Bande de Filles de Céline Sciamma
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Bande de Filles de Céline Sciamma
Bande de Filles de Céline Sciamma Un long-métrage rageur et scintillant. Elles sont belles, elles sont noires, elles parlent et rient très fort, elles bouillonnent, de colère et de joie. Lady, Adiatou, Fily et Vic. Sous ces noms, un peu magiques, qu’elles se sont choisis, ces gamines des cités réinventent leur identité, s’affranchissent des assignations et des stigmates qui leur collent à la peau depuis la naissance – cité, sexe, couleur. Elles se déclarent héroïnes, libres et fortes, à l’image des joueuses de football américain qui se jettent les unes sur les autres dans la fabuleuse scène d’ouverture du film, au son d’un hymne post-new wave, apocalyptique et galvanisant. Cette tension entre un contexte inspiré par la réalité des banlieues française et un imaginaire ouvertement branché sur le cinéma américain est le nerf de Bande de Filles. Elle en fait l’originalité, qui vient laver à grande eau la trame du récit d’apprentissage en lui injectant un sous-texte féministe transgenre, et le lyrisme d’une ode enflammée à la jeunesse d’aujourd’hui. Elle offre à ces quatre jeunes filles noires, représentées à rebours des clichés dans lesquels leurs semblables sont généralement enfermées, un statut d’icônes générationnelles. Tout commence avec une cassure. Le jour où Marieme, 16 ans, responsable de ses jeunes sœurs et soumise à l’empire tyrannique d’un ainé jaloux de son « honneur », se voit imposer une orientation en seconde professionnelle, ses rêves se brisent sur le parquet du bureau de la principale. L’avenir bien intégré qu’elle se promettait est d’un coup réduit en poussière, et avec lui la jeune fille sage, loyale, et motivée, qu’elle était jusquelà. En sortant, elle passe devant trois « bad girls » assises sur un banc qui la reconnaissent, à la rage qu’elle diffuse autour d’elle, comme une des leurs. Surmaquillées, bling-bling à fond les manettes, ces gamines n’attendent rien de l’école, et encore moins d’une société qui leur promet au mieux de brader leur jeunesse contre un SMIC. Elles veulent tout, et tout de suite. Changement de look, d’attitude, de nom, Marieme intègre la bande, devient Vic, ne fait plus rien sans ses copines. Le jour, elles vont à Paris, font les boutiques, dansent le hip-hop sur le parvis de la Défense. La nuit, elles font les reines dans les chambres d’hôtel – bain moussant, défilé de mode, transe sensuelle sur « Diamonds », le tube de Rihanna avec lequel Céline Sciamma propulse son film dans les étoiles. A l’abri des grands frères, de la famille, des commères vénéneuses, elles s’offrent un shoot de liberté sous vide. « Girls just wanna have fun » dit la chanson. Les filles de Céline Sciamma ne sont pas révolutionnaires. Elles veulent ce que la société de consommation agite sous leur nez et que la France leur refuse, mais restent soumises à l’ordre patriarcal brutal de leur quartier. Si elles savent se battre, c’est qu’il faut bien cela pour prouver qu’on n’est pas une pute. La bande est un épisode sur la route de l’émancipation. En s’en détachant, Vic entraîne le film dans une temporalité autre, qui le leste d’une épaisseur romanesque. Refusant l’avenir de « bonne petite épouse » que lui propose son jeune amoureux, elle entre, « solide et solitaire », au service du baronnet de la drogue local. A l’horizon, un nouveau mur l’attend, mais le goût de la liberté donne des forces. Pionnière d’un genre nouveau, elle ouvre la voie à une armada de petites sœurs conquérantes à qui rien ni personne ne pourra interdire d’exister. Isabelle Regnier
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