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Les territoires du communisme Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes Journées d’études 1er et 2 décembre 2009 Université Paris 1 Les évolutions des politiques urbaines de la municipalité communiste de Pierre-Bénite (Rhône) : De la promotion de l’accession ouvrière au souci d’une recomposition par le haut ? Violaine Girard - [email protected] Docteure en sociologie Centre Maurice Halbwachs (CNRS-EHESS-ENS Pierre-Bénite, commune du « couloir de la chimie » lyonnais, est depuis la fin des années 1990 l’une des deux « dernières » villes de l’agglomération dirigées par des maires communistes. Un maire communiste dirige en effet la ville depuis 1971 et ce jusqu’au scrutin de 2001, où sa première adjointe lui succède. Cette communication vise à analyser les politiques urbaines promues par les municipalités Pierre-bénitaines successives, en prenant en compte les discours et les orientations politiques qui les accompagnent. On sait que le domaine du logement a constitué un secteur d’intervention fortement investi par les élus communistes, en ce qu’il recouvre des enjeux de promotion collective de la population. De très nombreuses municipalités communistes ont ainsi œuvré en faveur de la construction des grands ensembles d’habitat collectif, de l’après-guerre au début des années 1970. Leurs positionnements ont toutefois évolué, face aux enjeux de gestion du devenir des grands ensembles, enjeux liés notamment aux effets des politiques étatiques d’accès à la propriété individuelle des années 1970, qui contribuent au départ de nombreux ménages des classes populaires stables vers des quartiers pavillonnaires et à la dévalorisation symbolique de l’habitat social. Plusieurs travaux ont ainsi mis en évidence la façon dont, dès les années 1970, les quartiers d’habitat social sont perçus, du fait des évolutions de leur peuplement, comme un « problème » pour de nombreux élus communistes, notamment en banlieue parisienne (pour les cas de Gennevilliers, voir Masclet, 2005 et de Montreuil, voir Tissot, 2003). Dans le cas de Pierre-Bénite, les élus communistes, accédant au pouvoir plus tardivement que dans d’autres villes de banlieue, ont hérité d’un grand ensemble dont la construction n’a pas directement été promue par eux. Et si l’élection d’un maire affilié au PCF à la tête de la ville doit beaucoup aux cadres de sociabilité qui se sont développés à la faveur de la construction de ce nouveau quartier, les actions municipales sont par la suite explicitement dirigées contre ce type d’urbanisme. Les municipalités communistes Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 1 - successives font ainsi directement porter leurs efforts sur des programmes de logements en accession à la propriété, contribuant ainsi à favoriser le mouvement de sortie de l’habitat social qu’effectuent les ménages des classes moyennes et des fractions supérieures des classes populaires. Nous proposons ainsi d’analyser ici les deux principales opérations urbaines des municipalités communistes pierre-bénitaines, conduites à l’écart du grand ensemble – la première lancée en 1981 et la seconde au début des années 2000 – ainsi que la tendance à l’émancipation des objectifs de ces politiques vis-à-vis des catégories populaires. Les évolutions relevées dans les discours de promotion de ces opérations permettent en effet de questionner la normalisation des interventions municipales, depuis le souci de promouvoir le progrès social par l’accès à la propriété dans les années 1980 à celui d’opérer une diversification par le haut du peuplement, diversification perçue comme nécessaire pour contrer la dévalorisation redoutée de l’image de la ville. Il s’agit alors d’aborder ces discours en lien avec les enjeux que ces opérations recouvrent en matière de peuplement de la commune, mais aussi avec les modalités d’implantation locale des élus et le type de capitaux politiques dont ils disposent1. Un accès « tardif » au pouvoir municipal : de l’élection de 1971 à la longévité politique d’un maire PCF Pierre-Bénite s’est développée au cours du XXe siècle autour d’un site chimique implanté en bordure du Rhône et de l’immigration, notamment italienne, qui accompagne cette industrialisation. Pourtant, malgré l’importance croissante de la population ouvrière et la structuration progressive du militantisme communiste sur la commune, l’implantation du communisme municipal s’y effectue plus tardivement que dans d’autres communes ouvrières de la banlieue lyonnaise. La ville est en effet dirigée, depuis 1947 et jusqu’en 1971, par un maire centriste, à la tête d’une alliance locale avec des militants socialistes et gaullistes. Ce n’est qu’au cours des années 1960 que la construction d’un grand ensemble d’habitat collectif accélère de façon notable la croissance de la population de la ville et contribue ainsi à y renforcer des conditions favorables à l’élection d’un maire affilié au PCF2. La création du quartier de Haute-Roche, composé de « barres » de logements HLM et de copropriétés, entraîne en effet l’accélération la plus forte de l’histoire du peuplement de la ville, et participe à asseoir la prédominance des ménages des classes populaires parmi la population (cf. encadré 1). Encadré 1. Pierre-Bénite : une population ouvrière ou populaire ? L’aménagement du quartier de Haute-Roche, impulsé à l’échelle de l’agglomération pour répondre à la crise du logement qui sévit alors, avec le retour des rapatriés d’Algérie et la présence de bidonvilles à Gerland, se traduit par la construction de plus de 500 logements sociaux entre 1967 et 1973, auxquels il faut ajouter plusieurs immeubles en copropriété3. La création du quartier de Haute-Roche a ainsi pratiquement doublé la population de la 1 Cette communication est tirée d’un mémoire de DEA réalisé en 2002 à l’Université Lyon 2 et l’Institut d’Urbanisme de Lyon, sous la direction de François Duchêne, à partir de matériaux d’archives (délibérations du conseil municipal, projets urbains et documents produits par la municipalité) et d’entretiens menés en 2002 avec plusieurs élus ainsi que deux responsables municipaux. 2 La ville est le siège au cours des années 1960 d’importantes opérations d’aménagement, en lien avec le Plan d’Urbanisme Directeur de Lyon, établi en 1962 afin d’organiser le développement « rationnel » de l’agglomération (Delfante, Dally-Martin, 1994 : 15). 3 D’après agence d’Oullins de l’OPAC du Rhône. Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 2 - commune, qui passe de 6 000 à 10 000 habitants entre 1962 et 1975, date à laquelle la commune compte 3 366 logements dont 19 % de logements sociaux. En 1982, plus de la moitié des habitants de la ville résident au quartier de Haute-Roche. La population de la ville connaît ensuite une légère baisse puis une stagnation, pour à nouveau atteindre 10 000 habitants en 1999. Mais la part de la population résidant à Haute-Roche se maintient par la suite, malgré une évolution de son peuplement, puisqu’en 1990, le quartier rassemble un peu plus de 5 000 habitants, et plus de la moitié de la population totale de la ville, une proportion qui diminue ensuite en 1999. La hausse de la population entraînée par la construction de ce quartier intervient alors que les effectifs des salariés « stables » de l’usine chimique commencent à diminuer de façon continue, après avoir culminé dans les années 1960. Les logiques de recours à la soustraitance et au travail intérimaire, ainsi que les réorganisations de la production s’opèrent en effet au fil des rachats du site par de grands groupes de la chimie (Péchiney Ugine Kuhlmann à partir de 1966, Atochem en 1983, Elf en 1992, Atofina depuis 2000, puis Arkéma). Au début des années 1980, 1 800 personnes environ travaillent sur le site, 1 200 en 1989, et 700 en 2002. En 1994, parmi les 1 200 salariés stables du site, on compte seulement 470 ouvriers4. Pour autant, malgré une baisse de la part des ouvriers parmi les actifs, Pierre-Bénite demeure une ville plus ouvrière que le reste de l’agglomération : on compte 45 % d’ouvriers et 29 % d’employés parmi les actifs ayant un emploi en 1982, 35 % et 31 % en 1999 (et seulement 25 % d’ouvriers et 21 % d’employés dans le Grand Lyon en 1999). À l’inverse, les parts des cadres et des professions intermédiaires sont en légère augmentation dans la ville depuis les années 1980 (5 % et 17 % en 1982, pour 7 % et 22 % en 1999)5. L’élection en 1971 d’un maire communiste survient en effet dans un contexte marqué par l’arrivée récente de nombreux ménages des classes moyennes et populaires dans le quartier de Haute-Roche6. Jean-Marie Mick7, originaire de Lorraine, a vécu plusieurs années en Algérie avant de s’installer avec son épouse à Pierre-Bénite en 1966, dans un immeuble du nouveau quartier. Instituteur dans un institut médico-professionnel de Lyon, et militant communiste, il s’investit dans diverses associations « satellites » du PCF et dans l’encadrement d’activités sportives, avant d’être candidat aux élections de 19718 : « J’étais un militant syndical, un militant politique, donc tout naturellement, je me suis impliqué dans la section locale du parti communiste. J’étais parent d’élève, donc je suis devenu président des parents d’élèves. Je suis rentré au basket, parce que c’était mon sport d’origine, j’étais au Patronage laïque pour donner un coup de main… Donc j’étais très impliqué dans la vie locale ! […] En plus, en 1966, au moment où on est venu habiter aux HLM, j’ai créé la CNL9 à Pierre-Bénite, sur les 254 logements j’avais 249 adhérents. […] J’étais l’aiguillon en tant que responsable, puis les gars ont dit : « ce serait bien que ce soit toi qui dirige la liste ». » Formée autour de la section du PCF, la liste qu’il conduit rassemble également des 4 Articles de la revue de presse de la bibliothèque municipale de Lyon. Recensements de la population, Insee. 6 À Amiens, où une municipalité communiste est également élue en 1971, Gérard Althabe note que « la base sociale (et électorale) principale des élus communistes [est constituée] des familles des salariés subalternes des usines et des bureaux habitant les ensembles collectifs HLM » (Althabe et al., 1984 : 41). 7 Nous n’avons pas anonymisé les noms des élus et responsables municipaux, à l’exception de celui de l’urbaniste territorial de la communauté urbaine de Lyon. 8 Entretien du 23/07/2002. 9 La Confédération Nationale du Logement est un mouvement associatif proche du PCF, rassemblant principalement des locataires. 5 Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 3 - militants socialistes, dans la lignée de la dynamique d’élaboration du Programme commun de gouvernement entre PCF et SFIO10. Quatre candidats sont également syndicalistes de la chimie, ce qui contribue sans doute à renforcer l’audience de la liste auprès des salariés de l’usine chimique Atofina. Surtout, elle compte aussi plusieurs militants investis dans les réseaux associatifs locaux11, comme le précise Jean-Marie Mick : « On avait constitué une liste avec un bon noyau de communistes, moi j’étais secrétaire de la section du parti à l’époque. J’étais partisan d’un élargissement de la liste, et puis on se battait pour le programme commun, j’ai dit il faut déjà qu’on commence à faire quelque chose chez nous. Il y avait aussi le fait que j’avais des amis que j’avais connus au Patronage laïque, aux parents d’élèves, avec lesquels on travaillait en bonne intelligence et qui étaient des hommes de gauche, mais sans carte. » Le nouveau quartier de Haute-Roche devient en effet le foyer d’une sociabilité locale animée par de nombreux militants communistes ou laïques, sociabilité dont on connaît l’importance pour l’implantation du communisme municipal dans différents contextes (Retière, 1991, Mischi, 2003). Jean-Marie Mick explique ainsi avoir réalisé ses scores les plus élevés à Haute-Roche, des scores dépassant le niveau de ceux enregistrés aux présidentielles de 1969 pour le candidat du PCF, avant d’expliquer : « On a eu la chance de tomber sur une triangulaire, où j’ai fait passer toute ma liste en 1971. […] J’étais le plus jeune maire de l’agglomération, à 35 ans. […] J’ai eu la confiance des gens, parce qu’ils ont dit : on l’a vu travailler là. J’avais monté une bibliothèque aux HLM, j’avais monté une équipe de foot. Les gens ont dit : un peu de jeunesse ! » Par la suite, les listes conduites par Jean-Marie Mick, sous l’étiquette du PCF et avec la présence de membres du PS, sont réélues jusqu’en 1995, même si des conseillers de l’opposition font leur entrée au conseil municipal à partir de 1983. En 2001, l’ancienne première adjointe du maire, également membre du PCF, remporte à nouveau l’élection à la tête d’une liste faisant référence à la gauche plurielle du gouvernement Jospin. Pour autant, si les équipes successives dirigées par un maire communiste se maintiennent depuis lors au pouvoir municipal, la longévité du maire ne doit pas masquer le fait que la période de développement des réseaux de la sociabilité militante au sein du nouveau quartier s’avère très brève dans l’histoire de la ville. L’évolution des politiques municipales en matière d’urbanisme reflète au contraire très vite une désaffection, de la part des élus, envers le grand ensemble, du fait des transformations sociales qui affectent les dynamiques de peuplement de ce quartier, mais aussi des évolutions des caractéristiques sociales et biographiques des élus, ainsi que des modalités de leur implantation locale. Promouvoir l’accès à la propriété : un programme municipal à « vocation sociale » Au cours de son premier mandat, la municipalité communiste porte tout d’abord une 10 La liste, présentée comme une liste « d’union pour une gestion sociale, moderne et démocratique, présentée par le PCF et par des démocrates partisans de l’union de la gauche » compte 15 membres de la section locale du PCF pour 23 candidats, ainsi que plusieurs militants socialistes en rupture avec la section pierre-bénitaine de la SFIO qui participe à la municipalité centriste sortante. Scrutin du 21 mars 1971, Archives municipales de PierreBénite. 11 Parmi les autres candidats, trois se déclarant militants laïques, un autre militant sportif ainsi qu’un autre enfin animateur culturel. Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 4 - politique volontariste de création d’équipements sociaux, sportifs et culturels, selon des préoccupations couramment portées par les municipalités communistes. Mais cette politique s’accompagne également de la critique des modalités d’urbanisation du quartier de HauteRoche, comme l’explique Jean-Marie Mick : « Il avait une gestion [de l’urbanisation] qui était de l’avarice ! On faisait des logements et on courrait derrière les équipements ! Je me souviens quand je suis arrivé à Haute-Roche, il y avait une école, et puis le reste c’était des préfabriqués, et puis on continuait à construire, et on répondait à la demande par des préfabriqués. C’était l’époque où il fallait construire, alors donc allons-y construisons là. Ça a été fait au coup par coup, il n’y avait pas de plan d’ensemble. » Plus, le nouveau maire s’appuie sur cette question des équipements pour œuvrer à stopper un nouveau projet d’habitat social : « Alors moi, j’ai arrêté tout ça. L’ancien maire avait lancé [en 1966] une ZAC [Zone d’aménagement concertée] avec 1 800 logements. Quand j’ai été élu, j’ai dit : on arrête tout ça ! Il a fallu une bagarre monumentale et finalement, on a fait mourir la ZAC de sa belle mort en 1974, donc ça a quand même pris du temps. Le problème c’était de pouvoir geler les terrains pour éviter tout et n’importe quoi, on avait mis une zone avec construction différée, le jour où y aurait les équipements. » Il justifie ainsi, dans un contexte de pénurie de logements, son refus d’un nouveau programme de construction de logements collectifs. Ce refus trouve aussi certaines de ses justifications par le biais de la dénonciation des « excès » des années 1960, contre les grands aménagements, attribués au dirigisme de l’État et au suivisme de la municipalité précédente. Il faut ainsi noter que le rejet de l’habitat collectif et social est acté dès les années 1970, face aux problèmes que commencent alors à relever les élus de nombreuses villes communistes, puisque l’on sait que les premières critiques des grands ensembles se font jour dès les années 1960 et le début des années 1970 (Tissot, 2003 : 123). Cette position trouve également certains de ses fondements dans la composition de l’équipe municipale de 1971, plutôt composée de techniciens (9 des 23 conseillers) et d’enseignants (4) que d’ouvriers (4)12, dont on sait que les premiers appartiennent aux catégories qui ont les premières opéré un mouvement de sortie des grands ensembles (Chamboredon et Lemaire, 1970). La prédominance d’élus des « classes moyennes salariées » parmi les élus renvoie aux inflexions repérées par ailleurs dans la composition sociale des réseaux militants du PCF au cours des années 1970, marquée par « l’adhésion accrue d’employés des services, de techniciens et d’enseignants » (Mischi, 2007 : 19), et pèse sur les orientations municipales en matière d’urbanisme, comme on va le voir. La ZAC du Perron : un programme d’accession destiné aux ouvriers ? C’est à partir des années 1980 que le volet urbanisme constitue un secteur d’intervention majeur pour la municipalité, qui s’en saisit pour affirmer sa volonté de se « réapproprier » un centre ville marqué par l’héritage des grands aménagements des années 1960, ainsi que pour affirmer sa capacité de décision et d’action malgré l’intégration de la 12 Tableaux d’installation des conseillers municipaux, scrutins de 1971, 1977, 1983, 1989, 1995 et 2001, archives municipales de Pierre-Bénite. Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 5 - commune à la communauté urbaine de Lyon13. Le premier grand projet municipal, lancé en 1981, porte la marque de ces orientations, puisque le maire déclare alors que « l’ère de l’emporte pièce est finie »14. Il s’agit désormais de respecter le cadre urbain et social, en réaction contre un urbanisme « d’État », au moment où la décentralisation dote les collectivités locales d’une capacité d’intervention nouvelle. La municipalité tient ainsi à maîtriser la réalisation de la ZAC du Perron, grâce à un effort financier important, afin de répondre à plusieurs objectifs, dont la modération du nombre des logements prévus15 et la prise en compte des équipements de proximité. Mais la caractéristique qui distingue ce projet des opérations antérieures en est principalement son orientation en faveur de l’accès à la propriété privée. Ce projet inaugure en effet la mise en œuvre d’une orientation précise en matière de politique du logement, avec la promotion de la propriété pour des ménages populaires. La « vocation sociale » de la ZAC doit ainsi permettre, pour le maire, l’accession des « ouvriers professionnels »16, car « le coût des logements y sera moins élevé que dans le privé »17. Cette politique vise ainsi à accompagner d’une certaine manière les aspirations à la promotion résidentielle portées par les ménages des classes populaires stables et des classes moyennes, dont on sait qu’elles sont aussi prises en compte par la CNL, ouverte depuis les années 1970 aux propriétaires, qualifiés de « locataires des banques » (Jolis, 2009). Au Perron, seuls 50 des 400 logements construits sont en location HLM, et à l’inverse, la maîtrise communale de l’opération doit permettre d’autoriser, par la modération des prix, l’achat de maisons de ville aux ménages d’ouvriers. Or, à une période où s’opère la réduction du nombre des emplois stables sur le site chimique et où les effets de la montée du chômage et du développement des emplois précaires se font sentir parmi les classes populaires, la référence aux ouvriers, si elle fonctionne comme une légitimation du projet municipal, conduit aussi le maire à rejeter d’autres catégories potentielles d’habitants. En 1981, celui-ci déclare : « Il faut être réaliste et honnête, on peut difficilement imaginer que les rêves d’accession à la propriété d’un chômeur puissent se réaliser, même ici. Par contre, les logements seront à la portée des ouvriers professionnels »18. Cette sélection des habitants, liée à la nature du projet, non sans conséquence sur le devenir du futur quartier, s’inscrit alors dans des efforts de promotion de la ville, appuyés sur la figure des ouvriers stables et qualifiés, qui constituent la fraction « respectable » de la population ouvrière, même s’ils sont loin d’être représentés de façon majoritaire au sein de la municipalité19. 13 Pierre-Bénite fait partie, avec 55 autres communes, de la communauté urbaine de Lyon, la Courly, créée en 1966 et devenue en 1989 le Grand Lyon, ce qui signifie pour la ville et sa municipalité une perte d’autonomie, notamment concernant les compétences que détient la communauté urbaine, l’urbanisme et l’économie. 14 Lyon Matin, 10 juin 1981, « Pierre-Bénite : à vocation sociale la ZAC du Perron sera adaptée au terrain », revue de presse de la bibliothèque municipale de Lyon. 15 Le premier projet tablait sur 260 à 300 logements, nombre qui sera finalement de 420, afin de satisfaire les équilibres financiers liés au coût du foncier. C’est l’OPAC du Rhône qui est l’aménageur de la ZAC, pour 100 logements en immeubles collectifs de moins de cinq niveaux, et environ 300 pavillons. 16 Lyon Matin, 10 juin 1981, art. cit. 17 La Voix du Lyonnais, 6 juin 1991, « Pierre-Bénite : le 20ème anniversaire de la municipalité », revue de presse de la bibliothèque municipale de Lyon. 18 Lyon Matin, 10 juin 1981, art. cit. 19 La construction des logements ne débute au Perron qu’en 1985, à la suite des procédures longues d’expropriations et de programmation financière au sein de la Courly. Jean-Marie Mick explique ainsi en 1984 que les retards sont dus à une longue période de mise en place de la communauté urbaine après les élections municipales, et que les élus communautaires ont hésité devant une ZAC à vocation sociale, alors que de nombreuses autres ZAC sont par ailleurs en déficit sur l’ensemble de la Courly. Informations municipales de Pierre-Bénite, avril 1984, « conseil municipal du 9 février : feu vert pour la ZAC » et Bulletin municipal, n°78, 1989, « La ZAC du Perron ». Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 6 - Le quartier du Perron, révélateur des évolutions de l’ancrage local des élus Et lorsque l’on se penche sur le devenir de ce nouveau quartier, on s’aperçoit que celui-ci révèle les évolutions qui ont affecté les profils des élus ainsi que les modalités de leur ancrage local. Car si les « ouvriers » apparaissent comme les destinataires privilégiés de cette opération, le quartier du Perron a aussi accueilli de très nombreux militants et élus à leur départ des logements HLM de Haute-Roche. La promotion de ce nouveau quartier et de l’habitat pavillonnaire en accession ont ainsi joué un rôle, parmi d’autres facteurs, dans l’approfondissement rapide de la « distance sociale » entre élus et habitants du quartier d’habitat social (Chamboredon et Lemaire, 1970). Il faut ainsi souligner que l’évolution du personnel politique municipal se poursuit depuis 1971, dans le sens d’une prédominance des élus issus des professions intermédiaires. Ainsi, seul un ouvrier est élu entre 1989 et 1995, et cette catégorie n’est plus représentée depuis au sein du conseil municipal. On compte à l’inverse parmi les conseillers municipaux de la majorité de 1995 de nombreux techniciens (7 sur 23) et des enseignants (3), ainsi que, du côté des classes populaires, des employés (7). Il faut également relever l’évolution des caractéristiques biographiques des élus de la majorité, qui en 1995, ont quasiment tous dépassé la quarantaine, à l’exception d’un étudiant âgé de 25 ans (alors qu’en 1971, parmi 23 élus, six avaient moins de 30 ans, et quatre moins de 36 ans, la moyenne d’âge des élus de la majorité étant ainsi passée de 38 ans en 1971 à 46 ans environ en 1995). Plus précisément, la construction de la ZAC a accompagné et favorisé le mouvement de sortie de la cité de nombreux élus. Alors qu’en 1971, une majorité de conseillers résidaient à Haute-Roche, il ne reste qu’un conseiller résidant avenue de Haute-Roche dans le conseil élu en 1995, un grand nombre des élus habitant désormais au Perron ou dans un lotissement construit en bordure du quartier de Haute-Roche (cf. carte 2). Et c’est finalement le Perron qui constitue, aux yeux du maire, le quartier le plus mobilisé en sa faveur lors des scrutins électoraux. Le clivage croissant entre les élus communistes et une part de plus en plus grande des habitants du quartier se traduit d’ailleurs par la constitution aux élections de 1995 d’une liste de jeunes habitants de Haute-Roche, souvent d’ascendance migratoire, liste qui obtient un élu au conseil municipal. Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 7 - Carte 1 : Les quartiers de Pierre-Bénite Le quartier de la Sémicle est formé de lotissements construits par un promoteur en bordure de Haute-Roche. Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 8 - Cartes 2 : Les lieux de résidence des élus du conseil municipal De plus, si les lieux de résidence des élus ont évolué, ce sont aussi les modalités de leur implantation locale qui se transforment. Le quartier du Perron est en effet loin de connaître des processus semblables à ceux qui ont suivi l’installation de ménages des classes populaires et moyennes à Haute-Roche à la fin des années 1960. Pourtant, une grande attention a été initialement portée par le maire aux conditions de développement d’une sociabilité au sein du nouveau quartier, selon le souci de « donner une structure vivante à la ZAC » : « J’ai dit : on met un architecte, c’était un de mes amis [lié au PCF], et ça nous permettait d’avoir une certaine unité dans la construction, mais surtout dans la distribution, on pouvait y circuler facilement. On a quand même un parc qui fait plusieurs hectares, dans une zone d’habitat ici près de Lyon, et il y a une petite maison de quartier. On ne parlait pas de repli à cette époque là, mais on disait qu’il fallait qu’il y ait des liens entre les différents secteurs. C’est à ça que l’on a travaillé avec l’architecte, qui a fait un travail considérable et très intéressant. » Mais peu de structures associatives voient le jour au sein de ce quartier. En témoignent Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 9 - l’institutionnalisation des actions culturelles et sportives, désormais promues et gérées par la municipalité, ainsi que les difficultés, signalées par le maire et rencontrées par une élue militante du PS, habitante du Perron, pour asseoir de façon durable une section du PS sur la ville. Ce sont donc aussi les modalités du militantisme local qui ont évolué, dans le sens d’un « désencastrement » vis-à-vis des sociabilités populaires et locales (Mischi, 2010), en même temps que ces sociabilités se transforment elles-mêmes, sous l’effet du développement de la précarité pour certaines fractions populaires, mais aussi des mobilisations familiales dans des trajectoires de promotion résidentielle et sociale. En second lieu, ce sont les efforts de promotion de la population « ouvrière » qui soustendaient l’opération du Perron, qui font aujourd’hui l’objet d’oubli ou de dénégation. Pour certains militants communistes, cette opération est aujourd’hui perçue comme ayant permis de freiner la concentration de ménages des classes populaires, qui pénalisait la ville par rapport aux communes plus aisées de l’ouest, comme l’explique un militant, venu s’installer en 1995 à Pierre-Bénite et travaillant depuis pour la municipalité : « Il y a beaucoup de cadres qui vont habiter plus loin [que Pierre-Bénite], car il y a toute une vieille tradition dans la vallée du Rhône, je vais être très schématique, mais ce n’est pas faux : vous avez le peuple qui est au bord du fleuve et la bourgeoisie sur les coteaux. (…) Mais il y a quand même des cadres qui habitent à Pierre-Bénite, parce que la commune a quand même veillé à construire des logements pour les cadres. Avec le Perron ? Oui, entre autres. » Les orientations politiques initialement promues sont également réinvesties par le maire dans le sens de l’affirmation d’une nécessité de diversification de la population, par la venue de ménages des classes moyennes stables ou supérieures : « Le Perron, ça n’a jamais été une opération sociale ! - (VG) Mais il y avait des articles où il était dit ZAC à vocation sociale, - Oui, mais parce qu’on voulait se démarquer, je dirai politiquement, de ce qui se passait à Saint-Genis Laval, à Oullins [communes de l’ouest, dirigées par des municipalités de droite], voilà. - (VG) Mais il y avait quand même la volonté de tenir des prix modérés, d’offrir… - Ha oui ! Mais enfin on ne peut pas appeler ça du social, bon on défendait une option politique, philosophique si vous voulez ! » Cette position s’appuie sur le constat d’une disparition progressive des ouvriers dans la commune : « Je dirai que depuis ça c’est modifié, parce que les ouvriers aujourd’hui sont très minoritaires. - (VG) Mais quand on regarde le recensement, il y a plus d’ouvriers habitant à Pierre-Bénite que dans le reste de la communauté urbaine. - Ha oui, mais le problème du recensement, quand un type il est au chômage où qu’il travaille, à un moment donné, à la question « qu’est-ce que vous êtes ? », il dit je suis ouvrier. Pour moi l’ouvrier, c’est celui qui est aux manettes, c’est pas le… (…) Le problème de la chimie, c’est que l’on se retrouve avec des emplois de plus en plus qualifiés, donc les gars ils ne sont plus ouvriers, ils sont techniciens. Il y a 10 ans le gars c’était un ouvrier, aujourd’hui c’est un technicien. (…) C’est pour ça que je pense qu’il faut oublier le