Le taux de CO dans les bars à chicha : étude de cas à Paris
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Le taux de CO dans les bars à chicha : étude de cas à Paris
Le taux de CO dans les bars à chicha : étude de cas à Paris en fonction de la consommation et de la ventilation des locaux S. Dahech1 et G. Beltrando2 [email protected], [email protected] 1. Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sfax, Laboratoire SYFACTE 2. Université Denis Diderot (Paris VII), UMR 8586 (PRODIG) du CNRS, (c.c. 7001), Les Grands moulins 75205 Paris Cedex 13 Résumé : L’étude, réalisée à Paris en 2007, porte sur le taux de monoxyde de carbone (CO) à l’intérieur de bars à chicha. 20 campagnes de mesures de la concentration en CO ainsi que de la ventilation ont été réalisées dans 4 bars entre 21h30 et 0H30 en fonction la fréquentation des lieux et de la ventilation des locaux. Les résultats montrent que, lorsque plusieurs chichas sont consommées simultanément, les taux sont au-dessus des normes préconisés par l’OMS, surtout lorsque les locaux sont mal ventilés, Ce taux de CO varie aussi sensiblement en fonction de l’éloignement des points de consommation mais reste généralement à des niveaux qui présente un risque de santé pour les usagers. Mot clés : taux de CO, bar à chicha, Paris, pollution atmosphérique Introduction La qualité de l'air que nous respirons dans les différents lieux intérieurs est reconnue aujourd'hui comme un enjeu de santé publique. Parmi les polluants dangereux enregistrés dans les lieux fermés, ceux émis par les fumeurs sont considérables et depuis le 1er janvier 2008, en France, il est interdit de fumer dans des lieux publics et fermés car le tabagisme, qu’il soit actif ou passif, est reconnu comme un danger incontestable. Outre les cigarettes, lune partie de la population, les adolescents et les jeunes adultes en particulier, fument de plus en plus le narguilé1 (la chicha). Le nombre de fumeurs de narguilé est estimé à 100 millions à travers le monde, principalement répartis en Afrique, en Asie et dans le MoyenOrient (Asotra, 2006). Depuis le début des années 1980, le narguilé est également devenu plus populaire en Europe et aux Etats-Unis, où des émigrants ont apporté cette pratique culturelle et sociale (Asotra, 2006). 1 Une pipe orientale à long tuyau flexible dans laquelle la fumée passe par un vase rempli d'eau. Elle est reconnue aussi sous les noms de narjila en Egypte, arguileh au Liban, houka dans le monde Indien, Ghelyan en persan ou encore Chilam en Afghanistan. Le tabac utilisé dans ses pipes à eau (tabamel) est composé de 28% de tabac (nicotine + substances additives), 70% de mélasse et d’arômes de fruits. 1 JIQA 2008 7-8 février 2008 Ce fléau est devenu préoccupant : en France, un jeune de 16 ans sur deux et sept jeunes de 18 ans sur dix en ont déjà fumé : six étudiants sur dix en consomment selon le programme européen contre le tabagisme Help (mai 2007). Les bars à chicha fleurissent dans les villes françaises en s’intégrant dans des salons de thé orientaux. On comptait environ 800 établissements en 2007, dont la moitié se situe à Paris, fréquentés par 500 000 clients d’après l’Union des Professionnels du Narguilé (l’UPN). En outre, de plus en plus de jeunes achètent un narguilé pour fumer à domicile en particulier parce que, depuis janvier 2008, il est interdit de fumer dans les lieux publics et fermés. Or, ce type de tabagisme est relativement dangereux. Selon le programme européen contre le tabagisme Help (mai 2007), fumer un chicha « équivaut à fumer deux paquets de cigarettes (en taux de monoxyde de carbone et en microparticules de pollution inhalées) ». De même, rester une heure à côté d'un narguilé équivaut à fumer 6 à 8 cigarettes. Ce danger imminent est ignoré par les consommateurs qui croient que « cette fumée est douce » (Dautzenberg et Nau, 2007). Les nombreux travaux internationaux récents sur la qualité de l’air intérieur portent sur un nombre limité de polluants (Mosqueron et al., 2005). En France, on recense quelques travaux sur les taux de pollution dans des cafés et dans les bureaux en fonction de la présence ou non de fumeurs comme l’étude menée par l’Observatoire de la Qualité de l’Air Intérieur en France (OQAI) entre 2003 et 2005. Les études sur la qualité de l’air dans les bars à Chicha, en particulier, ne sont pas nombreuses. Certains travaux ont mis l’accent sur les constituants chimiques de la fumée dégagée des narguilés et de leurs impacts sur la santé (Dautzenberg et Nau, 2007 ; Chaouachi, 2007). A l’échelle internationale, la qualité de l’air dans les bars à Chicha a été examinée par certains auteurs comme Shihadeh (2003) au Liban qui a mesuré la concentration des aérosols dans l’air après une session de narguilé. D’autres auteurs comme Zahran et al. (1982 et 1985) se sont intéressés au taux de carboxyhémoglobine dans les cafés chicha d’Arabie Saoudite. La plupart des travaux aux Etats-Unis ont porté sur la composition chimique du tabac utilisé dans le narguilé et de leur répercussion sur la santé (Knishkowy et Amitate, 2005). D’après ces études, le monoxyde de carbone (CO) est l’un des dangereux polluants émis par l’usage du narguilé (Sajid et al., 1993 ; Shafagoj et Mohamed, 2002). Certains résultats de ces études antérieures seront comparés à ceux que nous avons obtenus durant nos campagnes de mesure à Paris. L’objectif du présent travail est de quantifier les taux de monoxyde de carbone (CO), l’un des polluants induit par l’utilisation de la chicha, dans certains bars parisiens et d’étudier la variabilité de ces valeurs en fonction de la fréquentation et la ventilation de l’espace. Méthode et données Le CO a été choisi car c’est l’un des polluants les plus rencontrés dans les lieux fermés : 80% de l’exposition individuelle quotidienne au CO s’effectue dans des lieux clos (AFSSET, 2007). Les principales sources d’émission de CO sont liées aux activités humaines, dès lors qu’il existe une combustion incomplète de matières carbonées. Le tabac, est parmi ces principales sources : les concentrations moyennes du CO sont plus élevées dans les environnements fumeurs (European Commission, 2005). Ensuite, ce gaz est un polluant dangereux lorsqu’un individu y est exposé sur des périodes de temps suffisamment longues: « à forte concentration, 2 JIQA 2008 7-8 février 2008 le CO engendre des effets cardio-vasculaires, neuro-comportementaux (atteinte de la vigilance), sensoriels (altération de la vision), hématologiques et fœtaux pouvant entraîner l'asphyxie » (Airparif, 2000). Enfin, parce que sa mesure avec des capteurs portables est relativement fiable et facile à réaliser. Vingt campagnes de mesures des taux de CO ont été réalisées durant la première moitié de l’année 2007 (situation d’hiver et de printemps), dans des bars à chicha situés dans quatre arrondissements parisiens. Les taux de CO sont mesurés par deux capteurs portables de type « Testo » préprogrammés pour effectuer un enregistrement toutes les cinq secondes, durant trois heures successives. La réponse des capteurs est quasi instantannée. L’étalonnage du capteur est validée par comparaison avec les mesures d’une station « trafic » du réseau officiel de surveillance de la qualité de l’air (AIRPARIF) de la ville de Paris. Les quatre sites de mesure choisis sont parmi les plus fréquentés à Paris et se caractérisent par des conditions de ventilation différentes. Les consommateurs de ces bars utilisent le même produit (chicha de grande taille allumée par des pastilles de charbon autoallumant) et on y trouve d’autres utilisateurs, généralement peu nombreux, fumant