topographie antique et géographie historique en pays grec

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topographie antique et géographie historique en pays grec
CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
Centre de Recherches Archéologiques
TOPOGRAPHIE ANTIQUE
ET GÉOGRAPHIE HISTORIQUE
EN PAYS GREC
I. BLUM, L. DARMEZIN, J.-C. DECOURT
B. HELLY, G. LUCAS
Monographie du CRA n° 7
Éditions du CNRS
Centre National de la Recherche Scientifique
15 Quai Anatole France 75700 Paris
1992
Carte 1 : La Thessalie du Sud-Ouest ; localisation du site d'Ano-Ktiméni (Dranitsa).
Incursions chez les Dolopes
Bruno HELLY
I. LE SITE ANTIQUE D'ANO-KTIMÉNI (DRANISTA)
Le site d'Ano-Ktiméni (Ano-Dranista) (carte 1) est établi au fond d'une vallée du Pinde, qui débouche au
nord sur la plaine de Karditsa, près du village d'Anavra (anciennement Tsamasi). On se trouve là au quart, à peu
près, de la distance qui sépare Domoko de Karditsa, suivant une route de piémont à intérêt local (carte 1). Mais
on remarque d'emblée que ces voies de communication ont une disposition actuelle décalée par rapport à
l'organisation géographique de la région. Si l'on se réfère en effet à l'orographie et à l'hydrographie, la vallée
de Ktiméni est drainée par un cours d'eau, le Pentamylis (les Cinq-Moulins), appelé aujourd'hui Onochonos, qui
coule parallèlement à la ligne de piémont, à 4 ou 5 km au sud d'Anavra. Ce cours d'eau est considéré comme la
principale rivière du secteur102 ; son débouché dans la plaine n'est pas à Anavra, mais 6 km plus à l'ouest, au
village de Kédros (anciennement Chalambrési).
En amont de Kédros, avant de sortir des montagnes par une gorge étroite et longue de près de cinq
k i lomètres de longueur, Γ Onochonos (ex-Pentamylis) est renforcé par les eaux de plusieurs affluents, eux-mêmes
al i mentes par de nombreux tributaires. On trouve d'abord, le plus au nord, le Smokovitikos, puis le Rentiniotikos,
tous deux affluents de rive gauche, avec des bassins situés à l'ouest. Le Rentiniotikos lui-même reçoit, peu avant
102. Les changements de dénomination dans les différentes sources et cartes posent problème : la carte de référence
aujourd'hui, que j'ai eu la chance, par rapport à mes devanciers, de pouvoir utiliser, est la carte au 1/50 000e, édition
1971. Elle appelle Onochomos le Pentamylis des cartes plus anciennes, de F. STÀHLIN et de Y. BEQUIGNOn, et en
aval ce qui s'appelait Sophaditikos (encore sur la carte statistique actuelle au 1/200 000e. Quand F. STÀHLIN décrivait,
Hell. Thessalien, p. 82, le réseau hydraulique de la région, il considérait que Γ Onochonos était à identifier avec le
Charoumbalis actuel, qui débouche dans la plaine plus à l'Ouest, juste au sud de Karditsa. De l'actuel Onochonos, il
disait : « Le fleuve qui passe près de Kiérion, le Sophaditikos (ou Bôyuk-Tsanarli = Grand Tsanarli, la Grande Rivière
aux platanes) est l'antique Kouarios. Il rassemble les principales rivières de la région des flysch, la Dolopie, les
ruisseaux d'Agios Ioannis (Paliouri), Rentina, Palaiaasvesti (= la Papista) et le Pentamylis, qui avec ses eaux vertes sert
d'émissaire au lac Xynias (cf. PHILIPPSON, Thessalien und Epirus, 1897, p. 72. Entre Bambaki et Chalambrési
(= Kédros) en aval, il rappelle le défilé de Tempe ».
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sa rencontre avec l'Onochonos, la Papousa (anc. Papitsa), qui coule directement du sud vers le nord et se trouve
séparée du Rentiniotikos, en amont, par toute une zone de collines abruptes, dominées à l'est par le village de
Mésochori (anc. Papa), sur lequel je reviendrai. On trouve donc un ensemble hydrographique complexe formé
par le bassin de l'Onochonos à l'est, de la Papitsa au sud, et complété à l'ouest par le torrent de Smokovo
(Smokovitikos) et celui de Rentina (Rentiniotikos) : l'Onochonos (appelé aussi Sophaditikos) les réunit tous un
peu au sud de Kédros, constituant une moyenne vallée de plus en plus encaissée dans les reliefs avant de
déboucher dans la plaine. Cette situation a conduit à un projet de barrage, avec digue en terre, en cours de
réalisation en aval du point de jonction du Rentiniotikos avec l'Onochonos-Pentamylis103.
Pour différentes raisons, sur lesquelles je reviendrai, on peut distinguer dans cet ensemble deux secteurs
géographiques bien différenciés, de part et d'autre d'un axe constitué par l'Onochonos et son prolongement vers
le sud, la Papousa. A l'est, on trouve la vallée de l'Onochonos et les collines qui retombent sur le lac Xynias ; c'est
sur le revers septentrional de ces collines que s'est établie Ktiméni. A l'Ouest, la vallée du Rentiniotikos draine
un autre secteur, indépendant du précédent : c'est précisément en tête de ce bassin que se situe le village de
Rentina, un village très retiré dans la montagne, qui contrôlait apparemment l'une des traversées du Pinde depuis
la plaine thessalienne, la vallée de Smokovo-Kédros. Mais Rentina, en position sur la ligne de crêtes, contrôle
également un passage est-ouest qui fait communiquer avec la vallée de Γ Achélôos à l'ouest. A Rentina, F. Stâhlin
a reconnu un établissement antique de quelque importance, où il a proposé de localiser la cité antique d'Angéai.
Y. Béquignon, qui a parcouru la région en 1928, y localise plutôt la cité de Ktiméné104.
La vallée du Pentamylis, reliée à la plaine de Karditsa par l'Onochonos-Sophaditikos, mais aussi et plus
directement par le seuil d'Anavra, représente elle aussi une voie de passage relativement intéressante. La rivière
sert de déversoir aux eaux du lac Xynias, et sa vallée établit la liaison directe nord-ouest-sud-est entre la plaine
et le lac Xynias : la route remonte le cours de la rivière et débouche, après avoir franchi un col peu élevé, à Loutra
Kaïtsis, puis, par une petite vallée adjacente (alors que la la ligne de chemin de fer longe l'émissaire lui-même)
rejoint la rive occidentale du lac, aujourd'hui complètement asséché, et le village de Makry Rachi. A proximité
de ce village, sur la même rive, se trouve un important site antique, identifié par les érudits modernes à la cité de
Kypaira105. Au-delà, on peut poursuivre soit sur Domoko, soit, par le village de Koromili, où est localisée la cité
de Xyniai, vers Mélitaia ou Lamia.
Dans la vallée du Pentamylis, à mi-chemin entre Anavra et Loutra-Kaïtsis, on rencontre un petit bassin
ouvert, de 5 à 6 km de long, fortement irrigué : les cultures (blé, tabac, tomates) s'étendent de part et d'autre de
la rivière ; au-dessus, les versants tournés vers l'ouest et le nord sont couverts de forêts. A la limite entre cultures
et zones boisées, sur la rive sud de la vallée, est établi le village de Kato-Ktiméni (étage de 420 à 500 m d'altitude),
à l'amorce d'une petite vallée adjacente, que l'on remonte jusqu'à la ligne de crête ou peu s'en faut pour parvenir
au site d'Ano-Ktiméni et à l'établissement antique que le village occupe encore aujourd'hui (altitude 700 m). La
route carrossable s'arrête là ; pour continuer vers le sud, il faut franchir la ligne de crête boisée, ligne de partage
des eaux avec la Papitsa, et l'on se trouve bientôt sur le versant méridional de la chaîne du Pinde. La situation
103. Voir la carte des bassins dans G.A. KALLERGIS, Hydrogeological Investigations of Kalambaka Bassin (Western
Thessaly), Athènes, 1970 (en grec) ; la description de la ligne de partage des eaux entre plaine thessalienne et vallée
du Spercheios par A. Philippson, Griech. Landschafien, II, 1956, p. 181 est toujours pertinente.
104. F. STAHLIN, Hell Thessalien, 1924, p. 147-148 ; Y. BÉQUIGNON, BCH, 53, 1928, Études thessaliennes II, p. 452
et plus nettement La vallée du Spercheios, 1937, p. 324-326.
105. tf£,s.v.Kypaira(1922);tf£s.v.Thessalien,col. 106(1936); Y. BÉQUIGNON, BCH, 52,1928, p. 462-465 et La vallée
du Spercheios, (1937), p. 332-337.
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
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d'Ano-Ktiméni est donc celle d'un établissement de hauteur, dans la montagne, au-dessus d'une voie de passage
transversale conduisant de la plaine au lac Xynias et au-delà, vers Lamia, en évitant la route de piémont et
Domoko106.
Le choix du site paraît répondre, quant à lui, à des exigences précises. On se trouve en effet sur un
affleurement calcaire (asprolithos) qui émerge dans la zone des flysch et des marnes, avec bancs de pôros
(ammopetra) qui caractérisent la géologie de toute la région. Ces affleurements de calcaire constituent, selon le
gardien des antiquités de Kédros, le trait essentiel qui permet de localiser les sites antiques fortifiés de cette zone.
Cette roche se trouve révéler, à Ano-Ktiméni au moins, la présence d'une faille tectonique, génératrice non
seulement de calcaires déjà plus ou moins métamorphiques et de brèches de faille, mais aussi de résurgences et
de sources ; les anciens occupants du pays pouvaient ainsi trouver sur ces affleurements des matériaux de
construction de meilleure qualité que le pôros et les ressources en eau indispensables107.
La situation du village et des ruines antiques est superbe (fig. 1, 2 et 3). Établi comme un nid d'aigle sur
des roches blanches, Ano-Ktiméni est entourée par un zone de terrasses, qui constituent des terres exploitables
assez vastes ; les pentes les plus proches du site ne sont pas trop considérables. Au-dessous des terrasses, on entre
dans une zone de marnes rouges argileuses - qui doivent s'éroder très rapidement en période humide -, zone
coupée de quelques bancs de pôros (ammopetra). Le village domine presque directement Kato-Ktiméni, 200 m
plus bas, village que l'on atteint sans doute très rapidement par les chemins muletiers anciens ; la route actuelle,
en terre, tracée au bulldozer, escalade les éperons adjacents de la vallée pour gagner de la hauteur. Au-delà de
Kato-Ktiméni, vers le nord, la vue embrasse le bassin cultivé de la vallée et, par delà plusieurs contreforts de la
montagne, on aperçoit un morceau de la plaine thessalienne, vers le nord-ouest, proche de Domoko. A l'est, au
sud et à l'ouest, les vues se perdent dans l'enchaînement des collines boisées (chênaies et pins de reboisements
effectués ces dix dernières années), mais on distingue au loin, vers le sud-ouest, les sommets de Rentina
(Palaiokastro Rentinas).
L'emplacement du site est beaucoup plus caractéristique qu'il n'apparaît à la lecture des descriptions
publiées jusqu'à présent : il s'agit d'un éperon avancé de la ligne de faîte, dominant toute la vallée. C'est là que
se trouve le kastro reconnu par les archéologues, O. Kern, A.S. Arvanitopoulos, F. Stâhlin et Y. Béquignon108.
Mais un autre éperon, situé au sud et un peu plus bas que le premier, offre une série de terrasses, au-delà d'une
grande combe ouverte vers l'est et dominée par le kastro. En arrière, un ensellement assez vaste donne au village
une assise confortable109. Dans la combe, à hauteur de l'éperon sud, une source signalée par quelques bouquets
de roseaux semble avoir permis la construction d'un captage relativement important (station de pompage et
système de tuyaux pour une irrigation modeste, mais visible) sous le village.
106. On peut voir les cartes (croquis dessinés) publiées par Y. BÉQUIGNON, pour mesurer les difficultés rencontrées
autrefois par les chercheurs pour évaluer exactement la situation des sites qu'ils exploraient.
107. Géologie de la région dans A. PHILIPPSON, Griech. Landschafien, II, p. 183 ; K. KOCH et H. NICOLAUS, Zur
Géologie des Ostpindos-Flyschbeckens und seiner Umrandung, Série Geology of Greece, n° 9, 190 p. et 44 pi. ; carte
géologique dans A. KALLERGIS, cité n. ci-dessus, et feuille Makryrachi de la carte géologique de Grèce (IGME, Athènes
1977).
108. Le site a été visité par O. KERN en 1899 (cf. /G, IX 2, ad n° 230-231), par A.S. ARVANITOPOULOS en 1911
(Praktika 1911, p. 351-352 et fig. 15), par F. STAHLIN en \9\2(Hell. Thess., 1924, p. 149et/Œ,s.v. Ktimenai, 1922,
col. 2081-2083) ; par Y. BÉQUIGNON en 1928 (cf. les deux études cités ci-dessus n. 104) ; j'ai été sur place avec
C. WOLTERS en août 1987, accompagné par le gardien des Antiquités de Kédros, sous la responsabilité de
C. INTSÉSILOGLOU, épimélète des Antiquités à Volos.
109. On remarque autour du village des travaux de dépierrement et de nivellement des champs ; l'extension moderne des
cultures (blé surtout) est visible dans toutes les combes et sur les versants des collines environnantes.
Fig. 1 : Le bassin de Kitméni et de la vallée du Penatamylis (vue du Nord vers le Sud).
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INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
L'éperon principal est celui qui porte le kastro décrit par nos prédécesseurs : une enceinte d'appareil
polygonal (épaisseur environ 3,50 m, circonférence environ 250 m) en gros blocs de calcaire ou de brèche, qui
entoure le sommet. Au nord, au-dessus de la vallée, ce kastro domine une terrasse bien marquée, couverte de tuiles
et de céramique (tessons classiques, hellénistiques et romains selon nos observations). Au-dessous de cette
terrasse, la céramique disparaît ; c'est là que se trouvait (emplacement encore connu des habitants) la tombe à
tholos découverte par Arvanitopoulos, à environ 70 m au nord du kastro selon lui et selon F. Stahlin, qui signale
la terrasse visible sous le rempart110. L'enceinte est aujourd'hui peu apparente, même si on la suit presque
partout : des buissons de maquis et de figuiers la masquent le plus souvent111. Aussi n'avons-nous pas pu
contrôler en détail l'existence des deux tours polygonales signalées sur le côté nord (saillie 1,55 m, façade 5,50 m
selon F. Stahlin).
Fig. 2 : La combe et Γ éperon méridional.
Au sud-est et au sud au-dessus de la combe centrale, l'enceinte du kastro se perd sur des barres rocheuses
(marques de la faille déjà mentionnée), où l'on remarque parfois des traces d'aménagement. Il est impossible de
dire s'il reste à cet endroit un rempart ; mais, s'il a existé, il est bien possible qu'il ait été ruiné par des causes
naturelles : on pense aux effets des tremblements de terre qui sont bien signalés dans la région. Nous avons nousmêmes constaté, sur le côté ouest, que certains blocs d'assises inférieures du rempart avaient glissé latéralement
vers l'extérieur de près de 50 cm, à une époque récente (les lits supérieurs de ces blocs sont encore blancs, sans
couverture de mousses ni de lichens.) De tels déplacements s'expliquent normalement par l'action des séismes.
110. Pour F. STAHLIN, il peut s'agir d'une deuxième et troisième enceintes, tout aussi bien que de murs de terrasses ;
Arvanitopoulos parle lui d'une quatrième ligne de murs, qui inclurait aussi la tombe dans son tracé et que personne n'a
repérée après lui. Il est assuré que la céramique se voit en abondance seulement sur la première terrasse sous le kastro ;
au-dessous, les champs (y compris celui dans lequel se trouve la tombe) formant terrasses sont vierges de tout tesson.
111. Nous n'avons pas fait de relevé topographique ; un couple de photographies aériennes permettrait de produire
rapidement et à peu de frais un tel relevé et de préciser également la disposition de l'ensemble du territoire aux environs
du site. Le responsable du syllogos culturel du village, médecin à Athènes, souhaiterait engager le nettoyage de cette
enceinte, après accord des autorités archéologiques compétentes.
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Fig. 3 : Le kastro situé au sud-est de Ktiméni.
Les traces d'occupation antique et moderne sont repérables sur l'ensellement à l'ouest du kastro, dans la
combe principale et sur l'éperon méridional. On constate en particulier, à mi-hauteur de la combe, l'existence
d'un chemin horizontal qui relie un éperon à l'autre. Il est impossible de dire si ce chemin constitue l'ultime
vestige d'un mur d'enceinte construit dans la pente ; mais le tracé du chemin et la terrasse allongée qu'il constitue
peuvent y correspondre en tout cas, et, si une telle enceinte a existé, c'est en cette position qu'on doit l'attendre.
L'absence de vestiges apparents pourrait s'expliquer elle aussi, en supposant que la muraille, ou ce qui en
subsistait, a glissé de la même façon sous l'action de tremblements de terre successifs.
C'est sur l'éperon méridional que les traces d'habitat sont le plus évidentes. A l'extrémité de l'éperon, une
église d'Agia Paraskévi, refaite à la fin du XIXe siècle, est remarquable par la qualité et la fraîcheur de ses
sculptures néo-byzantines : encadrements des portes, longue inscription dédicatoire ; ces décors sont taillés dans
des blocs de pôros tendre. L'église elle-même semble construite sur une terrasse appareillée, juste au-dessus du
cimetière. Plus haut et en arrière de l'église on trouve deux autres niveaux de terrasses construites avec de gros
blocs taillés, qui parfois servent encore de soubassements aux maisons actuelles. La céramique est présente
partout : outre les fragments de tuiles et de vases modernes, on constate la présence de tessons préhistoriques (non
tournés, avec polissage au galet), classiques, hellénistiques et byzantins (vases grésés). Il ne nous est rien apparu
dans cette céramique qui corresponde de manière caractéristique aux époques impériale romaine et paléochrétienne,
alors que des tessons de ces époques existent sur le kastro. On peut donc se demander s'il n'y a pas eu réduction
de l'occupation sur le site, au cours de ces deux périodes.
L'observation la plus remarquable, concernant la céramique, est celle qui a révélé la présence de
nombreux ratés de cuisson se rapportant à des tuiles, dispersés un peu partout près du kastro et surtout dans un
champ situé juste au-dessus de l'ensellement qui le sépare des crêtes voisines. Il est impossible d'avancer une
proposition pour dater ces vestiges ; mais il n'y a rien d'invraisemblable à supposer que les habitants - autrefois
et jusqu'à une époque récente - ont pu préparer et cuire les tuiles nécessaires à la couverture de leurs maisons,
puisqu'ils disposaient pour cela des matières premières, argile et bois de chauffe.