discours politique. » Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 10 - Et ce discours légitime le fait que la promotion initiale des aspirations d’accès à la propriété des ménages des classes populaires stables se soit finalement traduite par l’accueil de ménages des « classes moyennes » : « Qu’on le veuille ou non, nous on avait essayé de jouer à la fois la maison de ville et puis la propriété, mais il faut quand même déjà un certain revenu pour pouvoir emprunter, et ce n’est pas très simple. Alors quand on dit les classes moyennes, moi je suis dans quelle catégorie ? (…) Est-ce qu’un enseignant c’est quelqu’un qui en fait partie ? Souvent [les gens qui sont venus habiter le Perron], c’était un couple qui travaillait. J’avais des élus qui habitaient dans la ZAC du Perron : il y en a une qui est infirmière, son mari travaille dans une boîte, alors ça faisait deux salaires. J’avais un adjoint, sa femme ne travaillait pas mais il avait quatre gosses, il travaillait à la SNCF, et bon il s’est saigné aux quatre veines pour pouvoir acheter. Donc il y avait un peu de tout. » Ces évolutions de la place accordée aux catégories populaires dans les politiques municipales renvoient à des changements plus généraux qui affectent les postures idéologiques adoptées par le PCF en France. On sait en effet que les années 1970 sont marquées par l’ouverture aux catégories moyennes et supérieures que représentent les techniciens et cadres, puis qu’au cours des années 1980, la promotion d’un discours appréhendant les catégories populaires à travers le prisme de la notion d’exclusion est porteuse de lectures du monde social d’où s’efface la référence aux classes (Mischi, 2007). Ces approches font l’objet de réappropriations locales20, qui dans le cas des élus de PierreBénite, se cristallisent au travers d’un clivage entre ménages des fractions stables des classes populaires et moyennes, et ménages jugés à l’inverse en situation précaire. Ce clivage, relevé dans les discours municipaux, amène alors à poser la question de la normalisation des politiques urbaines menées par les municipalités pierre-bénitaines, confrontées depuis les années 1980 à une série de changements : désindustrialisation et hausse de la précarité, évolution du peuplement de l’habitat social, transformation des sociabilités et démobilisation électorale d’une partie des classes populaires… Revaloriser la ville « par le haut » Depuis le tournant des années 1980 et 1990, le discours municipal sur la dynamique des quartiers s’avère basé sur des constats formulés uniquement en termes urbanistiques, ce qui renforce la mise à distance des questions sociales (Tissot, 2007). Le plan de référence, document d’urbanisme réalisé en 1992 en lien avec la communauté urbaine, est ainsi uniquement axé sur des considérations morphologiques. La commune y est présentée comme « un puzzle de territoires aux caractéristiques singulières », et l’on y parle ainsi de « points de tension », d’« espaces difficilement définissables », de « désordre de lisibilité et d’accessibilité » pour souligner l’absence de liens entre les différents quartiers. Cette situation résulterait « des actions exogènes [qui ont] bouleversé toujours davantage le territoire ». Dans une brochure éditée par la municipalité en 1991 à l’occasion des 20 ans de l’équipe Mick, le maire reprend les grandes lignes de ce diagnostic, alors en cours d’élaboration. Il affirme ainsi que l’autoroute et la déviation du centre, « certainement indispensables sur le plan économique, ont eu pour effet (…) de couper physiquement et socialement la ville en deux » et que la construction de Haute-Roche, « mal maîtrisée », a induit « une concentration 20 Dans le cas de Lanester, « fief » ouvrier et « bastion » communiste, Jean-Noël Retière (1994 : 99) montre également comment une lecture de l’« érosion de la classe ouvrière », liée à « la perception réductionniste d’un monde populaire (…) identifié à la seule classe ouvrière instituée et fortement mythifiée », autorise les élus à porter le projet « d’un centre-ville pour satisfaire les goûts et les besoins d’une population nouvelle, jeune ». Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 11 - importante de logements sur une surface bien trop faible et sans les équipements correspondants », avant de souligner que l’intégration « autoritaire » de Pierre-Bénite à la communauté urbaine a signifié la perte de « son autonomie urbanistique et en partie financière ». Il explique enfin : « un combat conséquent a été mené pour que notre ville ait son mot à dire dans la politique qui la concerne et dans celle de l’agglomération dont elle fait partie ». L’urbanisme est alors présenté comme un secteur d’intervention important, en lien avec l’affirmation du « droit au logement de qualité pour tous » portée par le premier adjoint21. Dans ce bilan de 20 ans d’actions municipales, les exigences communautaires incarnent un nouvel ordre extérieur contre lequel le maire a à se battre pour la satisfaction des intérêts communaux. Ce discours, qui vise à légitimer les interventions municipales en les différenciant des politiques précédentes, entérine pourtant la disparition progressive des catégories sociales dans les discours municipaux, et la mise à distance des ménages populaires du champ des préoccupations affichées par la municipalité. Ces évolutions reflètent progressivement l’inflexion qui se produit dans les orientations municipales, marquées depuis les années 1990 par le souci d’une recomposition par le haut de la population pierre-bénitaine. De la « reconquête » du centre à la gestion différenciée des quartiers Dans le sillage de l’opération du Perron, le maire affiche en 1985 l’ambition de continuer à intervenir de façon globale sur la ville. Il déclare alors dans la presse : « Cette opération s’inscrit dans le cadre plus vaste d’une volonté municipale de réussir notre ville et son devenir, avec, également, la concrétisation du projet de restructuration du centre ville, de réhabilitation de Haute-Roche, de réindustrialisation du site d’Yvours [zone industrielle restée en friche avec le départ d’un site Ugilor] (…) »22. La municipalité porte en effet dès le début des années 1980 des projets de « reconquête » du centre ancien, qu’il s’agit aussi, avec la ZAC du Perron en cours de réalisation, de « redynamiser »23, afin de rééquilibrer la répartition de la population sur le territoire communal, en contrebalançant la présence de plus de la moitié des habitants sur le quartier de Haute-Roche. Dans ce but, la municipalité prévoit alors de porter la population de la ville à 11 000 ou 12 000 habitants. Mais la complexité des procédures d’urbanisme ainsi que les arbitrages, liés à des rapports de force politiques, opérés au sein du Grand Lyon, ont par la suite conduit la municipalité à modifier la nature de ses interventions, pour mener des actions plus restreintes sur le cadre urbain. Cet ensemble de projets, réuni au sein d’une procédure Banlieue 89 au milieu des années 198024, n’a en effet pu aboutir dans sa globalité. Jacques Castelot, chargé de mission auprès du maire de 1992 à 2001, directeur de cabinet de la maire depuis, explique25 : « Je pense qu’à l’époque, sur les programmes de la communauté urbaine, il devait y avoir la fin de la ZAC du Perron, et les déficits à prendre en compte, enfin tout un tas de choses… (…) C’est passé par différentes étapes, et puis ça s’est toujours heurté à tout un tas de trucs. Tout d’un coup des élections qui bouleversaient les équilibres politiques, soit à la communauté urbaine, soit au niveau national. Pendant très longtemps ça a été un projet Banlieue 89, (…) puis en 1986 quand Chirac était revenu au gouvernement les projets 21 Ville de Pierre-Bénite, 1991, On n’a pas tous les jours 20 ans, 20 p. Lyon Matin, 6 mars 1985, « Le Perron, une ZAC à l’échelle humaine pour Pierre-Bénite ». 