chapitre 6 - Les dossiers noirs du transport aérien

Transcription

chapitre 6 - Les dossiers noirs du transport aérien
1
Retour d’expériences
d’un commandant de bord sous pression
par
Henri Marnet-Cornus
(ancien pilote de chasse)
(ancien commandant de bord)
Prologue : sécurité et rentabilité dans le transport aérien
Introduction : utopie et illusion
Le commandant de bord a-t-il encore des pouvoirs ?
Drôles d’oiseaux…
2
1948
1967
1969
1971
2000h
5000h
8000h
17000h
1978
1984
1985
1988
1989
1990
1991
2001
2002
Brevet de Pilote Privé Avion. Aéro-club de l’Albigeois
Début d’activité dans l’Armée de l’Air Française CM170 T33 MIVA
Brevet de Pilote de Chasse
8e Escadre de Chasse MIVA
e
7 Escadre de Chasse MIVA
e
2 Escadre de Chasse Mirage IIIB, IIIC
13e Escadre de Chasse Mirage IIIE, SPA83 CHIMERES
CPIR Falcon XX SNA
93e Escadre de Ravitaillement en Vol Commandant de Bord C135F
Brevet de Pilote Professionnel de 1ère Classe
Début d’activité dans l’Aéronautique Civile
Compagnie POINT AIR B707 DC8.60 DC8.70
Compagnie EAS B737.200
Brevet de Pilote de Ligne Commandant de Bord B737.200
Compagnie AIR OUTRE-MER Commandant de Bord DC10.30
Compagnie AOM
Commandant de Bord Airbus A-340
Compagnie Air Lib, licencié à cause de mon engagement pour la Sécurité
Autre formation : Diplôme Universitaire d’Astronomie-Astrophysique (1999)
3
Prologue
Sécurité et rentabilité dans le Transport Aérien.
Postulat n°1 : la sécurité des passagers est l’objectif n°1 du
Transport Aérien
Le mot ‘’sécurité’’ est, en effet, présent dans tous les documents de référence tels que
la Réglementation du Transport Aérien, le Code de l’Aviation Civile, les Manuels
d’Exploitation…etc. Par exemple, pour l’obtention et le renouvellement du Certificat
de Transporteur Aérien (CTA), l’Autorité impose aux compagnies aériennes de disposer
d’une structure d’encadrement éprouvée et efficace lui permettant d’assurer la
sécurité des opérations aériennes, d’établir un Système Qualité pour assurer la sécurité
de l’exploitation, d’adopter un programme de prévention des accidents et de sécurité
des vols. La partie A du Manuel d’Exploitation des compagnies aériennes définit les
responsabilités et les tâches de l’encadrement ; ainsi le Directeur des Opérations en
Vol doit-il garantir le maintien d’un haut niveau de sécurité, le Directeur des
Opérations et Services chercher à atteindre le plus haut degré possible de sécurité, le
Responsable Sécurité des Vols améliorer la sécurité aérienne…etc, jusqu’au Président
Directeur Général de la compagnie qui est invité à s’engager par écrit sur la politique
qualité : La sécurité est la première des attentes de nos passagers. Nous devons tout
mettre en œuvre pour garantir la sécurité des vols… Quant aux Commandants de Bord,
en application du Code de l’Aviation Civile, ils sont responsables de la sécurité de
l’avion, des passagers, de l’équipage et du fret.
[ Remarque : les Commandants de Bord sont les seuls à être responsables de la sécurité. L’encadrement
a des obligations de sécurité, la nuance est importante. ]
En fonction de cette exigence, postulat n°1, les compagnies aériennes doivent tout
mettre en œuvre pour satisfaire cet objectif. Selon le Règlement du Transport Aérien,
le Dirigeant Responsable d’une compagnie, le PDG, doit s’assurer que toutes les
opérations et toutes les activités d’entretien peuvent être financées et mises en œuvre
au niveau exigé par l’Autorité.
Postulat n°2 : la rentabilité est l’objectif n°1 de toute entreprise
Contradiction : Le niveau de sécurité exigé par la réglementation n’est pas un niveau
minimum, il requiert des moyens importants, la sécurité a un coût. Or, depuis plusieurs
années, on ne cesse de répéter que ce secteur d’activité, le Transport Aérien, doit
« diminuer ses coûts » et « augmenter sa productivité » pour devenir « rentable » Saiton seulement ce que cela signifie ? Peut-on avoir ce genre de discours lorsqu’il s’agit
de transporter des passagers ? Peut-on satisfaire aux exigences de sécurité décrites ci-
4
dessus en réduisant tous les coûts ? Peut-on satisfaire aux exigences de sécurité
décrites ci-dessus avec des objectifs d’entreprise ? Une compagnie aérienne est-elle
une entreprise sans spécificités particulières ? Avoir une activité maximale avec un
minimum de moyens, voilà ce que les décideurs proposent, un minimum de sécurité
pour les passagers et membres d’équipage prenant place à bord des avions. Certains
vont jusqu’à affirmer : « faire de la sécurité l’objectif n°1 c’est être moins compétitif
car cela augmente les coûts »… La logique et le bon sens ne peuvent que réfuter ce
genre d’arguments.
La Marine Marchande en a fait l’expérience il y a quelques années et, depuis, nous en
subissons régulièrement les conséquences. A cause d’une logique mercantile, des
pétroliers polluent régulièrement nos côtes, la rentabilité étant privilégiée au
détriment de la sécurité.
Diminuer les coûts, augmenter la productivité sont donc des objectifs d'entreprise
difficilement applicables dans une compagnie aérienne. Avoir une activité maximale
avec un minimum de moyens n’est pas compatible avec le transport de passagers, il
faut le répéter, car cela induit un minimum de sécurité pour ceux qui prennent place à
bord des avions. Ce genre de politique d’entreprise est un acte générateur de risque
que l’on peut écarter en choisissant d’engager une réflexion saine pour fixer le cadre
rigide à ne pas dépasser. Ce cadre existe, ce sont les règles de la Sécurité des Vols. Elles
sont issues de la logique et du bon sens… La Sécurité des Vols, prévention des
accidents, impose une réflexion permanente. Si, en Aviation, le risque zéro n’existe
pas, l’objectif d’une Compagnie Aérienne doit être de le faire tendre vers zéro. La
Sécurité des Vols doit servir de lien transversal entre tous les services impliqués dans la
réalisation des vols.
Mais la logique et le bon sens peuvent-ils cohabiter avec la rentabilité ? Avoir
l’obsession de la rentabilité dans le Transport Aérien impose des effectifs réduits, peu
ou pas de matériels, peu ou pas de pièces de rechange, des repos mini, des conditions
de travail précaires, etc... Les avions sont en mauvais état, le climat social est instable
car les conflits se multiplient, on fait des impasses techniques, on bidouille avec la
réglementation, les services s'isolent peu à peu les uns des autres, la compagnie se
fragilise, le personnel est fatigué, démotivé... c'est un milieu favorable à l'accident.
Un accident aérien n’est jamais la conséquence d’une seule erreur mais toujours la
dramatique conclusion d’une série d’évènements limitant tour à tour les choix de
l’équipage. C’est ce que l’on appelle « la chaîne de l’erreur ». En cherchant avec
acharnement à diminuer les coûts et à augmenter la productivité pour assurer la
rentabilité, les décideurs prennent place dans la chaîne de l’erreur. On ne peut, en
Aviation, limiter les moyens, les effectifs, les temps de repos sans réfléchir aux
conséquences. C’est pourtant dans cette voie, qu’ils avancent, résolument… Jusqu’à
quand ?
Car c’est évidemment LA question qu’il faut leur poser :
« Les coûts, quand cesse t’on de les réduire ? »
5
« On les réduit au maximum ! », répondront les businessmen…
« Mais on sort du cadre rigide !!!, répliqueront les aviateurs
« Y’a pas d’mais, circulez… »
Coûts minimum = minimum de sécurité
Quelle solution ?
Le Transport Aérien a besoin d’excellence. Si les dirigeants des compagnies admettent
que les coûts doivent être adaptés aux objectifs de sécurité, nous ferons un pas dans
cette direction, car c’est un minimum de risque que nous offrirons aux passagers et
non plus un minimum de sécurité.
Coûts adaptés = minimum de risque.
Le niveau de sécurité d’une compagnie aérienne se mesure au discours de ses
dirigeants. En fonction des options qu’ils choisissent, ils créent un environnement plus
ou moins favorable à la Sécurité des Vols.
Minimum de risque ou minimum de sécurité ?
Qu’en pensent les passagers ?
Est-il nécessaire de poser la question ?…
6
Introduction
utopie et illusion
Avoir commencé ma carrière d’Aviateur professionnel à l’Escadron de Chasse 1/13
ARTOIS, SPA83 CHIMERES est sans doute un symbole. Si la passion m’a poussé à vivre
intensément toutes ces années, c’est l’utopie et l’illusion de pouvoir « changer les
choses » qui, vers la fin, m’auront guidé jusqu’à la rupture.
De septembre 1990 à septembre 2002, j’ai appartenu à la même compagnie. D’abord
dénommée Air Outre Mer, elle a été rebaptisée AOM puis Air Lib suite à la fusion avec
Air Liberté. Mon engagement de Pilote de Ligne Commandant de Bord pour la sécurité
a été permanent jusqu’à mon élimination, à 54 ans, par licenciement pour « faute
grave » le 20 septembre 2002.
A partir de 1997, j’ai été en conflit constant avec ceux qui, pour faire passer le
programme des vols, n’hésitent pas à privilégier la disponibilité des avions plutôt que
leur bon état technique. Il s’en suit toute une série de pratiques contraires à la
réglementation et aux règles de sécurité dont je livre plus loin quelques exemples
significatifs. A l’origine de ces conflits ont trouve la politique d’entreprise qu’ont
imposée ROCHET, COUVELAIRE puis CORBET, dans laquelle il s’agit avant tout d’assurer
une productivité maximale et des coûts minimums, afin, bien sûr, d’obtenir la sacrosainte rentabilité (bien souvent fantomatique). Avoir, en aviation commerciale, une
activité maximale avec un minimum de moyens induit un minimum de sécurité pour
les passagers et membres d’équipage prenant place à bord des avions. Ce genre de
politique d’entreprise est un acte générateur de risque que l’on peut écarter en
choisissant d’adapter les coûts aux objectifs de sécurité. Pour cela il faut engager la
réflexion pour fixer le cadre rigide à ne pas dépasser. Ce cadre existe, ce sont les règles
de la Sécurité des Vols. Elles sont issues de la logique et du bon sens…
7
COUVELAIRE nous a amené en 2001 au dépôt de bilan, résultat de 5 années de
médiocrité. JC. CORBET prit alors la direction d’Air Lib en promettant, dans une lettre
adressée le 2 août 2001 à tout le personnel, « une compagnie fiable, de qualité et à
laquelle les salariés sont fiers d’appartenir » J’ai tout de suite adhéré à son projet car je
pensais, à tort hélas, que nous allions enfin sortir de la médiocrité. Très vite, je me suis
rendu compte que l’on renouvelait les erreurs du passé, j’en fis état dans un rapport le
05 septembre 2001. Comme les années précédentes, tous mes courriers et tous mes
rapports restaient sans réponse. Constatant qu’aucune amélioration n’était prévisible,
le 24 avril 2002 j’adressai un fax à JCC en affirmant en conclusion « personnellement
cette situation ne peut me convenir car nous évoluons dans un milieu favorable à
l’accident ». La rupture était en vue…
En guise de réponse, le DOV FROCHOT me convoquait le 26 avril pour un entretien en
vue de sanctions disciplinaires pour « les mots et le ton » utilisés dans mes rapports. Le
08 mai 2002, la compagnie Air Lib, en connaissance de cause, me proposait un avion
sans aucune garantie quant à l’état technique d’un de ses réacteurs. C’est alors que j’ai
dit stop et décidé de saisir les Prud’hommes pour obtenir la résiliation de mon contrat
de travail. En réponse JC CORBET me licenciait pour une faute grave imaginaire après
plus de 2 mois de procédure, il s’agissait bien sûr de se débarrasser d’un gêneur.
CORBET n’a pas fait mieux que COUVELAIRE. Après avoir acquis AOM et AIR LIBERTE
pour des clopinettes, reçu plus de 150 millions d’euros des Suisses, il laisse une ardoise
de 130 millions d’euros au bout d’un an et demi de gestion. Il aurait pu, et dû,
concentrer tous les moyens sur Air Lib, il ne l’a pas fait. C’est un échec complet.
Le 17 février 2003, la compagnie Air Lib a été mise en liquidation. Merci à tous ceux qui
se sont succédés à la tête de cette compagnie… Leur incompétence a réduit à néant le
travail et l’espoir de milliers de personnes en les plongeant, en prime, dans le chômage
et la précarité.
8
Quant à nous, qui furent les salariés de cette compagnie, notre seule « satisfaction »
est d’avoir réussi à ne tuer personne…
9
Le commandant de bord
a-t-il encore des pouvoirs ?
Le retour d’expérience (REX) est essentiel dans le milieu des aviateurs, il a permis
d’établir les règles de la sécurité des vols. Au hasard d’une rencontre, la conversation
s’engage et chacun raconte son vécu, une anecdote, un incident, d’où l’on extrait des
enseignements, des leçons. Ainsi les expériences s’accumulent et restent présentes dans
les mémoires. La forme première du REX est donc la conversation, autour d’une table,
en attendant une navette équipage, au petit déjeuner en escale, au cours de la préparation
d’un vol...
C’est ainsi que ce chapitre est présenté, une conversation au cours de laquelle je révèle
les « usages » en vigueur dans les compagnies aériennes lorsque la sécurité est
considérée comme un frein à la productivité.
Le commandant de bord est-il réellement « seul maître après Dieu » comme on le
dit fréquemment. Quel est désormais son rôle dans une compagnie aérienne ?
Quels sont ses pouvoirs ?
En théorie, le commandant de bord doit assurer la sécurité des vols dont il a la
responsabilité dans un environnement professionnel de qualité garanti à la fois par le
PDG de sa compagnie qui lui fournit les moyens nécessaires, et par l’Autorité, la
DGAC, qui contrôle la conformité de ces moyens.
Voici pour la théorie, car dans la pratique, ce n’est plus le cas. Le commandant de bord
n’est plus souverain dans ses choix, dans ses décisions. Rester compétitif par rapport
aux autres compagnies aériennes étant devenu l’objectif n°1 des décideurs, on lui
demande d’être, avant tout « productif », c’est-à-dire de réaliser les vols pour lesquels il
est programmé en respectant d’abord la ponctualité et en évitant des surcoûts
préjudiciables à la rentabilité.
10
Que s’est-il passé ? Comment le transport aérien est-il arrivé à ce niveau
déplorable de sécurité, propice à l’accident ?
Le transport aérien est dans la même logique mercantile qui a précipité la marine
marchande dans une spirale destructrice incontrôlable. Les compagnies aériennes ont
été peu à peu remplacées par des entreprises de transport aérien, la nuance est
importante. Le respect de la confiance des passagers était le moteur des compagnies
aériennes. Il s’agissait d’être toujours plus performant au niveau de la sécurité et de la
qualité. Les coûts étaient adaptés aux objectifs de sécurité, ce qui nécessitait des
moyens financiers importants.