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
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Nous n'avons pas fait d'autres découvertes d'objets antiques ni d'inscriptions. Il faut cependant signaler
que l'église principale du village, presque au sommet de la combe et sous le kastro, est moderne : elle a été en
grande partie reconstruite après le séisme qui a causé de graves dégâts au village en 1954, et a en particulier ruiné
le clocher campanile de 15 m de haut, édifié sans doute au XIXe siècle112. De ce clocher proviennent de nombreux
fragments de blocs sculptés en pôros, remployés dans les murs des terrasses voisines. Au-dessus de la porte de
l'église, à l'ouest, une niche protège une plaque de pôros portant deux inscriptions modernes : l'une, en grande
lettres disposées autour d'une croix, porte l'invocation :
Ί(ήσο<;) croix X(piaxoc)
νικά
un nom et une date :
[άΐδερφοι ΟΔ 1908
Μαρτήου
l'autre, en petites lettres qui pourraient sembler antiques, est très abîmée, mais on y reconnaît une formule
moderne d'interdiction, suivie d'une date :
oaxic σ π α σ η
ΡΑΣΚΙΕΙΣ
"Exoc ΡΠΙ
Pour compléter les observations liées à la prospection, il faut indiquer l'existence d'un palaiokastro situé
sur l'autre versant de la vallée qui conduit au village, face à l'éperon d'Ano-Ktiméni, à l'est. Ce palaiokastro
installé sur un piton de roche calcaire, lui aussi, et proche d'une source, est actuellement inaccessible autrement
qu'à pied à travers la forêt qui couvre le fond de la vallée. Du village il n'est guère visible, car il est lui-même
recouvert par les arbres, dont n'émerge que le sommet d'un banc de calcaire (altitude 792 m) formant falaise113.
Il est lui-même couvert par les arbres. Ce palaiokastro devait, si l'on en juge par sa position, donner des vues vers
l'est et le sud, c'est-à-dire vers Makryrachi et le lac Xynias, ainsi peut-être que vers les vallées venant de la plaine
du Spercheios. Le kastro semble ainsi apporter à l'établissement d'Ano-Ktiméni les éléments de surveillance et
de sécurité qui lui manquaient dans ces directions. De même, plus bas dans la vallée du Pentamylis, on aperçoit
au loin vers l'ouest les deux kastra de Rentina et de Thrapsimi, que F. Stâhlin a également signalés. Mais on est,
avec ces deux kastra, dans un autre domaine que celui d'Ano-Ktiméni, le secteur occidental de la région drainée
par la vallée de l'Onochonos.
112. Il s'agit du tremblement de terre de Sophadès (degré IX +) de 1954, dont les effets ont été considérables dans toute la
Thessalie et qui a eu des suites en 1955, en particulier à Volos ; cf. D. PAPASTAMATIOU et N. MOUYIARIS, The
Sophadès Earthquake occurred on April 30th 1954 - Field Observations by Yannis Papastamation (en grec), dans
Publications de l'Institut Géologique National (IGME) Spécial Issue (1984), p. 341-362.
113. Cf. A. S. ARVANITOPOULOS, Praktika 1911, p. 348, n° 4 ; F. STAHLIN, Hell Thess., p. 150 ; il a été vu de loin
ou visité (?) par Y. BÉQUIGNON en 1928 (cf. La vallée du Spercheios, p. 332) : « Une deuxième forteresse, située
au Sud de Dranitsa et à 2 heures de là. C'est une petite guette dont les murs sont bâtis en appareil hellénique. Elle est
presque complètement masquée par une abondante végétation. Autant que j'ai pu m'en rendre compte, elle s'élevait
sur un éperon rocheux entre deux vallées » et il ajoute en note : « Stàhlin, PWRE, s.v. Thessalien, col 109, signale une
ruine au Paliocastro à 1 h à l'Est de Anodranitsa. Je ne l'ai pas vue et je n'en ai pas non plus entendu parler ». Il me
paraît qu'il pourrait s'agir de la même forteresse, conformément aux indications que nous a aimablement données le
gardien des Antiquités pour la région : on ne connaît que ce kastro hors l'acropole de Ktiméni. On doit pourtant se
demander s'il n'existait pas effectivement un autre kastro sur un sommet appelé Paliokastro (ait. 703 m) au sud de
Ktiméni, dans la direction de Makry Rachi et du site antique de Kaïtsa ; un autre emplacement possible est également
sur un sommet Agios Athanasios (altitude 789) dans la même direction.
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Β. HELLY
II n'y a pas de doute que le site d'Ano-Ktiméni représente un établissement antique relativement
important. Les caractéristiques que l'on peut lui reconnaître sont claires : une acropole fortifiée, sans doute
d'époque classique, et un habitat groupé autour de ce réduit, établi sur l'ensellement, la grande combe et l'éperon
méridional114 (fig. 4 et 5) ; de l'eau et des matériaux de construction adéquats ; un espace d'exploitation agricole
suffisant et étage entre la forêt et le bassin bien arrosé du fond de la vallée ; une situation à proximité d'un axe
de communication, qu' il contrôle depuis une position en retrait. Nous trouvons à Ano-Ktiméni les caractéristiques
attendues pour définir une unité géographique et politique autonome, que nous pouvons appeler une polis antique,
une cité. Bien évidemment, l'établissement en question n'a pas tous les avantages que nous attendons d'une cité
antique : restes de monuments, inscriptions officielles et privées, nécropoles, mais aussi situation directement
liée à l'axe de communication et plus encore « format » et extension de l'habitat. Nous ne disposons ainsi
d'aucune information directe pour identifier et évaluer complètement l'établissement d'Ano-Ktiméni.
Fig. 4 : Le site d'Ano Ktimeni vu depuis la route.
Pouvons-nous, dans ces conditions, nous contenter de suivre les raisonnements construits par les érudits
pour identifier le site d'Ano-Ktiméni à l'une des cités antiques connues par les sources antiques pour la région ?
Ces raisonnements conduisent à des propositions contradictoires. Pour F. Stâhlin, le site d'Ano-Ktiméni est celui
de l'antique Ktiméni ; c'est pour cela que le village moderne a pris son nom actuel. Mais Y. Béquignon repousse
cette identification et en avance une autre : il s'agirait d'Angéai. E. Kirsten semble suivre F. Stâhlin, mais sans
conviction. Aucune solution ne s'impose, et le débat reste donc ouvert. Il faut reprendre la discussion sur de
nouvelles bases.
114. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une « ville basse » semblable à celles qui caractérisent les établissements de
plaine ; l'habitat regroupé autour de « l'acropole » a la même situation que celle-ci et n'est pas directement « protégé »
par elle. Il y a sur ce point une différence de « typologie » avec les cités de la plaine qui paraît importante, différence
dont il faudra définir la signification et l'importance pour l'interprétation de l'établissement antique de Ktiméni.
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INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
Fig. 5 : Le kastro d'Ano Ktimeni.
Avant d'entrer dans cette partie de mon étude, je voudrais présenter quelques remarques. D'une part, on
constate que les descriptions proposées par nos devanciers, malgré la qualité de leurs observations, ne nous ont
fourni presque aucun des éléments qui, à nos yeux, sont aujourd' hui nécessaires à Γ analyse. Si les renseignements
sont relativement précis sur les vestiges antiques immédiatement visibles, ils n'apportent aucune information
directe sur la géologie locale, sur les éléments du paysage, sur les ressources exploitables, ni même sur Γ extension
de l'habitat. Ces informations nous sont pourtant directement utiles pour donner une évaluation correcte de
Γ établissement par comparaison avec la « typologie » des autres sites antiques de la région et de la Thessalie dans
son ensemble.
Il nous semble d'autre part qu'il ne faut pas renoncer devant la rareté des trouvailles faites sur les sites
comme Ano-Ktiméni : nous nous trouvons dans une région de montagne. Cela pèse et pèsera encore certainement
longtemps sur les conditions de la recherche. Cependant, l'archéologie des pays de montagne commence à se
développer en Grèce, comme ailleurs en Europe. Nos propres travaux (G. Lucas dans la Tripolis, L. Darmezin
dans la Chassia) en ont révélé les difficultés, mais ont montré aussi les résultats que Γ on peut en attendre. De cette
archéologie de montagne, nous pouvons souligner ici l'une des caractéristiques, parce qu'elle se retrouve à
Ktiméni : l'étagement de l'habitat et des zones d'exploitation. Tel est le cas, nous l'avons vu, du territoire
dépendant d'Ano-Ktiméni ; cela rend compte du double établissement moderne : celui d'en haut, plutôt site de
défense, mais permettant aussi l'exploitation des matériaux et de la forêt, celui d'en bas, plus proche des terres
les plus fertiles et arrosées, plus proche aussi de la voie de communication. On peut apercevoir la complémentarité
des deux villages et supposer un double établissement déjà à date ancienne115 : on peut penser par exemple, à
partir des constatations faites sur la distribution des céramiques, que la longue période de calme de la domination
115. Sur la question des villages doubles (Ano- et Kato-), le problème de la continuité de l'habitat depuis l'Antiquité et celui
des formes dans lesquelles s'est assurée cette continuité, cf. les remarques de E. KIRSTEN, dans A. PHILIPPSON, Griech.
Landschafien, I (1950), p. 265 et n. 94 (p. 290) - avec un mouvement ascendant ou descendant de la population, selon
les époques.
58
Β. HELLY
romaine jusqu'à l'époque paléochrétienne a profité à la Ktiméni « d'en bas ». Cela signifie qu'il faut poursuivre
les observations, non seulement sur le site, mais aussi dans tout le bassin, pour repérer les vestiges de chapelles
ou oratoires, pour noter les traces d'habitats dispersés ou concentrés, installés près des zones de culture. C'est là
une tâche pour laquelle nous sommes prêts à apporter notre collaboration à nos collègues grecs chargés des
Antiquités de la région.
IL TOPOGRAPHIE DE LA DOLOPIE ANTIQUE (carte 2)
Les identifications proposées par F. Stàhlin et Y. Béquignon pour l'habitat antique reconnu à AnoKtiméni renvoient à deux cités, Ktiméné (F. Stâhlin) ou Angéai (Béquignon), qui, l'une et l'autre, constituaient
les principaux établissement des Dolopes, d'après les sources écrites et épigraphiques que nous possédons. On
s'accorde donc aujourd'hui pour considérer que toute la région des flysch du Pinde méridional correspond à ce
qui était dans l'Antiquité le pays des Dolopes, la Dolopie116. Les Dolopes formaient un des peuples, ethné,
fondateurs de Γ Amphictionie delphique et ils comptaient parmi les périèques des Thessaliens. Les « villes » des
Dolopes étaient apparemment peu nombreuses et sont mal connues de nous. L'une s'appelait Ktiméné, dont on
ne connaissait la mention au XIXe siècle que par un seul auteur ancien et un lexicographe117. D'autres attestations
ont été trouvées depuis, dans les inscriptions118. A cause des deux attestations littéraires qui renvoient à une haute
Antiquité, on considère depuis longtemps que Ktiméné était la principale cité des Dolopes, la seule qui eut
quelque importance à l'époque classique, et qu'elle avait par la suite cédé le pas à une cité « plus jeune », Angéai.
De celle-ci en effet on ne trouvait mention que dans les inscriptions du IIe siècle av. J.-C. 119 . Cette opinion ne
116. Sur les Dolopes, cf. F. STÀHLIN, RE, s.v. Thessalien (1936), col. 108-109 ; A. PHILIPPSON, Griech. Landschafien,
II, 1956, p. 186 et E. KIRSTEN, dans le même ouvrage, I, p. 218-219 (avec les notes 46, 49, p. 273).
117. Témoignages antiques sur Ktiméné : Apoll. Rhod., Argon., I, v. 68 : άγχι δε λίμνης Ξυνίαδος Κτιμένην... Le texte
Hygin, Fab. XIV, dérive d'Apollonios, le mot Ktimene y a été ajouté par Bunte, dans son édition (Berlin, 1856, p. 40),
comme l'a fait remarquer Y. BÉQUIGNON, BCH, 53, 1928, p. 455, n. 7. C'est de Ktiméné que vient l'argonaute
Eurydamas, fils de Ktiménos, héros thessalien connu seulement par Paus, IX, 31 (c'est une fausse lecture qui l'a fait
retrouver dans une légende monétaire de la ville d'Aninéta en Asie Mineure, cf. L. ROBERT, A travers l'Asie-Mineure,
p. 332) ; le nom est ancien comme anthroponyme, cf. Odyssée, XV, 363, qui nomme Ktiméné la plus jeune sœur
d'Ulysse ; de même la relation de Phoinix avec la Dolopie a été rapportée à Ktiméné, cf. Et. BYZ., s.v. d'après Iliade,
IX, 484 ; il range la cité parmi les villes de Thessalie. Ptolémée, II, 12, 41 (MULLER) classe Ktiméné avec les villes
d'Hestiaiotide et lui donne la même latitude qu'à Chyrétiai (confusion tardive de XYR(E)TIAI avecXYNIAI ?) ; il faut
y ajouter naturellement Tite-Live, 32,13,10, récit de l'expédition étolienne de 198, mais dont les mss. donnent la forme
Cymene.
118. Comptes du IVe s. à Delphes, FD, III 5, n° 20, L 45 (a. 329), 47, L 49 (a. 339), et 61,1,1. 7 ; liste de théorodoques du
IIe s., G. DAUX, REG, 62, 1949, p. 28, B, 1. 16. Bibliographie : F. STÀHLIN, RE, s.v., col. 2081-2083 (1922) ; Hell
Thess., p. 148-149 (1924) ; Y. BEQUIGNON, BCH, 53, 1928, p. 457-458 et Vallée du Spercheios, (1937), p. 335 ;
R. FLACELIÈRE, Les Aitoliens à Delphes, 1937, p. 23, 304 et 344.
119. Outre Tite-Live, 32, 13, 10, ce sont des inscriptions de Delphes et d'Athènes (décrets pour les technites) qui
mentionnent des hiéromnémons des Dolopes venant d'Angéai : Syll.3, 692 A, 10 (G. COLIN, FD, III 5, 68,1. 9-11) ;
704, Ε 9 (FD, III5, n° 69,1. 10 ; IG, II 2 ,1133,1.6; la restitution de l'ethnique [ΑΓ] ΓΕΙΑΤ [Α] Σ dans l'arbitrage entre
Xyniai et Mélitaia, SylL3,546 A, 1. 9 (et KERN, IG, IX 2, add. au n° 205, III), proposée par Ad. WILHELM dans Anz.
Akad. Wien, 1922, n. VII, a été écartée par Pomtow pour des raisons épigraphiques, Klio, 18(1922- 23), p. 307 (= SEG,
II, p. 58, n° 315) ; le texte révisé par P. de la COSTE-MESELIÈRE, BCH, 49,1925, p. 100-103, n'en tient pas compte,
naturellement ; de même la restitution Έξ Άγ [γεί] wn dans IG, IX 1, 6 citée par BÉQUIGNON, BCH, 1928, p. 454,
n. 2, a été abandonnée avec raison par lui, Vallée du Spercheios, p. 335, n. 5. Autre mention de l'ethnique dans une liste
de noms (mercenaires 1)CIG, 1936, republiée GIBM, IV, n° 1154a, 1. 22, corrigé déjà par F. BECHTEL, Beitràge zur
Kunde der indogermanischen Sprache, 20, 1894, p. 240 (cf. L. ROBERT, OMS, II, p. 1093 ; C. HABICHT, Chiron,
2, 1972, p. 121-122). Bibliographie : F. STÀHLIN, Hell. Thess., 1924, p. 149 ; RE, s.v. avec l'opinion que la mention
d'Angéai n'apparaît pas avant le II e siècle, suivie par BÉQUIGNON, La Vallée du Spercheios, p. 335 avec la n. 5.
59
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
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Carte 2 : Topographie de la Dolopie antique : situation des cités d'après F. Stàhlin, Hellenische Thessalien (1924).
60
Β. HELLY
tient plus depuis que l'ethnique d'Angéai a été retrouvé dans un compte delphique du IVe siècle120. On sait d'autre
part, grâce à une inscription hellénistique, que les deux cités étaient voisines et limitrophes l'une de l'autre 121 .
Les textes historiques font encore mention comme cité de Dolopie d'une Ménélaïs, revendiquée par Philippe V
contre les Thessaliens en 185 av. J.-C. 122 . La liste des cités dolopes s'arrête là 123 .
Les établissements antiques reconnus dans la région sont à peine plus nombreux. Ils sont localisés d'abord
à Rentina et Ano-Ktiméni, qui sont aussi des villages actuels. Les autres sites sont désignés comme des kastra
repérés, sinon tous prospectés, sans correspondance directe avec des habitats modernes. L'un de ces palaiakastra
les plus importants a été localisé au lieu-dit Kydonia, presque en tête de la vallée centrale de la Papousa-Papista,
quelques kilomètres au nord du village de Palaio-Giannitsou, mais sur le versant du Pinde qui retombe vers la
plaine thessalienne. Il a été reconnu et décrit par Y. Béquignon124. La description de Béquignon porte surtout
attention aux ruines encore visibles ; il faut la compléter par quelques notes sur la situation de l'établissement :
site à l'altitude de 700 m (Palaio-Giannitsou est à 960 m), constitué par trois belles collines rocheuses (sommet
à 723 m), à mi-longueur de la haute vallée, sur sa rive gauche (ouest) ; c'est un lieu-dit appelé Kalligas ; tout
autour on observe des terrasses ouvertes (prés) ou des versants boisés (fig. 6 et 7). Près du site se trouvent trois
grandes sources, dont une Képhalovrysso, et une chapelle d'Agia Paraskévi. L'accès se fait par l'aval depuis
Mésochori ou à Γ amont par les crêtes depuis Palaio-Giannitsou, mais surtout par un col (Zygos) facile plus à Γ est,
sur la route venant du lac Xynias et Périvoli en direction soit d'Asvesti, soit de Giannitsou. A quelques kilomètres
encore plus au nord dans la même vallée, deux forts antiques situés près du village de Mésochori (anc. Papa)
surveillent un important passage qui permet la communication entre la vallée de la Papousa et celle du
Rentiniotikos125 ; le kastro principal est juste au-dessus du village de Mésochori, avec une chapelle d'Agios Ilias,
à l'altitude 785 m ; l'autre est au nord du même village, de l'autre côté de la combe de l'Agriokastanies Revma
120. Ethnique AGGEIEIS lu et interprété par J. BOUSQUET dans le compte FD, III5, n° 8, révision publiée BCH, 66-67,
1942-43, p. 108, col. II, 1. 15 et commentaire ibid. (avec remarques sur la variation admissible' Αγγειεΐ^' Αγγείαται
ου Ά γ γ έ α τ α ι ) . Cette dernière forme dans une épitaphe sur une stèle funéraire peinte de Démétrias,
A. ARVANITOPOULOS, Thessalika Mnemeia, Polemon, 5, 1952-53, p. 13 n° 334 (à dater, je pense, de la première
moitié du II e s. av. J.-C.) ; une forme AGEATHS peut-être aussi comme ethnique dans une inscription d'Élimée en
Macédoine (signature du sculpteur ou de celui qui a fait le sarcophage, IIIe s. ap. J.-C), cf. A. RHIZAKIS et
J. TOURATSOGLOU, Épigraphes Ano Makedonias, 1,1985, p. 70, n° 60. Dans l'étude citée plus haut, J. BOUSQUET
reprend aussi et confirme la restitution' Εν Αγ γείαι dans la liste des théorodoques de Delphes (A. PLASSART, BCH,
46, 1921, p. 16, col. III, 1. 19) déjà proposée par Ad. WILHELM, Anz. Akad. Wien, 1924, p. 104.
