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Filiatio
Belgique - België P.P. - P.B.
1099 BRU X
BC31550
n° agr. P913051
Ensemble, défendons le lien intrafamilial.
Mensuel n°1 octobre 2011
Filiatio
Ne paraît pas en juillet et août
Prix de vente : 3,50€
Hommes-femmes, drôles de genres
Filiatio revient sur les différences hommes-femmes
P. 5
Vers un congé de paternité européen
Qui sont ces pères qui veulent s’occuper de leurs enfants ?
1
Edito P. 2
Lu dans la presse P. 2-4
Dossier P. 5-11
Témoignage P. 12-14
Hors champ P. 15-17
En lisant P. 18-19
Tribunalités P. 20
Humour-humeur
P. 20
FILIATIO - n°1 - octobre 2011
P. 15
Retrouvez-nous sur www.filiatio.be
et sur les réseaux sociaux
1
ÉDITO
Pierre est désabusé. Ses trois grandes filles, il
ne les voit presque plus, beaucoup moins que
le temps prévu au moment de sa séparation.
Véronique a dû se battre pour maintenir ses
deux garçons dans le cap, après que son mari
l’eut abandonnée brutalement.
Patrick se demande s’il a encore droit à l’amour.
Il élève seul ses enfants, et son amoureuse,
elle-même mère séparée, ne désire pas qu’ils
se regroupent.
Trois histoires d’aujourd’hui, trois témoignages
que vous découvrirez dans nos colonnes au
fil des numéros, trois bouleversements. Et
puis il y a Vincent aussi, Maria, Georges… Tant
d’autres exemples. Des milliers de pères, de
mères, d’enfants, de grands-parents, de compagnons et de compagnes découvrent combien le lien intrafamilial peut se révéler fragile.
Alors Filiatio a décidé de les aider. De les
écouter. De leur donner la parole. De les
informer. Et de relayer leurs revendications
auprès des politiques, des juges, des avocats
et de tous les professionnels en charge de la
famille, des rôles parentaux, des processus
d’éducation et de l’égalité homme-femme.
Dix fois par an, Filiatio approfondira les enjeux
de l’égalité parentale, dès le projet d’enfant.
Il le fera de façon anti-sexiste, tolérante, humaniste et respectueuse, au-delà des stéréotypes. Il le fera avec l’ambition d’être attendu
par Pierre, Véronique, Patrick et tous les autres,
et entendu par les décideurs.
Bienvenue donc dans notre univers : rempli de
questionnements et de débats, mais aussi (et
surtout) d’occasions de rendre nos vies plus
douces et épanouies.
Bonne lecture,
Benoît Devuyst
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https://www.facebook.com/Filiatio
http://twitter.com/Filiatio
Pour toucher le plus grand nombre, le journal Filiatio existe aussi en version digitale, accessible
dès maintenant à l’adresse www.filiatio.be.
Une page Facebook est déjà active, ainsi qu’un
compte Twitter. Enfin, une newsletter électronique sera envoyée régulièrement.
Enfin ! La création d’un Tribunal de la Famille
et de la Jeunesse a connu un coup d’accélérateur ces derniers temps. Proposé par plusieurs
parlementaires et inscris dans la Déclaration
gouvernementale, ce projet avait été soumis
en avril au Conseil d’Etat par la commission
de la Justice. Son verdict avait fait craindre
le pire, étant donné le nombre élevé de modifications et remarques formulées. Mais les
amendements se sont succédé et le texte a
finalement été adopté en commission de la
Justice le 15 juillet, puis présenté en séance
plénière à la Chambre le 19 juillet.
Au cœur de ce projet, la simplification. Un
seul dossier par famille traité par une seule
juridiction, ce sera la règle. Ce dossier regroupera l’ensemble des procédures liées
au droit familial et les accords à l’amiable
2
seront privilégiés, tout comme l’écoute de
l’enfant. Prochaines étapes : l’adoption par la
Chambre et le Sénat, avant une mise en place
prévue pour 2013.
B.D.
DÉCRYPTAGE
La simplification des procédures, mirage et
pertinence !
Le mieux-être des familles séparées ou divorcées doit-il absolument passer par un
tribunal unique des familles, symbole de
transparence et de simplicité ? La complexité des procédures actuelles n’est certes
pas un modèle de démocratie. Cependant,
ne soyons pas non plus naïfs. La démocratie
nécessite un certain dosage de complexité
pour garantir les droits de toutes les parties.
La simplicité comme seul projet mène très
souvent à la tyrannie. Dans le cadre du pro-
FILIATIO - n°1 - octobre 2011
cessus judiciaire, le fait de rassembler toutes
les procédures autour d’un seul juge peut
conduire à des effets pervers. Imaginons un
parent obligé de se coltiner le même juge
pendant toute la durée du litige qui le lie à
son ex-compagne/compagnon, c’est-à-dire
bien souvent pendant plus de 15 ans. Imaginons que ce juge l’ait pris en grippe. Imaginons que ce parent ne dispose d’aucun
moyen juridique pour contourner l’abus de
pouvoir du juge. Aujourd’hui, ce scénario catastrophe peut encore être évité. Demain,
avec une simplification mal pensée, cela ne
sera presque plus possible.
« Le féminisme permettra pour la première fois
aux hommes d’être libres. »
La fondation française Terra Nova, dans son
rapport sur les inégalités hommes-femmes,
recommande de faire de la garde partagée
le modèle standard en cas de séparation
des parents. Quel rapport avec l’égalité
hommes-femmes ?
Si le rapport final du groupe de travail de la
très sérieuse fondation Terra Nova aboutit à
cette recommandation, c’est parce que ses
auteurs considèrent que la garde partagée
est un outil en faveur de l’égalité des sexes.
Il reste du travail à accomplir, soulignentils, pour atteindre cette égalité. Certaines
revendications féministes devraient être
réaffirmées: le développement massif des
modes de garde des enfants, l’égalité de rémunération effective entre les hommes et
les femmes, la revalorisation des retraites, la
mixité des internats, la parité, figurent parmi
les thèmes mis en avant. Ce qui fait l’originalité de ce rapport, c’est qu’il propose des
pistes d’implication des hommes dans l’atteinte des objectifs égalitaires.
La veille de la première journée internationale
de la Femme, un auteur américain, M. S. Kimmel
a écrit un essai intitulé « Le féminisme pour les
hommes ». Il commençait par ces mots :
RÉFÉRENCES
Terra Nova : http://www.tnova.fr
Think tank français, politiquement plutôt à gauche,
pro-européen, composé majoritairement de politiques et de journalistes. Ses thèmes de travail : affaires sociales, économie, emploi, réforme de l’Etat,
finances publiques, immigration, écologie et développement durable...
IMPLICATION DES HOMMES
« Proposition numéro 44 : faire de la garde
partagée le modèle standard en cas de séparation des parents. La dérogation à ce modèle
devra être justifiée de manière objective. »
LU DANS LA PRESSE
Tribunal de la
Famille et de la
Jeunesse : oui mais…
La garde partagée,
un modèle standard ?
Michael S. Kimmel, in : L’égalité de genre : pas seulement pour les femmes, Actes des conférences sur
« Les hommes et l’égalité », 2005-2006, Institut pour
l’égalité des femmes et des hommes, Bruxelles.
UN OUTIL FÉMINISTE
Le principe : « la paternité vécue mettra fin
au patriarcat ». En d’autres termes, lorsque
les hommes s’approprieront des fonctionnements qui, jusqu’à aujourd’hui, appartiennent aux stéréotypes féminins (l’éducation
et le soin des enfants), le système social de
domination des femmes par les hommes
s’effondrera. Il serait vain d’attendre que ce
changement se fasse par lui-même ; il faut,
préconisent les auteurs, l’accompagner par
des mesures concrètes.
L’implication des hommes passe non seulement par la lutte contre ces stéréotypes, par
le partage des responsabilités domestiques,
mais aussi par le rééquilibrage entre vie professionnelle et vie familiale. Et ce rééquilibrage doit se faire dans les deux sens, insiste le
rapport : les mères vers la vie professionnelle,
les pères vers la vie familiale. C’est ainsi que la
recommandation numéro 44 propose de faire
de la garde partagée le modèle standard en
cas de séparation des parents. Mais comment
traduire «standard» en langage juridique ?
Michael S. Kimmel est un sociologue américain, professeur à l’Université de l’Etat de New Work. Il est
spécialisé dans les études de genre et en particulier
dans l’analyse des nouveaux rôles masculins et de la
masculinité dans les sociétés contemporaines occidentales. Il dirige une association d’hommes antisexistes aux Etats-Unis.
Marie-Thérèse Casman (coord.), Evaluation de l’instauration de l’hébergement égalitaire dans le cadre d’un
divorce ou d’une séparation, Recherche commanditée
par le Secrétariat d’Etat à la Politique des Familles, Université de Liège, Panel Démographie Familiale, 2010.
Voir la présentation du livre « Résidence alternée :
on arrête ou on continue ? » en page 19.
Filiatio défend l’idée d’une simplification
des procédures mais demande de mettre en
place des mécanismes de contrôle bien plus
efficaces pour pouvoir récuser un juge mal
inspiré, pour pouvoir contourner des procédures sans publicité (huis-clos) et pour pouvoir atténuer la saisine (trop) permanente du
juge de première instance.
K.M.
FILIATIO - n°1 - octobre 2011
3
DOSSIER
L’HÉBERGEMENT ÉGALITAIRE
S’INSTALLE PROGRESSIVEMENT
En Belgique, la garde partagée, ou alternée,
également appelée hébergement égalitaire,
est tout d’abord le reflet d’une évolution de
la société. Nouveaux pères, augmentation du
nombre de divorces et de séparations, rôle
central de l’enfant dans la famille: la garde
partagée s’est installée progressivement dans
le paysage familial, et la loi du 18 juillet 2006
prévoit que les juges la favorisent. La loi s’intitule précisément « Loi du 18 juillet 2006
tendant à privilégier l’hébergement égalitaire
de l’enfant dont les parents sont séparés et
Sexe, assurance &
discrimination
Au coeur des préoccupations visant à garantir l’équilibre entre les droits des hommes et
des femmes, certaines décisions peuvent surprendre.
Ainsi, le récent arrêt de la Cour de justice
européenne a fait l’effet d’une bombe dans
le milieu des assurances auto. Dès le 21 décembre 2012, elles ne pourront plus pratiquer
une tarification différenciée selon qu’on soit
conducteur ou conductrice. Les statistiques
parlaient pour elles : 3 fois moins de risques
d’être tuées, 2 fois moins de risques d’être
blessées... Il n’en fallait pas plus pour que certaines femmes paient jusqu’à 45% moins cher
leur assurance auto ! Une tendance encore
réglementant l’exécution forcée en matière
d’hébergement d’enfant ».
