L`Approche philosophique du bonheur - UTL

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L`Approche philosophique du bonheur - UTL
Dominique GOUR Conférence UTL
APPROCHE PHILOSOPHIQUE DU BONHEUR
INTRODUCTION
L’idée de bonheur peut paraître, à première vue, mal en point. Nous sommes
plutôt dans un climat de morosité, d’incertitude, d’angoisse même pour
certains, de montée des extrémismes, de crainte pour la préservation de notre
planète. Et pourtant, le bonheur reste un thème omniprésent dans la culture
ambiante, sans doute parce qu’il est en même temps personnel et universel. Il
nous concerne tous. Pascal disait que « tous les hommes recherchent d’être
heureux, cela sans exception ». On peut évoquer le bonheur de multiples
façons.
Par exemple, de nombreux romans parlent du bonheur, jusque dans leur titre
( Zola Au bonheur des dames ; Madeleine Chapsal Le retour du bonheur).
Des films ont eu un grand succès avec ce sujet (La mélodie du bonheur ; Le
bonheur est dans le pré).
Le bonheur intéresse aussi les enquêtes économiques qui sondent
régulièrement les citoyens sur leur perception du bonheur (ou du bien-être) en
fonction de critères définis.
La philosophie n’est pas en reste avec de nombreux titres parus récemment
sur ce thème (P Bruckner ; M Ricard ; A Comte Sponville ; F Lenoir ; R Pol
Droit…). Ces philosophes contemporains ne font que prolonger une longue
tradition philosophique, allant des philosophes grecs à la tradition bouddhiste,
où l’idée de bonheur occupe une place centrale et contrastée dans la réflexion
sur la condition humaine.
On peut se demander pourquoi cet intérêt pour le bonheur est si cher à
l’homme d’aujourd’hui, comme il l’a été à d’autres époques. Est-ce en lien avec
la situation de crise de nos sociétés, avec le besoin de repères, celui de se
prouver que la vie vaut la peine d’être vécue, malgré tout ? On peut se
demander aussi de quel type de bonheur nous parlons quand nous parlons de
lui.
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Au cours de ma recherche sur le bonheur, j’ai retenu quelques questions
philosophiques qui se posent à propos de cette idée :
 Le bonheur est-il un sentiment éphémère ou bien peut-il être un état
durable ? Nous savons tous que la vie n’est pas un long fleuve tranquille,
alors n’est-il pas préférable de parler de moments de bonheurs plus ou
moins accessibles à chacun d’entre nous plutôt que de prétendre à un
bonheur durable ?
 Le bonheur dépend-il de conditions extérieures favorables, ou bien est-il
un état d’esprit empreint de sérénité intérieure susceptible de résister
aux souffrances de la vie ?
 Le bonheur est-il purement individuel ou peut-on parler d’un bonheur
collectif accessible à tous, même de manière différente ? Autrement dit,
peut-on concevoir le bonheur uniquement pour soi sans se préoccuper à
minima du bonheur des autres ?
J’aborderai cette approche du bonheur avec trois angles d’attaque différents :
1. Une approche étymologique, en interrogeant le sens du mot bonheur et
en essayant d’en dégager la signification par rapport à des notions
approchantes, celles de plaisir, d’euphorie et de joie
2. Une exploration de conceptions philosophiques du bonheur de
l’Antiquité à nos jours, situées dans leur contexte historique ;
3. Un questionnement philosophique sur des problèmes que pose le
bonheur en regard de notre rapport à la vie.
I)
APPROCHE ETYMOLOGIQUE DU BONHEUR
 Le mot français « bonheur » vient du latin « bonum
augurium », autrement dit ce qui est de bon augure et de bon
présage. « Augurium » vient du verbe « augere » signifiant
augmenter, faire croître, donner la force de surgir et d’exister
(Odon Vallet « Petit lexique des mots essentiels »). L’idée que
dans le bonheur existe une part de chance et de
développement est attestée par l’étymologie.
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 En grec « eudaimonia » peut s’entendre comme être né sous
une bonne étoile. Ce mot a le sens de floraison,
épanouissement, accomplissement, grâce.
 En anglais, « happiness » est issu d’une racine signifiant «
chance ».
Comme l’écrit F Lenoir « il y a bien une part importante de
« chance » dans le fait d’être heureux : ne serait-ce parce que
le bonheur tient à notre sensibilité, (…) au milieu familial et
social dans lequel nous sommes nés et avons grandi, à
l’environnement dans lequel nous évoluons, aux rencontres
qui jalonnent notre vie » (Du bonheur Un voyage
philosophique). Mais on peut se demander si la chance vient
indépendamment de nous et s’il ne faut pas aussi savoir la
saisir, la faire fructifier.
De cette première approche étymologique, on peut tirer deux
idées complémentaires : d’une part, il semble que nous
soyons enclins par nos conditions initiales d’existence ou par
notre destin à être plus ou moins heureux ou malheureux,
mais d’autre part nous portons aussi une certaine
responsabilité dans le fait d’être heureux ou de ne pas l’être.
« Nous sommes conditionnés mais pas déterminés à être plus
ou moins heureux » (F Lenoir P 11).
Bonheur et notions proches
Quand on consulte les définitions les plus courantes données
à la notion de bonheur, on l’assimile à un état de complète
satisfaction qui inonde l’ensemble de la vie d’un être.