121. A.S. ARVANITOPOULOS, Rev. Phil 1911, p. 289-293, n° 40 et 40 a, stèle gravée sur deux faces, trouvée à Domoko,
probablement un arbitrage dont les juges venaient de cette dernière cité ; je reviens sur ce texte plus avant dans cette
étude.
122. TITE-LIVE, 39,26,1 : Philippus, utaccusatorispotius quam rei speciem haberet, et ipse a querellis orsusMenelaidem
in Dolopia, quae regni suifuisset, Thessalos vi atque armis expugnasse questus est ; F. STÀHLIN, Hell. Thess.,φ. 147,
propose de situer Ménélaïs à une ruine non explorée sur la ligne de partage des eaux entre Achélôos et Pénée, proche
du mont Itamos et de Kastania ; cf. le même, RE, s.v:, n° 2 (1937).
123. On a pensé attribuer à la Dolopie d'autres noms de cités : ainsi Omphalion et Ellopia, villes de Thessalie mentionnées
par Et. BYZ. ; pour la première, on a fait un rapprochement, très incertain, avec le sanctuaire d'Omphale situé entre
Ktiméné et Angéai, mais aussi avec la ville d'Épire et la tribu des Omphalieis (cf. la discussion de E. KIRSTEN, dans
RE, s.v., n° 2 et 3, col. 397 ; sur les Omphalieis, que l'on situe entre la vallée du Drino et l'Aôos, cf. maintenant
P. CABANES, L'Épire..., p. 126-127) ; pour Ellopia, on est en pleine incertitude, cf. F. STÀHLIN, #é?//. Thess.,p. 150
et n. 5 ; enfin dans la liste des théorodoques de Delphes on trouve mention de Δολόπων 'εν Ψιλαίναι (A. PLASSART,
BCH, 48, 1921, p. 22, col. IV, 1. 33), dans une séquence de villes acarnaniennes ; l'éditeur pense à une localisation sur
le golfe d'Ambracie, mais ici encore on ne peut faire que des conjectures.
124. BCH, 53, 1928, p. 456-458 (avec photographies et plan) et La vallée du Spercheios, p. 326-328 (et pi. XVII- XVII) ;
A.S. ARVANITOPOULOS l'avait simplement signalé Praktika 1911, p. 348, et F. STÀHLIN, Hell Thess., p. 150,
de même.
125. A.S. ARVANITOPOULOS, Praktika 1911, p. 347 ; F. STÀHLIN, Hell Thess., p. 150 ; Y. BÉQUIGNON, La vallée
du Spercheios, p. 329.
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
Fig. 6 et 7 : La vallée de la Papistsa, près du site de Palaiogiannitsou.
61
62
Β. HELLY
par rapport au village, proche du col par où passe la route de Mésochori vers Loutropigi. A l'est de la Papousa,
dans les collines proches de Ktiméni, il existe au moins un kastro, sinon deux, comme je l'ai déjà dit126.
Si l'on recense ensuite les sites repérés dans le secteur de Rentina, outre l'établissement antique reconnu
à Rentina même, un point fortifié a été localisé à une demi-heure au sud du village127 : ce kastro surveille le
chemin vers Rovoliari par le haut Rentiniotikos. D'autres ruines sont identifiées plus au nord : dans la vallée du
Rentiniotikos (fig. 8), qui draine toute cette région, un important établissement au-dessus du village de
Loutropigi (autrefois Smokovo)128 ; le kastro sommital est à l'altitude 796 m, le village à 750 en moyenne, étage
entre 700 et 800 m ; plus au nord encore, au-delà du Smokovitikos, un autre à Thrapsimi, sur un piton
impressionnant129 ; le sommet est à 950 m d'altitude, le village moderne au-dessous à 650 m, situé entre le bassin
de l'Onochonos et celui de la Kalentzis, affluent du Pénée situé à l'ouest du précédent (fig. 9). C'est sur le versant
oriental de cette vallée (vallée d'Apidia) que se trouve un autre site apparemment important, au lieu-dit
Choirinokastro, près du village appelé Agios Iannis130. Plus à l'ouest, une dernière vallée se trouve dans le
« coude » formé par la chaîne du Pinde, juste au sud de Karditsa, drainée par une rivière appelée Karoumbalis :
à son débouché sur la plaine thessalienne est situé le village de Kallithiro (anc. Seklitsa) avec un site antique
important - mais on est déjà en Thessalie -, tandis que sur la ligne de partage des eaux entre Karoumbalis et
Achélôos, donc encore dans le Pinde, A. Philippson, un des rares chercheurs modernes qui a parcouru en détail
cette région, signale un kastro au-dessus de Kastania131, sur le versant nord d'un sommet appelé Itamos132. Tout
à fait au nord-ouest enfin, une ligne d'ouvrages militaires antiques, des tours de surveillance ou de défense, a été
repérée entre le cours de l'Achélôos, à la hauteur du bassin de Névropolis, l'actuelle retenue hydraulique du
Tavropos, et le piémont thessalien au-dessus de Métropolis : à Morphovouni (anc. Vunesi), à Mégali Pétra
(Gralitsa), à Pyrgos au dessus de Portitsa et à Lampéron (anc. Tétagi), avec apparemment des ruines dont on sait
hélas peu de choses133.
Sauf pour ces derniers sites, il nous est difficile d'établir une distinction nette entre les citadelles ou guettes
de montagne et les établissements d'habitat. D'une part on manque d'information sur beaucoup de ces ruines,
d'autre part on peut considérer certains sites fortifiés de hauteur comme des sites-refuges134 pour une population
installée au plus près des zones exploitables pour la culture, que son habitat soit groupé ou dispersé. Toutefois,
une définition peut être esquissée pour un certain nombre de ces sites :
a) Les forteresses : on peut considérer comme forteresses les sites suivants :
- kastro à l'est d'Ano Ktiméni ;
- kastro au sud d'Ano Ktiméni ;
126. Voir ci-dessus, note 113.
127. Y. BÉQUIGNON, La vallée du Spercheios, p. 325.
128. Description détaillée dans Y. BÉQUIGNON, Vallée du Spercheios, p. 330-331 avec fig. et pi., comme dans F. STÀHLIN,
Hell Thess.,p. 149.
129. Y. BÉQUIGNON, La vallée du Spercheios, p. 9, après ARVANITOPOULOS, Praktika 1911, p. 348 et STÀHLIN, Hell
Thes s., p. 147.
130. Signalé par A. PHILIPPSON, Thessalien undEpirus, 1897, p. 97 ; visité par O. KERN en 1899 ; cf. F. STAHLIN, Hell
Thess.,p. 148.
131. A. PHILIPPSON, Thessalien undEpirus, 1897, p. 108, d'après la carte de LALOY dans HEUZEY et DAUMET, Mission
de Macédoine ; on a proposé d'y situer Ménélaïs, STÀHLIN, Hell Thess., p. 147 et n. 7 ; cf. ci-dessus note 122).
132. L'indication de PHILIPPSON se rapportant à l'Itamos, sommet à Γ altitude 1508, près de Kastania, semble correspondre,
sur la carte moderne au 1/50 000e, au Koryphi, altitude 1504, et dans cette position le site commanderait le col qui fait
communiquer la vallée du Charoumbalis (village de Palaiozoglopi) à l'est avec Kastania et la vallée de l'Achélôos.
133. Les sources modernes de notre information sont les mêmes que pour le site signalé près de Kastania ; pour E. KIRSTEN,
dans PHILIPPSON, Griech. Landschaften, II, p. 180, n. 1, cette ligne de défense a sans doute été constituée après la
fondation de Métropolis au IIe s. av. J.-C. (mais je montrerai ailleurs que Métropolis est beaucoup plus ancienne).
134. Fluchtburg, désignation traditionnelle dans PHILIPPSON et STÀHLIN.
63
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
Fig. 8 : La vallée du Rentiniotikos.
Fig. 9 : La vallée de la Kalentzis.
64
- kastro de Mésochori-Papa ;
- kastro proche de Mésochori au sud ;
- kastro au sud de Rentina ;
-site de Thrapsimi, malgré le fait qu'on a proposé, sans véritablement d'arguments, d'y localiser
Ménélaïs135.
b) Les établissements où l'on doit reconnaître des fortifications et un habitat qui pourrait correspondre à
une cité :
- Kydonia ;
- Rentina ;
- Loutropigi-Smokovo ;
- peut-être Ano Ktiméni ;
- peut-être Choirinokastro près d'Agios Iannis ;
- peut-être le site proche de Kastania.
C'est sur la base de ce classement, plus ou moins explicite, que les chercheurs modernes ont tenté d'établir
les localisations des établissements antiques, en s'appuyant sur un texte de Tite-Live qui se rapporte à un raid
entrepris par les Étoliens dans cette région en 198 av. J.-C. Partis de la vallée du Spercheios, les Étoliens ont
traversé le Pinde en pillant au passage les cités des Dolopes, Ktiméné et Angéai, ont débouché dans la plaine
thessalienne vers Métropolis, qu'ils n'ont pas réussi à prendre, puis ils ont rebroussé chemin en direction du lac
Xynias et de Thaumakoi, l'actuel Domoko, avant de regagner la vallée du Spercheios et enfin l'Étolie.
Il convient de citer ce texte fondamental et de le traduire aussi exactement que possible : « Qui (Aetoli)
audito proelio, quod circa Aoum factum erat, proximis prias evastatis circa Sperchias et Macran quam vocant
Comem, transgressi inde in Thessaliam Cymenes et Angeias primo impetu potiti sunt. A Metropoli, dum vastant
agros, concursu oppidanorum ad tuenda moenia facto repulsi sunt. Callithera inde adgressi similem impetum
oppidanorumpertinacius sustinuerunt ; compulsisque intra moenia qui eruperant, contenu ea Victoria, quia spes
nulla admodum expugnandi erat, abscesserunt. Teuma inde et Celathara vicos expugnant diripiuntque ;
Acharras per deditionem receperunt. Xyniae simili metu a cultoribus desertae sunt. Hoc sedibus extorre agmen
in praesidium incidit, quod ad Thaumacum, quo tutior frumentatio esset, ducebatur ; incondita inermisque
multitudo, mixta et imbelli turba, ab armatis caesa est. Xyniae desertae diripiuntur. Cyphaera inde Aetoli
capiunt, opportune Dolopiae imminens castellum. Haec raptim intra paucos dies ab Aetolis gesta ».
« Les Étoliens, après avoir reçu la nouvelle de la bataille de l'Aôos, commencèrent par ravager les
territoires autour de Sperchias et de la cité appelée Makra Kômé, puis passèrent de là en Thessalie en s'emparant
au premier assaut de Cyméné136 et d'Angéai. De Métropolis, au cours du pillage de la campagne, ils sont
repoussés quand les habitants eurent pu se rassembler pour assurer la défense de leurs remparts. Ils attaquèrent
ensuite Callithera et eurent à soutenir avec plus d'intensité une contre-attaque similaire de la part de ses habitants ;
et après que ceux qui avaient fait une sortie eurent été repoussés dans leurs murs, ils se satisfirent de ce succès
et, constatant qu'ils n'y avait aucune sorte d'espoir de prendre la place, ils se retirèrent. A la suite de cela ils
s'emparent de Teuma et Celathara, deux villages, et ils les pillent ; ils reçurent ensuite la reddition d'Acharra137.
135. Proposition de PHILIPPSON, Griechische Landschaften, II, 1956, p. 186, avec les réserves de E. KIRSTEN, ibid.,
p. 187, n. 1.
136. Forme donnée par les manuscrits, cf. ci-dessus, note 116.
137. On la considère comme équivalente à Echarra ; cf. ci- après, note 157.
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
65
Tout de même sous le coup de la peur, Xyniai fut abandonnée par ses habitants. La colonne de ceux-ci, fuyant
leurs demeures dans la campagne, tomba sur un détachement qui se rendait à Thaumakoi, où il voulait trouver
du ravitaillement dans de meilleures conditions de sécurité. La masse des réfugiés inorganisée et sans défense,
par son caractère de foule mélangée et inapte au combat, fut massacrée. La cité de Xyniai, désertée, fut soumise
au pillage. Ensuite les Étoliens prirent Cyphaira, petite place forte en situation favorable pour contrôler la
Dolopie. Telles furent les rapides opérations conduites en peu de jours par les Étoliens ».
Il est clair que ce récit de Tite-Live constitue, malgré sa concision, une source capitale pour reconstruire
la géographie des établissements antiques de cette région du Pinde, non seulement de la Dolopie, bien qu'elle ne
soit pas explicitement nommée, mais aussi de la partie méridionale de l'Hestiaiotide : le trajet suivi par les
Étoliens de la vallée du Spercheios à Métropolis traverse la Dolopie, mais l'itinéraire qui ramène les Étoliens à
leur base de départ semble bien concerner, lui, des cités thessaliennes installées sur la bordure méridionale de la
plaine thessalienne, entre Métropolis, le lac Xynias et le Spercheios.
Les propositions faites par F. Stàhlin, Y. Béquignon et enfin E. Kirsten à partir des données de l'exploration
archéologique et du texte de Tite-Live aboutissent à des résultats sensiblement différents les uns des autres,
résultats que l'on peut résumer en un tableau :
Sites
Cités antiques
(on trouvera les références dans les notes qui précèdent ou qui suivent)
F. Stàhlin
Y. Béquignon
E. Kirsten
Kydonia
non reconnue
Ktiméné
non dénommée
Rentina
Angéai
non dénommée
exclut Angéai
Ano Dranitsa
Ktiméné
Angéai
Ktiméné
Smokovo
Fluchtburg
citadelle
Angéai
Agios lannis
non dénommée
Kastania
Ménélaïs
Teuma ?
Thrapsimi
Ménélaïs ?
Kallithiro
Kallithéra
Kallithéra
Méthylion ?
Kaïtsa
Kypaira
Kypaira
Kypaira
Agoriani
Ekkara
Ekkara
Ekkara ou Ortha ?
Kastro Panagia
Ekkara ?
Philia
Kallithéra
L'analyse de ce tableau montre les limites et les lacunes de nos connaissances. Sur un point pourtant, audelà des incertitudes et des divergences sur la plupart des localisations proposées par chacun, on pourrait croire
que la manière de consensus qui s'établit sur deux des cités étudiées, Kypaira et Ekkara138, représente une
interprétation stable qui a chance d'être vraie. Or nous verrons que ce n'est très probablement pas le cas, si l'on
tient compte des données nouvelles qui viennent d'apparaître et conduisent à reprendre complètement l'analyse
de l'itinéraire des Étoliens, à l'aller comme au retour.
Les recherches récentes effectuées par C. Intsésiloglou, épimélète des Antiquités pour le nome de
Karditsa, renouvellent en effet profondément notre connaissance des cités antiques de la région sud de la plaine
138. Encore que pour Ekarra on note la position réservée de E. KIRSTEN, qui a proposé aussi une localisation à Kastro
Panagia, d'après DAUX et de la COSTE-MESSELIÈRE, BCH, 48, 1924, p. 354 et n. 6.
66
thessalienne, spécialement le long de la ligne de piémont située à l'articulation de la plaine et de la montagne du
Pinde méridional. Je remercie C. Intsésiloglou de m'avoir communiqué ces informations, et de m'avoir autorisé
à en faire état ici. Mais, comme on le constatera dans la suite de cette étude, il lui appartiendra d'enrichir, de
confirmer ou d'améliorer nombre des propositions que je présente ici. Cette ligne de piémont est très marquée,
sans zone de transition véritable avec la montagne elle-même, sauf quelques collines ou glacis limités à certains
secteurs. A intervalles plus ou moins réguliers, ces collines protègent les débouchés de vallées profondes et de
cours d'eau qui déchargent dans la plaine les matériaux qu'ils arrachent à la montagne.
On connaissait jusqu'à présent l'existence de deux cités antiques dans cette région :
- à l'extrémité nord-ouest Métropolis (près de Karditsa) ;
- à l'extrémité sud-est Ekkara (Kato Agoriani).
A ces deux sites s'ajoutait « une ruine sur une colline calcaire » (F. Stahlin) à Kallithiro (anc. Séklitsa),
donnée pour l'antique Kallithéra139. Dans les années soixante, enfin, la découverte du sanctuaire fédéral des
Thessaliens, Itonion, à Philia, dont le mérite revient à D. R. Théocharis, a apporté une information nouvelle et
capitale. Mais notre connaissance des cités de la région n'en était pas améliorée pour autant.
En revanche, grâce à C. Intsésiloglou, la localisation de plusieurs sites antiques au pied de la chaîne du
Pinde, entre Ekkara et Métropolis, est désormais assurée :
1) Site de Kallithiro : au débouché de la vallée de la Kalentzis, au pied de la colline du village appelé
autrefois Séklitsa : C. Intsésiloglou a mis au jour lors de fouilles d'urgence les ruines d'un habitat ancien, des rues,
un rempart, c'est-à-dire une ville basse fortifiée complétant la ruine déjà signalée sur la colline qui servait
d'acropole. C. Intsésiloglou a pu également définir la phase d'occupation principale sur le site et préciser les
conditions de son identification (sans doute ne s'agit-il pas de Kallithéra).
2) Site de Kédros (anc. Chalambrési) au débouché de la vallée de Γ Onochonos : C. Intsésiloglou a reconnu
un vaste établissement dont les fortifications cernent le sommet d'une grande colline et une terrasse basse audessus de la plaine. Dans cette dernière zone, hors les murs, C. Intsésiloglou a fouillé un petit sanctuaire
d'Artémis-Bendis, qui a fourni une série intéressante d'ex-votos en terre cuite d'époque hellénistique. A
proximité se trouvent des tombes ; la fouille de l'une d'elles a livré un petit lot de monnaies frappées au nom des
Όρθιέων.
3) Site proche d'Anavra et de Léontari, à l'est de Kédros, récemment reconnu par C. Intsésiloglou.
Ces informations conduisent à reconsidérer complètement les analyses proposées jusqu'à présent pour
rendre compte de l'itinéraire des Étoliens à travers les montagnes de la Dolopie. On doit désormais se demander
avec plus de précision en quel point du secteur et par quelle vallée les Étoliens ont débouché dans la plaine
thessalienne en direction de Métropolis. On s'aperçoit que Y. Béquignon, dans ses deux études de 1928 et 1937,
a omis de poser cette question. Dans son article du BCH, 1928 en particulier, alors qu'il se préoccupe d'établir
avec le plus grand soin le point de départ de l'expédition dans la vallée du Spercheios, il ne prend même pas la
peine de discuter l'hypothèse de F. Stahlin selon laquelle les Étoliens sont arrivés dans la plaine par l'OnochonosSophaditikos (puisque tel est aussi son nom à partir de son débouché hors des montagnes), c'est-à-dire par
Kédros ; il affirme simplementque les assaillants sontpassés par Ktiméni etajoute : « de ce village (Le. AnoKtiméniAno Dranista) on descend facilement sur Kato Ktiméni, d'où en remontant la vallée du Pentamylis fil faut dire
139. Ce que dit F. STAHLIN, Hell Thess., p. 132-133, 154-156 de la bordure méridionale de la plaine thessalienne est
caractéristique (avec en outre, p. 147, n. 3, une erreur dans Γ appréciation des limites de Γ Achaïe Phthiotide, sur laquelle
je reviendrai plus loin).