Pour l’instant, nous ne disposons pas de données quantitatives sur l’application de cette
loi – uniquement de données qualitatives.
Selon l’étude réalisée en 2010 par l’université
de Liège visant à évaluer l’impact de la loi,
« tendre à privilégier » ne suffit pas ; ni pour
contenter les professionnel(le)s chargés de
l’interprétation de la loi, ni pour répondre
aux parents, qui savent qu’ils dépendront de
l’interprétation d’un juge.
B.D.
En effet, selon l’étude, l’instauration de cette
législation est mal acceptée « du fait qu’elle in-
plus nette chez les jeunes : pour son premier
véhicule, un jeune homme devait payer une
prime entre 50% et 100% supérieure à celle
payée par une jeune femme.
C’est l’association de défense des consommateurs Test-Achats qui avait lancé le pavé
dans la mare en introduisant un recours en
annulation contre une loi du 21 décembre
2007, modifiant une précédente loi datant
de 2004. Cette loi transposait en droit belge
une directive européenne instaurant le principe d’égalité de traitement entre les femmes
et les hommes dans la fourniture et l’accès à
des biens et services. Jusque là, rien à redire.
Sauf que l’article.3 de la loi de 2007 permet
une dérogation en autorisant des différences
proportionnelles en matière de primes et de
prestations pour les assurés lorsque le sexe est
un facteur déterminant dans l’évaluation des
risques, sur la base de données actuarielles et
statistiques pertinentes et précises.
Dérogation sans limite dans le temps, ce
qui est contraire à la réalisation de l’objectif
d’égalité de traitement entre les femmes et
les hommes poursuivi par la directive en question, et incompatible avec les articles 21 et 23
de la charte des droits fondamentaux, comme
le souligne l’arrêt de la Cour.
La Fédération européenne des compagnies
d’assurance a fulminé : une mauvaise nouvelle
pour les clients des compagnies d’assurance. En
effet, on prévoit à partir de fin 2012 une augmentation moyenne de 25% des contrats pour
les femmes (jusqu’à 45% pour les 18-29 ans).
B.D.
4
siste sur l’aspect égalitaire des rôles parentaux.
Il semblerait dans ce cas que l’idéal égalitaire
promu par la législation est en porte-à-faux
avec le vécu des parents, la répartition égalitaire des tâches n’étant alors que théorique ».
L’étude montre en effet que les familles où
les tâches sont les mieux partagées entre les
hommes et les femmes sont celles où les parents font majoritairement le choix de la garde
égalitaire. De quoi renforcer la recommandation de la fondation Terra Nova.
FILIATIO - n°1 - octobre 2011
DÉCRYPTAGE
Pour ceux qui définissent le sexisme comme
« délibérément discriminatoire vis-à-vis des
femmes » (comme le vieux Larousse que j’ai
sous les yeux...), il serait impossible d’être
sexiste vis-à-vis d’un homme ! Pourtant, la
Cour de justice européenne nous prouve le
contraire. Les primes d’assurances étaient
plus chères pour les hommes ; cela ne sera
plus possible à l’avenir car discriminatoire.
Néanmoins, notre inconscient collectif est
tellement abreuvé de cas contraires qu’il
ne peut imaginer qu’il n’en soit pas toujours
ainsi. C’est pourquoi, de nombreux commentateurs, journalistes ou leaders d’opinion, se
sont réjouis très - peut-être trop - rapidement de cette nouvelle avancée du combat
contre le sexisme à l’égard des femmes. Car
ici, pour ceux qui ne l’ont toujours pas compris, ce sont des hommes qui étaient victimes
de sexisme.
K.M.
DRÔLES DE
Une nouvelle approche des différences hommes-femmes ?
Des femmes incapables de lire une carte routière, qui maîtrisent de naissance la technique des couches-culottes. Des
hommes qui ignorent le mot rangement, qui ne savent pas
communiquer. Des clichés, vraiment ? Filiatio revient sur les
différences entre les sexes pour parler du « genre », cette
nouvelle façon d’envisager les rôles hommes-femmes et les
pouvoirs dans la société.
Par Sabine Panet
L
ors des repas de famille, mon père, qui a
un solide sens de l’humour, prend un malin
plaisir à me citer à tout bout de champ des
extraits de traités grand public des différences hommes-femmes, dans le style du fabuleux
Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent
de Vénus, ou encore Pourquoi les hommes n’écoutent
jamais rien et les femmes ne savent pas lire les cartes
routières. Ce n’est pas parce j’ai complètement loupé
le test de représentation dans l’espace proposé par
les « décrypteurs » des différences de nature entre
les hommes et les femmes que ça me fait enrager.
C’est autre chose. Morceaux choisis : « Conduisez
lentement et selon ses préférences. Après tout, elle
est assise à l’avant, juste à côté de vous. » J’ai mon
permis, moi, une bête femme, et d’ailleurs j’aime rouler vite, avec la musique à fond. « En rentrant à la
maison, allez embrasser votre femme avant de faire
quoi que ce soit d’autre » : car elle est là, cette brave
fille, assise dans son petit fauteuil recouvert d’un
plaid en patchwork, les épaules voûtées, occupée à
repriser les chaussettes de son gagne-pain d’homme.
La Vénusienne, malgré d’éprouvantes tragédies domestiques (panne de four, aspirateur bloqué par des
moutons de poussière, enfants turbulents...) « se
montre toute heureuse de retrouver son mari quand
il rentre à la maison. »
Peu importe que ces représentations des rôles hommesfemmes sentent la naphtaline : ça s’arrache sur les étalages des libraires, parce que (1) c’est drôle. J’en ai encore
la larme à l’œil, à moins que ce soit l’odeur d’antimites.
Et parce que (2) ça nous aide à nous comprendre entre
nous, hommes et femmes, car nous sommes foncièrement différents.
C’est là que ça cloche.
Reprenons la leçon. Si les femmes ont un rôle intérieur
(non, non, pas inférieur), une vision périphérique et un
cerveau multi-tâches, c’est à cause des cavernes. Si les
hommes ont un rôle extérieur, une vision de loin et une
profonde incapacité à changer les couches d’un bébé
en même temps qu’ils passent un coup de téléphone,
c’est encore à cause des cavernes. Sacrées cavernes.
Un petit sursaut de mémoire archaïque : il y a, allez,
quelques centaines de milliers d’années, les femmes
– ces êtres faibles – se terraient au plus profond des
grottes pour préparer à manger, s’occuper des petits
d’homme, s’épouiller mutuellement et entretenir le
foyer. Leurs compagnons, physiquement dominants
(musclés et protecteurs) partaient à la chasse, profitant d’une série d’attributs physiques qui allaient, dans
les milliers d’années à suivre, permettre à une majorité
de peuples de justifier la supériorité des hommes et
donc, la fameuse « domination masculine » de Pierre
Bourdieu, ou « valeur différentielle des sexes » (Françoise Héritier). De là, l’explication scien-ti-fique du be-
6
soin naturel de l’homme de finir sa journée au bistro,
histoire de débriefer sur ses prises avec ses collègues
chasseurs – la bière ne moussant que pour la déco. De
là, le besoin naturel de la femme de finir sa journée
à la maison en chantonnant, d’élever les enfants que
son mari lui a faits (ceux qu’elle a pondus) et surtout
de gérer la majeure partie des tâches ménagères : les
temps sont durs.
Ça vous fait sourire ? Vous pensez que c’est exagéré, mais qu’il y a, dans tout ça, une part de vérité ?
D’ailleurs, vous-même... Vous êtes une femme, et
vous aimez le rose. Vous êtes un homme, et vous aimez le bœuf cru. Et vous avez raison. Le rose, c’est
joli et le bœuf, c’est bon. C’est joli et c’est bon, mais
ce n’est pas si simple (on y reviendra, au rose).
comme si on ne pouvait pas
être un homme
hétérosexuel et gracieux
Déjà, c’est un sujet important parce que ces relations,
et l’idée que la société s’en fait, façonnent toute notre
vie. C’est un sujet important parce que les hommes et
les femmes sont tous les jours confrontés à des préjugés qui les font se sentir incertains dans leur « genre ».
Il y a des préjugés particulièrement énervants : mon
compagnon, par exemple, est gracieux. Quand il se
déplace, il glisse avec souplesse sur le sol, comme un
chat. Ainsi, lorsqu’il s’est retrouvé célibataire (avant de
me rencontrer, bien sûr), des amis pétris de bonnes intentions lui ont présenté... des garçons homosexuels.
Comme si on ne pouvait pas être un homme hétérosexuel et gracieux. D’ailleurs, je connais des homosexuels poilus et patauds. Régulièrement, lorsque mon
compagnon (qui, malgré sa délicatesse, a fait un enfant
avec une femme) se rend à des consultations en pédiatrie avec notre petite fille, il s’entend dire « et vous
indiquerez bien la posologie à votre femme, et pour la
prochaine fois, vous lui direz que... » Comme si on ne
pouvait pas être un homme et prendre soin correctement de son bébé.
Ces préjugés ont aussi des conséquences graves. Dans
le monde du travail, dans les études, dans l’éducation
des enfants, dans les politiques familiales, dans la traduction quotidienne des réflexions sur la maternité et
sur la paternité. C’est pour ça qu’à Filiatio, nous avons
voulu consacrer ce premier dossier aux drôles de
genres dans lesquels nous sommes souvent enfermés.
SEXE ÉGALE GENRE?
Il y a le sexe biologique : homme, femme. Mâle, femelle. Pour la plupart d’entre nous, indiscutable.
Enfin, c’est ce qu’on croit.
FILIATIO - n°1 - octobre 2011
LA DOMINATION MASCULINE
Par cette expression, le sociologue
Pierre Bourdieu entend un système
permanent, un « habitus » (un système de dispositions réglées dans la
société) qui a entraîné la domination
des hommes sur les femmes dans la
plupart des société humaines. Pour
Bourdieu, c’est un processus qui a
enfermé à la fois les femmes et les
hommes dans une image imposée.
LA VALEUR DIFFÉRENTIELLE
DES SEXES
L’anthropologue Françoise Héritier
pense que la différentiation, l’expérience de la différence, est le principe fondamental des mouvements
de notre perception et de notre
réflexion. Elle pose que la différenciation entre les sexes est l’archétype de toutes les différences,
et que les deux pôles, masculin et
féminin, ne sont jamais égaux car
le masculin est universellement
considéré comme le supérieur.
