25-02-2016 bic: pourquoi montpellier est championne
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25-02-2016 bic: pourquoi montpellier est championne
26 LA VILLE EN PARLE La Gazette n° 1445 - Du 25 février au 2 mars 2016 ENQUÊTE Pouponnière d’entreprises BIC : POURQUOI MONTPELLIER EST CHAMPIONNE Le Business Innovation Centre (Bic) de Montpellier, qui a créé 4 600 emplois en moins de trente ans, est classé 4e meilleur incubateur d'entreprises du monde. Quels sont ses atouts et ses faiblesses ? Témoignages et éclairages. L PHOTOS GUILLAUME BONNEFONT À gauche, le Mibi, incubateur pour entreprises étrangères, près de Verchant. À droite, Cap Alpha, à Clapiers. a potion magique du Bic, c’est peut-être sa machine à café. “Mon associé Thibault (Wasiolek) y a rencontré le patron de Sherpa Technologies autour d’un jus”, raconte Dimitri Moulins, PDG de Plussh, entreprise naissante couvée à Cap Oméga, tout comme son aînée Sherpa, dans le quartier montpelliérain du Millénaire. Les deux amateurs de café sont aussi fans de foot – Thibault étant par ailleurs journaliste sportif. “Ils ont sympathisé et se sont mis à faire du squash ensemble. Mais un jour, Thibault s’est déchiré le talon d’Achille en jouant. Le patron de Sherpa l’a alors accompagné à l’hôpital et a pris le temps de se renseigner précisément sur son business [une application permettant de partager un direct vidéo HD filmé avec un smartphone]. C’est ainsi que Sherpa [tout comme Matooma, autre incubé] est entré dans notre capital. Puis est devenu notre princi- pal prestataire en nous allouant qua- ment crédible ? Comment le Bic s’y tre développeurs et un responsable prend-il pour obtenir de si bons technique !” résultats ? Quelles sont ses forces – Vecteur de rencontres et de finan- et, incidemment, ses faiblesses ? cements, cette juteuse machine à Encore faut-il savoir de quoi on café incarne bien l’esprit coworking parle et d’où ça vient. C’est en 1987 du Bic, fait de coopération et d’ému- que Georges Frêche et le District lation entre créateurs d’entreprise. (ancêtre de l’Agglo et de la MétroL’accès aux financements, voilà un pole) créent, à Clapiers, Cap Alpha, des multiples critères le premier des trois de l’étude internatioincubateurs métropo“L’IDÉE, C’EST nale qui a classé, en litains – suivi par Cap décembre dernier, le D’ACCOMPAGNER Oméga en 2004 et le Business Innovation Mibi, près de VerLES JEUNES Centre de Montpellier chant, en 2011 (1). ENTREPRISES en 4 e position monFormé aux sciences économiques par diale. Seul incubateur INNOVANTES EC, le maire de français du palmarès, À FORT POTENTIEL H Montpellier s’est devant l’Italie, l’Espagne ou la Russie DE CROISSANCE.” montré novateur en fondant un des tout (voir p. 28). Et, l’année précédente, qui a marqué l’en- premiers incubateurs européens, trée du montpelliérain dans ce clas- labellisé par l’Union. sement, devant la Chine ou le Los Angeles Cleantech Incubator ! Web. Mais, au fait, le Bic, ça sert à Wouaah, petit Clapas dans la cour quoi exactement ? L’idée, c’est des grands, ça en jette ! Mais cet d’“accompagner les jeunes entreétonnant classement, entre 12 000 prises innovantes à fort potentiel de pépinières de 64 pays, est-il vrai- croissance”, résume la directrice Catherine Pommier. Pour faire décoller ces start-up, comme on dit aujourd’hui, la Métropole fournit locaux modulables, conseils “en stratégie de développement” et formations (commerciales, financières, etc.). L’accompagnement, avec “coach” attitré, s’étale sur une période pouvant aller de deux ans avant la création de la boîte à cinq ans après. Depuis 1987, la “pouponnière” a ainsi couvé 601 entreprises. Parmi elles, 329 sont encore en activité, assurant 4 600 emplois directs sur le territoire de la Métropole. Côté secteurs d’activité, presque la moitié LA VILLE EN PARLE 27 La Gazette n° 1445 - Du 25 février au 2 mars 2016 REPÈRES des sociétés travaillent dans le numérique (applications pour mobile, plates-formes Web, objet connecté, logiciel d’infographie…), un bon tiers dans la santé (Biotech, Medtech), 16 % dans l’économie verte (énergie renouvelable, biocarburant, bâtiment écologique), le reste tournant notamment autour de la robotique, des drones et des nanotechnologies. “Nous sommes trois médecins incubés depuis quatre ans”, témoigne Vincent Attalin, généraliste au