Claquettes, jazz, hip-hop
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Claquettes, jazz, hip-hop
Claquettes, jazz, hip-hop La danse contemporaine aux États-Unis a évolué pour donner naissance à de nombreux styles divergents. Chacun d’entre eux est unique, aussi différent qu’un langage peut l’être d’un autre, et pourtant, exactement comme les langues romanes partagent toutes des racines latines, tous ces styles ont un profil génétique commun. Les formes de danse que sont le jazz, le hip-hop et les claquettes, bien que distinctes, sont toutes caractérisées par leur mise en valeur de la musique, illustrant rythmiquement dans certains cas l’accompagnement musical, et même, dans le cas des claquettes, créant celui-ci. Ces trois styles sont également axés sur le spectacle, que ce soit dans le sens traditionnel d’une exhibition directe visant à retenir l’attention des spectateurs, ou par l’organisation de compétitions avec d’autres danseurs, comme c’est la coutume pour les claquettes et le hip-hop. Tous les trois, cependant, mettent en valeur la richesse de l’esprit du « melting pot » américain, par des danses vivantes, physiques, expressives, et laissant une large part à l’interprétation. Ces trois styles ont été en grande partie fondés par des Américains d’ascendance africaine, et contiennent également des éléments provenant des Îles Britanniques. Mais tandis que le hip-hop est une forme récente, qui a émergé dans les années 70, les claquettes sont relativement anciennes, et se sont développées parallèlement à l’évolution du statut des Afro-américains durant leur longue lutte pour les droits civiques, pour finalement se diversifier et donner naissance au jazz au 20e siècle. Les claquettes Apparues en Amérique vers le milieu du 17e siècle, les claquettes ont évolué à partir des danses exécutées par des esclaves originaires d’Afrique de l’Ouest, avec des influences provenant des Îles Britanniques, y compris les traditionnels « step dancing » irlandais et « clog dancing » anglais. Ces deux pôles d’inspiration d’origine géographique diverse ont fusionné, chacun apportant ses qualités propres – la dynamique et la fluidité du côté africain, la technique et le jeu de jambes du côté britannique. On retrouve une trace de ces caractéristiques prédominantes spécifiques aux deux filiations dans la grande variété actuelle d’approches des claquettes. L’expansion des claquettes peut être en partie attribuée à la répression artistique. Une insurrection d’esclaves dans les années 1730 amena leurs maîtres blancs à bannir l’usage des tambours, qu’ils considéraient comme un instrument propre à fomenter des révolutions. Les esclaves puisèrent alors dans leurs ressources, et leur ingéniosité leur donna l’idée de créer des rythmes avec leur corps, et plus précisément avec leurs pieds. Plus tard, toujours au 18e siècle, on se mit à organiser des compétitions de gigue sur des « scènes » de fortune faites de planches de bois, et à récompenser les enchaînements les plus compliqués, et les danseurs qui réussissaient le mieux à captiver le public tout en conservant leur équilibre. Les « minstrel shows », immensément populaires pendant la première moitié du 19e siècle, mettaient en scène des blancs (et plus tard des personnes d’origine africaine) dont le visage avait été noirci, et qui parodiaient le comportement des noirs. Ce faisant, ils mettaient également en lumière la culture africaine, dont certains éléments devinrent populaires dans les music-halls alors même que les minstrel shows se démodaient. C’est dans ce genre de spectacles que William Henry Lane (« Master Juba ») se produisait, à l’époque l’un des rares artistes noirs parmi les blancs. C’était à la fois une satire des Africains et un hommage à la culture noire, qui reflétaient l’état d’esprit d’un jeune et tumultueux pays, associant un Nord industriel et capitaliste aux plantations et à l’esclavage du Sud. Les music-halls, qui prirent leur essor dans les années 1880, mettaient en scène une grande diversité de numéros, depuis les monologues sérieux jusqu’aux acrobaties en passant par la danse. Plusieurs circuits furent établis, liant tout un réseau de salles de spectacle où un numéro éprouvé pouvait faire