétique. J’incline ma toile pour y verser
des nappes de couleurs, puis je la pose par
74
terre et envisageant sa surface comme une
totalité, je trace des lignes et des effets de
projections avec un pot de peinture percé
dans ma main droite. Mes gestes sont
rapides. Ainsi j’établis une structure
vibrante sur la totalité de la surface de la
toile. Ensuite je pince du pigment en
poudre que je fais glisser entre mes doigts
pour former des voies lactées et des étoiles
célestes. Mon action est semblable à un
rite chamanique de spiritualisation de la
surface, au cours duquel j’essaie d’établir
une harmonie la plus complète possible.
C’est une quête qui se termine lorsque la
toile prend son autonomie. Dans les
années 50, le critique d’art Clément
Greenberg défend l’idée, à propos de
l’action painting, que la toile est une
« arène », que ce qui compte est l’action
qui a lieu le temps de son exécution plus
que l’image qui en résulte, et qu’il voit
dans cette action l’occasion pour le peintre
d’une
« création
de
soi ».
Nicolas
Bourriaud décrit cette manière de peindre :
« Ainsi chaque toile de Jackson Pollock
lie-t-elle si étroitement la coulée de
peinture à un comportement d’artiste, que
celle-ci apparaît comme l’image de celuilà ».39
39
Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Op. cit., p. 43.
75
En haut du mur, une structure
métallique accrochée au plafond venait
perturber l’accrochage. Accrocher les
œuvres en dessous sans en tenir compte ne
faisait que mettre en valeur cette structure.
Il a donc fallu jouer de cette contrainte en
faisant en sorte d’intégrer la structure dans
l’installation. Un exemple est donné par la
dernière illustration de la série où l’on voit
comment
la
structure
et
les
prises
électriques qu’elle supporte sont intégrées
dans l’installation, notamment en plaçant
les toiles derrière et en utilisant une toile
qui reprenne le mouvement des prises
électriques.
Fig. 59. Douze photos de détails de
l’Installation proliférante n°7 et de la création
d’une œuvre.
J’ai intitulé l’Installation proliférante n°7, « La Réalité en Face », dans le but
d’ouvrir cette installation à d’éventuelles interprétations et questionnements. Existe-t-il
des rapports entre la frontalité d’une image et sa mission d’objectivité de la représentation
du monde ? Que dire de l’image horizontale, est-elle plus subjective ? La peinture
classique est-elle en ce sens une peinture verticale ? Quels liens établir entre l’image
frontale et la représentation, l’image horizontale et l’abstraction ? Les peintures abstraites
et/ou mystiques sont-elles horizontales (Jackson Pollock, Olivier Debré, Pierre Soulage),
parce qu’elles se donnent pour but d’exprimer l’intériorité de l’artiste ou en raison de
leurs techniques de création ? Que dire alors de l’image accrochée en diagonale ?
76
2. Grouillement, saturation : l’entassement des oeuvres
2.a. Installation proliférante n°2
Installation proliférante n°2 est une sorte de cabane résultant de l’assemblage de
cinq Peintures fonds de dimensions identiques, c'est-à-dire 130 x 97 cm chacune. Les
Peintures fonds sont des peintures sur toile que j’ai créées au cours des deux dernières
années. L’installation prend la forme d’un parallélépipède rectangle de dimensions 132,5
x 130 x 97 cm. Cette installation est à la fois un travail minimal par la simplicité de
l’assemblage et un travail proliférant par l’aspect des peintures. Cette installation,
regroupement de peintures présentées dans une pièce blanche, rectangulaire et éclairée
par une verrière à 4,5 mètres de haut est une réponse possible au problème de
l’accrochage dans un « White Cube ».40 Au lieu d’être accrochées sur le mur, les toiles lui
font face dans une sorte de retournement de l’accrochage habituel. Ainsi, lorsqu’un
visiteur regarde une des peintures, il tourne le dos au mur sur lequel elle aurait pu être
installée.
Un des autres aspects importants au sujet de cette installation concerne le jeu entre
stabilité et instabilité. Bien que ce travail ne s’inscrive pas dans la même démarche que
les travaux de Richard Serra, il partage avec ceux-ci cette problématique de l’objet posé
en équilibre, de l’œuvre qui se dresse. Le visiteur est confronté à une surface posée sur sa
tranche, ce qui crée un sentiment de tension et d’arrêt du temps.
