Bertrand Munier, Chef économiste du MOMA
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Bertrand Munier, Chef économiste du MOMA
Conférence à Washington du 25 juin 2007 Discours de Bertrand Munier Bertrand Munier, Chef économiste du MOMA Lord Keynes avait une vision plutôt sombre de l’enseignement, qu’il définissait comme « l’inculcation de l’incompréhensible aux ignorants par les incompétents »… En présentant le modèle des « Nouvelles Régulations Agricoles » (NAR), on procède quasi exactement à l’inverse : ce modèle est en effet appuyé sur un ensemble différencié de savoir-faire et de compétences, et j’essaierai de le rendre compréhensible ! Notre équipe rassemble des chercheurs de formations diverses (en particulier en économie et ingénierie) et expérimentés. Mais chacun d’entre eux a une connaissance pratique minimale des métiers de l’agriculture dans nombre de pays du monde, y compris des PVD. Pour ce qui me concerne, je dois ma formation à trois pays différents : le Maroc, où j’ai vécu – à la campagne comme à la ville, Rabat et Casablanca notamment – pendant près de vingt ans et où je conserve des liens très solides ; la France, où j’ai fait mes études et où je vis ; et les Etats-Unis – envers lesquels j’ai une dette, à la fois intellectuelle et humaine. Le temps que j’ai passé en tant qu’étudiant en doctorat à Princeton, sous la direction d’Oskar Morgensern et de Fritz Machlup ; un post-doc à Yale ; et des contacts ultérieurs très fréquents avec le monde académique dans ce pays m’ont laissé parmi mes meilleurs souvenirs et pis en contact avec quelques-uns de mes meilleurs amis. Tous, nous sommes fortement motivés pour tenter de mieux rendre compte et de fournir une image meilleure de l’agriculture dans le monde que ce qu’offrent en ce moment les organisations internationales. Car l’image qu’en donnent la plupart des modèles utilisés est bien étrange. On nous a dit pendant des décennies que les prix agricoles se stabiliseraient un jour autour de leur prix de marché. Et pourtant, dans les trente dernières années, les prix agricoles – à la différence des prix industriels – ont continué de fluctuer très largement (graphique 1). On nous a dit aussi que la raison pour laquelle ces prix ont continué de fluctuer aussi violemment n’était que temporaire. Cela tien simplement au fait que les Hommes ont été suffisamment déraisonnables pour ne pas se débarrasser des tarifs, quotas et autres types de barrières au libre commerce, y compris les subventions aux agriculteurs : mais supprimer toutes ces barrières ouvrirait la voie à la stabilité. Pourtant, les obstacles de ce type ont été peu à peu supprimés dans les vingt cinq dernières années, et les fluctuations des prix agricoles se sont accrues de façon également étonnante, dans certains cas de façon angoissante. D’où les erreurs répétées des modèles les plus fréquemment utilisés (graphique 2). Peut-être la voie ouverte est-elle une très longue voie, mais avec des cheminements aussi longs, ne seront-nous pas tous morts avant que quoi que ce soit ne se passe? Graph. 1 : Prix du boisseau de blé en dollars constants 1998, 1841 – 2001 Source : CBOT, reproduit dans « La régulation des marchés agricoles. Un enjeu décisif pour le développement », p.68, dir. JM. Boussard, H. Delorme, L’Harmattan, 2007. Graph. 2 : Erreurs de prévision de la production de l’un des modèles d’usage courant Source : Baumel, C.P, « How U.S. Grain export projections from large scale agricultural sector models compare with reality », IATP, 2001. Comment expliquer une situation aussi paradoxale? Je suggère que la réponse se trouve fort bien éclairée par l’histoire des États-Unis. Au début des années Trente, les économistes de l’équipe de Roosevelt en vinrent à penser que l’agriculture, considérée comme un secteur entièrement spécifique, nécessitait des politiques discrétionnaires spécifiques, même si ces politiques s’écartaient d’une série des règles de la stricte orthodoxie telles que celles qui prévalent pour l’industrie et les services. Les effets sur la production agricole furent substantiels (graphique 3). Graph. 