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
67
plus exactement en empruntant un seuil peu élevé entre cette vallée et Anavra) on peut gagner la plaine où Von
débouche près de Tsamasi (i.e. mod. Anavra) ; la marche sur Métropolis devient alors aisée pour des
envahisseurs » (BCH, 1928, p. 453).
L'interprétation de Y. Béquignon, comme celle de F. Stahlin, repose sur la confrontation du texte de TiteLive avec une information archéologique aujourd'hui dépassée. De fait, jusqu'à maintenant on ne connaissait
aucune cité sur le trajet proposé par ces auteurs, et cette situation paraissait conforme à celle qu'indique notre
source historique : après la prise de Ktiméni et Angéai, les Étoliens n'ont plus rencontré aucune cité antique avant
Métropolis. Mais désormais nous savons que, sur la route de piémont retenue par les érudits, se trouvait au moins
une cité, et d'importance, celle qui vient d'être reconnue à Kédros ; il y en avait peut-être même une seconde, à
Kallithiro. La concordance supposée entre la topographie des cités et la source textuelle ne tient plus, elle est à
revoir. Dans ces conditions, c'est tout l'itinéraire que les Étoliens ont suivi depuis la vallée du Spercheios qui doit
être de nouveau soumis à l'examen.
A partir d'une connaissance un peu meilleure du terrain, on peut reprendre la question, non pas en
s'interrogeant sur le point de départ, mais sur les éventuels points d'arrivée des Étoliens dans la plaine. Les
débouchés de vallées sur la plaine thessalienne sont parfaitement identifiables, et l'on constate que les Étoliens
ne disposaient que de quatre possibilités pour arriver devant Métropolis. Je les présente dans un ordre
systématique, d'est en ouest, en suivant le piémont de l'arc montagneux depuis la vallée de l'OnochonosSophaditikos jusqu'à la hauteur de Métropolis :
1) un débouché par la vallée de l'Onochonos-Sophaditikos, avec point d'arrivée à Kédros (anc.
Chalambrési) ;
2) par la vallée de la Kalentzis aboutissant à Kalliphoni (anc. Lipsimos) avec point d'arrivée au sud-est
de Métropolis ;
3) par la vallée du Karoumbalis, qui s'ouvre sur la plaine près de Kallithiro (anc. Séklitsa) au sud de
Métropolis ;
4) par la vallée de l'Achélôos (Megdova), qui impose le franchissement du seuil de Portitsa, à l'est de
Métropolis.
Ces quatre vallées constituent chacune le point d'arrivée d'un itinéraire traversant la montagne depuis la
moyenne vallée du Spercheios, à partir de deux passages, et de deux seulement. Y. Béquignon a bien reconnu et
caractérisé ces deux points de passage140 ; mais il a établi avec vraisemblance que seul le passage commandé par
Makra Kômi (anc. Varibopi, qui a pris le nom antique attribué par les érudits à partir du témoignage de Tite-Live,
Makra Kômé) doit être pris en considération et qu'il constitue la tête de plusieurs itinéraires (cf. carte 2).
A partir de Makra Kômi-Varibopi, vers le nord, deux trajets sont possibles :
a) soit de Makra Kômi à Palaio-Giannitsou vers Kydonia et la vallée de la Papitsa, affluent de
l'Onochonos-Sophaditikos, que l'on rejoint après Loutropigi-Smokovo ;
b) soit en s'orientant plus vers le nord-ouest, le trajet Makra Kômi-Tsoukka vers Rovoliari, route qui
permet de franchir la ligne de crêtes et de partage des eaux vers Rentina ; de Rentina on peut regagner la vallée
du Sophaditikos, en descendant le Rentiniotikos jusqu'à Loutropigi-Smokovo.
Reste à sortir du massif montagneux : à partir de la moyenne vallée du Rentiniotikos, on a encore le choix
entre deux sorties possibles vers la plaine. Ou bien on se contente de descendre la vallée en direction de Kédros,
et l'on débouche dans la plaine par le défilé de l'Onochonos ; mais on peut aussi continuer droit au nord, vers la
140. Cf. BCH, 53, 1928, p. 448-452 et surtout La vallée du Spercheios, p. 316-322.
68
vallée de la Kalentzis, en empruntant un col facile qui met en communication les Loutra Smokovou, un peu en
aval de Loutropigi, avec Apidia et la plaine plusieurs kilomètres à l'ouest de Kédros. Ce premier groupe
d'itinéraires a) et b) avec leurs variantes (deux sorties possibles pour chacun, al et a2 ou bl et b2) présente une
caractéristique commune : le point central de passage est à Loutropigi-Smokovo. C'est une indication de
l'importance de cet établissement, dans la moyenne vallée du Rentiniotikos.
Mais la route qui conduit à Rentina (itinéraire b) permet aussi, en obliquant plus nettement vers l'ouest
à partir de Rentina, de rejoindre la vallée de la Kalentzis ou celle du Karoumbalis, avec encore des variantes, qui
imposent de passer depuis Rovoliari ou Rentina dans la vallée de Γ Achélôos :
c) une route de Rovoliari vers Kleisto (dans la vallée de Γ Achélôos), village à partir duquel on peut se
rabattre vers le nord-ouest (par Molocha) et repasser dans la vallée de la Kalentzis pour descendre sur Apidia ;
d) une route Kleisto-Néraïda-Amaranto où l'on retrouve la vallée du Karoumbalis ;
e) une route Kleisto-Néraïda-vallée de Γ Achélôos-Kastania-Kataphygi-Kallithiro, par laquelle on revient
dans la vallée du Karoumbalis141 ;
f) on peut enfin remonter plus avant vers le nord la vallée de Γ Achélôos et gagner le bassin du Tavropos
actuel (ancien bassin de Névropolis, la Parachéloïs des Anciens), puis de là franchir vers l'est la ligne de
montagnes qui dominent directement Métropolis et Karditsa. Ces quatre routes ont elles aussi un point commun :
elles partent toutes de Rentina, qui se trouve ainsi confirmée, comme Loutropigi dans le cas précédent, comme
un établissement « clé » de toute cette région montagneuse.
Pour retrouver l'itinéraire des Étoliens en 198 av. J.-C, on peut, je crois, éliminer les trajets situés le plus
à l'ouest, ceux qui passent par le Tavropos ou par Kastania (trajets e et/), ainsi que ceux qui de Néraïda se rabattent
sur les vallées de la Kalentzis ou du Karoumbalis (trajets c et d). Ce n'est pas seulement parce qu'aucun des
historiens modernes n'a pris en considération ces trajets, mais aussi et surtout parce qu'ils sont trop dépendants
du passage par la vallée de Γ Achélôos. Si les Étoliens avaient remonté cette vallée pour prendre l'un ou l'autre
des passages vers la plaine, il faudrait admettre qu'ils ont suivi Γ Achélôos sur une assez longue distance. Dans
un tel cas, les historiens anciens, Polybe, puis Tite-Live, auraient sans doute signalé le fait : le fleuve est trop
connu pour être omis. Or le récit de Tite-Live indique seulement « transgressi (montes) in Thessaliam »142, c' està-dire que les Étoliens ont traversé la montagne aussi directement que possible. On en conclura qu'ils n'ont pas
fait le long détour que supposent les quatre itinéraires passant par la moyenne vallée de Γ Achélôos.
Il faut éliminer également les itinéraires situés le plus à l'est : la vallée de la Papitsa et l'OnochonosSophaditikos tout d'abord (trajet a). C'est pourtant celui-ci que les historiens ont retenu, à la suite de F. Stâhlin
et Y. Béquignon. Mais tous ont ignoré - ils ne pouvaient la connaître - cette nouvelle et capitale donnée
archéologique : la localisation d'une importante cité antique au débouché du Sophaditikos, près de Kédros,
reconnue récemment par C. Intsésiloglou.
L'existence assurée de cette cité conduit, si l'on cherche à identifier le trajet des Étoliens en 198, à rejeter
les déductions d'Y. Béquignon. Il apparaît en effet que les Étoliens se sont emparés de deux cités, et de deux
141. C'est la route suivie, de Karditsa à Rentina, par A. PHILIPPSON, Thessalien und Epirus, 1897, p. 100-108.
142. Cette formule a fait l'objet d'un débat sur l'appartenance réelle de Ktiméné et Angéai à la Thessalie ou à la Dolopie :
cf. déjà BURSIAN, Géographie, et HIRSCHFELD, qui ont voulu prendre l'exçression au pied de la lettre ; contra
G. KIP, Thess. Studien, 1910, p. 26 ; F. STÂHLIN, Hell Thess, p. 148, n. 7 ; Y. BÉQUIGNON, BCH, 53,1928 p. 453454, a bien mis en évidence que la formule tient à la concision du récit et qu'il ne convient pas d'en tirer argument pour
la géographie « administrative » ancienne. J'ajouterai que, si l'on se réfère au grec (TITE-LIVE suit Polybe), l'expression
devait être διαβάντες £ic Θεσσαλίαν, que l'auteur latin rendait nécessairement par transgressi in Thessaliam et non
par ad Thessaliam.
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
69
seulement, sur leur trajet : Ktiméné et Angéai. Le récit de Tite-Live (Polybe), malgré sa concision, ou plutôt à
cause de sa concision même, est formel sur ce point : après la prise de Ktiméné et d'Angéai, les Étoliens se sont
trouvés devant Métropolis. On n'a aucune raison de douter de ce témoignage, et supposer, par exemple,
l'omission dans le texte d'une troisième ville relèverait de l'hypercritique. Y. Béquignon, comme les autres
historiens avant lui, tout le monde localise les deux cités dans la montagne, et tous ont certainement raison. En
revanche, les propositions formulées pour placer ces deux établissements sont construites à partir d'un trajet
passant par l'Onochonos-Sophaditikos et débouchant dans la plaine à Kédros ou à proximité. Mais si tel avait été
l'itinéraire suivi par les Étoliens, on devrait dire aujourd'hui qu'ils auraient trouvé sur leur chemin la cité installée
à Kédros et n'auraient pu l'éviter.
Reprenons donc dans cette perspective l'hypothèse soutenue par Y. Béquignon. Si les Étoliens sont
descendus vers Métropolis par le Sophaditikos, on aboutit aujourd'hui aux propositions suivantes : admettre que
les Étoliens sont passés par Kydonia, la vallée de la Papousa, Ano Ktiméni et l'Onochonos-Sophaditikos jusqu'à
la plaine et à Kédros (itinéraire a), c'est admettre aussi que la cité antique nouvellement reconnue à Kédros
figurait sur Γ itinéraire. Dans ces conditions, si Ktiméné antique était, conformément à l'hypothèse de Y. Béquignon,
à Kydonia, il faudrait, pour se conformer à l'indication de notre source (« deux cités, et deux seulement » avant
Métropolis), laisser de côté l'établissement antique de Ktiméni (Angéai pour Y. Béquignon) et situer Angéai à
Kédros. Mais cette dernière conséquence est inacceptable : Angéai est une cité des Dolopes, un établissement de
la montagne, limitrophe de Ktiméné d'après une inscription, et sur un itinéraire qui conduit aussi directement que
possible à Métropolis. Kédros, au contraire, est une cité de piémont, indubitablement thessalienne ; il n'est pas
du tout certain que son territoire ait confiné à celui de Kydonia, et l'on ne pourrait la situer, si c'était nécessaire,
dans l'itinéraire des Étoliens que sur le trajet de retour, entre Métropolis et le lac Xynias (je reviendrai sur ce
point). On voit que l'itinéraire proposé par Y. Béquignon (itinéraire a) entre en contradiction avec la source
antique : c'est une difficulté qui suffit pour qu'il ne puisse pas être pris en compte. Il doit être écarté de l'analyse,
dans sa totalité.
Il faut supposer en conséquence que les Étoliens sont passés non par Palaio-Giannitsou, mais par une autre
vallée, plus à l'ouest. Ils n'ont pu qu'emprunter, dans ce secteur, depuis Makra Kômi, la montée par Rovoliari
en direction de Rentina. C'était là déjà l'opinion de F. Stàhlin. Mais si nos Étoliens sont bien passés par Rentina,
principal établissement antique dans la zone montagneuse, il reste à déterminer comment ils sont sortis du massif.
Sur ce point, l'hypothèse proposée par F. Stàhlin n'est pas plus soutenable que celle de Y. Béquignon. F. Stàhlin
localise en effet Angéai à Rentina et Ktiméné à Ano-Dranista (auj. Ktiméni). Outre le fait, déjà relevé par
Y. Béquignon, que ces propositions donnent un ordre des cités inversé par rapport à celui de la source, nous
retrouvons en réalité les difficultés que nous avons déjà constatées en examinant les propositions de Y. Béquignon :
un trajet qui conduirait les Étoliens de Rentina à Loutropigi-Smokovo, puis à Ktiméni, aboutirait dans la plaine
soit à Kédros, soit même près d'Anavra. C'est dire que sur ce trajet les Étoliens auraient dû rencontrer non pas
seulement les deux cités qui sont seules mentionnées dans les sources avant Métropolis, mais au moins trois :
Rentina, Ano Ktiméni, Kédros. L'hypothèse de F. Stàhlin doit donc être rejetée, elle aussi, du moins en ce qui
concerne la seconde partie de l'itinéraire (trajet b et variante bl) proposé et aussi - mais cela est très important en ce qui concerne l'interprétation de la signification historique du site de Ktiméni.
Cet examen nous a cependant permis de gagner au moins un point : le fait que seul l'itinéraire Makra
Kômi-Rovoliari-Rentina soit acceptable ; nous pouvons donc présenter enfin une première conclusion solide :
Rentina a été le premier établissement des Dolopes attaqué et pillé par les raiders étoliens ; il doit être identifié
avec la cité antique de Ktiméné, nommée la première dans la source antique. Mais quel est donc le site où nous
pouvons placer le second établissement rencontré, celui qu'il faudra désormais appeler Angéai ?
Les données récentes de l'archéologie montrent qu'au nord de Rentina, en direction de Métropolis, il
70
existait au moins trois établissements antiques de quelque importance : le premier, qui doit être reconnu à
Loutropigi-Smokovo, est encore dans la montagne ; les deux autres sont en bordure de la plaine, l'un, à la sortie
de la vallée du Karoumbalis, était installé à Kallithiro, l'autre se trouvait dans les collines de la rive droite de la
Kalentzis, c'est l'établissement encore mal connu de Choirinokastro près d'Agios Iannis. Chacun de ces trois
établissements pourrait être identifié comme étant Angéai, s'il remplit les conditions suivantes : constituer
véritablement une cité, avec un territoire, à l'époque considérée ; se placer convenablement sur l'itinéraire des
Etoliens vers Métropolis ; enfin se trouver en situation telle que le territoire qui lui est attribuable puisse confiner
à celui de Rentina-Ktiméné. Mais dans les trois cas on se retrouve, apparemment, dans une situation peu claire.
Pour retrouver un peu de certitude, nous devons remettre Rentina au centre de la discussion. On peut
définir comment les Etoliens y sont parvenus et établir par élimination la première partie de l'itinéraire qui les
a conduits jusqu'à Métropolis. Pour cette première partie de l'itinéraire, je le répète, il faut rejeter l'hypothèse
présentée par Y. Béquignon (déjà formulée par F. Stàhlin) : le passage des Etoliens par le col de Giannitsou et
Kydonia. De fait, accepter cette hypothèse est accepter le fait que les Etoliens ont rencontré successivement en
chemin les établissements antiques de Kydonia, puis de Rentina et enfin les sites fortifiés (qui pourraient être des
cités antiques) de Loutropigi-Smokovo, d'Agios Iannis ou de Kallithiro. Cela fait beaucoup trop. Il faut chercher
un itinéraire qui permette d'éliminer un nombre maximal de ces sites. C'est pour cette raison que j'ai déjà conclu
qu'en aucun cas l'établissement d'Ano Ktiméni ne pouvait figurer sur cet itinéraire : passer de Rentina à Ano
Ktiméné (hypothèse de F. Stàhlin) puis ensuite encore à Loutropigi-Smokovo ou à Agios Giannis impose des
détours considérables de part et d'autre de la vallée de l'Onochonos-Sophaditikos, détours qui ne cadreraient pas
avec le caractère de l'expédition étolienne, celui d'un raid mené rapidement et sans fioritures inutiles. De même,
je le répète, au départ de Makra Kômi, un seul itinéraire permet de respecter les indications du récit de Tite-Live :
celui qui, évitant le trajet par Kydonia, conduit de la vallée du Spercheios à Rentina par Rovoliari, route sur
laquelle ne se rencontre aucun établissement fortifié équivalent à une cité. Rentina se présente alors comme la
première place importante de la région, une cité des Dolopes : elle a été, si l'on suit le récit historique, Ktiméné.
Pour le trajet des Etoliens de Rentina à Métropolis, on peut éliminer, je crois, la route passant par le cours
supérieur du Karoumbalis et Kallithiro. Elle n'évite apparemment pas l'écueil essentiel : celui d'aligner trois
cités sur le trajet des Etoliens, puisqu'une autre cité semble avoir existé dans cette région, dans la haute vallée du
Karoumbalis, vers Kastania (on y a vu Ménélaïs). Mais surtout cet itinéraire oblige en fait à se déporter depuis
Rentina vers l'ouest et à passer dans le bassin de Γ Achélôos : c'est la route qu'a suivie A. Philippson de Rentina
vers Kastania, déjà évoquée ci-dessus.
On doit en conséquence accepter le fait que, au-delà de Rentina, les Etoliens sont restés dans le secteur
occidental du bassin de l'Onochonos, c'est-à-dire dans les vallées du Rentiniotikos et de ses tributaires. Les
sorties possibles vers la plaine, depuis cette zone, sont au nombre de deux : la vallée du Karoumbalis, avec
Kallithiro, et la vallée de la Kalentzis. Mais apparemment chacun des deux itinéraires conduisant vers Métropolis
passe par deux établissements antiques au moins, en plus de celui de Rentina : d'abord Loutropigi-Smokovo dans
la vallée du Rentiniotitikos, puis Agios Iannis dans la vallée de la Kalentzis, ou Kallithiro au débouché du
Karoumbalis. Il faut donc se demander, si l'on ne veut pas renoncer complètement à déterminer la route qui a
vraisemblablement été suivie par les Etoliens, si l'un ou l'autre de ces établissements a véritablement été une cité
antique et lequel des trois répond aux conditions fixées ci-dessus.
Nous savons déjà que la place de Kallithiron n'est pas un établissement de la montagne : au débouché du
Karoumbalis, elle est installée en piémont dans un assez vaste bassin, déjà largement ouvert sur la plaine
thessalienne et en communication quasi directe avec elle. On ne se trouve plus dans le Pinde, ni non plus en
Dolopie, mais en Thessalie. Mais surtout il apparaît, grâce aux fouilles récentes de C. Intsésiloglou, que
l'occupation humaine attestée sur le site de Kallithiron n'a pas duré au-delà du deuxième tiers du IIIe siècle
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
71
av. J.-C. L'archéologue a constaté l'existence d'une importante couche de destruction et les traces d'un abandon
caractérisé sinon total, que les monnaies recueillies conduisent à dater des années 240-230 av. J.-C. L'occupation
ne paraît reprendre que beaucoup plus tard, peu avant l'époque impériale romaine. Il semble donc qu'en 198
av. J.-C. l'établissement de Kallithiron n'était pas ou n'était plus une cité et ne constituait pas, en tout cas, une
place susceptible de représenter pour les Étoliens un objectif essentiel, ni économique (pour le pillage), ni
militaire (pour la neutralisation des habitants).
