Media - Unicef Tunisie
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Etude sur les représentations de l’enfant, de l’adolescent et du jeune dans les médias tunisiens Bureau de l’UNICEF - Tunis Experts Med Larbi Chouikha, Riadh Ferjani, Abdelkrim Hizaoui (Coordinateur), Fethi Touzri Avec la contribution de Gérard Derèze, Université Catholique de Louvain - Belgique. Les idées et opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’UNICEF. Cette étude est dédiée aux enfants et aux jeunes de la nouvelle Tunisie. 4 Préface L’article 16 de la Convention internationale des droits de l’enfant stipule que : « Nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.» Dans son article 17, la Convention insiste sur le devoir des Etats parties de donner accès aux médias « promouvant le bien-être social, spirituel et moral [de l’enfant] ainsi que sa santé physique et morale » Dans nos sociétés, la question de « l’image » est déterminante dans la mesure où elle affecte l’opinion publique quel que soit le sujet ou la question traitée. L’enfant et le jeune n’échappent pas à cette règle. Si l’accord est unanime pour convenir du rôle actif des médias pour faire connaître la Convention internationale des droits de l’enfant, force est de reconnaître qu’ils peuvent également, par le mot ou l’image, répandre des préjugés et réduire les enfants et les jeunes à des clichés. C’est à cette relation enfants, adolescents, jeunes et médias que la présente étude s’intéresse, un thème à dimension internationale et jusque-là peu « traité ». A partir d’un corpus de productions médiatiques couvrant la période 1998-2008, cet ouvrage propose une analyse scientifique qui a réuni aussi bien les représentations journalistiques des questions relatives à l’enfance, à l’adolescence et à la jeunesse que la réception du discours médiatique par les catégories concernées. La « Révolution de la jeunesse » a dévoilé une face cachée des jeunes. Elle a ébranlé des convictions et a imposé une révision des consciences et des approches des politiques publiques visant les enfants et les jeunes. La conclusion qu’il faut en tirer : c’est qu’ils ont un avenir à retrouver, une nouvelle Tunisie à construire et des droits à garantir. Il est de notre devoir à tous de les aider à les réaliser. La Convention des droits de l’enfant constitue un levier efficace à cet effet. Sa mise en œuvre nécessite l’engagement de tous, décideurs, intervenants, personnes de toutes professions. Le rôle des médias est crucial. La 5 responsabilité qui leur incombe est accrue en cette période de transition que vit la Tunisie. Offrir aux enfants et aux jeunes la possibilité d’exprimer librement leur avis et veiller à ce que cet avis soit entendu, c’est leur offrir les moyens qui leur permettent d’être intégrés en tant que citoyens actifs et responsables de la société dans laquelle ils représentent presque la moitié de la population et leur donner ainsi la possibilité de proposer une autre image, une autre représentation d’eux. Cette étude est une contribution de l’UNICEF dans l’objectif d’orienter l’action des médias dans ses relations avec les enfants et les jeunes et participer ainsi au développement d’un climat d’échange et de communication propice à l’émergence d’un discours « amis des enfants et des jeunes ». Je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à l’élaboration de cette étude et particulièrement les auteurs pour la qualité du travail réalisé. Maria Luisa Fornara Représentante de L’UNICEF en Tunisie 6 Table des matières Introduction 9 1 2 3 4 5 Contexte et justification Revue des textes de référence sur la relation enfants/adolescents/jeunes et médias Panorama des médias en Tunisie Enfants, adolescents, jeunes et médias : analyse de la situation en Tunisie Méthodologie Chapitre 1 Analyse de la presse quotidienne 1.1. Présentation de l’échantillon 1.2. L’évolution générale des unités rédactionnelles 1.3. Les signatures : Qui écrit sur les enfants, les adolescents et les jeunes ? 1.4. L’intérêt des quotidiens pour les différentes catégories d’âge 1.5. La mise en forme des contenus : les genres journalistiques 1.6. Les représentations des EAJ dans la presse quotidienne nationale 1.7. Les formes de participation des EAJ Bibliographie Chapitre 2 Analyse de la presse hebdomadaire 2.1. Présentation de l’échantillon 2.2. La construction journalistique de l’actualité relative à l’enfance et à la jeunesse 2.3. L’image des enfants 2.4. Une jeunesse coupable ? 2.5. La question de la participation Conclusion et bibliographie 11 14 17 21 25 30 32 33 36 39 40 43 54 60 62 62 63 65 70 74 79 7 Chapitre 3 Analyse du supplément « Parole de jeunes » du quotidien « La Presse » 81 Introduction : objectifs, outils méthodologiques 81 3.1. Analyse de contenu des numéros du supplément 82 parus entre le 15/9 et le 15 /12/ 2008 3.2. Analyse des entretiens (focus groupes) avec des jeunes-rédacteurs du supplément 92 3.3. Entretien avec le rédacteur en chef du supplément « Parole de Jeunes » 98 Conclusion 101 Recommandations découlant de l’analyse de la presse écrite 103 Chapitre 4 Analyse qualitative de la représentation et de la participation des EAJ dans les programmes audiovisuels 4.1. Eléments de méthodologie 4.2. Les EAJ dans les fictions à travers le feuilleton Maktoub : l’autre visage du monde des adolescents et des jeunes 4.3. Enfants/Adolescents/Jeunes dans les fictions tunisiennes : le point de vue des professionnels 4.4. Les jeunes dans les émissions de débat à la radio et à la télévision : Quelle participation et quelle représentation ? Recommandations pour améliorer l’image, la participation et la représentation des EAJ dans les programmes audiovisuels Chapitre 5 Le discours des enfants/adolescents/jeunes sur les médias 5.1. Approche méthodologique 5.2. Analyse des résultats des focus groupes 5.3. Image des enfants, des adolescents et des jeunes dans les médias 5.4. Représentation et diversité 5.5. Participation des EAJ dans les médias 5.6. Opinions des EAJ sur les médias 5.7. Observations générales sur les résultats des FG Recommandations découlant des focus groupes 8 105 105 106 107 108 117 119 119 121 124 126 132 135 140 143 Conclusion générale 147 Recommandations opérationnelles 150 Synthèse de l’étude 153 Annexes 161 Introduction Depuis le 14 janvier 2011, date de la chute de l’ancien régime en Tunisie et la suppression du ministère de la Communication, le paysage médiatique connaît un foisonnement important au niveau des genres et des contenus. Le nombre de journaux ne fait que croître, le domaine de l’audiovisuel est en pleine expansion et de nouveaux supports d’informations et de communication apparaissent tous les jours. Ce climat de liberté a ouvert de nouvelles opportunités et bouleversé des règles « établies » depuis des décennies. Les médias tendent à se libérer du joug du contrôle étatique et plusieurs journalistes, particulièrement ceux de la télévision, se trouvent livrés à eux-mêmes. Des dérapages regrettables touchant les droits de l’enfant ont été observés. Nous citerons, entre autres : • Les interviews de jeunes, et même celles d’enfants (dans la presse écrite, la radio et à la télévision) se font sans se soucier des précautions d’usage telles qu’énoncées dans le dispositif de la Convention relative aux droits de l’enfant ; • Les images des enfants victimes de conflits ou dont les parents sont objets de poursuites judiciaires y compris ceux des familles de l’ex-président sont abondamment diffusées via les télévisions et les réseaux sociaux numériques et ce, en violation des textes en vigueur ; • Mais c’est surtout dans les réseaux sociaux numériques que les transgressions et les violations flagrantes sont le plus souvent observées en toute impunité. Cette dernière actualité vient confirmer ce qui est désormais largement admis à savoir que les médias (les anciens comme les nouveaux) participent activement à la construction des représentations, des attitudes et des comportements des individus. En matière de protection des droits de l’enfant, l’UNICEF considère que les médias peuvent aider à la mise en œuvre des droits inscrits dans la Convention relative aux droits de l’enfant et à leur plein exercice partout dans le monde. Au niveau international, cette conviction est partagée par les organisations 9 professionnelles de journalistes, qui ont adopté plusieurs directives et normes déontologiques applicables aux reportages sur les enfants. Afin de contribuer à mettre en évidence le rôle des médias tunisiens dans la promotion des droits de l’enfant et à renforcer la responsabilité des journalistes à cet égard, l’UNICEF-Tunis a décidé de procéder à une étude sur « les représentations de l’enfant, de l’adolescent et du jeune (EAJ) dans les médias». Cette étude entamée en 2009 et finalisée en 2010 devrait permettre : • D’avoir une vue d’ensemble sur les représentations de l’enfant, de l’adolescent et du jeune (EAJ) dans les médias tunisiens et leur évolution durant les dix dernières années ; • De mettre en lumière le degré et les formes d’implication et de participation des jeunes dans l’élaboration et la diffusion des divers produits médiatiques. Dans la présente introduction, les auteurs s’attacheront à : • Exposer le contexte et la justification du projet ; • Présenter le cadre de référence de la thématique EAJ-Médias tel que défini par les normes internationales pertinentes ; • Brosser le panorama des médias en Tunisie ; • Faire l’état de la situation de la relation enfants/adolescents/jeunes et médias ; • Préciser les options méthodologiques jugées aptes à atteindre les objectifs fixés par les termes de référence élaborés par l’UNICEF pour cette étude. 10 1 - Contexte et justification L’étude recueille et analyse la parole de cette surprenante génération de jeunes souvent considérée comme « apolitique » et qui joua pourtant un rôle de premier plan dans le mouvement insurrectionnel déclenché en Tunisie en décembre 2010. Rétrospectivement, elle permet de mieux appréhender certains facteurs qui ont participé à l’émergence d’une conscience citoyenne et militante chez les jeunes. Autant que les jeunes, les médias ont été et demeurent des acteurs centraux du « Printemps arabe ». En effet, la contestation sociale qui a mis fin au régime mis en place le 7 novembre 1987 a été qualifiée de « Révolution de la jeunesse ». De même, les observateurs sont unanimes pour considérer que sans les médias satellitaires et les nouveaux « médias citoyens », les révolutions arabes en cours auraient été rapidement réprimées. La Tunisie doit donc dans les prochaines années, relever beaucoup de défis notamment ceux relatifs aux jeunes qui représentent près du tiers de la population (tiers estimé à 3 millions). Parmi les défis, on retrouve : la réduction du taux de chômage, l'amélioration de la participation des jeunes dans la vie active, la prise en compte de leurs besoins et la mise en place de services répondant à leurs demandes/attentes ainsi qu’aux standards de qualité, d’acceptabilité et d’accessibilité, la promotion des modes de vie sains... Certes le pouvoir public a la première responsabilité de relever ces défis, mais beaucoup d’autres acteurs ont aussi un rôle à jouer, notamment, la société civile, les parents et les autres membres de la famille, les enseignants, les jeunes et les adolescents eux- mêmes mais aussi les médias. • Les agences du système des Nations Unies ont ciblé « les jeunes et les adolescents » dans la définition de l’un des quatre objectifs stratégiques prioritaires du Plan Cadre des Nations Unies pour l’Aide au développement (UNDAF) pour la période 2007-2011. L’effet programme N° 2 de cet objectif : « Les jeunes et les adolescents sont habilités à participer activement dans la société », prévoit que « la société civile, les médias et les 11 institutions nationales contribuent à une sensibilisation continue des jeunes et des adolescents à cette participation… » •L’UNICEF, dans le cadre de sa réflexion sur l’adaptation de son agenda en Tunisie, pays à revenu intermédiaire, compte mener une série d’études pour orienter cette réflexion d’analyse, d’évaluation et de positionnement dont celle qui portera sur les représentations de l’enfant, de l’adolescent et du jeune dans les médias tunisiens. Ce choix est motivé par le fait que les médias contribuent à construire l’opinion publique, à influencer les attitudes du citoyen vis-à-vis des droits de l'enfant, du jeune et de l’adolescent et à interpeller les décideurs sur des sujets de fond qui les concernent. Ils sont également capables de créer une dynamique sociale dans le pays en impliquant davantage les adolescents et les jeunes et en les percevant comme acteurs positifs du changement. • Le paysage médiatique tunisien a connu ces dernières années d’importants changements qui se sont matérialisés par la multiplication de titres de la presse écrite, la libéralisation de l’espace audiovisuel donnant ainsi naissance à trois stations radios privées et deux chaînes de télévision et la parution de nouvelles formes de médias notamment la presse électronique et les blogs. • Certains avancent que les adolescents et les jeunes sont pris en otage entre les scènes de violence transmises par les médias d’une part, et une image de ces jeunes souvent ternie et dévalorisante, d’autre part. Ces deux aspects méritent d’être confirmés ou infirmés par une analyse objective dont les résultats seront pris en considération dans tous les efforts ciblant l’amélioration de la vision de la jeunesse actuelle. 1.1 - Référentiel Les documents de référence pour l’étude/consultation sont : • la Convention des droits de l’enfant : CDE ; • le programme d’action mondial pour la Jeunesse à l’horizon 2000 et au-delà ; • les lignes directrices des Nations Unies en général et de l’UNICEF en particulier sur l’éthique à respecter dans les reportages impliquant des enfants et des jeunes ; • les lignes directrices et les principes de la Fédération internationale des journalistes applicables aux reportages sur des problèmes dans lesquels des enfants sont impliqués ; • les guidelines de l’UNICEF pour la photographie « UNICEF photography guidelines » ; • the Journalist’s Hand book (auteur: Kim Fletcher) ; • le document de travail « Adolescents et jeunes » - Nations Unies, Tunisie 2007; • la documentation relative à la législation tunisienne en la matière ; 12 • le Plan d’action national pour l’enfant/famille 2007-2011; • les consultations nationales sur la jeunesse (rapports officiels, forums…). Cette étude/analyse repose essentiellement sur les thèmes et/ou les aspects phares suivants : l’image des enfants, adolescents et jeunes relatée par les médias, la promotion des droits de l’enfant et notamment la participation, le degré de respect de ces droits dans les productions médiatiques étudiées… 1.2 - Objectif global L’UNICEF considère que les médias peuvent contribuer directement à la réalisation des droits de l'enfant, du jeune et de l’adolescent en sollicitant leurs avis et en traitant l'actualité de leurs points de vue, renforçant ainsi leurs capacités à participer activement aux événements qui influent sur leur vie. En même temps, les médias ont la responsabilité de protéger les enfants, les adolescents et les jeunes en s'abstenant de présenter des stéréotypes et des reportages à sensation. L’objectif de cette étude est donc d’avoir une vue d’ensemble sur les représentations de l’enfant, de l’adolescent et du jeune dans les médias tunisiens et d’apprécier l’évolution de ces représentations durant les dix dernières années en mettant en lumière : • D’une part, les discours croisés des médias sur les jeunes et des jeunes sur les médias ; • D’autre part, le degré et les formes de participation des jeunes dans l’élaboration et la diffusion des divers produits médiatiques. 1.3 - Objectifs spécifiques • Etablir le profil des thèmes liés à l’enfance, l’adolescence et la jeunesse. • Déterminer le mode de traitement de ces thèmes (analyse de contenu). • Déterminer l’image de l’enfance, l’adolescence et la jeunesse à travers les médias tunisiens. • Déterminer éventuellement la participation et l’implication des EAJ dans ces mêmes médias. 13 2 - Revue des textes de référence sur la relation enfants/adolescents/jeunes et médias 2.1 - La Convention des droits de l’enfant (CDE) Adoptée par les Nations Unies en novembre 1989, la CDE comporte plusieurs dispositions relatives à la liberté d’expression des enfants/adolescents et à leur relation avec les médias. C’est ainsi que les articles 12 et 13 engagent les Etats parties à garantir la liberté d’expression des enfants et des adolescents. Ce qui implique notamment leur droit d’accès aux médias, plus particulièrement aux médias du secteur public. La responsabilité des médias est reconnue par l’article 17 de la Convention, qui stipule que les Etats parties « veillent à ce que l'enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses ». Cet article détaille ainsi les obligations des Etats en la matière. Les Etats parties : a) encouragent les médias à diffuser une information et des matériels qui présentent une utilité sociale et culturelle pour l'enfant et répondent à l'esprit de l'article 29 ; b) encouragent la coopération internationale en vue de produire, d'échanger et de diffuser une information et des matériels de ce type provenant de différentes sources culturelles, nationales et internationales ; c) encouragent la production et la diffusion de livres pour enfants; d)encouragent les médias à tenir particulièrement compte des besoins linguistiques des enfants autochtones ou appartenant à un groupe minoritaire ; e) favorisent l'élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger l'enfant contre l'information et les matériels qui nuisent à son bien-être, compte tenu des dispositions des articles 13 et 18. 14 La formulation de cet article témoigne de l’extrême prudence des auteurs de la Déclaration qui se gardent de toute injonction directe à l’endroit des médias par souci d’éviter tout conflit avec le principe de liberté de la presse. 2.2 - La Fédération internationale des journalistes (FIJ) : lignes directrices et principes liés au reportage sur des questions relatives aux enfants Ces lignes directrices ont été adoptées par des organisations de journalistes de 70 pays réunis à la première Conférence consultative internationale mondiale sur les droits de l'enfant et les médias, réunie à l’initiative de la FIJ à Récife, Brésil, le 2 mai 1998. Elles proclament en introduction une règle de conduite essentielle : « Les organisations médiatiques devraient considérer toute violation des droits de l'enfant et tous problèmes relatifs à la sécurité, au bien-être, à l'éducation, à la santé et à la protection sociale, ainsi que toutes formes d'exploitation de ceux-ci comme des questions importantes, qui devront faire l'objet d'enquêtes et d'un débat public.» Les onze directives qui en découlent tendent à faire respecter dans les médias les droits de l’enfant à la protection, au respect de sa dignité et à la participation. 2.3 - Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) Ces Principes ont été adoptés et proclamés par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 45/112 du 14 décembre 1990. S’agissant du rôle des médias dans un domaine aussi grave que la prévention de la délinquance juvénile, traité dans le paragraphe D, ces principes de Riyad sont particulièrement utiles. Leur intérêt réside notamment dans le fait qu’ils portent sur les jeunes, catégorie particulièrement vulnérable à l’influence des médias, surtout chez les jeunes en rupture avec leur environnement familial et/ou scolaire. En résumé, ces principes visent à : •Encourager les médias à mettre en relief le rôle positif des jeunes dans la société ; •Inciter les médias en général, et la télévision et le cinéma, en particulier, à faire le moins de place possible à la pornographie, à la drogue et à la violence, à présenter la violence et l’exploitation sous un jour défavorable. 15 Par ailleurs, les médias sont appelés à prendre conscience « de l’importance de leur rôle et de leurs responsabilités sur le plan social, ainsi que de l’influence qu’ils exercent par leurs messages relatifs à l’abus des drogues et de l’alcool chez les jeunes et (devraient) mettre cette influence au service de la prévention de cet abus ». Ces textes normatifs (cf. annexes) adoptés par diverses instances internationales méritent d’être connus et respectés par les professionnels des médias, dans la mesure où leur application repose sur leur adhésion volontaire. En effet, il s’agit de directives de nature déontologique qui « encouragent » et « incitent » et non pas de règles juridiques contraignantes. Pour les études et recherches comme pour la formation, l’existence de ce dispositif normatif de référence est d’une utilité évidente, dans la mesure où il permet de relever les écarts et déficits en termes de connaissances, de compétences et/ou de pratiques et d’orienter les programmes d’action. Pour la présente étude, les grilles d’analyse de contenu ainsi que les guides d’entretien des focus groupes ont été conçus et réalisés en tenant compte de ce cadre de référence. 16 3 - Panorama des médias en Tunisie 3.1 - Le paysage médiatique Le paysage médiatique tunisien offre un panorama contrasté. D’une part, il y a une multitude de titres de la presse écrite mais dont la diffusion demeure bien faible au regard du réservoir de lecteurs potentiels. D’autre part, l’offre de programmes audiovisuels demeure modeste en comparaison avec l’explosion des chaînes satellitaires arabes et étrangères captées en Tunisie. Les données suivantes relatives aux médias tunisiens ont été reproduites à partir du site web du Centre de documentation nationale1. ( couvrant les années 1998 - 2003 - 2008 - 2009 ). Ces données font état de la publication de 266 journaux et revues, dont plus de 40 sont des publications à caractère politique et d'informations générales, 40 à caractère économique et 25 à caractère culturel. Quant au nombre de journalistes professionnels, il s’est élevé à 1063 en 2007. En outre, quelque 90 correspondants permanents de la presse étrangère sont en poste à Tunis. La diffusion de la presse étrangère en Tunisie concerne des centaines de titres arabes et autres. Près de 1.100 titres, de diverses spécialités et en diverses langues, sont distribués. Le paysage audiovisuel comporte, dans le secteur public, onze chaînes : deux chaînes de télévision satellitaires, ex Tunis 7 (actuelle Tunisia1) et ex ou ex Canal 21 (actuelle Tunisia 2) et neuf stations de radio, dont quatre chaînes nationales à savoir la Radio nationale, la chaîne internationale RTCI, Radio-Jeunes et Radio Tunisie culturelle, plus cinq chaînes régionales implantées à Sfax, Monastir, Gafsa, le Kef et Tataouine. 1 - http://www.cdn.nat.tn. 17 Le paysage audiovisuel est marqué par son ouverture au secteur privé qui a été appelé à investir dans ce domaine. Ainsi ont été créées, en 2003, la station de radio Mosaïque FM, en 2005, la chaîne de télévision Hannibal TV, la station de radio Jawhara FM, Radio Zitouna pour le Saint Coran ; cette dernière a commencé à émettre en septembre 2007 et la dernière-née Nessma TV, devenue de droit tunisien depuis mars 2009. Malgré cet effort d’ouverture, le domaine des médias était la « chasse gardée » du pouvoir : des numéros de la presse étrangère étaient interdits de diffusion dès qu’un article ou même un passage rapportait ou commentait des événements en termes considérés comme préjudiciables à l’image du pays ou à sa politique. Ce paysage médiatique a pris de « nouvelles couleurs » dès la chute du régime Ben Ali le 14 janvier 2011: une dizaine de stations radio privées, de nouveaux titres de journaux (presse écrite et électronique…) ont vu le jour. Par ailleurs, les lignes éditoriales des quotidiens traditionnels ont été « rafraîchies » et actualisées pour mieux répondre aux nouvelles attentes de leurs lecteurs et garantir ainsi leur fidélité. 3.2 - Audience des médias tunisiens Il n’y a pas, en Tunisie, d’organisme public de mesure de l’audience des médias, ce sont donc des bureaux d’études privés qui s’en chargent, ce qui ne manque pas d’alimenter parfois les contestations des supports qui se sentent lésés par la sous-évaluation, réelle ou supposée, de leur audience. Audience des principales chaînes de télévision et programmes regardés en Tunisie en 2009 : D’après les mesures d’audience de juin 2009, le top 10 des Chaînes TV les plus regardées a été : exTunis 7 (actuelle Tunisia1) avec 39,9% (49,2% en mai 2009), Hannibal TV avec 18,7% (26,5% en mai), MBC4 avec 14,6% (17% en mai ), Al Jazeera avec 8,9% (7,6% en mai), Rotana Cinéma avec 6,5%, LBC avec 5,6% (11,2% en mai), MBC2 avec 4,6%, ex Canal 21 (actuelle Tunisia 2)avec 4,2%, Nessma TV avec 3,7% et enfin MBC action avec 3,7% aussi. • Le top 5 des émissions les plus regardées durant le mois de juin 2009 sur exTunis 7 sont : Andi ma nkollik avec 34,0% de taux d'audience, El Hak Maak avec 25,6%, Ahna Hakka avec 21,1%, Feuilleton Awdet Al Minyar avec 16,2% et Le journal de 20h avec 15,2%. • Le top 5 des émissions les plus regardées durant le mois de juin 2009 sur Hannibal TV sont : Al Moussamah Karim avec 34,2% de taux d'audience, Ellila Lila avec 11,3%, Hadha ana avec 6,1%, Fi Daerat Edhaou avec 6,0% et Souiaa sport avec 5,4%.. 18 0 5 10 15 20 25 30 Source : Sigma Conseil, juin 2009. Il est à signaler qu’après le 14 janvier, les chaînes de TV publiques ont changé de « look », forme et fond, pour oublier et faire oublier que durant deux décennies elles ont servi de porteparole au pouvoir en place. Ce nouveau climat a eu un effet immédiat sur le taux d’audience des chaînes tunisiennes aussi bien publiques que privées au détriment des chaînes françaises et moyen-orientales habituellement très suivies par les Tunisiens. 19 Audience de la presse écrite : Les taux d’audience des journaux pour 2009 ne sont pas disponibles (ainsi que ceux des chaînes de radio), c’est ce qui explique qu’on soit revenus vers les chiffres de 2005 en ce qui concerne l’audience des journaux. Mais si les chiffres de l’audience pour les quotidiens sont assez stables ces dernières années, ceux des hebdomadaires pour 2005 nous ont paru obsolètes et nous avons préféré ne pas les reproduire. Cette réserve s’applique également aux chaînes radio, dont les taux d’audience pour 2009 ne sont pas divulgués. 20 4 - Enfants, adolescents, jeunes et médias : analyse de la situation en Tunisie Cette étude s’inscrit dans la continuité des précédentes actions sur le même thème soutenues par l’Unicef-Tunis, dont les dernières en date sont : • L’atelier « Médias et droits de l’enfant » organisé en juillet 2005 ; • L’atelier national sur « Le rôle des médias dans la diffusion d’une culture des droits de l’enfant » ; • L’analyse de contenu de la presse écrite et la revue des programmes pour enfants radiodiffusés sur les chaînes publiques contenues dans le rapport sur le projet de stratégie de diffusion d’une culture des droits de l’enfant en janvier 2008. Quant à l’état de la situation en matière de droits des EAJ dans les médias, il peut être esquissé à partir de la documentation pertinente disponible. 4.1 - Le Rapport annuel sur la situation de la jeunesse et intitulé « Un dialogue continu et des acquis sans cesse consolidés » Ce rapport couvre la période du deuxième semestre de l'année 2007 et du premier semestre de l'année 2008. Il a été présenté au cours d'un conseil ministériel tenu le 8 octobre 2008, sous la présidence de l’ancien Chef de l'Etat. Ce rapport focalise sur l'adoption du dialogue national global avec les jeunes et sur l'organisation de la consultation nationale sur l'emploi. Quelques extraits sont reproduits ci-après, à partir de la synthèse réalisée par l’agence Tunis Afrique Presse (TAP). « …Afin de faciliter la communication sur le net, les différents établissements universitaires, les centres de recherche scientifique, les bibliothèques publiques, les espaces 21 réservés aux jeunes et à la culture, les établissements secondaires et 70 % des collèges ont été raccordés au réseau Internet. Cela a aidé à ouvrir des perspectives aux jeunes pour qu'ils tirent profit de ces moyens modernes. Dans le cadre du soutien à la diffusion de la culture numérique et en vue d'élargir le domaine des utilisations des technologies modernes, le nombre des espaces publics fournissant des services Internet a évolué pour atteindre les 1200 espaces, en plus des prestations fournies par le bus laboratoire itinérant de l'informatique qui visite les villages et les zones rurales du pays, en vue d'offrir l'opportunité aux jeunes de ces contrées d'utiliser les technologies modernes. Concernant l'information destinée aux jeunes, de larges espaces permanents sous forme de colonnes, de pages et de suppléments ont été réservés dans les journaux quotidiens et hebdomadaires et dans les publications nationales s'intéressant aux créations des jeunes. La TAP a consacré, dans le cadre de l'année du dialogue avec les jeunes, une place importante dans son site web et ses bulletins nationaux et assuré une large couverture des tribunes de dialogue locales, régionales et sectorielles en Tunisie et à l'étranger. L'agence a, par ailleurs, réservé une rubrique au dialogue avec les jeunes à travers la presse nationale. Au plan des médias audiovisuels, des sujets relatifs aux jeunes ont occupé un espace important dans les différents programmes d'information et d'animation sur les chaînes de télévision "Tunis 7", "Tunisie 21" et "Hannibal TV" ainsi que sur les radios nationales, régionales et privées. Le dialogue avec les jeunes s'inscrit dans le droit-fil de la communication avec les jeunes dans la Tunisie du Changement. Le rapport met en exergue, à ce propos, la décision de l’ancien président portant organisation d'un dialogue global avec les jeunes avec pour slogan "La Tunisie d'abord". Au cours de la période s'étalant du 22 mars au 30 juin 2008, il a été procédé à l'organisation de quelque 6 401 dialogues à l'échelle locale, auxquels ont pris part 227 452 jeunes, sans compter le grand nombre d'internautes qui ont contribué à ce dialogue à travers les 175 mille visites du site et du forum du dialogue. Les jeunes générations de Tunisiens vivant à l'étranger ont à leur tour pris part à ce dialogue à travers 380 dialogues organisés à cet effet qui ont été animés par 10 mille jeunes tunisiens établis à l'étranger. Les médias tunisiens audiovisuels et les organes de la presse écrite ont assuré une large couverture à ce dialogue avec les jeunes. L'Observatoire national de la jeunesse a, de son côté, intensifié le dialogue avec les jeunes et a été à l'écoute de leurs préoccupations et besoins. L'Observatoire accueille quotidiennement quelque 400 jeunes portant à quelque 417 225 les bénéficiaires des différents services offerts par son site web … ». Il faut rappeler que ces activités et ces programmes étaient conçus de manière à refléter le 22 « grand intérêt » qu’accordait l’ancien régime à la jeunesse dans une dernière tentative d’absorber le mécontentement de cette large frange de la société marginalisée par l’autoritarisme et l’absence de perspectives d’avenir dans le contexte économique de plus en plus difficile et des inégalités insupportables. 4.2 - Adolescents et Jeunes en Tunisie : Données et défis, document de travail élaboré par le Système des Nations Unies en Tunisie en 2007 Ce rapport contient un chapitre sur les pratiques culturelles des adolescents et des jeunes en Tunisie, notamment leurs pratiques médiatiques. En voici quelques éléments, même si certains chiffres relatifs à l’accès aux TIC sont manifestement dépassés. La télévision occupe la première place en tant que source de consommation culturelle pour les jeunes, qui fréquentent rarement les espaces culturels et les associations et n’accordent qu’un très faible intérêt pour les produits culturels tels que le théâtre, le cinéma et les concerts. Par contre, la pratique de l’Internet s’est considérablement répandue auprès des jeunes, même si les écarts entre régions et entre catégories socioprofessionnelles demeurent énormes. Graphique n ° 1 : Préférences d’activités des jeunes relatives au temps libre Source : D’après les résultats de la Consultation nationale des jeunes, 2000 Informatique et internet Danse Voyages à l'étranger jeux éducatifs Excursion à l'intérieur du pays Diverses activités Travailler Faire ses devoirs Faire des travaux manuels Lire un livre Pratiquer du sport Ecouter la musique Rencontrer les amis Regarder la télévision 23 L’appréciation des médias tunisiens par les jeunes révèle un taux élevé d’insatisfaction. Cela concerne en particulier la télévision et les magazines. Par contre, la radio et les sites Internet sont mieux appréciés. Les graphiques suivants illustrent les niveaux de satisfaction des médias tunisiens auprès des jeunes. Graphique n ° 2 : Appréciation des médias tunisiens par les jeunes (score global) Graphique n °3 : Appréciation des médias tunisiens par les jeunes (échelle de 1 à 10) Source : D’après les résultats de l’Étude exploratoire sur l’attitude des jeunes de 18 à 25 ans vis-à-vis des médias, Madwatch.net, Unicef, 2004 @@ @@@@@ @@ @@ @@ @@ @ @@ @@ @@ @ @@ @@ @@ @@@@ @@ @@ @@ @@ @ @@ @@@@ @ @@ @@ @ @@ @@ @@ @@ @@ @@ @@ @@ @@ @@ @@ @ @@ @ @@@ @@@ @@ Quant à l’accès des adolescents et des jeunes à la culture numérique, le document reprend les résultats du recensement général de la population et de l’habitat de 2004, qui montrent d’une part un niveau insuffisant quant à l’accès aux TIC et d’autre part des disparités régionales importantes. En effet, le taux d’équipement des ménages en ordinateur demeure en deçà de 7% et le taux d’utilisateurs de l’Internet inférieur à 3%. Certains gouvernorats comme Sidi Bouzid, Kasserine, Kairouan, Siliana, Jendouba, Béja et Kef présentent des ratios particulièrement faibles. Mais ces déficits numériques sont en grande partie compensés par les taux élevés d’équipement et de connexion Internet des lycées, collèges, écoles, maisons de jeunes et de la culture et autres clubs ou associations relevant des collectivités locales. Ce qui permet à nombre d’adolescents et de jeunes d’accéder gratuitement à l’usage des TIC, notamment aux différentes applications d’Internet. 24 5 - Méthodologie La présente étude nécessitera un usage combiné de techniques de recherche diverses : l’analyse documentaire, l’analyse de contenu, le focus groupe, l’atelier, l’entretien ainsi que l’observation (participante et/ou non participante). Cette étude tiendra compte autant que possible de l’approche basée sur les droits de l’homme (HRBA) et sera guidée dans toutes ses phases par les principes et les standards des droits humains. Cette approche (HRBA) permet d’appréhender les médias tunisiens en tant qu’ « obligataires » dans la mise en œuvre des droits des enfants au respect et à la protection. Sera pris en compte également leur rôle de « titulaires de droits » vis-à-vis d’autres niveaux de responsabilité. A partir des estimations des « écarts de capacité », tant des enfants que des médias, on pourra dégager des recommandations et des propositions pour des programmes qui visent à renforcer les capacités. Une telle approche multidimensionnelle permettra de : • Poser le cadre de référence dans lequel s’inscrit la problématique « EAJ et médias » en exposant notamment les normes internationales en matière de reportages journalistiques sur les enfants ; • Situer l’analyse dans le temps, la perspective diachronique permettant de mesurer l’évolution engendrée notamment par la mutation des contenus et des pratiques médiatiques ; • Mettre à profit l’analyse de contenu (quantitative et qualitative) pour identifier les caractéristiques des discours médiatiques sur les EAJ et évaluer le degré de participation/implication de ces derniers dans la production et la diffusion de contenus médiatiques ; • Compléter l’analyse de contenu par une recherche qualitative alimentée par des focus groupes (particulièrement avec des enfants, adolescents et jeunes) et par l’observation ; 25 • Procéder à un état des lieux de la relation enfants, adolescents, jeunes et médias. Dans ce cadre, l’étude se veut principalement exploratoire et descriptive. Elle s’inscrit, néanmoins, dans la problématique générale du rôle des médias dans la réalisation des droits des enfants, des adolescents et des jeunes ; • Centrer l’analyse sur deux droits essentiels prévus et garantis par la CDE : - le droit à la participation et à l’expression ; - le droit à la dignité. • S’inspirer de l’approche guidée par les droits dans la conception et la réalisation de l’étude ; • Veiller à la conformité de l’étude avec le Plan Cadre des Nations Unies pour l’Aide au développement, Tunisie 2007-2011. 5.1 - Analyse de la presse écrite •Analyse de contenu des rubriques : actualités nationales, culture et faits divers. Objectif : Procéder à une analyse diachronique permettant de jeter un éclairage actuel et rétrospectif sur les caractéristiques des messages et l’évolution des discours médiatiques relatifs aux jeunes en vue de : • Mesurer et d’analyser la présence des thèmes liés à l’enfance, à l’adolescence et à la jeunesse dans des quotidiens nationaux. Ce qui implique le recensement et le classement des unités rédactionnelles du corpus de l’étude par thème principal, en vue d’une analyse comparative entre les journaux, les thèmes et les périodes ; • Identifier le degré de participation des jeunes dans les contenus rédactionnels des journaux de l’échantillon. Cette identification se fera sur des indicateurs conçus à cet effet et inspirés des recommandations de l’UNICEF en matière de participation. Ces indicateurs englobent les dimensions d’accès, de revendication, de contestation, de liberté d’expression, d’entrave à la participation, ainsi que les dimensions de leadership, de représentativité dans les niveaux de direction et la capacité d’accès à la décision dans les structures médiatiques ; • Examiner le degré d’implication des médias en matière de diffusion et de respect des droits de l’enfant. Cela se fera sur la base d’une analyse des genres journalistiques et d’autres indicateurs inspirés des principes et des standards des droits de l’homme. Ce qui englobe le sponsoring, le plaidoyer direct, le parrainage d’actions ou de projets, les éditions spéciales, le cofinancement d’activités, des concours et des prix décernés. • Identifier les traits dominants qui caractérisent la représentation des enfants et des jeunes dans les quotidiens (stéréotypes, discours, attitudes …). 26 Echantillon : Assabah, La Presse, Echourouq, Le temps, Al Horriya, Le Renouveau. Soit 3 quotidiens arabophones et 3 quotidiens francophones Période : Octobre - novembre ; années : 2008, 2003 (uniquement La Presse et Echourouq ) et 1998 •Analyse de la presse hebdomadaire Objectif : Compléter l’étude des quotidiens « établis » par une analyse des articles et reportages publiés par les titres à large audience populaire et connus pour leur faible degré de professionnalisme et leurs fréquents « dérapages » déontologiques. Echantillon : Un ensemble de reportages et de photos d’enfants à partir des titres suivants : Assabah Al ousboui, Al Ousbou Al Moussawar, Akhbar Al Joumhouriya. •Analyse de contenu du Supplément « La Presse Jeunes » Objectif : Recueillir et analyser les témoignages des jeunes rédacteurs sur leur pratique du journalisme et sur les contraintes liées à l’accès à l’expression médiatique des jeunes. Echantillon : Quelques éditions de La Presse Jeunes et un focus groupe avec sa jeune équipe de rédacteurs amateurs. 5.2 - Analyse de l’image et de la participation des enfants, adolescents et jeunes dans l’audiovisuel Objectif : Analyser, en complément de l’étude de la presse écrite, un échantillon de la production nationale audiovisuelle afin de le croiser avec les discours des EAJ qui se sont exprimés dans les focus groupes et des scénaristes et critiques de télévision qui ont pris part à l’atelier consacré à l’audiovisuel. Echantillon : Un ensemble de programmes d’animation et de fiction diffusés par la chaîne publique ex TV7 et les chaînes privées Mosaïque FM et Hannibal TV. 27 5.3 - Les enfants, adolescents et jeunes face aux médias : adhésions, résistances et rejets Objectif : Recueillir par une démarche réflexive le point de vue des enfants, des adolescents et des jeunes sur leur propre image dans les médias ainsi que leurs propositions censées renforcer et améliorer la relation enfants, jeunes et médias. Participants : Plusieurs groupes d’enfants et de jeunes des deux sexes choisis parmi les jeunes, scolarisés ou non, encadrés ou non, de la région de Tunis. Les groupes « enfants/adolescents » sont sélectionnés dans la catégorie d’âge 12 -18 ans Les groupes « jeunes » le sont dans la catégorie 19 - 24 ans. 5.4 - Ateliers avec les professionnels des médias Atelier 1 : Opportunités et contraintes liées aux reportages sur les enfants et les jeunes Objectif : Appréhender le discours des journalistes à propos des thèmes de l’enfance et de la jeunesse en tant que sujets journalistiques (facteurs favorisants vs facteurs décourageants …) et recueillir leurs recommandations en vue d’une meilleure visibilité de l’enfance et de la jeunesse dans les contenus médiatiques. Participants : Une douzaine de journalistes de la presse écrite et de l’agence TAP, choisis parmi les chefs de service et les rédacteurs d’expérience appartenant aux services «actualité nationale », « culture » et « faits divers ». Prérequis : Quelques tableaux extraits des résultats (globaux) de l’analyse de contenu des quotidiens et pouvant éclairer la discussion. La fiche technique de cet atelier est établie à la lumière des premiers résultats de l’analyse de contenu des journaux de l’échantillon. Atelier 2 : La représentation des enfants, adolescents et jeunes dans les fictions tunisiennes Objectif : Identifier et analyser la représentation des EAJ véhiculée par les personnages des «sitcom » ramadanesques les plus populaires. 28 Participants : Scénaristes des deux feuilletons TV les plus regardés lors du dernier Ramadhan : Choufli Hall et Maktoub en présence d’un panel de journalistes (dont des critiques TV) et de quelques réalisateurs justifiant d’une expérience dans le traitement des problématiques de l’enfance et de la jeunesse. 5.5 - Analyse qualitative d’un échantillon de programmes audiovisuels Objectif : Evaluer le degré et la qualité de la participation des enfants, adolescents et jeunes aux programmes et émissions sélectionnés en fonction de leur proximité thématique avec les EAJ ; accessoirement, examiner la conformité de la matière diffusée aux normes relatives au traitement médiatique des questions impliquant les enfants et les jeunes. Echantillon : Une émission phare par chaîne identifiée à partir de l’étude de la grille des programmes de Hannibal TV et de Mosaïque FM en vue de l’analyser sur la base d’un échantillon des émissions diffusées récemment. 29 Chapitre 1 Analyse de la presse quotidienne Dans le cadre de la présente étude, il s’agit de déterminer l’image des enfants, des adolescents et des jeunes véhiculées par les médias, la promotion de leurs droits et notamment la participation, le degré de respect de ces droits (considération de l’éthique/ du genre/du respect des personnes) dans les productions médiatiques. L’approche méthodologique adoptée repose sur le traitement d’une problématique de recherche portant sur deux axes définis dans les questions suivantes: 1. Dans quelle mesure le discours journalistique permet-il de rendre compte de la pluralité et de la complexité de la réalité sociale relative à l’enfance, l’adolescence et la jeunesse ? 2. Dans quelle mesure le travail journalistique participe-t-il à la promotion des droits des enfants et des jeunes et à leur implication dans la prise de décision ? Pour répondre à ces deux questions de la problématique, le choix s’est porté sur une démarche pluridisciplinaire qui considère l’écriture journalistique comme un système d’interdépendances (Éric Neveu, 2004) où s’imbriquent rapport aux sources, « je » énonciateur et cadrage idéologique (Jean-Pierre Esquenazi, 2003). Cette démarche se propose de considérer le discours journalistique relatif aux thèmes de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse comme le résultat d’une articulation entre : • les routines professionnelles faites de contraintes et de savoir-faire propres au monde journalistique ; • la posture journalistique par rapport aux représentations sociales de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse. • la question des droits de l’enfant envisagée autour de deux grands axes : - le droit à la dignité : y compris la préservation de la vie privée et la non 30 discrimination ; - le droit à la participation : le droit d’avoir sa propre opinion, l’expression de cette opinion et l’accès à l’information. La démarche pluridisciplinaire emprunte à l’analyse de contenu le souci de la délimitation précise des objets de recherche et des corpus étudiés et son souci de dégager à partir des valeurs statistiques les grandes orientations éditoriales (Cf. Jean de Bonneville, 2006) et aux approches qualitatives leur souci de restituer les messages journalistiques dans le contexte de leur production et la construction réelle ou supposée de leur réception (Umberto Eco, 1979). L’analyse de contenu a ainsi permis : • De délimiter d’abord une période : les mois d’octobre et de novembre qui recèlent une actualité relativement dense par rapport à la thématique de l’enfance et de la jeunesse (la rentrée scolaire, le mois de protection de l’enfance et pour les années 1998 et 2008 une campagne pour l’emploi des diplômés et la médiatisation des résultats de la consultation nationale des jeunes) ; • D’établir des critères précis pour le choix des unités rédactionnelles constitutives du corpus: La notion d’unité rédactionnelle semble plus précise que celle d’article dans la mesure où elle tient compte des différentes configurations des formats rédactionnels et illustratifs. Ainsi, les illustrations ont été comptabilisées en tant qu’unités indépendantes quand elles ne sont pas intégrées dans un article comme c’est le cas de certaines caricatures ou certaines photos accompagnées de leurs seules légendes. En revanche, un article accompagné de plusieurs illustrations a été comptabilisé comme une seule unité rédactionnelle. Enfin, un long article suivi d’un encadré sur le même sujet a été considéré comme deux unités rédactionnelles. Pour l’ensemble du corpus, les unités rédactionnelles sélectionnées sont celles qui ont été publiées dans les pages d’actualité nationale (politique, société, culture) à l’exclusion des pages consacrées à l’actualité internationale, économique et sportive. A l’intérieur des rubriques retenues, le choix des unités rédactionnelles a été réalisé sur la base des unités lexicales relatives à l’enfance, à l’adolescence et à la jeunesse. Ainsi, les articles traitant des sujets qui peuvent concerner les enfants et /ou les jeunes (la réforme du système scolaire, l’enseignement à distance… à titre d’exemples) et qui ne font aucune référence à ces groupes, n’ont pas été retenus. Bernard Berelson définit l’analyse de contenu comme étant « une technique de recherche servant à la description objective, systématique et quantitative des contenus manifestes des 31 communications… »2 Au-delà de son utilité pour la constitution rigoureuse du corpus, cette approche méthodologique présente des limites relevées par ses adeptes les plus récents. Ainsi, le Canadien Jean de Bonneville (2006 : 346) reconnaît que : « souvent l’analyse de contenu ne vise pas la recherche des causes. Un certain type d’hypothèses, à savoir les hypothèses dont toutes les variables sont intrinsèques3, ont des visées essentiellement descriptives. Le chercheur s’y livre à une vérification d’hypothèses qui concernent le caractère des messages eux-mêmes et non leur relation avec le contexte de leur production ». Plutôt que de construire des catégories prédéfinies qui aboutissent le plus souvent à reproduire les représentations journalistiques voire le sens commun relatif à l’objet d’étude, il a été décidé d’opter pour une grille d’analyse qui croise la variable « unité rédactionnelle » avec les items suivants : • La source : pour déterminer le rôle des journalistes dans la production des faits d’actualité; • Le(s) sujet(s) de l’article : pour déterminer les grandes tendances dans les thématiques retenues ainsi qu’une interrogation sur celles qui n’ont pas été ou peu traitées par les différents titres; • Le genre journalistique : pour déterminer la fréquence des travaux de terrain, des articles d’opinion et des comptes-rendus; • L’(es) illustration(s) et leurs rapports aux sujets traités ; • La distribution des unités rédactionnelles en fonction des sous-catégories enfance, adolescence et jeunesse. . L’analyse de cette grille sera éclairée par les propos des journalistes recueillis lors de l’atelier du 10 avril 2008 qui a réuni une dizaine de rédacteurs. L’approche est socio - discursive dans la mesure où elle prend le langage comme point de départ pour s’intéresser aux acteurs et aux champs sociaux liés à sa production. L’objectif étant de dépasser la description -sans la négliger- pour comprendre les différentes variables y compris sousjacentes qui fondent les représentations journalistiques de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse. 1.1. - Présentation de l’échantillon L’analyse de la presse quotidienne a porté sur six titres (en cours au moment de l’étude) : Assabah, Le Temps, Achourouk, La Presse, Le Renouveau et Al Horriya. Le choix de ces titres a été en partie dicté par leur disponibilité pendant les dix années que couvre l’étude : 2.Berelson Bernard, 1952, Content analysis in communication research, cité par Bonneville 2006 : 9. 