3 : Mouvement séculaire des rendements en blé, E-U et France, 1815 - 2004 Politique de F.D. Roosevelt Intervention Après-guerre Source : « La régulation des marchés agricoles. Un enjeu décisif pour le développement », p.69, dir. JM. Boussard, H. Delorme, L’Harmattan, 2007. Après la Seconde Guerre Mondiale, les enjeux avaient complètement changé. Les problèmes dont souffraient les populations concernaient alors les contrôles de change, l’inconvertibilité de nombreuses monnaies (y compris les principales monnaies européennes), les barrières de toute sorte au libre commerce qui avaient été nécessaires aux économies de guerre, l’absence d’initiative privée héritée de l’organisation de certaines économies d’avant-guerre, etc. En un mot, des règlementations abusives demandaient à être démantelées, d’autant plus qu’un besoin profond de développement économique s’était manifesté. Ce fut l’époque où les étudiants en économie dans les pays occidentaux vinrent à découvrir qu’il existait un « Tiers-Monde » Le point focal des questions cruciales avait donc complètement changé. Celui des solutions évidemment aussi. Dans de telles circonstances, comment aurait-on pu contester que des marchés libres étaient devenus fondamentalement le modèle à atteindre, sous réserve des cas de dysfonctionnement que les économistes classifient et documentent soigneusement ? Encore ne l’a-t-on fait que progressivement, comme le montrent l’histoire des diverses méthodes d’abolition du contrôle des changes. Et puis, plusieurs problèmes rencontrés ont conduit à corriger substantiellement la nouvelle doctrine . Mais la conviction générale ne pouvait pas ne pas demeurer, renforcée plus tard par l’écroulement du Mur de Berlin. Parfait! Mais la notion de spécificité de l’agriculture fut perdue en chemin entre l’avant- et l’aprèsguerre, alors qu’elle n’avait aucune raison de l’être. Je crois que nos modèles principaux en usage dans les négociations internationales sont des produits de ce mouvement d’idée déclenché par la Seconde Guerre Mondiale. L’origine du puzzle est au cœur de ce mouvement d’idées. Je développerai ainsi rapidement trois points : 1/ Les modèles en usage donnent une représentation plus que discutable du monde. 2/ N otre modèle des “New Agricultural Rules” (NAR, Nouvelles Régulations Agricoles) vise à de très substantielles améliorations 3/ L’usage futur de ce modèle doit être précisé et le modèle lui-même amélioré dans l’avenir. 1/ Lorsque nous avons examiné il y a plus de deux ans maintenant, les principaux modèles économiques sur lesquels les négociateurs peuvent s’appuyer effectivement, nous avons été franchement et profondément surpris par sept traits, que voici pour l’essentiel : 1.1 - Aucun modèle connu ne prend en compte le degré d’auto-suffisance des différents pays. Ceci était bien ‘naturel’ dans les esprits des Lumières, lorsque le Dr. Quesnay, Adam Smith, Turgot et d’autres expliquaient que le commerce international, quoique signifiant littéralement « commerce entre les nations », était en effet un commerce entre des individus. Mais les temps changèrent rapidement : trente ans plus tard, au temps du ‘Blocus Continental’ par Napoléon, peu d’économistes se risquaient à de telles affirmations. Et les temps ont aujourd’hui changé bien davantage encore… Bien des exemples que l’on peut offrir montrent que, dans les périodes turbulentes comme celles vers laquelle on s’achemine, il devient coûteux, en terme même d’efficience espérée et donc de bien-être espéré, qu’un ou plusieurs pays soient trop loin d’un niveau optimal d’autosuffisance. L’expérience occidentale en fait de pétrole aurait dû rendre cet aspect des choses évident pour tous. Les produits alimentaires et l’agriculture sont des secteurs stratégiques, non sans évoquer le secteur pétrolier ou ceux de l’énergie. Les hommes politiques ont tendance à l’oublier, mais ils auront à revenir à cette réalité dans un avenir proche. Le fait est que nous vivons avec des réserves très faibles de nourriture, dans beaucoup de pays. Nous sommes et seront de façon croissante soumis à des évènements climatiques et, hélas, à des interventions susceptibles de désorganiser nos approvisionnements en nourriture. 1.2 - Quasiment aucun modèle existent ne prend en compte l’incertitude très spécifique à laquelle les producteurs agricoles sont soumis. Il faut insister sur le fait que l’agriculture est un secteur spécifique parce qu’elle concentre trois traits caractéristiques : a) Les demandes finales sont relativement inélastiques au prix, pour bien des productions, et la substituabilité entre groupes de produits (largement agrégés) est limitée. b) Les prix, ainsi qu’on l’a déjà relevé, fluctuent de façon violente. c) Une fois prise la décision de mettre en production des quantités données de produits, on ne peut plus ajuster ces quantités jusqu’à la récolte (alors que les producteurs d’automobiles peuvent procéder à des réglages fins à travers des diminutions de cadences, voire à travers du chômage technique, etc.) Ces trois caractéristiques prises dans leur ensemble font de l’agriculture un secteur spécifique. Ce sont elles qui « produisent » l’essentiel des fluctuations de prix et de risque de marché. Ce qu’il importe de