Cette installation joue aussi avec certaines des problématiques soulevées par
Daniel Buren avec ses cabanes éclatées. Buren construit des « cabanes » à l’intérieur d’un
espace d’exposition. Normalement l’on construit des murs pour y accrocher des œuvres,
mais les murs construits par Buren pour ses cabanes puis à grande échelle en 2002 dans
l’exposition Le musée qui n’existait pas au Centre George Pompidou sont en eux-mêmes
des œuvres. L’Installation proliférante n°2 joue avec cette idée puisque ici les murs sont
fabriqués avec des œuvres. Ce ne sont donc pas les murs qui acquièrent le statut d’œuvre,
mais les œuvres qui acquièrent le statut de mur. Cette position des œuvres lui conférant
un statut d’objet en trois dimensions est renforcée par le fait que les tranches des
40
En 1976, la revue Artforum publie un article de Brian O’Doherty intitulé Inside the White Cube: The
Ideology of the Gallery Space. L’expression « White Cube » est restée pour désigner l’espace d’exposition
contemporain.
77
peintures, exception faite de celle qui est posée horizontalement sont peintes. Au cours
d’une interview avec Claude Rutault, Patrick Guillon lui pose la question suivante :
_ « Comment ça marche par rapport à la surface le fait que la tranche de tes châssis soit
peinte ? »
_ « Ca souligne, si tu veux, le fait qu’une toile, c’est toujours un volume. Effectivement,
c’est le problème que des gens comme Johns se sont posés. C’est prendre en compte la
totalité de la surface, tranche comprise, sans privilégier l’une ou l’autre »41
41
Interview de Claude Rutault par Jean-Claude Bouix et Patrick Guillon à Paris en avril 1978 transcrite
dans le mémoire de maîtrise de Patrick Guillon intitulé Le travail de Claude Rutault et le contexte
artistique, écrit pour l’U.E.R d’arts plastiques de l’Université Paris 1er en 1978-1979, sous la direction de
Bernard Teyssèdre.
78
Fig. 60. Installation proliférante n°2, 2009, technique mixte sur toile, 132,5 x 130 x 97 cm.
79
3. Déplacement, autonomie : la circulation des oeuvres
3.a. Contexte
Page 214 de son essai sur l’art contextuel, Paul Ardenne explique : « L’âge
médiéval, hanté par le salut, engendra une création plastique de nature métaphysique ; la
Renaissance, habitée par la question de la place de l’homme dans l’univers, un art de la
perspective ; la modernité, obsédée par la liberté, un art porté à s’affranchir de toutes les
règles. L’ère libérale, plus que toute autre, inaugure un temps esthétique durant lequel
l’art se fait mise en scène, ou répétition formelle de l’économie réelle. »
Mes Installations proliférantes peuvent être considérées comme « un système
parmi d’autres de compréhension et de reproduction symbolique du monde »42. Les
éléments qui circulent sur les structures sont une éventuelle métaphore de la circulation et
du mélange des différentes cultures mais aussi de la libre circulation des biens et des
services.
42
Hans Belting, L’histoire de l’art est-elle finie ? Op. cit., p. 13.
80
3.b. Installation proliférante n°6
Fig. 61. Installation proliférante n°6, premier état.
Cet accrochage est une première tentative d’utilisation de structures servant de
support aux éléments accrochés. J’ai conçu cinq structures en tasseaux de bois peint en
noir. Ces constructions démontables ont un double objectif : le premier intérêt consiste à
étendre l’accrochage des éléments et des sculptures dans des volumes en trois
dimensions. L’autre but poursuivi réside dans la forme des structures, leur position
(accrochage) sur le mur, et leur couleur (noire), c'est-à-dire une fonction structurante de
l’espace mural. A plus long terme, l’expérience de la mise en place de structures est
fondamentale pour mon travail car j’envisage de créer des installations où les éléments
seraient mobiles, et de telles structures sont donc le premier pas vers la mise en œuvre de
mes futures installations.
L’accrochage réside en deux étapes. Dans un premier temps, il s’agit de répartir
les structures sur le mur. Ensuite, les éléments sont posés et accrochés sur les structures.