Pourtant, de nombreux enfants naissent inter-sexués,
c’est à dire avec des organes génitaux externes « atypiques ». Et ces enfants, une fois adultes, peuvent revendiquer une identité soit homme, soit femme, soit intersexe, et estiment que des assignations (en « homme » ou
en « femme ») qu’on leur a fait subir chirurgicalement à la
naissance ont été abusives. Eux ne se reconnaissent pas
dans ce « sexe biologique » et défendent une vision de
la personne au-delà de la distinction hommes-femmes.
Un exemple concret : l’Organisation Internationale des
Inter-sexués, représentée par l’ASBL Genres Pluriels en
Belgique, demande que la mention du sexe sur la carte
d’identité ou sur la carte SIS soit abolie. Avant d’en arriver là, mon père aura sûrement eu le temps de s’étouffer avec sa carte routière. Il est en bonne route.
Pour la médecine, le sexe, homme ou femme, ce n’est
plus juste un appareil génital. Entrent aussi en jeu des
marqueurs chromosomiques ou hormonaux, la présence de gonades (testicules et ovaires), des caractéristiques physiques secondaires (poitrine, hanches... pilosité...). La matérialité de ces éléments est difficilement
contestable. Difficilement ? Oui, oui, on peut aussi
contester ça. On peut dire que les données sont biologiques, et que le travail d’interprétation de ces données
est social. Mais on peut aussi avancer dans cet article,
car il nous tarde de savoir ce qui s’est passé pour que du
sexe, on arrive au genre.
Lisez plutôt. Dans les années 1930, une anthropologue américaine, Margaret Mead, observant de manière participative les mœurs et la sexualité de populations océaniennes, a conclu de ses recherches
que certains traits de caractère (comme la violence,
la créativité, la douceur) pouvaient ne pas découler
du sexe biologique, et étaient construits de manière
différente selon les sociétés. Mead a utilisé le terme
de « rôle social ». Une génération plus tard, en 1949,
Simone de Beauvoir publie le Deuxième Sexe. « On ne
naît pas femme, on le devient » : citation historique
que, cinquante ans plus tard, toutes les adolescentes
(au moins une) taguaient encore sur les murs de
leur chambre après la naissance de leur conscience
révolutionnaire et de leurs premiers boutons. Ce
n’est qu’en 1970 qu’un psychanalyste américain, Robert Stoller, sépare « sexe » (biologique) et « genre »
(identification, expérience de soi) dans ses études
sur la transsexualité. Ainsi le genre devient le « sexe
social ». Cette première acception se fait en même
temps que les luttes féministes des années 1960 et
1970, et ce « genre » va nourrir la réflexion critique et
politique selon laquelle le sexe est une division « naturelle » de l’humanité, et le genre est une division
« sociale », contre laquelle il est possible d’agir. Problème : si le sexe correspond à la nature et si le genre
correspond à la nature, alors la donnée brute « nature » reste incontournable, primordiale. Le genre est
déterminé par le sexe, et la division homme/femme,
mâle/femelle, est renforcée. A ce stade, quelqu’un
est visiblement en train de déchiqueter une carte
routière à coups d’incisives.
C’est ainsi que dans les années 1990, les chercheurs
ont déplacé leur regard et le genre est apparu non
plus comme un complément social du sexe, mais
comme un rapport social en lui-même. C’est cette
compréhension qui domine aujourd’hui : le genre
comme une façon de voir les relations entre - et l’(in)
égalité hommes-femmes avec des outils de distanciation, en prenant en compte l’histoire, la sociologie, l’éducation, les mœurs, les coutumes, qui peuvent être à l’origine d’idées reçues. Derrière, l’idée
que la différence des sexes est un rapport structurant : si on parle du masculin et du féminin, on parle
de la société dans son ensemble.
LE MODÈLE DU CHASSEUR DE MAMMOUTHS
Tenez, revenons à Madame Cro-Magnon, qui jouissait d’indéniables attributs biologiques féminins. Selon la façon de penser les relations hommes-femmes
qui prévaut à une époque donnée, un historien ou
un anthropologue met en avant des éléments tout
à fait différents pour trouver du sens à l’organisation
de nos ancêtres. Jusqu’au milieu du 20ème siècle, on
pensait que les hommes allaient effectivement chasser tandis que leurs dames vaquaient à leurs domestiques occupations. Eh bien, non. Aujourd’hui, des
chercheurs, intéressés par la femme préhistorique,
montrent que Madame participait à la chasse, qu’elle
FILIATIO - n°1 - octobre 2011
RÉFÉRENCES
John Gray, Les hommes viennent de
Mars, les femmes viennent de Vénus,
Michel Lafon, 1999.
Allan & Barbara Pease, Pourquoi
les hommes n’écoutent jamais rien
et les femmes ne savent pas lire
les cartes routières, First (éditions),
2002 – ou, par les mêmes, non encore traduit : Why Men want sex
and Women need love (« pourquoi
les hommes veulent du sexe et
les femmes ont besoin d’amour »)
® peaseinternational.com.
Margaret Mead, Moeurs et sexualité
en Océanie, 1928, Plon, 1955 (traduction française).
7
INTERVIEW
F : Est-ce que le genre influence les politiques familiales ?
« ON NE TRAITE PAS UNE FILLE
COMME UN GARÇON »
N.P. : On est ici dans un autre registre : la politique,
c’est-à-dire les mesures prises par des gens élus à
partir de leur conception de ce qu’est ou devrait être
la famille. Ce sont des politiques « genrées » : d’une
part, elles portent la marque de la socialisation des
gens qui la font, d’autres part elles ont des effets sur
les familles par exemple en encourageant ou décourageant la natalité.
Rencontre avec Nadine Plateau, présidente de la Commission Enseignement
du Conseil des Femmes Francophones de Belgique.
égalité réelle sur le marché du travail et qu’ils et elles
ne partagent pas également les tâches ménagères et
familiales. Le « gender mainstreaming » pourrait corriger ces inégalités.
F : Est-ce que les hommes, les pères, peuvent être
aussi victimes de discriminations de genre ?
N.P. : Oui, on pense à l’attitude de certains juges qui
donnent plus souvent la garde des enfants aux mamans,
ce qui relève d’une conception traditionnelle de la paternité et de la maternité. Mais il faut savoir que dès que
des législations se mettent en place pour combattre les
inégalités qui touchent majoritairement les femmes, il
y a des hommes qui portent plainte. A l’Institut pour
l’Egalité des Femmes et des Hommes, pour les 7 premiers mois de 2011, 6 plaintes pour sexisme ont été
déposées par les hommes pour 24 déposées par des
femmes, donc un sixième du total des plaintes.
ce ne sont pas les différences, mais les inégalités,
entre autres celles qui sont produites par le traitement différencié en fonction du sexe parce que ce
traitement a des conséquences sur les trajectoires
des enfants. Quand on est parent(e), éducatrice,
éducateur ou enseignant(e), on a des idées, des jugements, des attentes différentes pour les filles et
les garçons à cause de représentations stéréotypées
complètement intériorisées. A condition d’en être
conscient(e), on pourra lutter contre ce processus
de différenciation et développer toutes les potentialités des enfants. Par exemple en encourageant les
petites filles à explorer l’espace et les petits garçons
à exprimer leurs sentiments. Sinon on enfonce le
clou ! Et on renforce les rôles traditionnels qui non
seulement mutilent les enfants mais conduisent à
des inégalités entre eux. La question du genre doit
donc absolument être prise en compte dans le soin
et l’éducation des enfants.
Au niveau fédéral, il existe une politique de « gender
mainstreaming » afin d’intégrer de manière transversale la question de l’égalité homme/femme. Cela signifie qu’avant de prendre une mesure, on essaie d’en
anticiper les effets sur l’égalité homme/femme. Par
exemple, dans le cas de l’aide ménagère aux personnes
âgées, on s’est aperçu que davantage d’hommes que
de femmes bénéficiaient de ces services (à âge et handicap égaux), simplement parce que les hommes ne savaient pas faire le ménage tout seuls ! Prenons la question du divorce : on a égalisé la situation hommes/
femmes et on tend à limiter les pensions alimentaires
comme si les deux sexes étaient symétriques. Mais, les
femmes n’ont pas les mêmes carrières ni les mêmes
ressources que les hommes et cela est dû en partie au
fait qu’elles ont donné la priorité à leur compagnon
et/ou à leurs enfants. Les organisations féministes
critiquent les politiques qui ne tiennent pas compte
du fait que les hommes et les femmes ne sont pas à
est probablement à l’origine de l’agriculture, que sa
part de cueillette contribuait de manière décisive à
la nourriture du groupe. Bref, on peut relativiser le
modèle du chasseur de mammouth viril. Non seulement on « trouve » les femmes, c’est-à-dire qu’on
leur reconnaît une histoire, mais on va plus loin : des
chercheurs remettent en question le « biologique »
de nombreuses différences auparavant considérées
comme indiscutables.
rindiennes. Elles puisent donc énormément dans leur
organisme sans que cela soit compensé par une nourriture convenable ; les produits « bons », la viande, le
gras, etc, étant réservés prioritairement aux hommes.
Ce n’est pas tant éloigné que cela de nos manières
hexagonales : dans les années 40, dans ma famille
paysanne auvergnate, les femmes ne s’asseyaient pas à
table, mais elles servaient les hommes et mangeaient
ce qui restait. Cette « pression de sélection » qui dure
vraisemblablement depuis l’apparition de Néandertal,
il y a 750 000 ans, a entraîné des transformations physiques ». Étonnant, n’est-ce pas ? Quelque part, ça me
console sur le fait qu’il y a 750 000 ans, mon souple
amoureux aurait pu se coltiner autant de cellulite
qu’une femme. Pan, dans les dents.
versement hormonal presque comparable à celui de
la mère : des mécanismes se mettent en branle, qui
lui permettent de développer une empathie et donc,
une capacité accrue au soin et à l’éducation de l’enfant. Cela signifie que non seulement les femmes ne
seraient pas réductibles à la maternité, mais aussi que
les hommes seraient « biologiquement » capables de
s’occuper des enfants.