23 Foret C., 1982, Aménagement d’une zone de loisirs à Pierre-Bénite (Rhône). Étude préliminaire, mémoire de DESS d’Urbanisme, Université Lyon 2, Agence d’Urbanisme de la communauté urbaine de Lyon. 24 Bonazzi P., 1985, Pierre-Bénite quel Centre Ville ? Dossier préliminaire à une étude de réalisation, mémoire de DESS d’Urbanisme, université Lyon II. 25 Entretien du 30/04/2002. 22 Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 12 - Banlieue 89 avaient été abandonnés. Il a fallu repartir sur autre chose, il y a eu un projet Europan [en 1993], c’est un concours d’architecture plus qu’un concours d’urbanisme, donc ce n’est pas si évident que ça. » Du fait de ces ajournements successifs, la municipalité s’investit dans de nombreuses actions sectorielles, à partir du milieu des années 1990 (aménagement de places, de pistes cyclables, construction d’une médiathèque en 1998). Ce n’est qu’entre 1994 et 1999 qu’a lieu la réhabilitation de logements à Haute-Roche dans le cadre du contrat de ville, et qu’une Opération programmée d’amélioration de l’habitat communautaire permet, de 1993 à 1995, de subventionner des travaux au sein du parc privé du centre26. Or, ces modalités d’intervention, fortement différenciées selon les types de bâti et le statut de l’habitat des différents quartiers (Haute-Roche avec des immeubles collectifs d’habitat social et de copropriétés, le centre-ville avec un bâti ancien et un parc privé, et enfin le Perron et les autres quartiers pavillonnaires, cf. carte 1), participent à la production de discours sur ces quartiers, qui sont autant de formes de catégorisations de leurs populations, et concourent en partie, comme nous allons le voir, à renforcer la différenciation des modalités de peuplement selon les quartiers. C’est tout d’abord Haute-Roche qui est perçu comme un quartier « dégradé », au sujet duquel Jean-Marie Mick dresse un constat sans appel : « C’est vrai que Haute-Roche s’est dégradé au fur à mesure. (…) Maintenant la fracture elle existe : c’est pour ça, dire qu’on va modifier Haute-Roche, à part mettre en l’air la moitié du quartier, je ne vois pas très bien comment on peut régler le problème ! D’ailleurs j’étais encore maire quand j’avais dit il faut qu’on mette deux tours en l’air, celles qui sont les plus près de l’usine, alors qu’il n’y avait pas eu AZF encore. » L’affirmation de l’impossibilité d’agir pour ce quartier traduit ici un désinvestissement symbolique vis-à-vis de ce type d’habitat, qui constitue désormais un « problème » pour la ville, même si la municipalité y implante une halte-garderie. Les commissions d’attribution des logements sont alors un lieu d’opposition du maire face à l’OPAC et au préfet, opposition dont l’enjeu est pour le premier de maintenir un contrôle relatif sur le peuplement du quartier. La prise en compte des risques industriels fournit alors au maire un argument permettant d’exprimer le souhait d’une démolition complètes de deux immeubles. Cette question est également au centre du discours que tient l’urbaniste territorial de la communauté urbaine en charge du secteur de Pierre-Bénite, Michel Tarrazon27 : « Pierre-Bénite c’est une commune qui s’est dégradée petit à petit. D’abord est arrivé Atochem, (…) et puis après ça vous avez l’autoroute et c’est la fin de tout ! (…) Après, on lui a fait une autre blessure, de l’autre côté, c’est le boulevard de l’Europe, et on s’est retrouvé avec une espèce d’enclave, avec un mariage forcé entre l’industrie à risque et le centre. (…) Tout ce qui était coincé entre l’Europe et le Rhône, c’était l’horreur urbaine. On a voulu faire une opération sociale. On a pris les terrains les plus pourris, et on y a mis Haute-Roche. Les terrains n’étaient pas chers, ils étaient moins intéressants pour du privé, ils étaient en plus près des nuisances, qu’on sentait déjà venir avec Atochem, pas loin de la voie ferrée, de l’autoroute. » Se mêlent dans ces propos le diagnostic d’une ville « asphyxiée » et la stigmatisation 26 Contrat de ville de l’agglomération lyonnaise 1994-1998, projet de convention particulière, Pierre-Bénite, février 1995 et Bilan de l’OPAH intercommunale, Feyzin, Irigny, Pierre-Bénite, Saint-Genis Laval, Solaize, Vernaison, Arim du Rhône, 1996. 27 Entretien du 06/05/2002. Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 13 - du grand ensemble, exprimée de façon euphémisée par le biais des nuisances des infrastructures de transport et de l’industrie chimique. Ces discours passent ainsi sous silence le moment de la fin des années 1960, au cours duquel le peuplement du quartier n’est pas marqué par des difficultés sociales perçues de façon aussi prégnantes. La montée des préoccupations concernant le cadre de vie, et la dévalorisation frappant les territoires industriels concomitante de la mise en œuvre, à la fin des années 1980, des mesures de maîtrise de l’urbanisation dans les zones dites à risque, concourent ainsi, en lien avec la focalisation sur la catégorie des « quartiers » dans les politiques publiques (Tissot, 2007), à légitimer le retrait de la municipalité vis-à-vis de cet ensemble d’habitat collectif et social. Mais si Haute-Roche semble donc désinvesti, à l’inverse, le centre ancien fait l’objet d’une attention et d’investissements importants. La municipalité s’engage, au début des années 1980, dans une politique de préemption afin de constituer des réserves foncières en vue des projets de « reconquête ». Cette politique se poursuivit avec l’intention de freiner un mouvement de « paupérisation » diagnostiqué par les élus et les responsables administratifs, comme l’explique Jacques Castelot : « Sur le centre ville, justement pour éviter cette paupérisation, il y a eu une politique d’achat. On détient une grosse partie des commerces du centre, on a quand même un paquet d’immeubles,… […] C’était en préparation de toute cette politique de redynamisation du centre. Laisser partir certains immeubles c’était le risque qu’il y ait une paupérisation accentuée. Donc on a beaucoup acheté, oui. […] C’était souvent d’ailleurs une population vieillissante, et des propriétaires pas très riches, qui n’avaient pas entretenu le patrimoine et qui se retrouvaient… […] On a beaucoup investi sur un certain nombre de logements, qui font partie du patrimoine privé de la ville, où l’on a fait des travaux très lourds. À mon avis, on a quand même un peu renversé la vapeur sur le centre ville, même s’il y a encore des problèmes. » Le constat d’une dégradation du bâti du centre ancien est constamment relié par ce chargé de mission à la paupérisation de sa population. Cette vision est partagée et en quelque sorte légitimée là encore par les diagnostics de la communauté urbaine, selon le constat qu’en fait Michel Tarrazon, pour lequel les centres anciens des communes de première couronne constituent un parc ancien de logements sociaux de fait, accueillant une population en situation précaire. La commune s’est donc saisie de moyens financiers en grande partie issus de la taxe professionnelle pour mener une politique de rachat massif. Comme nous l’a expliqué Jean-Marie Mick : « J’avais acheté tout ce qui bougeait, à l’époque c’était difficile de préempter si on n’avait pas un argument juridique. Mais souvent, moi je disais au gars : tiens, tu me vends tant de terrain, et j’ai réglé des problèmes comme ça, parce que je connaissais les gens, j’allais les voir chez eux, on s’installait… Mais j’ai engagé la ville là-dessus ! » Cette politique vise aussi, progressivement, à tenter de maîtriser les évolutions du peuplement de la commune, ce qui implique pour la municipalité de poursuivre cette politique de logement social de substitution, à défaut de mettre en place un projet complet de « restructuration » du centre. Le maire justifie alors publiquement ces modalités d’intervention en signalant que « l’habitat est très dégradé » dans le centre et que « la commune achète des biens parce que les gens ne peuvent plus entretenir. Ils essaient de vendre et la ville se porte acquéreur »28. La différenciation des modalités d’intervention sur le 28 Compte-rendu de la réunion d’information sur la ZAC du centre, 4 janvier 1999. Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 14 - centre et le quartier de Haute-Roche apparaît alors clairement à la lumière de la négociation, menée par le maire face au préfet, du tracé des zones à risque, inscrites dans le Plan d’occupation des sols de la commune à la fin des années 1980. Si le devenir du grand ensemble est alors en grande partie gelé du fait de l’étendue de la zone de restriction de la constructibilité, le maire prend toutefois soin de préserver des marges d’action pour le centre ancien, dans lequel le tracé de la zone épouse le parcellaire des terrains29. Encadré 2. Les caractéristiques de la population des quartiers de la ville Les données par IRIS du recensement de 1999 permettent de relever les différences qui se sont établies entre les quatre principaux quartiers de la ville (le Perron-Garanjou, le centre, Haute-Roche ouest et Haute-Roche est), du fait de l’évolution des modalités de peuplement (cf. carte 2). Le Perron-Garanjou, avec 3 025 habitants, composé d’habitat pavillonnaire individuel, construit progressivement au cours du siècle pour la partie Garanjou et plus récemment pour le Perron, concentre la part la plus élevée de ménages de cadres et professions intermédiaires, qui s’y élève à 33% (sur le centre à 20%, sur Haute-Roche ouest à 12%, et sur Haute-Roche est à 19%). Le Perron-Garanjou est aujourd’hui le seul quartier de Pierre-Bénite qui connaît une hausse de sa population, ayant gagné, entre 1990 et 1999, 935 habitants. Les autres quartiers perdent quant à eux des habitants de façon significative : 179 pour le centre, 332 pour Haute-Roche. Le centre, représentant 1 879 habitants, est marqué par un vieillissement de la population, avec 38% de ménages retraités. Haute-Roche Ouest, avec 1 809 habitants, comptant 52% de ménages locataires en HLM, se caractérise par un chômage important, s’élevant à 22%, et par la présence de 26% d’étrangers. Enfin, Haute-Roche Est, avec 3 046 habitants, est également un quartier qui vieillit, marqué par la présence d’immeubles considérés comme des « copropriétés dégradées ». Signalons enfin que le pourcentage d’ouvriers est de 22% au Perron, 24 % au centre, et s’élève à 32 et 34% à HauteRoche Ouest et Est. Le Perron attire une population de ménages relativement aisés, et accentue en contre coup les écarts avec une population vieillissante et à faibles revenus du centre, et une population rencontrant des difficultés sociales à Haute-Roche. 29 Sur les rapports de la municipalité avec les évolutions du site chimique, de la promotion d’une « identité ouvrière » de la ville à la question des mesures de maîtrise de l’urbanisation (Girard, 2004). Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 15 - Carte 3 : les IRIS du recensement Insee À la suite de l’opération du Perron, action phare de la municipalité, ces modalités d’interventions, segmentées et spécifiques aux différents quartiers selon leurs caractéristiques urbaines, conjuguées aux évolutions sociales qui touchent la population de la ville, ont ainsi contribué à l’accentuation des clivages liés aux mécanismes de peuplement des différents quartiers, en renforçant les « processus de fragmentation socio-spatiale » relevés dans les territoires des anciennes « banlieues rouges » (Bacqué et Fol, 1997 : 202). La ZAC du centre : « diversifier » l’offre de logements À la fin des années 1990, le maire œuvre à la réalisation de sa dernière grande opération, une nouvelle ZAC de logements en accession, en bordure du centre ancien, dont les objectifs portent sur la « redynamisation du centre-ville » par « la diversification de l’habitat ». Ce dernier point est conforme aux orientations du Plan local de l’habitat, un document de cadrage rédigé en 1998 par la communauté urbaine en concertation avec la commune, selon lequel « il s’agit à la fois de satisfaire le maintien sur place d’habitants ne trouvant pas de bonnes conditions de logement, mais aussi d’attirer de nouvelles populations susceptibles de rééquilibrer et redynamiser la composition sociodémographique du centre ». La nouvelle ZAC se présente ainsi comme un « programme de logements diversifiés » devant Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 16 - offrir une alternative au parc ancien30. Le projet de la municipalité est alors clairement axé sur l’idée que la « diversification » du parc représente le moyen d’améliorer la situation de la ville, en permettant l’installation de ménages aisés, comme l’explique le maire : « Si on met des gens qui n’ont pas de ronds, qui sont endettés jusqu’au cou, ça ne va pas faire travailler le commerce local, ça c’est certain. En revanche, si on amène des gens qui ont un revenu qui n’est pas bouffé à 50 % par les remboursements, ils vont aller s’acheter leur pain ici, le dimanche ils vont peut-être acheter des croissants, il y a le cinéma en face, donc ils vont aller au cinéma… Ça fait vivre localement les choses. » Ce nouveau projet signe donc l’abandon d’un discours de promotion d’une « identité » ouvrière de la ville et des politiques affichées comme prioritairement destinées aux ménages ouvriers. Et si le dynamisme municipal en matière d’aménagement urbain se perpétue, il se fonde désormais sur la volonté affirmée d’attirer des ménages aisés, afin de revaloriser l’image sociale de la ville. Ce projet traduit ainsi le souhait d’une recomposition par le haut de la population, qui s’inscrit dans un mouvement général relevé également dans d’autres villes de banlieue dirigées par des maires communistes31. Mais ce repositionnement, largement promu par Jean-Marie Mick, ne va pas sans tensions au sein de l’équipe municipale, notamment auprès d’autres élus communistes. Celles-ci se cristallisent sur le choix du maître d’œuvre de la nouvelle ZAC, le maire préférant choisir une société privée d’aménagement, plutôt que l’OPAC : « Ça fait partie de mes difficultés avec la maire actuelle, elle voulait avoir l’OPAC, et moi j’ai dit non. Je parle en toute connaissance de cause, parce que, à l’époque, Mireille Elmalan était ma première adjointe, elle avait dit on va mettre en péril notre équilibre politique. J’avais dit non, pas du tout ! La meilleure preuve, c’est que c’est [au Perron] que je faisais mon meilleur score ! Parmi des gens qui ne me connaissaient pas quand ils sont arrivés à Pierre-Bénite, […] mais les gens sont rassurés quand ils trouvent