Désormais, la compétitivité est le moteur des entreprises de transport aérien. Il s’agit
d’être toujours plus performant en terme de coût et de productivité. Faire de la sécurité
l’objectif n°1 est un handicap… On finit par s’affranchir peu à peu des « contraintes ».
Dans ce contexte, quel est le rôle du commandant de bord, associé à son équipage ?
Placé en première ligne, il a une obligation de résultat qui demeure même s’il évolue
dans un environnement défavorable que l’on retrouve, hélas, un peu partout. Malgré
l’absence ou l’insuffisance des moyens que le PDG doit lui fournir, malgré la démission
de l’Autorité chargée du contrôle de la conformité de ces moyens, le commandant de
bord doit assurer la sécurité des vols dont il a la responsabilité. Le rôle du commandant
de bord a donc évolué de façon dramatique. S’il veut rester professionnel, il doit
déjouer les pièges qui lui sont tendus par ceux qui souhaitent le voir effectuer sa
mission dans n’importe quelles conditions.
Quels sont ces pièges ?
Voici quelques exemples des « tours de passe-passe » utilisés pour rendre disponibles
des avions inaptes au vol pour raisons techniques. Car c’est bien de cela dont il s’agit.
Être productif, c’est assurer le programme des vols même s’il faut, pour cela,
transgresser la réglementation.
11
Il y a tout d’abord les pannes répétitives non traitées car non constatées au sol. Un
exemple : le DC-10, comme tous les avions d’ailleurs, est équipé dans le cockpit d’un
système d’alimentation en oxygène utilisé en cas d’émission de fumée ou de
dépressurisation. Il s’agit d’un masque, couvrant tout le visage, équipé d’un micro relié
à l’interphone, à la radio et à la cabine des passagers. Lors des essais avant le vol,
l’équipage doit vérifier son fonctionnement. Il était fréquent, à cette époque, la fin des
années 90, qu’il soit en panne. Au lieu de réparer, les mécaniciens répondaient à nos
remarques par ce genre de formules « à confirmer » ou « essais au sol RAS » et l’avion
repartait. Le fonctionnement du système interphone du masque à oxygène est très
important. Lire une check-list et discuter des opérations à effectuer dans une situation
d’urgence est très différent de lire une check-list en condition normale. Si, en plus, les
conversations sont incompréhensibles et inaudibles, cela rend toutes communications
impossibles, c’est inacceptable et le vol devient très dangereux.
Une deuxième « magouille » consiste à effectuer le transfert d’un élément défectueux
vers un autre avion « ni vu ni connu » : Imaginez deux avions sur un parking. Le
premier part dans une heure, il est en panne mais la pièce nécessaire pour le réparer
n’est pas disponible. Pour permettre son départ, les mécaniciens vont prélever la pièce
sur le deuxième avion qui décolle plus tard et qui sera lui-même équipé de l’élément
défectueux sans que cela soit reporté dans le document d’entretien de l’avion.
Autre méthode : la mise en tolérances répétitives de défauts pour ne pas immobiliser
l’avion : il faut aborder ici le principe des tolérances techniques. Le constructeur
autorise qu’un avion puisse effectuer des vols avec certains équipements inopérants,
selon des conditions bien précises et pour une période limitée, à condition que ces
défauts ne dégradent pas le niveau de sécurité du vol. Dans l’esprit de cette disposition,
il s’agissait notamment de permettre à un avion de rejoindre sa « base » pour y être
réparé. Cette possibilité est laissée à l’appréciation du commandant de bord mais les
services techniques en ont fait un outil de travail. Le document dans lequel sont
répertoriées toutes les tolérances techniques possibles est la « Minimum Equipment
List », la MEL. Tous les équipements qui ne sont pas répertoriés dans cette liste doivent
être en parfait état de fonctionnement.
Exemple : supposons qu’une pompe hydraulique soit en panne. Le constructeur estime
que l’avion peut voler dans cette configuration, si le commandant de bord est d’accord,
12
sous certaines conditions. La MEL impose alors que la pompe en panne soit réparée ou
remplacée dans un délai de deux jours. Si au bout de deux jours il n’est toujours pas
possible de réparer pour diverses raisons, il suffit de faire semblant, d’écrire sur le
document d’entretien de l’avion que la réparation est effectuée et c’est reparti pour 2
jours supplémentaires.
Ces pièges ou tours de « passe-passe » sont-ils utilisés couramment ?
Ce genre de pratiques est fréquemment rencontré dans les compagnies aériennes. Voici
le témoignage d’un copilote relevé dans le n°462 (avril 2000) de « La Ligne » organe de
communication du Syndicat National des Pilotes de Ligne.
Suite à une panne en escale et le retard qui s’en suivit, l’occasion m’a été
donnée de parcourir le CRM [Compte Rendu Matériel] de l’avion dont
j’étais officier pilote de ligne (copilote). J’ai eu la surprise d’y relever
certains faits qui m’ont interpellé. Je vous en livre quelques uns : pannes
répétitives mais non constatées au sol et donc non traitées, boîtier
soupçonné défectueux transféré d’un avion à l’autre « et c’est reparti pour
un tour », mises en tolérances répétitives ou en travaux reportés car pas le
temps d’être traités, et assortis de procédures non appliquées.
Le clou du spectacle, afin de lever la panne qui nous immobilisait en escale,
on nous demande de lever la tolérance technique sans intervention.
Après en avoir parlé à des collègues PNT, il semble que des
dysfonctionnements de ce type commencent à être monnaie courante dans
beaucoup de compagnies françaises et étrangères opérant en France, y
compris dans la « grande maison ».
La « grande maison », c’est Air France ?
Oui, c’est ainsi que l’on nomme l’ancienne compagnie nationale.
13
Je suppose que l’obligation d’être productif n’est pas seulement imposée aux
équipages. Quelles sont les autres catégories du personnel à être visées ?
Toutes, et en particulier les mécaniciens sol, ceux qui remettent en œuvre les avions et
délivrent les autorisations de vol, appelées aussi Approbation Pour Remise en Service,
APRS. Non seulement ils n’ont pas, en général, les moyens, le matériel, les pièces de
rechange pour réparer les avions mais en plus on ne leur laisse pas le temps de
travailler. Ils sont sous la pression constante de leur hiérarchie afin que les avions soient
disponibles.
Le travail dans l’urgence et à flux tendu en quelques sortes. Ce genre de
« management » provoque t-il des erreurs ?
Oui, bien évidemment. Voici un exemple qui aurait pu mal finir sans la présence ô
combien précieuse d’un membre de mon équipage, l’officier mécanicien navigant
(OMN).
Pourquoi précieuse ?
Dans un équipage « à trois », un commandant de bord, un pilote et un Officier
Mécanicien Navigant, l’OMN a un rôle prépondérant. D’abord il est un spécialiste « de
la technique » vers qui il est toujours utile de se tourner pour avoir un diagnostic,
ensuite il a une place privilégiée dans le cockpit, entre les 2 pilotes, ce qui lui permet
d’avoir une vision globale de ce qui se passe.
Donc, mon exemple, voici ce qui peut arriver quant on met la pression sur des
mécaniciens chargés de réparer un avion.
C’était le 28 mai 1999. Ce jour là, je devais effectuer avec mon équipage un vol de
convoyage entre Nîmes et Orly aux commandes du DC-10 DH. Les avions sont
immatriculés par un certain nombre de lettres. En général on utilise les deux dernières
pour simplifier. Dans le jargon aéronautique cela donne ici DELTA HOTEL.
14
Que signifie « vol de convoyage » ?
Le terme « convoyage » signifie qu’il n’y avait pas de passagers à bord.
A cette époque, c’était la société AOM Industries, située sur l’aéroport de Nîmes Garon,
qui assurait l’entretien périodique de nos avions et les grosses réparations. Deux jours
plus tôt, le DC-10 DH, en route vers les Antilles, avait subi la destruction d’une pompe
de génération hydraulique.
La génération hydraulique d’un avion sert à manœuvrer les gouvernes, sortir et rentrer
le train d’atterrissage, freiner et bien d’autres choses encore. En simplifiant, le DC-10
comporte trois circuits hydrauliques principaux mis en pression par des pompes situées
dans les réacteurs. Le DC-10 à trois réacteurs. Donc, au cours de ce vol, la pompe en
question, située dans le réacteur n°3, avait d’abord eu un fonctionnement bizarre.
L’Officier Mécanicien Navigant avait remarqué que du liquide hydraulique était
transféré vers le circuit de lubrification du réacteur. Ne pouvant pas contrôler ce
transfert, le réacteur avait dû être arrêté. Entre temps, la pompe s’était complètement
désintégrée.
Le commandant de bord avait justement décidé d’annuler le vol vers les Antilles et de
faire demi-tour vers Orly. Après le débarquement des passagers, le DH avait été
emmené à Nîmes sans délai pour y être réparé. Les commerciaux avaient besoin de cet
avion pour assurer des vols. Pas question qu’il reste trop longtemps au sol.
Nous étions le 26 mai.
Le 28, deux jours après, l’avion était réparé. Du moins, cela nous avait été affirmé par
l’étude des documents qui nous étaient présentés.
Vous en doutiez ?
A cette époque, les rapports entre les équipages et les équipes techniques étaient assez
tendus. Faute de temps et de moyens, les mécaniciens usaient d’expédients pour
remettre en ligne les avions. On le savait. Il fallait être attentif à tout et, dans ce
contexte, la présence d’un Officier Mécanicien Navigant, OMN, était un véritable atout.
15
Revenons au convoyage du DH. L’avion étant « réparé », nous l’avons pris en compte,
puis nous avons effectué la mise en route des réacteurs, roulé vers la piste et décollé.
La première partie du vol s’était déroulée sans problèmes. Nous avions survolés les
contreforts du Massif Central vers Agen, puis remonté vers Paris par Limoges et
Amboise. A Orly, la piste 07 était utilisée pour les atterrissages. Le contrôle d’approche
nous pris en compte et nous dirigea vers l’axe de la piste en descente vers 3000feet
[1000m]. La réduction progressive de la vitesse nous permit de sortir les volets pour
améliorer les performances de l’avion. Il faisait très beau, « un temps de curée » dans le
jargon des aviateurs. Nous apercevions la piste au loin, tout se présentait bien. Vers 10
nautiques, environ 18km, nous avons tenté de sortir le train d’atterrissage. Pour cela il
faut abaisser une sorte de manette située sur le tableau de bord entre les deux pilotes. Ô
surprise, la manette était bloquée en position haute, impossible de la manœuvrer !
Dans ce genre de situation, il faut rester calme, et procéder par ordre de priorité sachant
qu’il existe une procédure de secours, que l’on peut sortir le train d’atterrissage par un
autre moyen. Nous avons ensuite informé le contrôle aérien du problème en précisant
que nous allions « remettre les gaz », c’est-à-dire reprendre de l’altitude selon la
trajectoire prévue dans ce cas pour exécuter la procédure de sortie du train
d’atterrissage en secours. Après l’accord du contrôleur, nous nous sommes éloignés de
la piste et je pris les commandes et les communications radio pendant que le copilote
effectuait la check-list appropriée lue par l’Officier Mécanicien Navigant.
Ça se passe comment ?
C’est ce que l’on appelle le « Read and Do ». Lecture, action et vérification que l’action
a bien été effectuée. Pour sortir le train d’atterrissage selon la procédure de secours sur
ce type d’avion, il faut utiliser un levier situé au niveau du plancher, à la base du siège
du copilote. Après quelques vérifications préliminaires, le copilote saisit la commande
pour la manœuvrer vers le haut mais, celle-ci aussi était bloquée.
Vous voulez dire que vous n’aviez aucun moyen de sortir le train ?
Oui, avec les deux commandes bloquées, ça se compliquait vraiment… Tout en
reprenant la procédure pour confirmer que nous n’avions pas fait d’erreur de lecture ou
16
de manipulation, je commençais à penser à la suite, se poser sur le ventre sur une piste à
déterminer.
Comment avez-vous fait pour atterrir ?
Le carburant n’étant pas un problème, j’ai demandé au contrôleur de nous autoriser à
attendre en faisant des hippodromes, c’est à dire des ronds, à partir d’un point
n’interférant pas avec les trajectoires de départ et d’arrivée. Le pilote automatique étant
branché, tout en surveillant la trajectoire nous nous sommes mis à cogiter. L’OMN,
Jean AMMANN, pensa tout de suite à la destruction de la pompe hydraulique lors du
vol vers les Antilles.
- « Le circuit hydraulique doit être pollué, nous dit-il, un filtre est peut-être colmaté »
- « Cela veut dire que le circuit n’a pas été complètement nettoyé ? »
- « Oui, il doit y avoir une contre pression quelque part »
C’est alors qu’il eut une idée à la fois simple et géniale. Il se leva, se plaça à côté du
copilote, saisit le levier en même temps que lui et après plusieurs tentatives ils
réussirent finalement à manœuvrer la commande centimètre par centimètre en
conjuguant leurs efforts…
J’imagine que vous avez dû être soulagés !
Oui, et merci à Jean AMMANN, il nous a sorti d’un sacré guêpier. Il est certain qu’en
« équipage à deux » les choses auraient été beaucoup plus compliquées. Suite à cet
incident, j’avais fait un rapport et reçu par la suite un compte-rendu de Monsieur Guy
ARRONDEL, Directeur Qualité :
En voici un extrait :
« Le 26 mars, suite à la destruction en vol d’une pompe hydraulique, l’avion a
été convoyé à Nîmes pour changement d’un réacteur, la résistance anormale
observée dans la manœuvre des leviers de commande « normal »’ et
« alternate » du sélecteur hydraulique du train d’atterrissage résulte du
colmatage du filtre principal de retour n°3 »
17
C’est un peu technique mais on comprend que le circuit hydraulique était pollué.
Oui, c’était le diagnostic de l’OMN. Sans lui nous nous serions posés sur le
« gésier »…Voilà donc ce qui peut arriver lorsque l’encadrement exerce de fortes
pressions sur les équipes de maintenance afin que les avions ne restent qu’un minimum
de temps immobilisés au sol. C’est ce genre de pratique qui entraîne de telles erreurs…
qui peuvent avoir des conséquences dramatiques.
On comprend la pression sur les équipes de maintenance. Mais comment s’exerce
la pression sur les équipages et en particulier sur le commandant de bord, réputé
« seul maître à bord après Dieu » ?
Pour diminuer les coûts, les compagnies évitent de stocker des pièces de rechange. Pour
rendre un avion disponible sans le réparer, on bricole ou même on utilise des procédés
interdits par le constructeur. Le seul fait de proposer ce genre de manipulation au
commandant de bord est une sorte de pression qui ne devrait pas exister. Elle est
largement utilisée, c’est le premier stade, plus léger. Voici un exemple qui est arrivé à
des collègues :
4 août 2000. L’équipage du DC10 devant assurer un vol entre Nouméa et Sydney,
constate pendant la visite pré vol que deux disjoncteurs sont ouverts et qu’il n’est pas
possible de les réenclencher. Le premier concerne la batterie, l’autre la liaison entre les
différents systèmes d’alimentation électrique de l’avion. Cette liaison sert à répartir les
charges entre les différentes génératrices et à assurer l’alimentation électrique complète
de l’avion en cas de défaillance de l’une d’entre elles. Le DC10 est donc en panne et
doit être réparé.
