L`ambigu statut des courtiers grossistes, Lamy Assurances n
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L`ambigu statut des courtiers grossistes, Lamy Assurances n
2 0 1 A 2 Lamy Assurances ACTUALITÉS ➜ ÉCLAIRAGE L’ambigu statut des courtiers grossistes Comment appliquer la réglementation assurantielle à cet acteur important du marché de l’assurance pourtant ni distributeur ni preneur de risques ? C’est à cette question que les auteurs tentent de répondre. N° 198 octobre 2012 ISSN 1257-1814 Ce bulletin actualise votre ouvrage entre deux éditions Pour vous abonner à l’ouvrage et à son actualisation, contactez-nous au 3 Par Lionel LEFEBVRE Avocat à la Cour 3 et Eric LE GUILCHER Responsable juridique Les courtiers grossistes conçoivent des produits d’assurance, les placent et/ou les souscrivent auprès d’organismes assureurs, les présentent à un réseau de courtiers directs indépendants, réseau qu’ils animent. Cette définition ne résulte pas de la règlementation, « le législateur n’a[yant] pas envisagé la situation des courtiers d’assurance grossistes » (Bigot J. : « Les courtiers d’assurance grossistes : une clarification attendue », JCP G 2009, no 41, 83) mais du Code de conduite établi par la Chambre Syndicale des Courtiers d’Assurance (CSCA) notamment pour pallier un vide juridique pour le moins ennuyeux. I. Un statut de courtier intermédiaire en assurance contestable Le Livre V du Code des assurances relatif aux « intermédiaires en assurance » vise une activité et non un statut. L’article L. 511-1 du Code des assurances dispose, en effet, qu’est intermédiaire en assurance : « toute personne qui, contre rémunération, exerce une activité d’intermédiation en assurance ou en réassurance ». Autrement dit, pour relever de cette catégorie, il est nécessaire d’exercer une activité d’intermédiation et non simplement d’en revendiquer le statut. Or, sauf exception, l’activité du courtier grossiste ne correspond pas à l’activité d’intermédiation qui, définie par l’article L. 511-1 précité, consiste à : « présenter, proposer ou aider à conclure des contrats d’assurance ou de réassurance ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion ». La conception de produits ou leur gestion caractérisant l’activité du courtier grossiste ne relève pas, en effet, de la présentation d’opérations d’assurance ni des « travaux préparatoires », lesquels, pour justifier une activité d’intermédiaire en assurance, doivent en tout état cause être réalisés par une « personne qui présente, propose ou aide à conclure une opération d’assurance ». Cette analyse est confirmée par l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP, ex-ACAM) indiquant que « le courtier grossiste n’est pas un intermédiaire d’assurance au sens classique du terme : il ne fait pas le lien entre organisme d’assurance et le client final » (ACAM, Rapport d’activité 2009, p. 33.). En l’absence d’acte de présentation des produits d’assurance aux clients, le courtier q SOMMAIRE ÉCLAIRAGE ......................................................... 1 L’ambigu statut des courtiers grossistes ACTUALISATION DE L’OUVRAGE 3 Faute intentionnelle et volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu ........................ 5 3 Assurance facultative et détermination du TEG ..... 6 PRATIQUE ........................................................... 9 SOMMAIRE RÉCAPITULATIF ................................. 12 A grossiste ne devrait pouvoir être considéré comme réalisant une activité d’intermédiaire en assurance soumis à la règlementation assurantielle. Le Code de conduite rappelant que les obligations d’information et de conseil prévues par cette règlementation ne visent que le courtier direct et ne s’applique pas au grossiste se révèle à cet égard d’une portée limitée. Le « courtier en assurance » constituant une catégorie d’intermédiaire en assurance, le courtier grossiste ne devrait pouvoir davantage revendiquer ce statut, lequel paraît tout à fait inadapté. En premier lieu, l’absence de lien avec les clients finaux semble antinomique avec le statut de courtier réputé mandataire de l’assuré (le lien existant dans le cadre de la gestion avec