aussi des cigarettes. La fréquentation des lieux est évaluée à partir du comptage du nombre de chichas consommées durant la période de mesure. La ventilation est évaluée quantitativement, les capteurs de CO sont couplés à des anémomètres à hélices sensibles qui enregistrent les faibles mouvements de l’air (à partir de 0,1m/s). Les mesures sont réalisées durant les week-ends et au milieu de la semaine de 21h30 à 0h30. Les sondes sont placées à la hauteur de l’appareil respiratoire. Deux capteurs ont été utilisés simultanément afin de mettre en évidence la variabilité spatiale des taux de CO selon l’éloignement de la source d’émission. En outre, quatre campagnes de mesures des taux de CO sont organisées avec le même matériel à Sfax en Tunisie où la chicha est fumée dans des lieux plus ventilés,. Une autre expérience, réalisée dans une piéce d’une maison privée, permettra d’élaborer une comparaison avec les lieux publics d’autant plus, qu’en France, la chicha a été écartée de ces lieux depuis janvier 2008. Figure 1 : Superficie et possibilité de ventilation naturelle dans les quatre bars à chicha parisiens : les sites de mesure. Des taux de CO élevés dans les bars à chicha et variables selon la fréquentation Des taux de CO élevés dans les bars à chicha 3 JIQA 2008 7-8 février 2008 Plusieurs travaux montrent que les taux de CO mesurés dans les bars à chicha sont relativement élevés (Maziak et al., 2004 ; OMS, 2005 ; Perez, 2007). Ces études, basées essentiellement sur une comparaison avec les émissions des cigarettes, montrent quelques disparités : une séance d'un fumeur de narguilé peut l'exposer à un volume de fumée correspondant à celui émis par un nombre de cigarettes compris entre 40 et 100 d’après l’OMS (2005). D’autres mesures montrent que l'augmentation du monoxyde de carbone expirée à la fin d'une chicha est équivalente à celle observée lors de la consommation de 30 à 40 cigarettes (Perez, 2007). Thomas Eissenberg, Professeur de psychologie à l'Université de Virginia Commonwealth, écrit qu'une session durant approximativement 45 minutes délivre 15 fois plus de monoxyde de carbone, en plus qu'une seule cigarette (Maziak et al., 2004). Les vingt campagnes de mesures effectuées à Paris montrent des taux de CO relativement élevés. La moyenne horaire mesurée dans les quatre bars avoisine 14ppm. Cette valeur est plus élevée que celles enregistrées dans la plupart des autres lieux de vie. Par exemple, les mesures effectuées par le Laboratoiere Central de la Préfecture de Police (LCPP) pour une dizaine de sites occupés par des fumeurs de cigarettes (logements, bureaux) ont conduit à mesurer des teneurs horaires en CO de l'ordre de 2,6ppm. Selon la campagne nationale « Logements » de l’OQAI en 2006 (AFSSET, 2007), les moyennes horaires dans les pièces de vie et les pièces de service atteignent respectivement 2 et 3,7ppm. La fumée de narguilé est plus riche en monoxyde de carbone à cause du mode de combustion des charbons utilisés mais aussi de celle du tabamel, qui se fait à une température plus basse que pour la cigarette, dont la combustion douce génère davantage de CO. Le charbon à allumage rapide (auto-alluamant), utilisé dans la plupart des bars à chicha à Paris, est fabriqué en mélangeant de la poudre de charbon et différents produits chimiques tels que le nitrate de potassium. Sa combustion peut poser un risque sanitaire supplémentaire car il dégage des niveaux plus élevés de monoxyde de carbone et autres substances plus dangereuses que le charbon traditionnel (Sajid et al., 1993). Parmi les arguments expliquant aussi les taux élevés de CO dans les bars, il y a le fait que la concentration plus réduite de nicotine dans la fumée issue des narguilés entraîne plus facilement les fumeurs à inhaler et expirer plus de fumée, ce qui les expose