3.L’auteur définit les variables intrinsèques comme étant des variables relatives au type de média, sa langue, son statut juridique, ses ressources financières… (Bonneville, 2006 : 63). 32 1998-2008. En fait, neuf quotidiens peuvent être dénombrés à cette période, deux d’entre eux n’existaient pas en 1998 : Le Quotidien et Assarih qui est passé d’une édition hebdomadaire à une édition quotidienne. Essahafa qui existait déjà en 1998 n’a pas été retenu. C’est donc sur la base de ces trois quotidiens arabophones et trois autres francophones que s’est faite l’analyse. Trois de ces titres appartiennent à deux groupes privés (Assabah et Le Temps qui ont appartenu jusqu’en mars 2009 à la famille Cheikhrouhou et qui ont été cédés depuis au groupe Matri (quotidiens soumis au contrôle d’un administrateur judiciaire depuis le 14 janvier 2011). Achourouk est édité par le groupe Al Anouar qui dispose aussi du Quotidien et des deux hebdomadaires Al Anouar et Al Osbou Al Moussawar. La Presse est depuis 1967 un quotidien gouvernemental. Le Renouveau et Al Horriya sont les organes du Rassemblement Constitutionnel Démocrate (RCD), ex parti au pouvoir. La publication de ces deux quotidiens s’est arrêtée après la révolution du 14 janvier. Sur la base des premiers résultats des années 1998 et 2008, le choix s’est porté pour l’année 2003 sur deux quotidiens considérés comme représentatifs des grandes tendances éditoriales de l’ensemble de la presse écrite : Achourouk pour les journaux privés et La Presse pour les titres gouvernementaux. Pour ces trois années, 1998 - 2003 - 2008, les mois d’octobre et de novembre ont servi de supports à l’étude aussi bien des quotidiens qu’à celle des hebdomadaires. 1.2. - L’évolution générale des unités rédactionnelles Pour l’ensemble du corpus de la presse quotidienne, 2315 unités rédactionnelles ont été réunies : 496 pour l’année 1998, 1488 pour l’année 2008 et 331 pour l’année 2003 (Achourouk et La Presse). Graphique n ° 1 : Nombre d’unités rédactionnelles (U.R.) par quotidien 33 L’examen du graphique n°1 montre deux types de variations : • La première est celle de l’augmentation générale du nombre des unités rédactionnelles consacrées aux EAJ ; • La seconde est que cette augmentation n’est pas harmonieuse. Alors que les titres gouvernementaux semblent suivre une évolution lente, avec un léger recul pour le journal La Presse entre 1998 et 2003, l’évolution de la presse privée est exponentielle particulièrement pour les deux titres arabophones : Assabah, qui arrivait déjà en tête de classement en 1998, a multiplié par 4.5 le nombre des unités consacrées au sujet de notre étude, passant ainsi de 111 à 467 unités, suivi par Achourouk qui passe de 50 à 387 unités. Ce dernier titre enregistre la progression la plus forte puisque le nombre de ces unités a été multiplié par 7.5. Le Temps qui arrive en troisième position pour l’année 2008, passe de 51 à 181 unités soit une multiplication par 3.5. Cependant, la ligne de partage qui sépare les quotidiens privés des autres titres tient à une seule variable : celle de la montée en puissance des faits divers comme un choix éditorial dominant pour traiter des problèmes de société et plus particulièrement ceux relatifs aux EAJ. Cette tendance met la presse quotidienne privée et la presse hebdomadaire au diapason dans la mesure où l’une comme l’autre sont mues par des logiques de captation des audiences et des annonceurs. (Cf. Analyse de la presse hebdomadaire). Tableau n°1 : Total des unités rédactionnelles (TUR) /faits divers (FD) Assabah Achourouk Le temps La Presse Le Renouveau Al Horriya TOTAL TUR FD TUR FD TUR FD TUR FD TUR FD TUR FD TUR FD 1998 111 4 50 1 51 0 102 0 82 0 100 7 496 12 2003 _ _ 235 146 _ _ 97 0 _ _ _ _ 2008 467 334 387 240 181 82 140 0 155 0 158 0 1488 656 L’examen des faits divers sera repris plus en détail dans la section consacrée à l’analyse qualitative des représentations, mais dès à présent nous pouvons remarquer que l’augmentation exponentielle de leur nombre constitue le résultat le plus saillant de l’étude. Les titres appartenant juridiquement à l’État et à l’ex parti au pouvoir occultent totalement la couverture des faits divers, alors que les quotidiens privés semblent se démarquer progressivement d’une injonction gouvernementale datant de 1993 qui a sommé l’ensemble des médias à réduire l’espace rédactionnel réservé aux crimes et délits. Alors que les faits divers étaient quasiment inexistants en 1998 (4 unités pour Assabah, une pour Achourouk et 7 pour Al Horriya), les résultats partiels de 2003 confirment un renversement de tendance porté par l’ancrage des quotidiens privés dans des logiques économiques. Le nombre des unités publiées en 2003 dans les pages «faits divers» 34 d’Achourouk représentent plus de 60 % du nombre total des unités consacrées aux EAJ. En 2008, ce taux augmente légèrement pour se situer à 62 %. Au cours de cette même année Assabah est à 71.5 % alors que Le Temps est à 45%. La non-prise en compte des articles appartenant à la catégorie faits divers atténue sensiblement l’évolution générale constatée. Comme le montre le graphique n° 2, c’est Achourouk qui enregistre l’augmentation la plus importante (+ 200 %) entre 1998 et 2008, suivi des deux quotidiens du RCD (+ 41 % pour Al Horriya et + 47 % pour Le Renouveau). La Presse (+ 30 %) devance les deux quotidiens du groupe Assabah qui enregistrent les taux de progression les plus faibles (près de + 20 % pour les deux titres). Graphique n ° 2 : Évolution des unités rédactionnelles sans les faits divers. Un premier élément d’explication de cette évolution peut être trouvé dans le contexte médiatique et politique des années étudiées. Pour l’année 1998, une campagne pour le recrutement des jeunes diplômés du supérieur a été décidée au sommet de l’État lors d’un conseil ministériel restreint à la fin du mois d’août. Les mois d’octobre et de novembre ont enregistré une intense mobilisation politique, administrative et médiatique sur cette question. Dix ans plus tard, l’actualité politique relative à la jeunesse occupe encore une fois le devant de la scène puisque l’année 2008 a été désignée comme « l’année du dialogue avec les jeunes ». Les mois d’octobre et de novembre ont été marqués par la mobilisation du RCD (ex-parti au pouvoir), du gouvernement et d’une manière générale de toutes les structures de l’État à l’occasion de la signature le 7 novembre 2008 du Pacte de la jeunesse tunisienne. L’année 2003 n’a pas été marquée par des événements politiques de cet ordre. Les résultats partiels de 2003 confirment ainsi l’hypothèse d’un positionnement sensiblement 35 différent entre les titres vis-à-vis de l’agenda politique. La légère baisse enregistrée par La Presse par rapport à 1998 contraste avec l’augmentation considérable (78%) enregistrée par Achourouk au cours de la même période. Autrement dit, si l’évolution du nombre des unités rédactionnelles dans les quotidiens étatiques semble dépendre uniquement de l’actualité politique et administrative relative aux EAJ, celle des quotidiens privés associe ce facteur à d’autres facteurs en rapport avec la recherche de formes de proximité avec les lecteurs. Ainsi, l’évolution générale du nombre des unités rédactionnelles entre 1998 et 2008 est marquée par : • La montée exponentielle de la couverture des faits divers par les quotidiens privés ; • Un agenda politique de forte mobilisation autour de la question de la jeunesse. 1.3. - Les signatures : Qui écrit sur les enfants, les adolescents et les jeunes ? L’introduction de la variable signature des unités rédactionnelles avait pour objectif la vérification de deux hypothèses de départ. La première consiste à déterminer le rapport genre (Gender) dans la production journalistique sur le sujet de notre étude. La seconde concerne le degré d’investissement de chacun des titres dans la construction/reproduction des faits d’actualité en rapport avec la thématique, étant donné que la catégorie « non signé » regroupe toutes les unités ne portant aucune mention relative à l’origine de l’article ni à son rédacteur et que la catégorie « autre » regroupe les dépêches de la TAP, les communiqués, le texte intégral des discours/conférences ainsi que les articles signés par des initiales ou par des collaborateurs externes. Tableau n° 2 : Les signatures des unités rédactionnelles (sans les faits divers) 36 Le temps Assıbah Achourouk La Presse 98 03 08 98 03 08 98 03 08 98 03 08 98 03 08 98 03 08 21 27 11 9 Le Renouveau Al Horriya Rédactrice 12 13 31 50 4 30 4 38 4 34 Rédacteur 16 20 46 50 28 37 42 22 18 25 42 19 54 35 Non Signé 17 35 8 7 1 15 34 51 58 75 27 27 27 70 Autre 6 31 22 26 16 16 44 18 12 10 09 71 8 19 Total 51 99 107 133 49 86 147 102 97 140 83 155 93 158 Graphique n°3 : Nombre total des signatures La comparaison entre les résultats généraux des années 1998 et 2008 montre une féminisation progressive de l’écriture journalistique sur les EAJ et la stabilité du taux des unités non signées. Mais ces tendances générales cachent des disparités entre les titres. Graphique n°4 : Répartition des signatures par quotidiens 37 La répartition des signatures sur les six quotidiens confirme l’hypothèse de la féminisation. A l’exception du Temps, les rédacteurs des unités consacrées aux EAJ étaient plus nombreux en 1998 que les rédactrices, avec des écarts très marqués pour Achourouk et les deux quotidiens de RCD. En 2008, cette tendance est inversée dans la mesure où seul Achourouk conserve la disparité rédacteurs/rédactrices mais avec des écarts plus faibles. La progression la plus importante au cours de la période étudiée a été réalisée par Le Renouveau qui a multiplié par 9.5 le nombre des unités rédigées par les rédactrices. Au-delà de ces premiers constats, l’analyse statistique donne peu d’indications sociologiques sur le statut des journalistes femmes (pigistes, contractuelles, permanentes, collaboratrices occasionnelles (freelance)…) et le pouvoir dont elles disposent par rapport à leurs confrères masculins au sein des rédactions. Le focus group qui a réuni une quinzaine de rédacteurs plus ou moins spécialistes des questions relatives aux EAJ montre que les rédactrices sont plus nombreuses à choisir ou à être désignées pour les travaux de terrain que les rédacteurs. La sociologie des journalistes a démontré qu’au-delà du mythe du reporter, la hiérarchie professionnelle valorise moins les travaux de terrain que ceux des éditorialistes et des analystes politiques et économiques (Accardo et al.1995). Par ailleurs, la prise en compte des faits divers change la répartition gender de l’ensemble des unités rédactionnelles, du moins pour les trois quotidiens privés, dans la mesure où l’écrasante majorité des auteurs sont des hommes, à l’exception d’Assabah qui compte pour l’année 2008 une seule correspondante judiciaire. Pour la catégorie « non signé », c’est La Presse qui se distingue des autres titres avec le maintien du taux des unités non signées autour de 50 % du nombre total des unités aussi bien pour les années 1998 et 2003 que pour l’année 2008. Il s’agit dans la plupart des cas de dépêches de l’agence TAP reproduites intégralement sans aucune référence à la source initiale. La progression de la catégorie « autre » ne concerne pas l’ensemble de la presse quotidienne mais plus particulièrement Achourouk et Le Renouveau. Cependant, ces deux titres adoptent des choix éditoriaux différents. Pour Le Renouveau, les unités appartenant à cette catégorie sont en majorité des dépêches de l’agence TAP portant la mention de leur source. Pour Achourouk , ces mêmes dépêches sont relativement moins fréquentes (16 sur 44 unités) que les contributions de « lecteurs » ou de collaborateurs externes plus ou moins réguliers. Ainsi, la répartition des unités rédactionnelles selon leurs signatures montre : • Une progression des contributions féminines inégalement réparties entre les différents titres ; • Une disproportion entre les unités produites par les rédactions et celles empruntées à d’autres sources. 38 1.4. - L’intérêt des quotidiens pour les différentes catégories d’âge La distinction entre les catégories enfants, adolescents et jeunes n’a pas été facile à réaliser dans la mesure où les classifications journalistiques correspondent peu à celles des démographes ou celles des sociologues4 . La catégorie « jeunes » obéit ainsi à une définition extensive qui prend son point de départ à l’adolescence et qui peut se prolonger au-delà de la quarantaine « Public cible : les jeunes jusqu’à 42 ans qualifiés, appartenant à des familles défavorisées… » (Le Temps du 12/10/98 p.3). Comme cela a été constaté pour l’analyse de la presse hebdomadaire, la presse quotidienne éprouve la même difficulté à désigner les adolescents en tant que tels. Ils sont associés soit à l’enfance : « les enfants fumeurs » alors que le sujet est consacré à la première cigarette (entre 15 et 19 ans), « les petites filles qui se maquillent » pour désigner les adolescentes, soit à la jeunesse : « une jeune mineure », « les jeunes lycéens ». Cette difficulté de l’énonciation journalistique à mettre en mots l’adolescence est certainement singulière car elle procède souvent par des métaphores : « enfants fumeurs », « rapt de l’enfance »… Elle est en même temps sociologique dans la mesure où l’évolution de la société tunisienne a contribué à la « cristallisation de l’adolescence comme classe d’âge particulière révélatrice des tensions et des mutations de [cette] société ». (Mahfoudh et Milliti, 2006) Par ailleurs, certaines unités rédactionnelles traitent des EAJ séparément, d’autres associent nommément dans le même article deux ou l’ensemble de ces catégories. « A l’occasion du 21ème anniversaire du changement (entendre celui du 7novembre 1987 fêté chaque année sous l’ancien régime) et dans le cadre de l’année du dialogue avec les jeunes : une visite exceptionnelle des enfants du gouvernorat de Gafsa à la ville française de Grenoble. » (Al Horriya 15/11/08 p16 et 17) Ces représentations extensives des différentes catégories d’âge peuvent expliquer l’écart observé entre le nombre des unités rédactionnelles et le nombre total des occurrences des catégories d’âge. En effet, tel qu’il figure dans le graphique n° 5 le nombre des occurrences relatives à la thématique étudiée est largement supérieur à celui des unités rédactionnelles constitutives du corpus. Une seconde explication de l’inégalité entre les trois classes d’âge peut être trouvée dans la forte imbrication des deux agendas institutionnel et journalistique qui mettent l’accent sur les politiques publiques destinées aux jeunes au détriment des initiatives qui concernent les enfants et les adolescents. 4 - Les recherches sociologiques les plus récentes reconnaissent la difficulté à délimiter avec précision les contours de la notion de jeunesse « qui est aujourd’hui, dans la vie des acteurs sociaux, une période de transition aux contours flous, de passage de la dépendance aux autres (aux parents, à la famille) à l’autonomie, même relative, à la prise en charge de soi-même,… période difficile à repérer », Ben Salem, L, 2007 : 296. 39 Graphique n°5 : Répartition des U.R. par catégorie d’âge 1.5. - La mise en forme des contenus : les genres journalistiques L’approche professionnelle des genres journalistiques établit généralement une nette distinction entre le fait et le commentaire, le journalisme de terrain et le journalisme d’opinion allant jusqu’à opposer l’information au commentaire (Broucker, J. de, 1995 : 124). Cette approche opère à partir de cette distinction une typologie censée aider les professionnels des médias à organiser le travail de collecte des informations et à rendre leurs articles plus lisibles. Le corpus étudié a permis de dégager 16 genres journalistiques parmi lesquels 5 genres relevant du journalisme de terrain : L’interview, le reportage, l’enquête, le portrait et le témoignage. Ce dernier genre est non conventionnel dans la mesure où il n’est pas considéré comme une entité en soi mais comme l’une des composantes du reportage et de l’enquête. Dans la presse écrite nationale, le témoignage se présente généralement comme une addition de propos recueillis auprès des témoins ou des acteurs d’un événement à propos d’un sujet d’actualité. Ces propos sont le plus souvent accompagnés de photos des personnes interrogées comme pour attester la véracité des paroles recueillies et lever ainsi le soupçon de bidonnage5 qui pèse lourdement sur ce genre. Parmi les 9 genres restants, nous pouvons distinguer deux catégories : • La première est habituellement considérée comme relevant de l’information : les brèves, les synthèses, les comptes rendus. Au sein de cette même catégorie ont été intégrés les communiqués et les discours publiés en texte intégral ; • La seconde relève des genres habituels du journalisme d’opinion et comprend les billets, les chroniques, les commentaires et les éditoriaux. 5- Dans le milieu journalistique le bidonnage désigne le faux témoignage. Il est considéré comme une faute professionnelle. 40 Les typologies conventionnelles ont été difficilement identifiables dans le corpus étudié car les unités rédactionnelles retenues mêlent parfois le fait au commentaire. La classification des unités selon le genre journalistique tient compte de ce constat qui explique l’écart entre le nombre total des unités rédactionnelles et leur classement selon le genre journalistique. Le graphique n° 6 montre une disproportion entre les genres journalistiques de terrain et les genres desk6 . Ainsi, sur les 2315 unités rédactionnelles du corpus de la presse quotidienne, 285 relèvent des genres journalistiques de terrain. Même si une légère augmentation a été relevée dans l’intervalle des dix années, cette tendance est relativement stable dans la mesure où elle est partagée par l’ensemble des quotidiens. Pour l’année 1998 le taux des genres de terrain représente 14.5 % des genres rédactionnels. En 2008, ce même taux se situe autour de 18.7 %, soit une progression de 4.2%. Graphique n°6 : Répartition par quotidien des genres journalistiques 6- Sous la dénomination « genres desk », nous avons classé toutes les unités dont la rédaction est basée sur des sources documentaires et ou sur les opinions des rédacteurs. 41 Au-delà de la tendance générale à la conformisation, la répartition des genres sur les différents quotidiens met en lumière certaines particularités : • Pour l’année 1998, Le Renouveau arrive en tête de classement par rapport aux genres de terrain car la dernière page du journal contenait une rubrique constante brossant le portrait d’un Tunisien ordinaire qui s’est distingué dans un domaine particulier. Sur les deux mois étudiés, 21 unités rédactionnelles consacrées à des enfants, des adolescents et des jeunes ont été relevées. Les autres genres de terrain étaient moins fréquents dans Le Renouveau comme dans les autres titres. Seul Le Temps enregistre un taux de 26.7 % supérieur à la moyenne générale de l’année. • Pour l’année 2008, Le Temps conserve et renforce son intérêt relatif pour le journalisme de terrain et occupe le premier rang avec un taux qui avoisine les 50 % (48.5). Il est suivi par Achourouk et Al Horriya qui enregistrent un taux semblable de 18.6 %. Les taux les moins élevés se retrouvent dans La Presse (10.2 %) et Assabah (10.4%). Cependant, pour les trois quotidiens non gouvernementaux, les résultats de 2008 sont à relativiser dans la mesure où le nombre total des unités comptabilisées dans le graphique ne tient pas compte des faits divers rédigés quasi-exclusivement sous forme de synthèses. La prise en compte des faits divers laisse Le Temps en tête de classement (28 %) mais place les deux autres titres privés (3.1% pour Assabah et 7.1% pour Achourouk) loin derrière les titres gouvernementaux. L’examen détaillé des genres journalistiques relevant du terrain montre deux tendances : • Les différents titres semblent s’inscrire de plus en plus dans une logique économique de la production journalistique en privilégiant les genres les moins coûteux en temps et en argent. Les témoignages, parfois présentés comme des enquêtes sont de loin le genre journalistique dominant parmi les genres de terrain avec 110 unités pour les trois années étudiées sur un total de 285, soit un taux de 38.5 %. La répartition des témoignages entre les différents quotidiens montre de très fortes variations entre La Presse qui n’en a publié que 4 et Achourouk qui arrive en tête de classement avec 42 unités. • La logique économique s’accorde avec une autre logique qui est autant politique que sociale dans la mesure où les interviews qui sont déjà rares dans la presse écrite nationale, le sont encore moins dans l’actualité relative aux EAJ. Sur les trois années étudiées, 32 interviews ont été recensées, parmi lesquelles 7 seulement ont été réalisées avec des adolescents ou des jeunes. Il s’agit en fait d’une initiative éphémère prise par le quotidien Achourouk pendant l’année 2003 qui a consacré une rubrique irrégulière pour interviewer des gens ordinaires. Le nombre d’interviews dans les autres quotidiens varie entre 0 (plusieurs titres) et 8 pour Assabah en 2008. 42 Au-delà des différentes conclusions formulées par rapport à chacun des items étudiés, le croisement des unités rédactionnelles avec les différentes variables de la source, de la catégorie d’âge et du genre journalistique permet de constater que : • Le critère de la langue du journal ne représente pas un indicateur pertinent par rapport à la thématique étudiée. Aucune différenciation claire n’apparaît entre les quotidiens arabophones et francophones, ni par rapport aux signatures des unités rédactionnelles ni par rapport à la catégorie d’âge et aux genres journalistiques ; • Le critère de la ligne éditoriale est un indicateur équivoque car tantôt déterminant tantôt non pertinent pour expliquer les variations au sein de chaque item : - La ligne éditoriale apparaît clairement dans les choix des différents titres pour traiter ou non des faits divers ; - Elle est moins déterminante voire insignifiante par rapport à la signature, aux catégories d’âge et aux genres journalistiques. Ces conclusions d’étape relèvent d’une analyse quantitative des items. Elles méritent d’être corroborées par une analyse qualitative des représentations des EAJ et des espaces dédiés à leur participation dans la presse quotidienne nationale. 1.6. - Les représentations des EAJ dans la presse quotidienne nationale Les représentations journalistiques sur les EAJ dans les six quotidiens retenus semblent évoluées tantôt sous le signe de la continuité, tantôt sous celui du changement. Les principales manifestations de cette dynamique sont d’une part, la permanence d’un traitement privilégiant le point de vue institutionnel sur le vécu des acteurs et d’autre part, l’irruption des faits divers comme prisme majeur du traitement de l’actualité relative à la thématique en question. Entre ces deux tendances, il a été possible d’identifier plusieurs types de positionnement des différents titres et des différents rédacteurs au sein d’un même titre et ce, pour se conformer, prendre ses distances ou remettre en cause les représentations dominantes du discours journalistique sur les EAJ. 1.6.1 - Les EAJ comme enjeu institutionnel Dans un contexte marqué par une forte mobilisation des médias autour d’une politique publique (La Campagne de l’emploi des diplômés du supérieur commencée en septembre 1998) ou d’un projet politique (le Pacte de la jeunesse de 2008), le traitement journalistique de ces questions dépend logiquement de la conjoncture. Cependant, il est possible d’affirmer sans risque majeur d’erreur que l’insistance des différents titres sur l’actualité institutionnelle constitue l’un des fondements de la pratique journalistique dans son ensemble. 43 Ainsi, la permanence des écarts constatés entre les genres journalistiques de terrain et les genres de desk pour les années 1998 et 2008 se trouve confirmée par les résultats partiels de l’année 2003, année qui n’a pas été marquée par une actualité institutionnelle conjoncturelle. Les deux titres retenus Achourouk et La Presse ont consacré en 2003 plus des trois quarts des unités rédactionnelles aux sujets de l’actualité institutionnelle7 contre 93.5% pour 1998 et 86. 5 % en 2008. 1.6.2 - La preuve par le chiffre L’un des traits marquants de la couverture de l’actualité des EAJ réside dans la tendance des différents titres à utiliser les statistiques officielles comme argument authentifiant l’intérêt accordé à ces catégories d’âge et confirmant la justesse des politiques mises en œuvre en leur faveur. L’analyse du corpus de l’année 1998 montre qu’à partir de la fin du mois d’octobre, les différents titres étudiés tendent à mettre en exergue la croissance quasi journalière du nombre de jeunes diplômés intégrés d’une manière ou d’une autre dans le vie professionnelle : « Recrutement de 2217 jeunes jusqu’au 23 octobre » (Assabah29/10/98 p.3) et Le Renouveau 29/10/98 p.2 ) « 361 demandeurs d’emploi, bénéficiaires des programmes de création de PME » (Assabah 1/11/98 p.2) « 10 mille à la conférence du RCD de Gafsa » (Assabah du 4/11 p.2) « Emploi des jeunes diplômés : 5000 postes » (Assabah 18/11/98 p.3) « 2500 qualifications professionnelles » (Assabah 28/11 p.2), « Jeunesse et programmes de développement : 5200 prêts de la BTS » (Assabah 29/11 p.4), « Conseil des ministres : 5425 insertions dont 3107 recrutements, 1877 stages et 350 prêts BTS » (Achourouk du 10/11 p. 28), « Emploi : 63 000 postes en 1999 » (Achourouk 17/11 p.30), « 465 nouveaux postes à Sousse » (Achourouk 25/11 p.29), « 3800 contrats l’an prochain » (Achourouk 26/11 p.28). D’un point de vue journalistique, le problème que pose la focalisation sur les statistiques n’est pas tant leur véracité (et à partir de là la rigueur des méthodes de recensement) mais le sens qu’elles peuvent avoir par rapport à un contexte donné. En l’absence de toute référence au nombre total de « demandeurs d’emploi », de leur répartition sur les différents gouvernorats, et d’une contextualisation par rapport aux choix économiques et leurs liens avec la conjoncture internationale, les statistiques présentées sont quasiment invérifiables. Elles réduisent ainsi les bénéficiaires en abstraction difficilement reconnaissable dans la réalité : Qui sont-ils ? Quelles sont les catégories de jeunes les plus touchés par le phénomène et quels seraient les principaux bénéficiaires de ces politiques publiques ? 7 - Par actualité institutionnelle il faut entendre les événements organisés par les multiples instances étatiques (ministères, collectivités régionales et locales), le RCD ainsi que les associations qui relèvent de ces structures. 44 Un début de réponse sera donné dix ans plus tard à ces questions. A la fin de la première semaine d’octobre 2008, les différents quotidiens ont couvert les travaux de la Conférence nationale sur l’emploi, qui est venue clôturer la Consultation nationale entamée en mars 2008. L’ensemble des titres étudiés publient plusieurs chiffres sur le nombre d’emplois créés, l’investissement, la formation professionnelle… mais seuls Assabah et Achourouk donnent, sans aucune mise en valeur formelle ou rédactionnelle, deux chiffres concernant le chômage des jeunes.Assabah (9/10/08 p. 6) utilise une stratégie discursive aujourd’hui communément admise par l’ensemble des acteurs de la parole publique et se réfère au rapport d’un atelier de travail pour constater que « malgré les taux de croissance élevés et les politiques de dynamisation de l’emploi, le taux du chômage reste relativement élevé (14%)… Pour les diplômés du supérieur ce taux est de 17% ». Le rédacteur d’Achourouk (9/19/08 p.16) prend une attitude plus prudente en citant les propos du Secrétaire général de l’UDU8, citant lui-même les résultats du recensement général de la population qui situe le nombre de chômeurs à « 508 100, parmi lesquels 19 % sont diplômés du supérieur ». Dix jours plus tard, Le Temps (19/10/08) reprendra la même information en titre : « Un demi-million de Tunisiens au chômage ». Ces routines argumentatives9 reposant sur la reproduction des statistiques officielles sans cadrage journalistique ne concernent pas uniquement des questions aussi déterminantes que le chômage des jeunes. La récurrence de l’argument statistique dans d’autres unités rédactionnelles a été observée. Pour illustration, cet exemple d’énoncé mis en exergue (Assabah du 9/10/08 p. 2), distingué dans un encadré (Al Horriya du 9/10/08 p.2) ou rapporté dans une dépêche de la TAP (Achourouk 9/10/08 p.17) : « 500 000 jeunes ont bénéficié des programmes de loisirs pendant l’été 2008 ». Les constructions chiffrées des jeunes peuvent prendre des formes encore plus abstraites comme le montre la récurrence de l’expression « l’augmentation du nombre des étudiants » dans l’ensemble des unités traitant de l’enseignement supérieur. 1.6.3 - L’actualité institutionnelle ou la réification10 des EAJ Parallèlement à l’abstraction statistique, les différents quotidiens ont tendance à reproduire l’agenda officiel du moment : sur les trois années étudiées, les différents titres ont évoqué à travers des communiqués ministériels la journée de l’enfant arabe, la journée nationale des clubs de santé, le mois de la protection de l’enfance et l’emploi des jeunes, et pour l’année 2008, le Pacte de la jeunesse et la Conférence sur la jeunesse islamique 8 - Union Démocratique Unioniste, parti politique. 9 - Au sens de pratiques rédactionnelles admises comme telles et partagées à des degrés divers par un corps professionnel (les journalistes). Ici, la notion de routine est utilisée dans un sens différent de celui de Molotch et Lester (1996) qui utilisent la notion de routine pour analyser les pratiques journalistiques de construction des différents types d’événements. 10 - Dans une acception sociologique la réification du social peut être définie comme « une forme d’objectivation qui confine à l’aliénation dans la mesure où les produits de l’activité des agents sociaux leur échappent, leur deviennent étrangers et les dominent » (Accardo, A. 1997 : 219) 45 qui a eu lieu à Tunis à la fin du mois de novembre 2008. Les représentations des EAJ se profilent généralement à travers le prisme du politique, elles apparaissent comme stéréotypées car idéologiquement cadrées. A partir de ce constat, deux observations se dégagent : d’une part, les sujets se rapportant à cette catégorie sont, dans la plupart des cas, dictés par l’agenda officiel, celui du pouvoir. D’autre part, quand ils sont traités par les journalistes, ils le sont généralement en termes élogieux : « acquis, réalisations et attention accrue… ». Portée par cet effet de vérité11 l’énonciation journalistique peut ainsi mettre en avant la mission des maisons de jeunes dans les zones rurales, (La Presse du 26/11/08), transformer les petits d’un jardin d’enfants en « militants en herbe de 3 à 5 ans » (Al Horriya du 8/11/98) ou saluer l’édition d’un livre pour enfant illustrant le 11ème anniversaire du Changement (Assabah du 11/11/98 p.10). Comme si la valeur de l’information tient à l’événement beaucoup plus qu’aux catégories sociales/classes d’âges qui en sont concernées. Cette logique de construction des faits d’actualité n’est pas une marque distinctive des sujets politiques (ou considérés comme tels). Elle sous-tend les récits des événements les plus anodins comme le montre l’exemple suivant : « Les enfants représentent l’innocence même, l’allégresse, la joie et la vie. Des conditions dures et des maladies trop lourdes pour de petits corps, ont retiré certains d’entre eux de leur petit monde lumineux plein d’espoirs enfantins. C’est parce qu’ils ne supportent pas l’isolement et la solitude qu’est née l’idée d’un espace de loisirs dédié aux malades chroniques du service pédiatrique de l’Hôpital Charles Nicolle» (Al Horriya 29/11/98 p.3). Après cette introduction d’inspiration littéraire tirant ses références d’un imaginaire idéalisant de l’enfance (Cf. analyse de la presse hebdomadaire), la totalité de l’article est consacrée à la reproduction des paroles autorisées : celle du chef de service en question et celle de la présidente de l’association féminine Tunisie 21 gestionnaire d’un don de l’Association Tunisie - Japon. A aucun moment, les enfants concernés n’ont été décrits ou interviewés. La réification des EAJ peut prendre des formes moins spectaculaires pour s’inscrire dans ce que les journalistes appellent l’actualité des trains qui arrivent à l’heure. Ainsi l’un des correspondants d’Assabah affirme que « L’année universitaire a démarré dans des conditions très normales [Jiddou âdiya] grâce aux efforts conjugués des structures administratives, pour la résolution de quelques problèmes relatifs à l’hébergement des étudiants en raison de la non ouverture de la résidence universitaire cette saison. » On apprend par la suite que « les autorités régionales ont accéléré l’ouverture de la résidence de l’Institut supérieur de formation des maîtres» et la réquisition « comme solution provisoire » des foyers universitaires privés (Assabah 14/10/2008, p.5). Même les photos publiées illustrent nettement le filtre politique/institutionnel réifiant dans la couverture des sujets et des évènements se rapportant à notre objet d’étude. Par 11 - Au sens que lui donne Patrick de Charaudeau (2005 : 49) c'est-à-dire un discours de conviction porteur de jugement. 46 exemple : l’ouverture d’un colloque sur la jeunesse à l’issue duquel un message est adressé à l’ancien Président de la République par les participants, accompagné d’une photo du Président lui-même. Un reportage sur le 50ème anniversaire de l’Université est illustré par la seule photo de la porte d’entrée de la Faculté des sciences de Tunis. 1.6.4 - Les EAJ et les identités discursives des quotidiens nationaux A la suite de Charaudeau (2005) et d’Esquenazi (2002) l’identité discursive peut être définie comme étant l’ensemble des procédés mis en œuvre par un média pour se distinguer de ses concurrents tout en souscrivant aux règles régissant l’ensemble du champ médiatique. Cette notion ne peut être confondue avec celle de la ligne éditoriale qui suggère l’idée d’une auto-construction identitaire. L’identité discursive repose sur deux fondements : le contrat de lecture c'est-à-dire tous les procédés de mise en forme de l’actualité pour capter un ensemble de lecteurs supposés ou réels et l’adhésion aux règles internes et aux contraintes externes au monde journalistique. Par rapport à la thématique des EAJ, l’identité discursive de chacun des six quotidiens étudiés se construit autour d’un axe conformité/distanciation qui varie sensiblement d’un titre à un autre. Deux exemples concrets pourraient aider à comprendre les paramètres de cette variation. Le premier est en rapport avec la question des droits de l’enfant, le second apportera un autre éclairage sur le traitement médiatique du chômage des jeunes. Le 11 octobre 1998, les six quotidiens rendent compte « d’une conférence sur la protection de l’enfance dans la législation, donnée par une juge à la cour d’appel de Tunis, à l’occasion de l’ouverture de la nouvelle année judiciaire ». Aucun des titres n’a indiqué le lieu et la date de cette conférence, ni d’autres informations sur la conférencière qui « a passé en revue les mesures d’avant-garde prises par la Tunisie de l’ère nouvelle dans le domaine de la protection de l’enfance et des jeunes générations… » Assabah, Achourouk, La Presse, Le Renouveau et Le Temps ont publié la même dépêche de la TAP, avec une référence à la source pour les trois quotidiens privés et sans aucune indication pour les deux autres titres. Sans être identique, la titraille donnée par chaque journal insiste sur « la législation avant-gardiste » (Le Temps) « la référence pour les organisations internationales spécialisées » (Le Renouveau), ou essaye d’adopter un ton plus neutre « Les droits de l’enfant partie intégrante des droits de l’homme ». (Assabah) Devant cette conformation de l’écriture journalistique à des injonctions qui semblent dans ce cas précis venir de l’extérieur du monde professionnel, Al Horriya franchit un pas supplémentaire en publiant sur deux pages et demie, le texte intégral de la conférence en question, agrémentée d’une titraille laudative. Cet exemple, parmi tant d’autres12, nous paraît symptomatique d’une tendance à considérer les droits de l’enfant d’un point de vue 12 - Cf. Al Horriya du 13/10/98 pp.11-12 reproduit un article sur « La médiation dans les crimes commis par les mineurs » initialement publié dans le n° 43 de la Revue de la Garde nationale. Les éditions du 14 (p.24) et du 15 (p.17) du même journal reproduisent le texte intégral d’une brochure sur « le juge pour enfants », éditée par l’Inspection générale du ministère de la Justice. 47 normatif. Sur cette question, l’identité discursive de chacun des journaux ressemble ainsi beaucoup plus à une identité collective qu’à des identités singulières, même si Al Horriya et dans une moindre mesure Le Renouveau se distinguent par un traitement emphatique constant13 de l’actualité institutionnelle relative aux EAJ. Le second exemple apporte un autre éclairage sur le positionnement des quotidiens par rapport à cette même actualité institutionnelle. Depuis son lancement en 1998, la campagne pour « l’emploi des diplômés du supérieur » prend des allures d’une mobilisation où tous les titres étudiés ont répondu à l’appel en adoptant un traitement enthousiaste. Mais, une lecture plus attentive du corpus révèle des micro-tentatives de s’inscrire dans le réel. Ainsi Achourouk (17/11/98 p.30) rapporte la position de la Chambre syndicale de l’enseignement privé qui a protesté contre la décision du ministère de l’Éducation de ne pas autoriser ses fonctionnaires à exercer dans le privé. « La chambre estime que la décision de recruter des jeunes professeurs chômeurs devrait reposer sur le volontariat et non l’obligation ». Dès le début du mois d’octobre 1998, le même quotidien installe le doute sous le titre « Tous les chômeurs diplômés du supérieur peuvent-ils être recrutés ? », pour attirer l’attention sur le point noir de la question : « les candidats à l’enseignement» (Achourouk 3/11 p.32). Il adopte une tonalité plus distante (Achourouk 4/10/98 p.24) par rapport aux statistiques : « 2417 contrats d’insertion à la vie professionnelle (CIVP) par an, mais les demandes sont beaucoup plus nombreuses. 5000 Stages IVP : un nombre bas par rapport à celui des nouveaux demandeurs d’emploi ». Mais la critique tourne court car le nombre de nouveaux demandeurs d’emploi ne sera donné que dix ans plus tard par Achourouk et Assabah (Cf. supra). En l’espace de dix ans, l’identité discursive d’Achourouk continuera à pencher du côté de la conformité aux règles régissant le champ journalistique. Parallèlement, le journal tentera occasionnellement de s’inscrire dans l’horizon d’attente de ses lecteurs en brossant le portrait de diplômés dans l’attente d’un travail ou effectuant un métier sans aucun lien avec leur diplôme (29/11/08 p.32). Cette distanciation énonciative peut aussi prendre des formes moins visibles. A l’occasion de la fin du mois de Ramadan (4ème semaine de novembre 2003), La Presse a publié une dizaine de synthèses au sujet d’une campagne officielle d’aide aux enfants « nécessiteux » (cérémonies de circoncision, dons, cadeaux…) avec comme point d’orgue, une réception organisée au Palais présidentiel. Aucune trace de cette campagne n’a été retrouvée dans Achourouk. Suivant ce même mouvement de balancier, Assabah (15/10/08 p.3) jugera les politiques de l’emploi peu efficaces et pointera les insuffisances du rapport annuel sur la 13 - Occasionnellement, les autres titres peuvent s’inscrire dans cette même logique du traitement emphatique de l’actualité. Dans son édition du 7/11/2008, Assabah consacre cinq pages d’un Cahier spécial à un publireportage sur l’Hôpital des Enfants de Bab Sâadoun. 48 jeunesse. Cependant, bien qu’ils aient été juxtaposés en haut de la page, les deux articles en question sont loin de pouvoir participer à l’instauration de l’autorité de l’énonciation journalistique car l’un comme l’autre utilisent les rapports officiels comme sources exclusives : le comité exécutif de la Consultation nationale sur l’emploi pour l’un et l’Observatoire de la jeunesse pour l’autre. L’écriture journalistique semble ainsi être prise dans une tension entre les réalités sociales des EAJ et l’impératif de leur conformation aux exigences institutionnelles. Si les choix éditoriaux se portent massivement sur la seconde option, une lecture plus attentive permet de constater le désir de certains rédacteurs d’instaurer une proximité/connivence avec les lecteurs qui prend la forme de micro - tentatives d’institution d’une identité discursive différentielle. 1.6.5 - Le fait divers : la rupture de la normalité L’examen statistique du corpus de l’étude nous a permis de constater l’augmentation exponentielle des faits divers et leur répartition fortement contrastée entre les quotidiens étatiques et les quotidiens privés. L’année 2003 peut être considérée comme un tournant dont les signes avant-coureurs se manifestent dans l’intention d’Achourouk de renforcer son réseau de correspondants spécialisés. Ainsi, à deux reprises (11/11/03 p.20 et 16/11/03 p.22), ce quotidien publie l’annonce suivante : « Le journal Achourouk recrute des correspondants judiciaires dans toutes les régions de la République. Conditions : - capacité à écrire dans un arabe correct [salisa] ; - capacité à détecter les informations et les données avec précision et objectivité ; - une haute crédibilité [misdaqiya aliya] ; - Papiers demandés : attestation de travail et essai d’écriture [mohawala fil kitaba] ». L’analyse diachronique de l’ensemble des unités rédactionnelles classées dans les faits divers permet de constater que ces signes avant-coureurs se transformeront en routines professionnelles soumises aux exigences de la rentabilité économique, puisque les correspondants judiciaires ont signé en 2008 des articles pour Achourouk mais aussi pour les autres titres du groupe. Cette configuration organisationnelle servira de modèle de référence pour Assabah qui lui aussi a recruté des correspondants judiciaires exerçant dans les autres titres arabophones du groupe. Dans les trois quotidiens privés, la narration journalistique des faits divers impliquant des enfants, des adolescents et des jeunes s’accorde avec celle de la presse hebdomadaire pour construire les récits autour d’un acteur principal (individu ou groupe d’individus) qu’il soit assassin, violeur, ou simple contrevenant à la loi. De ce fait, l’enfant, l’adolescent et/ou 49 le jeune impliqués dans ces faits, ne sont que rarement voire jamais interrogés directement qu’ils soient victimes ou coupables. Selon les rédacteurs, les premiers responsables, sont d’abord la famille et leurs parents qui semblent les avoir abandonnés à leur sort, et accessoirement, l’institution scolaire qui ne contrôle pas scrupuleusement l’assiduité et s’en désintéresse. Dans les cas d’une naissance hors mariage, la narration journalistique occulte ou ignore totalement le sort qui sera réservé à l’enfant. Pour les agressions sexuelles et les viols sur des adolescentes, la responsabilité des parents est toujours désignée du doigt. Soit qu’ils s’en désintéressent, soit encore « du fait que les deux époux exercent une activité professionnelle et ne peuvent, par conséquent, pas consacrer beaucoup de temps à leur progéniture » (Le Temps). Mais la raison de cette vision provient essentiellement du fait que toutes les sources à l’origine de ces faits et sur lesquelles se construisent les stéréotypes émanent des procès-verbaux et des informations fournis par la police ou par des sources judiciaires. Au - delà de ces similitudes, chacun des titres développe des signes distinctifs où la narration journalistique des faits divers mettant en scène des EAJ, participe à la construction d’un lecteur modèle plutôt urbain et francophone pour Le Temps, jeune et issu de milieu populaire pour Achourouk, plus âgé et plus instruit pour Assabah. Ainsi, la rubrique des faits divers s’étend en moyenne sur 3 pages (de 2 à 4) dans Achourouk. Elle ne dépasse jamais une seule page dans Assabah et Le Temps. Dans ces deux derniers titres, les articles en question ne sont jamais accompagnés d’illustrations, alors qu’Achourouk n’hésite pas à publier les photos d’identité des victimes disparues, ou des portraits à l’encre de Chine. 1.6.6 - Les journalistes observateurs privilégiés de la réalité des EAJ ? Quand ils ne constituent pas un enjeu institutionnel, ou qu’ils ne sont pas construits selon le prisme déformant du fait divers, les sujets de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse peuvent fournir aux journalistes des quotidiens l’occasion d’affirmer une sorte d’autorité du dire, autrement dit leur expertise sur la question. Mais cette autorité n’est pas toujours fondée sur l’information du public, l’explication des faits et leur mise en perspective. Elle peut être aussi cadrée par des représentations sociales dominantes qui peuvent servir de référentiel aux discours de stigmatisation. La question de l’éducation constitue un sujet récurrent dans l’ensemble des titres. Les unités rédactionnelles concernent les institutions éducatives telles que les crèches, les écoles, les lycées et même, l’université. Les thèmes abordés traitent de la violence dans ces institutions, des conditions d’hygiène, des rapports avec les éducateurs et enseignants, le 50 système de contrôle des connaissances et de la discipline. L’examen diachronique de cette thématique montre d’abord une continuité dans les types de préoccupations exprimées par les journalistes, par les parents, plus rarement par le personnel de l’éducation et par les élèves eux - mêmes. Sur certaines questions telle que la prise en charge de la petite enfance par les crèches et les jardins d’enfants, l’énonciation journalistique peut prendre des positions plus affirmées en donnant la parole aux parents (Assabah 15/10/98 p. 3 et Achourouk 21/10/08 p.26) en dénonçant l’esprit commercial des propriétaires de ces établissements (Achourouk 4/10/98 p.23, Assabah 15/10/98 p.3, Achourouk 17/10/08 p.13) et en soulignant un encadrement ministériel défaillant (Le Temps 31/10/08 et 24/11/08). Si l’avenir scolaire des EAJ semble occuper une place prépondérante dans l’agenda des quotidiens, l’affirmation de l’énonciation journalistique n’est cependant jamais à l’abri des dérapages de la stigmatisation, mettant en cause le droit à l’éducation ou celui à disposer d’un temps de loisir14. Ainsi, à force de chercher les titres incitatifs, le phénomène de l’échec scolaire peut devenir un jeu de mots. Sous le titre : « Sauver les écoles de la dernière chance [Intichal madaress al intichal] » (Achourouk 12/11/ 98 p.28), le rédacteur conclut son article en affirmant que « le principal écueil des lycées privés réside dans le fait qu’ils n’attirent que les élèves loosers [fachiline] », comme si l’échec scolaire est de l’unique ressort des apprenants. A en croire le même titre, le nombre de jours de vacances scolaires encouragerait « la paresse des enfants » (Achourouk 11/11/08 p.28). Quand elle ne remet pas en cause les droits des EAJ, l’énonciation journalistique peut prendre des formes emportées, frisant l’excès : « Si nous ouvrons le crâne de nos adolescents qui nous donnent tant de peine [al Mourahiqoun alladhina yourhiqonana] nous ne trouverons que des chaussures de sport [sbadri], un Levi’s, un baladeur, une coupe de cheveux, un slogan des stades de foot, des propos argotiques du genre ’ ça va être ta fête [Sa oukaâbirouha laka] et normal [en français dans le texte] » (Assabah 14/10/98 p.5) Certes, des images d’une telle violence restent rares dans le corpus étudié, elles sont, néanmoins, symptomatiques d’un désarroi social partagé par l’ensemble des titres et dont les plus jeunes deviennent des sortes de victimes expiatoires. Dans cette perspective, les journalistes d’Achourouk et dans une moindre mesure ceux d’Assabah adoptent les positions les plus tranchées. Ainsi, en l’absence de toute référence à l’éducation parentale, les parents seraient « en difficultés financières à cause des enfants gâtés » (Achourouk du 7/10/03 p.23) et « l’enfant cadet : une personnalité fragile, sensible et potentiellement déviante » (Achourouk 12/10/03 p.3). De même, en l’absence de toute visibilité médiatique des études démographiques et sociologiques sur le mariage, (Ben Brahim, A. 2006 : 299-308), les journalistes peuvent considérer que « le manque de confiance, des difficultés financières et des conséquences psychologiques menacent les célibataires retardataires [mouta’ahkiroun] » 14 - L’article 28 de la Convention relative aux droits de l’Enfant stipule que « Les États parties reconnaissent le droit de l'enfant à l'éducation, et en particulier, en vue d'assurer l'exercice de ce droit progressivement et sur la base de l'égalité des chances ». L’article 31 engage les États signataires à reconnaître « à l'enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique ». 