L’anthropologue française Françoise Héritier explique :
« Pour diverses raisons, relevant du symbolique et non
de contraintes biologiques, l’alimentation des femmes
a toujours été sujette à des interdits. Notamment
dans les périodes où elles auraient eu besoin d’avoir
un surplus de protéines, car enceintes ou allaitantes
– je pense à l’Inde, à des sociétés africaines ou amé-
Et mes cartes routières, demande mon père en mastiquant. Eh bien pour les cartes routières, ce serait
comme pour les chasseurs de mammouths et le boudin auvergnat. Beaucoup de progrès ont été réalisés
dans la compréhension des mécanismes du cerveau
humain. La neurobiologiste Catherine Vidal, directrice de recherche à l’Institut Pasteur à Paris, a dé-
montré que seulement 10% des connexions entre
les neurones (les synapses) étaient présentes à la
naissance : les autres 90% se construiraient ensuite.
Vidal interprète ainsi les résultats de ses recherches:
« On trouve certes des différences entre les cerveaux
des hommes et des femmes dans les régions qui
contrôlent la reproduction sexuée. Mais concernant
les fonctions cognitives , la diversité cérébrale est la
règle. En fait, la variabilité du cerveau entre les individus d’un même sexe est tellement grande, qu’elle
l’emporte sur la variabilité entre les sexes. Donc, rien
d’étonnant de voir des différences entre les cerveaux
d’hommes et de femmes qui ne partagent pas forcément le même vécu. A la naissance, le petit humain
ne connaît pas son sexe, il va devoir l’apprendre. C’est
l’influence du milieu familial, social, scolaire qui fait
que l’enfant va adopter des comportements correspondant aux stéréotypes masculins ou féminins. »
En parallèle, des spécialistes des primates, parmi
lesquels Sarah Hrdy, ont mis en évidence le fait que
le père (humain), lorsqu’il est en contact intime et
prolongé avec son bébé, connait lui aussi un boule-
LA VIE EN ROSE
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FILIATIO - n°1 - octobre 2011
Filiatio : Est-ce que le genre (compris comme une relation de pouvoir entre les sexes) influence nos comportements en matière de soin et d’éducation des
enfants ?
Nadine Plateau : Cela dépend de ce qu’on donne
comme sens au mot genre. On peut reprendre ici
votre définition de « rapport entre les sexes » caractérisé par des relations de pouvoir. Ce rapport-là est
une construction sociale. Il y a une même logique de
re-production de la hiérarchie des sexes qui traverse
tous les champs de notre société: le milieu familial,
le marché du travail, la culture, le monde politique
et également le milieu de l’éducation. Que ce soit
au sein de la famille, dans les crèches ou à l’école,
la socialisation s’effectue en grande partie (et le plus
souvent à l’insu des personnes concernées) conformément aux représentations traditionnelles concernant les sexes. Concrètement, ce qui pose problème,
On peut
relativiser
le modèle
RÉFÉRENCES
Catherine Vidal, Hommes, femmes,
avons-nous le même cerveau ?, Le
Pommier, 2007.
Sarah Blaffer Hrdy, Les Instincts
Maternels, Payot, 2002.
LE GENDER MAINSTREAMING
Le gender mainstreaming, de
l’anglais « mainstream » (courant
majoritaire) - est, selon le Groupe
de spécialistes pour une approche
intégrée de l’égalité (EG-S-MS) du
Conseil de l’Europe : « la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et
l’évaluation des processus de prise
de décision, aux fins d’incorporer
la perspective de l’égalité entre les
femmes et les hommes dans tous
les domaines et à tous les niveaux,
par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des
politiques. »
Voir ici le dossier de la commission qui traite du traitement différencié
des enfants dans le système éducatif belge :
http://www.cffb.be/images/stories/dossier%20egalite.pdf
Ainsi, on peut dire que je suis née femme, mais que
c’est un caractère biologique comme une autre. Par
ailleurs, je suis brune, j’ai les yeux clairs et je suis agile
des doigts de pied. Être agile des doigts de pieds ne
devrait pas m’empêcher pas de savoir lire une carte
routière. Autrement dit : si je suis nigaude avec une
carte routière, c’est parce que je le suis devenue (Simone forever !).
RÉFÉRENCES
Claudine Cohen, La femme des origines, Images de la femme dans la
préhistoire occidentale, Paris, BelinHerscher, 2003.
Françoise Héritier, Masculin Féminin, La pensée de la différence. Paris,
O. Jacob, 1996.
Pierre Bourdieu, La domination
masculine, le Seuil, 1998.
En conférence de rédaction, alors que je présentais
avec enthousiasme le sujet de notre dossier et que
FILIATIO - n°1 - octobre 2011
9
je louvoyais en justifiant une taquinerie sur le rose et
le bœuf cru, j’ai entendu parler d’une étude qui avait
montré que les différences de goûts de couleur entre
hommes et femmes étaient... biologiquement explicables et avaient peut-être une origine génétique.
A l’université de Newcastle, au Royaume-Uni, deux
biologistes, Anya Hurlbert et Yazhu Ling, ont recruté
208 hommes et femmes entre 20 et 26 ans et les ont
soumis à une batterie de tests pour déterminer leurs
préférences visuelles. Parmi ces 208 personnes, un
échantillon de 37 personnes chinoises devaient permettre de mettre en avant de possibles différences
culturelles. Résultat des tests : la couleur universellement préférée par les deux sexes était le bleu, mais
les femmes marquaient une préférence très distincte
pour les bleus à tendance rougeâtre ou rosée. Idem
chez les Chinois-es. Conclusion proposée : il semble
que les différences de goûts hommes-femmes en matière de couleurs sont d’origine biologique. Explication
donnée par Madame Hurlbert (directrice de l’institut
de Neurosciences de l’université de Newcastle, quand
même) : la division des tâches entre les sexes, qui
date du temps de, pfff, au moins Néandertal (nous y
revoilà!). Dans la forêt, les femmes-cueilleuses s’exer-
çaient à distinguer les fruits rouges cachés entre les
branches touffues des arbres préhistoriques. Du coup,
aujourd’hui, nous serions plus sensibles aux tonalités
rouge-rose, et le marketing sélectif en joue.
Mais alors, me demande-je, si l’explication biologique
proposée par ces deux chercheuses est à trouver du
côté de la division du travail entre les sexes, mais alors :
est-ce que c’est parce que les femmes préféraient le
rose (1) qu’elles se sont mises à cueillir les fruits pour
la subsistance du groupe (2), et que, en conséquence,
les hommes sont partis chasser les mammouths d’une
manière virile (3) ? Vous n’avez qu’à me voir dans un
grand magasin, moi qui suis myope comme une taupe,
je vous dégote une petite paire de chaussettes roses
taille 22 en quelques secondes d’un regard circulaire.
Ou est-ce que, parce que les hommes avaient décidé
de chasser les mammouths d’une manière virile (1), les
femmes ont pris l’habitude de la cueillette (2) et ont
développé une capacité accrue à déceler le rose en
forêt et au supermarché (3) ? C’est idiot ?
C’est le cœur du débat. Quand on regarde la relation
entre les hommes et les femmes, entre le masculin et
le féminin, on peut adopter deux postures.
Première posture : okay, il y a peut-être des différences. Il y a, par exemple dans l’étude de la biologie
des comportements, assez de matière qui montre
que les hommes et les femmes auraient des gènes et
des hormones différents vis-à-vis de l’attitude face à
DEMAIN, LE GENRE DANS NOS MANUELS SCOLAIRES ?
En France, la polémique fait rage autour de l’introduction du genre dans les nouveaux manuels scolaires
des premières (l’équivalent de la 5ème rénové en Belgique). La circulaire ministérielle à l’origine de ce
renouvellement stipule : « si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes
appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée. » Traduction
dans les manuels : une paire de phrases pour réfléchir sur la différence entre l’identité complexe d’une
personne et le sexe biologique. Evident ? Visiblement, pas pour 80 députés de la majorité UMP et des
associations qui considèrent que la théorie du genre « porte atteinte à la liberté de conscience des parents. » Réponse du ministre de l’éducation, Luc Chatel : « les programmes sont conformes à l’état actuel
des connaissances scientifiques en biologie.... » Et en Belgique ? Interviewé par la RTBF début septembre,
Conrad van de Werve, le directeur du Secrétariat général de l’enseignement catholique en Communauté
française et germanophone de Belgique (Segec), répond : « Il n’y a pas réellement de débat public pour
l’instant et la question n’a pas été étudiée. »
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FILIATIO - n°1 - octobre 2011
POUR ALLER PLUS LOIN
Laure Bereni, Sébastien Chauvin,
Alexandre Jauneit, Anne Revillard,
Introduction aux Gender studies, de
Boeck, Bruxelles, 2008.
POURQUOI CERTAINS PENSENT-ILS QUE LE GENRE EST DANGEREUX?
Il y a des adversaires au « genre ». Il y a ceux, d’un côté, qui pensent que le « genre » ne va pas assez loin
et ne fait que reproduire la division des sexes. Et puis, à l’opposé, il y a ceux qui pensent que les hommes
et les femmes sont à leur place dans les stéréotypes et que, sans ces rôles sociaux distincts, les hommes
et les femmes ne peuvent pas se réaliser dans leur « masculinité » ou dans leur « féminité ». Par exemple,
le pape Benoit XVI a critiqué les études de genre lors d’un discours à la curie romaine en décembre 2008 :
« l’Église parle de la nature de l’être humain comme homme et femme et demande que cet ordre de la
création soit respecté », et il précise : « ce qui est souvent exprimé et entendu par le terme “gender”, se résout en définitive dans l’autoémancipation de l’homme par rapport à la création et au Créateur. L’homme
veut se construire tout seul et décider toujours et exclusivement tout seul de ce qui le concerne. Mais de
cette manière, il vit contre la vérité, il vit contre l’Esprit créateur. »
A côté de la position du Vatican, nombreux sont ceux qui pensent que les hommes viennent vraiment de
Mars, et les femmes vraiment de Vénus : ils pensent que si la différence des sexes n’est pas « respectée »,
alors les hommes et les femmes seront mal à l’aise dans leur identité car ils ne pourront pas se réaliser en
tant qu’hommes ou en tant que femmes. Par exemple, un des reproches fréquemment fait aux féministes
de la seconde vague, dans les années 70, est qu’elles ont favorisé une sorte de crise de la masculinité en
remettant en question la hiérarchie et l’ordre traditionnel des sexes. Qu’en pense mon amoureux ? Est-ce
qu’il risque gros dans son identité quand il passe l’aspirateur ?
la « reproduction », ou concernant l’allaitement (malgré toute sa bonne volonté, j’avoue que mon amoureux n’a pas su allaiter notre fille). Mais le plus important, c’est que ces différences puissent être remises
en cause et disparaître lorsqu’elles sont injustes envers un sexe ou l’autre.