CHU et à la clinique Beau-Soleil, spécialisé en nutrition et sommeil. Créée fin 2014, leur société, Aviitam, a inventé un carnet de santé en ligne rempli par différents praticiens et le patient luimême. Cela permet une prise en charge globale du malade, moins chronophage et coûteuse que la consultation classique, ainsi qu’une meilleure prévention de pathologies chroniques tel le diabète. Toubib. “Au sein du Bic, la formation “chef d’entreprise” nous a fait passer de l’état de toubib un peu naïf à celui d’entrepreneur, décrit le Dr Attalin. Le plus utile, c’est l’apprentissage du discours, savoir vendre son idée, passer de l’idée au produit et au business plan. De plus, les conseillers de Cap outre-Atlantique. Car c’est d’abord l’Inbia (2), gros réseau américain d’incubateurs, qui a sacré le Bic montpelliérain, en 2007, “meilleur incubateur mondial” ! Une découverte des brillants petits frenchies et un coup de cœur ponctuel, mais pas une comparaison suivie dans la durée. Qatar. Changement de vie réussi : Le récent classement de l’Ubi Index six mois après sa mise en ligne, le est d’une tout autre nature. Il est carnet de santé du XXIe siècle est établi par une équipe indépendante utilisé par plus de 500 médecins et de chercheurs et d’entrepreneurs 2 000 patients. Sur cette lancée, basée à Stockholm (Suède). Son objet : la comparaison Aviitam pourrait bien approfondie du niveau rejoindre la fine fleur “45 % DES de performance entre de ses glorieux aînés : ENTREPRISES incubateurs – selon les Schlumberger, Urbatechniques du “benchsolar, Awox, Aqua- DU BIC ONT DES fadas, MedTech (le COLLABORATIONS marking”. Sa méthode : le recueil de données fondateur de cette société de robotique AVEC L’UNIVERSITÉ déclaratives, mais en MONTPELLIÉpartie vérifiées par la neurochirurgicale, suite. Bertin Nahum, vient RAINE.” “Pour remplir leur quesd’être nommé au Conseil national du numérique), tionnaire, ça me prend une bonne Oceasoft (ce spécialiste des capteurs semaine”, explique Catherine Pomintelligents a remporté le mois der- mier, la directrice du Bic. “Et après, nier un gros marché hospitalier au ils demandent des précisions. Ainsi, ils ont requis toutes les adresses des Qatar), et on en oublie beaucoup. C’est sans doute la réussite interna- investisseurs sollicités afin de faire tionale de plusieurs de ces entre- des vérifications. Pour leur donner prises (53 % vendent à l’étranger) notre trésor, les coordonnées de 250 qui a attiré l’attention des experts fonds d’investissement, il faut vraiOméga nous ont aidés à trouver des subventions du côté de la Région et de la Métropole. En médecine, l’argent est considéré comme mauvais : il a fallu changer de culture, grâce notamment aux échanges avec d’autres incubés scientifiques, radiologue ou dentiste.” 601 Depuis sa création en 1987, le Bic de Montpellier a accompagné la création de 601 entreprises. Actuellement, 156 sont en cours d’incubation. 4 631 4 631 emplois étaient assurés en 2014 dans la Métropole par 329 sociétés issues du Bic. 42 42 % des start-up couvées par le Bic appartiennent au secteur numérique (applications pour mobile, Web, media), 33 % santé (biotech, medtech), 16 % économie verte (énergie renouvelable, bio carburant), le reste tournant autour de la robotique, des drones et des nanotechnologies. PHOTO GUILLAUME BONNEFONT L’équipe de Cap Oméga, l’incubateur du Millénaire, avec au centre, en tee-shirt blanc, sa directrice Catherine Pommier. ment que j’aie confiance !” C’est ainsi que Montpellier est entré dans la cour des grands. D’abord dans le Top Ten mondial, à la 4e place, en septembre 2014. Puis à nouveau en 4e position, en décembre 2015, parmi 1200 incubateurs sélectionnés, dont 340 finement évalués. Entre les deux, en octobre dernier, un autre Ubi Index, réduit à l’Europe cette fois, a classé Montpellier en 2e position, derrière Dublin (Irlande), mais devant Padoue (Italie). Jungle. Alors comment s’explique cette excellente note, répétée et étayée ? Le cofondateur d’Ubi Index, Dhruv Bhatli, est venu à Montpellier en 2014 pour souligner un de nos points forts : “Le taux de survie plus élevé que la moyenne.” Soit 77,5 % à 5 ans, contre un taux national de 51,5 %. Une pérennité remarquable qui montre que nos bébés entreprises ont été bien préparées à la jungle du marché. “L’accès au financement est un autre point fort salué par le classement”, met en exergue Chantal Marion, en charge du développement économique à la Métropole. La mise en relation avec des investisseurs, précédée d’une préparation intensive à 28 LA VILLE EN PARLE ENQUÊTE LE TOP 10 DES MEILLEURS INCUBATEURS DU MONDE 1) Dublin Enterprise & Technology Centre, Dublin, Irlande. 