On a soutenu depuis longtemps que Kallithiro (anc. Seklitsa) était le site de l'antique Kallithéra, elle aussi
connue par le récit de l'expédition étolienne de 198 av. J.-C.143. Cette hypothèse est maintenant intenable.
Premièrement Kallithéra apparaît, dans le récit de Tite-Live, comme une place forte et peuplée qui s'est défendue
avec succès contre les Étoliens. L'archéologie montre que ce caractère ne peut s'appliquer au site de Kallithiro,
à l'époque considérée : la destruction de l'établissement de Kallithiro vers la fin du III e siècle av. J.-C. (et même
si on voulait la dater de l'expédition des Étoliens en 198 av. J.-C.) représente par elle même un critère qui exclut
l'identification de l'établissement avec Kallithéra, restée intacte à cette date. De plus, et ce n'est pas sans
importance, la cité de Kallithéra ne figure pas, dans notre source, avant les opérations contre Métropolis mais
après : c'est à dire que Kallithéra n'est pas sur le trajet effectué par les Étoliens à l'aller, mais sur celui du retour
vers le lac Xynias. Au contraire, la situation de Kallithiro (si elle était Kallithéra) mettrait cette ville au débouché
d'un itinéraire Rentina-Métropolis dans tous les cas de figure acceptables pour l'interprétation du texte antique.
En rejetant l'identification de Kallithéra avec l'établissement de Kallithiron, on élimine en fait et d'un seul coup
tous ces problèmes : étant admis que cet établissement n'avait plus d'existence réelle à la suite de sa destruction,
il importe peu qu'il ait figuré sur le trajet des Étoliens, puisque ceux-ci n'avaient pas à en tenir compte.
C'est tout autrement qu'il faut considérer les établissements de Loutropigi-Smokovo et de Choirinokastro
près du village d'Agios Giannis. Commençons par ce dernier. Il est situé, d'après ce que l'on en connaît, « au
dessus du village de Paliouri (village de piémont entre Kalliphoni et Kédros) près d'Agios Joannis » 1 4 4 . Il s'agit
en fait d'un site établi dans une zone de hautes collines calcaires entre le vallon au débouché duquel se trouve le
village de Paliouri et la vallée de la Kalentzis, zone qui forme une sorte de balcon au-dessus de la plaine
thessalienne. Plusieurs sommets tabulaires ont été occupés dans ce secteur à différentes époques. C'est là
également que s'est établi le monastère et sanctuaire d'Agios Iannis, auprès d'une source abondante à laquelle
on a prêté des vertus médicales ; Agios Iannis a été et est toujours un lieu de pèlerinage réputé dans toute cette
région du Pinde145. Le site de Choirinokastro semble installé en fait - d'après les informations que j ' ai recueillies
143. F. STÀHLIN, Hell Thess., p. 132 et n. 8, après LEAKE, Travels, IV, p. 505 et 516-517 ; H.W. LOLLING, p. 153 ;
A. PHILIPPSON, p. 111 ; G. KIP, Thess. Studien, p. 73 ; il n'y a rien à tirer de la notice de Boite dans RE, s.v. (1919).
144. O. KERN, dans /G, IX 2, ad n° 271 ; le site a été mentionné pour la première fois par A. PHILIPPSON, Thessalien und
Epirus, 1897, p. 97, sur une indication recueillie par lui à Rentina ; O. KERN l'a visité en 1899. La position du site sur
les cartes anciennes (PHILIPPSON, KERN, STÀHLIN, BÉQUIGNON) n'est pas précise, et les témoignages
manifestent une certaine ambiguïté, désignant Paliouri tantôt comme une source, tantôt comme un village cf .F. STÀHLIN,
RE, s.v. Thessalia, col. 108 ; on peut résoudre cette difficulté : le village Agios Ioannis figure bien dans la liste officielle
des villages recensés après le rattachement de la Thessalie au royaume de Grèce en 1881 (édition 1881, tableau 4,
n° 733, avec 53 habitants), parmi les villages du Démos Ménélaïdos, chef-lieu Rentina, avec Choutena (= Aédonochori),
Lakrési (= Bathylakkos) et Thrapsimi. Un berger rencontré au sanctuaire d'Agios Iannis m'a confirmé l'existence du
village à cette même place (on aperçoit encore les traces en plan des bâtiments) dépendant du tchiflik établi juste audessus de l'actuel village de Paliouri ; celui-ci n'existait pas encore au moins officiellement, lors du voyage de
PHILIPPSON, auquel on n'a signalé à cet endroit (en piémont, avec un débouché de rivière), qu'une belle fontaine,
dans laquelle avait été remployée l'inscription apportée de Choirinokastro.
145. A cela s'ajoute le fait que le village d'Agios Ioannis a dépendu administrativement de Rentina ; ainsi s'explique que
le maire de Rentina en ait parlé avec assez de précision à PHILIPPSON, malgré la distance qui apparemment sépare
Rentina de ce village situé déjà près de la plaine ; cela montre bien que les habitants de ces montagnes étaient en
relations assez directes et régulières avec la basse vallée de la Kalentzis.
72
sur place - à une bonne heure à l'Ouest d'Agios Iannis, c'est-à-dire déjà en bordure de la vallée de la Kalentzis,
un peu au Nord-Ouest d'Apidia (fig. 10 et 11).
Fig. 10 : La vallée d'Apidia vers le Sud.
Le site, visité par O. Kern en 1899, ne paraît pas sans importance : installé sur une colline appelée
Choirinokastro, il est entouré de murs en appareil polygonal ; on y a noté les vestiges d'un temple. Les ruines ont
livré, et c'est exceptionnel pour les sites de cette région, au moins une inscription mentionnée par A. Philippson
et publiée par O. Kern, et d'autres ont été signalées, dont malheureusement on ignore tout146. Bien que je n'ai
pu le contrôler, il me semble que par sa position comme par les informations que nous avons sur les trouvailles
signalées au siècle dernier (mais nous n'avons apparemment rien depuis), l'établissement de Choirinokastro a dû
être celui d'un sanctuaire antique, avec sans doute un kastro de protection ou de surveillance. Dans ce secteur,
4 km au Sud-Est, se trouve aussi la forteresse de Thrapsimi, sur un piton calcaire qui domine les vallées alentour.
Il reste à explorer plus complètement tout cet ensemble. Mais il serait très improbable qu'il ait constitué
à lui seul le territoire d'une cité : ces collines sont typiquement des zones de confins, et dans cette partie de la
plaine de Karditsa, on attend une cité plutôt dans la plaine ou à l'amorce des vallées ; je reviendrai sur ce point
plus en détail dans la suite de mon étude. D'ailleurs, et même en admettant que cet établissement a été une cité,
il faudrait considérer celle-ci comme indubitablement thessalienne, par sa situation ; il serait de plus difficile de
la considérer comme limitrophe de celle de Rentina. On ne peut donc pas accepter de localiser à Choirinokastro
l'une des deux cités des Dolopes, et plus vraisemblablement Angéai, si l'on admet que Ktiméné était à Rentina.
Pour trouver Angéai, il ne reste à prendre en considération qu'un seul établissement, celui de Loutropigi-
146. Il s'agit d'une dédicace à Aphrodite, en écriture épichorique, du Ve siècle av. J.-C, IG, IX 2, 271, non utilisée par
L. JEFFERY, Local Scripts.
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
73
Fig. 11 : La plaine depuis Agios lannis.
Smokovo. Située au Nord-Est de Rentina, la citadelle de Smokovo était certainement une place importante. On
y a repéré trois lignes successives de défense, dont seule la plus réduite, autour de ce qui a dû être une acropole,
a pu faire l'objet d'une description assez précise147. La situation même de l'établissement est intéressante : elle
contrôle tout le cours moyen du Rentiniotikos et la route qui vient de Rentina ou qui y conduit depuis la basse
vallée de l'Onochonos-Sophaditikos. De Loutropigi, on gagne facilement vers l'Est la vallée de l'Onochonos
(Ano-Ktiméni est à moins de 5 km à vol d'oiseau), mais aussi, vers le Sud-Est, la vallée de la Papista, Kydonia
et le col de Palaio-Giannitsou. Un peu en aval de Loutropigi, un confluent de trois cours d'eau formant le
Smokovitikos permet d'accéder à deux vallées adjacentes, l'une qui remonte jusqu'à Aédonochori (anc.
Chouténa-Photiana), que l'on atteint également de Rentina, l'autre qui conduit à Bathylakkos (anc. Lakrési) situé
au pied du sommet principal du secteur, le Voulgara (antique Itamos). Presque à l'amorce de la vallée de
Bathylakkos, sur son versant nord, on trouve un col facile, grâce auquel on passe dans la vallée de la Kalentzis.
147. Cf. ci-dessus p. 62, note 128.
74
C'est également à proximité de ce carrefour et du point de convergence de ces rivières que se trouvent les Bains
de Smokovo, une petite station thermale en fond de vallée.
Il est surprenant que ni F. Stàhlin ni Y. Béquignon n' aient jamais considéré les ruines de Smokovo comme
localisation possible d'une cité 148 ; E. Kirsten est le seul qui lui a accordé un peu d'attention149. Il y a à cela un
certain nombre de raisons. La principale tient aux informations très insuffisantes dont on a disposé jusqu'ici pour
toute cette région. Elle tient aussi aux interprétations géographiques imposées par F. Stâhlin et Y. Béquignon, qui
sont centrées sur la vallée de la Papousa-Papista et au débouché de l'itinéraire des Étoliens sur la plaine
thessalienne par l'Onochonos et Kédros (Chalambrési).
J'ai montré que ces interprétations doivent être abandonnées. Il convient de nous en tenir au fait que
l'établissement de Rentina ne peut être que la cité de Ktiméné. C'est à partir de cette base que nous devons
rechercher la localisation d'Angéai. Nous y sommes aidés par un document antique. On connaît en effet une
inscription, qui nous apprend que les cités antiques de Ktiméni et Angéai étaient voisines et limitrophes. Cette
inscription, publiée par A. S. Arvanitopoulos fait état d'un conflit de frontière qui a opposé les deux cités à propos
d'un sanctuaire consacré à une divinité particulière, Omphalé. Le culte d'Omphale n'est pas fréquent, on le pense
bien, et son caractère topique doit être ici souligné. De fait les montagnes dolopes forment la bordure
septentrionale de la vallée du Spercheios, où sont localisés tous les sites qui jouent un rôle dans la légende
d'Omphale et Héraclès ; Malide et Dolopie se situent au cœur des traditions qui se rapportent à ces deux
personnages. Ces légendes sont trop connues pour que je les détaille ici 150 . Mais un élément précis qui figure dans
l'histoire d'Héraclès et d'Omphale attire l'attention : la guérison du héros malade par la vertu de sources
thermales. Des sources chaudes, qu'elles soient aux Thermopyles, à Erythrai près d'Hypata151, ou en Asie sur
le fleuve Hyllos 152 ont été associées au souvenir et au culte d'Héraclès et d'Omphale. Pour cette raison, les érudits
ont donc identifié tout naturellement le sanctuaire d'Omphale, objet de la contestation entre Ktiméné et Angéai,
avec les sources chaudes de Smokovo, qui constituent en effet un petit affluent du Smokovitikos, sur sa rive
droite. Ces Loutra Smokovou nous fournissent donc apparemment un point de repère pour préciser la localisation
des deux cités.
Encore faut-il examiner en détail la pertinence de cette localisation par rapport à nos sources, Γ inscription
mentionnée ci-dessus et l'itinéraire des Étoliens en 198 av. J.-C. La proximité géographique des établissements
de Rentina et de Loutropigi-Smokovo nous conduit à prendre comme base la localisation de Ktiméné à Rentina,
et d'en déduire par hypothèse que celle d'Angéai était à Smokovo. Mais il subsiste des difficultés.
Un premier point à examiner est de confronter notre hypothèse avec l'interprétation donnée jusqu'à
présent de l'inscription mentionnant le sanctuaire d'Omphale. Si, comme on l'a dit, celui-ci est bien à localiser
aux Loutra Smokovou, on éprouve alors quelque peine à dessiner correctement le territoire théorique convenable
pour chacune des deux cités. Dans ce cas, en effet, la proximité de l'établissement de Loutropigi et de celui des
Loutra rend bien compte de la revendication des citoyens d'Angéai sur le sanctuaire d'Omphale ; en revanche,
148. Pour le premier ce n'est typiquement qu'un Fluchtburg ; pour l'autre une occupation permanente a été possible, mais
il n'en dit pas davantage.
149. En proposant d'y localiser Angéai, sur la carte qu'il a donnée à la suite de sa révision des Griechische Landschaften,
I (1950), de PHILIPPSON.
150. Cf. GRUPPE, RE, Suppl. III, s.v. Herakles (1918).
151. Cf. Y. BÉQUIGNON, La vallée du Spercheios, p. 69.
152. Une scholie à l'Iliade, citant un fragment de Panyassis, évoque les eaux chaudes de l'Achélès ou Hyllos qui ont guéri
Héraclès, Epie. Graec. Frag., éd. M. DAVIES, 1988, p. 123, 17 A ; les monnaies des villes de Méonie, notamment
Saïttai, portent l'image du fleuve avec son nom ΤΛΛΟΣ, les types d'Héraclès et d'Omphale y figurent aussi,
cf. L. ROBERT, Anatolia, 3, 1958, p. 123-127 (= OMS, I, p. 422-427 et 433), P. HERRMANN, ΤΑΜ, V 1, 1981,
p. 28-30.
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
75
on ne comprend pas bien les prétentions des habitants de Ktiméné-Rentina, car le sanctuaire se trouve au Nord
de Smokovo, à l'extrême limite du territoire que l'on pourrait reconnaître à l'établissement de Rentina, et au
contraire au cœur du territoire attribuable à Loutropigi. On peut tourner cette difficulté, si cela est vraiment
nécessaire, en constatant que l'établissement moderne des Bains de Smokovo ne semble pas installé sur un site
antique ; on n'y a découvert aucun vestige d'une occupation grecque153. Serait-ce parce que le sanctuaire utilisant
les mêmes eaux était situé un peu plus en amont dans la montagne, dans la vallée d'Aédonochori ? Ce dernier
village est bien relié à la fois à Rentina et à Loutropigi et l'on y trouve en effet aussi des sources chaudes qui
seraient mieux situées aux confins des territoires théoriques de Ktiméné et Angéai (carte 3).
Il faut également contrôler Γ hypothèse qui situe Angéai à Loutropigi-Smokovo par référence aux données
relatives à l'itinéraire des Étoliens. Apparemment un trajet passant par Rentina-Ktiméné et Loutropigi-Angéai
doit absolument éviter, dans l'interprétation de l'itinéraire des Étoliens en Dolopie, les difficultés que nous avons
déjà soulignées : si, après avoir pillé Ktiméni (Rentina), les Étoliens ont pris la direction de Loutropigi, ils n'ont
pas pu descendre la vallée du Rentiniotikos jusqu'à Kédros. S'ils l'avaient fait, ils auraient rejoint un itinéraire
passant par la vallée du Sophaditikos pour déboucher dans la plaine. C'est l'itinéraire que nous avons rejeté parce
qu' il entre en contradiction avec notre source historique (itinéraire b plus la variante bl ) en imposant aux Étoliens
de rencontrer trois cités antiques et non les deux seules qui sont indiquées.
Il faut évidemment supposer que les Étoliens ont quitté la vallée du Rentiniotikos peu après Loutropigi
en piquant directement vers le Nord et la vallée de la Kalentzis. Un trajet conforme à cette condition existe :
l'itinéraire qui permet de passer de la vallée du Smokovitikos, en aval de Bathylakkos, directement dans celle de
la Kalentzis en rejoignant Apidia puis la plaine thessalienne un peu avant Kalliphoni. C'est un trajet en réalité très
court et relativement facile (par un col situé à 900 m d'altitude, avec une dénivelée de 400 m depuis le
Smokovitikos), que j'ai pu parcourir en suivant la route dite « départementale » qui conduit de Loutropigi à
Molocha en contournant les contreforts du Voulgara, avant de redescendre sur Apidia par l'Ouest154. Il
correspond à l'itinéraire b avec variante b2 décrit plus haut (fig. 12 et 13).
Je propose donc, sous réserve d'un inventaire plus précis des données archéologiques, la localisation de
Ktiméné à Rentina et celle d'Angéai à Loutropigi-Smokovo, parce que ces identifications correspondent de
manière cohérente, dans l'état actuel de nos connaissances, à l'ensemble des informations que nous pouvons tirer
des témoignages antiques et de la géographie. Je considère ces propositions comme plus satisfaisantes que celles
qui ont été soutenues jusqu'à présent, c'est à dire la localisation de Ktiméné à Ano Ktiméni ou à Kydonia et celle
d'Angéai soit à Ano Ktiméni, soit à Rentina ; seul E. Kirsten a eu une juste intuition, comme cela lui est arrivé
souvent, en proposant de situer Angéai à Loutropigi-Smokovo, mais en maintenant l'identification Ktiméné-Ano
Ktiméni. On constate en tout cas un caractère commun à ces hypothèses anciennes : elles ont tendance à inverser
l'ordre de succession que le récit historique nous transmet (Ktiméné puis Angéai) et elles tirent toutes l'itinéraire
des Étoliens trop à l'Est. C'est là une observation dont nous pourrons nous servir plus loin dans cette étude.
Les identifications que j'avance ici pour reconstruire l'itinéraire suivi par les Étoliens depuis la vallée du
Spercheios jusqu'à Métropolis entraînent aussi une révision des conclusions avancées par les historiens sur leur
trajet de retour. De fait, les récentes découvertes faites dans ce secteur, et les conclusions que j'en tire,
153. A. S. ARVANITOPOULOS a signalé à proximité des traces d'une portion de route antique, indication reprise par
STÀHLIN, Hell Thess., p. 149, et BÉQUIGNON, BCH, 53, 1928, p. 460, n. 5.
154. Cette route est signalée comme « départementale » sur la carte statistique au 1/200 000e ; cette mention ne correspond
évidemment pas à la situation actuelle : la route paraît n' être plus utilisée que comme route forestière, mais les ouvrages
(ponts et soutènements) de belle facture montrent qu'elle a été plus importante ; il me semble qu'en fait elle a été
construite à Γ époque où la frontière gréco-turque passait dans le Pinde, entre 1821 et 1881, comme route de surveillance
et de liaison entre la vallée du Spercheios et celle de l'Achélôos.
76
Β. HELLY
Fig. 12 et 13 : Le col entre la vallée de la Kalentzis et la vallée de Bathylakkos.
77
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
\
EKKARA)
5jMakryrachi/
>
ι
10km
; Nouvelles propositions pour la localisation des cités thessaliennes d'Hestiaiotide, de Thessaliotide et de
Dolopie ; situation des territoires théoriques moyens (cercles en trait plein R = 5 km ; cercles en traits tiretés R = 7,5 km).