Il est question d’expérimenter plusieurs solutions. La plus simple consistait à poser les
81
structures par terre le long du mur. Cette solution a été réalisée et un accrochage sur cette
configuration a partiellement été mené. D’autres étudiants m’ont aidé à disposer les
éléments sur les structures et sur le mur. J’ai pu constater que ce type d’installation est
propice à une participation relativement facile consistant à choisir un élément et à le
mettre en place parmi les autres. Cette première solution n’a pas été menée à son terme
car rapidement des limites insurmontables sont apparues : Comment obtenir l’effet
« peinture all over » recherché, c'est-à-dire une prise en compte équivalente de tout le
mur d’accrochage alors que les structures restaient clouées au sol ? Il fallait donc trouver
un autre positionnement des structures.
Fig. 62. Installation proliférante n°6, deuxième état.
La seconde solution est une tentative de déconstruction et d’introduction de
l’oblique parmi les structures. La totalité du mur est mieux prise en compte. Cependant,
le problème d’une trop grande lourdeur dans la partie basse du mur demeure. Apparaît
aussi une seconde question, celle de la place du renfoncement dans la partie supérieure du
mur. Comment intégrer ce renfoncement à l’installation ? Mettre une œuvre en situation,
n’est-ce pas la relier au site de son exposition ? L’oblique n’apparaît pas comme une
82
configuration favorable aux structures. Le but de départ de celles-ci était d’apporter des
horizontales et des verticales dans une référence à Piet Mondrian. (Rappelons que
Mondrian accordait beaucoup d’importance à l’accrochage de ses peintures sur le mur,
comme en témoigne les photographies de son dernier atelier à New York.)
A ce stade, il est apparu que le premier défi consistait à intégrer le renfoncement
du mur (porte d’accès aux machineries de l’ascenseur). Nous avons donc disposé une
structure à l’intérieur du renfoncement de manière à ce qu’elle dépasse d’environ 35 cm.
De cette manière, le renfoncement trouvait une fonction de support et devenait par
conséquent partie intégrante de l’installation finale. Il s’agissait ensuite de faire
contrepoint à cette action. L’adjonction d’un second module dont la ligne basse serait à la
hauteur du bas du renfoncement permettait d’établir des relations cette fois entre le
renfoncement et le reste du mur. L’expérience n’a pas été menée plus loin mais doit
constituer le schéma de départ.
L’installation Structure-Peinture peut être perçue comme une métaphore de la vie
conçue comme un équilibre instable entre un élan créateur proliférant et une
structure plus ou moins permanente et régulière. Cette installation inclut également le
thème du cabinet de curiosité, car les structures font penser à des meubles ou à des
étagères. Enfin le thème de la structure est une lointaine référence à Tatline et au
constructivisme. Mettre en coexistence et effectuer la synthèse entre deux grande
tendances du 20ème siècle : la quête de la simplification, de la pureté géométrique
abstraite avec le suprématisme, Mondrian et le Corbusier en architecture, tendances
finales de la rigueur classique et du rationalisme et d’autre part l’expressionnisme, la
peinture gestuelle, l’art brut, le relativisme culturel et l’ère postmoderne.
En 1963, Joseph Beuys expose 282 œuvres dans une étable d’environ 115 m!.
Dans son article sur cette exposition, Hans van der Grinten écrit : « L’intégration du
grand nombre de pièces à exposer dans le volume existant resta problématique aussi
longtemps que l’on chercha à préserver des regroupements et des agencements
traditionnels. Beuys transgressa ce principe en accrochant impulsivement des cadres et
des boites aux clous qui se présentaient, de même qu’il plaça certains travaux dans des
niches existantes, sur des saillies du mur ou des planches disponibles. »43
43
Collectif, 1991, L’art de l’exposition, une documentation sur trente expositions exemplaires du 20ème
siècle, Paris, Regard, 1998, p. 307.
83
Fig. 63. Installation proliférante n°6, troisième état.
Pierre Soulage utilise le terme outrenoir pour désigner une couleur ayant des
conséquences particulières sur l’appréciation de la peinture. L’idée d’une telle couleur est
qu’elle reflète la lumière différemment suivant le point d’observation. Cela est du au fait
que Soulage utilise une peinture très épaisse (pâte) et que, finalement, sa peinture intègre
la troisième dimension. Notons au passage qu’à la même époque cet artiste conçoit des
polyptiques Outrenoir et qu’il les installe dans l’espace non plus contre le mur, mais
suspendus à des câbles, accrochés au plafond et vissés au sol. J’appellerais ces œuvres de
Soulage des Peintures installées. De plus, en raison des reflets changeant suivant le point
d’observation, Soulage considère que dans ses œuvres l’espace pictural ne se situe plus à
la surface du tableau, mais tout autour. La peinture se crée au fur et à mesure et selon le
point d’observation.