2) Youngstown Edison Incubator Corporation, Youngstown (Ohio), USA. 3) Los Angeles Cleantech Incubator, Los Angeles, USA. 4) Montpellier Bic, France 5) H-FARM, Padoue, Italie. 6) Incubio, Barcelone, Espagne. 7) Technoport, Esch-sur-Alzette, Luxembourg. 8) Ingria Business Incubator, SaintPétersbourg, Russie. 9) InQbator of Poznan Science and Technology Park, Poznan, Pologne. 10) THE HIVE, Ancône, Italie. Ubi Index, décembre 2015. PHOTOS GUILLAUME BONNEFONT Chantal Marion, en charge du développement économique à la Métropole. À côté, le Dr Attalin, “incubé” cofondateur d’Aviitam, ci-dessous, Dimitri Moulins, fondateur de Plussh. La Gazette n° 1445 - Du 25 février au 2 mars 2016 BIC : POURQUOI MONTPELLIER EST CHAMPIONNE la levée de fonds et “Demo Day”, aboutit à 15 M€ à 20 M€ investis en capital chaque année dans les startup du Bic. Or, l’argent, c’est un des nerfs essentiels de la guerre économique. Troisième bon point : le haut degré de sélectivité de l’incubateur. Un comité, composé d’agents du Bic et d’entrepreneurs du secteur, juge chaque postulant sous tous les angles – modèle économique, potentiel de croissance, qualité de l’équipe fondatrice, etc. En 2015, sur 280 candidatures, seulement 49 projets ont été agréés. Emplois. Un écrémage qui permet de ne garder que les meilleurs. Et qui témoigne, au passage, de l’attractivité du Bic. Tout comme du grand nombre d’entreprises accompagnées. Avec 156 boîtes en cours d’incubation, c’est un des plus gros incubateurs du monde, paramètre également pris en compte par l’Ubi Index. Question sensible dans une région à très fort taux de chômage : les résultats en terme d’emplois. Rappelons que 4 600 emplois, encore assurés aujourd’hui sur le territoire de la Métropole, ont été créés par les entreprises couvées au Bic depuis son origine. À 70 %, des emplois de recherche et développement (genre bac +10) ou de production. Dans des petites boîtes d’une dizaine de salariés en moyenne. Université. C’est beaucoup ou c’est peu ? Du point de vue local, et au regard de l’intérêt général, ça reste assez limité : comme en convient Philippe Saurel (voir son interview ci-contre), c’est d’emplois moins qualifiés et plus nombreux dont a besoin la masse des chômeurs régionaux. Mais du point de vue de l’Ubi Index, qui compare les impacts économicosociaux des incubateurs sur “l’écosystème local”, le score montpelliérain s’avère plutôt bon. Il faut savoir que beaucoup de start-up sont rapidement rachetées par plus gros qu’elles – c’est un de leurs deux leviers de croissance avec l’entrée en Bourse – et que leurs emplois sont souvent délocalisés par le rachat. Or, cela ne semble pas être le cas à Montpellier. Point de gros rachat de start-up qui s’envole vers d’autres horizons. La raison, vous la connaissez : la qualité de vie montpelliéraine. “On est bien ici”, confirme Dimitri Moulins, le patron de Plussh, 43 ans, d’origine parisienne. “À terme, on créera peut-être une antenne commerciale aux USA ou en Allemagne. Mais la R&D et la direction resteront ici.” Un attachement d’autant plus fort que “45 % des entreprises du Bic ont des collaborations avec l’université montpelliéraine”, pointe Chantal Marion. Et que 17 % des projets innovants sont directement issus de la recherche locale. Fac de sciences ou de médecine, Institut d’électronique et des systèmes, Polytech, Sup Agro, centre hospitalier universitaire… : une des forces majeures du Bic, c’est d’avoir su profiter des divers savoirs enracinés depuis longtemps dans la cité. Media. Reste, bien sûr, quelques faiblesses. “Pas assez de relations avec les grands groupes qui investissent dans les start-up”, s’autocritique la dirlo du Bic. “Pas assez de media training pour préparer les patrons”, observe Dimitri Moulins, qui connaît en tant que journaliste les difficultés du passage radio ou télé. N’oublions pas, enfin, le problème du coût de la structure. En charges d’exploitation, le Bic et ses 20 agents tournent autour de 2 M€ annuels, assurés