51 (Achourouk 22/10/03 p.3), mettre en garde contre « les graves conséquences des unions libres » (Assabah 19/10/08 p.3) et contre « les fausses promesses de mariage qui aigrissent les jeunes filles ». ( Achourouk 15/10/2003 p.3) Selon le même procédé de différenciation, les modes vestimentaires deviennent « l’affaire des pantalons taille basse et des cheveux hérissés » avec à l’appui une interview d’une « psy » qui conforte les pires préjugés sur les jeunes : perte d’identité et honte d’appartenir à la civilisation arabe et musulmane… (Achourouk du 15/10/08 p.10). En même temps, les illustrations de la presse quotidienne mettent les jeunes dans une double contrainte dans la mesure où les sujets sur la jeunesse sont souvent illustrés par des photos de personnages appartenant à d’autres contextes culturels : un groupe de rock anglais présentant un nouvel album en France, pour illustrer un article sur le manque d’intérêt des jeunes tunisiens pour la lecture (« des jeunes à la lisière de l’ignorance? [âla qariâat al jahl] » (Illustration n°1), une photo de jeunes occidentaux décontractés portant comme légende le slogan de l’année du dialogue avec les jeunes : « La jeunesse est la solution et non le problème » (Illustration n°2). Illustration n°1 : Achourouk 11/11/08 p.14 Illustration n°2 : Achourouk du 14/10/08 p.12 Ces procédés de décontextualisation illustrative peuvent être qualifiés de « mensonges visuels » dans la mesure où ils ne respectent pas le contexte réel (celui de l’énonciation journalistique), l’un des six principes établis par l’UNICEF en matière de photo de presse. Le Photography Guidelines souligne à juste titre que « the frequent failure to analyze an image’s message, then to fail to take into account the context in which it is presented and assumptions on which premised, is magnified by the tendency to not take visual communication seriously […] They [the advertisers] and consumer society in general, rationalize the lie by calling it a fantasy, and by leaning on the cultural assumption that consumers ‘know’ that it is a lie… and therefore do not take seriously its pretence of being real. What remains much less known are the log-term implications for a culture that is steeped in visual fantasy from both entertainment and commercial sources ». En contrepartie, les visages des EAJ tunisiens pris sur le vif, sont le plus souvent floutés, au stylo noir en 1998 et par ordinateur après cette date (Achourouk 19/10/2008 p.18). 52 Illustration n°3 : Achourouk 24/10/98 p.28 Ces procédés d’anonymisation iconographique ne concernent pas des EAJ appartenant à des groupes vulnérables, mais des sujets moins litigieux comme les loisirs ou le transport scolaire. Or, quel que soit le groupe d’appartenance ou le sujet traité, les procédés en question participent à la stigmatisation des EAJ et se mettent en porte-à-faux avec les principes promus par L’UNICEF (s.d.1 : 6) : « Il n’est pas permis d’utiliser une bande noire ou la pixellisation des visages dans le but de protéger leur identité, parce que ces procédés techniques affectent la qualité de l'image et minimisent leur impact. L’image de ces personnes peut être également interprétée comme s'il s’agissait de criminels». La disjonction entre le vécu des EAJ et les représentations de ce même vécu dans la presse quotidienne constitue une tendance générale et relativement stable durant la décennie étudiée. L’énonciation journalistique semble participer à la création d’un climat d’intolérance envers les jeunes plutôt que de promouvoir un discours « amis des jeunes » (youth freindly). Son insistance sur la différence (vestimentaire, langagière, comportementale, culturelle…) porteuse de dangers entre un « eux » (les EAJ) et un « nous » (adultes) est cependant infirmée par les études sociologiques qui s’accordent aujourd’hui à considérer la rupture des adolescents et des jeunes avec les valeurs du milieu d’origine (familial et relationnel) comme étant des phénomènes rares et mettent en exergue les processus de négociations identitaires (Cf. Mahfoudh et Milliti, 2006 : 166). Cette représentation dominante semble aussi ignorer les recommandations de l’ONU en matière de prévention de la délinquance juvénile. La Résolution 45/112 du 14/12/1990 de l’Assemblée Générale, ne fait aucune référence explicite aux médias mais considère « que le comportement ou la conduite d’un jeune qui n’est pas conforme aux normes et valeurs sociales générales, relève souvent du processus de maturation et de croissance et tend à disparaître spontanément chez la plupart des individus avec le passage à l’âge adulte; […] et que, d’après l’opinion prédominante des experts, qualifier un jeune de "déviant", de "délinquant" ou de "prédélinquant" contribue souvent au développement chez ce dernier d’un comportement systématiquement répréhensible ». (Art. 5 al. 5 et 6). Dans une étude précédente (Ferjani et Maouia, 2007 : 15), les auteurs ont souligné la tendance des adultes (experts, professionnels et parents) à idéaliser le passé (souvent le 53 leur) en l’érigeant comme modèle. L’énonciation journalistique n’échappe pas à cette nostalgie soit en se l’appropriant comme dans le reportage sur le musée de l’Education (Assabah 6/10/2008 p.4), soit en la rapportant « Il y a vingt ans mes élèves étaient trop respectueux. Il suffisait d’un regard pour leur imposer le respect […] Les élèves étaient intelligents et motivés, les parents coopératifs car ils obligeaient leurs enfants à observer les règles du dialogue et à respecter l’école » (Achourouk 2/11/08 p.17). En l’absence d’un débat contradictoire sur l’éducation, la nostalgie du passé peut prendre des formes moins affirmées mais tout aussi mystificatrices : « élèves errants car les parents travaillent ». (Le Temps du 27/10/08) Les représentations des enfants, des adolescents et des jeunes dans six quotidiens étudiés se construisent autour de : • La convergence sur la priorité accordée à l’actualité institutionnelle des EAJ; • La divergence entre des titres gouvernementaux qui occultent les faits divers et des titres privés qui les utilisent dans une stratégie de captation des lecteurs et des annonceurs; • Une seconde ligne de partage sépare les quotidiens gouvernementaux des titres privés. Les premiers semblent négliger le vécu des EAJ, alors que les seconds s’y intéressent en termes de différenciation (ils ne ressemblent pas au monde des adultes) et de disjonctions (entre le vécu et ses représentations journalistiques). 1.7. - Les formes de participation des EAJ L’examen du corpus de la presse quotidienne montre que la participation des EAJ prend des formes plus complexes/équivoques, même si ces formes ne sont pas radicalement différentes de celles qui apparaissent dans la presse hebdomadaire. Les notions d’expression et d’implication qui ont balisé l’analyse des hebdomadaires paraissent insuffisantes pour cerner les différentes formes de participation qui émergent du corpus de la presse quotidienne. D’où la nécessité de cerner davantage les contours opératoires du concept. Dans une définition extensive il est possible d’admettre que « la participation est un processus continu permettant aux enfants et aux jeunes de s’exprimer et d’être efficacement impliqués dans la prise de décision à différents niveaux dans les questions qui les concernent » (Unicef. s.d.2 : 9). L’intérêt de cette définition est double : elle permet d’abord d’envisager la participation en tant que processus qu’on ne saurait réduire à des actions épisodiques. Elle souligne ensuite la dimension pratique de la participation qui ne peut être limitée à de simples déclarations de principes, car comme pour les adultes, la participation démocratique n’est pas une fin en soi. « C’est un moyen pour obtenir justice, pour influencer 54 les résultats et pour dénoncer les abus de pouvoir. Autrement dit, c’est aussi un droit procédural qui permet aux enfants de s’opposer aux violations ou à la méconnaissance de leurs droits et d’entreprendre des actions pour promouvoir et protéger ces droits. Il permet aux enfants de contribuer à faire respecter leurs intérêts supérieurs » (Lansdown, G. 2001 : 2) Roger A. Hart (1997 : 40-45) a établi une échelle de la participation composée de 8 degrés et qui distingue ce qui relève d’une participation effective (degrés 4 à 8) d’une participation illusoire (degrés 1à 3) qu’il qualifie de non-participation. Au bas de l’échelle, Hart place : 1. La manipulation qui concerne « those instances in which adults consciously use children’s voices to carry their own message »; 2. La décoration qui consiste à utiliser les enfants pour promouvoir une cause qui ne les concernent pas ; 3. La participation formelle (tokenism) qui est de loin la forme la plus habituelle de mobilisation des enfants. “it is often carried by adults who are strongly concerned with giving children a voice but have not begun to think carefully and self-critically about doing so […] Children seem to have a voice but in fact have little or no choice about the subject or the style of communicating it, or no time to formulate their own opinions” ; 4 et 8 (de l’échelle) La participation effective qui commence par la mobilisation des enfants sur des sujets les concernant (degré 4) et qui atteint son apogée avec les initiatives prises par les enfants eux-mêmes et partagées avec les adultes (degré 8). Hart précise que l’objectif de la participation n’est pas d’atteindre le plus haut degré mais de s’adapter aux profils des groupes impliqués. « The important principle is to avoid working on the three lowest levels, the rungs of non-participation » (ibid. : 45). Cet éclairage théorique permettra d’abord de situer la manière dont chacun des titres étudiés se place par rapport à la question de la participation, et de distinguer parallèlement, les différentes formes que lui donne l’énonciation journalistique. Pour la clarté de la démonstration, les unités rédactionnelles qui évoquent la participation des EAJ sans pour autant leur donner la parole (les deux premiers degrés de l’échelle de Hart) ne seront pas prises en considération et ce pour deux raisons. La première est d’ordre méthodologique dans la mesure où plusieurs exemples de ces deux formes de non-participation ont été déjà traités dans l’analyse de l’actualité institutionnelle relative aux EAJ. La deuxième raison découle d’un souci heuristique qui consiste à mieux cerner les degrés de participation qui pourraient inciter les professionnels des médias à la réflexivité et de là à une meilleure promotion de la participation15 . 15 - Les termes de références de cette étude prévoient « des recommandations pour l’élaboration d’une stratégie médias ». 55 1.7.1 - La participation des enfants Les unités rédactionnelles qui rendent compte de la participation des enfants sont rares dans le corpus de la presse quotidienne. Malgré les précisions notionnelles apportées cidessus, nous avons eu une certaine difficulté à les recenser avec exactitude. Dans une perspective optimiste les unités qui pourraient s’apparenter à la participation des enfants s’élèveraient à 8 sur un ensemble de 2315. Si l’on considère la question dans une perspective pessimiste, elles n’excéderaient pas les trois (3). Les cinq (5) premières unités concernent des témoignages d’enfants à l’occasion de l’Aïd (Achourouk du 21/11/2003 p.10 et 22/11/2003 p.10, Al Horriya du 2/10/08, Le Temps du 2/10/08 p. 3, La Presse du 2/10/2008)16 . Le dénominateur commun à ces différentes unités est qu’elles insistent toutes sur la joie des enfants pour les vêtements et l’argent qu’ils ont reçus. Les témoignages des enfants confortent l’image d’une enfance gaie et insouciante (Cf. analyse de la presse hebdomadaire). Même quand l’énonciation journalistique paraît plus soucieuse d’originalité, la parole des enfants est souvent conforme aux attentes des adultes, comme peuvent le montrer les deux exemples suivants. Le premier concerne un extrait du reportage d’Achourouk (21/11/03) dans le village SOS Gammarth : « La petite Z a dit qu’elle a l’habitude de partir au souk de Tunis avec sa mère pour acheter les vêtements de l’Aïd qu’elle tient à choisir elle-même, alors que la mignonne [tahfouna] S assure que l’argent reçu le jour de l’Aïd constitue le meilleur cadeau pour elle, en plus des vêtements et des jouets. Elle pense aussi que le Ramadan est un mois exceptionnel car elle tient à regarder les œuvres dramatiques sur Tunis 7. » Le second exemple est tiré d’une synthèse publiée par Assabah (15/10/98 p.3) évoquant la participation d’un groupe d’enfants tunisiens à une conférence arabe sur l’environnement : « Leurs suggestions [moqtarahat]17: l’intensification des activités environnementales et la participation des enfants, la préservation de l’environnement, la valorisation du patrimoine, le développement du tourisme sur des bases saines, l’économie de l’énergie, l’utilisation des technologies de pointe non polluante, la réduction des déchets et leur collecte, l’intensification, la multiplication des programmes de plantation d’arbres, l’embellissement des entrées des villes, la multiplication des espaces verts et l’augmentation des terres arables.» Une première lecture de ce type de témoignages serait tentée de souligner une intention de manipulation de la parole des enfants ou de leur utilisation comme élément d’un décor 16 - Assabah du 3/10/2008 p.1et 3 a choisi un angle différent axé sur la sécurité des jeux dans les parcs d’attraction. 17 - Le terme « suggestions » [moqtarahat] ne peut être confondu avec « recommandations » [Tawsiyat]. Ce glissement lexical montre que la mise en mots de la participation des enfants est parfois porteuse de ses propres limites. 56 (degré 1 et 2 de l’échelle de Hart). L’intérêt de ces témoignages est autre dans la perspective qui nous occupe. Ils apportent la preuve de la difficulté à recueillir la parole des enfants et à vérifier leur degré de spontanéité, particulièrement pour des quotidiens soumis (plus que la presse hebdomadaire) à la pression du temps (deadline). Cependant, Il arrive à l’énonciation journalistique de contourner les représentations sociales dominantes de l’enfance, pour recueillir des témoignages d’enfants qui soient moins soumis aux contraintes professionnelles faites d’urgence et d’économie. L’article consacré aux élèves qui font leur première rentrée des classes (Achourouk du 4/10/2003 p. 6) laisse transparaître outre la joie coutumière, une certaine appréhension de la discipline : « Ma maîtresse n’aime pas les bavards alors je reste tranquille jusqu’à la fin de l’heure », « C’est trop fatigant de se lever tôt, de ne pas bouger toute la journée. », la crainte de ne pas être à la hauteur : « L’école c’est un peu difficile car je dois rendre mes devoirs à temps. », et surtout la peur des châtiments corporels : « J’aime ma maîtresse car elle ne me frappe pas. », « Mon frère m’a dit que les maîtres frappent tous ceux qui bougent de leur place ou ceux qui parlent.». Cet exemple apporte la preuve que l’expression des enfants dans les médias est possible (même s’il ne s’agit que d’un aspect de la participation), mais c’est une expression ténue, car menacée par les différentes formes de non-participation. En effet, sur la même page 6 d’Achourouk du 4/10/2003, une petite fille (7-10 ans ?) signe un hommage à ses parents dans un arabe classique soutenu. Dix jours plus tard, une autre petite fille de cinq ans, signe à l’occasion de sa rentrée en classe préparatoire un hommage similaire à ses parents en leur promettant de « décrocher [son] doctorat » (Achourouk 14/10/03 p. 23). 1.7.2 - La participation des adolescents et des jeunes Si la difficulté à promouvoir la participation des enfants constitue un trait commun pour l’ensemble des quotidiens, il n’en est pas de même pour celle des adolescents et des jeunes. Le positionnement de chacun des titres par rapport à cette question dépend d’un ensemble de paramètres qui ont trait au statut juridique du titre, au degré de conscience au sein de la rédaction de l’importance de la participation des plus jeunes et à la manière dont chacun d’entre eux construit son lecteur modèle. La participation des adolescents et des jeunes dans les « articles maisons » recensés ne semble pas constituer une préoccupation pour La Presse, et les raisons sont doubles : soit que les données recueillies et les conditions de travail (temps imparti, angle de visée, ligne éditoriale, etc.) ne lui permettent pas d’intégrer cette variable dans la rédaction, soit, carrément, l’idée même d’impliquer et de faire participer les EAJ dans le traitement des sujets qui s’y rapportent ne semble pas faire partie de son habitus et de ses schèmes prégnants. 57 Cette même observation s’applique moins aux quotidiens Al Horriya et Le Renouveau. En effet, le recensement des reportages, des commentaires et des témoignages publiés par ces journaux permettent d’affirmer que les degrés 4-8 de cet indicateur ne semblent pas constituer une préoccupation pour les rédacteurs et les raisons sont à rechercher, soit dans la politique suivie par la rédaction dans la couverture des sujets qui traitent de cette catégorie de notre population, soit dans la formation même des journalistes et dans leurs manières d’aborder ces questions. Les seules unités rédactionnelles qui peuvent s’apparenter à la non- participation seraient les nombreux témoignages des jeunes membres du RCD, très souvent sollicités par les deux quotidiens pour s’exprimer sur des sujets liés à l’agenda de leur parti. Selon l’importance réelle ou symbolique du sujet et le degré d’investissement des instances étatiques, les témoignages publiés par ces deux quotidiens ne varient pas tant en fonction de la diversité des opinions exprimées que du nombre de personnes sollicitées dans une même unité rédactionnelle. A l’occasion de la signature du Pacte de la jeunesse, Al Horriya du 9/11/08, atteint un record de 23 témoignages de jeunes exprimant dans l’unanimité « la joie et la gratitude... ». Si cet exemple atypique semble être intimement lié au contexte politique, l’examen diachronique de la question de la participation montre la permanence de cette forme de participation dans les deux quotidiens en question. L’analyse quantitative des genres journalistiques a placé Le Temps en tête de classement pour le journalisme de terrain. L’examen qualitatif des unités rédactionnelles relevant de ce genre montre cependant un faible intérêt du quotidien francophone pour la participation des AJ. Même si les sujets traités sont plus soucieux du vécu, la parole est plus fréquemment donnée aux adultes (parents, experts, professionnels) qu’aux catégories concernées. Par rapport à 1998, Le Temps enregistre, cependant, une certaine évolution puisque des espaces d’expression ont été consacrés aux jeunes sur des sujets aussi importants que les valeurs (17/11/08), la sexualité (5/10/08 et 24/11/08) ou la vie estudiantine (12/11/08). Il se distingue des autres quotidiens en essayant de se démarquer de l’absence d’intérêt de La Presse pour cette participation AJ et en évitant le tokenism des quotidiens Al Horriya et Le Renouveau. En progression constante depuis 1998, Achourouk totalise le plus grand nombre de témoignages. Cependant, c’est le seul quotidien qui partage avec la presse hebdomadaire des formes hybrides de non-participation (micros-trottoirs, articles rédigés par des lecteurs collaborateurs) plus proches du tokenism, voire des deux autres formes de non-participation que d’une réelle implication des AJ. Mais à la différence des hebdomadaires, la contrainte du temps s’avère plus prégnante pour le premier quotidien du pays. En effet, la légitimité du micro-trottoir comme forme de participation se pose avec plus d’acuité quand les journalistes eux-mêmes donnent involontairement des indices sur les critères de choix des témoins sélectionnés. A propos d’argent de poche, une rédactrice d’Achourouk avoue que « dans le même cadre, nous avons rencontré par hasard une étudiante issue de l’immigration [min abna’ attounissiena bil kharej] revenue au pays pour poursuivre ses études universitaires » (3/10/98 p.14). 58 Outre la contrainte du deadline, l’invraisemblance des témoignages d’Achourouk tient aussi à une convergence incertaine entre les sujets traités et les témoins choisis. Les jeunes (hommes) peuvent être les témoins exclusifs de sujets qui concernent d’autres catégories d’âge : « la guerre de la télécommande pendant le mois de Ramadan » ou « les sorties ramadanesques nocturnes » comme ils peuvent être absents dans les sujets qui les concernent de près, « conflit des parents autour de la scolarité des enfants » (1/10/2003 p.6). Dans ce dernier cas l’exclusion est double : celle des EAJ et celles des mères puisque les témoins sont exclusivement des pères. Bien qu’elle soit moins visible, la non-correspondance entre les sujets et les témoignages est présente chez les rédacteurs d’Assabah. Les jeunes peuvent être interrogés sur la réinsertion sociale des anciens détenus, (Assabah 2/11/08 p. 3) mais leurs témoignages attestés par cinq photos d’identité sont celles de jeunes hommes qui n’ont pas connu l’expérience de la prison. Au-delà de cette tendance, L’analyse diachronique des unités rédactionnelles publiées par Assabah semble privilégier l’expression des adultes sur les questions des EAJ que la promotion de la participation des EAJ. Comme cela a pu être constaté pour les enfants, un autre exemple prouve, au-delà de son insignifiance statistique, que la promotion médiatique de la participation des AJ reste possible. Alors que l’ensemble des médias s’accordent à légitimer une vision institutionnelle de la discipline scolaire, Achourouk (22/10/03 p.7) publie le témoignage de quatre adolescents se revendiquant comme tels, réclamant « qu’on cesse de nous traiter comme des enfants et de convoquer nos parents pour des futilités », justifiant une certaine liberté pour la tenue vestimentaire : « La casquette, la chaîne autour du cou, la coupe de cheveux n’ont pas de rapport avec l’enseignement. » et appelant à une meilleure écoute de la part de certains enseignants et de l’administration. Ainsi, la participation des adolescents et des jeunes est fortement contrastée entre des titres qui semblent s’en désintéresser (La Presse et dans une moindre mesure Assabah) et les autres titres qui lui donnent des formes variées mais toutes plus proches du tokenism (participation formelle) que de la participation réelle. • La participation des enfants est plus rare et plus équivoque dans la mesure où elle dépasse occasionnellement les deux premiers degrés de l’échelle de la non-participation. • Deux arguments peuvent être avancés pour relativiser les résultats de notre analyse de la participation : - le corpus réuni est certes volumineux, mais ne couvre que deux mois de chaque année retenue ; - la visibilité médiatique de la participation n’est pas détachée des pratiques sociales qui oscillent entre la promotion des droits des EAJ et la légitimation d’une autorité sans partage des adultes18. 18 - Cette constatation est corroborée par des analyses menées à l’échelle régionale et internationale. Gerison Lansdown (2007 : 7) constate que « promouvoir la participation des enfants nécessite un éventail de compétences et d’expériences. Souvent, les initiatives échouent parce que les adultes qui travaillent avec les enfants ne sont pas qualifiés et ne comprennent pas comment céder leur pouvoir en faveur d’une approche basée sur le partenariat et la collaboration ». 59 BIBLIOGRAPHIE Accardo Alain (1997), Introduction à une sociologie critique, Bordeaux, Le Mascaret. Accardo Alain et al. (1995), Journalistes au quotidien, essais de socioanalyse des pratiques journalistiques, Bordeaux, Le Mascaret. Ben Brahim, Ali (2006), La transition matrimoniale : Évolution de la nuptialité et de la divortialité en Tunisie, in. Hamza, Nabila (dir.), Mutations sociodémographiques de la famille tunisienne, Tunis ONFP : 293-324. Ben Salem, Lilia (2007) En guise de conclusion, in. 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Lancé en octobre 1985 Al Mossawar est le troisième titre du groupe Al Anouar qui fut l’un des premiers à avoir adapté la formule des tabloïdes anglo-saxons au contexte tunisien. Outre l’hebdomadaire Al Anouar, ce groupe publie aujourd’hui deux quotidiens Achourouk et Le Quotidien. Al Osboui est un titre plus récent, mais il appartient à Dar Essabah, le plus ancien des groupes privés. Akhbar Al Joumhouriya a été créé au milieu des années quatrevingt-dix. Son directeur, Moncef Ben M’rad a été l’une des figures du journalisme indépendant en Tunisie pendant les années quatre-vingt. Les trois titres retenus ont été choisis parmi 12 titres de la presse hebdomadaire (à l’exclusion des magazines) dont le total des recettes publicitaires a atteint 2.3 millions de dinars en 2007. Il s’agit d’Akhbar Al Joumhouriya classé 3ème avec 411 mille dinars, d’Al Moussawar 8ème avec 94 mille dinars et d’Al Osboui qui occupe la 9ème position avec 57.5 mille dinars (Sigma Conseil, 2008). L’étroitesse du marché publicitaire accentue la concurrence et implique une tendance à l’uniformisation des contenus. Ainsi, les trois hebdomadaires retenus, comme la majorité des hebdomadaires, présentent un certain nombre de traits communs : • un format et un nombre de pages identiques : des tabloïdes de 40 pages ; • une moitié du volume rédactionnel consacrée à l’actualité sportive ; 62 • un traitement constant mais réduit (entre un encadré et une page) de l’actualité officielle ; • la spectacularisation des faits de société : le fait divers comme angle d’attaque des problèmes sociaux et la focalisation sur les vedettes de la télévision comme choix éditorial en matière de culture. Ces choix éditoriaux sont attestés par le profil des collaborateurs recherchés par ces titres, comme le montre l’annonce parue dans Al Osboui du 13 octobre 2008 : « Dans le cadre du renforcement de son réseau de correspondants, Al Osboui recrute des correspondants judiciaires et sportifs. Tous ceux qui s’estiment compétents en la matière peuvent nous envoyer leurs demandes avec une copie de la CIN, 2 photos d’identité, une copie du diplôme scientifique et un essai [ mouhawala fil kitaba], à l’adresse suivante… » . Le dépouillement des trois titres pour la période allant du 2 octobre au 30 novembre 2008 a permis de constituer un corpus de 282 unités rédactionnelles traitant des questions de l’enfance et de la jeunesse. La répartition de cet ensemble sur les différents titres place Al Osboui en tête de classement avec 109 unités, suivi d’Al Moussawar avec 103 unités et Akhbar Al Joumhourya avec 70 unités. Le nombre d’unités parues dans chaque titre ne semble pas signifiant en soi. La nécessité d’une analyse plus détaillée est alors apparue ; cette analyse a été organisée autour de trois axes : • les paramètres de la construction journalistique de l’actualité relative à l’enfance et à la jeunesse ; • les images de l’enfance et de la jeunesse ; • les formes de participation. 2.2. - La construction journalistique de l’actualité relative à l’enfance et à la jeunesse Cette construction est souvent en rapport avec les manières dont les différents titres de la presse hebdomadaire traitent le social dans son ensemble. Trois grandes tendances ressortent de l’analyse du corpus : 1. Les trois titres accordent un espace rédactionnel croissant allant de 3 à 5 pages aux faits divers au détriment des genres journalistiques de terrain. La mise en page des trois titres porte les marques de cette dissymétrie. Les pages faits divers sont intitulées « Affaires de société [ qadhaya al mojtamaâ] » par Al Osboui, « Société » par Akhbar Al Joumhouriya et « Faits de Société [ yahdouthou fil moujtmaâ] » par Al Moussawar, alors que les pages société au sens journalistique du terme deviennent « Fenêtre sur la Société » dans le premier titre, « Nationales [fawasel watania] » dans le deuxième et sont inexistantes dans le troisième. Sur le plan des contenus le fait divers singularise le problème de société dans la mesure où sa narration repose 63 souvent sur la responsabilité individuelle du coupable (souvent désigné, parfois suggéré) quand l’unique source du récit est la police judiciaire, ainsi que sur « le destin » de la victime quand le récit de cette même source est croisé avec celui des familles. Ces principes narratifs ne permettent pas le traitement des questions de la violence contre les enfants, de l’immigration clandestine, des conduites addictives… comme des phénomènes sociaux, et donc comme des problèmes publics. 2. A l’opposé, d’autres questions qui sont loin d’être des phénomènes sociaux, sont traitées en tant que problèmes publics en dépit de leur singularité. Le sociologue américain Joseph Gusfield (2008 : 158) définit un problème public comme « un processus au travers duquel un état de fait devient un enjeu de réflexion et de protestation publique et une ressource et une cible pour l’action publique. […] décrire la structure des problèmes publics c’est décrire la manière ordonnée dans laquelle des activités, des catégories et des arguments émergent dans l’arène publique ». Il estime aussi que les médias, et plus particulièrement la télévision, dominent aujourd’hui cette arène (Joseph Gusfield, 2005: 213). L’analyse du corpus a ainsi révélé que le choix des sujets et leur mode de traitement placent la presse hebdomadaire en première ligne dans la construction / fabrication / diffusion d’une actualité susceptible de devenir un problème public. Cette presse sert d’indicateur et parfois d’amplificateur aux autres médias et particulièrement aux médias audiovisuels privés. Deux exemples peuvent illustrer le rôle joué par la presse hebdomadaire dans la mise en scène de l’actualité relative à la thématique étudiée. Akhbar Al Joumhouriya (02/10/08 p.8) fut le premier à traiter des enfants atteints par la Xeroderma pigmentosum, une maladie cutanée rare et incurable. Sous le titre « Des enfants interdits de soleil », la rédactrice rapporte le nombre de malades dans le monde (4000), en France (entre 30 et 50) et au Maroc (autour de 300). Pour la Tunisie, elle se contente de rapporter les propos d’un spécialiste qui estime ce nombre à « des centaines, mais difficilement identifiable avec précision car la majorité des cas ne sont pas identifiés ». Plusieurs autres titres reprendront le sujet sans citer le nombre de cas enregistrés en Tunisie. Le magazine Al Moulahedh [l’observateur] du 26 novembre 2008 reproduira les mêmes informations puisées chez la même source, à la seule différence que l’article a été annoncé à la une et illustré par des photos d’enfants mannequins et sains. Il aura fallu attendre le 22 janvier 2009 pour que Fi Daïrat Adhaou d’Hannibal TV impose la dénomination Atfal al qamar (enfants de la lune) et donne une estimation chiffrée du nombre de cas enregistrés en Tunisie. Or depuis octobre, le site de l’association « Aide aux enfants atteints de xeroderma pigmentosum » annonce qu’il existe en Tunisie entre 600 et 800 cas connus et que le nombre total pourrait atteindre 1000 cas19. A l’occasion de son 4ème anniversaire, 19 - Selon le site http://www.xp-tunisie.org.tn « Le nombre exact d’enfants atteints de xeroderma pigmentosum est inconnu. Il est estimé entre 600 et 800 cas, ceci si on tient compte des patients suivis par Dr Zghal et l’extrapolation à partir des arbres génétiques. Il reste encore plusieurs familles touchées non identifiées et des patients qui n’ont jamais consulté dans un service spécialisé. Ainsi le nombre de cas pourrait s’élever à plus de 1000 cas ». 64 Hannibal TV lance le 13 février 2009, un jeu concours sur le nombre d’enfants atteints par la maladie avec trois éventualités de réponse : 600, 800 et 1000 cas. Si elle peut être à l’origine d’un phénomène médiatique, la presse hebdomadaire peut aussi en amplifier d’autres et participer ainsi à la définition de leurs cadres interprétatifs. Al Osboui (20/10 /08 p.11) publie une correspondance de Sfax relatant deux cas d’infanticide. Sans aucune vérification des deux informations, Al Joumhouriya (27/11/08 p.4) les reprend et leur rajoute un troisième cas. Entre temps, toute la presse semble avoir été saisie par une interrogation sur les origines génétiques en multipliant les articles sur l’analyse génétique et les tests ADN (Al Osboui du 24/11 p.1 et 5), la possibilité de changer les enfants dans les maternités (Achourouk du 25/11 p.5) et les filles qui tombent « enceintes après une tasse de café » (Al Joumhouriya du 13/11 p.9). Encore une fois, le point d’orgue de cette montée en puissance médiatique sera donné par Fi Daïrat Adhaou le 20 novembre 2008. Pour traiter du sujet des mères célibataires, l’animateur et ses reporters avaient un maître-mot: ilghalta [La faute], déclinée par une partie de ses invités en spéculations sur la norme sociale et la nécessité de la préserver. 3. A côté de ces deux modèles de construction médiatique des problèmes publics relatifs aux enfants et aux jeunes, l’analyse du corpus a permis de dégager un troisième modèle qui échappe à la narration singulière et qui consiste à transformer un phénomène social en politique publique : c’est ainsi que le chômage des jeunes diplômés n’est jamais traité en tant que tel mais toujours à travers le prisme officiel « des mesures gouvernementales pour encourager l’emploi des jeunes diplômés » ou selon l’angle euphémique de l’événementiel « Premier salon de création des entreprises » (Al Moussawar du 6/10 p.6). Les différents titres analysés n’adoptent pas la même ligne éditoriale par rapport à cette actualité. Sur 17 unités recensées, 14 ont été publiées par Al Moussawarr et 3 par Al Osboui. Akhbar Al Joumhouriya n’a publié aucun article consacré à l’actualité institutionnelle de l’enfance et de la jeunesse pendant les deux mois étudiés. Au-delà du positionnement de chacun des titres, le traitement de cette actualité adopte les mêmes conventions rédactionnelles que l’ensemble des médias : Les enfants et les jeunes sont le plus souvent l’objet de déclarations publiques, d’abstractions chiffrées et/ou la preuve de la justesse des choix politiques qui les concernent20 . 2.3. - L’image des enfants Pour distinguer les sujets relatifs à l’enfance de ceux qui concernent les jeunes, la base de départ a été la classification la plus communément admise : sont considérés comme des enfants, ceux qui ont entre 0 et18 ans et comme jeunes la classe d’âge comprise entre 19 20 - Cf. l’analyse de la presse quotidienne. 65 et 29 ans. Or, le dépouillement du corpus a révélé que les constructions journalistiques ne sont pas toujours en conformité avec cette classification. Ainsi, les thèmes relatifs à l’adolescence sont quasi-absents des titres étudiés et la détermination de la classe d’âge peut parfois s’apparenter à la devinette « L’âge de la fille est supérieur à 15 et inférieur à 20 » (Al Moussawar du 6/10/08 p.12). L’énonciation journalistique a tendance à associer cette catégorie soit à l’enfance, soit à la jeunesse. A quelques rares exceptions, les adolescents victimes ou modèles sont présentés comme des enfants, alors que les adolescents délinquants sont considérés comme des jeunes. 2.3.1 - Une enfance victime Les images de l’enfance sont construites par rapport à une représentation sociale devenue norme et qui est aujourd’hui transculturelle: les enfants sont/doivent être « gais/insouciants [playful] et innocents » (Patricia Holland, 2008 : 50). Qu’ils soient victimes ou modèles, les récits de la presse hebdomadaire sur l’enfance reposent, souvent d’une manière implicite, sur cette trame de fond. Victimes des mères meurtrières « Crime odieux à Agareb : elle jette son nouveau-né sur la route, il est déchiqueté par le passage de dizaines de véhicules. » (Al Osboui, 20/10 p.11), « Un évènement horrible à Sfax : elle accouche puis jette son nouveau-né dans les toilettes de la gare.» (Al Osboui, 20/10 p.11) ; « L’une jette son enfant par la fenêtre, l’autre met sa fille au four. » (Akhbar Al Joumhouriya, 6/11 p.6) ; « La première dépose son nouveau-né dans les toilettes de la gare, la deuxième le jette sous les roues quand la troisième l’enterre vivant. » (Akhbar Al Joumhouriya, 27/11 p.4). L’usage du pronom personnel féminin de la troisième personne du singulier « elle », ne vise pas tant la préservation de la vie privée que la stigmatisation, quitte à ne pas tenir compte de l’une des règles de base du journalisme : la vérification de l’information. L’exemple d’Agareb ne contient qu’un seul fait recueilli auprès de la gendarmerie : la découverte du cadavre d’un nouveau-né sur la route. Les auteurs de l’acte n’ayant pas été identifiés. D’«elle », la justice et encore moins la rédactrice n’en savaient rien. Si elles ne sont pas criminelles, les mères sont parfois les seules coupables de maltraitance : « Une mère coupe le nez de sa fille et la scalpe. » (Akhbar Al Joumhouriya 23/10/08 p.6) ou de négligence : « La mère tue le père, la prostitution accueille la fille mineure. » (Al Osboui, 24/11 p.11). Après le détail sur la pratique du vice, la consommation d’enivrants et le travail exemplaire des enquêteurs, le rédacteur consacre deux lignes à la jeune mineure de 16 ans « victime de la situation sociale de sa famille », annoncée dans le titre. Les pères sont la plupart du temps absents et leur présence dans ce genre de récit n’est que rarement rapportée sous le signe de la complicité, (Akhbar Al 66 Joumhouriya, 23/10 p.3). La presse écrite semble ainsi participer à la reproduction d’une idée socialement admise : de par « leur nature et leur instinct » (Cf. Alan Prout, 2008), les mères seraient les seules responsables de l’éducation des enfants. Les conseils éducatifs d’Al Moussawar sont publiés chaque semaine dans la rubrique : « Elle ». Leur basculement dans l’horreur ne peut que confirmer cette croyance. Victimes de la « médecine » Si la famille en tant qu’institution sociale n’est jamais perçue comme responsable des atteintes à l’intégrité physique de l’enfant, la presse hebdomadaire ne réserve pas le même sort aux structures de santé. « Le médecin, la sage-femme, la direction de l’hôpital, l’étrange seringue » sont souvent montrés du doigt même après une décision de justice qui les disculpe. « Aya ne s’assoit pas, ne marche pas et ne se met pas debout : sa mère accuse la sage-femme et la direction de l’hôpital nie toute responsabilité. » (Akhbar Al Joumhouriya, 20/11 p.4) ; « Est-ce une erreur médicale ? Ranim est née sans rein, sans bassin et les membres inférieurs atrophiés [nisfouha al asfal mouchawah]. » (Al Osboui, 24/11 p.10). Alors que la totalité de l’article est basée sur le témoignage du père de la victime, son habillage met l’énonciation journalistique dans une posture plus proche de l’engagement partisan que de la neutralité : la forme interrogative du surtitre résonne comme un refus de la décision de justice qui a disculpé le médecin. De même, l’actualité de cette affaire est en rapport avec l’ouverture « aujourd’hui même » du procès en appel. Victimes des accidents « Un bus heurte l’ange Sonia et lui fracasse le crâne. » (Al Osboui, 13/10 et 20/10 p. 10) ; « Maya est partie acheter un cahier de récitation, elle est écrasée par un bus. » (Akhbar Al Joumhouriya, 16/10) ; « Un enfant descend de la voiture pour acheter des bonbons, il est tué par un poids lourd. » (Al Moussawar 3/11 p.12) ; « On a retrouvé le cadavre de Bilel carbonisé et les dégâts s’élèvent à un demi milliard.» (Akhbar Al Joumhouriya, 2/10 p. 4). Victimes d’abus sexuels Les récits journalistiques sur cette question sont rares et ne sont jamais désignés comme tels. Leur évocation passe par des ellipses « Il a donné un paquet de jus et 2 dinars à la fille de 14 ans : l’épicier du quartier coupable d’un acte ignoble [amla mchouma]. » (Akhbar Al Joumhouriya, 20/11/08 p.5) ; des métaphores « un enfant dans « les griffes » d’un épicier » (Al Osboui, 20/10 p.11) ; ou carrément par des litotes « arrestation d’un déviant » (Al Osboui 13/10 p. 11). Malgré les variations stylistiques, ces différents récits ont tendance à focaliser l’attention sur les déviants (marginaux, coupables…) et à passer sous silence la souffrance des enfants. Même quand le journaliste tente d’aller au-delà du fait 67 divers et essaie d’expliquer le problème de la pédophilie, les conventions rédactionnelles du journal obstruent l’intelligibilité du discours. Ainsi sous le long titre étalé sur deux lignes et toute la largeur de la page d’Akhbar Al Joumhouriya se nichent en fait deux unités rédactionnelles : celle du cas rapporté et celle de l’avis d’un psychiatre. Outre les erreurs de transcription du nom du médecin, cette unité se présente sous forme d’interview hybride où toutes les questions sont réunies dans une sorte d’introduction et les réponses sont truffées de contradictions. Le souci du respect des conventions rédactionnelles propres au fait divers autorisent certains rédacteurs à présenter l’abus sexuel comme une banale histoire de promesse de mariage non tenue. Dans son édition du 3 novembre (p.12) Al Moussawar commence par s’interroger « jusqu’à quand les filles de tout âge et de tous les milieux vont-elles rester la proie [farisata] des promesses mensongères ? » Mais dans son article, le rédacteur construit son récit - bien qu’il s’agisse d’une mineure - selon le modèle canonique de « la promesse de mariage et de la robe blanche - la perte de la virginité - la multiplication des rendezvous sexuels - la grossesse inéluctable - la rupture - la plainte…». Cette structure narrative s’avère souvent plus respectueuse des normes sociales que des droits des enfants : à aucun moment les mères célibataires mineures ne sont considérées comme des ayants droit (Cf. infra : section 3.2). Victimes du « destin » En cas de décès de l’un des parents. « La victime a laissé derrière lui [X nombre] d’innocents » (plusieurs exemples dans les trois titres). « La localité de Kondar a perdu l’un de ses honorables fils, le dénommé Ali, marié et père de 4 enfants dont le dernier est encore nourrisson » (Akhbar Al Joumhouriya , 2/10) ; « Les enfants de Jamila ont été privés trop tôt de leur mère » (Akhbar Al Joumhouriya, 23/10) ; « Un père de 5 enfants tué pour… un lapin » (Al Osboui, 17/11 p.9). Dans ce type d’unités, les enfants ne sont pas les sujets de l’article mais en constituent l’accroche au sens publicitaire du terme. Ils n’apparaissent que dans l’habillage de l’article : parfois dans la titraille et souvent comme illustration les photos d’identité des enfants des disparus. … et des chercheurs de trésors « Un enfant kidnappé dans son sommeil… le gang des chercheurs de trésors au banc des accusés [fi qafassi al ittiham] » (Al Osboui, 27/11 p.9). A la fin de l’article, le rédacteur se contredit et rapporte les propos du père de la victime qui soupçonne « les chercheurs de trésors, car son fils en porte la trace dans son œil ». L’image d’une enfance victime est accentuée par le choix des illustrations qui exercent deux fonctions : une fonction suggestive et une fonction démonstrative. En effet, les articles 68 en question sont souvent accompagnés soit de photos d’identité des enfants victimes, soit de photos puisées dans les albums de leurs familles, comme si ces images d’enfants souriants mais disparus, demandent au lecteur un supplément de compassion que ni la titraille, ni le récit de leur drame ne pouvaient suggérer. Dans certains cas, la logique de la suggestion est poussée à l’extrême quand un sujet se rapportant à la mort violente d’un adolescent est accompagné d’une photo ancienne de la victime (Akhbar Al Joumhouriya, 9/10 p.4) ou dans un autre registre, quand un reportage sur le service de carcinologie à l’hôpital des enfants de Bab Saâdoun est accompagné de la photo d’un bébé vif et souriant tout droit sorti d’une carte postale ou d’une affiche publicitaire ou des bases d’images libres de droits d’auteur sur Internet (Al Moussawar, 13/10 p.4). Le problème posé par cette seconde forme de suggestion est que le récit journalistique se trouve en porte-à-faux avec la réalité dont il est censé rendre compte. Plus rarement, les photos sont démonstratives quand elles tentent de coller au plus près du sujet traité (plusieurs points de suture sur le visage balafré d’un adolescent (Al Osboui, 6/10 p.11), une petite fille handicapée et nue (ibid.24/11 p.10), un petit garçon estropié et nu (ibid.10/11 p. 8). 2.3.2 - Une enfance exemplaire Cette image d’une enfance victime coexiste, souvent dans un même article (Al Osbouii du 10/11/08 p. 8), avec la construction médiatique d’une enfance exemplaire c'est-à-dire à l’image du monde des adultes et de leurs désirs. Le premier de ces désirs/phantasmes est celui de l’enfant surdoué : un article d’Al Moussawar (10/11/08 p.4) nous en apprend la recette : celle d’une filiale tunisienne d’un groupe malais qui commercialise « un programme de fabrication des surdoués en Tunisie », basé sur le développement des capacités de l’enfant en calcul mental. Dans un article aux allures de publireportage21 , Akhbar Al Joumhouriya (30/10/08 p.9) certifie que « l’inscription aux lycées pilotes est réservée aux seuls élèves distingués et brillants. Il est certain qu’en accueillant l’élite des élèves, ces institutions éducatives préparent les surdoués qui seront au service de la nation dans un large éventail de secteurs ». Au-delà de ces manifestations paroxystiques, l’exemplarité en question prend corps autour des images de l’enfant intelligent et débrouillard : « Caméra cachée : l’’intelligence de l’enfant tunisien », (Al Osboui 6/10/08 p. 16), très bon élève surtout s’il est victime d’un accident (plusieurs exemples dans les trois titres, Akhbar Al Joumhouriya16/10/08 p.5). Par ailleurs, les récits journalistiques insistent sur le caractère exceptionnel de certains enfants. Exceptionnel - star « un préadolescent acteur dans un film » (Akhbar Al Joumhouriya, 13/11 p.2) mais surtout exceptionnel - pieux : la même photo montrant un enfant en prière, publiée dans les 9 numéros analysés d’Al Moussawar comme illustration du douâa [louanges] de la rubrique religion : « Un enfant qui a appris la sourate de la Fatiha à l’âge 21 - Le lycée pilote du lac une pépinière de talents : L’article est dithyrambique, mais ne donne aucune précision temporelle et ne porte aucune signature malgré la forte présence de l’énonciateur. 69 de 4 ans. » ; « A 4 ans et demi il apprend tout le Coran.» (Akhbar Al Joumhouriya, 9/10 p.4 et 16/10 p.11). Dans une société travaillée par le retour du religieux, l’enfance est mise à contribution pour conforter les attentes du monde des adultes. Mais le caractère exceptionnel peut revêtir un autre sens quand il s’agit de reporter sous le signe de « la surprise et de l’humour » le cas de « deux enfants sourds-muets [qui] dérobent plus de 100 mille dinars » (Al Osboui, 24/11. p.11). L’enfance n’apparaît pas pour ce qu’elle est : un ensemble de personnes en devenir qui ont besoin d’éducation et de protection mais en tant qu’enjeu institutionnel, victime ou exemplaire, autant de prismes construits par la société des adultes et reproduits/mis en scène par la presse hebdomadaire. Ces prismes reflètent l’un des obstacles majeurs à la promotion des droits de l’enfant. Les enquêtes les plus récentes s’accordent à considérer la violence contre les enfants comme un phénomène massif (94 % des enfants tunisiens entre 2 et 14 ans subissent différentes formes de violence, et 73 % endurent des châtiments corporels (MICS III : 56) et multiformes (au foyer, à l’école, dans la rue…). Au-delà de la singularité des récits rapportés et leurs éventuelles ruptures avec le réel, les constructions journalistiques sont paradoxalement en phase avec la manière dont d’autres institutions sociales envisagent cette question de la violence. Les médias comme la justice semblent privilégier une interprétation minimaliste de la violence contre les enfants basée sur l’article 319 du code pénal qui stipule que « la correction infligée à un enfant par des personnes ayant autorité sur lui n’est pas punissable ». Le nouvel arsenal juridique mis en place pour protéger l’enfant contre l’autorité familiale et scolaire à partir de 1995 (Cf. 3ème rapport sur les droits de l’enfant, 2007 : 51-52) semble dans la pratique peser moins lourd que l’article 319 datant de 1913. Le conflit entre les lois ainsi que leur interprétation minimaliste peuvent mener certains énonciateurs au-delà du non respect des droits de l’enfant. La contestation de ces mêmes droits ne prend pas les formes habituelles de l’expression des opinions22 mais s’infiltre sous des formes indirectes et anodines dans la thèse qui se présente comme irréfutable : « Les anges de la miséricorde [mala’ikatou arrahma] dont nous évoquons trop les droits et les moyens nécessaires pour un développement sain et équilibré, commettent les crimes les plus odieux que les psychologues et les sociologues sont incapables d’expliquer. » (Akhbar Al Joumhouriya, 2/10). 2.4. - Une jeunesse coupable ? Sur le plan lexical, l’analyse du corpus a révélé que les termes chab, chabba, chabab (jeune au masculin, au féminin et au pluriel) Fatat (une fille) sont utilisés d’une manière extensive pour désigner aussi bien des adultes de plus de 30 ans que des adolescents de moins de 15 ans. Parallèlement, plusieurs jeunes ne sont pas désignés en tant que tels mais en tant que 22 - Comme la tribune libre, le commentaire ou encore l’article de fond. 70 harek (émigré clandestin), liss (voleur), mrammagi (une connotation péjorative d’ouvrier du bâtiment) tilmidh (élève), taleb (étudiant) ou encore al mottaham (l’accusé), chahkss (un individu), voire Tounisi (un Tunisien). L’analyse thématique de ce champ lexical montre une certaine tendance à la stigmatisation de la jeunesse. Cette stigmatisation prend plusieurs formes que nous pouvons situer entre deux extrêmes : la stigmatisation au singulier et la pluristigmatisation. 