Walter Benjamin a établi une relation entre le lieu de l’œuvre et ce qu’il appelle
son aura. Selon lui, à l’heure de la reproductibilité technique de l’image, l’œuvre devient
accessible en toute heure et en tout lieu. L’installation d’œuvres établit une rupture avec
cette situation. Ainsi, une installation d’œuvres n’est pas reproductible en deux
dimensions. L’installation d’œuvres n’existe qu’au moment où le visiteur la regarde. De
84
plus, mes installations ne restent pour l’instant en place que le temps de leur exposition.
Elles ne sont pas reproductibles à l’identique dans un autre lieu, puisque je travaille sur
place. « Un travail prenant en considération le lieu dans lequel il se montre/ s’expose ne
pourra être transporté autre part et devra disparaître à la fin de l’exposition.»44 Ces
raisons me poussent à affirmer que mes Installations proliférantes peuvent être perçues
comme une tentative de restauration de l’aura telle que décrite par Benjamin.
Accrocher des images sur un mur pour les mettre en relation amène à se poser la
question des différents types d’images que l’on peut utiliser. Je réfléchis à établir des
catégories en vue d’une future installation. De plus, en sus de la nature des images, la
question de leur action sur le regardeur se pose. -Quels sont les différents types d’action
des images sur les spectateurs? Le livre La performance des images45 paru en 2010 établit
quatre types d’actions : l’efficacité (remplir la fonction prévue), l’agentivité (image
comme agent social, pseudo être vivant), la performativité (comment agit une image) et
la puissance (résultat optimal pouvant être attendu). Outre sa potentialité sémantique,
l’image peut être source d’un plaisir désintéressé, peut témoigner de la puissance
créatrice de l’artiste, peut transmettre des énoncés, émouvoir, faire acheter, faire croire,
faire rire, faire peur, faire pleurer, faire chanter, faire donner, tromper, choquer, plaire,
convaincre, divertir, susciter l’adoration, le fétichisme, la commémoration, être un noeud
social. A un type d’image correspond une fonction spécifique. L’image publicitaire fait
acheter, l’image religieuse fait prier, l’image scientifique donne à penser, l’image drôle
fait rire, l’image esthétique sensualise la vision et stimule l’inconscient.
Il est donc possible de répertorier des productions visuelles et de les accrocher
ensemble. Quel est l’intérêt spécifique de les accrocher sur une structure ? Quels sont les
rapports plastiques et formels entre les images et la structure sur laquelle elles sont
accrochées ? Comment interpréter l’installation structure/peinture dans le cadre d’une
analyse métaphorique d’ordre naturelle, sociologique, politique, chrétienne ? Comme
système de « compréhension et de reproduction symbolique du monde » ?
44
Daniel Buren, Les Ecrits (1965-1990), Bordeaux, capcMusée d’art contemporain, 1991, t.1, p. 428.
Collectif, La performance des images, Bruxelles, Ed. Alain Dierkens, Gil Bartholeyns, Thomas
Golsenne, Coll. Problèmes d'histoire des religions, 2010.
45
85
4. Altération : oser repeindre les œuvres installées ?
Les Installations proliférantes peuvent êtres altérées, c'est-à-dire repeintes une
fois leur mise en place. Dans ce cas les œuvres sont donc différentes après l’installation,
lorsque je les range.
4.a. Installation proliférante n°3
L’Installation proliférante n°3 mesure 163 cm de haut et occupe une surface au
sol de l’ordre de 135 x 100 cm. Elle est constituée d’une table, de morceaux d’argile, de
plâtre, de ciment, de cire, de pâte à sel, de filasse, de tissu et de peinture. A l’instar de
l’installation murale formée d’un agrégat d’images, cette installation est un agrégat de
sculptures. J’ai utilisé en particulier des petites Cloches en plâtre créées aux Beaux-arts
en 2002, une sculpture en argile, filasse et ciment façonnée en 2008 et un Noocactus en
pâte à sel modelé pour l’occasion. Des éléments en argile en forme de doigts ont
également été utilisés et j’ai ajouté à ces sculptures des morceaux d’argile, de cire et de
tissu. Le fait de rassembler des objets pour créer une installation rappelle l’approche de
Tony Cragg mais ici la particularité est que j’utilise des objets qui sont mes propres
sculptures. Une fois l’assemblage mis en place, je suis passé à une deuxième étape
consistant à verser de la Peinture liquide sur l’ensemble de l’installation. Ce geste, outre
son intérêt plastique est une sorte de rituel de sacralisation de l’œuvre. Les coulures
renforcent l’unité de l’assemblage et lui donnent une structure. L’installation devient une
sorte d’autel religieux, à la fois architectural, géologique et organique. Les installations
altérantes peuvent-elles être perçues comme une illustration de la phrase d’Yves Michaux
« ça dégouline d’art sous toutes les formes possibles » ?46
46
Yves Michaux, L’art à l’état gazeux, Op. cit., p. 104.