78
condamnent l'interprétation aujourd'hui acceptée de cette partie du trajet que les Étoliens ont effectuée, de
Métropolis à Xynias et à la vallée du Spercheios. Les analyses présentées pour cet itinéraire doivent être
reconsidérées et remplacées, si faire se peut, par une autre visant à plus de cohérence.
D'après Tite-Live, les Étoliens ont échoué devant Métropolis : on admet que cette cité a été le point
extrême de leur incursion en Thessalie et qu'ils ont à partir de là rebroussé chemin en direction du lac Xynias.
Sur leur trajet, ils se sont heurtés à une cité, Kallithéra, qui a su leur résister ; puis ils ont pillé deux petits
établissements qualifiés l'un et l'autre de viens, Teuma et Kelathara (ou Kelathra). Ils prennent ensuite de vive
force les cités d'Ekkara, Xyniai et Kypaira. Tous les historiens et spécialistes de la géographie historique
thessalienne ont déduit de ces données que :
1) Kallithéra, cité qui figure après Métropolis dans l'énumération, était très proche de cette ville et devait
être localisée à Séklitsa (appelée aujourd'hui Kallithiro de ce fait),
2) l'itinéraire des Étoliens suivait la route de piémont Karditsa-Domoko sur toute sa longueur ou presque,
et au moins jusqu'à Kato-Agoriani, identifiée à Ekkara.
Le premier point, la localisation de Kallithéra à Kallithiron, a déjà été évoqué ci-dessus. L'établissement
antique, attesté désormais à Kallithiro par des fouilles rigoureuses, ne peut entrer en ligne de compte, ni pour
bloquer les Étoliens à l'aller, ni pour leur fournir un objectif au retour, puisqu'il avait apparemment subi une
destruction antérieure à 198 av. J.-C. et semble de ce fait n'avoir plus d'existence réelle, en tant que cité tout au
moins. Nous verrons ailleurs s'il n'est pas possible de proposer une identification pour cet établissement. Un autre
argument implicite dans les propositions antérieures d'identification doit tomber : la séquence MétropolisKallithéra donnée par Tite-Live a conduit à chercher Kallithéra au plus près de Métropolis. On a déjà remarqué
(Y. Béquignon) l'extrême concision du récit fait par l'historien ; on n'en peut déduire qu'une chose, non pas
l'indication sûre d'une proximité immédiate de Métropolis avec Kallithéra, mais seulement l'idée que Kallithéra
a été la cité abordée par les Étoliens après Métropolis sur leur trajet de retour.
Cette définition, qui n'est pas applicable à l'établissement reconnu à Kallithiro-Séklitsa pour les raisons que
j'ai dites, pourrait en revanche convenir pour celui qui a été localisé à Kédros (Chalambresi). On sait par TiteLive que Kallithéra a résisté aux Étoliens : elle devait donc être puissamment protégée, à la fois par les
dispositions naturelles de son site et par le nombre de ses défenseurs ; elle rassemblait, d'après une brève
indication de l'historien, une population suffisante. A ces indications on pourrait rapporter aisément les
caractéristiques de l'établissement retrouvé à Kédros. Cela ne semble pourtant pas possible, on va le voir.
Des informations inédites que C. Intsesiloglou m'a amicalement communiquées orientent dans un autre
sens. Au cours des fouilles conduites hors les murs, une tombe a été explorée ; on y a trouvé plusieurs monnaies
de bronze, avec la légende ΟΡΘΙΕΩΝ. On connaissait déjà des monnaies avec cet ethnique155 et on les a
rapportées logiquement à la cité d'Ortha, ou Orthoi, identifiée comme une cité de la Thessaliotide, sans pouvoir
être en mesure de la localiser plus précisément156. La découverte d'un petit lot de ces monnaies dans une tombe
proche du site antique de Kédros apporte sur ce point un argument que je considère comme très significatif.
L. Robert a bien établi que ces petites monnaies de bronze ont une circulation très limitée et que leur apparition
sur tel ou tel territoire a presque toujours une valeur d'identification157.
155. Cf. E. ROGERS, The Copper Coinage ofThessaly, 1932, p. 138.
156. Sur cette appartenance et l'identification d'Ortha, ou Orthai, Orthos ou Orthoi, cf. mon étude sur une liste des cités
perrhèbes au début du IVe s. av. J.-C, dans les Actes du Colloque La Thessalie, Lyon, 1979, p. 181-184.
157. Cf. L. ROBERT, Villes d'Asie Mineure, 2 e éd. (1962), p. 424-426.
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
79
S'il faut désormais localiser Ortha à Kédros, comme je le crois, il devient encore plus difficile de penser
que les Étoliens ont suivi la route de piémont qui précisément passe par Kédros : Ortha ne figure pas dans la source
qui décrit leur trajet. En fait aucun élément du texte de Tite-Live n'impose cet itinéraire ; les historiens ont
apparemment fixé leur attention sur le fait que seule la route de piémont vers Domoko s'offrait aux Étoliens pour
rallier le lac Xynias. A partir de cette idée, ils ont identifié la cité d'Acharra-Ekkarra, qui se situe dans
l'énumération faite par la source entre Kallithéra et Xyniai, avec l'établissement reconnu depuis longtemps au
village de Kato-Agoriani (appelé aujourd'hui Ekarra). Il existe d'autres possibilités d'interprétation, qu'il faut
considérer maintenant.
On s'aperçoit en réalité que les Étoliens ont dû éviter soigneusement, après leur échec devant Métropolis
et Kallithéra, les cités peuplées et puissamment défendues de la plaine. On voit bien qu'à partir d'un certain
moment les habitants de ces cités se rassemblent et s'organisent. L'intérêt des Étoliens leur commandait alors de
choisir des routes où ils seraient moins exposés, et qui les conduiraient vers d'autres établissements, dont les
capacités de résistance pouvaient être moins grandes. Et c'est apparemment ce qu'ils ont fait, puisque, après
Kallithéra, ils n'ont attaqué que deux villages, des vici, avant d'arriver à Ekarra et à Xyniai. Une seule route peut
répondre à ces caractéristiques : les chemins de montagne qui, depuis la vallée de la Kalentzis conduisent à Agios
Iannis et au-delà à Thrapsimi, puis permettent, après avoir rejoint la vallée de l'Onochonos-Pentamylis, de la
remonter facilement vers Ano-Ktiméni ou les Loutra Kaïtsis : on arrive alors sans grandes difficultés au bassin
du lac Xynias, à proximité de l'établissement antique de Kaïtsa158.
Je considère donc que la situation est plus claire que ne l'ont faite les historiens, si l'on admet pour
l'expédition étolienne un itinéraire de retour qui lui a permis de quitter la plaine peu après Métropolis et
Kallithéra. Dans ce cas on peut avancer plusieurs hypothèses plausibles pour localiser les établissements antiques
nommés dans le récit. La plus évidente est celle qui conduit à placer la cité d'Ekarra ou Acharra sur le site déjà
reconnu à Kaïtsa, en écartant l'idée que cette cité est à Kato-Agoriani au bord de la plaine thessalienne159. On
aurait dû tenir meilleur compte d'un fait que l'on a déduit de notre seule source sur cette cité : Ekkara a été une
cité d'Achaïe Phthiotide160. Cette appartenance convient bien à une cité située dans le bassin du lac Xynias (c'est
aussi pour cela que Y. Béquignon a localisé Kyphaira à Kaïtsa), alors que cette dépendance ethnique paraît
beaucoup moins en situation pour une cité établie dans la plaine thessalienne, comme celle de Kato-Agoriani :
on devrait se trouver là normalement en Thessaliotide161.
158. Sur cet itinéraire, cf. ci-dessus Première partie, p. 53.
159. Localisation malheureusement tenue pour certaine depuis STÀHLIN, HelL Thess., p. 154-155, après
A. S. ARVANITOPOULOS, Praktika 1911, p. 348-349 et Arc/z. Éph. 1911, p. 77, n° 7 ; la forme du nom dans TITELIVE est Acharrae, de même que chez PLINE, H.N., IV, 32 (avec attribution erronée à la Magnésie) ; Et. BYZ. donne
comme cité d'Achaïe une Akarra ; des monnaies achetées par WACE et STÀHLIN à Tsatma et Kislar, deux villages
au nord-est du lac Xynias (Stàhlin, o.c, 154 et n.) portent l'ethnique ΕΚΑΡΡΕΩΝ ; le rapprochement entre ces diverses
formes a été fait par Six, Num. Chron., 10, 1890, p. 187 et il peut être tenu pour vraisemblable. Sur l'absence de
monnaies d'Ekarra dans le secteur de Kato-Agoriani, cf. BÉQUIGNON, BCH, 53, 1928, p. 460 et n. 4 ; pour ces
monnaies, L. ROBERT, OMS, I, p. 554, rappelle avec raison l'attribution à la cité thessalienne contre BURCHNER,
RE, s.v. Ikaros n° 1, col. 978.
160. Si l'on accepte le rapprochement entre nos monnaies et la glose d'Et. BYZ. sur Akarra, Πόλις'Αχαίας.
161. F. STÀHLIN restreint cette tétrade à peu de chose, en somme, cf. RE, s.v. Thessalia, col. 97, par défaut d'information
je crois (cf. ci-dessous Troisième partie) ; l'extension qu'il donne au contraire (ibid., col. 106) à Γ Achaïe Phthiotide
dans la plaine thessalienne au nord du lac Xynias (en y incluant Kato-Agoriani) n'est pas justifiée ; c'est ce que
E. KIRSTEN avait déjà dit, RE, s.v. Proerna, col. 108 : « die Zuweisung an die Perioikenland Achaia Phthiotis ist von
Stàhlin (HelL Thess., p. 158) nicht erwiesen, durch die Lagerbeziehung der Hôhe zur grossen westthessalischen Ebene
geradezu ausgeschlossen » ; il rattache Proerna à la Phthiotis (Griech. Landschaften, I, p. 61 et 269), mais je pense qu'il
faut la considérer plus vraisemblablement comme appartenant à la Thessaliotis.
80
L'itinéraire qui conduit par la montagne à Ekkara-Kaïtsa peut être reconstruit à partir des données
archéologiques dont nous disposons : les établissements antiques de Thrapsimi et d'Ano-Ktiméni y figurent
certainement et peuvent être, à titre d'hypothèse, considérés comme les deux vici de Teuma et Kelathara162. Il
reste une incertitude sur le début de ce trajet, même s'il est clair du point de vue de la géographie : de fait, le
chemin qui conduit à Thrapsimi depuis la plaine à Γ Ouest de Kédros ne peut partir que de la vallée de la Kalentzis
(à partir de Kalliphoni) ou des petites vallées parallèles qui conduisent aujourd'hui aux villages de Paliouri ou
de Loutro. C'est donc dans cette région que je proposerai aussi de rechercher le site de Kallithéra, s'il n'est pas,
pour les raisons que j ' ai déjà données, au village de Kallithiro-Seklitsa. Je reviendrai plus loin sur ce dernier point.
Il faut pour finir reconduire les Étoliens jusqu'à la vallée du Spercheios. On sait par Tite-Live ce qu'il est
advenu d'Ekkarra et de la malheureuse population de Xyniai. La localisation de cette dernière cité ne semble pas
faire de problème : on la situe correctement sur la rive sud du bassin, au site qui a été reconnu près du village de
Koromili163. Après Xyniai, les Étoliens ont achevé leur expédition en pillant une dernière cité, Kypaira, puis ils
ont regagné la vallée du Spercheios. Le passage qui s'impose, depuis le bassin du Xynias, est celui qui à l'Ouest,
ramène vers Palaio-Giannitsou164. Sur ce trajet, un seul site, celui de Kydonia ; c'est là que je proposerai de
localiser Kypaira, autre cité des Achéens Phthiotes165.
Cette localisation, peut être confrontée sans difficultés aux données que nous avons par ailleurs sur
Kypaira. Considérons tout d'abord la situation de Kydonia : à cette place, tout aussi bien qu' à celle de Kaïtsa, peut
se rapporter la position caractérisée par Tite-Live : imminens Dolopiae castellum. Y. Béquignon a bien souligné
les avantages de Kydonia166, en y situant, à tort, Angéai. Mais la place convient aussi pour Kypaira et même
mieux, si l'on prend également en compte les conclusions formulées par les historiens à partir des autres
témoignages antiques qui s'y rapportent : ces données font supposer que la cité de Kypaira paraît appartenir
davantage à la région du Spercheios qu'à la Thessalie167. Ce constat s'applique mieux à la place de Kydonia qu'à
celle de Kaïtsa. Ce dernier établissement appartient clairement, lui, tout comme les autres cités du lac Xynias, à
l'Achaïe Phthiotide : c'est bien la situation d'Ekkara dans l'antiquité, d'après les monnaies et le lexicographe.
162. Ni Kelathara ni Teuma ne sont localisées par STÀHLIN (Hell Thess., p. 133, n. 1 ) ni par BÉQUIGNON ; E. KIRSTEN
dans PHILIPPSON, Griechische Landschaften, p. 305 (liste des cités accompagnant sa carte) propose pour Teuma le
site de Choirinokastro, dans une séquence, sur laquelle il fait lui-même des réserves, Kallithéra = Philia, Teuma = Agios
Ioannis-Choirinokastro, Ekkara = Kastro Panagia, au Nord du lac Xyniai.
163. Cf. G. DAUX et P. de la COSTE-MESSELIÈRE, BCH, 49, 1924, p. 341-348, avec plan du site ; F. STÀHLIN, Hell.
Thess., p. 160 et 166.
164. Voir la description de cette route, que j'ai parcourue en 1989, ci-dessus p. 60.
165. Son nom est Cyphaira dans le récit de TITE-LIVE, 32,13, mais Kypaera en 36,10, Kypaira dans Ptolémée, III, 12,42 ;
la forme dans les inscriptions delphiques est régulièrement Kyphaira ; cf. F. STAHLIN, RE, s.v., col. 46-47 (1924),
mais avec la localisation à Kaïtsa-Makry Rachi, que l'on ne peut accepter aujourd'hui.
166. BCH, 53, 1928, p. 456-458, et La vallée du Spercheios, p. 326-328, cf. ci-dessus, n. 123.
167. En se fondant sur son classement avec les cités de la vallée du Spercheios dans Ptolémée, cf. F. STÀHLIN, RE, s.v.
Thessalien, col. 46 (mais dans Hell. Thess., p. 159 et n. 7, il insiste sur son appartenance à l'Achaïe, sans doute pour
appuyer sa localisation de Kypaira à Kaïtsa, sur les rives du lac Xynias) ; on peut considérer aussi la place que les
citoyens de Kypaira ont pu occuper auprès des Étoliens au IIIe s. av. J.-C. (plusieurs hiéromnémons étoliens sont de
Kypaira, cf. SGDI, 2580, 2672, A. JARDÉ, Inscriptions de Delphes..., BCH, 26, 1902, p. 270, 1. 8) ; la cité a été
directement dépendante des Étoliens au temps de leur plus grande puissance, mais elle a dû être récupérée par Philippe
V dans les années 210-205, puisqu'elle fait l'objet de l'attaque étolienne de 198 : cf. P. ROUSSEL, BCH, 50, 1926,
p. 124-125, n° 1, décret de Delphes pour un Aristarchos, fils d'Aitolion, de Kypaira, épimélète des Étoliens à Delphes ;
sur la chronologie (dernières années du IIIe s., archonte Archélaos, cf. G. DAUX, Chronologie), P. ROUSSEL pose
un problème (o.c, p. 130, n. 2) : « Aristarchos a pu être épimélète à une époque où sa patrie n'appartenait plus à la ligue
étolienne », conclusion à laquelle s'oppose R. FLACELIÈRE, Les Aitoliens à Delphes, p. 316, mais à tort, selon moi
(sur la situation de ces citoyens partisans des Étoliens, qui ne vivent plus dans leur patrie, cf. mon étude à paraître sur
le décret de Trikka en l'honneur d'Orthotimos, de Tylissos, qui fait apparaître que de nombreux citoyens de Trikka ont
dû être dans la même situation).
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
81
L'ensemble des propositions énoncées ci-dessus conduisent à réviser l'idée que l'on s'est faite en général
sur l'extension de la Dolopie vers l'Est. Les historiens et géographes ont supposé que le territoire dolope atteignait
les derniers plissements du Pinde, juste à l'Ouest du lac Xynias. C'est aussi pour cette raison qu'ils localisaient
Kypaira à Makryrachi-Kaïtsa et Ktiméné à Ano Ktiméni. Mais cette supposition n'est pas supportée par les
témoignages antiques, celui de Strabon en particulier. Selon Strabon, l'Othrys est un massif dont la bordure
occidentale touche à la vallée du Spercheios (Géographie, IX, 5, 8,435C). Le géographe s'appuie sur l'autorité
d'Homère, qui dit explicitement déjà que le territoire de Phthia est limitrophe de celui des Dolopes. A prendre
ces témoignages à la lettre, il faut donc inclure dans l'Achaïe Phthiotide tout le secteur du lac Xynias, en y
comprenant aussi sa bordure occidentale. On doit aller bien au delà du col de Derven-Phourka, qui, sur la route
Domoko-Lamia, à l'Est du Xynias, marque pour les géographes modernes à peu près l'extrémité occidentale de
l'Othrys.
On a considéré l'information de Strabon comme illogique et contradictoire avec les limites que définit la
géographie actuelle, et on l'a rejetée d'autant plus facilement qu'elle faisait référence à Homère. Je pense au
contraire que Strabon a rendu compte de la situation réelle des territoires, celle qui se rapporte non pas tant à la
géographie physique en elle-même, qu'aux comportements des habitants qui occupaient les terroirs exploitables.
Ainsi les propositions que je fais pour Kypaira peuvent-elles s'appuyer sur l'existence d'une liaison très directe,
malgré les apparences, entre le lac Xynias et Kydonia168 ; de même, on considérera la relation étroite qui a existé
entre Makryrachi-Kaïtsa et Ano Ktiméni, bien notée par A. S. Arvanitopoulos.
La limite orientale du territoire des Dolopes doit ainsi être décalée vers l'Ouest. Je pense qu'elle a été
marquée par les collines alignées du Nord au Sud, qui bordent les vallées de la Papousa et de l'OnochonosSophaditikos actuels. Les bassins de ces deux rivières forment une unité (même si vers le Nord, elles ont creusé
des gorges profondes dans le massif montagneux), et ils s'étagent du Nord au Sud, entre Kédros et Kydonia. La
coupure se produit en réalité en aval de Loutropigi, en aval de la moyenne vallée du Rentiniotikos, entre son
débouché dans l'Onochonos et le confluent du Smokovitikos, avec des différences bien marquées, dans le relief,
Γ altitude, la géologie169. Plus au Sud, la ligne des crêtes qui bordent la Papousa à 1 ' Ouest entre Palaio-Giannitsou
et Mesochori (anc. Papa) semble également jouer le rôle de césure entre la basse montagne à l'Est et la moyenne
montagne située autour de Rentina. On peut donc y voir aussi la ligne de partage entre les territoires des deux
peuples qui occupaient la région, les Achéens Phthiotes et les Dolopes.