 On distingue souvent bonheur et plaisir, le plaisir étant censé
venir d’événements extérieurs et considéré comme
éphémère. Comme dit M Ricard : « le plaisir s’épuise à
mesure qu’on en jouit » (Plaidoyer pour le bonheur). Or si le
bonheur peut être influencé par des circonstances extérieures,
il n’y est pas soumis. Beaucoup considèrent donc le plaisir et
le bonheur comme des sensations de nature et de niveau
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différents. De plus, la répétition et la recherche effrénée de
plaisirs peuvent conduire à la dépendance.
 Le bonheur est aussi distingué de l’euphorie, qui est
une « impression de bien-être général » (Robert) provoquée
par exemple par un sentiment de gloire ou de richesse
soudaine. Il y a une nette différence entre la joie profonde qui
est la manifestation du bonheur et l’euphorie, par essence
furtive.
 La différence entre bonheur et joie est plus subtile. La joie
peut être la résultante du bonheur, quand on parle de joie de
vivre par exemple. La joie est souvent relative à un objet
précis, par exemple la création artistique. C’est un
mouvement de légèreté qui inonde l’être.
La joie est dotée de deux caractéristiques :
-Elle est gratuite. D’après André Gide « on appelle bonheur un
concours de circonstances qui permet la joie. Mais on appelle
joie cet état de l’être qui n’a besoin de rien pour se sentir
heureux ».En ce sens, la joie est inconditionnelle alors que le
bonheur a besoin de conditions (intérieures et extérieures).
-Elle est entière. Elle implique corps et esprit. A l’inverse du
plaisir ou de la jouissance, qui, le plus souvent, ne touchent
qu’une partie de nous-même. En ce sens, la joie peut toucher
quiconque, que l’on soit actif ou contemplatif, solitaire ou
entouré, riche ou pauvre. Au contraire du bonheur, qui paraît
moins accessible.
Par ailleurs, on distinguera la joie du bonheur en ce qu’elle
ne possède pas la permanence et la continuité attribuées au
bonheur.
En résumé, une exploration étymologique de la notion de bonheur fait
ressortir les idées de chance, de conditions de vie, de promesse,
d’épanouissement, d’état plus durable que le plaisir et l’euphorie. On note une
certaine parenté avec la joie ; la joie semble plus accessible au plus grand
nombre, mais une idée de plus grande constance et de globalité est attribuée
au bonheur. Si le bonheur ne se conçoit que dans la durée, il semble qu’il n’en
existe que deux modalités : la promesse, voire l’idéal, et la récompense.
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I) LES GRANDS COURANTS PHILOSOPHIQUES SUR LE BONHEUR
A) Les sagesses grecques : le bonheur s’expérimente par la pratique
a) ARISTOTE (384-322av J-C)
Aristote a été disciple de Platon mais s’en est détaché pour fonder sa
propre école, le Lycée. Il s’est intéressé à tous les aspects de la réalité,
la biologie, la physique, la métaphysique, mais aussi l’éthique et la
politique.
Aristote a situé d’emblée le bonheur à un très haut niveau puisqu’il représente
pour lui le but ultime de l’existence.
Aristote dit que la recherche du bonheur est le « souverain bien », c’est-à-dire
ce que chacun désire, non en vue d’une autre chose (par exemple l’argent pour
le luxe) mais pour lui-même. Comment atteindre le bonheur ? Dans L’éthique à
Nicomaque, il nous dit que c’est dans l’accomplissement de sa fonction propre
que l’homme peut accéder au bonheur.
De quoi le bonheur se compose-t-il ?
1. La première place revient à la sagesse, dont l’aspect le plus élevé chez
Aristote est la recherche désintéressée de la vérité par l’intelligence
rationnelle. Selon lui, la vie la plus heureuse et la plus réussie est une vie
consacrée à la connaissance désintéressée.
2. En second lieu, la voie du bonheur est aussi celle de la vertu. La vertu,
c’est l’excellence, c’est-à-dire le fait d’exécuter parfaitement une
fonction (par exemple un œil qui voit très bien est « vertueux »). Pour
nous, hommes, exercer la vertu, c’est exercer au maximum de nos
possibilités nos qualités humaines, c’est se conduire de manière éthique.
Pour atteindre le bonheur, la vertu pour l’homme ne consiste pas à
briller de mille feux, mais au contraire à rechercher le juste milieu entre
deux extrêmes. Par exemple, vivre courageusement c’est rechercher le
juste milieu entre les deux extrêmes que sont la lâcheté et la témérité.
Alexandre Jollien, dans le numéro de novembre 2014 de Philosophie
Magazine, commente cette notion de courage chez Aristote. Il dit « Etre
courageux, ça s’apprend : la vertu morale n’est pas innée. Comment un
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nourrisson pourrait-il naître courageux, patient, tempérant ? La vertu
s’acquiert par l’habitude, l’éducation(…). Dans notre société, on valorise
beaucoup l’héroïsme, le coup d’éclat. Mais il faut beaucoup de courage
pour vivre au quotidien, assumer une maladie, sortir d’une dépression,
aller au travail, mener une vie de couple. »
3. Le bonheur est aussi lié à la recherche du plaisir, à condition de ne pas
considérer seulement les plaisirs corporels. Il y a d’autres plaisirs que
ceux du corps : l’amour, l’amitié, le fait de se montrer juste et
compatissant
En dehors de ces trois ingrédients du bonheur, Aristote ajoute encore la
santé, les dons gratuits de la fortune, c’est-à-dire une certaine part de
chance.