86
Fig. 64. Installation proliférante n°3, 2009, plâtre, argile, cire, tissu, filasse, peinture, 163 x 135 x 100
cm.
87
Fig. 65. Installation proliférante n°3, détails. (photographie de droite : Chang Chungliang)
4.b. Installations murales vs. installations centrales
En 2001, je travaillais par accumulations et par entassements. Je travaillais alors
en deux temps. Le premier était une accumulation de morceaux de bois, de papiers et de
toiles sur le mur. Je peignais alors l’ensemble, parfois en versant directement la peinture.
Puis je déplaçais ces éléments pour les poser sur une table et constituer une sorte de tas.
Lors de chaque étape, je versais de la peinture sur les éléments.
Fig. 66. Accumulation en tas et contre un mur, Ecole Supérieure d’Arts et Médias de Caen, 2001, bois,
toile, peinture, environ 250 x 200 cm.
88
Dans tous les cas, y compris dans celui des Installations altérantes, lorsque je
démonte une installation je regroupe les éléments par catégories et les conserve en vue
d’une prochaine installation. Un même élément, altéré ou non, peut servir à plusieurs
installations différentes. Les éléments ont leur vie propre et ne sont que de passage dans
les installations. Cette manière de faire est comparable à celle de Sarah Sze qui agence
des petits objets de la vie quotidienne pour élaborer in situ des sculptures éphémères.
Lorsque l’exposition est finie, Sarah Sze sépare les objets qui serviront à monter une
autre sculpture dans un autre lieu. Ce mouvement de rassemblement des objets chez Sze
ou d’œuvres dans le cas des Installations proliférantes est à mes yeux une métaphore des
regroupements d’individus humains, ensembles dans la réalisation du grand dessein de la
société et isolés lorsqu’il s’agit de perfectionner leur intériorité.
Daniel Buren considère que : « Le lieu […] où est vue une œuvre en est le
cadre ».47 Les œuvres in situ sont plus que les autres inscrites dans le cadre du lieu, car
dans une certaine mesure et parfois totalement de telles œuvres dépendent de leur lieu de
création. Si l’on pousse la métaphore sociale, le lieu concerne le domaine des limites
physiques du monde, et l’œuvre in situ cherche à en tirer partie, tout comme les sociétés
humaines s’accommodent de leur cadre de vie (configuration géographique du pays,
climat).
47
Daniel Buren, « Mise en garde », dans Konzeption/Conception, Leverkusen, Städtisches Museum, 1969 ;
cf. Les Ecrits (1965-1990), Bordeaux, capc Musée d’art contemporain, 1991, t.1, p.95.
89
CONCLUSION
« Le rôle de l’art dans notre propre société, au moins sous ses manifestations
traditionnelles, est aussi incertain que son cours futur est imprévisible. Nous ne marchons
plus de l’avant le long du chemin étroit d’une histoire à sens unique. Nous jouissons au
contraire d’une sorte de répit momentané qui nous permet de reconsidérer les divers
statuts et justifications de l’art, à la fois dans le passé et à l’ère du modernisme. »48
« L’installation est le reflet de cette nouvelle ère postmoderne qui vit en s’harmonisant
avec le passé sans désirer rompre avec lui, contrairement à la plupart des autres courants
artistiques qui, pour naître, mettaient à mort les idéologies en place. A l’encontre de cette
tradition, l’installation s’approprie les règles formelles et idéologiques passées, les
permute et gère cet héritage, tout en le catapultant hors du mythe progressiste de
l’histoire. La postmodernité semble contenir une originalité idéologique extrinsèque à son
esthétique, rejoignant ainsi une attitude sociale et politique, issue de l’échange et du
partenariat, de la complicité et de l’accommodation. Le mythe du progrès est troqué
contre celui de l’alliance. La dénonciation d’un système artistique n’est plus la
caractéristique de l’installation même si certaines d’entre elles possèdent un contenu
engagé. »49
Dans son livre sur l’art contemporain, Catherine Millet explique que « des œuvres
de tous styles s’articulent comme les pièces disparates d’un puzzle, et le puzzle, de plus
en plus grand, tend à recouvrir toute la surface terrestre. »50 Dans ce même livre, elle
affirme : « Sur l’écran de l’éclectisme postmoderne, des recherches singulières ou
inclassables, des styles archaïsants ou académiques, etc., affleurent et trouvent une
résonance en regard de la variété des œuvres contemporaines. »51 Mes Installations
proliférantes sont une tentative de cohabitation de la plus grande variété d’approches
possibles tout en les rattachant à l’histoire de l’art. Installer une grande variété d’oeuvres
différentes dans un même lieu permet d’augmenter les chances de toucher un public varié
en multipliant le nombre de points d’accroche possibles de l’observateur. Quelqu’un qui
découvre une Installation proliférante ne la voit pas forcément dans son ensemble, mais
48
Hans Belting, 1983, L’histoire de l’art est-elle finie ? Op. cit., p. 14.