à une quantité de CO plus élevés que si la nicotine n'était pas absorbée par l'eau. (Perez, 2007). Les taux de CO varient selon la fréquentation des bars à chicha Selon les vingt campagnes de mesure réalisées dans les quatre bars à chicha parisiens nous avons remarqué que, dans un même établissement, les taux de CO varient fortement selon la fréquentation des lieux. Les taux les plus élevés sont relevés le soir du samedi (25 ppm/h) dans un cave en sous-sol (site de mesure n°1, fig.1). Cet espace accueillait environ une centaine de clients, relativement jeunes (la plupart entre 16 et 30 ans). Une trentaine de Narguilés y ont été consommés un samedi soir de 21h30 à 00h30 (12 mai 2007) contre une dizaine le jeudi 10 mai 2007 par exemple. Durant cette soirée, qui correspond à la veille d’une journée ouvrable, la moyenne des taux de CO n’a pas dépassé 12ppm. Les valeurs maximales instantanées ont dépassé 40ppm le samedi précité alors qu’elles n’atteignaient pas 20ppm le jeudi soir (fig. 2). 4 JIQA 2008 7-8 février 2008 Taux de CO (ppm) 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 Moyenne Valeur maximale Jeudi Samedi Figure 2 : Variation des taux de CO enregistrés dans les bars à chicha selon la fréquentation du lieu, mesures réalisées le soir de 21h30 à 00h30 jeudi 10 mai 2007 et samedi 12 mai 2007 ; (moyenne des valeurs enregistrées toutes les 5 secondes sur l’intervalle de 3 h). Les mesures réalisées dans les 3 autres bars montrent la même tendance : les taux de CO dans les bars à chicha sont fortement dépendant du nombre de chicha consommées. Les valeurs moyennes observées durant 10 samedis représentent environ le double des taux moyens relevés au cours de 9 jeudis (tab.I). Samedi Lieux 1 Caractéristiques Sous-sol (20m²) Jeudi Moyenne Valeur Nbr de chichas Moyenne Valeur Nbr de chichas /h maximale consommées /h maximale consommées 24 41 32 13 20 11 2 Salle sans fenêtre (30m²) 17 30 41 10 18 13 3 Salle avec fenêtre (30m²) 12 25 42 5 14 13 4 Salle sans fenêtre (15m²) 22 36 27 11 23 8 Tableau I : Taux de CO moyens et valeurs maximales enregistrées dans 4 bars à chicha parisiens les samedis et les jeudis du 15 mars au 30 mai 2007. Cependant, durant certaines soirées de la semaine correspondant aux dates des grands matchs de football par exemple les bars sont fréquentés par une clientelle relativement nombreuse. Durant la soirée du 23 mai (le match final du championnat de la league européenne), tout comme le samedi suivant, les taux mesurés dépassent légèrement les valeurs seuils préconisées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (AFSSET2) soit 25 ppm/h (tab.II). 2 L’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (AFSSET) a mis en place un groupe de travail co-piloté avec le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) 5 JIQA 2008 7-8 février 2008 Polluant/ durée d’exposition 10-15 mn 30 mn 1 heure 8 heures CO (µg/m3) 100 000 60 000 30 000 10 000 CO (ppm) 86 50 25 8,5 Tableau II : Recommandation de L’AFSSET pour le seuil maximal de CO en fonction de la durée d’exposition (2007). (1 ppm = 1160 µg/m3 à 20°C). Les taux de CO varient aussi au cours d’une même session de chicha selon la ventilation du lieux et l’éloignement de la source d’émission. L’importance de la ventilation dans les bars à chicha et la variation des taux de CO selon la proximité des fumeurs Les taux de CO baissent lorsque les lieux sont bien ventilés La pollution de l’air est étroitement liée à la nature et la proximité des sources et elle est aussi en relation avec la ventilation mécanique et/ou naturelle de l’espace qui détermine les conditions de diffusion et de transformation des polluants (ECA, 2003). Nous avons relevé les taux les plus élevés le soir du samedi (environ 25 ppm/h) dans une cave en sous-sol caractérisée par une ventilation