2.4.1 - L’image d’une jeunesse marginale à plus d’un titre Un énoncé comme « Onze jeunes [chab] et deux filles [fatatayni] réunis autour du cannabis [Zatla]. » (Al Moussawar , 6/10 p.13) suggère que les usagers des drogues sont toujours jeunes, désœuvrés et sont souvent impliqués dans des pratiques douteuses. Le nombre cité de jeunes filles, leur lieu de résidence (sud de la capitale), le lieu de leur arrestation (nordest) suggèrent sans l’expliciter l’accusation des uns de proxénétisme et des autres de prostitution. Traitée dans une brève, la même information insiste moins sur ces détails que sur le rôle de la police judiciaire (Akhbar Al Joumhouriya du 9/10). La construction des forces de l’ordre comme acteur central « Les unités de la brigade nationale frappent fort au cœur de […].» entretient souvent une confusion expiatoire entre « les consommateurs et les vendeurs de drogues, organisés en réseaux, sont arrêtés par dizaines » (Al Osboui , 3/11/08 p.10). Pour Al Moussawar (3/11/08 p.13), cette confusion prend une forme plus explicite : « Au cours de leur travail habituel de répression de la déchéance morale et de leur lutte contre les contrevenants à la loi soit par la consommation de drogue ou de boissons alcoolisées, l’attention des forces de l’ordre a été attirée par trois jeunes au comportement suspect… » Dans d’autres cas, la stigmatisation des jeunes associe leurs origines sociales aux pratiques illicites et socialement répréhensibles. Nous avons ainsi relevé que les chroniqueurs judiciaires ont tendance à citer avec précision les lieux des crimes et délits : « le cœur de la vieille ville de [… ]» (Al Osboui , 3/11 p.10) ; ou « un endroit obscur du quartier [X], [telle localité]- ouest de la capitale » pour mieux signifier que « le meurtre de l’ouvrier de réparation de pneumatiques [âjjal] a eu lieu suite à une beuverie [jalsa khamriya] organisée avec la complicité d’un vendeur clandestin de boissons alcoolisées » (Al Osboui , 27/10 p.11) 23. 2.4.2 - La stigmatisation au singulier A l’opposé de ce traitement pluri-stigmatisant, un traitement journalistique non moins stigmatisant a pu être dégagé. Il annihile toute possibilité d’intelligibilité du social à partir du moment où le « je » énonciateur prend la figure traditionnelle du dénonciateur/redresseur 23 - La semaine d’après, le même rédacteur revient sur la même affaire pour rappeler que son journal a publié l’information en exclusivité (Al Osboui, 3/11 p.9). La comparaison entre les deux unités montre une forme de renoncement au travail journalistique à partir du moment où le rédacteur semble adhérer totalement aux thèses développées par ses sources : Celle de la police judiciaire dans le premier et celle du frère de la victime dans le second. 71 de torts des jeunes ou qu’il tente de circonscrire les faits rapportés dans la banalité de leur récurrence. Selon l’auteur anonyme d’un commentaire publié par Al Osboui du 3/11 (p. 6), l’environnement des institutions scolaires s’est transformé en « théâtre d’altercations, de disputes et d’agressions contre les passants qu’ils soient piétons ou motorisés. La mode est aux insultes et aux mots orduriers à travers lesquels l’élève semble malheureusement prouver ses capacités d’intégration dans le système de l’effronterie [qilli’t al haya’]. Où allons-nous ? ». Parallèlement, l’énonciation peut prendre des postures plus neutres, en apparence : « Un élève poignarde un autre [Tilmidhoun yatâanou tilmidhan].» (Al Moussawar, 6/10 p.13), mais aucun de ces deux énoncés ne permet au lecteur de comprendre la violence dans le milieu scolaire ni d’envisager les moyens pour la prévenir. La narration même des crimes et délits construite sur le modèle canonique d’une ouverture - intrigue - dénouement participe au brouillage des racines sociales de la violence : « Une plaisanterie se transforme en altercation et finit par le meurtre de Wajdi. » (Akhbar Al Joumhouriya, 9/11 p.4) ; « Un différend entre deux jeunes ivrognes se transforme en bataille entre deux familles : des pierres, des couteaux, des gourdins… des blessés et des voitures saccagées. » (Al Moussawar, 3/11 p. 13). Utilisant les mêmes procédés du commentaire moralisateur ou de la structure canonique du fait divers, le récit journalistique n’est pas à l’abri du passage à l’acte. Sous le titre « J’aime la caresse »24, l’auteur s’étonne qu’une « fille » puisse sortir dans la rue avec un T- shirt portant cette inscription. Il affirme que « la fille qui porte cette expression directement sur ses seins est certainement consciente de ce qu’elle fait » et se demande « si un jeune répond à son appel…peut-on le lui reprocher ?… Et s’il est traduit devant la justice, peuton le considérer comme délinquant ou comme victime de cette provocation ? Peut-on accuser la fille de harcèlement sexuel et « d’appel à la caresse » surtout que la justice disposera du T- shirt comme pièce à conviction ». (Al Osboui, 13/10 p.5). Dans un autre registre, le récit journalistique peut basculer dans la fascination adolescente envers la mort : « Fin tragique sur l’asphalte du fan des grosses cylindrées : des dizaines de motards l’ont accompagné à sa dernière demeure », avec des photos à l’appui dont l’une d’entre-elles montrant le jeune cabré sur une moto. Or, au détour d’une phrase, l’article nous apprend que le jeune a été victime d’un accident de la voie publique, lorsqu’une voiture l’a heurté sur le trottoir (Al Osboui, 17/11 p.10). 2.4.3 - Entre stigmatisation et compassion : les jeunes de l’émigration clandestine Entre la pluri-stigmatisation et la stigmatisation au singulier, l’analyse du corpus a 24 - En français dans le texte. 72 permis de dégager la figure du jeune émigré clandestin toujours coupable dans les récits d’une presse hebdomadaire qui épouse le point de vue de la loi nationale mais aussi le point de vue de la presse italienne qui elle-même utilise le plus souvent la police comme seule source d’information. Mais derrière la stigmatisation obligée, pointent souvent des formes de compassion pour ceux qui « brûlent » et/ou pour leurs familles . Sur le plan quantitatif, c’est Al Osboui qui accorde à cette question l’espace rédactionnel le plus important. Les pages « Questions de société » contiennent la rubrique « D’Italie » et une autre rubrique sans titre et irrégulière traitant de l’actualité nationale de l’émigration clandestine. Dans cette première rubrique, le rédacteur anonyme reprend sous forme de brèves, toutes sortes de faits divers relatifs à la communauté tunisienne. Malgré le style télégraphique de ces brèves et la tendance à reproduire les stéréotypes italiens sur les émigrés « venus d’Afrique », l’auteur essaye parfois d’atténuer le registre de la stigmatisation : « Les 5 jeunes arrêtés par la police italienne étaient à la recherche d’un travail. » (27/10 p. 9) ; « Parmi les 260 émigrés illégaux, - en majorité des Tunisiens selon la presse italiennefigurent 8 filles et deux enfants. » (ibid.) Parfois Al Osboui semble jongler entre la stigmatisation et la compassion en alignant dans la même page actualité nationale et actualité italienne, travail de terrain et reproduction des informations de la presse transalpine. Ainsi, l’édition du 17/11 (p.9) livre une brève en provenance d’Italie sur « l’arrestation devant un lycée d’un jeune ‘‘Harek’’ dealer ». Mais l’article central (2/3 de la page) est consacré au témoignage de la sœur d’un candidat malheureux à l’émigration. Si la prise en compte de la parole des candidats et de leurs familles reste rare (une seule unité rédactionnelle sur une vingtaine parues dans les trois titres) c’est parce que cette parole recèle toutes les composantes du drame d’une jeunesse plongée dans le désespoir, malgré le diplôme supérieur et un vague emploi « dans un collège grâce au fond de solidarité 21-21 ». En dépit du dépouillement du style rédactionnel, le lecteur est pris au dépourvu par le récit du « combat contre la faim et la mort dans les eaux internationales », des arrestations, « des marques de violence sur le corps nécessitant une intervention chirurgicale» et de « la profonde dépression » qui en résulte. Mais cette attitude de compassion est loin d’être partagée par l’ensemble de la presse hebdomadaire et l’espace médiatique d’une manière générale. L’image dominante est celle qui établit une nette distinction entre le qui de la stigmatisation et le qui de la compassion : aux jeunes, un discours moralisateur et culpabilisant et aux familles toute la compassion pour les souffrances infligées par leurs rejetons. Akhbar Al Joumhouriya (9/10 p.5) définit les termes de cette distinction en affirmant qu’ « un seul qualificatif résume l’émigration clandestine [Harqan] un voyage vers l’inconnu, une expédition vers la mort qui laisse derrière elle des drames et qui prive plusieurs parents de leur chair… La cupidité et le manque de discernement ont souvent des conséquences négatives inoubliables. Malgré cela, certains jeunes rêvent d’outre-mer et risquent leur vie». 73 2.5. - La question de la participation Les représentations journalistiques ont servi de point de départ à l’analyse de la question de la participation des jeunes ce qui allait permettre par la suite d’étudier ses mises en pratique. Sur la totalité du corpus retenu, aucune unité, aucun espace rédactionnel n’a été consacré à l’expression des opinions des enfants et encore moins à leur participation à la prise des décisions qui les concernent. Les raisons de cette absence sont multiples. D’une part, il semble qu’elle s’explique par les interconnections entre les représentations médiatiques et les représentations sociales qui privilégient les images d’enfants victimes/ou exemplaires, objets d’attention plutôt que des ayants droit. D’autre part, cette absence est en rapport avec le modèle économique de la presse hebdomadaire qui repose sur le recours quasi-systématique aux rédacteurs non professionnels, peu préparés aux principes de la collecte des témoignages des enfants. 2.5.1 - La participation des jeunes « lecteurs - collaborateurs » Cette absence d’intérêt pour la participation des enfants contraste avec la pluralité des modes de participation de la jeunesse. Parmi les trois titres retenus, Al Moussawar est le seul à consacrer une rubrique dédiée à l’expression des jeunes. Une vignette de cette rubrique intitulée Achabab horriya- Sawt al qorra 25 , (Une Jeunesse libre - la voix des lecteurs) nous informe qu’ « une Jeunesse libre est un espace ouvert par Al Osbou Al Moussawar, tous les lundis, pour rencontrer ses lecteurs sur le chemin de la parole vraie et mesurée et de l’opinion libre et objective dans tous les domaines. Nous avons conçu «Une Jeunesse libre » comme un espace de concrétisation de la liberté d’expression et du pluralisme. A vos plumes, vos opinions sont les bienvenues ». Cependant, l’invitation enthousiaste aux jeunes lecteurs à la participation s’avère plus compliquée dans la réalité. L’énoncé même de cette invitation à la participation définit les frontières de « la parole vraie » qui devrait aussi être « mesurée » et celles de « l’opinion libre » qui semble ne pas exister en dehors de « l’objectivité ». La lecture du corpus relève deux écueils qui sont au cœur de la définition de la participation : L’identité des participants et les sujets traités comme modes de mise en pratique de cette participation. Ainsi la catégorie « jeune » construite par la rubrique est subdivisée en deux sous - catégories : des jeunes plus ou moins anonymes qui signent leurs contributions par un prénom, un nom, parfois un lieu de résidence et plus rarement une photo d’identité, et ceux qui rajoutent une fonction : « XY (lieu), chercheur à l’Université tunisienne/ Département 25 - La seconde partie du titre de la rubrique semble témoigner de la difficulté à rendre publique la parole des jeunes. D’une édition à l’autre al Qoora’(les lecteurs) peuvent devenir al Qari’ (le lecteur), présentés en petits caractères gras, mis entre parenthèses ou entre guillemets et plus rarement alignés sur le même caractère typographique de l’expression « une Jeunesse libre ». 74 d’histoire », ou « l’éducatrice26 XY », ou encore « XY, élève (lieu) » et « XY, étudiant de 3ème cycle ». L’examen de la rubrique sur les deux mois d’octobre et de novembre montre la récurrence de certaines signatures qui est de nature à brouiller les frontières notionnelles entre « lecteur » et « collaborateur ». Le cas le plus symptomatique de ces lecteurscollaborateurs est celui du « chercheur à l’Université tunisienne/ Département d’histoire » qui s’avère « lecteur » au sein de la rubrique Une jeunesse Libre (6/10 p.11, 20/10 p.11, 24/11 p.11), mais aussi l’un des correspondants régionaux des pages Faits divers (6/10 p.12 et 13, 3/11 p. 13). Les sujets traités par la rubrique révèlent un autre aspect que peut donner Al Moussawar à la notion de participation. L’ensemble de la rubrique entretient avec l’actualité et l’écriture journalistique des rapports inconstants de proximité/distanciation. Sur un total de 37 unités rédactionnelles parues dans Une Jeunesse Libre, entre le 6 octobre et le 30 novembre 2008, 15 d’entre elles relèvent des « Khawater », un genre non journalistique qui peut être situé entre l’essai littéraire et le fragment du journal intime, où le « je » énonciateur donne libre cours à ses sentiments envers « les femmes dont les mystères sont des grottes d’interrogations » (6/10), avoue un « amour contrarié et coupable » (13/10), souhaite la bienvenue à un nouveau né (20/10), rédige une « Lettre à une femme » (27/10), évoque la mémoire d’un notable disparu et salue le courage de sa veuve (3/11), érige l’amour de sa propre mère en modèle (17/11), ou redessine la carte du tendre (10/11). Alors que ce type d’écriture se libère généralement des normes socialement admises, les Khawater publiées par Al Moussawar reproduisent au-delà de la trouvaille stylistique, des métaphores éculées de la littérature : L’amoureux transi, les femmes mystérieuses et à l’occasion infidèles, les veuves éplorées, les mères parangon de l’amour ou les nouveaux - nés [dans le cadre du mariage] symbole de l’innocence. L’intérêt des Khawater du corpus est beaucoup plus sociologique que littéraire, car derrière l’omniprésence du « je », transparaît un certain nombre de préoccupations d’une partie de la jeunesse. Mais l’expression publique de ces préoccupations semble être conditionnée par l’aptitude des auteurs à se conformer au monde des adultes ou plus précisément aux représentations sociales les plus communément admises. Ainsi l’expression de l’amour : « Ton amour a secoué mon cœur par 6 degrés sur l’échelle de Richter. », va de pair avec la réprobation sociale des relations hors mariage : « La conscience se dresse pour me culpabiliser de cet amour. Le sur - moi surgit avec sa djellaba blanche et sa barbe fournie : Qu’as-tu fait ? Comment peux-tu aimer, fondre de passion pour elle, et elle pour toi en l’absence de tout lien légal ? » (13/10). Pour les jeunes de conditions modestes : « Je suis pauvre mais j’ai un cœur pur… », la légitimation sociale du projet amoureux devient impossible à cause des femmes qui « ne rêvent que de matière et s’intéressent beaucoup moins à la personne qu’à son compte bancaire et à ses titres fonciers ». (3/11/08) 26 - Le terme Morabbi signifie aussi bien la fonction des éducateurs de la petite enfance que les différentes catégories du personnel enseignant d’une manière générale. De plus en plus d’enseignants du primaire se présentent comme morrabin plutôt que comme instituteurs. 75 La quasi - absence de contributions féminines sur le sujet semble être concordante avec les principes moraux encore en vigueur dans les milieux sociaux conservateurs. Cependant, l’expression du sentiment amoureux des rédactrices n’est pas interdite dans les pages d’Al Moussawar. Cette expression ne semble pouvoir exister que sous deux conditions. Le dédoublement du féminin d’abord : une contribution publiée sous la signature d’une jeune femme et de sa photo d’identité mais où le « je » énonciateur est masculin et l’inscription dans l’horizon d’attente du lecteur construit par le journal, ensuite. La somme de ces procédés de fabrication de l’expression publique donne au récit le caractère de l’inquiétante étrangeté : « Aujourd’hui… tu déclares ton amour à un autre homme, je suis témoin de ta trahison, tu as transpercé mon cœur, blessé mes rêves. Tu changeais de couleur comme un caméléon, tes promesses étaient mensongères. Que je suis sot et que tu es vile. » (27/10) Au-delà des Khawater, les sujets traités par les jeunes « lecteurs-collaborateurs » d’Al Moussawar ne font pas toujours apparaître la jeunesse comme une force de proposition et ou d’innovation sociale. Les contributions publiées ont tendance à renforcer une image de conformité au monde des adultes, comme si l’accès à la parole publique est conditionné par une adhésion à l’idéologie dominante qui exige de la jeunesse d’être insouciante27 mais aussi responsable. Le sens de la responsabilité peut prendre des formes extrêmes qui tentent d’établir une parfaite correspondance entre les préoccupations des jeunes et celles de leurs aînés. L’appel à la solidarité envers les personnes âgées (24/11), le commentaire sur le don d’organes (3/11) ou la pédagogie par projet (6/10) paraissent symptomatiques de cette tendance, dans la mesure où les rédacteurs inscrivent leurs discours dans un registre normatif (l’usage de l’impératif pour l’un, l’énumération des lois et des initiatives institutionnelles pour les autres) caractéristique du discours de mobilisation des médias étatiques. Bien qu’il puisse prendre des formes moins prononcées, « le devoir de responsabilité » de la jeunesse reste présent dans les sujets qui semblent de prime abord dénués d’enjeux politiques nationaux. C’est ainsi qu’à l’occasion des élections présidentielles américaines, l’un des collaborateurs réguliers d’Une Jeunesse Libre, soulignent que les origines musulmanes d’Obama ne feront pas pencher la balance « de notre côté car les démocrates tout autant que les républicains seront toujours du côté d’Israël » (6/10). De même, la publicité commerciale suscite chez l’un des rédacteurs, une réaction indignée et une affirmation sur « la nécessité de prendre en considération les spécificités et les traditions de la société pour éviter toute intrusion qui est de nature à transgresser l’authenticité et à enfreindre aux règles de la bienséance. La langue arabe doit être la langue de communication avec le consommateur, de préférence au dialectal [allahja al ammiya], dans la mesure où la langue constitue un des fondements de l’identité et base élémentaire de la civilisation de la Oumma [la communauté des croyants] » (27/10). 27 - Comme l’atteste les contributions sur les vedettes de la chanson Kadhem Essaher (13/10) et … Faïza Ahmed (20/10) 76 L’image d’une jeunesse responsable, c'est-à-dire conforme aux attentes médiatiques, constitue un trait majeur de l’analyse de la rubrique Jeunesse Libre. Une lecture plus attentive du corpus a permis de relever des opinions qui sans être iconoclastes, tentent de marquer une distance avec les représentations médiatiques dominantes de la jeunesse. Les fictions télévisées et le sport constituent des sujets de prédilection de ce discours que nous pouvons qualifier d’infra-différentiel28. En raison de la coïncidence de la période étudiée avec la fin du mois de Ramadan, une dizaine de contributions de jeunes lecteurscollaborateurs ont porté sur les productions télévisuelles nationales. Qu’ils aient encensé la série Choufli Hal qui a « sauvé la programmation ramadanesque 2008… car proche du citoyen » (13/10) ou qu’ils aient pris position pour ou contre le feuilleton Said Errim, les rédacteurs d’Une Jeunesse libre ont été tous happés par le prisme du réel. Si les uns condamnent l’image dégradante des ouvrières des usines du textile et soulignent l’absence des « questions des bas salaires, des longues heures de travail et de couverture sociale dans certaines usines du secteur » (20/10), d’autres saluent le courage du feuilleton de s’être attaqué à un tabou social : Le harcèlement sexuel « que nous devons combattre et éduquer nos filles pour qu’elles en parlent haut et fort afin de clouer le bec à tous les Raïf 29…» (27/10/08). Le commentaire des feuilletons ramadanesques a été enfin une occasion pour revenir sur l’image stéréotypée des jeunes ruraux dans le feuilleton Maktoub. L’une des collaboratrices régulières de la rubrique souligne dans l’édition du 20 octobre que « les jeunes issus de la campagne sont désignés du doigt car ils sont [représentés comme étant] la source de la décadence morale. Ce sont eux qui incitent les jeunes urbains à la délinquance et la déchéance ». Contre cette stigmatisation, elle affirme qu’ « il existe des filles et des garçons de la campagne qui sont les meilleurs représentants de leurs régions. Ils étudient dans la capitale, y travaillent, enseignent et donnent une belle image de leur campagne30 » (20/10). Comme les feuilletons, la naturalisation d’un footballeur d’origine nigériane offre aussi un espace d’expression d’opinions contradictoires. Les jeunes collaborateurs qui saluent la décision estiment qu’il était temps pour « nous débarrasser des préjugés défavorables à la naturalisation des étrangers […] et hâter celle de Inamro pour qu’il partage avec nous l’eau, le sel, le couscous et le lablabi pour qu’il soit le bourreau des gardiens des équipes adverses » (17/11/08). D’autres se demandent « que représentent les services rendus à la nation par un footballeur ? » préférant la naturalisation « des physiciens nucléaires, des penseurs et des philosophes » (24/11). Aussi peu argumentées qu’elles puissent l’être, ces opinions ne semblent pas exister en dehors des conditions sociales et culturelles de leur production dans la mesure où l’opinion favorable est signée par un rédacteur occasionnel 28 - Cette notion nous paraît plus précise que le terme critique dans la mesure où il s’agit d’un discours qui ne se revendique pas comme tel mais où la critique peut exister à condition qu’elle soit euphémisée et en décalage avec les règles de base de l’écriture journalistique. Cf. Riadh Ferjani, 2006 : 241-244. 29 - Prénom du personnage principal du feuilleton qui abuse de son pouvoir auprès des ouvrières de son entreprise. 30 - Pour dire : ils sont les dignes représentants de… 77 habitant un quartier huppé de la capitale alors que l’opinion défavorable est signée par un collaborateur régulier, originaire d’une ville du Centre-Ouest. Tels qu’ils apparaissent dans Al Moussawar, les acteurs de la participation ne sont pas des lecteurs anonymes mais des « lecteurs-collaborateurs » plus ou moins réguliers et parfois correspondants régionaux du journal qui s’expriment en tant que « lecteurs ». Les caractéristiques du support et la configuration du contexte médiatique font que les thématiques traitées par ces jeunes « lecteurs-collaborateurs » sont le plus souvent en résonance avec l’image d’une jeunesse qui semble plus préoccupée par la conformité aux normes morales et par les fictions que par son quotidien. 2.5.2 - De l’invraisemblance du micro-trottoir comme forme de participation Si la parole des jeunes est moins présente dans les deux autres titres, leur participation apparaît sous les formes hybrides du témoignage ou du micro-trottoir. Une quinzaine d’unités rédactionnelles (entre 50 et 1000 mots) relevées s’apparentent à la participation mais où le discours paraît en phase avec la perception journalistique dominante des préoccupations de la jeunesse : « Les filles d’Ève fondent pour Radhi Jaïdi et rêvent de voir Jaziri et Charmiti dans les rôles du jeune premier et du Don Juan. » ( Akhbar Al Joumhouriya, 2/10 p.26) ; « Que préfèrent les filles d’Ève : un vieux riche ou un jeune fauché ? » ((Akhbar Al Joumhouriya, 13/11 p. 8) ; « Le complexe d’infériorité derrière les crimes passionnels » (ibid. p.9) ; «Les jeunes [Hommes] se contentent-ils d’une seule [femme] ? » (30/10/08 p.9). L’article publié par Akhbar Al Joumhouriya le 23 octobre sur l’usage des téléphones portables est symptomatique de l’invraisemblance des témoignages. La question posée dans le titre « Peux-tu rester un jour sans portable ? » ne s’adresse pas directement aux jeunes mais la mise en page de cette unité rédactionnelle suggère que seuls les jeunes sont incapables de maîtriser leur consommation téléphonique. En effet, les illustrations accompagnant l’article de 300 mots montrent quatre jeunes hommes souriants, regardant droit dans l’objectif. Leurs photos ont été disposées autour d’une photo centrale montrant une jeune afro-américaine accrochée à son portable. Le mélange entre l’aspect dépouillé du documentaire (les photos d’identité) et la fiction d’une affiche publicitaire (le personnage de la jeune afro-américaine, sa posture, son sourire, l’angle de prise de vue et la profondeur de champ) peut signifier que les jeunes ne peuvent pas se passer de téléphone mobile car il constitue le support de leurs relations amoureuses. Cette image d’une jeunesse insouciante voire futile et dépensière est infirmée en partie par une exception : une série de témoignages recueillis dans un centre de protection sociale auprès de futures mères célibataires (Akhbar Al Joumhouriya, 13/11/08). Si derrière les témoignages, le lecteur peut entrevoir des récits de misère sociale (échec scolaire, travail 78 des enfants, domination masculine, viols et abus sexuels contre les enfants…), la mise en forme de ces récits interdit leur inscription dans une lecture sociologique et participe au renforcement des stéréotypes. Le titre de l’article nous apprend que « la fille de 15 ans a été trahie par son « amoureux » et la deuxième est tombée enceinte après un café [hamalat bâda finjan qahwa] », alors que le témoignage nous apprend que « l’amoureux » est adulte, marié fréquentant l’adolescente depuis trois ans, et que le café en question contenait un somnifère… Au-delà de l’habillage (les sous-titres sont construits selon le même procédé de la décontextualisation), l’alternance entre le style direct et le style indirect permet à l’énonciation journalistique de conforter l’acception sociale dominante de la question : « Il lui a embelli le péché [al’ khati’a].», « Tous les membres de la famille se sont mobilisés pour étouffer le scandale [dar’ al fadhiha]. », « Elle s’est particulièrement attachée à lui, après qu’il lui ait joué la symphonie du mariage, de la robe blanche et du foyer heureux. », « Elle a porté le fruit d’une relation illégitime .», « Elle n’oserait pas y retourner [chez sa famille] avec un bâtard [laqit] dans les bras .» Une démarche descriptive consisterait à constater la non - correspondance des unités étudiées avec les normes communément admises dans le milieu professionnel et enseignées dans les écoles de journalisme. La rencontre avec les journalistes a apporté un autre éclairage, qui offre la possibilité de replacer les productions journalistiques dans le contexte de leur fabrication. En effet, un consensus semble se dégager pour considérer que le travail de terrain est coûteux, lent et parfois déprécié car délégué aux correspondants régionaux qui maîtrisent rarement les outils de l’investigation journalistique. C’est aussi un problème de rapport aux sources institutionnelles qui semblent se réfugier de plus en plus dans des attitudes défensives en multipliant les entraves au travail journalistique sur terrain. Ces obstacles peuvent être juridiques, comme les circulaires interdisant aux acteurs locaux des services publics (santé, éducation…) de s’entretenir avec les journalistes sans le consentement de leur autorité de tutelle. Ces entraves peuvent aussi prendre des formes plus diffuses, telles que les fins de non recevoir fréquemment signifiées aux demandes d’information qui ne correspondent pas à l’agenda institutionnel. CONCLUSION Les constructions journalistiques de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse dans la presse hebdomadaire paraissent plus soumises que dans la presse quotidienne aux conditions économiques de cette presse. Face à un marché publicitaire étroit et fortement concurrentiel, la tendance dominante est celle de la précarisation des rédacteurs professionnels et le recours quasi-systématique aux rédacteurs occasionnels. • L’absence de professionnalisme tend à privilégier les constructions vraisemblables sur les constructions vérifiables. 79 • L’image d’une enfance victime ou exemplaire s’inscrit beaucoup plus dans des registres de compassion ou de désir d’être que d’information et de débat sur les droits. • L’image des jeunes est le plus souvent dévalorisante et en rupture avec la diversité et la complexité du vécu de la jeunesse. • L’absence de la question de la participation des enfants est en rapport avec les choix éditoriaux des hebdomadaires étudiés mais aussi avec la difficulté à recueillir des témoignages d’enfants. • La participation des jeunes apparaît dans la presse hebdomadaire sous des formes multiples (jeunes lecteurs-rédacteurs ou le micro-trottoir érigé en genre journalistique). Entre la définition normative de la participation, sa transformation en impératif politique et sa traduction en pratiques rédactionnelles, on observe des discontinuités qui ne peuvent que river l’expression de ces catégories aux attentes politico - médiatiques. BIBLIOGRAPHIE Ferjani, Riadh (2006), Je est un expert, le discours journalistique sur les TIC, in Ferjani, Riadh (Coord.), TIC : Discours, représentations et pratiques, Tunis, IPSI : 217-257. Gusfield, Joseph (2008), La culture des problèmes publics. L’alcool au volant : La production d’un ordre symbolique. Paris, Economica, Coll. Études sociologiques. Gusfield, Joseph (2005), Retour sur la sociologie des problèmes publics. Un entretien avec Joseph Gusfield. Par Daniel Cefaï et Danny Trom, in. [Secret/Public] : 209-232. www.secret-public.org. Holland, Patricia (2008), The Child in the Picture, in Drotner, Kirsten and Sonia, Livingstone (Eds.) The International Handbook of Children, Media and Culture, London, Sage: 36-54. Prout, Alan, (2008), Culture-Nature and the Construction of the Childhood, in Drotner, Kirsten and Sonia, Livingstone (Eds.) The International Handbook of Children, Media and Culture, London, Sage: 21-35. République tunisienne, Troisième rapport périodique de la Tunisie sur les droits de l’enfant (2002-2007). Sigma Conseil (2008), Bilan 2007 : Une année de publicité en Tunisie et dans le Maghreb, Tunis. UNICEF, Ministère de la Santé Publique, Office National de la Famille et de la Population (2008), Enquête sur la santé et le bien être de la mère et de l’enfant. MICS 3, Tunis. 80 Chapitre 3 Analyse du supplément « Parole de jeunes » du quotidien « La Presse » Introduction : objectifs, outils méthodologiques « Parole de Jeunes » est un supplément hebdomadaire, qui comprend une ou deux pages, selon les numéros, publié dans le quotidien - gouvernemental - « La Presse de Tunisie » et rédigé par des jeunes rédacteurs (18 à 25 ans) dont le nombre ne dépasse pas sept. Sa particularité, c’est qu’il est le plus ancien des magazines (première parution, 1980) qui s’adresse - assez régulièrement - à des jeunes et est publié en langue française. Objectifs de l’analyse du supplément « Paroles de jeunes » • Dégager la perception et les représentations que se font les responsables du journal des jeunes et des adolescents ainsi que de leur implication dans le monde des médias. • Evaluer le degré d’implication/participation des jeunes rédacteurs dans la production d’articles, et ce, en analysant leurs écrits et leurs discours à propos de leur expérience journalistique. • Evaluer la place et la manière par laquelle sont traités les thèmes relatifs aux *jeunes et aux enfants et apprécier leur conformité ou non aux dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant. Outils méthodologiques • Une analyse descriptive de « Parole de Jeunes » qui s’étale de la période du 15 septembre au 15 décembre 2008. • Une analyse qualitative qui consiste à circonscrire les schèmes et les représentations qui se manifestent à travers les écrits des jeunes journalistes mais aussi, à partir des discours qu’ils déclinent et dans cette optique, il a été fait recours, à la fois : - à l’organisation d’un focus groupe avec des jeunes rédacteurs de ce supplément,afin 81 de les amener à exprimer- ouvertement et de manière explicite- ce qu’ils n’ont pas pu ou voulu écrire ou développer dans leurs contributions, tout en les incitant à se prononcer sur tous les aspects de leur expérience journalistique ; - à des entretiens avec le rédacteur en chef du supplément, en vue de cerner les procédés mis en œuvre pour apprécier la production de ces jeunes et pour identifier le public auquel ce supplément est censé s’adresser. Dans cette perspective, l’intérêt s’est porté sur la manière de négocier l’équation entre les impératifs politiques du journal et les attentes et les besoins que s’efforcent d’exprimer ces jeunes rédacteurs. Le présent chapitre comprend trois parties : • une analyse de contenu des numéros du supplément parus entre le15 septembre et le 15 décembre 2008 ; • une analyse des propos des rédacteurs du supplément réunis dans des focus groupes ; • un entretien avec le rédacteur en chef du supplément. Dans la dernière partie, sont exposées les observations générales ainsi qu’un ensemble de recommandations proposées à la réflexion. 3.1. - Analyse de contenu des numéros du supplément parus entre le 15 septembre et le 15 décembre 2008 Dans cette partie, deux objectifs ont été fixés: tout d’abord, faire une présentation générale de ce supplément en termes de lisibilité, d’unités rédactionnelles, de thématiques récurrentes, de genres journalistiques, etc. Ensuite, recenser les écrits des rédacteurs afin d’évaluer d’une part, leur degré d’implication/participation, et d’autre part, de circonscrire et d’analyser les thèmes relatifs aux EAJ. Tableau récapitulatif des unités rédactionnelles recensées du 15 septembre au 15 décembre 2008 82 Date Nb de pages Actualité TR TD GJ Titraille Dts de l’enf Signature Sources F/H Illust Critiques 15/09 22/09 29/09 06/10 13/10 20/10 27/10 03/11 10/11 17/11 24/11 01/12 08/12 15/12 02 02 01 01 02 02 02 01 02 02 01 01 01 01 00 02Ramada 01 00 00 00 00 00 01JCC 01SantéU 00 01JMSida 02Sida/blo 00 04 04 04 04 04 05 04 03 04 04 03 04 03 02 00 01 00 00 00 01 00 00 00 00 00 01 01 00 R/P/Inf./O R/O/Inf./P R/P/Inf. R/P/O/Inf. R/P/0/Inf. R/P/Inf. R/P/O/inf. R/I/O R/P/Int/Inf R/P/0/Inf R/P/inf R/P/0/inf R/P/Int R/I/P/Inf V V/Inc. V V/Inf. V/Inf. V/inf. Vin Inf./V Inf Inf Inf V/inf Inf Inf 00 00 00 00 01 01 00 00 01 01 00 01 02 00 A/4F A/5F A/3F A/3F 1HA3 A/4F A3F A3F A4F A4F A3F A4F A3F A2F P/A P/A P/A P P P/C P/C P/ P/I P/I P P/I I/P P 01 00 00 00 01 01 00 00 00 00 00 01 00 00 00 00 00 00 01 01 00 01 01 01 01 02 03 00 Légende Actualité : Ce sont les articles publiés en rapport avec l’actualité nationale et internationale de la semaine Thèmes récurrents (TR) : Il s’agit des articles et brèves qui reviennent régulièrement et qui traitent des groupes de chants et de musique, des innovations en matière de technologies et d’Internet, des informations à caractère culturel, de la vie des artistes, de portraits d’étudiantes (s),…. Thèmes dominants (TD) : Le thème central censé constituer le dossier de la semaine Genres Journalistiques (GJ) R : reportage P : portrait Int : interview Inf : brèves O : opinion Titraille : Inf : informatif Inci : incitatif V : vague Droits de l’enfant : Tous les articles qui font référence - directement ou indirectement - aux droits et à la protection des enfants, des adolescents et des jeunes ou qui abordent les questions portant sur la sensibilisation, la participation, l’implication de cette catégorie. Signature : La quasi-totalité des unités recensées ne porte pas de signature complète, seul le prénom est mentionné en bas de l’article. Il s’agit donc d’identifier le profil de l’auteur (e) des articles et des informations publiés ou rapportés, à partir du prénom affiché. A F : anonyme fille A H : anonyme homme Sources : Il s’agit du nombre de sources : informatives, institutionnelles, documentaires,….citées dans le numéro du supplément. Illustrations : P : portrait A : photo d’album I F : Image fixe C : caricature Critiques : par rapport à la ligne éditoriale du journal. Oui (nbr) Non 83 Présentation et analyse du supplément • Environnement du journal : Le supplément de La Presse « Parole de Jeunes » paraît tous les lundis avec trois autres suppléments : « Les pages littéraires » (02 pages), « Sciences au quotidien » (01 page), « Vadrouille » une rubrique de découverte du patrimoine architectural et des sites touristiques (dernière page, à la périodicité irrégulière). Ces suppléments du lundi paraissent en plus des trois pages « sportives ». • Nombre de pages : Sur les 14 semaines d’observations, 21 pages au total ont été dénombrées, soit une moyenne approximative, d’une page et demie par numéro. • Les encarts publicitaires : Ils ne sont pas fréquents sur ces pages : trois encarts seulement... Par exemple, le 22 septembre, des appels d’offres et des avis de ventes émanant de deux entreprises, l’une bancaire, l’autre d’assurance, ainsi qu’un encart publicitaire sur les services infographiques du journal « La Presse » y figuraient. • Actualité : Le rapport aux grands évènements de l’actualité (nationale et internationale) du moment est très ténu voire infime. A titre d’illustration, La Presse du 15 septembre était essentiellement consacrée à la rentrée scolaire et universitaire, et pourtant, le supplément « Parole de Jeunes » qui y figurait, avait fait l’impasse sur l’évènement. Pendant la période étudiée, les thèmes portant sur l’actualité internationale sont quasi inexistants, alors que cinq thèmes en rapport avec l’actualité nationale étaient présents: 1 - 22 septembre, période correspondant à la fin du Ramadan, deux sujets : « Les jeunes et les traditions de l’Aïd », et le feuilleton de télévision : « Maktoub»; 2 - 10 novembre, pendant la semaine des JCC, un portrait consacré au romancier algérien, Yasmina Khadra, désigné Président des JCC pour la session 2008 ; 3 - 17 novembre, un petit encadré sur la 14ème journée nationale de la santé universitaire ; 4 - du 1er décembre (Journée mondiale contre le Sida) au 08 décembre, un ensemble de manifestations ont été organisées sur le thème de la lutte contre le Sida. Ces manifestations ont été couvertes par 4 articles aux contenus suivants: - la présentation d’une ONG domiciliée à Monastir sous le titre « AssociaMedMonastir It’s time to change » (1er décembre) ; - une brève présentation d’une campagne d’affichage lancée par l’Association tunisienne de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le Sida (ALT MST/SIDA)- section de Tunis (1er décembre) ; - l’organisation par l’Institut de Presse de Tunis (IPSI) d’une journée sur le même thème : la lutte contre le Sida (08 décembre) ; - la suite de la campagne d’affichage organisée par ALT MST/SIDA et les manifestations culturelles et artistiques qui avaient eu lieu pendant la première semaine de décembre, au centre culturel sportif d’El Menzah 6 (08 décembre). 5 - 8 décembre, la fête des blogueurs tunisiens. 84 • Thèmes récurrents : L’observation des 14 numéros analysés pendant la période de l’étude a permis de dégager les thèmes qui reviennent assez souvent (plus de deux fois) : - des thèmes en relation avec la vie estudiantine (conditions de vie dans les foyers universitaires, les études à l’Université…), mais aussi, sur des profils de réussite sociale et « d’étudiants exemplaires » ; - les problèmes et les préoccupations des adolescents qui vivent dans les grandes villes, essentiellement, la Capitale ; - la santé et les maladies sexuellement transmissibles ; - des portraits de jeunes talentueux (artistes, comédiens, etc.) ; - les jeunes et leur implication dans la vie associative ; - les nouveautés liées aux technologies de la communication ; - les programmes de télévision (pendant la période d’étude figure le mois de Ramadan où le rapport à la télévision prime); - des formes d’expressions artistiques et musicales en provenance d’Occident. • Rubriques : Les rubriques qui reviennent, plus ou moins, régulièrement sont : - « Les deux oreilles » qui figurent en tête et qui portent généralement sur des news en rapport avec l’actualité artistique et culturelle ; - « Bon Lundi », est présenté sous forme de sommaire du numéro ; - « Feu vert », ou « Z00M » fait figure du dossier du numéro ; - « Paroles d’un jeune », mais aussi « As de demain » qui met en relief le portrait d’un jeune étudiant, artiste,… - « Groupes mythiques », il s’agit généralement de groupes d’artistes (musiciens ou chanteurs) qui étaient prisés par les jeunes des années 1960 à 1980. Exemple : « les Pink Floyd » (le 15 septembre), « les Chaussettes noires » (le 24 novembre), etc. - « Décibels », consacré à des artistes (du monde de la musique, du chant, de la danse,…) peu connus par le jeune public tunisien. Exemple : le portrait d’un chanteur de pop, de soul et de jazz d’origine canadienne Michael Budlé (15 septembre), la vie d’une artiste chinoise « Faye Wong » (le 10 novembre), l’histoire d’une danse « La valse » (le 17 novembre), - « Branchez-vous », rubrique essentiellement consacrée à la présentation d’un site web susceptible d’intéresser les lecteurs du supplément. Par exemple, le site www.jeunestunisiens.com « 100% esprit jeune….100% pur sang tunisien » (03 novembre), ou un portail féminin www.hammam-ensa.com « destiné à la femme tunisienne moderne : la femme dans tous ses états...mère de famille soit-elle, ou femmes d’affaires! » (24 novembre), présentation d’un site de mode vestimentaire : www.tendance-de-mode.com (08 décembre)…. - « Hier encore j’avais vingt ans », rubrique plus ou moins régulière consacrée au portrait d’une personne choisie au gré des rencontres du rédacteur. Exemples : Le Dr Aymen Abderrazak Jbali, « Du sens de la polyvalence », un médecin 85 tunisien qui vit et exerce en Suisse (03 novembre) ou encore la chanteuse francosicilienne Marina Conti (27 octobre), ou bien encore le portrait du romancier algérien Yasmina Khadra (10 novembre),… - « Et pourtant c’est vrai », rubrique entièrement consacrée aux brèves portant sur des innovations technologiques essentiellement de communication. Exemples : un casque multimédia, le retour du Polaroïd, le vélo qui change en freinant (20 octobre) ; un tricycle écologique, l’Internet Radio, une tour contre la loi de la gravité (10 novembre); lunettes vidéo, un écran pour voir avec le doigt, un miroir magique (13 octobre) etc. - « Humeur libre » ou « libre aire » (20 octobre) porte sur une opinion parfois critique exprimée par l’auteur, généralement en relation avec un thème d’actualité. Exemples : sur l’équipe nationale junior de hand-ball qui serait dans « la tourmente » (20 octobre) ou bien à propos d’une émission de variété du samedi soir sur l’ex-Tunis 7 dont l’auteure regrette l’indigence et le manque de professionnalisme qui caractérisent l’animatrice de l’émission, (15 septembre), etc. De toutes les rubriques recensées, cinq émergent nettement par leur récurrence : - « Bon lundi » (12) - « Feu vert » ou « Z00M » (10) - « Paroles d’un jeune » (08) - « Groupes mythiques » (06) En plus des brèves qui sont reproduites dans « Les deux oreilles » du supplément ainsi que dans la rubrique intitulée « Et pourtant c’est vrai ». La rubrique la moins constante est « Humeur libre » (03). Par ailleurs, certains intitulés de rubriques comme, « Testé pour vous » (15 septembre, mais aussi le 13 octobre) ou « l’Evènement » (du 22 septembre) ou « Succès de jeunes » (29 septembre) ou « Phénomène » (du 1er décembre), n’ont jamais été repris. Cependant leur contenu se retrouve intégré dans celui des rubriques déjà existantes comme celles de « Branchez-vous », « Paroles d’un jeune », mais aussi « As de demain », ou « Humeur libre »… • Thème dominant (par numéro) : C’est l’existence d’un thème qui illustre à la fois le dossier de la semaine sous la rubrique « Feu Vert » ou « Z00M », et qui est repris et développé sous d’autres angles, dans d’autres rubriques. Cette pratique n’est pas courante. Quatre cas ont, néanmoins, été recensés : - le 22 septembre, à une semaine des fêtes de l’Aïd, le thème dominant portait sur « les jeunes et l’Aïd », il comportait un zoom sur « les jeunes et les traditions de l’Aïd » et un « Evènement » portant sur le feuilleton télévisuel à succès « Maktoub» ; - le 20 octobre, la rubrique « Z00M » porte sur un article « Les cours particuliers pour étudiants : un mal pas nécessaire du tout… » suivi d’une réflexion titrée « Le 86 filon » et insistant sur « la nécessité de prendre des cours particuliers dans certaines disciplines telles que la gestion, l’économie, l’informatique, ou dans les classes préparatoires » ; - le 1er décembre, « Journée mondiale de lutte contre le Sida » avec une présentation d’une ONG domiciliée à Monastir sous le titre « AssociaMed-Monastir It’s time to change » et une brève présentation d’une campagne d’affichage lancée par l’Association tunisienne de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le Sida (ALT MST/SIDA) (section de Tunis). La semaine suivante : - le 8 décembre, le dossier sur « la Journée mondiale de lutte contre le Sida » est prolongé avec deux papiers l’un, à propos de la journée du mercredi 3 décembre organisée à l’IPSI, et l’autre, sur la suite de la campagne d’affichage organisée par ALT MST/SIDA et les manifestations culturelles et artistiques qui avaient eu lieu à cette occasion, au centre culturel sportif d’El Menzah 6. Mais à chaque numéro, la rubrique « Feu Vert » ou « Z00M » selon les cas, constitue généralement la rubrique-phare dans laquelle est traité un thème censé faire partie des centres d’intérêt des lecteurs du supplément. Voici une liste des thèmes abordés dans la rubrique : « Feu Vert » ou « Z00M » de la période étudiée Date Thème 15/09 Les jeunes et Internet 22/09 Les jeunes et les traditions de l’Aïd 29/09 LMD. Un nouveau challenge 06/10 Pas de rubrique 13/10 La Médina de Tunis 20/10 Les cours particuliers pour étudiants 27/10 Les jeunes et le mariage 03/11 Etudiants loin du foyer familial 10/11 Cellules d’écoute ; santé reproductrice et sexuelle 17/11 Décentralisation des pôles universitaires 24/11 Pas de rubrique 01/12 AssociaMed-Monastir (lutte contre le Sida) 08/12 Lutte contre le Sida 15/12 Les étudiants, la course à plus de diplômes Dans l’ensemble, et à première vue, les articles traités peuvent être rangés dans les quatre genres journalistiques les plus fréquents : reportage, portrait, brèves, et dans une moindre mesure, opinions. 87 • Reportages : Ils sont surtout fréquents dans les rubriques « Feu Vert » ou « ZOOM », mais aussi « Testé pour vous » et « Branchez-vous ». Cependant, la lecture de ces articles nous amène au constat que la plupart d’entre eux sont inclassables dans la mesure où s’entremêlent à la fois des informations très souvent « non sourcées » avec les impressions et les opinions de l’auteur. A titre d’exemples: - Dans la rubrique, « Feu Vert » ou « ZOOM », publiée le 15 septembre, le thème « Les jeunes et Internet » est un mélange d’humeur, d’opinion et des impressions de l’auteur sur les usages d’Internet par les jeunes : De quels usages, de quels jeunes l’auteur parle-t-il ? A partir de quels matériaux et observations tire t-il ses constats ? - Le 29 septembre, dans l’article intitulé « LMD : un nouveau challenge », il s’agit d’une présentation très sommaire du sujet, essentiellement monographique dépourvue de toute analyse et commentaire. - Dans le « ZOOM » du 20 octobre ayant pour titre « Les cours particuliers pour étudiants : un mal pas nécessaire du tout…» C’est un genre inclassable qui recèle des jugements, des opinions mais pas d’informations ni de données brutes. Cependant, deux « reportage - impression » se distinguent des autres écrits par l’originalité du thème traité et du style d’écriture qui peut être qualifié de captivant : - Le 15 septembre, dans la rubrique « Testé pour vous » sur un sujet original intitulé « Dans le camion d’un déménageur » dans lequel l’auteur, qui a accompagné le chauffeur d’un camion pendant son déménagement de Bizerte à Tunis, décrit les péripéties du voyage (ambiance musicale, discussions pendant le trajet, etc.). - Le 13 octobre, dans la même rubrique, un autre article « reportage-impression », intitulé « Le volontariat : un état d’esprit », dans lequel, l’auteure, qui avait effectué un reportage sur une association de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le Sida (ATLMST/SIDA), racontait comment elle avait été amenée à adhérer à cette association. Et dans ce sillage, elle a décrit toutes les tâches qu’elle a accomplies dans le cadre du volontariat tout en lançant des appels aux jeunes à s’y investir. « Mais ne commettez surtout pas la gaffe de devenir volontaire, juste pour le mettre dans votre C.V. », concluait-elle son article. •Portraits : On les retrouve dans les rubriques : « Paroles d’un jeune », « As de Demain », « Hier encore j’avais 20 ans », ou encore dans la rubrique « Décibels ». Le style allie souvent l’interview et le portrait, et dans tous les cas, l’interviewé est soit, un(e) jeune étudiant (e) tunisien (ne), soit, un artiste tunisien ou étranger, en vogue, qui raconte son parcours et ses expériences passées. A la lecture des portraits et des interviews réalisés, deux observations se dégagent : la première porte sur le choix de la personne à interviewer, et on constate que les critères censés motiver ce choix ainsi que la relation avec l’actualité du moment ne 88 sont pas très évidents. La seconde observation se fonde sur le contenu des portraits publiés qui se distinguent tous par l’absence de sources, et à fortiori, de sources contradictoires. • Brèves : Il s’agit d’informations portant, pour l’essentiel, sur l’activité culturelle et artistique, et sur des innovations à caractère technologique de communication. Ces brèves sont reproduites dans « Les deux oreilles » du supplément ainsi que dans la rubrique « Et pourtant c’est vrai ». • Opinions : Sous cette rubrique, on classe aussi bien les opinions exprimées à partir d’un sujet abordé dans le « dossier » du supplément que des papiers portant sur des sujets les plus variés au gré de l’humeur des auteurs. La seule opinion exprimée et liée au dossier figure dans le numéro du 20 octobre, à propos des cours particuliers pour étudiants. C’est une réflexion intitulée « le filon » et portant sur la nécessité des cours particuliers pour certaines disciplines comme la gestion, l’économie, l’informatique, etc. La rubrique « Humeur libre » dans laquelle s’exprime un auteur au gré de son humeur est, quant à elle, plus fréquente, sept thèmes ont été traités durant la période d’étude, en voici quelques uns, à titre indicatif : - « Humeur libre » du 15 septembre porte sur une critique de l’émission de variété de samedi soir sur la chaîne nationale de télévision l’ex TV7 ; - « L’Evènement » du 22 septembre consacré au feuilleton télévisuel du mois de Ramadan gratifié d’un titre élogieux : « Maktoub» - « Humeur libre » du 06 octobre, « Dans la joie et la bonne humeur », l’auteure se demande comment concilier ses désirs personnels avec ceux de son entourage ? - « Humeur libre » du 13 octobre, « Pas aussi Fast que çà » traite du rythme alimentaire à l’épreuve du jeûne de Ramadan. - « Libre aire » du 20 octobre s’interroge sur l’équipe nationale junior de hand ball qui serait dans la tourmente. - « Humeur libre » du 1er décembre intitulée « La télé en rose » est consacrée à une réflexion critique sur le décor et les lumières destinés à l’animation des émissions de la télévision nationale. • Titraille : Dans la plupart des cas, les titres des articles ne répondent pas aux principes standards d’une recherche graphique de lisibilité. Ont été relevés quelques titres « incitatifs » du genre : « La télé en rose » (1er décembre) « Pas aussi Fast que çà » (à propos des fast-foods pendant le Ramadan, 13 octobre), « Ce « oui » qui tarde à venir », à propos des jeunes et du mariage (27 octobre), mais la plupart des titres recensés paraissent souvent et tendent plutôt vers l’informatif. 