Joëlle Morosoli, L’installation en mouvement, Trois-Rivières, Editions d’art Le Sabord, coll. essai, 2007,
p. 43.
50
Catherine Millet, L’art contemporain, Histoire et géographie, Op. cit., p. 114.
51
Ibid., p. 115.
49
90
il y a de fortes chances pour qu’il s’intéresse à une ou plusieurs œuvres qui, en raison de
son parcours personnel, l’interpellent. Se rattachant à ces œuvres identifiées,
l’observateur pourra établir des relations avec le reste de l’installation. Si l’on accroche
par exemple deux peintures qui ont la même dominante colorée, ou la même structure
graphique, leur rapprochement par le regardeur sera quasiment inévitable.
Mes installations sont une tentative de peindre dans ce nouvel âge baroque qui est
la postmodernité. La peinture ayant épuisé ses ressources à l’intérieur de son cadre, elle
trouve un nouvel horizon lorsqu’elle investit la totalité du mur et s’inscrit dans la
troisième dimension. De nouvelles questions se posent alors, questions que nous avons
tenté d’aborder dans ce mémoire, touchant aux notions d’auteur, de collection,
d’appropriation, d’exposition, de cadre, de déplacement, d’autonomie, d’envahissement,
de relation de l’œuvre à son support ou à l’œuvre lui servant de support.
Si l’on remonte dans le temps, l’art est d’abord une question de mimésis. Il s’agit
de représenter le monde visible. Cette tendance trouvera son apogée (et peut être aussi ses
limites ultimes) avec l’invention de la perspective. Le romantisme du début du 19ème
siècle, son obsession du fragment et l’apparition de la subjectivité pousseront l’art
progressivement vers des recherches qui trouveront leur apogée dans le modernisme du
début du 20ème siècle. Le rôle mimétique de l’art est critiqué. « On peut dire d’une façon
générale qu’en voulant rivaliser avec la nature par l’imitation, l’art restera toujours au
dessous de la nature et pourra être comparé à un ver faisant des efforts pour égaler un
éléphant. »1 « Tant qu’il imite, l’homme ne dépasse pas les limites du naturel, alors que le
contenu doit être de nature spirituelle. »1. Wassily Kandinsky ira plus loin : « Eo ipso, la
question « quoi » disparaît dans l’art. Seule subsiste la question « comment » l’objet
corporel pourra être rendu par l’artiste. »1 Les matériaux qui servaient auparavant à la
mimésis acquièrent une originalité propre et sont investigués pour leurs possibilités
formelles et non plus mimétiques. Il s’ensuit l’apparition des avant-gardes et d’une
grande variété de styles. Après les avant-gardes modernes (cubisme, futurisme,
suprématisme, constructivisme, dadaïsme, surréalisme, expressionnisme) les mouvements
des années 50 et 60 (art conceptuel, minimalisme, hyperréalisme, nouveau réalisme,
abstraction lyrique, fluxus, actionnisme, land art) et les courants des années 80
(art&langage, photo-réalisme, figuration libre, bad painting, néoexpressionnisme,
simulationnisme, néo-géo, néoconceptualisme), finalement une très grande variété
d’approches a été explorée. Les matériaux prennent leur indépendance, comme ce fut
91
d’abord le cas des formes et des couleurs. Donald Judd indique que Kasimir Malévitch
est le premier à avoir utilisé les formes géométriques et les couleurs pures : « Il est
évident aujourd’hui que les formes et les couleurs des toiles que Malévitch commença à
peindre en 1915 sont les premiers exemples de formes en soi et de couleurs en soi. »52
Dans son texte Du Cubisme et du Futurisme au Suprématisme, Malévitch écrit : « il faut
donner aux formes la vie et le droit à l’existence individuelle ». Il écrit également « la
couleur et la texture en peinture sont des fins en soi ». Les médiums de la peinture et de la
sculpture seront finalement investigués dans toutes leurs caractéristiques jusqu’à la fin
des années 60. « Consciemment ou non, les artistes se penchent peu à peu sur leur
matériau, l’essaient, pèsent sur la balance de l’esprit la valeur intérieure des différents
éléments par lesquels leur art est en mesure de créer. »1 Ainsi l’art explose en ses
composants : le matériau, le concept, l’attitude artistique, le corps de l’artiste, le milieu
d’existence, les conditions sociales de réception.