Seconde posture : certes, il y a des inégalités, mais
ce ne sont pas les différences des sexes qui en sont à
l’origine. C’est l’inverse : c’est l’inégalité dans la répartition des tâches qui a causé les différences, même
physiques (se reporter au boudin auvergnat).
Mais d’où a surgi cette inégalité dans la répartition des
tâches ? Dans la jalousie des hommes dont le ventre ne
sait pas fabriquer les enfants ? Dans une différence, donc...
Encore plus loin, certains concluent que le discours binaire homme/femme, même dans une démarche de
« genre », de recherche d’équité et d’égalité, renforce la
division des sexes et la « différenciation ». Et qu’il faut
parler des individus, au-delà des (d)rôles de genre.
Papa, continue à déglutir avec précaution, car je n’ai
pas tout à fait terminé. Presque. La question du genre
est importante, et ce débat est fondamental, non
Ce dossier vous a intéressé-e ?
Vous appréhendez maintenant
l’épreuve de la Saint Nicolas ? Vous
craignez d’offrir une robe de princesse
à votre fille (par peur du stéréotype),
mais vous n’irez pas jusqu’à en offrir
une à votre garçon (par peur du ridicule) ? Les solutions dans notre dossier de novembre: « Saint Nicolas : des
livres dans vos petits souliers (mais
pas n’importe lesquels) ».
seulement parce que nous y sommes confrontés tous
les jours, mais aussi parce que, dans le futur, nous devrons répondre à des questions essentielles : maternité (être une mère, c’est quoi ?), paternité (être un
père, c’est quoi ?), procréation (qui fait les enfants ?).
Si la maternité est LA différence essentielle entre
hommes et femmes, à l’origine de la valeur différentielle des sexes, si la maternité continue à renforcer
les inégalités au sein des familles et dans la société,
alors peut-on envisager, comme solution, la conception des enfants ailleurs qu’au cœur de l’utérus maternel ? Rappelez-vous, en 1932, dans le Meilleur des
Mondes, Huxley imaginait déjà la gestation en dehors
du corps humain. D’ici une cinquantaine d’années, selon certains biologistes, ce sera une réalité. Vertigineux. Est-ce que cela équilibrera la parenté ? Est-ce
que ce sera la fin de la guerre des sexes ? Ou bien
est-ce que ce sera une plongée dans le contrôle du
corps, dans le totalitarisme ?
1. Ined, n° 461, L’arrivée d’un enfant modifie-t-elle la
répartition des tâches ménagères au sein du couple ?
Populations et Sociétés, 2009.
2. La cognition est le terme scientifique qui désigne
la pensée. Les fonctions cognitives, ce sont les processus que le cerveau met en branle pour percevoir,
traiter l’information, se déplacer, mémoriser, mais
En attendant, nous, hommes et femmes et intersexués, continuons à chercher le bonheur. Visiblement, l’homme gracieux qui glousse en changeant les
couches de ma petite fille l’a trouvé.
FILIATIO - n°1 - octobre 2011
aussi pour ressentir des émotions.
3. Hurlbert AC, Ling Y. Biological components of
sex differences in color preference. Current Biology
2007, 17(16), R623-R625
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TÉMOIGNAGE
Des schémas : les anciens à déconstruire, les nouveaux à questionner. Les rôles
parentaux, l’avenir de l’amour. Les hommes, les femmes. Les enfants. Dans tout
ça, trouver l’équilibre, et surtout, ne pas avoir de regrets... Vincent, séparé,
papa de deux adolescentes, témoigne.
REGRETS
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FILIATIO - n°1 - octobre 2011
C
’est joli, Boitsfort. C’est la première fois
que je viens. Je découvre les entrelacs de
ruelles, le chant des oiseaux sous les toits,
la mousse qui écarte vaillamment les pavés bossus, les étangs à fleur de bitume. C’est joli
mais il pleut, il pleut depuis un siècle. Cela n’entame
pas la bonne humeur de Vincent, qui vient me chercher à l’arrêt de bus et me conduit dans la maison où
il vit avec ses deux filles. Une éclaircie déchire le ciel.
Vincent rentre d’un long voyage sur la route de la
soie. Les carnets de notes s’empilent sur sa table de
travail et, sur des feuilles volantes, il consigne ses
aventures d’une écriture haute et resserrée. Il doit
remettre un reportage dans les jours qui viennent,
et a travaillé cette nuit jusqu’au lever du jour. Il se
frotte les yeux. Un chat file entre mes jambes pendant que nous nous installons au jardin, bravant les
nuages sombres qui s’amoncellent à nouveau.
Il y a sept ans, Vincent et la mère de ses filles se sont
séparés. Avant, Vincent pensait que l’amour pouvait
durer toujours, ou qu’on pouvait se battre pour qu’il
dure. Vincent et sa femme étaient dans le schéma de
la famille classique. « Un jour, elle m’a dit combien la
distance était grande entre ce qu’elle avait projeté de
la vie, et la réalité. La réalité, ce n’est pas la vie rêvée,
le cliché Disney ». Disney – il sourit en voyant que je
prends note. Dans cette composition traditionnelle,
lui-même avait sa place. Il gagnait plus d’argent que
sa femme, qui travaillait à mi-temps et qui était donc,
plus que lui, avec leurs enfants. « C’est un réflexe
traditionnel lié à la vision d’une société, vision à laquelle je ne souscris pas. Très souvent, à boulot égal,
l’homme gagne plus que la femme. Cela pousse à privilégier la carrière de l’homme. Peut-être qu’ensuite,
quand le couple a trouvé son équilibre, cela peut devenir un choix. Mais cette inégalité, au départ, n’est
pas saine. » Il aurait voulu, un temps, rester davantage
à la maison, et faire bouger cet équilibre, mais la séparation est survenue.
Les schémas classiques, ça a aussi été la stratégie de
la défense. « Quand on s’est séparé, la maman des
filles a rapidement pris un avocat – et m’a conseillé
d’en prendre un. Secoué par la séparation, j’ai cherché
quelqu’un qui pouvait proposer de la fermeté. C’était
de la tactique. Je me disais aussi que ce serait plus
efficace si la personne qui me représentait était une
femme. Je ne regrette pas ce choix. » Le plus difficile,
pour Vincent, a été d’accepter que la partie adverse
soit dans un schéma très conservateur, « aucune créa-
tivité possible pour coller plus justement avec nos
réalités à nous, et non avec des schémas ancestraux. Et
puis, c’était comme si j’avais, moi, à payer la séparation.
Comme si, du point de vue de la famille adverse, il
fallait charger fort l’autre pour le mettre l’autre à plat,
comme s’il y avait un honneur à sauver… »
Le conflit dont a souffert Vincent n’était pas lié aux
enfants, mais aux aspects financiers. « Au moment de
la séparation, on a considéré – et moi aussi – que
je continuerais à mieux gagner ma vie qu’elle, et que
nos arrangements pouvaient en tenir compte. Par
exemple, fixer le domicile des enfants chez l’un plutôt que chez l’autre... » Vincent articule, avec sa voix
posée, incisive. « Ce qu’il y a, c’est que moi, j’ai changé
de vie depuis notre séparation. Donc le raisonnement
de l’époque ne colle plus à la réalité d’aujourd’hui. »
Le grand bouleversement, la séparation. Tout ce
qu’on pense, sur l’amour, sur le couple, sur la vie :
plus rien. Plus de schémas. « J’ai vécu le décès de
mon père étant jeune. La séparation, c’est une douleur au moins aussi grande », confie-t-il. « Souvent,
à la sortie des études, on lance tout de front. La
famille, la carrière. On crée sa propre unité. Avorter de ce type de projet, c’est hyper douloureux, ce
sont les fondements de base que l’on touche. »
Après la séparation, vient le temps du règlement
juridique. Une séparation, précise Vincent, ce n’est
pas un règlement, ça ne règle rien, ça n’apaise pas
les conflits, ça ne tait pas la souffrance : c’est une
mise à distance, un recul. La difficulté, c’est d’amener une autre vision. « Je m’entends encore dire,
on n’est pas dans Kramer contre Kramer »... souffle
Vincent. Ses sourcils se froncent et un pli marque
son front. « Il n’y a pas longtemps, je lui [son exconjointe], ndlr disais : tu te rends compte que ta
maman s’est adressée à moi quelques mois après la
séparation en me disant : et si tu avais les enfants
moins souvent, ça te laisserait plus de temps pour ta
nouvelle vie ? Ça voulait dire : remettre en question
la garde alternée. Cette suggestion m’avait révolté.
Cette réflexion a participé au fait que je me batte et
que je dise : ça fait cinq ans que je suis père, il n’y a
pas de raison pour que je le sois moins aujourd’hui.
Je continue à l’être, c’est important pour moi. »
Dans ces nouveaux schémas, Vincent se demande
à quoi ressembleront les familles de ses enfants.
« Bruxelles, c’est quoi ? Près de 60% des couples qui
divorcent ? Même si je suis entouré de ça, je n’aurais pas cru pouvoir dire, avant, qu’on n’aimait pas
nécessairement la même personne toute sa vie… » Il
rit, regarde en l’air, me regarde. « Je me fais un peu
plus à cette réalité... » Pourtant, il fait tout pour que
ses filles croient encore en l’amour, après l’amour
mort. Quand il a une amoureuse, il fait en sorte
FILIATIO - n°1 - octobre 2011
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qu’elles se rencontrent, que ses filles voient aussi
« le positif de l’amour ».
Ces dernières années, Vincent a connu les réalités
d’autres femmes confrontées à leur vie séparée.
« Derrière les dehors de bonne entente entre les
parents séparés, dans l’intimité, ça reste conflictuel.
C’est peut-être là que nos enfants auront un schéma
qui permettra que ça se vive autrement? »
« Pour ma première fille, il est très important de respecter le rythme des semaines. Quand elle est chez
sa maman, si on se croise, elle reste la fille de sa maman. Elle est dans sa semaine ‘maman’ », remarque
Vincent, alors que sa plus jeune fille, gracieuse
comme un lutin, l’appelle. « Je voulais reconstruire
un projet de famille. Aujourd’hui, ma famille, et
notre famille, elle est là. Et c’est concret pour mes
filles, d’après ce que je crois percevoir. »
Et pour les parents ? « Lorsqu’on a un enfant, on
est amené à devoir composer avec quelqu’un [l’exconjoint-e], ndlr avec qui on n’a plus d’intérêts communs, puisqu’on n’a plus aucun vécu ensemble. C’est
une des difficultés de l’après. Le seul trait d’union,
ce sont les enfants. »
Nouvelle parentalité, et nouvelle paternité. « J’ai
des amis qui, du fait de leur schéma, se sont coupés
d’une part de leur paternité. Le fait d’avoir moins les
enfants, le fait qu’au moins une partie des enfants
ne soient pas domiciliés chez eux, le fait que la maison des enfants devienne davantage la maison de
maman... Tout ça crée évidemment de la douleur
et n’aide pas la personne blessée à se reconstruire.