89 • Droits de l’enfant : Force est de constater que pendant la période étudiée les articles et informations se référant directement à la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) sont inexistants. Cependant, six unités rédactionnelles (articles ou informations) en relation – directe ou indirecte – avec des dispositions contenues dans la CIDE ont été relevées. Ces unités portent, notamment, sur la sensibilisation, la protection, l’implication et la participation des jeunes et des enfants. - Le 13 octobre, paraît dans la rubrique « Testé pour vous », un article intitulé « Le volontariat : un état d’esprit ». L’auteure lance un appel aux jeunes à s’impliquer dans ces actions tout en affirmant notamment : « Dans une association, on se familiarise avec la tolérance….On apprend à s’accepter en tant qu’être humain sans discrimination ni ségrégation. C’est toute une culture d’amour et d’altruisme que ce bénévolat….Et puis, tout est si simple : on aide une personne parce qu’on la respecte, sans attendre bénéfice ou reconnaissance de quiconque. On œuvre également à ce que l’autre accepte comme cela vient et autrement. Que du positif du côté humain de la « chose » ». - Le 20 octobre, une brève figurant dans la rubrique « A l’oreille droite » porte sur une exposition de photos de « 191 regards d’enfants » organisée par la jeune chambre économique de Hammam-Chatt. - Le 11 novembre, dans la rubrique « Feu Vert », un article est consacré aux « Cellules d’écoute et de conseil des jeunes en matière de santé reproductive et sexuelle. Ces « espaces-amis » : il s’agit d’une présentation des espaces multifonctionnels pour les jeunes et les adolescents de 15 à 29 ans, célibataires, des deux sexes, mis en place par l’ONFP dans 24 délégations régionales du pays. - Le 17 novembre, publication d’un entrefilet sur la 14ème journée nationale de la santé universitaire, sous le titre « La santé, c’est la vie ». - Le 1er décembre, célébration de la Journée mondiale contre le sida, avec deux papiers, l’un portant sur une association basée à Monastir « AssociaMed - Monastir » et l’autre sur la campagne d’affichage public lancée par ALT MST/SIDA, section de Tunis. - Le 08 décembre, dans le sillage de la célébration de la Journée mondiale contre le Sida, publication d’informations sous le titre : « Fléau à démystifier » et portant sur la journée de sensibilisation des médias aux maladies sexuellement transmissibles et le Sida, organisée à l’IPSI (Institut de Presse et des Sciences de l’Information) le 3 décembre. • Signature : Quatre constats se dégagent des observations recueillies : - la quasi-totalité des articles publiés sont anonymes : c’est-à-dire que seuls des prénoms ou des initiales sont mentionnés en bas de l’article, exceptée toutefois, d’une 90 « Lettre de Paris », publiée le 13 octobre sous la signature de Mohamed Haddad, étudiant tunisien qui réside à Paris. Dans cette lettre, l’auteur fait part de ses impressions à propos d’un film « Entre les murs », Palme d’Or de Cannes 2008 ; - dans tous les articles signés par des prénoms, on observe qu’il s’agit exclusivement de prénoms de jeunes filles ; - de toutes les signatures (initiales) recensées, six prénoms reviennent assez régulièrement : Khaoula C, Sarah G, Leila C, Dina D, Souhir L, Souleima H. ; - les brèves reproduites ne sont ni signées ni même sourcées. • Sources : Elles sont rarement citées dans les articles, y compris, ceux qui traitent de l’actualité. Par exemple, dans l’article « LMD. Un nouveau challenge » (29 septembre), ou bien « Les étudiants et la course vers plus de diplômes » (le 15 décembre)… aucune source n’est mentionnée. Y compris dans les rubriques informatives, à l’instar de « Et pourtant c’est vrai » qui reproduit des brèves sur des nouveautés technologiques en communication, aucune source n’est citée, pourtant, les initiales de l’auteur figurent en bas des informations recueillies. Quand certaines sources apparaissent, on constate qu’il s’agit exclusivement des sources institutionnelles, par exemple, l’ONFP dans l’article sur « les cellules d’écoute pour jeunes » (10 novembre), ou bien à propos de la journée mondiale de lutte contre le Sida (08 décembre), une organisation, ALT MST/SIDA, et une institution universitaire, l’IPSI, avaient toutes deux organisé des manifestations dans ce sens. • llustrations : La quasi-totalité des illustrations publiées porte sur des photo-portraits de personnes ou de groupes qui proviennent, soit de photos prises au cours d’un entretien, ou en tournage…, soit de photos de couverture d’albums de musique ou de chant. Quelques photos fixes qui illustrent le siège d’une institution ou d’une organisation ou des « nouveautés » technologiques sont reproduites aussi. Deux caricatures sont relevées : l’une, illustrant l’article « Les cours particuliers pour étudiants : un mal pas nécessaire du tout… » (20 Octobre) ; l’autre, accompagnant l’article « Les jeunes et le mariage : ce « oui » qui tarde à venir » (27 octobre). Ce qui caractérise ces deux caricatures, c’est qu’elles sont à la fois illisibles et sans légende explicative. • Critiques : « La Presse de Tunisie » est le quotidien du gouvernement de l’ancien régime, et il a été constaté que pendant la période d’analyse, aucun article ou même opinion critique par rapport à la politique nationale et même internationale, n’y figure. A l’inverse, des articles élogieux à l’égard de l’action du gouvernement en faveur des jeunes ont été recensés (22 septembre, dans le site du Pacte pour la jeunesse, « Branchez-vous » du 03 novembre et « ZOOM » du 17 novembre). Généralement, les opinions et articles « critiques » publiés, sont en nombre réduit. Quatre articles ont été dénombrés : deux sur des critiques à l’encontre 91 de la programmation et des émissions télévisées ( « Humeur libre » du 15 septembre, « Humeur libre » du 1er décembre), une opinion critique à propos de l’épreuve du jeûne et du rythme alimentaire pendant Ramadan ( « Humeur libre » du 13 octobre), et un article critique portant sur un sujet sportif (« Libre air » du 20 octobre). 3.2. - Analyse des entretiens avec des jeunes - rédacteurs du supplément (focus groupe) Cette partie vise à recueillir et à circonscrire la perception et les représentations que les jeunes rédacteurs du supplément se font des médias tunisiens, essentiellement, quand ceux-ci traitent des questions se rapportant à la jeunesse, à l’adolescence et à l’enfance. Pour ce faire quatre grandes rubriques ont été dégagées, elles portent respectivement sur : - la perception et les représentations de ces jeunes à l’égard des médias tunisiens ; - la thématique de leur expérience dans le supplément ; - leurs attentes et aspirations ; - leur relation aux droits de l’enfant. Pour la rédaction de ce rapport, les témoignages directs des participants ont été privilégiés. Ils sont reproduits aussi fidèlement que possible. Profil des participants C’est un groupe de cinq jeunes qui constitue un échantillon représentatif des collaborateurs potentiels du supplément « Parole de Jeunes » (nous rappelons que leur nombre n’excède pas sept). Cet échantillon est composé de deux rédactrices et trois rédacteurs, et seules les deux rédactrices exercent encore dans le supplément. L’âge moyen est de 22 ans et les cinq membres du focus ont suivi - ou poursuivent encore - leurs études à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information (IPSI). La plupart de ces jeunes résident dans des quartiers résidentiels de Tunis ou de sa banlieue, et le français est leur langue de prédilection. 3.2.1 - Perception et représentations des médias tunisiens par les jeunes collaborateurs du supplément Les termes qui reviennent souvent dans la bouche des participants pour qualifier le contenu véhiculé par les médias tunisiens, dans leur ensemble, sont : « langue de bois, trop de censure, oubli des jeunes, ignorance des attentes du public,… ». • Sur leurs appréciations de la manière selon laquelle les médias traitent des sujets se rapportant aux jeunes, les réponses les plus fréquentes sont : « des stéréotypes et des clichés », « les médias prennent les jeunes pour des imbéciles », « Il n’y a pas de rapport entre médias et jeunes, les jeunes ne sont pas un public cible pour les médias tunisiens », «pas de définition précise des vraies préoccupations des jeunes ». 92 Pour deux participants : « Quand on parle des jeunes, c’est toujours par rapport à la stratégie de l’Etat, exemple, les élections présidentielles de 2009, c’est à ce moment là qu’on se préoccupe des jeunes, mais une fois le Président élu, je ne crois pas qu’on parlera encore des jeunes ». « On parle des jeunes de manière occasionnelle, et généralement, ce sont des jeunes tous beaux, tous gentils, qui savent parler convenablement, et qui sont présentés comme des modèles pour les autres jeunes ». • A la question de savoir s’il existe un média qu’ils ressentent comme étant très proche d’eux, la réponse est quasi unanime (4/5) : aucun média tunisien ne répond réellement à leurs attentes ni ne suscite leur curiosité. Même les médias « officiellement créés pour eux » comme Radio Jeunes, Canal 21 et le supplément « Paroles de Jeunes » du quotidien La Presse, ne suscitent pas leur intérêt. Et les arguments généralement avancés recoupent ceux exposés précédemment. Par contre, on constate qu’une nette majorité de ces jeunes opte pour des médias diffusés sur le web, et particulièrement pour une radio www.tbradio.net/kproject: « Cette radio s’adresse aux jeunes qui ont quelque chose à dire sur la culture. Son objectif est de promouvoir une culture alternative pour les jeunes.», « Il y a une classe marginalisée qui ne se retrouve ni dans le supplément Paroles de Jeunes, ni dans Canal 21, mais cette radio du web s’adresse à cette dernière catégorie pour lui dire qu’il y a des gens comme eux, qui partagent la même musique, la culture « marginalisée », les débats…. », « Dans cette radio, il y a moins de langue de bois, c’est le seul média qui est proche d’une certaine classe de jeunes. », «Il y a des jeunes qui animent, ils invitent d’autres jeunes et s’occupent d’eux. », Mais avec, comme bémol : « Malheureusement, cette radio ne s’adresse qu’à une catégorie de jeunes soit quelques centaines. Ces auditeurs y trouvent ce qu’ils cherchent, mais ils sont minoritaires ». Parallèlement, tous les participants au focus déclarent être membres d’un réseau social sur le web, en l’occurrence, Facebook, et affirment aussi le fréquenter très régulièrement 3.2.2 - Leurs expériences dans « Paroles de Jeunes » Dans ce qui suit, il sera fait état des appréciations des jeunes rédacteurs sur : - les conditions de travail dans lesquelles ils évoluent ; - les difficultés, les pesanteurs et les obstacles qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur tâche ; - leurs motivations ainsi que les différentes gratifications et satisfactions qu’ils en tirent. • Les conditions de travail : Elles sont jugées, par tous, «non satisfaisantes » dans l’ensemble. « On ne dispose que d’un espace de travail très réduit, avec un ordinateur et une connexion Internet au débit particulièrement faible, une imprimante souvent en panne »…. « Nous n’avons ni mail, ni site web pour le supplément et c’est la direction qui s’y oppose. Généralement, 93 on donne le mail du rédacteur en chef (RC)». Par ailleurs, on apprend que ces jeunes collaborateurs ne sont munis d’aucune carte d’accréditation : « Quand on se déplace sur le terrain, c’est généralement le RC qui téléphone pour nous prendre rendez-vous. », « Dans tous les cas, nous comptons sur nos propres connaissances et sur notre savoir-faire personnel. ». Un des participants affirme que tout au long des cinq à six mois de collaboration continue, il n’a couvert aucun concert, aucun festival ou évènement culturel pour la simple raison, dit-il, « que personne ne m’avait ouvert la porte ». D’autre part, on observe que les conférences de rédaction sont rares (quand elles se font, c’est le lundi). « On ne choisit pas les articles, c’est le rédacteur en chef qui nous demande de traiter les sujets correspondants à certaines rubriques. » A propos du bouclage, on apprend que « Le supplément » doit être bouclé vendredi alors qu’il ne paraît que le lundi…. Un collaborateur résume à sa manière sa relation avec le journal : «Mon rapport avec le supplément de La Presse c’est, parfois, une réunion le lundi, ma boîte mail et parfois, un coup de fil du rédacteur en chef ». • Les manifestations de la censure: Tous les participants ont eu affaire à la censure qu’ils dénoncent souvent avec véhémence. Un des participants résume parfaitement le sentiment général qui prévaut : « Il n’existe, à ma connaissance, aucune personne qui a exercé dans le supplément et qui n’a pas été censurée…. Mais à la longue, on s’y habitue et à chaque numéro on se dit en souriant, alors, qui de nous sera, cette fois-ci, censuré ? ». Cette censure, telle qu’elle s’exerce sur eux, ils la vivent et la ressentent de plusieurs manières. - Tout d’abord, elle s’exerce en amont, dans le choix des thèmes à traiter. A ce titre, plusieurs thèmes proposés « ont été refusés », tels que : « les salles de cinéma qui font leur beurre sur les films pornos », ou bien sur « les adeptes du satanisme », ou bien sur « les évènements de Gaza » (Palestine fin 2008)…. On apprend, par ailleurs, que pendant les interviews qu’ils arrivent à réaliser : « Il n’est pas rare que le rédacteur en chef assiste en personne à mes entretiens, ce qui me gêne considérablement. », « Souvent, les thèmes qui nous sont imposés, ne suscitent aucun intérêt pour nous, comme : « les métiers d’autrefois », « une année de mariage », « les jeunes et la Saint Valentin », etc. ». - D’autre part, les participants déclarent que, même quand les sujets proposés par la direction sont traités, « il est rare que nos articles paraissent sans coupe, et il arrive aussi que leur contenu soit complètement dénaturé ». Dans cet ordre d’idées, plusieurs d’entre eux insistent sur le fait que des évènements nationaux qui les interpellent en tant que jeunes, ne peuvent faire l’objet de traitement ou de couverture par eux. Un participant livre un cas 94 d’espèce qui illustre toute son inhibition du fait de la censure qu’il a subie : « J’ai écrit un papier sur les immigrés tunisiens de retour dans le pays en utilisant le langage (lexique) par lequel les jeunes désignent les Tunisiens qui vivent à l’étranger. Le papier n’est pas paru et aucune raison n’a été invoquée. » La présence très remarquée du rédacteur en chef est expliquée par un participant : « En réalité, à chaque fois, il est très insistant, car, il redoute que le supplément ne paraisse pas. J’ai l’impression parfois d’agir, pour lui faire plaisir. ». De plus, tous les participants affirment que la forme définitive que prendront leurs papiers, une fois rédigés par eux, échappe totalement à leur contrôle. Cependant, un seul avis contraste avec l’ensemble des opinions émises à propos du rôle du rédacteur en chef, c’est celui que développe l’une des participantes ; elle affirme notamment : « Il faut comprendre que nous sommes tous des étudiants et que nous avons besoin d’être encadrés, le rédacteur en chef est un professionnel, et de plus, lui aussi est constamment exposé à la censure ». • Sur ce que perçoivent les jeunes collaborateurs comme des avantages professionnels qu’ils tirent de leur expérience avec ce supplément : Pour la plupart d’entre eux (3) leur collaboration n’est pas signe d’épanouissement professionnel : Un participant fait remarquer : « Personnellement, je ne considère pas ma collaboration avec ce supplément comme une activité professionnelle. », une autre, souligne : « Moi, je considère « la Presse jeunes » comme un club. Il faut que ce soit clair, car, il n’y a aucun rapport avec la profession. Par exemple, il n’y a pas de gratifications matérielles en échange, c’est donc un club, pour s’exercer à écrire, à la communication aussi, nous n’avons pas de carte de presse et donc, on fait jouer nos connaissances.» En outre, tous insistent sur le fait qu’ils sont « considérés comme des journalistes de seconde zone ». Un des participants relate : « une histoire » qu’il a vécue et qu’il décrit en ses propres termes : « Je devais couvrir un spectacle du Festival de Carthage (l’humoriste Ghad El Maleh), j’avais droit à une carte d’accès, et au moment où je m’introduisais dans l’enceinte du théâtre, deux personnes m’arrêtent pour me demander: Où avez-vous eu cette carte ? Je leur ai répondu que j’étais journaliste à La Presse ! Ils me dirent sur un ton sec accompagné d’une avalanche d’insultes que je ne répèterais pas : « Tu mens ! ». L’attaché de presse du Festival est venu pour dire qu’il ne me connaissait pas. Tous, ne voulaient pas admettre que je pouvais être journaliste alors que j’arborai ostensiblement mon badge, et ils ne m’ont pas laissé entrer. Je me suis énervé et je me suis retrouvé au poste de la sécurité, où j’ai failli être agressé. Un peu plus tard, le rédacteur en chef de « La Presse », qui était sur les lieux par hasard, est intervenu en confirmant : « Oui, il écrit au supplément Jeunes », j’ai alors été autorisé à entrer, mais sans mon badge : il m’a été retiré. J’ai été très affecté par l’incident. J’avais l’impression d’être ce jeune garçon - vendeur de chewing gum qui veut entrer au stade sans billet ». 95 A la question de connaître les raisons qui, selon eux, ont motivé la parution de ce supplément pour jeunes, les avis concordent tous et se confondent avec l’opinion donnée par un participant : « Pour faire bonne impression et non pas, pour donner la parole aux jeunes…. » • A propos des gratifications et motivations, telles que ressenties par les participants au focus, elles sont surtout, d’ordre personnel. Trois raisons reviennent souvent dans leurs propos : - tout d’abord, c’est le plaisir de voir « nos papiers publiés », mais aussi, « de pouvoir nous exercer à l’écriture journalistique » et « de nous initier à une carrière journalistique », étant donné qu’ils sont, pour la plupart d’entre eux, issus d’une école de journalisme ; - ensuite, vouloir se frotter au monde des jeunes, à travers ce média ; c’est-à-dire, pour reprendre les propos d’un participant, «… appartenir à une équipe avec 100% de jeunes et qui promeut des interactions entre jeunes, (nouer des relations, partager les mêmes choses ensemble), mais aussi, faire des connaissances dans le monde culturel, particulièrement » ; - enfin, « enrichir mon CV et mon carnet d’adresses », « C’est une excellente carte de visite pour nous, quand on cherche du boulot. », « Le quotidien La Presse est très connu et quand on dit que nous travaillons dans La Presse Jeunes, ça facilite le contact avec l’extérieur. ». Quant à leur rétribution des papiers publiés, les participants nous apprennent que la pige varie entre 5 et 15 DT, et la rémunération qu’ils perçoivent leur est versée, fréquemment, à l’issue de plusieurs mois d’exercice. Cette somme est considérée - unanimement - comme : « plus que dérisoire », « ça ne rapporte rien ! », « Je vous assure, qu’en plus de l’effort intellectuel qui n’est pas reconnu, mes frais de déplacement pour voir un spectacle, un film, ou pour rencontrer quelqu’un…, dépassent la somme que je perçois pour deux papiers, sans oublier les coups de fil que je donne.» rapporte un des participants. A propos de l’absence de leur signature en bas de leurs articles, cette question ne constitue pas pour eux « le véritable handicap ». D’ailleurs, trois d’entre eux, ont ostensiblement ignoré la question posée. • La prise en compte du public auquel ils s’adressent ne semble pas constituer pour eux un souci de premier ordre. Les raisons avancées sont doubles : soit que le profil du public « cible » leur paraît relever d’un truisme, soit qu’il leur paraît difficile de « cibler » un public, au regard des conditions de travail telles que décrites par eux. - Ainsi, pour les uns (3), il est naturel que le public cible soit représenté essentiellement par « des jeunes intéressés par la lecture des journaux, en plus, francophones, en 96 plus, intéressés par la culture ». « Ce sont des jeunes qui ont la vingtaine, qui écoutent de la musique qui ne passe pas ailleurs, et qui gardent une distance par rapport aux médias, comme Canal 21 et à qui j’essaie d’apporter mon grain de sel [un plus]. », « Notre cible, ce sont les jeunes, mais pas seulement eux, car on écrit beaucoup sur la culture, et je me rends compte que tous ceux qui exercent dans le monde la culture, lisent régulièrement notre supplément (comédiens, réalisateurs, artistes,…).» - Pour d’autres (2) : « On ne peut pas avoir un public cible dans la tête quand on nous oblige d’écrire, dans de telles conditions. » • Quand il s’agit de dresser un bilan général de leur expérience au sein de ce supplément, les participants distinguent, entre le projet collectif incarné par la publication elle-même et les apports personnels qu’ils tirent de leur collaboration. A propos du projet collectif, les avis concordent pour juger le bilan de manière négative et le qualifier des attributs suivants : « C’est un échec cuisant. », « Ce supplément n’a pas réussi. On n’a pas bien su cibler notre public. », « Dans ce supplément, je regrette ma contribution à la transgression de certaines règles du métier.» Les raisons de cet échec, portent sur : - l’absence d’une étude préalable en vue de bien définir le « produit ». « Il n’y a pas d’étude portant sur ce supplément. Le lancement de ce supplément n’a aucun rapport avec le journalisme et le marché de l’information. », « Je pense que le supplément a été lancé suite à un coup de tête, il n’y avait aucune réflexion (une étude préalable).» ; - l’absence de principes professionnels bien établis : « Le lancement de ce supplément n’a aucun rapport avec le journalisme et le marché de l’information. » ; - le peu d’intérêt porté aux jeunes et aux questions se rapportant aux jeunes : « C’est un échec, parce qu’on ne nous a jamais pris au sérieux et on ne nous prendra jamais au sérieux parce qu’on a 20 ans, et ce, à la différence des autres journalistes de La Presse.». Mais dans le même temps, tous, admettent avoir tiré quelques avantages d’ordre personnel, comme, l’acquisition d’expériences, de contacts et des réseaux de connaissances et surtout, l’enrichissement du CV et de la carte de visite, ce qui rejoint en somme, les arguments avancés pour corroborer les gratifications personnelles qu’ils affirment avoir tirées. Dans ce sillage, l’opinion d’une participante résume bien ce paradoxe qu’elle exprime ainsi : « Moi, à plusieurs reprises, je décide de renoncer à collaborer, mais après un laps de temps, je reviens car c’est comme le premier amour. », et cette réflexion est approuvée par tous les participants. 97 3.2.3 - Réactions liées à la question sur une éventuelle direction d’une publication pour jeunes Question : « Si vous êtes amenés à diriger une publication pour jeunes, comment réagiriezvous ? » Trois types de réflexions sont enregistrés: - une première réflexion porte sur la nécessité d’entreprendre une étude exhaustive à ce propos, car, il n’est pas certain que les jeunes soient encore attirés par la lecture et le support écrit ; - ceux qui affirment que les jeunes, aujourd’hui, ne lisent plus, « même moi, je consulte plutôt le site web. Il m’arrive très rarement de lire un journal » ; - et ceux, qui avouent : « Personnellement, je ne peux pas lire un article sous sa version électronique. Je suis habitué au support écrit. ». Et dans cette perspective, certains proposent de créer un évènement autour du support à lancer : « Pourquoi ne pas inciter les jeunes à lire ? Pourquoi ne pas faire de la communication évènementielle autour du support à créer ? ». D’autres proposent de prolonger ce support par un site web, « et pourquoi pas, par une radio et une télévision d’un genre nouveau, qui s’adresseraient uniquement aux jeunes ! ». Mais dans tous les cas, il y a unanimité : le média à créer doit être totalement indépendant, qu’il « s’adresse d’abord aux jeunes…..qu’il traite de tous les sujets où il n’y aura pas de tabou ». 3.2.4 - La Convention des droits de l’enfant ? A la question de savoir si les participants connaissent les dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), on enregistre beaucoup d’hésitation, de la perplexité. Quelques uns seulement (trois) ont entendu parler de cette Convention mais ils ignorent totalement son contenu. Une seule participante affirme en avoir « entendu parler, pour la première fois, en cours d’éducation civique de l’enseignement secondaire, mais aujourd’hui, je ne me rappelle pas de grand chose ! ». 3.3. - Entretien avec le rédacteur en chef du supplément « Parole de Jeunes » • L’historique du supplément : Le premier supplément « Jeunes » de La Presse remonte à la fin des années 1980 mais il n’avait alors duré que deux ans. Il reprendra en 2001 de manière très irrégulière. La nouvelle formule (actuelle) sous le titre « Parole de Jeunes» voit le jour en 2007 avec la parution du premier numéro le lundi 30 avril. Et depuis, le supplément paraît régulièrement 98 jusqu’à la fin de l’année 2008. Mais, la périodicité devient très irrégulière à partir de janvier 2009 (les lundis 12 et 26 janvier 2009), le supplément n’est pas paru pour des raisons liées aux relations tendues avec la direction du journal. • Le choix du Lundi : C’est la journée de tous les hebdomadaires. Dans le passé, les quotidiens ne paraissaient pas le lundi et c’étaient les hebdomadaires qui meublaient cet espace. Par la suite, le numéro du lundi du journal « La Presse » est consacré à la publication des suppléments hebdomadaires, parmi lesquels « Parole de Jeunes » • La signature : Nous avons fait une présentation des rédacteurs du supplément dans le numéro daté du 28 février 2008. La raison de ne mentionner que leur prénom étant motivée par le fait que nous voulions distinguer ces jeunes rédacteurs des autres journalistes professionnels du journal. • L’équipe rédactionnelle : Elle est très instable. Nous enregistrons plusieurs départs voire même une hémorragie ces derniers mois. Cinq collaborateurs sont constants parmi lesquels, quatre sont de jeunes rédactrices. Auparavant, il y avait trois jeunes rédacteurs mais qui ont préféré se séparer de nous soit, à cause de la censure et des conditions de travail, soit parce qu’ils ont trouvé un emploi ailleurs. La plupart des rédacteurs viennent de l’IPSI, et quelques uns de la Faculté des Lettres (Département français) mais aussi, de l’Institut des Arts et Métiers. Le cas d’une étudiante diplômée des Arts et Métiers de Tunis, est intéressant. Excellente journaliste mais aussi infographe appréciée, elle a fait le design du supplément et conçu les « têtes » des rubriques, et depuis une année, elle a été recrutée comme journaliste professionnelle à La Presse. • Les difficultés : Les moyens à notre dispositif sont dérisoires. Nous ne disposons pas de photographe permanent et sommes amenés à recourir à nos moyens personnels pour trouver des illustrations, mais aussi, pour nous déplacer nous sommes obligés de boucler samedi matin, alors que le supplément paraît le lundi. • La censure s’exerce sous plusieurs formes : Elle peut être directe et se manifester par le rejet de papiers ou d’illustrations jugés par la direction « inadmissibles » et remplacés par des annonces officielles (Avis…..). Cette censure se manifeste aussi par la suppression de certains passages de papiers déjà rédigés et ce, sans tenir compte de leur cohérence. Et c’est la raison principale qui fait fuir les jeunes rédacteurs. 99 • La gratification matérielle : Elle est dérisoire, les piges varient entre 15 et 18DT le papier et la brève entre 3 et 5 DT, selon les cas. • L’Actualité : Elle ne représente pas pour nous une nécessité car elle est traitée dans le quotidien. Mais il nous arrive de nous y coller un peu en traitant les évènements sous un autre angle, d’une autre manière. Généralement, les idées sont proposées par les rédacteurs et je veille à l’exécution et à la correction. La rubrique « Feu vert » correspond à un petit dossier qui porte sur une petite enquête. • Les lecteurs : Il n’existe aucune étude portant sur le lectorat du quotidien La Presse, et à fortiori, sur celui du supplément ! Mais nous avons quelques indications sommaires sur le profil de notre public : nous savons qu’il s’agit d’un public de jeunes, âgés entre 17 et 25 ans, habitant les grandes villes, poursuivant pour la plupart des études supérieures, parlant français et attirés par les technologies de la communication et la musique occidentale. Le journal s’adresse à eux et à leurs parents qui le lisent aussi. A propos du courrier des lecteurs, nous avons créé une rubrique pour publier les lettres qui nous parviennent « Libre air », mais nous avons renoncé au bout de quelques semaines, car, les lettres ne nous parviennent pas, pour la simple raison que nous ne disposons pas d’une adresse électronique propre au supplément. La raison étant que la direction ne nous a pas autorisés à en avoir. • Les droits de l’enfant : Ils ne constituent pas, pour nous, un souci premier. Quand des évènements surviennent en relation avec la CIDE à l’instar de la journée mondiale de l’enfant, etc., c’est le quotidien national qui les aborde et les développe. Il est vrai qu’il n’existe pas de coordination entre nous (rédacteur en chef et responsable du supplément). Par contre, quand des propositions d’articles sont faites par les rédacteurs sur ce thème comme la lutte contre le Sida, nous les étudions, et généralement, nous les approuvons. Le rédacteur en chef conclue : « Malgré les difficultés, il faut reconnaître qu’il y a une réelle volonté politique pour que ce supplément ne disparaisse pas totalement. » 100 CONCLUSION 1 - Observations générales qui se dégagent de la lecture des numéros du supplément • Sur l’absence d’une unité thématique : Chaque numéro ne repose pas sur une unité thématique à partir de laquelle s’articulent les rubriques et leur contenu. Les sujets sont souvent abordés au gré de l’humeur du rédacteur. • Sur les thèmes généralement développés : Ils se focalisent pour la plupart sur des thèmes en relation avec la vie estudiantine, les problèmes et les préoccupations des adolescents qui vivent dans les grandes villes, essentiellement, la capitale, sur des profils de réussite sociale et « d’étudiants exemplaires ». Ils font la part belle aux formes d’expressions artistique et musicale en provenance d’Occident et consacrent l’essentiel des brèves aux nouveautés liées aux technologies de la communication. • Sur les droits des enfants : Les six unités rédactionnelles (articles ou informations) recensées en relation – directe ou indirecte – avec des dispositions contenues dans la CIDE, portent sur la sensibilisation, la protection, l’implication et la participation des jeunes et des enfants. Il s’agit, pour l’essentiel, soit des brèves, soit des couvertures ou des reportages de réunions organisées sur ces thèmes. • Sur l’écriture et la lisibilité rédactionnelle : Dans la quasi-totalité des cas, les articles publiés ne répondent pas aux canons de l’écriture journalistique. Très souvent, ils sont inclassables et répondent difficilement à une taxinomie des genres journalistiques. A titre d’exemple, informations, impressions, jugements se confondent, et les informations rapportées sont rarement « sourcées ». La lisibilité rédactionnelle et graphique est très sommaire, et l’usage de la couleur n’est pas courant. On relève plusieurs insuffisances à propos de la mise en page, de la titraille, des illustrations, etc. • Sur le rapport à l’actualité : Le rapport à l’actualité, précisément celle liée aux jeunes, est très insignifiant. Si le sujet se rapporte exceptionnellement à l’actualité du moment, son choix et son traitement ne semblent obéir qu’à l’humeur du rédacteur. • Sur l’absence des signatures : Les articles publiés ne sont jamais signés, à l’exception d’un. Ils ne portent que le prénom de la personne. Et ce sont les prénoms des jeunes filles qui prédominent nettement. 101 • Sur la périodicité : Force est de constater que depuis le début de l’année 2009, la périodicité du supplément est devenue très irrégulière. Le supplément n’est pas paru à plusieurs reprises : le 12, le 26 janvier, durant le mois de février, une seule parution : le 16 février. Les raisons de la nonparution ne sont jamais explicitées publiquement. De cette analyse, l’impression générale qui se dégage est que, d’une part, le supplément ne semble pas fondé sur une cohérence rédactionnelle dans laquelle les jeunes rédacteurs se déploient à leur aise et qu’ils disposent d’une liberté de manœuvre et d’autre part, les thèmes en relation avec les jeunes et les enfants sont traités, généralement, en conformité avec la ligne éditoriale du journal « La Presse ». L’organisation d’un focus groupe avec les rédacteurs de ce supplément a apporté davantage d’éclaircissements. 2 - Focus groupe avec les jeunes rédacteurs du supplément L’entretien avec les jeunes rédacteurs a permis de découvrir, que : • d’une part, pour une nette majorité d’entre eux, ils préfèrent se rabattre sur des médias diffusés sur le web, et particulièrement des stations de radio sur le net qui affichent plus de liberté dans leur programmation ainsi que par le ton utilisé par les animateurs. En outre, ils estiment que l’abonnement aux réseaux socialisés sur le web comme Face book, est une pratique très courante pour communiquer et s’exprimer entre eux et à leur guise ; • d’autre part, il ressort aussi que leur collaboration à une publication comme « Parole de Jeunes », n’est pas du tout motivée par des gratifications d’ordre matériel qui sont jugées par la plupart d’entre eux « dérisoires » et « insignifiantes », mais plutôt, par des raisons purement personnelles, telles que : « le plaisir de voir mes papiers publiés », mais aussi, «de nouer des relations et faire des connaissances dans le monde culturel, particulièrement », et enfin, « c’est une excellente carte de visite pour nous, quand on cherche du boulot »…. Dans tous les cas, on relève parmi ces jeunes, une méconnaissance manifeste de l’existence même de la Convention internationale des droits de l’enfant et à fortiori, des dispositions qu’elle recèle. Une participante a reconnu toutefois en avoir « entendu parler » au cours d’un enseignement d’éducation civique dispensé durant son cursus secondaire. Par conséquent, le développement d’une presse jeune demeure largement tributaire de l’évolution du secteur des médias dans son ensemble, dans le sens d’une plus grande autonomie à l’égard du pouvoir central. Il dépend aussi de la nécessité de prémunir cette presse contre toute mainmise du « politique » de façon à permettre aux jeunes d’agir et 102 de concevoir leurs canaux de diffusion selon leurs souhaits, leurs attentes et leurs aspirations. 3 - Entretien avec le rédacteur en chef du supplément Il apparaît de façon indéniable que la position et le rôle du rédacteur en chef du supplément est très délicate dans la mesure où il doit concilier - difficilement - entre plusieurs paramètres, eux-mêmes, contradictoires à savoir : d’une part, la ligne éditoriale du journal et les interprétations faites par les chefs hiérarchiques, d’autre part, les exigences formulées par les jeunes collaborateurs- sans compter les défections de certains d’entre eux - et l’impératif de faire paraître le supplément … Pour terminer, il ressort que l’implication, la participation des jeunes, la vulgarisation des dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant par les médias sont, tout d’abord, tributaires de l’environnement politique et professionnel dans lequel se meut le paysage médiatique tunisien dans son ensemble. Or, au regard de la configuration actuelle qui se caractérise par l’opacité et l’absence de concertation au sein des rédactions, … les principes professionnels, les règles d’éthique, et à fortiori, ceux qui portent sur l‘implication et la participation des jeunes, se trouvent relégués au second plan. Le paradoxe, tel qu’il est exprimé par ces jeunes rédacteurs, se recoupe avec celui que décrit le rédacteur en chef du supplément ; le lancement de « Parole de Jeunes » découle d’une « volonté politique », mais sa réalisation et sa concrétisation effective se fondent, dans ce qui caractérise, de nos jours, l’environnement médiatique dans le pays. Par conséquent, le développement d’une presse jeune, dépend : - de l’évolution de ce secteur dans son ensemble, dans le sens d’une plus grande autonomie; - de la non subordination absolue à une volonté politique de façon à permettre aux jeunes d’agir et de concevoir leurs canaux de diffusion selon leurs souhaits, leurs attentes et leurs propres aspirations. RECOMMANDATIONS DÉCOULANT DE L’ANALYSE DE LA PRESSE ÉCRITE : QUOTIDIEN, HEBDOMADAIRE, PRESSE JEUNES 1.Organiser des sessions de formation à l’intention des rédacteurs (journalistes permanents mais aussi autres collaborateurs) sur la couverture éthique de l’actualité relative aux EAJ. Le contenu de cette formation doit souligner les principes réglementaires et éthiques en la matière mais doit être surtout axé sur l’analyse de situations réelles. Dans ce sens, l’expérience des deux sessions de formation sur l’éducation parentale organisées en décembre 2008 et avril 2009 à l’intention des journalistes, devrait être étendue et orientée dans une perspective plus large de respect des droits des enfants. 103 2.Proposer un module de formation sur la photographie de presse concernant les EAJ. Avec la numérisation et la miniaturisation des appareils, la photographie de presse n’est plus l’apanage des photographes attitrés. Elle est le plus souvent l’œuvre des rédacteurs ou puisées dans des bases de données étrangères. 3.Élaborer un guide pratique sur la couverture éthique de l’actualité relative aux EAJ. Ce guide peut s’inspirer des normes et standards internationaux et des expériences menées dans d’autres pays ( Cf. All side of the story : reporting on children) mais devrait être adapté au contexte tunisien. 4.Élaborer une charte sur le respect des droits des EAJ à l’intention des responsables éditoriaux des médias. 5.Établir un plan d’action destiné à impliquer le Délégué à la Protection de l’Enfance (DPE) pour faire respecter les dispositions juridiques relatives à la protection de l’enfance dans les médias. 6.Mener de nouvelles recherches sur les aspects qui n’ont pas été couverts par la présente étude : publicité et TIC. 7. Effectuer une étude portant sur les médias diffusés sur le web et sur la fréquentation des réseaux sociaux comme Facebook s’avère nécessaire au regard de l’attrait que ces réseaux suscitent chez les jeunes et les adolescents : le rôle joué par Facebook dans la révolution tunisienne en est la preuve. 8.Mener une étude auprès des journalistes des médias qui traitent ou couvrent – régulièrement – des questions se rapportant aux enfants, aux adolescents et aux jeunes, afin de cerner leurs schèmes de représentations et surtout, de circonscrire les difficultés inhérentes à leur formation ou à leurs conditions de travail, et qui limitent la qualité de leur production. 9.Examiner avec une institution universitaire (IPSI, ou l’Institut des Cadres de l’enfance (ou autre), la possibilité de créer un master spécialisé sur la relation Médias/EAJ, qui s’adresserait tant aux journalistes qu’aux personnes qui exercent dans le domaine de l’enfance et qui sont en relation constante avec le monde des médias. 10.Parrainer un magazine, une publication spécialisée pour les jeunes et les enfants en se focalisant sur la diffusion et le travail pédagogique sur la Convention des droits de l’enfant. 104 Chapitre 4 Analyse qualitative de la représentation et de la participation des enfants, des adolescents et des jeunes dans les programmes audiovisuels Ce chapitre est destiné à compléter l’analyse de la presse écrite par un examen de l’état de la participation et de la représentation des EAJ dans les programmes audiovisuels. Néanmoins, cette analyse de l’audiovisuel n’a pas la vocation d’être aussi exhaustive que celle relative à la presse écrite, mais elle lui sert de complément et prépare la voie à une étude plus approfondie sur les supports audiovisuels, y compris les nouveaux supports numériques. L’étude préalable menée dans le cadre du présent travail a révélé que les chaînes publiques, nationales ou régionales, traitent les questions de société avec plus de retenue que les chaînes privées, ce qui s’explique par leur soumission à l’impératif de respect des orientations officielles de l’Etat (le feuilleton provoquant « Maktoub », diffusé sur l’ex Tunis 7 étant l’exception qui confirme la règle). Les chaînes privées, au contraire, sont soumises à l’impératif de l’audience et n’hésitent donc pas à s’écarter des thèmes consensuels pour s’engager sur des questions controversées. En l’absence d’un cadre juridique propre à l’audiovisuel privé, les dérapages sont donc à craindre et il nous a semblé urgent de focaliser sur certaines émissions des chaînes privées afin de prendre la mesure de leur degré de conformité par rapport aux normes en vigueur en matière de traitement médiatique des questions impliquant les EAJ. 4.1. - Eléments de méthodologie Cette analyse de la participation et de la représentation des EAJ dans les programmes audiovisuels tunisiens procède d’une approche qualitative qui consiste à soumettre un corpus de programmes sélectionnés à une analyse de contenu destinée à dégager le degré de participation des EAJ et les représentations dominantes à leur endroit. 105 Les supports et programmes retenus ont été choisis parmi ceux qui ont enregistré de bons taux d’audience, notamment auprès des publics les plus jeunes. Les résultats des focus groupes avec les enfants, adolescents et jeunes ont été mis à profit pour le choix des chaînes et des émissions sélectionnées pour cette analyse. En effet, comme on le découvrira dans le chapitre suivant, les feuilletons « Maktoub » et « Choufli hall », ainsi que les « talk shows » de Mosaïque FM et de Hannibal TV sont revenus plusieurs fois dans le discours des EAJ sur les médias tunisiens. • Supports retenus 1 - La chaîne de télévision publique ex Tunis 7 2 - La chaîne privée de télévision Hannibal TV 3 - La chaîne privée de radio Mosaïque FM •Corpus et échantillon 1- Présence et représentation des adolescents et des jeunes dans les fictions : le feuilleton « Maktoub » (destin), diffusé pendant le mois de Ramadhan (septembre 2008) sur l’ex Tunis 7. Cette fiction a créé l’évènement en mettant en scène des jeunes dans les rôles principaux et en abordant des sujets liés au vécu de ces jeunes et de leur entourage familial avec une franchise et une audace inhabituelles pour une fiction ramadanesque. 2 - Le point de vue des professionnels de l’audiovisuel : synthèse de la rencontre sur « enfants, adolescents, jeunes et fictions » organisée par l’UNICEF avec des scénaristes, des acteurs et des critiques de télévision. 3 - La présence et la représentation des jeunes dans les émissions de débat à la radio et à la télévision sont analysées à travers les émissions suivantes : - Forum, de Mosaïque FM (programme 1) - Fi Da’irat Adhaou, de Hannibal TV (Programmes 2 et 3). 4.2. - Les EAJ dans les fictions à travers le feuilleton « Maktoub » : l’autre visage du monde des adolescents et des jeunes Ce feuilleton peuplé de personnages d’adolescents et de jeunes, diffusé par la chaîne nationale de télévision (ex Tunis 7) au mois de Ramadan 2008, a constitué l’événement marquant de la dernière grille ramadanesque. « Maktoub » a été diffusé en prime time durant le mois qui génère le plus d’audience, ce qui lui a assuré l’audimat le plus élevé possible pour un programme national de télévision. Pour une fois, les personnages d’adolescents et de jeunes sont plus nombreux que ceux des adultes. Ainsi, 18 acteurs principaux (sur 34) appartiennent à cette catégorie, avec une dominante féminine : 10 jf contre 8 jg. Les 16 acteurs adultes sont, par contre, à dominante masculine (9 H contre 7 F). 106 Cette fiction a délibérément rompu avec la tradition consensuelle des programmes ramadanesques en mettant en scène et en offrant au regard de l’auditoire familial des sujets pour le moins inhabituels pour les fictions tunisiennes sur le petit écran national. Trafic de drogue, racisme anti-noir, petits mensonges d’adolescentes amoureuses pas si prudes, « monétisation » des rapports enfants-parents, trahison conjugale, règlements de compte entre divorcés, font partie des thèmes abordés de plain pied dans ce feuilleton. En résumé, « Maktoub » propose une incursion provocante dans le vécu d’adolescents et de jeunes plus ou moins en rupture avec les valeurs dominantes de leur environnement familial et/ou social. Mettre en scène de jeunes acteurs tunisiens, amateurs de surcroît, est déjà assez risqué, en raison de l’inévitable identification qui s’opère dans l’esprit du large public. Les scénaristes, réalisateurs et critiques réunis par l’UNICEF à l’occasion de l’atelier du 10 avril 2009 sont unanimes : les Tunisiens ne tolèrent pas voir des pratiques sociales négatives dans les fictions tunisiennes, alors qu’ils s’en accommodent bien dans les programmes étrangers (qu’ils consomment sans modération en dehors du mois de Ramadan). Selon l’un des scénaristes présents à cet atelier, « les personnages d’enfants et de jeunes doivent coller aux stéréotypes positifs, sinon, ils ne passent pas à la télé … ». « Maktoub » a rompu avec cette règle et montré l’autre visage des adolescents et des jeunes. Au-delà des virulentes critiques soulevées par ce feuilleton, il est indéniable que les jeunes personnages de « Maktoub » ont conquis le public par leur présence, leur spontanéité et leur « vérité ». Par rapport aux deux questions de société les plus délicates traitées par cette fiction, à savoir le racisme et le trafic de drogue, les personnages jeunes sont en première ligne et ils ont souvent le beau rôle face aux adultes. C’est ainsi par exemple que les jeunes amoureux « Yosr » et « Mehdi » défient les stéréotypes racistes que les parents de ce dernier voudraient opposer à leur mariage et leur idylle est dépeinte comme un plaidoyer contre la discrimination. Ce qui ne manque pas de discréditer la mentalité ségrégationniste et rétrograde des adultes, particulièrement celle de la mère « omnipotente » du jeune « Mehdi ». 4.3. - Enfants/Adolescents/Jeunes dans les fictions tunisiennes : le point de vue des professionnels Pour les scénaristes, réalisateurs, chercheurs et critiques qui ont participé à l’atelier de l’UNICEF du 10 avril 2009, la participation des EAJ dans les fictions est toujours problématique. S’agissant du faible nombre de personnages d’enfants et d’adolescents dans les feuilletons et autres « Sitcom » tunisiennes, les professionnels l’expliquent par l’indisponibilité de cette catégorie pour les tournages, en raison des impératifs du calendrier scolaire. Le scénariste et producteur du Sitcom populaire « Choufli Hall » a révélé qu’il 107 calait ses séances de tournage en fonction du calendrier scolaire de ses deux élèves-actrices, qui ne sont libres le plus souvent que les samedis et les dimanches. D’autre part, remarque-t-on, les talents innés de comédien sont rares chez les enfants et on n’a pas le temps de les former, ce qui explique en partie la présence d’enfants-acteurs dont les parents sont eux-mêmes comédiens. L’un des scénaristes ajoute que ses collègues ont intégré l’idée que la fiction, c’est une affaire d’adultes qui s’adressent à d’autres adultes, pas de place donc pour les enfants. Ce à quoi un psychologue présent a rétorqué que l’enfant est souvent « instrumentalisé » dans les fictions en tant qu’argument émotionnel. Un autre argument plus « objectif » a été dégagé par le débat : le souci des réalisateurs de « faire travailler des acteurs souvent au chômage », en raison de la modestie des œuvres produites. Les fictions tunisiennes ne totalisent en effet que 70 heures de programmes par an, ce qui est assez dérisoire, constate l’un des participants. 