On le voit donc, le bonheur chez Aristote est chose complexe. C’est un
composé de plaisir et d’intelligence, d’acquis mais aussi de conduite
éthique et citoyenne (il faut aussi créer le bonheur commun des
citoyens). Le bonheur, même s’il s’inscrit dans la nature de l’homme,
n’est pas acquis d’avance. Il s’acquiert à travers l’expérience et la
patience.
b) LE BONHEUR D’APRES EPICURE (341-270 av JC)
Epicure est issu d’une famille modeste de l’île de Samos et vécut à
Athènes. La cité était agitée par les émeutes et les complots politiques.
Aussi Epicure préférera rester à l’écart de cette agitation et créera un
lieu de vie, le Jardin, qui fut un espace de rencontres amicales où il faisait
bon se réjouir ensemble et philosopher dans une atmosphère détendue.
Quels sont les grands traits de sa philosophie ?
1. Il faut se libérer de toutes craintes inutiles, notamment les deux les
plus importantes, celles des dieux et celles de la mort.
2. Le plaisir bien compris permet d’accéder au bonheur.
Epicure opère une distinction entre trois sortes de désirs :
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a) Les désirs naturels et nécessaires ;
Ils sont nécessaires à la vie elle-même (manger, boire), au bien-être
du corps (avoir des vêtements et un toit) et au bien-être de l’âme
(l’amitié, la philosophie).
b) Les désirs naturels et non nécessaires (cuisine raffinée, beauté des
vêtements, confort de l’habitat). Concernant ces désirs (dont le désir
sexuel), il n’y a pas lieu d’y renoncer totalement, mais il faut veiller à
ne pas en être esclaves.
c) Les désirs qui ne sont ni naturels ni nécessaires (pouvoir, honneurs,
grand luxe…). Ces désirs sont illimités et vains. Ils nous vouent
irrémédiablement à l’insatisfaction : vous n’aurez jamais assez
d’argent, de pouvoir ni de gloire.
Les seuls désirs absolument bons sont les désirs naturels et nécessaires. Il suffit
de les satisfaire pour être heureux. « Grâces soient rendues à la bienheureuse
Nature qui a fait que les choses nécessaires soient faciles à atteindre et que les
choses difficiles à atteindre ne soient pas nécessaires » (Epicure Fragment 469).
3. Une éthique de la modération
Pour être heureux, il est impératif à la fois de renoncer à certains plaisirs et de
limiter ceux qu’on s’autorise.
c) LE BONHEUR D’APRES LES STOÏCIENS
Le stoïcisme fut l’un des grands courants de l’Antiquité gréco-romaine.
Il s’est déployé durant cinq siècles, de Zénon de Cittium qui vécut en
Grèce (4ème s av J-C) jusqu’à Sénèque, Epictète et l’empereur Marc
Aurèle (121-180 ap J-C) qui vécurent sous l’Empire romain.
Les stoïciens étaient fascinés par l’ordre qui se dégage du cosmos. Ils
identifiaient cet ordre à la divinité. Ils pensaient que le modèle de
notre comportement devait être de se conformer le plus possible à
l’ordre du monde, qu’ils appelaient le Logos, ou encore la raison
divine.
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Le pilier central de la pensée stoïcienne est la distinction, que l’on
doit à Epictète, entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend
pas.
Si l’on veut parvenir au bonheur et à la sagesse, il faut désirer ce qui
dépend de nous, ce sur quoi on peut agir, et délaisser ce qui n’en
dépend pas, qui nous laisse impuissant. Il ne nous appartient pas de
choisir ce qui ne dépend pas de nous, notre corps, les biens extérieurs,
les honneurs, etc. Mais il nous appartient de changer ce qui dépend
de nous : nos opinions, nos désirs, nos aversions…
C’est de cette confusion entre ces deux ordres que vient la souffrance
des hommes. Autrement dit, c’est le désir entièrement tourné vers le
plaisir qui est la source de tous nos maux. Au désir, les stoïciens
préfèrent la volonté et la liberté du jugement qui peut s’affranchir
des conditions extérieures. C’est la volonté lucide et rationnelle (ou
liberté intérieure) qui conduit au bonheur.
Citons trois extraits du Manuel d’Epictète : « Tu espères que tu seras
heureux dès que tu auras obtenu ce que tu désires. Tu te trompes. Tu
ne seras pas plutôt en possession, que tu auras mêmes inquiétudes,
mêmes chagrins, mêmes dégoûts (…). N’attends pas que les
événements arrivent comme tu le souhaites, décide de vouloir ce que
tu veux et tu seras heureux(…).
Devant ce qui t’arrive, pense à rentrer en toi-même et cherche quelle
faculté tu possèdes pour y faire face ».
Il faut donc toujours savoir utiliser sa marge de liberté en fonction
d’une situation donnée.
Le stoïcisme et l’épicurisme définissent donc la philosophie comme une
thérapeutique contre les malheurs de l’existence humaine, qu’ils soient dus au
monde extérieur ou au sujet lui-même. Parmi les critiques qui leur ont été
faites, figurent l’extrémisme éthique et celle d’une conception élitiste de la
sagesse et du bonheur (critique adressée aussi à Aristote).