Une séparation nécessite du temps. Il faut accepter
de le prendre. »
reconstruit avec mes enfants. La plupart se sont remis dans des schémas de couple et de vie de famille
recréée. » Vincent se fait plus précis : « Par contre,
je connais plein de femmes qui sont encore dans le
même schéma que moi. » Pourquoi ? je demande,
intriguée. Parce qu’elles doivent plus s’occuper des
enfants, qu’elles ont arrêté de travailler, qu’elles sont
trop loin de l’emploi ? «Non, je ne crois pas », répond
Vincent avec précaution. « Qu’elles aient cru, ou non,
au schéma Disney, aujourd’hui elles ont goûté à leur
indépendance ; elles ont déjà des enfants, ont déjà
vécu la maternité, elles se sentent bien comme ça, à
se réaliser en tant que femmes » Dans une relation,
oui, mais indépendantes.
Et alors, les hommes ? Ils ont plus de mal ? Visiblement, oui, fait Vincent en hochant la tête. « Être
homme maintenant, ce n’est pas facile. J’ai clairement vécu cette difficulté. L’homme doit pouvoir
répondre à tous les clichés : salaire, être fort, présent
aux enfants, à la femme, se réaliser ». Il a l’impression qu’aujourd’hui, on accepte moins la limite chez
l’homme que chez la femme. Selon lui, les femmes
sont organisées, solidaires. Pour les hommes, il ne
voit rien. Peut-être qu’il y a tous ces mouvements de
développement personnel, mais... en y réfléchissant
bien, en allant plus loin (Vincent, réfléchir, il fait ça
tout le temps, et aller plus loin aussi), « le ‘tout au
développement du bien-être’ crée une société individualiste », et cette vision le fait trembler.
Je quitte Boitsfort en frissonnant mais c’est parce
qu’il fait froid. Dans le bus, je repense à notre conversation. Au fond, Vincent, ce qui le remue, c’est la
question de l’amour – l’amour et l’équilibre. Entre les
hommes, les femmes, dans la famille, dans la société.
Comment aimer, être soi-même, comment changer
soi-même avec l’amour ?
Lui, Vincent, il voulait être fier : ne pas avoir de regrets. « On sépare la famille, on sépare les biens,
tout cela est très charnel et amène beaucoup de
conflits. Pour nous, ça a été très conflictuel et je ne
voulais pas avoir de honte en posant a posteriori le
regard sur mon attitude pendant cette séparation. »
Je lui demande ce qu’il pense de la garde alternée.
« Je ne voulais pas que mes filles se sentent plus
étrangères chez moi », répond-il. En voyant la petite
cabane à jouets barbouillée au fond du jardin, je sais
très bien ce qu’il veut dire. Ses filles, il ne sait pas si
elles souffrent de vivre avec des racines partagées,
mais il ne les considère pas divisées ainsi.
S.P.
HORS CHAMP
VERS UN CONGÉ DE
PATERNITÉ EUROPÉEN
Le 28 juin dernier à Bruxelles, une plateforme européenne des pères a vu le jour sous l’impulsion de
l’eurodéputée néerlandaise Marije Cornelissen. Mission : promouvoir l’égalité parentale via notamment
l’instauration d’un congé de paternité de 2 semaines minimum, dans chaque pays de l’Union. Qui sont ces
pères qui veulent s’occuper de leurs enfants ?
C
omment protéger les jeunes parents ? Comment concilier au mieux vie professionnelle
et vie privée, puisque l’arrivée d’un enfant
dans une famille bouleverse la donne ?
Pourquoi pas un allongement du congé maternité à
20 semaines et une obligation de rémunération à taux
plein, suggèrent des eurodéputés à la suite de la proposition de la Commission, en 2008, d’augmenter la durée minimale du congé maternité de 14 à 18 semaines
– proposition qui recommandait la rémunération à taux
plein. Beaucoup de parents belges ou français qui ont
dû mettre leur bébé de deux mois et demi/trois mois à
la crèche (quand ils ont trouvé une place...) envient les
danoises ou les norvégiennes, dont le congé maternité
est beaucoup plus long. Mais si la société ne change
pas, est-ce qu’allonger le congé maternité n’est pas un
risque d’une plus grande discrimination des mères sur
le marché du travail ? Et combien cela coûterait-il aux
États-membres ? Au Parlement européen, le débat fait
rage. Coûts contre bénéfices. Pourtant, comme le fait
remarquer l’eurodéputée néerlandaise Marije Cornelissen (Parti Vert Européen), « les coûts peuvent être résumés dans des chiffres concis, pas les bénéfices. »
NOUVEAUX PÈRES, ÉGALITÉ PARENTALE
Les témoignages...
Dans tout ça, on parle beaucoup des hommes. Comment être heureux, homme, père, comment trouver
l’équilibre ? Se recaser ? « Les pères séparés, on ne les
voit pas. J’en connais, mais peu sont encore comme
moi, n’ont pas reconstruit autre chose que ce que j’ai
... sont au cœur du projet Filiatio. Nous informons, nous
relayons, tout en restant à l’écoute des histoires qui
nourrissent notre réflexion et motivent notre engagement. Sans porter de jugement, nous les partageons.
Si vous souhaitez témoigner et nous raconter une
tranche de vie heureuse ou douloureuse, contacteznous à l’adresse suivante : [email protected]
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FILIATIO - n°1 - octobre 2011
Une réflexion sur la maternité entraîne de nouvelles
questions concernant le père, acteur toujours plus engagé dans le soin et l’éducation des enfants. Au nom
de l’égalité des sexes et de la conciliation entre vie familiale et professionnelle, un rapport coordonné l’an
dernier par l’eurodéputée portugaise Edite Estrela (Socialistes et démocrates) a appelé à l’instauration d’une
règle en Europe pour un congé paternité de deux se-
maines minimum. Pour l’instant, il n’y aucune harmonie
entre pays de l’Union. C’est dans le cadre de ce débat
que, sous le patronage de Mme Cornelissen, 17 organisations de pères de 12 États-membres ont officiellement
fondé, le 28 juin dernier à Bruxelles, la Plateforme Européenne des Pères (PEF) : Platform of European Fathers.
L’idée de départ des fondateurs de la PEF : l’égalité
parentale, soit le partage entre parents (mère, père,
co-mère ou co-père) des obligations et des droits visà-vis des enfants, est dans l’intérêt à la fois des enfants,
des parents et de la société. Les enfants bénéficieront
de l’implication de leurs deux parents dans leur éducation. L’égalité de genre en sera renforcée, et la société profitera d’une plus grande intégration des mères
sur le marché de l’emploi ; si la responsabilité des
enfants est mieux partagée, on peut penser que les
pères s’impliqueront également plus dans les tâches
ÉGALITÉ PARENTALE
L’ « égalité parentale » est un
concept général, plus programmatique que prescriptif, qui sous-tend
notamment la notion juridique
d’’autorité parentale conjointe des
parents sur leurs enfants. Dans la société civile, l’ « égalité parentale » a
été défendue en particulier par les
mouvements de pères divorcés ou
séparés. Au-delà des aspects juridiques stricts auxquels ce concept
renvoie, Filiatio soulève l’importance d’une réflexion globale sur
l’égalité et la répartition des tâches
entre les parents dès le projet d’enfant et tout au long de leur relation,
qu’il y ait séparation ou non.
ET EN BELGIQUE ?
Depuis le 1er juillet 2002, un congé de paternité de 10 jours est en vigueur pour les travailleurs du secteur privé ainsi que pour les travailleurs contractuels du secteur public.
Depuis le 1er avril 2009, ces dix jours peuvent être pris dans les quatre mois à dater
du jour d’accouchement. Ils peuvent être étalés, pris à temps partiel ou à temps plein.
Les trois premiers jours sont rémunérés à 100%, à charge de l’employeur. Les sept jours
suivants, le père perçoit une allocation de 82% du salaire brut, plafonnée, versée par la
mutuelle. Mais la réglementation ne s’applique pas à tous les pères ; rarement informés
de leurs droits et de leurs obligations, pour diverses raisons, ils ne prennent pas tous les
jours de congés auxquels ils ont droit.
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domestiques, que les mères resteront moins au foyer
et qu’elles se réinsèreront plus facilement au travail.
Jetons un œil au Manifeste fondateur de la plateforme. « Le congé paternité est un aspect important
de l’égalité parentale, car : (1) un nombre croissant
de pères veulent une part plus égale dans le soin des
enfants et devraient y être autorisés dès le début de
leur paternité ; (2) l’implication des pères immédiatement après la naissance renforce leur implication
tout au long de l’enfance ; (3) assurer le droit à un
congé paternité transmet le message que l’égalité
parentale est un choix légitime pour les personnes
et pour la société ». Ainsi, la PEF réclame un congé
paternité rémunéré à temps plein, afin d’être incitatif pour les pères, et obligatoire, afin que les pères ne
dépendent plus du bon vouloir de leur employeur.
INTERVIEW
LA VOIX DES PÈRES
DOIT ÊTRE ENTENDUE
Marije Cornelissen, eurodéputée néerlandaise, élue d’un parti écologiste,
revient sur la création de la Plateforme des Pères. Une nécessité, selon elle.
C’est donc un manifeste pour l’égalité parentale. Élémentaire ? Pas si simple. D’abord, qui sont ces pères ?
Des représentants d’organisations de défense du
« droit des papas » ? Quand on regarde de plus près la
liste des signataires du Manifeste apparaît SOS Papa
Belgique , l’unique organisation signataire pour notre
pays. Ainsi qu’on peut le lire, la PEF défend l’égalité
de genre à travers la promotion de l’égalité parentale.
Or le genre – comme vous pouvez le découvrir dans
notre dossier du mois – est une façon de concevoir
les rapports entre les hommes et les femmes dans le
cadre de relations de pouvoir. Alors pourquoi aucune
organisation de mères ne s’est-elle jointe à l’initiative ?
Que ce soit une famille traditionnelle, un père, une
mère, deux mères ou deux pères n’a pas d’importance.