l’objet d’une tournée organisée. Aux alentours de 1900, cette forme de danse était toujours connue sous le nom de « clog », « step », « buck », ou « buck-and-wing ». Sa popularité grandissait bien qu’elle fut par essence victime de la ségrégation. Les salles de spectacle abritaient des réseaux de tournées, qui ont accéléré la diffusion du genre. Une organisation nommée « Theater Owners’ Booking Association » (TOBA) faisait le lien entre les music-halls où se produisaient des noirs et les artistes. La popularité de Broadway était également en hausse, mais c’est le music-hall qui a perpétué l’héritage des claquettes. Ce champ en pleine diversification commença à s’étendre, en s’ouvrant à une plus grande compétence technique et à plus d’individualité. Parmi les artistes les plus renommés du 20esiècle, on trouve les Nicholas Brothers (Harold et Fayard Thomas), dont les acrobaties audacieuses – ils effectuaient des sauts avec réception en grand écart et franchissaient d’un bond l’espace entre les estrades par-dessus l’orchestre – étaient à couper le souffle. Des duos de danseurs apparurent, en partie à cause d’un règlement interdisant aux noirs de se produire en solo. Le duo « Buck and Bubbles », formé de John « Bubbles » Sublett et de Ford « Buck » Washington, se distinguait par leurs élégants smokings et leur accompagnement au piano. Ils étaient des habitués du Harlem’s Hoofer’s Club, où avaient lieu des confrontations de danse improvisées mais âprement disputées. Bill « Bojangles » Robinson affichait un chic vif et suave ; ses danses sur les marches d’un escalier devinrent sa signature exclusive. Dans les années trente, le music-hall déclinait, mais Broadway et le cinéma gagnaient en popularité. Ainsi, les « production numbers », des tableaux très colorés créés par Busby Bekerley et d’autres du même acabit, furent adoptés avec enthousiasme par le public, tandis que dans le même temps les prestations improvisées plus intimes rentraient dans l’ombre. Les artistes qui apparurent à cette époque restent des icônes du genre – Ann Miller, Ray Bolger, Donald O’Connor, Gene Kelly, et les plus inoubliables, Fred Astaire et sa partenaire attitrée Ginger Rogers. Gene Kelly et Fred Astaire représentaient deux approches des claquettes fascinantes, mais très différentes. Gene Kelly portait des habits ajustés d’allure sportive, et associait les claquettes à un jazz encore en bourgeon, avec ses grands pliés et ses bras fléchis tenus écartés du corps. Il se déplaçait avec une assurance qui semblait la personnification même de l’esprit américain, comme on peut le constater dans l’épopée technicolor « Un américain à Paris ». Les numéros de Gene Kelly, par leurs notes jazzy, allaient par la suite fournir une puissante inspiration à Broadway et au cinéma. Fred Astaire, de son côté, n’était qu’élégance et grâce. Souvent sanglé dans un smoking, avec chapeau haut de forme et canne, c’était une star du grand écran qui passa avec aisance du blanc et noir à la couleur. Ginger Rogers lui servait souvent de partenaire ; ils incarnaient le romantisme, l’humour, l’optimisme typiquement américain, et l’inventivité dans la chorégraphie. Bien que le public ait un peu perdu de vue les claquettes au milieu du 20e siècle, celles-ci trouvèrent de nombreux partisans dans les cours de danse et les festivals. Alors que les pas des claquettes sont codifiés jusqu’à un certain point, et le vocabulaire standardisé, elles ont toujours été une forme de danse extrêmement individualiste, en évolution constante sous les pas de chaque nouvel interprète. C’est ainsi que cette forme artistique conserva sa dynamique grâce à des danseurs tels que Jimmy Slyde, Charles « Honi » Coles et John Bubbles. La génération suivante comprenait de nombreuses femmes, comme Dianne Walker, Brenda Bufalino, Lynn Dally et Jane Goldberg, laquelle, par l’intermédiaire de son organisation « Word of Foot », hébergeait des conférences et maintenait les traditions du genre en ébullition à partir des années 80 et audelà. Quelque temps plus tard, une nouvelle génération d’aficionados allait assister à l’affrontement entre le danseur de claquettes américain Gregory Hines et la superstar des ballets russes Mikhail Baryshnikov dans