Cependant, on retrouve beaucoup d’accents modernes et actuels dans leurs
approches du bonheur :
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- une mise en valeur de la qualité des relations humaines, donc du lien social
- l’importance accordée au respect de la Nature et de tout ce qu’on peut tirer
d’elle
- la critique de la recherche d’une satisfaction infinie des désirs (risques de
l’addiction)
- l’importance du discernement entre ce qui est bon pour nous et tout ce qui
peut être source de souffrances
B) PASCAL ET LE BONHEUR : L’HERITAGE DU MOYEN-ÂGE
Pascal (1623-1662) va prolonger et formaliser l’idée que le Moyen-Âge, dominé
par l’influence du christianisme, a pu se faire du bonheur. Il juge le bonheur
inaccessible dans notre vie humaine sans le recours à la foi chrétienne.
Il affirme que nous ne pouvons jamais vivre le bonheur au présent, que nous
passons notre vie à l’attendre ou à craindre qu’il ne dure pas.
La recherche du bonheur n’est qu’une illusion, une façon de fuir notre présent
angoissant, dans ce qu’il appelle le divertissement- dans l’alcool, le bruit, le
travail ou le jeu… la dignité de l’homme réside dans sa pensée, mais la pensée
ne peut pas tout. Seul Dieu peut nous sauver et, sans Lui, l’homme est
misérable.
Selon Pascal donc, il faut chercher le bonheur dans la religion chrétienne : « Il
n’est de bonheur dans cette vie, que dans l’espérance d’une autre vie »
(Pensées). Contrairement à ce que croit la philosophie, l’homme ne peut
obtenir bonheur et sagesse par lui-même, il a besoin du soutien de Dieu.
Il faut miser sur Dieu. Cela ne prouve pas qu’il existe mais que l’on a intérêt à y
croire. « Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez
rien(…) C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce qu’est la foi : Dieu
sensible au cœur, non à la raison » (Pensées, 278)
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C) LE BONHEUR SELON MONTAIGNE (1533-1592) : un humanisme mesuré
Avec la naissance de l’humanisme à la Renaissance, de grands penseurs
(Erasme, Montaigne) ont voulu laïciser le bonheur en le faisant revenir sur terre.
La philosophie moderne, qui se développera au 17ème siècle, notamment avec
Descartes, affirmera l’indépendance et le pouvoir de la raison humaine.
Penseur incarnant l’esprit de la Renaissance, Michel de Montaigne a fait des
études de droit et fut maire de Bordeaux pendant 5 ans. Sa vie s’est déroulée
dans un contexte historique violent et troublé : épidémies, famines, guerres de
religion. Ce contexte eut une forte influence sur sa pensée.
Montaigne fut nourri de la lecture des sages grecs, mais il estimait que leur
idéal de sagesse n’était pas imitable par tout un chacun. Comme Socrate, il se
veut citoyen du monde, ne faisant pas de différence entre les
hommes : « J’estime tous les hommes mes compatriotes, et embrasse un
polonais comme un français, subordonnant cette liaison nationale à
l’universelle et commune » (Essais). Son idéal est humaniste, non au sens d’une
religion mais d’une morale « Il n’est rien si beau que de faire l’homme et
dûment ».
Sa philosophie du bonheur se résume en quelques principes :
 Savoir jouir de la vie
La vie est un bien trop précieux pour penser à autre chose qu’elle. Montaigne
s’efforce de se réjouir des menus plaisirs de la vie. Chaque individu doit pouvoir
trouver lui-même la voie du bonheur qui lui convient, en fonction de ce qu’il
est, de son caractère, de sa constitution physique, de ses forces et de ses
faiblesses. « C’est une absolue perfection de savoir jouir loyalement de son
être(…). Les biens de la fortune, encore faut-il avoir du sentiment pour les
savourer. C’est le jouir, non le posséder qui nous rend heureux » (Essais, I, 42).
 Savoir recevoir ce que la nature nous donne
Pour Montaigne, la sagesse consiste à recevoir les présents que la nature nous
fait à chaque instant. Il déteste les esprits chagrins qui grognent et se plaignent
parce qu’ils vieillissent et tombent malades.
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Nous cherchons constamment notre bonheur en nous projetant dans le monde
extérieur et matériel, alors qu’il ne peut être trouvé qu’en nous, dans la
satisfaction profonde que nous pouvons tirer des plaisirs simples de la vie.
 Se connaître soi-même
Ce qui importe, c’est de connaître sa vraie nature, ce qui est bon pour nous.
Montaigne nous convie à réapprendre à penser par nos sens, à partir de nos
expériences, de l’observation de nous-mêmes.
Le vrai projet éducatif devrait consister à apprendre à l’enfant à développer
son jugement. Car la chose essentielle pour mener une vie bonne et heureuse,
c’est de savoir discerner et bien juger.
D) LES PHILOSOPHES DU SIECLE DES LUMIERES ET LE BONHEUR
Le 18ème siècle est celui où la liberté se crée et explose. C’est aussi un
siècle de développement, où l’état sanitaire de la population s’améliore,
où sciences et techniques progressent. Dans ces conditions, vont
apparaître au premier plan les idées de progrès et de bonheur.
 Ainsi, Voltaire (1694-1778) croit-il en un homme nouveau.