médiocre qui empêche le brassage de l’air. A l’opposé, le taux de CO horaire moyen le plus faible a été relevé dans une salle aérée par trois fenêtres (bar n° 3). Dans cette dernière salle, les taux horaire moyens n’ont pas dépassé 12ppm le samedi et 5ppm le jeudi. En absence d’une bonne ventilation, la variation temporelle (selon un pas de temps de 5 secondes) des taux de CO est faible comme cela était le cas dans le 2ème bar le 7 avril 2007 entre 21h et 22h (fig.3). Cette faible variabilité se traduit par un coefficient de variation inférieur à 10%. Cependant, les concentrations de CO varient considérablement d’un instant à l’autre en cas d’une bonne ventilation, ce fut le cas du 3ème bar avec les fenêtres ouvertes le 14 avril 2007 entre 21h et 22h. Durant cette soirée, exceptionnellement chaude (23°C à 21h à la station de Paris Montsouris ; infoclimat, 2007), les taux de CO ont oscillé entre 1 et 19 ppm avec un coefficient de variation de 58% (fig.3). Les chutes des taux de CO dans ce bar correspondent à l’advection d’un courant d’air qui se traduit par une hausse de la vitesse du vent qui atteint 2,5 m/s à environ un mètre au dessus du sol. sous l’égide de son Comité d’experts spécialisés « Evaluations des risques liés aux milieux aériens » depuis le 16 décembre 2005 afin d’élaborer des valeurs guides pour la qualité de l’air intérieur en France, fondées sur des critères sanitaires. Les travaux du groupe ont permis la rédaction d’un rapport répondant aux différentes interrogations relatives à la proposition de valeurs guides de qualité d’air intérieur (AFSSET, 2007). Ces recommandations vont dans le même sens que celles avancées par l’OMS en 1999 et présentées dans Guidelines for air Quality, site WHO, 2000. 6 JIQA 2008 7-8 février 2008 Figure 3 : Variation des taux de CO selon la ventilation de l’espace (mesures réalisées dans deux bars à chicha à Paris, de 21h à 22h). Les mesures réalisées au printemps dans des cafés à chicha de Sfax, en Tunisie méridionale, ont donné des taux de CO moins élevés qu’à Paris car les lieux sont plus ventilés. Les taux de CO moyens n’ont pas dépassé 8ppm. Cette forte différence entre les bars de Paris et de Sfax, s’explique d’une part, par des conditions de ventilation différentes ; (à Sfax, la consommation se fait à l’extérieur en terrasse ou dans des salles avec de larges ouvertures) et d’autre part, par l’utilisation de combustible différent (à Sfax, du charbon naturel est utilisé pour les chichas). Ce type de charbon dégage moins de CO que l’auto-allumant3 utilisé dans la plupart des bars à chicha à Paris comme nous l’avons signalé précédemment. Les taux de CO baissent en s’éloignant des sources d’émission (les chichas) Les valeurs de CO annoncées jusqu’à présent dans cet article sont enregistrées à proximité des chichas (autour du narguilé, à 0,5 m au maximum). Une variabilité spatiale des taux de CO est remarquée à l’intérieur d’un même bar en fonction de l’éloignement aux fumeurs. Les samedis, les bars à chicha sont très fréquentés et il est difficile d’avoir un endroit éloigné des narguilés. Les campagnes de mesure, pour mettre en évidence la relation entre le taux de CO et la proximité des chichas, ont donc été réalisées durant la semaine. Un premier capteur a été placé près du narguilé (un peu moins de 50 cm) , un autre à environ 3 m des sources d’émissions. Les taux de CO baissent de moitié d’après les mesures enregistrées par le capteur situé à distance du narguilé. Par exemple, les mesures réalisées dans le quatrième bar à chicha entre 23h et minuit le 26 avril 2007 (n°4) montrent que la moyenne des 3 Les auto-allumants sont des pastilles de charbon avec une couche superficielle qui permet l'allumage du charbon au contact d’une simple flamme du briquet. Ainsi ils sont rapides et faciles à allumer et peuvent être utilisés partout. Par contre, ils s’accompagnent lors de l’allumage d’un dégagement de fumée malodorante le temps que la couche d'auto-allumant se consume et éventuellement d’une modification du goût du narguilé selon les marques de charbon. 