le film « Soleil de nuit ». Leurs types de danse respectifs pouvaient être perçus comme un reflet de leurs caractéristiques nationales. Hines démontrait des capacités athlétiques, de la virtuosité, et un charme qui crevait l’écran. Il partagea la vedette de la comédie musicale « Jelly’s Last Jam » (1992) avec le jeune Savion Glover, que de très nombreuses personnes considèrent comme l’un des plus grands danseurs de claquettes de toute l’histoire. Savion Glover met l’accent sur la structure musicale et le contrepoint, en inventant des rythmes toujours plus complexes dans un large panel musical incluant la musique classique. Il remporta un Tony Award de la meilleure chorégraphie pour le spectacle « Bring in ‘Da Noise, Bring in ‘Da Funk » produit par Broadway en 1996, et a inspiré toute une nouvelle génération. Des manifestations ont lieu dans tous les États-Unis, en particulier à Saint Louis, Chicago et Boston. Le festival « Tap Extravaganza », qui a débuté en 1989, célèbre la journée des claquettes, le « National Tap Dance Day », et sélectionne chaque année un danseur qui reçoit une récompense pour l’ensemble de sa carrière. Ces dernières années, on a vu l’émergence d’une nouvelle génération de danseurs de claquettes, différente des précédentes, au sein de laquelle les styles individuels s’épanouissent de plus en plus. Ce sont entre autres Max Pollack, Roxanne Butterfly, Tamango, Dormeshia Sumbry-Edwards, Michelle Dorrance et Jason Samuels Smith, qui apparaissent au côté de l’icône des claquettes, Arthur Duncan, dans le court métrage « Tap Heat ». [dans la version internet, si on clique sur Tap Heat, on est renvoyé à la vidéo, mais le lien n’est pas souligné] Si on parle d’une culture pop plus vaste, les claquettes sont toujours présentes à Broadway, comme on a pu le voir dans de récentes reprises, « 42nd Street » et « Anything Goes » par exemple. Les spectacles de step dancing irlandais, dont le fer de lance est « Riverdance », se sont révélés immensément populaires, et même en dehors de Broadway, on trouve des productions théâtrales mettant en scène cette danse. Les deux genres apparaissent occasionnellement dans certains des spectacles de danse et de compétition de talents populaires à la télévision. Dans l’arène des spectacles de danse, des compagnies comme le « Jazz Tap Ensemble » de Lynn Dally, qui fait partie du programme DanceMotion USA 2012, donnent des représentations dans tout le pays et même à l’étranger. Les claquettes ont élargi leur rayon d’application pour faire place à la fois à des danses strictement chorégraphiées et au genre d’improvisations ingénieuses qui trouvent un parallèle dans les « bœufs » musicaux. Le jazz Des trois genres de danse, claquettes, jazz et hip-hop, le jazz est le plus étendu en termes de technique. Comme la musique dont il a pris le nom, il dépend fortement de l’interprétation personnelle du rythme et de la dynamique. Le jazz a les mêmes origines que les claquettes, l’époque reculée de l’histoire de l’Amérique où les esclaves commencèrent à utiliser leur corps et leurs pieds comme des instruments de percussion, les tambours étant bannis de peur d’une révolution. Les danses africaines se mélangèrent à celles qui venaient des Îles Britanniques, et l’on tint des compétitions informelles. À de rares exceptions près, à l’origine, les noirs n’avaient pas le droit de se produire, mais la popularité de la culture africaine décolla vers la fin du 19e siècle à travers le divertissement très apprécié des « Minstrel Shows ». Au tout début du 20e siècle, grâce au ragtime et à la musique composée pour les formations orchestrales nommées « ballroom orchestra » et « big band », cette danse s’était solidement implantée dans l’imagination du public à travers des revues (Darktown Follies, Ziegfeld Follies), des clubs (Hoofers Club, Cotton Club, Savoy Ballroom), et la comédie musicale. En 1921, la troupe de la revue « Shuffle Along » comptait parmi ses membres Joséphine Baker, qui allait devenir l’une des plus grandes stars de l’époque. Les danses de société telles que le « Lindy Hop » (appelé plus tard le « jitterbug »), permettaient à des multitudes d’accéder à ce style de danse plus libre, tout récent, qui fut en un sens