Aucune pièce de rechange n’étant disponible à l’escale et la durée de la réparation
n’étant pas possible dans un délai suffisamment court pour permettre l’arrivée à Sydney
avant la fermeture de l’aéroport pour la nuit, l’équipage et les passagers retournent à
l’hôtel en laissant le soin à l’équipe technique de remettre l’avion en bon état.
Quelles sont les conséquences d’une telle décision ?
18
Il faut expliquer aux passagers, le micro à la main en salle d’embarquement, les raisons
du retard.
Que se passe t’il ensuite ?
Le lendemain, l’équipage apprend que la solution retenue par la Direction Technique de
la compagnie est de prendre l’élément nécessaire à la réparation sur un autre système de
l’avion. Il s’agit donc de mettre volontairement en panne un système pour en réparer un
autre. Le commandant de bord refuse. Une autre solution est alors proposée : remplacer
le disjoncteur de 5 ampères défectueux par un disjoncteur de 10 ampères. Le
commandant de bord refuse une nouvelle fois le bricolage préconisé. L’avion sera
finalement réparé en faisant venir la pièce d’Australie. Dans cet exemple, on incite un
commandant de bord et son équipage à accepter des pratiques contraires aux
spécifications du constructeur afin de pallier le manque de pièces de rechange.
Donc pression sur un commandant de bord pour qu’il accepte un avion réparé de
façon artificielle. Dans cet exemple, ça n’a pas marché. Existe t’il d’autres
méthodes plus radicales ?
Oui, il suffit de masquer l’état réel de l’avion, de ne pas dire au commandant de bord
que l’avion qu’il va prendre en compte a des éléments en panne.
C’est criminel, surtout lorsque il s’agit d’un élément sensible, un circuit d’oxygène par
exemple.
Le DC-10, comme tous les avions de transport de passagers, est équipé d’un certain
nombre de systèmes d’alimentation en oxygène. En cabine, les passagers et le Personnel
Navigant Commercial, les PNC, c’est à dire les hôtesses et les stewards, ont à leur
disposition des masques, généralement situés au dessus des sièges, qu’ils pourront
utiliser en cas de dépressurisation. Ces masques sont alimentés par des générateurs
d’oxygènes chimiques. De plus, des bouteilles d’oxygène sont utilisées pour
l’assistance respiratoire de passagers en difficulté, d’autres sont à la disposition des
PNC en cas de dégagement de fumée ou de dépressurisation.
Dans le cockpit, il y a un circuit particulier alimentant les masques situés à proximité
immédiate des sièges de chaque membre de l’équipage technique. L’air que nous
respirons contient environ 21% d’oxygène. Sans oxygène, nous ne pouvons survivre.
19
Mais l’oxygène peut aussi être dangereux… Il peut être la cause d’incendies ou
d’explosions. Si le taux d’oxygène dans l’air ambiant augmente de très peu, par
exemple devient 24%, le risque d’incendie s’accroît considérablement. Et une fuite
d’oxygène dans un avion peut entraîner une catastrophe.
Pas besoin d’être un expert pour le comprendre. Il y a eu un crash dont on a beaucoup
parlé il y a quelques années. Le vol Valujet 592 qui s’est crashé dans les Everglades, à
l’est de Miami. L’avion s’est désintégré en percutant les marais sous un angle de 80°.
105 passagers et 5 membres d’équipage étaient à bord. Tous morts. L’enquête technique
a montré que le feu s’était déclaré dans la soute à bagages avant à cause de l’activation
d’un ou plusieurs des 144 générateurs d’oxygène chimique que l’avion transportait.
L’issue a été dramatique. Vous êtes vous retrouvé vous-même dans une situation
dont l’issue aurait pu être similaire ?
Oui. C’était le 3 avril 1999. Je devais effectuer, avec mon équipage, le vol entre
Colombo et Paris. Le DC10 LZ pour LIMA ZOULOU arrive de Nouméa via Sydney.
Le décollage doit avoir lieu vers 3h du matin. Nous avons terminé la préparation du vol
aux opérations d’Air Lanka sur l’aéroport, lorsque le LZ arrive au parking. Il est 2h.
Nous avons ainsi la possibilité de rencontrer l’équipage qui vient de se poser.
Le commandant de bord qui vient d’arriver m’informe alors que la pression de la
bouteille d’oxygène du cockpit, qui était de 1900 PSI (unité de pression standart
international) au départ de Sydney, n’est plus que de 1500 PSI à l’arrivée à Colombo.
Toutes ces valeurs sont reportées sur le document d’entretien de l’avion.
Il me précise par ailleurs qu’il avait eu des difficultés pour faire faire le plein de cette
bouteille au départ de Sydney, des consignes ayant été données aux services techniques
par le PC maintenance d’Orly pour que le plein de cette bouteille ne soit pas effectué.
Avec ces éléments, nous suspectons aussitôt une fuite d’oxygène. Cela nous est
confirmé en vérifiant les remarques portées sur le document d’entretien de l’avion par
les équipages de vols antérieurs : la pression de la bouteille d’oxygène du cockpit a une
forte tendance à diminuer. Je demande alors au chef de l’escale de Colombo de différer
l’embarquement des passagers et à l’équipe technique de faire une recherche de fuite
selon la procédure de maintenance en vigueur. Il est 2h30 du matin. Nous cherchons un
coin dans l’aérogare pour patienter ce qui nous permet de rencontrer les passagers et de
20
les informer des raisons du retard. Il n’est pas question que cette attente s’éternise. 2
heures plus tard, le mécanicien m’annonce qu’il a tout vérifié, qu’aucune fuite
d’oxygène n’a été détectée et donc que l’avion peut effectuer le vol vers Paris.
La pression de cette bouteille d’oxygène diminuerait donc sans raison ?
Bien sûr, une telle réponse n’était pas satisfaisante. En concertation avec mon équipage,
je demande que d’autres investigations soient effectuées en prévenant que le DC10 LZ
ne décollerait pas avec une fuite d’oxygène non identifiée et non réparée. Comme cela
risque de prendre du temps, je renvoie tout le monde à l’hôtel.
Comment la situation se gère-t-elle ?
Avec le micro en salle d’embarquement… J’avais pour principe de ne jamais faire
attendre les passagers, et les membres de mon équipage, plus de 3 heures dans
l’aérogare. Il faut préciser ici que toutes ces « tractations » avaient été faites en liaison
constante avec le PC maintenance d’Orly. Il est environ 7h du matin lorsque nous
arrivons à l’hôtel. A 11h30, je reçois un message m’informant que la fuite a été détectée
sur la tuyauterie du masque à oxygène d’un des deux sièges observateur dans le cockpit,
que celle-ci a été déposée et que le circuit correspondant a été isolé par un bouchon
obturateur. L’avion est donc apte au vol, le décollage aura lieu à 23h30 de manière à
arriver à l'ouverture d'Orly. Après la sieste, retour à l’aéroport. En arrivant à l’avion, le
mécanicien en charge de la remise en œuvre du DC10 m’annonce qu’il a fait une fausse
manœuvre en remplaçant la bouteille d’oxygène du cockpit et que la pression de celleci n’est pas au maximum mais à seulement 1650 PSI, ce qui est acceptable pour
effectuer le vol. Bizarre… Nous décollons avec 24 heures de retard.
Pendant le vol, il devient évident que le circuit oxygène du cockpit est toujours affecté
d’une fuite. La pression de la bouteille a chuté de 350 PSI lorsque nous arrivons à Orly.
Cela me laisse songeur… Des baisses de pression de la bouteille d’oxygène constatées
sur plusieurs vols… Des consignes données à Sydney pour que la pression de cette
bouteille soit limitée… La pression de la bouteille qui chute de 400 PSI sans raison
apparente entre Sydney et Colombo… Une première tentative de détection de fuite à
Colombo qui ne donne rien… Une deuxième tentative réalisée selon ma volonté… Neuf
heures pour détecter une fuite sur un masque non utilisé (observateur), ce qui ne limite
21
pas l’utilisation de l’avion. Ca tombe bien… Une bouteille d’oxygène partiellement
remplie au départ de Colombo vers Orly… La fuite d’oxygène toujours présente entre
Colombo et Orly…
Avez vous la conviction que l’on vous a donné de fausses informations pour vous
inciter à effectuer un vol avec un circuit d’oxygène détérioré ?
Oui, sinon, pourquoi ne fallait-il pas faire le plein de cette bouteille ?
Comment exercer ce métier sans avoir confiance en ceux qui préparent les avions
pour le vol ?
La Direction Technique de ma compagnie savait que ce DC10 volait régulièrement avec
une fuite d’oxygène sans que les équipages en soient informés, avec les conséquences
catastrophiques que cela aurait pu avoir, pour moi cela ne faisait aucun doute. Après
avoir renseigné le document d’entretien de l’avion, j’informe les Opérations que le LZ
ne doit pas voler dans cet état. Il repart faire un charter dans l’après-midi… mais n’a été
totalement réparé que quelques jours après : fuite localisée sur le circuit basse pression
sous le capitonnage du plafond du cockpit.
Pourquoi n’a t’il pas été réparé immédiatement ? Les conséquences auraient pu
être dramatiques.
En fait, c’est suite à cet incident que j’ai perdu totalement confiance en l’encadrement.
Dans le rapport final qui m’a été remis suite à mes interrogations, le responsable
Qualité n’évoqua pas la pseudo réparation effectuée au départ de Colombo le 3 avril. Le
DC 10 LZ avait subi plusieurs problèmes sur le circuit oxygène ce qui corrobore mes
observations. Lors des 21 recherches de panne, plusieurs détériorations avaient été
constatées, plusieurs fuites avaient été identifiées et ce depuis le mois de novembre
1998.
Pendant 5 mois donc…
22
En réalité, ce circuit oxygène était dans un état de détérioration très avancé et la
pression de la bouteille était volontairement diminuée pour limiter les fuites. Dans ce
rapport, le responsable Qualité tente de se justifier.
Il argumente que « les circuits d’oxygène cheminant dans le cockpit sont des circuits
basse pression /…/ le cockpit n’est pas un espace confiné, le renouvellement de l’air lié
au système de conditionnement d’air est à priori suffisant pour ne pas permettre un
enrichissement significatif par dilution d’oxygène » (…)
Argument bidon, pour justifier l’absence de réparation. Lors de plusieurs passages à
Colombo, j’ai essayé de rencontrer le mécanicien qui avait « assuré » la réparation. Je
ne l’ai jamais retrouvé… Il s’était évaporé ! J’y suis pourtant passé plus de vingt fois.
Soit il m’évitait car avant l’arrivée de l’avion, le nom du commandant de bord est
évidemment connu de l’équipe au sol, soit on lui avait « conseillé » de se faire oublier
après ce coup d’éclat...
J’imagine qu’il ne devait pas être facile de travailler dans une telle ambiance. Un
commandant de bord qui veut rester professionnel devient gênant. Peut-il encore
se faire entendre ? Et surtout, jusqu’où peut aller son management pour « le faire
rentrer dans le rang » en devenant moins regardant sur la sécurité ?
Pour ce qui est de se faire entendre, il est clair que cela est de moins en moins possible
car il y a des filtres au niveau de la compagnie, de la DGAC. Par ailleurs, il est possible
de « calmer » des commandants de bord considérés par leur hiérarchie comme des
« emmerdeurs » car ils exigent des moyens à la hauteur d’un enjeu important : la
sécurité des vols. Il s’agit de ces pilotes qui ont tendance à être un peu trop regardants
sur l’état réel des appareils et qui n’hésitent pas à refuser des avions. Ils vont d’abord
être convoqués pour une remontée de bretelles, le niveau au dessus sera la sanction
disciplinaire, les menaces sur les heures de vol, puis le déclassement de commandant de
bord à copilote, et enfin, le licenciement. Généralement, un « emmerdeur » est
rapidement pris en charge par les « gros bras » de la compagnie. Un grand classique
consiste à la fragiliser, par exemple au moment de la séance de simulateur.
L’instructeur qui encadre l’entraînement va le mettre en difficulté, multiplier les pièges
jusqu’à ce qu’il se plante.
23
En quoi réside la pression sur les heures de vol ?
Tout pilote a fortement intérêt à voler. Le principe est simple : notre salaire est constitué
d’un fixe et d’un minimum garanti calculé pour 60 heures de vol. Une part très
importante du salaire est ensuite constituée d’heures supplémentaires. Un pilote
suspendu de vol car il dérange sa direction ne touchera que son fixe. En revanche, s’il
est dans ses « petits papiers », il volera par exemple 90 heures dans le mois dont une
grande partie pendant la nuit, ce qui compte pour 1,5 et le 1 er mai car cela compte
double. Ce système de rémunérations avec un variable important permet d’exercer de
facto une pression très importante sur les pilotes.
Un système verrouillé, une omerta permanente, des salariés sous pression, c’est le
salaire de la peur ?
Oui, voici un exemple qui démontre que l’omerta règne à tous les niveaux. C’était le 10
novembre 2001. 2mois après le « Nine Eleven », les attentats du World Trade Center…
On peut imaginer que tous les moyens anti-terroristes étaient alors mobilisés et que
l’efficacité était maximale en ce domaine. Et bien pas du tout…
Un événement, qui n’était pas un cas isolé, pose de façon dramatique, la question de
l’efficacité des mesures de sûreté sur l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle.
Le samedi 10 novembre 2001, avec mon équipage, j’effectuais le vol IW2261 entre les
aéroports de Roissy et de Saint-Denis de la Réunion, avec environ 300 passagers à bord
et 10 tonnes de fret. Au départ, l’Airbus A-340 UB (Uniform Bravo) était situé au poste
de stationnement C10 de l’aérogare 2. Le chargement du fret avait été effectué par la
société Europe Handling entre 20h et 20h28, heure à laquelle nous avons quitté le poste
C10 en vue de notre décollage.
Le dimanche 11 novembre, à l’arrivée à Saint-Denis de la Réunion, lors de l’ouverture
de la soute avant de l’Airbus, le personnel de l’escale avait constaté que 2 palettes
avaient été fouillées, avec un trou au niveau de l’emballage de protection, des cartons
contenant des téléphones portables avaient été vidés de leur contenu et dispersés de part
et d’autre des palettes.
Votre avion avait été pillé avec le plan « vigie pirate renforcé » en vigueur ?
24
Oui, tout cela avait été consigné de façon très officielle. Une déposition avait été faite,
le lundi 12 novembre par le représentant de la compagnie, auprès de la Brigade de
Gendarmerie du Transport Aérien de l’aéroport de Saint-Denis (PV n°264).
Le 12 novembre, avant le départ du vol retour vers Orly, le chef d’escale de la
compagnie m’avait remis le compte-rendu de cet incident. Lors de celui-ci, des
individus sont montés à bord de l’Airbus A-340 dont j’étais le commandant de bord et
ont volé du matériel transporté dans les soutes alors qu’effectivement, le plan
« Vigipirate renforcé » était en vigueur.