Marije Cornelissen : L’un de mes thèmes de travail au
Parlement Européen est une durée minimum européenne de congé de paternité. Par exemple, aux PaysBas, les pères ont uniquement deux jours de congé à
la naissance de leur enfant. Cela ne leur laisse pas le
temps de s’impliquer vraiment dans les soins à leur enfant. Il m’est apparu évident que les pères manquaient
de soutien au niveau européen. Plusieurs pays abritent
des organisations qui défendent les droits des pères,
mais sans représentation à l’échelle européenne. Avec
l’association néerlandaise “Father Knowledge Center”,
nous avons contacté différentes organisations nationales. Le besoin d’une organisation ombrelle européenne pour les pères s’est clairement révélé.
F. : Aujourd’hui, on a l’impression que les « nouveaux
pères » sont arrivés à égalité avec les mères. Par
exemple, en Belgique, la garde alternée est considérée selon la loi comme la solution de garde à privilégier. Qu’en pensez-vous ?
F. : Vous êtes active au sein du Comité Droits des
Femmes et Égalité de Genre au Parlement Européen.
Avez-vous rencontré des obstacles politiques dans
votre projet ?
M.C. : La plupart des réactions à la création de la
Plateforme des Pères furent très positives. Dans
quelques cas seulement, j’ai dû expliquer que défendre les pères n’était en rien conflictuel avec les
droits des mères. Il y va de l’intérêt des femmes que
les pères puissent partager avec elles les responsabilités de l’éducation de leurs enfants.
F. : L’égalité parentale, c’est un sujet de genre et un sujet
de société. Or la plupart des organisations qui composent la PEF se déclarent « masculines» ou « paternelles ».
Pourquoi avoir fait le choix de créer une plateforme des
pères, et non pas une plateforme des parents ?
Et puis il y a le nerf de la guerre. Financièrement, ces
deux semaines de congé paternité obligatoire sontelles viables ? Combien cela va-t-il coûter aux pays
et aux employeurs ? A ceux qui craignent les coûts,
on peut aussi répondre qu’un père qui a eu deux semaines de congé paternité est plus efficace à son retour au travail qu’un père qui n’a pris qu’une journée
pour aller chercher sa femme et son bébé à l’hôpital,
et qui enchaîne au bureau alors que chez lui, la nuit,
personne ne dort... Que pèsent les arguments productivistes face à l’arrivée d’un enfant ?
Et enfin, deux semaines. Deux petites semaines. A
peine le temps de déclarer l’enfant à la commune, à la
mutuelle, de choisir les faire-part et de les envoyer. Estce que ces deux semaines auront une influence sur le
reste de l’éducation des enfants ? Est-ce que ces deux
semaines inciteront les pères à prendre des congés
parentaux, qui pour l’instant sont un sas vers l’inactivité des femmes européennes ? On verra dans les prochaines années ; en attendant, on se prend à espérer
que cette initiative contribuera à mettre en lumière la
nécessité de la protection du lien intra-familial.
Filiatio : Comment vous est venue l’idée de la création de cette plateforme ?
POUR ALLER PLUS LOIN
Le blog de la PEF :
http://europeanfathers.wordpress.com/2011/06/28/20/
Les amendements déposés en juin 2010 par la Commission des droits de la femme et de l’égalité de genres, portant notamment sur le congé maternité de 20 semaines et le congé paternité :
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//
NONSGML+AMD+A7-2010-0032+001-081+DOC+PDF+V0//FR
L’étude quantitative Congé paternité en Belgique : l’expérience des travailleurs, Institut pour
l’Egalité des Femmes et des Hommes, décembre 2010.
http://igvm-iefh.belgium.be/fr/publications/de_ervaringen_van_werknemers_met_
vaderschapsverlof_in_belgi_.jsp
M. C. : Je dois mentionner que la Plateforme des Pères
est une organisation indépendante. J’en ai soutenu la
création, mais la PEF est politiquement indépendante.
La PEF représente les organisations nationales de
pères, de soutien à la paternité et d’égalité parentale.
L’égalité parentale est une priorité dans l’agenda de
la PEF, et en particulier la promotion de politiques incluant les pères. Le rôle des pères est, malheureusement, souvent laissé de côté par les politiques. Je crois
qu’il est important que leur voix soit entendue.
F. : Que répondez-vous à ceux qui pensent que les
efforts des pères sont égoïstes, dans le sens où les
enfants auraient surtout besoin de leur mère ?
M. C. : Je ne suis pas du tout d’accord avec cet argument.
Les parents sont tous les deux responsables du soin à
apporter à leur enfant. Il est dans l’intérêt de l’enfant
qu’un parent responsable et aimant s’occupe de lui.
M.C. : C’est l’un des thèmes de l’agenda de la PEF.
Alors que la situation est réellement en train de
s’améliorer, des pères, à travers toute l’Europe, sont
toujours confrontés à des difficultés lorsqu’il s’agit
de partager la garde après un divorce ou une séparation. La PEF permet aux pères européens d’échanger
des informations sur ce sujet. C’est particulièrement
important pour les pères non mariés et pour les parents qui vivent dans des pays différents.
F. : Si vous deviez identifier trois actions prioritaires
pour arriver à l’égalité parentale, quelles seraient-elles ?
M.C. : Tout d’abord, les deux parents doivent avoir la
possibilité de combiner le soin apporté à leurs enfants avec leur travail. C’est la raison pour laquelle
le congé de paternité et le congé de maternité sont
mes priorités. Une recherche a récemment démontré
que le congé de paternité amène les pères à s’impliquer davantage dans les activités de soin à leur enfant
pendant les premières années après la naissance. Ce
partage des responsabilités donne aux femmes plus
de temps pour travailler, ce qui a des avantages financiers pour les ménages. Des congés de paternité et de
maternité généreux auront également d’autres avantages. Cela réduira la différence entre les hommes et
les femmes dans la prise en charge et le soin (« care
gap » en anglais, ndlr). Cela permettra également aux
femmes de s’élever à des positions de prise de décision. Et cela répondra à l’un des besoins humains fondamentaux : rester le plus près possible de ceux qu’on
aime lorsqu’ils en ont besoin. Beaucoup d’attention
est portée aux différences hommes-femmes en matière de salaire (« the so called gender pay gap ») : à
travail égal, les femmes sont toujours moins payées
que les hommes. Mais je voudrais mettre la différence
hommes-femmes dans la prise en charge des enfants
au même niveau de l’agenda : les hommes s’occupent
moins de leurs enfants que les femmes. Je voudrais que
hommes et les femmes européen(ne)s aient le droit de
travailler à mi-temps. Cela permettrait aux hommes,
en particulier s’ils ont des employeurs peu convaincus
ou conservateurs, de passer plus de temps à s’occuper
de leurs enfants – et pour les enfants, il y a également
des avantages. Par exemple, les hommes devraient
également profiter du droit à utiliser les crèches et
garderies de la compagnie pour laquelle ils travaillent.
Fathercare Knowledge Center Europe
(http://fkce.wordpress.com), présidé par
Peter Tromp : défend l’égalité parentale
et l’implication des deux parents dans la
vie de leur enfant après un divorce ou une
séparation.
S.P.
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FILIATIO - n°1 - octobre 2011
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EN LISANT
disponible en ligne:
www.booksmag.fr
LE COUP DE LA MÈRE PARFAITE
La pétillante revue Books de l’été dernier s’intitulait, en clin d’œil :
« Tout sur la mère ». Les bonnes, les mauvaises, et les autres. Au
menu : des mères coupables de tous les maux de leurs enfants. Des
mères qui aiment leur mari plus que leur progéniture. Des mères qui
refusent d’allaiter. Des mères-tigres, qui éduquent leurs enfants à la
dure (des dures-mères). D’autres qui s’en contrefichent. Des mères
qui choisissent une carrière plutôt qu’une famille. Des mères ‘bio’,
qui lavent leurs couches et qui restent à la maison, contre lesquelles
s’insurge Elisabeth Badinter dans un article inédit. A cette occasion,
revenons sur le dernier ouvrage polémique de la philosophe, femme
d’affaires et mère de trois enfants.
La société remet la maternité
au cœur du destin des femmes.
Il y a trente ans, Elisabeth Badinter dérangeait. L’instinct maternel
est-il naturel ? demandait-elle à ses contemporains. Est-il exclusivement féminin ? Pourquoi se manifeste-t-il chez certaines femmes et
pas d’autres ? En utilisant l’histoire, la philosophie et la sociologie,
son explosive réponse était : non, l’instinct maternel n’est pas « naturel ». C’est un comportement social, qui varie selon les époques et les
mœurs. Les mères ne sont pas « normalement dévouées » - comme les
articles sélectionnés dans le dernier Books le montrent avec beaucoup
d’humour : l’amour, c’est un plus, pas une donnée de départ ni une nécessité. Il se tricote au fil du temps, et les façons d’exprimer cet amour
sont aussi multiples que les figures humaines.
Une génération plus tard, les pères ont pris une place grandissante
dans le soin et l’éducation des enfants ; on pourrait croire la question
réglée. Pourtant la philosophe s’inquiète (et dérange encore). La société remet la maternité au cœur du destin des femmes, s’insurge Badinter. De nouveaux discours naturalistes pousseraient la femme à faire
des enfants, à rester à la maison, au détriment des avancées égalitaires
des trente dernières années.
LE NATURALISME À LA CHARGE
Être une femme, être une mère : ce n’est pas la même chose ? Ce sont
deux états qui peuvent être conflictuels, car la maternité est ambivalente. Depuis que les femmes maitrisent leur fécondité, on assiste
à la fois à un déclin de la fertilité, à la hausse de l’âge moyen de la
maternité, à l’augmentation des femmes sur le marché du travail et
à la diversification des modes de vie féminins, avec de plus en plus
de femmes célibataires et de couples sans enfants. Pourtant, dans
des temps économiquement difficiles, la maternité constitue une valeur-refuge. Rassurante, en particulier pour les femmes précarisées.
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MAGAZINE
Les sciences redécouvrent l’instinct maternel : théories du lien (l’attachement au bébé dans les semaines qui suivent la naissance), appel au
maternage, discours culpabilisants pour les mères qui décident de ne
pas allaiter, et nouvelle vague féministe essentialiste. L’égalité sera un
leurre, selon ce type de mouvement féministe, tant qu’on n’aura pas
reconnu la différence de nature (d’essence) entre les hommes et les
femmes, une différence dont la maternité est le cœur. C’est un danger,
pointe du doigt Badinter, car le retour à la « bonne mère » participera à
la stagnation, voire au recul de l’égalité hommes-femmes. L’image de la
femme, première dispensatrice d’amour et de soin au nouveau-né et à
l’enfant, est ancrée dans notre histoire, et cette histoire est en train de
changer. Nous sommes aujourd’hui à la recherche de nouvelles figures
de la maternité, insiste Madame Badinter. Et l’argument de la nature
est, selon elle, le plus grand danger.