le client n’est pas un lien direct, la gestion étant généralement effectuée pour le compte de l’assureur). En second lieu, l’élaboration et la gestion des produits d’assurance, prérogatives de l’organisme d’assurance, traduit une intervention du courtier grossiste pour le compte de l’assureur en tant que mandataire de ce dernier. Or, la qualité de mandataire d’assurance semble incompatible avec l’activité des courtiers grossistes. L’article R. 511-2 du Code des assurances précise, en effet, que : « l’activité des personnes visées Le courtier grossiste s’apparente à un prestataire de services exerçant une activité non réglementée d’assistance de l’assureur. au 3o [Mandataire d’assurance] […] ]est limitée] à la présentation, la proposition ou l’aide à la conclusion d’une opération d’assurance », prestations que ne réalisent justement pas le courtier grossiste (cf. supra). Sur le plan juridique, le courtier grossiste semble donc s’apparenter à un prestataire de services exerçant une activité non réglementée d’assistance de l’assureur dans la conception la gestion de produits d’assurance et la distribution incombant aux seuls courtiers directs. Ce statut de courtier présente néanmoins plusieurs intérêts. Il peut être retenu par les grossistes notamment pour justifier une qualité de mandataire de l’assuré dans ses relations avec l’assureur lui permettant de négocier pour l’ensemble du portefeuille et, le cas échéant, de le transférer par simple résiliation des contrats en cours (suivie d’une re-souscription) pour le compte des assurés. Ce statut permet également au courtier grossiste de bénéficier d’une exonération de TVA, dont l’application peut toutefois sembler contestable. L’article 261 C du Code général 2 des impôts précise que sont exonérées « les opérations d’assurance et de réassurance ainsi que les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et intermédiaires d’assurances ». Autrement dit, le statut de courtier n’est pas suffisant, il faut encore, pour justifier l’exonération, que les prestations réalisées soient « afférentes » à une opération d’assurance. La conception de produits d’assurances ne relève pas, à notre sens, de cette catégorie de prestations. Il en va de même, a priori, de la gestion pour compte. Sur ce point, la CJCE a d’ailleurs jugé que l’activité consistant à « traiter des demandes d’assurance, à évaluer les risques à assurer, à apprécier la nécessité d’un examen médical, à décider de l’acceptation du risque lorsqu’un tel examen ne s’avère pas nécessaire, à procéder à l’émission, à la gestion et à la résiliation des polices d’assurance ainsi qu’à des modifications tarifaires et contractuelles, à encaisser les primes, à gérer les sinistres, à fixer et à payer les commissions des intermédiaires d’assurance et à assurer le suivi des contacts avec ceux-ci » n’est pas exonérée de TVA faute de lien suffisant avec l’activité d’intermédiaire, à savoir la recherche de prospects et mise en relation avec l’assureur (CJCE, 3 mars 2005, aff. C-472/03, Arthur Andersen). Revêtir le statut de courtier pourrait caractériser, dans ces conditions, un abus de droit dont l’unique objet serait d’écarter une réglementation fiscale applicable. Il résulte de ce qui précède que la réglementation assurantielle ne semble pas devoir concerner le courtier grossiste. Ces derniers resteraient toutefois soumis au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) visant, outre les intermédiaires en assurance, « toute personne ayant reçu d’un organisme pratiquant des opérations d’assurance un mandat de souscription ou de gestion ou souscrivant à un contrat d’assurance de groupe » (C. mon. fin., art. L. 612-2). C’est d’ailleurs dans cette hypothèse que le rôle assumé par le courtier grossiste soulève le plus de difficultés. II. Un cumul de statuts critiquable Le courtier grossiste revêt très généralement en pratique le statut de courtier, par nature professionnel indépendant et celui de gestionnaire pour compte de l’assureur. La conjonction de ces différents statuts, déjà complexe, ne manque pas de poser certaines questions lorsque s’additionne le statut de souscripteur d’assurances collectives. Ce