pour beaucoup une porte ouverte sur la culture africaine. Le jazz et les claquettes étaient abondamment mis en vedette dans les films, ce qui propageait leur popularité, illuminés par Bill « Bojangles » Robinson, Fred Astaire et Ginger Rogers, et Gene Kelly. À Broadway, des chorégraphes qui travaillaient au départ dans le ballet et la danse moderne, comme Agnes De Mille, Donald McKayle, George Balanchine et Jerome Robbins, commencèrent à chorégraphier des spectacles. Par la suite, une forte influence du jazz se fait sentir chez ces chorégraphes du ballet classique, on les repère entre autres aux positions parallèles et aux mains et pieds fléchis des danseurs. « West Side Story », chorégraphié par Robbins, fut un immense succès à la fois à Broadway (en 1957) et sur le grand écran (en 1961) ; il remporta 10 Oscars, y compris celui du meilleur film et du meilleur réalisateur, attribué à Jerome Robbins et Robert Wise. Les danses du film furent condensées dans le ballet « West Side Story Suite », créé en 1995 pour le New York City Ballet, qui continue à le représenter. La compagnie compte de nombreux ballets créés par Robbins dans son répertoire, par exemple « New York Export : Opus Jazz », créé en 1958 et réédité en 2005. Il fut adapté en 2010 en un film bien accueilli par la critique, avec des danses filmées dans divers endroits de New York. Jack Cole fut le chorégraphe de nombreux films, dans son style particulier, si nonchalant, avec ses pliés très bas, ses mains fléchies dans la posture d’un chien qui quémande, et ses mouvements de bras vers les quatre points cardinaux. Il était en phase avec le mouvement de Bob Fosse, qui ajoutait des détails théâtraux – de voluptueux mouvements d’épaules et des ondulations du bassin, et des accessoires, chapeau melon et canne. Matt Mattox, l’un des danseurs de Cole, qui figura dans de nombreux films, ouvrit un cours de jazz dont la structure était calquée sur celle des cours de danse classique, et devint un professeur très influent et respecté, partisan de ce style. La danse moderne, alors en plein essor, rejoignit quelques-uns des courants les plus lyriques du jazz. Alvin Ailey étudia avec Lester Horton, un professeur et chorégraphe bien connu, puis se produisit en sa compagnie, avant de monter sa propre troupe en 1958. Ailey combina certains des éléments les plus « règlementaires » du jazz avec la danse classique, la danse africaine et la danse moderne, pour créer un répertoire pour sa compagnie, désormais de renommée internationale, dont l’œuvre la plus populaire est « Revelations ». À peu près à ce moment-là, les écoles de danse jazz, ainsi que l’enseignement du jazz, étaient en plein boom. Luigi, basé à New York avait un style soyeux, lisse et rythmé qu’il développa en partie en réponse thérapeutique à un grave accident. Ses cours attiraient les foules, même si le style ne s’implanta jamais sur la scène. L’école de danse Phil Black, située un peu au nord de Times Square, sur Broadway avenue, représentait un centre vital pour les étudiants du jazz. Gus Giordano, à Chicago, un fervent défenseur du genre, écrivit l’« Anthology of American Jazz Dance », et organisa le Congrès mondial de danse Jazz. Lynn Simonson fut en 1983 la cofondatrice du « Dance Space Center », à New York, où son style fluide et propulsif devint populaire (le centre est aujourd’hui connu sous le nom de Dance New Amsterdam). Le répertoire de Twyla Tharp est si varié et étendu qu’il échappe à toute classification, bien qu’elle ait fait école pendant l’époque des postmodernistes de la Judson Church. Certaines de ses danses peuvent être décrites comme jazzy, avec leurs ondulations de hanches, leurs postures dissolues à la beatnik, et leur musique syncopée et enjouée. Elle a aussi créé des ballets à grande échelle pour des opéras, et des comédies musicales qui ont eu un grand succès à Broadway, comme « Movin’Out ». Lou Conte fonda le « Hubbard Street Dance Chigago » en 1977, une compagnie aujourd’hui respectée, une référence dans la représentation du répertoire contemporain, avec une technique solide orientée vers le jazz. Outre les contributions chorégraphiques initiales de Conte, elle s’enorgueillit actuellement d’un répertoire provenant