L’homme est en marche vers le bonheur grâce au développement
des sciences et à l’essor économique. Selon Voltaire, le progrès
technique et matériel entraîne un mieux-être moral et
l’accomplissement du bonheur se fait ici-bas. Il faut profiter de la
seule existence dont dispose l’homme, l’existence terrestre. « La
grande affaire et la seule qu’on puisse avoir, c’est d’être heureux »
(1722). Voltaire exalte un bonheur proche des épicuriens : « Le
bonheur est un mot abstrait composé de quelques idées de
plaisir ».
 A l’opposé, Rousseau (1712-1778) voit dans le progrès l’aliénation
de l’homme. A l’encontre de la confiance en un bonheur matériel à
venir, il rêve d’un paradis perdu qui garantirait à l’homme une
innocence originelle. On connaît sa nostalgie pour la nature : la
sensibilité et l’émotion sont pour lui sources de ravissement.
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 Enfin, on s’intéresse également aux possibilités d’un bonheur
collectif. Le bonheur s’inscrit dans un débat politique avec
Montesquieu (1689-1755), pour qui le meilleur gouvernement est
celui qui apporte le plus de bonheur. On commence donc à
articuler bonheur individuel et bonheur collectif.
E) Le 19ème SIECLE OU LE SIECLE DU PESSIMISME :
A bien des égards, le 19ème fut un siècle de désillusions après l’espoir suscité par
les idéaux révolutionnaires de la possibilité d’un bonheur pour tous. Le
bonheur est devenu surtout celui du grand marchand, du grand artisan,
soucieux d’amasser et de limiter la dépense. Ce bonheur est essentiellement
celui de la vertu économique. L’idéal démocratique du bonheur va s’incarner
dans les idéologies sociales de lutte contre les injustices sociales et
d’amélioration du sort des classes dominées, mais ces idéologies, même si elles
ont suscité des avancées sociales, se sont heurtées à l’épreuve de la réalité et
n’ont pas toujours répondu aux espoirs suscités.
Arthur Schopenhauer (1788-1860) va incarner un certain scepticisme vis-à-vis
du bonheur. C’était un ombrageux et un pessimiste « La vie oscille comme un
pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui ».
F) LE BONHEUR SELON ALAIN (1868-1951)
Emile Chartier, dit Alain, a connu les deux guerres, il a même milité contre le
déclenchement de la Première. Il fut journaliste et professeur de philosophie,
grand pacifiste et pédagogue apprécié. Ses Propos sur le bonheur constituent
un de ses ouvrages les plus célèbres.
Alain s’appuie sur une idée chère à Spinoza ; il conçoit la vie comme devant
être un élan, une conquête, une recherche pour développer ses potentialités et
non les étouffer. Il développe une vision éminemment optimiste de l’existence,
où il faut s’efforcer d’aller de l’avant plutôt que de se laisser aller à une
complainte perpétuelle.
 Pour lui, l’effort pour être heureux n’est jamais perdu : « Il faut faire un
grand volume de bonheurs voulus, comme musique, peinture,
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conversations, qui feront, par comparaison, toutes petites nos
mélancolies »
 Un optimisme invincible
« Le cours des choses humaines, dès qu’on l’abandonne, va tout de suite
au pire » (Propos p160). « Il faut croire, espérer et sourire, et avec cela
travailler. Ainsi la condition humaine est telle que si on ne se donne pas
comme règle des règles un optimisme invincible, aussitôt le plus noir
pessimisme est le vrai » (p162). Selon Alain le bonheur ne s’espère pas
passivement, il se conquiert : « L’homme n’est heureux que de vouloir et
d’inventer(…) L’homme s’ennuie au plaisir reçu et préfère de bien loin le
plaisir conquis ».
 Se responsabiliser soi-même
Tout est occasion pour apprendre : « Ceux qui cherchent excuse hors
d’eux ne seront jamais contents, au lieu que ceux qui vont droit à leur
propre faute et disent ‘Je fus bien sot’ se trouvent forts et joyeux de
cette expérience qu’ils ont digérée ». (p 68)
 Etre en harmonie avec soi-même…mais agir avec les autres
« Jardiner, cuisiner, écrire, peindre, jouer au football : peu importe
l’activité tant qu’on est en harmonie avec soi-même(…) Le plus grand
plaisir humain est sans doute dans un travail difficile et libre fait en
coopération » (p 118).
II) QUESTIONNEMENTS PHILOSOPHIQUES SUR LE BONHEUR
A travers l’exploration de ces grandes visions du bonheur, on peut constater
que la question du bonheur est en lien avec d’autres questions concernant
l’existence humaine :
 Notre rapport à la Nature (stoïciens, épicuriens) au monde tel qu’il est,
dans ses aspects violents et injustes (Montaigne), mais aussi dans ce qu’il
recèle de positivité et de créativité (Alain).
 Notre ressenti de souffrance ou de sérénité (Schopenhauer, stoïciens)
 Notre capacité à transformer le monde, à agir sur lui (Aristote,
philosophes des Lumières, Alain).
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La question du bonheur est au cœur de notre condition humaine (Aristote,
Pascal), y compris dans sa dimension de finitude (rapport à la mort et à une
transcendance possible). Le bonheur est donc à la fois soumis à des conditions
extérieures et à nos dispositions intérieures.