comprendre ici, c’est qu’il s’agit d’un cas de risque « endogène », un type d’incertitude qui n’appelle pas les mêmes politiques que le risque standard « exogène », comme les fluctuations du régime naturel de la température, de la pluviométrie, etc., qui sont les exemples types des explications de la volatilité des prix agricoles. Le contraste est saisissant en regard de la volatilité des prix des secteurs industriels (graphique 4). Ces remarques devraient faire admettre que la façon dont les agriculteurs « traitent » le risque est un paramètre extrêmement sensible de l’activité et des marchés agricoles, et pourtant, la quasi-totalité des modèles ignorent ce fait. Comment, dès lors, définir des politiques appropriées si nous manquons d’un instrument qui puisse correctement évaluer l’impact de telle ou telle politiques sur la volatilité des prix ? Graph. 4 : Volatilité des prix des Tomates, du sucre et des automobiles Source : http://economagic.com <http://economagic.com/> 1.3 - Quasiment aucun des modèles économiques existants dans le domaine n’est organisé de façon à pouvoir légitimement émettre une évaluation de l’impact d’une politique ou d’une autre sur la pauvreté. L’exemple le plus flagrant est qu’un seul consommateur « représentatif » est modélisé pour chaque pays, de telle sorte que nous ne sommes tout simplement pas en mesure de savoir, à supposer que tel pays voit son bien-être amélioré (ou détérioré) en moyenne, qui bénéficie et qui perd à l’intérieur du pays en question. Comment pourrions nous savoir alors si l’impact de telle ou telle politique par rapport à une autre améliore le sort des pauvres à l’intérieur de tel ou tel pays ? Et comment les hommes politiques peuvent-ils affirmer que la libéralisation améliorera la situation des plus pauvres ? 1.4 – La plupart des modèles économiques utilisés par les négociateurs ignorent les impacts sur l’innovation, le bien-être et la distribution des revenus du système de protection de la propriété intellectuelle. Et pourtant, ces questions sont d’une importance déterminante en termes de niveau d’activité innovante mais aussi en termes de qui reçoit les redevances, en termes d’effets sur la concurrence et en termes de prix aux consommateurs. Cette protection de la propriété intellectuelle se réfère à des accords multilatéraux ou à des accords bilatéraux. Ceux-ci ont des impacts extrêmement différents sur la concurrence et le bien-être. Dans la pratique, ces types d’accords sont une pièce décisive du dispositif de croissance à long terme et du système de répartition des revenus à long terme. Mais la plupart des modèles économiques en usage chez les négociateurs les ignorent superbement. 1.5 - Une question que l’on peut aussi se poser est celle de savoir comment les modèles en usage prennent en compte l’épuisement des ressources naturelles et les impacts divers que l’agriculture (et d’autres activités économiques) peuvent avoir sur l’environnement. Comment décider, par exemple, de l’intérêt éventuel d’une taxation qui pourrait être envisagée par des pays se pliant aux normes environnementales quand d’autres ne le font pas ? Ignorer les standards environnementaux pourrait être en effet une façon pour certains pays d’acquérir des avantages compétitifs différentiels par rapport à d’autres. L’OMC a mis hors la loi quelque sorte que ce soit de ce que l’on pourrait appeler « schéma de taxation verte compensatoire », pour l’instant, mais cela ne saurait être fondé sur une évaluation économique que nous n’avons pas les moyens de faire, et l’idée pourrait émerger à nouveau dans l’avenir. 1.6 - Des remarques similaires pourraient être faites concernant le capital humain eu égard au développement soutenable. 1.7 - Dans le même temps, le besoin de transparence accrue dans l’interprétation des modèles économiques (qui peut et doit aller bien au-delà des considérations commerciales ou financières, quelque respectables et fondamentales que celles-ci puissent être) semblerait recommander une moindre complexité des modèles en question. D’où une vraie question et un vrai défi ! Mais la conclusion demeure que l’on a besoin, pour avoir davantage d’éclairage sur les questions en jeu, d’un nouvel outil. C’est ce besoin que le modèle NAR cherche à combler. 