Comment ces individus ont-ils pu pénétrer sur l’aéroport CDG, parvenir jusqu’à
votre avion et monter dans la soute avant ?
Oui, comment ? Si des voyous peuvent se permettre ce genre de « performance », des
terroristes bien entraînés ne devraient donc rencontrer que peu de difficultés pour
déposer à bord bombes ou autres objets destructeurs. C’est toute la chaîne de Sûreté, en
amont du vol, qui était mise en cause.
Vos remarques auprès de votre compagnie ont-elles été prises en compte ?
J’ai largement diffusé l’information pensant naïvement qu’elle serait prise en compte…
Le 13 novembre, j’avais effectué une déposition à la Brigade de Gendarmerie du
Transport Aérien d’Orly (PV n°1320) et un rapport avait été transmis par mes soins à
ma compagnie. Par négligence, manque de procédures ou défaut dans l’application de
ces procédures, il y avait eu, lors de cet incident, atteinte à la Sûreté du Transport
Aérien et donc mise en danger des passagers et membres d’équipage dont j’avais la
responsabilité. D’autres incidents de ce type avaient été relevés au départ des aéroports
parisiens sur nos vols et sur ceux d’autres compagnies sans doute.
Le 19 novembre, des colis contenant des matières dangereuses avaient même été
éventrés.
Comment imaginer qu’il puisse régner un tel foutoir sur un aéroport
international ?
25
Pour toutes ces raisons j’avais déposé une plainte contre X.
Mais ni le Procureur de la République ni les responsables de ma compagnie ne
donnèrent suite. Cela a continué après mon rapport et le Procureur, dans une lettre le 17
octobre 2002, alla même jusqu’à me mettre en garde contre « toutes constitutions de
parties civiles abusives » si, d’aventure j’avais voulu persister à mettre en cause la
Sûreté des aéroports parisiens.
« Tout va bien ». On fait croire aux passagers qu’ils peuvent voyager en paix. Voila le
message officiel qu’il ne fallait surtout pas contredire..
La rentabilité au détriment de la sécurité ou plutôt de la sûreté ?
Tous les moyens sont-ils mis en œuvre pour assurer la sûreté au départ des vols ? C’est
la question qu’on peut légitimement se poser. Comme dans toutes les entreprises qui
cherchent la rentabilité, uniquement la rentabilité, à trop vouloir diminuer les coûts on
oublie, voire on néglige, l’essentiel. Pourtant les moyens ne manquaient pas à cette
époque : selon le magazine L’Expansion du 8 novembre 2001, les résultats d’ADP pour
l’année 2000 avaient été de + 121 millions d’euros…
Ces conditions de travail étaient-elles récurrentes dans votre compagnie ? Il y a de
quoi s’interroger…
En effet. Voici un exemple parmi tant d’autres.
Jeudi 17 août 2000. Je suis programmé, avec mon équipage, pour effectuer le vol
IW301 avec le DC10 OI, (pour OSCAR INDIA), décollage prévu d’Orly à 13h05,
destination les Antilles. Vers 9h30, tout le monde est présent parmi les PNT, (Personnel
Navigant Technique), c’est à dire les pilotes et l’Officier Mécanicien Navigant), pour
prendre connaissance des dernières consignes et effectuer la préparation du vol. Les
PNC, (Personnel Navigant Commercial, hôtesses et stewards) se présentent en général
un peu plus tard, pour le briefing. Au cours de la préparation du vol, les opérations nous
confirment l’arrivée du DC10 à Orly à 11h30, en provenance de Cuba. Vers midi, nous
nous présentons au point de stationnement pour prendre l’avion en compte.
26
La remise en œuvre du DC10 par les mécaniciens semble laborieuse. Nous avons du
mal à obtenir des informations. Le document officiel, dans lequel sont reportées toutes
les pannes remarquées par les équipages ainsi que les corrections effectuées par le
personnel chargé de l’entretien, n’est pas mis à notre disposition. Ce document, que l’on
appelle le Compte Rendu Matériel, est dans les bureaux de la Direction Technique,
nous ne pouvons pas en prendre connaissance.
C’est anormal ?
Oui, quand tout se passe bien, ce document est présenté à l’équipage technique dès son
arrivée dans le cockpit. Les mécaniciens de ma compagnie chargés des visites
techniques avant le départ du vol, travaillaient dans des conditions très difficiles à cette
époque, je le répète, personne ne l’ignorait : manque de personnels, manque de
matériel, en fait ils manquaient de tout. De plus, ils avaient la hiérarchie sans cesse sur
le dos car il n’était pas question qu’un avion soit déclaré indisponible pour raison
technique s’il devait effectuer un vol. A 13h00, soit 5mn avant l’heure prévue de
décollage, les mécaniciens nous annoncent une fuite sur un des systèmes
hydrauliques… La remise en état est alors estimée à 15h00… Si le personnel est
disponible, si on trouve la pièce pour réparer, si…, si….
Dans ces conditions, je décide qu’il n’est pas question que l’équipage reste dans le
DC10 en attendant un hypothétique dépannage. Après avoir fait une annonce aux
passagers en salle d’embarquement nous retournons aux opérations et nous attendons. A
cette époque, attendre des infos, un avion, une navette, un planning, un dépannage…
était notre lot quotidien.
Donc, on attend… A 15h, pas de nouvelles, 15h15, rien, 15h30, la Direction Technique
nous donne une nouvelle estimation pour la disponibilité de l’avion : aux environ de
20h… Une semaine avant ce 17 août, la DGAC avait menacé la compagnie de retirer le
Certificat de Transporteur Aérien (CTA), c’est à dire d’interdire les vols. Le CHSCT
avait auparavant demandé le blocage au sol des avions pour raison de sécurité, les
syndicats, pour une fois unis, avaient exhorté le personnel à la plus extrême prudence.
Comment peut-on transporter des passagers dans de telles conditions ?
27
Pour vous donner une idée plus précise de l’ambiance qui régnait alors dans cette
compagnie, voici un extrait de ce rapport :
« tension constante, dépressions, crise de larmes, agressions verbales et physiques par des
passagers excédés, perte totale de confiance vis à vis de l’état des avions, ras le bol général,
forte démotivation, stress énorme pendant les phases critiques de vol (décollage et
atterrissage)… »
C’est, le constat incroyable qu’avait fait le CHSCT en août 2000 !
Comment travailler efficacement dans un environnement pareil ?
Il est 15h30, on vient de nous annoncer que le DC10 sera dispo vers 20h. Suite à cette
nouvelle estimation, une partie des PNC refuse le vol à cause de la fatigue bien
compréhensible qui s’est installée dans l’équipage. Fatigue et lassitude car ce genre de
manip était assez courant en ce temps-là… Quand on part pour 8 heures de vol au
dessus de l’océan, il vaut mieux être physiquement et mentalement disponible sinon, en
cas de problème même mineur, on risque d’être incapable de réagir correctement.
Puisque l’incertitude sur l’heure de départ demeure et que ça risque de durer, je
demande que le reste de l’équipage soit transféré à l’hôtel et prenne 6 heures de repos.
Résultat… je suis remplacé !
Donc on vous éjecte parce que vous demandez que votre équipage puisse se
reposer avant le vol. Il s’agit pourtant de transporter des passagers et non pas des
haricots verts.
Oui, deux jours plus tard, rebelote.
Même situation ?
A peu près. Je dois, cette fois, effectuer avec mon équipage le vol IW343, décollage
prévu à 11h20 d’Orly vers Saint Martin. L’équipage est composé d’un commandant de
bord, d’un pilote, d’un OMN et de 8 PNC. C’est l’équipage réglementaire pour ce type
de vol. Tout le monde est là, la représentation peut commencer…
28
Le DC10 DF (prononcer DELTA FOX) est arrivé de Los Angeles à 7h50, ça se
présente donc bien…, jusqu’à ce que l’équipage ayant fait le vol précédent sur l’avion
arrive aux opérations. Les pilotes et l’Officier Mécanicien Navigant nous annoncent,
l’air catastrophé, que le DC10 DF est dans un état technique lamentable. Au même
moment, les PNC déclenchent un mouvement spontané. La lettre de la DGAC nous
menaçant d’arrêter les vols est bien présente dans les mémoires et, depuis les choses ne
se sont pas arrangées. Des avions sont bloqués au sol un peu partout pour raison
technique, les passagers sont éparpillés aux quatre coins de la planète, la presse s’en est
mêlée, bref, c’est le merdier… la DGAC s’est une nouvelle fois dégonflée et nous a
laissés tomber.
Donc, suite à ce mouvement, certains PNC refusent carrément de monter à bord des
DC10.
Difficile d’admettre que ce soit possible dans une compagnie française…
Et oui, on en était arrivé là… Après avoir effectué la préparation du vol, au cours de
laquelle nous constatons qu’un cyclone rôde (suffisamment loin, ouf…) dans les
parages de notre destination, c’est la saison, mon équipage ayant décidé de rester
groupé nous nous rendons à 11h00 au point de stationnement du DC10. Arrivés au
parking, nous apercevons le DC10 DF avec les capots du moteur n°2 ouverts, mais
personne autour, pas de mécaniciens à l’horizon.
Ca commençait bien…
Dans le poste de pilotage, nous rencontrons une équipe technique qui nous informe que
l’avion est en panne à cause de sérieux problèmes sur un des circuits électriques. Avec
l’OMN, nous commençons à étudier le Compte Rendu Matériel de l’avion : nombreuses
pannes récurrentes, non traitées, avec des réponses aux remarques des équipages du
genre : « essais au sol RAS » ou « à confirmer »
La « méthode » dont vous parliez tout à l’heure. Du « dépannage stylo » !
Oui, c’est une expression tout à fait adaptée que nous utilisions souvent pour ironiser.
Donc, après l’étude du CRM, sans me faire d’illusions, je demande que toutes les
29
pannes soient traitées correctement. C’est alors que l’équipe technique prélève un des
deux scopes radar pour aller l’installer sur un autre DC10 qui attend d’être dépanné
pour partir vers Fort de France… et remet à la place un scope en panne.
En votre présence ?
Oui, je suis là, mon équipage aussi. Je leur ai dit : « Merci Messieurs de mettre
volontairement mon avion en panne avant le départ. Habituellement les mécanos font
l’inverse, ils dépannent… »
A quoi sert le radar ?
Le DC10, comme tous les avions de transport, est équipé d’un radar qui permet à
l’équipage de détecter les masses nuageuses susceptibles d’être dangereuses à cause des
phénomènes météo qu’elles engendrent : turbulence, givrage, foudroiement, … C’est
donc un équipement d’une grande importance. Chaque pilote a un scope à sa
disposition. Ainsi, la compagnie n’ayant pas de pièces de rechange, pour dépanner un
avion, les mécaniciens sont obligés de pirater un avion, ce qui est rigoureusement
interdit. Inutile de préciser qu’avec un cyclone dans les parages de notre destination, il
n’était pas question que je décolle avec un radar en mauvais état… Après avoir fait une
annonce aux passagers en salle d’embarquement, je décide de retourner aux opérations
avec mon équipage.
Il est 11h30.
Deux PNC décident de ne pas voler dans ces conditions et rentrent chez eux. Compte
tenu de l’incertitude, quant à l’heure estimée de dépannage, je demande et obtiens un
transfert à l’hôtel pour éloigner mon équipage du bordel ambiant et attendre d’autres
informations.
Cette fois vous n’êtes pas remplacé ?
Non, personne n’était disponible sans doute.
Il est 12h, nous sommes à l’hôtel. A 13h, les opérations m’appellent pour m’informer
que le DC10 DF sera dépanné vers 17h30 et qu’une estafette viendra nous chercher à
l’hôtel à 17h00.
30
A 15h00, les opérations m’appellent à nouveau pour m’informer que le DC10 DF est
bloqué au sol pour une durée indéterminée, que le DC10 MY (prononcer MIKE
YANKEE) est affecté au vol que nous devons effectuer vers Saint Martin, mais…
qu’une inspection moteur est en cours.
On sent la désorganisation à tous les niveaux ?
Je ne vous le fais pas dire. A cause de ce changement d’avion, nous retournons aux OPS
pour refaire la préparation du vol. En étudiant le nouveau dossier, nous constatons que
le cyclone, à cause du retard, sera à proximité de Saint Martin lors de notre arrivée et
donc que l’atterrissage n’est pas garanti. Deux PNC viennent remplacer ceux qui sont
partis. Il est 16h30, nous sommes prêts à partir, mais aucune nouvelle sur l’état
technique de ce nouvel avion, le DC10 MY… Enfin, vers 18h15, je suis informé que le
DC10 MY ne sera pas disponible avant un certain temps, les essais moteurs étant
toujours en cours. Le décollage ne sera possible qu’après 21h si tout va bien.
L’équipage est donc sur le pont à tourner en rond depuis 8h du matin : je prends la
décision de refuser le vol pour tout l’équipage. J’ai fait un compte rendu par mail à mon
chef direct. Il m’a répondu en disant que tout cela était lamentable, qu’il était écoeuré,
et que blablabla, blablabla, blablabla… Bref… Le vol a décollé avec 2 jours de retard et
rien n’a changé !
On a vu que ce genre d’environnement pouvait entraîner des erreurs commises en
particulier par les mécaniciens. D’autres catégories de personnels devaient aussi
être fragilisées ?
Oui, en fait, toutes les catégories de personnels qui participaient à la réalisation des
vols. Le niveau d’insécurité était tel que tout professionnalisme avait pratiquement
disparu. En aviation, commettre des erreurs est inévitable mais il faut savoir les détecter
et surtout les corriger. Certains avaient perdu ce réflexe et il n’y avait plus personne
derrière pour pallier les insuffisances.
Un exemple. Lundi 27 mars 2000 : le DC10 DF (prononcer DELTA FOX) est
endommagé à Orly lors du chargement des containers bagages du vol Orly/Saint Denis
de la Réunion. L’équipage effectuera le vol sans en être informé !…
31
Le responsable n’a rien dit ?
Non, il s’en est bien gardé. A l’endroit endommagé circulent des câblages électriques et
d’autres systèmes vitaux. Pendant le vol la zone arrière est difficilement climatisée
(soutes 3 et 4) et pour cause…, l’air de climatisation s’échappe par les trous dans le
plafond. Au départ d’Orly, l’équipage avait remarqué que la porte de la soute arrière
avait été fermée difficilement. Normal, la structure était déformée. Si, pendant le vol,
l’équipage avait dû utiliser les extincteurs pour éteindre un incendie dans la soute en
question (possible), le fréon se serait échappé par les trous dans le plafond ! Mardi 28
mars : à l’arrivée à la Réunion, le mécanicien d’Air France qui assure l’assistance
technique constate les dégâts et fait des photos.
Il a dû être surpris…
Oui, ainsi que l’équipage qui découvre le problème à ce moment là. Le mécanicien
d’Air France entreprend une réparation provisoire et ma compagnie semble décidée à
délivrer une APRS (autorisation de vol) pour le retour vers Orly.
La Gendarmerie du Transport Aérien de Gillot intervient et bloque l’avion. Le vol Saint
Denis de la Réunion/Orly que je devais effectuer avec le DF est retardé.