CLASSIQUE
PRATIQUE
C’est aussi la position que soutient l’essayiste et romancière Nancy
Huston : « Si les pères étaient plus impliqués dans les soins des toutpetits, la misogynie pourrait peut-être commencer à s’atténuer », indique-t-elle dans une interview à La Vie. Qui sait ? En tous les cas,
soutient-elle, « ce n’est pas en cherchant exclusivement à s’aligner sur
les comportements masculins que les femmes résoudront le problème
de l’inégalité. » En effet, si Badinter déplore les conséquences des
conceptions visant à tenir le père à l’écart de la dyade mère-enfant,
elle ne propose pas de piste concrète pour que les hommes deviennent plus actifs dans les premiers mois suivant la naissance d’un enfant
– et dans les années qui suivent. Nancy Huston continue : « Certes,
il est dangereux de nos jours pour une femme de s’éloigner du marché du travail. Mais la carrière d’un homme uniquement absorbé par sa
propre promotion, est-ce vraiment ce qu’il y a de plus désirable dans la
vie ? » Une réflexion nécessaire, alors que le Parlement européen n’arrive toujours pas à se décider en faveur de l’allongement obligatoire
des congés parentaux.
CONTREPOINTS
S.P.
Dans Books, la spécialiste des primates et anthropologue Sarah Hrdy
juge la position d’Elisabeth Badinter « irresponsable » : considérer les
scientifiques – et en particulier les biologistes – comme des ennemis,
« c’est se priver d’importants moyens de se comprendre soi-même et
de comprendre le développement cognitif et émotionnel ainsi que
les besoins du bébé humain. » Elle cite une phrase extraite du Conflit :
« le bébé est le meilleur allié de la domination masculine. » Au-delà de
la provocation, Badinter veut montrer que la façon dont l’instinct et
l’amour maternel ont été instrumentalisés au profit d’une vision sexiste
de la société a permis la perpétuation de la domination masculine.
Mais Sarah Hrdy déplore que Badinter n’ait pas pris soin de se renseigner sur les changements de paradigme de l’anthropologie de l’évolution : il n’y a pas de raison, explique-t-elle, que l’homme ne s’implique
pas presque autant que la mère dans l’ « élevage » des enfants (c’est
bien une primatologue qui s’exprime !). En effet, depuis une dizaine
d’années, les biologistes ont montré que « le mâle humain » (autrement
dit : l’homme...) « comme dans les autres espèces pratiquant l’élevage
coopératif, lorsqu’il cohabite avec la mère et est en contact étroit avec
le bébé, subit une transformation hormonale ». Il y a la place, conclut
Hrdy, pour un épanouissement de l’homme qui développe son potentiel d’empathie à l’égard des tout-petits.
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POUR ALLER PLUS LOIN
A. Badinter, L’amour en plus, Histoire de l’amour maternel XVII-XXème
siècle, Flammarion, 1980.
Yvonne Knibiehler, Histoire des mères et de la maternité en Occident, PUF,
collection Que Sais-je, 2002.
Sarah Blaffer Hrdy, Les Instincts maternels, Payot, 2002.
Née en 1946 aux Etats-Unis, Sarah Hrdy a fait sa thèse de doctorat de primatologie sur l’infanticide dans les colonies de singes langur, en Asie. Elle est
l’auteur de nombreuses publications scientifiques qui ont contribué à renouveler sa discipline au niveau international. Elle s’est également intéressée à l’
« instinct maternel », chez les primates et chez les humains ; elle est enfin
une fervente avocate de la disponibilité et l’accessibilité des crèches.
RÉSIDENCE ALTERNÉE, QUELLE EST LA BONNE DÉCISION?
En complément de l’actualité de ce mois, Filiatio revient sur un ouvrage
sorti l’an dernier, co-écrit par une pédopsychiatre et une journaliste spécialiste de la famille (déjà co-auteur de Réussir la garde alternée – Profiter
des atouts, éviter les pièges, avec le Dr. Gérard Poussin, Albin Michel, 2004).
Après plusieurs années de loi favorable à la résidence alternée, où en
sommes-nous ? Si les chiffres valent pour la France (mais ressemblent
aux nôtres), les questions de fond se posent tout aussi bien pour la
Belgique. L’alternance propose, après une rupture, la « moins mauvaises
des solutions » en offrant un équilibrage des rôles auprès de l’enfant,
expliquent les auteurs. Pourtant les résistances au changement ont la
peau dure et la pratique est encore limitée : pourquoi est-elle toujours
contestée ? Quelles seront les difficultés rencontrées par les enfants,
âge par âge ? Et par les parents ? En essayant de se tenir aussi loin que
possible de la polémique, cet ouvrage clair et synthétique présente
tout d’abord les avantages de la résidence alternée ainsi qu’ils ont pu
être évalués dans le temps, et montre que les procès intentés par des
experts à l’alternance sont bien souvent fondés sur des mauvaises raisons. On a centré le débat sur la résidence paritaire (en particulier du
nourrisson) : c’est un raccourci diabolisant, car on ne présente que les
extrêmes. On a mis en avant l’importance de l’attachement du bébé et
de l’enfant à sa mère. Comment alimenter le lien père-enfant si l’on ne
voit son tout-petit que quelques heures par semaine, au domicile de
son ex ? D’autant plus que l’on sait aujourd’hui que les hommes sont,
presque autant que les femmes, capables de prendre soin et d’éduquer
les enfants. Sans tomber dans la défense de l’alternance à tout crin,
les auteurs apportent des réponses constructives aux arguments anti
les plus courants. L’importance de la co-parentalité, le problème de la
parole des experts, celui de la parole des enfants ; comment construire
l’alternance si l’un des deux parents s’y oppose, pourquoi l’alternance
prend du temps à se construire: autant de thèmes abordés avec une
grande souplesse, du bon sens et sans idées reçues. A lire, quand est
pour, quand on est contre, quand on ne sait pas et qu’on en a assez des
manuels de pensées précuites.
S.P.
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TRIBUNALITÉS
VIVE LA RENTRÉE ?
1er septembre, la rentrée scolaire est là. Et si
l’on pourrait croire que ce cap se passera mieux
pour les parents que pour leur progéniture, ce
n’est malheureusement pas toujours le cas. En
effet, certains parents sont confrontés ce jourlà à un problème de taille : leur enfant n’a pas
été scolarisé dans l’école de leur choix ! Non
pas parce qu’il n’y avait pas de place mais tout
bonnement parce que l’autre parent a changé
l’enfant d’école sans l’en avertir !
Or le principe de l’autorité parentale conjointe
devrait permettre d’éviter cet écueil puisque
les écoles sont censées faire signer le formulaire d’inscription de l’enfant par les deux parents, que ces derniers soient mariés ou non.
Mais un constat s’impose : les écoles ne sont
pas toutes aussi regardantes ! Et c’est alors au
tribunal de trancher – le plus souvent en ré-
féré- sur l’école que devra fréquenter l’enfant.
Cette situation pourrait paraître anecdotique
et pourtant, rien que sur la journée d’hier, j’ai
été confronté à trois parents dans le cas. Un
finira par céder, conscient que c’est son fils
qui pâtit le plus de cette situation ; les deux
autres vont aller en référé dans les prochains
jours pour faire entendre leur colère et imposer
l’école qui avait été choisie avant les vacances
scolaires.
nable des domiciles respectifs des parents,
ou parce que c’est l’école où l’enfant avait été
inscrit au préalable par les deux parents avant
un volte-face de l’un d’eux), ce sera à l’enfant
de s’adapter à ce changement, en débarquant
dans quelques jours – voire semaines- dans sa
nouvelle classe, qu’il ne connaît pas toujours !
La rentrée est-elle donc si réjouissante ? « Bof »
vous diront certains !
Isabelle Scrève,
Avocate au Barreau de Bruxelles
Mais que décidera le tribunal ? Difficile de le
dire à l’avance, tant chacune des parties croit
avoir les arguments infaillibles pour justifier
son choix. Quoi qu’il en soit, une chose est
certaine : c’est l’enfant qui sera la principale
victime de ce conflit puisqu’immanquablement, un de ses parents se sentira floué par la
décision rendue par le tribunal, ce qui n’améliorera pas le climat familial.
Et si le tribunal décide que l’enfant doit être
scolarisé dans « l’autre école » (par exemple
parce qu’elle est à une distance plus raison-
DÉCRYPTAGE
parents ? Dans ce dernier cas, n’est-ce pas le
moins manipulateur des parents qui cèdera le
premier, oubliant alors l’intérêt de l’enfant à
long terme ?
Les professionnels du Droit ne sont-ils pas
démunis face au mal-être des enfants pris
dans un conflit parental grave. Que devraientils faire ? Se lamenter ? Faire la morale aux
Le roi Salomon proposa une solution. Face à
deux mères qui revendiquaient le même enfant,
il trancha violemment le litige par une formule
restée célèbre. « Qu’on le coupe en deux ! »
HUMOUR-HUMEUR
L’une des mères préféra donner l’enfant plutôt que de le voir sacrifié. L’autre s’en satisfit.
Salomon, alors, décida de donner l’enfant à la
première, celle qui avait su renoncer. Il avait par
là vérifié concrètement les projets éducatifs de
chaque partie, par la confrontation, sans tomber dans le piège de la manipulation.
K.M.
AU SOMMAIRE DU PROCHAIN NUMÉRO
Actualités : Cette année, les vieux ont de l’avance!
Dossier : Saint Nicolas : des livres dans vos petits souliers
(mais pas n’importe lesquels)
Témoignage : Véronique ou la combattante
Hors champ : L’accouchement sous X en questions
Filiatio est un périodique publié par Smala!* Il est envoyé chaque mois aux parlementaires, aux avocats, aux juges et
aux professionnels en charge de la famille, des rôles parentaux, des processus d’éducation et de l’égalité hommesfemmes. Il est aussi disponible pour le grand public par abonnement. Pour plus d’infos, pour témoigner, réagir ou agir,
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Ont collaboré à ce n° : Sabine Panet, Benoît Devuyst, Koen Mater, Justine Reheul
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