2/ Un modèle d’Equilibre Générable Calculable (EGC) est une représentation simplifiée du monde à travers une série d’équations, certaines consacrées à décrire les comportements de certains agents, d’autres ayant un sens comptable, etc. Dans un tel modèle, l’adjectif « général » signifie que les quantités demandées (et offertes) dépendent de beaucoup de prix à la fois. Pour préserver une relative simplicité d’interprétation, nous avons décidé d’utiliser une architecture modulaire du modèle, organisant autour d’un module central des modules périphériques plus petits, chacun consacré à l’une ou l’autre des questions évoquées ci-dessus (graphique 5). Le module central est en train de toucher à la fin de la période de construction en ce moment (juillet 2007). Il comprend l’ensemble des secteurs agricoles, industriels et de services. Nous aimerions y inclure les biocarburants comme sous-secteur de l’énergie, mais les données font pour l’instant manquantes et c’est l’une des nombreuses questions qui nous restent à résoudre. Le modèle prend en compte cinq facteurs de production (travail qualitifé, travail non qualifié, capital, terre et autres ressources naturelles) Les stocks jouent un rôle très important dans le modèle, en particulier les stocks de produits primaires : ils sont modélisés en conséquence. Le modèle NAR est en mesure de produire des équilibres de sous-emploi, ce que ne font pas la plupart des modèles existants. Graph 5 : Architecture du modèle des Nouvelles Régulations Agricoles (NAR) Politic s - Eco Criteria 6 and Environ ment a nomic s - Finan - Politic ce Mo al dule - Excha data nge rate - Expo s and all rts and exchan Im - Trans ge barr ports c ports iers osts 7 nd soc iety Criterio n4 Simpli fied CG Criterio E mod Crop supply n5 el Prices Innova tion Growth and future g effects on enerati ons Income s Animal supply Produc tion factors Criterio n1 terion o an asp f “level of se lf ect of a ppraisa sufficiency ”a ppea l of th from th e defin e results of e rs in this cas e ed relia a nce co ch simulatio as efficien n t The cri Source : MOMA, 2005, d’après B. Munier, N. Drouhin, M. Trommetter Criterio n3 The eff ects on poverty Criterio n2 The cri teri climatic on “Taking in to a of the s nd market ri account sk et-up fo r the ce s” is part ntral m odel Quant à la pauvreté, la demande finale sera éclatée en quatre catégories différentes de ménages: les urbains riches, les urbains pauvres, les ruraux riches, les ruraux pauvres. Cet éclatement des ménages nous permettra de vraiment dire si telle ou telle politique bénéficiera aux urbains pauvres ou aux ruraux pauvres ou si, au contraire, elle sera défavorable à l’une ou à l’autre de ces deux catégories. Ce sont les ruraux pauvres qui soulèvent un problème spécifique : si leurs revenus viennent à être affectés défavorablement, ils n’ont en effet guère le choix. Ou ils s’adonnent à des cultures illégales mais plus rémunératrices (plantes dont une drogue peut être extraite, par exemple). Ou bien ils cèdent leur terre à quelqu’un de plus riche, soit à un fermier de l’agriculture moderne (dont ils deviennent souvent l’employé agricole lorsque celui-ci veut remettre la terre en culture dans l’immédiat, c’est le meilleur des cas), soit à quelqu’un d’autre du pays (ou à un étranger) qui achète la terre pour autre chose que pour la cultiver. En ce cas, ils partent s’agglomérer aux bidonvilles qui entourent les villes du Tiers-monde. Dans ce dernier cas, il advient d’eux à peu près n’importe quoi, depuis la carrière de gangster plus ou moins grand jusqu’au trafic de drogue quand ce n’est pas pire. La guerre contre le terrorisme devrait être d’abord conduite sur ce front-là. Ce dernier effet pourrait bien être le plus clair des effets d’une libéralisation totale des marchés, davantage que de rendre les pauvres plus riches. J’aurais tendance à penser que, dans un premier temps tout au moins, la « grande ouverture » à des marchés totalement libres peut certes profiter en moyenne au revenu de pays en voie de développement parmi les plus défavorisés, mais en même temps rendre les pauvres plus pauvres et intégrer les bidonvilles dont on vient de parler (graph. 6). On peut être raisonnablement plus optimiste sur la période séculaire, mais, comme l’a noté Lord Keynes au siècle dernier, « dans le long terme, nous serons tous morts ». Entre-temps, combien de trafiquants de drogues, combien de terroristes aurons-nous fabriqué ? Graph 6: Séquence simplifiée de libéralisation totale Source : MOMA, 2005, d’après B. Munier, N. Drouhin, M. Trommetter Je crois qu’il y a de bonnes raisons de penser que cette manière de voir est une interprétation simplifiée (graph. 6) mais correcte de faits que nous voyons déjà se produire, contrairement à l’incantation de la création de X milliards de dollars de bien-être supplémentaire pour les plus pauvres. Certains articles récents parmi les plus avisés des économistes agricoles vont en tout cas dans ce sens. D’un autre côté, notre équipe a procédé à certaines simulations de prix, en équilibre partiel pour l’instant, qui donnent du comportement des prix agricoles une image assez proche des observations qui ont pu être faites (cf. graph. 