La DAC Nord (Direction de l’Aviation Civile Nord de la France qui est compétente
pour les compagnies basées à Orly et Roissy) fait une descente dans les locaux
d’Orly… Mais le CTA est renouvelé pour 15 mois sans aucune restriction !!!
Le CTA ?
Le Certificat de Transporteur Aérien. Il est maintenu en état de validité si la compagnie
est, en particulier, en mesure de respecter les exigences en matière d’entretien des
avions. Nous en étions loin mais la DGAC fermait les yeux. De temps en temps elle
poussait un coup de gueule mais ça n’allait jamais très loin.
Edifiant ! Le commandant de bord, responsable de la sécurité des passagers, fait
un vol avec un avion endommagé sans le savoir. En fait il n’a plus réellement
32
d’autorité. Avez vous d’autres exemples qui démontrent que le commandant de
bord n’est plus respecté dans sa fonction ?
En voici un autre. Nous sommes le 20 mars 2002. La débâcle d’Air Lib est en marche.
Les services techniques vont ici délivrer une Approbation Pour Remise en Service
(APRS) pour l’Airbus A-340 UB (prononcer UNIFORM/BRAVO) malgré des pannes
sur le réacteur n°4 non reportées sur le document d’entretien de l’avion (CRM), donc
non portées à la connaissance des équipages. L’APRS est en fait la signature du
mécanicien responsable de la visite avant le vol certifiant que l’avion est techniquement
apte au vol.
A ce moment là vous êtes commandant de bord Airbus A-340 ? Avez vous
abandonné le DC-10 ?
Oui, depuis novembre 2000. Ce jour-là, je dois effectuer un vol entre Orly et Saint
Denis de la Réunion avec cet avion. Lors d’une rencontre impromptue avec le
Coordinateur Technique Long Courrier le matin du vol, celui-ci m’informe que le
moteur N°4 de l’Airbus A340 UB présente des défauts au démarrage et en accélération.
Cet avion étant affecté au vol dont j’aurai la responsabilité en fin de journée, je lui
demande des précisions : Il s’agit de remarques faites par la société GENERAL
ELECTRIC qui assure le suivi des moteurs équipant les Airbus A340 de la flotte et,
ajoute-t-il, « de la limaille aurait été trouvée dans le démarreur de ce moteur ». Après
avoir constaté, pendant la préparation du vol, qu’aucune information à ce sujet n’est
reportée sur le Compte Rendu Matériel (CRM), je demande des précisions.
Que se passe t’il ensuite ?
Lors de la mise en route et au cours du vol vers Saint Denis de la Réunion je constate
qu’effectivement, le moteur N°4 présente des défauts, les reporte sur le CRM et rédige
un rapport (envoyé par fax au directeur général adjoint exploitation Francis
GISSELMANN). Ces défauts sont également constatés par l’équipage effectuant le vol
retour le 21/03, les services techniques de Saint Denis ayant délivré une APRS
(Approbation Pour Remise en Service).Cet avion a été immobilisé à Orly du 22 mars au
27 mars pour recherche de pannes et remise en état.
33
Donc ils vous ont laissé effectuer les vols et entrepris les réparations ensuite.
Etablissiez vous encore des rapports à votre hiérarchie ?
Le 25 mars, j’ai demandé par courrier (AR) au Directeur Qualité AIR LIB de bien
vouloir me communiquer tous les détails concernant les opérations de maintenance
effectuées sur cet avion lors de son immobilisation, précisant « que des défauts affectant
le moteur n°4 n’avaient pas été reportés sur le CRM ». Je n’ai jamais obtenu de réponse.
Conformément au Code de l’Aviation Civile et aux décrets et arrêtés pris pour son
application, le Commandant de Bord est responsable de la Sécurité du vol. Il doit, pour
cela, avoir reçu toutes les informations nécessaires lui permettant d’exercer son
jugement et de prendre des décisions.
Tous ces exemples difficiles à croire font froid dans le dos et ne sont pas de nature
à rassurer les passagers. Peut-on penser qu’il s’agit finalement d’exemples isolés
ou alors, est-on entré dans une phase propice à l’accident, où les exigences de
rentabilité font « oublier » aux responsables de compagnies aériennes les
indispensables exigences de sécurité ?
Etant donné le nombre d’incidents de ce type que j’ai connus en tant que commandant
de bord, situations auxquelles s’ajoutent les témoignages de nombreux collègues, je
peux affirmer que l’avion n’est plus un moyen de transport sûr. D’ailleurs, j’en ai
encore quelques « affaires » à vous raconter.
Nous sommes le 13 septembre 2000, je suis encore sur DC-10. Dans cet épisode, un
DC-10 est affecté de problèmes réacteurs récurrents et les services techniques vont
tenter de me faire croire qu’ils ont réparé l’avion.
Je dois, ce jour-là, effectuer avec mon équipage un vol entre Pointe à Pitre et Orly avec
le DC10 LY (prononcer LIMA-YANKEE). Nous venons à peine de terminer la
préparation du vol dans la salle des opérations située au rez-de-chaussée de l’aérogare,
côté piste, lorsque nous apercevons le DC10 se poser. Il arrive de Saint Martin.
Il est 17h. En traversant le hall départ pour nous rendre dans les locaux de la compagnie
AOM, nous avons rencontré les passagers qui se pressaient devant les comptoirs
d’enregistrement. Ils sont presque trois cents ce soir à nous faire confiance pour les
emmener en métropole… En regardant l’avion se poser, je m’interroge sur son état
34
technique car, depuis quelques temps, les incidents se multiplient, en particulier avec
cet avion. En effet, le DC10 LY présente des problèmes pour obtenir la poussée de
décollage sur ses trois réacteurs.
J’ai des informations à partir du 30 juillet, date de changement du moteur n°1. Le 31
juillet à 22h, le commandant de bord effectuant le vol était contraint d’interrompre le
décollage à Orly. La poussée du réacteur n’avait pas pu être obtenue sur le réacteur n°1.
Le 1er août, toujours au décollage d’Orly, c’est le réacteur n°2 de cet avion qui ne
pouvait pas atteindre la poussée calculée.
Comment fait-on pour la calculer ?
La poussée d’un réacteur est calculée pendant la préparation du vol en fonction de la
température et de la pression au sol prévues au moment du décollage.
Donc, un avion avec des réacteurs en mauvais état qui continu à être utilisé. Il
n’était pas le seul, je suppose. La DGAC n’a rien dit ?
Cette situation durait depuis quelques semaines à tel point que le 11 août, la Direction
Générale de l’Aviation Civile avait adressé un courrier au PDG de ma compagnie,
Alexandre COUVELAIRE, dans lequel l’administration de tutelle menaçait de nous
retirer l’autorisation de transporter des passagers.
Voici un extrait de la fameuse lettre :
« Les incidents récents survenus sur des aéronefs de type DC10-30 se révèlent
particulièrement graves. (…)
Seuls les événements vécus sur l’aéronef immatriculé F GTLY ont fait l’objet d’une
information de mes services ».
J’étais d’autant plus concerné que le 31 août, au décollage d’Orly, j’avais effectué une
« accélération arrêt », autrement dit une interruption de décollage, le régime du réacteur
n°1 étant insuffisant.
Que se passe t’il dans ce cas là ?
35
Sur ce type d’avion, le DC-10, c’est le commandant de bord qui, au décollage, avance
les manettes utilisées pour afficher la poussée des réacteurs. Elles sont situées au milieu
du cockpit, entre les 2 pilotes. L’Officier Mécanicien Navigant (OMN), y a directement
accès. C’est lui qui, après l’action initiale du commandant de bord, est chargé d’afficher
précisément la poussée calculée sur les cadrans correspondant à chaque moteur et
ensuite de les surveiller.
Donc, ce jour-là, pendant la première partie du décollage, alors que le DC10 s’élançait
sur la piste et avait bien entamé son accélération, l’OMN annonça : « Panne moteur
n°1 »
J’ai alors interrompu le décollage en ramenant les manettes des moteurs en butée arrière
et en appuyant fortement sur les freins pour arrêter l’avion. Les « spoilers », sorte de
plaques de métal situées sur les ailes pour le freinage aérodynamique sortent alors
automatiquement.
Ensuite, il faut avertir le contrôle aérien, informer les hôtesses et stewards et rassurer les
passagers.
De la cabine, ils ne voient pas ce qui se passe ?
Oui. Le lendemain, 1er septembre, l’équipage en charge de ce DC10 faisait une nouvelle
« accélération arrêt » à Cayenne pour la même raison.
Malgré les menaces de l’administration, la situation ne s’était pas améliorée.
En fait, pas vraiment des menaces, il fallait donner l’illusion. Couvelaire était
intouchable.
Donc vous êtes à Pointe à Pitre et vous allez faire un vol avec un avion en mauvais
état et donc dangereux pour les passagers !
De la fenêtre des opérations, je vois maintenant l’avion s’approcher doucement de son
point de stationnement accompagné par le bruit caractéristique de ses réacteurs. Le LY
était un des premiers DC10 de la flotte, avec le LX et le LZ (prononcer LIMA XRAY et
LIMA ZOULOU). Ils étaient alors tellement beaux tous les trois, que nous les avions
appelés Diamant, Saphir et Rubis. Dix ans plus tard, leur état s’était considérablement
36
dégradé. Poursuivant ma réflexion, j’approche maintenant de l’avion accompagné du
copilote et de l’OMN. Le 6 septembre, j’avais dû refuser le LY au départ d’Orly vers
Fort de France, à cause de son état technique. Pendant la prise en compte de l’avion
avant l’embarquement des passagers, la lecture du Compte Rendu Matériel, c’est-à-dire
le document sur lequel sont reportés toutes les pannes et les dépannages, avait révélé 14
séquences concernant l’état des moteurs de cet avion sans réponses satisfaisantes.
Séquences ?
On appelle « séquences » les défauts remarqués par l’équipage au cours du vol qui sont
donc ainsi portés à la connaissance des équipes techniques en vue de la remise en état
de l’avion avant le prochain vol.
Toutes ces pannes n’avaient pas été traitées correctement. Quel sera son état
aujourd’hui ? C’est la question que je me pose en montant à bord. Lorsque j’entre dans
le poste de pilotage, l’équipage qui vient d’effectuer le vol entre Saint Martin et Pointe
à Pitre est toujours présent, en train de ranger la documentation. Nous apercevant, le
commandant de bord vient vers nous et nous annonce :
« Toujours le même problème avec cet avion. C’est le réacteur n°1 cette fois,
impossible d’obtenir la poussée de décollage même avec la manette en butée avant »
Butée avant ?
La manette qui permet d’afficher la poussée du réacteur est au maximum de sa course
vers l’avant, plein pot en quelques sortes. Excédé par cette situation qui n’en finit pas
de durer, j’informe le chef d’escale que l’avion n’est pour l’instant pas bon pour le vol
et je quitte le poste en direction des bureaux de l’équipe technique accompagné de
l’OMN.
Après avoir informé les mécaniciens avec les éléments donnés par l’équipage
précédent, nous décidons de prendre contact avec la Direction Technique à Orly. La
réponse nous parvient une vingtaine de minutes plus tard.
« A confirmer » ou « voir au prochain vol » ?
37
Non, ils savent qu’avec moi ça ne marche pas. Il s’agit d’appliquer une procédure
particulière du Manuel de Maintenance pour tenter d’améliorer la poussée du réacteur et
de faire ensuite un contrôle. Je connais bien cette procédure pour l’avoir étudié. Le
problème c’est qu’elle est utilisée depuis plusieurs mois sans résultat. Du bricolage en
quelque sorte…
Un autre problème se pose. A l’issue de la vérification préconisée par la Direction
Technique, il faut mettre le réacteur en route et faire un essai de la poussée à la
puissance maximum, un point fixe, dans notre jargon. Cette procédure doit être
appliquée par du personnel spécialement formé car elle n’est pas sans danger. Un avion
de 250 tonnes, bloqué par des cales, auquel on applique la poussée maximum d’un
réacteur… Il vaut mieux qu’il reste immobile… Le problème est de taille car le
technicien de Pointe à Pitre nous signale qu’il n’est pas qualifié pour effectuer cet essai
du réacteur, il ne peut donc pas appliquer la procédure demandée par la Direction
technique à Orly !
Ils ne le savent pas à Orly lorsqu’ils demandent d’appliquer cette procédure ?
Ils ne peuvent pas l’ignorer… Nous sommes donc dans une impasse…
En accord avec mon équipage, je décide de refuser la procédure proposée. Je considère
que, compte tenu des informations dont je dispose, le moteur n°1 du DC10 LY nécessite
de sérieuses investigations. Je rassemble ensuite l’équipage et nous retournons à l’hôtel.
Une fois de plus…
J’apprendrai plus tard que le service technique de Pointe à Pitre a effectué la procédure
demandée par Orly sans faire le point fixe pour essai réacteur pourtant obligatoire, a
délivré une « Approbation Pour Remise en Service », APRS, document officiel
nécessaire avant le vol, et envoyé un message à la Direction Technique pour signaler
que j’avais refusé de prendre l’avion en compte
Mauvaise foi évidente…
Ainsi on propose au commandant de bord de prendre en compte un avion en mauvais
état mais rendu disponible artificiellement…et on s’étonne qu’il refuse !
38
Le lendemain 14.septembre, le Directeur des Opérations en Vol SIRVEN m’informe
par téléphone qu’une équipe technique et du matériel sont envoyés d’Orly à Pointe à
Pitre. Il me prévient également que je vais être convoqué par la Direction pour avoir osé
contester une APRS et refusé l’avion.
Refuser un avion qui n’est pas entretenu selon les spécifications du constructeur,
c’est pourtant le devoir du commandant de bord ?
Son devoir, son rôle, dans un cadre purement technique, mais je rappelle que
maintenant le commandant de bord doit être avant tout productif, c’est à dire effectuer
ses vols quelles que soient les conditions. L’équipe technique fit toutes les vérifications
nécessaires, changea plusieurs parties du système de régulation du réacteur et un
spécialiste effectua l’essai à puissance maximum.
Le vol IW343 à destination d’Orly partit avec 30 h de retard.
Vous avez eu droit à une remontée de bretelles ?
De retour à la compagnie, je rédigeai un rapport complet pour justifier ma décision en
précisant que si j’étais convoqué pour une remontée de bretelles, je serais accompagné
par un expert judiciaire.
Carrément…
Je n’ai jamais reçu de convocation…
Quelques semaines plus tard, je réussissais à me procurer le document récapitulant tous
les défauts qui avaient affecté les réacteurs de cet avion. Cette série de
dysfonctionnements avait duré plus de quatre mois… Les équipages avaient signalé des
pannes affectant les trois réacteurs de cet avion à 68 reprises…
Et la DGAC, aucune réaction ?
La DG quoi ?
39
Lorsqu’un commandant de bord prend en compte un avion destiné au transport de
passagers, il est évident, et la réglementation l’exige, qu’il doit être informé de l’état
technique de son avion.
Oui, ça me semble évident aussi sinon, comment pourrait-il exercer sa
responsabilité s’il ne connaît pas l’état réel de son avion ?