cumul de statuts est source d’incertitudes d’une part, et d’inquiétudes quant aux pouvoirs exorbitants qu’il peut conférer au courtier grossiste, d’autre part. On rappellera que les dispositions du Code des assurances applicables aux contrats d’assurance de groupe (C. assur., art. L. 141-1 et s.) ne concernent que les assurances de per- Lamy Assurances q ACTUALITÉS q No 198 q Octobre 2012 sonnes et ne devraient pas s’appliquer en matière d’assurances de chose. La jurisprudence reste néanmoins pour le moins hésitante à ce sujet (cf. CA Paris 7e ch. sect. A, 2 nov. 2004, no RG : 03/06929 pour une application de l’article L. 141-4 à un contrat groupe d’assurance dommages. Dans un sens opposé : CA Paris 7e ch. sect. A, 14 nov. 2006, no RG : 05/08791 refusant l’application des dispositions des articles L. 141-1 et s. du Code des assurances). Cette hésitation traverse également la doctrine (Groutel H. Traité du contrat d’assurance terrestre Litec, 2008, no 106, p. 52). Quoi qu’il en soit, sans appliquer in extenso les dispositions des articles L. 141-1 et suivants aux assurances de dommages aux biens, certains principes semblent intangibles. Au premier chef, il faut reprendre celui qui exige qu’ « un lien de même nature unisse les adhérents au souscripteur » (C. assur., art. L. 141-1, al. 2). Ce lien se retrouve aisément dans nombre de cas où des associations (sportives, de chasseurs,…) ou des fédérations (d’agriculteurs, de professions libérales,…) souscrivent des contrats groupe dans le but de faire bénéficier leurs adhérents de conditions d’assurance dommages négociées au mieux de leurs intérêts. Or, lorsque le souscripteur d’un contrat similaire n’est plus une association, mais un courtier grossiste, quel « lien de même nature » préalable à l’adhésion d’assurance, peuvent partager ces assurés/adhérents pour leur autoriser l’accès au contrat d’assurance savamment négocié par le courtier grossiste/souscripteur ? Ce lien, si difficile à établir, est encore altéré par le mode de distribution du produit. La distribution effective du produit étant opérée par des courtiers directs détenteurs de leur clientèle, le lien entre l’assuré/adhérent et le courtier grossiste/souscripteur s’en trouve a minima sérieusement distendu sinon inexistant. Certains auteurs n’hésitent pas à en déduire qu’il s’agit de faux groupes d’assurés, ceux-ci n’étant pas préconstitués (Bigot J., Traité du droit des assurances, Tome III, LGDJ 2003, no 779, p. 579). L’opération collective devrait, faute de lien de même nature, être requalifiée en opérations individuelles, le courtier grossiste perdant de ce fait sa qualité de souscripteur. A la supposer justifiée, cette qualité de souscripteur soulève des difficultés dans le cadre de l’exécution du contrat et du partenariat entre le courtier grossiste et l’entreprise d’assurance. On rappellera que le courtier grossiste est souvent mandaté par la compagnie d’assurance pour gérer administrativement le contrat distribué. Cette délégation de gestion comprend généralement la gestion des souscriptions, de la production administrative des contrats, de l’appel et de l’encaissement des primes et la gestion des sinistres et des contentieux de primes. Sur ce dernier point, il incombe en principe au souscripteur de payer la prime d’assurance, les cotisations des adhérents étant dues au souscripteur de l’assurance collective. Faut-il entendre dans cet engagement du courtier grossiste, qu’en cas de défaillance d’un assuré/adhérent, c’est à lui d’assumer le paiement de la totalité de la prime impayée (sur une période d’assurance courue) ? Doit-on appliquer les dispositions classiques de l’article L. 113-3 du Code des assurances ou bien celles spécifiques aux contrats de groupe de l’article L. 141-3 de ce même code prévoyant l’exclusion de l’adhérent du groupe assuré et non la résiliation de l’assurance ? En somme, se pose la question de savoir à l’aune de quel statut (souscripteur ou gestionnaire) le courtier doit répondre d’un défaut ou retard de paiement envers l’assureur, que celui-ci résulte de luimême ou de l’adhérent. En tant que souscripteur, il sera tenu vis-à-vis de l’assureur de