A cela ne s'oppose pas une indication géographique donnée par Apollodore sur Ktiméné, qui était située
« ά γ χ ι λ ί μ ν τ ^ Ξ υ ν ί α δ ο ς » 1 7 0 . On en a tiré argument pour localiser Ktiméné à Ano-Ktiméni ; mais la formule
n'impose pas une proximité aussi immédiate. Ktiméné était la cité dolope « du côté du lac Xynias », et cette
indication vaut aussi bien pour Rentina, si, comme je le crois, cet établissement est celui de Ktiméné. De fait, si
l'on admet ce schéma, les autres centres d'habitat des Dolopes semblent tous situés à l'Ouest de la ligne RentinaLoutropigi. Ils se trouvaient sans doute dans la moyenne vallée de l'Achélôos et dans les hautes vallées qui
rayonnent de part et d'autre du sommet principal de cette région, l'Itamos. Du point de vue de la géographie
historique, on ne peut exclure par exemple la possibilité de trouver un territoire dans la haute vallée du
Karoumbalis, au-dessus d'Amaranto, dans le triangle Kastania-Amaranto-Néraïda, ou Amaranto-Kastania-
168. Soulignée par BÉQUIGNON, BCH, 53, 1928, p. 464, n. 8 : les habitants de Kaïtsa savent se rendre régulièrement à
Mesochori, dans la vallée de la Papousa un peu en aval de Kydonia.
169. Les gorges formées par le Rentiniotikos et l'Onochonos en aval de Loutropigi sont taillées dans des roches rouges très
délitées ; la secteur est dépourvu de terres de cultures, et l'on note la présence de part et d'autre de la vallée de deux
collines appelées Xérovouni.
170. Apollonios, Arg., I, v. 68, cf. ci-dessus note 116.
82
Β. HELLY
Kataphygi ; c'est là que Philippson a reconnu un site antique au Nord de l'Itamos, au point de franchissement de
la ligne de crêtes. On pourrait y localiser Ménélaïs, comme on l'a déjà dit. Mais je laisserai à d'autres le soin de
compléter ces quelques hypothèses.
III. LES CITES THESSALIENNES DE L'HESTIAIOTIDE
ET DE LA THESSALIOTIDE MÉRIDIONALES
Les analyses qui précèdent conduisent à considérer la région collinaire qui domine la plaine thessalienne
entre Kédros et le lac Xynias comme appartenant à la Thessalie, tout comme aujourd'hui elle est comprise dans
les limites du département de Karditsa. Ce rapprochement ne fait pas preuve, évidemment, mais il montre au
moins que cette situation n'a rien d'invraisemblable. A considérer la géographie, il est certain en tout cas que la
forteresse de Thrapsimi, située au Sud de Kédros dans la montagne, ne peut pas être indépendante de la cité établie
à Kédros. On se demandera de même si Ano-Ktiméni a pu être autre chose qu'une kômé sur le territoire d'une
cité voisine, qu'elle soit à Loutropigi (Angéai), à Makry-Rachi (Ekkara) ou dans la plaine du côté de Léontari.
C'est ce qu'exprime aussi d'une manière vraisemblable la carte des territoires théoriques que l'on peut
établir pour cette région, en utilisant le modèle spatial « auréolaire » (carte 3) ou celui des polygones de Thiessen
(carte 4), dont l'application aux cités thessaliennes a montré déjà tout l'intérêt. Je soulignerai tout d'abord que
cette carte des territoires théoriques n'entre pas en contradiction avec les interprétations proposées pour
reconstruire l'itinéraire des Etoliens en Dolopie. Mais elle laisse de côté un certain nombre de secteurs, dans la
plaine notamment, comme des « blancs », là où, logiquement, s'agissant de terroirs exploitables en plaine ou en
piémont, on attendrait des territoires constitués. Nous avons voulu appeler ces secteurs des « blancs
cartographiques » 171 . C'est sur eux que je voudrais maintenant attirer l'attention.
Le premier de ces secteurs est situé dans la région de Kalliphoni, entre Kallithiro et Kédros. C'est là que,
en analysant l'itinéraire des Etoliens en 198 av. J.-C, je suis conduit à situer un établissement important, celui
de Kallithéra. Un peu plus au Nord, on constate que, de la même façon, le maillage territorial laisse subsister une
large bande de terroirs, dans un triangle dont les sommets sont à peu près définis par les sites de Métropolis,
Kiérion et Philia. Un autre secteur reste également hors du dessin : celui qui se trouve entre Philia, Kiérion d'un
côté, Proerna et le site antique reconnu au village d'Agoriani, appelé aujourd'hui Ekarra (moderne).
Pour constituer des territoires de cités dans ces zones « vides », on aimerait s ' appuyer sur des sites antiques
reconnus et que l'on pourrait traiter comme des sites centraux, des établissements de cités. Les informations
archéologiques dont nous disposons aujourd'hui sont apparemment insuffisantes pour y parvenir. Mais une
question se pose sur ce point : l'absence d'information ne reflète probablement que l'état défaillant de la
recherche et non la réalité elle-même. Rappelons-nous qu' avant 1960 et les fouilles engagées par D.R. Théocharis
sur le site, nous ignorions tout ou presque du sanctuaire fédéral des Thessaliens à Philia : même les inscriptions
trouvées dans la région par N. Giannopoulos dans les années 1920-1930 ne conduisaient nullement à Γ identifier172.
On doit en dire autant à propos du site de Kédros, inconnu de tous les archéologues qui ont parcouru la région
171. Cf. M. SINTÈS-AÏOUTZ, La cartographie archéologique au Centre de recherches archéologiques (CRA), Nouvelles
de l'archéologie, 37, 1989, p. 29-34.
172. Inscriptions publiées Arch. Eph., 1927-28, p. 119-127, provenant de Philia et Arch. Eph., 1927-28, p. 218-219,
provenant de Mavrachadès (republiée par C. HABICHT, Demetrias, V, 1987, p. 309-312) ; l'identification du site de
Philia avec l'Itonion n'a été assurée que par sa désignation comme lieu d'exposition de la stèle portant un décret fédéral
trouvé par D. R. THÉOCHARIS et expliqué par C. HABICHT, Demetrias, I, 1976, p. 175-180.
83
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
XYNIAI -___
Koromili·-^
]Okm
: Nouvelles propositions pour la localisation des cités thessaliennes d'Hestiaitidey de Thessaliotide et de
Dolopie ; situation des territoires théoriques individuels (polygones de Thiessen).
84
jusqu'à ces dernières années, et où il faut, je crois, reconnaître Ortha de Thessaliotide en se fiant au témoignage
des monnaies trouvées par C. Intsésiloglou. On peut s'attendre encore à d'autres découvertes de ce genre.
En fait, je voudrais poser ici la question de savoir s'il faut attendre « passivement » que les données
archéologiques s'accroissent au fil du temps, ou bien s'il n'est pas possible de les anticiper quelque peu et
d'orienter nos démarches. La réponse que nous avons donnée, avec mes collègues qui participent au programme
de recherche sur la Thessalie, est ici positive, mais à une condition : le recours à des instruments appropriés, ces
modèles géographiques que nous avons déjà longuement expérimentés dans la région. Du point de vue de la
méthode, la situation dans laquelle nous nous trouvons ici représente une étape supplémentaire dans leur
utilisation. De fait, la démarche suivie par nos devanciers a toujours reposé sur une confrontation des textes ou
témoignages antiques et des données archéologiques venant de la prospection. L'introduction du modèle
géographique a modifié cette démarche en prenant en compte non plus seulement la donnée « site », mais aussi
une donnée « territoire ». Notre propre démarche se fonde donc sur trois éléments : l'information archéologique
sur les établissements, les sources antiques, la construction des territoires. Mais on peut aller un peu plus loin,
spécialement dans le cas de la plaine thessalienne occidentale : confronter le modèle territorial et les sources,
même dans le cas où les informations sur les sites manquent encore.
J'ai en main dès maintenant un exemple simple de cette démarche : le cas de Thétonion. Cette cité est
connue par une inscription sur une plaque de bronze, du Ve siècle av. J.-C, inscription fameuse et très souvent
analysée173. On ignore la forme exacte du nom de la cité, que l'on reconstruit à partir d'une notice fautive
d'Etienne de Byzance174. L'emplacement exact de Thétonion n'est pas connu, on sait simplement qu'il doit se
trouver dans les environs du village de Géphyria (ancien Koupritsi), d'où provient l'inscription175. C'est bien
dans cette région en effet que le maillage des territoires laisse apparaître un secteur « vide », dans un triangle
défini par les villages de Géphyria, Agios Vissarion (anc. Bazaraki) et Grammatiko (anc. Othomaniko et Ouzoun
Karalar). La construction des territoires théoriques moyens des cités voisines, Kiérion, Phyllos, Proerna, délimite
exactement ce secteur, et le calcul des distances moyennes au plus proche voisin, comme celui de la superficie,
montrent qu'il représente exactement une « maille » de dimensions comparables aux autres. On peut ainsi
reconstruire cartographiquement le territoire de Thétonion, confirmer que la provenance de l'inscription,
Géphyria, constitue une donnée correcte pour localiser une cité dans cette partie de la plaine (carte 4). On peut
même, en considérant l'extension théorique de ce territoire, proposer d'attribuer à Thétonion des inscriptions
trouvées dans plusieurs villages immédiatement voisins, ce qui avait échappé à l'auteur du Corpus des
inscriptions thessaliennes, O. Kern, qui rapportait la plupart de ces textes à Kiérion sans aucun argument probant.
On peut reconstruire tout ce dossier épigraphique de manière correcte, alors même que nous ignorons où se situe
précisément la ruine de Thétonion, pour laquelle il n'existe actuellement aucune information dans la littérature
archéologique. En fait le site de Thétonion est maintenant repéré, sinon connu et décrit : il existe en effet au Nord
du village d'Agios Bissarion sur le bord d'une petite rivière, la Tsamourtza, un site antique important, qui doit
être un bon candidat pour localiser Thétonion. C'est ce que m'a confirmé aussi C. Intsésiloglou.
On peut appliquer la même démarche dans la région située entre Kiérion, Métropolis et Philia, à la
condition de posséder des informations assez précises attestant l'existence de cités antiques qui pourraient être
situées dans ce secteur. Ces informations existent bien, et sont utilisables.
173. /G, IX 2,257, plaque de bronze du V e s. av. J.-C. avec un décret pour un Sotairos d'Athènes ; cf. aussi JEFFERY, Local
Scripts, p. 99, n° 10.
174. Et. BYZ., s.v. Θηγόνιον, cf. F. STÀHLIN, Hell Thess., p. 132 et n. 5 ; RE, s.v., col. 242-243.
175. Trouvée au village même de Koupritsi = moderne Géphyria.
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
85
La liste des théorodoques de Delphes comporte, dans sa colonne III, une séquence qui regroupe cinq cités :
Kiérion
Ortha
Kélaitha
Méthylion
Métropolis176.
Sur ces cinq cités, on peut en localiser deux avec certitude : Kiérion au début, Métropolis à la fin de la série,
qui sont trop connues pour que j'insiste ici. Une troisième me paraît désormais identifiée, Ortha, qui doit se situer
à Kédros. On a placé approximativement les deux autres en Thessalie du Sud, soit en Thessaliotide avec Kiérion,
soit en Hestiaiotide avec Métropolis. De fait on peut assurer que Méthylion était située dans la région de
Métropolis-Karditsa177. Plusieurs arguments indirects vont dans ce sens, ils renforcent le témoignage de la liste
des théorodoques.
Une série de monnaies en argent du V e siècle av. J.-C. porte l'ethnique ΜΕΘΥ, et elles ont été attribuées
à Méthylion178. Le type, un grain de blé ou d'orge, et la métrologie conduisent à traiter ces monnaies comme
reliées à un groupe de monnaies frappées au nom des Thettaloi, avec la légende ΦΕΤΑ, qui a fait l'objet de
longues discussions jusqu'à leur attribution à un koinon des Thessaliens, qui à cette époque avait probablement
son centre en Thessaliotide179. On pense évidemment à rapprocher cette indication de la localisation désormais
assurée de l'Itonion fédéral des Thessaliens à Philia. De même, comme on a remarqué le caractère « béotien »
de la forme utilisée pour l'ethnique des Thessaliens, on a pensé à l'histoire primitive de cette région, dont on sait
qu'elle a été occupée d'abord par les Béotiens d'Arné, devenue Kiérion par la suite180.
Par ailleurs une trouvaille archéologique a été faite « dans la région proche de Karditsa », qui concerne
directement Méthylion : un sékos en bronze définissant des étalons de mesure, avec l'inscription ΜΕΘΥΛΙΕΩΝ
ΔΗΜΟΣΙΟΝ^. C'est le seul document épigraphique que l'on puisse rapporter à cette cité, mais il paraît
suffisant pour que l'on recherche Méthylion dans les environs de Karditsa.
La situation est analogue pour Kélaitha, l'autre cité de la liste des théorodoques. Une liste de contributions
trouvée à Argos (datée du IVe siècle av. J.-C.) paraît en faire également mention, parmi d'autres cités
176. A. PLASSART, Liste delphique des théorodoques, BCH, 45, 1921, p. 16, col. III, 1. 26-30.
177. Références pour Méthylion, F. STÀHLIN, Hell Thess., p. 143 avec n. 6, RE, s.v. Thessalien (1936), col. 98 et s.v.
Méthylion, 1932, col. 1391 ; E. KIRSTEN, dans PHILIPPSON, Griechische Landschaften, I, p. 60 et carte, n° 69.
178. Monnaies de Méthylion et non, comme on l'a cru longtemps, d'une Méthydrion ; elles ont été étudiées par
C. HEYMAN, Ancient Society, 1, 1970, p. 117-128, Les types des monnaies de Méthylion ; dans cet article la
localisation de Méthylion sur la carte de la pi. III est fantaisiste, et les conclusions historiques sont caduques depuis les
études de R. ARENA et P. R. FRANKE citées n. suivante.
179. Cette série de monnaies a été étudiée par P. R. FRANKE, ΦΕΤΑΛΟΙ-ΠΕΤΘΑΛΟΙ-ΘΕΣΣΑΛΟΙ, Zur Geschichte
Thessaliens im 5. Jahrhundert v. Chr., Arch. Anz., 1970, p. 85-93, qui a bien justifié l'interprétation de la légende (qui
n'est pas ΦΕ (PAIOI) comme on le croyait jusqu'alors) et l'attribution de ces monnaies aux ΘΕΤΤΑΛΟΙ ; mais déjà
en 1960 R. ARENA, dans une étude sur les Monete tessaliche con l'iscrizione ΦΕΤΑ Τ ΦΕΘΑ, publiée dans les
Rendiconti dell'Istitut Lombardo, Acad. di Scienze e Lettere, class. di Lettere, 91, 1960, p. 261-274, avait donné la
même interprétation de la légende (je dois communication de cette étude, qui n'est signalée nulle part, à l'auteur luimême, et je l'en remercie). FRANKE et plus nettement déjà R. ARENA ont présenté une analyse de la série tout à fait
pertinente à mes yeux, en précisant le rapprochement avec les émissions de Méthylion : le koinon en question n'est pas
le « grand » koinon thessalien, mais un groupement de cités de la Thessaliotide et de Γ Hestiaiotide, institué vers
480 av. J.-C, auquel paraît s'ajouter Scotoussa vers la fin du V e s.
180. Sur la forme, remarque faite par ARENA et FRANKE (d'après F. BECHTEL, Griech. Dialekte, I, p. 152), cf. maintenant
W. BLUMEL, Die aiolische Dialekte, p. 122-124 ; pour la légende des Béotiens d'Arné, cf. M. SORDI, La lega
tessala, 1958, p. 58.
181. E. ROGERS, The Copper Coinage ofThessaly, p. 131 sq. ; F. STÀHLIN, RE, s.v. Thessalia, col. 98, qui parle d'une
inscription sur bronze ; H. ΒIESANTZ, Thessalische Grabreliefs, 1965,p. 140,n. 235 ;je n'ai pas pu avoir d'information
récente sur cet objet, qui est au Musée national d'Athènes.
86
thessaliennes182. Kélaitha devait être elle aussi dans la région située entre Kiérion, Ortha et Métropolis. Pour la
localiser un peu mieux, on a utilisé une autre notice d'Etienne de Byzance, qui enregistre le nom d'une Kelaithra,
située περϊ τ η ν "Αρνην, et qu'en conséquence il donne, lui-même ou sa source, pour une cité béotienne.
Comme cette indication de voisinage apparaît aussi chez le lexicographe pour une autre cité thessalienne,
Onthyrion, connue par Strabon dans la région de Métropolis, on a considéré à bon droit que cette Kelaithra
pouvait être identique à la Kélaitha de la liste des théorodoques183.
La situation se complique cependant, parce que les érudits ont proposé encore d'autres rapprochements.
Pour les uns, Kélaitha pourrait correspondre aussi à ce vicus Celathara nommé par Tite-Live dans son récit de
l'expédition étolienne de 198 av. J.-C. 184 . Pour les autres, il conviendrait mieux de la retrouver dans la Kallithéra
proche de Métropolis, signalée par la même source185. Le rapprochement Kélaitha (Kelaithra) - Kelathara (ou
Kelathara), pour si tentant qu'il soit si l'on considère la parenté des formes, devrait, à mon sens, être exclu. On
doit porter attention tout d'abord à la géographie, si la reconstruction que j ' ai proposée ci-dessus pour l'itinéraire
des Étoliens est correcte : il faut en effet chercher Kelathara dans les montagnes au sud de la ligne de piémont
plutôt que dans la plaine thessalienne elle-même. Mais un autre argument doit entrer en ligne de compte qui me
paraît plus décisif : au témoignage de Tite-Live (et il vaut mieux l'accepter pour ce qu'il dit) Kelathara est un
vicus, une kômé, et non pas une cité, alors que Kélaitha est, sans aucun doute possible, au IVe siècle comme au
milieu du II e siècle av. J.-C, une cité. Il n'y a pas de raison de supposer que dans l'intervalle Kélaitha a perdu
ce statut à seule fin de justifier le rapprochement des formes de deux toponymes que la géographie elle-même ne
conduit pas automatiquement à identifier.
Paradoxalement, de ce point de vue, l'idée que Kélaitha pourrait être aussi la Kallithéra de Tite-Live est
plus intéressante. De fait, en proposant de chercher le site de Kallithéra dans la région proche de Kalliphoni, entre
Kédros et Métropolis, on définit une localisation qui conviendrait aussi pour Kélaitha. Quant à la forme des noms
eux-mêmes, tout est possible : une altération de Kélaitha en Kelaithra, puisqu' aussi bien Etienne de Byzance nous
a transmis cette variante du toponyme, a pu conduire à une réfection normalisante dans la tradition manuscrite
de Tite-Live et a pu aboutir à une forme Kallithéra. Sans l'exclure totalement, je considère cependant ce
rapprochement comme très peu probable et, qui plus est, inutile. De fait, il ne vaudrait que si l'on maintenait la
localisation de Kallithéra à Kallithiro ; mais j'ai déjà mentionné ci-dessus les raisons, fondées sur les données de
la fouille et de la géographie, qui conduisent à exclure cette localisation : l'établissement de Kallithiro était très
vraisemblablement abandonné avant la fin du IIIe siècle, alors que Kallithéra était une cité bien vivante en 198
et assez puissante pour se défendre contre les Étoliens.