Mes installations sont une tentative de mise à plat de cette histoire de l’art. Je
souhaite montrer en même temps des œuvres découlant des différentes conceptions de
l’art et les faire circuler sur des structures. J’utilise pour ainsi dire l’histoire de l’art en ses
composantes, et je les mets en dialogue. Que peut dire ou suggérer un châssis nu, un
monochrome ou une peinture all-over, placé à la perpendiculaire d’une peinture
perspectiviste, d’une nature morte, ou d’un film d’animation vidéo projeté ?
Le concept de prolifération peut être positif lorsqu’on le rapproche des notions de
vie, de progrès, de découverte ou de prospérité, mais aussi négatif si l’on considère la
peur de l’envahissement, de l’étouffement, de la maladie et du désordre qu’il suscite. La
prolifération des musées d’art contemporain par exemple est certainement un facteur
positif mais, malgré tout, lorsqu’on évoque ce mot, les aspects négatifs l’emportent
rapidement et nous pensons à la prolifération nucléaire, ou celle des armes de destruction
massive.
Appliquée à mon travail, cette réflexion expose les dangers de ma démarche. Que
devient une œuvre lorsqu’elle est accrochée au milieu des autres ? Les Installations
proliférantes ne risquent-elles pas, en accumulant les œuvres, de les diluer, de les
étouffer, voir de nier leur existence individuelle ? Que dire des Installations altérantes,
où les œuvres sont repeintes non pas en fonction d’elles-mêmes, mais de la logique
globale de l’installation ? Le projet de mettre les œuvres en mouvement est
52
Donald Judd, Ecrits 1963-1990, Paris, Daniel Lelong Editeur, 1991, p. 344.
92
éventuellement une manière de les tourner en dérision. Mais les œuvres n’ont pas toutes
la même personnalité et là où certaines se voient abusées, d’autres sont à leur place. La
manière de les mettre ensemble change la perception que l’on en a, et il s’agit seulement
de savoir ce que l’on veut mettre en avant. Dans un sens, cela signifie l’utilisation des
ressources des œuvres pour les faire jouer entre elles. Installer une œuvre n’est donc pas
forcément la trahir, car son installation peut participer à la mise en évidence d’une partie
de ce qu’elle est. Une même œuvre pourra éventuellement révéler des qualités différentes
lors de ses installations successives. Mes Installations proliférantes peuvent-elles ainsi
contribuer à créer le contexte nécessaire à l’épanouissement des œuvres ?
93
TERMES CLES
-Auteur
-Cadre
-Collection
-Déplacement
-Exposition
-Installation
-Œuvre
-Polyptyque
-Prolifération
-Structure
94
GLOSSAIRE
-Auteur : Celui qui crée l’œuvre. La dimension autobiographique est récurrente dans mon
travail. Puisque j’utilise aussi des œuvres dont je ne suis pas l’auteur, la question de
l’appropriation et de ses modes de mise en œuvre intervient comme afférente à celle de
l’auteur.
-Cadre : Le cadre est la limite qui sépare une œuvre en deux dimensions du reste du
monde. Il est par conséquent un outil permettant d’établir des citations. Cependant lorsque
plusieurs cadres sont visibles sur un même mur, le regardeur à tendance à les comparer. Le
cadre devient alors un moyen de mise en relation des œuvres. Le cadre est donc un facteur
de séparation mais également un facteur de cohésion.