la cotisation non payée. En tant que mandataire de l’assureur, il n’en est pas tenu et ne répondra que de l’inexécution ou de l’exécution défaillante de sa mission. Outre ce point spécifique, le double statut de gestionnaire et de souscripteur pose plus généralement la question du droit applicable à la relation de ce dernier avec l’assureur. Relève-t-elle du droit des assurances ou du droit commercial ? Il en va ainsi du préavis de rupture des relations contractuelles entre assureur et courtier grossiste/souscripteur d’une durée de deux mois comme classiquement admis en droit Une fois l’opération d’assurance nouée, le courtier grossiste paraît bénéficier de pouvoirs potentiellement exorbitants liés à la multiplicité de ses statuts. des assurances mais devant être « suffisant » en matière de droit commercial. Au demeurant, la rupture avec un gestionnaire est sans incidence sur les adhésions alors que la résiliation d’un contrat collectif retentit, sauf stipulations contraires, automatiquement sur celles-ci. On relèvera également les règles de prescription de deux ans en matière d’assurance qui sont portées à cinq ans en matière commerciale (cf. C. com., art. L. 110-4). Enfin, il a été mentionné que le courtier grossiste n’assume pas d’obligation d’information et de conseil, laquelle incombe au courtier direct. Cette règle résultant du Code de conduite précité, vise uniquement les obligations d’information et de conseil reprise à l’article L. 520-1 du Code des assurances. Quid de l’articulation avec l’obligation d’information du souscripteur visà-vis des adhérents prévue à l’article L. 141-4 du Code des assurances ? L’absence de remise de la notice d’information par le courtier direct engage-t-elle la responsabilité du courtier grossiste ? Les défauts affectant les documents contrac- q 3 A tuels conçus par le courtier grossiste engagent-ils la responsabilité de ce dernier ou celle de l’assureur chargé, selon l’article L. 141-4 du Code des assurances, de les établir ? Ces quelques exemples illustrent le nœud gordien d’une relation entre le courtier grossiste et l’assureur qui peut sembler simple a priori : celle du mandant et de son mandataire. Chaque situation juridique rencontrée peut être traduite aisément en une relation mandant/mandataire. Il en est ainsi du client/assuré et de son courtier, de l’assureur et de son gestionnaire ou encore du courtier grossiste et du courtier direct. Mais le nœud se forme et enfle parce qu’au sein de la même personne (morale ou physique : le courtier grossiste) les statuts de mandant et de mandataire s’additionnent de sorte qu’il devient difficile de déterminer pour le compte de qui, assureur ou assuré, intervient le courtier grossiste. En pratique, une fois l’opération d’assurance nouée, le courtier grossiste paraît bénéficier de pouvoirs potentiellement exorbitants liés à la multiplicité de ses statuts. Il peut résilier les 4 adhésions pour le compte des assurés qu’il représente en tant que courtier et les accepter en tant que mandataire de l’assureur, avec un risque d’effacement de l’assureur et de l’assuré. En centralisant l’encaissement des primes et le paiement des prestations dans le cadre de sa mission de gestion, il peut être amené à assumer directement un rôle d’assureur en procédant par compensation. La qualité de souscripteur lui permet, en outre, de déplacer par simple résiliation du contrat collectif le portefeuille d’un assureur vers un autre. Le rôle de l’assureur se limite alors à apporter les garanties prudentielles nécessaires sans véritable pouvoir de contrôle. Cette situation susceptible de retirer à l’assureur tout pouvoir sur son activité semble incompatible avec les objectifs de la directive no 2009/138/CE du 25 novembre 2009, Solvabilité II, (JOUE 17 déc. 2009, no L 335), dont l’article 49 impose notamment à l’organisme d’assurance de mettre en place des mécanismes lui permettant d’assurer la maîtrise du risque opérationnel et la continuité de l’activité. Cette directive milite en tout cas pour la définition réglementaire de la notion de courtier grossiste et l’encadrement de son activité et des statuts différents qu’il peut revêtir. ✜