Lorsque un commandant de bord est récalcitrant, c’est à dire lorsqu’il exige que l’avion
soit parfaitement en état pour effectuer le vol, une méthode consiste à lui cacher la
réalité. On l’a vu à plusieurs reprises. L’avion est en panne mais il ne le sait pas. Ce
genre de magouille est utilisé lorsqu’on ne peut pas réparer l’avion par manque de
matériel ou de pièces de rechange ou lorsque le dépanner l’immobiliserait au sol trop
longtemps. On en a déjà parlé.
Voici un autre exemple.
Le 9 mai 2000. Je dois, ce jour-là, effectuer le vol IW647 entre Orly et Punta Cana avec
le DC10 MY ( MIKE YANKEE).
Au cours de la préparation du vol, le personnel des opérations nous informe
incidemment que le DC10 MY est affecté à ce vol car il ne peut pas effectuer le Orly /
Saint Denis de la Réunion du soir à cause d’un problème carburant. Le vol vers Punta
Cana dure environ huit heures tandis qu’il faut 11 heures pour aller jusqu’à l’Île de
l’océan indien avec le plein complet de carburant. Pour essayer d’en savoir un peu plus,
car il n’y a aucune information à ce sujet dans le dossier de vol, je consulte le message
adressé aux opérations par la Direction Technique à ce propos et constate qu’un des
réservoir du DC10 MY est affecté d’un problème de remplissage.
La Direction Technique recommande donc que cet avion soit utilisé sur des vols
relativement courts du fait de l’indisponibilité d’un de ses réservoirs. Le DC10 est
équipé de cinq réservoirs carburant : deux situés dans les ailes et trois dans la partie
inférieure du fuselage.
Lorsque l’équipage arrive à l’avion, la première chose à faire pour vérifier son état
technique c’est de consacrer le temps qu’il faut à la lecture du Compte Rendu Matériel,
autrement dit le CRM. Nous sommes donc dans le cockpit du MY et nous constatons
qu’aucune remarque n’est portée à la connaissance des équipages au sujet d’un
40
quelconque défaut du système d’alimentation en carburant. L’avion a été déclaré apte
au vol par les services techniques sans aucune restriction par la mention : « Approbation
Pour Remise en Service » (APRS).
Une panne fantôme en quelques sortes…
Oui, cet avion n’a pas de panne officielle mais la Direction Technique recommande
qu’il soit utilisé pour effectuer des vols de courte distance à cause d’un défaut affectant
un de ses réservoirs.
Donc vous en déduisez que l’on vous cache quelque chose.
Dans les minutes qui suivent, j’observe que le plein carburant pour le vol est effectué,
selon les consignes des services techniques, sans utiliser le réservoir auxiliaire lower, un
des trois réservoirs du fuselage, ce qui est contraire aux procédures en vigueur. Un
cadre de la Direction Technique vient à la fin du plein faire des essais de transfert et
vérifier qu’il n’y a pas de carburant dans le lower tank et refuse de répondre à mes
questions.
Ambiance…
Suspectant une fuite de carburant, je refuse d’effectuer le vol vers Punta Cana avec le
DC10 MY. Le cadre en question tente alors de faire croire à une partie de l’équipage
que le DC10 MY ne présente pas de défauts et ajoute : « le problème, c’est le
commandant de bord »
En fait, dès qu’un événement, quel qu’il soit, impose des contraintes à
l’exploitation dues à la réglementation ou aux obligations de sécurité, le
commandant de bord est « mis à contribution » pour que le vol soit quand même
effectué.
Oui, dans l’exemple ci-dessus, on incite un commandant de bord et son équipage à
utiliser un avion selon des « procédures » non conformes et à prendre en compte un
41
avion affecté d’une panne fantôme. Voici un autre cas similaire mais pour des raisons
différentes : la composition d’un équipage.
Le 6 novembre 1999. Hotel « THE SEBEL » à Sydney. La réception de l’hôtel nous
réveille. Il est 04h30 ce matin là. Le ramassage est prévu à 5h30 pour un décollage à
7h30. Nous devons effectuer un vol entre Sydney et Colombo avec le DC10 MY. Il faut
11 heures environ pour rejoindre Colombo à partir de la côte est de l’Australie en
survolant l’Indonésie au sud de Djakarta. La ligne Orly/Colombo/Sydney/Nouméa est
une des trois lignes très long courrier, avec Orly/Los Angeles/Papeete et Orly/Saint
Denis de la Réunion, qu’exploite alors ma compagnie. D’étape en étape, l’équipage
passe d’une escale à l’autre et attend que l’avion revienne pour continuer la rotation qui
peut ainsi durer jusqu’à trois semaines. Le scénario est bien réglé : réveil, petit
déjeuner, transfert en bus vers les opérations pour la préparation du vol, prise en compte
de l’avion, vérifications techniques, embarquement des passagers. A 5h00 ce 6
novembre, trente minutes avant le départ de l’hôtel, la Chef de Cabine m’informe
qu’elle est malade, un médecin lui a accordé 15 jours d’arrêt de travail. Aussitôt, je
préviens le chef d’escale par téléphone que l’équipage n’est plus réglementaire, il n’y a
que 8 PNC au lieu des 9 prévus. Compte tenu des exigences de la réglementation pour
des périodes de vol supérieures à 10h, l’équipage doit être composé de 1 commandant
de bord, 2 pilotes, 1 officier mécanicien navigant et 9 PNC pour ce vol.
Il y a une réglementation particulière pour ce type de vol ?
Oui, cette obligation est imposée par un arrêté. Seul, le commandant de bord peut y
déroger chaque fois qu’il l’estime indispensable à la sécurité. On ne peut être plus
clair… Il y a donc un problème car il n’y a pas de réserve PNC et les autres équipages
sont en repos réglementaire pré ou post courrier, c’est-à-dire avant ou après un vol. La
compagnie a mis en place à Sydney un nombre minimal de personnels pour diminuer
les coûts. Donc aucune possibilité de remplacer la PNC malade.
« Coûts minimum, productivité maximale », incessant leitmotiv…
42
En tant que commandant de bord, mon rôle est d’appliquer les procédures approuvées et
de rendre compte lors qu’un vol ne peut être effectué. En attendant les instructions, je
conseille à mon équipage de retourner « finir la nuit »
Et j’attends…
A 8 heures locales, le chef d’escale me prévient que le Directeur des Opérations en Vol
SIRVEN va m’envoyer par fax, depuis Paris, une dérogation de la DAC Nord
(Direction Aviation Civile Nord), organisme de tutelle de la compagnie, pour effectuer
le vol avec seulement 8 personnels navigants commerciaux (PNC).
Une dérogation, c’est possible ?
Les dérogations sont une pratique courante dans le milieu du transport aérien. J’en ai
toujours été très étonné. La réglementation, dont l’objet est d’assurer la sécurité des
passagers, est, à juste titre, très contraignante que ce soit pour l’entretien des avions, la
formation du personnel, le temps de travail, etc. Lorsqu’elle devient impossible à
appliquer, pour des raisons qui peuvent être multiples, absence de pièces pour réparer
un avion, membre d’équipage malade ou indisponible, etc., on demande une dérogation
qui, la plupart du temps est acceptée. C’est une des raisons pour lesquelles la médiocrité
s’installe peu à peu dans une compagnie aérienne. En fait, la dérogation finit par
devenir la règle. Et d’un système performant en théorie, on en arrive à travailler dans un
environnement insécurisant, dégradé. Les PNC ont un travail très important à bord d’un
avion. Ce travail ne se limite pas à servir des repas ou des boissons. Un avion est un lieu
extrêmement fragile. La moindre défaillance humaine, le moindre dysfonctionnement
technique peut avoir de conséquences tragiques. Ils/elles doivent donc être vigilant(e)s
pendant toute la durée du vol pour veiller à la sécurité des passagers.
Si la réglementation considère que 9 PNC sont nécessaires, pourquoi essayer de la
contourner ?
Il est donc 22h24 le vendredi 5 novembre à Paris, à cause du décalage horaire, lorsque
SIRVEN m’adresse un fax :
43
« Suite à ma conversation avec Christian DOMINIQUE, ce jour à 21h45, je te confirme
que tu peux effectuer ton vol avec seulement huit PNC.(…) Je te remercie par avance
pour ta compréhension et ta coopération ».
Mais une chose attire mon attention, le fax n’est pas signé…
Pourtant, les bureaux de la DAC Nord doivent être déserts un vendredi à 21h45,
non ?…
Pressentant qu’il s’agit d’un mensonge, je refuse et lui demande de résoudre le
problème d’une autre façon. A cause d’une panne technique le vol a été un peu retardé,
trente heures, donc j’ai pu rejoindre Colombo avec un équipage réglementaire. De
retour à Orly, quelques jours plus tard, je téléphone à Christian DOMINIQUE pour en
avoir le cœur net. Sa réponse, après consultation de son agenda, est sans appel :
« Le vendredi 5 novembre à 21h45 j’étais à Poitiers chez mes parents. Je ne me
souviens pas que SIRVEN m’ait téléphoné, d’ailleurs, il n’avait pas mon numéro de
téléphone
Je suis allé voir SIRVEN dans son bureau, accompagné de Pierre BRISSON (CdB
DC10, USPNT), Octave MICHAUX (CdB DC10, SNPL) et Loïck FRICK (pilote DC10
qui faisait partie de mon équipage à Sydney) pour lui demander de téléphoner à
Christian DOMINIQUE devant nous. Il l’a fait, j’ai pu le confondre mais ça n’a servi à
rien, ces gens-là sont intouchables. Il n’y eut aucune conséquence. Il semblerait donc
qu’il agisse dans l’impunité la plus totale.
Pourquoi avez-vous eu trente heures de retard ?
Donc, à bord du DC10, vol IW924 entre Sydney et Colombo, devait prendre place 250
passagers. A cause, ou grâce, au retard dû à la composition de mon équipage, j’ai ainsi
pu rencontrer à l’hôtel où nous résidions à Sydney, l’équipage ayant effectué la rotation
précédente Sydney/Nouméa/Sydney. J’ai alors reçu les informations suivantes :
-bloc de frein N°5 hors tolérance,
-bloc de frein N°8 limite,
44
-température des freins à l’atterrissage 350°C.
350°C, c’est trop ?
Oui, sur ce type d’avion, la température des freins n’excède jamais 200°C en utilisation
normale. Le DC10 est équipé d’un train d’atterrissage principal constitué de 2 jambes
situées à l’emplanture de chaque ½ aile, c'est-à-dire à la liaison entre l’aile et le
fuselage, d’un train central sous le fuselage et d’une roulette de nez. Seules les 8 roues
du train principal sont équipées de blocs de freins. Lorsque les blocs de frein sont usés,
ils doivent être changés. Pour évaluer l’usure, il suffit d’examiner des témoins situés sur
les blocs.
Alarmé par leurs propos, j’ai souhaité me rendre sur place pour constater l’état des
freins de cet avion, en attendant que le problème du nombre de PNC soit résolu.
Etiez-vous accompagné de l’OMN ?
Bien sûr. J’avais reçu au préalable un message de la Direction technique à Orly
« autorisant » (selon quels critères ?) le DC10 MY à effectuer deux atterrissages pour
un retour à Orly. Il est possible, selon le manuel d’exploitation, de faire voler un avion
avec un bloc de frein hors de la tolérance d’usure, mais il y a des restrictions d’emploi
comme limiter la masse de l’avion au décollage.
Au cours de cet entretien vous avez souvent insisté sur la qualité de vos rapports
avec les OMN.
Pour avoir volé pendant dix ans sur ce type d’avion en compagnie d’un OMN, un
spécialiste de la mise en œuvre et de l’entretien de tous les systèmes techniques de
l’avion, je peux aisément témoigner qu’il n’y a jamais de questions sans réponses. Les
connaissances techniques d’un OMN ont toujours été un gage d’efficacité dans la
réalisation du vol.
Donc, après avoir effectué une inspection visuelle avec l’OMN, j’ai confirmé
l’inaptitude au vol de cet avion et demandé que les blocs de frein n°5 et 8 soient
45
changés, recueillant au passage, les commentaires pour le moins acerbes du chef de
l’équipe technique de Sydney :
« You must be fired ! »
…a t-il hurlé lorsque je lui ai annoncé ma décision… en brandissant le message
« autorisant » deux atterrissages. En français : il considérait tout simplement que je
devais être viré. Sans doute étais-je un peu trop regardant sur la sécurité.
Cette autorisation était donc inappropriée ?
Lorsque un bloc de frein est inutilisable, le Manuel d’Exploitation prévoit une
limitation de masse … au décollage. Bien évidemment, c’est de « l’accélération arrêt »,
c’est-à-dire l’interruption de décollage en cas de panne, dont il s’agit et non de
l’atterrissage, les freins étant beaucoup plus sollicités dans ce cas.
L’autorisation de la Direction Technique d’Orly (deux atterrissages) était donc
inadéquate puisqu’elle ne prenait pas en compte une panne grave éventuelle au
décollage et donc « l’accélération arrêt ».
Donc vous refusez l’avion, vous êtes menacé, mais vous persistez.
Oui. Ma décision a occasionné un retard considérable et beaucoup d’inconvénients,
puisqu’il a fallu aller chercher les blocs de frein à … Tokyo, mais, si j’avais pris le
risque, comme on souhaitait que je le fasse, de décoller avec un système de freinage
déficient à la masse de 263T, que ce serait-il passé en cas de panne grave avant la
vitesse de décision ? Un avion hors de la piste, une jambe de train en feu, les rampes
d’évacuation déployées, des passagers ou membres d’équipage blessés… Les
commandants de bord sont responsables de tous ceux qui, en prenant place à bord leur
font confiance. Nous sommes désormais trop isolés dans notre réflexion et nos prises de
décision lorsque, comme ce fut le cas ce jour-là, la sécurité impose des contraintes à
l’exploitation…
C’est un triste constat. Il y a beaucoup d’irresponsabilité dans le transport aérien.
Mais, cet avion, comment est-il arrivé à Sydney avec 2 blocs de frein inutilisables ?
46
2 visites journalières avaient été effectuées au cours de la rotation, à Orly et à Nouméa.
La visite journalière prévoit le changement du ou des blocs de frein si cela est
nécessaire. Cela aurait dû être fait au départ d’Orly. L’équipage ayant effectué la
rotation Sydney/Nouméa/Sydney avait reçu comme information qu’un bloc de frein
serait changé à Nouméa. Or, il n’y en avait pas… de blocs de frein à Nouméa ! …ni à
Sydney : retard 30 heures !!!
Deux blocs de frein ont donc été changés avant le vol. J’ai rencontré les passagers en
salle d’embarquement pour leur expliquer la raison du retard.
Le micro à la main, il a suffi que je prononce le mot « sécurité » pour que le retard soit
oublié. Je m’en souviens encore aujourd’hui. Au premier rang, il y avait une petite fille
dans un fauteuil roulant accompagnée de sa maman…
Quand avez-vous senti que les limites étaient dépassées, qu’il fallait dire stop ?
Dès l’année 2000, mais, à l’époque je cherchais le soutien dont j’avais besoin pour créer
la rupture avec l’encadrement. En fait, il n’y avait pas de limite. Pour gagner en
productivité, ces gens-là étaient capables de tout, nous inciter à traverser un cyclone par
exemple ! Lors de la préparation d’un vol, l’équipage trace la route suivie vers la
destination sur les cartes météo qui lui sont fournies afin d’avoir connaissance avec
précision des phénomènes rencontrés.