Nous sommes tous porteurs, me semble-t-il, d’une conception plus ou moins
consciente du bonheur. Aussi, je vous propose de nous interroger à présent
sur la nature du bonheur, à partir de deux questions ; cela permettra peut-être
à chacun de mieux définir la place que prend le bonheur dans nos options de
vie.
A) Le bonheur : instants éphémères ou état durable ?
Si l’on s’interroge sur notre perception du bonheur, c’est-à-dire sur ce qui nous
rend heureux, chacun(e) d’entre nous relatera des activités, des moments, des
émotions qui le réjouissent particulièrement : écouter de la musique, pratiquer
son sport préféré, exercer une activité créatrice, sociale etc…
Certains pensent que le bonheur réside simplement dans l’addition de tels
moments, dans la satisfaction de nos préférences naturelles.
Le bonheur se réduit-il à l’ensemble de nos petits bonheurs, de nos moments
agréables ?
 L’expérience nous montre qu’il est parfois des choses très agréables sur
le moment, mais qui procurent des effets négatifs par la suite : boire un
coup de trop, céder à une pulsion sexuelle inappropriée, prendre de la
drogue… Sans parler du risque de l’addiction.
 A l’inverse, des expériences difficiles nous font parfois grandir et se
révèlent bénéfiques sur le long terme : l’effort prolongé des études, la
pratique artistique, certaines ruptures qui s’avèrent à long terme
salutaires…
 Par ailleurs, il semble que le ressenti du bonheur augmente à mesure
que l’on a pu vaincre certains freins qui entravent la réalisation de nos
aspirations profondes. Ces freins, ce sont des peurs, des doutes, une
certaine ignorance, des pulsions qui nous enferment dans des addictions
nuisibles…
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 Enfin, nul n’est à l’abri d’événements qui peuvent entraver notre
bonheur : des problèmes affectifs ou professionnels, la perte d’un
proche, un accident de santé. Se pose alors la question de notre solidité
intérieure, de notre capacité à reconstruire notre vie.
Que nous apprennent ces différentes expériences sur ce qu’est le bonheur ?
 Le bonheur est sans doute quelque chose de subtil et de complexe. Il
n’est pas à l’abri des moments difficiles que tout être humain peut
traverser.
 On ne peut le réduire à une émotion agréable passagère. A contrario, des
émotions
désagréables
ne
le
détruisent
peut-être
pas
fondamentalement.
 Les enquêtes psychosociologiques montrent que le bonheur est un état
qu’il faut envisager dans une certaine globalité et sur une certaine durée.
« C’est un état de ressenti d’une vie qui nous satisfait, parce que nous y
avons trouvé un certain équilibre entre nos aspirations, une certaine
stabilité dans nos sentiments et une certaine satisfaction dans les
domaines les plus importants de notre vie : affectif, professionnel, social,
spirituel. » (F Lenoir, op.cit)
Selon cette approche psychosociologique, on peut donc dire que le
bonheur est en même temps soumis aux aléas de la vie (c’est là son
caractère fragile) mais qu’il semble lié à l’atteinte d’un certain équilibre,
d’un certain accomplissement dans les grands domaines de l’existence.
C’est l’état de quelqu’un qui perçoit que ce que lui apporte la vie vaut
plus que ce qui lui manque.
Pourtant, à cause des aléas de la vie, de son caractère parfois cruel, de
l’expérience de la souffrance, certains ne croient pas au bonheur et le
limitent aux instants agréables de la vie. Je propose à présent d’examiner
la conception bouddhiste du bonheur, qui est beaucoup plus résolument
positive et ambitieuse.
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L’approche bouddhiste du bonheur : le bonheur comme état de sérénité
intérieure à conquérir
Matthieu Ricard pense qu’il y a « une différence essentielle entre (les)
instants de bonheur saisis au vol et la sérénité immuable, comme celle
du sage » (p 15, op.cit). Il définit le bonheur comme une manière d’être
qui détermine la qualité de chaque instant de notre vie. Autrement dit,
le bonheur est un « état acquis de plénitude sous-jacent à chaque
instant de l’existence et qui perdure à travers les inévitables aléas la
jalonnant » (p17).
Il part d’une conception très positive de la nature humaine, d’après
laquelle « chaque être porte en lui un potentiel de perfection et il faut
actualiser cette richesse oubliée pour vivre une vie pleine de sens » (p
23). Il ne nie pas pour autant la souffrance, constatant même qu’elle est
omniprésente dans l’existence humaine. Selon lui, la souffrance fait mal,
mais elle n’est pas un mal quand, ne pouvant l’éviter, on la met à profit
pour apprendre et se transformer. Tous les êtres restent vulnérables à
une souffrance latente qui peut surgir à tout moment. Une réalité fait
même partie intégrante de notre quotidien, c’est la mort, la nature
éphémère de toute chose.