7 ci-après, à rapprocher des 40 premières années du graph. 4 ci-dessus). NAR réussira peut-être à combler le fossé entre prix calculés et prix observés en agriculture. Graph. 7 : Premières simulations de prix (en équilibre partiel) Source : MOMA, 2007, d’après JM. Boussard et B. Munier. Finalement, nous espérons avoir une première version “minimale” du modèle à la fin 2007/début de 2008, des versions mieux ‘calées’ et plus complètes devant suivre en principe. Notre tâche actuelle est celle de la liaison entre les modules central et les modules périphériques. Nous espérons participer à des congrès à partir du printemps 2008 et présenter notre modèle de façon peu à peu plus complète par la suite. Clairement, il s’agit d’un effort de longue haleine, qui ne s’achèvera jamais, comme le travail de Sisyphe, quoique, nous l’espérons, la montagne finira par bouger un tant soit peu. 3/ Comment le modèle NAR pourra être utilisé? Il le sera par les gouvernements, les agences publiques, les institutions internationales, les ONG, les centres de recherche, etc. qui en exprimeront le souhait. La propriété intellectuelle en sera protégée, mais les licences d’utilisation seront accordées aux utilisateurs potentiels sur une base ‘non-profit’ . Le modèle sera aussi ouvert à toutes suggestion de qui que ce soit où que ce soit, sous supervision minimale d’un comité scientifique international. Il permettra ainsi d’évaluer quels effets sur l’output, sur la demande, sur la pauvreté, sur l’environnement, sur la désorganisation potentielle de la demande, etc. les politiques sur les tarifs douaniers, le partage des infrastructures, les quotas d’importations mais aussi les politiques de stabilisation des prix ou de chevillage ajustable de ceux-ci, etc. pourraient avoir. Il est certain que les politiques sont déterminées par la négociation et ont besoin d’être coordonnées. Mais les négociations doivent être fondées sur des évaluations suffisamment crédibles des conséquences que les politiques sont susceptibles d’entraîner. C’est pourquoi les négociations internationales sur l’agriculture appellent dès aujourd’hui un modèle plus approprié. C’est ce qui justifie nos efforts présents. Conclusions provisoires Comme les deux précédents orateurs l’ont indiqué, le but ultime de nos efforts est de créer pour les agriculteurs des conditions de vie acceptables dans le monde de demain et pour ceux qui usent de leurs produits un bien-être aussi élevé que possible, en respectant des contraintes raisonnables sur l’environnement et en assurant la capacité de nourrir l’Humanité sous des contraintes de probabilité suffisamment faible d’insuffisance de l’offre dans chaque pays. La concurrence sur des marches libres doit jouer pleinement son rôle à cet égard, à l’intérieur de règles susceptibles de s’appuyer, dans chaque région du monde, à chaque entrepreneur désireux d’entrer dans la branche comme à chacun de ceux qui y sont déjà installés. Le modèle NAR doit aider à déterminer de telles règles, en même temps qu’il jettera un regard plus réaliste sur les avenirs possibles de notre monde et sur les organisations possibles de l’agriculture de demain. En définitive, le but est de remplacer la peur de l’action et les menaces d’aller devant les tribunaux (qui expliquent en large part le blocage actuel du DohaRound, par de la confiance due à un modèle crédible, et une inclination à la coopération et à l’arbitrage. *** > Propriété exclusive du MOMA. Tous droits de reproduction réservés, sauf autorisation express du MOMA Adresser les demandes à Dominique Lasserre, [email protected] 1 Il convient d’ajouter, pour être complètement honnête, que, dans certains pays européens, la recette du marché libre a pris davantage de temps à diffuser dans l’ensemble de la Société que l’on n’aurait pu le penser. Plusieurs historiens ont insisté, à cet égard, sur le rôle inhibiteur des idéologies, pour l’essentiel héritées des expériences socialistes des années Trente. Dans l’après-guerre de la pénurie, des bas revenus, de la pauvreté, une forte dose d’oubli a permis de transformer dans les mémoires quelques expériences d’avant-guerre en âge d’or. Jean-Paul Sartre – quelque admirable que son œuvre puisse être par ailleurs – n’hésita ainsi pas, au milieu des années cinquante, à affirmer que le niveau de vie soviétique dépasserait bientôt le niveau de vie américain !... Dans les années Quatre Vingt encore, encore, plus d’un pays n’avait pas procédé à cet aggiornamento culturel. 2 Dans une célèbre lettre à Mademoiselle Julie de Lespinasse.