4.4. - Les jeunes dans les émissions de débat à la radio et à la télévision : Quelle participation et quelle représentation ? La présence et la représentation des jeunes dans les émissions de débat seront analysées à travers les programmes choisis de Mosaïque FM et de Hannibal TV. Programme 1 : Forum Chaîne : Mosaïque FM Emission : Forum du 20 mars 2009 Animatrices : Amina et Wissal Périodicité : quotidienne Thème de l’émission : Les jeunes et leur représentation 1.1- Participation des jeunes Cette émission de débat est un programme phare de la grille de Mosaïque FM. Elle est diffusée quotidiennement entre 15h et 17h. Signalons d’abord que les deux animatrices de Forum sont elles-mêmes plutôt jeunes, ce qu’elles n’ont pas manqué de rappeler à leurs auditeurs en cours d’émission. Forum a conquis son audience par le choix de ses sujets parmi les questions de société controversées et par la liberté de ton qu’elle autorise ou plutôt qu’elle suscite. 108 L’émission retenue pour cette analyse est celle qui a été diffusée le 20 mars 2009, à la veille de la fête de la jeunesse et qui a été consacrée au thème des jeunes: « Les jeunes, quelle ambition ? Quelle représentation ? » Ce programme est largement basé sur les interventions téléphoniques des auditrices et auditeurs, diffusées dans les conditions du direct, ce qui préserve leur spontanéité et leur confère une certaine sincérité. Les deux animatrices n’interviennent que pour relancer ou recadrer la discussion. Elles donnent aussi lecture des contributions envoyées par les auditeurs à la messagerie électronique de l’émission. Comme les thèmes choisis portent toujours sur des questions controversées, un débat contradictoire oppose souvent les intervenants, au grand bonheur des auditeurs, saturés de pseudo débats unanimistes fréquents sur les chaînes publiques. L’émission sur « Les jeunes, quelle ambition ? Quelle représentation ? » n’a pas dérogé à la règle. Au cours de l’émission, on a enregistré 20 interventions téléphoniques, réparties quasiment à égalité entre hommes (11 appels) et femmes (9 appels). Il n’a pas été possible de distinguer les intervenants en fonction de leur âge, mais la voix des jeunes était présente, même si celle des adultes était majoritaire. Les jeunes intervenants ont convenablement rempli leur rôle en apportant la contradiction aux adultes qui les considèrent comme « des boulets à la charge de leurs parents ». Certes, il s’agit surtout d’étudiants en fin de cycle ou de jeunes diplômés chômeurs qui ont pris la parole, car les adolescents n’ont pas été présents dans ce débat. 1.2- Représentation des jeunes Les deux animatrices ont introduit l’émission par des questions volontairement provocantes, dans le style habituel de Forum : « Nos jeunes ont-ils de l’ambition ? Pourquoi ces préjugés sur les jeunes, qui seraient paresseux, inconscients, puérils, négatifs, irresponsables ? Qui est responsable de cette vision négative du jeune tunisien ? » Les avis des intervenants vont se répartir en trois catégories : - ceux qui sont plutôt critiques à l’égard des jeunes et qui considèrent qu’ils ne font pas assez pour être à la hauteur des ambitions placées en eux ; - ceux qui, au contraire, estiment que les jeunes ont un potentiel formidable mais qu’ils ont besoin qu’on « leur donne leur chance » ; - ceux, enfin, qui considèrent que la mentalité des jeunes est déterminée par leur éducation, leur environnement familial et la société en général, qu’il ne faut donc pas blâmer les jeunes de ce dont ils ne sont pas responsables. Signalons qu’en termes d’occurrences, les deux premières catégories sont à égalité, dans la mesure où on a enregistré 9 interventions pour chaque point de vue, les femmes étant légèrement plus critiques à l’égard des jeunes que les hommes. Quant à la dernière catégorie, minoritaire avec 2 occurrences seulement, elle a été 109 représentée par deux intervenantes femmes. Nous exposons ci-dessous les points de vue développés par les trois catégories d’intervenants. 1ère catégorie : les points de vue critiques à l’égard des jeunes - Les jeunes veulent tout avoir sans se fatiguer : argent, voiture, soirées … . - Les jeunes ont des ambitions disproportionnées, ne respectent pas les aînés, tiennent des propos obscènes dans les lieux publics … . - Le jeune tunisien n’a imité de l’Occident que les apparences, il est superficiel et indiscipliné. - Le jeune n’a pas d’ambition, veut tout avoir sans se fatiguer, cherche la facilité, ne supporte pas les sacrifices nécessaires au démarrage d’une carrière, contrairement à la génération de ses parents. - Les jeunes ne veulent pas travailler, préfèrent se faire prendre en charge. - les jeunes d’aujourd’hui sont perdus, ils sont inconscients et engagés dans une impasse. - La mère ne peut plus maîtriser le comportement de son enfant. - Les jeunes n’ont pas l’esprit d’initiative, ne sont pas assez « conquérants » et sont souvent « attentistes ». - Les jeunes n’ont pas d’immunité : ils sont vite choqués, vite découragés et vite déprimés ; ils manquent de confiance en eux-mêmes … 2ème catégorie : les points de vue positifs - Le jeune tunisien travaille bien, mais n’est pas rémunéré à sa juste valeur, ce qui est démoralisant. - Le jeune est travailleur et méritant. - Le jeune a de l’ambition : j’ai un diplôme de master et j’ai suivi des stages et des conférences à l’étranger mais je ne trouve pas de travail. - Les jeunes ont des idées d’avenir, mais l’encouragement leur fait défaut. - Les jeunes réussissent bien leurs études mais se retrouvent dans les cafés : on ne leur donne pas leur chance. - Le jeune est victime d’injustices, il est évalué négativement sur la base de préjugés parce qu’il ne correspond pas au « modèle idéal du jeune ». On doit respecter les choix des jeunes et arrêter de les attaquer sur la base de préjugés et d’apparences vestimentaires ou de « look » … - Les jeunes ont tous de l’ambition, mais leurs mauvaises conditions les poussent parfois au désespoir, surtout quand il n’y a pas de perspectives d’emploi. 3ème catégorie : le rôle de l’environnement - L’ambition ne vient pas spontanément au jeune, il faut que son éducation lui donne une culture de l’ambition, la famille et l’école en sont les premiers responsables. 110 - La culture de l’ambition se développe en faisant participer les jeunes, comme cela a été le cas avec la consultation nationale sur la jeunesse. CONCLUSION (Programme Forum) Cette émission a eu le mérite de célébrer la fête de la jeunesse en suscitant un débat sur l’image des jeunes dans la société et particulièrement sur la part de vérité des clichés et préjugés négatifs à l’égard des « jeunes d’aujourd’hui ». Les interventions dans le débat ont été nombreuses, diversifiées et équilibrées entre hommes et femmes. Quelques jeunes ont pu intervenir dans le débat. En apportant le témoignage de leur vécu, ils ont contribué à invalider les stéréotypes et les préjugés dont ils sont victimes de la part des adultes. Les intervenants adultes, de leur côté, ont tenu un discours d’exigence à l’endroit des « jeunes d’aujourd’hui », qui ne sont pas à leur avantage dans la comparaison avec les « jeunes d’antan », c’est-à-dire eux-mêmes. Paradoxalement, les intervenantes femmes ne sont pas plus bienveillantes ; en tant que mères ou sœurs, elles ont adressé plein de reproches à leurs jeunes, surtout que c’est souvent sur elles que pèse leur prise en charge au quotidien. Certes, on peut reprocher à l’émission d’avoir mis dos-à-dos les opinions des uns et des autres, sans faire avancer le débat, puisqu’il n’y a pas eu de « parole experte » sur le plateau pour faire la synthèse et dégager les lieux de pertinence et les perspectives. En l’absence de spécialistes sur le plateau, ce sont les deux animatrices qui ont, de temps à autre, joué ce rôle pour lequel elles ne sont évidemment pas qualifiées. Mais le concept de cette émission repose uniquement sur les échanges, de préférence « épicés » des auditeurs, avec une animation provocante pour « mettre de l’huile sur le feu » en cas de chute de tension dans le débat. On ne cherche ni solution ni perspectives au problème social posé, seuls comptent les avis exprimés, même si certains arguments sont manifestement faux ou dangereux et qu’il aurait fallu qu’une personne ressource de référence les rectifie ou les rejette. 111 Programme 2 : Fi Daïrat Addhaou 1 Chaîne : Hannibal TV Emission : Fi Daïrat Addhaou (Sous les Projecteurs) Animateur: Abderrazak Chebbi Périodicité : hebdomadaire Thème : les jeunes et l’émigration clandestine (les « Harragas ») Année de diffusion : 2008 Pour traiter ce pénible fléau de l’émigration clandestine vers l’Europe et ses cortèges de jeunes naufragés et de disparus, quatre invités étaient présents sur le plateau : un responsable du ministère des Affaires sociales, un avocat actif dans la société civile, un journaliste (rédacteur en chef) et un député de l’opposition. Tous ces participants sont des adultes et des hommes, les femmes et quelques rares jeunes sont cependant visibles dans les cinq reportages diffusés au fur et à mesure de l’avancement de la discussion sur le plateau. Pour notre analyse de la représentation et de la présence des jeunes dans les débats télévisés qui les concernent ou dont ils sont l’objet principal, le visionnage des reportages est aussi instructif que celui des échanges sur le plateau. 2.1- Présence des jeunes Les victimes de l’émigration clandestine sont en premier lieu des jeunes, qui n’hésitent pas à mettre leur vie en péril en bravant la mer sur des embarcations de fortune pour réaliser leurs rêves d’atteindre « l’Eldorado » européen. Dans les cinq reportages qui ont émaillé l’émission, les « héros » sont des jeunes qui ont disparu, soit pendant la traversée, soit une fois en Europe, mais dont les corps n’ont pas été retrouvés. Leur « présence » se manifeste donc à travers le discours des parents, notamment celui des mères éplorées, qui n’ont plus que leurs larmes et quelques photos du fils qui ne reviendra plus. Le traitement mélodramatique à outrance des images des mères endeuillées frise l’indécence (images muettes accompagnées d’airs musicaux ou de chansons mélancoliques rappelant les bandes son des feuilletons égyptiens …). Puisqu’il est hors de question en l’occurrence d’interviewer les jeunes, objets des reportages, on aurait pu interroger d’autres jeunes dont les profils sont proches de ceux des disparus, pour que leur discours soit présent dans le débat. Les techniques permettant l’anonymat des témoins en masquant leurs visages sont largement utilisées en postproduction et la crainte des poursuites ne peut donc nullement justifier cette exclusion de la parole du jeune candidat à l’émigration clandestine. 112 2.2- Représentation des jeunes Les jeunes victimes qui ont trouvé la mort en essayant d’atteindre la rive nord de la Méditerranée ou de s’y établir suscitent tour à tour la compassion et les reproches des panélistes de l’émission. L’initiative funeste de ces jeunes est d’abord examinée à l’aune de la loi, qui pénalise le « franchissement illégal des frontières ». Les jeunes « Harragas » sont d’abord ramenés à leur statut de hors-la-loi. Elle est ensuite abordée par un questionnement sociologique, qui essaie de comprendre pour quelles raisons de jeunes tunisiens, dont certains avaient une situation professionnelle et matérielle correcte, ont décidé de rompre avec leurs familles et amis pour répondre à l’appel de l’aventure et tomber entre les mains de passeurs sans scrupules qui les ont entassés dans des « embarcations de la mort » après les avoir dépouillés de leurs maigres économies. Le sort de ceux qui survivent à la traversée n’est guère enviable, souligne à juste titre l’un des participants, car sans papiers, sans qualification et sans appuis, le jeune clandestin est un « bon client » pour les réseaux terroristes et les trafiquants de toutes sortes. Ces jeunes sont donc des « naïfs », des « ignorants » ou des « aventuriers ». En troisième lieu, ces jeunes sont des « brise cœur » pour leurs proches, notamment pour leurs mères laissées dans l’ignorance de leurs projets, inconsolables et privées même du besoin élémentaire de « faire le deuil » de leur fils, puisqu’il n’est pas formellement décédé mais « porté disparu ». Dans le discours des parents et des proches, l’affection exprimée envers le jeune disparu est réelle, mais elle s’accompagne de reproches fréquents à son endroit, ce qui finit par dégager l’impression d’une culpabilité morale du jeune, doublée d’une dose d’irresponsabilité et d’ingratitude envers ceux qui le chérissent. CONCLUSION (Programme Fi Daïrat Addhaou 1) Toute l’émission a ainsi navigué entre deux pôles, celui de la compassion affichée et celui de la stigmatisation implicite des jeunes victimes de l’émigration illégale. Il a manifestement manqué à ce débat certains éclairages, tels que ceux du psychologue et du représentant de l’introuvable Association d’aide aux émigrés clandestins. On aurait probablement eu droit à quelques explications relatives aux motivations et aux ressorts psychologiques en œuvre dans l’esprit de cette catégorie de jeunes candidats aux « traversées de la mort ». Les réduire à la condition de hors-la-loi, d’ignorants, d’aventuriers ou de « brise cœur » de leurs mères peut « faire spectacle » mais ne fait pas tellement avancer le débat. 113 Enfin, le rôle des médias dans la sensibilisation et la prévention de l’émigration clandestine a été à peine effleuré, alors qu’il devrait figurer en bonne place dans tout programme de traitement de ce fléau. Programme 3 : Fi Daïrat Addhaou 2 Chaîne : Hannibal TV Emission : Fi Daïrat Addhaou (Sous les Projecteurs) Préparée par : Abderrazak Chebbi Animateur: Faouzi Jrad, Thème : La violence dans les écoles Année de diffusion : 2008 Pour cette émission de débat sur la violence en milieu scolaire, Hannibal TV a invité à son plateau cinq discutants et injecté au cours du débat quatre reportages censés apporter la parole du public et la confronter à celle des experts invités sur le plateau. Comme pour le programme précédent, notre analyse se limitera aux deux questionnements relatifs à la participation des jeunes et à la représentation qu’ils inspirent aux différents intervenants. Signalons d’emblée que le présentateur n’a pas cru utile d’expliquer de quelle violence il sera question durant cette émission : celle de l’élève, celle de l’école, celle des enseignants, la violence matérielle ou morale, ou l’ensemble de ces « violences ». Ce qui explique que les participants ont abordé la question de la violence en milieu scolaire dans une certaine confusion. 3.1- Participation des jeunes Les invités présents sur le plateau sont tous adultes, très majoritairement des hommes, soit quatre hommes (cinq avec l’animateur) et une femme : un psychologue, un sociologue, un inspecteur général du ministère de l’Education, un journaliste et une avocate. Tout en admettant que la violence en milieu scolaire n’a pas l’ampleur d’un « fléau », les participants reconnaissent la réalité de ce phénomène et considèrent qu’il est urgent de le traiter. Lors du tour de table préliminaire, l’avocate a exprimé son étonnement quant à l’absence des élèves à ce débat, où il est pourtant question de leur responsabilité dans l’usage de la violence à l’école ; « notre discours est unilatéral », a-t-elle relevé. En réponse à ce reproche, l’animateur annonce que les jeunes seront bien présents dans les reportages. Néanmoins, le premier reportage sera en fait un « micro-trottoir » qui a recueilli neuf déclarations d’hommes adultes. Ces hommes sont interpellés en tant que parents, ce qui rend l’absence des mères encore moins excusable, surtout que ce sont généralement les mères qui suivent la scolarité des enfants. Le débat reprend sur le plateau, mais la parole des jeunes se fait toujours attendre. Elle surviendra assez tard dans le déroulement de 114 l’émission, sous la forme d’un « micro-trottoir » rapportant de brèves déclarations de huit élèves, cinq garçons et trois filles. Comme pour le reportage précédent, les témoignages sont anonymes, sans aucune mention de l’identité des interviewés, de leur collège ou lycée d’appartenance. La parole des élèves est « expédiée » dans une succession rapide de plans de quelques secondes. On les sent mal à l’aise face à la question posée, celle de la violence en milieu scolaire. Sans la nier, les jeunes interviewés s’en défendent et en parlent en tant que pratiques chez « les autres ». Ils ne l’assument pas, mais essaient de l’expliquer : en majorité, ils considèrent que c’est « l’éducation parentale » qui prédispose à la violence des jeunes. En second lieu, est avancée l’explication liée au « manque de communication » et au « manque de respect » à l’égard du jeune, qui répond parfois par la violence, à laquelle il est acculé « car il n’est pas écouté » et « veut se faire justice lui-même ». Enfin, la parole jeune réapparaît à la faveur du troisième reportage, conçu sous la forme d’un face-à-face indirect entre un parent et un élève, interrogés séparément dans la rue à propos de la violence à l’école. L’adulte reprend les arguments déjà cités de l’effritement de l’autorité parentale et de la perte de prestige de l’école. L’adolescent attribue les comportements violents de certains élèves à l’influence des séries télévisées étrangères dont les héros sont des jeunes de son âge, qu’il est tenté d’imiter. Par ailleurs, estime-t-il, ces jeunes remettent en question l’idée reçue d’un ascendant moral durable des enseignants : « Après tout, pensent-t-ils, on a ce prof par hasard pour quelques mois, après, on se quittera et on ne se reverra plus ». Avec un total de 19 interventions : 10 adultes hommes contre 9 élèves, dont trois filles, les reportages auront donné la part belle aux adultes et aux hommes au détriment des adolescents, des jeunes et des femmes. La participation de l’enfant, de l’adolescent et du jeune aux débats de société qui le concernent, ainsi que l’équilibre par genre, sont donc loin d’avoir été intégrés dans les émissions de débat à la télévision. 3.2- Représentation des jeunes La tonalité générale des discours sur le plateau est paternaliste et nostalgique des temps où l’école et les maîtres inspiraient un tel respect aux élèves et aux parents que la violence émanant des élèves était inimaginable et que les sanctions disciplinaires étaient acceptées car « justes » et « nécessaires ». Bien qu’on n’ait pas pris soin de préciser de quelle violence il était question, les participants présents sur le plateau comme les personnes interrogées dans les reportages ont privilégié la violence émanant des élèves. Comme si les autres formes de violence en milieu scolaire, 115 celles par exemple dont pourrait être victime l’élève et qui pourraient être exercées par l’administration ou par les enseignants, étaient perçues comme « naturelles » et ne pouvant donc pas constituer matière à débat. Les statistiques relatives à la pratique de la violence en milieu scolaire citées au cours de l’émission confirment pourtant le caractère marginal des actes de violence émanant des élèves. Cette mise à l’index implicite du jeune n’était pas partagée par la plupart des intervenants sur le plateau, qui ont parfois essayé d’analyser et d’expliquer les réactions parfois violentes de certains élèves. Mais ce faisant, ils contribuent à accréditer l’idée que les élèves sont la source de la violence en milieu scolaire, ce qui est loin d’être établi. Ensuite, en attribuant les comportements violents des jeunes à leur environnement familial ou scolaire, ils évacuent les facteurs endogènes, notamment les mutations bien connues liées à l’adolescence, qui transforment la personnalité de l’adolescent et du jeune et qui doivent être prises en compte dans un tel débat. Du côté des reportages, on a eu le discours de « l’homme de la rue », qui stigmatise plus ou moins explicitement les jeunes, coupables de profanation d’une institution scolaire idéalisée dans le souvenir nostalgique des parents. Du côté des experts sur le plateau, on a souvent entendu des propos déculpabilisant les élèves en tant qu’acteurs de la violence à l’école, mais on est parfois tombé dans le travers de la déresponsabilisation totale du jeune, comme s’il s’agissait d’un être frappé d’incapacité et ne pouvant donc pas répondre de ses actes. Ce qui est d’ailleurs inexact du point de vue juridique, puisque la responsabilité pénale du jeune est consacrée par la loi, même si les peines sont différentes de celles appliquées aux adultes. CONCLUSION (Programme Fi Daïrat Addhaou 2) Cette émission a eu le mérite de soumettre au débat public une question sensible, celle de la violence en milieu scolaire, qui est généralement ignorée dans les médias audiovisuels publics. Bien que les experts invités sur le plateau aient développé un discours globalement empreint de bienveillance à l’endroit des jeunes élèves, certaines interventions ont pêché par excès de paternalisme et dépeint le jeune comme un être totalement surdéterminé par ses tuteurs parentaux ou scolaires, déniant implicitement au jeune la reconnaissance de son droit à une personnalité propre. Quelques interventions traduisent une représentation stéréotypée du jeune, qui serait infantile et irresponsable. D’autres lieux communs ont ressurgi sur le plateau, bien loin du discours d’expertise attendu, tels que l’idéalisation de « l’école d’antan », par opposition à l’école d’aujourd’hui, qui aurait perdu ses valeurs et ses repères. Ces points de vue sont néanmoins atténués par d’autres appels à l’écoute des jeunes qui 116 devrait être davantage favorisée au sein de l’école. Les cellules d’écoute mises en place par les textes relatifs à la vie scolaire ont besoin d’être renforcées, notamment par le recrutement d’un corps de psychologues qualifiés dans chaque établissement scolaire. Recommandations pour améliorer l’image, la participation et la représentation des enfants, des adolescents et des jeunes dans les programmes audiovisuels • Axe recherche : 1. Mettre à profit le contexte actuel favorable pour concevoir et mettre en œuvre une étude plus approfondie de la représentation des enfants, adolescents et jeunes dans les programmes audiovisuels offerts par les chaînes publiques et privées tunisiennes. Cette étude exhaustive intégrera un volet « étude d’audience » destiné à cerner les habitudes médiatiques de chaque segment de la population EAJ. 2. Réaliser une étude spécifique sur la participation et la représentation des enfants, adolescents et jeunes dans les programmes suivants : - les émissions d’information et de débat, notamment sur les chaînes publiques ; - les fictions tunisiennes les plus regardées, notamment les feuilletons ramadanesques. 3. Elaborer un guide pratique de formation aux droits de l’enfant destiné aux professionnels de l’audiovisuel et adapté au contexte tunisien. 4. Concevoir des modules de formation sur le thème « Médias et droits de l’enfant » adaptés aux différentes catégories de professionnels de la radio et de la télévision (journalistes, animateurs, scénaristes, réalisateurs …). • Axe formation / sensibilisation 1. Organiser des sessions de sensibilisation aux droits de l’enfant pour les différentes catégories de professionnels de l’audiovisuel : responsables des programmes, journalistes reporters, journalistes reporters d’images, présentateurs, producteurs, réalisateurs, animateurs … 2. Organiser des ateliers d’écriture et/ou des tables rondes avec les scénaristes des fictions et feuilletons TV, afin de renforcer leurs capacités en matière de traitement des thématiques liées à l’enfance conformément aux normes internationales relatives aux droits de l’enfant. 117 • Axe partenariat 1. Initier un partenariat stratégique entre l’UNICEF et les anciennes et les nouvelles instances de l’information et de la communication. Il s’agit notamment de l’INRIC, de l’IPSI, de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) et du CAPJC. Un tel partenariat pourrait déboucher notamment sur la mise en place d’un mécanisme de suivi (monitoring) de la participation et de l’image des EAJ dans les programmes audiovisuels tunisiens (un observatoire permanent qui serait hébergé conjointement par les sites web de l’INRIC et du bureau de l’UNICEF de Tunis). 2. Renforcer les liens de coopération entre l’UNICEF et les chaînes de radio et de télévision publiques, notamment en matière de diffusion d’une culture des droits de l’enfant et d’une plus grande prise en compte des besoins des EAJ dans l’offre de programmes (et) tant au niveau des contenus qu’à celui des modalités de présentation. 3. Initier des opérations ponctuelles avec les chaînes privées, notamment en vue de promouvoir les projets et actions prioritaires de l’UNICEF en Tunisie et dans la région. 118 Chapitre 5 Le discours des enfants, des adolescents et des jeunes sur les médias La question de la représentativité des enfants, des adolescents et des jeunes dans les médias n’a jamais été traitée en Tunisie comme dans la présente étude. En revanche, des travaux similaires et portant sur le même sujet ont été réalisés, selon d’autres approches et des méthodologies différentes, dans quelques pays arabes (Syrie, Maroc avec la contribution de l’UNICEF) et des pays occidentaux dont la France…. Il ressort de la littérature internationale et même nationale l’idée qu’il existe une mauvaise représentation des enfants, des adolescents et des jeunes dans les médias ce qui participe inévitablement à produire des stéréotypes négatifs sur les jeunes, explique qu’une partie des jeunes est exclue du paysage médiatique et que les enfants, adolescents et jeunes des quartiers défavorisés se trouvent souvent associés à la notion de violence et de délinquance. C’est ainsi que la société se trouve influencée par les médias dans la construction de l’image de ces jeunes. Dans ce chapitre qui contribuera à compléter l’étude, notre tâche consistera: - à vérifier cette hypothèse dans le contexte tunisien à travers l’analyse qualitative des témoignages des EAJ sur leurs habitudes médiatiques et leur appréciation des médias et ce, dans le cadre de focus groupes ; - à formuler des recommandations pour améliorer les rapports Médias / EAJ. Les résultats obtenus seront triangulés avec ceux des autres composantes de l’étude et apparaîtront dans la synthèse finale. 5.1 - Approche méthodologique Le choix méthodologique du focus groupe (FG) comme moyen de recueil de données se justifie par le fait qu’il donne davantage la possibilité aux enfants, adolescents et jeunes 119 de participer activement à cette étude en faisant entendre leur voix dans le cadre d’un débat libre et franc sur un sujet sensible. Par ailleurs, le focus groupe donne l’occasion aux experts de mieux explorer l’opinion des participants et d’obtenir un « insight » de leurs attitudes à l’égard des médias. Les FG ont été organisés grâce au concours des organisations et des institutions suivantes : Scouts de Tunisie, Association TAMS, le CDIS de Douar Hicher et les Léo Club. L’UNICEF a assuré la logistique et a facilité le recrutement et le transport d’une partie des participants. Les réunions ont eu lieu au siège de l’UNICEF à l’exception d’un seul FG qui a eu lieu au siège de la section Scouts de l’Ariana. Les EAJ ont participé de manière volontaire. Ils ont été informés de l’objectif de l’étude, ont donné leur consentement à participer et à être enregistrés en vidéo. Ils ont été, par ailleurs, assurés de l’anonymat de leur identité et de leurs propos. Echantillon : 37 enfants, adolescents et jeunes (filles et garçons âgés de 11 à 25 ans) habitant le grand Tunis ont été répartis sur 5 focus groupes: 2 groupes d’enfants /adolescents âgés de 11 à 18 ans et 3 groupes de jeunes âgés de19 à 25 ans. Les participants ont été choisis pour représenter les EAJ des deux genres, de conditions socio-économiques et culturelles diverses et de niveaux scolaires variés. Certains d’entre eux sont impliqués dans des activités médias, d’autres très pauvres vivent dans des conditions d’exclusion ou de vulnérabilité. La composition de ces FG comporte des aléas en particulier l’absence d’EAJ du milieu rural ou habitant d’autres villes que la capitale Tunis. Le nombre total des enfants est lui aussi faible. Le risque, qu’un petit nombre inhérent à la taille des FG réduise les informations obtenues, existe. C’est pour cette raison que le nombre de FG a été multiplié et que les catégories d’un même groupe d’âge ont été variées. La sélection des participants, non aléatoire, peut être aussi considérée comme un handicap mais la participation motivée est également un excellent moyen pour exprimer une opinion. Période : Les rencontres avec les participants ont eu lieu durant la période allant du 01 janvier au 01 Mars 2009 avec une durée moyenne de 100 minutes par FG. Les sessions ont consisté en l’exploitation des questions d’une grille d’entretien suivie d’une discussion. Les questionnaires ont été aménagés pour les FG3 FG5 en raison du faible niveau scolaire des participants. L’aménagement des outils a été plus difficile à réaliser (sans les dénaturer) pour le FG4 en raison du niveau socio-économique très modeste et du niveau scolaire très faible de ses membres. Démarche : Les débats avec les membres des 5 FG ont été conduits par un facilitateur assisté par 120 un observateur. Les entretiens ont été menés sur la base d’une grille préalablement préparée et qui a été ajustée en fonction de l’âge et du niveau intellectuel des participants. Les questions posées dans ces FG ont été conçues dans un format standard adapté aux besoins de chaque FG. Le facilitateur a élaboré un protocole de travail, un agenda et un guide d’entretien qui a été testé et construit autour de cinq axes. Quatre FG ont été menés en langue arabe et un seul en français. Après chaque FG, le facilitateur a procédé à la transcription intégrale de la réunion puis a mené une analyse qualitative du discours qu’il a résumé dans un document. Par ailleurs, après chaque FG et après chaque transcription un debriefing a eu lieu entre le facilitateur et l’observateur. Tableau : Données démographiques sur les participants des FG Date Lieu Groupe Nbre Age moyen Ratio sexe Langue utilisée Durée Recrutement FG 1 09-01-09 Unicef Jeunes Classe moyenne 5 24 2g3f Arabe 120 Equipe de Recherche FG2 16-01-09 Unicef Jeunes aisés 10 21.4 6g4f Français 150 Leo Club FG3 23-01-09 Unicef Enfants Adolescents défavorisés 7 16 4g3f Arabe 100 Association TAMS FG4 30-01-09 Unicef Jeunes défavorisés 8 20.3 4g4f Arabe 100 CDIS Douar Hicher FG5 01-03-09 Scouts Ariana Enfants Classe moyenne 7 18.4 7g Arabe 90 Scouts Tunisie Section Ariana 5.2 - Analyse des résultats des focus groupes 5.2.1- Les habitudes médiatiques Tous les groupes ont souligné l’importance et l’utilité des médias dans leur vie. Les médias sont perçus comme un moyen d’information, d’éducation et de loisirs, l’ordre de ces rôles varie d’un groupe à un autre et au sein d’un même groupe d’un participant à un autre. La TV demeure le média de choix sauf peut être pour le groupe « aisé » : Internet s’impose de plus en plus avec en particulier les réseaux sociaux. Certains jeunes de cette catégorie passent jusqu’à 5 heures par jour sur Facebook. Sans compter qu’ils peuvent regarder la TV et écouter la Radio sur Internet. La Radio demeure un média jeune, elle est très utile 121 surtout pour les jeunes scolarisés lors de la révision scolaire. Elle est disponible pour tous et beaucoup d’émissions « jeunes » sont citées surtout sur la radio privée Mosaïque FM. En revanche, les journaux écrits ne semblent pas intéresser les jeunes et leur opinion est assez négative sur la presse écrite. Très peu lisent les journaux pour l’information générale. Certains participants dans les groupes de condition modeste évoquent un usage basé sur le genre pour les journaux, avec les pages sportives pour les garçons et les faits divers pour les filles et un usage pour tous en matière d’offres d’emploi. Un participant se demande pourquoi les journaux écriraient sur les enfants et les adolescents « du moment que ces derniers ne lisent pas ? Et même si les journaux n’écrivaient pas sur cette catégorie personne ne se rendrait compte ni ne serait gêné ». Faisant écho à ce débat un participant va plus loin encore en affirmant que « les journaux servent à essuyer les vitres », ce qui a amusé tout le groupe. Il existe une répartition basée sur le genre pour les programmes regardés : sport pour les garçons, variété et téléréalité pour les filles; cette répartition se voit aussi bien à la TV qu’à la radio avec quelques variantes en fonction du niveau socio-économique. Globalement, il existe une perception positive pour les chaînes privées jugées plus proches des jeunes, plus crédibles, plus audacieuses, plus diversifiées et plus réalistes dans certains programmes. Mais elles sont aussi perçues comme très commerciales et peu éducatives. Des émissions et des programmes sont appréciés par les « jeunes » : pour les garçons les émissions de sport de Hannibal TV d’abord, puis de la chaîne publique et de radio Mosaïque FM, et pour les filles « Forum » sur radio Mosaïque, les émissions de société et de téléréalité sur Hannibal TV et les programmes musicaux. Les feuilletons de Ramadan sont des programmes variablement appréciés. Les jeunes ne semblent pas être de gros consommateurs d’informations encore moins les adolescents et les enfants sauf pour des événements exceptionnellement importants (comme les guerres ou les grandes catastrophes). L’information nationale est jugée sélective, restrictive, succincte et contrôlée. Aussi, Al Jazeera est souvent citée comme source d’information sauf pour le groupe « aisé » qui habituellement regarde les informations sur des chaînes françaises et exceptionnellement (les guerres impliquant des pays arabo- musulmans) regarde Al jazeera. Pour un étudiant : « En matière de guerre on prend nos infos de la chaîne Al jazeera car elle est de notre côté. Partout où je vais c’est Al jazeera de 6 heures à minuit ». Les jeunes souvent socialisés dans les cafés échangent leurs informations lors de leurs rencontres et participent ainsi à une construction collective de l’information. Une mention particulière pour l’émission « Forum » de la radio privée Mosaïque FM très populaire parmi les jeunes surtout les filles. Le succès de cette émission tient à son format associant beaucoup de musique du monde, des interactions avec les jeunes qui racontent 122 leur vécu et font des dédicaces. Le langage utilisé, celui de tous les jours (en particulier le franco-arabe) et les thèmes audacieux abordés (sexualité, infidélité, violence conjugale, délinquance, drogue, etc.) font le succès de cette émission évoquée dans toutes les réunions avec quelques nuances quant à son appréciation. Il s’agit en quelque sorte d’une métaphore du café jeune. Les médias nouveaux sont très appréciés et ont radicalement bouleversé la vie des enfants, des adolescents et des jeunes. Dans le groupe « aisé », un participant évoquant à ce propos l’ADSL avec les possibilités de télécharger des documents (écrits, photo, audio, vidéo) dit : « On doit parler de deux époques, l’avant ADSL et l’après ADSL. » Mais la tendance à associer les différents médias persistera avec un usage plus extensif des médias nouveaux dans l’avenir. Cependant l’accès et la disponibilité des médias nouveaux posent un grand défi et la question a été évoquée par tous les groupes. Ainsi dans les groupes défavorisés (FG3 et FG4), l’Internet est quasi absent de leur environnement et paraît très inaccessible pour des raisons socio-économiques. Ces groupes ont une méconnaissance totale de l’étendue, de l’importance et des enjeux des NTIC. Ils ne réalisent pas l’importance des grandes transformations apportées par les NTIC et estiment que les médias traditionnels gardent tout leur intérêt. Le problème des restrictions relevées sur le réseau web et de la censure sur Internet a aussi été évoqué. Si le blocage des sites pouvant porter atteinte aux enfants est accepté et même revendiqué par plusieurs participants, il n’en est pas de même pour la censure politique. Pour un participant : « L’accès est un gros problème. Si tu as un site et qu’un jour une phrase ne va pas, le site est fermé. C’est ainsi dans notre pays.» Concernant ces restrictions, certains jeunes pensent que les blogs et le détournement de la censure par les « proxy » permettent de résoudre le problème. 5.2.2 - Intérêt des médias pour les enfants, les adolescents et les jeunes Beaucoup considèrent que l’intérêt des médias pour les EAJ est faible. Il s’agit d’un intérêt occasionnel, superficiel, lié à l’agenda politique et se préoccupant peu de l’opinion des jeunes. Pour un participant : « Les médias parlent des jeunes mais pas avec les jeunes.» La question a suscité une polémique dans beaucoup de groupes. S’il y a un consensus quasi unanime sur l’absence d’intérêt pour la catégorie « adolescent », en revanche le faible intérêt pour les jeunes et surtout pour les enfants est moins évident. Une participante affirme que « l’intérêt des médias pour les jeunes ne réside pas dans le seul fait de parler d’eux ou de les « flasher », mais plutôt de s’intéresser à leur vie ». On a souvent reproché aussi aux médias de ne pas aller là où vivent, se retrouvent et se réunissent les enfants et les adolescents. Pour un participant : « Il y a un souci au niveau des médias tunisiens. Ce sont les gens qui doivent aller vers eux, chercher l’information et il faut faire un effort énorme pour trouver l’information, alors que c’est l’inverse qui devrait avoir lieu. » Un autre jeune s’interroge : « Les médias essaient de s’intéresser aux jeunes mais les gens 123 placés pour faire les émissions, concevoir les programmes et choisir les sujets, est- ce qu’ils sont jeunes ? Je ne le pense pas. » 5.2.3 - Enfants, adolescents, jeunes et médias publics spécialisés Les médias publics spécialisés dans la jeunesse soit « Canal jeune », qui entre-temps a changé d’appellation pour devenir « Canal 21 » (Tunisia 2 depuis la révolution) et d’orientation pour devenir « Radio jeunes » ne sont pas perçus comme médias jeunes et encore moins comme des opportunités de participation des EAJ aux médias. Ces médias sont vaguement cités et peu perçus comme un avantage pour les jeunes ou une opportunité pour s’exprimer. Les objectifs souhaités sont le dialogue avec les jeunes et leur éducation. Les participants sont généralement sceptiques. Pour certains, ces deux médias sont considérés comme des instruments politiques, de qualité faible, inintéressants pour les jeunes et peu attractifs. La nécessité de créer des médias spécialisés pour les jeunes n’a pas suscité beaucoup d’enthousiasme, l’objectif d’un tel choix est plutôt identifié comme un objectif politique. Ce n’est pas tant le concept qui pose problème c’est surtout l’usage qui en sera fait : intégrer ces médias dans une volonté de « contrôler », d’« encadrer » et de « formater » les jeunes, telle est la préoccupation des participants. Un jeune pense qu’il vaut mieux investir dans la qualité et la crédibilité des chaînes généralistes que de créer des médias jeunes qui ne les attirent pas et ne décrivent pas leur réalité. Il affirme en revanche qu’il y a de la place pour des niches, comme des produits destinés à des tranches d’âge précises. D’autres participants estiment que beaucoup de programmes sont importés et ne correspondent pas à la réalité tunisienne. Ils considèrent que les médias spécialisés sont focalisés sur les programmes de variété et de musique et n’offrent pas suffisamment de programmes éducatifs et sociaux. Et quand ces derniers existent, les jeunes pensent qu’ils sont de faible qualité. Il est important de noter qu’une émission comme Hams Ellil , très interactive et qui évoque beaucoup de sujets « délicats » n’est pas connue. Les mauvais programmes « the worst » cités par les jeunes, sont malheureusement tous issus de la grille des médias publics spécialisés dans la jeunesse, comme par exemple le programme TV Houma Wa hkayat . Pour une participante : « Les médias spécialisés sont utiles s’ils participent à l’éducation des enfants et des adolescents ». Un autre participant évoque le côté utilitaire de ces médias comme par exemple passer des annonces d’emploi pour les jeunes. 124 5.3 - Image des enfants, des adolescents et des jeunes dans les médias Selon les participants, les médias tunisiens véhiculent une image négative et des stéréotypes sociaux qui ne favorisent pas les jeunes. Ils estiment, par ailleurs, que les médias montrent rarement les jeunes dans des situations qui les valorisent ou qui renforcent leur crédibilité et médiatisent leurs réussites. En revanche, ils sont nombreux à penser que les médias, surtout la presse écrite, véhiculent une image négative des jeunes considérés comme un problème. Ainsi, les journaux en langue arabe présentent une image de la « jeunesse » embourbée dans les problèmes de violence, de délinquance, de criminalité, de drogues et d’instabilité. Pour un participant : «Je pense qu’il y a trop de critiques sur les jeunes sans chercher à comprendre leur comportement. C’est comme s’il n’y avait que les jeunes pour tomber dans l’excès. Des excès, c’est toujours la faute aux jeunes.» Les journaux de langue française sont plus circonspects et traitent moins des faits divers, bien que certains d’entre eux versent dans la même approche à travers la page des faits divers ou les reportages de société. En revanche, la télévision véhicule une toute autre image de la jeunesse. Certains détectent une volonté de dresser un profil « soft » de la jeunesse tunisienne. Pour une participante : « Le jeune est décrit presque comme un « agneau » ; il n’est pas multiple, il ne proteste pas, il n’est pas violent. C’est une image jugée surfaite, artificielle, idéologique qui n’a aucune réalité sociale et qui correspond au désir de l’ordre établi d’orienter les jeunes vers ce « modèle ». » Pour un autre participant cette jeunesse qu’on peut appeler « soft/smart/sympathic » « est une construction « officielle », quasi idéologique, qui réclame une jeunesse positive, qui réussit, qui travaille et qui est en harmonie avec sa société ». Une seule participante défend ce « modèle jeune ». Elle le justifie par le fait que « le pays est encore en voie de développement et qu’il faut encore promouvoir cette image auprès de la jeunesse ». Un participant estime, quant à lui, que « les médias sont un instrument public pour encadrer les jeunes et les protéger contre l’invasion des chaînes étrangères et participent à les maintenir intégrés dans leurs culture et identité ». Toutefois pour la majorité des présents, cette représentation est très artificielle, peu crédible, elle n’a aucun ancrage social et a des effets pervers, surtout le renforcement de stéréotypes sociaux de la jeunesse tunisienne oscillant entre instabilité et immaturité. Cette image « modèle » est stigmatisante pour les jeunes car elle les représente comme incapables, incompétents, inexpérimentés ce qui risque d’avoir des répercussions sociales négatives quant à leur volonté de faire leur preuve. Cette image présage aussi des difficultés futures avec les opérateurs économiques, sociaux et administratifs. 125 Un jeune étudiant essaie d’expliquer le rôle des médias dans le renforcement des stéréotypes sociaux négatifs : « Quand tu vas dans une banque et qu’on voit que tu es jeune, directement, et inconsciemment, on a cette image de vous et cela vous discrédite. Je parle de ma propre expérience. J’étais en France, j’ai créé ma propre boîte informatique. A chaque fois que je discutais avec un client c’était sérieux et formel. Quand je suis venu en Tunisie pour ouvrir un compte, j’ai mis une journée entière. Le fonctionnaire ne voulait pas admettre que je suis mon propre patron. Mon premier client en Tunisie m’a traité comme si j’étais un stagiaire, il essayait de contrôler ma production, pour lui je n’étais pas à la hauteur. Les médias sont en partie responsables car ils ne mettent pas en valeur les jeunes. » Les responsables ont toujours une image « infantile » du jeune considéré comme sans expérience. C’est ce contexte qui fait que les jeunes se détournent de la créativité : idée qui a été résumée ainsi par un participant : « En Europe, des jeunes ont fait des exploits à l’échelle internationale, tout réside dans la liberté : donne - moi la liberté et il y aura de la créativité. » La majorité des membres des FG soutient que le souci de préserver une image positive de la jeunesse n’est pas incompatible avec la nécessité de montrer la réalité et de parler des vrais problèmes de la société, mais cela exige l’émergence d’un vrai débat et des rapports de confiance et de crédibilité avec les médias. Cette majorité pense aussi que les médias ont le devoir de parler aussi bien des problèmes que des accomplissements ; un consensus s’est dégagé sur la nécessité de trouver l’équilibre adéquat entre ces deux exigences. Ainsi, une participante du groupe « défavorisé » et faiblement scolarisé évoque la médiatisation des jeunes qui tentent d’émigrer en Europe les « Harragas ». Elle a insisté auprès des autres participants sur le fait que les médias ne doivent pas se focaliser sur l’image négative de ces « Harragas » car cette image galvaudée par les médias (elle fait allusion à trois émissions TV qui ont traité du sujet) cache les aspects positifs de ces jeunes courageux et audacieux. « Ils n’ont pas eu d’opportunités dans leur pays alors ils ont pris un risque énorme pour réussir dans leur vie, et malgré toutes les frustrations, ils ont continué à rêver et à croire à la réussite. » Pour un participant : « Changer l’image de la jeunesse et restaurer sa crédibilité est nécessaire pour que les jeunes soient pris au sérieux, aient leur chance d’être associés aux prises de décision et trouvent leur voie dans un environnement plus tolérant.» 