7 JIQA 2008 7-8 février 2008 taux de CO est d’environ 11ppm à proximité de la chicha alors qu’elle ne dépasse pas 6ppm à 3m (fig.4). 20 18 Taux de CO (ppm) 16 14 12 10 8 6 4 2 0 23:00 23:05 23:10 23:15 23:20 23:25 23:30 23:35 23:40 23:45 23:50 23:55 00:00 Proche du narguilé Loin du narguilé Figure 4 : Variation des taux de CO selon la distance au narguilé (mesures instantanées réalisées dans le quatrième bar à chicha à Paris, de 23h à 00h). Les propriétés physiques du monoxyde de carbone, notamment sa densité et le fait qu’il soit émis à température élevée, font qu’il diffuse très facilement, de sorte que sa concentration dans l’atmosphère diminue rapidement dès que l’on s’éloigne de la source (AFSSET, 2007). La chicha offensive à la santé est sanctionnée par la loi française Chicha et santé Les conséquences de la consommation de la chicha sont potentiellement inquiétantes. Chez des fumeurs de chicha, deux cas d'intoxication au monoxyde de carbone nécessitant la mise sous caisson hyperbare ont été rapportés (AFSSET, 2007). Les effets systématiques du CO sont liés essentiellement sur sa fixation sur l’hémoglobine, induisant une diminution du transport et de l’utilisation de l’oxygène dans l’organisme. L’Organisation Mondiale de la Santé conclut dans un rapport que « l’usage du narguilé constitue un risque sanitaire sérieux aussi bien pour le fumeur actif que pour les autres personnes exposées à la fumée ». L’OMS, après une étude de dix-huit tabacs à chicha, a conclu aussi que « les informations présentées n’étaient pas conformes à la loi et trompeuses pour les consommateurs » et a dénoncé la croyance selon laquelle la chicha serait relativement inoffensive (OMS, 2005). En outre la consommation collective de la chicha (faire tourner le tuyaux entre plus de deux consommateurs) peut engendrer la transmission de certains maladies comme la tuberculose. 8 JIQA 2008 7-8 février 2008 L’enquête que nous avons réalisée à la sortie des bars et de manière aléatoire, visant l’étude des sensations physiques suite à une exposition de plus d’une heure aux fumées des chichas, a montré que 57 parmi les 100 clients interrogés les soirées de samedi sentaient des céphalées, des faiblesses musculaires et des vertiges. Ces malaises disparaissent avec le temps. En effet, le CO est éliminé par ventilation pulmonaire 4 à 5h après arrêt de l’exposition. L’élimination du CO dépend des échanges respiratoires. Ainsi, dans le cas d’un sujet endormi, le temps nécessaire pour que le taux de HbCO ait diminué de moitié peut dépasser 6 à 8 heures (Geronimi, 2000). Le CO est loin d’être le seul polluant contenu dans les fumées dégagées par le narguilé. Rappelons que le tabac est responsable de 90 à 95 % des cancers du poumon et de 40 % des accidents cardio-vasculaires chez l’homme. Il est également directement impliqué dans 50 à 70 % des cancers de la bouche, du pharynx, du larynx, 40 % des cancers du pancréas et 30 % des cancers de la vessie (OMS, 2005). Certaines personnes sont plus sensibles à l’exposition aux taux élevés de CO produits par la chicha. La population susceptible comprend les personnes présentant des pathologies cardiovasculaires, les enfants, les femmes enceintes, les personnes présentant des pathologies pulmonaires obstructives, les personnes souffrant d’anémies ou d’hémoglobinopathies et les fumeurs. Pour cette population les valeurs guides recommandées par l’OMS devraient être révisées. Chicha et loi L'interdiction des bars à narguilé gagne du terrain, après la Grande-Bretagne au 1er juillet, la