de « dancemakers » internationaux de premier plan. Broadway continue à être un réservoir majeur de comédies musicales à tendance jazz, créées par des pointures comme Lynne Taylor-Corbett, Rob Marshall, Graciela Daniele et Susan Stroman, dont beaucoup participent également à la direction des chorégraphies. De nombreux chorégraphes modernes incorporent des éléments jazzy dans certaines parties de leur répertoire, tels Lar Lubovitch et Trey McIntyre, un artiste du programme DanceMotion USA 2012. Michael Jackson était une star du pop depuis l’enfance, mais lorsque MTV accepta enfin de passer ses clips vidéo (c’était la première fois qu’ils produisaient un artiste noir), le genre décolla. Ses clips de « Beat It », « Billie Jean » et « Thriller » devinrent d’immenses succès, en partie en raison de son style de danse magnétique, avec des clins d’œil à Bob Fosse et à d’autres artistes de jazz. Avec l’engouement récent pour la danse dans les spectacles de téléréalité, « So You Think You Can Dance » par exemple, la danse « contemporaine » est devenue une nouvelle sous-catégorie du jazz. Il s’agit plus ou moins d’une combinaison de styles moderne et jazz, une danse lyrique, pleine de difficultés techniques, avec des sauts impressionnants et de multiples pirouettes, imprégnée d’émotion théâtrale, imaginée par des chorégraphes comme Mia Michaels. Des cours de danse du type du « Broadway Dance Center » ont ajouté ce genre à leurs offres de cours, à côté des styles bien établis. Broadway fut l’espace de prédilection des chorégraphes de jazz, mais plusieurs « dancemakers » renommés dans d’autres genres y ont récemment connu un franc succès : Bill T. Jones, qui a émergé dans les années 80 en tant que chorégraphe postmoderne, et Karole Armitage, connue pour son ballet punk, pour n’en citer que deux. Ce que tous ces artistes ont en commun, c’est le désir de mettre les gens en contact et de les divertir à travers la danse sur une musique rythmée ou syncopée. Le hip-hop Le hip-hop a émergé comme l’une des branches d’un plus vaste mouvement qui englobait quatre « acteurs » : le D.J., l’animateur (Master of Ceremony, MC), le break dance, et le graffiti. Il tire ses racines dans le Bronx, où le DJ Kool Herc, en utilisant deux platines et une table de mixage, eut l’idée d’extraire les interludes instrumentaux de percussions dans ses disques de funk et de les passer en boucle pour les faire tourner en continu. Les danseurs élaborèrent des mouvements particuliers pour coller à ces passages rythmiques, et furent qualifiés de b-boys ou b-girls, la lettre b représentant le mot « break », qui désigne ces interludes en anglais. Ces soirées devinrent si populaires qu’elles finirent par être déplacées à l’extérieur, dans les parcs. Kool Herc prit l’habitude d’adresser aux danseurs et aux spectateurs des encouragements et des tirades rimées, et c’est ce phrasé typique qui a servi de fondement au rap, lequel évolua à mesure que les MC élaboraient des styles et des sujets particuliers. Le texte exprimait souvent des opinions politiques ou une frustration, dans le contexte des mouvements en faveur des droits civiques. Plus tard, les artistes laissèrent libre cours à leur vision personnelle du rap, reflétant des choix de vie en rapport avec leur percée lucrative dans l’industrie de la musique. DJ Afrika Bambaataa forgea le mot « hip-hop », à partir d’un terme né dans les années 70, quand New York, et en particulier le Bronx, était à l’abandon et envahi par le crime. Le Bronx ressemblait à une zone de combat, ce qu’il était presque devenu en raison du trafic de drogue et de la présence des gangs. Il faut pourtant reconnaître que sans cette anarchie et l’abandon des banlieues par les classes moyennes et les gens d’affaires, les graines de ce qui devait devenir le hip-hop auraient très bien pu ne jamais trouver de terrain fertile. La jeunesse agitée, qui n’entrevoyait aucune issue, trouva dans ce vecteur d’expression, et dans les diverses formes de hip-hop, un exutoire et un objectif commun. Ce qui aurait pu dégénérer en violence se termina souvent en compétition entre artistes, même si la violence et la brutalité allaient demeurer présentes dans le monde de la musique. Les graffiti