5.4 - Représentation et diversité C’est la question la plus difficile et celle qui a suscité le plus de débat et de polémique. Notons d’abord que beaucoup de participants ont rappelé une notion importante avec des entrées très différentes à savoir qu’il n’y a pas de « jeunesse » mais qu’il y a des enfants, des adolescents et des jeunes très variés, très différents et de plusieurs catégories. Cette 126 notion est revenue dans tous les groupes quel que soit le statut socio-économique. Pour les jeunes, le problème n’est pas dans la quantité d’apparitions des jeunes dans les médias mais dans la qualité. « Pour parler des jeunes en Tunisie, il faut savoir que la catégorie jeune est fractionnée. C’est un bon sujet mais il faut savoir le traiter parce qu’il y a un énorme fossé. Les jeunes sont divisés, parfois j’ai l’impression de vivre dans un autre pays, la perception des choses, les connaissances…Ce n’est même pas de la diversité c’est un fossé », explique un participant. Cette interpellation rejoint un autre commentaire de jeune quand on a abordé le problème de l’accès à Internet pour les plus défavorisés. « Par le passé, il y avait en Tunisie le régionalisme et il y avait des sensibilités à fleur de peau. Il y avait le décalage urbain/rural avec des différences énormes dans la qualité de vie, le niveau éducatif ... On se rappelle encore du téléphone : au départ il n’y avait que les gens des villes qui en bénéficiaient, un rural ne savait même pas l’utiliser. Les différences éducatives créent encore des inégalités de chance pour trouver un emploi et pour jouir de ses droits : celui qui n’est pas scolarisé est aliéné et subit beaucoup d’injustice. Voyez maintenant toute la société se dirige vers les NTIC, même pour acheter des billets de stade. Plus tard, celui qui n’aura pas les compétences requises dans ce domaine sera exclu, marginalisé. Il se sentira différent et diminué ce qui risquerait de créer des tensions sociales et pourrait générer des contre réactions violentes à cause de la frustration grandissante. » Les débats se sont essentiellement focalisés sur le contenu des programmes TV. Beaucoup considèrent que les médias ne reflètent pas la diversité des jeunes. Les chômeurs, les jeunes en rupture scolaire, les jeunes à problèmes ne sont pas visibles à la TV : « Les jeunes qui chantent et dansent sont visibles mais les jeunes à problèmes, au chômage, pauvres ou handicapés ne sont pas visibles, et c’est pour cela qu’on ne les connaît pas et on a tendance à les oublier et à oublier leurs difficultés», soutient un participant. « Si tu vois la Pub, chaque fois ce sont les quartiers chics Ennasser, Lac, Manar, etc. Même le casting, il sélectionne des jeunes alors que la majorité des Tunisiens ne sont pas comme ces modèles », surenchérit un autre. Les programmes de débat sur des sujets de société reflètent peu la réalité et la diversité des jeunes. Pour un participant : « La sur-représentation des jeunes « positifs » éduqués, intégrés, intellectuels, scolarisés et le manque de visibilité des autres groupes posent un problème de discrimination et procèdent de l’exclusion d’autres jeunes. Cela ne donne pas forcément une « bonne image » de la jeunesse du pays et elle devrait être corrigée. » De ce débat a émergé le thème de la visibilité des problèmes sociaux et donc des catégories qui souffrent de ces problèmes. Le sujet a été très polémique entre les enfants, les adolescents et les jeunes comme un débat entre des libéraux et des conservateurs. A la question de savoir pourquoi on ne montre pas certains problèmes à la TV, une participante avoue « qu’elle est déconcertée face à cette situation, ». Une autre lui 127 répond que « les médias veulent donner une image positive de la Tunisie ». Une jeune étudiante se demande aussi : « Pourquoi doivent- ils montrer les problèmes ? Ce n’est pas bon et cela va pousser les gens à la délinquance et à la violence et à imiter ces comportements. ». Elle est immédiatement apostrophée par un autre membre du focus : « C’est grave ce que tu dis là, c’est le langage du pouvoir. » Un participant d’un autre FG justifie cette représentation « sélective » par le souci politique de montrer une image très positive du jeune tunisien (éduqué, scolarisé, scientifique et moderne) pour qu’il soit considéré à l’étranger quand il va chercher du travail. Pour lui, la diversité peut avoir des avantages comme des inconvénients. Parmi les inconvénients cités : les personnes défavorisées qui sont souvent marginalisées et oubliées. « On a campé dans des endroits qui n’avaient rien à voir avec cette Tunisie montrée par les médias comme un pays moderne et développé. Dans cette région, des filles sont empêchées de poursuivre leurs études pour être ensuite « vendues » comme du bétail à des familles aisées comme fille-de-ménage. Si on ne parle pas de ce genre de problèmes on ne pourra jamais juguler ces phénomènes ni inverser leur tendance. Hannibal TV essaie de traiter ce genre de sujets très délicats. Mais beaucoup d’autres problèmes ne sont pas traités.» Cependant, ce participant nuance ses propos en évoquant des contraintes plus politiques : « Par ailleurs, le problème posé est : Qui va traiter ces sujets sensibles ? Qui va les analyser ? Qui va les présenter à la population? Est-ce que ces sujets présentent un risque (politique) ou pas ? Comment résoudre ces problèmes ? Est-ce que cela doit passer par les médias ou non ? Si j’étale ces problèmes dans les médias, est-ce que la perception des autres pays sur la Tunisie ne va pas changer ? C’est donc une arme à double tranchant. » Cet exposé clair et édifiant, fait vraisemblablement écho au discours officiel concernant les justifications des restrictions imposées au paysage médiatique, et qui fait valoir l’intérêt national sur les libertés privées. Il est cependant au cœur de la problématique de la gouvernance des médias et des défis posés à la Tunisie en matière de réforme politique. Le groupe « aisé » parle, lui, de fossé et non de diversité qui séparent plusieurs catégories de jeunes. « Il y a des jeunes qui sont influencés par la culture européenne et ils essaient d’évoluer et il y a des jeunes qui stagnent et qui ne veulent pas aller plus loin et qui sont influencés par le cousin qui est revenu d’Italie avec une Mercédes … On dirait un autre pays. » Cette vision réductrice a été alimentée par d’autres intervenants voyant dans les jeunes de catégories socio-économiques modestes le modèle sélectionné par la TV pour être le plus représentatif de la société tunisienne (du moins sa classe moyenne). Une étudiante exprime ainsi son opinion : «Oh les pauvres ! Ils sont injustement traités, ils veulent sortir de leur vie de galère, et pourtant ce sont ceux- là qui téléphonent aux animateurs des émissions radiophoniques et qui font des dédicaces pour tout le lycée (avec un ton sarcastique). On veut faire croire que ces « Pseudo » sont des gens studieux et que nous, nous utilisons nos « pistons » pour entrer en fac. Depuis toujours on les voit dans les 128 feuilletons avec une mise en scène où il y a cette fameuse bougie, pour signifier qu’ils n’ont pas d’électricité : la grosse arnaque. Je pense que ces « pseudo pauvres » sont mieux lotis que nous .» Cette vision est certes minoritaire et réservée au groupe « aisé » où la question a été très polémique. Ainsi, pour une participante : « Primo, c’est la catégorie sociale à laquelle nous appartenons qui fait de nous ce que nous sommes : aisés, modestes, pauvres. Secondo, je ne sais pas si changer la politique des médias maintenant c’est si évident que ça parce qu’il y a un très gros risque de frustrer la population. La moyenne des Tunisiens ce n’est pas nous, on l’a compris. Si on met en avant notre catégorie dans les médias on risque de frustrer 90% de la population.» Des participants considèrent que le langage utilisé, les codes gestuels et vestimentaires imposés aux productions télévisées participent à l’exclusion de beaucoup de jeunes (jeunesse pieuse, filles voilées, les jeunes de quartier). Un seul participant a évoqué la question de la religion, de l’identité et de leurs rapports aux médias : « Un problème qu’on ne soulève pas : c’est la religion. Politiquement, on ne veut pas que le pays s’intéresse à la religion, car on a peur. Quand on regarde les informations tunisiennes on ne trouve rien sur la religion. Moi, je ne sens pas que mon pays est musulman.» Les autres participants lui ont rappelé l’existence d’une chaîne privée dédiée au Coran « Radio Ezzitouna ». Un seul participant a parlé du cinéma et s’est offusqué que certains films, en citant le film « Les noces du loup » montrent une image artificielle de la jeunesse tunisienne « qui n’a absolument rien à voir avec le pays. Ce film ne peut être qualifié de film tunisien ou de film sur la Tunisie ». Ce sont les groupes défavorisés FG3 et FG4 pour qui cette problématique de diversité est plus difficile à saisir. Ils considèrent que la TV a le souci de montrer la diversité des enfants, des adolescents et des jeunes en citant l’exemple des fictions. Mais ils sont d’accord pour reconnaître une faible visibilité médiatique à la TV des catégories vulnérables : personnes pas bien intégrées, handicapés…. Ils estiment que les enfants et adolescents issus du milieu rural et des quartiers défavorisés ne sont pas eux aussi bien représentés. Selon une participante «même quand ils sont montrés comme c’est le cas dans l’émission « » (sans permission) cela pose des problèmes, sa diffusion a, du reste, été interrompue. L’ironie est qu’on a substitué la visite des familles modestes par celle des familles des stars». Certains pensent que les nouveaux programmes de téléréalité à thématique sociale essaient d’y remédier. Mais ce point de vue est à nuancer avec les limites du cadre d’analyse qu’offre ce genre d’émission. Une participante souligne la faiblesse des cadres de traitement des problèmes sociaux : « Quand on parle de cas dramatique dans les programmes sociaux de téléréalité on le fait avec une approche émotionnelle et c’est limité au cas précis et ce n’est 129 jamais montré comme un problème de société. » C’est donc une transformation de l’analyse de problèmes socio-économiques et politiques en analyse de « fait divers ». La systématisation peut être subversive et amener des demandes de changements politiques alors que le fait divers est émotif et permet le règlement « magique » au cas par cas, il permet aussi d’apaiser les revendications. Un participant avoue « son étonnement face à cette situation restée sans réponse ». Il se dégage un large consensus intergroupe sur le rôle joué par les fictions pour représenter la diversité des EAJ. Ce sont les fictions qui participent à montrer cette diversité et jouent un rôle positif dans l’élargissement du débat de société surtout sur les sujets sensibles. Quant aux messages véhiculés par les fictions, les avis sont très partagés et polémiques. Un participant remarque « qu’il y a quelque chose d’incroyable et unique au monde avec les fictions ramadanesques puisqu’on a des fictions regardées par 95% de la population. Cela peut être quelque chose de bien comme cela peut être quelque chose de mal ». Certains participants estiment qu’il y a une volonté de montrer une image réaliste des enfants, des adolescents et des jeunes, mais « il y a des scènes qui heurtent la morale, des scènes qui montrent des choses qu’on n’avait jamais suspectées, des images de jeunes très dépravés ; mais aussi des images de jeunes capables de tenir tête à leurs parents et d’assumer leurs choix; des jeunes qui maîtrisent bien leur rôle et des images de jeunes malins qui s’en sortent bien ». Rappelons que le jugement à dimension morale sur le contenu des médias se retrouve davantage dans les groupes enfants/adolescents et surtout ceux issus des catégories défavorisées. La sitcom ramadanesque Choufli hall est considérée comme représentative de la famille tunisienne moyenne. Ce qui n’est pas du tout le cas du feuilleton ramadanesque Maktoub : la plupart des jeunes, même ceux du groupe « aisé », ont du mal à s’identifier aux personnages incarnant la jeunesse dorée tunisienne dans le feuilleton. Mais ils apprécient que les fictions participent à relancer des débats de société (sexe, drogue, harcèlement sexuel, racisme, délinquance, etc.) et ils considèrent que ces fictions sont assez réalistes. Choufli hall est perçu positivement par la majorité comme un produit sympathique, typiquement tunisien. Dans le groupe « aisé » une analyse critique minoritaire conteste cette représentativité. Une participante estime que « les deux filles (comédiennes) de cette sitcom représentent des modèles négatifs et médiocres tout comme le jeune étudiant qui est, à la limite, presque débile ». « 90% des filles tunisiennes fonctionnent de cette manière », rétorque une autre. Le feuilleton Maktoub n’a pas été suivi par tous les participants. Les prises de position négatives sur ce feuilleton sont présentes dans les groupes aisés et défavorisés mais pour des raisons différentes. L’image des jeunes représentés dans Maktoub affirme un autre participant, ne reflète pas la jeunesse tunisienne. Pour d’autres, c’est une panoplie de tous les modèles de jeunes de la Tunisie actuelle. 130 Le feuilleton Maktoub a suscité énormément de divergences de vue sur les messages véhiculés et les représentations. Pour un participant, cette fiction véhicule plusieurs messages : « Celui qui se donne à des activités illicites finira par le payer cher. » ; « Celui qui essaie de faire comme ces riches débauchés risque gros. » ; « Il faut investir dans les études et ne pas rêver de s’enrichir, car c’est la porte de la débauche. » Ce qui est mal perçu c’est le style de vie des riches (voiture, maison, activités…), et plus particulièrement des nouveaux riches caricaturés à l’extrême (voiture Hammer...). Le feuilleton oppose au moins deux mondes avec des systèmes de valeurs différents et des structures de pouvoir différentes. L’élément qui a été le plus souligné par les participants c’est la perception qu’ils ont des gens qui veulent passer d’un monde à un autre au risque de se perdre. Un participant dit à ce propos : « Le feuilleton Maktoub illustre bien ce cas. » La complexité du débat sur le feuilleton Maktoub s’est enrichie avec l’apport de l’atelier des scénaristes. Ces derniers évoquent la dualité des représentations : les riches représentés négativement et les pauvres représentés positivement. Il faut garder son rang et ne pas essayer de sauter de l’autre côté. Si on le fait les risques sont énormes : prison et échec pour les garçons, débauche pour les filles. Ainsi, les nouveaux riches caricaturés à l’extrême ne sont plus des modèles d’identification. Ils sont démystifiés, banalisés et représentés comme souffrant de leur richesse (moralité, problèmes familiaux). Alors que les pauvres sont représentés comme respectueux des valeurs, généreux et travailleurs tant qu’ils n’essaient pas de se frotter à ces riches ou de les imiter. Ainsi, on attribue aux gens du bas de l’échelle sociale une hauteur morale et une « humeur » anti-agressive tout en les encourageant à accepter leur condition, à travailler dur et à continuer à être honnête pour réussir et évoluer « naturellement ». On retrouve cette idéologie dans les débats du FG2. La nouveauté est que les médias participent à cette gestion des tensions sociales et de classes. Pour les scénaristes ce sont les fictions qui incitent les jeunes à accepter l’ordre libéral nouveau. Ils pensent aussi que le feuilleton Maktoub a essayé de banaliser ce que tout le monde raconte sur les nouveaux riches, alors on les montre pleins de problèmes et d’immoralité. On met en évidence le contraste économique révoltant et on lui oppose le contraste moral apaisant. Les gens modestes vont se dire « Nous « Hamdulla » même si on n’a pas beaucoup d’argent on n’a pas ces problèmes, et on ne veut pas être riches pour rencontrer ce genre de difficultés ; ces riches sont suffisamment punis ainsi ». Avec la « Hammer », on pousse le raisonnement plus loin « de toute façon ces phénomènes concernent une très petite minorité, tant pis pour elle, le reste du corps social est « sain » et n’aspire pas à ce modèle ». Autre commentaire recueilli : « Les fictions traitent des sujets que les médias et les autres programmes évoquent rarement.» Et le participant d’ajouter : « Autant la presse écrite et les médias en général sont trop contrôlés politiquement (rire), autant les fictions ont une plus grande marge de manœuvre pour parler de sujets sensibles politiquement et culturellement. Une fiction 131 doit toucher les vrais problèmes des Tunisiens, et c’est pour cela que ce genre est fortement apprécié. » Ce commentaire rejoint totalement les conclusions de l’atelier des scénaristes. 5.5 - Participation des EAJ dans les médias Il se dégage une unanimité sur la faible participation des enfants, des adolescents et des jeunes aux activités des médias. Cette notion est retrouvée dans tous les FG. Beaucoup ne conçoivent pas qu’on puisse aller aux médias et proposer un produit (FG3, FG4), alors que le groupe « aisé » FG 2 estime que c’est ce qu’il faut faire même si un participant l’a expérimenté et a essuyé un refus. Un membre du FG1 demande à persévérer dans cette voie. De ce débat a émergé le thème de l’importance de l’éducation aux médias et de la capacité requise pour une participation efficiente. Pour les groupes d’enfants et d’adolescents (FG3 et FG5) la participation actuelle se limite aux émissions ludiques et de loisirs. Ils sont nombreux à exprimer leur refus d’une participation - décor pour applaudir et chauffer la salle en tant que public passif et spectateur. Pour cette catégorie les médias ne font pas leur job même si d’autres obstacles à la participation sont évoqués par un certain nombre de participants : l’Etat, la famille, la politique, le climat de désaffection, la passivité et la peur. Plusieurs intervenants affirment que la participation est toujours contrôlée, symbolique et tout est décidé par les adultes. Un exemple : « J’ai participé à une campagne médiatique anti-tabac. On nous a dit que les jeunes allaient animer la campagne anti-tabac avec un slogan préparé d’avance. On nous a emmenés dans un terrain de sport pour symboliser les jeunes sportifs en bonne santé ; on nous a remis une casquette et un tee-shirt. Mais on ne nous a donné aucune information sur ce qui allait se passer, on n’a participé à aucune étape du processus. Bref, on était de simples figurants. Ce n’est pas de la participation.» La vraie participation, selon certains membres des groupes enfants/adolescents est celle qui offre la possibilité aux enfants et aux adolescents de raconter leurs histoires, leurs problèmes, de participer à un débat, de prendre la parole et d’exprimer une opinion dans la recherche de solutions aux problèmes qui les intéressent. Prendre la parole dans une émission radio est jugée comme une manière de participer. Pour une adolescente de milieu défavorisé : « Il y a peu d’opportunités dans les médias de débattre avec des responsables car ils se dérobent, les médias les protègent, il y a la censure et cela peut créer des problèmes. » Pour un autre adolescent : « La vraie participation est celle qui permet d’être impliqué dans la prise de décision avec une liberté d’exprimer une opinion. » Dans les groupes jeunes (surtout FG1 et FG2), on estime qu’il y a un problème dans la participation actuelle des jeunes dans les médias. Même quand elle existe, elle est toujours 132 contrôlée et assez symbolique. C’est une participation de type « marketing » : « C’est une participation conçue pour dire qu’on a fait participer les jeunes et montrer qu’on s’intéresse à eux. ». Selon lui, la vraie participation est celle qui permet d’être impliqué dans la prise de décision avec une liberté d’exprimer une opinion. Les limites de cette liberté sont différemment appréciées par les enfants, adolescents et jeunes. Pour une participante : « Les jeunes actifs c’est eux qui rédigent. Je ne dis pas qu’il faut leur laisser la liberté totale, jusqu’au bout car il y a des jeunes qui peuvent dépasser les limites du politiquement correct. » Cette opinion est plutôt minoritaire. Des obstacles culturels, religieux, politiques et sécuritaires réduisent la participation des jeunes aux médias. Les différentes formes de participation : décor, symbolique, folklorique, sélective, superficielle, sont rejetées au profit d’une participation plus active celle qui implique dans la prise de décision. Ces jeunes sont conscients qu’il faut des capacités pour cela. L’un d’eux considère qu’à l’heure actuelle le refus des médias est une « forme » de participation (opinion unique). Mais pour un autre, « la volonté politique permet l’amélioration de la participation des jeunes aux médias ; toutefois, les jeunes doivent faire preuve de plus de persévérance pour améliorer leur participation ». Il impute l’absence de revendication à la participation par ce que certains appellent « la culture de la passivité ». D’autres intervenants blâment : « Les jeunes d’aujourd’hui ne veulent plus regarder des programmes culturels ou éducatifs. Ils préfèrent les programmes sportifs.» Un étudiant de milieu aisé intervient : « Vous nous considérez comme la catégorie des jeunes représentatifs de milieux sociaux évolués. Je voudrais vous dire que nous, qui sommes ici, faisons exception à la règle. La plupart des jeunes de milieux huppés se moquent éperdument de ce qui se passe ils sont nuls, ils s’en foutent (rire), même les évènements de Gafsa ils s‘en foutent. Le mec il te dit : « Moi je suis bien, papa me donne 500 dinars pour aller en boîte j’ai ma petite « meuf ». Toi, tu penses que si on sortait dans la rue pour protester ou arborer la keffya palestinienne on stopperait quelque chose ? C’est ça l’opinion publique, en Tunisie ? Tu parles d’opinion publique! Qu’est- ce que tu vas changer? » (rires dans la salle) D’autres participants ont insisté sur la responsabilité du jeune dans la participation : manque de confiance, manque d’initiative, « il doit écrire, rédiger des articles, il doit être actif et ne pas tout rejeter sur le manque de démocratie ». Ils estiment aussi que les médias ne vont pas vers les jeunes, vers les associations et ne couvrent pas leurs actions. Certains incriminent même la censure mais la justifie par le fait que le pouvoir hésite à faire participer les jeunes par crainte de l’anarchie qu’engendreraient trop de libertés : ce point de vue est quand même minoritaire. Un jeune étudiant s’est demandé : « Pour médiatiser un évènement « jeune » il faut qu’il y ait des évènements « jeunes » qui le méritent. Nous, nous n’avons pas d’évènements. 133 Qu’est-ce qu’on fait de notre temps ? Rien. On gère notre quotidien, il ne se passe rien et donc rien n’est médiatisable à moins qu’il y ait un festival. » Pour un autre jeune, « moins de censure et plus de volonté, peuvent améliorer la participation des jeunes aux médias ». Les participants du groupe « aisé » considèrent que les médias spécialisés sont un instrument politique inefficace en matière de promotion de la participation. Ces médias n’ont pas pu élargir le débat et ont échoué à stimuler la participation des jeunes. « Ils ont raté l’occasion d’offrir de réelles opportunités aux EAJ à participer à la prise de décision ou à influencer les politiques qui leur sont destinées. » L’investissement du champ des médias nouveaux, en particulier Internet, les blogs, les forums de discussion et les réseaux sociaux, a été souvent cité comme une forme de substitution à la participation traditionnelle et un champ de participation relativement libéré des contraintes de la censure. Internet est perçu par tous comme un espace de participation privilégié mais qui pose des problèmes d’accès surtout pour les EAJ de conditions modestes : « Le problème d’accès génère des situations d’exclusion dans les campagnes et les quartiers défavorisés ce qui nourrit la marginalisation et les comportements déviants.» A propos des activités parascolaires, un participant a estimé que « les journaux d’établissement scolaire ou d’association ainsi que les radios scolaires sont un excellent moyen de communication, quand ils sont réellement participatifs, quand ils favorisent très tôt une initiation aux médias et donnent l’occasion aux élèves d’exprimer leurs opinions.». Si la question d’être impliqué réellement dans la production médiatique n’est même pas envisagée par les groupes défavorisés, en revanche, elle est une revendication pour les jeunes des catégories « moyenne » et « aisée ». En effet, beaucoup d’intervenants estiment que les enfants, les adolescents et les jeunes sont capables de produire des programmes médias mais sous certaines conditions. Ils citent le cas de l’Occident où des jeunes font des exploits à l’échelle internationale : « La liberté favorise la créativité ! » affirme un jeune. L’exemple de la chaîne Canal 21 (actuelle Tunisia 2) et celui de Radio jeunes servent à illustrer ces propos:« Lors du lancement de ces médias l’idée était prometteuse et plusieurs jeunes ont cru au projet et ont eu effectivement une opportunité unique de participer réellement à cette expérience. Cette génération a fait ses preuves et a montré qu’elle était capable de créativité et d’innovation, la majorité d’ailleurs, a été recrutée plus tard soit par des chaînes satellitaires soit par des médias privés. Après leur départ, les médias publics spécialisés ont pris un coup de vieux, (« Radio nostalgie », ironise un autre participant), et cette émulation du début s’est dissoute dans la bureaucratie et la monotonie s’est installée dans Canal 21 et Radio jeunes qui ont perdu leur public et même leur âme jeune.». 134 Les participants reconnaissent qu’il y a beaucoup de jeunes qui travaillent dans les médias mais ils affirment que ce sont toujours des adultes qui décident de tout : «Si on exerce un contrôle excessif sur les enfants et les adolescents on les démotive. », « Les responsables des médias sont souvent conscients que les jeunes peuvent être créatifs, mais ils estiment que cela peut nuire aux « orientations politiques ». ». Pour améliorer la participation, un jeune propose « de changer le regard des adultes sur les jeunes, de respecter les jeunes, de créer des conseils de jeunes et d’organiser des congrès pour les jeunes. En contrepartie de ces opportunités, il faudrait que le comportement des jeunes change ». 5.6 - Opinions des EAJ sur les médias 5.6.1 - Opinions sur les médias tunisiens L’opinion sur les médias tunisiens est mitigée. Les enfants et les adolescents se placent dans les nuances du gris. On peut mieux faire sur le plan de la production, de la qualité et de la programmation. Il existe une perception de volonté d’améliorer et de développer de nouveaux concepts. Mais il existe aussi une perception de sursaturation politique des programmes, surtout quand on parle des réalisations positives. A ce propos, un large consensus s’est dégagé sur le manque de transparence, de crédibilité et de débat : « Les médias ne sont pas encore au niveau de ce qu’en attend le peuple. », « Les médias tunisiens reflètent les blocages de la société et ses problèmes : tabou, contrôle excessif, autoritarisme et incohérence.» Ce sont les participants jeunes des catégories « moyenne » et « aisée » qui ont développé une analyse critique sur le rôle, le fonctionnement et l’usage des médias. A ce propos, ils évoquent les blocages de la société, l’acculturation et les contradictions d’une société qui se transforme. Pour une étudiante familière du monde des médias : « Les médias tunisiens sont dans une phase pré - émergente. Ils se cherchent tout comme la société tunisienne, ils sont coincés entre le micro-trottoir et le politiquement correct. Ils essaient de montrer la réalité à tout le monde mais ils ne le peuvent pas car il y a encore des tabous. Ils font des efforts mais sans résultats. Il y a peut-être un manque de moyens, un peu de contrôle aussi. Le «mec » a peur de ce qu’il va dire, il calcule, il n’est pas spontané, surtout dans les chaînes publiques. » Le débat s’intensifie : « Les journalistes font probablement des efforts qui pourraient avoir du sens plus tard pas maintenant. Il y a trop de tabous, trop de contraintes religieuses, politiques…. Le problème des médias c’est aussi le problème de la société tunisienne.» « La TV tunisienne risque d’être démodée, dépassée si elle ne fait pas d’effort pour se moderniser. Pour le moment, on sent qu’elle est inauthentique dans le décor, dans le discours et dans le format même des émissions. » On relève dans le même sens : 135 « On sent que le présentateur est coincé, qu’il n’arrive pas à se lâcher, qu’il baigne dans le politiquement correct et on ne se reconnaît pas en lui. » Ainsi, une majorité regrette le contrôle excessif, le politiquement correct et l’absence de débat. Une minorité essaie de justifier ces contraintes par les spécificités sociopolitiques du pays. Pour les catégories enfants/adolescents et surtout pour les groupes défavorisés les critiques sont plus sobres. Ils sont nombreux à relever et à regretter que les médias tunisiens manquent de crédibilité et s’éloignent de la réalité des gens. Mais ils sont nombreux aussi à dire qu’il y a un effort pour améliorer les médias tunisiens, soit occasionnellement comme dans l’année du « Dialogue avec les jeunes » soit à travers les innovations des grilles télévisées. Ils citent ainsi la multiplication des chaînes, la privatisation des médias, la recherche de nouveaux concepts comme les émissions de téléréalité, le caractère plus audacieux de certains programmes surtout sportifs ou sociaux et une meilleure interactivité avec des programmes comme Forum de radio Mosaïque FM. Les participants des groupes « défavorisés » jugent positivement les émissions de téléréalité à contenu social qui permettent, selon eux, d’orienter, de prévenir et d’éduquer les gens. De ce débat a émergé aussi le thème de l’accès aux médias avec ses deux composantes : d’abord, la censure et son corollaire de droit à l’information ; ensuite, les conditions socio-économiques défavorables et les effets des restrictions ainsi que l’inégalité des chances dans un monde globalisé. Plusieurs intervenants appellent à une meilleure égalité des chances dans l’accès aux NTIC. Beaucoup de jeunes « connectés » sont d’accord pour estimer que YouTube, Dailymotion, Facebook sont les sites Internet des jeunes. D’autres ont cité des sites tunisiens comme Ballouchi.com, Kaftaji.com ou des radios sur Internet pour certaines musiques ou tendances comme la radio Tounesbladi. Ce sont aussi les médias qui donnent la parole aux jeunes, qui utilisent le langage des jeunes et qui adoptent un ton plus ouvert et audacieux qui sont identifiés comme médias jeunes. C’est le cas de l’émission Forum de la radio privée Mosaïque FM et de la chaîne TV privée Hannibal avec en particulier son émission sportive phare « Belmakchouf » devenue emblématique de la transparence et de l’audace. « Le sport est devenu un défouloir « ». L’expérience vécue à travers ces émissions très populaires est « magique », on peut tout dire, tout critiquer, accuser, dénoncer, parler le « franco-arabe », tout montrer, ce qu’on n’imaginait même pas il y a juste quelques années », reconnaît un jeune. L’absence de débats libres sur les sujets d’actualité, de programmes qui collent à la réalité et d’informations crédibles est considérée par un participant comme une source de nuisance pour les jeunes : « Ce contexte médiatique conduit à une jeunesse dépolitisée, mal informée, peu sensibilisée aux défis du pays et donc irresponsable et immature. » A propos de cette défaillance, un participant exprime ainsi son opinion : « Quand on compare la TV tunisienne aux chaînes étrangères on sent qu’elle n’est pas attirante, on la 136 sent triste, même les infos ne donnent pas envie de les regarder. Tout est positif . Donne- moi le négatif et dis-moi que tel évènement est survenu où est le problème ? Après chacun jugera par lui-même. » D’ailleurs, ils sont nombreux à considérer que leur intérêt pour les médias étrangers est un moyen pour vivre des sensations qu’ils ne peuvent pas vivre avec les médias locaux, et qu’il ne s’agit ni d’une dépendance ni d’un point de vue idéologique mais d’un « pis aller » réactionnel. Un jeune considère que les médias nationaux gardent leur place même en ce moment de mondialisation des médias, car ils participent à la construction de l’identité nationale et assurent des fonctions que les médias étrangers ne pourront en aucun cas assumer. Pour plusieurs participants un bon média doit être interactif, innovant, il doit donner la parole aux jeunes, leur permettre de s’exprimer dans la langue qu’ils utilisent et éviter le politiquement correct. Ainsi, il ressort des débats des différents FG un consensus sur l’importance de la liberté d’expression à la fois pour encourager la participation et favoriser la créativité. Toutefois, il se trouve toujours un membre du groupe pour considérer qu’il y a des limites à imposer à cette liberté et qu’il y a des contraintes culturelles, sociales et politiques dont il faut tenir compte, mais ce point de vue reste toujours minoritaire. 5.6.2 - Médias et opinions des enfants, adolescents et jeunes Dans tous les FG, les participants sont quasi unanimes sur le fait que les médias ne s’intéressent pas à l’opinion des jeunes et ils citent plusieurs exemples. « En tant que jeune si tu es amené à donner ton opinion il y a des restrictions lors de l’enregistrement télévisé. C’est le journaliste qui te dicte ce que tu dois dire. Au Centre Palmarium, il y avait une équipe de TV qui venait faire du micro-trottoir. Avant de passer devant la caméra, tu dois parler avec le journaliste et l’informer de ce que tu vas dire. » Un autre enfant a vécu une expérience similaire avec la chaîne Hannibal TV « On devait parler de nos rêves d’avenir. Le journaliste a beaucoup insisté pour qu’on dise exactement mot pour mot ce qui a été convenu. Et donc ce n’était pas à nous d’exprimer nos idées à notre manière ». Un jeune présent à la réunion justifie cette attitude : « Pour ce cas de figure on peut parler d’encadrement pour que l’enfant ne dise pas une connerie ! » D’autres témoignages sur des expériences personnelles vécues par des membres du groupe sont exprimés : « On était une fois dans un bureau de l’emploi et il y avait une équipe de TV. Avant d’enregistrer, il y avait une personne qui communiquait les questions qu’elle allait poser et les réponses qu’il fallait donner pour éviter la censure. Et on ne pouvait être enregistré que si on précisait bien l’idée qu’on allait développer. En outre, lors du montage il était possible de supprimer certaines séquences. » Un autre témoignage : « Un copain à moi travaille à la TV et fait des reportages. Selon lui, il n’est pas question de filmer des 137 filles voilées. Les filles qui passent dans les reportages ont un profil particulier : de physique agréable, présentables et de préférence pas trop futées pour qu’elles disent juste deux mots. Les reporters sont devenus experts en la matière. » Plusieurs participants considèrent que les jeunes aiment partager leurs problèmes, raconter leurs histoires, solliciter des solutions, se sentir accompagnés et soutenus, être écoutés et respectés. Ils aiment confronter leurs idées, identifier les erreurs pour les rectifier, et être compris même si on ne partage pas leurs opinions. Ils veulent qu’on les conseille, qu’ils aient la possibilité de parler de certains problèmes qu’ils ne peuvent pas évoquer avec leurs proches ou leurs enseignants. Ils estiment que les médias leur offrent peu d’opportunités dans ce domaine. Cependant, ils reconnaissent que les choses ont changé avec les médias privés où il y a plus d’interactions, plus de possibilités de faire écouter sa voix et plus d’interviews même si cela reste limité à deux domaines : le sport et les problèmes sociaux toujours sous l’angle du fait divers. Pour une participante les émissions de téléréalité offrent une opportunité aux enfants et adolescents d’exprimer leurs opinions. Plusieurs participants expliquent le succès de radio Mosaïque FM auprès des jeunes par les efforts de la chaîne pour innover en vue de les attirer, de les intéresser et de leur donner la possibilité de faire écouter leur voix dans le langage qu’ils préfèrent. Le concept qui a fait ses preuves en Europe marche bien ici. C’est cet effort qui est complètement absent de la concurrente publique Radio Jeunes coincée et ringarde selon eux. Les radios publiques sont trop contrôlées et servent à « formater » les jeunes, un terme qui revient souvent. Ils ont, cependant, apprécié les rares moments de la campagne « Pacte de jeunesse » où le micro-trottoir a permis à beaucoup de jeunes de s’exprimer mais ce fut très ponctuel. Un participant cite en exemple la platitude des débats télévisés avec « des jeunes sélectionnés qui répètent ce qu’on attend d’eux » selon ses propos. Quant aux débats sur les jeunes ont leur reproche souvent d’être animés par des adultes et quand les jeunes parlent dans les reportages ou les émissions sociales leur parole n’est pas valorisée. Seule la parole des professionnels et des experts est mise en avant ; celle des EAJ est considérée comme juste « illustrative ». « Il faut donner la parole aux jeunes avec moins de censure et « yezzi » (ça suffit) de la peur de type « il ne faut pas dire ceci », « il ne faut pas montrer cela», il faut laisser les gens respirer », conclut un membre du groupe. 5.6.3 - Construire de bons rapports avec les médias C’est dans les FG1, FG2, FG5 qu’on a retrouvé le plus d’idées concernant l’analyse des rapports des enfants, adolescents et jeunes aux médias et les moyens d’établir une coopération bénéfique pour les deux. Les groupes défavorisés semblent dans une posture passive, ils sont focalisés sur leurs problèmes de survie, manquent souvent d’affirmation de soi et doutent de leur capacité à faire changer les choses. Ils sont peu « connectés » et la 138 logique individuelle prime sur la logique collective. La responsabilité des problèmes est mal définie, les parties prenantes ne sont pas identifiées et les participants utilisent la troisième personne« Houma » pour parler des responsables et des acteurs du secteur des médias. Les autres groupes plus outillés intellectuellement ont développé une réflexion analytique des difficultés actuelles à avoir de bons rapports avec les médias. A cet effet, ils considèrent que les professionnels doivent être plus informés de la vie des enfants, des adolescents et des jeunes, plus imprégnés des données sociopsychologiques de ces catégories et plus prompts à aller là où ils vivent, s’activent et se rencontrent. Des participants de la catégorie « aisée » adoptent une position très méfiante et suspicieuse vis-à-vis des médias. D’où la nécessité selon nombre d’entre eux de renforcer l’éducation aux médias, de faciliter la compréhension des enjeux qui incriminent les médias, d’adopter des attitudes d’ouverture et de développer le sens critique. Par ailleurs, ils estiment que le manque d’objectivité, de transparence, d’audace et de liberté éloignent les jeunes des médias nationaux et en particulier des médias publics spécialisés dans la jeunesse. L’inauthenticité du discours, le monolithisme, la mauvaise qualité technique des programmes, et la monotonie des programmations n’aident pas à construire de bons rapports ni à développer des attitudes positives à l’égard des médias nationaux. L’absence de débat et de traitement de sujets qui intéressent les jeunes, affaiblit considérablement la crédibilité de ces médias. En abordant la question du langage utilisé, émerge la notion d’exclusion par la langue pour les nombreux analphabètes qui ne comprennent pas les débats menés en arabe littéraire. Une participante de niveau scolaire limité parle de deux langues « notre langue (l’arabe dialectal tunisien) et l’arabe littéraire. Quand les débats sont passionnés à la TV on passe de l’arabe littéraire au dialectal, c’est à ce moment-là qu’on comprend de quoi il s’agit ». L’usage de l’arabe littéraire dans les émissions de débat participe à éloigner les jeunes de ces émissions. La majorité préfère l’usage de l’arabe dialectal qu’elle trouve plus approprié pour s’adresser aux jeunes. Pour un étudiant « l’arabe littéraire est comme le latin pour certains jeunes », mais cette opinion est minoritaire. Les participants sont en général favorables à un mélange judicieux entre l’arabe littéraire et le dialectal tunisien. Au sujet de la qualité des émissions TV traitant des problèmes de société, notamment ceux relatifs aux EAJ, les avis convergent : cette qualité laisse à désirer. Propos recueillis : « Il est vrai que les gens passent à la télé, les problèmes aussi, mais on ne va pas au fond de l’analyse. Les animateurs peuvent susciter des émotions, exposer des problèmes mais ils ne vont pas aux causes profondes susceptibles de fournir des éléments de réponse. », « Un média est intéressant s’il est crédible, réaliste et pédagogue.» Par ailleurs, le souhait de voir se développer des médias plus crédibles, plus transparents, plus modernes et plus proches des problèmes des jeunes a été exprimé par plus d’un 139 participant. Les innovations apportées dans les médias privés, Hannibal TV et radio Mosaïque, montrent qu’un média national peut toujours reconquérir les jeunes quand il élargit son espace de liberté, de participation, d’interaction, d’audace et adopte un langage et un discours différents même si ces changements restent encore limités au sport et à quelques problématiques sociales traitées sous l’angle du fait divers. Il ressort de ce qui vient d’être avancé qu’un dialogue est nécessaire entre les EAJ et les parties prenantes du secteur des médias. Ce dialogue pourrait prendre la forme d’une réflexion collective sur : les attentes et les attitudes, les rôles et les modalités d’intervention, les contraintes et les défis, les représentations et les images, la participation et l’implication. 5.7 - Observations générales sur les résultats des focus groupes L’analyse de contenu des FG a permis d’apprécier l’importance des médias surtout la TV, la Radio et Internet dans la vie des enfants, des adolescents et des jeunes et la marginalisation des médias écrits pour ces catégories sociales. On a retrouvé une tendance à un usage mixte des médias et une tendance plus lourde vers un usage plus extensif des médias nouveaux en particulier Internet avec les opportunités immenses qu’il offre. Cependant, le problème d’accès à Internet, soulevé par tous les participants, reste un défi majeur; il a fait l’objet de recommandations. Le doute a plané sur l’intérêt des médias publics spécialisés dans la jeunesse très peu perçus comme d’authentiques « médias jeunes ». Les avis sont partagés mais il est clair que ces médias ne sont ni attractifs, ni participatifs et encore moins compétitifs avec le reste du paysage médiatique. Pratiquement dans tous les groupes, ce sont les médias privés qui sont perçus comme « médias jeunes ». L’opinion des enfants, des adolescents et des jeunes sur les médias tunisiens est nuancée. Les EAJ relèvent des progrès dans certains aspects comme la multiplication des chaînes, la privatisation des médias, les scénarios de certaines fictions, les programmes sportifs audacieux et les émissions de téléréalité. Mais ils sont majoritairement convaincus que le paysage médiatique manque de crédibilité, de transparence, de débat et reste fortement contrôlé. Ils estiment, par ailleurs, qu’il y a en général un faible intérêt des médias pour les enfants, adolescents et jeunes et que cet intérêt reste occasionnel et lié à l’agenda politique. Ils reprochent aux médias un traitement des problèmes superficiel, ou émotionnel ou de type « fait divers », traitement qui les prive d’une meilleure connaissance des dossiers et marginalise ceux qui souffrent le plus de ces problèmes. Ils considèrent aussi que les médias ne vont pas là où vivent et s’activent les jeunes et ne médiatisent pas leurs accomplissements. Le profil d’un média « ami des jeunes » tel qu’il se dégage de leurs analyses devrait comporter l’innovation, l’audace, la crédibilité, l’interactivité et la participation. Ce profil 140 reste pour le moment réduit à quelques émissions sportives citées souvent en exemple ou à quelques émissions radiophoniques issues des médias privés. Les résultats de l’analyse ont confirmé aussi ce qui est déjà connu à savoir la non passivité des jeunes devant les médias. Ces jeunes essaient de contourner la censure, ils font des comparaisons avec d’autres produits médiatiques, ils sélectionnent leurs émissions et programmes en fonction de leurs attentes, en un mot ils s’adaptent. La globalisation des médias leur offre des opportunités nouvelles et une grande marge de manœuvre qui reste cependant très réduite pour les groupes défavorisés. L’analyse des discours a permis aussi de constater que l’image négative des jeunes se retrouve essentiellement dans les médias écrits et plus particulièrement dans la presse de langue arabe. Ce résultat devrait être corroboré par l’analyse de contenu de ces médias mais il l’est déjà par l’analyse des hebdomadaires. En revanche, l’image véhiculée par la TV surtout publique est une image jugée artificielle, inauthentique et procède du formatage des jeunes. Cette image nourrit les stéréotypes négatifs de la société vis-à-vis des jeunes perçus comme immatures et inconsistants. La notion de jeune est équivoque. A plusieurs reprises, les participants ont mis l’accent sur la nécessité de distinguer les catégories qui constituent l’entité « jeune ». Les enfants, adolescents et jeunes ont relevé aussi une faible représentation à la TV des catégories défavorisées, des jeunes des quartiers populaires et des jeunes en difficulté. Ils ont estimé aussi que l’usage de l’arabe littéraire dans certaines émissions peut aboutir à l’exclusion des jeunes analphabètes. S’ils estiment que les fictions participent à élargir la représentativité et les débats de société, en revanche, ils considèrent que la diversité des jeunes dans les débats et les infos est assez faible. La diversité ne se déploie pas comme une culture mais comme une offre multiple de produits médiatiques en fonction des « goûts ». La faible participation des enfants, adolescents et jeunes dans les médias et leur refus de la participation-décor ou symbolique ont été confirmés. La question de la domination des adultes même dans les programmes destinés aux jeunes a été soulevée tout comme le manque d’opportunités pour une participation impliquant les jeunes dans la conception, la production et la réalisation des programmes. Les jeunes ont du mal à se voir impliqués de manière substantielle dans les médias; ils se projettent mal dans ce rôle et ne voient pas d’encouragement dans leur environnement. Ils considèrent que les restrictions, le contrôle et l’encadrement anéantissent leurs capacités créatives. Ce résultat a été corroboré par l’étude sur le supplément de « La Presse jeunes ». Aussi, les réformes médiatiques nécessaires devraient intégrer l’avis des EAJ et leur implication dans toutes les étapes. 141 L’opinion des enfants, adolescents et jeunes est peu écoutée, c’est la perception de tous les participants. Ils ont relevé la valorisation de la parole des experts et des professionnels et la marginalisation de l’opinion des intéressés. En conclusion, l’ensemble de ces résultats confirme les axes de recherche définis dans le présent chapitre et qui partaient de l’hypothèse d’une faible représentativité de certaines catégories de jeunes dans les médias, d’une faible participation et du faible intérêt accordé à l’opinion des EAJ sans oublier les rapports difficiles que ces derniers entretiennent avec les médias. En revanche, les résultats de ces FG divergent considérablement quand il s’agit d’apprécier la littérature occidentale relative à l’image des jeunes dans la TV. Dans les études occidentales, les jeunes sont souvent associés à la violence, la délinquance, la dégradation urbaine et aux problèmes de drogue et de sexe. Dans certains FG, ces thèmes n’ont pas été abordés spontanément par les participants et même quand la question est posée les réponses concernent surtout les médias écrits. Cette image dégradante est absente de leurs discours sur la TV. Le contexte médiatique tunisien, marqué par un encadrement public strict des médias, fait que la TV publique adopte plutôt une ligne qui vise à ne montrer que la « jeunesse avenir du pays » faite de jeunes sans problèmes, qui réussissent et qui sont bien intégrés. L’autre spécificité du contexte tunisien concerne le rôle des fictions et des émissions de téléréalité nouvellement créées et qui osent aborder des sujets sensibles politiquement et culturellement sous l’angle de la fiction ou des faits divers. Une autre spécificité concerne les émissions sportives des médias privés qui disposent d’une marge de manœuvre plus large et qui attirent les jeunes par leur audace et la liberté de ton et de parole. Les résultats des FG concernant la limitation de l’accès à Internet confirment les résultats des enquêtes nationales sur l’usage d’Internet même dans la population jeune. Par ailleurs, les participants des groupes défavorisés ont insisté sur une demande particulière. Ils considèrent que les médias, assimilés aux pouvoirs publics, sont dans l’obligation de trouver des solutions aux problèmes posés par le chômage et la pauvreté dont ils sont victimes. Les résultats mettent en lumière l’effort que les médias écrits doivent fournir pour dialoguer avec les jeunes, les faire participer, tenir compte de leurs opinions et les impliquer davantage dans la presse écrite. Ils montrent aussi l’urgence d’une action efficace pour améliorer le problème d’accès aux médias nouveaux pour les EAJ surtout ceux issus de milieux défavorisés. Ces résultats révèlent, également, la nécessité pour les médias d’accorder une attention particulière à la vie des enfants, adolescents et jeunes et pas seulement à leurs problèmes. Ils soulignent aussi l’importance d’intégrer de manière précoce l’éducation aux médias dans les programmes scolaires. 142 Les FG ont mis en évidence le rôle que jouent les fictions dans la question de la diversité et la nécessité d’élargir ce rôle aux autres programmes comme les informations et les débats, ainsi que le rôle des fictions dans l’invitation à une réflexion collective sur des sujets sensibles culturellement et politiquement. Par ailleurs, les jeunes ont montré un intérêt pour les émissions de téléréalité mais ils souhaitent aussi voir traiter les problèmes autrement : rechercher les causes profondes et non se contenter des faits divers et des artifices émotionnels. L’analyse du discours des EAJ dans les focus groupes a aussi mis l’accent sur l’effet obstructif du contrôle sur l’expression de l’opinion des jeunes et l’avantage d’une expression libre pour développer la créativité, stimuler l’innovation et assurer la visibilité des problèmes pour pouvoir les traiter. Cette analyse a, en outre, montré que la participation n’est possible que si elle est accompagnée d’un changement des mentalités et une plus grande implication des jeunes. Les thèmes qui ont émergé de ces FG sont autant de pistes de recherche pour des études ultérieures : des recherches nécessaires pour mieux comprendre les relations entre jeunes et médias surtout la radio, Internet et en particulier les réseaux sociaux tels que Facebook dont l’importance et le rôle ne sont pas négligeables. Recommandations découlant des focus groupes 1 - Renforcer l’accès, la disponibilité et les compétences des enfants, adolescents et des jeunes en matière d’Internet surtout pour les jeunes défavorisés. Faire connaître les avantages et les opportunités qu’offrent les NTIC surtout aux EAJ des quartiers défavorisés ou du milieu rural. 2 - Revoir les programmes et les émissions TV et Radio de sorte qu’ils donnent plus d’importance aux « histoires » des jeunes, à leur parole, qu’ils leur permettent de débattre dans un cadre interactif et participatif décontracté et dans un contexte qui les valorisent et qui ne les stigmatisent pas. Cette révision des programmes et des émissions devra aussi tenir compte d’un facteur important pour l’implication et la participation à savoir l’adoption d’un langage approprié qui n’exclut pas les catégories ayant un faible niveau d’instruction scolaire. 3 - Revoir les programmes et les émissions TV et Radio de sorte qu’ils donnent aux EAJ l’occasion de parler de leurs accomplissements, réussites et de débattre entre eux. 4 - Investir dans des programmes de qualité, attractifs, innovants et proches de la réalité locale, en s’aidant de l’avis des EAJ et des spécialistes. 5 - Revoir la grille des priorités des émissions qui traitent des problèmes de société 143 et qui touchent les enfants, les adolescents et les jeunes pour en faire les « amis des jeunes ». Faire participer les EAJ dans la préparation des grilles des médias. 6 - Développer une plus-value des médias jeunes axée sur la culture du dialogue, l’authenticité du discours, la diversité de la vie des jeunes et le choix par les jeunes des priorités. 7 - Renforcer la capacité des médias spécialisés en matière d’intégration des jeunes et d’amélioration de l’environnement de créativité et d’innovation. 