Voici la carte météo du vol dont il s’agit. On remarque qu’il y a plusieurs cyclones dont
un au nord-ouest de l’Australie. Quant on connaît les phénomènes météo associés aux
cyclones, il vaut mieux essayer de les éviter. Et bien non…
47
C’était en avril 2000. J’effectuais avec mon équipage un vol entre Sydney et Colombo
avec le DC-10 MX (MIKE X-RAY). Notre surprise fut grande lorsque nous avons
constaté que le plan de vol choisi par les opérations de la compagnie nous faisait
traverser le cyclone « Rosita » ! Il s’agissait bien sûr de privilégier le trajet direct pour
éviter les surcoûts d’une escale en route.
Il faut savoir que ce cyclone a été l’un des plus violent dans cette région en un siècle !!!
Avec des vents au sol supérieurs à 150 km/h.
Ca ne les gênait pas de nous proposer de passer à travers. De nuit, en plus…Bien
évidemment nous avons refusé la route en question et nous avons fait escale à
Singapour.
48
Note :
Deux conditions sont nécessaires pour la formation d’un ouragan de ce type :
une condition thermique : la température de la mer doit être supérieure à 26 °C sur une épaisseur
d’au moins 50 m. La température élevée de l’eau favorise alors son évaporation d’où l’ouragan tire
son énergie. Cette condition fait de l’ouragan un phénomène essentiellement maritime. En pénétrant
sur terre, il perd rapidement son énergie.
une condition géographique : il doit être suffisamment loin de l’équateur (cinq degrés de latitude
soit 550 km) pour que la force de Coriolis soit non nulle. Cette force, engendrée par la rotation
terrestre, imprime une déviation du vent vers la droite dans l’hémisphère nord et vers la gauche dans
l’hémisphère sud. Elle est nulle à l’équateur. C’est elle qui intervient pour déclencher le mouvement
tourbillonnaire initial. En dessous de cinq degrés de latitude, la force de Coriolis est trop faible pour
un tel déclenchement. (crédit Météo France)
Les compagnies auxquelles vous avez appartenu étaient en réalité, selon vos
affirmations, des milieux favorables à l’accident dans lesquels les commandants de
bord et leurs équipages tentaient de « limiter les dégâts » Pouvez-vous le confirmer
autrement ?
Vous jugerez vous-même…
Du 14 au 23 janvier 1997, alors que COUVELAIRE était PDG, la DAC Nord et le
GSAC effectuaient un contrôle de l’exploitation technique de la société AOMMINERVE, motivée, en particulier, par « la constatation d’une recrudescence des
incidents dus à la succession de mauvaises (ou non) applications des procédures ».
(page 2 du rapport). Les conclusions du rapport sont accablantes : « Tous ces incidents
prouvent qu’à terme, la sécurité pourrait être mise en cause » (page 41). Les
dysfonctionnements majeurs constatés concernent l’exploitant et l’atelier JAR 145
[entretien des avions, ndlr]. Compte tenu de la gravité de ceux-ci, ils seront
communiqués au SFACT pour décision. (page 46) ». La DAC Nord et le GSAC
demandent « de revoir de façon urgente l’articulation « Entretien-Exploitation » (page
48).
Au cours de l’année 1998, l’Administration ne renouvelait le Certificat de Transporteur
Aérien (CTA) d’AOM que pour une durée de 3 mois avec mise à l’essai.
49
En 1998 également, Air France tentait de reprendre la compagnie AOM et renonçait car,
selon Monsieur SPINETTA : nous avons une vue assez exacte de ce qu’est la situation
économique et financière d’AOM : elle est pire que mauvaise, elle est catastrophique.
Le 11 août 2000, la DAC Nord exprimait à nouveau ses inquiétudes dans une lettre
adressée à COUVELAIRE. En soulignant « des dysfonctionnements importants en ce
qui concernent la sécurité de l’exploitation » l’Autorité précisait que « ces événements
sont de nature à mettre en cause le contenu, voire le maintien du Certificat de
Transporteur Aérien ».
En août 2000, le CHSCT AOM faisait le rapport suivant : " Le CHSCT alerte la
Direction sur une situation déjà connue mais qui ne cesse de se dégrader. Le blocage
au sol des appareils les plus touchés et l’affrètement à 100% des vols semblent les
uniques solutions susceptibles de redescendre le risque d’accident à un seuil
acceptable, seuil largement dépassé ! ‘’
En juillet 2001, la compagnie AOM déposait son bilan. M.RICONO alors conseiller
technique du ministre des transports GAYSSOT a affirmé à propos de l’état d’AOM à
cette époque : « Nous avions la conviction – et je l’ai toujours - que le management de
l’époque avait fait des choses invraisemblables. –l’entreprise était, en interne dans une
situation de non-gestion. C’était un peu du n’importe quoi. » Quant à M.PERRI,
directeur de cabinet de CORBET, il affirme : « Nous avons repris /…/ deux entreprises
qui étaient en situation de coma dépassé. Un peu plus de 6 milliards de francs de déficit
d’exploitation en un an. /…/ Dans ces entreprises – c’est important pour un
transporteur aérien – les travaux de maintenance n’étaient plus faits »
Le 26 avril 2002, le Responsable Sécurité des Vols d’Air Lib, B.BALMONT., faisait le
constat suivant : « nous rencontrons de très nombreux problèmes de disponibilité de
flotte - la perte de confiance envers nos collègues mécaniciens peut dégrader le niveau
de Sécurité de nos vols - l’absence de hiérarchie à Air Lib Technique se traduit par une
désorganisation des interventions et la méconnaissance voire le non-respect de
certaines procédures - les TLB [documents d’entretien des avions, ndlr] deviennent de
vrais romans. Les HIL [tolérances en courrier, ndlr] s’accumulent ou s’évanouissent
pour réapparaître régulièrement. - Les CrCdB [Compte rendu commandant de bord,
50
ndlr] et ASR [rapport de sécurité, ndlr] ne sont pas traités correctement - Quelques cas
nous ont été signalés de falsification de Service Check [procédure d’entretien des
avions, ndlr] »
A la même époque, le Service Analyse et Sécurité des Vols de la compagnie Air Lib
affirmait: « L’état de la maintenance de notre compagnie reste très critique »
Donc cette situation était connue des autorités. Pourquoi votre compagnie a t’elle
été autorisée à transporter des passagers ?
Je pense que ce « Retour d’Expériences » répond à cette question…
51
Drôles d’oiseaux…
C’est un « bird strike », collision d’un avion avec des oiseaux, qui est à l’origine de
votre rupture avec la compagnie Air Lib. Que s’est-il passé ?
Cette affaire a débuté le 3 mai 2002 lors du décollage de Saint Denis de la Réunion du
vol IW 2262/AF4993 à destination de Roissy Charles de Gaulle. Je n’étais pas le
commandant de bord de ce vol. La piste 12 était en service.
Air Lib effectuait des vols en partenariat avec Air France ?
Oui, le vol IW (Air Lib) était aussi un vol AF (Air France). Donc, le vol IW/AF décolle.
C’est le lever du jour. Juste après la vitesse de décision, V1, l’équipage technique de
l’Airbus A-340 UB (UNIFORM BRAVO) aperçoit des oiseaux prenant leur envol sur la
gauche. Aussitôt une détonation est perçue par les trois pilotes, les PNC, les passagers
mais aussi par des membres de l’aéro-club situé à proximité de la piste. Simultanément,
le régime du moteur N°2 diminue tandis que sa température augmente : ces éléments,
extraits du relevé des paramètres (ci-dessous) caractérisent le pompage d’un réacteur.
200,00
880
180,00
875
870
160,00
865
140,00
860
N1
Actu
al
Eng
2
120,00
855
100,00
Com
pute
d
Airsp
eed
850
80,00
845
N1
Targ
et
Eng
2
60,00
840
40,00
835
20,00
830
0,00
825
1 sec
3 sec
5 sec
7 sec
9 sec
11 sec 13 sec 15 sec 17 sec 19 sec 21 sec 23 sec 25 sec 27 sec 29 sec 31 sec 33 sec
EGT
Eng
2
52
Time
Pressure
Computed
EGT
EGT
EGT
EGT
N1
N1
N1
N1
Sec
Altitude
Airspeed
Eng1
Eng2
Eng3
Eng4
Actual
Actual
Actual
Actual
Eng1
Eng2
Eng3
Eng4
Feet
41
7
151
845
849
849
856
95,38
95,31
95,31
95,38
42
-21
155
845
850
850
857
95,31
94,63
95,38
95,38
43
-27
156
846
873
851
857
95,50
78,44
95,38
95,31
44
-34
156
847
869
851
858
95,25
93,19
95,31
95,31
On remarque sur ce document que, 43 sec après le lâcher des freins, la température
turbine du réacteur N°2 varie de 850° à 873° tandis que le régime passe de 94,63% à
78,44%.
Qu’est-ce qu’un pompage réacteur ?
Le pompage provient du dérèglement de l’écoulement aérodynamique à l’intérieur d’un
réacteur. Il entraîne de fortes variations de pression accompagnées de fortes détonations.
Les vibrations qui en résultent risquent de provoquer la formation de criques ou même
la rupture d’ailettes. La vitesse de rotation de certains composants du réacteur est en
effet parfois supérieure à 10 000 tours/mn.
Si une seule ailette se détache, les étages postérieurs vont perdre également leurs ailettes
sur chocs réciproques, celles-ci pouvant alors percer la partie externe du réacteur et
servir de projectiles vers l’aile, les réservoirs de carburant, la cabine des passagers…
Comment le commandant de bord de ce vol a t-il géré l’incident ?
Après le décollage, l’équipage constate que tous les paramètres des 4 moteurs sont
corrects et le commandant de bord demande par SATCOM (communication satellite)
aux Opérations Air Lib d’Orly de prévenir les services de maintenance qu’une collision
avec des oiseaux, et sans doute une ingestion, a eu lieu au décollage, afin que les
paramètres moteurs transmis par le système ACARS (Aircraft Communications,
Addressing and Reporting System) soient vérifiés. A ce moment-là, il n’a pas encore
pris la décision de continuer vers Roissy et, pour cela, souhaite avoir des précisions sur
l’état du moteur N°2. N’ayant pas de réponse, le vol est poursuivi.
53
Pourquoi n’a-t-il pas eu de réponses.
Le Chef de quart qui a reçu le message par SATCOM l’a transmis aux services
d’entretien mais, ce jour-là, le système ACARS avait été déconnecté par le Centre de
Contrôle de Maintenance.
Comment le vol s’est-il déroulé ?
Tout à fait normalement. A l’arrivée, le commandant de bord reporte l’incident sur le
CRM (compte-rendu matériel), séquence 2880, précisant qu’il s’agit d’une ingestion
d’oiseaux par le réacteur N°2 et peut-être par le réacteur N°1. De plus, il transmet
immédiatement à la Compagnie Air Lib un Air Safety Report (ASR N°95633),
document réglementaire en cas d’événement de ce type en exploitation, qui décrit
parfaitement l’incident.
En quoi êtes-vous concerné dans cet incident ?
Quelques jours plus tard, le 8 mai 2002, je dois effectuer avec mon équipage le vol IW
2251/AF4990, Orly/Saint-Denis de la Réunion, à bord de cet avion, l’Airbus A-340 UB.
Ayant pu lire une copie de l’ASR N°95633 quelques jours auparavant, je souhaite, avant
d’effectuer ce vol, m’informer des travaux effectués par les services de maintenance
suite à ce pompage réacteur.
Au cours de la préparation du vol, je demande donc que l’on me fasse parvenir par fax
une copie de la séquence 2880. Constatant que seule une inspection visuelle de l’entrée
d’air du moteur N°2 avait été effectuée à l’arrivée du vol IW 2262/AF4993 le 03 mai,
j’exige qu’une inspection complète de ce moteur soit effectuée avant le départ du vol
IW 2251/AF4990.
Une inspection visuelle du moteur n’était pas suffisante ?
Non, c’est le constructeur, ici Airbus, qui fixe les procédures à appliquer pour
l’entretien des avions. Ces procédures sont à la disposition des compagnies dans un
document appelé « Aircraft Maintenance Manual » (AMM). En cas de pompage
54
réacteur suite à l’ingestion d’un corps étranger (oiseau par exemple), Airbus demande
que le fan, le compresseur haute pression et la chambre de combustion soient inspectés
pour détecter d’éventuelles criques ou déformations. Pour cela on utilise un système de
visée optique, le « borescope ». Il faut faire également un essai du moteur à puissance
maximum. Si une aube du compresseur est fragilisée par une crique, elle peut se rompre
à tout moment, immédiatement ou après une dizaine de vols par exemple. Ces
vérifications étaient donc absolument nécessaires.
Donc, le 3 mai au soir, cet Airbus repart en vol sans avoir été inspecté.
Oui, il va voler ainsi pendant cinq jours, effectuer 6 étapes entre Paris et Saint Denis de
la Réunion en partenariat avec Air France sans aucunes garanties quant à l’état
technique d’un de ses réacteurs : IW2261/AF4992 le 03 mai, IW2252/AF4991 le 04
mai, IW2251/AF4990 le 05 mai, IW2262/AF4993 le 06 mai, IW2261/AF4992 le 06 mai
et IW2252/AF4991 le 07 mai.
Pourquoi avez-vous retenu cet incident dans votre « retour d’expériences » ?
Il est intéressant d’analyser comment ce « bird-stike » a été géré par la compagnie Air
Lib, par la compagnie Air France, par la DGAC et enfin par la justice puisque à la suite
de cet incident j’ai déposé une plainte avec constitution de partie civile pour mise en
danger de la vie d’autrui. La sécurité des vols dépend de très nombreux paramètres
techniques et humains. Le moindre dysfonctionnement d'un composant même
accessoire de l'avion, la moindre défaillance humaine peut avoir des conséquences
tragiques. La question à poser est donc : « peut-on faire n’importe quoi quant il s’agit de
transporter des passagers ? » Il semblerait que oui…
On commence par Air lib ?
Oui. Donc l’Airbus A-340 UB, victime d’une collision avec des oiseaux, s’est posé à
Charles de Gaulle le 3 mai en fin d’après midi. Il repart sans que les vérifications
imposées par Airbus en cas de pompage réacteur soient effectuées. Toute la chaîne
d’exploitation est informée le soir même de l’incident : le Directeur des Opérations en
VOL (DOV), le Directeur Technique (DT) et le Directeur Qualité mais l’Airbus va
55
voler ainsi pendant cinq jours, environ 1000 passagers et 78 membres d’équipages
prenant place à bord !
Le 07 mai, le Responsable Sécurité des Vols (RSV) d’Air Lib semble découvrir le
problème. Il demande à l’Assistante Direction Technique de transmettre un message et
l’ASR 95633 en pièce jointe au Directeur des Opérations en Vol, au Directeur
Technique et au Directeur Qualité en faisant préciser « ce document est classé
confidentiel sécurité des vols et ne doit pas être diffusé autrement que de façon
maîtrisée sous votre responsabilité ». En outre il demande aux destinataires
« d’apporter une réponse pour les points qui les concernent dans les meilleurs délais au
RSV ».