couvraient les wagons des métros, intérieur et extérieur, et les tagueurs s’affrontaient sur ce terrain pour déterminer qui dominait. Ils développèrent des styles particuliers, instantanément reconnaissables, même de loin, exposant souvent d’énormes graphies délirantes et colorées, et des personnages de bandes dessinées ou des images portant leur griffe. Ces dessins reflétaient les guerres de territoire entre gangs des rues, mais d’une façon beaucoup moins sanglante, même si les graffiti représentaient une forme de destruction de la propriété. Mais en partie à l’initiative d’une galerie du Bronx avant-gardiste, la « Fashion Moda », les graffiti quittèrent les wagons du métro pour atterrir sur les murs de la galerie. Nombre des principaux dessinateurs devinrent des célébrités à part entière, comme Futura 2000, Keith Haring et Dondi. Ce glissement – de la manifestation visuelle d’une lutte pour la possession du territoire des rues à un produit très cher au niveau international – devait se retrouver dans les formes les plus populaires du hip-hop, et en particulier dans la musique. Les rythmes répétitifs et agressifs joués par les DJ poussaient les b-girls et bboys à des compétitions sur la piste de danse, où tous improvisaient en tentant d’impressionner le public avec leurs meilleurs mouvements. Au début, on dansait debout, avec des pas comme le « top rocking », un basique croisé-sauté (« cross-and-hop ») donnant l’impression que le danseur se déplace, alors qu’en fait il reste au même endroit, ce qui lui est imposé par les limites étroites du cercle des spectateurs (ou « cypher »). Mais la nécessité de demeurer essentiellement stationnaire força les danseurs de hip-hop à se montrer créatifs pour donner l’impression du mouvement. Ils ajoutèrent le « popping » et le « locking » (ou « smurfing »), et des mouvements saccadés de robot avec des arrêts et des poses figées poussés à l’extrême. L’un des tout premiers groupes, et l’un des plus connus, fut le « Rock Steady Crew », formé en 1977. Le vocabulaire se déplaça vers le bas du corps pour incorporer le travail au niveau du sol, appelé quelquefois « footmoves » ou « floor rocking », présentant des « freezes » (des poses figées pieds en l’air, soutenues sur les mains ou les bras) et des vrilles. Au début les vrilles étaient soutenues sur la tête avec de simples rotations (« pencils »), ensuite on augmenta la vitesse et le nombre de tours. Les danseurs tournoyaient sur leur postérieur, pour terminer par un pivot sur le dos comme des tortues renversées, des rotations à l’infini, à en donner le vertige, ou réalisaient d’impressionnants « windmills » (« moulins à vent » en français) où les jambes fendent l’air. D’autres formes de danse influencèrent le hip-hop, entre autres les claquettes et la capoeira, dont la forme brésilienne descend des arts martiaux, et dans laquelle les participants utilisent tous les membres à égalité et sont aussi souvent à l’envers qu’à l’endroit. Le contingent de la côte Ouest élabora ses propres styles distinctifs comme le « popping », le « strutting » et le « krump ». Pour la plupart, ces styles de danse ne s’affichaient généralement pas dans les salles de spectacle traditionnelles, où dominaient la danse moderne, la danse classique et les claquettes. C’est dans les années 80 que des variations de la danse hip-hop commencèrent à être produites sur certaines scènes importantes. Le style de Michael Jackson, immensément populaire à travers ses clips vidéo sur MTV, était davantage basé sur le jazz, mais il ouvrit la voie à d’autres artistes noirs, et ses groupes de danseurs furent les précurseurs de certains groupes actuels de hip-hop exécutant des numéros élaborés et théâtraux requérant une synchronisation parfaite. Aujourd’hui, les festivals et les compétitions attirent des danseurs du monde entier. Une version commerciale et largement diffusée du hip-hop fut présentée dans l’émission télévisée de divertissement à sketchs « In Living Color ». L’émission employait un groupe permanent de « fly dancers », comprenant de futures stars comme Jennifer Lopez, qui exécutaient des séquences de danse pleines de punch. Même si les chorégraphies variaient grandement et empiétaient parfois sur