un maire qui sait prendre ses responsabilités… Dans pas mal d’endroits, c’est d’ailleurs ce qu’on a appelé un peu le communisme municipal, on s’est aperçu que ce n’était pas dans les couches les plus défavorisées que les maires communistes trouvaient leur électorat. » Cette normalisation des actions municipales ainsi que cette dépolitisation du discours ne peuvent se comprendre indépendamment des ressources politiques que le maire a accumulées au cours d’une carrière politique locale de notabilisation. Au fil de ses réélections successives, c’est en effet l’autonomisation de son capital politique par rapport au cadre partisan qui s’opère32, même si celui-ci reste adhérent du PCF, à la différence d’autres élus de l’agglomération. À l’inverse, la carrière politique de sa successeure apparaît fortement liée au militantisme partisan. Mireille Elmalan est née en 1949. Sa mère, militante communiste, s’installe à Pierre-Bénite en 1966, et est adjointe en charge des affaires sociales de la municipalité. Au scrutin de 1983, Mireille Elmalan lui succède et devient également adjointe aux affaires sociales. Employée, elle s’engage toutefois dans une carrière de 30 ZAC du centre, Dossier de réalisation, rapport de présentation, avril 1999, communauté urbaine de Lyon. À Saint-Denis, Marie-Hélène Bacqué et Sylvie Fol (1997 : 103) montrent également que « les évolutions des politiques locales et des discours municipaux se comprennent comme des adaptations à la réalité sociale des villes et en particulier à la fragilisation du groupe ouvrier. Elles traduisent également la transformation progressive de l’image sociale de ces communes de banlieue, tiraillées entre un processus de paupérisation, et un autre, inverse, de diversification sociale "par le haut" ». 32 Sur la trajectoire politique du maire communiste de Montreuil, et la façon dont celui-ci concilie, dans l’exercice du « métier politique », registre partisan et registre de la proximité locale (Briquet, 1994). 31 Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 17 - professionnalisation politique puisqu’elle est députée européenne de 1989 à 1999, avant d’être tête de liste aux élections municipales de 2001, se présentant dans le matériel électoral comme technicienne. Son parcours politique est donc plus fortement lié au cadre partisan que celui de Jean-Marie Mick, et sa désignation comme première adjointe et future tête de liste s’inscrit sans doute, en partie, dans l’effort de féminisation du personnel politique porté au sein du PCF. Les tensions évoquées par l’ancien maire au sujet de l’électorat de la municipalité s’inscrivent donc dans le cadre d’une opposition entre élus aux capitaux politiques différenciés, dont les orientations politiques portent la marque, dans un contexte d’effritement progressif de l’implantation du PCF dans la ville33. C’est ainsi que l’on peut comprendre les évolutions impulsées par la maire actuelle, notamment dans la gestion des propriétés communales du centre ancien. Mireille Elmalan fait en effet le choix d’en confier la gestion à l’OPAC du Rhône, quant à l’inverse, son prédécesseur souhaitait maintenir un contrôle direct de la municipalité sur ce parc communal34 : « On a eu une politique de préemption pour aménager le centre ville. (…) Mais des bâtiments qui sont très vieux, ça coûte très cher à la ville. En plus, je trouve qu’une ville ce n’est pas sa vocation d’être loueur d’appartements. Aujourd’hui on travaille avec l’OPAC pour éventuellement leur mettre en gestion tout notre patrimoine, soit en bail, soit … Pour que ce soit une gestion sociale ? Voilà, parce que ce n’est pas notre boulot d’être gestionnaires d’appartements, on gère un budget mais… » Le discours de son directeur de cabinet reflète aussi ce souci de maintenir les populations du centre ville, à l’occasion d’une opération récente de réhabilitation : « Les gens qui étaient dans ces immeubles ont été relogés dans ces immeubles. Et on a une politique justement d’adaptation des loyers aux possibilités des gens de façon à ce qu’ils puissent rester dans ces logements quand même. L’idée n’était pas non plus de vider le centre ville de sa population et de mettre une population plus riche dans ces apparts, […] de remettre tout à neuf et d’avoir un apport de populations plus riches. C’était surtout de pouvoir faire des travaux sur ces immeubles. » De la même façon, la maire, ralliée au discours de la mixité sociale, promu notamment par le ministre communiste Jean-Claude Gayssot, tient en entretien des propos moins radicaux sur la situation de Haute-Roche que l’ancien maire. Ainsi, l’accès au pouvoir d’une nouvelle maire semble marquer la fin du recours, au moins dans les discours publics, à la diversification par le haut du peuplement de la ville, et ce sans doute également dans le but de distinguer les politiques menées par les élus communistes de celles portées par l’opposition de droite, dont l’audience a grandi auprès de certaines fractions de la population. À travers l’analyse des modalités d’interventions municipales à Pierre-Bénite, nous avons souhaité mettre en évidence la façon dont les actions du maire communiste, qui dirige la ville pendant 30 ans, ont principalement porté sur la promotion de l’accès à la propriété 33 Les élections de 2001 sont en effet marquées par de forts enjeux, puisque la presse locale pronostique le passage de la ville à la droite. Et si la liste conduite par Mireille Elmalan est finalement élue, l’écart du nombre de voix obtenues face à la liste d’opposition affiliée à droite (172 voix séparent les scores des deux listes) est plus faible qu’en 1995 (448 voix). 34 Entretien du 21/05/2002. Acte des journées "Les territoires du communisme" CHS - Paris 1, décembre 2009 - 18 - privée, un type d’orientations peu souvent soulignées concernant les politiques menées par des élus communistes. Initialement portées selon une logique de promotion de la population ouvrière stable de la commune, ces actions se sont ensuite redéfinies, au cours des années 1980 et 1990, dans le sens d’efforts destinés à revaloriser l’image sociale de la ville, afin d’y attirer des ménages des classes moyennes et supérieures. L’offre de logements privatifs constituée par les actions municipales a contribué à renforcer la différenciation sociale des dynamiques de peuplement des quartiers de la ville, et notamment à favoriser la désaffection dont fait l’objet un quartier d’habitat collectif et social. Pour autant, ces évolutions ne doivent pas être comprises comme linéaires, car elles renvoient également au type de capitaux politiques dont disposent les élus : si l’ancien maire s’appuyait sur sa légitimité et sa notabilité personnelles, acquises à la tête d’une commune qu’il préfère qualifier de « ville de gauche » que de ville communiste, l’arrivée de sa successeuse, inscrite dans le jeu de ressources et de contraintes d’une carrière et d’une professionnalisation politique liée au parti, signe le retour au début des années 2000 d’orientations, ou du moins de discours municipaux, plus soucieux des catégories populaires résidant dans la commune. Le rétrécissement de l’implantation municipale du PCF dans l’agglomération lyonnaise semble ainsi entraîner, avec l’entrée sur la scène municipale d’une élue dont la carrière est liée au militantisme partisan, une prise de distance vis-à-vis des projets dédiés à la venue de ménages des catégories supérieures. 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