Alors, comment lutter contre la souffrance et se mettre sur le chemin du
bonheur ? M Ricard propose plusieurs pistes :
 Eradiquer toutes les émotions perturbatrices qui sont sources de
tourments pour nous et notre entourage :
-l’égocentrisme, sentiment maladif que l’on est au centre du monde
-la jalousie, l’incapacité à se réjouir du bonheur de l’autre
-la haine, qui motive les violences génocides et les atteintes à la vie
humaine
-le désir, qui de nos jours ne cesse d’être alimenté et amplifié par la
presse, le cinéma, la littérature et la publicité
 Développer les ingrédients du bonheur :
-La maîtrise de soi ou la liberté intérieure. Il faut pour cela se donner un cap,
regarder en soi-même et se libérer de tous les aspects de la vie qui ne méritent
pas qu’on s’y accroche. Il faut aussi cultiver le « non-attachement », qui permet
« d’être ouvert aux autres, prêt à donner et à recevoir » (p 173)
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Dominique GOUR Conférence UTL
-L’humilité. Le bouddhisme oppose à la société du paraître, la figure des
humbles, qui sont des êtres qui font peu de cas de leur égo
-L’optimisme. « Si l’on observe la manière dont les gens perçoivent les
événements de leur vie, apprécient la qualité du moment vécu et construisent
leur futur en surmontant les obstacles grâce à une attitude ouverte et créative,
les optimistes possèdent un avantage indéniable sur les pessimistes : ils
réussissent mieux aux examens, dans leur profession et dans leur couple,
vivent plus longtemps et en meilleure santé » (p 226)
-Cultiver les émotions positives « Face à des circonstances difficiles de la vie, la
plupart du temps, ce ne sont pas les événements extérieurs, mais notre propre
esprit et ses émotions négatives qui nous rendent incapables de préserver
notre paix intérieure et nous fait sombrer » (p 240)
-Faire du temps un allié, notamment en donnant plus de valeur à l’expérience
du moment présent.
-Intégrer la mort comme une donnée de la vie. M Ricard cite Etty Hillesum « En
accueillant la mort au cœur de la vie, on s’élargit et on enrichit sa vie »
-Vivre un chemin de transformation spirituelle. M Ricard cite Gandhi « Nous
devons être le changement que nous voulons dans le monde »
-Cultiver l’altruisme ; « On a constaté qu’au sein d’une population, les
personnes les plus altruistes sont aussi celles qui manifestent la plus grande
satisfaction de vivre » (p310)
La philosophie bouddhiste nous donne un exemple d’une vision du bonheur
bien différente que son assimilation aux simples moments de plaisir. Le
bonheur en ce sens ne dépend pas seulement des circonstances extérieures de
la vie (moments agréables, réussites, biens matériels acquis) mais d’un état
d’esprit (vision de la vie, sérénité intérieure, conscience citoyenne et
planétaire.). Etat d’esprit à cultiver et à développer. Le bonheur apparaît alors
dans une qualité de relation à nous-même et aux autres, dans une capacité à
recevoir et à donner le meilleur de la vie, et dans une capacité à assumer tous
les aspects de notre condition humaine.
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Dominique GOUR Conférence UTL
B) LE BONHEUR : SENTIMENT PUREMENT INDIVIDUEL OU BIEN-ÊTRE A
PARTAGER ?
L’évolution libérale de nos sociétés semble réduire le bonheur à la
consommation de biens et de services toujours croissants. La logique
marchande exalte par ailleurs le développement d’un certain
individualisme : chacun est invité à être plus performant que l’autre.
D’après P Bruckner (L’euphorie perpétuelle), l’idéologie actuelle du
bonheur relève de la « jouissance immédiate ». C’est comme si le
matraquage marketing avait libéré notre appétit d’achats sans limites.
Selon P Bruckner, la « morale des battants investit la vie quotidienne
et laisse derrière elle de nombreux battus et de nombreux abattus »
(p68). Nous serions entrés dans une idéologie de l’exaltation d’un
certain bonheur qui engendrerait des conséquences néfastes :
-Délégitimer le mal de vivre (d’où la consommation excessive de
médicaments et de drogues)
-Penser que, grâce à la science et à la technologie, l’homme est
promis à devenir un immortel en puissance
-Faire apparaître une nouvelle angoisse à travers la peur de ne pas
tenir son rang
Si le bonheur actuel se réduit effectivement à cette « morale de
battants » et à cette incitation effrénée à consommer toujours plus,
on est loin de l’idée chère aux révolutionnaires d’un bonheur pour
tous. Ne risque-t-on pas alors d’être dans une forme de bonheur sans
éthique, que l’on pourrait définir comme bonheur personnel, privé,
réalisation égoïste de soi.
Nous touchons ici au risque de toute conception égoïste de la vie (le
règne du chacun pour soi, la loi du plus fort). Risque aussi de tout
repli communautariste, qui met à mal la possibilité d’un vivreensemble fondé sur la recherche de la répartition équitable des
richesses et l’acceptation des différences.
Si au contraire l’on inclut l’éthique dans sa pratique, dans ses choix de
vie, être vraiment heureux, c’est alors essayer d’être bienveillant
envers autrui autant qu’envers soi-même. C’est ressentir une forme
de dignité à se comporter vraiment comme un homme.
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Dominique GOUR Conférence UTL
Qu’est-ce qui peut s’opposer à cette logique marchande, à ce
« bonheur marketing » ? Qu’est-ce qui peut nous faire retrouver les
conditions d’un bonheur partagé ?