le jazz ou la danse moderne, les numéros étaient souvent caractérisés par une grande présence physique, tout un travail de sauts au niveau des pieds, et des combinaisons de mouvements sur place, comme dans le hip-hop. Les musiciens de pop se mirent alors à inclure ce type de danses dans les attractions habituelles de leurs concerts. Dans les années 90, des troupes se formèrent qui étaient davantage conçues sur le modèle des compagnies de danse moderne. « Rennie Harris Puremovement », une compagnie faisant partie du programme DanceMotion USA 2012, fondée à Philadelphie, en Pennsylvanie, en 1992, mettait en scène dans une salle de spectacle des chorégraphies de pas rapides et d’amples mouvements athlétiques. Récemment, Rennie Harris a été commissionné par l’« Alvin Ailey American Dance Theater », ce qui a ouvert au hip-hop les portes de l’un des répertoires les plus respectés de la danse contemporaine. Ana « Rokafella » Garcia, quant à elle, a percé dans un univers initialement dominé par les hommes, conquérant la fidélité de ses fans par ses performances ; elle a récemment tourné un film intitulé « All the Ladies Say » qui raconte l’histoire de six femmes danseuses de break. La Compagnie Kafig, une compagnie française fondée en 1996, a été à la tête du mouvement hip-hop dans les salles de spectacle traditionnelles, incorporant des numéros de danse dans un contexte théâtral servi par des décors théâtraux. Des danseurs individuels se sont également distingués dans ce domaine. Danny Hoch s’est établi dans certaines salles de spectacle du centre-ville de New York, et a organisé un festival de danse hip-hop. Bill Shannon danse avec des béquilles, ce qui donne une nouvelle dimension au hip-hop. Et du Brésil nous arrive le « Grupo de Rua », qui conserve ses liens avec la rue dans des productions bien rodées et de conception ambitieuse. Il figure à la télévision dans des spectacles de compétition comme « America’s Best Dance Crew » et, dans des formes relativement commerciales, « So You Think You Can Dance ». Comme le film « Planet B-Boy » le montre, le hip-hop est devenu un phénomène mondial. Le hip-hop, dans toutes ses manifestations, a évolué dans deux directions différentes, et continue à provoquer des débats passionnés. La musique et le rap ont donné naissance à tout un univers commercial souvent extrêmement lucratif, dans lequel de nombreux artistes affichent leur réussite personnelle, pour le meilleur ou pour le pire, sur le plan matériel. Il reste malgré tout quelques inconditionnels des formes originelles, centrées sur les droits civiques et le statut des Afro-américains. Le mouvement graffiti a connu son heure de gloire il y a longtemps, et cette gloire a été considérable, et certains artistes en ont profité de façon substantielle alors que d’autres sont restés méconnus. Par contraste, la danse hip-hop a eu beaucoup moins l’occasion de capitaliser son potentiel artistique comme cela a été le cas pour la musique et le rap. Il est possible que le mouvement ait conservé une certaine pureté, et soit demeuré imperméable aux tentations offertes par les richesses. Et quant au succès de son passage de la rue et du club jusqu’à l’avant-scène du spectacle, il est toujours sujet à débat. Pourtant, la danse hip-hop continue à être présentée au public – dans le métro, à Times Square, où elle conserve la fascination « brute » de ses débuts, dans les salles de spectacle, les compétitions, et les clubs. — Susan Yung References Chang, Jeff. Can’t Stop Won’t Stop. 2005, St. Martin’s Press, New York http://www.daveyd.com/historyphysicalgrafittifabel.html Giordano, Gus (author/editor), Anthology of American Jazz Dance. 1978, Orion Publishing House, Evanston, IL. Malone, Jacqui. Steppin’ on the Blues, 1996, University of Illinois Press, Urbana and Chicago. Sommer, Sally R. “Tap Dance,” in International Encyclopedia of Dance, Vol. 6, ed. Selma Jeanne Cohen. New York: Oxford University Press, 1998, pgs. 95104. Stearns, Marshall & Jean. Jazz Dance: The Story of American Vernacular Dance. 1994, Da Capo, New York. Valis Hill, Constance. Tap Dancing America: A Cultural History. 2010, Oxford University Press, New York
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