-Collection : Le fait d’accumuler le même type d’objet. Je collectionne de nombreux objet
et en particulier mes propres productions plastiques ainsi que celles des autres. La
collections d’ « œuvres » constitue la matière première de mes installations.
-Déplacement : Le fait de se mouvoir d’un endroit à un autre de manière plus ou moins
indépendante. Je travaille à rendre mobile les éléments que j’accroche sur mes structures.
A terme, je voudrais que les éléments circulent sur des rails et que ce mouvement soit
dirigé par un système informatique.
-Exposition : L’exposition, parce qu’elle rassemble des œuvres de manière réfléchie
(scénographie) est toujours en elle-même une sorte d’œuvre. Cependant, dans certaines
expositions, les œuvres s’appréhendent comme partie d’un tout, comme ce fut le cas de
celles misent en place par Peggy Guggenheim dans sa galerie Art of this Century à New
York ou encore de l’accrochage des peinture de Kasimir Malévitch à l’occasion de
l’exposition futuriste « 0,10 » à Saint-Pétersbourg en 1915.
95
-Installation : Mise en cohérence d’un ou plusieurs éléments par rapport à un lieu
d’exposition. Les installations sont dites murales quand elles sont contre un mur et centrale
quand ont peut en faire le tour. Les Installations proliférantes sont des installations qui
mettent en scène des productions plastiques. Sont dites participatives les installations qui
incitent le visiteur à agir et altérantes celles où les productions plastiques sont
transformées pendant la durée de l’installation.
-Œuvre : L’œuvre d’art est un objet sans recette de fabrication et sans emploi. C’est ce qui
la distingue d’un objet d’artisanat et la rapproche des êtres vivants. Il est interdit de
détruire une œuvre d’art, parce qu’il n’existe pas de manière de la recréer a l’identique.
-Polyptyque : Œuvre constituée de plusieurs parties planes et parfois articulées. Mes
installations d’œuvres sont des polyptyques.
-Prolifération : Phénomène de croissance exploitant l’ensemble des possibilités
accessibles afin d’occuper tout l’espace. Accumulation de productions plastiques dans un
même lieu.
-Structure : La structure est le squelette sur lequel sont accrochés les organes. Je construis
contre le mur ou au centre d’un espace des structures qui me servent de support
d’accrochage.
96
INDEX
Alain Bublex, 35
André Breton, 6, 45
Antony Gormley, 6, 31
Auteur, 36, 37, 38, 40, 41, 94, 95
Barry Mac Gee, 6, 106
Biennale d'Art de Montreux, 28
Cadre, 94, 95
Cédric Teisseire, 24
Christian Boltanski, 27, 28, 101
Christo et Jeanne-Claude, 28, 29
Claude Rutault, 6, 25, 46
Collection, 94, 95
Conseil Général, 29
DRAC, 29
Ecole Cantonale d'Art de Lausanne, 28
Ecole Supérieure d'Arts et Médias de Caen, 88
El Lissitzky, 6, 105
Elisabeth Wetterwald, 5
Exposition, 94, 95, 106
Günter Umberg, 6
Haute Ecole d'Art et de Design de Genève, 28
Ian Davenport, 24
Installation, 5, 6, 46, 53, 81, 85, 86, 88, 91, 92, 96
Installations proliférantes, 5, 7, 16, 24, 35, 45, 47, 51, 86, 96
Jean-Jacques Lebel, 6, 65
Jim Shaw, 6, 66, 102
John Armleder, 6, 16, 17, 63, 99
Jules Verne, 15
Karsten Bott, 6
Laïza Pautehea, 33
Larry Poons, 19
Marcel Duchamp, 26, 39, 46
Mark Dion, 6
Métaltop, 29
Mladen Stilinovic, 3, 6, 64
Morris Louis, 19
Nendaz, 27, 29
Noocactus, 12, 13, 14, 35, 86
Peinture liquide, 16, 23, 27, 51
Peintures fonds, 16
Pierrick Sorin, 39
Polyptyque, 94, 96
Richard Serra, 77
Robert Malaval, 17
Robert Smithson, 29
Sarah Sze, 6
Shilpa Gupta, 6
97
Structure, 83, 94, 96
Surface, 105
Suzanne Pagé, 16
Tatline, 83
Tony Cragg, 6, 86, 106
Victor Hugo, 38
Vladimir Vernadsky, 13
Yves Michaux, 5, 26, 86
98
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