----- Original Message ----From: Jamila Bentayeb/AirLiberte <[email protected]>
To: Luc Tisserand/AirLiberte <[email protected]>
Cc: Pascal Frochot/AirLiberte <[email protected]>;
_FWG_Jamard_Michel<[email protected]>;
Montezume/AirLiberte<[email protected]>;
Thierry Ponsard/AirLiberte<[email protected]>;
Philippe Gaillard/AirLiberte<[email protected]>
Sent: Tuesday, May 07, 2002 10:59 AM
Subject: ASR N °95633
Veuillez trouvez ci-joint l'Air Safety Report n° 95633 du 03/05/2002
pour action (destinataires)
pour information (ampliataires)
(See attached file: ASRN°95633.doc)
Attention : ce document est classé confidentiel sécurité des vols et
ne doit pas être diffusé autrement que de façon maîtrisée sous votre
responsabilité.
Merci aux destinataires de ce mail d'apporter une réponse pour les
points qui les concernent dans les meilleurs délais à M.Bernard
BALMONT.
Vous en souhaitant bonne réception, je vous prie d'agréer nos
meilleures salutations.
Pour B. BALMONT
RSV AIR LIB
Il est donc 11h le mardi 7 mai. L’incident a eu lieu le vendredi 3 au matin.
56
Un document classé « confidentiel sécurité des vols », ça existe ?
Oui, dans les compagnies qui ont intérêt à ce que le public ignore ce qui se passe
réellement…Donc, pendant que l’encadrement d’Air Lib décide de planquer cette
affaire, l’Airbus A-340 UB est à Saint Denis de la Réunion mais aucun contrôle du
moteur N°2 n’est effectué et, ce qui est inadmissible, il sera, à son retour à Orly le
lendemain, affecté au vol IW 2251/AF4990 du 08 mai dont j’aurai la responsabilité,
pour une 7e étape consécutive depuis l’incident du 03 mai sans inspection sérieuse du
moteur N°2.
Le 08 mai, l’A-340 UB arrive à Orly dans la matinée en provenance de Saint Denis de
la Réunion. Le moteur N°2 de cet avion n’a toujours pas été sérieusement inspecté
(borescope) lorsque je débute la préparation du vol IW 2251/AF4990. Après l’avoir
constaté, je fais faire les vérifications nécessaires.
Ainsi, les responsables de l’exploitation de la compagnie Air Lib ont volontairement
planqué l’erreur de maintenance et choisi de laisser cet avion voler. C’est une faute.
Nous ne vivons pas dans un monde exempt d’erreur. Ce droit est reconnu à tous tant que
trois conditions restent réunies : la démarche est sincère et est exempte de faute
caractérisée, elle n’a pas de conséquences « pénales » (mise en danger des personnes et
des biens) et elle est identifiée et aussitôt corrigée. Du côté d’Air Lib, le DOV, le DT, le
DQ et le RSV ont donc commis une faute en connaissance de cause car ils ne pouvaient
ignorer les conséquences désastreuses d’un pompage réacteur. Malheureusement ce
genre d’attitude est une pratique courante dans le transport aérien car la sécurité est
devenue un frein à la productivité. Il est plus important d’assurer le programme des vols
et donc de remettre les avions en ligne rapidement, que de respecter la confiance des
passagers, même s’il faut pour cela immobiliser un avion. A cette époque, la
maintenance des avions d’Air Lib était totalement désorganisée, CORBET était
accaparé par son business. A propos de cet incident il a affirmé que les opérations de
maintenance avaient été menées conformément au manuel de maintenance d’Air Lib et
que le borescope que j’avais exigé présentait un caractère facultatif… ce qui est faux
bien entendu.
Air France justement, comment la « grande maison » a t-elle géré l’incident ?
57
Air France effectuait des vols vers la Réunion en partenariat avec la compagnie Air
Lib : avions d’Air Lib, équipages d’Air Lib mais passagers ayant un billet Air France en
leur possession. Suite à cet incident, j’ai donc demandé la résiliation de mon contrat de
travail et déposé une plainte pour mise en danger de la vie d’autrui. Ce n’était pas
suffisant car je pensais qu’il fallait rapidement empêcher ces gens-là de nuire. Je
redoutais un accident. Du côté de ma compagnie j’étais dans une impasse. Les salariés
qui avaient échappé à un premier dépôt de bilan souhaitaient d’abord qu’Air Lib
parvienne à survivre, ce qui est tout à fait compréhensible. Le RSV, lui, avait pris parti
contre moi malgré l’évidence. Au cours du mois de juin 2002, il avait affirmé dans un
communiqué que l’Airbus A-340 UB avait été remis en ligne le 03 mai 2002 à l’issue
de procédures d’entretien et de vérifications des moteurs conformes à l’AMM. ! Qu’un
RSV ignore ce qu’est un pompage réacteur est tout à fait étonnant ! Il faut rappeler en
outre qu’Air Lib était dans une situation financière catastrophique et que l’état de la
maintenance de ses avions était très critique. Une vraie compagnie poubelle.
L’existence même d’un RSV dans cette compagnie était une anomalie… Que faire ? Me
tourner vers l’autorité de tutelle, la DGAC ? Jusqu’alors, cette administration avait fait
preuve de beaucoup de complaisance à l’égard d’AOM et d’Air Lib. Je pensais qu’il n’y
avait pas de raison pour que cela change. La suite me donnera raison.
Qu’avez-vous fait ?
J’ai contacté le Responsable Sécurité des Vols de la compagnie Air France. Le message
que je voulais faire passer était : « attention, on ne maîtrise plus rien dans cette
compagnie, voici ce que l’encadrement est capable de faire ». Ca m’est rapidement
retombé sur la gueule. Le RSV Air France a contacté la Direction Qualité de cette
compagnie pour l’informer des pratiques en cours à Air Lib, ce qui est normal. La
Direction de la Qualité Air France a contacté la Direction de la Qualité Air Lib (qualité
à Air Lib, ça m’a toujours fait rigoler…) « qu’est-ce qui se passe chez vous, y’a un
commandant de bord qui dit que…etc. », et le Directeur des Opérations en Vol d’Air
Lib (DOV) a hurlé « c’est Marnet-Cornus qui balance, faut lui envoyer nos avocats !!! »
Voici un extrait du courrier que mon avocat avait adressé à M ; SPINETTA, PDG d’Air
France suite à mon licenciement pour faute grave :
58
Le 11 juin 2002 à 11h27 AM, M. Laurent BARTHELEMY, Responsable de la Qualité à
Air France, contactait la Direction de la Qualité d'Air Lib, par un message adressé à
M. Philippe GAILLARD et M. Boris SERS pour les informer qu’un Commandant de
Bord leur avait transmis les éléments d’un incident survenu sur un vol en code-share
IW/AF et, en désignant mon client, il précisait, « qu’il n’encourageait pas ce genre
d’initiative »…
Devons-nous déduire que la sécurité des personnes et des biens n'est pas le premier
souci d'un transporteur aérien tel qu'Air France ?
C’est à la suite de cet échange de messages que vous avez été licencié ?
Oui, le DOV était fou de rage, j’étais un traître. Voici le motif du licenciement pour
faute grave : divulgation de précisions portant sur des paramètres moteurs à une
compagnie partenaire sur le plan commercial mais concurrente sur le plan national.
Aujourd’hui encore, je n’ai toujours pas compris ce que cela signifie. Dans notre pays,
la France, si un commandant de bord se préoccupe « un peu trop »de la sécurité des
passagers, il sera sanctionné, c’est la réalité. J’ai porté l’affaire devant le Conseil des
Prud’hommes et j’ai gagné.
Le 11 juillet 2002, la Direction de la Qualité Air France classait l’affaire en fonction des
éléments très précis transmis par la Direction de la Qualité Air Lib.
…et du côté de la DGAC, avez-vous eu le soutien espéré ?
Non, rien, la DGAC s’en foutait complètement. Le gouvernement Raffarin succédant au
gouvernement Jospin, de nouvelles consignes étaient à prévoir. Il était donc urgent
d’attendre, de voir venir, de ne pas prendre d’initiatives malheureuses pour éviter toute
mutation intempestive aux Îles Kerguelen.
Outre la licence d’exploitation délivrée par le ministre des transports, une compagnie
aérienne doit avoir un Certificat de Transporteur Aérien. Il est attribué par la DGAC
après que la compagnie a démontré qu’elle est en mesure de transporter des passagers
selon des méthodes d’exploitation sûres, parfaitement financées et exécutées. On en
était loin, pourtant, le 03 août 2002, la compagnie Air Lib informait son personnel dans
59
un communiqué que la DAC Nord avait renouvelé le CTA pour une période de 8 mois
alors que le précédent CTA n’avait été renouvelé que pour une période de 7 mois. La
compagnie Air Lib précisait à son personnel : « le CTA est attribué en fonction de
critères techniques et économiques ». Le ministre des transports DE ROBIEN ayant
décidé qu’Air Lib ne devait pas cesser son activité pendant l’été, il fallait donc que la
compagnie ait sa licence d’exploitation et son CTA en état de validité. Pourtant, en
juillet 2002, Mme.Bénadon, directrice du transport aérien, affirmait à propos d’Air Lib :
« la situation financière de l’entreprise est extrêmement dégradée - les perspectives de
redressement à court terme sont faibles - la perspective d’un dépôt de bilan semble
inéluctable ».
Peu de temps avant, le Responsable Sécurité des Vols d’Air Lib avait fait le constat
suivant : « nous rencontrons de très nombreux problèmes de disponibilité de flotte - la
perte de confiance envers nos collègues mécaniciens peut dégrader le niveau de
Sécurité de nos vols - l’absence de hiérarchie à Air Lib Technique se traduit par une
désorganisation des interventions et la méconnaissance voire le non-respect de
certaines procédures - les TLB [documents d’entretien des avions, ndlr] deviennent de
vrais romans. Les HIL [tolérances en courrier, ndlr] s’accumulent ou s’évanouissent
pour réapparaître régulièrement. - Les CrCdB [Compte rendu commandant de bord,
ndlr] et ASR [rapport de sécurité, ndlr] ne sont pas traités correctement - Quelques cas
nous ont été signalés de falsification de Service Check [procédure d’entretien des
avions, ndlr] » Le Service Analyse et Sécurité des Vols de la compagnie quant à lui
affirmait: « L’état de la maintenance de notre compagnie reste très critique »
A quel moment le ministre des transports de l’époque, Gilles DE ROBIEN, a t’il
décidé de maintenir la licence d’exploitation de votre compagnie en état de
validité ?
La décision a été prise le 24 juillet 2002 en réunion interministérielle au cours de
laquelle le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministère de
l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer ont d’abord constaté
leur accord s'agissant du diagnostic sur l'état d'Air Lib. Le procès-verbal de la réunion
indique ainsi que « le directeur du cabinet du secrétaire d'Etat aux transports et à la
mer considère que quelles que soient les mesures qui pourraient être prises, la situation
de l'entreprise est telle qu'un dépôt de bilan au plus tard à la fin 2002 est inéluctable.
60
Le seul facteur d'incertitude est de savoir jusqu'à quand l'entreprise pourra « tenir »
avant de déposer le bilan. Par ailleurs, les perspectives de redressement sont nulles et
la compagnie est mal gérée ».
Le cabinet du Premier ministre RAFFARIN demande alors si ce constat est partagé. Le
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie indique qu'il souscrit à cette
appréciation, aussi bien du point de vue économique que financier.
Les problèmes relatifs à la desserte des DOM sont alors évoqués par le ministère de
l'outre-mer, tandis que le ministère des transports fait part de son inquiétude quant aux
conséquences d'une cessation d'activité de la compagnie en pleine période de vacances
estivales pour les passagers ayant acheté directement leur billet à Air Lib.
Pour finir, tout ce petit monde s'est rallié à une proposition intermédiaire qui permettait
de passer l'été, et « d'écouler le trafic de retour des vacances des DOM dans de
meilleures conditions », comme l’a souligné Madame BENADON
Tous ces ministres semblaient ignorer l’état réel de la compagnie Air Lib. Qui
devait les en informer ?
C’était le rôle de la DGAC, mais elle était profondément ignorante de la réalité de ma
compagnie, comme M.JOUFFROY, directeur de cabinet de M.BUSSEREAU, secrétaire
d’Etat aux Transports l’a affirmé : « Je ne sais pas quel dossier avait exactement la
Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) sur Air Lib, mais elle était
profondément ignorante de la réalité d’Air Lib en tout cas. Quand on posait des
questions très précises et simples, par exemple sur le chiffre d’affaires et sur les pertes,
la DGAC ne pouvait pas non plus nous répondre »
Donc Air Lib vous licencie car vous étiez trop motivé par la sécurité des passagers,
Air France se range du côté de CORBET de même que la DGAC, quelle a été la
réponse de la justice ?
C’est Madame AUDAX, doyen des juges d’instruction au TGI de Créteil qui était en
charge du dossier à l’origine. Jean Marc TOUTBLANC l’a ensuite remplacé et a
prononcé le non-lieu. Thierry BLOCH, Président de la cinquième Chambre de
l’Instruction à la Cour d’Appel de Paris l’a confirmé en décembre 2006. L’instruction
n’a pas été menée correctement. Le pompage réacteur n’a jamais été évoqué, l’expertise
61
que j’avais demandée n’a jamais été réalisée et, contrairement au Code de Procédure
Pénale (Art 156), Madame AUDAX n’a pas rendu d’ordonnance motivant son refus
dans les délais prévus.
Je laisse ces gens-là devant leur conscience. Ils n’ont pas donné une bonne image de la
Justice. A la question : « peut-on impunément demander à un commandant de bord,
responsable de la sécurité de ses passagers et membres d’équipage, d’effectuer un vol
avec un avion qui n’est pas entretenu selon les exigences du constructeur et de la
réglementation ? » ils ont répondu : oui
Quelle conclusion apportez-vous à ce « retour d’expériences » ?
Suite à la liquidation d’Air Lib en février 2003, une commission d’enquête
parlementaire a été créée pour déterminer les causes de sa disparition. Elle était présidée
par le député Patrick OLLIER. Le rapport a été rendu en juin 2003. Il affirme sans
ambiguïté et de façon tout à fait officielle, que la compagnie AOM c’était un peu du
n’importe quoi, que le projet de reprise par HOLCO était caractérisé par son absence de
sérieux, qu’Air Lib n’était plus viable dès le mois d’octobre 2001, dans une situation
dramatique en février 2002 et irrémédiablement compromise en juillet, mais que son
activité a été maintenue par une organisation de tutelle ignorant la réalité d’Air Lib afin
de préserver les emplois et passer l’été
En résumé, on a laissé des équipages, des mécaniciens, des agents d’opérations, tout le
personnel chargé de la réalisation des vols se démener pour assurer l’essentiel au sein
d’une compagnie poubelle. Ce sont eux, les salariés, qui à la fin ont été précipités dans
le chômage et la précarité.
Août 2010
(avec des extraits du livre « Transport aérien, le dossier noir » ed. Privé 2006)
62