8 - Encourager l’innovation par le recrutement de jeunes compétents dans les médias et conforter la crédibilité des médias par l’amélioration de la qualité de l’information, des débats et celle des reportages. 9 - Eviter de « flasher » les jeunes par des programmes spécifiques qui les utilisent comme cobayes. Encourager les programmes qui leur permettent d’être présents, de débattre et d’exprimer leurs opinions sur tous les grands problèmes de société y compris les leurs. 10 - Consacrer de manière régulière des rubriques portant sur la vie des EAJ en dehors des manifestations occasionnelles. 11 - Réconcilier la presse écrite avec les EAJ par l’encouragement des « suppléments jeunes» dans la presse écrite arabe. 12 - Changer l’image de la presse écrite auprès des enfants et des adolescents, améliorer leurs rapports avec les organes de la presse écrite (journées portes ouvertes et visites d’écoliers) et concevoir des programmes d’éducation aux médias, notamment, la presse écrite. 13 - Fournir un effort pour recruter des jeunes, leur donner l’opportunité de réaliser des reportages et d’écrire des articles sur des sujets qui les intéressent et éviter de les considérer comme de simples exécutants. 14 - Elargir la représentativité des jeunes au-delà des fictions, en particulier dans les reportages, le journal d’information, les émissions culturelles et les débats. 15 - Accorder plus d'importance à la diversité culturelle des jeunes et à leurs accomplissements surtout pour les catégories marginalisées et défavorisées. 16 - Plaidoyer auprès des scénaristes pour renforcer l’image positive des enfants et des adolescents dans les fictions mais aussi dans des programmes comme Forum de radio Mosaïque FM. 144 17 - Permettre aux jeunes des quartiers défavorisés et ruraux de paraître positivement et de manière crédible à la TV dans les divers programmes comme les informations, les reportages et les émissions culturelles. 18 - Donner des opportunités aux jeunes de gérer des médias, de concevoir des programmes, de les diriger, de participer à la prise de décision et d’être présents activement sur les plateaux avec un espace de liberté adéquat. 19 - Créer des opportunités pour que les enfants et adolescents puissent dialoguer avec des professionnels et faire écouter leur voix. 20 - Tenir compte, régulièrement, de l’opinion des enfants et des adolescents dans la programmation à travers l’organisation de focus groupes, sondages, enquêtes... 21 - Etudier l’impact des émissions de téléréalité sur l’image de l’enfant, de l’adolescent et du jeune. 22 - Réaliser une étude diagnostique sur le degré de satisfaction des EAJ pour les médias publics spécialisés. 23 - Développer le genre « Interview et Reportage life » et renforcer la capacité des journalistes dans ces genres journalistiques, surtout en matière d’illustration graphique. 24 - Permettre la spécialisation de journalistes dans le traitement des problématiques liées à l’enfance, à l’adolescence et à la jeunesse. 25 - Former des jeunes des quartiers défavorisés à l’écriture de textes pour la chanson et des scénarios dans le cadre d’un programme d’habilitation et de renforcement des capacités. 26 - Former des enfants et des jeunes de milieux défavorisés à la culture médiatique. 27 - Inscrire l’éducation aux médias dans les programmes scolaires. 28 - Encourager la presse scolaire et créer une unité chargée de la promotion de la presse scolaire au sein du ministère de l’Education. 29 - Instaurer une semaine de la presse scolaire avec remise de Prix. 30 - Encourager la création d’associations d’éducation aux médias. 145 31- Encourager les radios de quartier et entraîner des jeunes à la communication audiovisuelle. 32 - Encourager l’initiative privée et accorder plus d’autonomie et de liberté au secteur des médias. 33 - Elargir la liberté d’expression dans les médias et renforcer leur capacité en matière de traitement des questions sensibles. (Directive par le Haut Conseil de la communication dans ce sens). 34 - Plaidoyer pour une meilleure diffusion et intégration des droits de l’enfant dans les médias. 146 CONCLUSION GENERALE Le rapport des médias à leurs publics les plus jeunes a constitué un thème récurrent de débat public au cours des deux dernières décennies, depuis l’adoption de la Convention des droits de l’enfant en 1989. En Tunisie, comme dans la plupart des pays de la région, la représentation de l’enfant, de l’adolescent et du jeune dans les médias et la qualité de leur « visibilité médiatique » constituent encore un sujet de préoccupation des milieux chargés de la protection de l’enfance et de la jeunesse. Mais le débat sur cette question donnait le plus souvent lieu à un discours croisé avec les professionnels des médias, discours qui était souvent alimenté par des « clichés », de fausses évidences et des lieux communs. La présente recherche initiée par le Bureau de l’UNICEF de Tunis vient combler en partie le déficit de références objectives en proposant l’étude la plus complète jamais entreprise en Tunisie sur la présence et la représentation des EAJ dans les médias. Inédite, cette étude est également singulière. Bien que focalisée sur l’analyse de la presse écrite et sur la collecte de la parole des EAJ, elle n’a pas exclu d’analyser un échantillon pertinent de contenus audiovisuels. Sur le plan de la méthodologie, l’étude a mis à profit une combinaison d’approches et de techniques qualitatives et quantitatives permettant à la fois d’analyser les contenus et les discours et de les mettre en perspective par rapport aux textes et normes internationaux de référence en matière de traitement médiatique des questions relatives aux EAJ. Les focus groupes ont permis de recueillir et d’analyser le discours des EAJ à l’endroit des médias. Deux ateliers de travail, avec les journalistes et avec des professionnels de l’audiovisuel, ajoutés à des entretiens avec les responsables de l’audiovisuel public spécialisé et du supplément « Parole de Jeunes » ont permis de croiser les résultats de l’analyse de contenu avec le discours des acteurs. 147 Cet éclairage multidimensionnel a permis aussi d’aller au-delà des contenus médiatiques, de saisir et d’analyser les discours des auteurs et des jeunes publics. Enfin, conçue et réalisée par des experts nationaux, cette étude a bénéficié de l’apport d’un regard extérieur, en la personne de Gérard Derèze, universitaire belge, qui fait autorité en la matière, ce qui renforce la conformité de ce travail aux normes internationales en vigueur et lui permet de se positionner comme étude de référence en Tunisie mais également dans la région. Les principaux résultats de l’analyse de la presse écrite révèlent en premier lieu une augmentation générale du nombre d’unités rédactionnelles consacrées aux EAJ entre 1998 et 2008. Cette augmentation est due, d’une part, à la montée exponentielle du nombre de faits divers dans les quotidiens privés (Assabah, Achourouk et Le Temps) et, d’autre part, à l’agenda politique marqué par une forte mobilisation autour de la question de la jeunesse. Qualitativement, cette matière n’offre qu’une modeste valeur ajoutée journalistique. Seule une faible proportion d’articles est produite par les équipes rédactionnelles des journaux de l’échantillon mais les genres majeurs du journalisme, notamment, les articles de terrain, n’y occupent qu’une part infime. L’analyse qualitative d’un échantillon de la presse hebdomadaire à tendance très populaire, ainsi que celle du supplément « La Presse Jeunes » ont permis de mieux problématiser l’analyse des quotidiens et d’en affiner les résultats. L’analyse de la participation et de la représentation des EAJ dans les programmes audiovisuels tunisiens a fait l’objet d’une approche qualitative destinée à dégager le degré de participation des EAJ et les représentations dominantes à leur endroit. Le point de vue des professionnels de l’audiovisuel, des chercheurs et des critiques a été recueilli et croisé avec les résultats de l’analyse de contenu des programmes sélectionnés. Parmi les résultats qui ont été confirmés par les EAJ qui se sont exprimés dans les focus groupes, émerge le constat que la fiction traduit plus librement le vécu réel des jeunes que les émissions d’information. Les sujets « tabous », jusque là réservés au cinéma, ont investi le petit écran avec le feuilleton Maktoub (destin), diffusé pendant le mois de Ramadan sur la chaîne nationale ex Tunis 7 (actuelle Tunisia 1). Dans les émissions de débat, où domine le discours des adultes mâles, l’image des jeunes oscille souvent entre compassion et stigmatisation. La parole des enfants, adolescents et jeunes recueillie lors des focus groupes exprime leur perception des médias et révèle notamment que ces jeunes publics ne sont pas dans une logique de revendication mais dans un effort d’adaptation continu en fonction des contraintes et de l’environnement. Ils fonctionnent de manière pragmatique et sélective en cherchant chacun à sa manière à tirer profit de l’offre médiatique disponible. Les chaînes publiques dédiées à la jeunesse sont très peu perçues comme « médias jeunes », 148 car « peu attractives, peu participatives » et soutiennent mal la concurrence avec les chaînes privées qui sont davantage perçues comme « médias jeunes ». Les EAJ n’aiment pas beaucoup leur image à la télévision, car « elle alimente les stéréotypes négatifs de la société vis-à-vis des jeunes » et marginalise ou dévalorise les jeunes des quartiers populaires et les jeunes en difficulté. De toutes les composantes de cette étude de l’analyse des contenus à celle du discours des jeunes publics, en passant par la parole des journalistes et des protagonistes des fictions, se dégage une attente exigeante et contrariée à l’égard de l’offre médiatique nationale. Ce qui explique que les franges les moins défavorisées des EAJ se tournent de plus en plus vers les « nouveaux médias » véhiculés par les chaînes satellitaires, l’Internet et les téléphones portables. Cette tendance très marquée est désormais confirmée et ne manque pas de poser de nouveaux défis aux concepteurs des politiques d’intégration sociale des EAJ. En effet, quels que soient les reproches qu’on peut leur adresser, les anciens médias, notamment la télévision nationale, participaient à la « socialisation » des jeunes publics en leur offrant en partage des programmes qui consolident leur sentiment d’appartenance à la communauté. A l’inverse, les nouveaux médias procèdent d’une « logique de la demande », avec leur offre « à la carte » où chacun peut accéder au programme ou au site qu’il affectionne, ce qui fragmente à l’infini les habitudes médiatiques des EAJ et réduit considérablement le rôle des médias en tant qu’outils identitaires de socialisation et en tant que facteurs d’intégration culturelle et de solidarité. Les nouvelles tendances des pratiques médiatiques des EAJ deviennent ainsi une question de société qu’il convient d’analyser en profondeur et d’inscrire d’urgence dans le calendrier des pouvoirs publics et dans les programmes d’action des organisations de la société civile et des organismes internationaux concernés. 149 RECOMMANDATIONS OPERATIONNELLES • Organiser des sessions de formation à l’intention des professionnels des médias sur le reportage éthique sur les enfants, adolescents et jeunes (EAJ). Les modules de formation devraient être déclinés par type de média (presse écrite, agence, médias électroniques) et par catégorie professionnelle (responsables des programmes, journalistes, animateurs, photographes, producteurs de contenus audiovisuels, scénaristes, etc.) • Élaborer un guide pratique sur la couverture éthique de l’actualité relative aux EAJ en s’inspirant des normes et standards internationaux et en les adaptant au contexte tunisien. • Mettre en place un mécanisme de suivi permettant aux instances de protection de l’enfance de signaler les abus et de faire respecter les droits de l’enfant dans la presse écrite. • Engager de nouvelles recherches sur les aspects qui n’ont pas été couverts par la présente étude, notamment la publicité. • Effectuer une étude portant sur la fréquentation des médias diffusés sur le Web et celle des réseaux sociaux comme Facebook, qui séduisent de plus en plus d’adolescents et de jeunes. • Mettre en place un master spécialisé en médiation des EAJ, en partenariat avec l’IPSI ou toute autre institution universitaire qualifiée. • Réaliser une étude exhaustive sur l’image des enfants, des adolescents et des jeunes dans les fictions tunisiennes les plus regardées, notamment, les feuilletons ramadanesques. 150 • Réaliser une étude sur le degré et la qualité de la participation des EAJ dans les émissions d’information et de débat, notamment, sur les chaînes publiques. • Elaborer un kit de formation aux droits de l’enfant adapté aux professionnels de l’audiovisuel. • Organiser des sessions de formation aux droits de l’enfant pour les différentes catégories de professionnels de l’audiovisuel : responsables des programmes, journalistes reporters, journalistes reporters d’images, présentateurs, producteurs, réalisateurs, animateurs … • Organiser des ateliers d’écriture et/ou des tables rondes avec les scénaristes des fictions et feuilletons TV, afin de renforcer leurs capacités en matière de traitement des thématiques liées à l’enfance conformément aux standards en vigueur. • Examiner avec le Conseil supérieur de la communication et l’Observatoire des droits de l’enfant la mise en place d’une cellule de suivi de l’image de l’enfant dans les médias audiovisuels tunisiens et d’un mécanisme d’intervention en cas d’atteinte à ses droits. • Développer l’éducation aux médias, en partenariat avec le ministère de l’Education et de l’IPSI. • Revoir les grilles des programmes audiovisuels en vue de donner plus d’importance aux histoires des jeunes, à leur parole, et de leur permettre de débattre dans un cadre interactif et participatif décontracté dans un contexte qui les valorise, tout en veillant à ne pas exclure les catégories ayant un faible niveau d’instruction scolaire. • Investir dans des programmes de qualité, attractifs, innovants et proches de la réalité locale en tenant compte de l’avis des EAJ et des spécialistes. • Associer les enfants, les adolescents et les jeunes à la conception des émissions qui traitent des problèmes de société et qui les touchent, de manière à ce que ces émissions soient perçues comme des « amis des jeunes ». • Consacrer des rubriques fixes portant sur la vie des enfants, des adolescents et des jeunes en dehors des manifestations occasionnelles. • Mettre en place un partenariat entre le ministère de l’Education et les directeurs de journaux afin de réconcilier les EAJ avec la lecture des journaux et magazines et susciter des vocations en organisant par exemple une « semaine de la presse » dans les écoles, collèges et lycées. 151 • Inciter les journaux à recruter de jeunes rédacteurs et à leur confier la réalisation de reportages et d’articles qui intéressent les jeunes. • Inviter les diffuseurs (radio et TV) à renforcer la présence des jeunes au-delà des fictions, en particulier dans les reportages, les bulletins d’information, les émissions culturelles et les émissions de débat, à accorder plus d'importance à la diversité culturelle des jeunes et à bannir toute stigmatisation des catégories marginalisées et défavorisées dans leurs programmes. • Créer des opportunités de dialogue entre les professionnels des médias et les EAJ de manière à intégrer davantage l’opinion des enfants et des adolescents dans les différents programmes. • Réaliser une étude diagnostique sur le degré de satisfaction des enfants et des adolescents pour les médias publics spécialisés (Radio Jeunes et Tunisie 21 (actuelle Tunisia 2) notamment). • Encourager la spécialisation des journalistes dans le traitement des problématiques liées à l’enfance, à l’adolescence et à la jeunesse. • Intégrer l’éducation aux médias dans les programmes scolaires et encourager la création d’associations d’éducation aux médias. • Instaurer une semaine de la presse scolaire et un prix pour les meilleures productions. 152 SYNTHESE DE L’ETUDE « Les représentations de l’enfant, de l’adolescent et du jeune dans les médias tunisiens » L’objectif de cette étude est d’avoir une vue d’ensemble sur les représentations de l’enfant, de l’adolescent et du jeune dans les médias tunisiens et leur évolution durant les dix dernières années en mettant en lumière : • d’une part, les discours croisés des médias sur les jeunes et des jeunes sur les médias ; • d’autre part, le degré et les formes de participation des jeunes dans l’élaboration et la diffusion des divers produits médiatiques. I - Synthèse de l’analyse de la presse écrite Objectifs L’objectif de l’analyse de la presse écrite consistait à déterminer les représentations des enfants, des adolescents et des jeunes, et leur évolution durant les dix dernières années (1998-2008). Il s’agissait, d’autre part, de mettre en lumière le degré et les formes de participation de ces mêmes catégories dans la matière journalistique qui leur est consacrée. Méthodologie Une approche discursive quantitative et qualitative basée sur le croisement des unités rédactionnelles avec les variables suivantes: •la signature : pour déterminer le rôle des journalistes dans la production des faits d’actualité ; •les sujet(s) de l’article : pour déterminer les grandes tendances dans les thématiques retenues ; 153 •le genre journalistique : pour déterminer la fréquence des travaux de terrain, des articles d’opinion et des informations produites par d’autres sources ; •la distribution des unités rédactionnelles : en fonction des sous-catégories enfance, adolescence et jeunesse. Échantillon • 3 hebdomadaires : Akhbar Al Joumhouriya, Al Osbou Al Moussawar et Al Osboui pendant les mois d’octobre et novembre 2008, soit 285 unités rédactionnelles. • 6 quotidiens : Assabah, Achourouk, Al Horriya, La Presse, Le Renouveau et Le Temps, pendant les mois d’octobre et de novembre 1998 et 2008. Pour l’année 2003 deux titres : Achourouk et La Presse. Le dépouillement de l’ensemble de ces titres nous a conduits à la constitution d’un corpus de 2315 unités rédactionnelles. • Le supplément « Parole de Jeunes » de La Presse durant la période du 15 septembre au 15 décembre 2008. 1.1.- Principaux résultats de l’analyse des quotidiens •L’évolution générale du nombre des unités rédactionnelles entre 1998 et 2008 est marquée par : - la montée exponentielle du nombre de faits divers dans les quotidiens privés (Assabah, Achourouk et Le Temps) et leur absence quasi-totale dans les quotidiens étatiques ; - un agenda politique de forte mobilisation autour de la question de la jeunesse. •La répartition des unités rédactionnelles selon leurs signatures montre : - une progression des contributions féminines inégalement réparties entre les différents titres ; - une disproportion entre les unités produites par les rédactions et celles empruntées à d’autres sources. •Une disproportion entre les genres journalistiques de terrain et les autres genres. Ainsi, sur les 2315 unités rédactionnelles du corpus de la presse quotidienne, 285 relèvent des genres journalistiques de terrain. Même si une légère augmentation a été relevée dans l’intervalle des dix années, cette tendance est relativement stable dans la mesure où elle est partagée par l’ensemble des quotidiens. •Le croisement des unités rédactionnelles avec les différentes variables de la source, de la catégorie d’âge et du genre journalistique permet de constater que : 154 - le critère de la langue du journal ne représente pas un indicateur pertinent par rapport à la thématique étudiée. Aucune différenciation claire n’apparaît entre les quotidiens arabophones et francophones, ni par rapport aux signatures des unités rédactionnelles ni par rapport à la catégorie d’âge et aux genres journalistiques ; - le critère de la ligne éditoriale est un indicateur équivoque car tantôt déterminant tantôt non pertinent pour expliquer les variations au sein de chaque item. La ligne éditoriale apparaît clairement dans les choix des différents titres pour traiter ou non des faits divers. Elle est moins déterminante voire insignifiante par rapport à la signature, aux catégories d’âge et aux genres journalistiques. •Les représentations des enfants, des adolescents et des jeunes dans les six quotidiens étudiés se construisent autour de : - la convergence de l’ensemble des six titres sur la priorité accordée à l’actualité institutionnelle des EAJ; - la divergence entre des titres gouvernementaux qui occultent les faits divers et des titres privés qui les utilisent dans une stratégie de captation des lecteurs et des annonceurs ; - une seconde ligne de partage sépare les quotidiens gouvernementaux des titres privés. Les premiers semblent négliger le vécu des EAJ, alors que les seconds s’y intéressent en termes de différenciation (ils ne ressemblent pas au monde des adultes) et de disjonctions (entre le vécu et ses représentations journalistiques). La participation des adolescents et des jeunes est fortement contrastée entre des titres qui semblent s’en désintéresser (La Presse et dans une moindre mesure Assabah) et les autres titres qui lui donnent des formes variées mais toutes plus proches de la participation formelle que de la participation réelle. La participation des enfants est plus rare et plus équivoque dans la mesure où elle dépasse occasionnellement les deux premiers degrés de l’échelle de la non-participation. La visibilité médiatique de la participation n’est pas détachée des pratiques sociales qui oscillent entre la promotion des droits des EAJ et la légitimation d’une autorité sans partage des adultes. 1.2. - Principaux résultats de l’analyse des hebdomadaires • Les constructions journalistiques de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse dans la presse hebdomadaire paraissent plus soumises que dans la presse quotidienne (cf. la deuxième partie de l’étude) aux conditions économiques de la production journalistique : un marché publicitaire étroit et fortement concurrentiel. Dans ce cadre, il a été observé une forte tendance à la précarisation des rédacteurs professionnels et le recours quasi-systématique aux rédacteurs occasionnels. 155 • L’absence de professionnalisme tant en matière de collecte que de sélection des informations et de leur vérification, tend à privilégier les constructions vraisemblables sur les constructions vérifiables. • L’image d’une enfance victime ou exemplaire s’inscrit beaucoup plus dans des registres de compassion ou de désir d’être que d’information et de débat sur les droits. • L’image des jeunes est le plus souvent dévalorisante et en rupture avec la diversité et la complexité du vécu de la jeunesse. • L’absence de la question de la participation des enfants est en rapport avec les choix éditoriaux des hebdomadaires étudiés mais aussi avec la difficulté à recueillir des témoignages d’enfants. • Si aucune forme de participation des enfants n’a été retrouvée dans le corpus étudié, la participation des jeunes apparaît dans la presse hebdomadaire sous des formes multiples (jeunes lecteurs-rédacteurs ou le micro-trottoir érigé en genre journalistique). Entre la définition normative de la participation, sa transformation en impératif politique et sa traduction en pratiques rédactionnelles, on observe un certain nombre de discontinuités qui ne peuvent que river l’expression de ces catégories aux attentes politico-médiatiques. 1.3 - Analyse du supplément de La Presse de Tunisie : « Parole de jeunes » « Parole de Jeunes » est un supplément hebdomadaire, qui comprend une ou deux pages, selon les numéros, publié dans le quotidien « La Presse de Tunisie » et rédigé par des jeunes rédacteurs (18 à 25 ans) dont leur nombre ne dépasse guère sept. Sa particularité, c’est qu’il est le plus ancien des magazines (première parution, 1980) qui s’adresse - assez régulièrement - à des jeunes et qui est publié en langue française. Les observations générales qui se dégagent de la lecture des numéros du supplément De cette analyse générale, il ressort que d’une part, le supplément ne semble pas fondé sur une cohérence rédactionnelle dans laquelle, les jeunes rédacteurs se déploient à leur aise et disposent d’une liberté de manœuvre ; d’autre part, les thèmes en relation avec les jeunes, les adolescents et les enfants sont traités, généralement, en conformité avec la ligne éditoriale du journal « La Presse ». L’entretien avec les jeunes rédacteurs Dans leur ensemble, les jeunes rédacteurs dénoncent à la fois la censure qui s’empare de leur journal et des médias et l’attitude des responsables adultes à leur égard. Elle serait empreinte d’après eux d’une certaine suspicion voire de méfiance. Pour une nette majorité d’entre eux, ils préfèrent se rabattre sur des médias diffusés sur le web, et particulièrement des stations de radio sur le net qui affichent plus de liberté dans leur programmation. Dans tous les cas, on relève parmi ces jeunes rédacteurs, une méconnaissance manifeste 156 de l’existence même de la Convention internationale des droits de l’enfant et à fortiori, des dispositions qu’elle recèle. L’entretien avec le rédacteur en chef du supplément Il apparaît de façon indéniable que la position et le rôle du rédacteur en chef du supplément est très délicate dans la mesure où il doit concilier, difficilement, entre plusieurs paramètres, eux-mêmes, contradictoires, à savoir : d’une part, la ligne éditoriale du journal et les interprétations faites par les chefs hiérarchiques, d’autre part, les exigences formulées par les jeunes collaborateurs - sans compter les défections de certains d’entre eux - et l’impératif de faire paraître le supplément. II - Synthèse de la participation et de la représentation des EAJ dans les médias audiovisuels L’analyse de la participation et de la représentation des EAJ dans les programmes audiovisuels tunisiens procède d’une approche qualitative qui consiste à soumettre un corpus de programmes sélectionnés à une analyse de contenu destinée à dégager le degré de participation des EAJ et les représentations dominantes à leur endroit. Cette analyse de l’audiovisuel n’a pas la vocation d’être aussi exhaustive que celle relative à la presse écrite, mais elle lui sert de complément. 1 - Présence et représentation des adolescents et des jeunes dans les fictions : Le feuilleton Maktoub (destin), diffusé pendant le mois de Ramadan (septembre) 2008 sur la chaîne nationale ex Tunis 7 (actuelle Tunisia 1) Maktoub propose une incursion provocante dans le vécu d’adolescents et de jeunes plus ou moins en rupture avec les valeurs dominantes de leur environnement familial et/ou social. Par rapport aux deux questions de société les plus délicates traitées par cette fiction, à savoir le racisme et le trafic de drogue, les personnages jeunes sont en première ligne et ils ont souvent le beau rôle face aux adultes. 2 - Le point de vue des professionnels de l’audiovisuel : synthèse de la rencontre sur « enfants, adolescents, jeunes et fictions » organisée par l’UNICEF Pour les scénaristes, réalisateurs, chercheurs et critiques qui ont participé à l’atelier de l’UNICEF du 10 avril 2009, la participation des EAJ dans les fictions est toujours problématique. 157 Beaucoup de scénaristes semblent avoir intégré l’idée que la fiction, c’est « une affaire d’adultes qui s’adressent à d’autres adultes, pas de place donc pour les enfants ». D’autres facteurs expliquent la faible présence des enfants dans les fictions tunisiennes : l’indisponibilité pour les tournages, en raison des impératifs du calendrier scolaire, la rareté des «talents innés de comédien » chez les enfants et « on n’a pas le temps de les former », etc. 3- La présence et la représentation des jeunes dans les émissions de débat à la radio et à la télévision 3.1- Forum de la radio Mosaïque FM L’émission Forum traitant de la question : « Les jeunes : quelle ambition ? Quelle représentation ? » a donné lieu à un débat contradictoire. Les jeunes intervenants ont convenablement rempli leur rôle en apportant la contradiction aux adultes qui les considèrent comme « des boulets à la charge de leurs parents ». Cette émission a eu le mérite de célébrer la fête de la jeunesse en suscitant un débat sur l’image des jeunes dans la société et particulièrement sur la part de vérité des clichés et préjugés négatifs à l’égard des « jeunes d’aujourd’hui ». Mais le concept de cette émission repose uniquement sur les échanges entre auditeurs/trices, donnant lieu à des opinions qui se neutralisent, sans qu’on puisse dégager de conclusion ou de règles de conduites. 3.2- Programme Fi Daïrat Addhaou de Hannibal TV L’analyse a porté sur deux émissions de ce programme, l’une portant sur l’émigration illégale, l’autre sur la violence en milieu scolaire. La première émission a navigué entre deux pôles, celui de la compassion affichée sur le plateau et celui de la stigmatisation implicite des jeunes victimes de l’émigration illégale. La deuxième émission a donné la part belle, dans les reportages présentés, aux adultes et aux hommes au détriment des adolescents, des jeunes et des femmes. La participation de l’enfant, de l’adolescent et du jeune aux débats de société qui les concernent, ainsi que l’équilibre par genre, sont donc loin d’avoir été intégrés dans les émissions de débat à la télévision. III - Synthèse de l’analyse des discours (focus groupes) des EAJ sur les médias Les témoignages des EAJ sur leurs habitudes médiatiques ont été recueillis dans le cadre de focus groupes. 158 Le choix méthodologique du focus groupe (FG) comme moyen de recueil de données se justifie par le fait qu’il donne davantage la possibilité aux enfants, adolescents et jeunes de participer activement à cette étude en faisant entendre leur voix dans le cadre d’un débat libre et franc sur un sujet sensible. Echantillon : 37 enfants, adolescents et jeunes (filles et garçons âgés de 11 à 25 ans) habitant le grand Tunis ont été répartis sur 5 focus groupes : 2 groupes d’enfants /adolescents âgés de 11 à 18 ans et 3 groupes de jeunes âgés de 19 à 25 ans. Les participants ont été choisis pour représenter les EAJ des deux genres, de conditions socio-économiques diverses et de niveaux scolaires variés. Période : Les rencontres avec les participants ont eu lieu durant la période allant du 01 janvier au 01 Mars 2009 avec une durée moyenne de 100 minutes par FG. Les sessions ont consisté en l’exploitation des questions d’une grille d’entretien suivie d’une discussion. Les questionnaires ont été aménagés pour certains groupes en raison soit du faible niveau scolaire, soit du niveau socio-économique et culturel très modeste. Les échanges au sein des FG ont été conduits par un facilitateur assisté par un observateur. Les résultats mettent en lumière l’effort que les médias écrits doivent fournir pour dialoguer avec les jeunes, les faire participer, tenir compte de leurs opinions et les impliquer davantage dans la presse écrite. Ils montrent aussi l’urgence d’une action efficace pour améliorer le problème d’accès aux médias nouveaux pour les EAJ surtout ceux issus de milieux défavorisés. Ces résultats révèlent, également, la nécessité pour les médias d’accorder une attention particulière à la vie des enfants, adolescents et jeunes et pas seulement à leurs problèmes. Ils soulignent aussi l’importance d’intégrer l’éducation aux médias dans les programmes scolaires. Les FG ont mis en évidence le rôle que jouent les fictions dans la question de la diversité et la nécessité d’élargir ce rôle aux autres programmes comme les informations et les débats. Par ailleurs, les jeunes ont montré un intérêt pour les émissions de téléréalité mais ils souhaitent aussi voir traiter les problèmes de société autrement : rechercher les causes profondes des dysfonctionnements et non se contenter des artifices émotionnels. L’analyse des discours a confirmé par ailleurs: • la faible participation des EAJ dans les médias et le refus de ces jeunes d’une participation décor ou symbolique ; • la domination des adultes même dans les programmes destinés aux jeunes et le manque d’opportunités pour une participation les impliquant dans la conception, la 159 production et la réalisation de programmes ; • l’effet obstructif du contrôle sur l’expression de l’opinion des jeunes et la nécessité de libérer l’expression pour développer la créativité, stimuler l’innovation et assurer la visibilité des problèmes pour pouvoir les traiter ; • le principe qu’une participation active et porteuse n’est possible que si elle est accompagnée d’un changement des mentalités; • la présence d’image négative des jeunes essentiellement dans les médias écrits et plus particulièrement dans la presse de langue arabe ; • l’image artificielle des jeunes véhiculée par la TV surtout publique ; • la faible représentation à la TV des catégories défavorisées, des jeunes des quartiers populaires et des jeunes en difficulté ; • l’idée que l’usage de l’arabe littéraire dans certaines émissions peut aboutir à l’exclusion des jeunes analphabètes. Cependant, la perception des EAJ est positive quand il s’agit des chaînes privées jugées plus crédibles, plus audacieuses, plus diversifiées et plus proches de la réalité dans certains programmes. Les EAJ reconnaissent aussi des progrès dans certains domaines comme la multiplication des chaînes, la privatisation des médias, les scénarios de certaines fictions, les programmes sportifs audacieux et les émissions de téléréalité. Les thèmes qui ont émergé de ces FG sont autant de pistes de recherche pour des études ultérieures : des recherches nécessaires pour mieux comprendre les relations entre jeunes et médias surtout la radio, Internet et en particulier les réseaux sociaux tel que Facebook dont l’importance et le rôle ne sont pas négligeables. En conclusion, l’ensemble de ces résultats confirme les axes de recherche définis dans l’étude des FG et qui partaient de l’hypothèse d’une faible représentativité de certaines catégories de jeunes, de la faible participation des jeunes aux médias et du faible intérêt accordé à l’opinion des enfants, des adolescents et des jeunes ainsi que des rapports difficiles que ces derniers entretiennent avec les médias. 160 ANNEXES 1 - La Convention des droits de l’enfant, extraits 2 - Les Principes directeurs de l’UNICEF pour les reportages éthiques sur les enfants 3 - Les Principes directeurs de la FIJ 4 - Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad), extraits 161 1 - La Convention des droits de l’enfant, extraits Article 12 1. Les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. À cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. Article 13 1. L'enfant a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toutes espèces, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen au choix de l'enfant. 2. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d'autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publique. Article 17 Les États parties reconnaissent l'importance de la fonction remplie par les médias et veillent à ce que l'enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses, notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale. À cette fin, les États parties: a) encouragent les médias à diffuser une information et des matériels qui présentent une utilité sociale et culturelle pour l'enfant et répondent à l'esprit de l'article 29; b) encouragent la coopération internationale en vue de produire, d'échanger et de diffuser une information et des matériels de ce type provenant de différentes sources culturelles, nationales et internationales; c) encouragent la production et la diffusion de livres pour enfants; d) encouragent les médias à tenir particulièrement compte des besoins linguistiques des enfants autochtones ou appartenant à un groupe minoritaire; e) favorisent l'élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger 162 l'enfant contre l'information et les matériels qui nuisent à son bien-être, compte tenu des dispositions des articles 13 et 18. 2 - Les Principes directeurs de l’UNICEF pour les reportages éthiques sur les enfants La réalisation d'un reportage sur les enfants et les jeunes présente des problèmes particuliers. Quelquefois, le simple fait d'écrire à leur sujet risque de compromettre leur sécurité et ils risquent d'être victimes de représailles ou mis au ban de la société. L'UNICEF a élaboré ces principes pour aider les journalistes lorsqu'ils enquêtent sur des questions concernant les enfants. Ils sont présentés sous forme de principes directeurs qui devraient, pense l'UNICEF, aider les médias à faire des reportages sur les enfants en tenant compte de leur âge et de la délicatesse du sujet. Ces principes ont pour but d'aider les reporters animés des meilleures intentions : servir le grand public sans compromettre les droits des enfants. 2 . 1- Principes 1. La dignité et les droits de tout enfant doivent être respectés en toute circonstance. 2. Lorsqu'on enquête sur les enfants ou lorsqu'on les interroge, il faut accorder une attention particulière au droit de tout enfant à la confidentialité et au respect de sa vie privée, à son droit de se faire entendre, à participer aux décisions qui l'affectent et à être protégé contre toutes formes de violences et représailles, y compris le risque même de violences et représailles. 3. L'intérêt supérieur de tout enfant est plus important que toute autre considération, y compris le plaidoyer pour les questions d'enfants et la promotion des droits de l'enfant. 4. Lorsqu'on essaie de déterminer l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit de l'enfant à se faire entendre doit être pris en compte, en fonction de son âge et de sa maturité. 5. Les personnes les plus proches de l'enfant, les mieux placées pour évaluer sa situation, doivent être consultées à propos des conséquences politiques, sociales et culturelles de tout reportage. 6. Ne pas publier un article ou une photo qui risque de mettre l'enfant, ses frères et sœurs ou ses camarades en danger, même lorsque les identités sont changées, obscurcies ou non utilisées. 2 . 2 - Principes directeurs concernant les interviews d'enfants 1. Ne pas nuire à quelque enfant que ce soit; éviter les questions, attitudes et commentaires qui reflètent des jugements de valeur, qui sont insensibles aux valeurs 163 culturelles, qui mettent l'enfant en danger ou l'exposent à l'humiliation, ou qui raniment la douleur et le chagrin provoqués par des événements traumatisants. 2. Ne pas faire de discrimination lors du choix des enfants pour les interviews fondées sur le sexe, la race, l'âge, la religion, le statut social, l'éducation ou les capacités physiques. 3. Ne pas faire de mise en scène. Ne pas demander aux enfants de raconter une histoire ou de faire quelque chose si cela ne fait pas partie de leur propre expérience vécue. 4. S'assurer que l'enfant ou la personne qui s'occupe de lui savent qu'ils parlent à un journaliste. Expliquer le but de l'interview et la façon dont elle sera utilisée. 5. Obtenir la permission de l'enfant et de la personne qui est responsable de lui pour toutes les interviews, les vidéos et, dans la mesure du possible, les photos de documentaire. Le cas échéant, lorsque cela est approprié, cette permission devrait être donnée par écrit. La permission doit être obtenue en veillant à ne pas faire pression sur l'enfant ou la personne qui s'occupe de lui et en s'assurant qu'ils comprennent qu'ils font partie d'une histoire qui risque d'être diffusée sur place ou dans le monde entier. Il faut veiller à obtenir la permission de l'enfant dans sa langue à lui et à ce que la décision soit prise en accord avec un adulte auquel l'enfant fait confiance. 6. Choisir soigneusement l'endroit où l'enfant est interviewé et la façon dont l'interview est menée. Limiter le nombre d'interviews et de photos. Essayer de s'assurer que l'enfant est à l'aise et capable de raconter son histoire sans pression de l'extérieur, y compris celle d’être interviewé ! Lors des interviews filmées ou enregistrées pour la radio, tenir compte du décor visuel ou audio et de ce que ce décor peut sous-entendre vis à vis de l'enfant, de sa vie et de son histoire. 7. S'assurer que la sécurité de l'enfant ne sera pas compromise si l'on diffuse des images de son foyer, de sa communauté ou de son environnement en général. 2 . 3 - Principes directeurs concernant les reportages sur les enfants 1. Ne pas accentuer la stigmatisation d'un enfant; éviter d'étiqueter les enfants et de les décrire de manière à les exposer à des représailles, notamment des violences physiques et psychologiques, ou à des discriminations ou à la mise au ban de leur communauté. 2. Donner toujours le contexte exact d'un article sur l'enfant ou d'une image de lui ou d’elle. 3. Toujours changer le nom et masquer l'identité visuelle de tout enfant qui est présenté comme : a. victime d'abus ou d’exploitation sexuels, b. auteur d'abus sexuels ou d'actes de violence physique, c. séropositif, vivant avec le SIDA ou décédé du SIDA, sauf si l'enfant, un parent ou le tuteur donne une autorisation dûment informée, 164 d. accusé ou coupable d'un crime. 4. Dans certaines circonstances, si un enfant risque d'être victime de représailles, il convient de changer le nom et masquer le visage de tout enfant présenté comme : a. un enfant soldat, actuel ou passé, b. un demandeur d'asile, un réfugié ou une personne déplacée à l'intérieur de son propre pays. 5. Dans certains cas, utiliser l'identité de l'enfant - son nom et/ou sa photo reconnaissable - peut le mieux servir ses intérêts. Toutefois, lorsqu'on se sert de l'identité d'un enfant, il faut continuer à le protéger et à le soutenir contre toute stigmatisation et toutes formes de représailles. Certains exemples de ces cas spéciaux : - lorsqu'un enfant entre en contact avec un reporter, souhaitant exercer son droit de libre expression et son droit à se faire entendre, - lorsqu'un enfant se considère comme un militant et/ou fait partie d'un programme de mobilisation sociale et tient à être identifié de cette manière, - lorsqu'un enfant est engagé dans un programme psychosocial et que l'affirmation de son nom et de son identité fait partie de son épanouissement. 6. Obtenir la confirmation de ce que l'enfant a à dire, que ce soit auprès d'autres enfants, ou d'un adulte, et de préférence auprès des deux. 7. En cas d'incertitude concernant la sécurité d'un enfant, préparer le reportage sur la situation générale des enfants plutôt que sur un enfant particulier, quel que soit l'intérêt de son histoire. 2 . 4 - Protéger les enfants à risque : masquer l’identité visuelle La Convention relative aux droits de l'enfant réglemente les droits des enfants à la vie privée et à la protection dans tous les médias. Lors de la création d'images, il est obligatoire de prendre en considération cette réglementation. De ce fait, les groupes « des enfants à risque » suivants ne devraient jamais être identifiés visuellement. Il s’agit des enfants victimes d’abus sexuel, les séropositifs, ainsi que les enfants accusés ou reconnus coupables d'un crime. Nous recommandons en outre que les enfants soldats armés, ou à risque d'être maltraités en cas de leur identification, ne doivent pas être visuellement reconnus..... Pour ce qui est des enfants souhaitant être identifiés afin de faire connaître leur histoire, ils font dans ce cas précis une exception. Par ailleurs, il existe diverses manières permettant de faire de la créativité en prenant des images, dans un respect total de l’identité des personnes photographiées. Ainsi, il n’est pas permis d’utiliser une bande noire ou la pixellisation des visages dans le but de protéger leur identité, parce que ces procédés techniques affectent la qualité de l'image et minimisent leur impact. L’image de ces personnes peut être également interprétée comme s'il s’agissait de criminel… 165 2 . 5 - Utilisation du matériel de communication de l'UNICEF Tout le matériel de l'UNICEF est protégé par les droits d'auteur, que ce soient les textes, les photos, les images et croquis et les images vidéo. La permission de reproduire une partie du matériel de l’UNICEF doit être obtenue auprès du bureau de l'UNICEF d'origine et elle ne sera accordée que si les principes figurant dans ce document ont été respectés. 3 - Les Principes directeurs de la FIJ Ces lignes directrices ont été adoptées par des organisations de journalistes de 70 pays réunis à la première conférence consultative internationale mondiale sur les Droits de l'enfant et les Médias, tenue à Récife, Brésil, le 2 mai 1998. Tous les journalistes et les professionnels des médias ont le devoir de préserver les normes éthiques et professionnelles les plus élevées ; ils devraient promouvoir au sein de cette industrie la diffusion la plus large possible des informations sur la Convention internationale des Droits de l'Enfant et de ses implications dans l'exercice d'un journalisme indépendant. Les organisations médiatiques devraient considérer toute violation des droits de l'enfant et tous problèmes relatifs à la sécurité, au bien-être, à l'éducation, à la santé et à la protection sociale, ainsi que toutes formes d'exploitation de ceux-ci comme des questions importantes, qui devront faire l'objet d'enquêtes et d'un débat public. Les enfants ont le droit absolu de protection de vie privée, les seules exceptions étant celles explicitées dans ces lignes directrices. L'activité journalistique touchant à la vie et au bien-être des enfants devrait toujours être menée en tenant compte de la vulnérabilité de ces derniers. Les journalistes et les organisations médiatiques s'efforceront de se conformer à un comportement éthique de la plus haute qualité dans les reportages sur des affaires impliquant des enfants et, en particulier : 1. ils s'efforceront de respecter les normes les plus hautes quant à la véracité et à la sensibilité des reportages sur des questions liées aux enfants ; 2. ils éviteront la programmation et la publication d'images qui, dans l'espace réservé aux enfants, pourraient leur être dommageables ; 3. ils éviteront de faire usage de stéréotypes, et ils ne pourront recourir à des présentations à sensation visant à promouvoir un matériel journalistique où des enfants 166 sont en cause ; 4. ils envisageront avec soin les conséquences de la publication de tout matériel concernant les enfants, et réduiront au maximum tout dommage pour ceux-ci ; 5. ils s'abstiendront de toute identification visuelle inutile d'enfants et, le cas échéant, ils useront de pseudonymes dans leurs interviews ; 6. ils accorderont aux enfants, dans la mesure du possible, un droit d'accès aux médias pour qu'ils puissent exprimer leurs propres opinions, sans incitation d'aucune sorte ; 7. ils assureront une vérification indépendante de l'information fournie par des enfants, et mettront un soin particulier à garantir que cette vérification ne fera pas courir de risques à l'enfant informateur ; 8. ils éviteront d'utiliser des images sexualisées d'enfants ; 9. ils useront de méthodes honnêtes dans l'obtention d'images et, dans la mesure du possible, ils les obtiendront au su et avec le consentement des enfants ou d'un adulte responsable, tuteur ou toute personne chargée de veiller sur eux ; 10.ils vérifieront les qualifications de toute organisation prétendant s'exprimer au nom des enfants, ou de représenter les intérêts de ces derniers ; 11. ils ne feront aucun paiement à l'enfant, ou aux parents, ou aux "responsables légaux" de l'enfant pour des informations touchant au bien-être de l'enfant, sauf si ce faisant, il y a bénéfice pour les intérêts de l'enfant. Les journalistes devraient soumettre à un examen critique, dans leur pays respectif, les rapports à leur disposition et leurs propres rapports ainsi que les plaintes faites par les Gouvernements concernant la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies sur les Droits de l'Enfant. Les journalistes et les organisations médiatiques ne doivent pas envisager la question enfant et couvrir ces questions uniquement sous l'angle de "l'événement ou du scoop" mais s'attacher à couvrir en profondeur et en permanence la question qui débouchera ou contribuera à créer ces "événements". 4 - Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad), extraits Adoptés et proclamés par l’Assemblée générale dans sa résolution 45/112 du 14 décembre 1990 D. Les médias 40. Il faudrait encourager les médias à assurer aux jeunes l’accès à des informations 167 et à des documents provenant de sources nationales et internationales diverses. 41. Il faudrait encourager les médias à mettre en relief le rôle positif des jeunes dans la société. 42 Les médias devraient être encouragés à diffuser des renseignements sur les services et les possibilités qui s’offrent aux jeunes dans la société. 43. Il faudrait inciter les médias en général, et la télévision et le cinéma en particulier, à faire le moins de place possible à la pornographie, à la drogue et à la violence, à présenter la violence et l’exploitation sous un jour défavorable, à éviter de représenter des scènes humiliantes et dégradantes, notamment, en ce qui concerne les enfants, les femmes et les relations interpersonnelles, et à promouvoir les principes d’égalité et les modèles égalitaires. 44. Les médias devraient être conscients de l’importance de leur rôle et de leurs responsabilités sur le plan social, ainsi que de l’influence qu’ils exercent par leurs messages relatifs à l’abus des drogues et de l’alcool chez les jeunes. Ils devraient mettre cette influence au service de la prévention de cet abus en diffusant des messages cohérents et impartiaux. Il faudrait encourager l’organisation, à tous les niveaux, de campagnes efficaces de sensibilisation au problème de la drogue. 168 169