 Il faut un minimum de bien-être matériel, de lien social et de sécurité
pour se sentir exister et avoir accès à sa part de bonne vie. On ne peut
être heureux quand on est dans la survie, dans le dénuement de tout,
dans l’extrême solitude, dans un pays en guerre. La réalité de la détresse
et du malheur des autres doit nous sensibiliser à un double titre : nul
n’est exempt du malheur et nous avons besoin des autres pour
surmonter les durs moments de l’existence. Comme les philosophes
grecs en avaient la conviction, le bonheur de l’individu est aussi lié à son
engagement, à son civisme, à sa participation à l’ordre du monde.
Alors que l’individualisme contemporain se réduit souvent au
narcissisme, à la quête d’un plaisir immédiat et à la défense de ses
intérêts, il paraît urgent d’écouter et de suivre la voie des sages
d’aujourd’hui, porteurs d’une vision humaniste véritablement digne du
meilleur de l’homme.
-Ainsi, Mathieu Ricard qui lie le bonheur à la solidarité, au souci de
partage et de justice qui se retrouve dans l’idée d’altruisme.
-Dans la même veine, je citerai l’œuvre bénéfique de Pierre Rabhi qui a
développé des techniques de production agricoles respectueuses de la
terre et de l’environnement, et nous fait prendre conscience de la
nécessité de changer notre mode de vie dans le sens d’une plus grande
sobriété matérielle et dans un souci de mutualiser nos richesses. « La
sobriété est une option heureuse qui produit une vie allégée, tranquille
et libre. Le bonheur n’est pas dans la possession, dans l’avoir, mais dans
l’être » (L’éléphant n°8, octobre 2014).
 Si l’on souscrit à l’idée que le bonheur est fait pour être partagé, que
chacun a droit à en avoir sa part, il est important « d’agir et de s’engager
pour rendre le monde meilleur, et de ne pas édifier son propre bonheur
au détriment des autres. » (F Lenoir p 110). Peut-être est-on en train,
depuis les années 2000, de redécouvrir autrement les idées
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Dominique GOUR Conférence UTL
révolutionnaires du bonheur pour tous à travers plusieurs mouvements
qui cherchent à tracer des chemins d’une vie plus heureuse pour un plus
grand nombre ? Citons quelques exemples :
-L’essor et la démocratisation du développement personnel et de la
psychologie positive (par exemple les pratiques expérimentées par le
psychiatre Christophe André pour aider les personnes en souffrance à
s’en sortir, en valorisant les aspects positifs de leur vie). Dans le même
ordre d’idée, soulignons l’intérêt des recherches de Boris Cyrulnik sur le
phénomène de la résilience, cette capacité mise en place par certains
individus pour rebondir après des événements dramatiques de leur vie.
- La redécouverte des spiritualités orientales et de la sagesse grecque
- L’importance du mouvement altermondialiste et les initiatives de
commerce et de tourisme équitables qu’il a fait naître
- Le développement de la conscience écologique
- L’existence de nombreuses initiatives de solidarité tant au niveau
local qu’au niveau de la planète (microcrédit, finance solidaire,
logement à bas coût…).
Comme l’écrit F Lenoir : « Ces divers mouvements sont révélateurs d’un
besoin de redonner du sens tant à sa vie personnelle, à travers un travail
sur soi et un questionnement existentiel, qu’à la vie commune à travers
un regain des grands idéaux collectifs »
CONCLUSION :
Essayons de concentrer quelques idées glanées au fil de notre recherche
philosophique sur le bonheur :
- Le bonheur n’est pas donné, il se construit au fil de
l’existence
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Dominique GOUR Conférence UTL
- Il est en même temps lié à un certain héritage de
départ : matériel, affectif, culturel, mais il dépend
beaucoup de la façon de le faire fructifier
- Il n’est pas assimilable au bien-être matériel, même si
un minimum lui est nécessaire. On peut être riche et
ne pas se sentir heureux. Le bonheur peut aussi se
vivre dans la sobriété. A contrario, on ne peut pas
vraiment accéder au bonheur quand on lutte pour sa
survie.
- Suivant nos conceptions éthiques, nos valeurs
d’ouverture ou de repli sur soi, notre vision du
bonheur aura des tonalités différentes : jouir sans
entraves ou construire un mieux-vivre ensemble. Un
bonheur narcissique ou un bonheur partagé. Un
bonheur pour soi ou un bonheur relationnel.
- Le bonheur ne peut se penser en dehors de sa face
contraire, le malheur. Il n’échappe pas aux aléas de
notre condition humaine, il exige lucidité, courage et
énergie positive pour affronter l’adversité. Il interroge
notre capacité à compatir à la souffrance d’autrui mais
aussi à apprivoiser nos propres fragilités.
- Le bonheur est-il le but de la vie ? Certains le croient,
d’autres non, qui pensent plus importants de se battre
pour la liberté ou la justice. Beaucoup pensent que le
bonheur est plus efficace quand il est associé à
d’autres valeurs. Quoiqu’il en soit, en des temps
marqués par un risque de déprime collective et de
tentation de repli sur soi, il ne sera jamais vain de
chercher à améliorer sa vie et de contribuer à un
mieux-vivre ensemble, de s’ouvrir à l’aspect lumineux
de la vie sans nier sa fragilité.
Alors, n’attendons pas de dire comme Jacques Prévert
que « le bonheur se reconnaît au bruit qu’il fait en
partant ». Sachons reconnaître et apprécier la part de
bonheur qui existe dans notre vie. Sachons aussi être,
chacun(e) à notre mesure, des propagateurs de
bonheur autour de nous.
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