par la Métropole à 88 %, le reste étant fourni par la Région et l’Europe. Cela n’a pas paru exorbitant aux analystes de l’Ubi Index. Ailleurs, à Toulouse par exemple, c’est le secteur privé, et non les collectivités publiques, qui créent et financent les incubateurs, du moins pour l’essentiel. Du coup, les Toulousains ont plusieurs incubateurs dispersés (Midi-Pyrénées, La Mêlée, La Cantine, Connected Camp, TBSeeds, etc.), tirés par une économie riche et dynamique. Mais aucune médaille à l’Ubi Index !R Olivier Rioux (1) Cap Oméga est spécialisé dans les Technologies de l’information et de la communication (Tic), Cap Alpha dans les biotechnologies et la CleanTech, Mibi dans les entreprises étrangères qui veulent s’implanter chez nous. (2) International Business Innovation Association. LA VILLE EN PARLE 29 La Gazette n° 1445 - Du 25 février au 2 mars 2016 Philippe Saurel. PHOTO GUILLAUME BONNEFONT La bible des décideurs de la nouvelle région “Le Bic va se lancer dans le spatial” 1,3 kg ! et un temps d’avance Président de la Métropole, Philippe Saurel rend hommage à l’idée visionnaire de Georges Frêche. L G . L’incubateur de Montpellier décroche le s 4 rang mondial dans l’Ubi Index A AZETTE e paru en décembre. Pourquoi une si bonne note ? PHILIPPE SAUREL. Cette renommée internationale de qualité est le fruit d’une longue expérience. En créant le Business Innovation Centre (Bic) dès 1987, Georges Frêche a été visionnaire. En l’absence d’industrie, il a parié sur la matière grise. Nous récoltons aujourd’hui le bénéfice de cette œuvre pionnière. Outre l’expérience, la force du Bic, ce sont bien sûr les universités, les 71 000 étudiants montpelliérains et leurs travaux de recherche qui génèrent des entreprises innovantes. Et puis il y a aussi le facteur humain : il faut ici remercier Chantal Marion, en charge du développement économique à la Métropole, et Catherine Pommier, la directrice du Bic, qui sont réellement passionnées par les start-up. Le Bic a créé 4 600 emplois dans la Métropole. Par rapport à l’étendue du chômage local, cela reste assez modeste. Et la plupart de ces emplois sont réservés à des jeunes hyper-diplômés, alors que la majorité de nos chômeurs sont peu qualifiés… C’est déjà pas mal, même si ce n’est jamais assez ! Les petites start-up à forte croissance, emblématiques de la nouvelle économie numérique, ont toute leur place sur notre territoire. Mais, c’est vrai, il faut diversifier notre offre d’emploi. Il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas être une terre d’industrie lourde comme la région toulousaine, où j’ai visité beaucoup d’usines formidables pendant les régionales. Je viens justement de discuter avec le ministre de l’Économie Emmanuel Macron d’un projet favorisant l’implantation d’industriels dans la Métropole. Je ferai bientôt des propositions en ce sens… Le Bic lui-même évolue. Il est question d’un développement vers le secteur spatial. Vous pouvez préciser ? Le Bic a signé mi-janvier une convention avec Aerospace Valley, le pôle de compétitivité toulousain dédié au spatial. Il faut savoir que la fac de sciences montpelliéraine s’est lancée avec succès dans la création d’un nanosatellite (1). Cette nouvelle filière va engendrer des start-up qui seront incubées à Montpellier. Et grâce à la convention, elles bénéficieront de l’aide technologique du Cnes et de financements de l’ESA (2). Sur les 13 start-up locales qui ont remporté le fameux Pass French Tech, 8 sont passées par le Bic. Un commentaire ? On n’aurait jamais eu le label French Tech sans le travail accompli par le Bic pour enrichir l’écosystème numérique – et sans le passage à la Métropole. Pour soutenir les start-up, nous transformons aujourd’hui l’ancienne mairie en hôtel d’entreprises. Ça ne fera pas double emploi. Au Bic, l’incubation pour couver les jeunes sociétés. À l’hôtel d’entreprises, la post-incubation et l’animation pour qu’elles s’envolent !R Propos recueillis par Olivier Rioux (1) Satellite miniature d’1 kg, conçu notamment par l’Institut électronique du Sud, lancé dans l’espace en 2012 avec le soutien de la fondation Van Allen. (2) Cnes : Centre national d’études spatiales. ESA : European Space Agency. Les chiffres clés de Montpellier à Toulouse 4 000 entreprises - 1 700 institutions - 11 500 dirigeants Commande : [email protected]