En conséquence de quoi Kallithéra doit être recherchée quelque part dans la vallée de la Kalentzis ou à
son débouché dans la plaine, dans un triangle Daphnospilia-Paliouri-Apidia : cela pourrait être le site de
Choirinokastro, qui se trouve justement dans cette zone, mais sous réserve d'inventaire. Kélaitha, quant à elle,
182. IG, IV, 617,1. 9, restitution [Εκ Κε]λαίθαί;, admise par la plupart des spécialistes ; cette liste a été étudiée récemment
par P. PERLMAN, The « Theorodokia » in the Péloponnèse, Univ. Microfilms Inter., 1984, cf. le compte rendu qu'en
a fait P. CHARNEUX, Bull Épigr., 1988, n° 609.
183. Onthyrion est signalée par STRABON, IX, 437, cf. F. STÀHLIN, Hell Thess.,p. 128 et n. 7 ; la source d'Et. BYZ. sur
Onthyrion est Rhianos, cf. JACOBY, FGH, 265, fgt 24 et comm. p. 105, ainsi que E. KIRSTEN, RE, s.v., 1939.
E. KIRSTEN insiste par ailleurs (Griechische Landschaften, I, p. 291 et n. 1 ) sur le repère utilisé à la fois pour Kélaitha
et pour Onthyrion, dans le voisinage d'Arné. La localisation exacte d'Onthyrion reste pourtant incertaine (mais les
hypothèses n'ont pas manquées), même si l'on sait qu'elle est à trouver dans les environs de Métropolis, qui, nous dit
STRABON, l'a absorbée par synoecisme.
184. C'est une proposition de A. PLASSART dans son commentaire à la liste des théorodoques, p. 53, n. 1.
185. Rapprochement effectué par BÉQUIGNON, BCH, 56, 1928, p. 459.
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
87
devrait se trouver dans la plaine, un peu plus au nord : dans le secteur de Kalliphoni-Agia Paraskévi-Dasochori,
où il existe des terroirs suffisants pour qu'une cité et son territoire puissent trouver place.
Je n'ignore pas que d'autres hypothèses ont été avancées à propos de Kélaitha. On a associé en effet
Kélaitha avec la tribu épirote des Kelaithoi186. Cette identité de forme a conduit à une localisation commune des
Kelaithoi et de Kélaitha, que l'on tient pour leur cité éponyme. Mais rien ne supporte cette identification : aucun
document n'assure explicitement que la tribu des Kélaithes habitait une Kélaitha ou y avait son principal centre
d'établissement. Et quand bien même cela se serait-il avéré, rien n'exclut l'existence de deux établissements de
même nom, l'un en Épire, l'autre en Thessalie. Ce ne serait qu'un doublet toponymique ou ethnique de plus entre
la Thessalie et l'Épire, doublets qui ne manquent pas et qui s'expliquent, comme on l'a déjà dit187, par la double
implantation de nombreux groupes humains, des pasteurs pour la plupart, qui à toutes les époques ont pratiqué
une transhumance systématique (non seulement les bergers, mais tout le groupe social) entre la plaine
thessalienne et les montagnes du Pinde. C'est pourquoi je ne peux souscrire aux hypothèses géographiques que
P. Cabanes retient pour localiser Kélaitha : sur le versant thessalien du Pinde, au sud de la Tymphaia188. Cette
localisation ne représente qu'une solution de compromis visant à concilier les informations dont nous disposons :
l'existence des Kelaithoi en Épire, celle de la cité de Kélaitha en Thessalie occidentale, dans la région de
Métropolis189.
Il faut nécessairement respecter les témoignages fournis par les textes et les inscriptions : les uns et les
autres conduisent à situer Méthylion et Kélaitha dans la région d'Arné-Kiérion et de Métropolis. Même si les
données archéologiques nous font aujourd'hui défaut, il me paraît cependant possible d'appuyer ces informations
par l'étude géographique des territoires. La carte 3 fait bien apparaître qu'il existe des « blancs » dans le maillage
territorial de cette région, et ces blancs ne s'expliquent pas par des raisons propres à la géographie physique : il
n'est pas vraisemblable qu'il ait existé là des terroirs incultes, de grandes étendues d'eaux stagnantes190. Ce
secteur de piémont qui s'étend entre Kiérion, Kédros et Métropolis est au contraire caractérisé par de riches terres
de cultures, bien arrosées. Ce sont autant de territoires possibles qu'il faut prendre en compte dans le réseau
« théorique » des établissements humains antiques. Les « vides » ainsi mis en évidence sont bien davantage, je
crois, dus à l'insuffisance des données archéologiques, c'est-à-dire, comme il arrive souvent, à la recherche ellemême ; on l'a déjà constaté en étudiant le cas de Thétonion.
On admettra pour ainsi dire par construction, pour parler comme les mathématiciens, que quatre territoires
sont « possibles » dans le triangle Kiérion-Kédros-Métropolis (cf. carte 4). Ce sont là les quatre territoires qui
conviennent pour les trois cités que nous cherchons à localiser plus celui de Kallithiro : Kallithéra, Kélaitha et
Méthylion. La première devrait se situer le plus au sud, en piémont ou dans la vallée de la Kalentzis. La seconde
pourrait se situer au nord-nord-est de Kédros, dans la région de Kalliphoni, la troisième à l'est de Métropolis,
proche de Karditsa et de Prodromos. On m'objectera qu' une inscription du début de Γ époque impériale traite d'un
litige territorial entre Kiérion et Métropolis ; ces deux cités ont donc eu des territoires limitrophes à cette date.
186. Rapprochement accepté par la plupart des historiens, suivi par P. CABANES, L'Épire de la mort de Pyrrhus à la
conquête romaine, 1976, p. 124.
187. Cf. ci-dessus la relation supposée entre Omphalion et les Omphalieis d'Épire ; j'ai tenté d'expliquer certains de ces
rapprochements dans Gonnoi, I, p. 60, à propos des Perrhèbes.
188. P. CABANES, o.c, p. 124.
189. Ph. GAUTIER, dans son compte rendu de la thèse de CABANES, Rev. PhiL, 1979, p. 127, a bien senti la difficulté,
mais il ne me paraît pas meilleur d'introduire, dans le cas de Kélaitha au moins, l'idée que la liste des théorodoques
de Delphes mentionne parmi les villes thessaliennes une cité épirote difficilement accessible autrement que par la
plaine, à seule fin d'éliminer un « doublon » apparemment gênant.
190. Celles-ci se situaient plus au nord, entre Gomphoi, Kiérion et le cours du Pénée depuis Trikka jusqu'à son confluent
avec l'Énipeus.
Β. HELLY
Mais rien η'assure qu'il en a toujours été ainsi ; on doit plutôt penser le contraire, si l'on considère une fois encore
le réseau des établissements antiques : la distance qui sépare Kiérion de Métropolis (20 km) est bien supérieure
à celles que l'on peut constater dans tous les autres cas de voisinage territorial dans toute la Thessalie, pour les
cités de la période classique191. On tiendra donc le document épigraphique qui se rapporte au conflit de frontière
entre Kiérion et Métropolis comme un témoignage de l'extension territoriale de ces deux cités à une époque
relativement récente et sans doute analogue à celle que nous connaissons pour Larissa dans le même contexte de
regroupement autour des grands centres urbains à la fin de l'époque hellénistique et au début de l'Empire 192 . De
telles extensions territoriales et de souveraineté se sont faites le plus souvent au détriment des petites cités : telle
a dû être Méthylion, coincée entre les deux pôles très actifs qu'étaient certainement Kiérion et Métropolis. Cette
situation peut expliquer aussi sans doute la relative pauvreté des documents se rapportant à cette cité.
Le recours à la géographie des territoires me paraît particulièrement adapté au cas de Kélaitha et de
Méthylion, précisément parce que le témoignage essentiel qui se rapporte à ces deux cités est lui-même fondé sur
la géographie : la liste des théorodoques de Delphes. On a souvent souligné que cette liste avait été constituée sur
la base des itinéraires suivis par les théores qui allaient de cité en cité porter l'annonce des Pythia193. Il y a certes
des incohérences, des omissions et des reprises dans le document épigraphique qui nous a été transmis, mais peutêtre moins que nous ne le pensons : beaucoup de difficultés n' existent que pour nous, parce que nous ne disposons
pas d'informations suffisantes sur la situation exacte de toutes les cités. En tout cas, la séquence fournie par
l'inscription delphique est claire : Kiérion, Ortha, Kélaitha, Méthylion, Métropolis. La disposition possible dans
le secteur de Karditsa, des territoires de cinq cités, dont trois sont localisées avec exactitude aujourd'hui, est tout
aussi claire (carte 5). Il me paraît que l'on peut bien mettre en parallèle ces deux données pour en déduire la
situation probable de Kélaitha et de Méthylion.
Un deuxième secteur doit faire l'objet de tentatives de reconstruction, parce qu'il reste « vide » sans cela,
lui aussi : celui qui s'étend entre Kédros-Ortha et Domoko. Des différences existent cependant, pour l'analyse,
entre ce secteur et celui de Métropolis : des ruines y ont été reconnues, que l'on peut tenir pour des vestiges de
cités. C'est en particulier le cas du kastro d'Ekarra (anc. Agoriani), qui a fait l'objet d'une identification
traditionnellement acceptée mais qu'il faut rejeter, comme nous l'avons vu, avec l'antique Ekarra. Mais d'autres
sites doivent être pris en considération dans cette même région, où C. Intsésiloglou m'a signalé l'existence
d'autres établissements antiques vers Anavra et Léontari. L'analyse montre qu'on peut admettre de définir deux
territoires dans ce secteur, entre Kédros et Domoko : l'un d'eux peut s'organiser convenablement autour du site
d'Ekarra-Agoriani, qui est déjà reconnu, le second entre Kato-Agoriani et Kédros194 (carte 4). Si nous nous
tournons vers les sources antiques, épigraphiques, géographiques ou historiques, en revanche, nous ne trouvons
aucune information directement applicable à l'organisation antique de cette partie de la plaine. Nous sommes
donc dans une situation plus difficile que celle que nous avons analysée en recherchant Kélaitha et Méthylion.
Dans ce premier cas, nous disposons des noms des cités (trois) et d'un contexte géographique suffisamment précis
(trois territoires théoriquement possibles) pour localiser par hypothèse Kallithéra, Kélaitha et Méthylion dans le
triangle Kiérion-Orthé-Métropolis, même si les sites nous restent inconnus. Dans le second cas, nous connaissons
191. La distance moyenne de cité à cité, dans toute la Thessalie, n'excède pas 10 km, avec des écarts variant de 7 à 12 km
dans la quasi-totalité des cas ; cf. sur ce point les études de J.-C. DECOURT et G. LUCAS, dans ce même volume.
192. Cf. pour Larissa mon étude sur Les Italiens en Thessalie, dans Les bourgeoisies municipales, colloque du Centre JeanBérard, Naples, 1984, p. 375 et 378.
193. L. ROBERT y a insisté à de nombreuses reprises, cf. Études de numismatique grecque, p. 190, n. 4.
194. La distance entre ces deux sites est d'environ 18,5 km en ligne droite, elle est assez nettement supérieure à la moyenne
observée, même si nous ne connaissons apparemment pas (ou pas encore ?) de « site central » pour ce territoire dont
l'existence « théorique » peut être proposée.
89
INCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
METHYLION ?
\
MÉTROPOLIS^
PHARSALE
1 #·
KELAITHA?
/
\ \ Pharsala
Ampelosl
• Ph "Î!liTONION
10km
Carte 5 : Les cités de la Thessalie du Sud-Ouest : propositions pour définir l'itinéraire des Etoliens
en 198 av. J.-C. (trait plein) et celui des Théores de Delphes (trait tir été).
90
certains des sites et les deux territoires possibles, mais nous n'avons aucune information sur les cités antiques
qu'on pourrait leur rapporter.
Cette situation n'est pourtant pas désespérée : les noms de plusieurs cités antiques thessaliennes connus
par les textes restent « en l'air », pour ainsi dire, parce que nous ne disposons pas d'informations suffisantes pour
les localiser, même approximativement ; ou bien nous ne pouvons pas définir pour eux plus qu'une appartenance
régionale. Nous savons par exemple qu'une cité antique appelée Ichnai ou Achnai appartenait très probablement
à la Thessaliotide, parce qu'elle est mentionnée par Strabon avec d'autres cités de cette tétrade195. Il convient
donc de chercher plutôt au sud de Kiérion et de Thétonion cette cité d'Ichnai, comme le témoignage de Strabon
incite à le faire. Je serais même tenté de la situer à Ekarra, mais sans pouvoir en donner de justification pour
l'instant.
S'il se confirme d'autre part que ce secteur comportait une autre cité antique, nous pourrons également
puiser dans le « stock » des noms de cités que nous ont transmis les textes littéraires, si nous avons de bons
arguments pour le faire. Dans le cas contraire, il ne faudra pourtant pas renoncer : il serait illusoire de considérer
que nous connaissons de façon certaine les noms de toutes les cités antiques de Thessalie ; l'exemple que G. Lucas
traite dans ce même volume, celui d'Askuris, doit nous persuader du contraire.
Il reste que le maillage territorial réel pouvait ne pas recouvrir tout le terrain disponible et que les sites
antiques ont pu être disposés avec moins de régularité que « prévu » par le modèle. Cela semble être le cas à l'est
de Philia, vers Mavrachadès et autour du sanctuaire fédéral de l'Itonion. On peut envisager qu'il ait existé dans
ce secteur une zone « hors des territoires civiques », constituant la hiéra chôra du sanctuaire. C'est alors
précisément le « blanc » cartographique, l'absence d'établissement, qui peut constituer le critère révélateur de ce
terroir sacré. Nous avons été conduits à formuler une hypothèse de ce type pour la région située au nord-est de
Trikkala, en considérant, par rapport aux exigences du modèle territorial, l'absence d'habitat classique signalé
dans un terroir qui constitue en extension un espace suffisant pour représenter le territoire d'une cité, mais qui
ne livre, après prospection systématique, aucun site central, ni même de traces d'habitats dispersés autour d'un
site principal.
Quoi qu'il en soit, la carte des territoires théoriques ou réels de cette partie de la plaine thessalienne
occidentale prend désormais une autre allure, si l'on peut y situer Kallithéra, Ortha, Méthylion, Kélaitha, peutêtre aussi Ichnai, et Thétonion (carte 4). C'est à une nouvelle représentation de l'occupation humaine antique de
cette région que nous aboutissons au terme de cette étude. Je voudrais la commenter sur trois points.
En considérant la reconstruction des territoires, on peut constater que cette organisation géographique
protège singulièrement la situation du sanctuaire fédéral de Philia, l'Itonion : il se trouve aux confins des
territoires des cités environnantes, et non sur un territoire particulier. C'est, je crois, une bonne confirmation de
la répartition des établissements, parce que, même si ce n'est pas une règle absolue, on doit s'attendre à ce que
de tels sanctuaires et les domaines qui s'y rattachent soient situés de telle sorte qu'ils échappent à l'emprise directe
des cités elles-mêmes.
Il m'apparaît d'autre part que cette reconstruction rend à la plaine occidentale ses vraies dimensions, en
ce qui concerne le peuplement et l'importance de l'occupation des sols : cette plaine, et tout particulièrement sa
partie méridionale, les piémonts du Pinde, nous apparaît comme une région de peuplement dense, avec des
établissements disposés de manière à l'occuper entièrement et régulièrement, ce qui correspond, je crois, aux
caractéristiques physiques de cette région de riches terroirs d'exploitation. Telle n'était pas du tout l'image que
195. STRABON, IX, 435 (signalée pour son sanctuaire de Thémis Ichnaia), et Et. Β YZ. s. v. Achnai et Ichnai ; cf. F. STÀHLIN,
RE, s.v., col. 829, Hell Thess., p. 133, n. 7 et 135.
ÏNCURSIONS CHEZ LES DOLOPES
91
l'on pouvait avoir en se confiant aux présentations de la géographie historique proposées, à partir des données
dont il disposait, bien sûr, par F. Stâhlin et ceux qui l'ont suivi. Telle n'était pas davantage l'image que l'on
pouvait tirer et que l'on peut encore tirer de la répartition des inscriptions thessaliennes dans le Corpus /G, IX 2,
publié par O. Kern : pour toute cette région à peine plus de deux chapitres, Kiérion et Métropolis, plus celui de
Thétonion (pratiquement pour mémoire). L'une et l'autre de ces présentations justifiaient et entretenaient une
sorte de déséquilibre de jugement, chez les historiens, dans les appréciations qu'ils ont portées sur la situation des
deux plaines thessaliennes l'une par rapport à l'autre : la plaine orientale, centrée sur Larissa, peuplée,
dynamique, de haute Antiquité et bien connue d'une part, la plaine occidentale traitée, par manque d'information,
comme un continent vide, organisée politiquement à une époque récente d'autre part. Une telle image, et aussi
déséquilibrée, était pourtant paradoxale, au regard de ce que nous savons de l'histoire thessalienne, et on aurait
dû s'en apercevoir.
La plaine occidentale, et la Thessaliotide tout particulièrement, ont été en effet, nous le savons, le
« berceau » de la Thessalie historique, la région où Yethnos thessalien s'est installé à une époque ancienne,
préhistorique ou protohistorique. C'est la région où l'on saisit les premiers moments de l'émergence historique
des Thessaliens, celle où ils ont installé le symbole de leur unité politique, l'Itonion fédéral. C'est encore larégion
où à 1 ' époque archaïque et classique les cités constituaient des groupes politiquement organisés, comme le montre
l'analyse des monnaies portant la légende ΦΕΤΤΑΛΟΙ-ΠΕΤΤΑΛΟΙ196. Ce sont ces cités, et d'autres encore,
que j'ai voulu réintroduire dans leur espace et leur histoire.
Il ne m'échappe nullement que plusieurs des propositions et interprétations que j'ai présentées pour
l'organisation géographique des cités de cette partie de la Thessalie restent des hypothèses : tantôt ce sont les
données archéologiques qui nous manquent, tantôt ce sont les témoignages, textes ou inscriptions. Mais ces
lacunes sont, je le crois, simplement dues à l'état d'avancement des travaux de fouilles et de prospection sur le
terrain. Pour cette raison, il m'a semblé utile et même nécessaire de construire un cadre pour le développement
des recherches à venir. Le risque est cependant limité, précisément par l'utilisation du modèle géographique que
nous avons développé et testé dans d'autres parties de la Thessalie. Le modèle m'a fourni les règles de
construction de l'espace : c'est en m'appuyant sur elles que j'ai tenté de classer et d'interpréter, ensemble ou
séparément, les données archéologiques et les témoignages antiques. J'ai pris, évidemment, le risque de me
tromper, sur telle ou telle partie de la représentation que je donne du réseau des cités antiques de la région. Il faut
prendre ce risque, il représente un inconvénient inhérent à toute entreprise de recherche. Mais cet inconvénient
me paraît moins grand que l'avantage que procure la représentation à laquelle je suis arrivé : celui de stimuler le
travail et d'en dessiner les orientations principales, puisqu'aussi bien, dans notre science comme dans toutes les
autres, on ne trouve que ce que l'on cherche.
196. Cf. ci-dessus, p. 85 et note 179.