France a mis terme à cette activité commerciale au 1er janvier 2008. A priori, le coup est dur pour les cafetiers qui avaient fait de la chicha leur spécialité. Les propriétaires de bars à narguilé vont avoir le choix entre transformer l’établissement (restaurant, salon de thè) ou mettre la clé sous la porte. Pour se défendre, les patrons de bars à narguilé ont créé l’UPN (Union des Professionnels du Naguilé). Le syndicat, créé il y a un an, compte 270 adhérents à la fin de 2007. Il a été reçu trois fois par Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, mais aucun accord n’a pu être trouvé. Les propriétaires des bars à chicha réclament la mise en place d’une dérogation comme c’était le cas aux Etats-Unis car leur chiffre d’affaires est principalement généré par le service du narguilé (80% selon l’UPN). Parmi eux, certains ont ouvert leur établissement, il y à moins d’un an et se retrouvent incapables de rentabiliser les investissements qu’ils ont engagés. L’UPN a demandé au Président de la République de revenir sur le décret du 15 novembre 2006 en prévoyant un aménagement pour les bars à Narguilé. L’UPN « demande au Président de la République de respecter son engagement électoral d’aménager ce décret en mettant en place des dérogations pour des endroits très spécifiques ». Le décret du 15 novembre 2006 interdisant de fumer dans les locaux publics clos et couverts s'est appliqué aux bars à chicha. Mais les risques demeurent pour les usages privés qui se développent d’avantage. D’après une expérience réalisée dans une pièce de 9m² (sans ventilation), une session d’environ 70 mn avec un seul narguilé partagé par trois fumeurs, a 9 JIQA 2008 7-8 février 2008 engendrée un taux moyen de 10ppm. Les taux de CO baissent progressivement une heure après avoir éteint la chicha (fig. 5) Figure 5 : Les taux de CO durant et après une session de chicha dans une pièce de 9m² (sans ventilation). Conclusion La chicha est une source de pollution considérable pour le fumeur, et pour les autres usagers des bars à chicha. Le dépassement de 8,5ppm pour un pas de temps supérieur à une minute nécessite l’intervention pour un diagnostic permettant l’identification d’une source de CO à maîtriser. Lors des campagnes de mesures réalisées à Paris, nous avons constaté que le seuil de 8,5 ppm de CO (préconisé par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail) était souvent dépassé dans les bars concernés. Les taux de CO les plus élevés sont enregistrés dans les endroits clos et mal ventilés. Ces taux varient selon la fréquentation des lieux, les concentrations maximales de CO sont mesurées le samedi soir. Mais une bonne ventilation dans les espaces où l’on fume la chicha s’est avérée efficace, elle permet de brasser l’air et de réduire considérablement les niveaux de CO. La consommation de chicha est interdite dans les bars et les cafés depuis le 1er janvier 2008. Les adeptes de la chicha sont donc obligés de la fumer dans d’autres lieux, notamment en familles ce qui va avoir des conséquences sur la santé des sujets fragiles (enfants, femmes enceintes, personnes âgées…). Bibliographie : 10 JIQA 2008 7-8 février 2008 AFSSET., 2007 (Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail). « Proposition de Valeurs Guides de qualité d’Air Intérieur. Document cadre et éléments méthodologiques ». Rapport, 73 p. AIR PARIF, 2000 : Surveillance de la qualité de l’air. Rapport d’activité, 128p. ASOTRA K., 2006: « Hooked on Hookah? What you don't know can kill you », Research for a Healthier tomorrow, Tobacco related disease research program, University of California, juillet 2006, 8-15. CHAOUACHI K., 2007 : Tout Savoir sur le narguilé. Société, Culture, Histoire et Santé, Maisonneuve et La Rose, Paris,, 256 p. 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